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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2005-2006 - 2ème jour de séance, 5ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 5 OCTOBRE 2005

PRÉSIDENCE de M. René DOSIÈRE

vice-président

Sommaire

      NOMINATION DE DEUX DÉPUTÉS
      EN MISSION TEMPORAIRE 2

      LOI D'ORIENTATION AGRICOLE (suite) 2

      QUESTION PRÉALABLE 2

      ORDRE DU JOUR DU JEUDI 6 OCTOBRE 2005 34

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

NOMINATION DE DEUX DÉPUTÉS EN MISSION TEMPORAIRE

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant de sa décision de charger M. Alain Madelin, député d'Ille-et-Vilaine, et M. Bernard Carayon, député du Tarn, d'une mission temporaire auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

LOI D'ORIENTATION AGRICOLE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi d'orientation agricole.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des députés communistes et républicains une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. André Chassaigne - En ces temps de sécheresse, la vieille chanson populaire de Fabre d'Eglantine, se révèle aussi prémonitoire pour nos agriculteurs aujourd'hui qu'elle l'était à la veille de la Révolution : « II pleut, il pleut, bergère, rentre tes blancs moutons ». Et il ajoutait : « voici, voici l'orage ; voilà l'éclair qui luit ».

Et pour cause, ces derniers mois, le ciel s'est terriblement assombri sur notre agriculture : depuis 2000, le revenu paysan a baissé en moyenne de 2,5% par an ; 40% des exploitants ont aujourd'hui un revenu inférieur au SMIC ; le nombre des exploitations agricoles est tombé à 600 000, 370 000 si l'on ne dénombre que les exploitations professionnelles.

Autre coup de tonnerre, la mise en œuvre progressive de la nouvelle politique agricole commune, accompagnée des leçons de M. Blair, reprises en France par les porte-voix de la mauvaise foi. Et pourtant, comme l'ont rappelé les éditorialistes de L'Humanité, l'agriculture britannique, forte de ses crises de la vache folle ou de ses épizooties de fièvre aphteuse, n'est pas le modèle à suivre.

Selon les mêmes porte-voix de la mauvaise foi, la culture du maïs serait l'unique responsable de la sécheresse que nous avons subie cet été. L'au manquait tout simplement parce que l'on arrosait les cultures...

Les agriculteurs, pour leur part, auraient voulu dénoncer la faiblesse des dispositifs de gestion quantitative de l'eau en France, s'interroger sur les refus d'EDF d'effectuer des lâchers d'eau pour compenser l'assèchement des rivières et rappeler que la France n'est pas autosuffisante en maïs. Ils n'ont pas été entendus. Cet automne, la baisse du prix du lait a battu tous les records, fragilisant des dizaines de milliers d'exploitations supplémentaires, au mépris d'un premier accord conclu en mai dernier. Et, si Pascal Lamy franchit ces prochains jours à Hong-Kong une nouvelle étape dans la libéralisation du commerce international, les prix agricoles continueront de baisser au détriment des exploitants familiaux du monde entier.

Tous ces orages ne sont rien devant l'ouragan que constitue ce projet de loi d'orientation agricole qui plonge notre agriculture dans une tempête éminemment dangereuse, celle de la soumission aux règles du capitalisme mondialisé. Ce texte est loin d'être un couteau sans lame auquel il manque le manche ! De surcroît, l'ordre semble bien avoir été donné d'évacuer définitivement le Parlement du débat, à en juger par le nombre d'habilitations à prendre des ordonnances qu'on nous demande de voter. Monsieur le ministre, vous avez certes battu en retraite sur la perspective d'oukases (Sourires) vraiment trop arbitraires. Mais, vous sollicitez encore près de dix habilitations !

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche - Quatre !

M. André Chassaigne - Pour la première fois une loi d'orientation, censée inspirer les politiques de l'Etat pour de nombreuses années, sera adoptée en grande partie par ordonnances qui concernent, qui plus est, des sujets d'importance tel le statut du fermage. Comme aux pires temps de la troisième République, vous nous demandez les pleins pouvoirs en matière agricole !

Cet autoritarisme est peut-être une manifestation supplémentaire de votre mépris à l'égard du Parlement mais sert avant tout à masquer la nature réelle de votre projet pour l'agriculture française. Comme disait Marat, « pour enchaîner les peuples, on commence par les endormir ! ». Lors de son intervention au SPACE, le salon des productions animales, M. de Villepin s'est contenté, il y a quelques semaines, d'une allusion à la création du fonds agricole, sans évoquer la remise en cause du statut du fermage, ni celle du contrôle des structures. Cette faible publicité s'explique par l'absence de soutien des agriculteurs : les trois quarts des paysans ont désavoué ces orientations politiques le 29 mai dernier ; trois syndicats agricoles sur quatre en dénoncent vigoureusement le contenu, suivis par une forte minorité du syndicat majoritaire.

M. le Ministre - Monsieur Chassaigne, vous rêvez !

M. André Chassaigne - Les agriculteurs ne veulent pas qu'on enterre le modèle d'agriculture familiale pour un modèle d'agriculture sociétaire, fondé sur la concentration des terres et le développement du salariat. Comme mes prédécesseurs, j'insisterai sur le fait que « la terre doit être à ceux qui la travaillent ».

Adopter une nouvelle loi d'orientation en matière agricole est effectivement nécessaire devant l'évolution de l'environnement international marqué par la chute des prix agricoles et, partant, la baisse du revenu des paysans, le développement du commerce international et l'adoption à Luxembourg de la dernière réforme de la PAC en juin 2003. La pression juridique et idéologique des chantres du commerce international, pour qui l'agriculture n'est qu'une activité commerciale, n'a jamais été aussi forte. M. Lamy et ses amis cherchent à supprimer toutes les protections tarifaires existantes sous prétexte qu'elles empêcheraient l'émergence de prix mondiaux uniques des denrées agricoles. Combien « d'idiots utiles », pour reprendre l'expression de Lénine...

Plusieurs députés socialistes - Utiles, à qui ?

M. André Chassaigne - ...sont convaincus que la suppression de ces entraves favorisera le développement des pays du Sud ? Beaucoup, malheureusement.

La réalité est évidemment plus complexe. Les voix qui s'élèvent en Amérique latine pour la libéralisation du commerce international sont celles de dirigeants de gigantesques latifundia, parfois coupables d'expulsions sauvages de milliers de paysans de leurs terres. Quant à l'appauvrissement de l'Afrique, elle est moins la conséquence de la fermeture des marchés agricoles que de leur trop grande ouverture sous la pression des organisations internationales. Les prix excessivement bas des matières premières importées d'Europe ont ruiné l'économie vivrière. Et l'insertion des pays africains dans le commerce international s'accompagne d'une dépendance accrue aux évolutions, souvent à la baisse, des cours mondiaux de ces denrées agricoles. L'origine de leur crise est là ; ajouter au mal les ingrédients qui l'ont fait naître ne réglera rien.

Les exploitants familiaux du monde entier ont donc toutes les raisons de redouter la prochaine conférence de l'OMC à Hong-Kong. Les tenants d'une agriculture capitaliste sont prêts à avancer leurs pions. Les prix agricoles, qui ont déjà chuté de moitié ces dix dernières années, pourront continuer à baisser.

Les conséquences incalculables de la réforme de la PAC de 2003 justifient que l'on débatte à nouveau de l'orientation que l'on veut donner à notre agriculture. Nous nous opposons fermement à cette réforme, dont le seul objectif est de soutenir la baisse des prix agricoles. Au lieu d'adapter la ferme France à l'évolution de la PAC, renégocions plutôt ses orientations à Bruxelles, afin de garantir au travail paysan des prix rémunérateurs.

C'est bien toute l'organisation de cette nouvelle PAC qui est porteuse de difficultés pour le monde rural.

Le découplage, aboutissement aussi logique que regrettable de la réforme de 1992, revient à abandonner toute politique de soutien des prix au seul profit du soutien des revenus. La PAC conforte la tendance à la baisse des prix agricoles mondiaux et soumet progressivement l'agriculture aux nouvelles conditions du commerce international. Alors que les paysans ont toujours affirmé qu'ils voulaient vivre de leur travail grâce à une juste rémunération de leurs efforts, l'Europe a choisi une logique de subventionnement.

Loin d'être neutre, cette évolution a supprimé les garanties de débouchés que permettait le soutien communautaire des prix. Les agriculteurs ont donc dû organiser eux-mêmes l'accès aux marchés, s'enferrant de facto dans une logique libérale où priment la baisse des prix et les impératifs de compétitivité, en réponse aux exigences de l'industrie agroalimentaire et de la grande distribution.

Si la soumission des paysans à ce capitalisme débridé fut brutale, la remise en cause de sa contrepartie, la garantie de revenu, rend la situation insupportable. L'Europe n'est pas devenue subitement schizophrénique : il s'agit de la résultante d'une politique tout à fait consciente, et effrayante pour l'avenir de notre agriculture.

Ainsi, la modulation, décidée en 2003, est censée justifier une baisse des aides versées par Bruxelles aux paysans, de 5% en 2007, afin, dit-on, de financer un volet « développement rural ». Mais si l'idée est intéressante, la réalité est tout autre : le contenu de cette politique de développement rural, notamment le financement des préretraites et le développement du tourisme vert, ressemble à s'y méprendre à une politique d'accompagnement social de la disparition programmée de l'agriculture familiale en Europe.

Le budget agricole de l'Union européenne est, lui, promis à une forte baisse au cours des prochaines années. Les perspectives financières 2007-2013 prévoient ainsi de le stabiliser alors même que dix, et bientôt douze pays, encore très agricoles, rejoignent l'Union. Le Parlement, comme de nombreux pays, souhaitent une baisse drastique de ce budget - soit par des négociations entre chefs d'Etat, soit par l'adoption de la constitution pour l'Europe, qui prévoyait de donner au Parlement les mêmes pouvoirs qu'aux chefs d'Etat et de gouvernement pour fixer le montant du budget agricole. Le rejet massif de ces textes par les paysans n'est pas une simple expression de mécontentement : loin de se tirer une balle dans le pied, ils ont cherché, par leur vote, à conserver les dernières bribes d'une PAC que les dernières évolutions ont tellement abîmée.

Celles-ci encouragent non seulement la baisse des prix agricoles, mais aussi la diminution du montant des aides compensatoires versées aux agriculteurs. Nombre de paysans ne pourront pas supporter la chute de revenu qui s'amorce ! Ce découplage est d'autant plus révoltant que la France a décidé de l'appliquer de façon particulièrement discriminatoire. Ainsi, la valeur des droits à paiement unique - DPU - sera fonction du montant des aides versées pendant la période de référence 2000-2002. Le Gouvernement a ainsi octroyé une rente de situation absolument injustifiée aux 20% d'agriculteurs...

M. le Ministre - Expliquez-le aux agriculteurs !

M. André Chassaigne - ...qui touchent 80% des aides, ceux qui sont le moins menacés par les évolutions libérales. Ce choix n'était pas inéluctable : l'Allemagne a, par exemple, choisi d'attacher à terme le montant des droits à paiement à la seule superficie des exploitations, fixant ainsi une valeur forfaitaire, par hectare, à chaque DPU. Cette décision, loin d'être parfaite, a au moins le mérite d'accroître le montant des aides versées aux agriculteurs qui en touchaient auparavant le moins.

Le second pan de cette réforme, l'écoconditionnalité, n'est qu'un rideau de fumée destiné aux opinions urbaines et bucoliques de l'Europe. Mais il s'agit aussi de nouvelles contraintes pour les agriculteurs, assorties d'une énorme supercherie : comment prétendre mieux protéger l'environnement tout en aiguisant la concurrence et en baissant les prix d'achat des denrées agricoles ? Ces deux exigences sont contradictoires et l'on ne peut conjuguer la baisse des coûts de production, imposée par celle des prix agricoles, avec le relèvement des normes écologiques de production. Telle est toute l'hypocrisie de cette réforme de la PAC.

Naturellement, le nouvel environnement international de l'agriculture nous interpelle. Nous comprenons parfaitement la nécessité de débattre d'une nouvelle loi d'orientation. La force d'un capitalisme triomphant représente une menace terrible pour notre agriculture, dont le principal fondement, la petite exploitation familiale, est clairement ébranlé. Que faire, alors ?

Pour notre part, le choix est clair : protégeons, par tous les moyens, cette agriculture familiale et pourvoyeuse d'emplois, cette mosaïque d'exploitations. Ce modèle suppose une maîtrise collective de l'outil de travail que constitue la terre. Il passe par le développement de la coopération, vitale pour organiser les producteurs face à l'industrie agroalimentaire ou à la grande distribution.

Mais vous avez fait, Monsieur le ministre, le choix inverse, acceptant purement et simplement ce nouvel ordre international, qui implique de casser toutes les entraves à l'épanouissement du capitalisme sauvage. Tel est bien le sinistre objet de votre projet de loi. Vous imaginez sans doute faire ainsi preuve de courage. Permettez-moi de vous rappeler ce bel aphorisme de Jean Guitton : « Quand on se met dans le vent, on a l'avenir d'une feuille morte ».

Vous prétendez, à en croire l'exposé des motifs de votre projet, « conforter nos exploitations agricoles », « en favorisant leur évolution vers une démarche d'entreprise ». La « démarche d'entreprise » est pour votre majorité l'expression magique qu'il suffit de prononcer avec dévotion et gourmandise pour résoudre tous les problèmes. Je crains cependant qu'une telle évolution soit difficilement compatible avec votre vœu de conforter les exploitations.

En effet, la création du fonds agricole que vous ne définissez pas, vous contentant d'énumérer les éléments susceptible de faire l'objet d'un nantissement, est potentiellement explosive pour la petite exploitation familiale. Apparemment, il s'agirait simplement de comptabiliser tous les éléments d'une exploitation qui pourraient avoir une quelconque valeur marchande. Il y a là, déjà, un premier problème. Mais peut-on marchandiser tout ce qui fait la spécificité et le savoir-faire de chaque agriculteur ? Cette comptabilisation des actifs de l'exploitation se retrouvera progressivement dans un bilan d'entreprise, et de façon parfaitement arbitraire : en effet, quelle valeur attribuer à la confiance construite entre un agriculteur et sa coopérative, qui ne peut se réduire à la simple existence d'un contrat commercial ? Quelle valeur attribuer au savoir-faire spécifique d'un vigneron ou à l'enseigne d'un éleveur connu pour la qualité de ses bêtes ? Tout cela s'apprécie, mais ne se quantifie pas.

Rapprocher ainsi le statut juridique des exploitations agricoles de celui des entreprises artisanales n'a rien d'anodin. Plus que toute autre entreprise, une exploitation agricole est soumise à des aléas, naturels par exemple. Les habitudes alimentaires sont tout aussi évolutives : la consommation de viande issue d'élevage allaitant subit, par exemple, des variations importantes. Comment alors bâtir un plan d'entreprise stable sur des bases aussi précaires ? La valeur du fonds agricole d'une exploitation charentaise est-elle la même en 2004, lorsque les conditions climatiques étaient normales, et en 2005, année de sécheresse ? Tous ces exemples montrent bien l'absurdité de cette idée de fonds agricole !

A cela s'ajoute l'inévitable question de l'intégration à ce fonds de tous les droits à prime ! La réforme de la PAC, à ce titre, est révélatrice d'une l'évolution particulièrement dangereuse. Ces droits à paiement n'ont pas de valeur en soi. Ils seront pourtant intégrés dans le fonds agricole. Or, ils n'ont de valeur réelle qu'en fonction de l'accès au marché et des possibilités de valorisation dont dispose l'exploitation. Ils sont également sensibles à l'évolution permanente de la réglementation. Comment les intégrer dans un bilan, alors que chacun peut prévoir leur évolution à la baisse au cours des prochaines années ? C'est bien la preuve que vous ne cherchez pas à conforter nos exploitations agricoles. C'est après d'autres lièvres que vous courrez !

En effet, la création de ce fonds agricole répond davantage à votre volonté d'insérer les structures de production agricoles dans une dynamique strictement capitaliste.

Jaurès déclarait à cette même tribune, il y a 108 ans : « entre la grande propriété et la petite propriété paysanne, il n'y a pas seulement une différence de degré mais en quelque sorte une différence de nature, l'une étant une forme de capital, l'autre une forme de travail. »

Il en avait conclu, comme nous le faisons, à la nécessité de soutenir la paysannerie familiale. Ce fut d'ailleurs, de Tanguy Prigent à Waldeck Rochet, un point de convergence constant entre nos amis socialistes et nous-mêmes. Suite au déclin de la grande propriété foncière, vous en avez déduit, à l'inverse, parce que vous êtes attentif aux sirènes venues de la rue d'Athènes, qu'il faut transformer la nature de l'exploitation familiale, c'est-à-dire en faire une forme du capital. C'est bien là l'esprit profond de ce projet de loi. Remarquons d'ailleurs la constance de cette attitude et son caractère revanchard : déjà, en 1997, seule la dissolution de l'Assemblée nationale avait permis d'éviter la création de ce fonds agricole.

Les conséquences ne tarderont pas à se faire sentir : cette valorisation capitaliste de la valeur des exploitations aboutira à un fort renchérissement du prix des fermes ou, comme vous dites, des entreprises agricoles. Leur cession à des candidats à l'installation sera évidemment proscrite : les jeunes ne disposent pas du capital nécessaire pour réaliser un tel investissement à la fin de leurs études. De fait, à terme, aucun exploitant individuel ne pourra racheter de fonds agricole sans le soutien de capitaux étrangers à l'exploitation agricole. La concentration foncière et la généralisation de formes sociétaires seront la conséquence directe de ce nouvel esprit que vous souhaitez insuffler dans notre agriculture.

Loin de venir de nulle part, ce projet est porté par les think tanks - je préfère parler de clubs de réflexion - de la droite conservatrice, comme l'Institut Montaigne, dont le rapport sur l'agriculture de juillet 2005 contient un extrait que je me permets de citer : « Il faut simplement sortir du tabou relatif au maintien précaire d'exploitations sous-équipées, non compétitives, maintenues sous perfusion de subventions publiques sans perspective de rentabilité. La perspective d'aller vers un modèle agricole à 150 000 exploitations professionnelles axées exclusivement sur la production agricole ne doit pas être vécue comme un drame, dès lors que ces exploitations, tournées vers la satisfaction de larges marchés, sont réellement et durablement rentables et qu'elles sont accompagnées par des exploitations mixtes, associant productions issues de l'agriculture et prestations de service ». L'euthanasie des agriculteurs, voilà tout le programme de l'Institut Montaigne et le vôtre, Monsieur le ministre ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. François Sauvadet - Vous avez mal lu le rapport !

M. André Chassaigne - Ce discours n'est pas nouveau. Je me suis penché sur un ouvrage de Waldeck Rochet, député communiste et paysan...

M. le Ministre - Un visionnaire ! (Sourires sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. André Chassaigne - ...intitulé L'Emancipation paysanne. Dès les années 1950, il soulignait que les économistes officiels expliquaient les difficultés des agriculteurs par leur manque de productivité - comme l'Institut Montaigne aujourd'hui - et montrait que malgré les efforts gigantesques consentis par les paysans pour accroître leur production, la pauvreté ne déclinait pas dans les campagnes. D'où sa conclusion...

M. le Ministre - Que disait Staline à la même époque ?

M. André Chassaigne - Dès que je mets en cause le système capitaliste, vous n'avez que ce mot à la bouche - Staline ! Essayez donc de trouver des arguments plus convaincants ! Je cite donc : « On nous présente l'accroissement de la productivité comme la panacée universelle, le remède à tous les maux. A la vérité, on cherche ainsi à dissimuler les causes véritables du bas niveau de vie des travailleurs des villes et des champs et des difficultés particulières que rencontrent aujourd'hui les petits et moyens paysans. C'est qu'en régime capitaliste, la part de revenus reçue par chaque classe ne dépend pas essentiellement de la masse de richesses produites, mais avant tout de la répartition de ces richesses entre les différentes classes sociales. » Cette conclusion est tout à fait actuelle !

Les propos des amis de M. Bébéar sont donc aussi révoltants que stupides. Non, Mesdames et Messieurs de l'Institut Montaigne, l'agriculture familiale n'est pas moins compétitive que le modèle agricole capitaliste que vous appelez de vos vœux !

A preuve, une étude récente de M. Vincent Chattelier, ingénieur à l'INRA de Nantes, qui compare l'efficacité économique du modèle familial français et du modèle capitaliste anglais ou néerlandais.

M. François Sauvadet - Vous défendez la non rémunération !

M. André Chassaigne - Dès que je cite une étude économique, vous êtes gênés ! Mais les résultats de cette étude sont éloquents : une exploitation laitière du Massif Central produisant 170 000 litres procure autant de revenu qu'une exploitation hollandaise produisant 350 000 litres. Pour générer un euro de revenu dans mon Livradois-Forez, il faut trois euros de capital, contre neuf aux Pays-Bas. Quelles sont donc les exploitations les plus compétitives ?

Faire reposer le développement de l'agriculture sur le capitalisme n'est pas une tentation nouvelle, mais elle a pu être contrecarrée par deux garde-fous fondamentaux : le statut du fermage - ce grand acquis de la Libération - et le contrôle des structures. Officiellement, vous n'avez jamais remis en cause l'existence de ces digues qui protègent les exploitants français du capitalisme sauvage. Cependant, votre projet en brise subrepticement les fondations, ouvrant la voie à un déversement sans fin de libéralisme, ce dont les paysans auront bien du mal à se remettre !

M. Daniel Paul - Bravo !

M. André Chassaigne - Selon l'exposé des motifs, le statut du fermage ne serait remis en cause que marginalement, par ordonnances. Je m'inquiétais alors de voir combien l'habilitation demandée était large et floue... Mais je fus consterné à la lecture du dispositif précis du nouveau bail cessible !

Vous annoncez, modestement, que sa création est destinée à faciliter les transmissions d'exploitation - fort bien. Mais vous créez en fait une véritable arme de guerre contre le statut du fermage. Je n'en suis pas surpris, tant votre gouvernement a montré d'obstination, depuis trois ans, à remettre en cause inlassablement les acquis sociaux que notre peuple a arrachés à la Libération.

Avec ce projet, vous poursuivez votre œuvre de destruction. Le bail cessible légalise la pratique des pas de porte. Or, en reconnaissant juridiquement cette pratique condamnable, vous risquez de la généraliser : les cessions de fermes gré à gré deviendront la règle, et tous les instruments de gestion collective perdront leur pouvoir, entraînant du même coup une hausse généralisée du prix de l'installation ou de la reprise des fermes - le cauchemar des jeunes agriculteurs, le rêve des plus gros exploitants.

En fixant le prix de ce nouveau bail à 150% du prix du bail rural de droit commun, vous comptez généraliser un modèle agricole. Peu à peu, les bailleurs cesseront de signer un bail classique, puisque les nouveaux offrent une rémunération supérieure. Cette hausse des prix des loyers entraînera la sélection financière des preneurs et brisera le fragile équilibre établi en 1946 entre bailleurs et fermiers. Au fond, ces contreparties à l'acception de la cessibilité du bail offrent à la propriété foncière une belle revanche sociale...

La structure de la propriété foncière a pourtant bien changé. Certes, l'augmentation du prix du bail garantit à de nombreux agriculteurs en retraite un revenu d'appoint important. Mais n'aurait-il pas mieux valu augmenter les retraites agricoles, plutôt que pénaliser les fermiers en activité ? Combien de fermiers ne pourront-ils pas supporter cette augmentation de loyer ?

En outre, cet article remet en cause la sécurité de l'accès à la terre du fermier. Le droit à la prorogation illimitée du bail, reconnu en 1946, est ébranlé par la possibilité offerte au bailleur de ne pas renouveler un bail pour des motifs « autres » que ceux déjà prévus par la loi, contre versement d'une indemnité compensatrice. Comme le contrat « nouvelle embauche », qui donne aux patrons la possibilité de licencier ses salariés sans raison légale, votre bail cessible donne l'occasion au bailleur d'expulser son fermier sans justification, tandis que la durée de préavis de non renouvellement de bail est réduite d'un tiers. La durée du bail d'un repreneur de bail cessible est, elle, réduite à cinq ans. Ne s'agit-il pas d'étendre la précarisation du travail salarié aux agriculteurs ?

L'insécurité sociale est une composante structurelle de la France d'aujourd'hui. La prolifération des CDD et des contrats d'intérim, notamment à destination des plus jeunes, anéantit toute perspective d'avenir pour ces salariés. Vous connaissez l'ampleur de cette désespérance sociale, déjà institutionnalisée dans l'industrie. Pourtant, les cercles les plus libéraux du pays claironnent que la précarité est une forme naturelle de la vie. Hier aux salariés, aujourd'hui aux travailleurs de la terre...

Le contrôle des structures est, quant à lui, tout bonnement démantelé, et les seuils de contrôle relevés. Les agrandissements de moins de trois hectares seront exonérés de contrôle, quelle que soit la taille de l'agrandissement.

M. François Sauvadet - Trois hectares, c'est déjà bien !

M. André Chassaigne - Bien ? Venez donc dans les Pyrénées, venez dans ma circonscription, voir si trois hectares ne comptent pas pour un jeune agriculteur qui s'installe ! C'est du mépris que de cracher sur trois hectares, alors que l'on se bat dans ces régions pour les obtenir ! En outre, l'avis des CDOA ne sera plus demandé avant toute décision préfectorale. Et comme si cet arsenal ne suffisait pas, vous revenez au régime de déclaration pour les « biens familiaux », afin d'exempter de contrôle des structures toutes les mutations concernant de prétendus biens de famille - jusqu'au troisième degré ! L'idée est sûrement bonne pour relancer la généalogie, mais inappropriée pour notre agriculture...

L'intensité et l'étendue du contrôle des structures seront réduites à tel point que les mutations foncières ne se feront bientôt qu'exceptionnellement sous le regard des structures collectives de gestion du foncier. Les CDOA n'auront plus qu'une compétence réduite à l'élaboration de plans départementaux pour l'agriculture. Toutes ces mutations foncières se feront donc en fonction des seules règles du marché, aberration que le rapporteur du Conseil économique et social a fort justement soulignée.

Chacun de ces articles est donc, en soi, inacceptable. Au sein d'un même projet, ils menacent la reproduction du modèle économique et social de l'exploitation familiale. Je le répète, car c'est assez grave pour ne pas être tu : les prix de l'accès au fermage comme les prix d'achat d'une exploitation vont exploser, et le contrôle des structures ne s'opérera plus que de façon marginale, accentuant ainsi l'effet pervers des mesures proposées dans ce projet (Murmures sur les bancs du groupe UMP). J'espère que vous aurez le courage d'aller sur le terrain, dans l'Allier par exemple, qui fut à la source du statut du fermage, pour annoncer aux fermiers que vous voulez le supprimer ! Les électeurs jugeront ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Ecoutez donc ma démonstration, car vous serez incapables de la contredire !

Telle est hélas la triste vérité que je me dois de rappeler...

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - Mais non ! On ne peut pas laisser dire cela !

M. André Chassaigne - Ainsi, tout rachat d'exploitation, toute installation de jeune agriculteur deviendra impossible sans un apport massif de capitaux externes. Comme cet accès aux capitaux est par nature limité, seuls les agriculteurs disposant des ressources suffisantes auront accès au foncier. Dès lors, la concentration foncière et l'agrandissement des exploitations vont encore s'accélérer. Les autres ne pourront survivre qu'en sollicitant l'aide d'investisseurs et en se soumettant aux lois du capitalisme. Quelles seront les conséquences pour les agriculteurs ? Imaginons pour un instant que vous ayez raison et que cette réforme soit effectivement nécessaire. Dans un premier temps, les agriculteurs disposeront de plus de capitaux pour moderniser leurs exploitations. Ensuite, du fait de la baisse des prix, le résultat d'exploitation restera toujours relativement faible. Aucune exploitation agricole n'aura jamais la rentabilité d'une industrie pharmaceutique ! Et comme vous aurez accru l'intensité capitalistique des exploitations, il faudra bien rétribuer ce capital, en remboursement d'emprunts et en versement de dividendes.

Pourtant, nous savons que dès à présent, nombre de paysans ne parviennent plus à rembourser leurs emprunts au Crédit agricole, d'où les faillites que nous déplorons chaque jour. Ainsi, bien que les exploitations agricoles soient faiblement capitalisées, les charges financières qu'ont à supporter les exploitants sont déjà excessives. Que se passera-t-il quand augmentera l'intensité capitalistique des exploitations, du fait de la création du fonds agricole, du bail cessible et de la libéralisation de l'accès au foncier ? Les charges financières exploseront, et jamais l'excédent d'exploitation dégagé ne permettra de couvrir ces charges nouvelles. Alors que vous prétendez préparer la ferme France à affronter la concurrence internationale, vous la lestez de charges nouvelles, éminemment handicapantes dans la concurrence internationale. Votre aveuglement idéologique nous mène à l'incurie !

Ce projet de loi d'orientation tend à accélérer la fin du monde de la paysannerie familiale. Mais nous nous battrons pour sauver ce modèle et prévenir l'avènement d'un modèle unique d'agriculture capitaliste, reposant sur d'immenses latifundia et l'exploitation de travailleurs salariés toujours plus nombreux. Et nous comprenons d'autant moins l'orientation de ce texte qu'il vient contredire, par nombre de ses dispositions, les modalités d'application de la dernière réforme de la PAC. Ainsi, en 2003, votre prédécesseur déclarait vouloir prévenir toute spéculation sur les DPU, en taxant tout transfert de DPU sans foncier à 50%...

M. le Ministre - C'est fait !

M. André Chassaigne - Pourtant, votre projet encourage la spéculation sur les DPU, en les intégrant au fonds agricole, pur objet de spéculation. De la même façon, la France avait déclaré soutenir l'installation des jeunes agriculteurs en usant au mieux de tous les dispositifs mis en place par la nouvelle PAC pour financer la « réserve » créée pour attribuer des DPU aux jeunes désirant s'installer. Dans la situation que vous proposez de généraliser, les jeunes pourront bien récupérer des DPU... mais pas racheter un fonds agricole, dont le prix ne cesse d'augmenter. Où est la logique ? Oui, Monsieur le ministre, à l'opposé de vos certitudes, nous sommes quant à nous convaincus que seul le modèle d'agriculture familiale est viable. Je renvoie, à ce sujet, aux positions de Michel Debatisse, personnalité paysanne de ma circonscription, bien connue et appréciée de beaucoup d'entre vous. A l'opposé de ses conceptions humanistes, vous optez pour un modèle d'entreprise à l'anglo-saxonne dans lequel la terre n'appartiendra plus à ceux qui la travaillent mais à ceux qui se la sont appropriée. Bien entendu, cela vous oblige à anticiper l'augmentation inévitable du nombre de salariés agricoles au cours des prochaines années - il faudra bien des bras pour travailler la terre ! - et cette évolution interpelle d'autant plus que chacun connaît la dureté des conditions de travail des salariés agricoles en France : à moins de faire de nos territoires ruraux un enfer, conjuguant faillites d'exploitants familiaux et précarisation des travailleurs de la terre, il est vital que l'augmentation du nombre de salariés s'accompagne d'une amélioration sensible des conditions de travail des salariés. Las, vous préférez réduire les droits des salariés. Ainsi, votre projet de loi donne la faculté d'imposer des heures supplémentaires au-delà du contingent légal ou conventionnel. J'imagine que vous justifierez cette évolution par le droit de « travailler plus pour gagner plus », comme si les salariés agricoles avaient le loisir de fixer eux-mêmes leur temps de travail ! Ce mensonge flagrant est d'autant plus scandaleux qu'il fonde la remise en cause d'acquis sociaux sur l'instrumentalisation d'une juste revendication : la hausse des salaires, bloqués depuis des années par l'intransigeance patronale.

Au reste, notre inquiétude quant au sort réservé aux salariés agricoles du fait de l'application de ces dispositions est encore montée d'un cran après que vous vous êtes engagé à intégrer plusieurs propositions émises par notre collègue Jacques Le Guen dans son étude comparative sur l'emploi dans le secteur agricole !

Monsieur le ministre, les autres articles de votre projet n'ont heureusement pas la portée des premiers. Ils en constituent une simple déclinaison, mêlant, par petites touches, des mesures de pur renoncement libéral et quelques trop rares avancées sociales, l'ensemble tendant à traduire le désengagement de l'Etat de sa mission de régulation du secteur agricole.

C'est ainsi que, dans le droit fil de la loi pour le développement des territoires ruraux, le Gouvernement n'encourage l'agriculture sociétaire que sous sa forme libérale. Les GAEC n'ont pas votre faveur et nous n'en sommes par surpris, cette forme de coopération interdisant l'apport de capitaux externes sur l'exploitation. Par contre, vous semblez vouloir faire des EARL la formule pivot, en réduisant progressivement toutes les garanties juridiques qui pouvaient entraver leur développement.

La poursuite de la réforme des dispositifs de protection des paysans contre les calamités agricoles s'inscrit dans cette optique résolument libérale. Le fonds national de garantie contre les calamités agricoles offre certes des prestations insuffisantes ; mais est-ce une raison pour le vider de son contenu afin de privilégier des dispositifs d'assurance privée ? En dépit de ses carences, le FNGCA est fondé sur le principe essentiel de la mutualisation solidaire des risques. Il ne sélectionne pas les exploitants en fonction du degré d'exposition aux risques, alors qu'un système assurantiel le ferait nécessairement. Bref, il repose sur la solidarité de l'ensemble de la profession face aux calamités agricoles...

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis de la commission des finances - Allons donc ! Les éleveurs n'en bénéficiaient jamais. N'idéalisez pas un système qui ne fonctionnait pas bien.

M. André Chassaigne - Purement idéologique, votre approche est d'autant plus mal fondée que l'assurance privée contre les risques climatiques coûte plus cher en frais de fonctionnement que le FNGCA. Sans compter les profits qu'exigeront les actionnaires ! Et le système ne peut pas fonctionner sans une aide financière conséquente de l'Etat. S'agirait-il encore de mutualiser les coûts tout en privatisant les gains ? Dans les régions particulièrement exposées aux aléas climatiques, la réforme viendrait fragiliser nombre d'agriculteurs, et, au premier chef, tous ceux qui ne seront pas en mesure de payer les primes d'assurance colossales qu'exigeraient des assureurs privés.

Nous militons par conséquent pour un renforcement des compétences du FNGCA. Plutôt que de financer des assurances privées avec des fonds publics, pourquoi ne pas financer un fonds de garantie public avec des fonds privés ? C'est bien en augmentant les ressources du FNGCA que l'on pourra améliorer les prestations offertes aux agriculteurs.

Toute la filière agroalimentaire profite du travail des producteurs qui fournissent notamment les matières premières. Dès lors, comment accepter que seuls les paysans contribuent au FNGCA ? L'ensemble de la filière devrait être sollicitée pour protéger les agriculteurs contre les risques auxquels ces derniers sont exposés. Las, vous ne parvenez pas à sortir de l'engrenage idéologique du tout libéral...

M. le Président de la commission - Ni vous du vôtre !

M. le Ministre - Waldeck Rochet...

M. André Chassaigne - Waldeck Rochet est un grand homme dont nous célébrons cette année le centième anniversaire. Je suis fier de l'avoir cité...

M. le Ministre - Convenez que les Français l'ont un peu oublié !

M. André Chassaigne - Pas tous, soyez en sûr !

La réorganisation des offices, associée aux dispositions concernant les interprofessions, suscite bien des interrogations. Certes, de par leur statut particulier, les offices ont contribué au démembrement des missions centrales de l'Etat. Toutefois, leur mission initiale de régulation des marchés agricoles est fondamentale et ils ont permis - notamment avant la réforme de la PAC de 1992 - de prévenir la fluctuation excessive du cours des denrées. Logiquement, la libéralisation forcée des marchés agricoles a réduit le champ de leurs attributions et ils se contentent aujourd'hui de distribuer les aides communautaires ou de débattre des orientations économiques des différentes filières agricoles. En créant une agence de paiement unique, le texte vide encore un peu plus de leur substance les derniers offices existants. Quelle sera désormais leur mission ? Dans quelle mesure pourront-ils intervenir valablement sur les marchés ?

Nous ne sommes pas attachés dur comme fer à la survie des offices. Mais il est indispensable que l'Etat conserve la faculté de contrôler l'évolution des cours sur les marchés agricoles : l'effondrement des prix au cours des dernières années a souvent été fatal aux paysans les plus fragiles. Le revenu des exploitants dépend de plus en plus étroitement du versement des aides communautaires. C'est pourquoi il est de la responsabilité des pouvoirs publics de chercher par tout moyen à garantir des prix rémunérant à sa juste valeur le travail paysan. Le revenu paysan aurait dû être au centre d'une bonne loi d'orientation. Vous en faites peu de cas, comme en atteste l'indigence de vos propositions sur l'organisation de la filière agricole face à l'agroalimentaire ou à la grande distribution.

Dans la loi de développement des territoires ruraux, l'adoption d'un amendement du sénateur Soulage rétablissant un mécanisme de coefficient multiplicateur avait été perçue comme un signal très positif dans le monde agricole.

M. Jean Dionis du Séjour - C'est vrai.

M. le Président de la commission - Grâce à qui ?

M. André Chassaigne - Il s'agissait d'encadrer les marges exorbitantes de la grande distribution, notamment pour les fruits et légumes. Leurs prix ont fortement baissé cet été sans que les ministères concernés réagissent, ce qui prouve votre réticence face à ce dispositif. Une fois de plus, le Gouvernement préfère ne pas suivre le vote du Parlement pour ne pas porter atteinte à la grande distribution. Je pense que vous vous en expliquerez, Monsieur le ministre.

M. le Ministre - On ne s'explique pas sur des mensonges.

M. André Chassaigne - C'est un constat.

Le problème reste entier. Qu'êtes-vous prêt à faire pour éviter la multiplication des crises liées aux prix ? Élargir les missions des interprofessions à la prévention de ces crises ne suffit pas. Lorsque les marchés sont incapables de s'autoréguler, vous vous entêtez à espérer en des mécanismes de régulation privés. Les interprofessions sont utiles. Mais la fixation des prix relève d'un rapport de forces violent, souvent dévastateur, au détriment des petits. Regroupant producteurs, transformateurs et distributeurs, les interprofessions privilégient le compromis et, faute de pluralisme syndical parmi les représentants des producteurs, les intérêts des plus petits d'entre eux sont mal défendus - à preuve la nouvelle baisse du prix du lait décidée début septembre par l'interprofession laitière. Recherchant un équilibre de marché, les interprofessions se fondent sur la seule valeur marchande des produits. Ce qu'il faut, plutôt, c'est une intervention publique qui prenne aussi en compte les coûts de revient et les valeurs d'usage des denrées agricoles.

La même critique vaut pour les organisations de producteurs, que vous proposez de regrouper en entités commerciales et de fédérer. Comment ces superstructures éloignées des paysans parviendront-elles à renverser le rapport de forces avec la grande distribution ? Nous savons d'expérience que les coopératives et les organisations de producteurs les plus puissantes n'ont que peu ou pas de poids dans les négociations tarifaires, notamment avec la grande distribution, en situation de monopsone, contre laquelle aucun de nos chevaliers blancs de la concurrence n'a jamais rien tenté. Sur ce point, nous attendons des avancées. Mais lors des débats sur le projet de loi relatif aux PME, nous avons bien vu que le pouvoir des monopoles privés vous dérangeait moins que celui de certains services publics.

Autre sujet d'inquiétude : ces organisations de producteurs qui deviendront, comme les coopératives agricoles, propriétaires des produits de leurs adhérents, risquent de concurrencer ces dernières. Or leurs règles de fonctionnement sont nettement moins démocratiques. Les paysans n'y gagneront pas en revenu, mais y perdront en maîtrise. En outre, vous souhaitez, par ordonnance - est-ce toujours le cas ? - rapprocher le régime juridique des coopératives de celui des sociétés de droit commun. Pourquoi vouloir transformer une forme remarquable de démocratie en société anonyme ? Adhérer à une coopérative est un choix politique et économique. N'en dénaturez pas le sens. De même, nous ne souscrivons pas à votre proposition de filialisation du mouvement coopératif et surtout de distinction entre associés simples, souvent de petits paysans, et associés désireux de s'investir dans le développement des filiales. En quoi cela améliorera-t-il la rémunération paysanne ?

Ne pas répondre à cette question est encore plus insupportable dans un domaine où aucun principe libéral ne vous interdit de prendre en compte la détresse des agriculteurs, celui des carburants. L'explosion du prix du gasoil va amputer de façon dramatique leur revenu qui a déjà baissé en moyenne de 2,5% par an depuis 2000. A la limite, on comprendrait votre refus de diminuer sensiblement les taxes sur les carburants si vous proposiez aux paysans d'utiliser un carburant de substitution nettement moins cher, comme les huiles végétales ; mais sur ce point, malgré les déclarations fracassantes du Premier ministre, le projet n'apporte que des avancées extrêmement limitées.

M. le Rapporteur pour avis - Nous allons progresser.

M. André Chassaigne - Tant qu'un amendement n'est pas voté, je m'en tiens au texte du projet.

Donc, les huiles végétales ne pourront êtres utilisées que pour l'autoconsommation, et de façon expérimentale, jusqu'en 2007 seulement. Ce n'est pas sérieux !

M. Jean Dionis du Séjour - Là-dessus, il a raison.

M. André Chassaigne - Comment voulez-vous promouvoir ainsi cette filière ? Pour le premier semestre, Total a fait un bénéfice de 44 milliards Vous ne conduirez pas cette société à la faillite en permettant aux paysans d'utiliser pour leurs tracteurs un carburant propre et peu coûteux. La commission, sous la présidence de M. Ollier, a adopté à l'unanimité un amendement sur ce point. J'espère que vous l'accepterez.

Vous proposez de réorganiser l'agriculture autour de grandes exploitations capitalistes, en laissant l'agriculture paysanne en situation marginale. Le développement de filières courtes de distribution et le développement de signes de qualité, notamment pour l'agriculture biologique, devraient permettre une coexistence pacifique entre deux modèles agricoles. Aussi pouvions-nous attendre que ce projet donne des moyens véritables pour consolider ces filières. Notre déception est grande.

Certes, on propose un crédit d'impôt pour les agriculteurs « bio ». Mais ce moyen éculé ne masque-t-il pas un manque total d'idée neuve ? A chaque problème son crédit d'impôt, sans jamais en régler aucun. Ce sera une bouffée d'air pour ces paysans. Mais mieux vaudrait structurer réellement la filière en lui garantissant les débouchés nécessaires, comme l'a suggéré le porte-parole du Conseil économique et social. Par exemple, le Conseil général du Puy-de-Dôme subventionne l'achat de produits issus de l'agriculture biologique par les cantines des collèges. De même, le Parlement des Pays-Bas a voté une loi permettant de subventionner l'achat d'aliments de qualité par la restauration collective. Augmenter la demande et le prix payé aux producteurs sans pénaliser les familles modestes, n'est-ce pas la voie que nous devrions suivre ?

Valoriser le travail paysan est un moyen important de garantir une bonne rémunération. Mais vous n'abordez le problème que sous l'angle de la réforme, par ordonnances, des signes d'identification des origines et de la qualité des produits. Sans doute est-il nécessaire de simplifier le dispositif. Mais que souhaitez-vous faire ? Nous aligner sur la réglementation européenne pour normaliser ces produits afin de les insérer dans des circuits économiques mondiaux qu ne profiteront pas aux producteurs ? Développer des marques allant vers une uniformisation selon le goût de consommateurs formatés par la culture dominante ?

Considérons par exemple la viticulture. A croire les rapports qui se succèdent, tous coulés dans le moule de la pensée unique, il faudrait, pour enrayer la crise, adapter le produit à la demande des consommateurs, qui souhaiteraient, nous dit-on, moins de diversité et des vins mieux identifiables. On les tient pour incapables de faire leur choix parmi plus de quatre cents AOC, cinquante-trois vins de pays et nombre de vins de table. Il faudrait donc passer à une gestion « coca-cola » de la viticulture française et standardiser notre production. Sous l'impulsion de l'INAO, un plan de restructuration a été élaboré, avalisé par le Gouvernement en juillet 2004, mais pas par les viticulteurs.

Dans le même temps, la Commission européenne cherche à réformer l'organisation commune du marché du vin. D'un côté on autorise l'irrigation et l'utilisation de copeaux de bois ; de l'autre on élabore un plan qui vise en fait à durcir les règles de production pour les AOC et à créer des vins de pays de grande région, créant une mixité entre ces appellations, avec affectation parcellaire des vignes destinées à l'AOC et de celles destinées aux vins de pays. Si c'est là l'orientation que vous souhaitez généraliser, Monsieur le ministre, nous ne pourrons que la rejeter, et vivement, en accord avec des milliers de viticulteurs de toutes les régions.

Devant l'enjeu que constitue la valorisation du travail paysan, nous ne comprenons pas l'absence, dans ce projet, de toute référence à la multifonctionnalité. Il est inconcevable de nier aussi dogmatiquement les apports de la loi d'orientation agricole de 1999. Ne voyez-vous pas combien d'installations hors cadre ont permis de relancer une activité agricole dans certains villages ? Ne voyez-vous pas combien la transformation de matières premières agricoles à la ferme, la vente directe, permettent à de nombreux agriculteurs de vivre un peu moins mal ?

Si vous ouvriez les yeux, Monsieur le ministre, vous constateriez l'existence d'un vrai potentiel de développement dans nos campagnes. Encore faudrait-il l'encourager. Un exemple : les critères d'octroi de la DJA privilégient une agriculture productrice de matières premières. Ils ne répondent pas assez aux exigences et aux projets de nombreux agriculteurs en devenir. Aussi 40% des installations se font-elles aujourd'hui hors cadre. Ne faudrait-il pas repenser la politique d'installation pour qu'elle prenne en compte la diversification de l'activité agricole ?

Avec la question de la multifonctionnalité, nous abordons aussi celle de la ruralité et de la vie sociale dans les campagnes. Vous avez déclaré en commission que l'agriculture française était en grande forme, et l'une des meilleures du monde. Le problème, c'est que la bonne santé de l'agriculture n'est pas nécessairement celle des agriculteurs... Or vous semblez plus attentif à notre balance commerciale agricole qu'au bien-être des paysans et au dynamisme des campagnes... C'est bien le problème de fond, et c'est pourquoi le vote de cette question préalable s'impose.

Je terminerai cette courte intervention (Sourires) par une citation d'Emile Guillaumin, syndicaliste paysan de l'Allier, dont les combats pour les droits des fermiers et des métayers marquent encore la culture politique du Bourbonnais. Ce n'est pas mon ami Pierre Goldberg qui me contredira sur ce point. Je cite : « Les discours officiels sont toujours assaisonnés de paroles mielleuses, de promesses fallacieuses, écoeurantes. Les ministres font état de la grandeur, de la gloire du paysan qui mérite la reconnaissance de tous. Aussi entendent-ils par des projets mirobolants qui n'ont jamais de suite, instituer pour eux une manière de paradis terrestre. Des griffes puissantes apparaissent sous cette patte de velours : griffes de la grande presse qui réclame la vie à bon marché, griffes de la finance que les paysans n'intéressent pas. Des forces secrètes dictent au Gouvernement, par delà ses promesses, sa ligne de conduite définitive. Si bien que, publiant les louanges des campagnards, il prend des mesures à l'encontre de leurs intérêts. » (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. le Ministre - Je félicite M. Chassaigne d'avoir disséqué ce projet en détail. Bien sûr il l'a fait avec le regard d'Emile Guillaumin, c'est-à-dire dans la perspective de l'agriculture d'il y a un siècle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), et des références à Waldeck Rochet et à quelques autres. C'est en effet le langage que le parti communiste tenait à la fin de la deuxième guerre mondiale, quand on a établi le programme du Conseil national de la Résistance : c'était une autre époque, Monsieur Chassaigne, et c'est bien pourquoi vous êtes l'un des derniers députés communistes agricoles en France. Je respecte vos idées, mais je les tiens pour antédiluviennes (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). D'autant plus qu'à travers la lecture que vous avez faite, dans le style de L'Humanité des années cinquante, vous avez fait une analyse misérabiliste et fausse. J'en prendrai quelques exemples. Ainsi vous avez dit que le fonds agricole entraînerait un surcoût. Or c'est tout le contraire : il facilitera la transmission de l'exploitation et en évitera l'éclatement à chaque génération ; c'est ce qu'a toujours demandé le syndicalisme, y compris celui qui est proche de vous et que vous auriez peut-être dû consulter... Le fonds doit permettre de réaliser les transmissions dans des conditions juridiques claires, rendant possible un meilleur financement, et il est donc dans l'intérêt des agriculteurs.

Quant à l'acquis que représente le statut du fermage, vous n'avez pas le droit de dire que nous le mettons en cause. Le bail cessible est une option. Dans une démocratie, Madame Lebranchu, on peut ouvrir des options, même si ce n'est pas toujours votre conception (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). Et cette option suppose l'accord des parties. Nous laissons donc le choix aux agriculteurs entre le fermage classique et le bail cessible.

Il en va de même de l'assurance. Pourquoi croyez-vous que depuis quelques mois, tant auprès d'un grand groupe d'assurances que d'un grand groupe bancaire issu de la profession agricole, près de soixante mille contrats d'assurance agricole ont été souscrits par des exploitants de toutes tailles ? C'est qu'ils ont compris que, si le Fonds des calamités avait son rôle, l'assurance, comme pour nous tous, était aujourd'hui un moyen moderne de répondre à certaines préoccupations.

Enfin, sur les interprofessions, je rappelle qu'elles permettent aux agriculteurs d'embrasser le processus d'amont en aval, d'avoir un œil sur les prix, de jouer sur la transformation, et de parler face aux centrales de la grande distribution que vous évoquez. Fortifier les interprofessions, comme le fait ce texte, c'est agir dans l'intérêt des agriculteurs et de leur revenu.

Ainsi vous avez examiné ce projet avec un œil critique, ce qui est votre rôle comme député de l'opposition, mais aussi avec des lunettes d'une autre époque, et vous n'avez pas vu les progrès qu'il apporte. J'ai d'ailleurs entendu des critiques, mais pas de propositions ; si celles-ci viennent quand nous débattrons des amendements, et s'il en est de bonnes, je suis sûr que l'Assemblée les acceptera (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Alain Marleix - M. Chassaigne, qui est un érudit et un admirateur de Vialatte, a fait nombre de citations et évoqué différents personnages historiques, mais il n'a pas cité Fidel Castro. Or l'ancien président du Pérou, Alan Garcia, raconte qu'ayant interrogé le leader cubain sur ses longs discours, il s'est entendu répondre : je fais de longs discours pour que le peuple ne se rende pas compte que je n'ai rien à lui dire... (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Sans doute est-ce une boutade, mais c'est un peu l'impression qu'on retire du discours de notre collègue. La question préalable tend à montrer qu'il n'y a pas lieu de délibérer sur un texte. Nous avons évidemment assisté à un détournement de procédure. Il y a de solides raisons d'examiner ce texte. Tout d'abord il est attendu de la profession, et il a été largement préparé en amont avec tous les acteurs. Dès avril 2002 le Président de la République avait souhaité, à Ussel, que nous ayons une véritable ambition pour le monde rural et pour l'agriculture, et appelé de ses vœux une agriculture « écologiquement responsable et économiquement forte ». Il l'a redit à Murat, en Auvergne, en 2004. La préparation de ce projet de loi a donné lieu à une très large concertation : débat national organisé par une commission nationale d'orientation, débats publics dans toutes les régions de France fin 2004, avec plusieurs milliers de participants... Ce texte s'inscrit du reste dans la continuité de l'action du Gouvernement pour le monde rural, après la loi sur les territoires ruraux en février 2005.

D'autre part, ne pas discuter de ce projet serait nier la place de l'agriculture dans notre économie. Or elle en reste un secteur essentiel. Elle est dynamique sur le plan international. C'est la première agriculture européenne, et nous sommes le deuxième exportateur mondial de produits agroalimentaires après les Etats-Unis. Au plan national l'agriculture c'est aussi 600 000 exploitations...

M. Alain Néri - Pas pour longtemps !

M. Alain Marleix - ...1,2 million de personnes à temps plein ou partiel, et en aval 650 000 personnes employées dans l'industrie agroalimentaire. L'agriculture et l'agroalimentaire représentent pour notre balance commerciale un apport de devises plus important que l'industrie automobile ou l'industrie aéronautique. C'est aussi l'autosuffisance alimentaire, la garantie de produits de qualité, la traçabilité et la sécurité sanitaire, auxquelles les Français sont attachés. Outre ces fonctions économiques, l'agriculture remplit une fonction essentielle d'aménagement du territoire.

Pourquoi une loi d'orientation est-elle nécessaire ? Tout d'abord pour accompagner les mutations à venir, que nous impose l'évolution du contexte international et communautaire, avec la réforme de la PAC et les négociations de l'OMC. Nous devons répondre au recul des mécanismes traditionnels de soutien des marchés. Il faut aussi moderniser notre modèle agricole, et lui donner les moyens d'une compétitivité renforcée. Ceci implique de dépasser l'approche purement patrimoniale de l'exploitation agricole, en la faisant évoluer vers un modèle d'entreprise agricole, toujours familiale mais valorisant mieux le travail de l'exploitant. Il faut également mieux prendre en compte les attentes de nos concitoyens en matière de sécurité sanitaire, de préservation de l'environnement ou de promotion des énergies vertes. A travers ce texte, il s'agit de rien moins que de restaurer le pacte de confiance entre notre agriculture et notre société.

Il répond à cette triple ambition, dotant notre agriculture, aujourd'hui à la croisée des chemins, des nouveaux outils juridiques, économiques, fiscaux et sociaux dont elle a besoin pour répondre aux défis de l'heure, qu'il s'agisse de la création du fonds agricole, de la possibilité nouvelle de cession du bail, de l'instauration d'un crédit-transmission, de la mise en place d'une assurance récolte, de l'amélioration des conditions de vie et de travail, de l'ouverture de nouveaux débouchés avec les biocarburants ou la biomasse, ou bien encore de la suppression progressive de la taxe sur le foncier non bâti.

Cette loi d'orientation permet à nos agriculteurs de s'adapter dans un contexte difficile et incertain, ouvre de véritables perspectives à notre agriculture comme aux hommes et aux femmes qui la font vivre, prend en compte toute la dimension économique du secteur, donne enfin des repères et de solides raisons d'espérer à nos agriculteurs et, au-delà, à l'ensemble du monde rural (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Vu le nombre d'orateurs inscrits dans la discussion générale, je ne puis qu'inviter chacun à respecter le temps de parole qui lui est imparti.

M. Jean Lassalle - Malgré tout le talent de Dédé le Rouge (Sourires), le groupe UDF ne votera pas la question préalable.

Je tenais à dire au ministre que comme nous tous ici, j'ai rencontré ces dernières semaines beaucoup d'acteurs du monde agricole et que je n'en ai pas trouvé qui soient opposés à ce texte...

M. Christian Paul - Ni, je pense, qui y soient favorables !

M. Jean Lassalle - Cela tient sans doute à la qualité du travail réalisé en amont, notamment par le président Ollier et le rapporteur Antoine Herth.

Comme je viens d'exposer la position de notre groupe en une minute, il m'en reste quatre pour exprimer mon sentiment personnel (Sourires). Quand avons-nous donc perdu le fil de cette formidable aventure qu'était celle de la paysannerie française ? Trois millions de paysans en 1969, 700 000 seulement aujourd'hui, 100 000 et moins dans dix ans selon les prévisions...

M. Christian Paul - 50 000 !

M. Jean Lassalle - Cela fera en moyenne 500 exploitations par département. Comment le pays qui possédait le plus d'atouts naturels et humains pour l'agriculture a-t-il pu en arriver là ? Sans que nul ne l'ait voulu ni que ce soit la faute à personne, nous allons revenir au temps des seigneurs puisque ces agriculteurs, qui exploiteront des terres éparpillées sur plusieurs communes, ne pourront faire autrement que d'embaucher, comme autrefois, des journaliers.

Je suis triste quand je vois des hommes, au soir de leur vie, pleurer parce que leurs enfants sont partis à la ville et que personne ne reprendra leur exploitation. Jamais aucune guerre ni aucune révolution n'avait abouti à une telle déprise et un tel abandon. Les terres qui ne sont pas laissées en jachère sont vendues à des Anglais ou à des Flamands, et celles qui ne le sont pas vont tomber sous le coup de Natura 2000. Ce qu'aucune guerre ni révolution n'avait provoqué, voilà que l'Europe l'aura fait, et en un temps record. Je suis d'ailleurs surpris que la profession agricole, pour laquelle j'ai le plus grand respect, se soit laissé imposer aussi facilement toutes ces contraintes... Où sont donc les ingénieurs du génie rural que j'ai connus dans mon enfance, qui, arrivant dans un village, y croyaient vraiment et redonnaient ainsi le moral à tous ?

M. André Chassaigne - Ils ont été remplacés par les financiers !

M. Jean Lassalle - Aujourd'hui, arrivent de jeunes ingénieurs tout juste sortis des grandes écoles, enchantés à l'idée d'aller compter les ours et les loups de nos montagnes, en compagnie du DIREN et autres fonctionnaires, mais qui s'effarouchent dès qu'ils aperçoivent une souris...

L'agriculture devrait redevenir une priorité nationale. Au moment où autant d'hommes et de femmes meurent encore de faim sur la planète, il nous faut retrouver, ensemble, le beau chemin tracé durant des siècles par nos paysans. Cela ne se fera sans doute pas avec les Anglais, qui ont abandonné leur agriculture depuis 150 ans, ni avec les Belges ou les Allemands. Redevenons nous-mêmes ! Redonnons de la fierté à nos agriculteurs et du souffle à nos campagnes ! Des initiatives comme celles aujourd'hui prises pour favoriser le développement des biocarburants vont dans le bon sens. Poursuivons dans cette voie et allons encore plus loin. Vous comprendrez qu'en cinq minutes, je n'ai pas le temps de développer davantage mon propos (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Jean Gaubert - Nul ici ne conteste le besoin qu'il y avait d'une nouvelle loi d'orientation agricole après la réforme de la PAC. Mais c'est bien là notre seul point d'accord ! En effet, sous couvert d'adaptation et de modernisation, vous ouvrez la voie à une agriculture fort différente de celle que nous connaissons et avons connue, avec d'immenses exploitations qui, comme en Grande-Bretagne, couvriront tout ou partie d'une commune, quand ce ne sera pas de plusieurs. En effet, la politique des structures, que vous vous apprêtez à démanteler, était le seul moyen de permettre à des jeunes peu fortunés de s'installer et à des petits agriculteurs d'agrandir leur exploitation car bien que le revenu des agriculteurs ait diminué de 20% depuis 1995, le prix du foncier n'a cessé d'augmenter sur la même période du fait de la spéculation. C'est cette logique qu'il aurait fallu casser. Au contraire, en assouplissant par trop la réglementation, vous allez permettre que, comme cela serait possible dans ma commune, deux familles puissent reprendre l'ensemble des terres sans que jamais la CDEA ne soit saisie.

Vous proposez de rendre cessibles les baux. C'est une fausse bonne idée. D'une part, la majorité des agriculteurs sont aujourd'hui fermiers de multiples propriétaires. Ils risquent donc de passer leur temps à négocier avec ceux-ci et d'être soumis à une surenchère permanente. D'autre part, ceux qui auront accepté des loyers plus chers durant un temps seront incités à revendre plus cher leur fonds.

Quant au fonds agricole, voilà encore une fausse bonne idée ! J'aurai l'occasion d'y revenir demain.

Votre loi aura bien d'autres fâcheuses conséquences. Les 40% de smicards et érémistes que l'on trouve aujourd'hui dans le monde agricole ne vont pas disparaître du jour au lendemain. Simplement ils ne seront plus agriculteurs car en agriculture, il n'y aura plus que des chefs d'entreprise.

Pour terminer, je souhaite dire à l'un de nos collègues intervenu cet après-midi que ce n'est pas le vote du 29 mai dernier qui a changé la donne, mais bel et bien l'application des accords de Berlin et le compromis de Luxembourg.

M. François Sauvadet - Assumez les conséquences du non !

M. Christian Paul - Assumez les conséquences de la PAC dans nos campagnes !

M. Jean Gaubert - Quoi que nous fassions, l'Europe doit désormais mener à 25 une politique agricole avec le même argent qu'à 15 ! Ayons le courage de le dire.

Notre collègue Chassaigne a eu raison d'appeler notre attention sur les risques que comporte ce projet de loi d'orientation. Je vous invite donc à voter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Pierre Goldberg - Notre collègue Chassaigne a dressé ce soir un acte d'accusation implacable et difficilement contestable. S'inspirant sans doute de Romain Rolland, il a « parlé franc, droit, sans jamais se laisser retirer de la réalité, quelle qu'elle soit. » Ancien agriculteur moi-même, j'avais l'impression, l'écoutant, de les entendre tous, les fermiers, les quelques métayers qui existent peut-être encore, les viticulteurs, les éleveurs de montagne... Par sa voix, tous ici avaient la leur.

André Chassaigne a labouré profond en démontant implacablement votre projet de loi.

Plusieurs députés UMP - On se croirait dans les Mémoires d'outre-tombe !

M. Pierre Goldberg - Il a semé utilement pour l'avenir. Quoiqu'il arrive, la récolte aura lieu demain. Vantardise ?

M. François Sauvadet - Non, lucidité !

M. Pierre Goldberg - Vous avez tort d'oublier le 29 mai. Votre argumentation se limite à nous traiter de « passéistes » parce que nous évoquons les conquêtes de la Résistance et de la Libération, dont le fermage. Dans ce cas, quelle valeur accordez-vous à la Déclaration des droits de l'homme de 1789 ? (Murmures sur les bancs du groupe UMP) Sans le dire, vous la démolissez en cassant les services publics, le système de santé, la Sécurité sociale, l'université et le logement social. En vérité, vous êtes les passéistes au sens originel du terme, autrement dit des réactionnaires ! (Mêmes mouvements)

« La ferme France » décrite par André Chassaigne m'a beaucoup touchée. Selon M. Raison, agriculteur comme moi, les communistes enferment l'agriculture dans des barbelés. Quant à vous, votre seul objectif est de construire la ferme capitaliste sans frontières. Si vous aviez le courage de soutenir l'agriculture familiale, l'agriculture à dimension humaine, vous voteriez la question préalable de M. Chassaigne. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. François Sauvadet - Dans cette période de grande incertitude, les agriculteurs ne savent plus où ils vont, comment ils vont s'en sortir. Ils attendent que le Gouvernement trace des pistes.

Chacun doit assumer ses positions politiques. Monsieur Paul, vous avez engagé le pays à voter contre un projet de constitution européenne qui dotait l'Europe d'un pouvoir politique et offrait de nouvelles perspectives pour l'agriculture française !

M. Jean Dionis du Séjour - Très bien !

M. François Sauvadet - Des négociations importantes vont avoir lieu dans le cadre de l'OMC. Monsieur le ministre, vous avez souligné que la France aurait à cœur de rappeler aux commissaires européens la nature de leur mandat. Mais, la vacance du pouvoir politique en Europe et l'absence de gouvernement en Allemagne ne facilitera pas la tâche.

Nous voulons que cette loi ne soit pas une simple loi d'adaptation mais une loi d'orientation qui tienne compte de l'environnement politique mondial. Ce projet de loi répond-il à cette ambition ? Ce texte comporte certains aspects novateurs mais n'affiche pas d'ambitions fortes pour l'avenir de notre agriculture. Nous aurions souhaité que ce texte soit précédé d'un article précisant les objectifs à atteindre, comme la loi d'orientation sur l'énergie, pour ensuite déterminer les outils à mettre en place.

Les lois de 1960 et 1962 ont marqué leur temps car elles fixaient pour but l'autosuffisance alimentaire de l'Europe et déterminaient comme outil la préférence communautaire. François Guillaume et d'autres ont gagné ce pari tant et si bien qu'ensuite nous avons dû réguler la production. Aujourd'hui, quel est le but que nous voulons assigner à l'agriculture ? Notre position diffère de celle du parti socialiste qui s'est contenté d'accompagner l'agriculture au lieu de l'inciter à être plus présente sur les marchés internationaux. Devant le défi alimentaire évoqué par Jean Lassalle, quelle est la place de l'Europe, deuxième puissance agricole et agroalimentaire, face aux Etats-Unis ? Qu'on se souvienne des accords de Blair House et de l'abandon du plan protéines et que chacun assume ses responsabilités !

Après quinze années de réformes, les exportations diminuent dans le domaine viticole, fer de lance de notre industrie agroalimentaire française, comme en matière de production ovine et bovine. Des dirigeants chinois, il y a peu, disaient clairement qu'ils ne pourront subvenir seuls aux besoins alimentaires de leur population. Voulons-nous être présents sur ces marchés avec une agriculture de qualité et de production ? Voulons-nous préserver la diversité de notre agriculture ? Comment allons-nous faire face à la concurrence nouvelle des pays émergents et à celle des grands pays producteurs qui se sont regroupés autour du Brésil ? Si nous voulons également rompre avec la spirale de la baisse des prix décrite par Jean Lassalle, nous devons élaborer de nouveaux outils pour notre agriculture.

Les Etats-Unis, en dépit de leur dénonciation de la PAC, soutiennent leur agriculture bien davantage que nous ne le faisons ...

M. André Chassaigne - Ce n'est pas comparable !

M. François Sauvadet - Bien que les structures diffèrent, les outils de soutien à la production et aux prix agricoles mis en place par les Etats-Unis méritent d'être examinés pour éventuellement être transposés en Europe puisqu'ils semblent acceptables au regard des règles de l'OMC.

Une deuxième source d'inquiétude concerne l'absence, dans ce projet de loi, des défis technologiques et scientifiques auxquels l'agriculture est confrontée. Vous avez dit en commission qu'une autre loi aborderait ce sujet. Or, la question de l'enseignement agricole, qui a beaucoup mieux réussi que l'éducation nationale, trouve naturellement sa place dans cette loi d'orientation.

Un député - Ne tapez pas sur l'éducation nationale !

M. François Sauvadet - Je compare simplement : les maisons familiales d'éducation rurale offrent, grâce à un accompagnement renforcé, une place sans équivalent à des personnes auxquelles l'éducation nationale n'offrait pas de perspective. Cette question de l'enseignement agricole n'a nullement été réglée par la loi Fillon. (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

S'il s'agit de transposer le système de l'éducation nationale à l'enseignement agricole, je ne pourrai que m'y opposer vigoureusement. Au moment même où il est question de pôles de compétitivité et de pôles d'excellence rurale, dites-nous plutôt quelles orientations vous souhaitez imprimer en vue de renforcer la réactivité et l'adaptation territoriale de l'enseignement agricole. Ne vous enfermez pas dans une logique qui consisterait à conditionner l'ouverture d'une formation nouvelle à la fermeture d'une structure existante, sans même se demander si elle était efficace.

Quant aux OGM, nous examinons une loi d'orientation agricole sans savoir dans quelle voie vous souhaitez nous engager. Une mission a été créée sur ce sujet, et des recommandations ont été formulées. Nous ne pourrons nous dispenser de prendre les précautions nécessaires ; pour autant, ne nous plaçons pas en dehors de la voie qu'ouvrent les biotechnologies. Il existe en la matière un véritable savoir-faire à développer. Nous avons besoin d'une authentique veille scientifique et technologique.

Sur le plan de la méthode, vous alléguez l'urgence alors qu'un vrai débat est nécessaire, même s'il convenait d'envoyer un signe.

Pour aborder quelques points de détail, sur lesquels nous aurons l'occasion de revenir, un équilibre doit effectivement être trouvé entre la problématique de la propriété et l'existence d'un fonds. La création de ce dernier est effectivement un élément de modernisation, et lier les droits de production au contexte de l'exploitation est louable. Toutefois, il importe de mieux préciser les contours de ce fonds compte tenu des conséquences fiscales qu'il comportera.

Quant au fermage, vous avez pris acte de l'opposition de l'UDF à la voie des ordonnances, et je tiens à le saluer. Il faudrait cependant ne pas remettre en cause certains équilibres, tout en se souvenant que la finalité doit rester l'installation de nouveaux agriculteurs.

Au sujet des biocarburants, il faut, Monsieur le ministre, que vous vous rapprochiez du ministre du budget. Comment l'objectif de 10% d'ici à 2010 sera-t-il tenu ? Il faudrait tripler notre capacité de production actuelle !

M. le Ministre - Le sextupler avec l'éthanol.

M. François Sauvadet - Je reprenais les propos tenus hier par le président de la fédération des oléo-protéagineux, mais si vous dites qu'il faudra sextupler notre production, vous abondez dans mon sens !

Ne remettons donc pas en cause la TGAP. Sinon, quel instrument restera-t-il pour inciter les pétroliers à introduire davantage d'éthanol? Consentez un avantage fiscal significatif sur l'éthanol et le diester ! J'espère, Monsieur le ministre, que vous nous apporterez au cours du débat des éclaircissements, qui prouveront une réelle volonté du Gouvernement en la matière.

Quelques mots encore : nous avons besoin d'ambition pour notre agriculture. Nous en sommes capables. Il faut faire preuve de volontarisme pour développer les outils scientifiques et technologiques ; pour trouver un équilibre entre l'amont et l'aval, notamment en matière de fruits et légumes - à ce sujet, je note que les outils que nous avons proposés n'ont pas été mis en place. Volontarisme aussi pour favoriser la gestion des risques - alors que nous ne savons pas aujourd'hui si nous nous dirigeons vers une couverture du risque concernant la production, ou du risque concernant le revenu. Volontarisme encore afin d'harmoniser les charges au plan européen et pour parvenir à une véritable simplification.

La France ne peut pas renoncer à une politique volontariste de présence sur les marchés mondiaux. Montrons clairement aux agriculteurs que l'Etat sera demain encore à leurs côtés afin que la France demeure une grande puissance agroalimentaire. Le regard que nous portons sur les quinze dernières années doit éclairer celui que nous portons sur les quinze prochaines. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Pierre Goldberg - Mon collègue Chassagne a été qualifié de réactionnaire, voire de stalinien ; ici Cuba, là les fils barbelés ont été évoqués. Je m'attends à faire l'objet d'un traitement bien pire encore !

Mon intervention s'inspirera de mon expérience personnelle. Henri Guillaumin était un fermier de l'Ile Grande, qui a passé sa vie à défendre la paysannerie familiale. Il a fait en matière politique des choix progressistes qui ont marqué toute son existence, avant de prendre la plume vers la cinquantaine. Mon propos empruntera beaucoup au titre magnifique de l'un de ses ouvrages : La vie d'un simple. De 10 à 14 ans, j'allais travailler pendant les vacances comme ouvrier agricole, avant d'embrasser cette profession pour de bon jusqu'à mon départ pour la guerre d'Algérie. J'ai eu ensuite la chance de devenir l'élu d'une circonscription agricole auprès des miens.

Pour étudier ce projet de loi, j'ai réuni la section des métayers et des fermiers de l'Allier ainsi que tous les syndicats agricoles de mon département. Fort de cela, j'affirme, en mon âme et conscience, que ce projet de loi n'est pas davantage qu'une loi d'adaptation aux exigences libérales du commerce international et aux réformes de la PAC.

Il s'agit, ni plus ni moins, d'une transposition à l'exploitation agricole de la notion d'entreprise. Je ne partage pas l'avis du Conseil d'Etat sur la prétendue indigence de ce projet de loi. Plusieurs articles ont en effet un contenu suffisamment explosif pour dynamiter le caractère familial et humain de nos exploitations agricoles et leur substituer un modèle capitaliste, reposant sur le développement de très grandes exploitations, employant un salariat surexploité, pour le plus grand profit des intermédiaires et des grandes surfaces.

Les articles 1, 2 et 3 organisent en effet une transformation radicale des structures, et notamment du fermage. Les conséquences en seront très lourdes pour l'ensemble de notre pays. Il en sera ainsi de mon département, l'Allier, où deux tiers des exploitations prennent la forme du fermage, revêtant une structure fortement familiale et assurant une liaison précieuse avec la population locale et l'économie des communes rurales. Les dispositions du texte s'attaquent à ce statut, qui n'était certes pas mirobolant, mais qui offrait du moins une certaine protection.

Acquis des luttes paysannes et démocratiques de la Résistance et de la Libération, le statut du fermage avait deux objectifs majeurs : la lutte contre les abus des propriétaires - qui existent - et la conquête de la sécurité et de l'autonomie pour les exploitants, qui se trouvaient auparavant dans la situation de l'oiseau sur la branche, soumis au bon vouloir des propriétaires.

Le statut du fermage permettait de prendre des initiatives dans la durée ; il stimulait le développement de la production et le développement humain, tout en permettant l'établissement collectif des règles et des barèmes.

Ce texte vise donc non seulement à « s'adapter au nouvel environnement règlementaire de la PAC », mais aussi à faire exploser un statut qui protégeait notre agriculture d'une dérive trop capitalistique. Demain, ce statut pourra être revu par ordonnances, c'est-à-dire dans la plus grande discrétion, loin du débat démocratique. De même, le contrôle des structures sera aménagé : c'est tout l'équilibre, souvent fragile, de l'agriculture française qui risque d'être compromis par ce projet.

Entériner l'ensemble de ces dispositions affecterait lourdement l'organisation de l'agriculture, la production et, au-delà, l'aménagement rural. L'article premier fait voler en éclats des acquis adaptés à notre agriculture familiale. Le fonds agricole accompagnera notre agriculture dans l'âge du libéralisme débridé. Identique au fonds de commerce ou aux fonds artisanaux, il permettra la mise en place d'un cadre juridique tenant compte de l'ensemble des biens valorisables d'une exploitation : biens matériels - cheptel, outillage, biens immobiliers - mais aussi biens immatériels et virtuels - droits à produire, marques et brevets, contrats avec des distributeurs... En fait, ce fonds légalise la pratique des « pas de porte », et constitue un pas supplémentaire vers une agriculture d'entreprise. Ses conséquences seront dommageables : en donnant un capital plus fourni aux agriculteurs partant à la retraite, on excuse l'absence de revalorisation des retraites agricoles. Mais surtout, le renouvellement des générations en souffrira : quel jeune agriculteur disposera de fonds suffisants pour racheter une exploitation survalorisée par l'intégration d'éléments immatériels dans son bilan ?

La réintroduction de la primauté du droit de propriété et de la rente sur les droits économiques rompt ainsi un équilibre acquis par la lutte entre droit de propriété et droit d'usage.

La cessibilité du bail généralise les pratiques de « pas de porte » comme cession de gré à gré au détriment des instruments de gestion collective du foncier. Signe supplémentaire de la primauté donnée à la valorisation spéculative des exploitations, le loyer de ces baux cessibles sera majoré de 50% par rapport aux baux traditionnels. Les bailleurs auront vite fait leur choix ! Une sélection financière des preneurs s'effectuera, qui ne pourra que fragiliser les plus petits fermiers.

C'est sournoisement que s'installent la mise en concurrence des agriculteurs, la sélection par l'argent, la division du monde paysan, le renoncement à maîtriser la production agricole par la qualité et l'abandon de l'encadrement des marchés. L'un des plus grands acquis du statut du fermage est remis en cause : la sécurité du fermier.

Enfin, l'article 3 présente le risque majeur d'une simplification de toutes ces procédures par ordonnances.

Vous comprendrez donc que nous voterons contre ce projet de loi d'orientation agricole - un projet d'un autre âge, pour ne pas dire du Moyen-Age. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Michel Raison - On peut estimer que le nombre de paysans en France se situe entre 800 000 et 875 000, alors qu'ils étaient plus de deux millions en 1960. Malgré les lois d'orientation successives, chaque année, la diminution de leur nombre a été importante. Tandis qu'un agriculteur nourrissait 15 personnes en 1960, il en nourrit 60 aujourd'hui ; pourtant, le prix de l'alimentation a été divisé par deux.

Ce projet de loi d'orientation agricole répond à une nécessité, dans un contexte marqué par la dernière réforme de la PAC - rappelons que la survie de notre agriculture dépend aussi des négociations mondiales et européennes - mais également par les négociations de l'OMC - je sais, Monsieur le ministre, que vous faites le maximum pour que l'Union européenne fasse preuve de détermination sur la scène internationale et qu'elle ne soit pas la seule à renoncer à son soutien à l'exportation - et enfin par l'érosion des revenus agricoles dans de nombreuses productions.

Cette loi est cohérente d'un bout à l'autre. L'agriculture passionne les Français - et par conséquent passionne les députés. Oui, la production alimentaire et la manière dont ont été façonnés nos paysages les passionnent pour des raisons aussi variées qu'il y a en France de régions, de climats, de reliefs - à ce titre, la mesure de compensation du handicap naturel a eu un effet très positif sur l'occupation des territoires - mais aussi de manière différente selon les modes de commercialisation ou l'âge des agriculteurs... C'est cette passion diversifiée qui animera notre débat.

Si tous les métiers évoluent, l'agriculture est certainement le secteur qui a, depuis la guerre, accompli le plus gros effort de productivité. Or, beaucoup voudraient encore la voir figée, comme une photo souvenir - tout le monde a, par sa carrière ou ses ancêtres, été agriculteur - pour se rassurer : le monde qui bouge fait peur, et l'on voudrait ne rien changer, par nostalgie pour un passé idéalisé.

La France n'est pas devenue la première puissance alimentaire européenne par hasard, ni la première destination touristique mondiale - les paysages y ont joué leur rôle.

Il ne suffit pas de proclamer des évidences et de regarder le passé avec nostalgie. Il faut permettre aux agriculteurs de passer de l'exploitation familiale à l'entreprise familiale. Que la loi leur donne cette possibilité ne signifie pas qu'elle annule toutes les autres ! Pourquoi est-on si fier, en France, d'une petite entreprise ou d'un artisan qui emploie une quinzaine de salariés, alors que l'on considère son voisin qui n'embauche qu'un ou deux salariés comme un « gros paysan » ? (Sourires) Il y a dans toutes les professions des plus petits et des plus gros, même chez les députés ! (Rires et applaudissements)

Pour que des jeunes bien formés choisissent le beau métier d'agriculteur, il faut une profession de bon niveau. Nous devons éviter de poser des barbelés autour des exploitations existantes - pourquoi nos collègues communistes se sont-ils tout à l'heure offusqués de cette métaphore ?

Il convient de donner aux agriculteurs de vraies perspectives de carrière, car ils appartiennent à l'un des seuls groupes professionnels au sein duquel ne prévaut pas un projet de carrière et où les possibilités de progression restent limitées.

Monsieur le ministre, nous souscrivons pleinement au dispositif tendant à assouplir les modalités de contrôle des structures que comporte le texte et nous préconisons son adoption en l'état, car tout amendement risquerait de fragiliser l'équilibre global auquel vous êtes parvenu.

S'agissant du fonds agricole, certains se sont émus que la refonte des DPU entraîne une augmentation spéculative du foncier : ils ont la mémoire courte ! Lorsque Michel Rocard a mis en place les quotas laitiers, le prix des étables a parfois triplé. Grâce au fonds agricole, il sera possible de valoriser de manière différenciée les éléments constitutifs de l'exploitation, ce qui constitue à l'évidence une avancée. L'argus du tracteur ne sera plus artificiellement gonflé, non plus que l'estimation de la valeur des bâtiments !

Sur le plan fiscal, votre projet de loi d'orientation comporte nombre de dispositions bienvenues que nous aurons l'occasion de préciser au cours du débat.

Enfin, si le groupe UMP est favorable aux mesures en faveur de l'agriculture biologique, il appelle l'attention sur le fait que la filière biologique ne constitue pas la seule chance de survie de notre agriculture. C'est bien l'agriculture raisonnée qui a permis la suffisance alimentaire : il convient donc de la conforter et de permettre à nos exploitants de continuer à user des méthodes qui ont fait la preuve de leur efficacité.

Bien entendu, notre groupe votera ce texte utile à la collectivité nationale, que plusieurs amendements importants - notamment à l'article 14 - viendront encore enrichir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - J'invite chaque orateur à respecter scrupuleusement son temps de parole.

Mme Marylise Lebranchu - Elue d'une circonscription où le fermage est traditionnellement très développé, je voudrais revenir sur les évolutions que le texte propose à ce sujet. Quant au fonds agricole, qu'il me soit permis de rappeler que la précipitation n'est jamais bonne conseillère et que l'urgence n'était pas de mise.

Dans le Finistère, 95% de la surface agricole utile confiée à de nouveaux installés est exploitée par bail rural ; le nombre d'installations dans le cadre familial diminue continûment, cependant que les installations hors des familles ont augmenté de 25% au cours des dernières années. La majorité des exploitations sont donc régies par un bail. Alors qu'il est essentiel de faciliter la transmission des exploitations en évitant leur éclatement, il convient de donner à la génération montante des outils d'accompagnement adaptés. Trop souvent, le candidat à l'installation subit la loi du bailleur - nombre de fermiers ayant de surcroît plusieurs propriétaires du fait de la généralisation des situations d'indivision multiple - et cela suscite plusieurs difficultés pratiques auxquelles votre texte n'apporte aucune solution. Quelle place sera donnée au candidat à l'installation dans la négociation du bail cessible ? Lorsque surgiront des désaccords entre bailleurs multiples, comment sera-t-il possible de dénouer la situation pour éviter qu'elle ne désavantage le fermier ? Elue du même département que moi, Mme Ramonet peut témoigner des difficultés concrètes que crée l'indivision multiple. Force est d'admettre que le projet de loi ne permettra aucun progrès en la matière.

S'agissant du fonds agricole, le texte n'est guère plus explicite et nombre de questions restent en suspens : comment sera-t-il construit, géré, défini ? Nul ne semble en mesure de le dire ! Censés s'éteindre en 2013, les DPU pourront-ils être intégrés dans la valorisation d'un fonds agricole et, dans l'affirmative, jusqu'à quand ?

S'agissant du contrôle des structures, je suis tentée de faire mienne la position de la FDSEA de mon département, selon laquelle on imagine mal qu'un préfet décide seul que telle option d'attribution est la bonne, sans même avoir à consulter la CDOA. Il s'agit là d'un point particulièrement sensible, à la veille de la réforme de la PAC et du découplage des aides.

Quid de l'évolution des offices ? Que devient le CNASEA ?

M. le Ministre - Il gèrera les aides du deuxième pilier.

Mme Marylise Lebranchu - La gestion des crises va-t-elle être transférée aux interprofessions ? Si telle est votre volonté, autant le dire !

Le temps me manque pour aborder les autres points essentiels que votre projet de loi passe sous silence, tels que la restauration de l'indépendance de nos productions - notamment dans le secteur des viandes. Trop de questions restent sans réponse pour que nous puissions considérer que ce texte répond aux nécessités du moment. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Dionis du Séjour - Impatiemment attendu, ce texte était censé apporter des réponses très claires. A sa lecture, les agriculteurs de mon département ne l'ont pas rejeté en bloc mais ils le jugent, sur nombre de points, en deçà des enjeux. Pour avoir très activement participé à l'élaboration de la loi d'orientation sur l'énergie, je m'attendais à trouver dans le présent texte un article premier fixant les grandes orientations agricoles de la nation pour les prochaines années. Rien de tel dans le projet, non plus que dans l'exposé des motifs auquel m'avait renvoyé le ministre en commission. Rien sur l'évolution de la démographie agricole, rien sur l'indépendance alimentaire ou sur nos objectifs en matière de qualité gustative et de sécurité sanitaire. Il est dommage que le Premier ministre, après avoir prononcé un discours très fort le 13 septembre dernier au salon des productions animales de Rennes, n'ait pas veillé à ce que ce texte donne l'occasion à la représentation nationale d'arrêter les axes directeurs de notre politique agricole.

L'impression de ne pas débattre des enjeux essentiels était encore aggravée par la part que le projet initial laissait aux ordonnances. Nous saluons à cet égard l'action énergique du président Ollier et de notre rapporteur pour regagner un peu du terrain perdu par le Parlement.

Vu du Lot-et-Garonne, il semble cependant pour le moins maladroit d'habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour réformer le statut du fermage, lequel procède d'une évolution longue et conflictuelle, au cours de laquelle les droits et devoirs respectifs des propriétaires et de leurs fermiers ont été précisés. Si les évolutions proposées ne constituent qu'un simple toilettage, il n'y avait aucune urgence à légiférer et il aurait été plus sage d'attendre que se présente un vecteur législatif adapté. S'il s'agit d'une profonde réforme du fermage, seul le Parlement doit en débattre.

Je salue les nouvelles ambitions du Gouvernement en matière de biocarburants et notre groupe présentera à ce sujet un premier amendement tendant à garantir un avantage fiscal réellement incitatif à la filière. Il s'agit, conformément aux déclarations de M. de Villepin à Rennes le 13 septembre, de pérenniser les contrats d'approvisionnement conclus entre les agriculteurs et les usines. Notre deuxième amendement concerne les huiles végétales pures. A l'issue de plus de trois ans de combats législatifs, PLF après PLF, nous obtenons enfin la reconnaissance légale de cette troisième filière, au travers de l'article 12 du présent texte. Mais limiter l'utilisation des huiles végétales pures à l'autoconsommation des agriculteurs est un combat d'arrière-garde. Elles figurent dans la liste des biocarburants à l'article 2 de la directive 2003/30 qu'il nous faudra bien transposer un jour. Vous ouvrez ainsi des possibilités de contentieux dont nous ne sortirons qu'en nous alignant sur l'Europe. Je vous le demande instamment, acceptez nos amendements et ne nous engagez pas dans cette impasse en cédant aux amicales pressions du ministre des finances. Les journalistes ne vous lâcheront pas sur ce point. Vous avez une bonne image, Monsieur le ministre. Je ne voudrais pas qu'elle en souffre.

Enfin, je salue l'organisation de l'offre dont il est question à l'article 14 et dans la nouvelle version de l'article 15. Le seul avenir pour nos agriculteurs, c'est de s'investir massivement dans la commercialisation et la transformation de leurs produits. La réussite de la filière du pruneau d'Agen ne peut qu'y encourager. Mais le secteur des fruits et légumes, avec 364 « offreurs » pour cinq centrales d'achat, a forcément été sacrifié par la grande distribution. Le projet incite les producteurs à continuer à s'investir dans les organisations de production et les comité économiques. Nous vous soutenons pleinement, et ne souhaitons pas - je le dis au rapporteur - qu'au cours des débats ces dispositions soient affaiblies pour prendre en compte la spécificité d'autres filières.

Les agriculteurs du Lot-et-Garonne n'appellent plus votre loi « Désirée ». Il sont déçus par ce texte trop prudent. Pour autant, c'est un texte important et, pour l'essentiel, il va dans la bonne direction. Si les débats parlementaires lui apportent une bonne dose d'audace, ce peut même être une bonne loi, et c'est tout le mal que je lui souhaite. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

M. Michel Piron - Marqué par la réforme de la PAC de juin 2003, le débat sur l'agriculture française revêt une dimension à la fois nationale et internationale. Notre pays assure 20% de la production de l'Europe à 25 ; seconde exportatrice mondiale après celle des Etats-Unis, notre filière agroalimentaire qui emploie 2 500 000 personnes est directement concernée par l'accélération des échanges et les choix européens à l'OMC, d'ailleurs encadrés par un mandat que vous avez clairement réaffirmé, et nous vous en remercions. Désormais, entre le marché et les aides, le rôle de la préférence communautaire, hier déterminant, doit être complété en prenant en compte la diversité des situations.

Dans ce contexte, la loi d'orientation, loin de cautionner une renationalisation des aides, vise plutôt à placer notre agriculture en position concurrentielle. Trois questions ordonnent cette loi. Comment permettre aux exploitations familiales d'évoluer ? Comment consolider le revenu des agriculteurs ? Comment répondre aux nouvelles attentes des consommateurs ?

Avec le fonds agricole et la cessibilité du bail, vous renouvelez le cadre juridique de l'exploitation et facilitez les transmissions, tout en reconnaissant une démarche d'entreprise qui peut parfaitement être familiale.

En encourageant les organisations de producteurs, vous contribuez au rééquilibrage des forces qui pèsent sur la formation des prix. Le sujet est délicat, car on ne sait pas toujours où finit l'accord interprofessionnel et où commence l'entente. Ce n'est pas le moindre mérite du Gouvernement que de conforter les interprofessions et les outils de gestion des aléas divers, tout en encourageant la recherche de nouveaux débouchés, notamment dans les énergies renouvelables.

En renforçant la sécurité sanitaire, vous répondrez à une attente générale, et en reconnaissant les différences, vous valorisez la qualité des produits.

Tout cela se fait sans alourdir les contraintes administratives si décourageantes. La simplification des règles et des procédures est en route, comme en témoigne la création d'une agence unique de paiement par l'article 29. Je vous en remercie. Il y faudra une vigilance constante, car il est difficile de réguler avec simplicité des activités et de échanges complexes. Mais c'est le prix d'une politique équilibrée. Elle vise à améliorer le rapport des hommes à l'espace, mais aussi des hommes entre eux : c'est rappeler combien l'agriculture demeure un enjeu de société. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Germinal Peiro - A l'évidence, cette loi s'inscrit dans le cadre de la mondialisation libérale et de la politique européenne que votre gouvernement a ratifiée en 2003 et qui vise au démantèlement de tous les outils de régulation pour amener les produits agricoles européens aux cours mondiaux, avec notamment la prime de découplage, qui sera pour beaucoup une prime de licenciement. A aucun moment vous ne remettez en cause le libre échange mondial ni n'essayez d'en corriger les effets qui seront dévastateurs. En agriculture comme ailleurs, ce gouvernement a choisi l'ultralibéralisme.

Nous ne vous reprochons pas de vouloir rendre les exploitations françaises plus compétitives - nous sommes conscients des réalités économiques - mais nous vous reprochons de laisser à l'abandon des centaines de milliers d'exploitations qui ne peuvent atteindre ce niveau de compétitivité, mais dont il faut reconnaître le rôle dans l'aménagement du territoire, le maintien des hommes et l'entretien de l'espace.

En abandonnant les contrats territoriaux d'exploitation qui prenaient en compte la multifonctionnalité de l'agriculture, en signant la réforme de la PAC et en présentant cette loi, vous choisissez clairement une agriculture productiviste et condamnez les petites et moyennes exploitations agricoles du sud de la France et des zones difficiles. Il faudrait lutter contre la désertification ; vous sonnez le glas du monde paysan.

Sur le plan social, aucune disposition n'est prévue en particulier en faveur des deux millions de retraités agricoles. Depuis vingt ans, dans le cadre syndical et celui de l'association nationale des retraités agricoles de France, présidée, après le regretté Maurice Bouyou, par Henri Drapeyroux, les vieux travailleurs de la terre se battent pour leur dignité. De 1997 à 2002, le gouvernement de Lionel Jospin a consacré 22 milliards aux retraites les plus basses, qui ont augmenté de 29% pour les chefs d'exploitation, de 49% pour les veuves et de 79% pour les conjoints et aides familiaux. De plus, le projet sur la retraite complémentaire obligatoire, que j'ai eu l'honneur de rapporter, a été adopté à l'unanimité à l'Assemblée et au Sénat.

M. Daniel Garrigue - Mais pas financé.

M. Germinal Peiro - Si votre gouvernement a mis en place la retraite complémentaire obligatoire et la mensualisation, en les faisant financer par les caisses de la MSA, le plan de revalorisation des retraites a été arrêté net : 0% pour 2003, 0% en 2004, 0% en 2005, et à ce jour, à ma connaissance, 0% en 2006. Les retraités agricoles, dont le pouvoir d'achat diminue, attendent que la majorité mette en place ce qu'elle réclamait quand elle était dans l'opposition, à savoir le relèvement de la retraite de base des conjoints au niveau de celle des chefs d'exploitation ; l'extension de la retraite complémentaire aux conjoints...

M. Daniel Garrigue - Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?

M. Germinal Peiro - Quand vous en aurez fait autant que nous, vous pourrez nous donner des leçons !

M. Daniel Garrigue - C'est nous qui avons commencé en 1994, et de 1994 à 1997, nous avons fait bien plus !

M. Germinal Peiro - Ils attendent aussi l'abrogation des décrets Vasseur sur les minorations.

Je conclurai par une question. On attendait un Monsieur retraites : nous ne l'avons jamais vu. On attendait un plan quinquennal : nous ne l'avons jamais vu. Il ne vous reste que quelques mois à gouverner ce pays : allez-vous reprendre le dossier de la revalorisation des retraites agricoles, allez-vous rendre justice aux vieux travailleurs de la terre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. François Guillaume - Je limiterai mon propos aux prémices de notre débat, qui porteront sur les réelles attentes de nos agriculteurs. Quant à votre projet, Monsieur le ministre, j'en relèverai surtout les plus grosses lacunes, dans l'espoir que vous accepterez les amendements appelés à les combler.

Vous en êtes conscient, Monsieur le ministre, plus que d'une loi supplémentaire, les paysans ont besoin de plus de certitude sur leur avenir. Aussi attendent-ils que vous répondiez clairement aux questions simples qu'ils se posent sur la réforme de la PAC - dont ils dénoncent d'ailleurs la complexité d'application et les contrôles excessifs, assortis de la menace de quatre-vingts pénalités dont l'assouplissement d'emploi n'est que provisoire. Dans le menu à la carte offert par le très contestable accord de Luxembourg de 2003, la France n'a pas fait le bon choix. Plutôt que de combiner deux systèmes opposés, le couplage et le découplage des aides, elle aurait dû s'en tenir au découplage total à l'exception de la prime aux vaches allaitantes. Il lui fallait aussi maintenir le lien entre foncier et droit à produire, à l'exemple des quotas laitiers attachés au sol et non commercialisables. C'est si vrai que votre projet cherche à rapprocher ce que Bruxelles a dissocié, terres et primes, par la création d'un fonds agricole et la cessibilité des baux, non sans graves inconvénients.

Peut-on revenir sur cette réforme de la PAC ? Certainement, et cela vous donnerait l'occasion de répondre à la critique de l'opinion sur le volume des aides compensatoires en les affectant d'une certaine dégressivité, jusqu'à les supprimer au-delà d'un plafond de chiffre d'affaires à définir. Ce serait une contribution libérale à la politique des structures...

Les négociations à l'OMC sont un autre sujet de préoccupation. Elles ont été précédées de la même erreur stratégique qu'en 1992 : celle du gage de bonne volonté offert à nos concurrents sous la forme d'un démantèlement supplémentaire de nos soutiens et de nos restitutions, et d'une ouverture plus large de nos marchés, à l'inverse des pratiques américaines de relèvement de leurs prix garantis et de distribution accrue de primes diverses. Et alors que s'approche le dernier round de négociations, des pressions s'exercent de l'extérieur pour nous obliger à baisser encore la garde, et de l'intérieur pour que l'Union échange des concessions agricoles contre une ouverture du marché international des services : un marché de dupes au regard des progrès technologiques fantastiques de l'Inde et de la Chine, ainsi que de l'explosion d'une production agricole à bon marché dans des pays émergents comme le Brésil.

Monsieur le ministre, si vous ne cassez pas ces deux scénarios de catastrophe qu'engendrent le cycle de Doha et la réforme de la PAC, il est inutile de nous proposer une loi que, vu son contenu, j'appellerais plus modestement « d'adaptation ».

En outre elle manque d'envergure et fait notamment l'impasse sur deux sujets essentiels : le foncier et la coopération. Quelle est votre politique foncière ? Comment ne pas s'alarmer de la réduction inexorable de la SAU au rythme de 100 000 hectares par an et du mitage de l'espace agricole ? Sur les six millions d'hectares de terres agricoles à fort potentiel agronomique, 60 000 sont urbanisés chaque année. En dix ans nous avons perdu le tiers des terres maraîchères françaises, car la terre agricole est hélas considérée comme une réserve en attente d'artificialisation et, au passage, de spéculation. Quel intérêt portez-vous aux SAFER, outil privilégié de défense des terres agricoles, dont votre prédécesseur a rogné les ailes en offrant aux collectivités territoriales un droit de préemption en concurrence avec le leur, sur des terres qu'elles auront d'elles-mêmes préalablement classées en zone sensible ? Vous avez annoncé un projet sur la protection du foncier agricole. Je m'en réjouis, et j'espère qu'il sera assez audacieux.

S'il est un thème qui aurait dû constituer l'essentiel, voire l'unique objet de votre loi, c'est bien l'organisation économique, dont la pièce maîtresse reste la coopération. Et pourtant, en dépit d'un rapport parlementaire assez exhaustif sur la question, votre article 16 était d'une grande indigence avant que, sur l'insistance de quelques professionnels et élus, vous ne déposiez un amendement gouvernemental qui l'améliore.

La coopération agricole, Monsieur le ministre, c'est 77 milliards de chiffre d'affaires, 3 500 coopératives, 150 000 salariés transformant 40% de la production agricole nationale. Ce sont des banques, des services techniques, commerciaux, bref, tout un maillage au service des paysans, géré par des paysans qui ont compris qu'ils ne pourront désormais obtenir un revenu satisfaisant s'ils ne bénéficient pas de la valeur ajoutée de la transformation et de la commercialisation de leurs produits par les coopératives. Implantées en milieu rural, transmissibles d'une génération à l'autre sans mortalité, échappant aux OPA, ces entreprises ont besoin d'un statut adapté à la nouvelle donne européenne et internationale, sauf à tolérer des dérapages contraires à l'esprit coopératif - je pense notamment à l'introduction en bourse du Crédit Agricole - ou à les laisser désarmées face à la concurrence. Mes amendements sont d'ailleurs en concordance totale avec le statut de la société coopérative européenne défini par un règlement communautaire. D'où ma déception, Monsieur le ministre, et celle des professionnels quand nous avons pris connaissance de votre texte initial. Est-il possible de l'enrichir, de le dépouiller de ses évidences, de l'articuler en un ensemble plus cohérent de principes que viendraient préciser décrets et ordonnances ? C'est à vous de nous le dire, Monsieur le ministre, puisque vous savez que notre bonne volonté n'est pas en cause : elle n'a pas d'autres conditions que la considération qui nous est due.

M. François Sauvadet - Très bien.

M. Jean-Yves Hugon - J'évoquerai une question que n'aborde pas directement le projet de loi, mais dont l'importance suffit à légitimer la liberté que je prends : celle des retraites agricoles, que j'aborderai avec un autre éclairage que M. Peiro. L'exposé des motifs du projet rappelle fort justement les mérites du monde agricole qui a dû et su, depuis cinquante ans, s'adapter à l'évolution de notre économie, et qui a porté la modernisation réussie de notre agriculture, faisant de la France le premier exportateur de produits agricoles transformés, le deuxième de produits agricoles bruts dans le monde.

Les dispositions qui nous sont présentées permettront certes aux actifs de l'agriculture d'envisager leur avenir avec plus de sérénité. Mais ceci ne doit pas masquer le sort inacceptable de générations de retraités qui ont été les artisans du développement exceptionnel de notre agriculture. Ces retraités nourrissaient l'espoir que cette loi d'orientation leur assurerait, dans le cadre d'un volet social, la reconnaissance de la nation en leur permettant d'obtenir des retraites comparables aux autres catégories sociales.

Vous me permettrez, Monsieur le ministre de traduire ici leur déception. Je rencontre régulièrement ces retraités et leurs organisations, et j'ai été choqué par le niveau de leurs prestations vieillesse, souvent en dessous du minimum vieillesse et même du seuil de pauvreté. Certains vont, par fierté et par dignité, jusqu'à refuser de solliciter les prestations d'assistance telle que l'allocation supplémentaire du fonds national de solidarité. Un de mes interlocuteurs me disait : « Pendant toute ma vie professionnelle mes revenus étaient bien inférieurs au SMIC ; en fait mon véritable patron, c'était ma banque ». Bien d'autres exemples permettraient d'illustrer la vie difficile de nos paysans. L'agriculture française n'est pas seulement constituée de grandes exploitations : le plus souvent il s'agit de gens qui travaillent dur pour un revenu souvent dérisoire, qui méritent notre considération et la reconnaissance de la Nation. Monsieur le ministre, ils étaient plus de trois mille agriculteurs retraités, le 20 mai dernier à Châteauroux, venus de toute la France pour manifester leur déception et souvent leur colère.

Et que dire des agricultrices qui touchent en retraite agricole, à durée de travail égale, six fois moins que pour les périodes où elles étaient salariées au SMIC ! Des agricultrices qui ont des carrières complètes et qui ne touchent aujourd'hui pas plus que des personnes qui n'ont ni cotisé, ni travaillé, soit environ 490 € par mois.

La revendication de ces retraités est à la fois modeste et juste. Modeste : ils demandent simplement que la société leur reconnaisse les mêmes droits qu'aux autres catégories socioprofessionnelles, mêmes montants, mêmes conditions d'attribution. Ils écartent tout privilège ainsi que les prestations d'assistance. Juste, puisqu'il est admis que l'effort contributif des agriculteurs au financement de leur protection sociale est comparable à celui des salariés du régime général. Dans notre système par répartition, 15% des retraités français, les anciennes agricultrices et les anciens agriculteurs, ne perçoivent que 5% du montant total des retraites. La parité contributive étant reconnue, il semblerait juste d'appliquer la réciprocité sur les prestations, ne serait-ce que pour respecter le principe de répartition, fondement de notre protection sociale. Les retraités de l'agriculture ne comprennent plus l'attitude du pouvoir politique qui, quel que soit le gouvernement en place...

M. Germinal Peiro - Ce n'est pas vrai !

M. Jean-Yves Hugon - ...repousse sans cesse la réparation de cette injustice.

Certes, depuis quelques années des avancées ont eu lieu ; et l'on doit également au gouvernement de M. Raffarin la mensualisation des pensions. Mais à l'examen des comptes du ministère et de la caisse centrale de la MSA, les retraités agricoles sont encore loin d'atteindre le niveau de parité recherché.

La question évidente est de savoir comment financer cet objectif. La réduction continue du nombre des actifs agricoles et le départ des jeunes vers les autres secteurs d'activité économique réduisent les ressources du régime agricole. Le rattachement à un régime universel permettrait le financement par une compensation démographique interne.

Monsieur le ministre, la justice sociale est notre souci, et celui du Gouvernement, j'en suis sûr ; elle est aussi notre responsabilité. Nous avons voté en 2003 une loi qui dispose que le minimum retraite dans notre pays ne pouvait pas être inférieur à 75% du SMIC. Je vous demande donc solennellement du haut de cette tribune - car ce problème ne pourra être réglé dans le cadre de cette loi - de créer les conditions pour mettre fin au scandale des retraites agricoles, en étudiant la possibilité de les rattacher au régime général ; je vous demande tout simplement de mettre les agriculteurs dans le droit commun.

Je citerai pour conclure le Président de la République, Jacques Chirac, qui déclarait le 2 octobre 1998 à Aurillac : « Les agriculteurs aujourd'hui retraités, qui ont consacré tant d'efforts et d'énergie au travail de la terre, ont droit à des pensions décentes de même niveau que celle des autres professions ». Monsieur le ministre les agriculteurs retraités ne demandent qu'une chose : être traités comme les autres, rien de plus. Les députés UMP sont à leur écoute et les soutiennent. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Michel Vergnier - J'ai écouté avec attention vos explications, Monsieur le ministre, et celles des rapporteurs. Et pourtant les orientations que vous défendez me posent question. J'essaie d'en prévoir les conséquences pour les agriculteurs de ce pays et notamment de mon département. Mais le décryptage demande beaucoup de bonne volonté tant les informations qui nous sont fournies le sont dans des conditions peu acceptables. M. Gaubert a dit quelles difficultés nous rencontrions dans notre travail, ce qui ne relève pas l'honneur du Parlement. Trente-cinq articles, avec initialement douze ordonnances - vous avez fait sur ce point machine arrière, et c'est une bonne décision, mais il en reste quelques-unes - peut-être ferez-vous un effort de plus pour que le Parlement puisse exercer tous ses droits.

Malgré ces conditions de travail, nous entendons apporter notre pierre à l'édifice. Vous avez dit, Monsieur le ministre, que vous souhaitiez une opposition constructive. Puissiez-vous dire vrai ! Les débats précédents ne nous ont certes pas habitués à voir adoptés beaucoup de nos amendements, mais peut-être cela peut-il changer - bien que nos illusions ne soient pas excessives...

Oui, Monsieur le ministre, il y a des différences entre nous, et ce qui comptera pour finir, ce seront les résultats. J'assistais récemment au congrès départemental des jeunes agriculteurs. Leur slogan était : « plus de voisins, moins d'hectares ! » C'est un bon slogan, mais votre texte nous conduira selon moi à l'opposé : ce seront moins de voisins et plus d'hectares... Je vous le demande à nouveau : combien d'agriculteurs dans cinq ans ? Dans dix ans ? A nos yeux, votre logique conduit au dépeuplement des campagnes, et ne résout en rien le problème de l'installation des jeunes.

Cela aura de lourdes conséquences sur l'aménagement du territoire. Nous menons aujourd'hui une réflexion sur le développement et le maintien des services publics à la campagne. Notre objectif est bien d'assurer le développement des territoires afin d'y créer les conditions de l'augmentation de leur population. Or, ce texte n'y contribuera pas. Dans un département comme le mien où l'agriculture représente 20% de l'activité économique, comment ne pas s'inquiéter de la diminution du nombre d'actifs agricoles ? Comment y espérer des installations hors cadre familial ?

Oui, il faut redonner du souffle à notre agriculture mais il est aussi des équilibres à préserver. Le marché ne réglera pas tout et chacun sait que dans les coups de vent, certains résistent et d'autres sombrent. La viabilité d'une entreprise ne dépend pas uniquement de sa taille. Permettez-nous donc d'avoir des craintes et des doutes devant vos choix. Là où vous n'avez que des certitudes, nous avons beaucoup d'interrogations. En réalité, votre projet est politique. S'adressant à une catégorie particulière d'agriculteurs, il en sacrifie une autre. Avec un volet social par ailleurs très limité, la revalorisation des retraites étant par exemple abandonnée - à moins que la cession du fonds agricole, qui devient un véritable fonds de commerce, ne soit conçue comme un substitut... -, ce texte fait prendre un virage dangereux à notre agriculture. A l'heure des résultats, il vous faudra assumer vos choix.

Je parie, hélas, que votre texte confortera les plus grosses exploitations au détriment des plus petites, lesquelles contribuent pourtant au maillage de notre territoire et au maintien du lien social. Votre objectif, Monsieur le ministre, n'est visiblement pas de préserver certains équilibres. Si d'aventure il l'était, les outils que vous proposez ne vous permettrait pas de l'atteindre. Je ne doute pas que vous souhaitiez défendre l'agriculture. Simplement nos visions du monde rural de demain divergent. L'avenir dira qui de vous ou de nous avait raison. C'était décidément un très beau slogan que « Plus de voisins, moins d'hectares »... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean-Pierre Decool - Je souhaiterais rendre ici hommage à Maurice Cornette, qui fut l'un des artisans de la loi d'orientation agricole de 1980.

L'agriculture française est aujourd'hui la première agriculture européenne, assurant 20% de la production agricole de l'Union. Il n'en faut pas moins lui redonner un souffle, ainsi qu'à l'ensemble du monde rural. Il faut permettre aux agriculteurs de continuer à exercer leur métier et de le faire dans de meilleures conditions. Leurs contraintes sanitaires, environnementales,... se sont accrues sans qu'aucune contrepartie ne leur ait été apportée. Au contraire, le revenu agricole moyen demeure faible et d'importantes inégalités subsistent par rapport au régime général, notamment en matière de retraites. Et les lourdeurs administratives ne peuvent que décourager les candidats à l'installation.

Ce projet de loi d'orientation crée de nouveaux outils. Avec la création du fonds agricole et la cessibilité du bail, l'agriculture entre dans une logique entrepreneuriale où la transmission des exploitations et l'installation des jeunes devraient être facilitées.

Toutes les solutions de nature à garantir l'avenir de notre agriculture doivent être encouragées. Je pense ainsi au développement de la filière des biocarburants. Il faut en ce domaine renforcer les incitations fiscales et mieux informer le grand public.

En matière de préservation de l'environnement et de sécurité sanitaire, je souhaite que l'on soutienne davantage l'agriculture raisonnée. Je proposerai un amendement encourageant toutes les initiatives industrielles, commerciales et agricoles visant à la réduction des risques. Cela peut aller de la participation à un organisme interprofessionnel de collecte des déchets de produits phytopharmaceutiques à des formations aux bonnes pratiques d'utilisation de ces produits.

Sur le plan administratif, il importe de simplifier les procédures. Je me félicite que certaines mesures du texte aillent dans ce sens. Il conviendrait maintenant d'engager une réforme en profondeur des directions départementales de l'agriculture. Les établissements agricoles devraient devenir des têtes de réseau d'un nouveau maillage, prenant mieux en compte les spécificités locales. Les alertes météo pourraient ainsi être lancées depuis ces établissements, lesquels auraient vocation à devenir autant de laboratoires de proximité. Je suis prêt, Monsieur le ministre, à conduire une réflexion sur le sujet.

Je vous remercie par avance de l'attention que vous voudrez bien porter à nos interventions nourries de notre expérience de terrain. Le ministère de l'agriculture doit entendre les parlementaires : il y va de l'avenir de notre agriculture. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Georges Colombier - Depuis les grands lois fondatrices des années 60, le monde agricole a su relever de nombreux défis : modernisation, ouverture des frontières, qualité des productions face aux exigences accrues des consommateurs. Les agriculteurs français ont fait au fil des ans la preuve de leurs capacités d'adaptation dans un contexte de plus en plus difficile. A nous de leur offrir aujourd'hui le cadre adéquat pour poursuivre leur effort, maintenir une agriculture et une industrie alimentaire performantes et de qualité. Cette loi d'orientation, je le pense, permettra à la France de conserver son rang de grand pays agricole et donne des perspectives à ses agriculteurs.

Elle comporte trois avancées majeures. Tout d'abord, en matière de transmission des exploitations, et donc de renouvellement des générations. La création d'un crédit-transmission permettra de lisser dans le temps les charges de l'installation, frein majeur aujourd'hui.

Deuxième avancée : l'instauration d'un crédit d'impôt représentant la moitié du coût lié à l'emploi d'un remplaçant. Ce dispositif permettra aux agriculteurs de prendre quelques jours de repos, mais aussi de pallier une absence due à une maladie ou un accident, ce qui est la plupart du temps vital pour ne pas mettre en péril l'exploitation. Je regrette sur ce point que la commission n'ait pas adopté l'amendement visant à octroyer le crédit d'impôt quelle que soit la forme du remplacement, qu'il résulte d'une embauche ou d'une prestation de services assurée par exemple par un groupement d'employeurs.

Troisième avancée : la limitation prochaine de la durée du statut d'aide familial à cinq ans ainsi que la possibilité d'accéder au statut de conjoint collaborateur pour les personnes pacsées ou vivant en concubinage.

L'objectif de cette loi d'orientation est d'adapter l'agriculture aux évolutions de notre société et de préparer l'avenir. Préparer l'avenir, c'est à la fois promouvoir une agriculture respectueuse de l'environnement et lui offrir de nouveaux débouchés. Je salue les efforts déjà consentis par les agriculteurs en matière de préservation de l'environnement et de qualité des productions. Je me félicite donc que le texte encourage le développement de l'agriculture biologique. Il a encore été enrichi par des amendements de nos collègues Herth et Saddier visant à instituer un crédit d'impôt pour les agriculteurs bénéficiaires d'un contrat territorial d'exploitation ou d'un contrat d'agriculture durable lorsque au moins 50% de la surface de leur exploitation sont consacrés à des productions biologiques et que ces 50% ne font pas l'objet d'une aide à la conversion. Il faudrait, me semble-t-il, aller encore plus loin en ouvrant plus largement le bénéfice de ce crédit d'impôt, que les surfaces soient ou non en conversion.

Je soutiens de même tous les efforts engagés pour favoriser le développement de la filière des biocarburants, porteuse d'avenir. Notre agriculture est appelée à jouer un rôle majeur dans la modernisation de notre approvisionnement en énergie et en matières premières. Il convient aujourd'hui d'examiner toutes les pistes possibles. L'Allemagne a détaxé les huiles végétales pures et autorisé leur usage comme carburant, avec l'accord de la Commission européenne.

M. Jean Dionis du Séjour - Très bien !

M. Georges Colombier - Ne faudrait-il pas nous aussi adresser un tel signal fort tant aux agriculteurs qu'aux automobilistes ? Quel est votre point de vue sur le sujet, Monsieur le ministre ?

Dans une période de grande incertitude, l'agriculture a besoin qu'on lui fixe un cap pour qu'être agriculteur ait encore un sens au 21e siècle. Ce texte, enrichi de nombreux amendements, témoigne de notre volonté de permettre aux agriculteurs d'exercer leur beau métier avec confiance et foi en l'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Henri Nayrou - Si l'agriculture française se portait bien, cela se saurait. Tel n'est pas le cas. Les prix de vente diminuent, les charges augmentent, le moral des agriculteurs est au plus bas. Dans ce contexte de morosité, acteurs et élus du monde agricole et du monde rural étaient en droit d'espérer de ce texte souffle et ambition. Ils auraient aimé qu'y soit esquissée l'agriculture de demain, ouvertes des perspectives économiques claires et solides pour les agriculteurs, donnés des gages de qualité aux consommateurs, prises en compte la diversité des territoires, des productions, des exploitations, mais aussi l'écoconditionnalité afin d'encourager les pratiques agricoles respectueuses de l'environnement. Bref, ils auraient aimé qu'elle donne envie d'entreprendre aux agriculteurs en leur proposant un modèle adapté aux exigences du 21e siècle.

Loi d'orientation, nous dit-on. Mais orientée vers quoi ? Une agriculture libérale et une économie contractuelle qui rompt avec les ambitions sociétales de la loi de 1999 ; des lendemains bien incertains avec la réforme du statut du fermage, la création du fonds agricole et des défiscalisations temporaires ; enfin, la transformation des exploitations en entreprises...comme s'il suffisait de changer la dénomination pour régler les problèmes. Allons donc dans nos circonscriptions expliquer que tout ira mieux dès lors que les petits agriculteurs seront devenus de petits entrepreneurs et regardons si cette perspective leur donne du cœur à l'ouvrage !

Votre façon d'accompagner la crise du monde agricole revient à poser une compresse sur une jambe de bois.

Pourtant, les agriculteurs, dont ceux de l'Ariège, traversent aujourd'hui une crise existentielle : ils gagnent un peu plus que le SMIC pour 70 heures de travail hebdomadaire et leurs produits achetés à bas prix sont revendus fort chers. Par ailleurs, ce projet de loi, en dépit de l'audience accordée le 16 février dernier à l'ANEM, ne contient aucune référence à la montagne. Enfin, la volonté politique de soutenir les biocarburants fait encore défaut. Autrefois relégués au rang d'utopies, les biocarburants sont devenus un enjeu prioritaire à mesure que le prix du pétrole augmentait. Ces derniers permettraient de limiter l'effet de serre, de créer 6 000 emplois par an comme annoncé dans le plan biocarburants du printemps dernier, d'offrir de nouveaux débouchés aux agriculteurs et enfin de limiter la dépendance énergétique de la France à l'égard du pétrole.

Monsieur le ministre, vous avez manqué ce rendez-vous avec les agriculteurs comme votre prédécesseur avait raté celui du développement des territoires ruraux. Cela fait beaucoup pour la ruralité à la française, cela fait trop et cela fait mal ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Philippe Feneuil - Nous sommes des députés de la nation mais nous provenons d'horizons différents. A l'heure où nous gravons une loi dans le marbre, gardons à l'esprit les réalités du terrain.

Sauf dans quelques régions encore épargnées, les jeunes doivent avoir la foi pour embrasser la carrière d'exploitant agricole, je devrais dire de « chef d'entreprise agricole ». Soyons vigilants pour que cette loi soit destinée en priorité à ceux qui arrivent plutôt qu'à ceux qui partent, notamment pour entrer dans la fonction publique (Sourires).

La création du fonds agricole à l'article 1er permet de reconnaître les agriculteurs, qui se sentent aujourd'hui délaissés, en conférant le caractère d'entreprise à leurs exploitations. Ensuite, il s'adresse aux filières et aux régions en difficultés pour lesquelles se pose le problème de la transmission et de la reprise des exploitations. Toutefois, ce fonds doit rester à géométrie variable, particulièrement pour les transmissions des exploitations familiales ayant une activité commerciale. En Champagne, une exploitation moyenne fait trois hectares et une famille compte trois enfants qui héritent donc chacun d'un hectare, l'un d'entre eux exploitant l'ensemble des parcelles. Avec ce nouveau système, le fonds d'exploitation pourrait être égal ou supérieur à la valeur du foncier et une compensation devrait être accordée aux autres héritiers. Nous aurions donc un enfant doté d'un bel outil agricole mais dans l'impossibilité de travailler. Si ce fonds présente un intérêt dans la majorité des cas, il faut veiller à ne pas entraver les transmissions directes familiales.

Quant aux interprofessions, à l'article 14, je me félicite que nous encouragions les organisations de producteurs mais souhaite que nous restions attentifs à l'équilibre de la représentation des diverses familles dans les interprofessions. Par ailleurs, pour équilibrer production et marché, il est indispensable de renforcer le pouvoir des interprofessions et d'obliger l'amont et l'aval à contractualiser les marchés. Ce système a fait ses preuves dans la filière « champagne ».

S'agissant du contrôle des structures, on parle beaucoup d'assouplissement. Nous devons effectivement y réfléchir, notamment pour les successions familiales.

Enfin, le statut du fermage doit être préservé. En viticulture, il existe de nombreux métayages, qui font la richesse de l'économie locale. De même, le délai de congé bail doit être maintenu à 18 mois, notamment en matière de cultures pérennes, et le délai de reconduction doit rester de 9 ans pour que les agriculteurs aient le temps d'amortir leurs investissements.

Mon métier de paysan me porte à respecter les cinq minutes de temps de parole qui m'ont été imparties, de toute façon une demi-heure ne m'aurait pas suffi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Yves Censi - Préparer l'avenir et accompagner les changements dans le monde agricole et rural sont les enjeux fondamentaux de ce projet de loi. Pour ce faire, il faut aider les agriculteurs à développer leurs performances économiques, à moderniser les structures et à rendre attractifs les investissements en capitaux. Ainsi, ce texte vise à passer du modèle de l'exploitation agricole familiale à celui de l'entreprise agricole.

Si cette évolution est essentielle, elle ne constitue pas une réponse complète au développement du secteur agricole qui doit reposer sur deux piliers également solides l'économique et le social. Dans un contexte de changement, une forte sécurisation de la protection sociale agricole, et donc du régime agricole, est plus que jamais nécessaire. Du reste, le Premier ministre le 13 septembre dernier au SPACE de Rennes a rappelé avec force le devoir de solidarité nationale vis-à-vis des agriculteurs et des paysans.

En tant que représentant du comité de surveillance du fonds de financement des prestations sociales agricoles - FFIPSA -, je voudrais vous rendre compte des finances sociales agricoles car les agriculteurs pourront maîtriser leur destin à travers un régime agricole sécurisé sur le plan financier. Le FFIPSA, qui s'inscrit dans la continuité du budget annexe des prestations sociales agricoles, a hérité d'une créance publique de 3,2 milliards d'euros qui résulte d'un désengagement de l'Etat et de l'affectation d'une part de la taxe tabac, au rendement incertain, en remplacement d'une part de TVA. En 2005, les ressources du FFIPSA étaient insuffisantes et le financement pérenne du régime social des exploitants agricoles n'est pas encore assuré. Le comité de surveillance a rappelé que le statu quo - le régime agricole fonctionne aujourd'hui sur la base d'une autorisation de découvert dont le coût en intérêts se chiffre à plus de 100 millions d'euros par an, en pure perte - ne peut être une solution de long terme. Il préconise que le FFIPSA contracte un emprunt à hauteur de ce montant, l'Etat s'engageant à en assurer le remboursement sur dix ans par des annuités constantes comprenant une partie du capital et les intérêts de l'emprunt. Par ailleurs, en 2006, les ressources du FFIPSA devraient être diversifiées. Le comité de surveillance a ainsi proposé de revoir les règles de compensation démographique en maladie et en vieillesse. En effet, le vieillissement de la population et la fuite des actifs du secteur agricole ont un impact sur la compensation démographique entre les régimes et doivent être pris en compte au nom de l'équité et de la solidarité interprofessionnelle. Une partie des taxes et contributions affectées exclusivement au budget de l'Etat ou au RSI, telles que la TVA ou la C3S, pourraient également revenir au financement du régime agricole. Toutefois, avant une telle réforme, il nous faut prendre le temps de la concertation et de la négociation, et inscrire cette réflexion dans un calendrier. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Danielle Bousquet - Une loi d'orientation agricole, mais pour quel type d'agriculture ? L'agriculture familiale que nous revendiquons ou l'agriculture industrielle privilégiée par M. le ministre ?

Les agriculteurs vivent aujourd'hui dans la plus grande morosité alors que s'accumulent les incertitudes. Comment ne pas entendre leurs véritables interrogations ? Ils sont passés, en moins de dix ans, du statut de paysans à celui d'agriculteurs, avant de devenir aujourd'hui des chefs d'entreprise.

Quels moyens mettrez-vous en place afin d'accompagner de telles évolutions sociales ? Pour préserver les équilibres des exploitations familiales, il faut reconnaître la valeur du travail.

Aujourd'hui encore, sa reconnaissance demeure difficile pour les conjointes d'agriculteurs, alors même que l'agriculture n'a pu résister que grâce au travail féminin, pilier de nombreuses activités en milieu rural. Depuis la modernisation engagée dans les années 1960, la place des femmes tend certes à diminuer. Celles-ci cherchent en effet de plus en plus fréquemment des emplois en dehors du secteur agricole. Mais de nombreux signaux montrent qu'elles peuvent occuper aujourd'hui une place nouvelle, avec le développement de la multifonctionnalité agricole et les mutations du salariat rural.

Or votre projet de loi ne répond pas à leurs attentes, qu'il s'agisse des conditions de travail, de l'accès aux formations ou des perspectives professionnelles. Il est vrai que de nombreuses femmes peuvent, dans le milieu agricole, se consacrer davantage à leurs enfants parce qu'elles habitent sur le lieu même de leur travail. Toutefois, cette situation très normative sur le plan des rôles sociaux, peut également emporter des conséquences négatives : le travail à temps partiel freine les carrières et limite les droits à la retraite. A cela s'ajoutent les aléas de la vie personnelle, comme les divorces et les veuvages. Quid des droits des femmes dans de telles hypothèses ?

Il importe donc d'améliorer leur protection sociale et leurs conditions de travail en les rapprochant des autres catégories professionnelles. Mais nous devons aussi permettre à celles qui ont acquis une expérience dans d'autres domaines d'activité de valoriser leurs acquis.

Alors que le renouvellement des générations passe notamment par l'installation des femmes, le projet de loi en discussion n'en porte aucunement la trace.

Se pose en outre la question des producteurs intégrés. Dans de nombreux cas, certains producteurs se trouvent dans la nécessité économique d'accepter des contrats qu'il faut bien qualifier de léonins. Cette situation risque de mettre en difficulté l'ensemble de la filière agricole car il s'agit d'un maillon essentiel.

Une des premières revendications des syndicats agricoles est ainsi d'assurer une représentation collective aux producteurs intégrés, et de permettre aux instances qui existent aujourd'hui de jouer un véritable rôle de régulation et de conciliation, notamment pour ce qui concerne l'application de tels contrats.

Voilà des orientations que les agriculteurs auraient souhaitées, mais qui ne figurent tout simplement pas dans ce projet de loi.

La suite du débat est renvoyée à une prochaine séance.

Prochaine séance ce matin, jeudi 6 octobre, à 9 heures 30.

La séance est levée à 1 heure 20.

            La Directrice du service
            du compte rendu analytique,

            Catherine MANCY

ORDRE DU JOUR
DU JEUDI 6 OCTOBRE 2005

NEUF HEURES TRENTE : 1RE SÉANCE PUBLIQUE

Discussion de la proposition de résolution (n° 2450) de M. Jean-Louis DEBRÉ tendant à modifier les dispositions du Règlement de l'Assemblée nationale relatives à la discussion des lois de finances.

Rapport (n° 2545) de M. Philippe HOUILLON, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

QUINZE HEURES : 2E SÉANCE PUBLIQUE

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 2341) d'orientation agricole.

Rapport (n° 2547) de M. Antoine HERTH, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

Avis (n° 2544) de Mme Brigitte BARÈGES, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Avis (n° 2548) de M. Marc LE FUR, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 3E SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.


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