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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2005-2006 - 3ème jour de séance, 8ème séance

3ème SÉANCE DU JEUDI 6 OCTOBRE 2005

PRÉSIDENCE de M. Éric RAOULT

vice-président

Sommaire

      LOI D'ORIENTATION AGRICOLE (suite) 2

      AVANT LE TITRE PREMIER 2

      AVANT L'ARTICLE PREMIER 5

      ARTICLE PREMIER 7

      APRÈS L'ARTICLE PREMIER 17

      ORDRE DU JOUR DU VENDREDI 7 OCTOBRE 2005 20

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

LOI D'ORIENTATION AGRICOLE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi d'orientation agricole.

M. Antoine Herth, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - En application de l'article 95, alinéa 4 et 5, du Règlement, la commission des affaires économiques demande la réserve des articles 3 à 6 jusqu'à la fin de la discussion des amendements portant articles additionnels après l'article 6. Cet ordre des travaux nous permettra d'examiner ensemble la création du fonds agricole à l'article premier, le bail cessible à l'article 2 et les amendements fiscaux portant articles additionnels après l'article 6 liés au fonds agricole. Nous profiterons ainsi des travaux menés conjointement par la commission des lois et celle des finances, bien que cette dernière n'ait été saisie qu'à partir de l'article 6.

AVANT LE TITRE PREMIER

M. François Brottes - Il est indispensable de rappeler que la politique agricole doit préserver la multifonctionnalité de l'agriculture, c'est-à-dire sa dimension économique mais également sociale et environnementale. Il n'est pas suffisant de l'évoquer dans l'exposé des motifs. Par l'amendement 488, nous voulons l'inscrire dans le corps de la loi afin de ne pas oublier les exploitations de moins de 300 hectares. Dans notre pays, l'agriculture assume depuis des siècles une mission d'intérêt général de développement, qu'il convient de ne pas abandonner au détour d'un texte faisant la part belle à une approche strictement capitalistique.

M. le Rapporteur - La commission a rejeté cet amendement car il ne fait que reprendre le texte de la loi d'orientation agricole de 1999.

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche - Même avis.

M. Jean Gaubert - Je regrette que vous rejetiez cet amendement mais je me félicite que vous reconnaissiez le bien-fondé de la loi de 1999. Nous allons travailler de manière constructive !

M. François Brottes - Mais fallait-il une nouvelle loi d'orientation agricole ?

L'amendement 448, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Chassaigne - Comme de nombreux orateurs l'ont souligné, ce texte est une loi d'adaptation à l'évolution d'une agriculture de plus en plus mondialisée. La conférence ministérielle de l'OMC qui aura lieu à Hong-Kong en décembre 2005 suscite de nombreuses interrogations. Vous-même, Monsieur le ministre, vous avez déclaré, le 23 septembre dernier, être en divergence avec Mme Fisher-Boel, commissaire européenne à l'agriculture, qui annonçait la suppression progressive des subventions à l'exportation. En matière d'agriculture, l'unanimité étant nécessaire au sein de l'Union, nous proposons, par l'amendement 717 rectifié, que la France gèle les négociations.

Par ailleurs, Monsieur le ministre, pourriez-vous m'indiquer quel est le mandat précis de la Commission européenne pour cette conférence de l'OMC ? L'agriculture ne sera-t-elle pas une monnaie d'échange dans ces négociations ?

M. le Rapporteur - La commission a repoussé cet amendement quelque peu paradoxal. Comme M. Chassaigne l'a lui-même rappelé, le pouvoir de négociation revient à la Commission européenne et la France ne peut donc prendre d'initiatives unilatérales comme il le préconise. En revanche, nous sommes très attentifs à ces négociations.

M. le Ministre - Monsieur Chassaigne, je vous rappelle que la France est à l'origine de la signature d'un mémorandum fixant des lignes rouges. La Commission a reçu il y a deux ans un mandat. Cet amendement n'a donc pas sa place dans ce texte.

L'amendement 717 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Chassaigne - L'amendement 718 rectifié, porté par plusieurs syndicats agricoles et organisations, propose non pas simplement de geler les négociations mais de retirer à l'OMC sa compétence en matière d'agriculture. Pourquoi ? Parce que l'agriculture, dans ces négociations, est uniquement appréhendée comme une activité marchande et que le seul objectif poursuivi est l'unification des prix qui s'accompagne de la standardisation du goût. La mondialisation de l'agriculture a des effets pervers sur la paysannerie de France mais aussi sur celle des pays africains enfermées dans un système productif où prime la monoculture - le cacao en Côte d'Ivoire, le porc en Bretagne ou encore la perche du Nil comme nous l'avons vu dans le documentaire Le cauchemar de Darwin. Considérer que l'alimentation est seulement un produit marchand, c'est faire courir le monde à sa perte. Il nous faut donc sortir l'agriculture du mandat de l'OMC pour qu'elle ne serve pas de monnaie d'échange.

Mme Geneviève Gaillard - Très bien !

L'amendement 718 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Yves Cochet - Avec l'amendement 884, je voudrais vous montrer que l'agriculture productiviste promue en France et en Europe est particulièrement inefficace. Du point de vue énergétique, il s'agit sans doute de l'agriculture la moins performante qu'ait connue le monde puisque pour produire une calorie dans notre assiette, il faut treize calories en amont, dont sept de pétrole. Notre agriculture souffre d'une dépendance aux hydrocarbures. Dans une ferme classique ayant pour productions principales le lait et la viande, la consommation énergétique se répartit ainsi : 36 % d'énergie directe - 15 % pour le fioul et 20 % pour l'électricité nécessaires pour les trayeuses et les machines agricoles ; et 64% d'énergie indirecte, pour les aliments et fertilisants. En termes de coûts, cela représente 1 500 à 2 000 euros pour l'énergie et 7 000 à 8 000 pour les aliments et fertilisants. Encore ces calculs datent-ils d'il y a deux ans, quand le baril de pétrole était à 35 ou 40 dollars. Depuis, le cours a augmenté, et M. Sarkozy a eu tort de ne pas me croire quand je l'avertissais. Le budget 2005 a été construit sur l'hypothèse d'un baril à 36,5 dollars en moyenne, alors que le cours moyen sur l'année a dépassé 58 dollars.

C'est pourquoi il faut aller vers une plus grande autosuffisance alimentaire, grâce à l'agriculture biologique qui consomme cinq fois moins d'aliments et huit fois moins d'engrais externes.

M. le Rapporteur - On ne retrouve pas vraiment le contenu de son amendement dans le propos de M. Cochet. Mais de toute façon, la commission l'a repoussé.

M. le Ministre - Même avis.

M. André Chassaigne - L'autosuffisance alimentaire s' inscrit dans la logique que nous proposons. Une agriculture mondialisée, c'est une commercialisation dominée par l'agrobusiness de produits répondant moins aux besoins qu'à la recherche du profit. Pour éviter cela, la solution est de conserver la souveraineté alimentaire, sinon au niveau national, du moins à celui de continents, dont l'Europe qui, sans élever un mur autour d'elle, retrouverait cette souveraineté.

M. Jean-Claude Lemoine - Je ne comprends pas. Dans l'amendement il est question d'autosuffisance nationale et « régionale ». Va-t-on produire du lait dans la montagne de Reims et planter de la vigne dans la Manche ?

M. Michel Raison - On ne « tendrait » pas vers l'autosuffisance, on y retournerait, après l'avoir atteinte difficilement il y a quelques siècles. Aujourd'hui, nous nous réjouissons d'être exportateurs. Ne soyons pas égoïstes : si chaque pays se bornait à l'autosuffisance, certains manqueraient de nourriture. En tout cas, je peux vous assurer que si on faisait du 100 % biologique, on serait loin de l'autosuffisance.

M. Yves Cochet - En 2000, l'Union européenne a importé 44 000 tonnes de viande d'Argentine, 11 000 tonnes du Botswana, 40 000 tonnes de Pologne et 70 000 tonnes du Brésil, tandis qu'elle en exportait 800 000 tonnes. C'est à cela que je m'oppose en proposant d'aller vers l'autosuffisance. Ceux qui fréquentent la cantine de l'Assemblée nationale auront lu le panneau indiquant que toutes les viandes de bœuf viennent d'Allemagne.

M. Jean Auclair - Evidemment, il n'y en a pas assez chez nous !

M. Yves Cochet - Et on y consomme aussi de la perche du Nil.

M. Daniel Garrigue - Les amendements de M. Cochet font froid dans le dos. Ce repli sur soi complet, cette négation de l'échange... La gauche a pourtant une tradition de générosité, en principe. C'est effarant. Ceux qui ont connu de telles expériences sont heureux d'en être sortis. Ce que vous proposez, c'est la pénurie à l'intérieur et la misère chez les autres.

L'amendement 884, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Yves Cochet - Je défends maintenant l'amendement 885. Allez dans n'importe quel magasin, vous constaterez que 80 % de notre alimentation quotidienne dépendent des grandes chaînes agro-alimentaires. Ainsi Carrefour prétend nourrir un milliard de personnes dans le monde. Cette alimentation provient de tous les continents, ne respecte pas les saisons, et est très carnée. Or, nous sommes au début de la hausse des combustibles, et chacun est touché - on voit le Gouvernement prendre des mesures dans la panique.

M. François Guillaume - Alors que fait-on ? Du vélo ?

M. Yves Cochet - Il faut orienter notre alimentation, et donc notre agriculture, vers une plus grande part au végétal. Pour prévenir toute caricature, je n'ai rien du végétarien intégriste. Mais faire de l'élevage coûte plus cher que faire des céréales. Choisissons donc le végétal, le saisonnier et le local.

M. François Guillaume - Et revenons à la marine à voile ?

M. le Rapporteur - Une fois encore, M. Cochet ne semble pas vraiment avoir commenté cet amendement qui veut supprimer les importations alimentaires. La commission l'a repoussé, ne serait-ce que pour ne pas ruiner les pays en voie de développement pour lesquels nous sommes un débouché essentiel.

M. le Ministre - Rejet.

L'amendement 885, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Yves Cochet - Je défends l'amendement 886 pour développer une conception de l'agriculture bien différente de celle que vous croyez être durable. Je prends rendez-vous dans cinq ans pour voir où en sera la PAC productiviste que vous avez consolidée (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. François Sauvadet - Et il était membre du gouvernement socialiste !

M. Yves Cochet - L'Europe prépare la directive Reach sur les produits chimiques éventuellement toxiques, dont beaucoup sont liés aux méthodes pratiquées par les agriculteurs - pas les paysans, il n'y en a plus.

M. Jean Auclair - Et heureusement !

M. Yves Cochet - Souvent ces méthodes nuisent à la santé publique. Lisez les données scientifiques sur certains cancers ou les maladies génétiques des enfants de viticulteurs. C'est extrêmement grave, mais on a l'impression que pour vous cela n'a aucune importance. Pour moi, la question est d'importance, car il s'agit non seulement de notre santé mais aussi de celle de nos enfants.

Il faut savoir que les douze plus grands distributeurs européens contrôlent 90 % des magasins alimentaires d'Europe. Cette situation n'est pas saine. On a vu M. Sarkozy tenter de réduire les marges arrière de la grande distribution, mais sans grand résultat, car c'est tout le système qu'il faut réformer, en allant dans le sens que j'indique dans mon amendement 886 : réduire les profits des transformateurs et de la grande distribution.

M. le Rapporteur - Je remercie M. Cochet d'avoir cette fois défendu le bon amendement, mais la commission n'a pas été convaincue pour autant et en demande le rejet.

M. Michel Raison - Nous sommes d'accord sur le constat, mais il faut prendre en considération ce que le Gouvernement et la majorité ont fait dans la loi PME. Je ne dis pas que cette loi va régler tous les problèmes, mais tous ceux qui y ont, comme moi, travaillé pendant des mois - je pense à M. Dionis du Séjour, à M. Charié, à M. Chatel - ont essayé de mettre en place des règles nouvelles qui constituent tout de même des avancées considérables.

M. André Chassaigne - Je ne partage pas forcément toutes les analyses de M. Cochet, mais ses amendements ont le mérite d'offrir une autre vision de l'agriculture, alors que cette loi d'orientation agricole se borne à tenter d'accompagner l'évolution actuelle de l'agriculture mondiale. Si l'on s'oppose à cette évolution, il faut bien proposer autre chose. Nous pensons quant à nous que les produits alimentaires ne doivent pas être des marchandises soumises aux diktats de l'OMC. L'objectif devrait être pour chaque pays la souveraineté alimentaire.

Par ailleurs, cet amendement 886 a le mérite de s'attaquer à la terrible domination de la grande distribution. Pour avoir suivi d'un bout à l'autre la discussion de la loi sur les PME, je ne peux laisser dire qu'elle procure les remèdes contre cette domination ! Voyez les profits incroyables que la grande distribution continue de réaliser ! Le consommateur, le producteur et le sous-traitant agricole n'y retrouvent pas leur compte. Je voterai donc cet amendement.

L'amendement 886, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Yves Cochet - L'amendement 888 tend à insérer l'article suivant : « La France s'efforcera d'orienter sa politique agricole et la Politique Agricole Commune vers la réduction, puis l'élimination, des surplus agricoles européens exportés à prix de dumping et utilisés contre l'autosuffisance alimentaire des pays pauvres. »

L'amendement 888, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

AVANT L'ARTICLE PREMIER

M. François Guillaume - L'intitulé du titre premier - « promouvoir une démarche d'entreprise et améliorer les conditions de vie des agriculteurs » - pourrait donner à penser que les agriculteurs ne sont pas déjà dans une démarche d'entreprise, alors qu'ils le sont depuis cinquante ans et qu'ils ont fait des efforts considérables de productivité, qui les ont conduits, dans bien des domaines, au premier rang mondial. Je pense donc qu'il vaudrait mieux écrire : « Accompagner les agriculteurs dans leur démarche d'entreprise ». Et c'est ce que je propose dans mon amendement 74.

M. le Rapporteur - La commission n'a pas été choquée par le verbe « promouvoir », au contraire. Mais elle a adopté un amendement 278 rectifié tendant à ce que l'intitulé devienne : « Promouvoir une démarche d'entreprise au service de l'emploi et des conditions de vie des travailleurs ».

M. le Ministre - Je crois que l'amendement de la commission nous donne un intitulé qui correspond bien à nos objectifs. Avis favorable, donc, sur le 278 rectifié.

M. François Guillaume - Le verbe « promouvoir » donne l'impression qu'il faudrait prendre les agriculteurs par la main pour qu'ils arrivent à avoir une démarche d'entreprise ! Je maintiens qu'il vaudrait mieux écrire « accompagner ».

L'amendement 74, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 278 rectifié, mis aux voix, est adopté.

M. François Guillaume - Mon amendement 75 vise lui aussi à modifier un intitulé, celui du chapitre premier, qui est presque vexatoire : « Faire évoluer l'exploitation agricole vers l'entreprise agricole. » L'exploitation agricole n'est donc pas une entreprise agricole ? Serait-elle une entreprise au rabais ? Irait-on dire à l'artisan ou au commerçant qui gère tout seul sa boutique, aidé peut-être par son épouse à la comptabilité, qu'il n'a pas une entreprise ?

Dans les années 50, certes, les exploitations vivaient encore comme avant-guerre, de manière autarcique. Mais les choses ont changé, d'abord sous l'impulsion de la loi d'orientation agricole de la Ve République naissante, dont je veux rappeler qu'elle a été faite par Michel Debré, et non par Edgard Pisani, qui a, lui, fait voter la loi complémentaire. C'est la volonté de Michel Debré, homme dont j'ai apprécié le dynamisme et le désir de réformer la France, qui a permis de créer une agriculture fondée sur des exploitations à responsabilité personnelle, donnant ainsi la chance à de petits agriculteurs, grâce à la politique des structures qui a été mise en place, de bénéficier des terres libérées pour constituer des entreprises de type familial à deux « unités travailleurs hommes ». J'ai d'ailleurs apprécié qu'hier, M. Chassaigne ait cité Michel Debatisse, qui se trouvait à la tête de la petite équipe qui avait proposé cette politique au Premier ministre.

Ensuite, il y a eu le développement lié au progrès des techniques agricoles. Puis ce fut l'assujettissement à la TVA, toujours par Michel Debré et grâce au soutien d'une partie des organisations agricoles. L'étape suivante fut l'imposition au bénéfice réel, et il y eut ensuite les conférences d'exploitations.

Cette évolution considérable nous a permis de devenir d'abord autosuffisants, ensuite excédentaires et de conquérir des marchés mondiaux. Alors, vraiment, le titre retenu a quelque chose de vexatoire pour les agriculteurs, au point que je m'interroge moi-même : pendant les quarante années où j'ai été chef d'exploitation, n'étais-je donc pas à la tête d'une entreprise agricole ? Je pense aussi aux jeunes agriculteurs nouvellement installés, qui ont, pour la plupart, une formation de technicien supérieur voire d'ingénieur, et qui ont choisi ce métier pour gérer une entreprise.

M. le Rapporteur - La commission n'a pas retenu cet amendement, notamment parce qu'il limite l'intitulé du chapitre à la question de la transmission, alors que les articles qui suivent ne concernent pas que cela, visant aussi à considérer l'entreprise comme un lieu de création de richesses et de conquête de nouveaux marchés.

Je vous remercie néanmoins de l'historique que vous venez de faire. Il montre combien ce projet se situe dans la lignée des autres grands textes sur l'agriculture française.

M. François Sauvadet - N'exagérons rien !

M. François Brottes - Le débat interne à la majorité, que le président laisse filer, prouve bien qu'il aurait été préférable de renvoyer ce projet en commission...

Une fois n'est pas coutume, nous voterons l'amendement de M. Guillaume. En effet le titre proposé par le Gouvernement - « Faire évoluer l'exploitation agricole vers l'entreprise agricole » - signifie qu'on veut faire évoluer la pratique de l'agriculture vers un seul type de structure, dans un seul type de logique. Celui que propose M. Guillaume - « Assurer la bonne transmission des entreprises agricoles » - a le mérite de souligner qu'il s'agit d'ores et déjà d'entreprises, et traduit la volonté de maintenir la totalité des exploitations. Quant au mot « transmission », Monsieur le rapporteur, il est fondamental, s'agissant d'une loi d'orientation qui se préoccupe de l'avenir, et qui doit donc viser avant tout à pérenniser l'activité agricole.

M. le Président - C'est bien la première fois que l'opposition reproche au président de laisser filer ! J'ai laissé M. Guillaume s'exprimer à loisir, car il nous transmettait les leçons d'une expérience précieuse.

L'amendement 75, mis aux voix, n'est pas adopté.

ARTICLE PREMIER

M. Michel Raison - Le fonds agricole va permettre de faire aboutir une vieille revendication de nombreuses organisations agricoles, concernant la définition de la valeur économique de l'exploitation agricole. Actuellement, à l'occasion des transmissions, trop d'éléments sont confondus ; nous allons pouvoir enfin établir la vraie valeur de chaque chose.

M. François Brottes - Il n'y a que vous pour y croire...

M. Michel Raison - Le marché s'équilibrera de lui-même. Mais il faudra bien inscrire dans le texte que le fonds est optionnel.

M. François Sauvadet - C'est ce que la commission a décidé de proposer à l'Assemblée, cher collègue.

Il ne s'agit pas, avec ce texte de « créer », le fonds agricole, mais de le révéler puisque ses éléments existaient. C'est une proposition qui a suscité beaucoup d'espérances, mais aussi beaucoup de craintes. L'objectif est de favoriser la transmission d'outils économiques. Le paradoxe, c'est que le fait de tenir compte d'un certain nombre d'éléments fait craindre un renchérissement de la transmission. Vous avez d'ailleurs indiqué clairement en commission, Monsieur le ministre, que le coût de la reprise des exploitations allait sans doute augmenter. C'est évidemment un problème sérieux pour l'installation, qui est l'un des principaux défis que nous avons à relever.

Des craintes sont également exprimées par le monde viticole : la prise en compte d'éléments nouveaux risque de poser des problèmes, y compris dans les transmissions familiales.

Il sera nécessaire, Monsieur le ministre, d'adapter les outils d'aide et d'accompagnement de l'installation. Il faudrait, à tout le moins vous engager à faire régulièrement le point devant nous sur la mise en œuvre du fonds agricole. Son caractère optionnel ne règle rien, car inévitablement se créeront des références qui ne seront neutres dans aucune transmission. Sur le plan fiscal, la commission des finances, et je l'en remercie, a pris en compte nos préoccupations et prévu des garde-fous pour qu'une trop forte augmentation ne décourage pas les installations, ce qui irait à l'encontre de l'objectif recherché. En matière de plus-values je ne partage pas du tout l'avis exprimé par des députés de gauche selon lesquels on ferait des cadeaux fiscaux à certains.

Pour conclure, Monsieur le ministre, levez nos craintes concernant le fonds agricole et acceptez les amendements de la commission des finances. Du sort qui leur sera réservé dépendra largement notre appréciation sur le dispositif.

M. Philippe-Armand Martin - Qu'on le veuille ou non, la création du fonds agricole modifiera la structure des exploitations. Si elle peut être bénéfique pour les plus grandes d'entre elles, elle risque de créer des difficultés à celles de moindre importance, pourtant les plus nombreuses. Le fonds sera perçu comme un obstacle à la transmission.

M. François Brottes - Il a raison !

M. Philippe-Armand Martin - Il la rendra plus difficile sur le plan financier en la rendant plus coûteuse, y compris dans le cas d'une transmission familiale, les autres héritiers demandant qu'il en soit tenu compte dans le calcul de leur part. Nous souhaiterions, Monsieur le ministre, des précisions de nature à nous rassurer.

M. André Chassaigne - Quel est donc l'objectif recherché ? D'après le ministre et le rapporteur, il s'agirait de mieux appréhender la valeur marchande des exploitations, aujourd'hui inférieure à son niveau réel, en tenant compte de tous les actifs, y compris immatériels. Mais leur argument selon lequel les transmissions s'en trouveraient facilitées ne tient pas. Chacun sait qu'au contraire, cela les compliquera en en augmentant le coût. Un objectif inavoué est peut-être aussi d'éviter, par ce biais, d'avoir à revaloriser les retraites agricoles, la cession de son fonds représentant pour l'agriculteur un revenu équivalent à celle de son fonds de commerce pour le commerçant ou l'artisan.

Mais là ne me semble pas être l'essentiel. En réalité, l'objectif n'est autre que d'ouvrir notre agriculture à la libéralisation. Le président de la commission a d'ailleurs dit lui-même tout à l'heure qu'il fallait « en finir avec une agriculture administrée. » Il s'agit de transformer peu à peu l'agriculture familiale, pratiquée dans des exploitations à taille humaine, en une activité capitalistique. Mais il vous faut pour cela faire sauter bien d'autres verrous. Tout d'abord, celui de la politique des structures, destinée pourtant à faciliter l'installation des jeunes. Ensuite, celui de la politique foncière, alors que les SAFER avaient jusqu'à présent permis une relative maîtrise du foncier. Enfin, celui du statut du fermage. Avec le fonds agricole, votre objectif n'est pas de servir les intérêts des agriculteurs (« Si ! » sur les bancs du groupe UMP) mais, comme dans tant d'autres domaines, de démolir pour libéraliser à tout crin, au nom d'un attachement intégriste, oserais-je dire, au libéralisme.

M. Philippe Feneuil - J'ai bien conscience que la suppression de l'article premier, à laquelle tendent plusieurs amendements - dont l'un que j'ai cosigné parce que la filière viticole, avec d'autres, s'inquiète de la mesure -, ne règlerait rien, stoppant même net le débat sur cette question importante. Vous avez fait montre, Monsieur le ministre, d'une réelle ouverture d'esprit. J'espère donc seulement que ces amendements inviteront à la réflexion. En tout cas, je n'accepterai pas que l'on traite leurs auteurs de rétrogrades, car je n'en fais pas partie.

M. Jean Gaubert - Si la mesure n'était pas aussi grave, on aurait envie de vous dire : « Allez-y, on fera le bilan dans cinq ans. » Mais ce que vous proposez est hasardeux et dangereux. Vous allez évaluer des éléments instables. Les stocks, notamment ceux de bétail, vont évoluer au fil du temps. Ces éléments ne peuvent constituer une base stable puisque les prix changent d'une année à l'autre. Les droits à paiement unique ont un caractère transitoire. Ceux qui les ont achetés se trouveront peut-être dans l'impossibilité de les vendre.

Ce fonds est une machine à faire croire aux paysans qu'ils sont devenus, à l'instar d'Ernest-Antoine Seillière ou de Michel-Edouard Leclerc, des chefs d'entreprise. C'est aussi une machine qui complique l'installation des jeunes : qu'on le veuille ou non, à partir du moment où un fonds est à vendre d'un seul tenant, il est à prendre ou à laisser et le jeune exploitant, devant la difficulté grandissante de trouver de la terre, sera contraint de tout prendre. Enfin, c'est une machine à geler car le jeune n'aura d'autre solution que de continuer à faire ce que son prédécesseur avait entrepris.

Pourtant, il suffirait de prendre les éléments objectifs de la situation de l'exploitation, comme ils figurent dans le bilan. Si certains vendent plus cher, d'autres achètent trop cher. Vous voulez donner un pécule à ceux qui partent à la retraite, mais il existe d'autres moyens d'améliorer la retraite des agriculteurs. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jacques Le Guen - Je comprends les inquiétudes de certains de nos collègues, mais cet article est essentiel, puisqu'il permet de clarifier les pratiques et de les rendre transparentes, le fonds existant déjà de manière plus ou moins licite et voilée. Il s'agit d'une valeur immatérielle qui permettra le découplage entre la valeur de l'entreprise et celle du foncier. Cette question est fondamentale dans certaines régions : un hectare de champagne n'équivaut pas à une prairie. Cette disposition permettra au marché de s'équilibrer et de se régulariser spontanément. Il y a aujourd'hui 614 000 exploitants dans notre pays. Si l'on ne fait rien, il en restera 300 000 demain. Cette mesure est excellente.

M. André Chassaigne - Vous affirmez, vous ne prouvez rien.

M. François Guillaume - La rédaction de l'article premier est étrange. Vous parlez du nantissement du fonds avant de donner la définition de celui-ci. Or, s'agissant du nantissement, nous enfonçons des portes ouvertes, car il existe depuis longtemps. Mais, les banques, y compris le Crédit agricole, ne s'en satisfont pas, elles exigent des garanties supplémentaires comme des hypothèques ou des cautions, surtout lorsqu'il s'agit de jeunes agriculteurs. En dépit de l'existence d'EARL, créées pour séparer le capital personnel du capital d'exploitation, les banques demandent des garanties sur le patrimoine de l'exploitant.

Il y a quarante ans, les agriculteurs souhaitant s'installer dans le très rentable bassin parisien devaient s'acquitter non seulement du capital d'exploitation, mais aussi, de manière occulte, d'un pas de porte, analogue à votre fonds. Une loi interdit aux bailleurs ou aux preneurs de vendre et d'acheter au-dessus de la valeur vénale, mais cette pratique a perduré sous la table, permettant d'échapper à la taxation de 17 %.

Pensez-vous changer quoi que ce soit avec la création d'un fonds agricole ? Les transferts occultes auront toujours lieu, en même temps que la vente apparente au prix comptable. Quelles sont les valeurs immatérielles incluses dans le fonds ? La durée du bail, les primes européennes - très fluctuantes. La valeur économique qui a été évoquée est une valeur virtuelle : seule la valeur vénale compte, car elle est établie par la confrontation entre l'offre et la demande. Votre loi privilégie les fermiers qui vendent et les propriétaires qui voient leur fermages augmenter de 50 %. Seul le repreneur est piégé, car il paye pour tout le monde. Une telle disposition ne facilitera pas l'installation des jeunes agriculteurs.

Monsieur le ministre, examinez les choses de manière concrète et non sur un plan théorique. Dans la pratique, les choses sont différentes car les hommes sont ce qu'ils sont. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Yves Simon - Autrefois, les agriculteurs reprenaient l'exploitation au décès de leur père et n'avaient pas de besoins. Puis on les a vus s'installer plus jeunes, avec des prêts à 0 %. Mais dans mon département, les terres valaient 14 000 francs l'hectare en 1974 - elles n'en valaient plus que 7 000 quelques années plus tard. Aujourd'hui les évolutions du monde agricole sont ce qu'elles sont mais le droit n'a jamais été aussi clair en termes de propriété. Aucun agriculteur de ma circonscription n'a déclaré son opposition à ce texte. Soyons dans le réel et non dans l'utopie. Je citerai comme seul exemple celui de l'un de mes collaborateurs, jeune agriculteur qui était membre d'un GAEC. Quel a été le montant de son indemnisation lorsqu'il en est sorti ? 200 000 francs m'a répondu André Chassaigne. Non, il a reçu deux millions de francs ! Arrêtons de rêver et considérons la vie actuelle les yeux ouverts. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Charles Taugourdeau - Je ne suis pas inquiet quant au devenir des jeunes et à leur installation. Je pense au contraire qu'avec le fonds agricole, nous inventerons un système d'exploitation relais avec la coopération des collectivités locales et des SAFER. L'avenir des jeunes passe par la modernisation des structures juridiques.

M. le Rapporteur - Je remercie tous les intervenants de ce mini-débat, car il faut que les choses soient dites, en commission comme en séance publique. Tous les députés ici présents ne font pas partie en effet de la commission des affaires économiques.

Cela dit, certains propos m'ont rappelé M. Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir. On découvre avec effroi des réalités économiques ! La question de la transmission est centrale, mais elle ne constitue pas l'unique enjeu de ce texte. Jeune agriculteur, j'ai repris l'exploitation familiale en 1985 avec une motivation essentielle : m'inscrire dans une lignée d'agriculteurs qui labourent la même terre depuis 350 ans dans le même village. Je me souviens de mon grand-père qui, quand il avait semé ses 50 ares, disait : « Nous aurons de quoi faire notre pain ». C'était une agriculture de subsistance, attachée à la glèbe, au patrimoine transmis de génération en génération. Cette agriculture-là a été projetée dans un monde nouveau et elle est devenue un rouage de l'économie nationale, une agriculture d'échange. Le fonds agricole veut tenir compte des richesses ainsi créées. Lorsque je me suis installé, je suis allé chez le notaire avec mon père, qui m'a fait une donation de 13 hectares. L'hectare était alors évalué à 30 000 francs. Vingt ans après, il en vaut 60 000. Pourquoi ? Parce qu'il y a eu des aides, des primes, et tout cela s'inscrit dans le prix du fonction à défaut de l'être ailleurs. Nous proposons aujourd'hui de faire ce que les jeunes agriculteurs ont demandé en 1996 lors du congrès de la Drôme : considérer la valeur économique de l'entreprise agricole et non plus la seule valeur foncière.

M. François Guillaume - Cela ne sert à rien.

M. le Rapporteur - Il s'agit dorénavant d'évaluer la capacité d'une exploitation agricole à dégager un résultat. Les jeunes agriculteurs d'aujourd'hui ne s'installent plus par tradition familiale : c'est fini ! Leur épouse travaille à l'extérieur, ils veulent un revenu et élever leurs enfants avec le même confort que les salariés.

M. Jean Auclair - Explique donc cela aux gens de gauche qui ne le comprennent pas !

M. le Rapporteur - On prétend qu'il n'y a aucun rapport entre la valeur de reprise et le revenu. Mais si, précisément parce que l'investissement est considérable, quelle que soit la politique agricole ! Le prix auquel on reprend une entreprise, la capacité d'évaluer son potentiel économique sont essentiels.

M. André Chassaigne - Cela n'a aucun impact sur le revenu.

M. le Rapporteur - Si ! M. Feneuil a expliqué qu'en Champagne la moyenne des exploitations est de trois hectares et que le nombre moyen d'enfants est également trois. Chaque enfant reçoit donc un hectare dans le cadre d'une agriculture patrimoniale. Mais il faut compter avec tout le reste, le savoir-faire, les stocks. Le droit français prévoit que l'on peut diviser par quatre et donner deux parts à l'enfant qui reprend l'exploitation. C'est la quotité disponible, qui permet d'avantager celui qui reprend l'entreprise. Le fonds agricole permet de clarifier les situations. Les co-héritiers veulent souvent liquider leur part d'héritage et il faut payer des soultes : soit on dispose de l'argent et on se serre la ceinture, soit on emprunte et on paie les intérêts.

M. André Chassaigne - Le problème sera le même.

M. le Rapporteur - Dans une vision moderne de la transmission, les co-héritiers pourraient rester « actionnaires » de l'entreprise, ce qui allègerait considérablement la charge de l'exploitant.

Nous aurons l'occasion de revenir dans la discussion des amendements sur les retraites agricoles ou la façon dont il faut accompagner la phase de transition dans laquelle nous sommes. Je souligne que M. Le Fur a travaillé sur les aspects fiscaux de cette question.

Je vous remercie une nouvelle fois d'avoir mis tous ces sujets sur la table. (Applaudissements de plusieurs députés du groupe UMP)

M. le Ministre - C'est un débat important et je remercie M. le rapporteur pour la manière brillante et forte avec laquelle il a expliqué la mesure que nous proposons.

Je souligne tout d'abord que si M. Martin a déposé un amendement de suppression de l'article, il a présenté plus loin un amendement de repli qui rend le fonds agricole optionnel. Le Gouvernement y est d'ailleurs favorable car il faut introduire le plus de liberté possible dans les procédures. Naturellement, et je réponds aussi à M. Sauvadet, le Gouvernement s'engage à faire un point régulier sur l'évolution du fonds agricole devant l'Assemblée nationale.

M. François Sauvadet - Très bien. Cela sera nécessaire.

M. le Ministre - Enfin, le Gouvernement fait siennes les propositions intelligentes de neutralité fiscale faites par la commission des finances. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe-Armand Martin - Mon amendement 436 vise donc à supprimer cet article.

Je comprends les arguments de M. le rapporteur mais ils ne valent pas pour toutes les filières. En Champagne, les petites exploitations familiales de maraîchers ou de viticulteurs fonctionnent bien. En cas de transformation en société, les jeunes pourront-ils toujours reprendre les exploitations ? J'ai été viticulteur, et j'ai été le seul des six enfants à reprendre l'exploitation. Je n'aurais pas pu le faire si le fonds agricole avait existé.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Mais je préfèrerais que vous retiriez l'amendement qui vous a permis d'exprimer votre point de vue.

M. le Ministre - Même avis.

M. François Brottes - La démonstration sincère et touchante du rapporteur ne m'a pas convaincu car il a omis d'aborder les questions du bail, pour ceux qui ne sont pas propriétaires, et du droit à primes. Clarifier des pratiques occultes ne facilitera en rien la transmission des exploitations : l'agriculture se structure de plus en plus par filières de production, elle est donc plus sensible aux aléas du marché et le fonds agricole n'échappera pas à la surenchère que connaissent déjà l'immobilier ou le foncier, la valeur de l'exploitation étant fixée par la loi de l'offre et de la demande...

Un député UMP - Il en est déjà ainsi !

M. François Brottes - Ce fonds sera donc inaccessible à ceux qui n'ont pas de dot. Ce sont les investisseurs, dont les fonds de pension, qui vont acheter dans la filière céréalière ou la filière élevage, pressentant des profits à venir, et ils placeront ici un salarié agricole, là un agriculteur franchisé. Notre agriculture changera alors de visage. Quand la filière s'avèrera moins rentable, ils retireront leur capitaux. Nous aurons alors un pays sans agriculteurs...

M. Jacques Le Guen - Impossible !

M. François Brottes - ...à cause de la mécanique infernale que vous êtes en train de mettre en place. Nous vous proposons donc, par l'amendement 490, de supprimer l'article premier.

M. André Chassaigne - Le fonds agricole présente-t-il un intérêt spécifique ?

M. Yves Simon - Ultralibéral !

M. André Chassaigne - Tel est le sens de nos débats aujourd'hui. Le seul argument que vous avancez pour la création de ce fonds est qu'il facilitera les successions mais, bien au contraire, il les compliquera car la valeur de l'exploitation, que l'on appellera désormais le fonds agricole, sera plus importante qu'auparavant.

M. François Brottes - Bien sûr !

M. André Chassaigne - Le rapporteur a donné l'exemple de frères et de sœurs qui pourront devenir actionnaires de la société. Le mot « actionnaire » ne me fait pas peur, Monsieur Herth, mais devenir actionnaire, c'est vouloir tirer un profit ! Le renchérissement de la valeur de l'exploitation et la présence d'actionnaires aura un effet dissuasif sur les successions.

M. Jacques Le Guen - Non !

M. André Chassaigne - Au lieu de rendre notre agriculture plus compétitive, vous la plombez ! D'où notre amendement de suppression 661.

M. le Président - Sur le vote de l'amendement 490, j'ai été saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public. Il y aura donc un scrutin public sur tous les amendements de suppression.

M. François Sauvadet - Penser que la création de ce fonds règlera les problèmes de transmission des exploitations familiales est une illusion : le fonds sera un facteur de renchérissement. On ne peut balayer d'un revers de main cet élément ! D'autre part, pour le groupe UDF, la question de l'installation est cruciale pour l'avenir de l'agriculture. Cependant, Monsieur le ministre, vous êtes prêt à accepter le caractère optionnel de ce fonds et à évaluer ce dispositif. Vous avez également retenu les amendements fiscaux, ce qui prouve d'ailleurs que l'opération n'est pas neutre. Compte tenu de ces engagements, je retire l'amendement 941 mais il faudra que le dispositif fasse l'objet d'une évaluation sérieuse. En effet, nous avons oublié un invité dans ce débat : le propriétaire...

L'amendement 941 est retiré.

M. Philippe Feneuil - Au vu des engagements du ministre, je voterai pour la création du fonds optionnel. Je retire donc l'amendement 1103.

M. André Chassaigne - Bel exemple de centralisme démocratique !

L'amendement 1103 est retiré.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - Très sincèrement, le fonds ne mérite pas les qualificatifs dont l'opposition l'a affublé. En réalité, ce fonds ne crée rien, ne retire rien...

M. François Brottes - Dans ce cas, à quoi sert-il ?

M. le Président de la commission - C'est un instrument juridique que nous mettons à la disposition de l'économie agricole pour faciliter la transmission en la rendant plus transparente. Le fonds permettra d'identifier la valeur entrepreneuriale de l'entreprise. Par ailleurs, M. le ministre a clairement indiqué qu'il acceptait le caractère optionnel du fonds en accord avec la commission. Le Gouvernement vous a entendus !

M. François Brottes - Pressions, réaction !

M. le Ministre - Avant le vote des amendements de suppression, je souhaite confirmer le caractère optionnel du fonds, ainsi que vous le souhaitez en grande majorité. Monsieur Voisin, je profite d'avoir la parole pour vous souhaiter un joyeux anniversaire ! (Applaudissements)

M. Jean Gaubert - Nous avons besoin d'un nouvel outil juridique, dit le président de la commission. Mais dans toute exploitation bien gérée, le compte de bilan et le compte d'exploitation suffisent à définir des valeurs incontestables. Le problème est donc moins de créer un nouvel outil juridique que d'admettre que des droits incorporels, fluctuants, puissent aussi être vendus.

Qu'on le veuille ou non, la loi de l'offre et de la demande s'imposera (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP) Et qui fera l'offre la plus élevée ? Celui qui veut s'agrandir, pas celui qui veut s'installer. Et, a rappelé M. Sauvadet, le propriétaire de la terre aura son mot à dire. Nous y reviendrons à propos du bail cessible.

Enfin, méfiez-vous de l'argument selon lequel il faut légaliser ce qui existe. A cette aune, vous allez légaliser l'utilisation du cannabis ! Et je vous renvoie au rapport du sénateur César en 1997 : pour lui, la notion de fonds provoquerait la généralisation du pas de porte, ce qui serait un obstacle financier de plus à l'installation.

M. François Guillaume - Monsieur le ministre, vous dites qu'il n'y aura pas de plus-value ; mais l'avantage sera pour celui qui vend, pas pour celui qui s'installe. Vous dites aussi que le dispositif sera optionnel. Je comprends que, dans ce système, il n'y aura plus désormais que de jeunes agriculteurs qui succèderont à leurs parents. Mais si un frère ou une sœur parti à la ville réclament la constitution d'un fonds, vont s'y ajouter toutes les valeurs immatérielles que l'on ne comptabilise pas jusqu'ici dans une famille. Il y aura donc inflation du coût de l'installation dans l'exploitation familiale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Rapporteur - J'écoute avec attention ce que disait le député Guillaume de Meurthe-et-Moselle, le député Chassaigne du Puy-de-Dôme, le député Gaubert des Côtes-d'Armor ; je pense aussi à ma propre histoire, moi député Herth d'Alsace...

M. François Sauvadet - Vous ne pouvez pas parler comme cela ! Vous représentez la France !

M. le Rapporteur - Je parle des réalités, et en tant que rapporteur, député de la République élu dans le Bas-Rhin, je vous invite à repousser ces amendements de suppression de l'article premier pour passer rapidement aux autres amendements qui précisent une matière qui nous passionne tous.

M. le Ministre - Monsieur Gaubert, j'apprécie votre conviction. Mais ne vous référez pas à M. César : il a été désigné comme rapporteur par la commission des affaires économiques du Sénat et est très favorable au fonds agricole.

A la majorité de 46 voix contre 20 sur 67 votants et 66 suffrages exprimés, les amendements 436, 490 et 661 ne sont pas adoptés.

M. le Rapporteur - L'amendement 638 précise que le fonds agricole peut être créé par déclaration à l'autorité administrative. Son existence résultera donc d'une démarche positive de l'exploitant.

M. le Ministre - Avis Favorable.

M. François Brottes - Je comprends bien que le fonds est optionnel. Mais pourquoi écrire « il peut être créé », et non « il est créé par déclaration » ?

M. le Rapporteur - Nous avons discuté longuement en commission, et M. de Courson a fort justement parlé de révélation d'une valeur latente. Elle devient reconnue quand le fonds est créé. Mais il est clair que beaucoup d'agriculteurs ne se poseront pas la question avant longtemps...

M. François Guillaume - La vraie question est : qui peut prendre l'initiative de créer ce fonds ? Si c'est l'héritier qui reste sur l'exploitation, il n'y a pas de problème. Mais si c'est un frère ou une sœur, cela augmentera le coût de l'installation pour celui qui reste.

M. le Rapporteur - La loi est claire. Aux termes de l'article L 311-3, le fonds peut être nanti et il sera créé dans les mêmes conditions que le fonds artisanal. Actuellement, un fermier qui exploite mais ne possède rien n'a pas de garanties à offrir à sa banque pour demander un prêt. Demain il pourra apporter son savoir-faire en garantie.

M. François Guillaume - Mais qui prend l'initiative de la déclaration ?

M. le Rapporteur - L'exploitant, l'entrepreneur.

M. François Guillaume - Alors, il faut l'inscrire dans la loi.

M. François Brottes - Je n'ai pas été convaincu par la réponse du rapporteur...

M. André Chassaigne - Mon amendement 663, qui a été repoussé par la commission pour être remplacé par le 638, était plus précis et soulignait le caractère optionnel de la décision : « Toute personne physique ou morale exerçant à titre habituel des activités réputées agricoles au sens de l'article L. 311-1 peut créer sur son exploitation un fonds, appelé fonds agricole. »

M. Jean Dionis du Séjour - Je veux porter le témoignage des agriculteurs du Lot-et-Garonne, qui sont favorables au fonds...

M. François Brottes - Vous êtes député de la République !

M. Jean Dionis du Séjour - Mais on vient d'un territoire !

Pour ma part, je considère que ce fonds met de la transparence et de la justice dans l'organisation des successions. Comme l'a dit M. Guillaume, jusqu'ici, l'héritier exploitant est plutôt avantagé par rapport à ses frères et sœurs. Pourquoi pas ? Mais que cela ne se fasse pas dans l'obscurité et dans l'injustice !

M. Gaubert nous dit que le fonds n'est pas nécessaire parce qu'il y a un haut de bilan, mais entre la valeur vénale d'un fonds et la valeur comptable d'un haut de bilan, il y a une grande différence !

Par ailleurs, la question posée par M. Guillaume reste entière. Si l'exploitant n'a pas créé le fonds, suffit-il qu'un héritier le demande pour qu'il y ait obligation de le créer ou faut-il un accord entre les héritiers ?

M. Philippe Martin - Une remarque, Monsieur le Président : les personnes dans les tribunes n'ont pas à hocher la tête ou à commenter les interventions des parlementaires !

M. le Président - Je n'ai pas remarqué d'intervention du public.

M. le Rapporteur - Je n'ai pas précisé le sujet de l'action, car il me semblait que la référence au nantissement montrait bien qu'il s'agissait d'une démarche positive de l'exploitant. C'est bien lui qui est maître du jeu. Je reconnais, Monsieur Chassaigne, que votre amendement était plus précis sur ce point, mais il a un défaut : il ne dit pas comment se fait cette création, contrairement à l'amendement de la commission, qui précise que cela se fait par déclaration à l'autorité administrative.

M. le Président de la commission - Compte tenu des différentes remarques, je propose de rectifier ainsi l'amendement 638 : « Le fonds exploité dans l'exercice de l'activité agricole définie à l'article L. 311-1, dénommé fonds agricole, peut être créé par l'exploitant. Cette décision fait l'objet d'une déclaration à l'autorité administrative. »

Plusieurs députés socialistes - C'est plus clair.

M. Jean Dionis du Séjour - C'est clair, en effet, mais cette réponse signifie que l'on exclut les ayants droit. Moi, je n'aurais pas été choqué qu'ils puissent demander la création du fonds.

M. le Président de la commission - Telle n'est pas notre position. Pour nous, la création du fonds est une initiative de l'exploitant.

M. François Guillaume - Pour ma part, cette réponse me satisfait et je voterai l'amendement 638 rectifié.

M. le Rapporteur - Je me rallie à la clarification proposée par le président Ollier.

M. le Ministre - Accord du Gouvernement.

M. André Chassaigne - Je retire mon amendement 663 au profit du 638 rectifié.

M. Jean Gaubert - Rappel au Règlement. Nous aimerions vérifier les règles qui s'appliquent au public des tribunes, raison pour laquelle je vous demande, Monsieur le Président, une suspension de séance.

M. le Président - La règle est que « le public admis dans les tribunes se tient assis, découvert et en silence. Il peut consulter les documents parlementaires relatifs au débat en cours et prendre des notes. Toute personne donnant des marques d'approbation ou d'improbation est exclue sur le champ par les agents et les huissiers chargés de maintenir l'ordre. » Mais de tels faits sont assez rares et je pense que tout le monde aura entendu qu'il ne faut pas donner des marques d'approbation ou d'improbation.

L'amendement 638 rectifié, mis aux voix, est adopté.

M. Jean Gaubert - Je maintiens ma demande de suspension.

La séance, suspendue à minuit, est reprise le vendredi 7 octobre à 0 heure 10.

M. François Brottes - Notre amendement 748 tend à limiter les dégâts en supprimant le dernier alinéa de l'article 311-3 du code rural, l'énumération qu'il contient conduisant au renchérissement du coût de l'entrée dans la profession agricole.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Il s'agit simplement de définir les éléments qui peuvent être inclus dans le périmètre du fonds. Ce sont, aux termes propres à l'agriculture près, exactement les mêmes éléments que pour un fonds de commerce ou un fonds artisanal.

M. le Ministre - Même avis.

M. Jean Gaubert - Le rapporteur est tout de même un peu rapide quand il assure que fonds agricole et fonds de commerce sont tout à fait comparables. En effet, les éléments du premier sont par nature instables quand ceux du deuxième ne le sont pas du tout. Comme je le disais tout à l'heure, donnons-nous rendez-vous dans cinq ans. Vous constaterez qu'il n'y aura pas eu beaucoup de nantissements sur les fonds agricoles.

L'amendement 748, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. François Brottes - L'amendement 749 rectifié est défendu.

L'amendement 749 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. François Guillaume - Le dernier alinéa inclut, parmi les différents éléments du fonds agricole, les contrats et droits incorporels. Or, je juge cela dangereux. En effet, la valeur des droits à paiement unique est très variable et pourrait même devenir nulle si la Commission européenne décidait de supprimer ses aides. Il serait donc extrêmement hasardeux de les utiliser pour un nantissement. Je ne m'inquiète certes pas pour les banquiers qui sauront toujours prendre les garanties nécessaires, y compris sur le patrimoine personnel des exploitants, mais je crois préférable de ne pas inclure ces éléments dans le fonds. Tel est le sens de mon amendement 76.

M. Jean Gaubert - L'amendement 750 rectifié est défendu.

M. le Rapporteur - J'observe que cet amendement tend à exclure les stocks du fonds, contrairement au 76 qui n'exclut que les éléments incorporels. Mais il serait regrettable, Monsieur Guillaume, de ne pas intégrer dans le fonds des éléments comme la clientèle, ou les dénominations qui, dans certaines exploitations, revêtent une grande importance. Je suggère aux auteurs de ces deux amendements de les retirer.

Mme Brigitte Barèges, rapporteure pour avis de la commission des lois - A ce stade du débat, il me paraît important d'apporter des précisions d'ordre juridique. Un fonds de commerce, vous le savez, comporte des éléments corporels, c'est-à-dire matériels, et incorporels, c'est-à-dire immatériels comme la clientèle, l'enseigne, le bail..., ensemble qui peut faire l'objet d'un nantissement, lequel ne porte néanmoins pas nécessairement sur tous les éléments du fonds. Il en sera désormais de même pour le fonds agricole - dont, je le rappelle, le texte ne fait que révéler l'existence. Nous avons dressé dans notre rapport un tableau comparatif détaillé des deux types de nantissement, auquel je vous invite à vous reporter. L'une des principales différences est qu'il sera possible dans le fonds agricole de nantir le cheptel vif et les stocks. Pour en revenir aux arguments de M. Guillaume, il est vrai que la valeur des éléments incorporels du fonds agricole, comme les droits à produire, est variable. L'important est de pouvoir les évaluer au moment de la cession. Je signale qu'il sera parfaitement possible, lors d'un partage familial, de minorer la valeur du fonds, comme on le fait déjà souvent pour celle des terres, afin de permettre à un enfant de garder l'exploitation. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre - Dès lors que nous cherchions à mettre au jour le fonds agricole, un certain parallélisme s'imposait avec le fonds de commerce. Bien évidemment, les droits non cessibles ne sauraient faire partie du fonds, Monsieur Guillaume.

M. Jean Gaubert - Je trouve curieux que la présidence ait mis en discussion commune deux amendements qui disent le contraire. Et à Mme Barèges, je me permets de faire observer que l'excellent tableau dressé par la commission des lois ne nous avait pas échappé.

M. André Chassaigne - Mon amendement 662 à venir vise à exclure du fonds tous les contrats et droits incorporels, fussent-ils cessibles. En effet, ces droits sont très évolutifs. Ainsi les droits à paiement unique sont-ils théoriquement garantis jusqu'en 2013, mais peut-être pourraient-ils disparaître bien avant...

M. le Ministre - Il faut distinguer les actuels droits à produire comme les quotas laitiers qui relèvent d'une économie administrée et les droits à paiement unique. Il est vrai que l'on peut s'interroger sur les DPU qui n'entreront en vigueur qu'à partir du 1er janvier 2006 et ne seront payés aux exploitants qu'à la fin de l'année. Si à l'issue des accords de 2013, le système devait changer, il est évident que le législateur ferait en sorte de modifier la loi. Pour le moment, nous utilisons le droit actuel.

L'amendement 76, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l'amendement 750

M. le Président - M.Chassaigne a déjà défendu l'amendement 662.

M. Jean Gaubert - L'amendement 747 est défendu.

Les amendements 662 et 747, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Président - Je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public sur l'amendement 755

M. Jean Gaubert - Il s'agit là d'un amendement sur lequel nous pourrions nous entendre puisqu'il s'oppose à l'intégration des droits à paiement unique dans le fonds. En effet, ce non-sens pourrait devenir une escroquerie. Comment accepter que soit vendu un élément qui sera très certainement soumis à modification - à la hausse ou à la baisse ?

M. le Ministre - On n'en sait rien !

M. Jean Gaubert - Nous prenons le pari que ces droits seront modifiés en 2013. Il n'y aura malheureusement pas plus d'argent dans une Europe à 25 pour la politique agricole commune et vous vous trouverez face à des revendications en faveur d'une meilleure répartition des fonds européens sur le territoire national. On ne peut maintenir longtemps sur un système aussi inégalitaire ! Cet élément introduit dans le paquet sera donc l'objet de fortes modifications et les perdants pourront considérer qu'ils ont été victimes d'une escroquerie.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Les DPU sont cessibles selon la Commission européenne et ont donc vocation à figurer dans le périmètre du fonds. S'agissant de leur évolution, nous ne sommes pas devins. L'important, c'est que nous donnons un signal aux agriculteurs, les invitant à réfléchir à la stratégie de leur entreprise plutôt que d'asseoir leur revenus sur des finances publiques.

M. le Ministre - M. Gaubert pose une question intéressante. C'est vrai, nul ne sait quel sera l'avenir de ces DPU. Ségolène Royal m'a écrit pour me faire part de son souhait de les voir régionalisés. Peut-être cela fera-t-il part de son programme de candidate à la présidentielle ? Plaisanterie mise à part, si nous ne tenions pas compte des DPU dans les fonds, cela reviendrait à léser le monde agricole puisque des transactions sont déjà réalisées sur ces droits, considérés comme un élément constitutif de la richesse.

M. André Chassaigne - Il ne s'agit pas d'être devin. Les textes européens précisent qu'il y aura une évolution. En 2007, 5 % du montant des DPU seront prélevés afin de financer les interventions de l'Europe en faveur du développement rural. La possibilité de réduire d'ici à 2013 leur montant est également prévue, dans la limite de 3 %. Je ne vois pas comment l'on peut inscrire dans un bilan comptable un élément dont l'évolution est aussi tributaire des décisions politiques européennes.

M. le Ministre - Ne dites pas l'inverse et son contraire ! Dans les majorités plurielles régionales, vos collègues nous demandent de prendre 10 % au titre de l'article 69, ce que vous nous reprochez ici. Or la position du Gouvernement est que pas un euro provenant des DPU ne doit manquer aux agriculteurs français. Nous avons donc pris la décision politique, dans l'intérêt des agriculteurs, de limiter au maximum nos prélèvements.

M. Yves Simon - Il ne faut pas prendre les agriculteurs pour des demeurés. Lorsqu'un pharmacien achète une pharmacie, il acquitte un an de chiffre d'affaires. Lorsqu'un commerce est repris, cela représente six mois de chiffre d'affaires. S'il n'y a pas de garantie sur les DPU, je ne pense pas que les agriculteurs achèteront beaucoup plus d'une année.

A la majorité de 36 voix contre 16 sur 53 votants et 52 suffrages exprimés, l'amendement 755 n'est pas adopté.

M. Jean Gaubert - L'amendement 752 est défendu

L'amendement 752, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean Gaubert - Les amendements 751, 753 et 754 sont également défendus

L'amendement 751, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que les amendements 753 et 754.

L'amendement 410 est retiré.

L'article premier modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ARTICLE PREMIER

M. André Chassaigne - L'amendement 716 vise à garantir le caractère civil de l'activité agricole. Aujourd'hui, des aides peuvent être accordées sans qu'il y ait production. Un certain nombre de collègues ont fait état de dérives graves. Aussi est-il nécessaire de préciser qu'une activité agricole suppose production et commercialisation.

L'amendement 716, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean Gaubert - Cette soirée restera mémorable dans l'Histoire de la République : vous venez d'autoriser à acheter le droit de percevoir des aides publiques.

M. François Brottes - C'est incroyable !

M. Jean Gaubert - Je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce que vous venez de faire et de l'effet que cela aura dans l'opinion.

M. François Brottes - Nous allons l'expliquer.

M. Jean Gaubert - Cela aura un effet dévastateur sur le monde agricole alors même qu'il était déjà difficile de justifier les aides en faisant valoir l'écart entre la rémunération de l'agriculteur et la valeur réelle de ce qu'il produit. Il faudrait au moins limiter les conséquences de votre réforme en prévoyant qu'il n'est pas possible de percevoir les aides sans travailler. En effet, à quoi bon louer des terres ? Il suffit de déclarer les entretenir soi-même et d'y faire passer un gyrobroyeur pour percevoir les aides. Allez expliquer cela à nos concitoyens !

M. Yves Simon - Cela n'a rien à voir avec le fonds agricole.

M. Jean Gaubert - C'est une de ses conséquences. Si ce système se développe, c'est l'économie rurale dans son ensemble qui en souffrira en décourageant l'activité productrice, y compris la production de biocarburants. Nous avons tout intérêt à définir précisément le métier d'agriculteur afin de limiter les dérives possibles. C'est à quoi tend l'amendement 489 rectifié.

M. François Brottes - Très bien.

M. Gérard Léonard - Vous méprisez les agriculteurs !

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Cela relève des modalités d'application de la PAC réformée et donc de l'ordre règlementaire.

M. le Ministre - Même avis. Je vous prie de bien vouloir retirer votre amendement.

M. André Chassaigne - Vous n'apportez aucune explication de fond alors que c'est la question même du devenir des terres agricoles qui est posée. Vous ne mesurez pas combien l'orientation que vous prenez aura des conséquences désastreuses. Devant votre silence, je songe au titre de l'ouvrage de Jacques Lévy, Osez le désert. Vous savez très bien que des primes seront accordées sans qu'il y ait exploitation.

M. Jean Auclair - Vous rêvez !

M. André Chassaigne - Vous savez très bien que des territoires vont progressivement se désertifier. C'est dire à quel point vous respectez notre agriculture !

M. Jean Auclair - Je ne vous comprends pas. La gauche ayant voulu maîtriser la production agricole, elle devrait être satisfaite si le scénario qu'elle décrit se réalise. Vos réactions et vos amendements sont représentatifs de votre philosophie de l'agriculture. J'ai dit dans la discussion générale que vous avez voulu faire des agriculteurs des cantonniers de la nature et que vous aviez voulu donner à l'agriculture une dimension folklorique. A droite, on appartient au parti du travail, que vous ne pouvez pas comprendre. Les agriculteurs, eux, ne sont pas aux 35 heures ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Ils ne font pas non plus de folklore. Quand les entrepreneurs agricoles ont un outil de travail, ils cherchent à le valoriser, non seulement pour produire, mais également pour gagner de l'argent. Vous, vous aimez tellement les pauvres que vous voulez qu'il y en ait de plus en plus. Voilà la différence fondamentale entre nous.

M. Michel Raison - M. Gaubert vient de démontrer brillamment que le fonds est nécessaire et qu'il faut y introduire les DPU (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). C'est en effet dans le cas contraire que l'on risque de voir des propriétaires utiliser les DPU et passer le gyrobroyeur (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Je rappelle que la France est le seul pays à avoir choisi un découplage partiel des aides et que j'ai entendu les parlementaires socialistes affirmer à cette tribune que l'on avait eu tort de ne pas faire un découplage total. Le découplage partiel impliquant au moins 25 % de production, votre amendement tombe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean Gaubert - M. Auclair a la mémoire courte et ses attaques sont insupportables.

M. Jean Auclair - Vous n'êtes pas obligé de les écouter.

M. Jean Gaubert - J'ai autant le droit que vous d'être dans cet hémicycle. Je suis comme vous député de la République et je n'ai même pas à faire valoir mon « état », puisqu'il semble que c'est l'« état » qui selon certains confère une légitimité.

M. Philippe Martin - Seuls des militaires seraient compétents pour parler de la Défense !

M. Jean Gaubert - Si M. Auclair pense pouvoir parler au nom des agriculteurs parce qu'il est marchand de vaches, je peux aussi parler au nom des agriculteurs parce que j'en suis, et que, de plus, je touche très peu de primes européennes. Cela suffit, Monsieur Auclair.

M. Jean Auclair - Nous ne sommes pas à l'école primaire ! Je n'ai pas à recevoir de leçons !

M. Jean Gaubert - Je souhaite que vous reveniez demain avec de meilleures intentions, sinon...

M. Jean Auclair - Vous me mettrez au piquet !

M. Jean Gaubert - ...le débat s'enlisera et ce n'est bon pour personne.

M. Herth a dit que la définition de l'exploitant agricole relevait du domaine réglementaire mais il n'y a aucune raison pour que ce soit le cas puisque la définition du commerçant relève déjà du domaine de la loi.

Je rappelle que M. Raison a voté le caractère facultatif du fonds. Si tel est le cas, le fils d'un propriétaire exploitant pourra conserver ses droits.

M. Michel Raison - Ce n'est pas la faute du fonds.

M. Jean Gaubert - C'est la faute des DPU qui ne seraient pas assis sur une définition précise de ce qu'est un agriculteur.

M. le Rapporteur - Je le répète, la réponse que l'on donnera à ce problème relève du domaine règlementaire à travers l'application ministérielle de la PAC réformée.

L'amendement 489 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Yves Simon - De plus en plus de jeunes agriculteurs souhaitent s'installer en GAEC mais ils se heurtent parfois à l'impossibilité d'obtenir une part économique. L'amendement 282 propose de ne plus exiger, lors de l'installation, l'apport en numéraire et en nature, mais seulement l'apport en numéraire.

M. Jean Gaubert - Au vu du sort fait à nos amendements ce soir, nous aurions pu prendre des mesures de rétorsion mais nous préférons appuyer cette bonne proposition.

Mme Brigitte Barèges, rapporteure pour avis - Ah !

M. Jean Gaubert - Monsieur Auclair, nous avançons vers des kolkhozes, certes libéraux, mais des kolkhozes tout de même ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP)

L'amendement 282, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce matin, vendredi 7 octobre, à 9 heures 30.

La séance est levée à 1 heure.

            La Directrice du service
            du compte rendu analytique,

            Catherine MANCY

ORDRE DU JOUR
DU VENDREDI 7 OCTOBRE 2005

NEUF HEURES TRENTE : 1ÈRE SÉANCE PUBLIQUE

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 2341) d'orientation agricole.

Rapport (n° 2547) de M. Antoine HERTH, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

Avis (n° 2544) de Mme Brigitte BARÈGES, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Avis (n° 2548) de M. Marc LE FUR, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

QUINZE HEURES : 2EME SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.


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