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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2005-2006 - 29ème jour de séance, 65ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 17 NOVEMBRE 2005

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

      LOI DE FINANCES POUR 2006
      - deuxième partie - (suite) 2

      CONSEIL ET CONTRÔLE DE L'ÉTAT ;
      POUVOIRS PUBLICS 2

      QUESTIONS 9

      Conseil et contrôle de l'état 10

      ÉTAT B 10

      APRÈS L'ART. 75 10

      POUVOIRS PUBICS 11

      ÉTAT B 11

      APRÈS L'ART. 80 12

      OUTRE MER 12

La séance est ouverte à neuf heures trente.

LOI DE FINANCES POUR 2006 - deuxième partie - (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2006.

CONSEIL ET CONTRÔLE DE L'ÉTAT ; POUVOIRS PUBLICS

M. le Président - Nous abordons l'examen des crédits relatifs au conseil et contrôle de l'Etat et aux pouvoirs publics.

M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial de la commission des finances - Avec la nouvelle architecture financière, les crédits que nous examinons ce matin, autrefois éparpillés dans le budget de l'Etat, sont regroupés au sein de deux missions : « conseil et contrôle de l'Etat » et « pouvoirs publics ». Félicitons-nous que la LOLF mette en lumière ce qui restait dans l'ombre.

Concernant la mission « pouvoirs publics », je regrette que la Présidence de la République n'ait pas jugé bon de répondre aux questions de la représentation nationale. Le manque de précision du bleu budgétaire, qui se limite à deux tableaux quasi identiques, est également à déplorer. Dès la présentation du projet de loi de finances pour 2007, il est souhaitable que l'annexe bleue relative aux pouvoirs publics comporte au moins les informations contenues dans les jaunes budgétaires actuels afin que le Parlement dispose des informations nécessaires à l'exercice de son contrôle.

Pour le reste, les crédits de la mission « pouvoirs publics » ne sont pas appelés à faire l'objet de longs débats. En effet, ils sont affranchis des contraintes de performance et exclus des modalités de régulation budgétaire infra-annuelle. Ils sont répartis en sept dotations : la Présidence de la République, les assemblées parlementaires - Assemblée nationale, Sénat et chaîne parlementaire -, le Conseil constitutionnel, la Haute cour de justice et la Cour de justice de la République.

Concernant les crédits de la Présidence de la République, la commission a adopté une observation regrettant l'absence de réponses à nos questions.

En 2006, la dotation du Conseil constitutionnel s'élève à 5,31 millions, hors abondements exceptionnels. Elle diminue donc en volume. En 2006, elle bénéficiera d'abondements exceptionnels moindres - 424 000 euros pour la préparation de l'élection présidentielle - qu'en 2005 - 1,28 million pour le ravalement des façades de la rue Montpensier et 630 000 pour le référendum du 29 mai - Les efforts d'économies du Conseil sont à relever dans les recrutements, la rationalisation des rémunérations de ses personnels ou encore dans ses moyens de fonctionnement.

En ce qui concerne la dotation de la Cour de justice de la République, elle diminue de manière continue depuis 2001 et chaque année le solde positif en fin d'exercice est, notons-le, reversé au Trésor. En 2006, cette dotation est stable pour couvrir l'augmentation des dépenses de loyer des locaux de la Cour. Le coût de ces dépenses, qui représentent 45 % des crédits, doit nous conduire à réfléchir à une solution plus économe, celle d'une location avec option d'achat.

La mission « conseil et contrôle de l'Etat » constitue une sorte d'hybride budgétaire. Elle est composée de trois programmes « Conseil d'Etat et autres juridictions administratives », « Cour des comptes et autres juridictions financières » et « Conseil économique et social ». Rattachés au Premier ministre, ces programmes sont exemptés de toute mise en réserve de crédits et bénéficient de modalités allégées de contrôle financier - ce qu'au demeurant son statut garantit déjà au Conseil économique et social. Pour le reste, ils demeurent soumis au même régime que les autres programmes du budget général, notamment en termes de gestion par la performance.

Pour les programmes pilotés par le Conseil d'Etat et la Cour des comptes, de nombreuses questions se posent : le caractère ministériel des programmes est virtuel, les plafonds d'autorisations d'emplois sont établis par programme et non par ministère, l'outil des budgets opérationnels de programme n'est pas utilisé à plein, et la gestion des détachements et des mises à disposition requiert des compétences que seuls possédaient les anciens ministères de rattachement.

Notons que la création de cette mission ad hoc règle le problème de la mission « mono-programme » que devait constituer le Conseil économique et social et garantit l'indépendance de la Cour des comptes. Pour autant, reste une difficulté majeure : la double fonction du Conseil d'Etat et de la Cour des comptes, d'une part, d'assistance, de conseil et de contrôle vis-à-vis des pouvoirs publics et, d'autre part, de tête de réseau des juridictions administratives et financières.

Le Conseil d'Etat, les cours administratives d'appel et les tribunaux administratifs bénéficieront en 2006 d'un budget de 246,28 millions en autorisations d'engagement et de 238,41 millions en crédits de paiement. Les crédits de personnel augmentent de 15 millions, suite aux revalorisations de salaires communes à toute la fonction publique. On observe une forte augmentation du contentieux, la hausse la plus spectaculaire concernant celui des reconduites d'étrangers à la frontière : 50 % entre 2003 et 2004, et 21 % entre septembre 2004 et septembre 2005. Aussi, le Conseil s'est donné pour objectif d'améliorer les délais de jugement tout en maintenant la qualité des décisions rendues.

Le programme « Cour des comptes et autres juridictions financières » bénéficiera, avec 171,4 millions en autorisations d'engagement et crédits de paiement, de moyens en hausse. Mais, en contrepartie, la Cour devra assurer la préparation de la certification des comptes de l'Etat et de la sécurité sociale et développer de réelles compétences en matière de gestion de ressources humaines.

M. Alain Rodet - Vaste programme !

M. le Rapporteur spécial - Ce dernier défi n'est pas le moindre : les départs à la retraite d'ici à 2010 représenteront la moitié des effectifs de magistrats en activité, et ce, à un moment où le nombre de recrutements à l'ENA tend à diminuer.

Enfin, le Conseil économique et social devrait recevoir une dotation de 35,5 millions, qui n'augmentera que sous l'effet de mesures automatiques relatives aux rémunérations et cotisations sociales. Largement renouvelé en 2004, le Conseil a placé la nouvelle mandature sous le signe d'une rationalisation de ses travaux. Cet objectif l'a conduit à la création d'un comité stratégique du bureau et à celle d'un comité du rapport. Malgré tout l'attachement que je porte à cette institution qui permet d'associer les forces vives de la nation à l'élaboration de la politique économique et sociale du Gouvernement, j'avais l'an passé déploré son inscription dans une mission « mono-programme ». En effet, c'est contraire à la lettre de l'article 7 de la LOLF. S'il appartient désormais au Conseil d'identifier des actions au sein de son programme, mes suggestions de l'an dernier valent toujours : représentations des activités économiques et sociales, fonctionnement de l'institution et politique de communication. Par ailleurs, je suis sûr que l'attitude réservée du Conseil envers le nouveau dispositif de mesure de la performance introduit par la LOLF évoluera quand il aura pris conscience de ses avantages.

Sur la mission « pouvoirs publics », contrairement à mon avis, la commission a adopté les crédits. S'agissant de la mission « conseil et contrôle de l'Etat », je m'en étais remis à la sagesse de la commission qui vous demande d'émettre un vote favorable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. René Dosière - Tout d'abord, je tiens à féliciter le rapporteur spécial de son travail.

M. Alain Rodet - Excellent !

M. René Dosière - C'est la première fois que nous disposons d'une analyse aussi rigoureuse et, notons-le, non partisane des crédits des pouvoirs publics quand le silence était autrefois la règle.

Certes, M. Bourguignon est critique - et comment ne pas l'être lorsque l'on ne reçoit pas même un accusé de réception des questionnaires envoyés ? Mais il félicite aussi le Conseil constitutionnel, qui, respectueux des principes de la LOLF, a rapidement fourni les renseignements demandés. J'en suis d'autant plus heureux qu'il y a deux ans, je soulignais la présentation trop sommaire qu'il faisait de son budget. Le Conseil constitutionnel démontre ainsi, tout comme l'Assemblée nationale, que l'on peut parfaitement conjuguer autonomie et transparence.

Ce n'est pas le cas de la Présidence de la République. Il n'est pas exagéré de parler de dissimulation et de mépris à l'égard de la représentation nationale. D'une part, le Parlement n'a reçu aucune réponse et d'autre part, la disposition qu'il a votée il y a deux ans afin d'obtenir des renseignements précis ne trouve pas à s'appliquer. Le document fourni est en effet, pour reprendre les termes du rapporteur, d'une « rare indigence ». Ce budget demeure donc opaque et je proposerai un amendement visant à renforcer cette disposition.

Le budget de la Présidence de la République est le moins sincère de tous ceux qui nous sont présentés. Les 32 millions de crédits qu'il nous est demandé de voter ne représentent qu'un tiers des dépenses réparties, si ce n'est dissimulées, dans dix autres missions. Il m'a ainsi fallu quatre ans d'investigation pour obtenir un tableau d'ensemble permettant d'affirmer que les dépenses de la Présidence de la République avoisinent les 85 millions. Certes, cette manière de procéder n'est pas nouvelle : elle date de 1958. Mais elle s'est depuis aggravée et se trouve désormais en parfaite contradiction avec les objectifs de transparence et de réunification de la LOLF. Le Gouvernement qui s'en prévaut devrait faire en sorte que les principes soient toujours appliqués.

Par ailleurs, la partie visible de ce budget a décuplé entre 1995 et 2004 (Protestations sur les bancs du groupe UMP) sans qu'aucune explication ne soit fournie. Ainsi, lorsque je demande au Premier ministre combien de personnes sont directement engagées par la Présidence et quel est le niveau de leurs indemnités, je n'obtiens pas de réponse. Y aurait-il des emplois fictifs à l'Elysée...

M. Guy Geoffroy - Ne pensez pas à mal !

M. René Dosière - ...comme ce fut le cas dans le passé.

M. Guy Geoffroy - Voilà un repentir bien tardif !

M. René Dosière - Il était alors fort difficile de se saisir de cette question car le budget n'augmentait pas. Mais depuis, la hausse a été vertigineuse !

Je connais la volonté réformatrice du Gouvernement et c'est pourquoi je formule ces propositions, animé par le seul souci de préserver l'autorité de la Présidence de la République.

Les institutions, en effet, sont menacées lorsqu'un fort décalage existe entre les actes et les paroles. Pensez-vous, Monsieur le ministre, que nos citoyens soient dupes ? Lorsque l'éthique manque à la plus haute de nos institutions, les Français peuvent penser que la vie politique est sans intérêt et s'en détourner. Sous la présidence précédente, je n'ai pas entendu l'opposition critiquer ce budget. Si vous acceptez mes propositions, nous garantirons la transparence, à l'exemple de l'Assemblée nationale, dont les comptes, depuis des années, sont publics et font l'objet d'une documentation précise. C'est ainsi que nous ferons adhérer nos concitoyens aux institutions nationales.

M. Alain Rodet - Très bien !

M. Guy Geoffroy - L'examen des crédits de cette mission autorise, hélas, un éclairage un peu trop ciblé sur un certain sujet. A la lecture de cet excellent rapport, je n'ai pas manqué de ressentir un certain malaise : la première partie est un procès à charge contre la Présidence de la République, la seconde est beaucoup plus ouatée et consensuelle. Mon propos ne s'arrêtera donc pas à la question qui préoccupe principalement M. Dosière.

Cette nouvelle présentation montre clairement que l'évolution des crédits est tout à fait maîtrisée et que ce secteur si important de la vie publique obéit lui aussi aux objectifs de maîtrise de la dépense publique.

S'agissant des crédits des assemblées parlementaires, je salue la qualité du travail accompli par l'Assemblée nationale pour maintenir une exigence de qualité - aussi bien des débats que des services - tout en maîtrisant de manière remarquable ses dépenses. L'augmentation inférieure à 2 % des crédits démontre l'excellence de cette gestion, qui a permis en quelques années de placer le palais Bourbon à la tête de réserves importantes, nécessaires pour rénover l'institution et améliorer les conditions de travail des députés. Ces efforts permettront en outre d'attribuer dès 2006 le statut de cadre aux collaborateurs de parlementaires qui en ont le niveau et l'expérience.

Par ailleurs, si je peux comprendre que la mission « conseil du Conseil d'Etat » soit rattachée au Premier ministre, je déplore que sa fonction juridictionnelle ainsi que les tribunaux administratifs aient été soustraits au périmètre de la mission « justice ». Le rapporteur et les commissaires aux lois ont également soulevé ce problème, qui pourra peut-être trouver à se régler grâce à l'adoption de l'amendement déposé par M. Albertini. Cette question, en tout état de cause, devra être traitée cette année ou, à défaut, dès l'an prochain.

M. Dosière a une préoccupation unique, récurrente, persistante, dont nous trouvons d'ailleurs les échos chez M. le rapporteur : le budget de la Présidence de la République. Celui-ci n'aurait jamais été aussi opaque ; jamais la Présidence de la République n'aurait été aussi avare d'informations sur son fonctionnement. Or, si nous pouvons aujourd'hui débattre de cette question, c'est grâce à Jacques Chirac qui, dès 1995, a souhaité mettre fin aux pratiques antérieures. C'est lui qui a demandé une réforme de manière à ce que tous les crédits, ceux des ministères comme de l'ensemble des institutions publiques qui concourent au fonctionnement de la Présidence de la République, soient mieux identifiés et puissent être contrôlés.

M. René Dosière - Il reste beaucoup à faire.

M. Guy Geoffroy - Vous n'avez pas le doit de jeter en pâture à l'opinion que sous l'actuelle Présidence de la République, les crédits attribués au fonctionnement de l'institution ont été décuplé. C'est inexact : ce sont les crédits qui, jusqu'à présent, n'étaient pas comptabilisés dans ceux de la Présidence, qui l'ont en fait été à partir de 1995.

M. René Dosière - Pas du tout.

M. Guy Geoffroy - C'est précisément cela qui explique le passage de quatre à trente millions.

M. René Dosière - C'est inexact.

M. Guy Geoffroy - Je trouve d'ailleurs étonnant que vous ayez attendu 2001 pour soulever cette question, juste avant des élection importantes et alors même que le chef de l'Etat avait assuré que l'ensemble des fonds spéciaux, ceux de la Présidence de la République comme ceux des ministères, devait être clairement évalué.

M. René Dosière - Cela n'a pas été très efficace d'un point de vue électoral.

M. Guy Geoffroy - Du reste, je vous renvoie au communiqué simple et clair de la Présidence de la République relatif au budget de l'Elysée daté du 19 novembre 2004, que vous avez sans doute lu.

M. René Dosière - Il est incomplet et inexact. Et pourquoi le rapporteur spécial n'a-t-il pas obtenu de réponses à ses questionnaires ?

M. Guy Geoffroy - Cette discussion me rappelle celle du 4 octobre dernier alors que, au moment de voter la loi de règlement pour 2004, vous repreniez votre antienne, Monsieur Dosière, et que le ministre délégué affirmait qu'il était prêt à aller plus loin, à aller jusqu'au bout, c'est-à-dire à tenir compte de l'ensemble des institutions, et ceci, dans le respect de la séparation des pouvoirs. Il faudrait que M. Dosière cesse de faire gonfler ce soufflé.

M. René Dosière - Il suffit d'accroître la transparence.

M. Guy Geoffroy - Nous n'avons pas attendu vos objurgations ...

M. le Rapporteur spécial - C'est un peu exagéré.

M. Guy Geoffroy - ...pour le faire : c'est le Président de la République et la majorité qui ont permis d'avancer.

Le groupe UMP votera donc le budget de ces missions sans aucune hésitation. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement - Vous avez souhaité, avec la LOLF, examiner au cours du même débat deux missions du PLF pour 2006, la mission « pouvoirs publics » et la mission « conseil et contrôle de l'Etat ». Cet exercice n'est pas sans logique dès lors que ces deux missions regroupent chacune des institutions très spécifiques. Chacune regroupe en outre des crédits qui, dans la présentation antérieure à la LOLF, étaient dispersés au sein du budget de l'Etat. Pour le reste, ces deux missions doivent être distinguées.

La mission « pouvoirs publics », qui regroupe la plupart des organes constitutionnels de la République, bénéficie à ce titre d'une dérogation au droit commun établi par la LOLF. Ses dotations sont dispensées à la fois des contraintes de performances et de régulation budgétaire. La mission « conseil et contrôle de l'Etat » regroupe quant à elle, à côté du programme du Conseil économique et social, les programmes du Conseil d'Etat et de la Cour des comptes. Ces programmes sont soumis au même régime que ceux du budget général en terme de performances mais ils seront exemptés de l'obligation de mise en réserve et bénéficieront de modalités allégées de contrôle financier.

J'évoquerai tout d'abord la mission « pouvoirs publics », non pour commenter les dotations des assemblées, du Conseil constitutionnel ou de la Cour de Justice, car le principe de la séparation des pouvoirs et de l'autonomie reconnue aux dotations de cette mission s'y oppose - mais pour réagir aux propos de M. le rapporteur et, plus encore, de M. Dosière concernant le budget de la Présidence de la République. Je déplore leur caractère polémique et partisan.

M. René Dosière - Vous écoutez mal.

M. le Ministre délégué - La Présidence de la République n'est pas un service de l'Etat comme les autres. Le Conseil constitutionnel avait d'ailleurs indiqué dans ses réserves d'interprétation concernant l'article 115 du PLF pour 2002 créant le document d'information budgétaire que « ces dispositions ne sauraient être interprétées comme faisant obstacle à la règle selon laquelle les pouvoirs publics constitutionnels déterminent eux-mêmes les crédits nécessaires à leur fonctionnement ; que cette règle est inhérente au principe de leur autonomie financière, qui garantit la séparation des pouvoirs. » Comme l'a dit M. Copé le 4 octobre dernier, il est possible de réfléchir à une meilleure information du Parlement sur le budget de l'ensemble des pouvoirs publics constitutionnels. M. le rapporteur n'a pas fait allusion à ses propos, pas plus que vous, Monsieur Dosière, mais je le confirme : le Gouvernement est prêt à engager cette réflexion.

M. René Dosière - Allons-y !

M. le Ministre délégué - Je vous rappelle en outre que les questionnaires parlementaires doivent être adressés au Gouvernement et non directement à la Présidence de la République.

M. le Rapporteur spécial - C'est ce qui a été fait.

M. le Ministre délégué - De nombreuses réponses ont déjà été apportées depuis 1995 quant à l'évolution du budget de la Présidence de la République. Outre les éléments que vous avez rapportés vous-même, il y a des explications qui ne constituent en rien de « pures hypothèses ». Un souci de clarté et de transparence a en effet conduit à inscrire dans le budget de la Présidence des charges qui étaient autrefois assumées par divers organismes publics : paiement des télécommunications, affranchissement du courrier, remplacement des appelés du contingent par des contractuels, dépenses de fonctionnement courant assurées précédemment par le ministère de la culture. Quelques dépenses supplémentaires ont été également prévues pour le fonctionnement du conseil de sécurité intérieure ou pour des investissements de modernisation. Certains ministères fournissent en outre des moyens à la Présidence de la République, conformément à une tradition constante depuis la IIIe République.

M. René Dosière - Lesquels ?

M. le Ministre délégué - C'est le cas pour les déplacements du chef de l'Etat et pour les personnels car il n'y a jamais eu de corps de fonctionnaires propres à l'Elysée : les personnels de la Présidence sont, en grande majorité, des fonctionnaires mis à disposition par les différents ministères et payés par ceux-ci.

M. René Dosière - La Présidence de la IIIe République n'a rien à voir avec celle de la Ve.

M. le Ministre délégué - Le budget pour 2006 se caractérise par une stabilité totale, la dotation augmentant de 1,77 %, ce qui est légèrement inférieur à l'évolution générale du budget de l'Etat en fonction de la hausse des prix. Il se caractérise également par un effort de bonne gestion qui doit naturellement s'appliquer aux services de l'Elysée comme à tous les services de l'Etat. Un effort particulier d'économie a été accompli dans le fonctionnement qui permet de financer des dépenses inéluctables d'équipement et de travaux sans majoration de la dotation.

En ce qui concerne le programme « cour des comptes et autres juridictions financières », cette fois dans la mission « conseil et contrôle de l'Etat », l'article 58 de la LOLF confie à la Cour des comptes deux nouvelles missions d'assistance au Parlement. Il s'agit d'une part du « dépôt d'un rapport conjoint au dépôt du projet de loi de règlement, relatif aux résultats de l'exécution de l'exercice antérieur et aux comptes associés, qui, en particulier, analyse par mission et par programme l'exécution des crédits » ; d'autre part, de « la certification de la régularité, de la sincérité et de la fidélité des comptes de l'Etat. Cette certification est annexée au projet de loi de règlement et accompagnée du compte rendu des vérifications opérées ». Le nouveau statut conféré par la LOLF à la loi de règlement, qui devient un texte législatif de première importance, ainsi que la nouvelle mission de certification des comptes de l'Etat par la Cour des comptes nécessitent une totale indépendance pour que la Cour puisse jouer son rôle d'assistance du Parlement et du Gouvernement. C'est d'ailleurs ce qu'a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 25 juillet 2001 en relevant qu'« il appartiendra aux autorités compétentes de la Cour des comptes de faire en sorte que l'équilibre voulu par le Constituant ne soit pas faussé au détriment de l'un de ces deux pouvoirs ». Le programme « cour des comptes et autres juridictions financières » s'inscrit ainsi dans une démarche stratégique engagée dès 2002 qui vise à améliorer la gestion publique, à affirmer l'identité professionnelle des juridictions financières et à garantir la qualité de leurs travaux, à rendre l'institution plus transparente pour les contrôles et le public, et, enfin, à mieux intégrer l'action européenne et internationale.

L'indépendance budgétaire de la Cour des comptes se traduira aussi par des procédures allégées en matière d'exécution des dépenses. Conformément à la réforme engagée en matière de contrôle financier, un projet d'arrêté prévoit un allègement substantiel des contrôles a priori. Par ailleurs, la Cour des comptes ne pourra plus être concernée par les mises en réserve de crédits que peut décider le Gouvernement.

Le programme « cour des comptes et autres juridictions financières » reflète le développement des nouvelles missions de ces juridictions, dont notamment la certification des comptes. Plus des trois quarts des moyens des juridictions financières sont ainsi consacrés aux missions de contrôle, de conseil et d'expertise. Ensuite, 88 % des crédits du programme sont relatifs à des dépenses de personnel. Enfin, il retranscrit la totalité des moyens en personnel affectés aux juridictions financières. Pour la première fois, il prend en compte les 401 agents mis à disposition par le ministère de l'économie et des finances et les cotisations employeurs au titre des personnels civils de l'Etat. Parmi les mesures nouvelles, on relève, dans les crédits de personnel, environ deux millions pour la revalorisation du point fonction publique et du GVT et un million pour des revalorisations diverses et, dans les crédits de fonctionnement, un million consacré à la préparation des cérémonies du bicentenaire de la Cour des comptes.

Le Conseil d'Etat et les autres juridictions administratives font l'objet d'un programme spécifique. Le Conseil d'Etat a en effet demandé son rattachement à la mission commune « conseil et contrôle de l'Etat » afin de préserver son indépendance et cette présentation, Monsieur Geoffroy, est tout à fait fondée. L'application pure et simple de la LOLF aurait fait du Conseil d'Etat et des autres juridictions un simple programme de la mission « justice ». Or, le Conseil d'Etat a toujours eu la maîtrise de son budget. Par ailleurs, il paraît naturel que le Conseil d'Etat participe à la mission « conseil et contrôle de l'Etat ». Dans la logique de la LOLF, il faut identifier la fonction particulière de contrôle de l'exécutif. Or, la justice administrative exerce une fonction consultative envers le pouvoir exécutif en même temps qu'elle le contrôle, alors que la justice judiciaire n'exerce aucune de ces missions. Certes, le rôle consultatif des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel est pour l'instant limité, mais ils sont gérés par le Conseil d'Etat et doivent donc faire partie du même programme. Ce rattachement ne modifiera en rien le contrôle qui doit s'exercer sur les juridictions administratives, dont notamment le contrôle parlementaire, et ne les exonérera pas de la recherche de la performance indispensable pour rendre le service qu'est en droit d'attendre le justiciable.

La justice administrative est confrontée à la difficulté majeure des délais de jugement. La loi d'orientation et de programmation a fixé comme objectif de ramener à un an fin 2007 les délais devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel. L'explosion du contentieux rend cet objectif très difficile à tenir. En 2004, le nombre d'entrées devant les tribunaux administratifs a augmenté de 16 %, et de 22 % devant le Conseil d'Etat, alors que la loi d'orientation tablait sur 5 % ! Le Conseil d'Etat a donc dû revoir ses objectifs pour 2006 et 2007 : les délais doivent rester d'un an devant le Conseil d'Etat, mais sont portés à 13 et 18 mois respectivement pour les cours et les tribunaux administratifs.

Le Conseil d'Etat a fait d'importants efforts pour utiliser au mieux les deniers publics. Il a notamment conclu des contrats d'objectifs et de moyens avec les cours administratives d'appel, en 2002, qui ont eu des résultats spectaculaires : les délais de jugement ont été réduits d'environ un an et le taux de sorties par rapport aux entrées a atteint 142 % en 2004. Une politique de gains de productivité a été menée, avec des indicateurs de productivité, y compris pour les membres du Conseil d'Etat, et le renforcement de la modulation des primes au mérite. Le Conseil d'Etat mène une politique de maîtrise des frais de Justice. Il s'est lancé dans l'expérimentation des téléprocédures pour l'échange des mémoires entre juridictions et parties, dont un bilan va être tiré.

Le budget du Conseil d'Etat n'est pas aussi favorable qu'il le paraît au premier abord. Les créations d'emplois sont très limitées, malgré l'ouverture d'un nouveau tribunal administratif à Nîmes au 1er septembre 2006. La hausse des crédits de fonctionnement correspond pour partie à celle des frais de justice, qui sont directement corrélés à l'évolution du contentieux et représentent pour 90 % des frais d'affranchissement. Cette dotation, qui était déficitaire depuis des années, doit en application de la LOLF devenir limitative. Le Conseil d'Etat a donc obtenu sa réévaluation au niveau de la consommation réelle. Les crédits du Conseil économique et social pour 2006 s'élèvent à 35,501 millions. Leur progression vise uniquement à couvrir l'augmentation de la valeur du point de la fonction publique et le paiement des charges patronales pour pension des personnels, qui relevaient jusqu'alors du budget des charges communes. Pour ce qui concerne les objectifs et indicateurs de cette mission, le Gouvernement sera attentif aux observations du Parlement. Il convient toutefois de souligner la difficulté technique qui se pose pour définir les indicateurs de performance des activités de conseil. Plusieurs objectifs ont néanmoins été fixés en matière de pilotage de la performance, et nous serons attentifs à toute suggestion susceptible de les améliorer. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

QUESTIONS

M. Michel Vaxès - La Cour des comptes est un organe juridictionnel de première importance, garant du bon usage des deniers publics. Son rôle de contrôle dans le cadre de la LOLF, relevant à la fois du commissaire aux comptes et de la société d'audit, lui confère une dimension nouvelle. Ses rapports témoignent d'une relative prise de distance vis-à-vis de l'exécutif et, militant pour une indépendance renforcée, son président a obtenu son autonomie financière. Que recouvre concrètement cette formule ? Ainsi que l'ont souligné deux députés de votre majorité, la Cour des comptes a une mission d'assistance au Parlement et la démocratie impose que le contrôleur soit parfois contrôlé !

En ce sens, le projet de performance qui nous est présenté ne répond pas à toutes nos interrogations. Quel est l'impact, par exemple, du maintien au-delà de 65 ans d'une catégorie de hauts fonctionnaires dont le coût moyen annuel pour l'Etat est de 133 976 euros ? Un rapport de la Cour elle-même sur les retraites des fonctionnaires, publié au moment de la réforme de M. Fillon, prônait la plus grande rigueur dans la gestion des pensions des agents de l'administration ! Par ailleurs, la représentation nationale peut-elle obtenir un bilan détaillé des détachements et mises en disponibilité de magistrats ? L'interrogation est d'autant plus légitime que la Cour, dans un autre rapport, s'est plue à recenser le nombre d'enseignants qui n'enseignent pas...

M. le Président - Monsieur Vaxès, veuillez conclure.

M. Michel Vaxès - ...agrégeant des heures en équivalent temps pleins pour faire apparaître, plutôt qu'un manque de postes, une prétendue mauvaise gestion des effectifs.

M. le Ministre délégué - En ce qui concerne l'autonomie financière de la Cour, la LOLF lui a confié deux nouvelles missions d'assistance au Parlement qu'elle doit remplir en veillant à rester à équidistance entre le Parlement et le Gouvernement, ainsi que l'avait déjà dit le Conseil constitutionnel dans sa décision du 25 juillet 2001.

Quant aux positions administratives des magistrats, je voudrais insister sur le fait que la transparence sur les activités de la Cour est exemplaire. Chaque année, un fascicule détaille l'ensemble des activités des juridictions financières. Des tableaux détaillés retracent l'évolution des effectifs et leurs coûts, avec des indications précises sur les primes versées. Reconnaissez que c'est assez rare ! Environ 40 % des magistrats de la Cour et 20 % des magistrats des chambres régionales des comptes exercent des fonctions à l'extérieur. Ils sont placés dans la position administrative qui convient le mieux à leur situation et à leur établissement d'accueil, conformément au statut général de la fonction publique. De l'ensemble des magistrats de la Cour et des chambres régionales des comptes, 478 sont en position d'activité dans les juridictions et 171 sont en détachement, soit en administration centrale soit dans un établissement public. Cette position permet de développer une double carrière et peut durer de un à cinq ans renouvelables.

12 sont mis à disposition, la Cour continuant à les rémunérer. Cette position est en général réservée aux fonctions exercées dans les cabinets ministériels. 60 magistrats sont en disponibilité pour convenances personnelles ou pour exercer des activités dans le secteur privé. Dans ce cas, la carrière est interrompue. Enfin, 8 magistrats sont placés en position hors cadre pour exercer des fonctions dans le secteur public. Leur carrière est également interrompue dans ce cas. Cette position est parfois plus avantageuse que le détachement.

Conseil et contrôle de l'Etat

ÉTAT B

M. René Dosière - Mon amendement 614, qui tend à diminuer de 230 000 euros les crédits du Conseil d'Etat, est en quelque sorte une application pratique de la LOLF. En effet, en réponse à une de mes questions écrites, le ministre de la Justice m'a indiqué qu'il y avait un certain nombre de magistrats du Conseil d'Etat mis à disposition de la Présidence de la République, pour cette somme-là. Or, la Présidence de la République dispose de son propre budget. Par conséquent, il conviendrait que cette dépense du Conseil d'Etat figure plutôt dans le budget de la Présidence de la République. En tant que parlementaire, je ne peux pas proposer moi-même le transfert d'une mission à l'autre mais seulement la diminution de crédits au sein de la présente mission, en suggérant au Gouvernement de les « virer » à la mission « pouvoirs publics ».

Ma proposition est dans la logique de ce nous expliquait le ministre de l'Education lundi soir : il supprime les mises à disposition d'enseignants dans les associations périscolaires pour les remplacer par une subvention versée aux associations.

M. le Rapporteur spécial - La commission n'a pas examiné cet amendement. A titre personnel, je n'y suis pas hostile, car il est cohérent avec les développements de mon rapport. Mais il est partiel et il semble montrer du doigt le Conseil d'Etat, alors que c'est la Présidence qui, en l'espèce, manque à l'exigence de transparence. Et, comme le souligne M. Dosière, les parlementaires n'ont pas la possibilité de transférer les crédits d'une mission à l'autre.

M. le Ministre délégué - Nous sommes là dans le cadre de l'idée fixe de M. Dosière. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

L'amendement 614, mis aux voix, n'est pas adopté.

Les crédits de la mission « conseil et contrôle de l'Etat », mis aux voix, sont adoptés.

APRÈS L'ART. 75

M. le Ministre délégué - Par l'amendement 652, le Gouvernement propose d'adapter le dispositif de l'indemnité mensuelle de technicité, instituée par l'article 126 de la loi de finances pour 1990, à la nouvelle structure budgétaire liée à la LOLF et à l'autonomie nouvelle des juridictions financières.

Cette indemnité, qui est identique pour tous les agents du ministère de l'économie et des finances, bénéficie également, jusqu'à présent, aux magistrats et personnels des juridictions financières, au titre du rattachement de celles-ci au ministère des finances. Celles-ci ayant pris leur autonomie par rapport au ministère, il convient de préciser expressément que les magistrats et agents des juridictions financières peuvent continuer à percevoir l'IMT.

M. le Rapporteur spécial - La commission n'a pas examiné cet amendement, mais je tiens à dire publiquement que je sais gré au premier Président Philippe Séguin d'avoir personnellement averti en amont le rapporteur de l'importance de cet amendement, qui aurait mérité d'être examiné avant son arrivée en séance. Cela étant, je ne vois pas de raison d'émettre un avis défavorable. Permettez-moi seulement de noter, sans malice, que cet amendement est rendu nécessaire par le fait que la Cour des Comptes, qui souhaitait s'émanciper du ministère des finances, n'avait peut-être pas pleinement mesuré tout ce qu'il lui en coûterait.

Pourrions-nous au moins avoir une idée du coût global de cet amendement ?

M. le Président - L'émancipation a un coût...

M. le Ministre délégué - Epsilon.

M. René Dosière - Un gros epsilon, alors !

L'amendement 652, mis aux voix, est adopté.

Pouvoirs publics

ÉTAT B

M. René Dosière - Le Conseil Constitutionnel, qui fait la plus grande transparence sur son budget, ce dont je me réjouis, car cela montre que l'autonomie peut se conjuguer avec la transparence, nous dit que ses dépenses se sont accrues du fait de l'arrivée d'un nouveau membre rémunéré à temps plein. Compte tenu de l'absence dudit membre lors des réunions du Conseil, il serait judicieux et de bonne gestion des deniers publics que la somme afférente soit soustraite du budget du Conseil. Tel est l'objet de mon amendement 615, qui pourrait amener le Conseil Constitutionnel à réfléchir sur le statut et la rémunération des membres de droit.

Mon amendement 616 tend, lui, à augmenter les crédits de la Présidence de la République. Je me suis en effet aperçu que le Président de la République est le seul personnage public dont la rémunération ne soit pas fixée par la loi. C'est lui-même qui la fixe. Or, elle est deux fois inférieure à celle d'un secrétaire d'Etat, ce qui, à l'évidence, n'est pas assez. Je propose donc d'augmenter la dotation du programme « Présidence de la République » par transfert de la somme qui serait soustraite du budget du Conseil constitutionnel. Ce transfert est possible dans le cadre de la LOLF, puisqu'il se ferait au sein d'une même mission.

M. le Rapporteur spécial - Ces amendements n'ont pas été examinés, mais à titre personnel, je partage l'analyse de M. Dosière. Cela étant, j'ai dit en début de séance que nous pouvions nous donner un an pour voir comment évoluaient les choses pas encore tout à fait au point.

Le Conseil Constitutionnel nous a dûment informés, en toute transparence, de la situation exposée par M. Dosière. Je pense qu'il peut y remédier lui-même. Nos questions, parfois un peu vives, peuvent l'y aider. Une réduction de crédits risquerait de crisper les choses, alors que l'affaire requiert sans doute une bonne dose de diplomatie.

Pour ce qui est du second amendement, je reconnais l'incongruité qu'il y a à laisser le Président de la République fixer lui-même son propre traitement en puisant lui-même dans sa cassette...

M. le Ministre délégué - Le Président n'a pas de cassette.

M. le Rapporteur spécial - L'image est mauvaise, c'est vrai. Quoi qu'il en soit, je ne suis pas certain qu'il serait bon d'afficher une augmentation des crédits de la Présidence de la République spécifiquement destinée au chef de l'Etat.

M. Richard Cazenave - Très émouvant !

M. le Ministre délégué - Les digressions de M. Dosière sont aussi nébuleuses que contradictoires. Par conséquent, le Gouvernement ne peut être que défavorable à ses amendements.

M. René Dosière - Cela n'avait rien de nébuleux. Tout le monde a compris.

M. Guy Geoffroy - Je veux dire toute l'émotion que nous éprouvons sur ces bancs en entendant le plaidoyer vibrant de nos collègues socialistes en faveur de la Présidence de la République, mais il serait plus crédible si M. Dosière, au lieu d'être aveuglé par sa volonté de nuire, allait jusqu'au bout de sa logique en proposant d'inscrire au budget de la Présidence de la République les 230 000 euros qu'il voulait tout à l'heure enlever au budget du Conseil d'Etat au motif que cette somme correspondait à des personnels dudit Conseil mis à disposition de la Présidence.

M. René Dosière - Si je ne l'ai pas fait, c'est que la LOLF ne permet pas aux parlementaires de transférer des crédits d'une mission à l'autre, mais seulement au sein d'une même mission. J'ai toutefois suggéré au Gouvernement de procéder à ce transfert.

Je suis tout à fait partisan de l'application de la LOLF aux crédits des pouvoirs publics.

L'amendement 615, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l'amendement 616.

M. le Président - Depuis quand cette rémunération est-elle fixée par le Président de la République lui-même ?

M. René Dosière - Selon le Premier ministre, c'est traditionnel.

M. le Président - Il en est ainsi depuis la IIIe République...

M. René Dosière - Le Président a pourtant un rôle bien différent sous la Ve République !

M. le Président - ...après 1914, car les lois constitutionnelles de 1875 donnent au président de nombreux pouvoirs. Ce n'est donc pas une règle nouvelle. Il me semble même que c'est le Parlement qui, sans rentrer dans le détail, fixait la rémunération du Président Louis-Napoléon Bonaparte.

M. René Dosière - Ce qui provoqua quelques conflits...

M. le Président - Pas pour longtemps, puisqu'il n'y avait déjà plus de président en 1851 !

Les crédits de la mission, mis aux voix, sont adoptés.

APRÈS L'ART. 80

M. René Dosière - Il y a deux ans, l'Assemblée nationale a souhaité que la présentation des crédits des pouvoirs publics soit assortie d'une annexe explicative, dite « jaune ». Si le Conseil constitutionnel et les assemblées parlementaires fournissent de nombreuses explications détaillées, la présidence, elle, n'en donne pas. Sans remettre en cause son autonomie financière, l'amendement 601 vise à lui imposer la même transparence.

M. le Rapporteur spécial - La commission n'a pas examiné cet amendement, mais j'y suis favorable à titre personnel. J'ai déjà plusieurs fois proposé ce « jaune », par souci de transparence. J'espère que la Présidence de la République ne restera pas sourde au souhait respectueux de l'Assemblée de disposer d'informations élémentaires sur l'utilisation des deniers publics par le chef de l'Etat et ses services.

M. le Ministre délégué - Avis défavorable. Je renvoie M. Dosière à la décision du Conseil constitutionnel du 27 décembre 2001.

L'amendement 601, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président - Nous avons terminé l'examen des crédits relatifs au conseil et contrôle de l'Etat et aux pouvoirs publics.

La séance, suspendue à 10 heures 50 est reprise à 11 heures 5.

OUTRE MER

M. le Président - Nous abordons l'examen des crédits relatifs à l'outre-mer.

M. Alain Rodet, rapporteur spécial de la commission des finances - Au moment où nous abordons l'examen des crédits de l'outre-mer pour 2006, nous revient en mémoire la tragédie qui a frappé les Antilles le 16 août dernier : 152 de nos compatriotes martiniquais périssaient alors dans un terrible accident d'avion survenu au Venezuela. L'hommage national rendu aux victimes de cette catastrophe aérienne témoigne de l'attachement de la France de l'outre-mer.

La présentation des crédits de l'outre-mer est marquée cette année par le regroupement, conformément aux règles posées dans la LOLF, des fascicules des DOM et des TOM, au sein d'une unique mission « outre-mer ». Je profite de l'occasion pour remercier à cet égard Victor Brial, élu de Wallis-et-Futuna qui, jusqu'à l'an dernier, rapportait les crédits des TOM et qui nous a encore fait profiter de son expérience lors de l'examen des crédits en commission, le 25 octobre dernier, et cette nuit aussi en prenant la parole sur plusieurs dispositions fiscales intéressant l'outre-mer.

Le budget de l'outre-mer s'élèvera à 1 898 millions en 2006, contre 1 706 millions en 2005. Cela étant, la présentation en programmes rend difficile les comparaisons, d'autant que ce budget inclura en 2006 deux nouveaux types de dotation - 151 millions provenant du budget des charges communes, au titre de l'aide à la reconversion de l'économie polynésienne, et 57,27 millions provenant du budget de la santé, au titre des prestations de sécurité sociale. On peut toutefois estimer qu'à périmètre constant, les dotations - 1 690 millions - reculent de 0,9 %.

Mais le budget du ministère ne retrace qu'une partie de l'effort financier de la nation pour l'outre-mer. Tous les ministères, en effet, participent à la mise en œuvre de la politique de l'Etat dans les départements et territoires ultramarins, pour un total de quelque 11 milliards.

Si du fait de sa situation géographique, l'outre-mer a pu bénéficier de la bonne tenue de la croissance mondiale, l'importance des besoins et la réalité des retards n'autorisent aucun relâchement des efforts.

La mission « outre-mer » comporte désormais trois grands programmes : emploi, conditions de vie et valorisation.

Le programme « emploi outre-mer », d'un montant de 1 109 millions d'euros, représente 58 % des crédits de la mission. Les exonérations de cotisations sociales y comptent pour plus de 700 millions, les contributions du FEDOM pour 400 millions ; 12,3 millions sont affectés au « projet initiative jeune », 19,6 millions au service militaire adapté, 8,9 millions à l'équipement et aux infrastructures, et 8,17 millions à l'Agence nationale pour l'insertion et la promotion des travailleurs d'outre-mer, au titre de ses charges de service public.

Plus de 200 000 salariés de l'outre-mer ont été concernés par les exonérations de cotisations sociales en 2004.

Le contrat d'accès à l'emploi comprend deux volets, l'un pour le secteur marchand - environ 4 millions -, l'autre pour le secteur non marchand - il entrera en vigueur le 1er janvier 2006. Doté de 28,16 millions d'euros, il remplacera les contrats emploi consolidé - CEC - et les contrats emploi solidarité - CES. Cela étant, les CEC et les CES en cours sont dotés, respectivement, de 29,76 et 18,56 millions.

Le soutien à l'emploi des jeunes diplômés bénéficiera de 1,22 million et les dotations de l'allocation de retour à l'activité, destinées aux bénéficiaires de minima sociaux, atteindront 5,8 millions.

Les chantiers de développement local seront financés à hauteur de 7,98 millions. Grâce aux aides à la qualification professionnelle, 7,15 millions seront consacrés au volet « mobilité » du « projet initiative jeune » et 6,1 millions au financement de programmes de formation professionnelle.

Pour ce qui est du programme « conditions de vie outre-mer », les crédits de paiement en faveur du logement se stabilisent autour de 173 millions. Le problème du logement reste délicat car, outre que l'exécution des crédits n'est pas satisfaisante, les besoins dépassent largement les dotations prévues, en raison de la densité démographique très forte sur certains territoires, et il reste beaucoup à faire pour résoudre la question foncière.

Par ailleurs, 93,6 millions sont prévus au titre de l'aménagement du territoire, et 52,6 millions au titre de la continuité territoriale. Enfin, 16,8 millions devraient financer le passeport mobilité.

Deux dotations précédemment inscrites au budget de la santé figureront dans ce programme : elles sont destinées à des allocations aus personnes âgées pour Wallis-et-Futuna - soit 230 000 euros - et à des dispositifs de protection sociale pour la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie, Mayotte et Wallis-et-Futuna - 31,1 millions.

30,9 millions seront affectés au financement de la majoration du plafond de la CMU complémentaire, 3 millions aux activités culturelles, sociales et de jeunesse tandis que les dotations des services de santé à certaine collectivités seront de 25,3 millions.

Le programme « valorisation de l'outre-mer » regroupe pour 75 % les dotations versées aux collectivités locales et la question se pose à nouveau de la gestion du FIDOM et de la difficulté d'effectuer des comparaisons d'une année sur l'autre.

Pour Mayotte, un peu plus de 14 millions financeront divers équipements communaux ainsi que la réforme de l'état civil. En Polynésie française, le fonds intercommunal de péréquation sera doté de 8,4 millions et la dotation globale de développement économique sera stable, à 151 millions.

Enfin, les collectivités de Wallis-et-Futuna et des Terres australes et antarctiques bénéficient chacune d'une subvention d'équilibre d'environ 5 millions.

En ce qui concerne la dépense fiscale outre-mer, la durée de validité du dispositif de défiscalisation a été portée de 5 à 15 ans, soit jusqu'au 31 décembre 2017. Par ailleurs, l'éligibilité des investissements à la défiscalisation est devenue la règle quasi générale.

S'agissant des concours communautaires, les quatre DOM sont éligibles à l'objectif 1 de la politique structurelle. Les crédits pour la période 2000-2006 représentent 7,28 milliards, dont 2,88 milliards pour la Réunion, 2 milliards pour la Guadeloupe, 1,68 milliard pour la Martinique et 730 millions pour la Guyane.

L'efficacité de l'effort financier fourni par la France pour ses départements et territoires ultramarins doit faire l'objet d'une véritable politique d'évaluation. La tâche n'est pas aisée en raison de l'accumulation des textes législatifs - loi d'orientation puis loi de programme -, des changements de périmètres successifs du budget et de la mise en œuvre de la LOLF. D'autre part, la multiplication des cibles et des procédures, notamment dans le domaine de l'emploi, alourdit la gestion des crédits. Par conséquent, lors de l'examen de cette mission en commission le 25 octobre dernier, plusieurs députés ont souhaité que cette évaluation concerne en priorité les dispositions d'exonération des cotisations patronales de sécurité sociale, tout en sachant que les dispositions des articles 61 et 73 de ce budget ne faciliteraient pas la tâche.

A l'issue de la discussion, je m'en étais remis à la sagesse de la commission et ces crédits ont été adoptés à la majorité.

M. Joël Beaugendre, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - Avec l'application pleine et entière de la LOLF cette année, les crédits autrefois inscrits au budget du ministère de l'outre-mer font désormais l'objet d'une mission se décomposant en trois programmes : « emploi outre-mer », « conditions de vie outre-mer », « intégration et valorisation de l'outre-mer ».

Les crédits de paiement de cette mission s'élèvent à près de 1,9 milliard, contre 1,7 en 2005. Depuis quelques années, le ministère de l'outre-mer a été conforté dans son rôle de pilote des politiques publiques hors métropole. En 2004, 668 millions lui ont encore été transférés en provenance du ministère de l'emploi afin de compenser les exonérations de cotisations patronales de sécurité sociale. Ce mouvement se poursuit cette année avec un transfert de 151 millions de crédits de paiement en faveur de la dotation globale de développement économique de la Polynésie française, inscrits jusque là au budget des charges communes, et de 57 millions d'euros finançant diverses actions de santé et de protection sociale spécifiques à l'outre-mer, gérés jusqu'alors par le ministère de la santé.

Au demeurant, l'effort budgétaire total en faveur de l'outre-mer, tous ministères confondus, atteint 11 milliards en 2006, soit une hausse de 10 % par rapport à 2005. Afin de garantir la lisibilité de l'action publique outre-mer, un document de politique transversale, largement perfectible, a été établi. Monsieur le ministre, nous espérons l'an prochain qu'il sera plus exhaustif.

S'agissant de la seule mission « outre-mer », les dépenses d'intervention et d'investissement représentent 88 % des crédits, ce qui atteste de la priorité donnée aux politiques opérationnelles, et spécialement à l'emploi et au logement.

60 % des crédits de la mission sont destinés à l'emploi. Et pour cause : l'enjeu est de taille outre-mer où le taux de chômage est bien supérieur à celui de la métropole. Les dispositifs spécifiques, notamment ceux de la loi de programmation pour l'outre-mer du 21 juillet 2003, produisent des résultats positifs : fin juillet 2005, le taux de chômage dans les DOM avait diminué de 3,2 % par rapport à l'année précédente, contre seulement 0,8 % en métropole. La politique de l'emploi outre-mer repose sur deux piliers : une action structurelle sur le marché du travail afin de créer des conditions favorables à la création d'emplois dans le secteur marchand, et une action conjoncturelle pour faciliter l'accès ou le retour à l'emploi de publics prioritaires. 687 millions seront ainsi consacrés aux mesures d'allégement du coût du travail et à celles destinées à favoriser le dialogue social, tandis que 421,6 millions financeront les mesures d'insertion et les aides directes à l'emploi, en particulier le service militaire adapté, le SMA. Celui-ci permet aux jeunes ultramarins, particulièrement à ceux qui sont en situation d'échec scolaire, de recevoir une formation professionnelle dans un cadre militaire. Les résultats extrêmement positifs du SMA, avec un taux d'insertion des jeunes volontaires de près de 70 % en 2004, ont conduit le Gouvernement à annoncer son extension en métropole. Au regard des tensions que nous connaissons depuis ces quinze derniers jours, cette décision revêt une dimension symbolique importante car elle consiste à s'inspirer des expériences innovantes et des réussites de l'outre-mer au bénéfice de l'ensemble de la communauté nationale.

M. François Baroin, ministre de l'outre-mer - Très bien !

M. Joël Beaugendre, rapporteur pour avis - La deuxième priorité va au logement. L'outre-mer est confrontée à des contraintes spécifiques, dont la rareté du foncier, une croissance démographique quatre fois plus élevée qu'en métropole et le bas niveau du revenu moyen. Depuis 1994, l'effort consenti pour la construction et l'amélioration des logements a permis chaque année de programmer la réalisation de 11 000 à 12 000 unités nouvelles ou réhabilitées dans les DOM et à Mayotte. Cet effort sera stabilisé en 2006, à 173 millions d'euros.

Quant aux mécanismes tendant à favoriser la mobilité des ultramarins, 52,57 millions leur sont consacrés, dont 31 pour la dotation de continuité territoriale créée par la loi de programme pour l'outre-mer. Cette dernière permet aux collectivités d'accorder à leurs résidents une aide forfaitaire pour un voyage annuel, aller-retour, entre l'outre-mer et la métropole. Elle sera financée pour 30 millions d'euros par une partie du produit de la taxe d'aviation civile. La rapporteure pour avis des crédits du transport aérien s'est émue de ce que ces dépenses de solidarité nationale pèsent uniquement sur les compagnies aériennes. J'estime, au contraire, qu'il n'est pas illégitime de mettre à contribution ces compagnies, compte tenu des tarifs qu'elles pratiquent sur les vols à destination de l'outre-mer.

Outre cette dotation, il existe des dispositifs spécifiques aux jeunes : le « passeport mobilité », qui a concerné plus de 15 000 jeunes en 2004, assorti du « passeport logement » visant à faciliter, comme son nom l'indique, l'accès au logement.

A propos de ces questions de transport, je souhaiterais, Monsieur le ministre, un état des lieux quant aux obligations de service public auxquelles sont soumises les compagnies aériennes assurant les liaisons avec la métropole.

Indépendamment de ces aspects strictement budgétaires, il me parait essentiel d'attirer l'attention de l'Assemblée sur des problèmes qui, outre-mer, appellent des solutions spécifiques.

Tout d'abord, l'immigration clandestine. Les collectivités ultramarines constituent souvent des enclaves de prospérité relative dans leur environnement. Pour autant, elles ne jouissent que d'un équilibre économique et social fragile et une immigration massive et incontrôlée serait pour elles source de déstabilisation. Par ailleurs, cette immigration, exploitée par des réseaux criminels, est à l'origine de nombreux drames humains. Mayotte est tout particulièrement exposée.

M. Mansour Kamardine - Très juste !

M. Joël Beaugendre, rapporteur pour avis - On estime à près de 30 % la part des étrangers en situation irrégulière dans le total de la population mahoraise. Devant cette situation exceptionnelle, la commission des lois a décidé la création d'une mission d'information, afin d'apprécier l'efficacité des dispositifs actuels et de proposer leur adaptation. Cette démarche va dans le bon sens mais il faudrait également se pencher sur les cas de la Guadeloupe et de la Guyane confrontées à des difficultés comparables. J'avais d'ailleurs déposé, avec Mme Louis-Carabin, une proposition de loi relative au renforcement du dispositif de contrôle des flux migratoires en Guadeloupe. Si les mesures techniques et opérationnelles présentées au comité interministériel de contrôle de l'immigration du 27 juillet dernier constituent des avancées, il serait bon, le moment venu, d'envisager l'application ailleurs qu'à Mayotte des futures conclusions de la mission d'information.

Nous devons également rester vigilants sur l'avenir des filières banane et sucre, absolument vitales pour la Martinique et la Guadeloupe. Les avancées enregistrées dans la réforme de l'OCM sucre sont notables, même si le montant cumulé des aides laisse apparaître un manque à gagner annuel de 20 millions à partir de 2009. La réforme de l'OCM banane soulève en revanche de vives inquiétudes. Après le rejet d'une première proposition de tarif de la Commission européenne, l'OMC a conclu le 27 octobre que la seconde proposition ne permettait pas de préserver l'accès au marché des fournisseurs latino-américains. Tout est donc à recommencer et l'échéance approche. L'OCM banane a été contestée dès son entrée en vigueur : les recours ont eu pour effet d'augmenter le contingent des pays tiers et d'abaisser le niveau des droits de douane. Ces réformes ont entraîné une baisse des prix et lourdement pénalisé les producteurs antillais, alors même qu'ils font un effort pour valoriser leur production et développer des modes de culture plus respectueux de l'environnement. Monsieur le ministre, je vous sais pleinement mobilisé sur ce sujet, comme votre collègue de l'Agriculture d'ailleurs. Nous sommes prêts à vous soutenir autant que nécessaire.

Enfin, il est un dernier point qui doit être exposé ici, concernant le régime fiscal spécifique destiné à soutenir l'emploi et l'investissement dans les DOM. Vous n'ignorez pas, Monsieur le ministre, l'émoi qu'ont suscité les articles 73 et 61 du projet de loi de finances, plafonnant respectivement les exonérations de cotisations patronales de sécurité sociale et les réductions d'impôt pour les investisseurs outre-mer, dispositions créées ou renforcées dans le cadre de la loi de programme. Or ces mesures spécifiques, que rendent indispensables tant le niveau de chômage que les handicaps structurels de nos économies, doivent bénéficier de la durée. C'est le message que les députés ultramarins ont tenté de transmettre, quelle que soit leur appartenance politique - même les élus de l'opposition ont qualifié ce dispositif d'essentiel, alors qu'ils s'étaient opposés à son adoption en 2003 ! Nous nous réjouissons donc que le Gouvernement nous ait entendus et que l'Assemblée ait adopté son amendement à l'article 61. Nous espérons que l'avis favorable émis par la commission des finances convaincra la majorité de nos collègues de voter de même l'amendement de suppression de l'article 73. Mais ne nous arrêtons pas en si bon chemin : le sous-amendement à l'amendement gouvernemental, voté à notre initiative, permettra aux élus de participer aux travaux d'une commission désignée pour aider le Gouvernement à évaluer ce dispositif.

Compte tenu de ces éléments positifs, j'invite notre assemblée, au nom de la commission des affaires économiques, à voter les crédits de la mission « outre-mer ». (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Didier Quentin, rapporteur pour avis de la commission des lois - La prise en compte des spécificités de l'outre-mer appelle un effort institutionnel, car les lois doivent être adaptées à la vie locale, et un effort budgétaire, car seule la solidarité nationale permet de surmonter les handicaps naturels.

Ces crédits répondent à cette volonté de solidarité en dotant les services de l'Etat des moyens nécessaires pour soutenir le développement économique et social des différentes collectivités. En tenant compte des changements de périmètre, les crédits de paiement apparaissent globalement stables, à 1,9 milliard, tandis que les autorisations d'engagement progressent de près de 12 % pour atteindre 2,27 milliards. La recherche d'une meilleure maîtrise de la dépense publique devrait par ailleurs permettre l'an prochain de stabiliser à 13 800 euros le coût moyen de fonctionnement des services de l'Etat par agent, grâce au non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux, ainsi qu'à l'augmentation modérée de la valeur du point fonction publique.

Ces efforts ne remettront évidemment pas en cause le financement des principaux instruments du développement ultramarin. Ainsi, alors que le programme « emploi outre-mer » représente à lui seul près de 60 % du budget de la mission, les crédits destinés aux mesures d'insertion et aux aides directes à l'emploi progressent de 2,7 % et les moyens consacrés à l'aménagement du territoire et à la continuité territoriale de 12,2 % et 7,6 %, respectivement. L'effort en faveur du logement est pour sa part reconduit. Cette mobilisation budgétaire devrait donc conforter des évolutions encourageantes, comme la diminution de 10,2 % du taux de chômage en deux ans et demi ou l'augmentation du nombre de chômeurs de longue durée bénéficiaires d'un contrat aidé.

Par ailleurs, l'augmentation de près de 10 % de la dotation de continuité territoriale ainsi que la hausse de 53 % des crédits consacrés au « passeport mobilité » devraient permettre d'atténuer les effets économiques de l'éloignement. A cet égard, il me semble important qu'une liaison aérienne directe entre Mayotte et la métropole soit mise en place, ce que les infrastructures au sol permettent désormais.

S'agissant des questions de sécurité et de justice, les efforts du Gouvernement pour faire respecter la loi outre-mer portent leurs fruits. L'indice moyen de criminalité reste moins élevé qu'en métropole et les résultats de la lutte contre l'immigration clandestine et le trafic de produits stupéfiants s'améliorent : depuis 2002, le nombre de reconduites à la frontière augmente chaque année aux Antilles et à Mayotte et les saisies de cocaïne et de crack ont nettement progressé aux Antilles. De fait, la maîtrise des flux migratoires est un enjeu crucial : en Guyane ou à Mayotte, les clandestins représentent près du tiers de la population et les immigrés sont devenus nettement majoritaires à Saint-Martin. Je me félicite donc de la création d'une mission d'information sur l'immigration à Mayotte, mission dont j'ai eu l'honneur d'être désigné comme rapporteur.

En outre, le Gouvernement devra rester vigilant face aux problèmes de blanchiment d'argent, en particulier à Saint-Martin. Il devra également accélérer la mise en œuvre du programme de création de 1 600 places de prison outre-mer, le taux d'occupation étant supérieur à 130 %, et même à 150 % en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte. A cet égard, nous sommes satisfaits de la mise en chantier d'une nouvelle maison d'arrêt de 570 places à la Réunion, attendue depuis longtemps.

Enfin, je saisis cette occasion pour revenir sur l'évolution politique et institutionnelle des départements, des régions et des collectivités d'outre-mer. La loi de décentralisation permet de prendre en compte plus souplement les différentes aspirations des populations d'outre-mer. Certains statuts doivent évoluer, comme celui de Mayotte, pour laquelle on peut envisager une départementalisation en 2010, et ceux de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Wallis et Futuna ou encore des Terres australes et antarctiques françaises.

M. Victor Brial - Très bien !

M. Didier Quentin, rapporteur pour avis - A cet égard, je note que vous vous êtes engagé à présenter l'an prochain au Parlement un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer. Ce texte devrait aussi préciser les conditions dans lesquelles la loi nationale peut être modifiée à l'initiative des DOM, comme le permet l'article 73 de la Constitution. Le législateur national devra toutefois rester libre d'accorder ou non l'habilitation, et veiller à ce qu'il ne soit jamais porté atteinte à une liberté publique ou à un droit constitutionnellement garanti ; il aura enfin la tâche d'évaluer les résultats de l'application des dispositions dérogatoires.

Par ailleurs, le futur projet de loi pourrait procéder, comme l'ont clairement souhaité les populations consultées, à la création de deux nouvelles collectivités d'outre-mer, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin. Il faudra alors veiller à maintenir une architecture institutionnelle suffisamment simple et préciser les modalités de la représentation parlementaire des populations. En cas d'autonomie fiscale accrue, l'Etat devra conserver les moyens de lutter contre le blanchiment d'argent dans ces zones particulièrement exposées.

En revanche, votre rapporteur ne juge pas nécessaire de procéder à court terme à une nouvelle modification des statuts de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française. Ces collectivités, toujours plus autonomes, sont en effet autorisées à voter des « lois du pays » et leurs compétences étendues les autorisent même à conclure des accords internationaux. Leur évolution institutionnelle, qui ne fait pas l'objet d'un consensus, devrait donc être stabilisée. Les modalités de définition du corps électoral calédonien devraient, quant à elles, être clarifiées pour éviter tout malentendu.

Ce budget devrait permettre au Gouvernement d'aider davantage les populations ultramarines à retrouver le chemin de l'emploi, du développement économique et de l'équilibre territorial, le tout en valorisant leurs atouts. Les services de l'Etat seront mobilisés pour garantir à nos compatriotes une sécurité accrue, une immigration maîtrisée et une justice modernisée, tandis que certains statuts juridiquement dépassés seront actualisés. La commission des lois par conséquent a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « outre-mer ». (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Victorin Lurel - Je suis le premier artilleur à ouvrir le feu (Sourires), mais mon intervention sera en fait très modérée. C'est votre premier budget, Monsieur le ministre, et nous avons tous accueilli votre nomination avec un préjugé favorable : vous inspirez confiance.

M. Jean-Christophe Lagarde - Aïe ! (Sourires)

M. Victorin Lurel - Votre républicanisme est inattaquable, même si plus d'un a été effrayé par vos déclarations relatives au droit du sol - mais vous avez précisé en commission des lois, ce matin, le champ d'application de ces propos. Tout l'outre-mer, de plus, a apprécié votre implication personnelle lors du drame qui a touché 152 familles martiniquaises. Je rends d'ailleurs hommage au Président de la République, qui s'est rendu sur place, ainsi qu'à l'ensemble du Gouvernement qui, dans cette affaire, a été remarquable.

L'outre-mer va mal. Hier, des jeunes encagoulés ont dressé des barrages et ont tiré sur la police et les sapeurs-pompiers dans le quartier du Carénage, à Pointe-à-Pitre. L'outre-mer n'est-il pas en train de subir la contagion des violences urbaines ? De graves émeutes ont secoué Wallis-et-Futuna. L'Etat n'a pu encore rétablir l'ordre alors qu'une réflexion urgente doit être engagée pour redéfinir les liens de ce territoire avec la métropole. Des incidents violents ont également frappé la Nouvelle Calédonie, le détonateur étant cette fois la question essentielle du nickel. Sans doute faudra-t-il préciser à ce propos les ambitions de Falconbridge dans le cadre de sa possible fusion avec Inco.

Nous comprenons certes la nécessité de préempter une part importante de l'enveloppe de défiscalisation, mais Bercy bloque les dossiers - la Guadeloupe en sait quelque chose -, notamment en ce qui concerne la réhabilitation et la rénovation hôtelières. Nous défendons tous la loi Girardin, mais nous souhaiterions que ses effets soient plus tangibles.

Que n'ai-je entendu lorsque j'ai pris l'initiative, avec mon collègue Jacques Gillot, président du conseil général de Guadeloupe, d'organiser un congrès des élus départementaux et régionaux sur la question de l'immigration ! Je me suis fait traiter de raciste et je me suis fait « allumer » par les avocats de la Ligue des droits de l'homme ! Après vos déclarations, Monsieur le ministre, nous attendons toujours que des mesures soient prises. M. Sarkozy annoncera bientôt une augmentation du nombre de places du centre de rétention administrative, et c'est très bien, mais nous demandons la construction d'un deuxième centre car nous sommes parfois obligés d'utiliser celui de la Martinique. Nous avons également demandé une révision de la logistique, pas seulement d'un point de vue répressif d'ailleurs, mais on nous a répondu que les radars ne seraient pas adaptés à la géographie guadeloupéenne, ce dont je doute. La région Guadeloupe a fait des propositions à l'Etat, mais l'inertie administrative est grande. Nous attendons de vous, Monsieur le ministre, une nouvelle impulsion.

L'augmentation du prix du gaz à Saint-Pierre-et-Miquelon est dramatique pour les habitants mais aucune aide exceptionnelle n'a été débloquée même si, dès votre arrivée, vous avez octroyé une somme, insuffisante, d'un million.

La filière de la banane connaît quant à elle une situation dramatique. La Commission européenne a proposé un tarif douanier de 180 euros par tonne de bananes importée mais cela est inacceptable, surtout après l'entrée, en franchise de droits, de 775 000 tonnes de bananes en provenance d'Afrique, cheval de Troie de multinationales américaines baptisées latino-américaines.

Il convient également de s'attaquer à la crise du logement. Les collectivités locales sont exsangues. Les communes de Guyane, pour la plupart, ne peuvent ni épargner, ni emprunter, ni donc investir. Sur les 34 communes que compte la Guadeloupe, 16 sont contrôlés par la chambre régionale des comptes. Le gros donneur d'ordre qu'est la région souffre d'un héritage calamiteux, avec un déficit cumulé de 104 millions laissé par Mme Michaux-Chevry. Et le Gouvernement qui prélève 49 millions dans le cadre de la réforme de l'octroi de mer ! Quid, de plus, de la réforme de la taxe professionnelle qui « limite » le prélèvement à 3,5 % de la valeur ajoutée ? Les impôts locaux, en Guadeloupe, rapportent environ 300 millions. Sur cette somme, 151 millions sont affectés aux 34 communes, 102 au département, 9 à la région, 28 à l'Etat, 20 au fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle et 21 aux quatre chambres consulaires. Seulement quatre peuvent aller aux 40 000 entreprises ou établissements que compte la Guadeloupe ! Nous sommes donc obligés d'augmenter les impôts. Selon La Tribune, l'Etat récupèrera en outre 1,67 million sur le travail des Guadeloupéens, et c'est inacceptable. J'ai donc demandé, à travers un amendement, une subvention d'équilibre de 40 millions.

Je ne fais pas mes délices de l'ésotérisme budgétaire et je vous remettrai, Monsieur le ministre, un volumineux dossier à ce sujet. Néanmoins, et nonobstant la LOLF, il est tout de même possible d'établir des comparaisons, à périmètre constant, par rapport au budget précédent. L'an dernier, les crédits de paiement s'élevaient à 1 710 millions. A périmètre constant, ils sont aujourd'hui de 1 692 millions. Vous avez fait votre possible pour les maintenir, Monsieur le ministre, mais sans succès. En 2002, le dernier budget de la gauche pour l'outre-mer s'élevait à 1 600 millions. Il est aujourd'hui de 1 200 millions. En quatre ans, ce budget a donc baissé de 600 millions. Pourquoi, de plus, cette différence abyssale de 200 millions entre les autorisations d'engagement et les crédits de paiement sur le programme « emploi » ? Malgré ma bonne volonté, je ne peux, en l'état, voter votre budget : nous attendons mieux de vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - Il était en effet nécessaire d'attendre votre conclusion (Sourires).

M. Jean-Christophe Lagarde - En raison de la LOLF, il est difficile de comparer ce budget avec celui de l'an dernier, de même qu'il convient de tenir compte de l'ensemble des efforts de la nation pour l'outre-mer qui s'inscrivent dans le cadre d'autres missions. Le 1,9 milliard dont il est question dans les trois programmes ne représente en effet qu'une infime partie des efforts consentis. 80 % de cette somme sont affectés au logement et à l'emploi. Même si le taux de chômage demeure extraordinairement élevé, à 22 %, la légère baisse de 3,2 % doit redonner espoir. Les exonérations adoptées dans le cadre de la loi Girardin se répartissent en deux catégories : il s'agit d'abord de la défiscalisation, qui était plafonnée dans le premier projet gouvernemental. Les élus d'outre-mer se sont unis pour demander au Gouvernement de renoncer à ce plafonnement, la défiscalisation devant attirer des investisseurs pour développer la vie économique locale. Toutefois, une évaluation reste indispensable. Si les exonérations sont nécessaires, encore faut-il en évaluer l'impact réel : il ne sert à rien d'encourager la construction de nouveaux Club Med, qui servent plus les intérêts des investisseurs que le développement économique sur place ! Par ailleurs, la discussion sur le plafonnement est inévitable. Les 600 millions que coûte la défiscalisation à l'Etat représentent une moyenne de 66 000 euros d'exonération fiscale par bénéficiaire ! C'est manifestement excessif. Le Gouvernement a été prudent de renoncer au plafonnement à 8 000 euros, qui n'avait pas de sens, mais le déplafonnement absolu est lui aussi déraisonnable. Il incite d'ailleurs à des investissements qui ne présentent aucun intérêt pour les territoires. Quitte à faire un effort de 800 millions, nous aurions préféré le voir porter sur l'article 73 relatif aux exonérations de charges sociales, car celles-ci favorisent le développement de l'emploi et peuvent s'assortir de contreparties en termes de niveau de salaire. Ces exonérations-là bénéficient, elles, directement à la population.

Enfin, nous sommes très déçus pour ce qui est de la continuité territoriale. Le gouvernement précédent avait soumis à notre assemblée une mesure intéressante, qui avait été votée à l'unanimité. Aujourd'hui, l'essentiel des 4 millions va au passeport mobilité. L'évolution des crédits - 30 millions en 2004, 31 et 31,8 les années suivantes - est totalement déconnecté de celle des prix des billets d'avion ! En fait, l'effort de la nation en la matière faiblit. Il faut le dire : c'est bien moins que ce qu'elle accomplit pour la Corse ! Celle-ci reçoit 147 millions pour 260 000 habitants : l'inégalité de traitement est scandaleuse ! Les crédits consacrés à la continuité territoriale ont augmenté de 1,8 million en trois ans pour l'outre-mer, soit deux millions d'habitants, et de 6 millions la seule année dernière pour la Corse ! Les habitants de l'outre-mer ont-ils moins besoin de voir leur famille ? Ou alors est-ce parce que les Corses posent des bombes qu'ils obtiennent de l'argent ?

De surcroît, ce sont les seuls habitants de l'outre-mer qui bénéficient des crédits consacrés à la continuité territoriale. Qu'advient-il du million de personnes originaires d'outre-mer qui vivent en métropole ? Rien n'est prévu pour elles, bien que leur situation soit parfois dramatique. Votre prédécesseur ne s'intéressait pas à ce dossier. Vous devriez le faire. Ces personnes ne doivent pas être abandonnées, d'autant que le prix des billets ne diminue pas, pour cette clientèle captive. Les tarifs pour les Antilles, par exemple, sont tout à fait scandaleux ! Des effets pervers se font d'ailleurs sentir : on assiste à de véritables discriminations à l'embauche, parce que l'Etat, les collectivités locales ou la fonction publique hospitalière se font littéralement racketter par le système des congés bonifiés ! Il est moins cher, aujourd'hui, d'acheter un billet d'avion avec des nuits à l'hôtel que de permettre à un Antillais de rentrer chez lui ! L'injustice est flagrante, et elle nuit à la cohésion nationale.

Pour dire un mot de chacun des territoires, la Polynésie française a connu en 2004 et 2005 beaucoup de bouleversements. Je souhaite que sa relation très conflictuelle avec l'Etat s'apaise et devienne plus républicaine. Vous vous y employez, même si le Gouvernement n'entend pas se laisser déborder par les propos indépendantistes du président de la collectivité, qui se livre à une véritable trahison de son électorat : pendant toute sa campagne, il a affirmé que le problème de l'indépendance n'était pas d'actualité, il évite le sujet en Polynésie et ne parle plus que de cela lorsqu'il est à l'étranger !

Mme Christiane Taubira - Il a le droit ! Il est élu !

M. Jean-Christophe Lagarde - Quand on passe un contrat avec ses électeurs, on le respecte ! Le Gouvernement a eu raison de le rappeler à l'ordre. Si l'on veut avoir des rapports avec la République française, on ne lui bave pas dessus dès qu'on est à l'étranger !

Mme Christiane Taubira - Respectez ses opinions comme nous respectons les vôtres !

M. Jean-Christophe Lagarde - Je respecte M. Temaru et je sais que pendant sa campagne, il n'a jamais pris quelque engagement que ce soit en faveur de l'indépendance ! Il a assuré que le débat ne serait pas à l'ordre du jour et qu'il pourrait, plus tard, suivre une évolution à la mode calédonienne.

Mme Christiane Taubira - Il n'a jamais dit ça !

M. Jean-Christophe Lagarde - C'est trahir ses électeurs...

Mme Christiane Taubira - Vous n'avez pas à vous ériger en juge !

M. Jean-Christophe Lagarde - ...et si cela ne vous dérange pas, cela ne m'étonne pas.

Mme Christiane Taubira - La guerre coloniale est terminée ! Vous en êtes resté au Moyen-Âge !

M. Jean-Christophe Lagarde - Le développement des communes est aujourd'hui indispensable en Polynésie. Ce territoire a besoin de se décentraliser. Pour cela, les communes doivent devenir majeures et bénéficier d'un statut presque identique à celui de la métropole. Les municipalités doivent être élues à la proportionnelle et disposer d'une fonction publique digne de ce nom, qui ne soit pas dépendante du gouvernement central du territoire. De véritables capacités de développement de la Polynésie se trouvent là.

En ce qui concerne la Guyane et la Réunion, nous avons quelques inquiétudes s'agissant de la loi relative aux parcs forestiers. Enfin, pour la Nouvelle-Calédonie, nous sommes préoccupés par le projet de Koniambo. La lettre d'engagement de l'Etat fait de la société Falconbridge l'attributaire du massif de Koniambo, situé au nord. Falconbridge faisant l'objet d'une offre publique d'achat de la part d'Inco, qui elle-même détient les gisements du sud, nous redoutons la concentration du secteur et nous avons des doutes quant à la réelle détermination d'Inco à réaliser dans les conditions prévues la mine de Koniambo. Enfin, en ce qui concerne le problème du corps électoral, il semblait que les choses soient claires : le Président de la République a affirmé dès le départ que ce qui a été signé devait être respecté. Je ne crois pas que les changements politiques doivent aboutir à une modification des accords de Nouméa.

M. Michel Vaxès - Le budget de l'outre-mer pour 2006 s'élève à 1,9 milliard, contre 1,7 l'an passé, ce qui ne fait que couvrir l'inflation. Ce budget est donc au mieux en stagnation, plus sûrement en baisse, comme l'a montré Victorin Lurel, alors que le budget pour 2005 était déjà, à périmètre constant, en diminution de près de 8 % ! L'effort financier global de l'Etat en direction de l'outre-mer s'élève à 11 milliards, soit 17 % de l'ensemble des moyens affectés à l'outre-mer, ce qui est bien peu eu égard aux objectifs affichés par le Gouvernement.

L'une des premières ambitions de celui-ci est le soutien de l'emploi et de l'insertion professionnelle. C'est en effet une impérieuse nécessité, puisque près du quart de la population d'outre-mer est touchée par le chômage et que la Réunion, la Guadeloupe et la Martinique figurent parmi les dix départements qui comptent le plus de Rmistes ! Nous nous interrogeons donc sur le plafonnement de la défiscalisation et la réduction des abattements de charges sociales consentis aux entreprises de moins de dix salariés, qui remettent en cause les engagements qu'avait pris le Gouvernement. La loi de programme pour l'outre-mer avait en effet prévu un cadre d'investissement et d'incitation à l'emploi pour quinze ans. Et pourquoi tant de précipitation, alors qu'un rapport sur l'impact de la défiscalisation est attendu pour l'année prochaine ?

La réduction du coût du travail et la défiscalisation ne seront jamais la panacée si elles ne font pas partie d'une véritable stratégie de développement. L'exonération des charges sociales patronales doit s'accompagner d'une obligation en termes de créations d'emplois. Nous sommes favorables à un réexamen de la défiscalisation qui permette de supprimer ses effets pervers. La défiscalisation qui favorise l'évasion fiscale et la recherche du profit rapide doit être remplacée par celle qui incite à l'investissement dans la production et l'activité, et les économies réalisées doivent être réinvesties dans le développement durable des territoires. Ce n'est pas l'objectif du Gouvernement, qui cherche plutôt à faire des économies pour réduire ses déficits, même si c'est au détriment des habitants d'outre-mer. Nous avons besoin de connaître le bilan de la défiscalisation, notamment en termes de créations d'emplois, avant d'envisager des correctifs.

Ce projet de budget viserait à faire reculer l'exclusion et la précarité : ambition louable lorsqu'on connaît la situation outre-mer. Les besoins de logement sont énormes, dus à la croissance démographique, à l'importance du parc insalubre, à l'ampleur de l'exclusion sociale et à la rareté du foncier. En juin 2004, le Conseil économique et social constatait que l'effort de l'Etat en la matière restait bien en deçà des besoins. De fait, depuis 2002, il n'est que reconduit ! En outre, les charges qui pèsent sur les collectivités locales d'outre-mer suite à la décentralisation sont telles qu'elles ne peuvent plus faire face. C'est pourquoi l'Association des départements de France lançait un cri d'alarme, le 29 septembre dernier.

Au total, ce projet de budget ne contribuera pas à améliorer la situation économique et sociale des régions ultramarines. Nous voterons donc contre.

En conclusion, permettez-moi d'insister, Monsieur le ministre, sur la nécessité de respecter l'accord de Nouméa. Les déclarations récentes du secrétaire national de l'UMP à l'outre-mer, remettant en cause le gel du corps électoral, ont suscité une vive émotion en Nouvelle-Calédonie. Il conviendrait de rassurer les Calédoniens en modifiant au plus vite la Constitution, comme s'y était engagé le Président de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Alfred Almont - Ce projet de budget est, comme l'ensemble du budget de l'Etat, présenté et débattu dans le cadre de l'architecture nouvelle résultant de la LOLF. La mission « outre-mer » devient ainsi l'une des 34 missions, déclinée en trois programmes. Sans doute y a-t-il là l'occasion d'une évaluation plus juste des priorités et des résultats.

Mais le contexte est marqué également par le poids des déficits publics, qui conduit le Gouvernement à réduire sensiblement les dépenses de l'Etat. A l'heure où la LOLF renforce les pouvoirs du Parlement, les parlementaires d'outre-mer entendent veiller à ce que, malgré les difficultés du moment, tout soit fait pour favoriser l'expansion de nos régions, conformément aux engagements pris par le Gouvernement. Le respect de ces derniers passe par une politique de l'offre, donc de structuration de nos économies, au lieu d'une politique de la demande alimentée par des transferts. Il s'agit de compenser nos handicaps structurels de façon à rendre nos économies plus compétitives.

C'est ce choix qui avait conduit en juillet 2003 au vote par le Parlement de la loi de programme pour l'outre-mer, qui reconnaissait notamment la nécessité d'encourager l'investissement par l'outil fiscal. Cette loi de programme portait sur une période de quinze ans, car il fallait bien garantir aux investisseurs une stabilité dans le temps et mesurer progressivement les « effets retour » de ces investissements sur l'économie et l'emploi. Voilà pourtant que certains soutiennent qu'il faudrait déjà en altérer certaines de ses dispositions ! Fort heureusement, Monsieur le ministre, vous avez marqué votre volonté de préserver ces dispositifs. Je m'en félicite car, sans eux, l'outre-mer ne saurait seul prendre la voie du développement. Vous avez aussi, lors de récents événements tragiques, montré plus personnellement tout votre engagement aux côtés de nos populations.

Débarrassé des hypothèques qui avaient un temps semblé l'affecter, ce projet de budget est positif dans son ensemble. Associé aux grandes mesures de la loi de programme, il s'efforce de répondre au défi du développement économique et social.

Tout d'abord, il renforce sensiblement les moyens au service de l'emploi durable, le but étant que nous cessions de compter trois fois plus de chômeurs que dans la métropole. Il faut d'ailleurs se réjouir que la mission « outre-mer » fasse du ministère de l'outre-mer le véritable responsable de la gestion de la politique de l'emploi outre-mer. Je sais votre forte mobilisation, Monsieur le ministre, en faveur de nos productions menacées par des agressions extérieures, je pense en particulier à la banane.

II serait opportun d'inciter les grandes entreprises nationales à utiliser tous les dispositifs existants pour produire dans nos régions une partie de la valeur ajoutée des biens qui nous sont destinés. Les exonérations partielles de charges patronales de sécurité sociale prévues par la loi de programme permettent aux petites entreprises de passer le cap du rattrapage du SMIC en conséquence de l'institution des 35 heures, tout en contenant les prix du marché dans l'intérêt du consommateur.

Vous avez par ailleurs bien compris, Monsieur le ministre, qu'il est désormais nécessaire de renforcer les aides à l'emploi dans le secteur marchand. Permettez-moi toutefois de préciser qu'il devient maintenant urgent d'organiser ce secteur, sévèrement affecté par le travail illégal. Il me paraît par ailleurs indispensable de mettre en place, avec le concours des collectivités locales, un observatoire par régions.

Je relève avec intérêt le renforcement des moyens alloués au SMA, le service militaire adapté, dont nous avons aujourd'hui la preuve qu'il est largement profitable à notre jeunesse en quête de formation et d'insertion.

Ce projet de budget met aussi l'accent sur l'accès au logement, la sécurité et la protection sociale. Comment ne pas se réjouir des crédits prévus pour développer, rénover et sécuriser le parc de logements sociaux ! Dans nos régions plus encore qu'en métropole, le nombre de ces logements demeure insuffisant par rapport à la demande et l'insalubrité et la vétusté de beaucoup sont préoccupants.

La démarche nouvelle qui consiste à accompagner des politiques urbaines d'aménagement, de rénovation et de résorption de l'habitat insalubre, est de nature à favoriser la remise en état d'immeubles négligés par des héritiers préférant investir sur le neuf du fait de la forte attractivité de la défiscalisation - c'est notamment le cas dans les centres-villes. Une telle démarche a par ailleurs l'avantage de limiter la spéculation foncière.

En vérité, ce projet de budget vise à combler le retard. C'est bien pourquoi, Monsieur le ministre, nous comptons fermement sur vous pour qu'aucune mesure d'annulation ne vienne affecter en cours d'exercice les crédits destinés à ces secteurs sensibles. Vous savez à quel point le gel qui a affecté les crédits de paiement et autorisations de programmes sur la LBU en 2003 et en 2004 a été préjudiciable. Il y a donc lieu de préserver l'élan en mobilisant durablement les moyens d'une politique énergique de réhabilitation et de construction. Faut-il d'ailleurs souligner que le secteur industriel est étroitement lié au secteur du logement social car, sans constructions nouvelles, il n'y aura plus de débouchés pour les matériaux produits sur place ?

Nous apprécions vivement, Monsieur le ministre, les dispositions prises pour contrôler l'immigration et lutter contre l'immigration clandestine.

De même, la consolidation des dotations spécifiques à nos collectivités locales nous rassure. Il importe en effet plus que jamais de tenir compte de leurs spécificités.

Les engagements pris pour favoriser la continuité territoriale sont maintenus, voire confortés en 2006. Je note enfin avec intérêt les dispositions prévues pour favoriser l'intégration régionale à travers des actions de coopération ciblées.

Au total, Monsieur le ministre, les engagements que vous prenez pour l'outre-mer, me donnent toutes les raisons de penser que nous sommes malgré tout dans la bonne direction. C'est pourquoi je voterai ce projet de budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. René Dosière - Vous ne serez pas surpris, Monsieur le ministre, si je vous parle de la Nouvelle-Calédonie, puisque j'ai été le rapporteur de la loi organique sur le statut de celle-ci.

La question du corps électoral a besoin, comme le disait tout à l'heure M. Quentin, d'être clarifiée. Tant qu'elle ne le sera pas, les accords de Nouméa ne seront pas pleinement réalisés. La position du groupe socialiste à ce sujet ne variera pas : pour nous, la définition du corps électoral est celle qui figure dans les accords de Nouméa et celle qui ressort du texte voté à la quasi-unanimité de l'Assemblée nationale et du Sénat. Il s'agit d'un corps électoral restreint et figé.

Or, il semble que l'opposition de l'époque devenue aujourd'hui majorité soit en train d'évoluer vers une position différente, si l'on en juge par les déclarations récentes du délégué de l'UMP pour l'outre-mer, M. Diefenbacher. Pourtant, lors de son voyage en Nouvelle-Calédonie, le Président de la République a pris des engagements précis sur ce point. Et lors d'un comité de signataires, un peu plus tard, la ministre de l'outre-mer a pris elle aussi des engagements précis. J'aimerais donc, Monsieur le ministre, vous entendre sur cette question fondamentale pour la préservation de la paix civile. Revenir sur ce qui avait été décidé serait prendre le risque de rouvrir la guerre civile.

D'autre part, dans le cadre des accords de Bercy, l'investisseur canadien Falconbridge devait rendre une décision sur l'usine du nord avant le 31 décembre 2005. Si cette date n'est pas respectée, le périmètre minier reviendra alors à Eramet. Nous sommes le 17 novembre : qu'en est-il ? Un tel investissement ne se décide pas à la dernière minute. Vous avez récemment laissé entendre que nous pourrions prolonger ce délai de six mois, mais c'est au risque d'engager des contentieux juridiques. Quelle est votre position ?

Enfin, dans le cadre du programme de développement qu'elle a signé avec l'Etat pour 2000-2004, la province Nord a préfinancé des opérations que l'Etat ne pouvait pas payer. Il a donc une dette envers elle de 53,6 millions d'euros, soit 6 milliards de francs Pacifique. Quand sera-t-elle réglée ?

J'espère que votre majorité va enfin se résoudre à prendre des décisions qu'elle a jusqu'ici refusées à la Nouvelle-Calédonie. Toutes les initiatives qui la concernent furent de gauche, et l'opposition de droite les a acceptées : le consensus national doit être maintenu. Tel ne sera pas le cas si vous revenez sur les accords de Nouméa.

M. Mansour Kamardine - C'est une menace ?

M. Bertho Audifax - Soutenir l'emploi, lutter contre l'exclusion et la précarité et combler les retards structurels, telles sont les priorités du budget de l'outre-mer pour 2006 et nous les approuvons, tant elles sont aptes à répondre aux difficultés quotidiennes de nos départements. J'évoquerai principalement l'emploi et le logement.

A la Réunion comme ailleurs, l'emploi doit être ramené au secteur marchand, que les mesures incitatives prévues par la loi de programme de 2002 ont rendu très dynamique. Il crée 4 900 emplois par an, dans une île où la productivité du travail est supérieure à celle de la métropole - 49 000 contre 48 000 euros de valeur ajoutée par an et par salarié.

Loin des clichés qui les font travailler, doucement le matin et pas trop vite l'après-midi, sous le soleil et les cocotiers, nos salariés sont efficaces et nos entreprises dynamiques.

Mais c'est encore insuffisant : avec 7 400 actifs supplémentaires chaque année, nous envisageons un déficit annuel de 2 500 emplois, soit 1 % de la population active. Malgré sa forte diminution, le taux de chômage reste élevé : 33 %, et même 50 % pour les femmes.

Il est donc indispensable de soutenir l'emploi, qui se dégraderait rapidement sans les aides au secteur économique et la commande de formation. A ce titre, nous nous félicitons d'avoir convaincu le Gouvernement de proposer la suppression de l'article 73 qui réduit l'allégement des charges sociales pour les entreprises.

Mais quelle énergie gaspillée de part et d'autre ! N'oublions pas que ces aides existent pour compenser les handicaps structurels : on ne peut pas en faire des niches à la moindre embellie !

Pour rendre l'actuel développement économique des départements d'outre-mer durable, je propose deux pistes. D'abord, les aides à l'export sont une bouffée d'oxygène pour les entreprises réunionnaises, car elles leur ouvrent les marchés proches et augmentent les possibilités d'embauche. Ensuite, il faut recenser à temps et intégrer dans des dispositifs adaptés les jeunes qui quittent l'école sans qualification et se retrouvent ainsi au bord du chemin, voire dans la rue. C'est parce que ces populations ne sont pas prises en compte que la métropole vit de tristes événements. Il est encore temps d'y remédier outre-mer, avant d'y être contraints par l'urgence.

En matière de logement, les besoins sont énormes, et les réponses inexistantes. Je salue votre volonté d'y remédier.

A la Réunion - mais cet exemple illustre la situation de tous les DOM -, 9 000 logements par an sont à construire pendant dix ans, dont 6 000 logement sociaux. L'Etat doit engager les crédits du logement sur plusieurs années, pour rendre son action à moyen terme plus lisible. On peut également envisager d'autres aménagements : l'abondement conjoncturel des opérations RHI par les crédits inutilisés de la LBU ; la révision des conditions de financement du logement social ; l'instauration d'une fongibilité entre les FRAFU primaire, excédentaire, et secondaire, trop rapidement consommé ; la déconnexion du FRAFU des programmes d'aménagement de quartiers - bloqués, et pourtant indispensables à la mixité sociale - ou encore la publication des résultats des évaluations effectuées par les DDE et leurs partenaires sur le fonctionnement des FRAFU par rapport aux besoins réels de l'outre-mer.

Enfin, le logement d'urgence est le grand oublié de vos mesures, et la colère gronde. Face aux violences qui s'exercent au sein de leurs foyers, certaines femmes, parfois martyrisées devant leurs propres enfants, ne peuvent fuir vers aucun abri. L'abus d'alcool et l'inactivité aggravent l'enfer qu'elles vivent, battues par leurs conjoints ou même leurs fils : l'instauration de l'APL-foyer dans les DOM y apporterait une première réponse.

Je remercie tous ceux qui ont respecté la parole de l'Etat - ils se reconnaîtront. Les articles 61 et 73 ont fait couler beaucoup de salive, et les parlementaires d'outre-mer ont été gênés - le mot est faible - par certaines paroles. La nation française - et pas seulement la métropole - a besoin de cohésion et de respect. Nous, Français d'outre-mer, n'avons pas à nous justifier de cela, car nous y avons droit comme tout citoyen français.

M. Gérard Grignon - Très bien !

M. Bertho Audifax - Les politiques territoriales exceptionnelles ont toujours existé - en Lorraine, par exemple - et nous en débattrons encore dans les prochains mois. Leur respect par l'Etat permettra à nos concitoyens de retrouver le chemin de la foi en l'action politique, dont ils semblent douter depuis vingt ans. En approuvant ce budget, nous vous donnons notre confiance (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Alfred Marie-Jeanne - Vous n'applaudissez pas un indépendantiste...

Mme Christiane Taubira - N'en espérez pas tant...

M. Alfred Marie-Jeanne - Aujourd'hui, Monsieur le ministre, c'est votre baptême du feu. Je ne vais pas pour autant sonner la charge, même si les temps d'austérité budgétaire s'y prêtent. Répartir 1,9 milliard d'euros entre une dizaine de pays, c'est bien insuffisant au regard des retards accumulés et des besoins nouveaux.

J'irai plus loin. Vous décrétez la mobilisation générale pour l'emploi dans le secteur marchand. Prenons le Gouvernement au mot : l'INSEE prévoit d'ici à 2010 plus de 40 000 emplois libérés par les départs à la retraite ou créés par les métiers émergents. Pour la Martinique, petit pays où le taux de chômage avoisine 25 %, c'est une occasion à ne pas rater. Or, on traite de racistes ceux qui réclament l'embauche sur place de gens qualifiés, et l'on annonce même « le retour au droit des orangs-outans » ! Ces déclarations vexatoires...

Mme Christiane Taubira - Et racistes !

M. Alfred Marie-Jeanne - ...attentent à la dignité des grands singes auxquels on nous ramène !

Vous parlez de logements sociaux et de résorption de l'insalubrité. Prenons le Gouvernement au mot : pendant des années, il a oublié que le logement, ce besoin vital, était un régulateur social. A familles mal loties, risques aggravés de déviances. En Martinique, la LBU a diminué de 40 % en trois ans, et le nombre de logements livrés a été divisé par quatre, passant de 1 100 en 1999 à 300 en 2004. L'Etat n'a pas tenu ses engagements : 400 artisans et 2 500 salariés pâtissent de chantiers inachevés ou non commencés. Une programmation pluriannuelle est donc nécessaire pour éviter de tels à-coups.

Vous faites de la défiscalisation des investissements un levier de votre action. Prenons là encore le Gouvernement au mot : la loi de programme pour l'outre-mer de 2003, votée pour 15 ans, a été validée par la Commission européenne en tant que régime d'aide spécifique à l'économie des régions ultrapériphériques. Mais, une fois de plus, les garanties ne sont pas garanties. Le Gouvernement souffle le chaud et le froid et brandit astucieusement des menaces, comme pour nous maintenir en haleine.

S'agissant de la pêche, le nombre de marins a sensiblement augmenté grâce à la motorisation des embarcations de moins de douze mètres mais, pour autant, cette pêche artisanale ne suffit pas encore à satisfaire les besoins de la consommation courante. Et voilà qu'une directive européenne impose le remboursement des aides accordées, au motif que la puissance autorisée en kilowatts aurait été dépassée. De surcroît, toute aide publique à ce secteur est désormais interdite. Que sont donc censées couler ces torpilles ?

Rappelons à cet égard que c'est la France qui a cédé par erreur l'île d'Aves au Venezuela, privant ainsi la Martinique de 18 000 km2 de zone économique exclusive, sans parler des pourparlers engagés en catimini avec la Barbade.

Ce n'est pas cette coopération que nous revendiquons, car elle se pratique dans notre dos, et à notre détriment.

Quant à la banane, son accès au marché européen relève de plus en plus du parcours du combattant.

Et que dire des hôpitaux, dont la situation ne peut qu'empirer du fait du nouveau mode de calcul de leur budget - il manquerait 66 millions.

Juste un dernier mot sur les transferts de compétences pour déplorer le rétrécissement des moyens et le chevauchement des domaines d'intervention des collectivités et des autres structures intercommunales. On cherche par tous les moyens à nous déstabiliser, et c'est l'irresponsabilité qui finit par gagner du terrain.

Aux plus accommodants qui trouvent cela naturel, je réponds par la phrase de Berthold Brecht : « Ne dites jamais « c'est naturel » afin que rien ne passe pour immuable ».

A époque nouvelle, institutions nouvelles. Plus que jamais, la responsabilité que nous revendiquons n'est pas un luxe qui peut indéfiniment attendre l'arrivée hypothétique de la prospérité générale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Eric Jalton - Outre que votre projet de budget est en baisse à périmètre constant, il est particulièrement inadmissible que le Gouvernement réduise les aides directes à l'emploi et projette d'en faire de même pour les aides indirectes alors même qu'il prétend faire de l'emploi sa priorité. Tels des bourgeois de Calais, les représentants de l'outre-mer, toutes tendances confondues, ont dû se rendre à Matignon pour sauver les rares mesures positives de la loi de programme, à moins qu'il ne se soit agi d'un stratagème pour obliger les parlementaires de l'opposition à défendre quelques aspects menacés de cette loi Girardin, comme l'a fait remarquer à Matignon le très respectable sénateur UMP président de l'intergroupe des parlementaires d'outre-mer.

La situation de l'emploi reste préoccupante en Guadeloupe, et le nombre de chômeurs et de Rmistes augmente malgré les différentes mesures de défiscalisation et d'exonérations de charges. Nombre de nos jeunes sont encore contraints d'aller chercher du travail en métropole.

Et pourtant la Guadeloupe ne manque pas d'entreprises prêtes à prendre des risques pour créer des emplois. Aussi, quand une loi est votée, veillons au moins à ce qu'elle soit intelligemment appliquée - je pense en particulier à l'inertie de Bercy sur les dossiers de défiscalisation.

Vous ne faites aucun effort pour relancer le logement social, alors que le logement est le premier critère d'insertion sociale.

S'agissant de la continuité territoriale, il faudrait qu'à terme toutes les personnes originaires de l'outre-mer, qu'elles résident en métropole ou dans un autre pays de l'Union, puissent bénéficier de ce dispositif, dans un souci de justice certes, mais aussi pour contribuer au développement de l'économie locale.

Malheureusement, les crédits budgétaires restent d'autant plus insuffisants que l'inflation est galopante, et que le prix des billets d'avion ne cesse d'augmenter.

L'acte II de la décentralisation est mal engagé en Guadeloupe, car nombre de collectivités ne sont pas prêtes à assumer les transferts de compétences, réalisés sans concertation, ni désendettement préalable des collectivités concernées. Les conséquences peuvent être graves quand il s'agit de domaines aussi importants que la santé ou l'éducation.

En matière agricole, il est urgent de mettre en place, en concertation avec les élus, une loi d'orientation propre à ces territoires éloignés, qui tienne compte de leurs spécificités, tant en matière de protection du foncier agricole que d'installation des jeunes.

Il faut par ailleurs soutenir les filières traditionnelles de la canne à sucre, du rhum ou de la banane. Il en va de l'avenir de milliers d'ouvriers agricoles.

Le foncier agricole est bradé aux plus offrants, avec parfois la complicité de certains fonctionnaires. Il faut que cela cesse et que l'Etat prenne toutes ses responsabilités.

Sur le plan culturel, la direction de la scène nationale de l'archipel de Guadeloupe a été confiée sous pression à un étranger qui n'a qu'une vague connaissance de la culture guadeloupéenne après l'éviction d'une directrice qualifiée qui avait fait ses preuves, mais avait le tort d'avoir du caractère et des idées !

Dans le domaine sanitaire, la Guadeloupe souffre d'un manque d'équipement pour l'accueil et la prise en charge des personnes âgées, handicapées, des malades mentaux et des victimes de la drogue ou de l'alcool, mais l'Etat reste sourd à nos appels.

Pour ce qui est du tourisme, l'Etat doit accompagner les efforts de la Guadeloupe, notamment en instaurant une TVA à taux zéro, sur le modèle de ce qui existe en Guyane.

Mes prédécesseurs, notamment Frédéric Jalton dont nous marquerons bientôt le dixième anniversaire de sa disparition, n'ont cessé de rappeler depuis trente ans au Gouvernement la nécessité de créer un commissariat de police aux Abymes, du fait d'un taux de délinquance très élevé. Combien de temps faudra-t-il encore attendre ?

Monsieur le ministre, nous vous remercions d'avoir soutenu par votre présence la généreuse initiative de l'équipe de France de football, qui a organisé un match amical dans une Martinique endeuillée par le drame de cet été. Nous aimerions tant pouvoir vous féliciter également du soutien apporté aux sportifs ultramarins ! Malheureusement, les moyens sont loin d'être à la hauteur des performances que nos sportifs réalisent lors des compétitions internationales.

La chaîne de télévision RFO, aujourd'hui rattachée à France Télévision, n'est pas en mesure, malgré ses efforts, de retransmettre en direct une quelconque manifestation sportive ou culturelle, et les chaînes privées de proximité ne sont guère soutenues par les pouvoirs publics.

Monsieur le ministre, les ultramarins sont régulièrement victimes de discrimination au sein d'une République qui prétend vouloir intégrer tous ses enfants. Pour ne rien changer, un prétendu historien qui remet en cause le caractère criminel et génocidaire de la traite négrière est reçu en grande pompe au Sénat où son ouvrage révisionniste est récompensé d'un prix !

Et que dire de ce journaliste vedette de France 3 qui fabrique, pour son émission, un faux sms pour évoquer l'odeur des « Blacks » ! La direction de France 3 soutient l'animateur, et le ministre de la culture s'en prend aux protestataires.

Ce sont ces petits glissements tolérés qui mènent aux abysses du racisme et de la révolte.

Monsieur le ministre, si je me réjouis que vous vous préoccupiez de l'immigration clandestine outre-mer, il est regrettable que vous ayez rejeté notre demande d'intégrer la Guadeloupe dans le champ de l'investigation parlementaire. Devons-nous nous contenter de la visite du ministre de l'Intérieur ? La Guadeloupe compte près de 450 000 habitants. Or, 6 000 immigrés clandestins y ont débarqué en 2004 ! La représentation nationale doit prendre conscience de ce que nous subissons, et nous attendons, au-delà des promesses du ministre de l'Intérieur, les moyens juridiques exceptionnels que vous avez annoncés, Monsieur le ministre, il y a trois jours.

En conclusion, une question, que je pose à vous tous ici présents sans agressivité : par quel extraordinaire, par quel ostracisme, un ultramarin n'a-t-il jamais été nommé à la tête du ministère de l'outre-mer ? (Sourires)

Par ailleurs, les différents ministères ont une fâcheuse tendance à s'en remettre systématiquement à celui de l'outre-mer lorsque nous les interpellons. Devons-nous leur rappeler que l'outre-mer, c'est aussi la France ? Que c'est aussi la République ? Monsieur le ministre, vous avez eu l'occasion de faire allusion à la passion du Premier ministre pour l'outre-mer. Cette passion ne se retrouve guère dans ce budget.

Les peuples ultramarins ne veulent pas de charité, de compassion ou de générosité. Profondément attachés à leur intégration dans la République, ils réclament davantage de responsabilités locales, de justice et d'équité (Murmures sur les bancs du groupe UMP). Ainsi, Monsieur le ministre, malgré la sympathie et la compassion que vous avez manifestées à l'occasion des événements tragiques qui ont endeuillé la Martinique, je ne voterai pas les crédits de cette mission.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 13 heures 5.

              La Directrice du service
              des comptes rendus analytiques,

              Catherine Mancy


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