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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2005-2006 - 33ème jour de séance, 77ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 23 NOVEMBRE 2005

PRÉSIDENCE de Mme Paulette GUINCHARD

vice-présidente

Sommaire

      FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
      POUR 2006 (CMP) 2

      ART. 16 10

      ART. 18 10

      ART. 21 10

      LUTTE CONTRE LE TERRORISME (suite) 11

      MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 20

      ORDRE DU JOUR DU JEUDI 24 NOVEMBRE 2005 25

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 2006 (CMP)

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre soumettant à l'approbation de l`Assemblée nationale le texte de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.

En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur de la commission mixte paritaire - La commission mixte paritaire s'est réunie le mardi 22 novembre au Sénat. Alors que le projet de loi initial comportait 58 articles, le Sénat, saisi de 74 articles, en a adopté 46 conformes et en a introduit 24 nouveaux. La CMP a examiné 52 articles, acceptant la plupart des modifications apportées par le Sénat car elles améliorent les dispositions déjà précisées par l'Assemblée nationale.

S'agissant des recettes, le Sénat, avec l'accord du Gouvernement, a exclu du plafonnement d'exonération, visé à l'article 12, les indemnités versées dans le cadre des plans sociaux. La CMP a maintenu cette exclusion.

A l'article 15, fixant à 1,5 % le taux de la taxe sur le chiffre d'affaires des laboratoires pharmaceutiques, le Sénat a adopté un amendement du Gouvernement pour revenir au projet de loi initial qui le portait à 1,96 %. Les débats en CMP ont été riches : ils ont souligné que la confiance entre les laboratoires et le Gouvernement avait été quelque peu écornée au cours du processus législatif et que des mesures structurelles afin de réduire la prescription et la consommation de médicaments étaient nécessaires. Pour ne pas pénaliser excessivement l'industrie pharmaceutique, tout en maintenant un niveau satisfaisant de recettes, la CMP a décidé de fixer le taux de la taxe à 1,76 % en 2006 : l'amendement du Gouvernement présenté aujourd'hui en tire la conséquence.

A l'article 17, relatif à la lutte contre le travail dissimulé, la CMP a conservé la rédaction issue du Sénat : elle vise à sanctionner efficacement les déclarations partielles de salariés et modifie le calcul de l'annulation des exonérations.

Enfin, la CMP a validé l'ajout de la RATP dans la liste des régimes autorisés à recourir à des avances de trésorerie dans la perspective du prochain adossement de la caisse de retraite de ce régime au régime général.

S'agissant de l'assurance maladie, la CMP a maintenu les apports du Sénat prévoyant notamment la consultation de l'Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaires sur les projets de loi relatifs à l'assurance maladie et au financement de la sécurité sociale, le développement des politiques de prévention par la vaccination, l'indemnisation du congé maternité prolongé au profit des mères d'enfants prématurés ou encore la faculté ouverte à l'Etat de déterminer la limitation ou la suppression de la participation de l'assuré aux tarifs servant de base au calcul des prestations d'assurance maladie.

La CMP a maintenu la suppression par le Sénat d'une disposition adoptée à l'Assemblée, permettant aux assurés de saisir le médiateur en cas de dépassement irrégulier d'honoraire. En effet, le recours au Conseil de l'Ordre et devant le tribunal des affaires sociales s'avère suffisant.

Alors que l'Assemblée nationale, malgré l'avis du Gouvernement, avait rétabli à l'article 30 la référence à une étape intermédiaire de 50 % en 2008 afin de ne pas nuire à la crédibilité de l'achèvement en 2012 de la convergence entre établissements privés et établissements publics, le Sénat a ajouté un palier de 75 % en 2010. La CMP a estimé que ce n'était pas opportun, en l'absence d'outil de mesure incontestable. Elle a, en revanche, confirmé des ajouts importants du Sénat, tels que le renforcement des compétences des caisses dans le contrôle médical à l'hôpital et l'affichage des dotations attribuées à chaque établissement dans le bilan de suivi des dotations régionales affectées aux MIGAC.

S'agissant de l'article 36 bis, introduit par le Gouvernement à l'Assemblée nationale et aménageant l'entrée en vigueur des contrats responsables, le Sénat a amélioré et précisé le texte en prévoyant notamment que les contrats de la CMU complémentaire seront soumis aux mêmes obligations. En outre, les dispositions relatives à la prise en charge des prestations liées à la prévention entreront en vigueur au 1er juillet 2006. La CMP a modifié la rédaction issue du Sénat afin de prendre en compte les contrats relevant d'accords collectifs de branche et de prévoir une meilleure information des souscripteurs.

La CMP a confirmé le rétablissement par le Sénat, à l'article 38, des obligations pesant sur la promotion de certains produits alimentaires par voie d'imprimés, ainsi qu'une mesure, introduite par la Haute Assemblée, renforçant le suivi post-professionnel des travailleurs exposés à l'amiante.

S'agissant des dispositions relatives à la branche vieillesse, la totalité des articles votés par l'Assemblée nationale ont été adoptés par le Sénat, qui a introduit trois articles additionnels : le premier tend à maintenir en Alsace-Moselle le régime des pensions de réversion antérieur à la loi portant réforme des retraites ; les deux autres visent à fixer dans la loi le principe de neutralité des adossements des régimes spéciaux à la Caisse nationale d'assurance vieillesse et aux régimes complémentaires AGIRC-ARRCO. De telles dispositions, auxquelles les salariés du privé sont attentifs et qui constituent des enjeux financiers considérables, répondent aux voeux exprimés sur tous les bancs de cette assemblée.

Je me félicite de l'amélioration apportée par le Sénat au dispositif de l'allocation journalière de présence parentale, fruit d'un travail réalisé dans la concertation entre le Gouvernement, une rapporteure d'opposition - Mme Clergeau - et le Sénat. Le texte répond mieux aux attentes des familles d'enfants gravement malades et améliore l'indemnisation des frais annexes engendrés par l'hospitalisation.

La CMP a validé la suppression par le Sénat du plafonnement à trois enfants des allocations familiales à Mayotte.

Enfin, une clarification était nécessaire au sujet de l'amendement gouvernemental introduit au Sénat, relatif au droit aux prestations familiales pour les mineurs étrangers entrés en France dans le cadre du regroupement familial. La CMP a donc validé une disposition qui vise à faire dépendre le versement de ces prestations de la régularité du séjour du parent allocataire et de celle de la procédure de regroupement familial.

Je vous demande d'adopter le présent texte, qui s'inscrit dans la logique de responsabilité et d'équité souhaitée par la majorité pour notre politique de sécurité sociale.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille - Je suis heureux de prendre à nouveau la parole sur ce texte important, qui met en œuvre, pour la première fois, la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale.

Le Gouvernement est satisfait des résultats de la commission mixte paritaire dont M. Door vient de rendre compte. Ils permettent de régler la plupart des difficultés. S'il reste quelques rares points de désaccord entre le Gouvernement et les deux assemblées, nous admettons les solutions retenues en CMP et ne demanderons pas leur modification.

M. Gérard Bapt - C'est la moindre des choses !

M. le Ministre délégué - Je voudrais relever comme il convient la richesse du débat que nous avons eu au fil des semaines à l'Assemblée nationale - où 101 amendements ont été adoptés, dont 61 de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - comme au Sénat - où 80 amendements ont été adoptés, dont 34 de la commission homologue.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale a été suffisamment débattu pour que je ne le présente par à nouveau en détail. Il poursuit l'œuvre de redressement commencée en 2004, améliore la lutte contre la fraude et préserve dans notre pays un haut niveau de protection sociale, indispensable aux nouveaux besoins de la solidarité : ceux que permet de satisfaire le progrès médical - qu'il coûte cher de prendre en compte, ce qui impose donc une bonne gestion de l'assurance maladie -, mais je pense aussi, naturellement, à la prise en charge des personnes âgées dépendantes - pour lesquelles les moyens sont en très forte progression - et à celle des personnes lourdement handicapées.

L'accord auquel les deux assemblées sont parvenus est très bon. Le Gouvernement ne présentera que quatre amendements de détail : trois tirent les conséquences des décisions prises en CMP sur le montant d'agrégats figurant dans les tableaux de la loi de financement, et le dernier porte sur une disposition d'exonération de cotisations sociales - pour 200 millions - adoptée en loi de finances qu'il faut compenser.

Je remercie à nouveau l'ensemble des députés pour la qualité du débat qui a permis de faire progresser le texte jusqu'à ce point d'aboutissement.

M. Jean-Luc Préel - Le texte auquel a abouti la CMP est assez proche de celui du Gouvernement. Le jeu de la navette et le principe du parti majoritaire nous font longuement débattre pour bien peu...

Alors que ce projet concerne l'ensemble de la protection sociale - santé, famille et retraites - et donc tous nos concitoyens, la CMP, curieusement, n'a guère débattu que de la taxe sur le chiffre d'affaires de l'industrie pharmaceutique ! Il est vrai que, jadis premier au monde, ce secteur connaît aujourd'hui de véritables difficultés. Il lui faut plus de lisibilité pour financer la recherche, le développement des molécules et la fabrication des médicaments. Or, le Gouvernement a brutalement décidé de relever la taxe de 0,6 % à 1,96 %.

M. Gérard Bapt - Il veut tuer l'industrie pharmaceutique !

M. Jean-Luc Préel - Dans sa sagesse, notre assemblée, à l'initiative de M. Bur, l'a ramenée à 1,5 % - ce qui constitue déjà une augmentation importante. Le Gouvernement a lourdement insisté au Sénat pour que son taux à lui soit maintenu, et la CMP a finalement arrêté le curseur à 1,76 %. Une bien curieuse précision !

L'UDF est en faveur d'une vraie politique du médicament, et demande donc que le conseil stratégique se prononce. Mais celui-ci ne s'est pas réuni depuis plusieurs mois... Il faut rétablir la confiance, qui ne peut être fondée que sur la contractualisation et sur le bon usage du médicament - théoriquement facile à mettre en œuvre, puisque tout le monde en parle... L'UDF souhaite également un financement prenant en compte la pathologie.

Cette année, le déficit atteint le niveau historique de 11,9 milliards, comme en 2004. Les quatre branches sont déficitaires, et c'est aux 4,6 milliards de recettes nouvelles que la branche maladie doit d'avoir réduit son déficit de trois milliards. Le FSV, déficitaire de 2 milliards, est menacé. Il en va de même du régime agricole, auquel les députés sont très attachés : une ligne de trésorerie de sept milliards - correspondant à ses besoins de financement - est-elle raisonnable ? Qui en financera les intérêts ? Seule une solution pérenne garantira l'équilibre de ce régime.

M. le Ministre délégué - Nous y travaillons !

M. Jean-Luc Préel - Avec sept milliards de besoins, la tâche sera ardue !

M. Jean-Marie Le Guen - Rendez-vous compte de ce qu'il en sera en 2007 !

M. Jean-Luc Préel - Notre protection sociale n'est plus financée. Pourtant, comme le dit avec malice M. Seguin, les déficits ne doivent pas peser sur les générations à venir. La loi de financement pour 2006 ne nous paraît pas sincère, car vous surestimez les recettes en les fondant sur des prévisions de croissance auxquelles, hélas, personne ne croit. Or, si les recettes ne correspondent pas aux prévisions, le déficit augmentera d'autant. En outre, vous sous-estimez les dépenses, notamment celles de l'assurance maladie : l'ONDAM ville augmente de 0,9 %, mais la diminution subséquente de 3,3 % des prescriptions et de 5 % du médicament n'est pas crédible.

Vous instituez une franchise de 18 euros pour tout acte dépassant 91 euros : c'est une mesure purement comptable, et non une mesure de santé publique ! Elle conforte la médecine à deux vitesses déjà favorisée par une convention médicale prévoyant des dépassements d'honoraires et des remboursements moindres en cas d'inobservation du parcours de soins.

De nombreux établissements sont en déficit et connaissent des reports de charges : un rebasement aurait été souhaitable pour pouvoir appliquer correctement la T2A !

Jamais les budgets n'ont été aussi complexes, tardifs et technocratiques qu'en 2005. Qu'en sera-t-il en 2006 ? Nous ne connaissons pas encore le taux de T2A applicable aux hôpitaux. La rumeur dit qu'il sera de 30 % : nous aurions aimé en être informés. Quant aux établissements privés, ils souhaitent avec raison participer aux MIGAC - notamment aux urgences - et à la formation - notamment des chirurgiens - et il demandent un allégement de la tutelle, qui pèse plus lourd aujourd'hui sur leurs capacités d'adaptation qu'avant la mise en œuvre de la T2A.

De nombreux autres problèmes - la permanence de soins, la démographie médicale - restent à régler : ce n'est pas le PLFSS qui y pourvoira.

Cette première loi de financement mise en œuvre selon les modalités de la LOLF prévoit le vote de sous-objectifs renforçant, hélas, la non-fongibilité des enveloppes entre l'ambulatoire et les établissements, le sanitaire et le médicosocial. Mais vous avez refusé un sous-objectif relatif au financement de la prévention et de l'éducation à la santé. L'UDF souhaite le vote d'enveloppes régionales pour financer l'ensemble des dépenses de santé de chaque région, et espère que, malgré la tendance à la recentralisation, vous laisserez une certaine liberté aux agences régionales de santé.

L'UDF s'est opposée, d'autre part, à l'extension au secteur de la presse de la taxe sur les publicités relatives aux boissons et aliments sucrés, et regrette les économies faites en retardant le dispositif « jeune enfant ».

Enfin, pour ce qui est de la branche retraite, je m'interroge sur le maintien du pouvoir d'achat, qui « progresse » de 1,8 % alors que l'inflation sur un an atteignait 2,2 % en octobre, et je regrette surtout la poursuite de la politique des soultes, s'agissant d'adosser les régimes spéciaux au régime général.

L'UDF prône la suppression des régimes spéciaux, une réelle autonomie de la CNAV et une évolution vers un système par points permettant de responsabiliser les partenaires sociaux.

Ce texte, très peu modifié, ne nous paraît pas sincère ; les nouveaux déremboursements et l'instauration d'une franchise contreviennent gravement au principe de solidarité et favorisent l'émergence d'une médecine à deux vitesses ; c'est pourquoi l'UDF votera contre le projet.

M. Jean-Marie Le Guen - Une fois de plus, avec ce projet de loi de financement pour 2006, le Gouvernement nous présente un budget en déficit, le retour à l'équilibre promis étant à nouveau repoussé de deux ans. A ce rythme, la restauration des comptes ne sera pas à l'ordre du jour avant longtemps ! Bien entendu, nous ne pourrons pas valider ces prévisions insincères et inquiétantes, d'autant que les travaux de nos collègues sénateurs n'ont rien arrangé. D'injustices en dévoiements, votre projet nous revient pire encore que ne l'avait voté cette assemblée. Inchangée, la mesure emblématique en est le funeste forfait de 18 euros, désormais tristement célèbre. Non content de mettre les Français à contribution pour les soins courants, le Gouvernement les ponctionne pour couvrir les interventions les plus lourdes et les organismes complémentaires annoncent déjà dans la presse les hausses de tarifs auxquelles ils vont procéder pour compenser les surcoûts induits.

De rajouts en substitutions, les sénateurs ont encore aggravé le texte. Ainsi, leur insistance à accélérer la convergence entre l'hôpital public et l'hospitalisation privée est à tous égards suspecte...

M. Gérard Bapt - C'est en effet très inquiétant !

M. Jean-Marie Le Guen - Tout porte à croire qu'il s'agit de préparer la privatisation du système, au risque de conduire l'hôpital public à sa perte.

Je range sous la rubrique des ajouts scandaleux l'initiative du Gouvernement concernant les allocations familiales versées aux familles d'origine étrangère. Vous avez en effet décidé de suspendre le versement de ces allocations aux parents d'enfants en situation non régulière, parce que n'étant pas entrés sur le territoire dans le cadre du regroupement familial, même dans le cas où les parents sont eux-mêmes en situation régulière. Il pourra donc se trouver désormais dans notre pays des familles étrangères en situation régulière privées d'allocations familiales...

M. le Ministre délégué - Ne dites pas « désormais » car cette règle s'appliquait déjà.

M. Jean-Marie Le Guen - Pourquoi amender le PLSS en ce sens si tel était déjà le cas ?

M. le Ministre délégué - Nous avons voulu consolider le dispositif. (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Jean-Marie Le Guen - En tout cas, est-ce le bon signal à adresser dans la situation actuelle, alors que tant de familles d'origine étrangère se plaignent à bon droit d'être injustement stigmatisées ? Je refuse de croire que vous les pénalisez pour incriminer globalement - comme vous y pousseraient peut-être certains de vos amis - ceux qui n'ont pas la chance d'être français depuis plusieurs générations.

Nous déplorons également votre revirement sur l'amendement Fagniez, adopté ici même en première lecture avec votre soutien enthousiaste et qui tendait à permettre à l'assuré de s'adresser à un médiateur de la sécurité sociale lorsqu'il était victime d'un dépassement d'honoraires manifestement injustifié ou d'une pratique contraire à la déontologie médicale...

M. Gérard Bapt - Excellent amendement !

M. Jean-Marie Le Guen - Les feux de l'actualité étant braqués sur les dépassements d'honoraires, le Gouvernement l'avait soutenu...

M. le Rapporteur de la CMP - Allons ! Cela ne concerne qu'un pour cent des situations !

M. Jean-Marie Le Guen - Allons donc ! Ce n'est pas la réalité dont nous avons connaissance dans nos circonscriptions et les sénateurs eux-mêmes ont fait part de leurs propres expériences à ce sujet...

M. le Rapporteur de la CMP - Ne généralisez pas à partir du cas d'un sénateur ! Les dépassements d'honoraires excessifs concernent au plus 1% des assurés.

M. Jean-Marie Le Guen - Balivernes ! Toujours est-il que le Gouvernement trouvait utile en première lecture de dresser un pare-feu en ouvrant la possibilité de désigner un médiateur et qu'il s'est renié au palais du Luxembourg. Les lobbies archéo-libéraux sont passés par là ! Je conçois que la démonstration vous fasse mal, mais la vérité, c'est que vous louvoyez et que la défense de la sécurité sociale est le dernier de vos soucis.

Je ne m'attarde pas sur vos renoncements successifs en matière de lutte contre le tabagisme ou l'alcoolisme : vous allez fermer les yeux sur la contrebande de cartouches de cigarettes, reléguer la proposition de loi d'Yves Bur aux oubliettes et revenir sur l'engagement de Xavier Bertrand de ne pas laisser passer l'idée du « comité de modération », reprise dans la loi d'orientation agricole. Moralité, le ministère de la santé ayant sans doute été désavoué au profit de celui de l'agriculture, les campagnes pour la prévention de l'alcoolisme s'écriront désormais sous la dictée des lobbies de l'alcool ! C'est dire le peu de cas qui est fait des objectifs de santé publique.

S'agissant de la taxe sur l'industrie pharmaceutique, je dois dire que nous avions suivi les échanges en spectateurs amusés. Bien entendu, nous n'avons pas été déçus et le Gouvernement, sous l'amicale pression qu'on imagine, décide finalement qu'il peut se passer des ressources de poche qu'il attendait du relèvement de la taxe. Cela ne fera qu'aggraver un peu plus le déficit. En matière de politique du médicament, nous vous avons pourtant suggéré des économies structurelles tendant à corriger la tendance à la sur-prescription dont pâtit depuis trop longtemps notre pays.

Compte tenu de ces différents éléments, vous comprendrez que nous n'avons aucune raison de voter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Muguette Jacquaint - Monsieur le ministre, vous dites que vous êtes un homme heureux et nous nous en réjouissons pour vous, mais vous êtes bien le seul dans cette situation ! Les assurés sociaux ne peuvent en effet qu'être très mécontents de ce projet de loi de financement qui livre la sécurité sociale aux lois du marché et tend à donner la part prépondérante de la protection sociale aux complémentaires. Marqué par l'insincérité de ses prévisions et par l'austérité, votre projet combine étatisation et privatisations pour continuer à opérer des coupes claires dans les dépenses. Vous constituez un panier de soins minimal et vous ouvrez toujours plus largement la couverture des risques sociaux au marché concurrentiel. Le forfait de 18 euros en offre l'exemple le plus éclatant et il constitue un précédent scandaleux. Les déremboursements successifs, la franchise d'un euro et l'augmentation du forfait hospitalier représentent par ailleurs autant d'atteintes à la couverture de base solidaire. En définitive, l'ensemble de votre politique vous est dictée par la conviction que la sécurité sociale ne doit prendre en charge que les gros risques, les plus petits étant laissés aux appétits financiers des assureurs. Et tant pis si ce libéralisme débridé vous conduit à présenter depuis trois ans des comptes toujours plus désastreux, derrière lesquels vous vous abritez pour tenter de justifier vos mesures de régression sociale.

Depuis votre arrivée aux responsabilités, le déficit a quadruplé ! Au reste, quel meilleur moyen de justifier sanctions et pénalités que d'afficher un déficit de 11,9 milliards - dont 8,3 milliards pour la branche maladie, 0,5 milliard pour les accidents du travail et les maladies professionnelles, 2 milliards pour la branche vieillesse et un pour la famille ? Fait sans précédent, les quatre branches du régime général sont dans le rouge, et pas la moindre perspective de progrès social à l'horizon !

S'agissant de la branche accidents du travail et maladies professionnelles, votre attitude est particulièrement inacceptable. Vous tolérez la sous-déclaration des maladies professionnelles alors même que le dernier rapport du groupe de travail sénatorial sur l'amiante insiste tout particulièrement sur le fait que la déclaration est le préalable à toute action valable de réparation. Encore faudrait-il cependant que les médecins du travail soient en nombre suffisant et en mesure de remplir leur mission en toute indépendance ! Vous laissez délibérément cette branche en déficit alors qu'il est impératif de réparer le tort causé aux victimes de l'amiante et de prendre en compte l'augmentation du nombre de maladies professionnelles reconnues.

La branche famille, traitée comme la variable d'ajustement, enregistre un déficit de 1,1 milliard. La CNAF supporte le coût de la PAJE, mais vous ne tenez pas votre promesse d'étendre le bénéfice de celle-ci aux enfants nés avant 2004.

Face au déficit record de la branche vieillesse, vous augmentez de 0,2 point la cotisation, surtout au détriment des salariés. Allez-vous revenir à plus de justice et mieux faire partager l'effort aux entreprises ?

Quant à l'assurance maladie, elle connaît une situation catastrophique, tant pour les soins de ville que pour l'hôpital public, sacrifié au privé malgré les appels de détresse de ses représentants et de ses personnels.

C'est votre politique économique qui est à l'origine de la crise de financement sans précédent de la sécurité sociale et de son déficit abyssal, multiplié par quatre depuis 2002.

Aussi, lorsque vous promettez, la main sur le cœur, le retour à l'équilibre dès 2006-2007 pour faire accepter les sacrifices aux assurés sociaux, ce n'est que poudre aux yeux. Demain ils supporteront plus d'un milliard et demi d'économies faites sur leur dos et de prélèvements supplémentaires.

Et tout cela, parce que vous préférez user de mesurettes financières pour récupérer quelques centaines de milliers d'euros par-ci par-là, plutôt que de vous attaquer réellement au problème structurel du financement, l'objectif étant toujours d'épargner le capital et de mettre davantage à contribution le travail et les ménages, à coups d'augmentations de cotisations, de taxes et d'impôts divers.

Votre courage dans la réforme s'arrête aux bornes que vous impose, sans grand mal d'ailleurs, le Medef.

Le « trou de la sécu » se creuse donc en raison de votre idéologie. Il s'élève à près de 13 milliards. Si les moyens dégagés pour compenser les exonérations de cotisations sociales étaient utilisés pour l'assurance maladie, cela rapporterait plus de 15 milliards ! Si les taxes sur les tabacs et alcools lui étaient intégralement affectées, ce serait plus de 9 milliards rien que pour l'année 2006 ! Un prélèvement de 10 % sur les revenus financiers, hors épargne populaire, rapporterait plus de 15 milliards ! Et lutter efficacement contre le chômage plutôt que de faire des cadeaux fiscaux aux riches, rapporterait, grâce à la création de 100 000 emplois, 500 millions de recettes supplémentaires !

Les moyens existent donc pour assurer l'avenir de notre système. C'est pourquoi nous ne pouvons accepter que les principes fondateurs de notre sécurité sociale - l'universalité, la solidarité -, la démocratie sociale, et l'existence même des droits sociaux qui en découlent, soient remis en cause. Nous voterons contre ce texte.

M. Michel Vaxès - Très bien.

M. Philippe Vitel - La discussion du PLFSS fut constructive à l'Assemblée comme au Sénat, et les parlementaires ont enrichi le texte de façon notable. Il est en parfaite harmonie avec les évolutions prévues lors de la réforme de l'assurance maladie d'août 2004 et confirme l'objectif de réduction du déficit. Avoir ramené celui-ci de 11,6 milliards en 2004 à 8,3 milliards en 2005 est encourageant et permet d'envisager de le limiter à 6,1 milliards en 2006. Ces résultats ont été obtenus alors que le ralentissement de la croissance de la masse salariale s'est traduit par un recul des recettes de 1,2 milliard par rapport aux prévisions. Nous avons donc bien rompu avec la tendance au creusement du déficit qui prévalait jusqu'en 2004.

Les dépenses de soins de ville qui progressaient de 6 à 7 % par an jusqu'en 2003 ont augmenté de 1,9 % lors des huit premiers mois de 2005, par rapport à la même période de 2004, et cette tendance devrait se poursuivre grâce à la création du dossier médical partagé et de la carte Vitale individualisée.

A partir du 1er janvier 2006, seront mis en place des contrats responsables entre organismes complémentaires et patients, et les patients ne passant pas par leur médecin traitant pour s'insérer dans un parcours de soins paieront une participation majorée, ce qui devrait les inciter à respecter ce parcours. Certains remboursements seront améliorés. Par ailleurs, les contrats responsables prendront également en charge, intégralement, certaines prestations de prévention définies après consultation de la Haute Autorité de santé. En revanche, si l'assuré consulte un spécialiste sans être orienté par son médecin traitant, les dépassements resteront à sa charge dans la limite de 7 euros par consultation, de même que la majoration du ticket modérateur imposée dans ce cas à compter du 1er janvier 2006.

A l'article 36 bis portant sur l'entrée en vigueur des contrats responsables, la CMP a adopté deux amendements de portée substantielle. Le premier donne un délai de six mois - jusqu'au 1er juillet 2006 - aux assureurs santé pour adapter leurs contrats en ce qui concerne la prise en charge des prestations de prévention et lorsque ces contrats sont issus d'une convention collective ou d'un accord collectif professionnel ou interprofessionnel. Le second réécrit l'article pour mettre en conformité la procédure d'adaptation des contrats individuels avec les règles du contrat responsable. Plutôt que dans le code des assurances, comme le souhaitait le Sénat, cette procédure est fixée dans la loi, ce qui est une garantie.

D'autres économies importantes sont attendues d'un meilleur contrôle des remboursements aux nouveaux patients atteints d'une affection de longue durée. Cette mesure devrait dégager 455 millions d'économies dès 2005. L'Assemblée a amélioré ses modalités de mise en œuvre.

L'ONDAM pour 2006 est à la fois rigoureux et réaliste. Dans la mesure où le PLFSS permet de réduire le déficit de la branche maladie à 6,1 milliards, contre 7,2 milliards sans mesures nouvelles, la progression de l'ONDAM est fixée à 2,7 % à périmètre constant, soit 138,5 milliards. Il serait intéressant d'y tenir compte des écarts de rémunération entre l'hôpital public et le privé ; l'augmentation des recettes et des réformes structurelles le permettront, j'en suis convaincu.

L'ONDAM médico-social, en augmentation de 6,16 %, finance les dépenses en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées. Afin de s'adapter aux changements démographiques, il est proposé d'augmenter de 13,4 % les dépenses pour personnes âgées dépendantes. En deux ans, 20 000 places ont été créées dans les établissements d'hébergement qui les accueillent, et 17 000 dans les services de soins infirmiers à domicile. Les nouvelles mesures devraient permettre de rénover 50 000 places supplémentaires.

Les dépenses en faveur des personnes handicapées augmentent de 5 %, et même de 6 % si l'on tient compte de la participation de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.

Le plan médicament sera poursuivi avec détermination. Dans son rapport de 2005 sur le financement de la sécurité sociale, la Cour des comptes souligne que chaque Français consomme une boîte de médicament par semaine, soit une fois et demie plus que les Allemands et les Espagnols. D'une part, l'essor des génériques sera favorisé grâce à la mise en cohérence de leurs prix et des prix européens, ce qui entraînera une baisse de 13 % au 1er janvier 2006. D'autre part, la prise en charge des médicaments à service médical rendu insuffisant sera adaptée. Mais, au début de 2005, 196 médicaments nouveaux ont été admis au remboursement, ce qu'on a moins souligné que le déremboursement de 156 produits de confort à partir du 1er mars 2006 ! Pour les veinotoniques à service médical rendu insuffisant, les prix baisseront de 20 % et le remboursement passera de 35 % à 15 %.

La CMP a décidé de fixer à 1,76 % le taux de la contribution sur le chiffre d'affaires des laboratoires pharmaceutiques, alors que les députés s'étaient accordés sur 1,5 % et les sénateurs sur 1,96 %.

De nouvelles mesures visant à améliorer la répartition des professionnels de santé viennent compléter la loi relative au développement des territoires ruraux. Les aides conventionnelles à l'installation seront élargies aux remplaçants. Dans les zones déficitaires, les médecins devraient en trouver leur charge de travail allégée.

Le fonds d'aide à la qualité des soins de ville voit ses moyens renforcés et sa pérennité assurée. Il a vocation à financer des projets facilitant la permanence des soins, comme les maisons médicales de garde. A l'article 39, un amendement du groupe socialiste a été adopté, permettant au fonds d'attribuer des aides à toute action visant à favoriser une bonne répartition des professionnels de santé sur le territoire. Un amendement du Gouvernement a porté le montant maximal des dépenses du fonds de 150 à 165 millions. Ce sont d'excellentes nouvelles.

Avec la tarification à l'activité, le Gouvernement a souhaité que les règles de tarification soient plus équitables entre établissements des secteurs public et privé, dans la limite bien sûr des écarts justifiés par la différence de nature des charges. Deux amendement du Sénat complètent notre dispositif : l'un pérennisant le groupement pour la modernisation du système d'information hospitalier et l'autre précisant le contenu du bilan de suivi des dotations régionales affectées aux missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation. C'est d'une logique implacable.

Le fonds pour la modernisation des établissements de santé publics et privés est doté, lui, de 327 millions pour soutenir l'investissement des établissements. Le Gouvernement a annoncé que les efforts d'amélioration de la gestion hospitalière seraient poursuivis, notamment en matière de politique des achats et de gestion interne des établissements. Les économies attendues pour l'assurance maladie sont évaluées à 400 millions. Le fonds de concours « Biotox » se voit attribuer 175 millions pour 2006, et le ministre compte proposer de porter cette dotation à 200 millions.

Le Sénat a enrichi le texte d'amendements importants concernant les branches vieillesse et famille. Ainsi, l'article 44 ter prévoit que lorsque un enfant naît plus de six semaines avant la date présumée de I'accouchement, la période pendant laquelle la mère perçoit l'indemnité journalière de repos est augmentée du nombre de jours correspondant. L'article 48 bis indique, lui, que l'adossement d'un régime de retraite spécial sur la CNAVTS respecte le principe de stricte neutralité financière pour les assurés du régime général. L'article 48 ter dispose que l'adossement à la branche vieillesse d'un régime spécial fait l'objet, préalablement à la signature de la convention correspondante, d'une information des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat. L'article 49 A précise que toute personne qui, du fait de son activité professionnelle, est susceptible d'avoir inhalé des poussières d'amiante, est informée de son droit de bénéficier gratuitement d'une surveillance médicale. Enfin, l'article 54 bis, ô combien important, prévoit que les étrangers bénéficient des prestations familiales sous réserve de justifier de la naissance en France de leurs enfants, ou de leur entrée régulière dans le cadre du regroupement familial, de leur qualité de réfugié ou du fait qu'il soit titulaire de la carte de séjour. Un décret fixe la liste des titres et justifications recevables.

Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale nous semble en totale cohérence avec la courageuse réforme de l'assurance maladie de juillet 2004. Ceux qui ont toujours cru en cette réforme seront à vos côtés pour la conduire au succès. C'est ce que nous ferons ce soir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La discussion générale est close.

Mme la Présidente - Nous en venons au texte de la commission mixte paritaire. Avant de le mettre aux voix, je vais, conformément à l'article 113, alinéa 3, du Règlement, appeler l'Assemblée à statuer d'abord sur les amendements dont je suis saisie.

ART. 16

M. le Ministre délégué - L'amendement 1 rectifié est défendu.

M. le Rapporteur de la CMP - Avis favorable.

M. Dominique Tian - Cet amendement me permet d'évoquer une circulaire du 19 août 2005, prévoyant que les employeurs ne pourront plus intégrer dans leurs frais d'entreprise que cinq repas d'affaires par salarié et par mois. Auparavant, les dépenses engagées par le salarié et dûment justifiées étaient considérées comme des frais d'entreprise. Au-delà de ce nouveau quota, les repas seront considérés comme un complément de salaire soumis à l'impôt sur le revenu et aux cotisations sociales. Cette disposition, outre le côté vexatoire qu'elle peut revêtir, illustre une certaine méconnaissance de la réalité de l'entreprise : croyez bien qu'elles n'ont pas attendu cette circulaire pour contrôler les notes de frais de leurs salariés ! Cette disposition va en outre pénaliser le secteur de la restauration, qui connaît déjà de sérieuses difficultés et auquel le Gouvernement demande de gros efforts d'embauche, et ce pour un résultat financier qui me semble très faible.

M. le Ministre délégué - Votre intervention ne porte pas directement sur l'amendement, mais j'ai en effet été saisi par les entreprises des difficultés d'application que pose cette circulaire. Mes services n'ont pas voulu faire autre chose que rappeler les règles en vigueur mais, compte tenu de vos observations, la circulaire va faire l'objet d'un réexamen.

L'amendement 1 rectifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 18

M. le Ministre délégué - Les amendements 4 rectifié et 3 rectifié sont de coordination.

Les amendements 4 rectifié et 3 rectifié, acceptés par la commission, sont adoptés.

ART. 21

M. le Ministre délégué - L'amendement 2 rectifié est défendu.

L'amendement 2 rectifié, accepté par la commission, est adopté.

L'ensemble du projet de loi, mis aux voix compte tenu du texte de la commission mixte paritaire modifié par les amendements qui viennent d'être adoptés, est adopté.

La séance, suspendue à 22 heures 40, est reprise à 22 heures 50.

LUTTE CONTRE LE TERRORISME (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers.

Mme la Présidente - Cet après-midi, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

M. Daniel Vaillant - Depuis les attentats du 11 septembre 2001 et leurs images de cauchemar qui hantent toujours notre mémoire collective, il faut se rendre à l'évidence. La nature même de la menace terroriste a changé. Nous sommes, avec les groupes islamistes radicaux de la mouvance d'Al Qaida, confrontés à un terrorisme d'un type nouveau. Ces groupes, structurés sur un mode militaire, ignorent les frontières, bénéficient de ressources financières sans précédent, usent de moyens techniques de plus en plus sophistiqués et s'appuient sur des individus, pour certains au moins en apparence parfaitement intégrés à nos sociétés occidentales. Les attentats perpétrés par ces groupes sont d'une dimension et d'une nature inconnues jusqu'alors, notamment avec des attaques-suicides.

Nos sociétés démocratiques, cibles de ce terrorisme fanatique, sont particulièrement vulnérables à ses attaques. Il serait illusoire de croire que la France puisse être épargnée. Du reste, elle a été durement frappée par le terrorisme islamiste dès les années quatre-vingt. Je pense aux terribles attentats de la rue de Rennes en 1986 et du RER Saint-Michel en 1995. Face à de telles menaces, l'Etat doit se donner les moyens de protéger la société et les citoyens.

Les causes du mal terroriste sont multiples : inégalités criantes entre le Nord et le Sud, ravages d'un libéralisme incontrôlé, désormais tout-puissant, absence de démocratie dans certains pays, injustice, pauvreté, ignorance... Certaines grandes puissances jouent aussi avec le feu, lorsqu'elles arment et financent à des fins géostratégiques des groupes qui se révèlent ensuite incontrôlables, ou lorsqu'elles envahissent des Etats sous des prétextes fallacieux. Il faut comprendre tout cela pour mieux agir, même si, comme l'a déclaré Kofi Annan après le 11 septembre, aucun acte terroriste ne peut jamais se justifier.

Le terrorisme doit être combattu de la manière la plus ferme. Les opérations militaires, pour légitimes qu'elles soient - je pense à l'Afghanistan - ne sauraient suffire. C'est la réponse policière et judiciaire qui est déterminante, en particulier dans le cadre de coopérations bilatérales et multilatérales entre services de renseignement, forces de police et autorités judiciaires au niveau européen et international. Ces coopérations sont d'autant plus indispensables que les terroristes ignorent les frontières.

Dans ce domaine, je puis en témoigner, nos services de renseignement et de police mènent un travail remarquable pour procéder à des arrestations préventives. Ainsi, en décembre 2000, la coopération policière avec l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne a permis de démanteler un réseau qui projetait de commettre un attentat sur le marché de Noël de Strasbourg. En septembre 2001, à la suite de l'arrestation aux Emirats arabes unis d'un ressortissant français, Djamel Beghal, vingt-sept personnes ont pu être interpellées en France, en Belgique, aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne et en Espagne, dont un groupe chargé de commettre un attentat contre les intérêts américains en France. Et ces actions efficaces se sont poursuivies depuis 2002.

Nous avons beaucoup progressé à l'échelon européen avec la création d'Europol et du système d'information Schengen, avec l'institution du mandat d'arrêt européen et la mise en réseau des magistrats des 25 pays membres dans le cadre d'Eurojust. Nous devrions ainsi, à l'avenir, éviter des situations aberrantes comme celle que nous avons connue avec Rachid Ramda. Il aura fallu attendre dix ans son extradition par la justice britannique alors qu'il est manifestement celui qui a financé les attentats du métro parisien de 1995.

M. Alain Marsaud, rapporteur de la commission des lois - Et encore n'est-ce pas fait !

M. Daniel Vaillant - Nos amis britanniques étaient longtemps restés insensibles à ce que certains pays, dont le nôtre, leur répétaient depuis des années, à savoir qu'ils n'étaient pas à l'abri d'attaques terroristes, hébergeant sur leur sol des bases dormantes susceptibles de passer à l'action. Les attentats de Londres en juillet dernier l'ont, hélas, montré, de la manière la plus tragique.

Lorsque j'étais ministre de l'intérieur, j'avais eu l'occasion de dire lors d'un sommet du G8 à Milan que « le terrorisme, ça n'arrive pas qu'aux autres ». C'est pourquoi nous devons être solidaires de nos voisins menacés par des attentats, même quand le terrorisme ne sévit pas chez nous. C'est ainsi que j'avais développé la coopération policière entre la France et l'Espagne quand celle-ci subissait les attaques de l'ETA, dont les bases arrière étaient situées sur notre territoire.

Au-delà du renforcement de la coopération européenne et internationale, nous devons avoir une démarche globale de « prévention active ». Dans ce but, il est légitime de renforcer notre arsenal législatif. Il faut donner de nouveaux moyens aux services de police, pour tenir compte notamment des progrès technologiques - sans jamais toutefois affaiblir les moyens du renseignement humain, l'un des atouts maîtres de notre pays.

Il convient dans le même temps de s'assurer que l'exigence d'efficacité n'altère pas la protection des libertés individuelles. Dans une démocratie comme la nôtre, ce serait une erreur majeure de croire que la lutte contre le terrorisme autoriserait à s'affranchir du respect des valeurs démocratiques qui fondent notre République. Même si à mon sens, la première atteinte aux droits de l'homme, c'est le terrorisme.

Nous étions parvenus à cet équilibre entre efficacité et protection des libertés avec la loi relative à la sécurité quotidienne, que le Parlement a voté en 2001, à ma demande et sur proposition du gouvernement de Lionel Jospin, à la suite des attentats du 11 septembre. Ce texte visait, notamment, à lutter contre les réseaux terroristes et contre les trafics en tous genres qui concourent à leur financement. Les services de police et de gendarmerie ont ainsi été autorisés à fouiller les coffres des véhicules dans le cadre d'enquêtes terroristes. Les visites domiciliaires sans l'autorisation du propriétaire ont été facilitées. Le nombre des personnes habilitées à fouiller les bagages, colis, marchandises, véhicules ou navires ainsi que les personnes dans les aéroports et les ports maritimes a été augmenté. Les agents de sécurité privée ont pu être habilités par les préfets à procéder à des fouilles de bagages à mains ainsi qu'à des palpations de sécurité. Les fournisseurs d'accès à internet ont été tenus de conserver et de tenir à la disposition de la puissance publique les données de connexion durant un an. Enfin, cette loi a renforcé la lutte contre le financement du terrorisme, en incriminant notamment le blanchiment et le délit d'initié lorsqu'ils sont commis en relation avec une entreprise terroriste. Cette lutte contre le financement, primordiale, doit être menée sans répit. Avec le recul, je reste convaincu que ces mesures étaient justes et nécessaires. Elles faisaient partie d'une politique globale qui a porté ses fruits, dans la mesure où aucun attentat islamiste n'a été commis sur le sol français depuis lors.

Il convient cependant de ne pas baisser la garde. C'est pourquoi j'ai considéré qu'il fallait avoir une approche positive lorsque le Gouvernement, à la suite des attentats meurtriers de Londres, a souhaité faire évoluer notre législation antiterroriste, dans un projet qui met l'accent sur le renforcement de la prévention active. J'ajoute qu'il ne faut pas oublier la gestion des risques nucléaires, biologiques et chimiques, car on ne peut, hélas, exclure qu'un drame survienne, en dépit des mesures préventives prises. Nous avions lancé en 2001 un plan gouvernemental à cette fin. Il faut poursuivre l'effort et y consacrer d'importants moyens.

La lutte contre le terrorisme ne doit pas être l'objet de polémiques entre les responsables politiques respectueux de la République et de la démocratie. Le sujet est trop grave pour être l'otage de calculs tactiques, d'arrière-pensées ou de préoccupations étrangères à son objet.

M. le Rapporteur - Très bien !

M. Daniel Vaillant - C'est pourquoi il serait éminemment souhaitable qu'au terme de cette discussion, la représentation nationale puisse voter ce texte, afin de montrer à nos concitoyens notre détermination commune à mener, dans le respect du droit, une lutte efficace contre le terrorisme.

C'est dans cet esprit que les députés socialistes ont déposé des amendements au projet du Gouvernement.

Leur premier objectif est de faire de la lutte contre le terrorisme le seul objet de ce texte. Certes, nous ne contestons pas l'intérêt de dispositions visant à mieux lutter contre l'immigration clandestine, en transposant par exemple une directive européenne adoptée en réponse aux attentats de Madrid. Mais, pour des raisons de cohérence et de clarté, il nous semble préférable d'utiliser un autre véhicule législatif, qui pourrait être la loi sur les préventions annoncée par le Gouvernement.

En second lieu, nous demandons qu'il soit tenu compte des observations de la CNIL : des garanties doivent permettre d'encadrer strictement l'accès des services de police aux fichiers administratifs et aux données recueillies, qu'il s'agisse de vidéosurveillance, de communications électroniques ou encore de contrôle des déplacements, afin d'éviter tout détournement de leur usage.

Enfin, nous souhaitons l'instauration d'un contrôle parlementaire sur les services d'information et de renseignement, qui existe déjà dans la plupart des autres pays démocratiques. Nous attendons que vous mettiez en œuvre l'engagement que vous avez pris en ce sens devant la commission des lois, Monsieur le ministre d'Etat.

Il n'y a donc rien dans ces amendements qui remette en cause la philosophie, les objectifs et l'efficacité des mesures de lutte contre le terrorisme que vous nous proposez d'adopter. Si vous répondez à nos demandes, vous créerez les conditions d'un vote positif de notre part, comme nous avions su le faire en 2001 sur le volet antiterroriste de la loi « sécurité quotidienne ». Cela dépend de vous, Monsieur le ministre d'Etat (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Noël Mamère - Mes propos risquent de détonner dans cette atmosphère de consensus. Les députés Verts considèrent en effet que ce projet de loi est dangereux et porte une grave atteinte aux libertés publiques. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Si nous sommes tous confrontés à la menace terroriste, nous divergeons sur les moyens d'y faire face. Dans le droit de fil de votre stratégie de tension et de peur, Monsieur le ministre d'Etat, votre projet a en effet délibérément choisi la voie du tout-sécuritaire. Vous faites de la surenchère alors qu'il suffirait d'appliquer les lois qui existent depuis vingt ans. Pourquoi aller chercher votre modèle dans un pays dont le « Patriot Act » tire parti des menaces terroristes pour porter atteinte aux libertés et remettre en cause le pacte fondateur de la société américaine que vantait Tocqueville ?

Vous proposez une loi de circonstance qui ne vise qu'à vous maintenir au sommet des sondages...

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire - Envieux !

M. Noël Mamère - ...et à vous permettre de labourer les terres de l'extrême droite, comme le fit en son temps M. Pasqua. Cette même politique spectacle en quête de sensationnel vous a conduit, lors de l'émission Pièces à conviction, à annoncer cinq jours à l'avance une opération antiterroriste. Pareille manipulation médiatique, Monsieur le ministre, est un jeu à haut risque. Vous devriez vous garder de cette tentation qui n'est pas à la hauteur de l'homme d'Etat que vous prétendez être.

M. le Ministre d'Etat - Grotesque !

M. Noël Mamère - Cette loi ne fait que tordre le cou à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme, qui protège l'individu contre l'arbitraire de la puissance publique. Toutes les dispositions que vous proposez constituent de nouvelles atteintes aux libertés fondamentales, comme la liberté d'aller et de venir, le droit à l'intimité de la vie privée, et particulièrement le secret de la correspondance.

Votre prétendu dispositif de lutte contre le terrorisme et de prévention des attentats n'est en vérité qu'une opération d'affichage sans efficacité. Elle ne fait que renforcer l'inflation sécuritaire que vous avez déclenchée en 2002. N'oublions pas en effet que MM. Perben et Villepin ont respectivement démantelé notre code pénal et porté atteinte au statut de réfugié et de demandeur d'asile. Et que dire des projets en gestation - développement des moyens d'identification personnelle biométriques, élargissement du recours à la vidéo-surveillance dans les parties communes des grands ensembles pour prévenir la délinquance, ou encore transformation des travailleurs sociaux en indicateurs de la police ?

Si l'on ajoute à cet arsenal la prorogation pour trois mois de l'état d'urgence, il est manifeste que votre « rupture » n'a d'autre sens que le verrouillage, la peur, la tension, les divisions et la confessionalisation des rapports sociaux - bref l'instauration d'une société recroquevillée et policière, où la justice est cantonnée au statut d'auxiliaire et les libertés fondamentales considérées comme subsidiaires.

Alors que vous avez soumis la France à l'état d'exception, ce projet va pérenniser l'exceptionnel. Comment croire à vos clauses de « rendez-vous » quand les dispositions exceptionnelles de la loi « sécurité quotidienne » de 2001, soumises au même mécanisme, ont été pérennisées sans attendre l'expiration de la période d'évaluation ?

Monsieur le ministre d'Etat, imposer l'état d'exception permanent, c'est prendre le risque de rompre l'équilibre d'une société et de mettre en danger les valeurs de notre République pour de vulgaires surenchères politiciennes. Les députés Verts ne cautionneront donc pas cette course folle à la sécurité qui sape notre pacte républicain. Ils voteront contre ce texte, quoi qu'il leur en coûte devant une opinion anesthésiée. Car leur rôle est d'exercer, au même titre que vous, une parcelle de la souveraineté nationale (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Gérard Léonard - S'il est un sujet qui justifie la recherche du consensus le plus large possible, c'est bien la lutte contre le terrorisme. Un consensus sur les principes tout d'abord : nous faisons face à une véritable guerre, qui nécessite l'adaptation de nos outils de lutte à un danger complexe et redoutable. Un consensus sur les moyens également, qui doivent nous permettre d'agir efficacement sans violer les libertés individuelles inscrites dans la Constitution.

Parce que cette loi répond à l'impératif d'adapter notre dispositif de lutte aux données nouvelles du terrorisme ; parce qu'elle s'inscrit dans un régime spécifique qui a fait ses preuves depuis 1986 ; et parce que nous avons besoin d'une législation d'exception qui respecte l'Etat de droit, le texte proposé devrait recueillir l'approbation d'une très large majorité de cette assemblée.

Ce projet de loi est en effet l'occasion de manifester notre volonté et notre détermination de ne jamais céder devant la barbarie terroriste. Félicitions donc le Gouvernement pour le courage, la lucidité et l'esprit de mesure qui l'ont inspiré.

Saluons aussi l'excellent rapport de M. Marsaud, qui a parfaitement replacé ce projet dans son contexte juridique, technique et politique.

Je voudrais maintenant aborder deux questions essentielles : la vidéosurveillance et les administrations chargées de la lutte contre le terrorisme. L'intérêt de la vidéosurveillance ne peut être nié car elle permet d'identifier les auteurs de crimes terroristes, comme les attentats de Londres l'ont montré. Mais il ne s'agit nullement d'une panacée : la généraliser ne permettrait pas une prévention efficace et elle pose problème au regard des libertés individuelles. Trop de vidéosurveillance nuit donc à la vidéosurveillance. Réjouissons-nous ainsi de la décision de modifier l'article 10 de la LOPSI, qui permet d'élargir ses applications tout en conservant son caractère ciblé et contrôlé.

S'agissant des administrations en charge de la lutte contre le terrorisme, je voudrais souligner la nécessité de la coordination et du discernement dans l'action. Outre la DGSE, qui dépend du ministère de la défense, deux grands services concourent à la collecte et à l'exploitation du renseignement en France : la DST et les Renseignements généraux, dont les personnels relèvent du ministère de l'intérieur. L'efficacité de la DST dans la prévention du terrorisme résulte de nombreux atouts : une longue expérience ; des compétences très particulières, qui associent renseignement et police judiciaire ; l'outil juridique très efficace qu'est l'incrimination pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » ; la grande qualité de ses agents et les liens personnels de confiance qu'ils ont su nouer avec leurs collègues étrangers ; enfin, le renforcement des relations avec la direction centrale des Renseignements généraux, engagé depuis trois ans.

L'action des 3 850 agents des RG a ainsi été réorientée vers la lutte contre les dérives urbaines et le terrorisme, et leurs méthodes rénovées. Les partenariats avec la DST, la DNAT et la sécurité publique - coordination des actions menées, mutualisation des formations et rapprochement sur un même site - sont autant de facteurs qui ont permis de renforcer l'efficacité de notre dispositif de renseignement sous l'impulsion du ministre d'Etat.

Ce rapprochement doit-il pour autant être le prélude à une fusion des deux directions dans un grand service de renseignements ? Je ne le pense pas, car cela risquerait notamment d'éloigner les renseignements généraux d'autres services comme ceux de la sécurité publique qui peuvent fournir des informations recueillies sur le terrain. A cet égard, il conviendrait de compléter la formation des policiers de la sécurité publique en matière de terrorisme et de veiller à une meilleure fluidité des transmissions de renseignements entre tous les services de police et de gendarmerie.

Des progrès considérables ont été réalisés depuis 1986, tant en matière législative qu'administrative. Les défis, eux aussi, ont évolué. Il importe de s'y adapter et d'anticiper : c'est à cette double exigence que répond ce texte. Il est de notre devoir de l'adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Marie Le Guen - La lutte contre le terrorisme est à l'évidence une question grave et durable, qui met en jeu la vie de nos concitoyens et la cohésion sociale du pays. Mais elle doit aussi modifier de manière profonde la manière de gérer la sécurité de nos concitoyens. Il ne convient pas d'aborder un tel sujet par la polémique, mais il est de notre devoir de mener une réflexion sans complaisance.

A plusieurs reprises, en France et ailleurs, les responsables ont prévenu l'opinion publique : un attentat est toujours possible et aucun pays ne peut se considérer à l'abri. Au-delà des événements dramatiques de New York, Madrid et Londres, nous savons qu'un risque nouveau est apparu : le bioterrorisme, contre lequel nous avons commencé d'agir dès 2001 avec la mise en place du plan Biotox.

Votre projet de loi tente d'apporter un certain nombre d'améliorations tenant au recueil d'informations, aux incriminations et à la répression. Il est légitime et la plupart des mesures qu'il contient sont nécessaires. Pour autant, il n'est pas dissuasif et néglige des aspects fondamentaux. En effet, la sécurité de nos concitoyens ne dépend pas seulement de la dissuasion : elle tient aussi à la gestion de la catastrophe.

Certes, des plans existent, mais pour ce que j'en sais, des efforts restent à faire : c'est tout le sens du rapport de la Cour des comptes sur le plan Biotox. Nous devons aussi investir davantage le domaine de la recherche et développement en matière de protection civile, à l'image des Etats-Unis. Certains dispositifs doivent être mis en place : l'action des pouvoirs publics, notamment en matière de protection de l'eau, n'est pas assez décisive. Par ailleurs, nous ne possédons pas de structure intégrée de gestion de la crise comme les Britanniques : qui sera immédiatement en charge, en cas de catastrophe, des opérations de coordination, de communication ? Le Président de la République, le Premier ministre, le ministre de l'Intérieur, le préfet de police ? Ces questions ne sont pas aujourd'hui réglées.

Enfin, j'ai eu l'occasion d'expliquer, à propos d'un autre risque, celui de la pandémie grippale, qu'il ne suffit pas d'élaborer un plan théorique, mais qu'il est important de passer à la préparation pratique sur le terrain. En matière de bioterrorisme, une simulation a eu lieu à la station de RER Invalides en 2003 et a mis en évidence quelques insuffisances. Mais il n'existe pas à un niveau plus élevé de véritables exercices de préparation, que rien ne peut remplacer.

Ce texte, par certains aspects, et compte tenu des remarques de mes collègues, apporte des améliorations. Toutefois, nous ne pouvons pas faire croire aux Français qu'il suffira de poser des caméras, que l'appareil judiciaire soit plus fort et les services de renseignement plus actifs pour combattre le terrorisme. De la capacité à gérer la catastrophe dépendra la confiance de nos concitoyens, qui devront, malheureusement, faire face à ces crises. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Christian Philip - Le terrorisme n'a pas de frontières et la France en a été la triste victime, sur son sol comme à l'étranger. S'il est nécessaire que chaque pays se dote des instruments juridiques, administratifs et matériels pour combattre l'action terroriste - exigence à laquelle répond ce projet de loi - il n'en demeure pas moins que la coopération internationale est une réponse adaptée à ce phénomène global.

L'Union européenne - qui est, semble-t-il, le cadre le plus naturel de cette coopération - peut-elle offrir une plus-value ? Membre de la délégation pour l'Union européenne, j'ai eu l'occasion de dresser un état des lieux des mesures prises par l'Union depuis les attentats du 11 septembre 2001. J'ai noté une accélération sans précédent de la production de normes permettant d'harmoniser les législations nationales : définition de l'acte terroriste ; mise en place du mandat européen ; gel des fonds et des avoirs financiers ; règles concernant la rétention des données personnelles essentielles. Parallèlement, les Etats membres ont renforcé leur coopération dans le cadre d'Europol ou d'Eurojust, intensifié l'échange des renseignements et institué un coordinateur de la lutte contre le terrorisme.

Hélas, ces mesures peinent à être appliquées avec efficacité. La règle de l'unanimité - la sécurité appartient au troisième pilier - entraîne des blocages, au détriment de la nécessaire réactivité. La lutte opérationnelle contre le terrorisme relève des Etats membres et l'action de l'Union est par définition complémentaire : elle renforce la coopération des services de police, de renseignements et des magistrats en créant un cadre législatif favorable. Encore faudrait-il que son action soit plus cohérente : un coordinateur de la lutte contre le terrorisme a bien été désigné, mais on ne sait toujours pas bien quels seront ses pouvoirs. L'adoption du projet de Constitution aurait permis de supprimer la structure par piliers, et d'accroître l'efficacité de l'Union en la matière, mais tel ne fut pas le cas.

Aussi, ne devrait-on pas plutôt encourager l'action de certains Etats de l'Union ? Qu'attendez-vous par exemple du G5, et le projet de loi lui fait-il une place ?

S'il faut privilégier le G5 et les coopérations bilatérales, l'Union européenne ne peut-elle pas néanmoins appuyer un Etat membre dans le cas d'une attaque terroriste importante ?

Enfin, le Parlement européen a fait état de ses craintes en matière de droits de l'homme, face aux différentes législations en discussion dans les Etats membres. Dès l'exposé des motifs de votre projet, vous placez les droits de l'homme - notamment le droit à la sûreté - au cœur de vos préoccupations. Le défi d'une démocratie est de garantir aux citoyens une lutte efficace contre le terrorisme sans renier ses principes fondateurs.

C'est cet équilibre qui fait la force de votre texte, auquel j'adhère entièrement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Christian Vanneste - Le terrorisme est un adversaire pervers de la démocratie, car il lui livre un combat à armes inégales. L'état de droit garantit aux citoyens la liberté de s'exprimer, de circuler, de se réunir et de s'adonner à un culte et la sphère privée y est protégée de la sphère publique. Or, le terrorisme refuse ce cadre, au nom d'idées qu'il ne peut ou ne veut soumettre au débat démocratique. Ce faisant, il fait ressurgir la violence.

On observe une double dérive. D'une part, les actions lâches mais ciblées et symboliques cèdent la place à des actes qui frappent au hasard des victimes anonymes, sans lien avec les revendications. Loin d'être absurde, cette dérive est perverse car elle suscite la peur et la méfiance - défavorables à toute société libérale -, a des conséquences politiques - les élections espagnoles l'ont montré - et conduit la démocratie à se lancer dans une guerre dont l'objectif peut être paradoxal - limiter les libertés pour mieux les protéger.

D'autre part, les terroristes utilisent au mieux les nouvelles techniques et la liberté qu'elles procurent, entamant ainsi avec la démocratie une lutte du glaive et du bouclier où nous devons les empêcher à la fois d'imposer leurs revendications et de transformer l'état de droit en état policier.

Votre texte répond à cette double dérive car il renforce notre dispositif tout en préservant nos libertés fondamentales.

J'en veux pour preuve les mesures que vous prenez en matière de vidéosurveillance. Les attentats de Londres ont révélé l'efficacité des installations britanniques, mais aussi l'incroyable retard de notre pays dans ce domaine. La Grande-Bretagne possède quatre millions de caméras - on parle même de 25 millions - alors que la France n'en a que 300 000, dont 52 000 installées depuis 1997. Sur 479 collectivités territoriales qui en ont installé un total de 1 773, seules 183 l'ont fait pour surveiller la voie publique. Votre texte nous permettra de rattraper ce retard.

La CNIL avait, dès 1994, souligné les risques dus à la numérisation pour le droit à l'image, et a réitéré ses craintes dans sa déclaration du 10 octobre 2005. Or, si le terrorisme se trouve au sommet de la pyramide des crimes et des délits, la vidéosurveillance vise la base la plus large - celle des faits d'agressions et de dégradations. Certains dispositifs ciblés et spécifiques ne peuvent concerner que les faits les plus graves, mais plus le réseau sera dense, plus il sera efficace.

La vidéosurveillance n'a pas eu de rôle dissuasif ou préventif. C'est avant tout dans les lieux de réunion, de formation, de recrutement et de communication que les informations essentielles seront obtenues assez tôt. Il faut donc accomplir un important effort d'équipement en systèmes intelligents dotés de dispositifs d'alerte immédiate et de détection des comportements anormaux, s'appuyant sur un vaste réseau de caméras auquel les collectivités, encouragées par l'Etat, doivent contribuer, comme l'ont déjà fait Levallois, Epinay, Montpellier ou encore le Var, par exemple.

Dans le respect de l'état de droit, il faut faire un choix clair, loin des fantasmes idéologiques. La défense abstraite et absolue de la liberté au détriment de la sécurité peut conduire au massacre d'innocents. Françoise Rudetzki montre bien, dans Triple Peine, combien la victime d'un attentat est seule, exposée non seulement à la violence terroriste mais aussi à un certain abandon et à l'incompréhension de la société. Les démocraties font face à un dilemme : mettre l'ensemble de leur population en danger, ou toucher aux libertés. Mais qu'est-ce qu'une liberté menacée par la violence ?

Votre loi n'institue pas un « Etat-caméra ». Au contraire, elle défend la liberté dont Montesquieu disait qu'elle « provient chez un citoyen du sentiment qu'il a de sa sûreté » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Marc Reymann - Votre projet de loi porte essentiellement sur les mesures pratiques de la lutte contre le terrorisme et tire la leçon des récents attentats. Une fois de plus, les associations de défense des droits de l'homme parlent de liberté sacrifiée, alors qu'il ne s'agit que de tenir compte de l'évolution des techniques de communication et de repérage.

Comment ne pas approuver l'installation de systèmes de vidéosurveillance sur la voie publique et dans les lieux publics ? Comment ne pas permettre aux personnes morales exposées de déployer des caméras filmant la voie publique aux abords de leurs bâtiments ? Comment ne pas approuver le contrôle des déplacements et des communications de personnes suspectes, ou encore l'accès à certains fichiers nommément énumérés ?

La prolongation de la garde à vue et le renforcement des peines de réclusion à l'égard des terroristes sont des mesures légitimes. De même, le gel des avoirs d'organisations terroristes par le ministère de l'économie est un complément bienvenu à la convention internationale sur la répression du financement du terrorisme que la France a signée le 10 janvier 2000.

Quelle coopération internationale peut-on envisager pour lutter contre le terrorisme ? La mission d'information de la commission des affaires étrangères préconise la collaboration bilatérale. Pour être efficace, elle doit être discrète, car elle se concentre sur des domaines qui aiment peu la publicité - le renseignement et la justice - et doit porter avant tout sur des aspects opérationnels. L'Europe doit supprimer les freins à la coopération entre Etats membres, et les frontières nationales ne doivent plus être un obstacle à la conduite d'enquêtes en matière terroriste. Nos concitoyens ne comprendraient pas que l'Union européenne se désintéresse de ce sujet.

Je profite de cette intervention, Monsieur le ministre, pour attirer votre attention sur la situation de l'opposition iranienne en France. Malgré les comités de soutien qui rassemblent d'anciens chefs et membres de gouvernements, des parlementaires de droite comme de gauche et des défenseurs des droits de l'homme, les « Moudjahidins du Peuple d'Iran » sont classés sur la liste européenne des groupes terroristes. Après les propos bellicistes du Président des mollahs, je demande instamment au gouvernement français de revoir sa position face à ce mouvement d'opposition qui incarne un réel espoir démocratique pour l'Iran. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La discussion générale est close.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire - Je souhaite souligner d'emblée la haute tenue de ces débats, et je sais que Christian Estrosi, présent à mes côtés, partage mon opinion. Au reste, à une exception près sur laquelle je vais revenir, le diagnostic est largement partagé : la menace terroriste existe bel et bien et il faut renforcer les moyens destinés à la combattre. L'exception, disais-je, relève d'un parlementaire qui a pris pour habitude de se singulariser : qu'il me soit permis de lui dire que ce n'est pas parce qu'on est le seul à penser quelque chose... qu'on a forcément raison !

Comme l'a dit le ministre Daniel Vaillant, l'objectif doit être de rendre la lutte anti-terroriste plus efficace, et nous devons trouver des voies consensuelles pour y parvenir.

Votre rapporteur Alain Marsaud a parfaitement décrit les enjeux du débat, l'amont et l'aval du dossier du terrorisme, dont je salue sa parfaite connaissance. Il plaide avec constance pour que les parlementaires disposent d'un droit de regard et de contrôle sur l'activité des services de renseignement. Sur le principe, j'indique au président de votre commission des lois que je suis en plein accord avec votre rapporteur. Il faut sans doute se donner un peu de temps pour envisager le meilleur moyen d'organiser ce contrôle sur des institutions habituées à travailler dans la discrétion - ce qui ne veut pas dire qu'elles sont condamnées au secret - mais je considère avec vous qu'un parlement moderne a le devoir de ne pas se désintéresser de leur action et le droit de les contrôler.

Je remercie Thierry Mariani pour son soutien et le Gouvernement examinera ses différents amendements avec le plus grand intérêt, que ceux-ci portent sur la nécessaire réduction des frais de justice ou sur l'amélioration des modes de financement de la lutte anti-terroriste.

Je salue l'esprit de responsabilité du groupe socialiste, dont a témoigné l'intervention de Jacques Floch. Voyez-vous Monsieur Mamère, c'est la marque d'un parti de gouvernement que de savoir reconnaître ce qui mérite que l'on dépasse l'affrontement partisan.

M. Christian Vanneste - Très juste.

M. le Ministre d'Etat - Il y a ceux qui ont assumé l'exercice du pouvoir et ceux qui n'ont à assumer que le poids de leurs incohérences !

M. Noël Mamère - Nous sommes cohérents puisque nous avons voté contre la loi Vaillant !

M. le Ministre d'Etat - Au final, le seul réconfort dans tout cela, c'est que M. Mamère ne risque de toute façon pas d'assumer de grandes responsabilités gouvernementales ! (« Heureusement ! » sur les bancs du groupe UMP) Avec les socialistes, nous avons certes des désaccords, mais j'ai bon espoir que nous puissions avancer sur les points qui font débat, qu'il s'agisse des voies et moyens de transposition de la directive ou des questions liées à la vidéosurveillance.

Michel Hunault a exprimé le soutien du groupe UDF et je l'en remercie d'autant plus que ce n'est pas si fréquent par les temps qui courent... (Sourires) Est-ce dû à l'excellence de notre texte ou à celle de M. Hunault, je ne le sais pas, mais le Gouvernement ne boude pas son plaisir. D'accord aussi pour dire que la priorité doit être donnée au financement de la lutte anti-terroriste et à la coopération internationale, sur laquelle je vais m'arrêter un instant.

Je puis en effet témoigner qu'aux pires heures du conflit irakien, alors que le différend diplomatique entre la France et les Etats-Unis avait atteint son plus haut degré d'intensité, les services secrets américains et nos services de renseignement travaillaient ensemble quotidiennement. Il y a la politique, il y a la diplomatie et il y a la coopération journalière entre services : il ne faut pas tout mélanger et il faut faire confiance aux responsables pour travailler en bonne intelligence lorsque les circonstances l'exigent. Au reste, la coopération internationale bilatérale fonctionne très bien. Ce qui ne marche pas du tout, c'est la coopération multilatérale : lorsqu'on se met à vingt-cinq autour de la table - certains n'ayant aucune idée de ce qu'est un service de renseignement ! -, il est forcément difficile d'échanger spontanément sur des sujets sensibles. Pour échanger des renseignements sur de tels sujets, il faut construire dans la durée des habitudes de travail fondées sur la confiance mutuelle, et cela prend du temps. En bref, le bilatéral, ça marche ; pour ce qui est du multilatéral, tout reste à construire !

Enfin, cher Monsieur Hunault, j'ai reconnu en vous l'avocat en écoutant vos remarques sur les libertés publiques. Nous aurons l'occasion d'y revenir.

Pierre Lellouche a soulevé le problème de l'organisation des secours à Paris en souhaitant que la mairie soit plus directement impliquée dans la prévention du terrorisme comme dans le traitement de ses effets, le cas échéant. Il faut y réfléchir posément, sans méconnaître la spécificité de la capitale. Quant à la situation des victimes du terrorisme qu'il a également évoquée, je partage son opinion selon laquelle beaucoup reste à faire.

Le ministre Vaillant a dit quelque chose que je partage sans réserve : la plus grande menace pour les droits de l'homme, c'est le terrorisme lui-même car il en est la parfaite négation. Dès lors, n'invoquons pas le respect des droits de l'homme pour baisser la garde face à la menace. En 2001, et je remercie M. Vaillant de l'avoir rappelé, nous avons fait front commun avec la gauche face au risque terroriste dans le contexte de l'après 11-septembre. Affichons aujourd'hui la même détermination commune. Dans l'examen des amendements nous verrons ce que nous pouvons faire ensemble.

J'ai déjà dit ce que je pensais des propos de Noël Mamère, sa seule déclaration sensée étant de reconnaître qu'il était isolé. Je vous le confirme, Monsieur Mamère : isolé, vous l'êtes vraiment ! (Rires sur les bancs du groupe UMP) Pour le reste, je ne crois pas utile de répondre aux outrances qui vous sont habituelles. Lorsque vous étiez candidat derrière M. Tapie, vous aviez moins de leçons à donner !

M. Noël Mamère - Je préfère avoir été proche de Bernard Tapie que de Charles Pasqua.

M. le Ministre d'Etat - Si vous croyez être désagréable à mon endroit en citant M. Pasqua, c'est raté ! Par contre, je vous confirme que j'ai bien voulu être désagréable avec vous en vous rappelant votre compagnonnage avec M. Tapie ! (Rires sur les bancs du groupe UMP) Et quitte à en rajouter un peu, je dois dire que j'ai noté avec intérêt que votre clémence à l'égard des émeutiers ne vous avait pas dispensé de recevoir des cocktails Molotov sur votre mairie ! Vous n'avez donc pas été payé de retour, ou pas de la façon que vous espériez ! Il y a là quelque chose de moral... (Mêmes mouvements)

Comme à son habitude, Gérard Léonard a fait une intervention très sérieuse, portant pour l'essentiel sur tout l'intérêt qui s'attache à l'installation d'une vidéosurveillance ciblée. Je le remercie aussi d'avoir rendu un hommage - ô combien justifié ! - au travail tout à fait remarquable des services de renseignement, DST et renseignements généraux. Je suis pour ma part tout à fait favorable à ce que les patrons de ces services n'hésitent pas à s'exprimer dans la presse de temps à autre...

M. Gérard Léonard - Très bien !

M. le Ministre d'Etat - Ils sont à la tête d'institutions parfaitement démocratiques et je trouve normal que les Français connaissent leurs visages, car ils participent au premier chef de la protection de nos libertés et de la démocratie.

Monsieur Jean-Marie Le Guen, j'ai trouvé votre attitude constructive comme celle des autres orateurs socialistee, et cela est suffisamment rare pour que je vous en remercie bien sincèrement !

Christian Philip s'est interrogé sur la « valeur ajoutée » de l'Europe dans la lutte anti-terroriste et j'avoue que je ne suis pas loin de partager ses doutes. Songez qu'à la suite des attentats de Londres, nous avons mis 24 heures à nous mettre d'accord sur une déclaration dont la portée est restée pour le moins limitée. Au reste, cela s'explique aisément. Nous sommes très nombreux, nous n'avons pas tous la même perception de la menace et certains n'ont même pas de services de renseignement. Par contre, je suis à l'origine du G5 qui, lui, marche tellement bien que je suis très favorable à la constitution d'un G6, associant la Pologne et ses quarante millions d'habitants. Ainsi, les six pays les plus peuplés de l'UE pourraient jouer un rôle moteur dans la lutte coordonnée contre le terrorisme. J'observe au passage qu'au sein de l'UE, les institutions qui marchent le mieux sont celles qui regroupent un nombre limité de pays très motivés, tels les Douze de l'Eurogroupe et le G5. Au sein de ce dernier, les échanges d'informations et les retours d'expériences se passent très bien. Si un attentat est perpétré sur le territoire d'un Etat membre du groupe des Cinq, les spécialistes de la lutte anti-terroriste entrent immédiatement en relation, se rendent sur place et mettent en commun leurs moyens d'enquête. C'est ainsi qu'en juillet une équipe française a suivi l'enquête londonienne.

S'agissant de la biométrie, M. Philip a eu raison de dire que nous disposions là d'une technique d'avenir qu'il conviendra de perfectionner.

Je remercie Christian Vanneste pour ses propos équilibrés. Vous avez cité Montesquieu, nous essaierons d'être à la hauteur ! (Sourires)

Enfin, comme je viens de le dire, je partage l'avis de Marc Reymann sur la nécessité d'enrichir la coopération au sein de l'UE en privilégiant une approche pragmatique.

Mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement aborde ce débat avec le souci de rassembler le plus grand nombre possible de forces politiques, en vue d'être le plus efficace possible. Si nous parvenons ensemble à dégager un consensus sur le diagnostic et sur les solutions, les Français nous en seront reconnaissants. Tout le monde gagnera à cette manifestation de l'esprit de responsabilité, de pragmatisme et d'efficacité dont nous ne devrions jamais nous départir. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 7, du Règlement.

M. Julien Dray - Une remarque liminaire : Dieu sait si nous avons eu des discussions avec Noël Mamère sur ces questions de sécurité, mais, Monsieur le ministre d'Etat, l'argument prétendument d'autorité qui consiste à dire que l'on a forcément tort lorsqu'on est seul à défendre une opinion n'est pas recevable. L'héritier du gaullisme que vous prétendez être ne peut l'ignorer. Au reste, en nombre d'occasions de votre vie politique, vous avez fait l'expérience de l'isolement...

M. le Ministre d'Etat - Mais je n'ai pas dit cela. J'ai dit à M. Mamère que le fait d'être seul ne lui donnait pas forcément raison !

M. Noël Mamère - Mais je ne suis pas du tout le seul à penser ce que j'ai exprimé !

M. Julien Dray - Donc le débat doit porter sur le fond. Mais c'était là une remarque amicale.

M. le Ministre d'Etat - Venant de la part du porte-parole du parti socialiste...

M. Julien Dray - On peut mener un combat politique et respecter ses adversaires. C'est même l'essence de la démocratie

Mme Muguette Jacquaint - Tout à fait.

M. Julien Dray - Aucun mur, aucun barbelé, aucun dispositif technologique ne nous protégera définitivement du fanatisme. Le dire n'est pas se résigner. Mais l'efficacité dans la lutte contre le terrorisme exige la lucidité et non de se rassurer à bon compte. Des législations toujours plus complexes, des technologies toujours plus sophistiquées ne sont que vaines protections contre le fanatisme. Notre premier combat contre lui est politique. Il consiste à réaffirmer l'universalisme de la démocratie contre le totalitarisme et le fondamentalisme.

La vraie leçon des attentats de Londres ne tient pas seulement au nombre de caméras de vidéosurveillance, mais à la réaction exemplaire des Londoniens, comme le fut aussi celle des millions d'Espagnols défilant pour dire non au terrorisme, et prouvant, selon la formule d'Abraham Lincoln, qu'un bulletin de vote est plus fort qu'une balle, ou en l'occurrence une bombe. Ce civisme exemplaire dans le refus de la terreur doit nous inspirer. Et si je peux me permettre une digression, face à une violence d'une autre nature, c'est aussi la mobilisation citoyenne des maires et des associations, des enseignants, des parents, aux côtés des pompiers et des policiers, qui a été efficace pour ramener le calme dans les quartiers, et non le couvre-feu.

Nul ne conteste la gravité de la menace terroriste, et nous partageons la volonté de mieux protéger nos concitoyens. Mais encore une fois, la meilleure arme de la démocratie, c'est la démocratie elle-même, la mobilisation autour de ses principes et de ses valeurs. Elle seule offre le contexte propice à cet outil essentiel de la sécurité qu'est le renseignement humain, susceptible de prévenir un acte terroriste. Nous sommes fiers de l'excellence française en la matière. La technologie ne peut s'y substituer.

Il est donc crucial à nos yeux de combattre le terrorisme sur la base de nos valeurs. La première victoire des terroristes serait de nous convaincre que, pour les combattre, nous devons mettre à mal l'état de droit.

Certes, je ne suis pas un enfant de cœur. Je comprends que les personnels placés en première ligne soient amenés, dans l'urgence, à s'aventurer aux frontières de cet état de droit. Mais le rôle du législateur est de les protéger de ces dérapages. Ce n'est qu'en préservant l'état de droit que nous triompherons du fanatisme.

Au regard de ces enjeux, le projet pose problème. D'abord, le caractère expéditif des travaux préparatoires n'est pas conforme à l'exigence de démocratie que je viens d'invoquer. Nous avons eu moins d'un mois pour examiner le texte et procéder à de auditions. Celle du ministre de l'Intérieur et l'examen en commission des lois ont été « expédiés » en quelques heures, la plupart des points ont été survolés en quelques minutes. Si tant est que l'urgence soit démontrée, vous deviez veiller à ce que l'unique examen du texte par le Parlement soit préparé dans les meilleures conditions. Ce n'est pas le cas, et c'est pourquoi le groupe socialiste demande le renvoi en commission.

Trois points fondamentaux doivent être clarifiés.

Il s'agit d'abord de l'éventuel prolongement de la garde à vue en matière de terrorisme. La commission n'a fait que survoler l'amendement de la majorité à ce sujet. La question de la présence de l'avocat lorsque le juge des libertés prend la décision de cette prolongation est à examiner sérieusement.

Ensuite, nous n'avons pas toutes les garanties sur l'usage des données informatiques stockées par les services de police et de gendarmerie. Elles ne doivent en aucun cas être utilisées à d'autres fins que la lutte antiterroriste.

Enfin, notre pays est le seul à ne pas avoir de contrôle démocratique des services de renseignement. La proposition socialiste à ce sujet mérite plus qu'une discussion de quelques minutes.

Dans ce débat, nous n'avons qu'un mot d'ordre, la responsabilité, pour exiger une meilleure protection de nos citoyens face à la menace terroriste, mais aussi, et c'est la mission de l'opposition, pour garantir le bon fonctionnement de l'état de droit.

Nous n'avons aucun état d'âme. Certaines dispositions de ce projet sont des avancées substantielles pour améliorer le travail de la police et de la gendarmerie. Nous les approuverons. Mais il présente aussi, dans d'autres dispositions, un grand nombre de dangers, et des insuffisances. Nous nous y opposerons.

Qu'il soit nécessaire d'adapter les dispositifs de lutte contre le terrorisme est une évidence. La France fut frappée entre 1986 et 1996 par 23 attentats liés à l'islamisme radical. Depuis, notre pays a été épargné. Mais le 11 septembre, les attentats de Madrid et de Londres, ceux du Maroc, d'Indonésie ou d'Inde prouvent que la menace est planétaire. Aujourd'hui, la nébuleuse Al Qaida agit par l'intermédiaire de cellules autonomes. Très au fait des nouvelles technologies, elles n'agissent que le temps d'une opération. Dès lors, démanteler un réseau ne met pas fin à la menace.

Notre arsenal juridique est déjà l'un des plus développés du monde, comme cela a été reconnu après le 11 septembre. Pour autant, il n'est pas illégitime de le compléter, pour tenir compte de nouveaux modes opératoires.

Mais votre méthode et votre précipitation laissent perplexes. Or selon le mot de Daniel Pennac, « les batailles se perdent dans la précipitation ». L'an passé, le Gouvernement commandait un livre blanc sur le terrorisme pour préciser la nature de la menace, évaluer les moyens nécessaires pour nous en protéger et informer les Français sur les comportements à adopter. Il devrait être publié au début de l'an prochain. Alors, ce projet aura été définitivement adopté. L'inversion du calendrier est pour le moins malheureuse.

La menace terroriste est si forte qu'elle justifie l'urgence, me répondrez-vous. Soit. Mais si l'urgence est telle, pourquoi n'a-t-elle pas conduit le Gouvernement à prendre les décrets d'application de l'article 29 de la loi relative à la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001 concernant la conservation des données téléphoniques, et de l'article 26 de la loi relative à la sécurité intérieure du 9 mars 2003, portant sur les dispositifs de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules ?

Ces remarques pourraient n'être que secondaires si votre projet offrait l'efficacité, les garanties, la qualité requises. Tel n'est pas le cas.

D'abord, une certaine confusion en altère, à plusieurs reprises, la lisibilité. Ainsi, des collègues de la majorité n'ont pas fait mystère du fait que les dispositions sur la vidéosurveillance devaient figurer dans un autre texte, sur la prévention de la délinquance. Mais celui-ci étant plus attendu que Godot, n'a-t-on pas saisi le premier train législatif qui passait ? Plus grave, vous pratiquez la confusion entre immigration et terrorisme, notamment en ce qui concerne les contrôles d'identité dans les trains internationaux, le traitement informatisé des données personnelles des voyageurs, et plus encore dans l'intitulé même du projet et dans la disposition relative à la perte de nationalité. Jeter ainsi la suspicion sur les populations immigrées est à nos yeux inacceptable. En outre, cela traduit une méconnaissance du terrorisme dont le recrutement est essentiellement endogène.

Ensuite, vous cédez sans guère de discernement à la tentation du tout technologique. Doter nos services des instruments les plus modernes est certes utile. Mais ils ne constituent pas des outils miracles pour lutter contre le terrorisme. On a vu ailleurs que les multiplier conduit à inonder les services de données, qui en deviennent inexploitables. Ainsi à Londres, les enregistrements de vidéosurveillance n'ont pu être exploités que parce que des informations annexes ont aiguillé les enquêteurs dans la masse de données. « La force dénuée d'intelligence s'effondre sous sa propre masse » a dit Horace. Il en va de même de la puissance technologique.

Tous les dispositifs automatisés de contrôle s'exposent aux mêmes réflexions. La lutte contre le terrorisme doit rester fondée sur le renseignement humain, seul capable d'exploiter les données technologiques. Lui seul peut garantir l'efficacité des investigations en amont des attentats et assurer de fait la sécurité de nos concitoyens.

Mais au-delà de son inefficacité, l'option du tout technologique comporte, avouons-le, des dangers pour les libertés fondamentales. Sans aller aussi loin que Bernanos, pour qui un monde gagné par la technique est perdu pour la liberté, reconnaissez que les dispositifs prévus permettent de passer au peigne fin la vie privée de M. et Mme Tout le Monde mais que les terroristes rompus à ces techniques pourront passer entre les mailles du filet ! La photographie des passagers des véhicules, l'archivage des données personnelles dans les cyber-cafés, la vidéosurveillance, la collecte des données personnelles des voyageurs internationaux contraindront sans doute les terroristes à adapter leur comportement, mais guère plus. Ils auront beaucoup plus de conséquences pour le commun des mortels. Ces inquiétudes au sujet des libertés publiques ne sont pas des affabulations de circonstance : la commission nationale informatique et libertés, dont les avis constituent des références incontestées, vous a alertés à ce sujet. Elle n'a manifestement pas retenu votre attention : on n'observe presque pas de différence entre l'avant-projet qui lui fut soumis et le texte d'aujourd'hui. L'essentiel de ses remarques semble avoir été ignoré.

Conformément à son esprit de responsabilité et de vigilance, le groupe socialiste demande donc le renvoi de ce texte, afin de permettre à la commission des lois d'étudier avec la sérénité nécessaire le détail des mesures problématiques mais aussi d'intégrer au texte les propositions du livre blanc sur le terrorisme, qui remettront ses dispositions largement en perspective. Trois points en particulier réclament notre vigilance. D'abord, l'éventualité d'un prolongement de la garde à vue doit faire l'objet d'un examen en profondeur de la commission des lois. Ensuite, celle-ci doit arrêter des garanties afin d'interdire l'usage des données informatiques collectées par les services de police et de gendarmerie à d'autres fins que celles de la lutte antiterroriste. Enfin, le corollaire du renforcement de l'arsenal juridique et technique de l'antiterrorisme doit être la création d'un dispositif parlementaire de contrôle assurant, bien sûr avec la confidentialité nécessaire, une transparence totale sur les activités des services de renseignement. Ce serait un progrès pour la démocratie, mais aussi une sécurité supplémentaire pour les services eux-mêmes, qui ne pourraient plus être suspectés. Nous préférerions que la discussion ait lieu dans le cadre de la commission des lois pour pouvoir déboucher sur un vote unanime dans l'hémicycle (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Ministre d'Etat - En ce qui concerne l'évolution de la garde à vue pour les personnes suspectées de terrorisme, je veux dès à présent vous assurer de l'esprit d'ouverture du Gouvernement quant à une prolongation jusqu'à six jours. Les juges antiterroristes en expriment le besoin opérationnel. Il faut leur répondre en apportant toutes les garanties utiles, comme l'intervention du juge des libertés et de la détention. Nous en reparlerons, mais je rappelle déjà que nos amis anglais en sont à quinze jours et envisagent d'aller jusqu'à deux mois.

M. le Rapporteur - Je ne soutiens naturellement pas cette motion. Vous nous dites qu'il n'y pas urgence et que nous pouvons attendre le livre blanc, ce qui nous mènerait au mieux en mars ou avril, mais que dirait-on d'un gouvernement qui ne mettrait pas en œuvre au plus vite un projet de loi susceptible de répondre à une menace réelle à moyen terme ? La responsabilité du pouvoir exécutif est grande en la matière, et l'on peut louer le Gouvernement d'avoir mis en œuvre cette réforme. Il est vrai que la commission n'a eu que deux semaines, mais elle a bien travaillé ! Nous avons mené quarante-huit auditions et, alors que nous avions prévu deux séances, nous avons réussi à terminer en une matinée ! Tout simplement parce qu'un certain consensus s'était dégagé. Ce jour-là, vous n'avez pas souhaité de réunion supplémentaire, comme vous n'avez pas cru devoir présenter des amendements à la commission. Je n'imagine pas que vous ayez changé d'avis.

M. Thierry Mariani - M. Dray a soulevé trois grands problèmes. Sur le premier, la prolongation de la garde à vue, j'ai pris acte de l'ouverture manifestée par le ministre. En Grande-Bretagne, on en est déjà à quatorze jours et on envisage un délai de deux mois ! L'amendement que j'ai déposé, qui propose un délai de six jours, reste très en dessous ! Il faut donner à la police et aux juges les moyens de travailler. En ce qui concerne l'usage des fichiers, le texte prévoit qu'un décret fixera des garanties. Je ne vois donc pas où se trouvent les menaces que vous évoquez. Enfin, en ce qui concerne le contrôle démocratique exercé par le Parlement, c'est la première fois qu'un ministre y est aussi favorable. L'avancée que nous avons obtenue cet après-midi en commission est une première. A l'époque où nous avons voté la loi de sécurité quotidienne, le problème avait été évoqué et il avait été soigneusement éludé !

M. Julien Dray - C'était Chirac, le problème ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) On était en pleine cohabitation !

M. Thierry Mariani - En tout état de cause, le contrôle parlementaire sur les services de renseignement est une avancée que vous pourriez saluer. Et, puisque vous parlez de responsabilité, à l'époque de la loi de sécurité quotidienne, l'opposition s'était montrée bien plus responsable que vous : elle n'avait pas déposé de motion ni formé de recours sur la fouille des coffres de voitures par exemple, alors que quelques années auparavant, vous vous étiez opposés à cette mesure. La responsabilité donc, nous la pratiquons plus que vous !

Enfin, nous ne jetons pas la suspicion sur les populations immigrées : franchement, lorsque certains groupes se déplacent fréquemment en Irak ou au Pakistan, il y a de quoi se poser des questions.

M. Noël Mamère - Vous aussi, vous êtes allé en Irak !

M. Thierry Mariani - Dans ce cas, il est normal que les services de renseignement aient accès à certaines données. Quant à votre dénonciation du tout technologie, vous avez raison, mais notre système nous semble un juste compromis entre le renseignement humain et la technologie. Pour ces raisons et parce qu'il y a vraiment urgence, le groupe UMP rejettera cette motion de renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce matin, jeudi 24 novembre, à 9 heures 30.

La séance est levée à 0 h 25.

                La Directrice du service
                du compte rendu analytique,

                Catherine MANCY

ORDRE DU JOUR
DU JEUDI 24 NOVEMBRE 2005

NEUF HEURES TRENTE : 1RE SÉANCE PUBLIQUE

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 2615) relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers.

Rapport (n° 2681) de M. Alain MARSAUD, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

QUINZE HEURES : 2E SÉANCE PUBLIQUE

1. Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales.

Rapport (no 2664) de M. Gérard LÉONARD.

2. Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 2615) relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers.

Rapport (n° 2681) de M. Alain MARSAUD, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 3E SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


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