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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2005-2006 - 34ème jour de séance, 78ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 24 NOVEMBRE 2005

PRÉSIDENCE de Mme Paulette GUINCHARD

vice-présidente

Sommaire

LUTTE CONTRE LE TERRORISME (suite) 2

AVANT L'ARTICLE PREMIER 2

ARTICLE PREMIER 3

AVANT L'ARTICLE PREMIER (suite) 7

APRÈS L'ARTICLE PREMIER 12

ART. 2 13

AVANT L'ART. 3 15

ART. 3 15

ART. 4 16

ART. 5 18

ART. 6 20

La séance est ouverte à neuf heures trente.

LUTTE CONTRE LE TERRORISME (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers.

AVANT L'ARTICLE PREMIER

M. Noël Mamère - L'amendement 62 vise à renforcer les pouvoirs de contrôle de la commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL. Cette dernière a émis un avis sur l'avant projet de loi auquel la commission des lois a partiellement répondu. Reste que ses prérogatives sont insuffisamment respectées sur l'ensemble du texte. Par une note, elle a alerté le Gouvernement sur le « changement profond » que constitue ce dispositif qui, « en venant ajouter au cadre de police judiciaire existant en matière de lutte antiterrorisme un cadre de police administrative, c'est-à-dire hors du contrôle a priori du juge, permet un accès très large à certains fichiers publics et privés et aux renseignements de vidéosurveillance ».

Pour éviter que cette loi d'exception ne devienne pérenne, risque malheureusement bien réel comme je l'ai montré hier soir à la tribune, la CNIL recommande de limiter l'application de cette loi à une durée de trois ans. Le présent texte le prévoit pour l'accès aux données de connexion des opérateurs de communication électronique et à certains fichiers administratifs par les services de police, mais non pour les autres dispositifs. Voilà une première défaillance de ce texte qui prétend prévenir le terrorisme. Ensuite, la commission demande que ces mesures fassent l'objet d'une évaluation précise remise au Parlement. Rappelons que la loi sur la sécurité quotidienne contenait une clause identique qui n'a jamais été mise en œuvre et que certaines de ces mesures ont été pérennisées sans même avoir été évaluées. La CNIL exige également de pouvoir exercer sans restriction ses pouvoirs de contrôle, alors que le présent projet les limite, notamment en cas « d'urgence ». Certains documents peuvent être ainsi livrés aux services de police sans que leur destination exacte ne soit connue. Enfin, elle demande des garanties et des contrôles renforcés. Nous sommes bien loin de ces recommandations ! Certaines dispositions de ce texte portent atteinte aux libertés fondamentales. Et ce n'est parce que je suis le seul à défendre cette position dans l'hémicycle que j'ai forcément tort.

Mme la Présidente - Monsieur Mamère, vous répondez ainsi aux critiques qui vous ont été adressées hier soir.

M. Alain Marsaud, rapporteur de la commission des lois - Avis défavorable. Cet amendement relève de la tautologie. Il est inutile de rappeler ce qui est déjà inscrit dans la loi sur l'informatique et les libertés.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire - Comme vous, Monsieur Mamère, le Gouvernement est très attaché à ce que la CNIL joue son rôle, tout son rôle mais rien que son rôle. Nul ne songe à remettre en question la mission de cette autorité administrative indépendante qui exerce ses compétences conformément à la loi du 6 janvier 1978 modifiée, à laquelle les dispositions de ce projet relatives au traitement automatisé des données ne dérogent pas.

La CNIL a effectivement formulé des remarques sur certaines dispositions de cette loi mais l'assemblée générale du Conseil d'Etat, institution qui a quelques titres pour dire le droit et faire respecter les libertés publiques, n'a pas suivi cet avis et elle a approuvé le projet de loi du Gouvernement...

M. Noël Mamère - A quoi sert la CNIL ?

M. le Ministre délégué - ...à quelques points près. Au long du débat, le Gouvernement fera donc preuve d'ouverture sur certains amendements précisant le rôle de la CNIL afin notamment de satisfaire les demandes de l'un des membres de cette commission, M. Delattre. Avis défavorable à l'amendement 62.

M. Jacques Floch - Tout amendement renforçant les pouvoirs de la CNIL, quand bien même il serait « tautologique », recevra notre approbation.

L'amendement 62, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme la Présidente - Le Gouvernement demande la réserve de la discussion des amendements 82, 124 rectifié et 134. Elle est de droit

ARTICLE PREMIER

M. Noël Mamère - Selon le ministre de l'intérieur, le dispositif de vidéosurveillance institué à l'article premier constitue un système plus léger que celui existant en Grande-Bretagne. Ce n'est pas en s'inspirant de ce qui existe de pire dans l'Union que l'on renforcera les libertés publiques et individuelles.

Par ailleurs, l'efficacité de ce dispositif pour prévenir le terrorisme n'est pas aussi grande qu'on veut le faire croire. La vidéosurveillance n'a pas empêché la commission des attentats de New York et de Londres et elle n'a pas non plus été d'une grande aide dans la recherche de leurs auteurs. Dans notre pays, nous disposons déjà d'outils à ces fins. L'extension du champ de surveillance des vidéos dans ce texte pose réellement problème d'autant plus qu'elle ne fera pas l'objet d'un contrôle a priori.

De même, la loi n'impose aucune exigence en matière de normes. On nous fait croire qu'il existerait un contrôle, mais les propos de M. Estrosi sur la CNIL ne sont pas de nature à nous rassurer.

Les commissions départementales ne sont par ailleurs qu'une mesure d'affichage dès lors qu'elles n'ont pas de réel pouvoir de contrôle. Sans faire de provocation, à prendre de telles mesures attentatoires à la liberté, vous me faites penser à ce chef d'Etat du Caucase qui a décidé de multiplier les caméras vidéos, pour voir jusqu'aux mouches voler !

M. Dominique Tian - C'est un régime communiste !

M. Noël Mamère - Les systèmes totalitaires instaurés de l'autre côté du mur de Berlin ont été dénoncés par certains d'entre nous avec plus de force que par vous, Monsieur Tian !

En outre, ce projet de loi vient s'ajouter aux lois Sarkozy de 2002 et aux lois Perben I et II, sans parler de tous les plans de lutte contre la délinquance que M. Sarkozy garde encore dans ses tiroirs. Cela fait beaucoup !

Si l'on peut accepter, à la rigueur, que la vidéosurveillance, véritable atteinte aux droits fondamentaux, serve à améliorer le contrôle du droit d'aller et venir - encore qu'il s'agisse là d'un droit fondamental inscrit dans notre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen - l'on ne peut tolérer que vous affaiblissiez simultanément les procédures destinées à sauvegarder ces droits.

Votre loi d'affichage n'apportera pas de solutions décisives pour lutter contre le terrorisme. Ce n'est pas en prenant des mesures attentatoires aux libertés les plus fondamentales et en mettant en place une sorte de monde orwellien, que vous gagnerez le combat contre ceux qui n'aiment pas la démocratie.

M. Thierry Mariani - Quelle caricature !

M. Michel Vaxès - Les articles premier et 2 modifient le régime de la loi du 21 janvier 1995, relatif à la vidéo surveillance. Des personnes privées pourraient ainsi filmer la voie publique afin de protéger les lieux susceptibles d'être la cible d'actes terroristes. Outre que ce projet de loi ne précise pas quels lieux seraient visés, il autorise les services de police et de gendarmerie à accéder directement aux images, hors de tout cadre judiciaire.

De surcroît, le projet dispose qu'en cas d'urgence, le préfet pourra autoriser, pour quatre mois, l'installation de caméras, sans recueil préalable de l'avis de la commission départementale.

Outre que nous doutons de l'efficacité de ces mesures, nous craignons que le dispositif destiné à sauvegarder les libertés individuelles ne soit pas suffisant.

Le 18 janvier 1995, le Conseil constitutionnel a admis la constitutionnalité de l'installation de dispositifs de vidéosurveillance dans des lieux et établissements ouverts au public, à condition qu'elle soit assortie de solides garanties : il faut informer le public de l'existence de ce système, qui ne peut avoir été installé sans l'avis d'une commission présidée par un magistrat. Les personnes chargées de l'exploitation doivent par ailleurs présenter des garanties morales, et toute personne concernée doit pouvoir accéder à ces enregistrements qui doivent être détruits dans un délai d'un mois.

Or, vous ne prévoyez pas de garanties suffisantes, et la CNIL, dans son avis du 10 octobre dernier, propose que ce texte précise les conditions de traitement des enregistrements, limite dans le temps l'application de ces nouvelles dispositions, prévoie une évaluation indépendante de ce dispositif, et rappelle aux personnes filmées leur droit d'accès aux documents, mais aussi leur faculté de saisir la commission départementale et les juridictions compétentes. La CNIL souhaite enfin pouvoir contrôler l'application de ce système.

C'est pourquoi nous soutenons les amendements de MM. Mamère et Floch. Nous ne pouvons accepter que les garanties prévues par le droit commun soient écartées en cas d'urgence, et notamment que le préfet puisse décider seul de l'installation de caméras.

Quant à l'efficacité préventive de cette mesure, elle est plus que douteuse, et je pense que le juge anti-terroriste Marsaud, à défaut du rapporteur Marsaud, est d'accord avec moi. Vous citez en exemple le modèle londonien, mais les milliers de caméras n'ont malheureusement pas empêché cet attentat terroriste de se produire !

Je veux bien croire que la vidéo surveillance facilite l'enquête, mais pas qu'elle prévienne la commission d'actes terroristes !

M. Michel Piron - Si j'ai bien compris, le fait d'être visible interdirait de se mouvoir... Il ne resterait plus qu'à s'en émouvoir...

M. le Rapporteur - A entendre MM. Vaxès et Mamère, la vidéosurveillance, prévue par la loi de 1995, ne devrait pas servir à lutter contre le terrorisme !

M. Michel Vaxès - Nous n'avons jamais dit cela !

M. le Rapporteur - Je rappelle qu'en 1995, des terroristes ont posé une bombe dans le métro Saint-Michel avant de répéter leur geste dans le métro Quai d'Orsay. Si des caméras avaient été installées à l'époque, nous aurions pu les arrêter avant qu'ils ne récidivent, et épargner ainsi de nombreuses vies ! Ne serait-ce que pour cette raison, je défends ce projet !

C'est vrai que les caméras n'ont pas permis d'éviter l'attentat de Londres, mais au moins ont-elles permis d'en identifier les auteurs. Au demeurant, le système que nous vous proposons tient compte des imperfections du dispositif londonien et permettra de prévenir les attentats en dissuadant mais aussi en détectant tout comportement suspect. Et s'il ne marche pas, nous l'améliorerons ou le supprimerons ! Dire que ce texte est attentatoire aux libertés fondamentales, c'est ne pas tenir compte des amendements que la commission a adoptés suite aux recommandations de la CNIL ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. Noël Mamère - L'amendement 63 est défendu.

L'amendement 63, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 1 est rédactionnel.

L'amendement 1, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Jacques Floch - Selon nous, c'est à l'autorité préfectorale qu'il appartient de requérir l'installation d'une vidéosurveillance de lieux publics à partir de lieux privés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Je propose donc, par l'amendement 84, de supprimer le dernier alinéa du I de cet article, dont la place serait mieux indiquée à l'article 2.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

Je prends un autre exemple : en 1995, une voiture suspecte stationne devant l'école juive de Villeurbanne. Une caméra permettant de filmer le trottoir peut la détecter. Si l'on vous écoutait, il serait possible de disposer des caméras à l'intérieur de ces établissements ou encore de manière à pouvoir regarder très loin autour, mais pas dans leur proximité immédiate. Or, la menace n'est ni à deux kilomètres, ni à l'intérieur des établissements : elle est à l'aplomb des immeubles.

M. Jacques Floch - Ce n'est pas le sens de notre amendement. Nous souhaitons que ce soit l'Etat qui décide de l'installation de la vidéosurveillance, y compris dans les lieux privés.

L'amendement 84, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jacques Floch - Dans la logique de l'article qui autorise donc l'extension de la vidéosurveillance pour lutter contre le terrorisme, l'amendement 85 propose de réserver aux seuls services de lutte contre le terrorisme les images et les enregistrements effectués.

M. le Rapporteur - Cet amendement est inutile.

L'amendement 85, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - Selon le projet, les agents individuellement habilités des services de police et de gendarmerie ne pourront avoir accès aux images que si l'autorisation préfectorale du système de vidéosurveillance l'a prévu. Or, les circonstances peuvent rendre nécessaire un accès des forces de l'ordre à ces images, qui ne semblait pas s'imposer au moment de l'autorisation initiale. L'amendement 125 vise donc à permettre au préfet d'autoriser un tel accès aux images postérieurement à son autorisation initiale, y compris en urgence.

M. Noël Mamère - Nous sommes opposés à un amendement qui, une fois de plus, transforme la justice en auxiliaire de la police. Il s'agit encore d'une atteinte à nos libertés fondamentales.

M. Pierre Lellouche - Quel raisonnement...

L'amendement 125, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Thierry Mariani - L'amendement 149 rectifié dit qu'un décret fixera les normes techniques relatives à la qualité des caméras et des images. En effet, nous ne pouvons pas accroître les possibilités de vidéosurveillance sans préciser que les images issues de ces caméras doivent permettre l'indentification des suspects ou des plaques d'immatriculation des voitures.

M. le Rapporteur - Je comprends l'intérêt de cet amendement qui n'a pas été examiné par la commission mais j'y suis néanmoins, à titre personnel, plutôt défavorable car Il est mal rédigé : comment définir juridiquement la qualité des images ?

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire - Je comprends le souci de M. Mariani mais je lui demande de bien vouloir retirer son amendement car il sera satisfait.

M. Thierry Mariani - Je le retire donc.

L'amendement 149 rectifié est retiré.

M. Noël Mamère - L'amendement 64 est défendu.

L'amendement 64, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jacques Floch - Il convient de donner à la commission départementale la possibilité de proposer aux utilisateurs de rectifier un usage critiquable de l'ensemble des dispositifs proposés, le cas échéant en demandant leur retrait au préfet. Tel est le sens de l'amendement 86 rectifié.

L'amendement 86 rectifié, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 2 est défendu.

L'amendement 2, accepté par le Gouvernement, est adopté.

M. Noël Mamère - La déclaration de l'urgence par le seul préfet ne vise qu'à contourner le contrôle de l'ensemble du dispositif par la commission départementale. Celle-ci n'interviendrait plus alors que pour régulariser une installation préalable, et c'est inadmissible. L'amendement 65 vise donc à supprimer le III de cet article. Le champ d'application d'une mesure par nature attentatoire aux droits fondamentaux est étendu alors que, dans le même temps, les procédures destinées à garantir ces droits sont affaiblies. Une telle démission ne s'explique que par votre refus de rendre effectifs des contrôles purement formels. Le Conseil constitutionnel avait pourtant refusé que le silence de l'administration à l'issue d'un délai de quatre mois puisse valoir autorisation implicite du dispositif de vidéosurveillance envisagé. La commission départementale n'est qu'un leurre et la CNIL est mise à l'écart : cela fait beaucoup.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Un amendement à venir de la commission donnera satisfaction à M. Mamère.

L'amendement 65, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 3 rectifié reprend précisément une proposition de la CNIL qui va dans le sens d'une protection intelligente des libertés individuelles. Il s'agit en effet de permettre à la commission départementale de donner un avis sur la mise en œuvre de la procédure dérogatoire, qui requiert le respect de certaines conditions.

M. Noël Mamère - Il ne s'agit pas de me donner ou non satisfaction, Monsieur le rapporteur, mais de savoir si le contrôle de la commission départementale s'exerce a priori ou non. Si tel est le cas, nous voterons cet amendement. Si tel n'est pas le cas, ce serait un bidouillage que nous refuserions.

M. Michel Vaxès - L'amendement précise que le préfet « peut » réunir la commission sans délai. Pourquoi pas « doit » ? Dans le cas contraire, l'initiative reste à l'autorité administrative. Je voterai cet amendement s'il est possible de le sous-amender dans le sens que je viens d'indiquer.

M. le Rapporteur - Ce n'est pas le préfet, Monsieur Vaxès, qui « peut » réunir la commission : c'est le président de ladite commission. Je vous rappelle en outre qu'il s'agit d'un magistrat du siège.

M. Noël Mamère - Vous n'avez pas répondu à ma question.

M. le Rapporteur - Nous sommes dans une procédure d'urgence où un préfet apprend par exemple qu'un établissement public ou privé est en danger : croyez-vous qu'il aura le temps de réunir la commission afin qu'elle puisse donner un avis ? Il faut savoir si l'on reconnaît ou non l'existence de situations d'urgence.

L'amendement 3 rectifié, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - Dans le cadre de la procédure d'urgence, un système de vidéosurveillance peut donc être autorisé pour une durée de quatre mois. Pour être prorogé au-delà de cette période, l'autorisation définitive doit suivre la procédure de droit commun. Il s'agit d'une autorisation du préfet, après avis de la commission départementale. Le projet prévoit d'ailleurs le retrait du système de vidéosurveillance si l'autorisation définitive n'avait pas été délivrée au terme de la durée de validité de l'autorisation provisoire. Il est donc souhaitable de s'assurer qu'une éventuelle inertie de la commission départementale n'oblige pas à suspendre un système de vidéosurveillance entre la fin de validité de l'autorisation provisoire et la délivrance de l'autorisation définitive, si la commission tardait à donner son avis. Tel est le sens de l'amendement 4.

L'amendement 4, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 5 est rédactionnel.

L'amendement 5, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Noël Mamère - Le projet induit donc une extension considérable du recours aux dispositifs de vidéosurveillance. Il faut, corrélativement, protéger les libertés. Tel est le sens de l'amendement 66. Les garanties que vous proposez sont en effet insuffisantes, comme l'a d'ailleurs souligné la CNIL. Celle-ci propose de préciser les conditions de traitement des enregistrements de vidéosurveillance en fonction des objectifs précis assignés à ces dispositifs - durée de conservation, services de police et de gendarmerie destinataires, mesures de sécurité -, les finalités de lutte contre le terrorisme étant imbriquées dans le projet avec celles, très larges, de sécurité des biens et des personnes. La CNIL a donc perçu combien ce texte est source de confusion et d'amalgame.

M. Pierre Lellouche - Mais non !

M. Noël Mamère - En outre, elle demande la limitation dans le temps de l'application des nouvelles dispositions et l'évaluation indépendante de l'efficacité du dispositif. Elle préconise le rappel, pour l'ensemble du dispositif de vidéosurveillance, du droit d'accès des personnes filmées aux enregistrements les concernant, leur droit de saisir la commission départementale et, le cas échéant, les juridictions compétentes pour faire respecter leurs droits. Enfin, la CNIL affirme qu'elle doit pouvoir exercer un contrôle sur les dispositifs de vidéosurveillance dès lors que les fichiers d'enregistrements sont constitués par les services de police ou que des rapprochements avec d'autres fichiers sont opérés. Rien de tout cela n'existe, puisque vous avez mis la CNIL au placard.

M. le Rapporteur - Si je vous suivais, cela voudrait dire que la menace aura disparu dans trois ans. Prions qu'il en aille ainsi !

Nous sommes actuellement dans un régime d'autorisation à durée indéterminée. Le projet la ramène à cinq ans, ce qui est raisonnable, compte tenu de la durée nécessaire pour amortir les investissements. Avis défavorable, donc.

M. le Ministre d'Etat - Même avis.

L'amendement 66, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article premier modifié, mis aux voix, est adopté.

AVANT L'ARTICLE PREMIER (suite)

Mme la Présidente - Nous en revenons aux amendements précédemment réservés avant l'article premier.

M. Jacques Floch - Nous sommes un des rares pays démocratiques où le Parlement ne contrôle pas les services de renseignement. Pourtant, nous légiférons sur eux et nous votons des budgets, lesquels ont d'ailleurs permis que ces services se situent parmi les meilleurs au monde. Considérant qu'il serait normal que les représentants du peuple soient informés de la façon dont ces services travaillent et puissent les évaluer, en même temps que leur apporter un soutien juridique, je propose, par l'amendement 82, la création d'une délégation, d'un office ou d'une commission, peu importe le nom, qui puisse être le lieu où cette évaluation se fasse.

Afin que l'ensemble des groupes soient représentés, je suggère que cette instance se compose de sept députés et sept sénateurs.

M. le Rapporteur - Avec ce projet, nous accomplissons une grande première, puisque nous allons réglementer des activités qui ne l'étaient pas, et notamment celles des services de renseignement. Si le ministre nous propose d'intervenir dans ces activités, c'est aussi parce qu'il a besoin que nous donnions à ces services des instruments juridiques forts pour lutter contre le terrorisme, de même que nous leur donnons des moyens budgétaires forts.

Actuellement, les services de renseignement rendent des comptes au ministre de l'intérieur, au ministre de la défense et au Président de la République. Il est temps qu'ils en rendent aussi au Parlement, comme cela se pratique chez tous nos voisins européens, sauf au Portugal - si j'étais provocateur, j'ajouterais : et en Turquie. Il ne s'agit pas pour nous de nous substituer à l'opérationnel et de nous déguiser en James Bond, mais simplement de nous préoccuper de la façon dont ces services travaillent et d'éviter d'éventuelles dérives ou tentations.

Avec nos collègues socialistes, nous avons réfléchi à un texte qui puisse recueillir l'approbation de tous les groupes et qui soit équilibré, permettant le contrôle de ces services sans pour autant les déstabiliser. L'amendement 124 rectifié traduit, Monsieur le ministre, une vraie demande de l'Assemblée. Ne lui opposez pas le privilège de l'exécutif, car nous voulons précisément que ce privilège recule devant la démocratie parlementaire.

M. Pierre Lellouche - J'ai rendu hier hommage au ministre d'Etat pour la façon dont ce projet assure un juste équilibre entre, d'une part, le renforcement des moyens d'actions de la puissance publique dans la lutte contre le terrorisme, de l'autre, le strict encadrement juridique desdits moyens, conformément aux principes fondamentaux de notre droit.

Faut-il dans ce cadre doter le Parlement d'un organe de contrôle de nos services de renseignement ? Je pense qu'en effet, le moment est venu de le faire, car avec le terrorisme, le débat a changé de nature. Et de même que le Parlement contrôle, en particulier via la commission de la défense, nos militaires, confirmant ainsi que la défense est l'affaire de tous, de même faut-il un contrôle démocratique des services engagés dans la lutte conte le terrorisme, qui est aussi l'affaire de tous.

Que l'on ne m'oppose pas qu'il s'agirait là d'un domaine réservé de l'exécutif, puisque le contrôle parlementaire existe déjà en matière de défense et que la lutte contre le terrorisme est en quelque sorte un prolongement des missions de défense nationale. Le contrôle que nous souhaitons instaurer préserverait les services eux-mêmes du risque de rumeurs ou d'interprétations abusives. Il serait assuré dans un strict respect de la confidentialité requise et se ferait sans interférence avec les opérations en cours.

Toutes les grandes démocraties se sont dotées d'instruments de ce genre et on a vu récemment, aux Etats-Unis, le rôle joué par le Congrès pour mettre un terme à un certain nombre de pratiques.

Par mon amendement 134, je propose que cette instance soit composée de trois députés et trois sénateurs, plus des représentants du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes. Je vous encourage, Monsieur le ministre, à sauter le pas et à accepter le progrès que constituerait l'institution d'un tel organe de contrôle, en réalité tout à fait dans l'esprit de la Ve République.

M. le Rapporteur - La commission n'a pas examiné l'amendement 82, a repoussé l'amendement 134 et a adopté le 124 rectifié. Ce dernier précise que la commission de contrôle ne pourrait pas intervenir dans la réalisation d'opérations en cours. C'est la reprise pure et simple de la décision du Conseil constitutionnel relative à la loi sur le contrôle des fonds spéciaux.

M. le Ministre d'Etat - Comme chacun le sait ici, je suis à titre personnel, et depuis longtemps, très ouvert à l'idée d'un droit de regard de la représentation nationale sur les services de renseignements - lequel ne peut qu'aider le ministre de l'intérieur, quel qu'il soit : ce n'est pas une question de conflit entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, mais de contrôle démocratique sur les services de renseignement, qui, au demeurant, font très bien leur travail. Cela n'a pas de sens de dire que ce serait contraire à l'esprit de la Ve République car la démocratie implique le contrôle : dans toutes les démocraties avancées, à de très rares exceptions près, le Parlement exerce une responsabilité de contrôle sur les activités de renseignement. La discrétion, ce n'est pas le secret à l'endroit de ceux à qui l'on doit rendre des comptes ; et cette exigence démocratique est d'autant plus forte lorsque la loi confie aux services de renseignement de nouveaux instruments, comme c'est le cas avec ce texte, qui facilite l'accès d'agents spécialisés à certains fichiers. Les chefs actuels de nos services de renseignement sont d'ailleurs favorables à ce contrôle.

Aussi le Gouvernement examine-t-il avec le plus grand intérêt ces trois amendements. Très franchement, je ne sais pas quelle est la meilleure formule, mais je souhaite qu'on en retienne une. Moi qui suis ministre de l'intérieur en exercice, je donne donc un accord de principe ; mais je souhaite qu'on ne prenne pas de décision trop hâtive, afin de mettre au point la rédaction qui combine au mieux discrétion, transparence et démocratie. Il nous faut prendre garde en particulier à ce que les relations de nos services avec leurs homologues étrangers ne soient pas affectées.

Je vous fais donc la proposition suivante. Mettons en place un groupe de travail réunissant les représentants des groupes parlementaires et les fonctionnaires au plus haut niveau des services de renseignement, et demandons-lui de rendre ses conclusions avant le 15 février, afin qu'une proposition de loi, ou si vous le préférez un projet de loi, puisse suivre. S'il s'agit d'une proposition, que j'espère consensuelle, elle pourra être examinée à l'occasion de la première niche parlementaire disponible. Je n'y verrais que des avantages puisque ce contrôle est une demande du Parlement ; cette proposition pourrait même être déposée par l'ensemble des groupes. Moyennant ces engagements, qui sont formels et que je prends au nom du Gouvernement après avoir eu les discussions nécessaires, il me semble que ces amendements pourraient être retirés.

M. Pierre Lellouche - Très bien.

M. Noël Mamère - Nous sommes dans un moment politique à la fois intéressant et paradoxal : le ministre de l'intérieur prend un engagement sur l'amélioration du contrôle du Parlement sur la partie la moins voyante des activités de l'exécutif, mais dans le même temps, dans le texte qu'il nous propose, il contribue à réduire le contrôle de la CNIL et des commissions départementales. Il ne faut pas se laisser leurrer par cet engagement, même s'il est sincère, car nous savons déjà que les offices parlementaires n'ont pas toujours l'efficacité souhaitée - je pense en particulier à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Nous savons aussi que dans notre système, les droits du Parlement sont largement bafoués, et à cet égard le mot « niche » en dit long...

M. Pierre Lellouche - Pas de complexe canin, Monsieur Mamère !

M. Noël Mamère - Il nous faut aussi évoquer la question du domaine réservé. Nous, pauvres parlementaires, quel contrôle avons-nous sur la politique africaine de la France et sur quelques basses œuvres commises au nom de la République ?

M. Dominique Tian - Parlons-en...

M. Noël Mamère - Quand certains d'entre nous demandent des commissions d'enquête parlementaires, bien souvent on s'empresse de créer plutôt des missions d'information, aux prérogatives bien moindres - sur le Rwanda ou sur les OGM, par exemple. Méfions-nous donc des beaux engagements, sachant parfaitement qu'il sera très difficile de donner une réalité à un contrôle qui n'est pas dans notre tradition - mais je soutiens l'amendement de notre collègue Floch.

Mme Christine Boutin - Il faut toujours garder l'espérance !

M. Michel Vaxès - Le ministre se dit ouvert et n'exclut aucune des trois formules proposées. Or je constate que l'amendement présenté par M. Floch présente toutes les garanties de pluralisme. Rien ne nous empêcherait de l'adopter, quitte à réunir ensuite une commission pour proposer d'éventuelles améliorations. Dans l'hypothèse où le groupe socialiste le retirerait, je le reprendrais.

M. Jacques Floch - Je ne veux pas être battu : je veux obtenir la création d'une commission de contrôle parlementaire. Je veux par ailleurs faire observer que la constitution de la Ve République ne reconnaît aucun domaine réservé au Président de la République : c'est une habitude qui a été prise sous le général de Gaulle et qui a perduré après lui. Nous savons bien qu'il nous faudra avoir dans les années à venir un grand débat national sur nos institutions.

Cinquante ans après la création de la Ve République, il serait temps de faire plus qu'un toilettage ! Il faut renforcer le caractère démocratique de son fonctionnement.

Mme Christine Boutin - C'est indispensable !

M. Jacques Floch - S'il devait apparaître que mon amendement n'a aucune chance de passer, je me rallierais à la proposition du ministre d'Etat, mais je le maintiendrais dans le cas contraire.

En revanche, une chose est sûre : nous devons insister pour obtenir la création d'une commission parlementaire d'évaluation et de contrôle de nos services de renseignement.

M. Michel Hunault - Au nom du groupe UDF, j'avais hier demandé l'institution d'un tel contrôle parlementaire. Peu importe sa forme - délégation parlementaire, commission nationale ou commission de contrôle ; ce qui compte, c'est votre engagement solennel, Monsieur le ministre d'Etat.

Depuis hier, nos débats montrent bien notre cohésion et notre volonté de dépasser les clivages traditionnels en vue de lutter ensemble contre la menace terroriste. Vu les problèmes posés par certaines de vos mesures au regard des libertés publiques, comme le renforcement des pouvoirs accordés aux services de renseignement, l'engagement que vous avez pris est une véritable avancée. J'ajoute que j'attache une grande importance à la représentation d'une pluralité d'opinions au sein de l'organe de contrôle qui serait créé.

M. Pierre Lellouche - Je voudrais remercier Monsieur le ministre d'Etat et nos collègues pour la qualité de nos débats. Comme M. Mamère s'offusque du terme « niche », je voudrais lui demander de ne pas faire de complexe canin ! Ce terme fait partie de notre vocabulaire parlementaire et je n'ai pas l'impression d'être un caniche ou un roquet ! (Sourires) Des watchdogs, voilà ce que nous sommes : les chiens de garde de la République. La mission de contrôle est consubstantielle à notre démocratie.

Pendant des années encore, nous allons faire face à une guerre larvée et mondiale, qui pose des problèmes d'un type nouveau. Elle exige de nous une unité sans faille. Je me réjouis donc d'avoir entendu ce matin, à la radio, un ancien ministre de l'intérieur socialiste se faire l'écho du ministre d'Etat. Une telle unité nationale en matière de sécurité et de défense de la nation est en effet nécessaire. Mais il serait bon que l'initiative de créer une commission de contrôle revienne à cette Assemblée et que tous les groupes puissent y participer.

J'en viens maintenant au domaine réservé. Il fut un temps, en effet, où la défense nationale s'inscrivait dans le cadre des rapports Est-Ouest et où nous faisions face à un risque d'escalade nucléaire. Une fois la force de frappe créée par le général de Gaulle, un seul et unique doigt devait pouvoir appuyer sur le bouton.

M. Jacques Floch - C'est à la IVe République que nous devons la force de frappe !

M. Pierre Lellouche - Soit ! Rendons à la IVe ce qui lui revient ! La création d'un domaine réservé de facto répondait aux impératifs de notre défense nationale, qui reposait essentiellement sur l'arme nucléaire : la décision d'y recourir ne pouvait être que personnelle et unique. Or le monde a changé : le terrorisme remet en cause l'efficacité de la dissuasion ; et surtout la question ne se pose plus de savoir qui appuie sur le bouton. Ce qui importe aujourd'hui, c'est la mobilisation nationale et l'union de l'ensemble des forces politiques pour préserver notre République.

Nous opposer une lecture passéiste de la Ve République ne tient pas la route sur le plan intellectuel et politique. Il en est de même pour la relation entre le Président de la République et les Français, mais c'est un autre débat.

Je veux donc rendre hommage à l'ouverture d'esprit de Nicolas Sarkozy, qui a compris la nécessité d'un contrôle parlementaire et qui a su faire la distinction entre l'impératif d'agir avec efficacité et celui de protéger notre démocratie.

Si je retire mon amendement, c'est que je compte sur vous pour faire aboutir un texte aussi solide que possible.

L'amendement 134 est retiré.

M. Julien Dray - Je voudrais rappeler le caractère solennel de cet instant. La commission de la défense avait certes réfléchi à un tel dispositif, mais c'est la première fois que nous en discutons dans cette enceinte. C'est une avancée pour notre démocratie.

J'ajoute que nous devons aboutir à un véritable consensus politique, de façon à ce que l'ensemble du Parlement puisse se retrouver dans ce texte. Bien sûr, nous n'y parviendrons pas en quelques minutes. Il existe encore des réticences, qui s'expliquent par les habitudes ou les inquiétudes de ceux qui luttent en première ligne sans exercer de responsabilité démocratique. Si chacun n'est pas encore convaincu, je me félicite que le débat ait déjà beaucoup mûri en quelques semaines. Laissons du temps au temps.

Nous pouvons, me semble-t-il, faire confiance au ministre d'Etat. Nous comptons sur lui pour ne pas chercher des solutions dilatoires, mais pour engager un processus clair, assorti d'un calendrier et associant l'ensemble du Parlement.

En effet, n'oublions pas que c'est la composition de l'organe à venir qui fera sa valeur et son efficacité. L'expérience l'a toujours montré. Il faudra donc que des responsables de cette Assemblée s'investissent personnellement dans cette fonction de contrôle.

Si tel est bien l'état d'esprit général, il vaudrait mieux ne pas passer immédiatement au vote, mais nous donner rendez-vous sur ce sujet avant le quinze février.

M. le Rapporteur - Nous vivons un moment d'unité nationale. Ne le gâchons pas ! J'ai confiance en vous, Monsieur le ministre d'Etat, mais en vous seulement. Si vous vous êtes exprimé au nom du Gouvernement, certains me semblent avoir conservé des conceptions antédiluviennes de nos institutions et du rôle du Parlement !

Rassurons donc ceux qui pourraient s'inquiéter : il n'y aura pas d'effet rétroactif ! (Sourires) Disons-le clairement.

M. Jacques Floch - Cela va rassurer M. Massoni ! (Nouveaux sourires)

M. le Rapporteur - Je vais bien sûr retirer l'amendement de la commission et demander à mon collègue Michel Vaxès de ne pas reprendre celui de MM. Floch et Dray. En effet, nous nous sommes tous engagés à aboutir avant le 15 février.

Cela étant, je suggère de ne pas retenir la proposition du ministre d'Etat, qui souhaite attendre le rapport prévu et profiter d'une niche parlementaire. Je voudrais donc que le Gouvernement prenne l'initiative d'inscrire lui-même la proposition de loi à l'ordre du jour.

L'amendement 124 rectifié est retiré.

M. Michel Vaxès - Sans me faire d'illusions, je reprends l'amendement 82. Il formule en effet une exigence supplémentaire : celle du pluralisme. Je voudrais qu'il en soit donné acte aujourd'hui.

Mme Christine Boutin - Je ne comprends pas la logique de ce raisonnement.

M. Julien Dray - Je souhaite que nous n'ayons pas à voter sur cet amendement pour ne pas marquer négativement le débat. Cette situation pourrait trouver un débouché si l'engagement était pris devant la représentation nationale, et inscrit dans nos documents officiels, que ce dispositif sera pluraliste.

Mme Christine Boutin - Il a raison : en politique, la symbolique est importante !

M. le Ministre d'Etat - J'ai pris au nom du Gouvernement des engagements : ils seront scrupuleusement tenus ! Ce que je rajouterais ne ferait que les affaiblir. Le groupe de travail débattra du fond, de la méthode et du calendrier.

Il s'agit de savoir si l'on veut faire un coup politique ou faire progresser la démocratie française. Si l'on veut faire progresser la démocratie française, on ne reprend pas les amendements des uns pour les mettre en contradiction avec leur volonté. C'est un moment important, car les ministres qui se succéderont à mon poste auront besoin du contrôle parlementaire.

Il faut être responsable et retirer ces amendements. Nous avons tous la même ambition : instaurer un contrôle du Parlement sur les services de renseignement, comme cela existe dans toutes les autres démocraties. Nous attendons depuis des décennies, nous pouvons bien utiliser ces deux mois pour faire, ensemble, un travail utile. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Michel Vaxès - Je récuse le soupçon de coup politique. Oui, nous voulons faire avancer la démocratie française, et apparemment, je suis le plus déterminé : la démocratie exige une représentation pluraliste dans les organes que l'on met en place. Or, seul l'amendement du groupe socialiste garantit ce pluralisme.

Mme Christine Boutin - Quelle démonstration d'archaïsme !

M. Michel Vaxès - Vous savez que cet amendement ne sera pas adopté : je ne vois pas ce qui vous gêne. Je veux seulement prendre acte au nom de mon groupe du fait que le pluralisme sera respecté, et je n'ai pas d'autres moyens que de reprendre cet amendement.

M. Guy Geoffroy - Nous récusons tout soupçon de coup politique. Mais, Monsieur Vaxès, pourquoi ne pas également lever le soupçon sur les engagements du Gouvernement ? Le ministre d'Etat propose, sur la suggestion du rapporteur et en accord avec tous les groupes, que nous prenions le temps d'élaborer un dispositif, en phase avec ce que nous voulons tous. C'est cela même que vous souhaitez. Or la reprise de cet amendement affaiblit notre volonté commune.

M. le rapporteur - Je vous le dit solennellement, Monsieur Vaxès : vous essuierez un vote négatif, qui affaiblira l'engagement pris au nom du Gouvernement. Les personnes en embuscade, et elles sont nombreuses et puissantes, utiliseront ce vote pour affirmer que l'Assemblée nationale et le Gouvernement ne sont pas en accord sur ce point. Vous faites courir un risque à ce projet. Je vous demande donc de reconsidérer votre position.

M. Noël Mamère - Il est inutile de culpabiliser M. Vaxès. Nous sommes tous d'accord sur la nécessité du contrôle parlementaire. Nous avons tous entendu le ministre prendre des engagements. Mais permettez-moi, Monsieur le rapporteur, de relever une contradiction dans vos propos : vous avez dit que l'avis du ministre de l'intérieur n'était pas forcément celui du Gouvernement. Même si nous croyons à la bonne foi de M. Sarkozy, ses engagements n'engagent que lui-même. C'est aux députés qu'il revient de fixer les règles à l'Assemblée nationale ; on nous propose d'ailleurs que ce dispositif soit présenté sous la forme d'une proposition de loi.

Je soutiens donc la reprise de cet amendement, qui apporte des garanties alors que trop de dispositifs dans ce texte suppriment celles qui entourent les libertés. Le rejet de cet amendement ne devra pas être considéré comme infamant et ceux qui l'ont soutenu comme opposés au contrôle du Parlement.

M. le Ministre d'Etat - Je ne peux pas laisser M. Mamère dire n'importe quoi, même s'il est coutumier du fait. C'est une affaire sérieuse, il doit la considérer comme telle. J'exprime la position du Gouvernement. Les engagements que je prends sont ceux du Gouvernement. J'ai des opinions personnelles, mais lorsque je siège au banc du Gouvernement, je parle au nom du Gouvernement.

Le consensus a des limites : celles de la responsabilité. J'ai dit au groupe socialiste ce que je pensais de sa proposition. Construisons avec les personnes responsables et ne cherchons pas à convaincre celles qui ne veulent pas l'être. L'histoire de notre République retiendra le nom de ceux qui ont souhaité le changement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Pierre Lellouche - Il fut un temps où les communistes et les gaullistes s'alliaient pour la défense du pays !

L'amendement 82, mis aux voix, n'est pas adopté.

APRÈS L'ARTICLE PREMIER

M. Julien Dray - L'amendement 83 est de clarification.

M. le Rapporteur - Sagesse.

M. Michel Hunault - Les sous-amendements 151 et 152 sont défendus.

M. le Ministre d'Etat - Avis favorable à l'amendement ainsi sous-amendé.

Les sous-amendements 151 et 152, mis aux voix, sont successivement adoptés.

L'amendement 83 sous-amendé, mis aux voix, est adopté.

ART. 2

M. Michel Vaxès - J'ai le sentiment que l'on veut afficher depuis hier un consensus sur les bancs de cette assemblée, en oubliant qu'un groupe, ici, est critique. En effet, si les députés communistes sont convaincus de la nécessité de combattre avec la plus grande fermeté le terrorisme, ils n'acceptent pas pour autant les réponses que vous souhaitez y apporter.

S'agissant de la vidéosurveillance, je ne peux pas accepter que M. le rapporteur construise son argumentation sur ce que ne dit pas l'opposition. Je n'ai jamais soutenu que la vidéosurveillance était inutile. J'ai seulement affirmé qu'il est inexact de prétendre qu'elle est efficace pour la prévention. Elle permettra sans doute d'améliorer la recherche de terroristes présumés mais elle ne sera pas dissuasive.

Des millions de caméras ont été installées sur le sol britannique et un Londonien peut être filmé jusqu'à 300 fois par jour. Mais ces caméras n'ont nullement permis d'éviter les attentats du mois de juillet. Tout au plus ont-elles permis d'identifier leurs auteurs a posteriori. Le rapporteur, lui-même, l'a souligné : les caméras n'empêcheront jamais un kamikaze d'agir.

Il existe peu d'études sur l'effet dissuasif de la vidéosurveillance dans les lieux publics. Celles qui ont le mérite d'exister relativisent l'efficacité du système. L'étude de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région Ile-de-France dresse un constat mitigé. Les enquêtes menées par les criminologues outre-Manche depuis dix ans soulignent que les effets de la vidéosurveillance sur la délinquance sont limités. Ces travaux montrent que la présence de caméras ne permet pas de diminuer le volume de la délinquance. On peut donc douter de l'efficacité de la vidéosurveillance en matière de prévention du terrorisme. En revanche, il est certain que la possibilité d'être regardé partout et à toute heure constitue une atteinte aux droits individuels, à l'intimité et à la liberté de déplacement.

M. Jacques Floch - Le terrorisme ne prend pas exclusivement comme cible les installations d'importance vitale mais également les lieux très fréquentés. L'objet de l'amendement 87 est de les inclure dans la liste établie à l'article 2.

M. le Rapporteur - Avis favorable à cet amendement qui, je le note, va plus loin que le projet de loi.

M. le Ministre délégué - Le préfet a le pouvoir d'imposer l'installation de caméras dans les lieux les plus sensibles : centrales nucléaires, grandes installations industrielles, infrastructures de transport collectif - gares, aéroport, couloirs de métro. Vous proposez d'étendre cette possibilité à tout lieu et établissement recevant du public. Le Gouvernement n'y est pas opposé. Toutefois, cette extension pose problème au regard du respect des libertés publiques car tout commerce peut répondre à la définition de lieu ouvert au public. Sagesse.

M. Julien Dray - Je tiens à préciser la portée et le sens de cet amendement afin d'éviter les malentendus. La vidéosurveillance est aujourd'hui à la mode et disposer du maximum d'outils technologiques est tentant. En tant que vice-président de la région Ile-de-France chargé de la sécurité, je constate que les proviseurs, entre autres, considèrent que l'installation de caméras permet d'assurer la tranquillité au sein des établissements. Il en va de même dans les commerces. Or, ces systèmes sont parfois de mauvaise qualité et il reste à savoir comment les informations recueillies sont utilisées.

La commission départementale ne peut qu'être encline à accepter la quasi-totalité des demandes d'installation qui lui sont faites de peur qu'on lui reproche un refus si des incidents venaient à se produire. Nous souhaitons qu'elle joue un rôle plus actif et définisse, à partir d'une analyse sérieuse, les besoins de vidéosurveillance. Nous ne sommes pas dans une logique de généralisation de la vidéosurveillance. Nous voulons, au contraire, que la commission départementale cible mieux les besoins.

Mme la Présidente - Cet amendement gagnerait à être corrigé. Plutôt que de faire référence à des lieux, il convient de faire référence à des personnes compte tenu de la rédaction de l'article.

M. Julien Dray - Nous rectifions donc l'amendement afin d'écrire : « les exploitants des lieux et établissements ».

L'amendement 87 rectifié, mis aux voix, est adopté.

M. Michel Hunault - Le projet de loi n'aborde pas la question du financement de l'installation de systèmes de vidéosurveillance dans les réseaux de transport collectif. Par l'amendement 109, je vous propose que ce coût soit pris en charge par les gestionnaires d'infrastructures et des autorités organisatrices de transports.

M. le Rapporteur - La commission n'a pas examiné cet amendement. A titre personnel, j'y suis défavorable car il n'existe pas « d'autorités organisatrices de transports » partout.

M. le Ministre délégué - Même avis.

L'amendement 109, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Noël Mamère - L'amendement 67 prolonge l'amendement défendu par MM. Floch et Dray, il devrait donc logiquement obtenir votre approbation. La commission départementale doit pouvoir contrôler les décisions d'installation de systèmes de vidéosurveillance.

M. le Rapporteur - Avis défavorable car la commission départementale rend un avis utile au préfet qui a seul le pouvoir de prendre la décision. En cas de difficultés, la procédure reste sous le contrôle du juge administratif.

M. le Ministre délégué - La décision de prescrire l'installation de vidéosurveillances incombe au représentant de l'Etat dans le département, le préfet. Que ce dernier puisse éventuellement s'écarter de l'avis rendu par la commission n'est pas anormal. Le Conseil constitutionnel avait d'ailleurs confirmé cette analyse en examinant le régime de la vidéosurveillance en 1995. Du reste, au terme de dix années de vidéosurveillance, il est établi que le préfet suit l'avis de la commission départementale dans la quasi-totalité des cas. Avis défavorable.

L'amendement 67, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Julien Dray - L'amendement 88 est un bon amendement de repli par rapport au précédent. Il tend à préciser que la commission départementale a le pouvoir de contrôler les dispositifs. Jusqu'alors, elle ne pouvait s'assurer de leur efficacité. Il appartiendrait ensuite au préfet de tenir compte ou non de l'avis de la commission départementale.

M. le Rapporteur - La commission a repoussé cet amendement car ce dispositif est déjà prévu à l'article 2 mais nous pouvons le retenir si cela vous est agréable.

M. le Ministre délégué - Avis favorable à cette précision utile.

L'amendement 88, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 6 est rédactionnel.

L'amendement 6, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 7, dans la même logique que l'amendement 4, vise à ce que la commission départementale puisse donner un avis immédiat dans le cadre des procédures d'urgence.

L'amendement 7, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - Les amendements 8 et 9 sont rédactionnels.

Les amendements 8 et 9, acceptés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, sont adoptés.

L'article 2 modifié, mis aux voix, est adopté.

AVANT L'ART. 3

M. Thierry Mariani - Les amendements 136 et 137 ont pour objet d'inciter fortement les personnes, établissements et organismes à fournir les renseignements demandés par la police dans des délais rapides. En effet, il arrive fréquemment que les opérateurs de téléphonie attendent plusieurs semaines, voire plusieurs mois pour répondre aux demandes de renseignements de la police ou de la gendarmerie alors que ces informations figurent bien souvent sur une simple facture de téléphone. Nous avons déjà tenté de remédier à cette difficulté avec la loi Perben II du 9 mars 2004 en imposant une amende de 3 750 euros aux personnes qui ne présenteraient pas les informations demandées sans fournir de motifs légitimes. L'amendement 136 vise à substituer au terme flou de « meilleurs délais » un délai de quinze jours. Quant à l'amendement 137, il propose que ce délai soit fixé par décret en Conseil d'Etat.

M. le Rapporteur - Avis défavorable à ces amendements, car ils inciteraient certainement les opérateurs à répondre aux demandes de renseignements plus tard qu'ils ne le font aujourd'hui. Généralement, la demande est satisfaite dans la journée, voire dans l'heure. Il aurait donc été préférable de conserver le terme de « meilleurs délais ».

M. le Ministre délégué - Le Gouvernement serait favorable à cette proposition à condition que la rédaction de l'amendement 136 soit modifiée. Monsieur Mariani, je vous propose donc de retravailler sa rédaction d'ici l'examen au Sénat.

M. Thierry Mariani - Les amendements 136 et 137 sont retirés.

Les amendements 136 et 137 sont retirés.

ART. 3

M. Noël Mamère - L'amendement 68 tend à supprimer l'article 3 qui permet d'élargir le champ d'application géographique des contrôles d'identité sans condition préalable. Si cet article était adopté, il serait possible de procéder à des contrôles d'identité, au-delà de la zone frontalière de 20 kilomètres, dans les trains assurant des trajets internationaux jusqu'au premier arrêt commercial après la frontière, voire, sur décision préfectorale, sur les 50 km suivant cet arrêt. Justifier cette mesure par la lutte contre le terrorisme procède de la pure hypocrisie. Les contrôles d'identité n'ont jamais permis d'empêcher le terrorisme. Les derniers événements de Madrid et de Londres en témoignent. Sous couvert de lutter contre le terrorisme, vous multipliez les contrôles à l'encontre de nos concitoyens.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. M. Mamère veut supprimer les contrôles d'identité dans les trains internationaux...

M. Noël Mamère - Ce n'est pas ce que j'ai dit.

M. le Rapporteur - ...alors qu'ils sont justement la contrepartie normale de l'ouverture des frontières prévue par la convention de Schengen.

M. le Ministre délégué - Le Conseil constitutionnel a approuvé dans sa décision du 5 août 1993 les contrôles d'identité, que nous devons aujourd'hui adapter à la réalité de la circulation ferroviaire. Nous ne pouvons arrêter les trains, surtout s'ils sont rapides, ni organiser des contrôles dans la gare d'arrivée, car cela mobiliserait trop de fonctionnaires et gênerait les usagers. Il est bien plus simple de procéder aux contrôles à bord des trains internationaux, dans les limites fixées par le projet, conformément à l'avis du Conseil d'Etat.

Rappelons d'ailleurs que l'un des terroristes de Londres a traversé en train notre pays pour se rendre en Italie. Avis défavorable.

L'amendement 68, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Julien Dray - L'amendement 89 ne tend pas à remettre en cause les contrôles d'identité tels qu'ils ont été validés par le Conseil constitutionnel, mais à ce qu'il y soit recouru dans le seul cadre de la prévention des actes terroristes.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Les contrôles prévus par la convention de Schengen ne sont soumis à aucune condition et il n'est pas question aujourd'hui de les limiter.

M. le Ministre délégué - Avis défavorable, car l'adoption de cet amendement ruinerait l'efficacité du dispositif.

M. Julien Dray - Pas du tout, il s'agit simplement d'apporter une garantie supplémentaire, car il ne faut pas faire n'importe quoi sur un sujet aussi grave.

M. Noël Mamère - Très juste.

M. le Ministre délégué - Il n'est pas question de limiter les contrôles d'identité qui, de toutes manières, existent sans aucune condition dans le cadre de Schengen !

M. Julien Dray - Mais nous ne sommes plus dans le cadre de Schengen !

M. le Ministre délégué - Nous entendons rester dans ce cadre. N'affaiblissez pas un dispositif existant !

M. Noël Mamère - Vous allez au-delà de ce qui a été prévu par les accords de Schengen en présentant une loi qui déroge au droit commun. Vous ouvrez la porte à des contrôles intempestifs et nombreux. Il y a déjà suffisamment d'atteintes aux droits fondamentaux dans ce texte pour ne pas en rajouter.

L'amendement 89, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 10 est de conséquence.

L'amendement 10, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 3 modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 4

M. Noël Mamère - Selon vous, les nouveaux moyens de communication justifieraient une surveillance particulière, mais le ministre de l'intérieur a apparemment certifié à la CNIL que seules les données relatives à des correspondances nominatives seraient concernées - cette garantie, qui ne figure pas dans le texte, est bien évidemment insuffisante.

En revanche, il faut reconnaître que le contenu des communications est expressément protégé.

Les communications par voie électronique sont les plus contrôlées, alors qu'elles laissent davantage de traces que les autres - je pense en particulier au courrier acheminé par voie postale, qui reste très difficile à appréhender. Ce ne sont donc pas les spécificités techniques de ce mode de communication qui appellent des précautions particulières, et les recommandations de la CNIL devraient pour le moins être prises en compte.

Le contrôleur européen des données l'a souligné dans son avis du 26 septembre 2005, les dispositions concernant les conditions d'accès aux données retenues relèvent de la compétence exclusive des Etats. Ces dispositions revêtent donc une importance particulière à un moment où le Conseil de l'Europe projette de porter à trois ans la durée de rétention de certaines données de trafic.

Les mesures permettant l'accès direct aux données retenues par les opérateurs, en dehors de tout contrôle judiciaire, sont de même nature que celles qui autorisent les interceptions téléphoniques administratives. Pourquoi alors prévoir un dispositif d'autorisation et de contrôle distinct et affaiblir ainsi les garanties offertes, déjà toutes relatives ? Il conviendrait au moins d'aligner ces deux régimes.

M. Michel Vaxès - L'article 4 élargit la définition de la notion d'opérateur de communications électroniques à toute personne qui propose un accès internet au public, comme les cybercafés, Entreront donc, semble-t-il, dans cette nouvelle définition universités, bibliothèques, aéroports, gares, mairies, hôtels... Le rapporteur précise que seules sont visées les personnes qui offrent une connexion dans le cadre d'une activité professionnelle, mais cette notion est très difficile à cerner.

Cela étant, tous ces nouveaux opérateurs devront conserver certaines données techniques de connexion, comme le prévoit l'article L. 34-1 du code des postes et communications téléphoniques. Aussi ce projet devrait-il définir précisément les personnes qui devront se soumettre à cette obligation.

Quant à l'article 5, il vise à permettre une exploitation rapide des données techniques générées par les communications électroniques. Les services de police spécialisés dans la lutte contre le terrorisme pourraient ainsi se faire communiquer ces données techniques dans un cadre juridique administratif, c'est-à-dire hors de tout cadre judiciaire. Comme le relève le syndicat national de la magistrature, ces mesures sont de même nature que celles qui autorisent les interceptions téléphoniques administratives. Aussi est-il incongru que le dispositif d'autorisation et de contrôle soit distinct.

M. Noël Mamère - L'amendement 69 est défendu.

M. le Rapporteur - Avis défavorable, mais c'est vrai que la notion d'activité professionnelle est floue. Peut-être laisserons-nous le juge libre d'interpréter cette notion, à moins que le ministre ne la précise.

M. le Ministre délégué - Je suis très clair : ce sont d'abord les cybercafés qui sont concernés, c'est-à-dire les personnes qui au titre d'une activité professionnelle principale offrent au public une connexion au réseau internet. Ce sont eux que nous voulons soumettre au même régime que les opérateurs classiques : obligation de conservation de données techniques de connexion - numéros de terminaux, dates, horaires et durée de communication -, indépendamment d'ailleurs des données de contenu, comme par exemple le contenu d'un mail. Je rappelle que Richard Reid, le terroriste dont la chaussure était remplie d'explosif, utilisait des cybercafés ainsi qu'une bande de connexion de l'aéroport de Roissy. Les mairies, les universités, les bibliothèques ne sont pas concernées en principe car leur activité ne consiste pas principalement à proposer des connexions à l'internet. Néanmoins, si l'on signalait, par exemple, que telle ou telle bibliothèque se transformait en une sorte de cybercafé, celle-ci pourrait entrer dans le champ des personnes soumises à l'obligation de conservation des données au titre de leur activité accessoire. Il convient de se ménager une telle possibilité. Autre exemple, Mohammed Atta, le chef des commandos kamikazes du 11 septembre 2001, communiquait avec une partie de son réseau à partir des postes internet que l'université de Hambourg mettait à la disposition de ses étudiants. La définition proposée par le projet du Gouvernement n'appelle donc pas de précision par décret.

M. Noël Mamère - J'entends bien votre réponse concernant les universités, les bibliothèques, les mairies, mais pourquoi ne pas inscrire précisément dans la loi la liste des personnes devant conserver les données techniques relatives à l'utilisation d'internet ?

M. Michel Vaxès - Une ambiguïté doit en effet être levée. M. le ministre a exclu de l'obligation de communication des données les bibliothèques, les universités, les hôtels de ville... Le cas échéant, il ne faudra donc pas leur reprocher a posteriori de ne pas avoir accumulé l'ensemble des éléments d'information nécessaires à une enquête. L'imprécision du texte est dommageable, même si l'intervention de M. le ministre pourrait peut-être constituer une référence pour le juge.

M. le Ministre délégué - Ce sera le cas, et c'est précisément pourquoi j'ai tenu à apporter ces précisions.

L'amendement 69, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - Le 15 novembre 2001, la majorité d'alors a voté la loi sur la sécurité quotidienne qui permettait de déroger au principe de l'effacement des données de connexion de téléphonie et d'internet par les opérateurs pour les besoins des enquêtes pénales. Je rappelle que les dispositions anti-terroristes de la loi avaient été adoptées selon une procédure d'urgence absolue tant il importait de légiférer rapidement. Or, le décret qui devait préciser cette obligation - nature et délai des données à conserver - n'a toujours pas été pris, même si le ministre de l'intérieur n'est en l'occurrence pas en cause. Les opérateurs conservant leurs données et les mettant à disposition de la justice sur une base volontaire, nous sommes toujours à la merci d'un refus. Si les opérateurs ont besoin de conserver ces données pour des raisons commerciales, les cybercafés, que nous nous apprêtons à faire entrer dans le champ de l'article L. 34-1 du code des postes et des télécommunications, n'ont eux aucune envie de le faire. L'amendement 11 précise clairement que la conservation des données est une obligation pour les opérateurs. Tant que le décret n'aura pas été publié, l'article 4 n'aura aucune portée.

M. le Ministre délégué - Je vous remercie, Monsieur le rapporteur, pour votre appréciation concernant le ministre de l'intérieur, dont vous savez combien il s'est mobilisé pour que l'on avance rapidement.

Je vous assure que le décret sera soumis au Conseil d'Etat dans les prochains jours et qu'il sera publié au plus tard au mois de janvier. Des instructions très fermes ont été données en ce sens et elles seront appliquées par l'administration sans qu'il soit nécessaire de modifier l'article L. 34-1 pour l'y contraindre. Je m'en remets donc à la sagesse de l'Assemblée.

L'amendement 11, mis aux voix, est adopté.

L'article 4 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 5

M. le Rapporteur - L'amendement 12 codifie les dispositions de cet article au sein du code des postes et des communications électroniques et de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Ces deux textes précisent en effet les obligations à la charge des opérateurs de communications électroniques et des hébergeurs de sites internet. L'article 5 créant de nouvelles obligations à leur charge, il est préférable que celles-ci soient codifiées dans les textes qui concernent ces catégories d'opérateurs, dans un souci d'accessibilité et d'intelligibilité de cette loi.

L'amendement 12, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 14 est rédactionnel.

L'amendement 14, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Noël Mamère - L'amendement 70 est défendu.

L'amendement 70, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Michel Hunault - L'amendement 110 tend à donner au juge des libertés et de la détention le pouvoir de décision et de contrôle quand des agents habilités demandent que soient communiquées les données techniques des communications électroniques.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Jusqu'à l'article 8, le projet concerne la police administrative et vous voudriez faire intervenir le juge et, pourquoi pas, le procureur ! La justice n'est pas ici concernée. Les JLD auraient au demeurant beaucoup de travail alors qu'il manque des effectifs ! En démocratie, il ne convient pas de confondre les pouvoirs.

L'amendement 110, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Michel Hunault - L'amendement 111 rectifié est défendu.

M. le Rapporteur - L'amendement 15 vise à ce que la personnalité chargée d'examiner les demandes des agents habilités soit nommée par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité plutôt que par le ministre de l'intérieur. Il s'agit-là d'un gage d'impartialité.

M. Pierre Lellouche - Vous avez raison.

M. le Rapporteur - Je crois d'ailleurs que telle était la première rédaction du texte. Je propose donc d'y revenir, même si je fais confiance au ministre de l'intérieur pour faire en sorte que la personnalité qualifiée soit impartiale.

M. Jacques Floch - L'amendement 92 vise également à garantir une meilleure impartialité dans cette nomination et propose en l'occurrence de demander à la CNIL son avis.

M. le Rapporteur - Avis défavorable à l'amendement 111 rectifié. Concernant l'amendement 92, il ne me semble pas que la CNIL ait pour mission de donner ce type d'avis.

M. le Ministre d'Etat - Avis favorable à l'amendement 15 et défavorable aux amendements 111 rectifié et 92.

L'amendement 111 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 15, mis aux voix, est adopté.

L'amendement 92, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jacques Floch - L'amendement 90 est défendu.

L'amendement 90, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - Je retire l'amendement 16 au profit de l'amendement 126 qui répond mieux au souci d'améliorer les contrôles effectués par la CNCIS.

L'amendement 16 est retiré.

M. Jacques Floch - L'amendement 91 est défendu.

L'amendement 91, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 17 est de conséquence.

L'amendement 17, accepté par le Gouvernement, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 13 est également de conséquence.

L'amendement 13, accepté par le Gouvernement, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 18 vise à résoudre une difficulté pratique dans le fonctionnement de la loi de 1991, que la CNCIS a elle-même signalée.

L'amendement 18, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 19 a pour objet de donner une base légale aux contrôles effectués par la CNCIS.

M. le Ministre d'Etat - Cette modification importante de la loi de 1991 serait plus à sa place dans un projet dont ce serait l'objet. Je préfèrerais donc que l'amendement soit retiré.

L'amendement 19 est retiré.

M. le Rapporteur - L'amendement 126 tient compte du rôle confié à la CNCIS en matière de contrôle des opérations de communication des données techniques. Plutôt que ses recommandations soient rendues publiques, ce qui, s'agissant d'affaires individuelles, pourrait être dangereux, mieux vaut prévoir qu'elle fasse un bilan des suites données à ses recommandations.

M. le Ministre d'Etat - Favorable.

L'amendement 126 mis aux voix, est adopté.

M. Noël Mamère - L'amendement 71 est défendu.

L'amendement 71, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - Le 20 est un amendement de codification.

L'amendement 20, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 21 est rédactionnel.

L'amendement 21, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 5 modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 6

M. Noël Mamère - Cet article est présenté comme nécessaire à la transposition de la directive du 29 avril 2004, mais en réalité ses finalités et le régime qu'il retient sont assez différents. Alors que la directive ne concerne que le trafic aérien, le projet s'applique aussi aux transports ferroviaire et maritime. Et surtout, alors que la directive vise à faciliter le contrôle de l'immigration, le projet fait de la transmission de données relatives aux passagers un instrument de la lutte contre le terrorisme.

Comme l'a relevé la CNIL, le projet ne donne aucune précision sur la destination des données transmises, ne dit pas s'il s'agit de constituer un fichier unique, ni quelles seraient les conditions de son fonctionnement. Il est juste indiqué que l'interconnexion sera possible avec le fichier des personnes recherchées.

Alors que cet article pose gravement atteinte à la liberté d'aller et venir, il n'apporte aucune des garanties souhaitables et ne permet pas un contrôle de la proportionnalité des atteintes portées à cette liberté au regard des finalités poursuivies.

M. Michel Vaxès - L'article 6 transpose en droit interne une directive du Conseil du 29 avril 2004, qui fait obligation aux transporteurs aériens, dans le cadre de la lutte contre l'immigration clandestine, de communiquer des données relatives aux passagers. Ainsi pourront être collectées les données figurant sur les cartes d'embarquement et de débarquement, celles collectées à partir de la bande de lecture optique des documents de voyage ainsi que celles enregistrées dans les systèmes de réservation et de contrôle. Avec cet article est ainsi permise la surveillance automatique des déplacements des personnes, ce qui constitue, en soi, une atteinte à la liberté d'aller et de venir et un risque pour le respect de la vie privée. En outre, l'identité des personnes pourra être contrôlée à leur insu.

Nous regrettons qu'une fois de plus les recommandations de la CNIL n'aient pas été suivies. Selon elle, le projet devrait préciser s'il s'agit ou non d'un fichier central de contrôle des déplacements et limiter l'accès aux données à des voyages vers des destinations précises ; elle estime aussi que les modalités de transmission de ces données par les transporteurs devraient être indiquées, ainsi que les catégories de données concernées et leur durée de conservation, et que les modalités d'information des personnes devraient être définies.

Autant de réserves qui ne font qu'augmenter nos craintes quant à un texte qui place les Français sous surveillance accrue et transforme chacun d'eux en un coupable potentiel. On assiste, là encore, à un renversement de la charge de la preuve : pour prouver son innocence, chaque citoyen doit accepter de vivre sous surveillance dans la presque totalité de actes de sa vie quotidienne.

M. Jacques Floch - Je suis membre de la délégation pour l'Union européenne et je suis de ceux qui veulent que la France montre l'exemple en matière de transposition des directives, mais là, pour une fois, je suis contre la transposition demandée à cet article.

M. Xavier de Roux - Bizarre.

M. Jacques Floch - Non, car la directive parle de la lutte contre l'immigration clandestine, tandis que nous discutons en ce moment de la lutte contre le terrorisme. C'est pour éviter un amalgame dangereux entre les deux que nous proposons, par notre amendement 93, de supprimer l'article 6.

M. le Rapporteur - La directive est certes faite pour faciliter la lutte contre l'immigration clandestine, mais elle peut aussi s'appliquer à d'autres buts de contrôle. Et dans cette affaire, le contrôle concerne aussi les Français.

La transposition de la directive doit se faire avant septembre 2006. Pour une fois, nous serions en avance.

Enfin, cette transposition est indispensable à la lutte contre le terrorisme, car nous sommes en présence d'un système d'exportation de djihadistes français - et qui dit exportation peut dire aussi réimportation.

M. le Ministre d'Etat - Je suis d'autant plus sensible aux arguments qui ont été avancés par les uns et les autres que j'ai moi-même longuement hésité avant d'introduire dans cette loi relative à la lutte contre le terrorisme des dispositions relatives à la lutte conte l'immigration irrégulière. Il n'est nullement dans mes intentions de faire un amalgame entre les deux, mais si mélange des genres il y a, notez bien qu'il est déjà dans la directive, puisque celle-ci permet aux Etats membres de faire usage des données transmises par les transporteurs à d'autres fins que la lutte contre l'immigration irrégulière, et ce « pour répondre aux besoins des services répressifs. »

J'ajoute que dans un de ses considérants, la directive fait expressément référence à la déclaration du Conseil européen des 25 et 26 mars 2004 sur la lutte contre le terrorisme.

Ce projet de loi constitue donc le vecteur législatif de la transposition de la directive - qui doit se faire, comme l'a souligné le rapporteur, avant le 5 septembre 2006 - au titre de cette double finalité.

J'ajoute que les transporteurs ne sauraient être contraints à procéder à une double communication, l'une au titre de la lutte contre le terrorisme, l'autre au titre de la lutte contre l'immigration irrégulière, alors que ce sont les mêmes données, relatives aux mêmes voyageurs, dont le recueil est prévu. Concrètement, il s'agit d'une seule et même application accessible aux services chargés de la lutte contre l'immigration comme à ceux chargés de la lutte contre le terrorisme, le contrôle aux frontières participant de ces deux objectifs.

Si mélange des genres il y a, il est dans la directive. A partir du moment où nous sommes d'accord pour transposer celle-ci, autant le faire maintenant : j'ai choisi ce texte-ci parce qu'il est examiné en premier. Si je vous proposais cette transposition dans six mois à l'occasion d'un texte sur l'immigration irrégulière, vous seriez tout aussi fondés à me reprocher le mélange des genres puisque la directive évoque aussi la lutte contre le terrorisme... Alors que la France est régulièrement condamnée pour ne pas avoir transposé les directives assez vite, on ne peut pas me reprocher de transposer celle-ci trop tôt ! Bien évidemment, cela ne m'empêche pas de penser que l'immigration irrégulière et le terrorisme sont deux choses différentes ! Mais je ne vais pas m'excuser d'assurer la transposition d'une directive qui mélange les genres - car qui s'excuse s'accuse... Je vous invite donc à retirer cet amendement.

M. Julien Dray - Je le maintiens.

L'amendement 93, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Noël Mamère - Mon amendement 72 a précisément pour but d'éviter l'amalgame en supprimant les mots « et de lutter contre l'immigration clandestine », afin de préciser que nous sommes ici dans le cadre d'une loi d'exception qui vise à lutter contre le terrorisme, ce qui n'a rien à voir.

M. Xavier de Roux - Il n'a rien compris !

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Le décret prévoira les modalités pratiques dans le cadre fixé par la directive - par exemple, un maximum de 24 heures pour la conservation des données en matière de lutte contre l'immigration clandestine.

M. le Ministre d'Etat - Défavorable.

M. Julien Dray - Je donne acte au Gouvernement qu'il n'a pas de volonté d'amalgame et que le problème vient de la directive, mais notre sentiment est qu'il aurait mieux valu rattacher ces dispositions au texte relatif à la lutte contre l'immigration irrégulière.

L'amendement 72, mis aux voix, n'est pas adopté.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu, cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 h 20.

            La Directrice du service
            du compte rendu analytique,

            Catherine MANCY


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