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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2005-2006 - 38ème jour de séance, 86ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 1ER DÉCEMBRE 2005

PRÉSIDENCE de M. Yves BUR

vice-président

Sommaire

      DIVERSITÉ SOCIALE
      DANS LES CLASSES PRÉPARATOIRES
      ET AUTRES ÉTABLISSEMENTS 2

      EXPLICATIONS DE VOTE 17

La séance est ouverte à neuf heures trente.

DIVERSITÉ SOCIALE DANS LES CLASSES PRÉPARATOIRES
ET AUTRES ÉTABLISSEMENTS

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Ayrault et plusieurs de ses collègues visant à permettre la diversité sociale dans la composition des classes préparatoires aux grandes écoles et autres établissements sélectionnant leur entrée.

M. Manuel Valls, rapporteur de la commission des affaires culturelles - La violence qui a touché nos quartiers populaires de plein fouet est une manifestation terrible de l'état de notre contrat social et une nouvelle marque du désenchantement qui affecte la France. Soyons lucides : il ne s'agit pas d'un accident de parcours, mais de la preuve qu'une ségrégation sociale, territoriale et ethnique s'approfondit et mine notre pacte républicain. L'ascenseur social est bloqué ; l'école est au cœur du problème. Si elle reste le grand projet de la République, elle est aussi devenue un outil de stagnation sociale et de reproduction des inégalités, voire de déterminisme social. M. de Robien lui-même rappelait récemment les faits : seuls 30 % des enfants d'ouvriers accèdent à l'enseignement supérieur, contre près de 80 % d'enfants de cadres ; les étudiants des milieux modestes ne représentent que 15 % des effectifs des classes préparatoires aux grandes écoles, et la situation est plus dramatique encore pour les enfants de chômeurs. De telles inégalités - un véritable mal français - révèlent un système malthusien et sclérosé.

Notre démarche s'appuie sur le succès des conventions ZEP créées à Sciences Po par Richard Descoings, qui permettent de préparer des élèves de lycées réputés difficiles à l'entrée en première année. Ces élèves réussissent aussi bien que ceux qui entrent par la voie classique, comme l'illustre la trajectoire de Nadia Tounée qui, lycéenne aux Ulis, ne connaissait pas l'existence de Sciences Po. D'abord encouragée par une enseignante, elle est aujourd'hui en deuxième année et envisage de partir aux Etats-Unis l'an prochain : « ce n'est pas parce qu'on vient d'un quartier difficile que l'on doit rester en bas de l'échelle », dit-elle, convaincue que le brassage auquel contribue Sciences Po donnera, à terme, une image plus réaliste de la France, même si d'autres écoles doivent l'imiter.

En effet, seuls 40 établissements - sur 1 500 lycées - sont conventionnés avec des grandes écoles comme l'IEP ou l'Essec avec le programme « Pourquoi pas moi ». Or, introduire la diversité dans ces établissements à dose homéopathique, alors que la majorité des lycéens reste à l'écart de ces procédures d'accès, risque de créer une discrimination dans la discrimination : que dire aux élèves qui sont dans des zones non éligibles aux conventions ZEP ou éloignés des grandes écoles qui bénéficient du tutorat assuré par l'Essec ? Si ces initiatives sont louables, elles ressemblent quand même à des opérations de sauvetage des meilleurs élèves de quelques lycées. Nous voulons les étendre à l'ensemble du territoire, pour satisfaire l'ambition éducative d'égalité des chances qui doit animer tout gouvernement de la République.

Notre démarche est universelle et pragmatique. Qu'ils soient de Pointe-à-Pitre, Limoges, Mulhouse ou Aubervilliers, les meilleurs élèves de chaque lycée seront, en fonction de leurs résultats au baccalauréat, de leurs vœux et de leur situation géographique, mécaniquement orientés en classes préparatoires, dans les IEP ou à Dauphine. Contrairement à ce qu'écrivait récemment M. Sarkozy dans Le Figaro, il ne s'agit pas de réserver quelques places en classes préparatoires aux meilleurs élèves de ZEP, mais de déclencher un véritable brassage de population fondé sur le mérite, et non sur la compassion.

Dès l'année prochaine, les meilleurs 6 % de chaque lycée seront concernés. Ils inspireront les générations suivantes : savoir qu'un jeune de son quartier ou de son village a intégré une grande école peut susciter des vocations ! A court terme, il s'agit donc d'intégrer dans la haute fonction publique, parmi les cadres, les scientifiques, les journalistes ou les magistrats, des diplômés issus de tous milieux et sélectionnés en vertu de leur seul mérite.

L'article 4 rappelle l'importance de la bourse complémentaire pour que les élèves retenus, déjà boursiers, puissent faire face aux besoins de logement, de matériel et d'investissement qui sont ceux des prépas. Une évaluation annuelle permettra de juger de l'efficacité du dispositif.

Certains décideront d'envoyer leurs enfants dans les établissements qui ouvrent le plus facilement le sésame de la prépa : voilà une chance de recréer la mixité sociale dans nos établissements.

On reprochera à cette proposition de loi de créer un nivellement par le bas : je ne le crois pas. La moitié des places seront encore attribuées selon le mode traditionnel qui date du XVIIe siècle. En outre, il est plus méritoire d'obtenir une mention « Assez bien » au bac quand on est lycéen à Corbeil-Essonnes ou à Gap qu'une mention « Bien » à Henri IV : le succès des conventions ZEP de l'IEP le prouve. C'est pourquoi nous proposons, à l'article 5, l'accompagnement dès la seconde, lancé avec succès au lycée Robert Doisneau de Corneil-Essonnes, dernier signataire d'une convention avec Sciences Po.

A propos de l'ouverture des élites, Mme Hudson, proviseure du lycée de Dammarie-lès-Lys, explique à juste titre que lorsque « la masse » connaît l'échec social, l'espoir disparaît ; mais chaque fois qu'un jeune de banlieue surmonte les difficultés sociales et territoriales, il redonne espoir à tous ceux qui sont derrière lui. Pourtant, « la France a peur du risque », conclut-elle. Aux Etats-Unis, ce mécanisme existe dans plusieurs états - Floride, Californie, Texas - pour atténuer les effets pervers de la discrimination positive, ethnique et religieuse, en défendant la justice sociale et territoriale. Patrick Weil le démontre dans son livre, La République et sa diversité : l'introduction de ces mécanismes en France faciliterait l'ascension sociale. La frustration dont souffre notre pays ne se limite pas aux seuls quartiers populaires : elle étreint la France rurale, périurbaine, ultramarine, et certains catégories de la classe moyenne. Orienter d'office dans les voies d'excellence et reconnaître que les ambitions sont légitimes : voilà une chance à saisir pour notre pays en proie à une crise de sens.

Naturellement, nous ne renonçons pas à réformer l'école, de la maternelle au doctorat, à renforcer les ZEP et le soutien individualisé, à valoriser le travail des enseignants. Mais plutôt que d'exiger le dépôt de bilan des ZEP ou de procéder à leur saupoudrage comme le Gouvernement s'apprête à le faire, c'est à un effort considérable qu'il faut consentir : l'étude de M. Piketty rappelle que l'Etat n'y dépense que 7 % de plus ! Or, si les ZEP n'existaient pas, la situation serait encore plus dramatique.

Nous ne renonçons pas non plus à faire de l'université une voie d'excellence. La révolution éducative qui doit avoir lieu n'est pas qu'une question de moyens. C'est pourquoi notre démarche est pragmatique : ouvrir les classes préparatoires aujourd'hui, c'est réactiver l'ascenseur social et diversifier les élites de demain.

Face à la crise de notre pacte républicain, certains louent leur bilan sans rompre avec la sclérose de notre société. Le groupe socialiste, quant à lui, fait le choix du volontarisme. Cette proposition de loi est l'acte d'un gouvernement à venir. La République doit s'ouvrir, au risque de laisser les extrémismes ravager ce qui reste de son pacte fondateur.

M. Jean-Marc Ayrault - Très juste !

M. le Rapporteur - Ici même, dans ce palais, une armée d'agents d'entretien - presque tous de couleur - vient chaque matin nettoyer les bureaux des députés - presque tous blancs. Qu'offrons-nous à leurs enfants ? Pouvons-nous tolérer le contraste entre l'obscurité du matin et la lumière de la journée ? Combien de parents ne croient pas à l'ascension sociale de leurs enfants ? La IIIe République avait, par l'école, créé la République de tous les possibles. Le progrès doit redevenir une idée française ; le culte du diplôme et de la réussite scolaire, si propre à notre pays et devenu facteur d'exclusion, doit permettre de bousculer les blocages et les préjugés de notre société.

Avec cette proposition de loi, la représentation nationale peut apporter un message d'espoir. Sans tomber dans les errements d'un égalitarisme trop abstrait, nous devons renouer avec l'essence de l'égalité : à chacun sa chance. En défendant la justice pour les territoires et les lycées et en récompensant des efforts trop ignorés, cette loi peut doper la République dont le fondement même est menacé par la crise sociale. Faisons, ensemble, le pari de l'action. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - J'ai proposé, le 24 novembre dernier, de ne pas engager la discussion des articles, de suspendre les travaux de la commission et de ne pas présenter de conclusions sur le texte de cette proposition de loi. Cela n'empêche ni la discussion en séance publique, ni la publication du rapport relatant les travaux de la commission.

Sur la forme, le texte de cette proposition de loi - sans doute les événements de ces dernières semaines peuvent-ils l'expliquer - a été communiqué trop tardivement : la veille de son examen en commission.

De surcroît, aucun membre du groupe socialiste n'est venu la soutenir en commission, à l'exception de son rapporteur. L'opposition a préparé cette proposition dans la plus grande improvisation, ce qui justifie la décision de la commission des affaires culturelles.

Pour autant, je salue la qualité de vos propos, Monsieur Valls. Vous êtes un homme de terrain, et j'ai été très sensible à votre intervention sur les personnes qui viennent des banlieues pour nettoyer nos bureaux. Reconnaissez pourtant que cette mesure, isolée, perd de son sens, et qu'elle aurait une autre envergure dans un texte à visée plus large.

Sur le fond, comment ouvrir la voie des études et de l'excellence à ceux qui ne sont pas des « héritiers » ? L'école est-elle encore un ascenseur social ? Peut-être, mais les figures emblématiques qui pouvaient en témoigner se font de plus en plus rares. Serait-ce seulement dû à l'inégalité des chances, qu'il conviendrait de réduire par des moyens techniques ? La question mérite le débat, mais il est d'ores et déjà évident qu'il s'agit là d'un phénomène profond qui remet en cause une certaine vision de l'école et de ses missions.

L'adéquation parfaite entre l'éducation et les besoins de la société a toujours été un rêve, voire une chimère. Le redressement est-il possible ? J'en suis d'autant plus convaincu que de nombreux enseignants sont prêts à y consacrer toute leur énergie. Cependant, les crispations corporatistes des uns et le désarroi des autres, la complexité du système actuel appellent un courage et une détermination qui doivent dépasser les clivages politiques. Je regrette à cet égard que les socialistes n'aient pas voté la loi d'orientation sur l'école....

M. Bruno Le Roux - Elle était mauvaise !

M. le Président de la commission - ...qui nous a permis de multiplier les bourses au mérite, d'instaurer les programmes personnalisés de réussite éducative, et de prendre bien d'autres mesures, auxquelles celles que vous proposez aujourd'hui auraient pu s'ajouter pour former un très bel ensemble. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Marc Ayrault - Monsieur le président de la commission, vous prétendez avoir demandé à la commission de ne pas rendre de conclusions, mais vous les donnez vous-même ! Il faudrait savoir. Vous nous apprenez ainsi qu'une fois de plus la majorité nous empêchera d'avancer.

M. le Président de la commission - Tout s'était déjà arrêté en commission !

M. Jean-Marc Ayrault - Vous nous reprochez de pas aborder l'ensemble des questions éducatives au travers de cette proposition de loi, mais notre Règlement ne nous laisse que quelques heures pour nous exprimer. Il est donc bien évident que nous ne pouvons déposer de proposition complète sur la société de la connaissance ou la réforme de notre système éducatif. Nous avons donc préféré nous concentrer sur un aspect de ce dossier.

Et ne venez pas nous reprocher d'agir dans la plus totale improvisation en ayant déposé tardivement cette proposition, car la majorité a agi de même il y a à peine quelques semaines, sans susciter chez vous la moindre indignation !

Au moment où le Premier ministre va tenir une conférence de presse sur la réussite éducative, où la polémique gronde au sein de la majorité suite à la remise en cause par certains des ZEP, la désinvolture avec laquelle vous traitez cette proposition sur laquelle nous avons ardemment travaillé des semaines entières, en concertation avec les professionnels, les organisations syndicales et des experts me choque profondément. Votre façon de traiter l'opposition est scandaleuse !

J'ajoute enfin que, loin de nous contenter de critiquer la loi Fillon, nous avons formulé des propositions, que vous avez bien entendu balayées d'un revers de main.

Je retiens de la conclusion de Manuel Valls qu'il est grand temps de changer de majorité, et toutes nos propositions sont autant d'actes de gouvernement !

Mme Elisabeth Guigou - Nous venons de vivre une crise très grave qui ne ressemble à aucune autre car elle n'a pas d'organisation, elle n'a pas de visage, elle n'a pas de nom, elle n'affiche aucune revendication. C'est à la fois une explosion de violence et de désespoir, une crise d'identité et de sens. C'est une crise du mal-vivre ensemble.

Les violences sont inexcusables et doivent être sévèrement punies, mais encore faut-il s'interroger sur le sens des peines infligées à ces centaines de jeunes, car s'agissant des mineurs, des peines éducatives me semblent préférables à la relégation dans des prisons surpeuplées, mais là n'est pas notre sujet.

S'il faut punir la violence par des mesures policières et judiciaires, il n'en va pas de même de la désespérance. Il y a urgence à agir dans la durée, et cette proposition de loi doit s'inscrire dans un plus vaste ensemble destiné à faire disparaître les ghettos de pauvreté.

Nous devons agir sur toutes les inégalités, en particulier dans le domaine de l'emploi - 40 à 50 % des jeunes issus de quartiers populaires sont au chômage - et du logement. Nous avons des propositions que nous ne cesserons de rappeler jusqu'à ce que nous soyons en mesure de les appliquer nous-mêmes ! Il faut faire respecter l'article 55 de la loi SRU qui impose la construction d'au moins 20 % de logements sociaux dans chaque ville. Nous en sommes loin ! Même dans un département aussi pauvre que la Seine-Saint-Denis, il y a encore six communes qui comptent moins de 10 % de logements sociaux, comme celle du Raincy, dont le maire, M. Raoult, fut pourtant un ancien ministre de la ville, et qui ne totalise pas plus de 3,5 % de logement sociaux, alors que les villes voisinent approchent des 50 % ! C'est aussi la proximité de ces pauvretés et de ces richesses qui conduit à l'explosion !

Pour promouvoir l'égalité de tous, nous devrons investir massivement dans les quartiers populaires, et organiser enfin la péréquation entre les territoires pauvres et les territoires riches, afin de ne plus retrouver d'écarts comme il en existe aujourd'hui entre la Seine-Saint-Denis et son voisin, les Hauts-de-Seine, département le plus riche de France, dont le budget excède même celui de certains Etats européens.

L'Etat ne doit pas transférer aux communes et aux départements des charges nouvelles sans les compenser. En Seine-Saint-Denis, le bilan de la décentralisation est si catastrophique que l'assemblée départementale a exigé une compensation pour les transferts de compétence réalisés par la loi du 13 août 2004.

Dans ce contexte, la question de l'école est centrale, car l'échec scolaire est celui de toute une vie. Si l'on peut toujours espérer retrouver du travail lorsque l'on est au chômage, on peut croire toute sa vie gâchée lorsque l'on n'a pas réussi à l'école. De surcroît, nombreux sont ceux qui réussissent au collège et au lycée, mais n'osent pas viser plus haut, car depuis leur enfance ils ont le sentiment de ne pas avoir accès aux voies de l'excellence.

Il faut aider les ZEP, et non les supprimer, comme le ministre de l'intérieur, président de l'UMP, l'a hier réclamé. Si elles n'ont pas comblé toutes nos espérances, c'est qu'on ne leur en a pas donné les moyens, surtout depuis trois ans ! Le gouvernement Jospin avait ainsi élaboré un plan de sauvetage pour l'éducation en Seine-Saint-Denis, que vous avez abandonné aujourd'hui.

M. Valls a cité à juste titre Thomas Piketty qui a démontré que nous pourrions obtenir de meilleurs résultats si nous réduisions le nombre d'élèves à quinze par classe en ZEP.

S'agissant des mesures que nous préconisons, elles s'inspirent des conventions ZEP de Sciences Po, qui ont suscité beaucoup de scepticisme au moment de leur création. J'en ai vu les résultats à Bondy. Le lycée Jean Renoir fut le premier à signer, de sa propre initiative, une convention avec Sciences Po. L'ensemble de l'équipe pédagogique s'est mobilisée pour préparer les élèves au concours d'entrée - car il y en a bien un ! Il y a deux ans, deux élèves ont été reçues, dont l'une était SDF au début de l'année scolaire, et a pu être logée grâce aux professeurs ou aux assistantes sociales qui l'ont hébergée. Et cette année, cinq élèves ont été reçus.

C'est un lycée, un quartier, une ville qui sont fiers en se disant que la réussite est désormais possible. La proposition présentée par M. Valls, en permettant aux meilleurs élèves de chaque lycée de France d'accéder aux classes préparatoires, participe de ce même esprit. Ce serait non seulement un geste symbolique fort mais une mesure concrète et efficace. Certes, des objections se feront jour : on dira qu'un tel dispositif réduira mécaniquement l'importance de certains grands lycées parisiens. Tant mieux ! Ne dramatisons du reste pas : sur les 6 % de meilleurs élèves, certains ne voudront pas aller en classes préparatoires et comme les effectifs de ces classes représentent environ 10 % des bacheliers, cela laisse une marge aux grands lycées monopolisant le recrutement des classes préparatoires parmi les élèves les plus favorisés. On dira que la carte scolaire sera contournée et que des parents privilégiés choisiront de mettre leurs enfants dans des lycées moins prestigieux pour leur donner plus de chance d'accéder aux classes préparatoires. Tant mieux, car cela favorisera la mixité sociale. Nous devrons d'ailleurs réfléchir à d'autres dispositifs allant dans ce sens : internats, révision de la carte scolaire, système de bus scolaires comme aux Etats-Unis, service civique obligatoire pour tous les enfants de France.

Si cette proposition ne couvre pas l'ensemble des voies d'accès que j'ai évoquées pour l'école, elle constitue néanmoins une clé essentielle. Soyons créatifs et donnons-nous les moyens nécessaires si nous voulons éviter les rechutes. C'est en appliquant ce type de mesures que nous préserverons les valeurs de la République : liberté de choisir sa voie, égalité d'accès aux voies de l'excellence, fraternité pour donner à ces jeunes autant de chances qu'aux enfants des milieux favorisés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Hervé Morin - « Jamais nos grandes écoles n'ont aussi peu scolarisé d'enfants issus des milieux modestes, qu'ils s'appellent Dupont, Durand ou Belarbi. Seulement 5 % des élèves de classes préparatoires sont fils d'ouvriers : ils sont huit fois moins nombreux que les fils de cadres. Cette ghettoïsation gangrène notre société et fait autant de ravages que le chômage de masse. Des solutions pourraient être rapidement trouvées, sans quotas, sans référence ethnique : il s'agirait par exemple de généraliser le système ESSEC qui permet d'accompagner les meilleurs élèves volontaires des lycées de ZEP pendant trois ans afin qu'ils puissent accéder aux classes préparatoires. Il s'agirait également de donner aux meilleurs élèves de tous les lycées, qu'ils soient parisiens ou provinciaux, le droit d'accéder aux meilleures classes préparatoires. » Voilà ce que déclarait le porte-parole de notre groupe à cette même tribune, le 5 juillet dernier, lors du vote sur la motion de censure déposée contre le Gouvernement. Je suis heureux que l'UDF inspire d'autres formations politiques.

M. Francis Vercamer - Très bien.

M. Hervé Morin - Cela fait bien longtemps que les universitaires et les chercheurs nous alertent sur la ghettoïsation de la société française. Patrick Weil, par exemple, défend depuis quelques années la proposition qui nous est soumise ce matin. Nous sommes quant à nous convaincus que notre pays a besoin d'une politique volontariste permettant de recréer les conditions d'accès de tous les jeunes à l'école et à l'emploi. L'égalité des chances, la promotion sociale, la relance de l'ascenseur social sont des formules dont nous nous repaissons pendant les campagnes électorales sans que pour autant rien ne change depuis des années. Les oubliés de l'égalité des chances sont de plus en plus nombreux et ce ne sont pas uniquement des Français issus de l'immigration : les zones rurales sont aussi durement touchées. Nombre de nos compatriotes n'ont plus le sentiment que demain sera meilleur qu'hier puisqu'ils ne profitent même plus des rares périodes de croissance. Eric Maurin, dans son ouvrage sur la ghettoïsation de la société française, l'a très bien montré : à la fracture sociale s'ajoute désormais la fracture spatiale et territoriale. Selon son origine sociale, un jeune de 20 ans a une probabilité d'autant plus grande d'entrer sans qualification sur le marché du travail qu'il habite et vit dans un voisinage où la proportion des jeunes sans qualification est importante. A l'inverse, les expériences menées en Angleterre et aux Etats-Unis dans le cadre des politiques d'« affirmative action » démontrent à quel point il est possible d'ouvrir socialement les universités. En Floride, grâce à une politique qui permet aux meilleurs élèves de tous les lycées d'entrer à l'université d'Etat, 40 % des étudiants sont désormais issus des minorités. Mieux encore, au Texas, les promotions universitaires n'ont jamais fait autant de place à la diversité : moins de 60 % des étudiants texans sont blancs.

Nous devons repenser en profondeur les politiques sociales menées depuis vingt ans : les politiques de la ville et du logement, fondées sur le développement des logements sociaux et les aides personnalisées au logement, n'ont pas réussi à faire progresser la mixité.

M. Francis Vercamer - C'est vrai.

M. Hervé Morin - De même, les politiques ciblées en faveur des ZEP ou des zones franches ont échoué. Les travaux du sociologue Eric Maurin l'ont bien montré, en particulier à partir des exemples étrangers : les politiques consacrées aux territoires sont bien moins efficaces que celles centrées sur les personnes. Il faut donc travailler pour les individus en donnant davantage aux enfants et aux adolescents qui ont le moins. Selon nous, l'école doit se fixer de nouveaux objectifs : lutter contre les ségrégations sociales au lieu de les aggraver par son propre fonctionnement. Le moyen d'atteindre le premier objectif consiste à favoriser la mixité sociale en constituant des classes socialement et scolairement hétérogènes. Le deuxième objectif sera quant à lui atteint en garantissant que l'offre éducative - options, enseignants, chefs d'établissement, cadre physique - ne soit pas de moindre qualité dans les quartiers sensibles ou pour les élèves défavorisés. La proposition que nous étudions va dans le bon sens et rejoint les propos tenus par le Président de la République voilà quinze jours.

M. Francis Vercamer - Eh oui !

M. Hervé Morin - Il s'agit en effet de donner aux meilleurs élèves de tous les lycées le droit d'accéder aux meilleures classes préparatoires. Aujourd'hui, le taux de jeunes allant en classes préparatoires varie de 80 % à 0 % selon les lycéens. Nous savons que le mode de sélection élimine les meilleurs élèves des lycées dont la réputation n'a pas dépassé la frontière de leur département. Or, il n'y a aucune raison pour que les lycéens de Stains ou du Gers ne puissent pas accéder à Louis-le-Grand. Le sentiment de relégation en seconde division ne touche d'ailleurs pas que les ZEP, mais également la province et l'outre-mer.

D'autres mesures pourraient être prises. L'extension du système ESSEC à 5 % d'une classe d'âge sur tout le territoire ne coûterait que 240 millions. Il faut ainsi prévoir un tutorat pour assurer à ces jeunes un accompagnement personnalisé et un encadrement des familles. Celui-ci pourrait prendre la forme d'un suivi individualisé par des élèves de grandes écoles mais on pourrait également dispenser des enseignements complémentaires assurés par des enseignants ou des étudiants de classes préparatoires ou de grandes écoles. Il conviendrait aussi de revoir les modes de sélection et les épreuves des concours qui font une large place à la culture générale et à la connaissance parfaite d'une langue étrangère, ce qui constitue un facteur de reproduction sociale. Les enfants issus de milieux sociaux modestes qui s'orientent vers les grandes écoles doivent assimiler comme les autres les connaissances et les programmes mais également les codes sociaux dont sont déjà dotés les élèves issus de milieux favorisés : il suffit de se souvenir des épreuves à l'entrée de Sciences Po ou de l'ENA pour s'en convaincre. Etre un enfant du sérail constitue un sacré avantage pour réussir.

L'ouverture des grandes écoles aux jeunes issus de tous les milieux sociaux conditionne également la diversification des futures élites car chez nous plus qu'ailleurs, c'est la certification formelle qu'est le diplôme qui permet d'accéder à l'élite politique, administrative ou économique. Dès lors, les modalités des concours sont déterminantes, tout comme le décloisonnement entre les filières universitaires et les grandes écoles. Bourdieu avait une jolie formule pour décrire la pérennité d'un ordre social à travers les grandes écoles. Il parlait du concours comme « acte de clôture qui instaure entre le dernier élu et le premier exclu la discontinuité d'une frontière sociale ». Il faut aussi repenser la sectorisation des établissements publics. Beaucoup de familles accepteraient moins difficilement son maintien si elles avaient la certitude que leur enfant aura toutes les chances de suivre une scolarité de qualité quel que soit l'établissement. Certains collèges et lycées sont prisonniers d'un environnement ségrégatif tel que même une discrimination positive accrue ou des mesures dérogatoires ne permettraient sans doute pas d'obtenir de bons résultats. Il ne faudrait donc pas hésiter à fermer certains établissements et à répartir les élèves dans les autres établissements d'une même ville. A l'avenir, nous devrons interdire la construction d'établissements dans des lieux où la mixité sociale n'existe pas. L'Etat doit également différencier davantage les politiques selon les établissements car des politiques égalitaires appliquées à des situations inégales aggravent les inégalités. On peut également envisager de recentrer la politique d'éducation prioritaire sur les élèves et les établissements les plus en difficulté. Les moyens financiers accompagnant les classements en ZEP sont tellement éparpillés - ils touchent un élève sur cinq aujourd'hui - que leurs effets demeurent imperceptibles.

M. Jean-Marc Roubaud - C'est vrai.

M. Hervé Morin - Ces quartiers sont en outre tellement stigmatisés que les familles des classes moyennes et supérieures les quittent. Il faudrait donc diminuer nettement le nombre de zones et d'enfants aidés pour concentrer l'effort sur les zones où les difficultés se cumulent. Il conviendrait également de faire évoluer le statut de ZEP pour le rendre plus temporaire et révisable. Il faudrait subordonner son obtention à la formulation de projets évaluables de sorte que le « label ZEP » soit un signe de dynamisme. Le système de bourses devrait être également repensé.

Selon nous, la discrimination positive ne doit pas être ethnique ou raciale mais socio-économique. Celle qui serait fondée sur la couleur de la peau ou la consonance du nom, comme le proposent certains, n'est pas acceptable et ne sera jamais acceptée par nos compatriotes. La discrimination positive doit s'appliquer à tous ceux qui accumulent les inégalités, qu'elles soient de revenus, de destins, de naissance ou de formation. Elle doit s'adresser à tous les Français afin de redonner un sens à l'égalité des chances (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe socialiste et du groupe communiste et républicain) .

M. François Asensi - Les violences urbaines qu'a connues récemment notre pays, pour inacceptables qu'elles soient, témoignent du mal-être de jeunes qui n'ont, pour beaucoup d'entre eux, que la précarité sociale et économique comme horizon, ainsi que d'une crise sociale profonde, dont les banlieues ne sont que le révélateur.

Ce ne sont pas seulement la jeunesse et l'école qui sont en perte de repères, ce sont les valeurs de notre pacte républicain qui sont progressivement privées de sens par un libéralisme économique qui exclut et qui organise la concurrence de chacun contre tous. Est-ce cela la République, héritière de l'humanisme des Lumières, de la Révolution française et du projet de société porté par celles et ceux qui avaient vaincu la barbarie nazie ?

Il est plus que temps aujourd'hui de faire preuve de radicalité dans l'action politique et d'exiger l'application de toute la Constitution française, qui comprend le magnifique Préambule de la Constitution de 1946, lequel affirme que chacun a le droit d'obtenir un emploi, que « nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances », que « la Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture ».

Ne contestons pas les réussites de notre système. En 2005, 63 % d'une classe d'âge obtenait le baccalauréat, contre seulement 3 % en 1948. Notre système éducatif s'est indéniablement démocratisé depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Saluons ici les conquêtes de la Libération et du Conseil national de la résistance et rendons un hommage particulier au rapport Langevin-Wallon, qui n'a cessé d'irriguer toutes les réformes progressistes en matière d'éducation.

Mais aujourd'hui, l'école de la réussite est en panne et ne redistribue plus les cartes sociales, alors que la République est sortie de ses rails et que la fracture sociale s'est creusée. Dans notre pays, par exemple, la proportion d'ouvriers sous contrats précaires est aujourd'hui sept fois plus forte que celle des cadres, alors que ce rapport n'était que de un à quatre, vingt ans plus tôt. Et ce n'est pas le contrat nouvelles embauches qui changera la donne. Après la précarisation du travail vient celle du logement. Et c'est ainsi que s'enclenche le mécanisme qui mène à la relégation sociale et à la fracture territoriale.

Malgré les efforts menés par les équipes éducatives et pédagogiques, notamment dans les ZEP, notre système éducatif corrige de moins en moins les effets des fractures sociales, territoriales et culturelles. Il produit même ce que j'appelle la sélection absolue, qui exclut définitivement les jeunes de la société.

L'échec scolaire en primaire et au collège est quatre à cinq fois plus fréquent parmi les enfants d'ouvriers que parmi ceux des cadres. Alors qu'ils représentent 31 % des élèves de sixième, les enfants d'ouvriers ne représentent plus que 18,2 % des admis aux baccalauréats et 6 % des élèves de classes préparatoires. En revanche, 42 % des élèves de ces classes sont des enfants de cadres. Ainsi, une majorité des enfants de cadres finiront cadres, tandis que la majorité des enfants d'ouvriers finiront ouvriers ou employés. C'est ce que Bourdieu appelait à juste titre la reproduction sociale des élites. « L'école transforme alors ceux qui héritent en ceux qui méritent », dénonçait-il.

Lorsque l'égalité des chances est bafouée, la notion de mérite scolaire masque une véritable sélection sociale, qui se poursuit au-delà du diplôme, puisqu'à l'heure actuelle, pour tous les niveaux de formation allant du BEPC au Bac, les taux de chômage sont environ deux fois plus élevés dans les zones urbaines sensibles qu'au niveau national. En 2003, le taux de chômage des diplômés du supérieur habitant en ZUS était de 11,7 %, contre 7,6 % en moyenne nationale. C'est pourquoi il importe de lutter contre toutes les formes de discriminations. Aujourd'hui, notre société n'offre pas les mêmes chances à un jeune qui vient de Neuilly qu'à un jeune qui vient du quartier des Beaudottes à Sevran, comme le met en évidence le débat sur l'anonymat du curriculum vitae. Pourtant, la diversité de notre société et son caractère multicolore sont une chance et une richesse pour notre pays.

Cette proposition de loi est, malgré ses limites et imperfections, un premier pas vers plus de mixité sociale. Une mixité sociale qu'il faut encourager dans nos écoles, mais aussi dans nos entreprises et sur nos territoires.

S'il faut favoriser l'accès de tous aux classes préparatoires et aux grandes écoles, il ne s'agit pas pour autant d'accepter une bipolarisation du système éducatif, avec d'un côté une élite, de l'autre des élèves auxquels ce gouvernement propose un apprentissage dès l'âge de 14 ans ! Les 72 000 élèves que comptent aujourd'hui les classe préparatoires doivent être mis en parallèle avec les 60 000 élèves qui quittent le système éducatif sans aucune qualification. Notre priorité doit rester la lutte contre l'échec scolaire.

A la suite des violences urbaines, des promesses ont été faites, mais quels moyens budgétaires supplémentaires seront-ils réellement débloqués ? Les besoins sont grands.

Le groupe communiste approuve la volonté de diversifier socialement les voies d'accès aux écoles les plus prestigieuses de notre République. Mais l'école ne saurait à elle seule résoudre le problème des inégalités sociales. C'est pourquoi le peuple et les forces progressistes doivent porter un autre modèle de société et renouer avec le principe d'égalité, aujourd'hui bafoué.

Tout ce qui peut contribuer à plus de diversité sociale au sommet de la pyramide scolaire recevra notre soutien. Mais n'abandonnons pas pour autant l'Université et l'enseignement secondaire, car élargir le recrutement des classes préparatoires n'aura de sens que si l'égalité des chances est assurée tout au long du parcours scolaire.

En ouvrant vraiment l'école à la diversité sociale, non seulement nous enrichirons nos élites, mais nous rapprocherons nos banlieues de la vie démocratique de nos cités, En effet, toutes les études montrent un lien incontestable entre le diplôme et le niveau de participation à la vie politique. N'oublions jamais cet enseignement du plan Langevin-Wallon : « La formation du travailleur ne doit en aucun cas nuire à la formation de l'homme ». (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

La séance, suspendue à 10 heures 25, est reprise à 10 heures 30.

M. Guy Geoffroy - Débattre de cette proposition de loi n'est probablement pas inutile, et le groupe UMP ne dénie pas à ses auteurs le fait qu'ils évoquent une véritable question. Faire réussir tous les élèves, c'est-à-dire ceux qui ont le plus de difficultés mais aussi les autres, qui ont un droit légitime à faire valoir, eux aussi, leur forme d'excellence, permettre donc à chacun d'aller le plus loin possible dans son parcours de réussite, et dans le même temps au pays de disposer en permanence des meilleures élites, ce sont bien là des objectifs sur lesquels la représentation nationale solidaire peut et doit être totalement d'accord. Dès lors, toute initiative visant à ouvrir l'accès aux classes d'excellence au plus grand nombre ne peut que susciter un intérêt.

Pour autant, le moyen choisi par nos collègues est-il tout à fait conforme à l'ambition que nous avons pour notre pays et pour nos enfants ? Le groupe UMP craint avec moi que non, et je voudrais vous dire pourquoi, sans violence ni animosité, dans un exposé qui se veut très modeste et appuyé sur des réalités de terrain.

Tout d'abord, cette proposition de loi s'inscrit dans une logique de pourcentages, c'est-à-dire une logique systématique, qu'on pourrait appeler logique de quotas.

M. Jean-Marc Ayrault - Permettez-moi de vous poser une question. Pour les concours de la fonction publique, le nombre de places est limité ; considérez-vous qu'il s'agit de quotas ?

M. Guy Geoffroy - Je connais bien les lycées auxquels il a été fait allusion, ayant effectué les premières années de ma carrière, entre 1967 et 1976, au lycée technique d'Etat de Corbeil-Essonnes, qui porte depuis le joli nom de Robert Doisneau, et les dernières années de ma carrière comme chef d'établissement d'un lycée classé en zone violence, dans une ville qui n'est pas loin d'ici. C'est à partir de cette expérience que je voudrais formuler quelques remarques sur ce qui nous est proposé.

Tout d'abord sur les objectifs chiffrés, ce qui me permettra d'esquisser une réponse au président Ayrault.

Veillons à ne pas mentir, à ne pas faire rêver, à ne pas trahir. Quand la loi d'orientation pour l'école de 1989 a été adoptée, personne, et c'est fort heureux, n'a envisagé de contester son ambition, à savoir permettre à 80 % d'une classe d'âge d'atteindre le niveau du baccalauréat. Mais on a vite dit, à tort, que l'objectif de la loi était que 80 % des enfants aient le baccalauréat ; en outre, on a très rapidement oublié de dire que l'objectif ne pourrait pas être atteint si l'on n'intégrait pas dans le calcul les élèves qui passeraient les nouveaux baccalauréats professionnels. L'administration de l'Education nationale, sous l'impulsion de ses ministres successifs, au lieu de donner corps à ce beau projet des 80 %, lequel donnait toute sa dignité à l'enseignement professionnel, a imprimé la volonté artificielle d'augmenter très rapidement le nombre d'élèves passant de troisième en seconde générale et le nombre d'élèves passant de seconde générale en première : on a créé l'illusion, et dans l'hypocrisie générale, le redoublement étant impossible en première, on a conduit des élèves à l'échec garanti au baccalauréat. Combien d'entre eux auraient pu accéder aux filières professionnelles, gage de réussite et d'excellence, obtenir un baccalauréat professionnel dans de bonnes conditions ou, par le biais des classes d'adaptation, s'orienter vers l'enseignement technologique !

L'objectif des 80 % n'a jamais été atteint, et pourtant nous voulons le maintenir. Il a été approché puis il s'est de nouveau éloigné, parce que parents, élèves, enseignants, chefs d'établissement ont tous convenu qu'une marche forcée n'était pas la bonne méthode et que mieux valait, grâce aux passerelles, permettre à chaque élève de dessiner son propre parcours de réussite.

Or on nous propose, à travers ce texte, une nouvelle marche forcée. Je ne doute pas un seul instant que l'idée soit de servir les élèves, mais je doute que ce soit les servir réellement. Nous qui avons préparé et voté la grande loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, nous croyons qu'il faut envisager les choses de manière globale, et non les regarder par le petit bout de la lorgnette comme on nous propose de le faire dans ce texte. J'évoquerai chacun de ses articles pour en souligner les difficultés de mise en œuvre et les insuffisances, et pour expliquer le sentiment de la commission que cette proposition n'est pas susceptible d'amendements qui permettraient d'obtenir un résultat conforme à l'intérêt des enfants.

Vous écrivez à l'article premier que le recrutement dans les classes préparatoires aux grandes écoles des lycées publics et dans les premières années des établissements sélectionnant à l'entrée s'effectue « parmi les élèves de tous les lycées ». Evidemment oui, mais il ne faudrait pas laisser ainsi entendre qu'aujourd'hui, on ne recrute pas dans les classes préparatoires aux grandes écoles des élèves excellents de lycées réputés en zone difficile car c'est faux. Ces élèves existent, mais cela ne se sait pas, peut-être parce qu'on ne veut pas le voir. Ils existent grâce à la confiance, celle faite par une famille à un établissement - même si sa « réputation » n'est pas des meilleures -, celle faite par l'élève à l'équipe d'enseignants, celle faite par ces derniers à l'élève.

Autre point, qui montre que ce texte a malheureusement été écrit un peu hâtivement : par « lycées », à quoi faites-vous référence ? Aux lycées généraux ? Sûrement. Aux lycées technologiques ? Peut-être. Aux lycées professionnels ? Je n'en ai pas la certitude, et si c'était le cas comment ces élèves pourraient-ils avoir une perspective crédible d'accéder à ces filières ?

L'article 2, qui est le plus contestable, ne mène à rien d'autre qu'à créer de profondes inégalités et à faire croire et rêver que tout est possible. Voulons-nous, par ces pourcentages - que l'on pourrait appeler « quotas » - créer de nouvelles frustrations et considérer qu'une fois de plus, le législateur a voulu faire le bien de tous malgré eux ?

L'article 3 peut être l'objet de commentaires plus sévères encore. La sélection, systématique, se ferait exclusivement sur la base des résultats obtenus au baccalauréat. Pourtant, l'entrée à l'université, dans une classe préparatoire ou dans un IUT ne se décide pas au lendemain de l'examen, mais après une longue réflexion, entamée bien avant la terminale et accompagnée par les parents et la communauté éducative. Vous n'y faites pas allusion en omettant d'évoquer le dossier de l'élève et son investissement intellectuel.

En outre, vous proposez que, sur la base d'un chiffre fixé par décret entre le 15 juillet et le 31 août, soit établie la liste de ceux qui intègreront en septembre les classes d'excellence. C'est donc très tardivement que les lauréats apprendront qu'ils entrent dans ce pourcentage magique. Ceci n'est pas raisonnable et votre proposition de loi pèche par son insuffisance.

En vertu de l'article 4, les bénéficiaires auront droit à une bourse. C'est la moindre des choses ! Mais considérant l'attitude que vous avez observée à l'égard de l'augmentation dans des proportions inédites du nombre de bourses au mérite, prévue par la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, je ne peux que m'interroger sur votre discours, quelque peu paradoxal.

De la même manière, à l'article 5, vous proposez un dispositif d'accompagnement et de soutien gratuit. Là encore, c'est la moindre des choses ! Mais inscrivons cette proposition dans un cadre plus vaste : nous devons faire émerger ce vivier d'excellence en nous attaquant à la racine des difficultés, aux maux qui font que l'école, malgré les moyens qui lui sont consacrés, ne fournit pas les résultats escomptés.

Nous pourrons, sans passer par les quotas, atteindre l'objectif que vous fixez, et auquel tout le monde souscrit, le jour où nous aurons remédié aux défaillances dans les apprentissages dès l'école primaire et réduit le pourcentage scandaleux d'élèves entrant dans le secondaire sans maîtriser les fondamentaux. Vous n'avez pourtant pas voulu des Programmes personnalisés de réussite éducative et du socle commun de connaissances, base à partir de laquelle chacun peut faire valoir son excellence !

Vous avez également refusé la diversification des enseignements au nom du dogme du collège unique et émis les plus grandes réserves sur la nécessité de proposer des parcours diversifiés au lycée.

Ce à quoi vous nous invitez aujourd'hui est utile, mais la manière dont vous le formulez est malheureusement déconnectée de vos pratiques et de vos discours antérieurs. Pour notre part, à l'UMP, nous espérons, en nous appuyant sur cette grande loi d'orientation pour l'école, donner à tous les enfants les moyens de leur réussite. Nous aurons alors constitué, sans quotas ni artifices, les grands bataillons de ceux qui, avec l'aide du système éducatif dans son ensemble, deviendront les élites de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Victorin Lurel - J'ai écouté attentivement M. Geoffroy, qui est un spécialiste de la question, mais qui, pour cette raison, peut s'enfermer dans l'expertise et le traitement presque individualiste de la question, alors que celle-ci suppose une réflexion collective. Il faut le reconnaître, il existe une véritable inertie du système. Nous devons y remédier : ce que vous proposez et ce que nous suggérons n'est pas incompatible.

Pour pasticher quelqu'un de célèbre, un spectre hante la République, c'est l'endogamie. Et depuis des décennies, l'école se cherche et ne parvient pas à se trouver. Malgré les soins qui lui sont prodigués, elle connaît une lente agonie, comme si, ayant accompli la mission assignée par les pères fondateurs - émanciper les esprits de l'obscurantisme et éduquer le peuple -, son énergie vitale était épuisée.

La société ne s'est pas pour autant libérée des déterminismes et des mécanismes d'autorégulation, et le peuple ne se reconnaît plus dans son école. Pour paraphraser Jean-Paul II dans ce temple laïque, nous pourrions demander : « Ecole, qu'as-tu fait de ta mission ? ». Elle peine en effet à jouer son rôle de promotion sociale, à corriger les inégalités sociales et à produire les élites diversifiées dont la nation a besoin.

Le constat est accablant : notre système est l'un des plus ségrégatifs au monde. 30 % seulement des enfants d'ouvriers accèdent à l'enseignement supérieur contre 80 % des enfants de cadres. Cette sélection confine au système mandarinal lorsqu'il s'agit de l'accès aux grandes écoles : les enfants d'ouvriers et d'employés ne représentaient que 5,5 % des candidats à Science Po Paris et 24 % des admis en classes préparatoires.

Claude Thélot a montré qu'entre 1950 et 1990, les inégalités sociales ont été légèrement réduites s'agissant de l'entrée à Polytechnique et ont plutôt augmenté pour ce qui est du recrutement à l'ENS et à l'ENA.

En tout état de cause, le mode de sélection est tel que les enfants de classes moyennes, de province ou de couleur en sont de plus en plus exclus. Je vous prie de croire, chers collègues, que cette relégation n'est pas seulement ressentie par les habitants des ZEP. Elle l'est très fortement outre-mer.

En Guadeloupe, société de plantation, post-esclavagiste, la terre est symbole de richesse et l'un de nos écrivains, Bertène Juminer, recteur, disait que l'école est la terre de ceux qui n'ont pas de terre.

En soixante ans, la Guadeloupe n'a produit qu'une dizaine d'énarques, et en deux siècles une vingtaine seulement de polytechniciens et une poignée d'ingénieurs des mines. La reproduction décrite par Bourdieu et Passeron fonctionne toujours et se double d'une coupure entre l'élite de Paris et des grandes villes et le reste du pays. Une caste originaire des mêmes milieux et des mêmes lieux forme une « priviligentsia », une noblesse d'Etat, un corps de patriciens peuplant les états-majors des grandes entreprises. La formation des élites française souffre d'endogamie et de consanguinité sociale. Et par rapport à certaines catégories socio-ethniques, la distance s'évalue en années-lumière. L'école de la République tend ainsi un miroir déformant à la société et donne aux minorités une image dévalorisante d'elles-mêmes, source de complexe d'infériorité.

Le diplôme étant le sésame de l'emploi, des discriminations ethniques ouvertes ou insidieuses, un racisme direct ou non, s'exercent en particulier pour le recrutement des cadres supérieurs du secteur privé. Ainsi, 11% seulement des jeunes d'origine algérienne âgés de 25 à 33 ans et diplômés de l'enseignement supérieur étaient cadres en 1990, contre 46 % des Français de naissance. En revanche, selon une étude d'Emmanuel Santelli, les enfants d'immigrés et de l'outre-mer réussissent aussi bien que ceux issus de parents nés en métropole dans les professions indépendantes, comme artisans, commerçants ou chefs d'entreprise, et dans la fonction publique. En bref, là où il n'y a ni grandes écoles ni universités sélectives, ils réussissent aussi bien que les autres, avec des succès spectaculaires en droit, en médecine et dans les professions paramédicales où les diplômés fondent ensuite leur propre cabinet.

Dans ces cas, l'ascenseur social fonctionne : c'est donc bien la conjugaison d'une sélection sociale à l'entrée des grandes écoles et de certains établissements et du mode de recrutement des cadres du privé qui aboutit à des discriminations fâcheuses.

La seule solution est d'assurer plus d'égalité dans le recrutement des grandes écoles et de lutter contre les discriminations dans l'entreprise privée. La proposition du groupe socialiste permet de régler ces deux problèmes par un seul dispositif pour un coût social acceptable. Il faut aller au-delà des conventions d'éducation prioritaire de Sciences Po - quatre lycées en Guadeloupe en bénéficient - et des conventions de l'Essec avec les lycées de Cergy. Il est proposé ici un système universel permettant d'envoyer un pourcentage des meilleurs élèves de tous les lycées de métropole et d'outre-mer dans les classes préparatoires ou les universités sélectives. Aujourd'hui en Guadeloupe, pour 25 000 élèves, une cinquantaine seulement vont en classe préparatoire. Leur nombre serait multiplié par quatre ou cinq, pour le plus grand bénéfice de l'égalité républicaine et de la circulation des élites. Au Texas, en Floride, en Californie, on pratique ce système pour contrebalancer les effets pervers de l'affirmative action fondée sur des quotas ethniques.

Pour vaincre l'inertie du système, il nous faut être audacieux tout en respectant les principes fondamentaux de la République, mais aussi les promesses de la Déclaration des droits de l'homme. En donnant une meilleure base territoriale au recrutement et en laissant jouer la loi des grands nombres, nous obtiendrons une élite dont la composition reflètera mieux le caractère multicolore de la société française. Je vous invite donc à l'audace. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Bruno Le Roux - Je voudrais d'abord donner l'exemple d'établissements de ma circonscription, les lycées Jacques-Feyder et Auguste-Blanqui, qui en vingt ans, n'avaient fait entrer que quelques élèves à Sciences Po. Grâce aux conventions d'éducation prioritaire, depuis trois ans, ce sont vingt élèves qui y sont entrés, et les conséquences en sont bien visibles. D'abord, ces élèves ont montré qu'ils étaient capables de réussir leur scolarité aussi bien que les autres. Surtout, l'effet d'entraînement dans leurs lycées a été formidable. Les équipes éducatives, les associations de lutte contre l'échec scolaire se sont mobilisées et même ceux qui n'entraient pas à Sciences Po ont bénéficié d'un nouveau climat de solidarité et de réussite, comme me l'ont confirmé les deux proviseurs. En profitent des élèves qui, normalement, n'auraient jamais accédé aux grandes écoles.

Et pourquoi n'y seraient-ils pas entrés ? D'abord parce que, lorsqu'on fréquente ces lycées, cela ne vient même pas à l'esprit. Le dispositif que nous proposons a au moins cette grande vertu que, demain, chaque élève, où que soit son lycée, saura qu'il existe cette possibilité, pourra se renseigner et peut-être, s'il veut aller dans cette voie, s'en donnera les moyens. L'information est donc primordiale dans ces établissements . En second lieu, il faut aussi que ces élèves soient en état d'évaluer la prise de risque que constitue l'entrée dans une grande école. Ils viennent en effet de familles où l'on ne peut se permettre l'échec, car il faut travailler et gagner sa vie à tout prix. Pour répondre à ce besoin, des initiatives ont déjà été prises : par exemple, toujours dans ma circonscription, Supméca ou l'institut Galilée de Villetaneuse valident les acquis pour permettre une meilleure insertion dans la vie universitaire. Notre proposition leur donne un cadre d'ensemble cohérent.

Je voudrais en second lieu évoquer l'opération « nos quartiers ont des talents » à laquelle j'ai participé il y a quelques jours. Il s'agissait de mettre en relation les jeunes diplômés de ma circonscription, où le taux de chômage est très élevé, et les grandes entreprises qui viennent s'installer dans la Plaine Saint-Denis. Deux cents jeunes diplômés à bac plus quatre qui cherchaient du travail depuis plus de six mois ont ainsi pu rencontrer les chefs d'entreprise, et leur dire que leurs CV, ordinairement, n'étaient même pas regardés, que leur formation, pourtant de qualité, n'était pas évaluée.

Ces exemples montrent qu'il existe dans nos quartiers une grande aspiration à la réussite par les études et la formation, mais que ces jeunes qui souffrent d'abord de toutes les inégalités subissent ensuite toutes les discriminations. Adopter cette proposition aurait des conséquences très concrètes et donnerait aussi au pays un signal très symbolique de notre volonté d'assurer l'égalité républicaine.

Ces dernières semaines, le Gouvernement a été impuissant à trouver une issue positive à la crise. J'attends avec impatience les annonces que le Premier ministre fera ce matin, en particulier en matière éducative, mais je redoute une fois de plus un saupoudrage. Or la France connaît une crise d'identité. Face à une demande forte, et légitime, d'ordre public et de sécurité, il nous faut montrer la complexité de la situation, mais aussi donner espoir...

M. Guy Geoffroy - Mais pas un espoir fallacieux !

M. Bruno Le Roux - ...avec des mesures concrètes. C'est le sens de notre proposition, qui repose sur l'idée d'un pacte républicain. Autant j'ai été choqué par le fait que le président de la commission ait annoncé d'emblée qu'il n'y aurait pas de discussion des articles, autant, Monsieur Geoffroy, j'ai été rassuré par votre intervention. J'y ai vu la volonté du groupe UMP de débattre au fond. Je vous en remercie au nom du groupe socialiste : nous voulons en effet débattre des dispositions article par article. C'est d'ailleurs le seul aspect de votre intervention sur lequel nous soyons d'accord. (Rires)

Les projecteurs sont braqués sur les territoires où se concentrent toutes les inégalités - échec scolaire, problèmes de santé publique, logements indécents, chômage et discriminations.

M. Guy Geoffroy - On croirait qu'ils n'ont jamais été au pouvoir !

M. Bruno Le Roux - Démolissons ces inégalités une à une, et commençons dès aujourd'hui dans le domaine de l'éducation ! Trop d'enfants des classes moyennes et populaires sont exclus des grandes écoles. En vertu d'un principe essentiel de notre République, il faut mettre tous les lycées de France sur un pied d'égalité. Le Gouvernement ne doit pas s'obstiner à vouloir s'occuper de cette question lui-même : cette proposition de loi cohérente y suffit. Face aux inégalités qu'il constate quotidiennement, le Parlement aurait tout intérêt à ne pas attendre pour bâtir une loi éminemment républicaine en ce qu'elle exclura toute stigmatisation, tout zonage et toute discrimination, car elle s'appliquera à tout le territoire de la République.

MM. Jean-Marc Roubaud et Guy Geoffroy - C'est vrai !

M. Bruno Le Roux - En acceptant de poursuivre le débat parlementaire sur ce texte au cours des prochaines semaines, nous enverrons un signal fort à tous les lycéens de France, aux collégiens qui se préparent à entrer au lycée, et à l'ensemble de nos concitoyens.

Les conventions mises en place à Sciences Po nous rappellent que l'intelligence, la curiosité, la capacité de travail et l'ambition ne sont pas liées à une catégorie sociale ou à un mode de vie.

M. Guy Geoffroy - C'est clair !

M. Bruno Le Roux - Elles rappellent aussi qu'il est moralement injuste, socialement dangereux et économiquement absurde de priver les entreprises, les associations et les administrations publiques de talents intellectuels et de personnalités fortes, tantôt par simple paresse de recrutement, tantôt par dédain social, voire par racisme. Elles rappellent enfin que les établissements d'enseignement supérieur en général - et ceux qui prétendent former les élites en particulier - ont une responsabilité majeure en matière de cohésion sociale et de prospérité.

Naturellement, cette proposition de loi serait incomplète si un plan de lutte contre l'échec scolaire ne l'accompagnait pas.

M. Guy Geoffroy - Et la loi d'orientation ?

M. Bruno Le Roux - Il faut également organiser l'accompagnement de la réussite scolaire. Je suis choqué de voir des entreprises cotées en bourse, comme Acadomia, faire - à des tarifs prohibitifs - commerce de l'envie de réussir, au détriment du lien social dans les quartiers. Nous devons aider les associations qui oeuvrent à la réussite scolaire : s'il faut encourager la voie d'excellence, il faut aussi garantir à chacun une qualification. Accès à l'emploi pour tous et réussite par l'excellence pour ceux qui le souhaitent : voilà les piliers de notre République ! Ils méritent que nous en discutions (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La discussion générale est close.

M. Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement - La promotion sociale par l'excellence scolaire - et, en l'occurrence, l'accession des élèves de ZEP aux classes préparatoires - se situe à l'épicentre des problèmes de notre société. Chacun sait que la situation actuelle est mauvaise. Disons-le sans faux-semblant : la promotion sociale par l'école est en panne.

Les enfants de cadres ont six fois plus de chances d'intégrer une classe préparatoire que les enfants d'ouvriers. Dans les années 1950, une promotion de l'ENA, de Polytechnique ou de l'Ecole normale supérieure était composée pour un quart environ d'élèves de milieux populaires, contre moins de 5 % aujourd'hui ! Voilà pourquoi nous devons redonner tout son sens à « l'égalité des chances » et examiner les résultats des réformes appliquées à notre système scolaire depuis plusieurs décennies.

Le Gouvernement ne pense pas que votre proposition de loi permette d'améliorer la situation : un pourcentage fixé par le ministre de bacheliers accédant automatiquement aux classes préparatoires n'est pas la solution adaptée à nos problèmes.

Voyons les faits. Les classes préparatoires aux grandes écoles recrutent leurs élèves sur la base des performances scolaires, évaluées à partir des résultats du baccalauréat mais surtout grâce au dossier scolaire, bien plus décisif. En effet, recruter sur la seule base du baccalauréat, ce serait faire briller le miroir aux alouettes et conduire les élèves à la noyade !

M. Guy Geoffroy - Absolument !

M. le Ministre délégué - Il ne faut d'ailleurs pas survaloriser cet examen au point d'en faire un concours d'accès : les qualités nécessaires à la réussite dans l'enseignement supérieur - et a fortiori en classes préparatoires - sont avant tout la motivation et la capacité des élèves à se consacrer entièrement à un travail très intense.

En outre, soyons réalistes : dans certains lycées, le pourcentage de 6 % ne garantirait pas le recrutement des seuls excellents élèves... Nous ne pouvons pas prendre le risque de conduire les autres à un échec assuré et de faire perdre aux classes préparatoires leur caractère d'excellence.

Enfin, la proposition reste floue sur les filières concernées : s'agit-il de toutes les filières recrutant par sélection - IUT, STS, formations de santé, secteur social... - ou simplement des classes préparatoires ? De même, toutes les séries du baccalauréat ne peuvent pas être concernées. Par ailleurs, cette mesure n'est pas d'ordre législatif.

Néanmoins, votre proposition, Monsieur le rapporteur, a le mérite de soulever un véritable problème, que le Gouvernement est déterminé à traiter. Pour ce faire, nous devons nous attaquer aux causes profondes qui empêchent les lycéens de ZEP d'accéder facilement aux classes préparatoires.

Fixer un quota, ce n'est qu'augmenter un chiffre : on n'améliorera pas la situation en soufflant sur le thermomètre. En disant qu'il faut, parce qu'il est difficile d'y entrer, créer un « droit à la prépa », en conjurant l'échec par un « droit à la réussite », on fait une politique de mots qui entraînera de graves désillusions.

Les classes préparatoires trouvent dans les ZEP moins d'élèves capables d'affronter la scolarité dans de bonnes conditions. C'est la douloureuse vérité, mais on ne peut reprocher aux prépas de faire leur métier. Il ne faut donc pas remettre en cause le critère d'excellence qui guide leur recrutement, mais faire accéder les jeunes de ZEP au niveau requis ! C'est précisément l'obstacle de l'entrée qui fait la qualité des classes préparatoires : permettons aux élèves de ZEP de le franchir.

Le Gouvernement est donc décidé à agir en amont, en donnant des moyens supplémentaires aux bons lycéens pour les hisser à un niveau d'excellence. L'équité républicaine, ce n'est pas abaisser les barrières pour créer une égalité apparente.

M. Jean-Marc Roubaud - Bravo !

M. le Ministre délégué - C'est donner plus à ceux qui ont moins pour leur permettre de les franchir comme les autres (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - La commission des affaires culturelles, n'ayant pas présenté de conclusions, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 3, du Règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi. Conformément aux dispositions du même article du Règlement, si l'Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.

M. le Rapporteur - Je salue la qualité de nos débats, car nous sommes tous d'accord pour dénoncer l'aggravation des inégalités territoriales ou sociales, dont l'école est malheureusement le reflet. Notre proposition n'est pas directement liée aux derniers événements car cette ségrégation fait des ravages depuis des années, et son aggravation depuis quatre ans est le résultat de l'échec de trente ans de politiques publiques.

Dans un journal qui ne veut pas forcément de mal à la France, El Pais, deux articles abordaient sans exagération la question de l'« apartheid social français », à partir des récents évènements, mais surtout de l'analyse de notre système éducatif qui reproduit les inégalités, surtout au niveau des grandes écoles.

Notre réflexion s'inscrit dans un contexte plus large, qu'il s'agisse de la sectorisation, de la carte scolaire, des ZEP, du soutien aux élèves... Je suis maire d'Evry, et comme beaucoup d'autres, j'ai adhéré aux dispositifs de réussite éducative, issus de la loi de cohésion sociale, lesquels faisaient suite à ceux mis en place par le gouvernement précédent en faveur de la veille éducative. Au-delà des discours qui se tiennent dans cet hémicycle, il y a en effet heureusement, une continuité dans l'action. Hélas, ce sont souvent des mesures qui viennent après-coup, alors que c'est tout notre système éducatif que nous devons revoir. Je ne suis pas certain que la loi Fillon permette de répondre à ces problèmes, mais au moins sommes-nous d'accord sur le constat et la nécessité de prendre le mal à la racine.

Nos divergeons en revanche sur la méthode mais, à ce propos, je veux souligner avec force que notre proposition ne s'inscrit pas dans une logique de quotas. Au contraire, elle aurait des effets immédiats, y compris sur la vision qu'ont les parents de la sectorisation ou de la carte scolaire. Il ne s'agit pas de mentir mais de donner un peu d'espoir, et ce dans toutes les régions de ce pays. Nous devons tout mettre en œuvre pour y parvenir, sans nous en tenir aux principes - mal français - mais en adoptant des dispositions concrètes. Il faut tout essayer et cela en laissant le temps aux expérimentations de faire leurs preuves. Il est déplorable que vous ayez supprimé les travaux pratiques encadrés sans évaluation préalable, de même que les dédoublements de cours préparatoires que des écoles de ma commune avaient mis en place dans les matières fondamentales, et qui commençaient à donner des résultats.

Nous devons multiplier les initiatives, comme celles des conventions passées avec Sciences Po, ou des parrainages dans les écoles de commerce, telle l'ESSEC. Patrick Weil suggère par ailleurs de s'inspirer des expériences menées au Texas et en Californie.

M. Guy Geoffroy - Le Dieu américain !

M. le Rapporteur - Vous voyez que le parti socialiste a les idées larges ! Nous devrions d'autant plus prendre modèle sur ces politiques qu'elles ont eu de bons résultats, et que notre système scolaire, contrairement à celui de ces Etats américains, est unique.

Surtout, il n'est pas pensable que des lycées puissent envoyer 80 % de leurs élèves en classes préparatoires, quand d'autres n'en envoient aucun ! Les élites de ce pays se reproduisent, et elles ne reflètent plus la diversité de notre société, d'où la crise d'identité et de sens que nous traversons aujourd'hui.

M. Guy Geoffroy - Ni Jospin, ni Allègre, ni Lang n'y avaient pensé !

M. le Rapporteur - Si nous en sommes là, c'est que nous avons tous échoué sur la question fondamentale du pacte républicain. Et ce n'est pas la loi Fillon qui y changera quelque chose, comme en témoigne la précipitation avec laquelle tous les ministres appellent à une nouvelle loi sur l'égalité des chances ou à plus de moyens dans les ZEP - excepté le ministre de l'Intérieur qui voudrait les supprimer !

Pour toutes ces raisons, nous devons entrer dans la discussion des articles (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Jean-Marc Ayrault - Je souhaite moi aussi que nous entrions dans la discussion des articles, comme M. Geoffroy s'y est d'ailleurs appliqué puisque, critiquant certains de ceux-ci, il est entré de fait dans une logique d'amendement.

Monsieur le président, nous sommes dans le cadre d'une initiative parlementaire et nous ne pouvons donc que nous limiter à l'aspect d'un problème plus global. Cependant, nous avons déjà exposé longuement notre diagnostic et nos propositions lors du débat sur le projet de loi d'orientation sur l'école, le 15 février dernier. Force est de constater aujourd'hui que l'Education nationale ne répond plus aux besoins de la société. Les inégalités s'aggravent et l'ascenseur social est en panne.

Le Gouvernement avait lancé un processus de concertation et installé la commission Thélot qui avait confirmé ce diagnostic et avancé des préconisations, dont la plupart, malheureusement, n'ont pas été retenues. Le ministre de l'Intérieur, brutalement transformé en ministre de l'Education nationale, à la veille de la déclaration du Premier ministre, en est même venu à réclamer la suppression des ZEP !

M. Jean-Marc Roubaud - Elles sont un échec !

M. Jean-Marc Ayrault - Ces propos ont blessé des hommes et des femmes qui, chaque jour, dans des conditions difficiles, se battent pour la réussite de leurs élèves, et obtiennent des résultats ! Arrêtez de les insulter ! Qu'il s'agisse des professeurs ou des autres personnels du service public de l'éducation, des parents d'élèves, des associations ou des collectivités locales qui se sont engagées dans des contrats éducatifs locaux ou dans des contrats de réussite éducative, prenez garde aux effets de propos aussi définitifs !

Je ne dis pas qu'il n'y a rien à changer dans le dispositif des ZEP, mais les remettre en cause serait une faute politique grave. Si vous nous aviez écoutés, nous qui ne faisions que reprendre les propositions de la commission Thélot, vous auriez amélioré la situation. Il aurait fallu, comme nous le demandions, limiter à 15 élèves l'effectif des classes dans les ZEP, arrêter le saupoudrage, former des professeurs, des infirmières, des assistantes sociales et des psychologues scolaires, accroître de 25 % les crédits. Nous aurions peut-être fait céder le découragement qui s'amorce. Mais vous préférez casser ce qui a commencé à faire reculer les inégalités.

Je suis également étonné du discours que vous avez tenu, Monsieur le ministre, car vous êtes suffisamment conscient de la gravité de la situation pour ne pas vous contenter d'un propos aussi conformiste et conservateur.

M. le Ministre délégué - Cela n'a pas été le cas !

M. Jean-Marc Ayrault - A vous entendre, il ne faudrait rien changer et ne manifester nulle audace pour innover et expérimenter. Vous avez même été jusqu'à caricaturer nos propositions en parlant de quotas. Mais c'est précisément parce que ce système a échoué que l'on s'est tourné vers autre chose au Texas. Nous nous sommes quant à nous inspirés des travaux de Patrick Weill pour proposer une expérimentation dans tous les lycées, sur le mode du projet défendu par Richard Descoings. Il faut faire preuve de la même audace en utilisant les meilleures méthodes pédagogiques. Nous, nous proposons de faire bouger les choses car, pour reprendre la formule de Philippe Mérieux, il est urgent de mettre fin à la « dérive des continents scolaires ».

Voici, pour finir, le témoignage d'une jeune fille de banlieue : « Il est temps de sortir de cette image de quartiers défavorisés avec des jeunes sûrs d'être éliminés de toute course à la réussite. J'ai souffert de cette image. Je ne savais même pas que Sciences Po existait et j'imaginais encore moins qu'un jour, ce serait mon école. C'était totalement inaccessible. Je me mettais moi-même des barrières dans la tête. Je me disais que venant de Seine-Saint-Denis, je ne pourrais jamais accéder à ce type d'institution. Je craignais que mon lycée n'ait un niveau moins élevé. J'ai toujours eu de bons résultats scolaires parce que j'ai toujours travaillé sérieusement. Et puis ce fut le déclic. Même si je n'avais pas été reçue à Sciences Po, j'étais acceptée dans une prépa littéraire. Mon travail avait payé. Tout à coup, je me trouvais sur un pied d'égalité avec les autres, récompensée de mon investissement. »

C'est dans cette direction que doivent aller tous les lycées de France, dont les enseignants sont si dévoués. Les moyens qui leur sont affectés doivent être mieux répartis pour que l'ascenseur social, la République, la liberté, l'égalité, la fraternité ne soient pas que des mots. Je souhaite que nous puissions passer à la discussion des articles afin de nous attaquer directement au problème. La majorité montrera ainsi qu'elle accepte de dialoguer avec tous ceux qui attendent un peu d'espoir (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Hervé Morin - Certes, cette proposition de loi n'est pas parfaite et il est toujours possible de discuter de tel ou tel de ses éléments, mais personne ne peut se satisfaire de la situation actuelle. J'ai cru entendre le Président de la République et le Premier ministre expliquer récemment que, sur cette question, nous devions abandonner les schémas qui échouent depuis vingt ans.

M. Jean-Marc Roubaud - En effet ! Bravo !

M. Hervé Morin - Oui, il faut transformer le système, mais il n'est pas question de bouleverser la République en instaurant des quotas ! J'ajoute que ce ne sont pas les seules ZEP qui sont concernées mais également les lycées de province où l'on a le sentiment de ne pas avoir les mêmes espérances qu'à Louis-Le-Grand.

M. Maurice Giro - Mais il y a d'excellents lycées en province ! Cessez de laisser entendre le contraire !

M. Hervé Morin - A M. le ministre qui affirme que le niveau des élèves de ces lycées n'est pas égal à celui des grands lycées parisiens ou des grandes villes de province, je rappellerai que les universités américaines sont considérées comme les meilleures du monde alors qu'elles accueillent 40 % à 50 % de jeunes issus des minorités. Leur niveau a-t-il pour autant dégringolé ? Au contraire, puisque nos meilleurs élèves y partent souvent pour compléter leur cursus. Il faut fixer un objectif afin de pouvoir ensuite appliquer des politiques d'accompagnement éducatif et familial, selon l'exemple américain. Je ne comprends pas pourquoi on ne s'inspire pas en France de ce qui a fait ses preuves à l'étranger. Préfère-t-on prendre acte de l'absence d'égalité des chances ? J'ai envie quant à moi que les choses bougent. J'ai été dans un lycée de ZEP, je suis allé voir Richard Descoings à Sciences Po : la physionomie de cet établissement, en vingt ans, a considérablement changé. Lorsque ces jeunes qui pensaient ne jamais pouvoir intégrer une école leur permettant d'appartenir à l'élite politique ou administrative retournent dans leur lycée d'origine, ils expliquent les raisons de leur succès et montrent qu'ils sont aussi bons que les enfants issus des milieux de la haute fonction publique et qui vivent dans le VIIe arrondissement de Paris. Voilà qui permet de faire avancer les choses ! Il faut en la matière sortir des affrontements partisans. Je souhaite que l'on puisse passer à la discussion des articles afin que ce texte puisse être amélioré, ici même ou au Sénat. Cela permettra de parvenir, dans les mois qui viennent, à un projet grâce auquel un môme pourra avoir les mêmes chances qu'un autre, quel que soit son milieu d'origine. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe socialiste)

M. Guy Geoffroy - Si j'ai fait référence à quelques articles de cette proposition, c'était certes pour en montrer les insuffisances, mais également parce que j'espérais obtenir des réponses. Cela n'a pas été le cas, ce qui démontre d'ailleurs vos incertitudes, et quant au critère que constitue le bac, et quant au devenir des élèves des lycées professionnels par exemple. Ce texte n'est qu'une déclaration de principe et tel n'est pas le meilleur moyen d'avancer...

M. Jean-Marc Ayrault - Discutons des articles !

M. Guy Geoffroy - ...d'autant moins d'ailleurs que M. Ayrault a fait allusion aux travaux de la commission Thélot auxquels son groupe, avec le plus grand mépris, s'est bien gardé de participer. Un tel procédé n'est pas très convenable. Vous estimiez alors que cette commission ne mènerait à rien ; or, il n'en a rien été. Cela suffit à prouver que votre proposition n'est qu'une déclaration de principe et que vous tenez surtout à exploiter politiquement des événements récents. L'idée était généreuse et méritait mieux. Le groupe UMP ne souhaite pas que l'on passe à la discussion des articles car la méthode utilisée n'est pas conforme à l'intérêt de notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. François Asensi - Nous partageons tous un même diagnostic : l'école n'assume plus les missions fondamentales qui lui assigne la République : la promotion de tous et la sélection des meilleurs. L'école n'offre plus l'égalité des chances à tous les enfants de France. Les élites se reproduisent et jamais depuis 1945 un tel mur n'avait été édifié entre les classes sociales, au point que certains ne parviennent jamais à accéder aux études et aux responsabilités. L'école a un rôle fondamental pour former les citoyens, mais c'est l'ensemble de la société qui va mal. Il y aura d'autres révoltes, d'autres explosions sociales tant les injustices sont flagrantes. Que chacun prenne ses responsabilités ! J'ai entendu parler du 21 avril, du 29 mai, des banlieues : mais c'est toute une population qui a le sentiment d'être laissée pour compte ! Il faut se mettre au travail, et j'espère que la gauche proposera un grand projet de transformation sociale en 2007 au lieu de se contenter de mesures d'accompagnement du libéralisme (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

L'Assemblée, consultée, décide de ne pas passer à la discussion des articles de la proposition de loi.

M. le Président - L'Assemblée nationale ayant décidé de ne pas passer à la discussion des articles, la proposition de loi n'est pas adoptée.

Prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à midi.

              La Directrice du service
              du compte rendu analytique,

              Catherine MANCY


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