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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2005-2006 - 44ème jour de séance, 98ème séance

1ère SÉANCE DU MARDI 13 DÉCEMBRE 2005

PRÉSIDENCE de M. Yves BUR

vice-président

Sommaire

        PRÉVENTION ET RÉPRESSION
        DES VIOLENCES AU SEIN DU COUPLE 2

        ARTICLE PREMIER A 20

        APRÈS L'ARTICLE PREMIER A 21

        ARTICLE PREMIER 26

        ART. 2 27

        ART. 2 BIS 27

        ART. 3 28

        ART. 4 28

        FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR 29

        A N N E X E ORDRE DU JOUR 29

La séance est ouverte à neuf heures trente.

PRÉVENTION ET RÉPRESSION DES VIOLENCES AU SEIN DU COUPLE

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice - Une femme sur dix est victime de violences conjugales. Tous les quatre jours, l'une en meurt. Ces chiffres sont évidemment inadmissibles.

Consciente de ces drames, la justice a fait de la lutte contre ces violences une de ses priorités. Je me félicite donc de l'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée de cette proposition de loi sénatoriale, adoptée le 29 mars 2005 et qui fait suite aux « dix mesures pour l'autonomie des femmes » présentées en conseil des ministres le 24 novembre 2004.

Rappelons tout d'abord les initiatives du ministère de la justice pour améliorer la réponse judiciaire en la matière.

Le volume de ce contentieux ne doit pas conduire les parquets à automatiser la réponse pénale. Derrière chaque cas, il y a des femmes, des hommes, des enfants qui souffrent. C'est la raison pour laquelle le ministère a élaboré et diffusé l'année dernière un guide de l'action publique, consultable sur internet, où l'on trouve de nombreuses préconisations portant aussi bien sur la révélation des faits, avec la création d'un protocole de recueil de la plainte, que sur l'élaboration des procédures, avec des précisions sur les protocoles de rédaction des certificats médicaux et sur les conditions de prise en compte de la situation des enfants. Les réponses pénales y sont également abordées : la possibilité d'évincer du domicile familial le conjoint ou concubin violent à tous les stades de la procédure et celle d'élaborer un protocole de recours à la médiation pénale sont rappelées.

Par ailleurs, la Direction des affaires criminelles et des grâces travaille actuellement avec le ministère de la parité à la rédaction d'un précis sur les droits des femmes et le ministère de la justice a diffusé sur les chaînes hertziennes, lors de la journée de la femme du 8 mars dernier, le film « Plus d'une femme par jour » contenant des images « choc » et un message engagé : « réagissons avant qu'il ne soit trop tard ». Enfin, dans le souci de protéger les victimes comme de responsabiliser les auteurs de violences conjugales, les parquets innovent : est ainsi à l'étude un projet de centre de traitement des auteurs de violences conjugales où ces derniers seraient soumis à l'obligation de participer à des groupes de parole comprenant notamment un sociologue et un psychologue.

C'est dans ce contexte qu'intervient l'examen de cette proposition de loi qui présente le très grand mérite d'améliorer les dispositions législatives existantes afin de mieux prévenir et réprimer les violences au sein du couple ou les atteintes dont peuvent être victimes les femmes.

Pour la prévention, je commencerai par relever une première mesure d'importance : le relèvement de l'âge du mariage des femmes de 15 à 18 ans. Il était temps de trancher le vieux débat opposant les partisans de l'égalité à ceux qui pensaient nécessaire de reconnaître dans la loi la réalité sociologique qui fait que les femmes se marient plus tôt que les hommes. Les motifs qui expliquaient historiquement la différence d'âge au moment du mariage sont aujourd'hui dépassés. Cette modification de l'article 144 du code civil s'inscrit dans la lutte contre les mariages forcés qui rassemble Gouvernement et représentation nationale. Je me félicite que la France rejoigne ainsi la quasi-totalité de ses partenaires européens. Désormais, la célébration du mariage d'une mineure ne sera plus subordonnée au seul accord des parents.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la Délégation aux droits des femmes - Très bien !

M. le Garde des Sceaux - Il sera nécessaire que le procureur de la République accorde une dispense pour motifs graves.

Nous aurons l'occasion de revenir au cours de la discussion sur les excellentes propositions formulées par la mission d'information sur la famille,...

Mme la Présidente de la délégation - ...et par la délégation aux droits des femmes !

M. le Garde des Sceaux - ...reprises par votre commission à la lumière des travaux menés, en effet, par la délégation.

Ce même objectif de prévention justifie les mesures d'éloignement du conjoint ou du concubin violent du domicile familial. Depuis la loi du 26 mars 2004, l'article 220-1 du code civil prévoit une telle éviction dans le cadre ou en vue d'une procédure de divorce. Le Sénat a complété le code pénal et le code de procédure pénale afin de faciliter cet éloignement à tous les stades d'une procédure devant les juridictions répressives. Mais cette disposition ayant été reprise dans la loi du 22 novembre 2005 relative au traitement de la récidive en matière pénale, elle n'a plus lieu de demeurer dans le présent texte. Votre commission des lois propose de la remplacer par deux autres, la première permet la révocation du contrôle judiciaire des conjoints ou concubins n'ayant pas respecté l'obligation d'éloignement, la seconde prévoit que le service chargé de contrôler l'exécution de la peine après condamnation à un sursis avec mise à l'épreuve sera le même que celui qui sera intervenu dans le cadre du contrôle judiciaire. Je suis tout à fait favorable à ces améliorations.

Venons-en maintenant aux dispositions répressives. Seront aggravées non seulement les violences commises contre le conjoint ou le concubin, comme c'est le cas depuis la réforme du code pénal, mais également les violences commises par des anciens conjoints ou anciens concubins, ce qui correspond malheureusement à des cas fréquents de séparations conflictuelles. Par ailleurs, la situation des personnes liées ou ayant été liées par un pacte civil de solidarité sera aussi prise en compte. De surcroît, il est prévu d'inscrire dans un nouvel article 132-80 du code pénal l'existence d'une nouvelle circonstance aggravante. A ce propos, votre commission propose de préciser que, lorsque l'infraction est commise par un ancien conjoint ou concubin, cette circonstance aggravante ne jouera que si l'infraction a été commise en raison des anciennes relations : cela évitera en effet de limiter arbitrairement la durée écoulée depuis la séparation.

Enfin, cette circonstance aggravante ainsi définie sera étendue aux atteintes volontaires à la vie, notamment aux meurtres.

La question des violences de nature sexuelle au sein d'un couple a donné lieu à des évolutions jurisprudentielles qui ont en particulier abouti à ce que le viol entre époux soit reconnu. Le Sénat a souhaité consacrer cette jurisprudence dans la loi, mais votre commission propose plutôt que la nouvelle circonstance aggravante soit également applicable en cas de viol ou d'agression sexuelle et cette solution m'apparaît préférable.

Par ailleurs, le Sénat a voulu réprimer spécifiquement le fait, pour un conjoint ou concubin, de priver une personne de ses pièces d'identité. Si l'objectif est louable, il demeure que ces faits sont déjà poursuivis au titre du vol. La seule difficulté résidant dans l'interdiction de poursuivre pénalement le vol entre époux, votre commission propose de lever cette interdiction dans une telle hypothèse.

Votre commission propose enfin de compléter cette proposition de loi par diverses dispositions. Je citerai, destinée à lutter contre le tourisme sexuel, la création d'une peine d'interdiction du territoire en cas de viol ou d'agression sexuelle sur mineur. Cette mesure permettra d'inscrire au fichier des empreintes génétiques les Français ou les personnes résidant habituellement en France condamnés à l'étranger pour des infraction sexuelles.

Je remercie votre commission et son rapporteur, M. Geoffroy, pour leur excellent travail. Cette proposition répond à une nécessité juridique et à une forte valeur symbolique. Je demande donc à l'Assemblée de l'adopter avec les amendements de la commission (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité - Il est des sujets qui font d'emblée consensus, parce qu'ils touchent à une question de civilisation : tel est le cas des violences au sein du couple. De fait, proposé par les groupes socialiste et communiste du Sénat, ce texte a été voté à l'unanimité par la Haute assemblée avant de nous être présenté aujourd'hui dans le cadre de la niche du groupe UMP.

Ce n'est que très récemment que la société a pris conscience de ces violences, car très peu de victimes portent plainte. Deux enquêtes ont cependant révélé récemment qu'une femme sur dix est victime de violences conjugales en France, et que l'une d'elles en meurt tous les quatre jours - mais les hommes peuvent également être victimes, puisque près d'un quart des violences ayant entraîné la mort sont commises par des femmes.

Notre société doit se mobiliser, tout entière contre ces actes, parfois purement et simplement barbares. Pour ma part, j'ai donné une impulsion nouvelle à l'action du Gouvernement pour prévenir et combattre ces violences, mais aussi pour mieux accompagner les victimes.

Tout d'abord, le premier besoin qu'éprouvent les victimes est de se mettre à l'abri. Toutes les places disponibles dans les logements d'urgence et les CHRS sont désormais répertoriées au jour le jour et les femmes victimes de violences peuvent y accéder en priorité. Comme ces places sont, hélas, en nombre extrêmement limité, nous allons en outre développer l'hébergement de ces femmes et de leurs enfants dans des familles d'accueil, à titre onéreux.

Parce que les familles ont également besoin d'un accompagnement continu et attentif, nous avons augmenté de 20 % les subventions aux associations intervenant en leur faveur, et nous avons renforcé le partenariat entre les différents acteurs grâce à la relance des commissions départementales d'action contre les violences faites aux femmes.

En 2006, tous les départements seront couverts par des protocoles de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes.

L'accompagnement médical, sur le plan physique et psychologique, est particulièrement déterminant et nous travaillons avec Xavier Bertrand à de nouveaux protocoles de prise en charge afin de garantir que ces femmes bénéficient de tout le soutien moral dont elles ont besoin, à l'hôpital comme chez les praticiens de ville. Des parcours de soin seront ainsi organisés en coopération avec le ministère de la santé, grâce à la création de réseaux d'accueil.

Par ailleurs, nous travaillons à former les acteurs institutionnels et à sensibiliser le public. Une campagne « Stop violences, agir c'est le dire » a été menée cette année, et le ministère de la justice a publié un guide de l'action publique. Une brochure destinée aux professionnels sortira prochainement et une campagne de communication pour le grand public sera lancée en 2006.

Enfin, nous souhaitons renforcer les sanctions, mais aussi favoriser le soin et la prévention, et j'ai confié une mission en ce sens au docteur Roland Coutanceau.

Selon les experts, 20 % des hommes violents changent de comportement lorsqu'ils s'engagent dans un processus de soins. La répétition de la violence n'est pas une fatalité, et le volet répressif que nous proposons aujourd'hui doit s'inscrire dans un dispositif plus complet qui s'attache également à prévenir et soigner.

Cette proposition de loi comporte de nouvelles mesures essentielles que la commission des lois a enrichies, ce dont je la remercie, ainsi que M. Geoffroy.

La première priorité est de renforcer la possibilité d'éloigner le conjoint auteur de violences, et je salue l'initiative prise dans la proposition de loi sur la récidive. C'est en effet à l'auteur des violences de déménager, non à sa victime !

Vous allez aujourd'hui plus loin en autorisant le procureur de la République à prononcer lui-même l'éloignement. C'est un gage de rapidité indispensable puisque l'éloignement pourra ainsi être décidé dès que les officiers de police auront informé le procureur des violences commises.

Cela étant, les violences ne s'arrêtent pas quand la vie en couple prend fin - 31 % des décès surviennent ainsi au moment de la rupture ou après.

De surcroît, la violence ne se limite pas aux couples mariés ou concubins, elle peut aussi concerner les signataires d'un Pacs. Aussi devons-nous étendre la mesure d'éloignement et d'obligation de soins que vous avez adoptée dans le cadre de la proposition de loi sur la récidive. Ce texte n'ayant pas encore été promulgué, je proposerai cette extension lors de sa deuxième lecture au Sénat.

Par ailleurs, la jurisprudence a depuis longtemps reconnu la notion de viol entre époux, et dans l'esprit de ce texte, il me semble important de retenir qu'une violence sexuelle est avant tout une violence.

Le texte sanctionne aussi les mutilations sexuelles commises à l'encontre des jeunes filles issues de l'immigration. Nous devons en effet réprimer la mutilation commise hors de France sur une victime mineure étrangère résidant habituellement dans notre pays.

La prévention des violences au sein du couple suppose également de garantir la liberté du consentement entre époux. Nous devons lutter contre les mariages forcés qui représentent la première forme de violence conjugale, et je salue l'harmonisation de l'âge nubile à 18 ans, ce qui permettra de renforcer le contrôle du consentement matrimonial et éliminera de notre code civil une des dernières discriminations fondées sur le sexe.

Je me félicite également des dispositions que vous prenez pour mieux combattre les mariages forcés, qui concerneraient 70 000 femmes. Reconnue par la loi, la Constitution et les conventions internationales, la liberté de se marier impose de repousser tout justification fondée sur la tradition ou la coutume. Toutes les femmes vivant sur notre territoire doivent bénéficier des mêmes garanties.

Je salue la qualité des travaux menés sur ce sujet par la mission d'information sur la famille et les droits des enfants, présidée par Valérie Pecresse et je rends hommage à la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, et à sa présidente Marie-Jo Zimmermann, dont le rapport sur la situation des femmes immigrées et issues de l'immigration est très précieux.

Nous devons sensibiliser les jeunes et leurs familles à cette question, et j'ai souhaité que l'interdiction des mariages forcés soit explicitée dans un guide général sur les droits des femmes immigrées, tout comme j'ai voulu que le CIDF soit présent sur les plates-formes d'accueil et d'intégration. Parce que c'est souvent le seul contact que nous pourrons nouer avec ces femmes, j'ai souhaité que des entretiens individuels puissent avoir lieu là, en présence d'un interprète.

Mon ministère soutient également les associations de terrain.

Nous devons par ailleurs travailler avec l'Education nationale pour renforcer l'information des adolescents.

Je souhaite à mon tour que l'ensemble de ces mesures soit adopté, car la France, pays des droits de l'Homme, ne peut accepter l'idée même de violences au sein du couple ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois - Il serait injuste d'affirmer que ce n'est qu'aujourd'hui que la nation se saisit de cette question gravissime, car les associations mènent depuis longtemps le combat sur le terrain.

On réduisait jadis les violences conjugales au stéréotype de l'ivrogne frappant sa femme, et on évoquait même parfois en souriant ce phénomène que l'on tenait pour ordinaire. Hélas, les chiffres révélés par les dernières enquêtes sont sans appel : en 2003 et 2004, 164 femmes sont mortes à la suite de violences conjugales, soit un décès tous les quatre jours. Mais, ce qui est tout aussi dramatique, près de 1 400 000 femmes sont victimes au quotidien de violences au sein de leur couple. Toutes les associations nous le répètent inlassablement : les violences, au-delà des coups, s'exercent dans tous les domaines de la vie quotidienne chaque fois qu'un conjoint violent souhaite manifester sa volonté de dominer, de rendre et de maintenir l'autre dépendant. L'acharnement peut aller au-delà même de la séparation, étape particulièrement dangereuse puisqu'un tiers des meurtres ont lieu à ce moment-là. C'est d'ailleurs pourquoi notre texte vise à intégrer tout le parcours-martyre des victimes, 10 % des décès de femmes et d'hommes victimes de violences conjugales se produisant après la séparation du couple - ce taux montant jusqu'à 30 % en zone rurale.

Il nous fallait lever la chape de plomb qui continue de peser sur ce sujet des violences conjugales et faire évoluer le droit grâce à une approche commune, comme le demandait à fort juste titre notre collègue Alain Vidalies, afin de formuler des propositions efficaces en matière de prévention et de répression, et enfin d'éradiquer ce mal de notre société. Tel est l'objet de cette proposition de loi qui résulte de la fusion de deux propositions de loi sénatoriales, l'une socialiste, l'autre communiste, texte encore enrichi par la Haute assemblée, qui l'a voté à l'unanimité. Notre commission a analysé l'esprit du texte originel, les améliorations apportées par le Sénat, et l'a, à son tour, enrichi, cherchant notamment à prendre en compte des aspects peut-être collatéraux, mais néanmoins essentiels, du problème des violences conjugales.

Nous avons retenu l'ensemble des dispositions adoptées par la Haute assemblée, à commencer par le passage de 15 à 18 ans de l'âge légal du mariage pour les femmes. La modification d'une disposition qui datait de 1820 était attendue depuis longtemps.

Mme la Ministre déléguée - C'était un archaïsme de notre code civil !

M. le Rapporteur - Nous avons également repris les dispositions par lesquelles la commission de violences conjugales au sein du couple sera désormais en soi une circonstance aggravante dans tous les cas. Une anomalie juridique sera d'ailleurs corrigée puisque la circonstance aggravante valait en cas de violences ayant entraîné une incapacité temporaire de travail de plus de huit jours, mais curieusement pas en cas de meurtre !

Notre commission a durci le texte car, en ce domaine plus qu'en tout autre sans doute, le lien entre prévention et répression est indissociable. Elle a aussi intégré divers travaux menés depuis longtemps par la Délégation aux droits des femmes, dont je salue ici la présidente et la rapporteure, et, depuis plus d'un an, par la mission d'information sur la famille et les droits des enfants, présidée par notre collègue Patrick Bloche et dont la rapporteure est notre collègue Valérie Pecresse.

Il y avait une logique profonde à ce que notre commission adoptât des mesures visant à renforcer la lutte contre les mariages forcés.

M. Jean-Pierre Brard - Très bel imparfait du subjonctif !

M. le Rapporteur - Le report à 18 ans de l'âge légal du mariage pour les jeunes filles est un premier pas. La commission proposera divers amendements issus des travaux de la Délégation et de la mission d'information, visant à mieux contrôler la réalité du consentement des deux époux.

A mon initiative, la commission a également formulé des propositions pour mieux protéger les enfants victimes de comportements inacceptables. Je me félicite qu'aient ainsi été adoptés divers amendements relatifs à la répression du tourisme sexuel et des pratiques pédo-pornographiques - dans ce dernier cas, nous transposons dans le droit national une directive-cadre européenne. Même si la commission n'a pu accepter les amendements afférents, elle a exprimé le souhait de voir certains problèmes soulevés par la Délégation aux droits des femmes mieux relayés par le Parlement afin que le Gouvernement s'efforce d'y porter remède.

La question de la médiation pénale nous a tout particulièrement préoccupés. Certains prétendent qu'en cas de violences conjugales, cette médiation est mieux que rien. Pour ma part, j'aurais tendance à penser qu'elle est pire que tout car c'est demander à la victime de commencer à partager la responsabilité de ce qui lui arrive. Il n'est donc pas certain que cette procédure soit adaptée dans le cas des violences conjugales. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe UDF)

Mme la Présidente de la Délégation - Tout à fait.

M. le Rapporteur - Je donnerai tout à l'heure un avis personnel plutôt favorable à l'amendement proposé par la Délégation aux droits des femmes et j'espère que nous pourrons progresser sur le sujet.

Dans 62 % des couples où l'un des conjoints est victime de violences, l'un au moins des deux ne travaille pas, ce qui en dit long...

Mme la Présidente de la Délégation - Là est le nœud du problème.

M. le Rapporteur - Il faut aider les femmes qui, parfois contraintes de quitter leur emploi pour échapper aux violences de leur conjoint, ne sont malheureusement pas considérées comme victimes de cette « double peine » que constituent les violences et la perte de leur travail, ce qui les rend encore plus dépendantes. La Délégation aux droits des femmes avait déposé un amendement sur le sujet, qui a été déclaré irrecevable au titre de l'article 40. Lors de l'examen du texte au Sénat, vous aviez, Madame la ministre, donné des informations sur les travaux de l'UNEDIC à ce sujet. Pourriez-vous nous en dire davantage aujourd'hui ? Car il nous faut avancer sur ce point.

Le travail de la commission a été de grande qualité. Elle n'a nullement recherché un consensus mou, nécessairement réducteur, mais, partant de l'excellent texte du Sénat, elle a voulu aller encore plus loin et encore plus fort. Au-delà des dispositions législatives proposées, elle a souhaité inviter à la réflexion et à l'action. Je forme le voeu que cette proposition de loi soit adoptée à l'unanimité, faisant ainsi la fierté du Parlement et de notre société qui aura accepté de regarder la vérité en face et de combattre résolument le fléau des violences au sein du couple (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme Chantal Brunel, rapporteure au nom de la Délégation aux droits des femmes - Ce débat sur la prévention et la répression des violences au sein du couple est un moment fort du travail parlementaire, notamment pour la Délégation aux droits des femmes qui a beaucoup travaillé sur le sujet et formulé de nombreuses propositions.

C'est un moment fort, car le sujet a été trop souvent tabou, enfoui au plus profond du non-dit des femmes, qui préfèrent se murer dans le silence de la douleur et de la détresse plutôt que d'entamer un chemin difficile de dénonciation puis de reconstruction.

De ce fléau, on connaît mal l'ampleur, les statistiques ne comptabilisant que les morts. Six femmes meurent chaque mois à cause des agressions masculines domestiques. Il semble qu'une sur dix vit dans un climat de violence au sein du couple. Chiffres terribles, dans un pays où l'égalité des hommes et des femmes est reconnue depuis longtemps ! Il faut aujourd'hui avoir le courage de dire qu'il existe des situations de dépendance totale, d'asservissement et de violences incompatibles avec notre droit.

Aussi faut-il d'abord informer et prévenir. Il s'agit de faire évoluer les mentalités dès l'école ; d'améliorer la formation des médecins pour qu'ils décèlent mieux ces violences, celle des policiers et des gendarmes qui, souvent désarmés par l'incohérence des dépositions de ces femmes violentées, ne les orientent pas assez vers le dépôt de plainte, celle des magistrats afin de développer le recours aux mesures alternatives aux poursuites.

La médiation pénale semble la plupart du temps inappropriée : comme dans la sphère privée, l'agresseur promet de changer de comportement, la femme victime croit que les choses vont s'arranger, elle abandonne la procédure et rien ne change ! La Délégation aux droits des femmes préconise donc qu'elle ne puisse être utilisée qu'une fois dans les cas de violences au sein des couples. En revanche, l'injonction de soins apparaît beaucoup plus efficace et il faudrait y recourir de façon plus systématique. Il faut également développer les capacités d'accueil en urgence et prévoir pour les femmes sans ressources le versement en urgence de prestations leur permettant de faire face après le départ du domicile.

Pour aider les femmes à se reconstruire, la Délégation propose de favoriser la mobilité géographique de celles qui ont un emploi, en faisant de la démission suite à des violences de couples avérées un cas de démission légitime, ouvrant droit aux allocations chômage. De même un droit prioritaire à la mutation pourrait être reconnu aux fonctionnaires.

La Délégation, qui les avait proposées, se félicite de l'adoption de mesures visant à relever l'âge du mariage de 15 à 18 ans pour les filles et à créer une nouvelle infraction pour privation des pièces d'identité ou relatives au titre de séjour ou de résidence.

Enfin, la Délégation estime indispensable de mettre sous tutelle les prestations familiales dans les cas de polygamie. La polygamie est, pour l'épouse, un mariage forcé, donc une violence incontestable, et le père polygame capte les allocations familiales au détriment des enfants et des mères. En instituant un tuteur aux prestations familiales, le juge pourra s'assurer que les intérêts des enfants sont préservés et aider à la décohabitation des mères.

Il ne s'agit pas de prôner telle ou telle morale, ni de stigmatiser telle ou telle religion, telle ou telle origine, mais de poursuivre un combat pour la dignité de la femme. La polygamie est un asservissement de la femme et renvoie aux enfants une image dégradée de leur mère. Nous ne pouvons pas avoir un discours et une politique en faveur de l'égalité entre hommes et femmes et fermer les yeux sur des pratiques qui sont une insulte faite aux femmes. Nous devons aider les femmes issues de l'immigration qui vivent sur notre sol à sortir de cette terrible dépendance.

La violence conjugale, sous quelque forme qu'elle se manifeste, est un échec. Nous nous devons d'aider toutes les victimes à s'en sortir et les agresseurs à se soigner et à répondre de leurs actes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Patrick Delnatte - La famille, est, pour la très grande majorité de nos concitoyens, le fondement de notre société. Parce qu'hommes et femmes sont égaux, et qu'ils doivent se respecter mutuellement, la société doit lutter contre les violences conjugales.

Mais celles-ci relèvent de la sphère privée, et sont souvent vécues dans la honte. Seules des études récentes nous éclairent sur leur importance : 9 % des femmes disent avoir subi des violences conjugales, physiques, psychologiques, verbales ou sexuelles. Toutes les catégories sont touchées, puisque 10 % des femmes battues sont des cadres supérieurs, 10,2 % des femmes au foyer, 9 % des employées et 8,7 % des ouvrières. Les causes sont multiples : alcoolisme, chômage ou encore séparation. Une femme meurt tous les quatre jours des suites des violences au sein du couple. Un homme meurt aussi tous les seize jours, mais dans la moitié des cas, la femme qui a commis l'acte subissait des violences de sa part.

Mme la Présidente de la Délégation - Il faut bien le préciser.

M. Patrick Delnatte - Hélas, c'est mon département, le Nord, qui a connu le plus de crimes conjugaux en 2003-2004.

Le Sénat a adopté cette proposition le 29 mars dernier au terme d'un débat qui a ignoré les clivages politiques. Nous souhaitons la compléter en introduisant des dispositions contre cette autre forme de violence que constituent les mariages forcés.

Depuis longtemps alertés par l'ONU et le Conseil de l'Europe, les pays européens commencent à prendre en compte le problème spécifique des violences conjugales. L'Autriche a été pionnière dans la définition d'une politique globale, associant aux mesures de répression, l'ouverture de centres de soutien pour les victimes et l'élaboration de programmes spéciaux pour les auteurs de violences. En Espagne, le gouvernement Zapatero veut mettre en place une « loi intégrale contre la violence de genre ». La plupart de nos voisins européens s'acheminent vers une politique globale, qui consiste à punir, protéger et prévenir.

En France, les associations d'aide aux victimes ont contribué à faire évoluer notre législation. Dans le nouveau code pénal entré en vigueur en 2004 et dans la proposition de loi récemment adoptée sur la récidive des infractions pénales, les auteurs de violences conjugales sont lourdement condamnés, pour délits ou crimes selon la gravité des faits, et la qualité de conjoint ou concubin est retenue comme circonstance aggravante.

Cette proposition complète les dispositions existantes en abordant les violences conjugales de façon très large, car, des violences psychologiques, sexuelles, ou verbales sont tout aussi destructrices de la personnalité que des violences physiques. Or, parce qu'elles relèvent de la subjectivité et de l'intimité du couple, il est particulièrement difficile de les définir sur le plan pénal.

La proposition étend la qualité de victime aux personnes liées par un Pacs, ce qui tend à reconnaître aux pacsés des devoirs de conjugalité. La séparation occasionne 31 % des affaires de violence et 10 % des actes homicides sont le fait d'anciens partenaires ; c'est pourquoi le texte étend la notion de circonstance aggravante aux violences exercées sur un ancien conjoint, un ancien concubin ou un ancien pacsé.

Au-delà de la réponse pénale, les ministres successifs chargés des droits des femmes ont doté peu à peu notre pays d'outils tendant à punir les auteurs de violences conjugales tout en s'engageant dans une démarche globale. Votre programme d'action, Madame la ministre, accompagne utilement le travail législatif.

La loi du 26 mai 2004 sur la réforme du divorce, entrée en vigueur le 1er janvier 2005, autorise l'éviction du conjoint violent par le juge aux affaires familiales. Ce dernier peut, après débat contradictoire, attribuer la jouissance du domicile conjugal au conjoint qui n'est pas l'auteur de violences et qui n'aura plus à fuir le domicile pour se retrouver dans une situation d'extrême précarité. On voit ici combien les mentalités ont évolué.

Mme la Présidente de la Délégation - C'est là l'important.

M. Patrick Delnatte - Les enfants sont également mieux pris en compte. La disposition est étendue aux concubins et aux pacsés.

Récemment, dans le texte sur la récidive des infractions pénales, a été reprise une initiative du parquet de Douai qui a mis en place une thérapie pour les auteurs de violences, fondée sur la prise de conscience de leurs actes.

Aujourd'hui, nous disposons donc d'un cadre assurant la répression, la prévention et le traitement, mais il faut sans cesse le compléter. Le travail des associations, l'exemple de nos voisins nous permettent d'avancer.

Le Sénat a engagé la lutte contre les mariages forcés en relevant l'âge du mariage de 15 à 18 ans pour les filles, sauf dispense, et en définissant une nouvelle infraction : la privation de pièces d'identité ou relatives au titre de séjour ou de résidence, par le compagnon ou l'ex-compagnon. Ces dispositions extrêmement importantes s'inscrivent dans une démarche globale de la société en faveur de l'égalité entre homme et femme, et de la dignité de la personne.

Relever l'âge du mariage peut être un rempart contre les mariages forcés, puisque les futurs époux seront majeurs. L'Allemagne et la Norvège ont introduit une sanction pénale du mariage forcé, la France préfère la voie civile. Il nous est proposé des amendements, fruits des travaux de la mission parlementaire sur la famille, tendant à empêcher les quelque 70 000 mariages forcés qui auraient lieu en France chaque année. Il s'agit d'une part d'en prévenir la célébration en renforçant les formalités, d'autre part de faciliter l'action en nullité d'un tel mariage.

En cas de doute sur la liberté du consentement, il y aura audition obligatoire des futurs époux, à la suite de quoi l'agent de l'état civil pourra surseoir à la célébration du mariage, ou à la transcription de l'acte en cas de mariage célébré à l'étranger selon les règles d'un autre pays. Se fondant sur le principe selon lequel les mariages forcés sont une atteinte à l'ordre public, le procureur de la République pourra attaquer un mariage contracté sans le consentement libre des deux époux ou de l'un d'eux. Le délai prévu à l'article 181 du code civil pendant lequel un époux peut demander l'annulation du mariage pour vice du consentement a été porté de six mois à deux ans de vie commune lorsqu'il y a cohabitation, et reste maintenu à cinq ans en l'absence de cohabitation.

Il a également été prévu de rendre illégitime la contrainte de la crainte révérencielle envers les parents, l'amendement afférent prenant en compte le fait fréquemment constaté lors des mariages forcés que ce sont les parents qui « arrangent » le mariage de leurs enfants. A l'évidence, le thème du mariage forcé reste largement tabou. On parle plus de mariage arrangé que de mariage forcé. A notre époque, c'est pourtant la même chose ! Les - très - jeunes filles concernées acceptent le mariage parce qu'elles redoutent de rompre avec leur famille et subissent le poids de traditions archaïques. Après l'union, elles se rebellent et cela aboutit le plus souvent à des violences conjugales, avec tous les drames qui en découlent.

L'arsenal juridique tend légitimement à protéger au maximum la victime. Mais au-delà de la réponse judiciaire, la lutte contre les mariages forcés passe par davantage d'information et de formation, tant des autorités confrontées que des personnes concernées. Elle doit aussi s'accompagner de mesures d'assistance sociale - aides au logement, formation, démarches administratives, etc. - intervenant après l'annulation du mariage ou au moment de celle-ci.

La France dispose d'outils concrets pour répondre à des situations vécues. Ces moyens doivent être envisagés dans leur globalité et avec pragmatisme, en prenant en compte aussi bien l'auteur que la victime et leur entourage commun. Je pense notamment aux enfants, qu'il faut aider à se reconstruire après de tels drames.

Avec cette proposition de loi, le Parlement, veut adresser à la société française - et à tous les peuples qui veulent tisser des liens avec elle - un message fort sur l'égale dignité des hommes et des femmes, ainsi qu'une condamnation sans appel de l'inacceptable. Le groupe UMP soutiendra ce texte avec confiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Alain Vidalies - L'enquête nationale sur la violence envers les femmes, diligentée par Nicole Péry en 2002, a révélé que, parmi les femmes de 20 à 59 ans vivant en couple, une sur dix avait été victime de violences de la part de son conjoint ou concubin dans les douze mois précédents. Dans le même cadre, 0,3 % des femmes avaient déclaré avoir subi un viol dans les douze derniers mois, ce qui correspond à 48 000 femmes victimes de viols alors que, la même année, seulement 3 490 plaintes avaient été enregistrées sur l'ensemble de la France. Tous les quatre jours, dans notre pays, en 2005, une femme meurt des suites des violences qu'elle a subies au sein de son couple et, aujourd'hui encore, la plupart des femmes gardent le silence sur ces violences : 13 % effectuent une démarche auprès de la police et 8% seulement portent plainte.

Cependant, les pouvoirs publics ne sont pas restés inactifs, même s'il a fallu attendre 1989 pour que Michèle André, secrétaire d'Etat aux droits des femmes, lance la première campagne contre les violences conjugales, et 1994 pour que le nouveau code pénal reconnaisse un délit spécifique de violence lorsqu'il est commis par le conjoint ou le concubin. Il est vrai qu'il avait fallu attendre 1970 pour voir disparaître la notion de mari « chef de famille », inscrite dans notre droit civil depuis le code napoléonien.

S'agissant du fléau de la violence dans la sphère conjugale, nous savons que tous les milieux sociaux sont concernés, et malgré l'horreur des chiffres cités par tous les intervenants, persiste le sentiment diffus que nos concitoyens ne mesurent pas toute la gravité de la situation.

A l'heure où l'insécurité est souvent placée au premier rang de nos préoccupations, la société continue de traiter à part la violence contre les femmes au sein du couple. Pour beaucoup, c'est une affaire privée, une histoire de couple ! Et il est vrai que, bien souvent, l'agresseur ne dérange personne puisqu' il est rarement violent dans la sphère publique. Le pire, c'est que les victimes peuvent ainsi se trouver socialement isolées, plongées dans le silence et la honte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe des députés communistes et républicains et sur divers bancs) Dès lors, le message principal de notre débat doit être qu'il n'existe pas de violence privée, mais seulement des violences intéressant la société tout entière, en ce qu'elles sont constitutives de délits et de crimes.

Les sénateurs socialistes- au premier rang desquels M. Courteau - ont pris l'initiative d'une proposition de loi, qui a fait objet d'une discussion conjointe avec une proposition du groupe communiste. Voté à l'unanimité, ce texte est inscrit à l'ordre du jour de nos travaux dans la niche réservée au groupe UMP. Bien sûr, nous eussions préféré que le Gouvernement prenne conscience de la volonté commune de tous les groupes en proposant une véritable loi-cadre, à l'instar de celle votée par le Parlement espagnol à l'initiative de M. Zapatero. Nos travaux et les initiatives du rapporteur ont cependant permis d'élargir le champ de la réflexion, en tenant compte notamment des propositions de la mission d'information sur le droit de la famille.

Le texte que nous examinons aujourd'hui reprend la proposition de nos collègues sénateurs d'introduire dans la partie générale du code pénal une définition de la circonstance aggravante qui est l'infraction commise par un des membres au sein du couple. L'innovation majeure - et justifiée - est d'appliquer cette circonstance aggravante à l'ex-conjoint ou concubin ou partenaire d'un Pacs.

Il est également tout à fait opportun d'inscrire dans la loi la répression du viol au sein du couple, déjà reconnue par la jurisprudence. Complété par les amendements de notre commission, le présent texte va aussi permettre d'éloigner du domicile conjugal l'auteur des violences. Ces mesures importantes méritent notre approbation. Mais si les dispositions pénales doivent naturellement permettre de réprimer et de dissuader, encore faut-il que la situation de violence soit connue parce que dénoncée par la victime. C'est par la connaissance de leurs droits que les femmes victimes trouveront les moyens de sortir de l'isolement. A cet égard, le rôle des associations est primordial et il est dommage que le texte ne traite pas plus de cette question que de celle de la formation de tous les intervenants : policiers, magistrats, avocats, médecins. Le volet consacré à la prévention à l'école et à l'information du grand public aurait aussi mérité d'être inséré dans une loi-cadre.

Les recommandations de la Délégation aux droits des femmes nous ont semblé particulièrement pertinentes, notamment pour ce qui concerne l'ouverture du droit au versement des ASSEDIC aux femmes démissionnant de leur emploi pour s'éloigner d'un compagnon - ou ex-compagnon - violent et la reconnaissance aux femmes fonctionnaires victimes de violences d'un droit prioritaire à la mobilité géographique. En outre, les observations de la Délégation sur le caractère inapproprié de la procédure de médiation pénale dans la circonstance de violence contre les femmes auraient mérité de nourrir notre débat.

S'agissant du mariage forcé - auquel la mission d'information sur la famille s'est intéressée à bon droit -, le Sénat a modifié à l'unanimité l'article 144 du code civil, afin que l'âge légal du mariage des femmes soit porté à 18 ans. La table ronde organisée par la mission d'information sur la famille le 19 octobre 2005 est directement à l'origine des amendements communs destinés à permettre au procureur de la République d'intervenir en cas de vice du consentement. En effet, jusqu'à présent, la poursuite en l'annulation du mariage en cas de vice du consentement ne peut être engagée que par les époux - ou par l'un d'eux -, l'article 180 du code civil disposant que le ministère public n'est pas fondé à agir d'office.

Nous avons aussi organisé dans des conditions satisfaisantes l'audition des futurs époux par l'officier d'état civil, l'agent diplomatique ou leurs délégataires, et porté de six mois à deux ans après la fin de la cohabitation le délai pour engager une action en nullité pour vice du consentement.

Il subsiste une vraie difficulté, relative aux conditions de transcription d'un mariage célébré à l'étranger. La majorité de la commission a en effet adopté un amendement modifiant l'article 170-1 du code civil pour préciser que, s'il n'a pas été procédé à l'audition des futurs époux, l'agent diplomatique ou consulaire ne transcrit pas l'acte de mariage, à charge pour les intéressés de saisir le président du tribunal de grande instance.

Je rappelle qu'en l'état présent du droit, c'est l'inverse qui s'applique puisque la transcription est automatique si le parquet ne s'est pas prononcé dans un délai de six mois. Au reste, cette mesure vise-t-elle prioritairement la lutte contre les mariages forcés ?

Mme Valérie Pecresse - Oui !

M. Alain Vidalies - J'en doute, car elle a été évoquée par le comité interministériel de contrôle de l'immigration du 29 novembre dernier, ainsi qu'en témoigne une réponse du Premier ministre à une question d'actualité posée le même jour. La lutte contre le mariage forcé relève de la défense des droits de l'homme et mérite à ce titre d'être distinguée de l'action contre les mariages de complaisance, laquelle s'inscrit dans une politique de lutte contre l'immigration irrégulière. Nous sommes donc opposés à cet amendement, qui se heurte au surplus à une décision de 2003 du Conseil constitutionnel reconnaissant « le principe constitutionnel de la liberté du mariage ».

Sous cette réserve, le groupe socialiste entend poursuivre sa contribution au travail lancé par le groupe socialiste du Sénat. La lutte contre les violences au sein du couple suppose une volonté déterminée des pouvoirs publics. Elle ne se limite pas à des dispositions répressives car elle exige aussi des actions de prévention et de formation, et donc des moyens pour les associations ! Nous franchissons aujourd'hui une étape importante, mais ce n'est qu'un jalon dans ce long combat qui doit rassembler toutes les énergies. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe UMP)

M. Yvan Lachaud - En se saisissant du problème - malheureusement devenu très courant - des violences conjugales, le Parlement vit un moment fort. On ne peut accepter qu'au pays des droits de l'Homme, 48 000 femmes soient violées chaque année, cependant que 10 % d'entre elles sont victimes de violences physiques et psychologiques et que 400 succombent à la suite des violences subies. Et comment se satisfaire que seulement 300 des 42 000 hommes violents avérés soient accueillis dans des centres spécialisés ? Alors que la devise de la République reste inscrite au fronton de nos édifices publics, comment tolérer que les violences faites aux femmes demeurent l'un des plus grands scandales de notre époque ? Il convient de se départir définitivement de l'idée selon laquelle la violence conjugale serait une affaire privée, devant être minimisée ou même passée sous silence : le législateur est parfaitement fondé à s'en saisir.

Dès lors, la présente proposition de loi va dans le bon sens, même si elle appelle de notre part certaines réserves. Comme l'a souligné notre rapporteur, la médiation ne semble pas être la meilleure méthode pour résoudre les conflits. D'abord, elle suspend la pénalisation, ce que les victimes ressentent très mal ; ensuite, on ne peut exercer de médiation qu'entre protagonistes en situation égale par rapport à la loi : or, en l'espèce, l'agresseur n'est évidemment pas dans la même position que la victime ! Le recours à la médiation pénale tend à accréditer l'idée selon laquelle la victime serait pour partie responsable du sort qu'elle subit, et cela nous paraît tout à fait contre-indiqué.

Par ailleurs, il est important que la loi reconnaisse l'existence du viol entre époux, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation.

Mais le groupe UDF souhaite aller plus loin. Nos propositions figuraient déjà dans la proposition de loi que j'avais déposée en novembre 2004 : ajouter au programme d'éducation civique une formation des élèves au respect de l'égalité entre homme et femme, ainsi qu'une sensibilisation au problème des violences conjugales et des actes et propos sexistes ; dispenser une formation spécifique, initiale et continue, aux personnels médicaux et paramédicaux, aux magistrats, aux agents et officiers de police judiciaire, au personnel de la gendarmerie et aux travailleurs sociaux ; faire coopérer les acteurs de la lutte contre les violences conjugales, institutionnels ou non ; étendre aux couples non mariés l'interdiction du domicile pour l'auteur des violences, quand ce couple a un enfant mineur ; durcir les modalités du contrôle judiciaire appliqué à un auteur de violences conjugales en lui est interdisant de se rendre au domicile de la victime ou dans les lieux fréquentés par celle-ci ; instituer une obligation de soin pour les auteurs de violences conjugales ; établir un rapport d'évaluation des établissements accueillant des femmes, le cas échéant avec leurs enfants, des centres d'hébergement et de réinsertion sociale, enfin des établissements dispensant des soins aux auteurs de violences conjugales, afin de résorber les carences par un plan d'action pluriannuel, contractualisé entre l'Etat et les collectivités locales ; inscrire dans la loi le délit de diffamation sexiste, le délit d'incitation au sexisme et le délit d'injure sexiste et permettre à une association d'exercer les droits reconnus à la partie civile.

Une mobilisation de la justice est nécessaire car trop de plaintes relatives à des violences conjugales demeurent sans suite. Il convient également de se préoccuper des victimes au sein de couples non mariés.

Plus fondamentalement, les violences conjugales appellent des réponses autres que juridiques : les associations, qui font un travail remarquable auprès des victimes, doivent être reconnues et insérées dans des réseaux incluant tous les acteurs ; et c'est à un véritable changement des mentalités qu'il faut travailler.

Le groupe UDF votera donc cette proposition de loi, sans ambiguïté !

M. le Rapporteur - Très bien !

Mme Muguette Jacquaint - Les violences envers les femmes, quel que soit le lien unissant auteur et victime, sont un véritable fléau social. On ne saurait accepter la banalisation de ces comportements de domination, contraires à la dignité et au principe d'égalité entre les femmes et les hommes. On ne saurait non plus les considérer comme une affaire privée : le législateur se doit de s'en préoccuper, au titre de la santé publique comme de la sécurité publique.

D'après les enquêtes, au moins 10 % des femmes de notre pays auraient subi des violences conjugales au cours des douze derniers mois. Selon la Commission européenne, dans près de 99 % des cas, les violences conjugales sont le fait de l'homme. Selon des statistiques figurant dans un rapport du Conseil de l'Europe, elles seraient pour les femmes de 16 à 44 ans la principale cause de décès et d'invalidité, avant le cancer et les accidents de la route,. Une femme sur cinq est victime de violences conjugales au cours de sa vie, six femmes meurent chaque mois des suites d'actes violents de leur conjoint.

Qu'elle soit physique, psychologique, verbale, sexuelle ou économique, cette violence est toujours préjudiciable à l'intégrité et à la dignité de la personne, et c'est bien dans toutes ces dimensions que le législateur doit l'appréhender. Elle se développe en général en cycles dont l'intensité et la fréquence augmentent avec le temps. Malgré les idées reçues, aucun profil ne prédestine une femme à devenir victime de son conjoint ; les victimes se trouvent dans tous les groupes sociaux, dans toutes les classes d'âge, en milieu urbain comme en milieu rural, et la majorité d'entre elles ont même une activité professionnelle.

La violence dont l'enfant est témoin a les mêmes effets sur lui que s'il en était victime. Une récente étude portant sur 138 femmes victimes de violences conjugales et consultant dans une unité médico-judiciaire a montré que 68 % des enfants avaient été témoins de scènes de violence ; dans 10 % des cas, la violence s'exerce aussi contre les enfants.

Lors des scènes de violence, les enfants adoptent différentes attitudes - fuite, observation silencieuse ou intervention. Ils développent un fort sentiment de culpabilité, d'autant plus que le père les utilise comme moyen de pression et de chantage. Ils ont parfois un comportement d'adultes, prennent parfois parti pour l'un des deux parents et peuvent se sentir investis d'un rôle de protection vis-à-vis de leur mère. La violence conjugale a des effets importants sur leur santé.

Ces enfants sont susceptibles de reproduire la violence, seul modèle de communication qu'ils connaissent, soit à l'école ou dans la rue, soit chez eux ou dans une future relation de couple. Il est donc urgent de réfléchir aux moyens de les protéger.

Nous saluons certaines mesures figurant dans ce texte, mais gardons bien en tête qu'avant de punir les violences, il faut les prévenir. Pour cela, nous demandons que l'Etat et les collectivités locales mettent sur pied une formation obligatoire, initiale et continue, de tous les personnels susceptibles d'intervenir en cas de violences faites aux femmes - y compris les mariages forcés -, formation qui doit être assurée par des personnels dûment qualifiés. Il faudrait aussi interdire toute utilisation de l'image des femmes à caractère humiliant ou discriminatoire et permettre aux associations de se porter partie civile. Enfin, il faudrait que l'Etat organise régulièrement, en direction de tous les publics et par tous les moyens médiatiques modernes, des campagnes de sensibilisation contre les violences faites aux femmes.

Il faut également porter une attention toute particulière à l'assistance aux victimes, y compris sur le plan financier. Il convient d'améliorer l'accueil, la protection et le suivi de ces femmes victimes de violences conjugales, et aussi de développer la prévention. Par exemple, il faudrait créer dans les commissariats des cellules d'accueil spécifiques, avec un personnel formé par les associations de solidarité aux victimes. En revanche, je m'interroge sur l'appel à des familles d'accueil, alors que celles-ci font terriblement défaut pour les enfants. Les places doivent être augmentées dans les structures d'accueil et d'hébergement et celles-ci doivent cesser de voir leurs subventions diminuer. Il faudrait aussi que les femmes victimes de violences soient prioritaires dans l'accès au logement social - ce qui suppose de réaliser plus de logements sociaux !

Plus généralement, toutes les femmes victimes devraient bénéficier, indépendamment de leur position sociale, d'un droit à l'assistance sociale intégrale, comportant l'information, le soutien psychologique, le soutien social, le suivi juridique, l'encadrement éducatif des enfants, tous les soins médicaux et l'appui dans l'insertion professionnelle.

Au-delà de ces principes de prévention et d'aide aux victimes, quelques mesures plus spécifiques permettraient de lutter efficacement contre ces violences. A cet égard, nous approuvons l'introduction par la commission des lois de dispositions contre l'excision et autres mutilations sexuelles, contre l'exploitation sexuelle des enfants et contre le tourisme sexuel.

Nous demandons aussi qu'on supprime la possibilité de recourir à la médiation pénale ; en effet celle-ci, en imposant une confrontation de la victime avec son agresseur, n'est pas adaptée au cas des violences conjugales : la victime ne peut pas se retrouver sur un pied d'égalité avec son agresseur.

De même, la loi devrait rendre impossible la condamnation pour dénonciation calomnieuse des femmes qui n'ont pas pu rassembler assez de preuves pour faire condamner l'agresseur mais dont la mauvaise foi n'a pu pour autant être prouvée.

Nous demandons aussi que les mariages forcés soient reconnus comme une violence, qu'un dispositif d'hébergement soit prévu pour venir en aide aux jeunes filles qui en sont menacées.

Je félicite la Délégation aux droits des femmes pour le travail accompli sur ce sujet. Cette longue liste de revendications doit être interprétée comme un appel, non seulement pour en finir avec une défaillance législative, mais aussi pour élaborer une « loi-cadre » à l'instar de nos amis espagnols, contre toutes les violences faites aux femmes. Je rends hommage à toutes les associations...

M. le Rapporteur - Très bien.

Mme Muguette Jacquaint - ...car c'est grâce à leurs luttes que nous examinons ce texte. Je souhaite que, dans les prochains jours, des mesures encore plus importantes soient prises afin de les aider. Il faut satisfaire leurs exigences, car ce sont elles qui ont permis de lever les tabous. Quelques amendements ayant été adoptés en leur faveur, ce dont je me félicite, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur tous les bancs)

Mme Valérie Pecresse - Cette proposition nécessaire et attendue a été votée à l'unanimité au Sénat et je souhaite qu'il en soit de même ici.

En tant que rapporteure de la mission sur la famille et les droits de l'enfants, j'évoquerai plus particulièrement les amendements issus de nos travaux et visant à combattre la pratique des mariages forcés. La première violence, en effet, n'est-elle pas de contraindre ses propres enfants à une union non désirée ? Le Sénat l'a compris puisqu'il a décidé, sur la proposition judicieuse de Joëlle Garriaud-Mellam, sénateur des Français de l'étranger, de relever de 15 à 18 ans l'âge minimum du mariage des filles. Alertés par la défenseure des enfants, Claire Brisset, les trente députés issus de toutes les familles politiques et réunis au sein de la mission parlementaire sur la famille et les droits de l'enfant se sont mobilisés pour aller plus loin : la liberté d'aimer et de se marier est un droit fondamental qui doit être affirmé sur le territoire de la République. C'est une liberté que les couples, et particulièrement les femmes, ont su arracher à la tradition patriarcale où les parents décidaient « dans l'intérêt » de leurs enfants. Cette liberté n'est pourtant pas garantie à chacun. Selon les associations, des milliers de jeunes filles seraient chaque année données en mariage à des hommes qu'elles n'ont pas choisis. De jeunes hommes seraient également concernés. Ces chiffres ne peuvent nous laisser indifférents, d'autant qu'ils contrastent avec la petite vingtaine d'annulations de mariages prononcée l'an dernier par les tribunaux français. La frontière entre mariages arrangés et mariages forcés est ténue, mais elle existe : c'est celle du libre consentement. Lorsqu'il y a violence psychologique ou physique, le mariage doit pouvoir être dénoncé car il devient, selon les termes mêmes des Nations unies, une forme d'esclavage moderne. Parce que nous travaillons depuis neuf mois sur la protection de l'enfance, parce que nous réfléchissons aux évolutions souhaitables du droit de la famille, nous devions nous saisir de cette atteinte à la liberté d'aimer et aux droits des femmes afin d'y apporter des réponses concrètes autour d'un triptyque : prévenir, éduquer, protéger.

Prévenir les mariages forcés, c'est d'abord relever l'âge minimal du mariage, car les mineures sont particulièrement vulnérables en raison de leur immaturité, de leur grande dépendance à l'égard de leur famille ainsi que de leur incapacité juridique.

Mme la Présidente de la Délégation - Eh oui !

Mme Valérie Pecresse - Mais au-delà, il est paradoxal de constater que la société française a instauré, à travers de nouvelles règles d'immigration définies en 2003, un contrôle de la réalité du consentement des époux beaucoup plus efficace pour lutter contre les mariages de complaisance - c'est-à-dire pour limiter l'immigration clandestine - que pour éviter les mariages forcés. Je salue à ce propos le remarquable travail accompli par la Délégation aux droits des femmes, et tout particulièrement par sa présidente, Mme Marie-Jo Zimmermann...

M. Pierre-Louis Fagniez - Très bien.

Mme Valérie Pecresse - ...sur la situation des femmes issues de l'immigration. Nous proposons de donner désormais au ministère public, comme c'est le cas pour les mariages blancs, la possibilité de surseoir à la célébration d'un mariage ou à sa transcription en droit français s'il a été conclu à l'étranger, dès lors qu'il y a un doute sérieux sur la réalité du consentement de l'un des époux. En effet les situations réelles sont souvent dénoncées par des proches - le vrai « petit ami », les camarades de classe - et non par la victime elle-même, parfois envoyée dans le pays d'origine de sa famille où sera conclu le mariage. Préalablement au mariage ou à sa transcription en droit français, une audition des futurs époux est aujourd'hui obligatoire mais les officiers d'état civil ou les agents consulaires français sont bien souvent débordés. En outre, il est évidemment impossible de procéder à l'audition conjointe des époux lorsque l'un d'eux réside à l'étranger. Nous proposons de rendre toute sont efficacité à cette formalité en permettant l'audition séparée des époux lorsqu'ils vivent dans deux pays différents et qu'ils ne seront réunis que pour la célébration, mais aussi en déléguant la responsabilité de la première audition à des fonctionnaires, les officiers d'état civil n'intervenant que si les soupçons sont confirmés, et, enfin, en permettant au procureur de refuser la célébration ou la transcription si les auditions n'ont pas été réalisées malgré la demande qui en a été faite.

Mais ces dispositifs de prévention seront inutiles s'ils ne sont pas complétés par des mesures d'éducation et de protection, et pour les jeunes, et pour leurs familles. Ainsi, une sensibilisation aux règles républicaines du consentement au mariage devrait être assurée dans le cadre des cours d'instruction civique. Les jeunes filles savent qu'elles doivent dire « oui », mais elles ignorent qu'un « oui » extorqué sous la contrainte n'est pas valable au regard de la loi et qu'elles peuvent le contester devant le juge. Nous voulons donc que la loi précise clairement que toute personne victime de pressions pour se marier peut demander la nullité de son union. J'ajoute qu'il subsiste dans notre code civil une disposition révélatrice de l'évolution des mœurs françaises à travers les siècles, celle qui dispose que « la crainte révérencielle des parents » n'est pas une cause de nullité d'un contrat. Il serait approprié que celle-ci ne s'applique plus, à tout le moins, à l'institution du mariage. Nous sommes en revanche opposés à la création d'une sanction pénale propre aux mariages forcés, parce que notre objectif est de libérer la parole et les actes de jeunes femmes qui risquent d'être conduites à couper les ponts avec leurs familles, voire à se dresser contre elles. C'est là une décision suffisamment dramatique pour que ne s'y ajoute pas, comme le relève l'association « Ni putes, ni soumises », la culpabilité de voir leurs parents condamnés par la justice. Bien souvent, les parents croient en effet faire « le bien » de leurs enfants, et les enfants en sont conscients. Ceux-ci étant alors déchirés entre leurs désirs et le respect des traditions familiales, ne faisons pas peser sur leurs épaules davantage de responsabilités ! La formulation claire, dans le code civil, de la nullité de tout mariage conclu sous la contrainte aura valeur d'interdit, et un arsenal suffisant de sanctions existe par ailleurs en cas de violences graves, d'enlèvement ou de séquestration.

La loi ne pourra pas tout faire. Nous demandons au Gouvernement que la protection des jeunes qui auront le courage de dire « non » soit mieux assurée grâce à des centres d'information aux droits des femmes, à des centres d'hébergement, à des mesures d'accompagnement personnalisées leur permettant de poursuivre leurs études ou la recherche d'un travail. Les comportements évolueront à leur rythme, mais la République ne sera plus tacitement complice de certains comportements faute d'avoir posé les règles garantissant sur son sol la liberté d'aimer. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. le Garde des Sceaux - Très beau !

Mme Danielle Bousquet - Il est étonnant de débattre d'un tel sujet dans une « niche parlementaire » alors qu'un texte a été voté au Sénat. Tout le monde connaît la situation des femmes victimes de violences au sein du couple, la banalisation de cet état de fait et l'acceptation sociale de ce phénomène universel. Toues les enquêtes en démontrent l'ampleur, mais les pouvoirs publics agissent peu. Selon l'enquête ENVEFF de 2000, une femme sur dix a déclaré avoir subi des violences verbales, psychologiques, physiques ou sexuelles de la part de son conjoint ou de son ex-conjoint. Ces femmes sont victimes de ce que l'on dénomme « les brutalités sexistes dans le cercle familial ». La dénonciation de cette situation s'est souvent heurtée à des préjugés farouches, considérant que les violences conjugales relevaient de pathologies individuelles fondées sur des relations sado-masochistes dans lesquelles les femmes exprimaient une forme de consentement, voire de satisfaction. A partir de quelques cas exceptionnels, une règle s'est progressivement établie rendant très difficile l'appréciation du poids des rapports sociaux dans les violences faites aux femmes. Tant mieux si les tabous commencent à tomber, mais comment expliquer la loi du silence ? La victime dérangerait-elle ? Il est vrai que l'agresseur, lui, ne dérange personne puisqu'il est rarement violent dans la sphère publique alors que la victime transfère son problème de l'espace privé à l'espace public : c'est donc elle qui dérange, surtout ceux qui se refusent à affronter le partenaire violent !

Nous constatons également que la législation des pays voisins aborde de façon différente ce mal universel. Ainsi l'Espagne a-t-elle choisi de traiter la violence faite aux femmes dans le cadre d'une politique globale. Les causes de la violence de genre doivent être en effet recherchées dans un modèle de société qui situe la femme et les enfants dans une position d'infériorité et de soumission à l'homme. Cette violence inclut toutes les formes d'agressions subies par les femmes ; elle est la conséquence des conditionnements sociaux et culturels et touche tous les domaines de la société. Nous avons donc besoin d'une loi globale qui aborde ce phénomène dans sa totalité et sa complexité parce que ces actes de maltraitance constituent une violation des droits fondamentaux de la personne. Or, le texte proposé est sans aucune commune mesure avec la complexité des situations existantes. Il s'agit de promouvoir de nouveaux modèles de relations entre les filles et les garçons, entre les hommes et les femmes, des modèles fondés sur une culture de l'égalité. C'est une urgence absolue d'intégrer dans la formation initiale et continue des différents professionnels concernés par cette problématique une telle culture. Pouvons-nous imaginer que ce texte, qui aggrave les sanctions à l'égard des conjoints violents, empêchera des hommes d'être violents ? Acceptons plutôt de reconnaître que cette proposition de loi ne résout rien. Nous devons dès aujourd'hui travailler avec les associations à l'élaboration d'une loi globale. C'est une question de volonté politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Huguette Bello - L'examen d'un texte sur les violences faites aux femmes constitue une avancée notable : c'est en effet la première fois que la représentation nationale en fait un thème central et n'aborde pas cette question de manière périphérique, à l'occasion de telle ou telle loi.

Ce progrès, que je salue, nous oblige à une grande exigence.

Depuis plusieurs années, les violences faites aux femmes, véritable fléau social, sont reconnues tant au niveau des institutions internationales et européennes qu'au plan national dans un certain nombre de pays comme en témoignent l'organisation de la conférence « Pékin + 10 » en août dernier et l'adoption d'une loi organique contre la violence de genre en 2004 par le Parlement espagnol. Parmi ces violences, celles subies au sein du couple en grande majorité par les femmes sont les plus répandues. Elles sont l'une des causes principales de blessures ou de décès chez les femmes. Depuis la publication de la première enquête nationale sur les violences envers les femmes et du rapport du professeur Henrion, nous savons que la France n'échappe pas à cette triste réalité.

Les violences conjugales, qui ne doivent pas être confondues avec les conflits entre conjoints se caractérisent par leur fréquence, par le fait qu'elles touchent tous les milieux sociaux et culturels, et par le silence et le secret qui les entoure. Il y a peu, elles étaient encore considérées comme relevant exclusivement de la sphère privée, les cas les plus graves étant renvoyés à la rubrique des faits divers. En raison d'une certaine tolérance collective envers les auteurs, d'un sentiment de honte et de culpabilité éprouvé par les victimes, ce phénomène n'était pas abordé sous l'angle social et politique.

Ce texte, adopté par le Sénat prévoit un renforcement des sanctions à l'encontre des coupables et de nouvelles possibilités d'action en justice en faveur des victimes. Si la répression est nécessaire, elle n'est pas suffisante. Il est indispensable de protéger et de soutenir les femmes lorsqu'elles rompent avec le processus de violence qui détruit leur couple. C'est la première leçon que je tire des innombrables situations que j'ai connues en tant que présidente de l'union des femmes réunionnaises. Certes, il existe depuis un an un plan gouvernemental contre les violences conjugales mais, sur le terrain, nous sommes toujours contraintes à l'à-peu-près. Or la période de séparation constituant un temps où la victime est plus vulnérable et les risques plus importants, cet à-peu-près peut vite tourner au drame.

Parmi les moyens de soutenir les victimes, l'hébergement. A la Réunion comme ailleurs, le nombre de places en structures d'accueil et la pénurie de logements sociaux ne permettent pas de trouver des solutions rapides. Quant à la possibilité pour le juge de prononcer l'exclusion du domicile familial du conjoint violent depuis le 1er janvier 2005, elle demeure l'exception. Madame la ministre, vous avez annoncé l'expérimentation prochaine à la Réunion de la formule des familles d'accueil. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce dispositif ? Les moyens financiers sont un autre élément important, en particulier si la victime a été contrainte de démissionner de ses fonctions en raison de la séparation. La possibilité de percevoir, dans ce cas, des allocations chômage serait une avancée. Où en est la négociation avec l'UNEDIC sur ce dossier ? Enfin, le point capital : les enfants. Selon que les femmes souhaitent les protéger d'une violence dont ils pâtissent directement ou indirectement, selon qu'elles craignent d'en perdre la garde, elles prennent ou non la décision de quitter le conjoint violent. Au reste, les enfants peuvent, après la séparation, devenir les enjeux d'une nouvelle phase du conflit. Songeons à ces deux enfants réunionnais qui, depuis plusieurs semaines, se rendent à l'école dans un climat de grande tension à cause des menaces que leur père fait peser sur eux et sur leur mère.

Une telle violence ne doit pas être prise à la légère. Gardons en mémoire le souvenir de ces femmes assassinées après avoir tenté en vain d'alerter les autorités judiciaires, les services de police et la gendarmerie sur le comportement violent de leur ancien conjoint. Pour éviter que chaque marche blanche, chaque 25 novembre, ne soit l'occasion de pleurer les victimes d'un drame annoncé, les mesures destinées à faciliter l'accueil des plaignantes et à les protéger doivent être renforcées, et avant tout appliquées. De l'avis de tous et des associations, dont je salue le travail, les dispositifs existants sont trop dispersés, ce qui nuit à leur application. La prochaine étape serait donc de les regrouper dans un même texte (« Très bien ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Si l'année 2006 est déclarée année européenne contre les violences envers les femmes comme l'ont demandé les parlementaires européens, l'adoption d'une loi-cadre pourrait être la contribution de la France (Applaudissements sur tous les bancs).

Mme la Présidente de la Délégation - Très bien !

Mme Patricia Adam - Cette proposition de loi témoigne de la volonté commune de la représentation nationale de hisser la lutte contre les violences conjugales au rang des priorités de l'action gouvernementale. Elle s'inspire d'autres textes déposés par des parlementaires de tous horizons, dont ceux participant aux travaux de la mission d'information sur la famille et de la délégation aux droits des femmes. Nous regrettons qu'elle ne reprenne pas certains dispositifs préventifs proposés mais nous la voterons car nous souscrivons à l'objectif de faire reculer le nombre de violences au sein des couples. Prenons donc acte de ce qui nous rassemble tout en continuant d'examiner ce texte avec vigilance.

Les sénateurs ont choisi de limiter ce texte à un dispositif aggravant les sanctions pénales en vigueur et créant de nouvelles circonstances aggravantes pour les violences commises par le conjoint, quel que soit le statut de ce dernier. Ont été supprimées de ce texte les dispositions relatives à la prévention et à l'aide aux victimes au prétexte qu'elles relèvent du décret. Il est pourtant admis que la loi peut déborder de son domaine quand il s'agit pour la représentation politique de marquer une volonté affirmée sur des grands sujets de société. Nous aurions pu, tout du moins, dessiner le cadre des dispositions en matière de prévention, d'éducation et de soins à apporter aux victimes, indispensables pour éviter la récidive, en renvoyant leur mise en œuvre au décret. Prévention et répression sont complémentaires et M. Delnatte a justement souligné tout à l'heure l'intérêt de dispositifs tels ceux de la médiation pénale. Les conséquences sociales de ces violences sont encore insuffisamment connues et mal maîtrisées. Les violences conjugales, qui s'exercent dans la sphère privée souvent considérée comme un espace où l'on peine à faire respecter les règles de droit, marquent profondément les victimes et leurs enfants, comme l'a rappelé Mme Jacquaint. Leurs souffrances et leurs peurs provoquent souvent des comportements de repli sur soi, voire de violence. D'où l'importance de la prévention. Sensibiliser les enfants dès l'école et le public est une nécessité. Former les médecins, les praticiens et les travailleurs sociaux rendra plus efficace le dispositif de prise en charge des victimes. Donner aux associations la capacité d'agir en justice en vue d'assister les victimes serait une arme supplémentaire mise à leur disposition. Enfin, améliorer les conditions d'accès à l'aide juridictionnelle, notamment pour les mineurs, inciterait les victimes à agir en justice.

Beaucoup de chemin reste donc à parcourir mais sachons dépasser nos clivages afin de libérer les victimes de violence conjugales. Elles attendent de nous plus de justice et d'efficacité ! (Applaudissements sur tous les bancs)

Mme la Présidente de la délégation - Très bien !

M. Patrick Bloche - A mon tour, en tant que président de la mission d'information sur la famille, je voudrais revenir sur les propositions que nous avons élaborées. Je me réjouis qu'après l'adoption à l'unanimité de la réforme de notre dispositif de protection de l'enfance l'été dernier, nous nous soyons rassemblés, une nouvelle fois, pour lutter contre les mariages forcés. Nous n'imaginions pas alors qu'un support législatif donnerait corps à notre réflexion aussi rapidement.

Mme la Ministre déléguée - C'est bien de le souligner !

M. Patrick Bloche - Le relèvement de l'âge du mariage des femmes, proposé dans sa grande sagesse par le Sénat, permettra de lutter contre cette pratique dont sont victimes des jeunes filles et, parfois, des jeunes hommes mariés de force à des personnes inconnues ou à des membres de leur famille élargie à l'occasion de vacances dans le pays d'où leurs parents sont originaires.

Nous suggérons, pour notre part, de renforcer les formalités relatives à la célébration et à la transcription du mariage. Il s'agit, en premier lieur, de contrôler le vice du consentement qui n'est pas visé explicitement par le code civil contrairement à l'absence de consentement lorsque l'officier d'état civil demande « consentez-vous à prendre pour époux ou épouse telle ou telle personne ? ». Nous avons également souhaité assouplir la réalisation des auditions. Cela a fait l'objet d'un débat utile au sein de la commission qui a conduit à la rectification d'un amendement déposé par Mme Pecresse...

M. le Rapporteur - L'amendement a bien été rectifié !

M. Patrick Bloche - ...et convaincu le groupe socialiste de le voter. Il s'agit également de tirer les conséquences de la demande de sursis à la transcription du mariage. Sur ce point, le groupe socialiste est plus réticent. Nous aurions préféré partir du refus d'audition par les futurs époux plutôt que de l'absence d'audition.

Pour ce qui est de faciliter les procédures de nullité du mariage pour vice de consentement, outre l'élargissement des possibilités d'action du procureur de la République, il est essentiel d'allonger de six mois à deux ans le délai pendant lequel un conjoint peut présenter sa demande, en cas de cohabitation continue.

Par ailleurs, nous souhaiterions que la crainte révérencielle envers le père ou la mère puisse être prise en compte, contrairement à ce que prévoit l'article 1114 du code civil.

Cela étant, même si les dispositions que nous vous proposons sont adoptées, il faudra aller plus loin, et prendre notamment des mesures d'accompagnement comme nous l'ont demandé les associations consultées, en particulier en matière d'accueil, d'écoute, d'hébergement, sans parler de la sensibilisation du grand public, notamment à l'école.

Enfin, la mission d'information n'a pas souhaité pénaliser le mariage forcé, car des jeunes femmes pourraient avoir quelques réticences à traîner leurs proches parents devant les tribunaux. Nous avons fait le choix de la responsabilité et de l'efficacité. (Applaudissements sur tous les bancs)

La discussion générale est close.

M. le Président - J'appelle les articles de la proposition de loi dans le texte du Sénat.

ARTICLE PREMIER A

M. Jean-Pierre Brard - Ce débat nous conduit à aborder la question de la polygamie, qui est une forme de violence à l'égard des femmes qui la subissent. Il ne s'agit bien évidemment pas ici de donner un quelconque écho à la fable démagogique selon laquelle la polygamie serait la cause majeure des incidents du mois dernier. Heureusement, le Président de la République est intervenu à ce propos, car les violences urbaines renvoient à une crise sociale profonde, mais sûrement pas à la polygamie. Il faut habiter des villes comme Rambouillet pour tenir un tel discours.

La polygamie est une manifestation de la domination masculine, en complet décalage avec notre société, et représente un frein à l'insertion des femmes concernées.

Mme Valérie Pecresse - Merci de le reconnaître.

M. Jean-Pierre Brard - Aussi positives soient-elles, les avancées que nous réalisons vont encore creuser le fossé entre les femmes en situation de bénéficier de tous leurs droits et les épouses de polygames, de plus en plus marginalisées.

Comme le recommande la Délégation aux droits des femmes, il est urgent qu'une enquête conjointe de la caisse nationale d'allocations familiales et de la mutualité sociale agricole soit réalisée pour mener une politique beaucoup plus dynamique de soutien aux victimes de la polygamie.

Nous devons également travailler avec les pays d'origine afin de mieux informer ces femmes, en particulier celles qui bénéficient d'une mesure de regroupement familial, mais aussi pour réduire la pression que les familles restées au pays exercent sur le parent qui a migré, parce qu'elles estiment qu'il se doit de faire vivre d'autres membres de la communauté villageoise. Autrement dit, le rapport polygame est souvent imposé au migrant. Je n'ai pas déposé d'amendement à ce sujet qui doit être traité de manière plus approfondie, mais je souhaite que l'on retire aux maris polygames le titre de séjour pour le donner aux femmes victimes de la polygamie. Cela mettrait un coup d'arrêt aux mariages polygames !

Compte tenu de la situation de la ville de Montreuil, j'interviens en connaissance de cause, et j'insiste encore sur la nécessité de travailler avec les pays d'origine avant d'élaborer une nouvelle règle qui ne devra pas être rétroactive.

Cette coopération interétatique est l'un des moyens d'attaquer le problème à sa racine, même s'il est beaucoup moins spectaculaire que les anathèmes de ceux dont le fonds de commerce est la diabolisation de l'autre, ce qui ne fait qu'aggraver les tensions.

Madame la ministre, il faut aider les associations de femmes qui accomplissent en la matière un travail remarquable pour faire reculer la polygamie, mais aussi d'autres atteintes comme l'excision. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Martine Billard - Je salue cet article. Nous n'avons que trop tardé à rétablir en la matière l'égalité entre les hommes et les femmes, même si les députés Verts avaient déjà fait des propositions en ce sens en 2004.

Cela étant, prenons garde que cette loi, destinée à lutter contre les violences faites aux femmes, ne devienne une loi contre les mariages forcés, et un moyen de contrôler l'immigration des femmes.

Mme Valérie Pecresse - Pas du tout.

Mme Martine Billard - Les mariages forcés concernent aussi des jeunes femmes issues d'un milieu très pauvre et qui voient dans le mariage une manière d'acquérir une certaine autonomie sociale ou financière. De ce point de vue, je salue cet article car les jeunes femmes doivent avoir atteint une certaine maturité avant de décider de la suite de leur vie.

Mme Muguette Jacquaint - Je salue à mon tour cette initiative de porter l'âge minimum du mariage des femmes à 18 ans, comme nous l'avions également proposé. Le mariage forcé ne concerne pas que les régions du monde frappées par la pauvreté. En Europe et notamment en France, des milliers de jeunes filles doivent se soumettre à la volonté familiale. C'est dès 1992 que la Commission nationale consultative des droits de l'Homme s'est prononcée sur la pratique des mariages forcés, considérant que tout manquement à la protection de l'enfant en danger représente une atteinte à l'ordre public français. 70 000 adolescentes seraient menacées, toutes communautés confondues.

Les conséquences sont dramatiques, tant sur le plan physique que psychologique. Les grossesses chez de très jeunes filles peuvent s'avérer très risquées pour les mères et provoquent souvent des accouchements prématurés. Et je ne parle pas de leur asservissement domestique et sexuel.

L'immense majorité des jeunes filles acceptent le mariage parce qu'elles sont jeunes et redoutent la rupture avec leur famille.

Cela étant, les mariages forcés ne concernent pas qu'une seule catégorie de femmes. Prenons garde à ne pas stigmatiser les jeunes filles issues de l'immigration, faute de quoi on pourrait aboutir à l'effet inverse de celui recherché.

L'article premier A, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ARTICLE PREMIER A

M. le Président - Je suis saisi de trois amendements identiques, 1, 7 et 11.

Mme Valérie Pecresse - L'amendement 1 précise que l'audition des futurs époux par l'officier de l'état civil avant la publication des bans ou, en cas de dispense de publication, avant la célébration du mariage, est obligatoire non seulement lorsqu'il existe un doute sur le consentement au mariage, mais aussi en cas de doute sur la liberté du consentement, et qu'il en va de même pour l'audition des futurs époux par les agents diplomatiques ou consulaires lors d'un mariage célébré à l'étranger.

Dans le cas d'un mariage célébré à l'étranger selon les règles d'un autre pays, l'agent diplomatique ou consulaire chargé de transcrire l'acte doit pouvoir informer le parquet de ses doutes et surseoir à la transcription lorsque le mariage risque d'être nul pour vice du consentement. Dans le cas d'un mariage célébré en France, l'officier d'état civil doit pouvoir saisir le procureur de la République et surseoir à la célébration lorsqu'il suspecte un vice du consentement, alors qu'il ne peut aujourd'hui le faire que pour absence de consentement.

Cette audition permettra de lutter plus efficacement contre les mariages forcés, qu'ils soient célébrés en France ou à l'étranger.

M. Patrick Bloche - L'amendement 7 est identique. Je précise que l'on traite bien ici des mariages forcés, non des mariages blancs pour lesquels il n'y a pas de vice du consentement.

Un véritable débat de société a eu lieu en Espagne sur la question des violences conjugales. Les membres de la mission d'information sur la famille et les droits des enfants se sont d'ailleurs rendus à Madrid. Nous ne comprendrions pas que ce qui est vérité au-delà des Pyrénées ne le soit pas en deçà.

Mme Valérie Pecresse - Pas sur tout !

M. le Rapporteur - Avis favorable sans hésitation à ces amendements qui visent à renforcer la lutte contre les mariages forcés. Loin d'élargir par trop l'objet du texte, ils en sont au cœur, car la première des violences au sein du couple est bien le mariage forcé.

Je précise enfin que nous avons décidé en commission, pour bien montrer l'unanimité qui prévaut sur le sujet, que lorsque plusieurs amendements identiques ont été déposés, ils seront alternativement défendus par l'un des groupes signataires.

M. le Garde des Sceaux - Ces amendements rejoignent les réflexions actuelles du Gouvernement sur la nécessité de mieux contrôler les mariages, en particulier de s'assurer de la liberté de consentement pour mieux protéger les jeunes filles, mais aussi parfois les jeunes hommes. L'article 63 du code civil, pour les mariages célébrés en France, et l'article 170 pour ceux célébrés à l'étranger, sont des instruments efficaces de lutte contre les mariages forcés.

Mme Muguette Jacquaint - Je suis bien sûr favorable à ces amendements, mais je souhaite insister sur la nécessité de la prévention. Celle-ci doit s'exercer dès le plus jeune âge, notamment à l'école. Trop de jeunes filles sont encore violées pour être ensuite contraintes de se marier, faute de quoi elles se trouvent rejetées de tous.

Les amendements 1, 7 et 11 mis aux voix, sont adoptés.

M. le Président - Je suis saisi de deux amendements identiques, 2 rectifié et 12 rectifié.

Mme Valérie Pecresse - Lorsque le mariage est célébré en France, il revient à l'officier de l'état civil chargé de la célébration d'entendre les futurs époux. Or, il arrive qu'il manque de temps pour ce faire. Aussi proposons-nous, par l'amendement 2 rectifié, qu'il puisse, comme pour de nombreuses autres fonctions, déléguer ces auditions à des fonctionnaires titulaires de sa commune. Dans le cas d'un mariage célébré à l'étranger, il doit de même être possible aux agents diplomatiques ou consulaires qui eux aussi manquent de temps, de déléguer ces auditions à des fonctionnaires placés sous leur autorité.

Il arrive de même que les futurs époux ne puissent être entendus avant la célébration de leur mariage en France, alors même que des doutes existent sur la réalité de leur consentement, parce que l'un d'eux réside à l'étranger et doit obtenir un visa pour se rendre dans notre pays. Pour surmonter cette difficulté, l'officier de l'état civil doit pouvoir demander à un agent diplomatique ou consulaire en poste dans le pays de résidence du futur époux de procéder à son audition. La même difficulté peut se poser aux agents diplomatiques ou consulaires parce que l'un des deux futurs époux, voire les deux, résident en France. Ils doivent pouvoir demander à l'officier de l'état civil de la commune où résident les futurs époux de les entendre.

Toutes ces mesures, qui assouplissent les conditions de réalisation des auditions, en permettant qu'elles soient assurées par des personnes de confiance, permettront de les rendre plus effectives.

M. le Rapporteur - Ces amendements avaient été initialement retirés en commission parce qu'ils n'offraient pas une sécurité juridique suffisante. Ainsi rectifiés, ils reçoivent notre avis favorable.

M. le Garde des Sceaux - Je suis, pour ma part, assez réservé. L'audition des futurs époux n'est pas une simple formalité. C'est même une étape essentielle, comparable au recueil de l'échange des consentements. Or, il n'a jamais été envisagé de déléguer celui-ci à un fonctionnaire municipal ! Au motif des contraintes qui pèsent sur les maires et leurs adjoints, vous souhaitez simplifier la procédure. Je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée, tout en disant mes réticences.

M. Alain Vidalies - L'audition des futurs époux n'a souvent pas lieu faute de moyens, les officiers d'état civil ou les agents consulaires ayant les plus grandes difficultés à la réaliser eux-mêmes. Le groupe socialiste n'avait pas voté une première série d'amendements, estimant qu'elle ouvrait trop largement la possibilité de délégation. Je remercie à cet égard le rapporteur d'avoir entendu nos observations. Les amendements rectifiés qui nous sont proposés résolvent la difficulté. Pour que les parquets puissent intervenir effectivement sur le fondement de l'article 180 du code civil, encore faut-il que les auditions aient pu avoir lieu dans tous les cas. Ces amendements visent seulement à surmonter une difficulté matérielle.

M. Jean-Pierre Brard - Mme Pecresse a parlé de « personnes de confiance ». Il fallait entendre « personnes compétentes » au sens légal du terme.

Je partage totalement l'avis de notre collègue Vidalies. Si nous ne votions pas ces amendements, tout le reste ne serait que sabre de bois ! L'audition des futurs époux ne peut être confondue avec le recueil de l'échange des consentements. Lors des travaux de la mission d'information sur les signes religieux à l'école, nous avions auditionné la proviseure d'un lycée parisien dont l'une des élèves allait être mariée. Cette excellente proviseure, très engagée dans le combat pour la protection des femmes, a fait venir l'élève avec sa mère et les a auditionnées séparément. L'audition de la jeune fille a montré que le mariage n'était pas librement consenti, et celle-ci a été soustraite à sa famille, après que toutes les précautions avaient d'ailleurs été prises pour assurer sa sécurité. Ces amendements ne proposent rien d'autre en permettant que des fonctionnaires compétents réalisent l'audition des futurs époux.

Mme Valérie Pecresse - Je précise que, dans mon esprit, les fonctionnaires de confiance sont ceux à la compétence desquels on peut se fier ; il doit évidemment s'agir d'agents professionnels de l'état civil.

Par ailleurs, pour rassurer le garde des sceaux, j'indique qu'il s'agit de l'audition préalable à l'échange de consentement et non du recueil du consentement lui-même.

M. Jacques Brunhes - Effectivement, pour éviter toute confusion, répétons bien que l'échange de consentement relève de l'officier d'état civil. Il ne s'agit ici que de l'audition préalable des futurs époux, déjà prévue dans le code civil, mais dont on a vu qu'elle se heurte à des difficultés. Nous voterons ces amendements.

Les amendements identiques 2 rectifié et 12 rectifié, mis aux voix, sont adoptés.

M. le Président - Les amendements 3 de Mme Pecresse et 13 de M. Baguet sont identiques.

M. Yvan Lachaud - Dans le cas où un agent diplomatique ou consulaire a sursis à la transcription d'un mariage célébré à l'étranger dans le cadre des dispositions de l'article 170-1 du code civil, la transcription est de droit si le procureur de la République ne s'est pas prononcé dans un délai de six mois à compter de sa saisine.

Notre amendement 13 dispose que, une fois ce délai écoulé, la transcription n'est plus automatique lorsque les époux n'auront pas été entendus par un agent diplomatique ou consulaire, comme prévu à l'article 170 du code civil. En effet, cette audition est obligatoire, sauf en cas d'impossibilité ou si elle n'est pas jugée nécessaire par l'agent. En cas de saisine du procureur de la République, elle est indispensable et le refus des époux de s'y soumettre doit entraîner la non-transcription de leur mariage, en l'absence de réponse du procureur de la République. Lorsqu'elle n'aura pas été faite, l'un ou l'autre des époux pourra saisir le tribunal de grande instance pour qu'il se prononce sur la transcription.

M. le Rapporteur - Avis favorable.

M. le Garde des Sceaux - Il n'est pas possible de placer les époux qui n'ont pas été auditionnés au moment du mariage dans une situation plus défavorable que ceux qui l'ont été. L'audition n'est pas une obligation, c'est l'administration qui décide d'y procéder ou non. Si elle ne le fait pas, pour une raison ou pour une autre, le mariage célébré à l'étranger ne sera pas reconnu. Cela heurte le principe constitutionnel d'égalité devant la loi.

J'ai proposé au comité interministériel de contrôle de l'immigration de rétablir l'obligation de délivrance du certificat de capacité matrimoniale. Il faut envisager cette question des mariages célébrés à l'étranger dans une perspective globale, qui concerne non seulement les mariages forcés, mais aussi les mariages de complaisance. Le Gouvernement vous proposera prochainement un dispositif complet, pour éviter toute censure du Conseil constitutionnel. Je demande donc aux auteurs des amendements de bien vouloir les retirer.

Mme Valérie Pecresse - L'amendement 3 est retiré si, sur ce sujet délicat qui touche à des problèmes constitutionnels, le Garde des Sceaux souhaite une expertise plus complète. Je lui précise cependant que son interprétation de l'amendement n'est pas la bonne. On se trouve ici dans le cas où le procureur de la République a été saisi par l'officier d'état civil ou l'agent consulaire, c'est-à-dire quand l'audition a été demandée et refusée et qu'il y a un soupçon de mariage forcé, pas dans le cas où un consulat, pour des raisons diverses, ne réaliserait pas les auditions.

M. Yvan Lachaud - L'amendement 13 est retiré.

M. le Président - Les amendements 4 de Mme Pecresse, 8 de M. Bloche et 14 de M. Baguet sont identiques.

M. Patrick Bloche - Je me réjouis du retrait des amendements précédents ; le groupe socialiste n'en avait pas déposé un identique pour les raisons qu'a développées le Garde des Sceaux. Nous allons ainsi pouvoir voter un ensemble d'amendements dans l'esprit des travaux de la mission.

L'amendement 8 permet au ministère public d'attaquer un mariage forcé, c'est-à-dire entaché d'un vice du consentement, alors que cette possibilité n'est aujourd'hui ouverte qu'aux époux ou à l'un d'eux. L'époux qui n'a pas consenti n'est pas toujours dans une situation qui lui permet de demander la nullité de son mariage. Il convient en outre d'expliciter l'interdiction de toute contrainte au mariage, celle-ci étant constitutive d'un vice du consentement, et justifiant, à ce titre, la nullité du mariage.

M. le Rapporteur - Favorable.

M. le Garde des Sceaux - Je réponds à la fois sur les amendements 4, 8 et 14 et 5, 9 et 15 rectifié auxquels le Gouvernement est favorable.

Ces amendements ont pour objet, les uns de permettre au ministère public de demander l'annulation des mariages forcés, et les autres de porter à deux ans le délai ouvert pour cette action lorsque les époux ont continué à cohabiter. Ils rejoignent la préoccupation du Gouvernement qui, par une circulaire du 2 mai dernier, invite les procureurs généraux à la plus grande vigilance.

Toutefois, le Gouvernement réfléchit à une réforme plus ambitieuse tendant à faire du mariage forcé une cause de nullité absolue du mariage. Le ministère public pourra, comme le demandent ces amendements, poursuive l'annulation de tels mariages, mais le délai ouvert pour cette action sera porté à trente ans (Mouvements).

M. Jacques Brunhes - Monsieur le Garde des Sceaux, pourquoi alors n'avoir pas complété ce texte par amendement au lieu d'attendre un futur texte hypothétique pour traiter ce problème ? Cela montre bien qu'une loi-cadre aurait été préférable.

M. le Garde des Sceaux - La navette parlementaire suffira peut-être à régler le problème, mais je ne m'y engage pas, étant donné l'importance des conséquences pour le droit civil. Nous devons les examiner.

Mme Martine Billard - Je suis également étonnée. Que de fois on vote un texte pour reprendre le même sujet l'année suivante ! Sur la question précise, cela démontre bien qu'il aurait mieux valu proposer une loi-cadre, d'autant que les travaux de la mission Famille ne sont pas terminés. Je suis tout à fait pour lutter contre le mariage forcé qui est une violence faite aux femmes, mais si c'est pour voter des dispositions qui ne s'appliqueront pas, je préférerais qu'on attende un peu. Quant à permettre une annulation au bout de trente ans, il faut y réfléchir car cela annulera aussi les droits, par exemple à la pension de réversion. Au bout de trente ans, on peut se dire qu'une femme a trouvé les moyens de rompre une relation qui lui a été imposée. Il faut réfléchir à l'ensemble des violences subies par ces femmes, mais éviter de créer d'autres difficultés.

Par ailleurs, autant je suis pour qu'on lutte contre le mariage forcé, autant je commence à ressentir un malaise : compte tenu du racisme qui progresse, j'ai peur que l'on n'en vienne à stigmatiser certaines jeunes femmes, pour lesquelles on utilisera tous les dispositifs, quelle que soit leur situation. Je me demande s'il n'aurait pas fallu terminer les travaux de la mission pour que la réflexion soit approfondie, plutôt que de légiférer trop vite.

Mme Valérie Pecresse - Sur les mariages forcés, la mission Famille a rendu ses conclusions et elle n'y reviendra pas. Mais elle a proposé de légiférer « en tremblant » car, s'agissant du code civil, on touche aussi à des équilibres sociaux très fragiles. Aussi, concernant le mariage forcé, nous avons refusé la pénalisation au profit de la prévention, afin d'empêcher la conclusion de ces mariages forcés, de lever l'omerta, de libérer la parole des jeunes filles et de les rendre autonomes. Cet amendement a donc valeur pédagogique. Si en deuxième lecture le Garde des Sceaux veut aller plus loin, tant mieux.

M. Patrick Bloche - Nous sommes convaincus de l'utilité de ces deux séries d'amendements identiques tendant à revoir les modalités de demande d'annulation d'un mariage forcé et à harmoniser les délais de nullité. Pour autant, les perspectives ouvertes par le Garde des Sceaux ne sont pas inintéressantes et nous ne les repousserons pas d'emblée au nom de je ne sais quel esprit partisan. Sur le fond, je tiens à rassurer Martine Billard dont je ressens la réticence à légiférer sur ces sujets sensibles. Comme l'a rappelé sa rapporteure, la mission d'information sur la famille a organisé plusieurs réunions et tables rondes sur le mariage forcé et elle est arrivée à des conclusions définitives sur ce sujet : il n'est pas opportun de pénaliser les situations considérées mais il faut améliorer la prévention grâce à une meilleure information de la population. A cet égard, il ne saurait être question de stigmatiser telle ou telle catégorie de la population en fonction de ses origines. Il s'agit de défendre des femmes et des victimes.

Mme la Ministre déléguée - Tout à fait !

M. Patrick Delnatte - Il est évident qu'il n'est pas dans nos intentions de stigmatiser quiconque : ces propositions découlent naturellement du relèvement à 18 ans de l'âge légal du mariage. Je suis du reste convaincu que la société française comprendra parfaitement ce que nous avons voulu faire. (Assentiment sur divers bancs)

Les amendements 4, 8 et 14, mis aux voix, sont adoptés.

M. le Président - Compte tenu des échanges qui viennent d'avoir lieu, je considère que les amendements identiques 5, 9 et 15 rectifiés ont été défendus et qu'ils ont été acceptés par la commission comme par le Gouvernement. (Même mouvement)

Les amendements 5, 9 et 15 rectifié, mis aux voix, sont adoptés.

M. le Président - Les amendements 6, 10 et 16 sont identiques.

Mme Valérie Pecresse - En application de l'article 1114 du code civil, la crainte révérencielle envers un ascendant sans exercice de la violence n'est pas un motif suffisant d'annulation d'un contrat. Cette disposition semble particulièrement mal venue dans le cas du mariage. En effet, dans nombre de mariages forcés, les jeunes gens n'osent pas résister à la pression morale exercée par leurs parents et c'est elle qui vicie leur consentement. Notre amendement 6 tend par conséquent à écarter cette disposition relevant du droit commun des contrats pour ce qui concerne le mariage.

M. le Rapporteur - Favorable.

M. le Garde des Sceaux - Sagesse. Je comprends l'objectif mais il faut noter que l'annulation d'un mariage forcé peut s'obtenir sans qu'il soit nécessaire de prouver que l'un des époux a donné son consentement par crainte de son entourage !

Les amendements 6, 10 et 16, mis aux voix, sont adoptés.

M. le Président - A l'unanimité.

M. Patrick Bloche - Bravo !

ARTICLE PREMIER

Mme Martine Billard - Je salue l'initiative parlementaire qui nous conduit à examiner ce texte, même si je déplore avec nombre de nos collègues que le Gouvernement ne nous ait pas soumis une loi-cadre « à l'espagnole », traitant de tous les enjeux liés aux violences faites aux femmes. En outre, je déplore que le texte adopté par les sénateurs se borne à renforcer la -nécessaire - répression, l'essentiel du volet préventif ayant été écarté en vertu d'une application par trop littérale du principe de séparation entre les domaines législatif et réglementaire. En tant que femme, la nécessité de lutter contre les mariages forcés et la polygamie relève pour moi de l'évidence première. Mais il faut veiller à ne pas laisser croire que les violences faites aux femmes procèdent exclusivement de la diffusion chez nous de pratiques venues d'ailleurs. Chacun sait que les violences, notamment psychologiques - et ce ne sont pas les moins cruelles -, touchent tous les milieux sociaux et que les victimes sont de toutes conditions. Il est bon de constater que, très progressivement, notre société prend conscience du fait que la violence au sein du couple ne relève pas de la sphère privée et il faut répéter inlassablement aux femmes victimes qu'elles ne doivent pas avoir honte de ce qu'elles ont subi, ni s'en sentir responsables, même partiellement. La barrière de la honte et du silence doit être levée.

Si la répression est indispensable, je regrette que la prévention ne soit pas améliorée, notamment par l'interdiction des publicités à caractère sexiste. De même, il faut éduquer les enfants à la non-violence dès leur plus jeune âge et combattre le culte de la pseudo virilité qui sévit dans nombre de milieux : on peut être un homme sans faire usage de ses poings ni insulter les femmes !

Enfin, il y a tout lieu de s'interroger sur les moyens financiers qui seront dégagés pour rendre le texte applicable. Sommes-nous bien sûrs de disposer de toutes les structures d'accueil nécessaires ? Le dispositif des familles d'accueil me semble insuffisant et il accrédite l'idée que les femmes victimes ont besoin d'être mises sous tutelle, alors que cela ne vaut que pour certaines situations très particulières. Par contre, les mesures dont les femmes victimes auraient vraiment besoin ont été écartées : nous demandions en effet que les absences liées aux violences subies ne puissent constituer un motif de licenciement ou que les victimes perdant leur emploi du fait des violences subies aient accès aux ASSEDIC. Las, l'article 40 de la Constitution nous a été opposé et ce progrès majeur ne sera donc pas possible. Au plan psychologique, il faut aussi aider les victimes à quitter leur agresseur - qu'elles aiment parfois toujours - et à engager les démarches visant à faire reconnaître leur situation. Le volet formation, très incomplet, est donc essentiel et nous regrettons que le texte ne propose aucune avancée notable en la matière.

Mme Muguette Jacquaint - Dans la mesure où le lien juridique créé par le Pacs a été consacré, nous sommes favorables à l'extension aux couples pacsés de la circonstance aggravante créée par le fait que l'auteur des violences est pacsé avec la victime. La proposition de loi déposée par le groupe communiste, républicain et citoyen du Sénat allait dans ce sens.

M. Jean-Pierre Brard - Je partage assez largement les préoccupations de Martine Billard. Le présent texte est très utile et nous le voterons. Il appelle cependant une loi plus ambitieuse, permettant de franchir une étape plus significative dans la réalisation de l'égalité entre les hommes et les femmes, laquelle constitue, dans notre pays, une perspective encore bien lointaine. La proposition de loi qui nous est soumise comporte certes des dispositions concrètes de forte portée, mais elle n'agit pas assez directement sur l'environnement des victimes pour que le risque qu'elle reste virtuelle puisse être totalement écarté.

J'appelle notamment l'attention du Gouvernement sur l'accès à l'aide juridictionnelle. En effet, selon les statistiques disponibles, celle-ci profite trois fois plus aux agresseurs qu'aux victimes ! Est-ce normal ? Ne faut-il pas faciliter l'accès des femmes victimes à la justice pour les inciter à engager des actions dès qu'elles sont victimes de comportements inacceptables ?

Il faut renforcer les hébergements d'urgence de longue durée. Le « 115 », cela fonctionne pour quelques nuits, en urgence, mais il faut des solutions de plus long terme pour accompagner les victimes, tout en organisant leur suivi individuel et leur accompagnement psychologique. Parallèlement, les hommes violents doivent être plus fermement incités à recevoir des soins.

J'appelle l'attention de Mme Vautrin sur ces différents points parce que les moyens donnés aux associations pour accomplir leur mission demeurent nettement insuffisants. Un énorme effort doit être consenti en leur faveur car nous avons moins besoin d'une nouvelle loi pour agir que de mobiliser des moyens supplémentaires au profit des structures qui savent déjà ce qu'il faut faire et qui le font bien. Je tiens notamment à rendre hommage à l'extraordinaire travail de la Maison des femmes de Montreuil et j'attends du Gouvernement qu'il apporte la preuve de sa détermination à ne pas laisser tomber les associations.

M. Jacques Brunhes - Je voudrais poser le problème général de la distinction entre la loi et le règlement. Mme Billard a indiqué que toutes les dispositions relatives à la prévention avaient été repoussées au Sénat, au motif qu'elles relevaient du domaine réglementaire. Or la Constitution ne fixe sur ce sujet qu'un cadre général : il ne faudrait pas que nous nous censurions nous-mêmes, alors que l'article 40 nous censure déjà sur le plan financier... C'est un problème de démocratie, dont j'invite le Président, le Bureau et la Conférence des présidents à se saisir.

M. le Président - Le Bureau avisera.

M. le Rapporteur - Tel qu'il a été adopté par le Sénat, cet article pose comme règle que le fait que les violences soient commises au sein du couple constitue une circonstance aggravante, celle-ci étant également constituée lorsque les faits sont commis par l'ancien conjoint, concubin ou partenaire d'un Pacs. Mais nos collègues sénateurs n'ont pas tranché la question de la limitation éventuelle dans le temps de cette circonstance aggravante. L'amendement 17, sans introduire de délai arbitraire, résout la difficulté en précisant que ces dispositions sont applicables « dès lors que l'infraction est commise en raison des relations ayant existé entre l'auteur des faits et la victime ».

L'amendement 17, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article premier ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 2

L'article 2, mis aux voix, est adopté.

ART. 2 BIS

M. le Rapporteur - Cet article résulte d'un amendement qui avait été déposé au Sénat par Mme Voynet, tendant à créer un nouveau délit de privation des pièces d'identité ou relatives au titre de séjour ou de résidence par le conjoint, concubin ou partenaire d'un Pacs. Or cette privation de pièces peut être qualifiée de vol, susceptible d'être puni d'une peine de trois ans - et non d'un an comme prévu à cet article. Tel est le sens de notre amendement, qui tend aussi à ajouter à la liste des vols en cause ceux qui portent sur des moyens de paiement.

M. le Garde des Sceaux - Avis favorable.

Mme Muguette Jacquaint - J'approuve cet amendement, mais il faudrait aussi que les femmes qui ont été ainsi privées d'éléments indispensables à leur vie quotidienne puissent les récupérer sans craindre de subir à nouveau des violences ; il faudrait donc prévoir soit de les accompagner lorsqu'elles retournent à leur ancien domicile, soit de sommer l'homme violent de leur rendre leurs affaires : il nous faudra résoudre ce problème.

Mme Martine Billard - Je suis d'accord avec le rapporteur sur le principe, mais l'amendement qu'il a présenté complète un article du code pénal qui ne vise que les conjoints. Le cas des concubins et des partenaires d'un Pacs sera-t-il néanmoins couvert ? Par ailleurs, qu'en est-il du vol des papiers des enfants ?

M. le Rapporteur - Le vol entre concubins ou partenaires d'un Pacs pouvait d'ores et déjà être réprimé, alors que ce n'était pas le cas du vol entre époux.

M. Jean-Pierre Brard - Voler à quelqu'un ses papiers d'identité, c'est lui arracher son identité : c'est beaucoup plus qu'un vol. S'en tenir à cette qualification, c'est banaliser cet acte, qui a quelque chose d'un crime - mais je ne sais pas comment traduire cela dans la loi.

L'amendement 18, mis aux voix, est adopté, et l'article 2 bis est ainsi rédigé.

ART. 3

L'article 3, mis aux voix, est adopté.

ART. 4

M. le Rapporteur - Cet article concerne le viol entre époux, reconnu pour la première fois par la Cour de cassation il y a une quinzaine d'années, sans pour autant que la jurisprudence soit constante. Notre amendement 19 rectifié vise à aller au-delà de la reconnaissance légale de ce viol, en considérant comme circonstance aggravante le fait que celui-ci soit commis par le conjoint, le concubin ou le partenaire d'un Pacs. Il ne serait pas logique de ne prévoir cette circonstance aggravante que pour des infractions moins graves.

Par simple cohérence et afin de montrer l'importance qu'il convient de donner à l'acte législatif fixant désormais dans la loi la notion de viol entre époux, cet amendement me semble particulièrement nécessaire.

Mme la Ministre déléguée - Avis favorable car il importe en effet de donner un fondement légal à la jurisprudence de la Cour de cassation. Un mari ivre qui ne respecte pas sa femme au point de la frapper encourt les peines prévues pour violences conjugales. Ne serait-il pas paradoxal d'accepter que s'il la viole après l'avoir battue, aucune aggravation ne soit prévue ? Tout comme une dispute ne rend pas les violences entre conjoints admissibles, l'existence de relations sexuelles passées et régulières ne rend pas le viol admissible. Dans les deux cas, la qualification doit être aggravée car outre l'atteinte portée à la victime, les viols et les violences constituent une rupture de confiance et de respect mutuel. En outre, ces faits sont commis le plus souvent de façon répétée sur une victime que sa proximité avec l'auteur des faits rend particulièrement vulnérable, celle-ci étant incapable de révéler le calvaire qu'elle subit. Cet amendement témoigne qu'en cas de viol, la circonstance aggravante est liée à la qualité de la victime.

Mme Muguette Jacquaint - Je suis favorable à cet amendement mais il faudra considérablement améliorer les conditions d'accueil des femmes lorsqu'elles viendront porter plainte. Il a été très difficile de faire reconnaître le viol comme un crime. Qu'en sera-t-il lorsque des femmes se présenteront dans des commissariats pour dénoncer leur viol par leur époux ? Elles ne devront pas être accueillies par un petit sourire, mais par des personnels correctement formés.

L'amendement 19 rectifié, mis aux voix, est adopté et l'article 4 est ainsi rédigé.

M. le Président - La Conférence des présidents a décidé que l'examen de la présente proposition de loi se poursuivra au début de la première séance du jeudi 15 décembre.

En conséquence, la suite du débat est renvoyée à la première séance du jeudi 15 décembre.

FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le Président - L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au jeudi 19 janvier inclus a été fixé ce matin en Conférence des présidents. Il sera annexé au compte rendu de la présente séance.

Par ailleurs, la Conférence des présidents propose d'inscrire à l'ordre du jour complémentaire, le mercredi 14 décembre, après les questions au Gouvernement, la proposition de résolution de M. Michel Bouvard tendant à exprimer le soutien de l'Assemblée au Gouvernement pour la négociation européenne sur les taux de TVA. Il n'y a pas d'opposition ? Il en est décidé ainsi.

Prochaine séance, cet après midi, à 15 heures.

La séance est levée à12 heures 50.

                      La Directrice du service
                      du compte rendu analytique,

                      Catherine MANCY

A N N E X E
ORDRE DU JOUR

L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra du mardi 13 décembre 2005 au jeudi 19 janvier 2006 inclus a été ainsi fixé :

MARDI 13 DÉCEMBRE

                  matin (9 h 30) :

- Discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple (nos 2219-2726).

(Séance d'initiative parlementaire)

                  après-midi (15 heures) :

- Déclaration du Gouvernement préalable au Conseil européen des 15 et 16 décembre 2005 et débat sur cette déclaration ;

- Discussion du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif à certaines questions immobilières (nos 2626-2711) ;

(Ce texte faisant l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en application de l'article 107)

- Discussion du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sur l'Office franco-allemand pour la jeunesse (nos 2630-2712) ;

(Ce texte faisant l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en application de l'article 106)

- Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la sécurité et au développement des transports (nos 2604-2723-2733).

                  soir (21 h 30) :

- Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la sécurité et au développement des transports (nos 2604-2723-2733).

MERCREDI 14 DÉCEMBRE

                  après-midi (15 heures) :

- Questions au Gouvernement ;

- Discussion de la proposition de résolution de M. Michel BOUVARD tendant à exprimer le soutien de l'Assemblée nationale au Gouvernement dans la négociation européenne sur les taux réduits de TVA (E2365) (nos 2730-2747) ;

- Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la sécurité et au développement des transports (nos 2604-2723-2733).

                  soir (21 h 30) :

- Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la sécurité et au développement des transports (nos 2604-2723-2733).

JEUDI 15 DÉCEMBRE

                  matin (9 h 30) :

- Suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple (nos 2219-2726) ;

- Discussion de la proposition de loi, modifiée par le Sénat, relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d'un immeuble (no 2599).

(Séance d'initiative parlementaire)

                  après-midi (15 heures) :

- Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif aux offres publiques d'acquisition (nos 2612-2727).

                  soir (21 h 30) :

- Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif aux offres publiques d'acquisition (nos 2612-2727).

MARDI 20 DÉCEMBRE

                  matin (9 h 30) :

- Questions orales sans débat.

                  après-midi (15 heures) :

- Questions au Gouvernement ;

- Eventuellement, discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi de finances pour 2006 ;

- Discussion du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (nos 1206-2349).

                  soir (21 h 30) :

- Suite de la discussion du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (nos 1206-2349).

MERCREDI 21 DÉCEMBRE

                  après-midi (15 heures) :

- Questions au Gouvernement ;

- Suite de la discussion du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (nos 1206-2349).

                  soir (21 h 30) :

- Suite de la discussion du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (nos 1206-2349).

JEUDI 22 DÉCEMBRE

                  matin (9 h 30) :

- Eventuellement, discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers ;

- Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi d'orientation agricole (no 2669) ;

- Eventuellement, discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi de finances rectificative pour 2005 ;

- Eventuellement, discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi relatif à la sécurité et au développement des transports.

                  après-midi (15 heures) :

- Eventuellement, discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers ;

- Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi d'orientation agricole (no 2669) ;

- Eventuellement, discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi de finances rectificative pour 2005 ;

- Eventuellement, discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi relatif à la sécurité et au développement des transports.

MARDI 17 JANVIER

                  matin (9 h 30) :

- Questions orales sans débat.

                  après-midi (15 heures) :

- Questions au Gouvernement ;

- Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif au volontariat associatif et à l'engagement éducatif (no 2332).

                  soir (21 h 30) :

- Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif au volontariat associatif et à l'engagement éducatif (no 2332).

MERCREDI 18 JANVIER

                  après-midi (15 heures) :

- Questions au Gouvernement ;

- Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, portant engagement national pour le logement (no 2709).

                  soir (21 h 30) :

- Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, portant engagement national pour le logement (no 2709).

JEUDI 19 JANVIER

                  matin (9 h 30) :

- Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, portant engagement national pour le logement (no 2709).

                  après-midi (15 heures) :

- Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, portant engagement national pour le logement (no 2709).

                  soir (21 h 30) :

- Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, portant engagement national pour le logement (no 2709).

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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