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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2005-2006 - 48ème jour de séance, 108ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 21 DÉCEMBRE 2005

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

UNEDIC ET DIALOGUE SOCIAL 2

RÉFORME FISCALE 2

PERMANENCE DES SOINS 3

LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ 4

CRISE VITICOLE 5

CHANGEMENT CLIMATIQUE 5

TAXE SUR LE RECYCLAGE DES VÊTEMENTS 6

DÉCLARATIONS DE REVENUS PRÉREMPLIES 7

EMPLOI DES SENIORS 8

DÉFICIT BUDGÉTAIRE 9

OMC 10

PÔLES DE COMPÉTITIVITÉ 10

CONVOCATION D'UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE 12

DROIT D'AUTEUR DANS LA SOCIÉTÉ DE L'INFORMATION (suite) 12

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 34

La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

UNEDIC ET DIALOGUE SOCIAL

M. Philippe Folliot - Depuis la création de l'assurance chômage en 1958, les droits des chômeurs et les taux de cotisations ont varié selon la bonne ou mauvaise santé des comptes de l'UNEDIC. Je tiens aujourd'hui à saluer, au nom de l'UDF, très attachée au paritarisme, le sens des responsabilités de ceux des partenaires sociaux qui sont restés autour de la table des négociations pour trouver un accord difficile, qui demande à tous, salariés, entreprises et chômeurs, un effort. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF) Cet accord est d'autant plus difficile à trouver que les marges de manœuvre de l'UNEDIC sont nulles, son déficit prévisionnel étant estimé à près de 15 milliards d'euros cumulés. Les négociations actuelles qui visent à dégager quelque 2,4 milliards, bien que représentant un pas important, ne permettront pas de résoudre le financement à long terme du régime, dans la dérive des comptes duquel l'Etat porte une part de responsabilité... Le système actuel est à bout de souffle : les partenaires sociaux ont d'ailleurs décidé de le remettre à plat en 2006. L'UDF propose depuis longtemps d'affecter à l'UNEDIC de nouvelles ressources, par exemple une TVA sociale...

M. le Président - Quelle est votre question ?

M. Philippe Folliot - Quelles sont, Monsieur le ministre délégué à l'emploi, vos pistes de réflexion à ce sujet ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Jean-Pierre Brard - Plus que des pistes, il faudrait des actes !

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes - Je le redis de la manière la plus solennelle, le Gouvernement partage votre confiance dans les partenaires sociaux. Il s'agit aujourd'hui pour eux de trouver un accord responsable, facilitant le retour vers l'emploi. Le régime d'assurance chômage est un haut lieu d'exercice du paritarisme, où se traduit la vitalité du dialogue social entre les entreprises et les représentants des salariés, et nous croyons au paritarisme. (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean-Pierre Brard - C'est un conte de Noël !

M. le Ministre délégué - Il est normal que les partenaires sociaux prennent le temps de négocier, pour lever certaines interrogations. Plusieurs de leurs objectifs rejoignent ceux fixés par le Premier ministre, comme la sécurisation des parcours professionnels, que celui-ci évoquait la semaine dernière devant la commission nationale de la négociation collective. Nous nous réjouissons que cette priorité fasse aujourd'hui l'objet d'un accord entre les partenaires sociaux. Alors que la négociation doit se poursuivre demain autour du régime général et des annexes VIII et X, vous comprendrez que je ne fasse pas aujourd'hui davantage de commentaires. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Faire confiance aux partenaires sociaux et au paritarisme, c'est respecter leur dialogue. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF)

RÉFORME FISCALE

M. Maxime Gremetz - Monsieur le Premier ministre, une étude sérieuse publiée début décembre montre que votre réforme fiscale profitera aux 117 000 contribuables les plus aisés, qui y gagneront 1,4 milliard d'euros d'allègements au titre de l'impôt sur le revenu et de l'impôt de solidarité sur la fortune, tandis que l'immense majorité de nos concitoyens n'y gagnera rien. Certains y perdront même, comme les couples mariés avec deux enfants dont le revenu annuel est inférieur ou égal à 25 000 euros, allant y perdre.

Plusieurs députés socialistes et communistes - Scandaleux !

M. Maxime Gremetz - Cette étude montre également que votre réforme de l'épargne ne concerne qu'un public restreint de nantis (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) en maximisant les profits retirés de l'épargne en actions. En effet, depuis 2003, le taux du livret A, le produit d'épargne pourtant le plus populaire avec 42 millions de souscripteurs, a été ramené de 3 % à 2 %. Vous avez de même décidé de rendre imposables à l'impôt sur le revenu les intérêts des plans d'épargne logement détenus depuis plus de douze ans, mesure emblématique quand, d'un autre côté, vous exonérez les plus-values sur les ventes d'actions détenues depuis huit ans.

Cette réorientation systématique de l'épargne vers les placements en actions est non seulement injuste mais nuisible pour notre économie. Les fonds de placement opèrent en effet une pression destructrice sur l'emploi, sur les salaires et les investissements productifs. Ils sont la première cause des restructurations et de la multiplication des plans sociaux.

Allez-vous oser continuer cette politique de classe, qui accorde toujours plus de cadeaux aux plus riches et au Medef, au détriment des millions de Français qui vivent de plus en plus mal ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat - Je ne suis pas sûr que nous ayons débattu du même budget, Monsieur Gremetz, car dans celui que nous proposons, 75 % du produit de la baisse de l'impôt sur les revenus vont aux revenus moyens et modestes !

Puisque vous m'avez cité une étude, permettez-moi de vous en citer une autre, qui devrait vous intéresser. Elle montre que 72 % des sympathisants communistes approuvent la réforme de la baisse de l'impôt sur le revenu. (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) De temps en temps, il faut écouter sa base, Monsieur Gremetz ! (Rires sur les bancs du groupe UMP)

M. Maxime Gremetz - Vous ne cessez de mentir à l'opinion !

M. le Ministre délégué - Enfin, je vous invite à bien regarder ce que vous allez signer, car je sais qu'en ce moment, vous discutez d'un programme commun avec les socialistes. (« Non ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Alors, faites attention parce que parmi les signataires du parti socialiste, il risque d'y avoir M. Fabius, qui avait baissé de 14 %, lorsqu'il était ministre des finances, l'impôt de ceux que vous appelez les plus riches - dont nous avons d'ailleurs besoin, comme nous avons besoin de tous les Français. Maintenant, il est plus à gauche que vous, mais à l'époque, ce n'était pas si clair ! Regardez donc bien ce que vous signez ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Maxime Gremetz - C'est scandaleux ! Vous persiflez, vous ne répondez pas.

PERMANENCE DES SOINS

M. Marc Bernier - Monsieur le ministre de la santé, s'il est un service auquel les Français sont attachés, c'est bien celui de la médecine de proximité, qui leur offre l'assurance de bénéficier de soins de qualité à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. Mais dans les zones déjà déficitaires en offre de soins, le rythme des gardes dissuade les jeunes praticiens de s'installer. Pour y remédier, un certain nombre de mesures ont été prises et plusieurs rapports rendus, dont celui que j'avais moi-même rédigé sur l'égalité des citoyens devant l'offre de soins.

Vous avez souhaité faire évoluer l'organisation de la permanence des soins, Monsieur le ministre, en donnant plus de souplesse aux acteurs locaux. Par ailleurs, l'avenant numéro 4 de la convention médicale de juin dernier a revalorisé la rémunération des médecins généralistes soumis à des astreintes dans le cadre d'une garde. Des difficultés demeurent cependant dans l'organisation et le financement par le Fonds d'aide des dispositifs de permanence, qu'il s'agisse de la régulation ou des maisons médicales de garde.

Quel bilan tirez-vous donc, Monsieur le ministre, de la politique de permanence de soins que vous conduisez et quelles en sont les perspectives, s'agissant notamment du FAQSV ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités - Concernant la permanence des soins, les choses vont mieux depuis un an, mais elles peuvent encore s'améliorer.

J'ai reçu lundi soir tous les acteurs concernés - les hospitaliers, en particulier les urgentistes, les syndicats libéraux, le Conseil de l'Ordre, l'assurance maladie - pour faire le point. La permanence des soins est un droit, notre rôle est de l'organiser. A la fin du mois de décembre, 99 départements sur 100 l'auront mise en place. Mais il y a des endroits où les maisons médicales de garde ne peuvent continuer à fonctionner faute de financements, et ce malgré les crédits votés par le Parlement pour le FAQSV. On constate que 30 millions d'euros n'ont toujours pas été dépensés en cette fin d'année. C'est donc que le système ne fonctionne pas assez bien, et j'ai donc demandé à l'assurance maladie de financer ces maisons. Si nous n'obtenons pas satisfaction, il nous faudra modifier les règles de fonctionnement.

Autre problème : le samedi après-midi. Là encore, si l'assurance maladie ne finance pas, je suis prêt à faire évoluer le décret pour que les gardes médicales puissent aussi être payées ce jour-là. La permanence des soins n'est pas seulement un droit, elle doit aussi être une réalité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ

M. François Dosé - Avant-hier, Monsieur le Premier ministre, vous avez promis une année 2006 utile à l'ensemble des Français. Nous sommes tous sensibles à cet objectif, qui doit consister à conjuguer la réussite économique avec le développement social. Malheureusement, les Français constatent que nous ne sommes ni au rendez-vous de l'efficacité économique, ni à celui des solidarités.

En 2005, le chômage a certes légèrement baissé, mais les licenciements économiques ont augmenté et le différentiel s'adosse essentiellement aux emplois d'insertion. En 2005, le nombre de Rmistes a progressé de 5 %, et plus encore dans les territoires déjà les plus pauvres. Les collectivités territoriales modestes seront vraiment exsangues si l'Etat ne compense pas à l'euro près, comme dirait M. Copé, les nouvelles contributions liées au RMI. En 2005, la loi a prévu un effort de 240 millions d'euros pour six millions de bénéficiaires de minima sociaux - soit l'équivalent de la ristourne dont bénéficieront 13 000 redevables de l'ISF !

Le nombre des créances irrécouvrables et des abandons de créance augmente, comme les aides alimentaires et de multiples autres sollicitations, telles que les fonds d'aide pour honorer les dépenses d'énergie. La détresse impose une mobilisation : je ne vous interrogerai pas, Monsieur le Premier ministre, sur votre action passée ou votre volonté politique, mais sur la capacité financière de l'Etat, au lendemain de la loi de finances, à mettre en œuvre les initiatives nécessaires. Comment allez-vous conjuguer le mieux-disant social avec un endettement qui s'accélère et une politique fiscale largement favorable aux contribuables les plus aisés ? Pourrons-nous dire que 2006 aura été une année utile pour les Français, particulièrement les plus modestes ?

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille - (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste) Vous avez raison, Monsieur Dosé : en matière de lutte contre la pauvreté, il faut savoir faire preuve d'humilité. Cependant, il faut aussi de l'ambition - celle qui vous a tant manqué pendant cinq ans... (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) ...tant et si bien que, malgré une période de croissance exceptionnelle due à la conjoncture internationale, le nombre de bénéficiaires du RMI et de l'API n'a cessé d'augmenter ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

M. Augustin Bonrepaux - Dites-nous plutôt ce que vous allez faire !

M. le Ministre délégué - Vous manquez sans doute de mémoire, mais les Français s'en sont souvenus en 2002 ! Non, Monsieur Dosé : nous n'avons pas la même politique ! Notre objectif n'est pas de maintenir les titulaires de minima sociaux sous assistance respiratoire, mais de les en sortir !

M. Augustin Bonrepaux - C'est cela, le Gouvernement ?

M. le Ministre délégué - Vous pouvez avoir des remords : c'est nous qui avons fait le RMA, le contrat d'avenir et le contrat d'accompagnement vers l'emploi (Vives interruptions sur les bancs du groupe socialiste). C'est nous qui avons doublé le nombre de logements sociaux, que vous aviez fait baisser ! (« Minable ! » sur les bancs du groupe socialiste) Mesdames et Messieurs les députés de l'opposition, vous n'avez décidément pas de leçons à donner en matière de lutte contre la pauvreté ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste) Nous renforçons les droits pour l'accès à l'emploi : c'est une politique d'équilibre entre les droits et les devoirs. Voilà ce que c'est que de lutter utilement contre la pauvreté ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

CRISE VITICOLE

M. Hervé Mariton - La viticulture française est en crise ; nombreux sont les vignerons qui en souffrent. Chacun sait que l'Etat ne peut y répondre seul, mais les vignerons doivent être entendus et soutenus. Leur demande est simple : quelle réponse le Gouvernement apportera-t-il à l'urgence de leurs besoins ?

Plusieurs députés socialistes - Aucune !

M. Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement - Le Gouvernement est bien conscient de l'ampleur de la crise viticole qui touche presque tous les bassins de production - le Premier ministre a d'ailleurs reçu hier, en présence de M. Bussereau, une délégation nationale de viticulteurs. La gravité de la crise avait conduit le Gouvernement à prendre, dès le mois de mai, des mesures exceptionnelles de soutien à la filière, que M. Bussereau a complétées le 9 décembre lors de son déplacement dans le Gard. Plus de 45 millions d'euros ont ainsi été mobilisés pour soutenir les exploitations en difficulté, auxquels s'ajoutent 70 millions sous forme de prêts de consolidation. Le Premier ministre a appelé les viticulteurs à souscrire à la distillation « alcool de bouche » afin de permettre le retour à l'équilibre du marché.

M. Jacques Desallangre - Ça s'arrose !

M. le Ministre délégué - M. Bussereau transmet en ce moment même à Bruxelles une demande complémentaire de distillation exceptionnelle aux autorités européennes.

Afin, comme l'a demandé le Premier ministre, de s'inscrire résolument dans une logique de résultat, il faut mettre en œuvre sans délai la stratégie de reconquête des marchés internationaux définie en 2004. Enfin, les comités de bassin seront suivis par un coordinateur qui rendra compte de leurs travaux au ministre de l'agriculture. Avec les organisations représentatives de la filière, celui-ci poursuivra son effort afin de s'attaquer aux causes structurelles de la crise en maîtrisant la production, en s'adaptant à l'évolution du goût des consommateurs et en renforçant la spécificité des appellations d'origine - qui, à la demande de la France, ont été renforcées lors de la conférence de l'OMC. Ce n'est pas à vous que nous le devons, Mesdames et Messieurs de l'opposition !

Soyez assuré, Monsieur Mariton, que le Gouvernement est déterminé à mettre en œuvre des réponses adaptées à chaque région tout en développant une stratégie nationale pour notre viticulture et en accroissant les efforts de promotion à l'exportation pour retrouver les parts de marché perdues.

CHANGEMENT CLIMATIQUE

M. Richard Cazenave - Nul ne conteste plus désormais la relation de cause à effet entre les activités humaines et les changements climatiques. La France, notamment par la voix de son président, milite activement sur la scène internationale pour inverser cette tendance. Elle était présente à Rio en 1992, à Kyoto en 1997 et fait partie des pays pionniers qui ont permis, le 16 février dernier, l'entrée en vigueur du protocole de Kyoto. L'objectif de celui-ci est très ambitieux : réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre avant 2050, et les diviser par quatre pour les pays industrialisés. On ne pourra l'atteindre que si tous les pays respectent cet engagement. Or, les Etats-Unis, pourtant gros contributeurs à l'effet de serre...

M. Jacques Desallangre - C'est le plus gros pollueur !

M. Richard Cazenave - ...et certains pays émergents comme la Chine ou l'Inde n'ont pas signé ce protocole.

La conférence de Montréal, très attendue, devait garantir le respect des engagements souscrits et instaurer un dispositif de vérification des actions de chaque pays. Quels en sont les résultats ? Les pays émergents et les Etats-Unis seront-ils désormais partie prenante des futurs engagements internationaux en la matière ?

Mme Nelly Olin, ministre de l'écologie et du développement durable - La conférence de Montréal a en effet permis de franchir un cap important dans la mobilisation de la communauté internationale. La France, contrairement à plusieurs pays industrialisés, est très respectueuse du protocole de Kyoto : nos émissions de gaz à effet de serre sont en dessous du niveau de 1990. Nous avions trois objectifs pour cette conférence. D'abord, assurer la mise en œuvre du protocole de Kyoto et faire approuver les accords de Marrakech. Cela a été fait.

M. Maxime Gremetz - Par qui ?

Mme la Ministre - Le second objectif était d'enclencher le mécanisme de développement propre, qui permet à un pays industrialisé d'acquérir des crédits carbone en réalisant un investissement en technologie propre dans un pays en voie de développement. Il a lui aussi été atteint, et il faut noter que chacun a participé financièrement. Enfin, il fallait fixer les objectifs de l'après 2012. Pour l'instant, seuls les pays industrialisés ont pris des engagements de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre.

M. Maxime Gremetz - Le père Bush n'a pas dit ça ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Mme la Ministre - Or, il faut que tous les pays prennent de tels engagements, y compris les pays émergents et ceux qui n'ont pas signé le protocole de Kyoto. Des négociations soutenues avec les représentants de différents pays comme les Etats-Unis, l'Inde et le Brésil nous ont permis de promouvoir notre position et un accord a pu être trouvé à la fin de la conférence.

M. Maxime Gremetz - Avec qui ?

Mme la Ministre - Avec les Etats-Unis et les pays émergents. Il faut donc engager un dialogue sur les approches stratégiques, dans le cadre d'une collaboration mondiale.

M. le Président - Madame la ministre, il faut conclure...

Mme la Ministre - Une série d'ateliers recensera les solutions proposées par les différents pays. Nous pouvons nous réjouir d'avoir atteint un accord qui rallie l'ensemble des membres de la convention-cadre sur le climat, c'est-à-dire les Etats-Unis et les pays émergents. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) C'est une avancée importante (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

TAXE SUR LE RECYCLAGE DES VÊTEMENTS

Mme Marylise Lebranchu - La question que je veux poser sera consensuelle, car je pense que la fin d'année peut aussi être la fête républicaine du respect de l'autre et de la dignité. Mais justement, à ce propos, je dois faire deux remarques. La première est qu'il est vraiment terrible d'entendre un ministre répondre aujourd'hui à une question sur le RMI en se basant sur des chiffres d'avant 2002 et en adoptant un ton extrêmement polémique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) La seconde est que l'un de nos collègues de l'UMP vient de demander la mise sous tutelle du maire de Clichy. Cela aussi est indigne de la politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Monsieur Bas, si vous avez évoqué les résultats de 2002, c'est peut-être parce que vous vous réjouissiez d'être revenus au pouvoir, mais rendez-vous compte que si les gens ne vont plus voter, ou vont voter aux extrêmes... (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) c'est aussi parce qu'on oublie parfois que l'Assemblée nationale est le lieu du débat démocratique et du respect des autres (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) et que le respect des idées fait partie des fondements de la République française. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Pour en venir à ma question donc, le ministre du Budget a fait une ouverture intéressante au Sénat, concernant la taxe sur le recyclage des vêtements, dite taxe Emmaüs. Le textile représente 30 milliards de chiffre d'affaires, et la taxe entre 10 et 40 millions. Nous savons qu'il n'y a pas d'obstacle technique, puisque cela existe pour d'autres secteurs, comme celui des farines animales. L'amendement Emmaüs permettrait d'œuvrer pour le développement durable, car il permet de recycler du textile, mais aussi de créer des emplois d'insertion dans la dignité, occupés par des personnes fières de participer à cette œuvre. Confirmez-vous que la taxe sera mise en œuvre le 1er janvier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat - Madame, entre M. Bas et vous, je ne sais pas lequel a été... la plus polémique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste) Pour le reste, il me semble comme à vous que la taxe Emmaüs est une question essentielle qui dépasse les clivages politiques. Elle engage notre devoir de solidarité, et c'est la raison pour laquelle j'ai déjà fait des ouvertures à plusieurs reprises sur le sujet. Il me semble toutefois qu'il y a eu dans cette affaire un problème de forme et un problème de fond.

Sur la forme, il me semble regrettable de vouloir créer une taxe sans même l'évoquer avec les ministres des finances et du budget, mais surtout de prétendre taxer un secteur entier de l'économie sans jamais rencontrer ses responsables. Cela s'éloigne de ma conception de la démocratie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Sur le fond, j'appelle votre attention sur le fait que le secteur textile est un de ceux qui se bat le plus courageusement contre les dangers de la mondialisation. Nous sommes tous responsables de la préservation des emplois, dans tous les secteurs économiques et dans tous les territoires. Alors, on dit qu'on va taxer les méchants distributeurs, parce qu'il faut trouver un méchant... (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Christian Paul - Quelle médiocrité !

M. le Ministre délégué - Mais c'est aussi s'exposer à ce qu'ils répercutent la charge sur les producteurs. A la fin, ce sont toujours les mêmes qui payent.

Vous ayant dit tout cela, je répète que la porte reste grand ouverte. Nous devons travailler tous ensemble, de manière concertée, et trouver la meilleure formule pour améliorer encore la solidarité nationale. Et nous pouvons commencer dès janvier ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

DÉCLARATIONS DE REVENUS PRÉREMPLIES

M. Jean-Marie Binetruy - Depuis 2002, les gouvernements ont fait de gros efforts pour améliorer les relations entre l'administration et les administrés (« Ah ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Pour faciliter l'accès aux services administratifs, simplifier les relations avec l'administration ou améliorer l'accueil, plusieurs moyens ont été employés : je pense, entre autres, à la charte Marianne ou aux diverses initiatives de MM. Dutreil ou Woerth. De nombreuses mesures ont notamment visé l'information des contribuables et leurs relations avec les services des impôts. Ainsi, le développement des services électroniques, et surtout les déclarations en ligne, ont connu un grand succès. Une charte du contribuable a aussi été élaborée, qui repose sur trois principes : simplicité, équité et respect.

Cette année, vous avez expérimenté la déclaration préremplie dans le département de l'Ille-et-Vilaine. Elle a rencontré un formidable succès : les contribuables y sont favorables à 85 % ! Vous avez récemment annoncé sa généralisation, qui soulagerait nos concitoyens d'une obligation fastidieuse. Pouvez-vous nous préciser les modalités de l'opération et son calendrier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Pierre Brard - Ce n'est pas ça qui remplira les assiettes !

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat - Parallèlement à notre programme de baisse des impôts, nous avons essayé d'améliorer les relations entre l'administration fiscale et le contribuable. Il fallait d'abord mettre fin à certaines bizarreries. Ainsi, il n'y a plus deux poids et deux mesures : l'Etat créancier et l'Etat débiteur payent le même taux d'intérêt ! Il fallait aussi développer l'idée que le contribuable qui paye ses impôts est un client du service public : comme le client est roi, c'est le service public qu'il faut améliorer !

Cette année, le contribuable recevra une déclaration préremplie par l'administration fiscale concernant ses salaires, retraites et indemnités journalières. La formule a été testée - et elle a un supporter enthousiaste en la personne du président Méhaignerie, puisque l'Ille-et-Vilaine a connu un taux de satisfaction remarquable ! Les déclarations arriveront au mois de mai plutôt qu'en mars. Cette amélioration du service public est due à la qualité de notre administration. Il est bon de rappeler que dans ce domaine, la modernisation, c'est tous les jours ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Je vois que le président Méhaignerie est effectivement très enthousiaste ! (Sourires)

EMPLOI DES SENIORS

M. Jean-Marie Rolland - Nous sommes tous mobilisés pour l'emploi. Nous avons mis en œuvre le plan de cohésion sociale et le plan de développement des services de la personne, créé les maisons de l'emploi, redynamisé l'apprentissage et institué le contrat nouvelles embauches. Les seniors, toutefois, continuent à rencontrer des difficultés particulières. Ils ressentent durement l'obligation de cesser leur activité alors qu'ils ont le sentiment d'être encore utiles à la société. Le plan de cohésion sociale comportait un volet spécifique sur l'emploi des seniors et prévoyait le lancement de négociations avec les partenaires sociaux, qui ont abouti le 13 octobre à un projet d'accord. Où en est-on ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes - Le 13 octobre, les partenaires sociaux ont en effet arrêté un projet d'accord extrêmement important, qui marque une rupture pour les plus de 50 ans. Nous sommes un des pays de l'Union européenne où le taux d'activité des plus de 55 ans est le plus faible. Trop longtemps, et dans un consensus général, nous avons fait de l'âge la variable d'ajustement de nos plans sociaux. Le Gouvernement accompagnera bien entendu l'accord qui va être signé dans quelques jours, au travers d'un plan national d'action que le Premier ministre présentera au début de février. Le projet d'accord des partenaires sociaux sera absolument respecté dans les domaines législatif et réglementaire : c'est l'esprit même du paritarisme.

Nous avons mis en place un groupe de travail pour préparer le plan national d'action, auquel les présidents des commissions des affaires sociales de l'Assemblée, du Sénat et du Conseil économique et social participeront. Il faudra réfléchir au maintien dans l'emploi - gestion prévisionnelle, formation tout au long de la vie -, aux conditions de travail, au retour vers l'emploi - le régime d'assurance chômage en est un point essentiel, mais aussi le contrat de progrès Etat-ANPE - et enfin à l'aménagement de la fin des carrières - temps partagé, cumul emploi-retraite, tutorat. Il faudra aussi sensibiliser les entreprises et l'ensemble de nos concitoyens au fait que les seniors sont une chance pour notre économie et notre cohésion sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

DÉFICIT BUDGÉTAIRE

M. Didier Migaud - Monsieur le ministre de l'économie et des finances, pourquoi prenez-vous tant de liberté avec la vérité ? A moins que ce ne soit devenu un sport gouvernemental ? Après avoir salué le caractère pluraliste de la commission Pébereau, vous avez donné hier une lecture politicienne de ses conclusions ! Vous vous dites préoccupé par le poids de la dette : mais alors pourquoi poursuivez-vous une politique qui l'aggrave considérablement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) La dette était de 58,5 % de la richesse nationale en 1997, de 56,2 % fin 2001 et de près de 66 % aujourd'hui ! Vous reprochez la dette aux socialistes, mais c'est depuis 2002 qu'elle explose ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Vous nous reprochez le poids excessif de la dépense publique, mais il a baissé entre 1997 et 2001 et il a remonté depuis ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Vous niez de la tête, Monsieur le ministre, mais ce sont les chiffres de votre ministère !

Le gouvernement Jospin a montré qu'il était possible de mener des politiques de croissance, d'emploi et de solidarité (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) sans dégrader les comptes publics. Vous invoquez toujours la croissance, mais elle est plus forte aujourd'hui, dans le monde, qu'à l'époque ! Vous aimez vous attarder sur le passé, Monsieur le ministre, mais vous êtes comptable du présent et des décisions que vous prenez. Vous menez une politique qui étouffe la croissance et hypothèque l'avenir en dégradant nos comptes. Il reviendra au gouvernement issu des élections de 2007 de réparer les dégâts de votre gestion injuste et imprévoyante.

« Faites ce que je dis, mais surtout pas ce que je fais » ! La commission Pébereau recommande de ne pas baisser les impôts, mais vous proposez six milliards de réductions pour 2007 ! C'est électoraliste et irresponsable. Comment réduirez-vous alors la dette ? Par quels impôts, pesant sur l'ensemble des Français, allez-vous compenser une baisse ciblée pour les plus aisés ? Pourquoi présentez-vous un budget qui alourdit encore le déficit ? Comment pouvez-vous mener une politique totalement contraire à votre discours, et aux intérêts de la France et des Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - L'honneur de ce gouvernement,...

M. François Hollande - L'honneur perdu !

M. le Ministre - ..., c'est de se saisir des problèmes, ce que vous aviez précisément refusé de faire. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Vous nous invitez à nous aligner sur le passé, mais vous savez fort bien qu'entre 1997 et 2002, vous n'avez pas eu le courage d'ouvrir le dossier de la dette (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) à la différence d'autres gouvernements européens qui ont su profiter d'une croissance de 3 % pendant cinq ans en Europe : la dette de l'Italie a ainsi diminué de 10 %, celle de l'Angleterre de 20 %, celle des Pays-Bas de 15 %, celles de la Belgique et de l'Espagne de 20 %. (Même mouvement)

M. Augustin Bonrepaux - Répondrez plutôt à la question !

M. le Ministre - En 2002, les seuls intérêts de la dette s'élevaient à 200 milliards auxquels se sont ajoutés les 100 milliards de dépenses supplémentaires liées au financement des 35 heures. (Même mouvement) Ce gouvernement a donc décidé de ne pas augmenter les dépenses en volume et de corriger vos erreurs historiques : la retraite à 60 ans décidée de façon unilatérale, les 35 heures, les nationalisations, l'embauche de 300 000 fonctionnaires entre 1981 et 2000. (Très vives protestations sur les bancs du groupe socialiste) Le Premier ministre a décidé de convoquer une commission des finances publiques où tout le monde pourra s'exprimer. Il prendra également un engagement chiffré afin de réduire la dette dans les cinq ans qui viennent.

Croissance, emploi, réduction de la dette : tel est le triptyque de l'action gouvernementale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

OMC

M. Olivier Dassault - Trop de malentendus demeurent et la mondialisation continue de faire peur. Encore une fois, à Hong-Kong, les altermondialistes, professionnels du désordre, ont montré un visage navrant en attisant les craintes pour faire parler d'eux. La libéralisation des échanges, ne leur en déplaise, est l'un des moteurs de la croissance et l'OMC permet de négocier afin d'œuvrer à la diminution de la pauvreté dans le monde. Contrairement aux idées simplistes, un échec de l'OMC ne ferait que creuser un peu plus le fossé entre le Nord et le Sud. Un accord, en l'occurrence, a heureusement pu être conclu.

Certes, celui-ci prévoit la suppression des aides agricoles à l'exportation dès 2013, mais cette concession ne touche qu'une très faible partie de la PAC : grâce à la détermination de Mme la ministre déléguée au commerce extérieur et à M. le ministre de l'agriculture, nous avons pu protéger notre agriculture autant qu'il était possible.

Il reste que les questions concernant les services et le textile sont toujours dans l'impasse alors que ce sont des sujets sensibles, compte tenu de la présence de la Chine au sein de l'OMC. En fait, ce compromis n'est pas favorable au développement des pays émergents, il avantage plutôt les puissances régionales comme le Brésil, le Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande ou l'Argentine. Peut-on d'autre part faire raisonnablement confiance aux Américains, champions des aides déguisées, quand ils demandent d'accepter une baisse des subventions ? Nous jouons dans la même cour, mais pas avec les mêmes règles. Comment expliquer que le négociateur européen, M. Mandelson, ait cédé ? Où sont les concessions mutuelles et réciproques ? Qu'avons-nous obtenu en échange, nous, la France et l'Europe ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur - L'accord de Hong-Kong n'était pas acquis. Il n'est certes pas parfait, mais il préserve les intérêts de la France. La PAC est sauvegardée jusqu'en 2013, en parfaite cohérence avec les conclusions du dernier sommet de Bruxelles. Les autres pays, notamment les Etats-Unis, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada devront réformer toutes leurs aides, y compris celles qui sont déguisées, en vertu du principe du parallélisme de la renonciation aux aides à l'exportation.

L'accord de Hong-Kong porte également sur une série de mesures en faveur du développement. Nous avons ainsi obtenu l'extension du principe « tout sauf les armes » permettant aux pays les plus pauvres d'exporter toute leurs productions vers les pays développés sans aucun droit de douane et sans contingentement. Cela est vrai pour 97 % de leurs exportations, alors que les Etats-Unis et le Japon, quelques jours avant Hong-Kong, étaient hostiles à un tel accord. Dans le secteur du coton, des avancées ont également été réalisées pour les pays africains. Les Etats-Unis se sont engagés à renoncer à soutenir leurs exportations de coton et laisseront entrer en 2008 toutes les productions de coton venant des pays d'Afrique. Les concessions doivent maintenant être rééquilibrées, en particulier dans le domaine des produits industriels et des services. Les pays émergents, emmenés par le Brésil, devront ainsi accepter de faire des concessions en réponse à celles que nous avons proposées dans le domaine agricole.

Hong-Kong, ce fut le triomphe de la raison et de l'unité européenne. Comptez-sur Dominique Bussereau et sur moi-même : nous ne laisserons pas faire un Yalta entre les Etats-Unis et le Brésil sur le dos de l'Europe et de l'Afrique ! Nous serons vigilants et exigeants ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

PÔLES DE COMPÉTITIVITÉ

M. Sébastien Huyghe - Avant de poser cette question, qui sera la dernière de l'année, je vous souhaite à tous, ainsi qu'aux Français qui sont devant leur télévision, un joyeux Noël et de bonnes fêtes de fin d'année ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Monsieur le ministre délégué à l'aménagement du territoire, vous avez présidé hier un comité interministériel à l'aménagement et à la compétitivité des territoires dédié aux pôles de compétitivité. Je m'étais particulièrement investi dans le soutien au pôle « Nutrition Santé Longévité »...

M. Jean-Pierre Brard - C'est de l'auto promotion !

M. Sébastien Huyghe - ...qui répond à des problématiques de santé publique touchant notamment la population du Nord-Pas-de-Calais. J'avais également appuyé avec force le pôle « Industries du Commerce », particulièrement innovant, dont l'un des objectifs consiste à faire de la métropole lilloise la Silicon Valley du commerce et de la distribution. Vous avez d'ailleurs pu vous rendre compte vous-même, lors de votre déplacement dans le Nord, le 1er septembre dernier, de l'importance de ces deux pôles pour Lille et sa région. Vous avez également pu constater l'implication dans ces dossiers des milieux économiques, de la chambre de commerce Lille-Métropole, du monde universitaire et de la recherche.

Cependant, les contrats-cadres de ces deux pôles n'avaient pu être validés lors du CIACT du 14 octobre dernier. Le sont-ils à présent ? Pouvez-vous confirmer que les allègements de charges liés aux investissements de recherche et développement ainsi que les financements annoncés seront au rendez-vous ? Pouvez-vous, enfin, faire un bilan d'étape de cette politique gouvernementale de développement et d'attractivité de notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Permettez-moi d'associer toute l'Assemblée nationale ainsi que le Gouvernement aux vœux que vous venez de formuler à l'égard des téléspectateurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire - Puisque je suis le dernier membre du Gouvernement à m'exprimer à la veille des fêtes de fin d'année, permettez-moi de présenter à mon tour les meilleurs vœux du Gouvernement aux Françaises et aux Français qui nous regardent. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Les pôles de compétitivité constituent, Monsieur le député Huyghe, une grande ambition pour le pays. Pour la première fois, nous avons réussi à décloisonner l'université, la recherche publique et privée et l'innovation industrielle pour créer de formidables synergies entre tous les acteurs, publics et privés. L'Etat engage un milliard et demi, dans ces opérations, et puisque Mme Lebranchu nous a invités à être consensuels, je reconnais bien volontiers que les collectivités territoriales dirigées par toutes les forces représentées sur ces bancs contribuent de manière non négligeable à la réussite des pôles. Le Premier ministre m'a demandé hier de présider un CIACT pour valider neuf pôles supplémentaires : sur les 66 sites labellisés le 12 juillet dernier, 64 disposent déjà de leur contrat cadre et de leur système de gouvernance. Tous les moyens sont définitivement engagés, même si quelques ajustements restent nécessaires pour simplifier certains mécanismes. Avec Nicolas Sarkozy,... (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean-Pierre Brard - Que vient-il faire là ?

M. le Ministre délégué - ...nous avons fait plusieurs propositions en ce sens au Premier ministre, et un nouveau CIACT se réunira début février pour proposer les indispensables simplifications.

Vous qui avez, avec d'autres parlementaires du Pas-de-Calais, défendu plusieurs pôles importants en matière de nutrition, de santé, de longévité, d'industries de transport ferroviaire et de commerce, vous pouvez constater que le Gouvernement n'a pas perdu une seconde pour se mettre au service de l'emploi et de la compétitivité de nos territoires. C'est notre honneur que d'avoir su réveiller une sorte de génie français, qui avait dû finir par s'assoupir ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement. Bonne année à tous !

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 20, sous la présidence de M. Bur .

PRÉSIDENCE de M. Yves BUR

vice-président

CONVOCATION D'UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre un courrier m'informant qu'il demande la réunion d'une commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2005.

DROIT D'AUTEUR DANS LA SOCIÉTÉ DE L'INFORMATION (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information.

M. Christian Paul - Rappel au Règlement. Le groupe socialiste n'a pris connaissance que ce matin de l'amendement 228 présenté par le Gouvernement après l'article 14. Il est profondément choquant que cet amendement, présenté comme une première en Europe, sinon dans le monde, et qui restera dans l'histoire comme « l'amendement Donnedieu de Vabres », nous soit communiqué aussi tardivement. La commission des lois ne l'a pas examiné, comme me le confirme M. Bloche. Les ersatz de concertation qui ont eu lieu depuis ces dernières semaines n'ont pas permis le débat.

Cet amendement dessaisit le juge de son rôle dans l'appréciation des infractions au droit d'auteur et des poursuites à engager à l'encontre des internautes, ce qui est particulièrement préoccupant. Son pouvoir est transféré à une autorité administrative - laquelle reste d'ailleurs à créer. En raison de l'extrême gravité de ces propositions, le groupe socialiste souhaite que le Garde des Sceaux soit présent lors de l'examen de l'article et de l'amendement concernés.

Par ailleurs, relisant le compte rendu analytique de la séance d'hier soir, nous y avons relevé des propos blessants à l'égard de plusieurs de nos collègues, notamment des jugements de valeur sur leurs propos, formulés en des termes dont devrait se garder tout ministre, en particulier de la culture, dans l'hémicycle. Le sujet que nous abordons est délicat, ce dont témoignent les clivages qu'il suscite sur tous les bancs. Lorsque des points de vue aussi différents s'affrontent, le respect de tous s'impose.

Permettez-moi de vous lire quelques lignes : « La ligne Maginot que veut mettre en place le projet de loi sur le droit d'auteur dans la société de l'information nous semble incohérent avec les positions historiques de la France en ce domaine, inadapté au regard de nouvelles pratiques numériques et techniques dangereuses. C'est une occasion manquée, deux cents ans après l'apport des Lumières, de donner l'exemple d'un droit adapté à l'économie numérique. On a préféré favoriser le maintien d'oligopoles apôtres de l'obscurantisme technologique. » Ces propos, qui émanent de M. Bernard Carayon, député UMP du Tarn, j'aurais pu les tenir à la virgule près, hier soir, en défendant la question préalable. Je n'en tire pas avantage, de même que, je l'espère, vous n'aurez pas l'inélégance de le faire de telle ou telle déclaration de responsable socialiste.

Nous sommes tous partagés sur ce texte. Il y aura débat. Celui-ci exige respect et tolérance. J'espère, Monsieur le ministre, que les mots blessants que vous avez prononcés hier soir vous ont échappé et que nous saurons, tout au long de ce débat, entendre les points de vue des uns et des autres.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication - La réponse graduée ne dessaisit le juge en aucune manière. (M. Christian Paul fait un geste de dénégation) C'est une innovation qui permet de sortir par le haut de l'antagonisme stérile entre la dérégulation totale de la jungle et la seule répression pénale. Nous avons bien sûr travaillé sur ce sujet en étroite concertation avec la Chancellerie, et ma proposition n'engage pas que le ministre de la culture, elle engage l'ensemble du Gouvernement.

Je rappelle par ailleurs que la directive en question a été négociée par un gouvernement de gauche entre 1997 et 2001. D'où ma surprise devant certains propos. A ce stade, je formule le souhait qu'il y ait davantage de consensus dans la suite de notre débat. Vous me reprochez d'avoir réagi hier soir avec vivacité. Mais il est vrai que je n'ai pas l'impression, avec ce projet, de mener une « croisade répressive ». C'est pourtant en ces termes que vous avez qualifié mon action.

L'hémicycle est un lieu de débat où s'exprime la passion politique. J'espère qu'au-delà de vous, parce que je n'espère plus vous convaincre, ceux qui nous écouteront et nous liront comprendront que le projet du Gouvernement représente un point d'équilibre. Vous avez cité un député UMP, je pourrais citer un ancien ministre de la culture socialiste qui a un autre avis que le vôtre, ou encore un grand responsable de collectivité territoriale qui exerce d'éminentes responsabilités au parti socialiste... (M. Mathus s'exclame) Vous avez cité Bernard Carayon. Pour que les choses soient claires, je pense à Jack Lang et Anne Hidalgo. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

J'espère que, dans le respect de nos différences, nous aurons tous à cœur d'expliquer les enjeux à nos concitoyens, car il nous faut faire œuvre de pédagogie sur le sujet.

M. Didier Mathus - Le ministre vient d'évoquer la position d'une personnalité socialiste fort respectable, laissant entendre que nous n'exprimerions pas ici la voix unanime du groupe socialiste. Le groupe, après débat, a pris position à l'unanimité. C'est cette position que nous défendons. Pour que vous en soyez assurés, je demande une suspension de séance le temps de faire venir le président de notre groupe.

M. le Président - Nous vous croyons sur parole. Vous n'avez de toute façon pas, Monsieur Mathus, délégation pour demander une suspension de séance.

M. Patrick Bloche - Mais, moi je l'ai !

M. Christian Paul - Ne commencez pas ainsi, Monsieur le Président !

M. le Président - Je ne commence rien. Je fais appliquer le Règlement. La parole est à M. Dionis du Séjour, pour ouvrir la discussion générale.

M. Jean Dionis du Séjour - Permettez au rapporteur de la loi sur la confiance dans l'économie numérique de faire part de son expérience, puisqu'il s'agissait là aussi de transposer avec beaucoup de retard une directive européenne d'apparence technique, mais qui soulevait, comme le présent projet, des problèmes éminemment politiques.

Le présent texte pose la question - majeure pour une société démocratique - de la diffusion de la culture et du financement de la création. Il concerne aussi un grand nombre de citoyens, dont la vie quotidienne peut être modifiée par ses orientations. Enfin, il se situe en aval d'un bouleversement technologique, l'internet, aussi important que purent l'être l'écriture et l'imprimerie.

Ce projet de loi a donc pour mission de définir les règles du jeu entre les créateurs et les consommateurs de culture. La plupart des pays de l'Union européenne ont traité ce problème, le Gouvernement le fait avec plus de deux ans de retard. Selon le groupe UDF, ce projet méritait d'autres conditions de débat.

Nous délibérons dans une ambiance de pré-vacances, et de surcroît dans l'urgence. Ce choix crée un climat de méfiance et ne laisse pas le temps de rechercher un consensus de qualité. La loi d'économie numérique dont les travaux ont commencé en janvier 2003 n'a été votée qu'en juin 2004, après deux lectures dans chacune des chambres, ce qui a permis une lente amélioration du texte.

Enfin et surtout, le nombre et l'importance des amendements déposés hier alors que la discussion avait commencé compromettent la qualité et la sérénité des débats. Ces amendements, dont l'analyse par notre groupe ce matin, a confirmé à la fois l'importance - création de l'autorité de médiation, dispositif de la réponse graduée - et les imperfections, nécessitent un examen approfondi en commission. Le groupe UDF votera donc la motion de renvoi et propose au rapporteur de réunir la commission en urgence jeudi matin.

M. Christian Paul - Très bien !

M. Jean Dionis du Séjour - Sur le fond, notre groupe s'est efforcé d'apporter une réponse politique aux problèmes politiques créés par le tremblement de terre que constitue l'internet. Les objectifs que nous nous fixons sont de protéger et de promouvoir la création culturelle au moment où l'internet devient le média majeur de diffusion ; de favoriser l'émergence d'un nouveau modèle de diffusion culturelle fondé principalement sur l'internet, facile d'accès et à faible coût.

Le groupe UDF s'est attaché à modifier certains aspects essentiels de ce texte, dont les exceptions aux droits d'auteurs et droits voisins. La directive ouvrait de nombreuses possibilités dans ce sens, votre projet a été prudent et vous avez préféré être le ministre des professions culturelles. Nous vous demanderons d'être également le ministre de la communication, ainsi que celui de tous les internautes français.

Nous mettrons tout particulièrement l'accent sur l'accès à la culture numérique des personnes handicapées. La représentation nationale se doit de faire un geste fort, notamment en faveur des non-voyants, à la hauteur de l'engagement du Président de la République et de la loi handicap. L'amendement que nous présenterons à l'article 21, relatif au dépôt légal numérique, promeut l'accès des non-voyants à la lecture. La technique offre maintenant la possibilité de rendre la lecture sonore ou tactile : quelle belle révolution ! Mais pour alimenter ces fichiers sans passer par la saisie manuelle ou par le scanner, il serait souhaitable que les bibliothèques sonores reçoivent directement les fichiers numérisés.

Nous voulons également prendre position sur le statut juridique du téléchargement. Constatant la pratique massive du téléchargement illégal, des acteurs du monde culturel, relayés par certains de nos collègues, se sont fait les avocats de la solution dite de « licence légale », qui autoriserait le téléchargement gratuit en contrepartie du versement d'une taxe additionnelle à l'abonnement à l'internet. Il s'agit d'une fausse bonne idée.

M. Christian Vanneste, rapporteur de la commission des lois - Très bien !

M. Jean Dionis du Séjour - En effet, c'est une taxe supplémentaire, qui concerne potentiellement plus de 20 millions d'internautes pour un montant évalué par la SPEDIDAM à 6,90 euros par mois. Ses promoteurs, qui sentent bien qu'elle serait difficile à avaler par les internautes, la présentent désormais comme une taxe optionnelle.

Soyons sérieux ! Imaginons que 50 % des internautes qui téléchargent acceptent de s'acquitter de cette taxe. En l'absence de contrôles, ce taux de 50 % s'effondrera de lui-même et rien ne sera résolu. Si on contrôle, alors comment repère-t-on les fraudeurs - environ 4 millions d'internautes -, qui s'en charge, et sur quelle base légale ? Ayons le courage intellectuel de reconnaître que l'habillage optionnel est une plaisanterie.

Mme Christine Boutin - Un peu de respect, voyons !

M. Jean Dionis du Séjour - le groupe socialiste n'en a pas fait preuve hier à mon égard. Il faut assumer le choix d'une taxe additionnelle sur l'ensemble des internautes, qui existe d'ailleurs sur les supports vierges, sans la diaboliser. Mais si nous nous posons la question de ses avantages et de ses inconvénients, ceux-ci nous paraissent l'emporter.

D'abord cette taxe serait aussi acquittée par les internautes français qui ne téléchargent pas et pour qui l'internet représente seulement la messagerie et la consultation d'informations en ligne. A-t-on imaginé ce que sera leur réaction lorsqu'on leur demandera de payer 6,90 euros, soit une augmentation d'environ 33 % de leur forfait ? Cela serait un contresens social et une aberration.

Mais la cerise sur le gâteau, c'est la répartition de cette redevance légale. Les promoteurs de ce système, quelque peu kolkhozien, imaginent une caisse de répartition aux règles de redistribution approximatives, car non corrélées à la réalité de la consommation en ligne. Si l'on considère en outre que ce système est contraire au droit européen, il convient de ne pas chercher la solution de ce côté-là.

Nous estimons à l'UDF qu'il est nécessaire de développer des plates-formes légales, seules à même de garantir une rémunération juste de tous les auteurs et ayants droit. Est-ce à dire que « tout, va très bien Madame la Marquise » ? Non, nous sommes encore très loin d'un système populaire, auquel adhèreraient les millions de personnes habituées au téléchargement gratuit.

Comment les persuader d'utiliser les plates-formes légales ? D'abord en baissant les prix : vous aurez, Monsieur le ministre à prendre des mesures incitatives dans ce domaine. Le mouvement consommateur français et le conseil de la concurrence seraient bien inspirés de s'intéresser à ce problème. Ensuite, en proposant de vrais catalogues : comment expliquer que les enregistrements des Beatles ne soient pas accessibles ? Est-il logique que la durée de protection soit de soixante-dix ans après la mort de l'auteur ? Il faudra avoir un jour le courage de modifier la directive européenne qui nous l'impose.

S'agissant des mesures techniques de protection et d'information, elles ne doivent en rien être une machine de guerre contre les logiciels libres, et nous serons vigilants à ce que les droits de ceux-ci soient garantis. Nous avions trouvé, à l'occasion de la loi sur l'économie numérique, des amendements de consensus.

Enfin, concernant nos chères, très chères sociétés de perception et de répartition des droits, à peine effleurées à l'article 19, que penseriez-vous d'une pompe qui ne restituerait que 84 % de l'énergie fournie ? Tout ingénieur conviendrait qu'il y a bien des choses à rectifier. C'est le cas de la Sacem, dont les frais de gestion ont atteint 15,7 %. Notre amendement à l'article 20 propose donc d'instaurer un contrôle de la Cour des comptes sur ces sociétés.

Nous présentons également un amendement visant à rendre publics les débats de la Commission pour Copie Privée. Enfin, nous vous proposons de procéder à quelques petits réglages de la loi Lang, en portant de 25 % à 30 % la part de la rémunération consacrée au soutien à la création artistique.

Ne bâclons pas ce débat, écoutons-nous sans nous traiter de noms d'oiseaux, ne nous transformons pas en prophètes de la venue d'un hypothétique Big Brother. L'UDF pense qu'un modèle nouveau de diffusion culturelle est possible avec l'internet, mais attendra de voir le sort réservé à ses amendements pour se prononcer. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

M. Frédéric Dutoit - Ce texte revêt une importance particulière et marque une étape décisive dans le développement du modèle libéral de marchandisation progressive de la culture et de l'information. Des associations de consommateurs aux bibliothécaires, des présidents d'université aux associations d'élus locaux, nombreux sont ceux qui le jugent sévèrement et en ont demandé le retrait.

Que nous propose-t-on sinon de ratifier une mise sous tutelle des technologies de diffusion de la culture et de l'information, au nom des appétits de ceux qui entendent faire de la maîtrise de la propriété informationnelle la source de leur pouvoir et de leurs profits ?

Vous avez estimé, Monsieur le ministre, que les opposants à votre projet de loi versaient dans la caricature, mais l'on pourrait aisément vous opposer le même grief. N'est-il pas caricatural en effet de faire reposer le prétendu équilibre de ce texte sur les intérêts individuels des ayants droit et de privilégier ainsi un équilibre purement contractuel, alors que l'équilibre du droit d'auteur français actuel repose lui, avant tout, sur la protection des droits fondamentaux et des libertés publiques ? Notre droit veut en conséquence qu'une fois l'oeuvre divulguée, l'auteur ne puisse interdire au public certains actes, comme la lecture, la copie privée, la courte citation ou le détournement parodique. Vous allez rater une occasion unique, Monsieur le ministre, de réconcilier le consommateur avec le droit d'auteur. Et votre montage juridique, destiné à protéger des oligopoles dépassés par le progrès technique, va fragiliser la diversité culturelle.

N'est-il pas également caricatural de présenter les internautes qui se livrent à des téléchargements illégaux comme des délinquants et de vouloir assimiler leurs actes à de la contrefaçon ? Vous vous êtes finalement rangé en dernier recours à l'idée d'une réponse graduée, mais cette formule laisse néanmoins pendante la question de savoir qui contrôle qui et à quelles fins de surcroît sans revenir sur la qualification des faits ?

N'est-il pas caricatural enfin que d'avoir délibérément choisi de faire du verrouillage la condition sine qua non de la sauvegarde de la création ? De faire entrer les droits de propriété dans la sphère privée ? De ne prévoir aucune exception aux droits exclusifs - mise à part une timide mesure en faveur du handicap - quitte à condamner nos bibliothèques, nos universités, nos centres de documentation et de recherche à négocier âprement et en position de faiblesse avec ceux qui ont vu quel marché colossal pouvait représenter la mise sous tutelle de l'internet ?

Ces derniers ont bien compris que le virage du numérique pouvait permettre d'en finir avec les notions de prêt gratuit ou de libre droit de citation. Vous leur donnez ici satisfaction. Ainsi, le bien culturel, qui, à l'UNESCO, a échappé à la marchandisation mondiale et intégrale y retomberait dans l'hexagone à la faveur de cette loi !

Certes, le droit d'auteur, qui est un acquis fondamental de 1791, doit être préservé et oui, il faut mieux protéger les auteurs, mais, non, le droit d'auteur n'est pas le droit du propriétaire ! C'est toute la différence précisément entre le droit d'auteur et le copyright. Or, ce que vous proposez dans ce texte consiste ni plus ni moins à assimiler le droit d'auteur à un brevet. Le fait d'autoriser les grands éditeurs à décider seuls de la diffusion de savoirs numériques n'est pas sans rappeler cette piraterie légalisée que constitue l'exploitation des brevets dans le domaine des biotechnologies. C'est le même processus, qui consiste à favoriser l'appropriation par les multinationales de ce qui constitue un patrimoine commun, en l'occurrence le patrimoine culturel.

Il est illusoire de penser que le développement des systèmes de gestion des droits numériques et de tous les systèmes de surveillance technique des usages individuels garantiront demain une rémunération plus équitable des auteurs. Certains d'entre eux le croient, mais ils oublient de considérer que les fameuses « mesures techniques » favoriseront une concentration accrue de l'effort commercial sur un petit nombre de contenus.

Les coûts engendrés par ces mesures de gestion et de surveillance ne pourront être assumés que par les grands groupes de ce qu'il est convenu d'appeler l'industrie culturelle, favorisant là encore les phénomènes de concentration. Pourquoi croyez-vous qu'une bonne part de l'industrie culturelle défend ce texte ? Dans l'intérêt des auteurs ? Ce serait très nouveau!

Avec ce projet, le Gouvernement fait fausse route. La sagesse aurait été de le retirer pour engager une réflexion plus approfondie sur la façon de mieux protéger les droits d'auteur dans le cadre de l'essor des échanges numériques en ligne, car la question se pose, nul ne le nie.

Je ne sais pas si la solution alternative, souvent proposée, de la licence légale, qui repose sur l'idée de mutualiser le financement social de la création, constitue la réponse appropriée...

M. Jean Dionis du Séjour - Non.

M. Frédéric Dutoit - Des points importants resteraient à éclaircir mais elle s'impose sans doute comme la voie la plus crédible et la plus favorable à l'immense majorité des créateurs.

Deux cents ans après l'apport des Lumières, ce projet de loi représente une occasion manquée de donner l'exemple d'un droit adapté à l'économie numérique. Le Gouvernement a préféré favoriser le maintien d'oligopoles apôtres de l'obscurantisme technologique. Cela devrait aussi nous faire réfléchir à l'opportunité de réglementer l'action des lobbies - comme elle l'est dans de nombreux pays et à la Commission européenne - afin que l'objectif de la loi reste l'intérêt général.

Nous voterons bien évidemment contre ce texte.

M. Dominique Richard - La loi de 1985 prévoit que les trois quarts des sommes perçues par les sociétés de gestion collective, au titre de la rémunération pour copie privée, sont destinés aux auteurs ; les 25 % restants sont affectés « à des actions d'aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à des actions de formation d'artistes ». En clair, c'est la diversité de la création et l'animation culturelle sur tout le territoire qui sont ainsi alimentés.

Simultanément, notre société est en train de connaître une révolution technologique, dont une étude du CNC et de l'Association de lutte contre le piratage audiovisuel nous donne la mesure : deux films sont copiés pour un billet de cinéma vendu ; 1 million de titres DVD sont échangés chaque jour, soit trois fois les ventes vidéos ; 38 % des films sortis dans les salles françaises sont piratés sur internet. Un film piraté est d'ailleurs disponible sur internet en moyenne quarante-cinq jours seulement après sa sortie en salle. Pire, un tiers d'entre eux est disponible avant même la sortie en salles. Enfin, presque tous les films sont disponibles avant leur sortie vidéo.

Le système d'échange de pair à pair séduit énormément, notamment les jeunes qui découvrent ainsi le faux eldorado de la musique gratuite et du film gratuit en format numérique, c'est-à-dire d'une qualité comparable à l'œuvre originale. Ce système a toutes les apparences d'un accès facilité et démocratisé à la culture ; il serait l'expression d'une liberté accrue. Mais de quelle liberté parlons-nous ? Celle du renard dans le poulailler ou bien celle qui a permis aux créateurs français de proposer un foisonnement d'œuvres, qui ne soient pas soumis aux fourches caudines du formatage universel ? Qui est le plus libre, du consommateur français, qui aujourd'hui trouve dans les bacs de son disquaire 60 % d'œuvres originales françaises, ou du consommateur allemand, qui ne trouve que 25 % d'œuvres allemandes ?

Si nous ne faisons rien, le plus grand risque est tout simplement que la source de la création dans notre pays s'assèche. Les conséquences seraient mortelles pour le rayonnement de notre pays dans un monde déjà nettement pénétré par une culture dominante. Cela serait la négation du superbe succès obtenu par la France en faisant adopter la Convention de l''UNESCO sur la diversité culturelle. Si la France a su montrer la voie à l'UNESCO, pourquoi ne serait-elle pas à nouveau le précurseur d'un mouvement appelé à s'internationaliser ?

A l'UMP, nous sommes extrêmement attachés à la protection de notre système français de filière de création, d'une part, au principe de rémunération pour copie privée, d'autre part.

Contre le piratage des œuvres, il faut en appeler à une attitude responsable et la présenter comme une chance pour la création et la diversité, alors que la gratuité est en fait un leurre, une sorte de ver dans le fruit appétissant. Mais ne confondons pas l'internaute négligent et le véritable contrefacteur. La dépénalisation de l'usage de bonne foi nous invite à adopter un système de réponse graduée et sans doute à marquer notre volonté de rendre responsables les éditeurs de logiciels permettant l'échange en "peer-to-peer". Selon un sondage récent de l'IFOP, deux tiers des personnes interrogées estiment que ces éditeurs sont responsables des violations des droits d'auteur et 88 % d'entre elles sont favorables à ce que ces éditeurs prennent des mesures garantissant le respect du droit d'auteur. C'est la meilleure réponse aux sirènes qu'on voudrait nous faire entendre et c'est la marque d'une grande maturité des Français vis-à-vis du respect de l'œuvre.

Notre groupe soutiendra donc la proposition du Gouvernement de recourir à une procédure de réponse graduée. Cette mesure est à même de dissuader l'internaute simplement négligent et constitue parallèlement la meilleure façon d'accélérer la mise en œuvre des offres légales.

D'autres aspects du texte sont également importants. La représentation nationale ne peut accepter l'idée selon laquelle le fabricant ou le distributeur pourraient confisquer une œuvre en ne la rendant pas accessible, quel que soit le mode de lecture. Ce n'est pas notre conception de la culture que de voir l'œuvre devenir l'accessoire du support ! L'article 9 apportera une réponse. Dans le même esprit, l'amendement introduit par le Gouvernement à l'article 7 renforce considérablement la liberté d'utilisation des logiciels.

Il faut valoriser les plateformes légales de téléchargement, qui sont l'avenir du marché, en leur donnant les moyens de présenter une solution alternative viable et plus attrayante que le piratage. On défendra ainsi le principe de neutralité technologique tout en protégeant le consommateur, qui ne doit être l'otage d'aucun fabricant.

Pour autant, ces dispositions ne doivent pas fragiliser l'économie étroite des chaînes de télévision payantes - notamment thématiques. De même, je vous proposerai par amendement de faire respecter le droit à copie privée afin que les fournisseurs ne soient pas tentés de demander aux chaînes d'empêcher l'enregistrement d'un programme diffusé sur les chaînes numériques : la permanence du « double signal » doit être garantie.

Enfin, toutes les parties concernées doivent être associées à l'application de cette loi. Après la Charte dédiée à la musique en ligne en 2004, vous récidivez par l'accord signé hier avec les organisations du cinéma et de l'audiovisuel, succès considérable dont nous vous félicitons.

Chaque fois qu'elle peut aboutir, la contractualisation est préférable à la voie législative ou règlementaire. Ainsi, grâce à l'action commune que vous avez menée avec le ministère de l'éducation nationale et les efforts consentis par les sociétés de perception de droits, l'exception pédagogique est facilitée. De même, des accords interprofessionnels devraient permettre de reconnaître aux producteurs de spectacles vivants un droit voisin sur les œuvres de perception de droits.

Votre texte est bon, Monsieur le ministre, car il est le fruit d'une profonde concertation et d'une adhésion très majoritaire des professionnels. Il est conforme à la tradition française qui magnifie l'œuvre, résultat unique de la fécondation des talents. Refuser sa banalisation, c'est assurer la régénérescence de la création - donc de l'esprit de liberté - et l'émergence de nouveaux auteurs. Le groupe UMP votera donc votre projet avec l'intime conviction d'avoir adapté l'évolution des technologies à la création, tout en garantissant la sécurité des consommateurs face à une offre élargie (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Didier Mathus - Nous sommes saisis, dans une étrange urgence, de ce projet de transposition d'une directive européenne datant de plus de trois ans. Hier, avec la modestie qui vous caractérise, Monsieur le ministre, vous nous parliez d'un projet « historique » ; le rapporteur, quant à lui - historien désormais reconnu... - évoquait un projet « modeste ».

Qui dit vrai ? C'est en effet un projet historique, pour trois raisons. Tout d'abord, c'est le projet des occasions manquées : après en avoir hérité de votre prédécesseur, vous avez attendu dix-huit mois sans engager le moindre débat avec les acteurs concernés et laissé le texte évoluer vers toujours plus de répression, sans saisir la chance de vous présenter à ce rendez-vous précisément historique de la dématérialisation des œuvres culturelles. Alors que la révolution numérique transforme sous nos yeux le monde de l'esprit, vous ne faites qu'agiter votre bâton de gendarme. Est-ce une posture historique ou modeste ?

M. Christian Paul - C'est de l'ignorance !

M. Didier Mathus - Ensuite, on a rarement vu un texte dont la préparation a autant subi la pression directe des lobbies, déployés sans vergogne au sein même de l'Assemblée - des représentants commerciaux de plateformes de téléchargement arboraient même hier les badges de votre ministère jusque dans la salle des conférences, ces mêmes badges que portent aujourd'hui les collaborateurs qui vous assistent en séance.

M. le Rapporteur - Un peu de respect !

M. Didier Mathus - La présence ici même des lobbies est choquante et sans précédent !

M. Bernard Carayon - Ce n'est pas convenable ! Vous n'avez pas le droit d'attaquer les fonctionnaires !

M. Didier Mathus - Cet épisode n'est pas anecdotique et doit nous faire réfléchir à une réglementation de l'action des lobbies auprès de la représentation nationale - ce qu'ont déjà fait toutes les démocraties. Quant au côté baroque de l'urgence, la commission s'est déjà réunie pour préparer la prochaine transposition alors que nous adoptons seulement celle-ci...

Vous choisissez systématiquement les options les plus répressives à l'égard des internautes, et les plus complaisantes à l'égard des intérêts financiers des industries culturelles - sur ce point, la comparaison avec la transposition déjà effectuée dans vingt autres Etats membres est lumineuse. Si l'on adoptait ce texte en l'état, notre pays se retrouverait quelque part entre la Corée du Nord et l'Ouzbékistan...

M. Jean-Marc Roubaud - C'est de la provocation !

M. Didier Mathus - L'échange des fichiers numériques à des fins non commerciales est essentiel à la circulation de l'intelligence. Le plébiscite du « peer-to-peer » est mondial et fulgurant. Près de neuf millions d'internautes français l'utilisent et trois milliards de fichiers sont échangés chaque mois dans le monde. Comment consolider ce fabuleux outil de diversité culturelle tout en assurant la juste rémunération des créateurs ?

Personne ici ne défend l'utopie de la gratuité, qui peut être destructrice - le terme même n'en est pas pour autant un gros mot, comme certains ici semblent le croire... Mais vous répondez à cette question comme les majors du disque et du cinéma : par la répression et l'interdiction, au risque d'esquisser une société orwellienne où les grands industriels contrôleraient la circulation de la matière grise par une sorte de droit de péage - les DRM. Quel étonnant cadeau de Noël vous faites à Microsoft, et à ces autres PME dans le besoin que sont Sony, Vivendi ou EMI...

Il aurait pourtant fallu accorder plus d'attention à ce sujet, au lieu d'un examen dans l'urgence. Le président de l'Union syndicale des magistrats, M. Barella, qui n'a pas la réputation d'être un dangereux libertaire...

M. Bernard Carayon - Non, mais c'est un militant socialiste !

M. Didier Mathus - ...déclarait récemment qu'en revenant sans cesse sur les droits du public au prétexte de lutter contre la contrefaçon, on fait du partage de la musique un acte politique. En effet, peut-on mettre hors la loi toute une génération au nom de modèles économiques obsolètes - la préservation des intérêts de l'oligarchie ?

Il y a quelques mois déjà, la campagne irresponsable du SNEP sur le téléchargement a donné des multinationales du disque une image étrange... A-t-on jamais vu des industriels partir en guerre contre leurs clients ?

M. Christian Paul - Voilà la croisade !

M. Didier Mathus - A cet égard, l'article 9 de la loi d'août 2004 confiant à des sociétés privées le privilège exorbitant...

M. Christian Paul - Et liberticide !

M. Didier Mathus - ...de dresser des fichiers de contrevenants est une faute grave. Pour la première fois en France, des sociétés privées se substituent à l'Etat pour établir des listes peu fiables de présumés coupables... Cette privatisation lourde de menaces entraîne des actions judiciaires qui ressemblent à la décimation des légions romaines : on prend un téléchargeur au hasard en espérant que son châtiment en place publique soit dissuasif.

M. Christian Paul - C'est le pilori !

M. Didier Mathus - C'est un procédé inacceptable dans une démocratie comme la nôtre.

Votre grande invention d'hier soir, c'est la « riposte graduée » : vocabulaire militaire bien surprenant, quand on sait que c'est M. McNamara qui l'employa pour qualifier la stratégie de réponse atomique des Etats-Unis pendant la guerre froide. Vos rapports avec les internautes s'apparenteraient-ils donc à une guerre atomique ?

M. Jean-Marc Roubaud - Quel raccourci !

M. Didier Mathus - Pourquoi cette obstination à imposer sans débat une loi unilatérale, dans la discrétion espérée de la trêve de Noël ? Vous voulez imposer à neuf millions de consommateurs, aux bibliothèques publiques, aux présidents d'universités, aux enseignants-chercheurs et à nombre d'artistes une législation à contre-courant de l'époque et du bon sens. Ce texte bouleversera la vie quotidienne de millions de consommateurs et dominera pour longtemps l'évolution des comportements culturels. Un authentique débat est indispensable et ne doit pas se limiter aux cercles familiers des couloirs de votre ministère.

L'industrie du disque tente d'obtenir une interdiction générale de l'échange de fichiers pour préserver sa rente de situation. Dissimulée derrière le masque périmé du droit d'auteur exclusif, elle a pu enrôler dans cette douteuse croisade quelques créateurs de bonne foi, mais il faudrait pour imposer ce modèle mettre en place un arsenal techno-totalitaire qui permettrait de contrôler l'ensemble des échanges sur internet - et se retournerait rapidement contre les créateurs. Il est aberrant de vouloir retourner la technique contre la technique, et consternant que le ministère de la culture ait cédé à cette tentation sans issue, qui imposera une surenchère sans fin. L'amendement dit « Vivendi-Sacem », par exemple, déjà relayé dans nos couloirs, aboutirait à l'interdiction des logiciels non équipés de mesures techniques de protection, c'est-à-dire à la mort des logiciels libres : on livrerait ainsi internet à Microsoft et à quelques grands industriels américains.

M. Carayon écrivait dans son rapport sur la politique industrielle que l'industrie du logiciel est aux mains de quelques grands éditeurs américains, et que l'éclosion d'une industrie du logiciel libre permettrait à l'Europe de reprendre l'initiative en la matière.

Mme Christine Boutin - Il a raison !

M. Didier Mathus - Cette fuite en avant dans l'illusion du tout répressif, qui placerait la France dans un position marginale dramatique - imagine-t-on que, seule au monde, la France interdise Linux et ses dérivés ? - menace les libertés, notamment le droit à la copie privée. Reconnu en 1985 comme une liberté nouvelle, il a été systématiquement bafoué - sans réaction des gouvernements - par les majors du disque. La plupart des dispositifs de protection mis en place par EMI, par exemple, rendait impossible l'exercice pourtant légal de la copie privée et interdisait même de facto la lecture des CD sur de simples autoradios !

C'est ce qui s'appelle escroquer sans vergogne le consommateur. Pourtant, la puissance publique est restée étrangement inerte face à ce manquement manifeste à la loi. Cette disposition a été contestée devant les tribunaux, jusqu'au jugement de la Cour d'appel de Montpellier rappelant que la copie privée à usage familial sans but lucratif était un droit. Les consommateurs tolèreront-ils longtemps d'acquitter une taxe sur les supports vierges pour un droit à la copie privée qui leur est interdit dans les faits ? Je rappelle que cette taxe rémunère les ayants droit et leur rapportera vraisemblablement en 2005 près de 200 millions. Le droit à la copie privée a été une conquête et sa remise en cause, entérinée par ce projet, constitue un recul. Ne nous dites pas, Monsieur le ministre, que votre projet garantit ce droit.

M. le Ministre - Si !

M. Didier Mathus - En soumettant ce droit au filtrage des DRM, c'est-à-dire à trois groupes industriels - Microsoft, Intertrust et Realnetworks - vous leur donnez le droit de vie et de mort sur la copie privée et sur l'ensemble des contenus du net.

La liberté individuelle est également remise en cause à travers la protection des données personnelles, et tout d'abord avec le transfert à des sociétés privées de prérogatives jusque là accordées à la seule puissance publique par la loi « informatique et libertés ». J'ajoute que les sociétés de gestion de droits auxquelles ce privilège déraisonnable a été accordé sous-traitent elles-mêmes cette tâche à des sociétés prestataires. Ainsi, ce qui relève des missions régaliennes de la puissance publique est en réalité effectué par des entreprises privées, souvent étrangères. Chaque fois que nous pourrons remettre en cause cette disposition scélérate, nous le ferons. L'implantation des DRM constitue également une menace. Qui pourrait être assez naïf pour s'imaginer que Microsoft ou Sony implantent des DRM sur des œuvres numériques afin de venir en aide à l'héritage de Beaumarchais et de protéger le droit d'auteur exclusif ?

Le libre accès à internet est également remis en cause. La capacité donnée au juge d'ordonner à un fournisseur d'accès d'interrompre l'accès à un contenu illicite ne peut se faire qu'en bloquant la totalité de l'accès, ce qui portera gravement préjudice aux personnes concernées. A l'heure où la réflexion sur la fracture numérique conduit certains à proposer un droit garanti à un minimum de bande passante, cette disposition est particulièrement choquante. La voie que vous avez choisie est donc dangereuse, liberticide, trop liée aux stricts intérêts de l'oligarchie des industries des contenus et des logiciels pour que nous puissions vous suivre. Rien ne peut nous faire admettre que l'influence de ces industries puisse déterminer la norme de la morale et du droit au détriment des consommateurs, des créateurs et de l'amélioration du bien-être collectif.

M. Jean-Marc Roubaud - Blablabla !

M. Didier Mathus - Par nos amendements, nous proposerons donc un cadre juridique pour prendre acte du bénéfice qu'apporte le peer to peer aux échanges culturels, pour le sécuriser juridiquement et pour définir un mécanisme de rémunération des créateurs. Nous proposerons également de distinguer la musique du cinéma et d'instituer un forfait optionnel sur les abonnements auprès des fournisseurs d'accès permettant d'alimenter le fonds de répartition de la copie privée pour la rémunération des créateurs. Les mécanismes de financement du cinéma sont complexes, les enjeux économiques sont considérables et nous avons pu maintenir une industrie nationale du cinéma grâce à des dispositions sophistiquées comme la chronologie des médias qu'il serait dangereux de bouleverser. Par ailleurs, le téléchargement de film n'apporte pas de valeur ajoutée à l'exploitation standard en salle ou en DVD, contrairement à la musique. De ce point de vue, le téléchargement de film rejoint effectivement la contrefaçon, ce qui n'est pas le cas de la musique. Nous voyons bien que le succès du peer to peer est essentiellement dû aux possibilités nouvelles et à l'élargissement considérable de l'offre qu'il induit face à une industrie très concentrée : quatre multinationales dominent aujourd'hui 80 % du marché mondial de la musique, avec une production formatée, standardisée à l'extrême et qui s'est donc appauvrie au fil des concentrations. Le peer to peer offre à l'inverse une diversité de choix et une liberté d'assemblage que l'industrie ne sait pas fournir. Accrochées à la rente de situation de la distribution physique du compact-disc, les majors tentent d'interdire le peer to peer pour préserver un modèle économique et un format dépassés. Les majors ne défendent ni la musique, ni les créateurs : elles défendent le portefeuille de leurs actionnaires et ont tout à perdre au changement. Dans le système actuel, les artistes sont vassalisés par leurs maisons qui leur reversent 5 % en moyenne du produit des ventes. La diffusion par le peer to peer peut au contraire donner une liberté nouvelle aux créateurs pour peu que l'on mette en place un système convenable de rémunération.

Le téléchargement est-il responsable de l'érosion des ventes du disque ? Rien ne le prouve. Cet affaiblissement résulte plutôt de l'appauvrissement de l'offre. Les majors ont gagné énormément d'argent dans les années 80 en imposant le passage au CD qui a entraîné le renouvellement de millions de discothèques vinyles. Les concentrations ultérieures et les mariages morganatiques avec la télévision commerciale et les radios musicales ont ensuite poussé à l'industrialisation, au formatage, au calibrage d'une offre toujours plus pauvre où l'investissement marketing compte plus que la richesse de la création.

La deuxième explication, souvent négligée, réside dans la disparition progressive du réseau des disquaires au bénéfice des grandes surfaces. L'offre musicale du disque s'est en fait raréfiée. Il est d'ailleurs significatif que les nouveaux talents apparus depuis deux ou trois ans aient été révélés par la scène et le bouche à oreille et qu'ils aient été imposés aux majors par le public. De la même façon, le peer to peer désindustrialise l'accès à la musique. Les recherches thématiques et chronologiques permettent à chacun de satisfaire son goût musical. L'offre n'est imposée par aucune stratégie financière d'un producteur. L'accès à des titres souvent non réédités ainsi que la multiplicité des catalogues offrent une liberté et une diversité inédites. La diversité culturelle est imposée par les consommateurs et non plus régulée par les producteurs. Bien évidemment, c'est tout un modèle économique qui est ainsi remis en cause. Imagine-t-on que l'Assemblée nationale puisse être plus attentive aux inquiétudes financières de quelques grands groupes contrôlant l'industrie des contenus et de logiciels plutôt qu'à l'aspiration de millions de jeunes ? Faut-il pleurer sur le sort de ces groupes ? Non. Je pense même que l'apparition du peer to peer aura été un contrepoison salutaire à la marchandisation de la culture. Si la multiplication des échanges de fichiers à des fins non commerciales affaiblit ne serait-ce qu'à la marge un de ces conglomérats, il n'y a pas lieu de s'alarmer. Qui peut croire, néanmoins, que la copie privée par téléchargement puisse mettre en péril ces énormes structures ? Chacun comprend bien qu'au-delà du prétexte du droit d'auteur ou d'une fallacieuse crise du disque, c'est bien la bataille du contrôle des contenus qui est lancée. Ces multinationales veulent verrouiller le net. L'alibi commode du droit d'auteur ne sert que de prétexte à une implantation massive des DRM rendant toute liberté sur le net improbable, livrant le réseau à une couverture quasi policière, tout cela pour cadenasser la manne financière potentielle de la circulation des contenus. Il y a quelques années, les industriels de la bio-génétique ont tenté d'imposer la brevetabilité du vivant. C'est une démarche du même ordre qu'entreprennent aujourd'hui les industriels des contenus et des logiciels avec votre soutien, Monsieur le ministre. Il s'agit de rendre payant tout échange de fichier, donc de taxer, de breveter, de privatiser tout échange de culture et de matière grise. C'est la marchandisation générale de tous les échanges culturels qui est en cause ! Vous avez parlé à propos du piratage de « crime contre l'Esprit », mais c'est dans ce texte qu'il réside ! Je suis navré que le ministère de la culture, qui jusqu'ici avait contribué à défricher des libertés nouvelles, soit désormais l'opérateur de cette glaciation. (Applaudissements bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Pierre-Christophe Baguet - Je regrette que l'on aborde ce texte dans les pires conditions : quatre ans de retard, date inappropriée, trois nuits consacrées à son examen alors que nous sommes à la fin de l'année, urgence déclarée, amendements déposés à la dernière minute, commission des affaires culturelles non saisie pour avis...

M. François Bayrou - C'est inimaginable pour un texte aussi important.

M. Pierre-Christophe Baguet - La seule bonne nouvelle, c'est celle de l'accord conclu hier par les professionnels concernant la VOD.

M. Pascal Terrasse - Gabegie !

M. Pierre-Christophe Baguet - J'aurais aimé que l'on soit aussi efficace en faveur des intermittents du spectacle.

M. Christian Paul - Ce n'est pas demain la veille !

M. Pierre-Christophe Baguet - Ce texte est pourtant fondateur et touche à la vie quotidienne de millions de nos concitoyens et, au-delà, à la survie de notre exception culturelle.

M. Christian Paul - C'est le Titanic des droits d'auteur !

M. Pierre-Christophe Baguet - Cette directive, élément essentiel du projet, vise à rapprocher la législation des Etats membres en matière de propriété littéraire et artistique. C'est bien, car cela renforcera l'Europe de la culture. La question des droits d'auteur a envahi toutes les strates de la création artistique et le contentieux de la propriété intellectuelle et industrielle n'a jamais autant proliféré. Comme le souligne Gabriel de Broglie dans son rapport de l'Académie des sciences morales et politique sur le droit d'auteur et internet, jamais les techniques n'ont permis une si grande capacité de diffusion de la pensée et présenté autant de risques pour l'œuvre et pour les droits de son auteur. Afin de donner tout son sens au principe de la liberté de communication des pensées et des opinions protégée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme, nous cherchons donc un équilibre entre la nécessité de protéger les droits que l'auteur tient sur l'oeuvre de son esprit et celle d'assurer dans les meilleures conditions la diffusion de l'oeuvre en garantissant l'authenticité des copies. Un fait nouveau dans l'environnement numérique rend cet équilibre encore plus difficile à trouver et délicat à maintenir : il est lié au développement des techniques qui permettent une copie parfaite que vous qualifiez, Monsieur le ministre « d'original reconductible à l'infini », à laquelle s'ajoute la terrible facilité des altérations de l'œuvre. C'est donc tout le dispositif qu'il convient de faire évoluer. Heureusement, et contrairement à nombre de déclarations, l'internet n'est pas un espace de non-droit où consommateurs et pirates seraient confondus. Les tribunaux sont particulièrement attentifs à la protection de la propriété intellectuelle mais les auteurs eux-mêmes ont éIaboré des mécanismes de défense contre les nouvelles formes de piraterie. Si l'objectif de renforcer la protection des auteurs contre la piraterie et la contrefaçon est louable, il suscite néanmoins des inquiétudes auprès des consommateurs. En effet, les solutions offertes par les mesures de protection peuvent aboutir à priver le consommateur de la possibilité de faire des copies privées ou, s'il tente de le faire, il s'exposera à des sanctions pénales. Ainsi, en raison de l'incompatibilité des formats de compression, la musique de certains CD protégés ne pourra pas être transférée sur un autre support. Contourner la protection pour l'écouter légitimement sur son lecteur deviendra illégal. L'interopérabilité devrait être une priorité pour les fabricants. Nous déposerons avec M. Dionis du Séjour un amendement en ce sens.

En outre, ce texte risque de renforcer la domination des grands groupes : si un disque est protégé pour n'être lu que sur Windows, par exemple, il sera illégal de se débrouiller pour le lire sous Linux. II faut veiller à la diversité : tout monopole technique ou industriel est nuisible à la diffusion de la culture.

M. Frédéric Dutoit - Très juste.

M. Pierre-Christophe Baguet - Les poursuites judiciaires, qui ne peuvent concerner l'ensemble des pirates, sont arbitraires et peu efficaces pour lutter contre le peer to peer sauvage. Les procès se multiplieront et concerneront désormais tous les réseaux.

Si les poursuites peuvent freiner la diffusion du phénomène, elles suffiront d'autant moins à l'éradiquer qu'une large part des auteurs n'y sont finalement guère favorables.

Pour toutes ces raisons, le recours à des techniques de protection transparentes et régulées constitue une réponse mieux appropriée, qu'il s'agisse du marquage des œuvres ou des procédés anti-piratage susceptibles de satisfaire auteurs et usagers. Les procédures de régulation - nationales et internationales - et les concertations se multiplient, ce qui va à l'évidence dans le bon sens.

Au-delà, il nous revient d'améliorer ce texte sur différents points. Un premier progrès consisterait à étendre l'exception en faveur des personnes handicapées, afin d'aider les associations qui accompagnent les handicapés visuels. Dans le même esprit, il convient aussi de reprendre les deux exceptions admises dans la directive, que vous avez curieusement écartées. La première concerne les actes de reproduction des bibliothèques publiques et la seconde les photographies d'œuvres et de bâtiments. En effet, en l'état actuel du code de la propriété intellectuelle, la presse ne peut diffuser aucune image de la pyramide du Louvre , de la tour Eiffel illuminée ou du pont de Normandie, ni faire état - en l'illustrant - d'aucune exposition publique, ni photographier une personnalité dans un cadre public ou privé où une œuvre soit visible ! Chacun garde en mémoire la condamnation d'une chaîne du service public pour un reportage sur une exposition Utrillo ou celle de Maison française pour avoir reproduit une robe de Sonia Delaunay, en l'absence de tout préjudice pour les ayants droit !

Il est donc indispensable de concilier la protection légitime des auteurs et la liberté d'informer, comme parviennent à le faire nos principaux partenaires - qu'il s'agisse de l'Allemagne, de l'Espagne, de la Suisse, de la Belgique ou de la Grèce -, en ouvrant dans leur droit une exception relative à la reproduction des œuvres si l'actualité le justifie, ainsi qu'une exception générale pour les œuvres situées dans l'espace public.

Monsieur le ministre, compte tenu des rudes attaques dont la presse ne cesse de faire l'objet, nous serons très attentifs à l'accueil que vous réserverez à nos amendements : on ne peut se présenter comme le premier défenseur de la presse et supprimer nuitamment, en seconde délibération, 1 488 450 euros de crédits de paiement à son profit dans le prochain PLF ! Je vous le répète : la position de notre groupe dépendra directement du sort que vous ferez à ses amendements. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Pascal Terrasse - Je m'associe sans réserve aux critiques de nos collègues de l'UDF sur la manière scandaleusement désinvolte qu'a retenue le Gouvernement pour nous soumettre ce texte important. Alors que le sujet passionne des millions d'internautes, l'urgence a été déclarée de manière parfaitement injustifiée...

M. Frédéric Dutoit - C'est un véritable passage en force !

M. Pascal Terrasse - Et nous avons appris moins de deux heures avant l'ouverture du débat, dans la séance des questions au Gouvernement, qu'un accord sur la diffusion des films sur l'internet était intervenu avec l'industrie du cinéma...

M. Christian Paul - Quel heureux hasard !

M. Patrick Bloche - Cela tient de la magie !

M. Pascal Terrasse - En tout cas, le sort qui est réservé aux parlementaires n'est pas sérieux et ces tentatives de passer en force tranchent avec le dialogue fécond ouvert par Jack Lang en 1985, lequel a débouché sur la meilleure loi sur le droit d'auteur dont dispose notre pays, votée - faut-il le rappeler ? - à l'unanimité ! Las, les ministres changent et les méthodes se dégradent. Pourtant, peu de sujets attirent autant de monde dans nos tribunes, peu de nos débats sont aussi attentivement suivis sur la Toile. Je ne vois guère que le Pacs, ou la chasse, pour avoir autant mobilisé l'opinion...

M. Christian Paul - Et ce n'étaient pas forcément les mêmes qui s'intéressaient à ces deux sujets ! (Sourires)

M. Pascal Terrasse - Rien ne justifie que l'on nous présente un texte qui ne satisfait finalement personne à la veille des fêtes de fin d'année !

Sur le fond, je tiens à souligner l'insécurité juridique dont est porteur ce projet de transposition, et mon propos s'articulera autour de trois préoccupations majeures : sauvegarder la copie privée et les libertés qui s'y attachent, préserver la liberté des diffuseurs par un mode de rémunération équitable - et n'allez pas dire que certains parlementaires souhaitent que l'on ne rémunère plus les créateurs ! -, promouvoir l'accès au patrimoine culturel.

S'agissant de la copie privée - dont les redevances garantissent aux artistes un revenu essentiel -, il convient de mettre fin à la gratuité destructrice sans privilégier la voie répressive. A titre personnel, à la différence de certains socialistes, je suis donc plutôt favorable à une licence globale obligatoire - plutôt qu'optionnelle -,...

M. Christian Paul - Commençons par la licence optionnelle !

M. Pascal Terrasse - ...aujourd'hui plébiscitée par nombre d'artistes et d'audionautes.

M. le Rapporteur - Revoilà les motions du PS !

M. Pascal Terrasse - Nous assumons parfaitement nos différences de point de vue. Et n'ai-je pas lu ce matin, dans Libération, un excellent article de l'un de vos collègues de l'UMP ?

M. Christian Paul - M. Terrasse aurait pu le co-signer ! (Sourires)

M. Pascal Terrasse - Sur de tels sujets, il faut accepter que chacun ait sa propre sensibilité, et il revient au Gouvernement de dégager une synthèse équilibrée...

M. François Bayrou - Allons donc ! C'est notre responsabilité de législateur. Mais encore faudrait-il que l'on nous laisse le temps d'aller au fond des choses !

M. Pascal Terrasse - Il convient aussi de garantir une rémunération équitable aux diffuseurs, en vue de préserver leur liberté. Sans elle, point de diversité musicale : les quatre multinationales qui détiennent 90% du marché du disque peuvent continuer d'imposer leurs choix aux diffuseurs. Or n'est-il pas scandaleux que des artistes reconnus ne puissent vivre de leur talent ? Aussi, la liberté de diffuser un phonogramme du commerce doit-elle s'accompagner de l'obligation de verser une rémunération assise sur les recettes et partagée entre producteurs et artistes-interprètes.

Un mot, au passage, sur vos promesses passées d'obtenir le taux réduit de TVA pour les disques : où en est-on ? Pourquoi ne pas afficher la même résolution que pour la restauration ou les travaux dans le bâtiment ? Il semble bien que vos engagements en la matière soient passés par pertes et profits ! Pourquoi ne pas aborder la question lors du prochain conseil ECOFIN ?

S'agissant de l'accès au patrimoine, il est impératif de ne pas mettre en situation d'insécurité juridique les acteurs essentiels de diffusion de la culture que sont les bibliothécaires, les chercheurs, les enseignants et les agents des collectivités territoriales.

A quelques jours de la fin de l'année, le plus sage est à l'évidence d'adopter la motion de renvoi en commission que défendra tout à l'heure Patrick Bloche. Nous avons besoin de temps pour retravailler ce texte important. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Bernard Carayon - Le présent texte n'échappe hélas ni aux critiques - justifiées lorsque les motive la recherche de l'intérêt général - ni aux caricatures, elles, inacceptables compte tenu des enjeux du débat. Plantons le décor : il y eut d'abord, sous l'impulsion du Président Chirac, l'adoption par 148 Etats de la charte de l'UNESCO sur la diversité culturelle, tendant légitimement à affirmer la spécificité non marchande de l'œuvre d'art. Merci, Monsieur le ministre, d'avoir pris une part active dans une démarche dont l'esprit va éclairer nos travaux. La toile de fond, c'est l'ouverture au monde que procure l'internet. Las, la maîtrise technique et financière de ce réseau global est désormais l'apanage de quelques grands groupes...

Mme Martine Billard et M. François Bayrou - Absolument !

M. Bernard Carayon - A tous égards, les enjeux sont considérables et notre débat doit se concentrer sur l'essentiel : la sécurité des Etats, la compétitivité des entreprises, la protection de la vie privée des individus. Sur ces enjeux bien connus se sont greffées des habitudes, une forme de délinquance - voire de criminalité - et des menaces de tous ordres.

L'habitude, c'est celle d'accéder gratuitement à des milliards de pages de contenus, des centaines de milliers d'ordinateurs connectés entre eux proposant une quantité faramineuse de documents mais aussi de biens culturels. Et je veux tordre le cou à l'une des caricatures entourant ce texte au sujet de la notion de gratuité. De grâce, ne mélangeons pas tout ! Il y le « gratuit collaboratif », issu du don de temps et de compétences de dizaines de milliers d'hommes et de femmes, créateurs d'oeuvres et développeurs de logiciels : c'est le gratuit qui rapporte à tous, qui enrichit notre patrimoine intellectuel et culturel, améliore la compétitivité de nos entreprises et allège nos dépenses publiques ; c'est celui de la communauté du logiciel libre. Mais il y a aussi le gratuit qui coûte à tous, celui du piratage des œuvres à des fins mercantiles ou de la copie qui ne débouche jamais sur l'achat de CD ou de DVD. S'il faut combattre le second - et ce doit être le seul objectif de ce texte, il ne faut pas tuer -ni même mettre en danger - le premier !

C'est pour cette raison qu'il nous faut être ensemble particulièrement attentifs aux rédactions des articles 7, 13 et 14 , lesquels ne doivent pas être maladroitement instrumentalisés contre le logiciel libre. J'espère que le Gouvernement tiendra compte, non seulement les résultats de la réunion qui a eu lieu aujourd'hui à Matignon avec les entreprises de ce secteur créateur d'emplois, mais aussi des amendements, déposés avec mes collègues Marland-Militello, Cazenave, Chatel, Colombier, Goasguen, Luca, Martin-Lalande, Remiller et Wauquiez, qui concernent l'interopérabilité, seule garantie de concurrence libre et non faussée, ainsi que la possibilité pour les universitaires et chercheurs de travailler dans des conditions normales.

J'en viens à présent aux menaces et aux vulnérabilités. Elles sont issues de l'utilisation des réseaux à des fins déstabilisatrices : rumeurs, vol d'informations d'entreprises ou d'Etat, atteintes à l'image, etc... Nous devons, chers collègues, avoir également à l'esprit ce type d'avatars, que peuvent favoriser des textes imprécis.

Votre projet de loi, Monsieur le ministre, est nécessaire, d'abord parce qu'il transpose une directive européenne, trop longtemps différée et qu'il vous revient aujourd'hui d'assumer. Mais loin d'être seulement nécessaire, votre texte contient deux principes que je salue : celui de la juste rémunération des auteurs que ne malmènent pas seulement des internautes pratiquant le « pair à pair », mais aussi, disons le, les grands groupes industriels qui, avec habileté, ont su dissimuler la protection de leurs intérêts marchands derrière la promotion de la création culturelle.

Le second principe est celui de la réponse graduée, une idée novatrice qui intègre l'information et la prévention dans un dispositif qui aurait pu n'être que répressif.

Ce texte soulève des questions fondamentales et recèle de formidables enjeux humains : personne ne s'étonne donc qu'il ait porté en gésine tant de malentendus. Sous un aspect technique, il touche en fait à la relation de chacun à l'oeuvre, à notre patrimoine et à notre idée du partage. On ne transmettra évidemment pas demain à nos enfants un disque dur truffé de mesures techniques comme on transmet aujourd'hui la bibliothèque d'une vie de lecture ou une collection de CD ou de DVD. Pour éviter la rupture interne entre bien culturel et patrimoine, votre texte doit absolument réconcilier le consommateur de biens culturels et le droit d'auteur. C'est pour cette raison que je ne peux me faire à l'idée que nos enfants - ceux de mes collègues, bien sûr - puissent un jour être assimilés à des contrefacteurs passibles de lourdes peines ! La sanction doit être proportionnée à la faute. A ce propos, qui détiendra les informations concernant les infractions constatées ? Qui constatera ces infractions, et donc aura accès aux informations personnelles de millions d'internautes ?

M. Pascal Terrasse - Big Brother !

M. Bernard Carayon - Qui gardera les informations sur la réponse graduée? J'espère que les débats apporteront des réponses précises : il s'agit tout de même de la vie privée de nos compatriotes !

Réconcilier le consommateur et le droit d'auteur, c'est également permettre la copie privée - le texte initial était si peu clair que le rapporteur a cru bon de préciser que le nombre de copie ne pouvait être inférieur à un ! - et éliminer le tracas des lecteurs liés à l'œuvre : seule une véritable interopérabilité dispensera le consommateur de s'affranchir des mesures techniques de protection et lui évitera donc de se mettre hors la loi. A ce propos, il me semble qu'on aurait pu envisager, pour la consultation des œuvres à distance, une mesure technique de protection universelle s'appuyant sur une infrastructure clé publique-clé privée et permettant le marquage des œuvres. Cela aurait évité toute pratique anticoncurrentielle et le partage du marché par un très petit nombre d'acteurs.

Enfin, les enseignants et les chercheurs utilisent quotidiennement des logiciels libres. Avec la rédaction actuelle, ils deviennent tous des contrefacteurs, ainsi que tous ceux qui souhaiteraient indexer leurs documents numériques sous une forme non prévue par la mesure technique de protection - bibliothécaires, documentalistes ou tout particulier voulant mettre de l'ordre dans sa bibliothèque numérique. Nous ne pouvons laisser prospérer une telle insécurité juridique. Un dialogue serré, mais ouvert s'est engagé avec vous, Monsieur le ministre. Je connais assez votre sens des responsabilités pour ne pas douter que vous prêterez à nos amendements une attention bienveillante (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

MM. Christian Paul et Pascal Terrasse - Il aurait fait un bon rapporteur !

Mme Martine Billard - Je voudrais d'abord protester contre votre méthode de travail. Le projet de loi n'a pas été présenté devant la commission des affaires culturelles, qui n'a même pas été co-saisie, mais devant la commission des lois - à croire que le culturel est bien moins important que le répressif : ce choix en dit plus que tout le reste ! Le projet a été rédigé en 2003, mais examiné en commission seulement en juin. Il nous est aujourd'hui présenté en urgence. Ce délai aurait pu être mis à profit pour organiser un débat pluraliste plutôt qu'une course aux lobbies. La commission n'a même pas entendu les associations de bibliothécaires, documentalistes et archivistes réunies, qui, au côté de l'Association des maires de France et de la fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture, dénoncent ce projet comme l'une des législations les plus déséquilibrées d'Europe. Elle n'a pas non plus auditionné les chercheurs ni, sauf en catastrophe ces derniers jours, les utilisateurs de logiciels libres qui sont plus de cent mille à vous demander le rejet du texte en l'état.

Beaucoup présentent cette discussion comme un arbitrage entre propriété intellectuelle et gratuité sur internet et citent, pour faire peur, les quelques internautes accusés d'avoir téléchargé de la musique pour la revendre. Il s'agit d'une utilisation commerciale frauduleuse déjà réprimée par la loi. Le débat n'est pas là : il est entre deux conceptions de la culture. La conception ouverte respecte le droit des auteurs et les rémunère, mais n'oublie pas que la culture est aussi échange, partage, don plutôt qu'une addition de consommations individuelles, chacun devant son écran d'ordinateur - et en fonction de ses revenus. L'autre conception s'intéresse au verrouillage du partage des oeuvres et se préoccupe surtout des intérêts des majors de la musique et du filM. Ce ne sont pas uniquement les échanges sur internet, mais tous les supports, notamment multimédias, qui sont concernés par les nouveaux dispositifs. Cette loi qui légalise les mesures techniques de protection aura pour conséquence de renforcer le monopole d'une grande entreprise nord-américaine, bien connue, de systèmes d'exploitation et de logiciels.

Ce sont donc aussi deux conceptions de l'informatique qui s'opposent, l'une dans les mains de quelques multinationales qui cherchent à drainer l'ensemble des flux financiers, l'autre fondée sur le logiciel libre. La concurrence entre elles est déjà inégale, mais au moins le choix existe-t-il. Après le vote de ce texte, ce ne sera plus le cas. En effet, les mesures anti-copies ne visent pas uniquement à empêcher une reproduction illimitée des œuvres, mais plus globalement à en rendre chaque utilisation marchande, à limiter le nombre de lectures en instituant des péages permanents. Ainsi, en achetant un DVD, vous devrez acheter en même temps l'appareil et le logiciel compatibles ! Nous sommes en pleine régression ! Il faudra se résoudre soit à ne pas pouvoir accéder à de nombreux biens culturels, soit à posséder le matériel requis, ce qui va introduire une nouvelle fracture numérique entre ceux qui auront les moyens et les autres. Cela rappelle la bataille des formats des premières vidéo-cassettes du début des années 1980. Si l'acquisition s'effectue en ligne, votre ordinateur sera truffé de mouchards, sans compter le risque d'introduction de virus, comme l'a montré la récente expérience de Sony. Et avez-vous pensé à tous ceux qui utilisent des logiciels libres - simples particuliers, mais aussi chercheurs, institutionnels et entreprises comme Thalès ? Ces mesures techniques risquent de limiter les possibilités d'accès gratuit aux œuvres légalement tombées dans le domaine public, dont le principe est dès lors remis en cause.

En outre, ce texte va bien au-delà des obligations de la directive européenne qu'il est censé transposer. Les articles 13 et 14 assimilent à un délit de contrefaçon, passible de trois ans de prison et de 300 000 euros d'amende, les simples faits de contournement ou de neutralisation des mesures techniques. Je sais que la riposte est graduée...

M. le Ministre - La réponse ! Et justement, elle est graduée !

Mme Martine Billard - Ainsi, si quelqu'un contourne une mesure anti-copie afin de faire une copie privée, ce qui est licite, il peut être condamné pour contrefaçon ! Si ce n'est pas une guerre contre le logiciel libre, cela y ressemble beaucoup.

Il est donc indispensable de prévoir des garde-fous pour que les mesures techniques ne viennent pas faire obstacle à l'interopérabilité entre systèmes d'exploitation. Je soutiendrai également l'amendement de certains collègues de la majorité qui exclut plusieurs éléments de la définition des mesures techniques, ainsi que celui qui vise à interdire toute restriction du nombre de lectures lorsque le premier accès est licite. Par ailleurs, comment comprendre que le Gouvernement refuse d'étendre aux bibliothèques, musées et archives ainsi qu'aux enseignants et aux chercheurs les exceptions aux droits de propriété intellectuelle ? Quant à celle concernant le handicap, elle est, en l'état actuel, insuffisante. Je rappelle que lors du débat sur le droit à prêts en bibliothèque, certaines vérités avaient été énoncées qui ne semblent plus l'être aujourd'hui !

Au-delà de mon opposition à la philosophie générale du texte ainsi qu'aux amendements scélérats de certains de nos collègues qui se font les relais des grands lobbies contre le monde du logiciel libre, il reste la question de la juste rémunération des créateurs face au développement du téléchargement de fichier et des échanges « peer-to-peer ». Chaque nouvelle technologie est accusée de mettre en péril la diffusion des œuvres et leur rémunération. Cela fut le cas pour les cassettes audio, puis les films en vidéo ou le prêt en bibliothèque... Pourtant, toutes les études ont démontré que les plus gros emprunteurs étaient les principaux acheteurs de livres ! La question est donc bel et bien de trouver à chaque fois un nouvel équilibre. Le projet de licence globale optionnelle, mûri depuis plusieurs mois, peut être une solution. Il mérite en tout cas un examen sérieux. Je maintiens donc l'opposition des députés Verts à ce texte qui va à l'encontre de l'esprit de liberté et de partage des cultures numériques, dans le respect du droit d'auteur, que doivent continuer à promouvoir internet et les technologies multimédias (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Thierry Mariani - Le présent projet dont nous débattons enfin, a été déposé le 12 novembre 2003 et examiné en commission des lois le 31 mai 2005. C'est un exercice de transposition d'une directive européenne, mais surtout un outil crucial pour donner à la France les moyens de figurer parmi les leaders de la société de l'information. L'enjeu est en effet de fixer des règles du jeu, afin que l'ensemble des parties prenantes de la révolution numérique tire bénéfice du potentiel de développement qu'elle offre.

Je souhaite vous exposer mon amendement relatif au « peer to peer ». La rédaction que je propose, qui est très proche de celle du rapporteur, a pour objet d'inscrire dans la loi la position clairement exposée par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique dans son avis du 7 décembre dernier, que certains ont déjà envie de remettre en cause bien qu'elle résulte d'une large consultation de l'ensemble des acteurs : industries culturelles, industries du logiciel et opérateurs de télécommunication. Pour ma part, je constate que le respect des droits de propriété intellectuelle est l'un des moteurs de cette économie de la connaissance et des biens immatériels. Renoncer au respect des droits d'auteur et des droits voisins au nom d'un chimérique accès de tous, sans limites, aux biens culturels, sans assurer de juste rémunération, c'est également accepter à court terme leur stérilisation, leur banalisation, donc leur appauvrissement. Pour parler vrai, nous devons favoriser l'accès de tous nos concitoyens à la culture mais aussi sauvegarder les intérêts économiques des industries,...

M. Frédéric Dutoit - Voilà !

M. Thierry Mariani - ...petites et grandes qui créent au quotidien notre richesse culturelle. C'est pourquoi je vous proposerai de responsabiliser les éditeurs de ces logiciels qui facilitent les échanges de fichiers protégés sur internet sans l'autorisation des ayants droit en incitant les internautes à mettre des œuvres en libre disposition.

M. Christian Paul - Mariani Vivendi, même combat !

M. Thierry Mariani - La voie sera ainsi ouverte à l'ensemble des acteurs pour développer, en partenariat, de nouveaux modèles économiques. Le potentiel de développement de ces nouveaux services à forte valeur ajoutée et les gisements d'emplois qu'ils promettent sont considérables : les secteurs concernés enregistrent déjà un taux de croissance supérieur à celui de l'économie nationale !

En donnant une chance à l'essor du « peer to peer » légal, l'internaute aura le bénéfice d'une offre légale enfin élargie, dans des conditions de sécurité juridique et technique absentes aujourd'hui. Dans l'ensemble, ce texte était un exercice difficile. Vous n'êtes tombé, Monsieur le ministre, dans aucun piège et restez dans une approche équilibrée. Je soutiendrai cette démarche (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Christine Boutin - Ce projet de loi va beaucoup plus loin qu'une simple actualisation juridique et technique de la protection du droit d'auteur. Cette transposition de la directive européenne du 22 mai 2001 concerne l'ensemble de la société, et soulève des questions essentielles en matière de libertés publiques et d'accès à la culture.

Nous vivons dans une société de l'information dont l'internet est l'emblème. Mais l'internet n'est pas une simple innovation technologique, il modifie l'organisation même de notre modèle de société. En 1968 en France et en 1970 en Amérique du nord, d'importantes secousses sociales ont amené les individus à s'interroger sur leur modèle de société. Un modèle de communication de masse à deux pôles, le citoyen et la société, devient l'outil de prédilection des majors. Mais, à partir des années quatre-vingts, le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication fait se substituer à ce modèle bipolaire un modèle à quatre piliers : le citoyen, ses groupes informels, ses groupes formels et la société. Avec l'internet, prend forme un modèle socio-économique à visage plus humain, puisque chacun peut s'exprimer, s'approprier son territoire, inscrire son univers personnel dans un monde de sens. A cet égard, internet est une chance pour notre démocratie et il nous faut en encourager le développement, en déterminant l'attitude la plus juste, surtout en matière culturelle. Entre pillage et protectionnisme, relativisme et monopole, notre modèle de démocratisation culturelle peine à trouver ses marques pour rendre une offre culturelle de qualité accessible au plus grand nombre.

Nous ne pouvons pas faire l'économie d'un débat sur la place de la culture sur Internet. Quelle culture voulons-nous pour demain ? Monopole et conformité ou bien partage et diversité ? Tout l'enjeu est là.

Dans ce projet de loi, je vois trois priorités à défendre. Tout d'abord, la sauvegarde de la copie privée et des libertés qui y sont attachées.

M. le Rapporteur - Tout à fait.

Mme Christine Boutin - Les artistes tirent un revenu financier majeur des droits qu'ils cèdent à leurs producteurs lors de leurs enregistrements.

La deuxième priorité est de préserver la liberté et la diversité des diffuseurs en garantissant une rémunération équitable, et la troisième de faciliter l'accès au patrimoine culturel.

Conformément à ces trois priorités, j'ai choisi de défendre les amendements tendant à instituer une licence globale optionnelle.

M. Christian Paul - Très bien.

Mme Christine Boutin - Ce dispositif garantirait la rémunération des auteurs, assurerait la sécurité juridique des internautes pratiquant le peer-to-peer et autoriserait la mise à disposition à des fins non commerciales de fichiers téléchargés. Selon un sondage de Médiamétrie, 75 % des internautes y seraient favorables. La licence globale optionnelle présente l'avantage de rendre conformes les nouvelles pratiques au respect du droit d'auteur, mais surtout d'instaurer une véritable culture de la générosité et de la responsabilité. Elle permet de plus de rémunérer les ayants droit - auteurs, artistes-interprètes, producteurs... - pour des usages pratiqués par six à huit millions de personnes, que l'on ne parvient pas à interdire et qui ne heurtent ni l'équité sociale ni l'ordre public. De nombreuses études démontrent qu'il n'existe pas de lien de cause à effet entre les difficultés de l'industrie du disque et le développement des échanges de fichiers entre particuliers à des fins non commerciales. Il ne s'agit donc pas de compenser un éventuel préjudice, mais de rémunérer les nouveaux usages.

M. Christian Paul - Absolument.

Mme Christine Boutin - Parce que cette dimension nouvelle de l'échange représente une chance pour notre société, je ne peux me satisfaire de la solution de la répression, même adoucie par la mise en place d'une réponse graduée, qui, hélas, procède de la même philosophie.

Avec internet, une nouvelle soif culturelle est apparue, et c'est tant mieux !

M. Frédéric Dutoit - Bien sûr.

Mme Christine Boutin - A nous de la concilier avec le droit d'auteur et d'encourager chacun à être responsable de ses actes, à respecter les œuvres et à goûter le plaisir de s'éveiller au contact d'une richesse culturelle immense.

Nous ne pouvons pas mettre la culture en quarantaine sur internet. Il nous faut au contraire lui donner la place reconnue et acceptée qui lui revient, car internet offre à tous un immense trésor, dont il convient de fixer dès maintenant les règles d'utilisation afin que tous soient gagnants.

Vous savez, Monsieur le ministre, l'amitié que je vous porte. Mais sur ce sujet particulier, les enjeux sont tels que nous devons avoir une discussion responsable. Le public est ce soir aussi nombreux dans les tribunes que lors de l'examen du Pacs. C'est bien la preuve qu'il s'agit là d'un véritable enjeu de société. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Frédéric Dutoit - Très bien !

M. le Rapporteur - Quelle conversion !

Mme Christine Boutin - Non, une simple cohérence.

Mme Muriel Marland-Militello - J'avoue que la façon dont se déroule ce débat me surprend. Nous sommes tous ici convaincus de la nécessité de protéger les droits d'auteur et pour cela d'instituer des mesures techniques de protection.

M. Christian Paul - Non.

Mme Muriel Marland-Militello - C'est alors un point de divergence entre nous. Nous savons également qu'il nous faut transposer la directive européenne.

M. Patrick Bloche - Pas n'importe comment !

Mme Muriel Marland-Militello - Face à ce consensus, ou du moins à ce que je croyais être un consensus, des voix divergentes se sont élevées, parfois avec violence.

L'un des problèmes de ce projet de loi est qu'il établit une égalité de droits entre des acteurs qui se trouvent dans des rapports de force très différents. Or, nous ne le savons que trop, l'égalité des droits ne suffit pas à garantir l'égalité des chances.

Les auteurs ont a priori tout intérêt à la mise en place de mesures techniques de protection qui, pour être véritablement efficaces, doivent être secrètes. Mais il faut voir plus loin. Quelles en seraient les conséquences pratiques ? Pour mettre en œuvre de telles mesures de protection, il faut disposer de moyens techniques considérables, ce qui inévitablement créerait une inégalité entre les distributeurs. Le risque est que seules demeurent les grandes entreprises internationales comme Microsoft ou Sony, au détriment de la concurrence, donc au prix d'une limitation du nombre d'artistes distribués. Les grands distributeurs de musique et, d'une manière générale de culture, rechignent à investir dans de jeunes artistes dont le succès n'est pas assuré. Pour se faire connaître, ces jeunes artistes créent donc leur propre site internet où ils diffusent leurs œuvres sans frontière, lesquelles trouvent une audience parmi les internautes de leur âge qui n'ont pas nécessairement les moyens d'acheter des œuvres mais achètent des CD vierges sur lesquels ils téléchargent l'œuvre et qu'ils distribuent autour d'eux. Ce n'est qu'une fois que ces jeunes créateurs ont fait leurs preuves que les grands majors les prennent sous contrat. Ils n'ont peut-être pas compris tout l'intérêt qu'il y avait pour eux à disposer encore de logiciels libres.

Pour autant, le rôle des grands distributeurs de culture est essentiel. Leurs investissements sont indispensables. Parallèlement à leurs diffusions sur internet, ils créent les grands spectacles. Il faut reconnaître leur qualité. Loin de les critiquer, je demande simplement qu'ils permettent l'existence de plus petits qu'eux, à côté d'eux. Ma question est de savoir si ce projet de loi protège suffisamment ces plus petits.

Venons-en maintenant aux consommateurs. Comment ceux-ci pourraient-ils refuser de s'acquitter d'un droit pour regarder ou écouter une œuvre ? Sur ce point, nous avons le choix entre deux possibilités. Ou bien le consommateur loue une œuvre pour quelques heures ou en dispose à des conditions telles qu'il n'en est pas véritablement propriétaire et ne peut donc pas en faire ce qu'il veut.

Ou bien, à l'image de celui qui achète un livre en librairie, il en devient le véritable propriétaire, à titre privé. La première possibilité constitue un danger pour les droits d'auteurs et pour l'art. Le patrimoine français s'est constitué grâce aux collections privées, et louer une œuvre dévalorise considérablement la relation privilégiée entre le consommateur - si vous me passez le mot - et le créateur. Quant aux personnes qui proposent de former à la créativité informatique grâce à des logiciels évolutifs et ouverts, leur dynamisme et même, leur existence, sont compromis.

L'avenir de la diffusion réside dans la dématérialisation des supports. Si celle-ci va à l'encontre de certaines logiques économiques, elle est une chance pour la création artistique et informatique, à condition, Monsieur le ministre, de lui laisser une certaine liberté. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

La discussion générale est close.

M. le ministre - Ce débat fera date. La passion qui l'anime est légitime, car il s'agit d'un sujet important pour l'ensemble de nos concitoyens. Lorsque j'en avais le temps, je me livrais moi-même aux libres débats, aux confrontations d'idées, à l'écriture d'un blog et d'éditoriaux sur rddv.coM. Les Français de toutes générations, férus de culture et avides de technologies sont attachés au rayonnement et à la diversité de notre culture, comme aux créateurs sans lesquels la culture serait un ensemble de standards uniformisés.

Notre débat départagera ceux qui attisent les peurs et ceux qui tentent d'ouvrir avec nous une voie d'avenir, donnant au plus grand nombre l'accès à la culture et favorisant la création dans notre société de l'information.

M. Christian Paul - Quel schématisme ! N'est pas Malraux qui veut !

M. le Ministre - Comme vous l'avez souligné, M. Dionis du Séjour, il s'agit bien d'un débat politique. Je vous remercie d'avoir évoqué avec cœur la priorité nationale qu'est celle de l'accès des personnes handicapées à la culture.

M. Jean Dionis du Séjour - Il faut le faire, Monsieur le ministre !

M. le Ministre - Comme l'a rappelé M. Richard, ce texte a été soumis à une longue concertation. Je me permettrai de citer les instances et de souligner la multiplicité des réunions qui portent depuis dix-huit mois sur ces questions.

M. François Bayrou - Nous ne sommes pas dans une réunion, mais à l'Assemblée nationale !

M. le Ministre - Je suis à la disposition permanente de l'Assemblée, des commissions et de l'ensemble des groupes, parce que j'aime le débat et le dialogue.

M. François Bayrou - Ne parlez pas de vous ! Le Gouvernement vient de décréter l'urgence !

M. Christian Paul - Très bien ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre - Le conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, les fournisseurs d'accès ont pris part à ces concertations. Celles concernant l'accord sur le cinéma et la vidéo à la demande ont été nombreuses et larges, de même que celles qui portaient sur la musique. Des missions ont été par ailleurs confiées à MM. Chantepie et Bernicot, à MM. Kahn et Brugidou. Ce travail, qui était celui de l'exécutif, n'exclut pas l'enrichissement apporté par le Parlement.

A ceux qui veulent faire passer ce Gouvernement pour liberticide, je réponds qu'internet demeure plus que jamais un formidable espace de liberté, d'échanges et de création, et que la liberté ne signifie pas l'anarchie.

Pour qu'elle demeure une valeur aux yeux de nos concitoyens, ceux-ci doivent avoir accès aux œuvres. Tel est l'objet de ce texte qui donne un véritable statut à la copie privée et en assure la rémunération, ce qui est essentiel pour de nombreux artistes. A ceux qui voient comme alternative à la jungle ultralibérale la geôle, je rappelle qu'il existe une troisième voie, le développement d'une offre légale de musique et de cinéma.

L'accord sur le cinéma à la demande a été signé hier rue de Valois. A ceux qui poussent des cris d'orfraie en entendant accolés les termes d'industrie et de culture, je réponds que les industries culturelles constituent l'une des grandes sources du rayonnement de la France et qu'il convient de sauvegarder les emplois dans ce secteur stratégique.

Selon une étude de l'INSEE, les industries culturelles regroupaient en 2003 environ 1 200 entreprises employant moins de vingt salariés. Elles sont aujourd'hui en plein essor mais M. le rapporteur a cité des chiffres démontrant combien ce secteur est menacé. Je vous appelle à la responsabilité face à certaines outrances. Mesdames et messieurs les députés de l'opposition, allez dire aux salariés de ces entreprises, aux artistes et aux techniciens que vous ne vous préoccupez pas de sauver leur emploi, et aux internautes que vous ne les appelez pas à la prise de conscience !

Ajoutez que vous ne voulez pas voir émerger de nouveaux modèles technologiques, économiques et culturels ! Définir les termes d'une sécurité juridique permettra au contraire l'apparition d'une multitude d'offres légales culturelles et artistiques. Enfin, dites-leur que vous ne souhaitez pas que la France soit pionnière dans ce domaine et s'inspire de l'expérience des pays qui protègent juridiquement les mesures techniques.

A ceux qui déplorent le vide actuel entre l'absence de tout avertissement et l'application des actions pénales, qui peuvent d'ores et déjà être très sévères, j'opposerai la réponse - et non la riposte - graduée.

M. Christian Paul - C'est la même chose, c'est Guantanamo !

M. le Ministre - Les litiges pourront être arbitrés par cette institution novatrice qu'est le collège des médiateurs, et toutes les précautions ont été prises après avis de la CNIL. L'Europe entière nous envie ce nouveau dispositif, la Commission l'examine avec une attention toute particulière et le conseil des ministres de la culture l'a approuvé à l'unanimité.

M. Christian Paul - Quelle honte ! Quel message !

M. le Ministre - Oui, c'est un message très positif car il sort de l'alternative pénale comme élément de régulation !

A ceux qui s'inquiètent des effets de la réponse graduée, je réponds qu'un internaute, à la suite d'une dénonciation des titulaires des droits, sur saisine du juge, encourt une sanction pouvant aller jusqu'à 500 000 euros et cinq ans de prison. Demain, si ce dispositif est adopté, il sera d'abord averti par message électronique puis mis en demeure par lettre recommandée avant d'encourir sur saisine de l'autorité de médiation une amende maximale de 300 euros.

Ce dispositif ne se cumule pas avec le dispositif judiciaire et ne s'y substitue pas. Lorsqu'il ne s'agit pas d'actes de contrefaçon de grande envergure, la voie de la sanction administrative sera privilégiée.

M. Christian Paul - Faites venir le Garde des Sceaux, que nous puissions parler le même langage !

M. le Ministre - Arrêtons-là un mythe : ce texte ne modifie en rien le droit des logiciels. Le projet ne remet aucunement cause certains droits importants comme « l'exception de décompilation », qui permet de décoder un logiciel pour en comprendre le fonctionnement et recréer un autre logiciel interopérable, celui-ci pouvant ensuite être diffusé sous une licence libre. Pour dissiper tout malentendu, le Gouvernement présente un amendement qui exclut spécifiquement des actes de contournement des mesures techniques ceux réalisés pour favoriser la compatibilité et l'interopérabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Ainsi, ce texte garantit à d'éventuels nouveaux entrants dans le domaine des mesures techniques un accès aux fichiers existants.

Je comprends les remarques de MM. Dionis du Séjour et Baguet sur l'élargissement des exceptions. Nous avons fait sur ce sujet le choix de l'équilibre en utilisant la voie contractuelle.

L'objectif du Gouvernement est de favoriser le développement de l'excellence française dans le domaine des mesures techniques, tout en préservant le développement des services en ligne et l'accès aux œuvres qu'il permet.

Qui a déclaré : « l'Etat doit procurer un cadre juridique efficace à l'utilisation des systèmes techniques anti-piratage, en interdisant par exemple, les procédés qui permettraient de contourner de tels dispositifs »? Catherine Trautmann, en mars 1999 ! Qui préconise « une intransigeance sans faille et permanente à l'égard du piratage » ? Catherine Tasca, en juillet 2000. A ceux qui prétendent que ce texte est archaïque, je réponds que je n'y puis rien si la directive qu'il transpose a été négociée entre 1997 et 2001 par des gouvernements que vous connaissez bien !

Les dispositions que nous y avons ajoutées sur la réponse graduée, l'interopérabilité ou le collège des médiateurs en font un texte moderne, tourné vers l'avenir, dans le respect des droits des créateurs.

Je tiens aussi à faire litière d'une crainte, que je comprends mais qui relève du fantasme ! Les professionnels de l'information et de la documentation, au premier chef les bibliothécaires, ne risquent en aucun cas d'être poursuivis pour avoir fait leur travail d'indexation !

M. Patrick Bloche et Mme Martine Billard - Il faut l'écrire !

M. le Ministre - Leur mission est essentielle et le projet de bibliothèque numérique européenne illustre leur capacité à se saisir des nouvelles technologies pour en faire bénéficier le plus grand nombre.

A ceux qui prétendent faire de la licence légale la panacée, je réponds qu'elle ne profite ni au consommateur ni au créateur, car elle va fortement augmenter le prix de l'abonnement, alors que nous voulons que le plus grand nombre de Français aient accès aux nouvelles technologies de l'information. Elle nécessite des mesures de surveillance de tous les internautes - qui sont évidemment passées sous silence par les tenants de la licence légale  - et menace l'existence des créateurs français. J'ajoute qu'à ce stade, il n'y a pas de proposition de répartition viable.

A ceux qui sont prompts à faire flèche de tout bois, à utiliser la démagogie ou à nous intenter de mauvais procès, je dis « que notre politique culturelle doit être offensive et reposer à la fois sur le soutien à l'action publique et sur le développement d'industries culturelles européennes. Sans nous tromper d'époque ou de combat : entre l'artisanat indépendant, prétendument protégé par des barrières que de nouvelles technologies ont fait tomber, et l'économie de groupes mondiaux surpuissants régulés par des normes américaines, l'Europe doit inventer son propre modèle. La France peut et doit en être l'une des initiatrices. » A ceux qui taxeraient cette conviction d'ultra libérale, je réponds simplement que les propos que je viens de citer sont de Laurent Fabius, en juillet 2004.

Au terme de cette discussion générale, je souhaite que nous ayons au moins tous à cœur de dissiper un certain nombre d'idées fausses. Chacun peut penser ce qu'il veut, mais je vous demande de ne pas trahir l'esprit du texte et de ne pas faire naître des peurs inutiles. Internet est une chance, mais le législateur a dans ce domaine un travail à accomplir. (Applaudissements bancs du groupe UMP)

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 7, du Règlement.

M. Patrick Bloche - Dans le tout premier traité des droits d'auteur, paru en 1838, Renouard écrit qu'une loi sur cette matière ne saurait être bonne qu'à la double condition de ne pas sacrifier le droit des auteurs à celui du public, ni le droit du public à celui des auteurs. Cette mise en garde reste d'actualité et nous permet de voir à quel point votre approche diffère de la nôtre.

Là où vous voulez maintenir les contraintes de rareté des biens physiques dans le monde d'abondance qu'est la société de l'information, nous considérons au contraire que la création culturelle se nourrit avant tout du partage des savoirs et de la circulation des œuvres. Alors que vous considérez la copie privée comme le spectre du droit d'auteur, nous y voyons au contraire un point d'équilibre ente le droit des créateurs et l'intérêt du public. Là où vous n'envisagez que des mesures de repli, qui sont souvent des sanctions, nous préférons défendre des solutions novatrices permettant le fonctionnement efficace d'une économie de la culture.

Campant sur ses positions, le Gouvernement nous propose un texte inadapté, à l'analyse biaisée et aux mesures inefficaces, voire anachroniques. Sur une matière en perpétuelle évolution, le Gouvernement nous propose en effet un projet vieux de deux ans et s'appuie en cette circonstance sur un rapport de commission datant du mois de juin ! Alors que l'on en sait plus aujourd'hui sur les mesures techniques de protection ou sur l'impact des réseaux « peer-to-peer », le Gouvernement reprend soudain ce projet et l'inscrit à l'ordre du jour. Qui plus est, après en avoir constamment reporté la discussion jusqu'à être sanctionné pour retard de transposition, il a cru bon de demander qu'il soit discuté en urgence ! Moyennant quoi, nous devrions expédier à la va-vite, en fin de session, une révision importante du droit d'auteur, qui a des implications lourdes sur l'économie et la circulation des biens culturels !

Nous n'avons eu que 48 heures pour déposer de nouveaux amendements et nous allons devoir nous prononcer sur des amendements importants - certains créent même de nouvelles incriminations pénales ! - qui n'ont pas été examinés en commission. Je pense en particulier à ceux visant à instaurer une « réponse graduée », dont l'objectif n'est en fait que de contourner les exigences de la CNIL, qui a repoussé, rappelons-le, les dernières demandes de l'industrie musicale.

On est tenté de s'interroger sur les raisons qui vous poussent à demander l'urgence. Bien sûr, il faut transposer la directive du 22 mai 2001, mais est-ce une raison pour restreindre le débat démocratique ? A l'évidence, non, d'autant qu'il y a bien d'autres directives - 73 ! - en retard de transposition. La précipitation soudaine du Gouvernement se comprend d'autant moins que la Commission européenne prépare une nouvelle directive sur le droit d'auteur.

Vous nous avez accusés de pratiquer la désinformation et la caricature. Or, c'est le Gouvernement qui n'a distribué qu'au dernier moment aux parlementaires des amendements visant à proposer une « réponse graduée » - mesure pourtant placée au cœur de votre texte. Où est la désinformation ? Et, c'est vous, Monsieur le ministre, qui avez qualifié hier soir les propos de M. Paul de « lamentables » et « minables », sans pour autant répondre à aucune de nos objections de fond et en feignant de croire que nous étions les apôtres de la gratuité. Où est donc la caricature ?

Plus grave encore : ces deux années d'attente ont été l'occasion manquée d'un vrai débat public avec l'ensemble des partenaires de la création et les représentants des utilisateurs. Vos atermoiements successifs et cet élan soudain illustrent votre volonté de passer en force contre l'avis des consommateurs et de nombreux artistes, contre l'avis des internautes et des bibliothécaires, contre l'avis de l'Association des maires de France et contre l'avis même de certains députés de la majorité ! Vous ignorez la complexité de ce dossier, que vous simplifiez pour satisfaire les intérêts des majors de la culture.

Votre conception du droit d'auteur n'est pas celle sur laquelle s'est édifiée la création culturelle en France. Vous ne vous contentez pas de transposer simplement une directive, vous la surchargez de mesures répressives supplémentaires tout en écartant les enjeux actuels de la société de l'information.

Vous n'apportez comme réponse au partage de fichiers que la criminalisation. Vous opposez les intérêts du public à ceux du créateur, la liberté d'accès au droit à la rémunération de la création. Ces choix sont inquiétants. En vous attaquant à l'exception pour copie privée, vous assimilez les citoyens à de simples consommateurs et poursuivez votre offensive contre la création - déjà bien entamée par la remise en cause du statut des intermittents du spectacle.

Alors, de grâce, ne nous taxez pas de passivité ou de laxisme lorsque nous refusons votre logique répressive ! N'allez pas nous enfermer dans le rôle des pourfendeurs du droit d'auteur ! C'est tout le contraire : notre refus de considérer le partage de fichiers comme un fléau à éradiquer ne fait pas de nous des partisans du laisser-faire ! La création doit entraîner une rémunération, mais sans diluer le droit d'auteur dans la conception anglo-saxonne du copyright !

Plusieurs députés UMP - Et Mme Hidalgo ? Et M. Lang ?

M. Patrick Bloche - Voilà qui scellerait le divorce entre les créateurs et leur public. Pour nous, le droit d'auteur est le principal régulateur des relations économiques et sociales au sein des professions culturelles. Il protège les auteurs face aux éditeurs et aux diffuseurs qui contrôlent l'accès au marché et disposent ainsi d'un pouvoir de négociation. Au contraire, le copyright privilégie les investissements et les droits des producteurs. Le droit d'auteur est un rempart contre la marchandisation de la culture et une reconnaissance de l'acte créateur. C'est pourquoi sa protection est un pilier du combat pour l'exception culturelle.

Le droit d'auteur est aussi un instrument essentiel au bon fonctionnement de la société de la connaissance, où un nombre croissant d'activités est concerné. Légiférer en la matière implique d'envisager les conséquences qu'aura sa modification dans des secteurs où les logiques sont parfois différentes de celles de la filière culturelle.

Enfin, le droit d'auteur est un contrat social : la recherche permanente d'un équilibre entre les droits des créateurs et l'intérêt du public. Les exceptions - dont celle pour la copie privée - en font un véritable pacte pour les citoyens. Depuis le XVIIIe siècle, la quête de cet équilibre est au cœur des législations sur le droit d'auteur, qu'elles soient explicites comme aux Etats-Unis ou implicites comme en France. En reconnaissant un monopole provisoire des auteurs sur les œuvres, les Révolutionnaires de 1789 veillèrent aussi à leur retour rapide dans le domaine public. De même, c'est cet équilibre que recherchaient Jean Zay et le Front populaire lorsqu'ils travaillaient à une loi dans laquelle l'auteur serait considéré non comme un propriétaire, mais comme un travailleur intellectuel.

M. Christian Paul - Très bien !

M. Patrick Bloche - Le groupe socialiste refuse la logique conflictuelle qui oppose les intérêts des créateurs à ceux du public, les droits d'auteur et les libertés publiques, l'accès aux œuvres et leur rémunération. Voilà pourquoi nous demandons au Gouvernement de renoncer à l'urgence : une lecture dans chaque assemblée et la réunion d'une CMP pour boucler l'examen de ce texte, c'est inacceptable !

M. François Bayrou et Mme Martine Billard - Exactement !

M. Patrick Bloche - Le droit d'auteur, garant de la diversité culturelle, ne peut souffrir un traitement à la hâte, d'autant que vos arguments sont contestables - et très contestés. En ignorant les nombreuses objections qui vous sont faites, vous nous entraînez dans un faux débat.

Tout d'abord, vous prétendez défendre le droit d'auteur, mais vous en assurez en fait le dévoiement. La société de l'information porte en germe la démocratisation de l'accès aux œuvres culturelles, mais elle a aussi bouleversé les conditions économiques de la création comme celles de la diffusion et de l'accès au patrimoine culturel. La première étape de cette mutation numérique a beaucoup profité aux industries culturelles - grâce au passage du vinyle au CD, par exemple. La seconde étape, c'est la dématérialisation actuelle des œuvres avec le développement d'internet et du numérique. La compression et la numérisation des données, la généralisation du haut débit et le développement de l'interactivité ont presque annihilé les contraintes liées à la pénurie des ressources. Les technologies arrivent aujourd'hui à maturité, et une floraison d'outils sont disponibles sur les marchés. Les usages de millions de citoyens sont ainsi profondément modifiés.

Dans le même temps, le mouvement de l'appropriation privée s'accélère dans tous les domaines de la création. En effet, la mutation numérique bouleverse les intérêts financiers attachés au droit de la propriété intellectuelle. Comme chaque innovation technologique, elle ravive les tensions autour de la rémunération. D'un côté, les créateurs se sentent menacés par l'évolution des pratiques et adoptent une position défensive qui entrave parfois le dialogue ; de l'autre, les utilisateurs ne comprennent pas toujours les obstacles à la diffusion de contenus.

Jusqu'à présent, ces conflits se sont toujours conclus par des compromis : reconnaissance de nouveaux droits, nouveaux modes de rémunération, extension de la gestion collective, ouverture de nouveaux marchés ou émergence de nouveaux opérateurs... A leur apparition, les cassettes audio et les magnétoscopes furent dénoncés comme une menace pour les industries concernées. On sait ce qu'il en advint... Dans chacune de ces crises, le droit d'auteur a révélé ses capacités d'adaptation et les pouvoirs publics sont intervenus pour préserver l'équilibre entre les intérêts des titulaires de droit et ceux du public.

La notion de droit d'auteur doit évoluer, mais elle ne peut pas être un simple outil d'appropriation comme le copyright. La propriété intellectuelle, certes vitale pour les auteurs, ne doit pas empêcher la circulation des œuvres. L'extension du domaine privé est donc une réponse paradoxale aux effets de la numérisation et de l'interconnexion des réseaux, qui favorisent un plus large accès aux œuvres. Il ne faut donc pas modifier le droit dans un sens plus répressif. Le renforcement des droits de propriété intellectuelle que vous proposez risque de conduire à son affaiblissement car à raisonner en termes de répression, à assimiler les œuvres à des biens de consommation courante et à criminaliser les internautes, le droit d'auteur se perdra.

Hélas, et c'est le deuxième élément de ce faux débat, vous comptez sur l'industrie du disque pour développer une offre dite légale, alors que son objectif principal est de poursuivre les pirates. Reprenant à son compte le langage des industries du disque, le Gouvernement est responsable des conflits actuels et du fossé grandissant entre l'industrie musicale et son public.

On a cru, à l'été 2004, à une légère correction de tir avec la signature, à l'Olympia - propriété de Vivendi Universal, tout un symbole - de la charte sur la musique en ligne qui visait à impliquer les fournisseurs d'accès dans la lutte contre le piratage et devait associer la promotion des offres légales et payantes à la pédagogie auprès des internautes. Pourtant, le développement de l'offre légale fut faible ; les mesures répressives, en revanche, nombreuses. Pascal Nègre, principal promoteur de cette charte, en résumait ainsi l'esprit : « Vous voulez la plus belle discothèque du monde, chacun a ses rêves : il y a des filles qui veulent 153 diamants, mais elles ne peuvent pas se les payer et elles n'en ont aucun ». Tout est dit : les œuvres sont réduites à des produits de consommation courantes. Cette charte s'appuie sur la loi pour la confiance dans l'économie numérique qui prévoit jusqu'à trois ans de prison et 300 000 euros d'amende pour les actes de contrefaçon, ainsi que sur la révision de la loi informatique et libertés qui autorise désormais des personnes morales à relever et traiter les données relatives à des infractions dont elles s'estiment victimes. Elle n'a eu qu'un seul but : entamer dès la rentrée de 2004 une vague de procès pour l'exemple.

Qu'en est-il aujourd'hui du développement de l'offre dite légale, alors présentée comme l'unique solution ? Nous doutions de l'efficacité des mesures proposées. L'objectif de 600 000 titres nous paraissait très faible et correspond à peine au nombre d'albums disponibles dans un grand magasin. Nous avions également émis des craintes quant au coût de la numérisation, celle-ci ne portant que sur des best-sellers, ce qui entraîne de facto une baisse de la diversité culturelle. Aucune obligation, en cette matière, n'était d'ailleurs prévue. Cette charte, enfin, n'envisageait rien de concret quant à l'interopérabilité des plateformes de téléchargement en ligne et du matériel d'écoute.

Un an plus tard, nos craintes se sont confirmées. Le bureau européen des consommateurs vient de publier deux études pointant les carences de la seule alternative officielle aux usages actuels des internautes. La conclusion est sans appel : pauvreté de l'offre et casse-tête technique. Concernant la diversité culturelle, le résultat est affligeant : les disponibilités des œuvres de 260 artistes ont été testées sur sept sites. En moyenne, les deux tiers ne sont pas disponibles et ce chiffre atteint 90 % sur le seul répertoire consacré à la musique classique. En somme, comme titrait récemment un quotidien, « télécharger légal, c'est télécharger banal. » Concernant l'interopérabilité des plateformes, la situation est également ubuesque. Chaque site légal dispose de son propre système et il est quasiment impossible de lire un fichier téléchargé sur un baladeur numérique, comme si l'acheteur d'un CD devait se préoccuper de la marque de sa chaîne Hi fi.

Troisième élément de ce faux débat : l'établissement d'un lien entre la baisse de ventes de disques et le téléchargement sur les réseaux de peer to peer. Cette incapacité de s'adapter aux évolutions de la société de l'information et cette volonté d'une répression accrue sont fondées sur ce présupposé initial contestable : en effet, ce n'est pas parce que ces deux phénomènes sont concomitants qu'ils sont directement liés. Aucune étude sérieuse ne confirme une telle hypothèse : seule une part très limitée de la réduction des ventes de disques est due au réseau d'échange en ligne. Une étude américaine publiée en 2004 conclut par exemple qu'il faut 5 000 téléchargements de fichiers pour diminuer la vente d'un disque. Dans ces conditions, les réseaux d'échange ne seraient responsables que d'une baisse des ventes de 2,5 pour 1 000. Le département des études de la prospective et de la statistique du ministère de la culture a, quant à lui, publié une étude sur les pratiques déclarées de téléchargements de fichiers. Le nombre d'internautes qui téléchargent régulièrement sur les réseaux d'échange est évalué à 31 %, mais le téléchargement n'a pas modifié leurs pratiques concernant le cinéma, les jeux vidéos ou la musique. Depuis qu'ils téléchargent des fichiers de films, 75 % d'entre eux ont déclaré ne pas avoir modifié leur fréquence de sorties au cinéma. 64 % des personnes qui téléchargent des fichiers musicaux déclarent acheter des CD neufs autant qu'avant, et 12 % plus qu'avant.

M. Frédéric Dutoit - Très juste.

M. Patrick Bloche - La motivation première des internautes, d'ailleurs, n'est pas la gratuité. Ils veulent profiter d'une offre plus abondante que sur les plateformes légales. Une étude de l'OCDE souligne que les industries du disque n'ont pas encore su tirer profit des nouvelles technologies. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : plus de 8,5 millions de personnes téléchargent des fichiers sur les réseaux peer to peer ; plus de 20 milliards de fichiers musicaux ont été téléchargés en 2004 à travers les serveurs d'échanges contre seulement 310 millions sur les sites payants. Les internautes ont bel et bien adopté le peer to peer. Comme le souligne Dominique Barella, président de l'Union syndicale des magistrats...

M. le Rapporteur - Et membre du parti socialiste !

M. Patrick Bloche - ...quand une pratique qui est une infraction se généralise pour toute une génération, c'est la preuve que l'application d'un texte à un domaine particulier est inepte.

M. Frédéric Dutoit - Et rétrograde !

M. Patrick Bloche - Quatrième élément de ce faux débat : vous criminalisez des pratiques tout en ignorant les récentes avancées jurisprudentielles. Cette inadéquation entre la règle et la pratique est source d'une insécurité juridique importante. Or, les termes de piraterie et de piratage ne sauraient viser uniformément le téléchargement d'œuvres protégées, leur mise à disposition ou leur contrefaçon dans un but commercial. Le caractère illicite du téléchargement est controversé. La commission canadienne du droit d'auteur a par exemple conclu que télécharger sur internet constitue un acte de copie privée tout à fait légal à condition de ne pas vendre, louer ou communiquer la copie au public. En France, des voix de plus en plus nombreuses s'élèvent pour demander une clarification de la ligne de partage entre le licite et l'illicite. Ainsi, le Conseil économique et social a récemment proposé de qualifier de copies privées les téléchargements d'œuvres au lieu de les assimiler systématiquement à du piratage. Le 10 mars 2005, la cour d'appel de Montpellier a confirmé la relaxe d'un internaute ayant téléchargé des œuvres. Il n'est donc pas nécessaire de disposer d'un exemplaire original acheté dans le commerce pour bénéficier de l'exception pour copie privée. Ces décisions mettent non seulement un frein aux tentatives de poursuite des pirates mais elles doivent être le point de départ d'une réflexion renouvelée sur le devenir de la copie privée comme point d'équilibre du droit d'auteur.

Cinquième élément de ce faux débat : vous prétendez agir pour sauvegarder la vitalité économique de l'industrie culturelle mais vous l'empêchez de profiter des bénéfices de la société de l'information. L'avis du conseil d'analyse économique est éclairant. Il montre en effet que les logiques défensives cherchent à maintenir le plus longtemps possible le fonctionnement classique des marchés et à restaurer la liaison entre le contenu d'une œuvre et son support physique. Il estime également que ces tentatives sont non seulement vouées à l'échec mais que leur persistance prive la société des bénéfices de la révolution numérique. Gageons que ceux qui mènent ces combats d'arrière-garde auront, comme l'affirme l'économiste Pierre-Noël Giraud, autant de chances de succès que ceux qui se seraient opposés à l'imprimerie pour sauvegarder l'emploi des copistes...

M. Christian Paul - Voilà la ligne Maginot !

M. Patrick Bloche - ...et l'art de la calligraphie dans l'Occident médiéval. Les technologies de l'information multiplient les capacités de production et de diffusion des programmes. Elles représentent un gain considérable et sont une chance pour les artistes : potentialité de diffusion accrue, prime à la diversité, lutte contre la standardisation, promotion des labels indépendants. C'est un nouveau modèle économique que nous devons inventer ! Malheureusement, nous n'en trouvons nulle trace dans ce projet. Le Gouvernement navigue ainsi à vue, sans se soucier du long terme. Il donne son blanc-seing aux majors du disque qui s'ingénient à mettre en place des moyens juridiques et techniques pour faire payer ce que le progrès technique rend accessible au plus grand nombre. Celles-ci n'ont pas su profiter du développement du commerce électronique et souhaitent se voir reconnaître les moyens d'endiguer ce phénomène par le recours à un arsenal pénal et technologique. Mais l'internet ne peut être le bouc émissaire d'une industrie qui peine à renouveler son modèle économique. Même les artistes ne vous suivent pas dans votre volonté de barricader le droit d'auteur. Ils ont bien compris que cette révolution culturelle était inéluctable ! D'après une enquête menée aux Etats-Unis auprès de 2 700 artistes, 3 % seulement des musiciens estiment qu'internet nuit à la possibilité de protéger leurs créations.

Reconnaissons tout de même que le Gouvernement a le mérite de la cohérence. Force est de constater que ce projet repose sur la même base que l'ensemble des textes que vous avez présentés depuis 2002 : la dimension répressive. Ce texte ne se contente pas de transposer une directive mais il ajoute des sanctions supplémentaires et constitue une nouvelle étape dans ce que Philippe Aigrain appelle une « course aux armements de la propriété intellectuelle. » Peut-être l'idée de la riposte graduée en est-elle d'ailleurs issue. L'assimilation du contournement d'une mesure technique de protection à de la contrefaçon en est la parfaite illustration.

Transposer une directive ne doit pas nous faire oublier notre rôle de régulateur mais nous conduire plutôt à nous interroger sur des dispositions plus problématiques qu'il n'y paraissait il y a quatre ans. Las, vous avez ignoré les difficultés et durci les problèmes ! Ce durcissement est particulièrement vrai pour ce qui concerne les mesures techniques de protection - les MTP.

Jusqu'à présent, la protection des droits sur les œuvres était essentiellement juridique. Désormais, des techniques numériques permettent d'envisager une protection physique des documents multimédias et des droits d'auteur qui s'y rattachent. Pourtant, aucun de ces procédés ne résiste à l'inventivité des ingénieurs et autres hackers. Toutes les logiques de codage peuvent être contournées, de même que les procédés de marquage. Les promoteurs des MTP l'ont du reste bien compris. Conscients de leur vulnérabilité, ils ont souhaité que les MTP soient elles-mêmes protégées, ce que font le traité de l'Organisation mondiale sur la propriété intellectuelle de1996 et la directive en voie d'être transposée. Ainsi s'est constitué un empilement de protections : la loi sur le droit d'auteur, les MTP, la protection des MTP, un utilisateur les contournant se rendant coupable de la violation du droit d'auteur et de celle des dispositions relatives aux MTP ! Cependant, alors même que la directive ne le requiert pas, vous avez souhaité ajouter un quatrième palier de protection, en considérant comme un délit le fait de divulguer une information sur le contournement d'une MTP. Gardons à l'esprit que les MTP n'ont pas été conçues pour répondre aux échanges de fichiers sur le réseau peer to peer. La directive qu'il nous est proposé de transposer remonte à 1996 - elle tend à intégrer dans le droit communautaire le traité de l'OMPI, lequel introduit la notion de mesures techniques de protection contre la copie en droit international. Elle est donc antérieure au phénomène du peer to peer, qui n'a démarré qu'en 1999. Aussi, en 1998, date à laquelle ont été entamées les négociations sur la directive, nous n'avions qu'une idée très vague de ce que recouvraient réellement les MTP. Notre vision s'est aujourd'hui précisée, et sans doute convient-il de distinguer les finalités à leur assigner.

Certaines mesures techniques tendent simplement à notifier à l'utilisateur le régime de protection de l'œuvre, la manière dont il peut en disposer et comment s'acquitter, le cas échéant, du paiement d'une redevance. Ce type de mesures ne soulève aucune objection de principe. Elles participent d'une démarche bienvenue de responsabilisation des usagers.

D'autres, par contre, visent à contrôler ou à restreindre l'utilisation des œuvres. Ces dispositifs peuvent être anti-copie, anti-usage ou tendre à identifier l'utilisateur, à tracer l'usage de l'œuvre ou à la tatouer... Au-delà de leurs aspects intrusifs - je pense au fameux rootkit de Sony que les éditeurs de logiciels anti-virus ont récemment classé dans la catégorie des produits espions ! -, la généralisation des dispositifs de protection risque de transformer en profondeur le régime du droit d'auteur. D'abord, les MTP peuvent porter atteinte à la vie privée, en violant notamment le secret des choix de programmes. Certaines peuvent même espionner les utilisateurs qui accèdent à des œuvres sur leur machine et envoyer des données à leur insu. De telles mesures autorisent ainsi un industriel à savoir qui lit quoi et à quel moment ! Elles peuvent également faire obstacle à la faculté de procéder à des copies privées, et leur développement non contrôlé annulerait de fait l'exception reconnue en la matière.

Comment, par exemple, un utilisateur pourrait-il accepter de payer une redevance de copie privée sur les supports vierges et, dans le même temps, se voir interdire par une MTP d'exercer un droit effectif à copier à titre privé ? Au surplus, la directive repose sur un mauvais équilibre et il est à craindre que les exceptions pour copie privée ne soient peu à peu annulées par les progrès des MTP. Le groupe socialiste unanime (Murmures) a ainsi déposé un amendement visant à transcrire une disposition essentielle de la directive, que vous avez délibérément écartée. Nous proposons en effet que le degré d'utilisation des MTP soit pris en compte dans la répartition de la rémunération pour copie privée. C'est du reste à l'unanimité que le groupe socialiste présentera les amendements qui viendront en discussion...

M. François Bayrou - L'unanimité ne garantit jamais la vérité !

Plusieurs députés UMP - C'est la synthèse !

M. Patrick Bloche - Je souhaite la même unanimité au groupe UMP ! Et puisse-t-elle convaincre le ministre de nuancer certains de ses propos !

Comme je l'évoquais précédemment, vous avez durci la directive en assimilant à de la contrefaçon le contournement d'une MTP. Vous n'y étiez pas du tout obligés ! En Italie, une simple amende est prévue, et, en Espagne, les copies à des fins non commerciales ne portant pas atteinte à l'exploitation de l'œuvre sont tolérées.

Désormais, en France, un utilisateur ayant légalement acquis une œuvre, et qui parvient à en faire une copie privée malgré les MTP, sera poursuivi pour contrefaçon. Ainsi, la simple jouissance de la copie privée devient un délit passible de trois ans de prison et 300 000 euros d'amende ! D'où l'un de nos amendements, qui vise à ce que l'exception pour copie privée ne soit pas que théorique, en excluant du délit de contrefaçon les actes de contournement des MTP des œuvres par celui qui les a licitement acquises.

Par ailleurs, les MTP peuvent porter atteinte aux droits dont dispose chaque auteur, qu'il s'agisse du droit au respect des œuvres, au droit moral qui leur est reconnu depuis le XIXe siècle, tant il est vrai que le droit d'auteur n'est pas seulement patrimonial mais aussi moral. L'exercice de ce droit moral permet aux auteurs de choisir la manière dont leurs œuvres sont mises à la disposition du public. Rien n'empêche, par exemple, qu'une mesure technique impose le visionnage d'une publicité au milieu d'une œuvre. Il est donc impératif que les auteurs soient associés aux choix des MTP et puissent contester un abus manifeste de mesures techniques. Tel sera l'objet de deux de nos amendements.

Enfin, les MTP posent un problème d'interopérabilité. Didier Mathus et Christian Paul ont déjà évoqué cette question et je voudrais y revenir brièvement. Il nous faut lever l'incertitude des consommateurs quant à la capacité du matériel dont ils disposent à lire une œuvre acquise légalement. Le fournisseur doit donner les éléments qui garantissent que les œuvres protégées doivent pouvoir être converties dans un format accepté par tout autre système de lecture. Plus globalement, la généralisation des MTP est préoccupante puisqu'elle place la filière musicale sous la dépendance de la poignée de fournisseurs de solutions techniques que sont Microsoft, Apple ou Sony. Le secteur de la musique, déjà hyper concentré, confie son avenir à des acteurs industriels de l'informatique, dont le modèle économique repose sur l'organisation de marchés captifs : Microsoft via Windows Media Audio et Appel via l'iPod. Comble du paradoxe, nombre de technologies de numérisation et de diffusion des biens culturels ont été développés grâce à des financements communautaires ! Malheureusement, loin de se conformer au patriotisme économique prôné par le Premier ministre, le Gouvernement encourage la filière musicale à se tourner vers des solutions techniques américaines, relevant pour l'essentiel de Microsoft.

Christian Paul a rappelé hier, dans un remarquable exercice didactique (Exclamations sur divers bancs), le casse-tête auquel est confronté tout détenteur de baladeur numérique. D'ailleurs, d'ici trois jours, je puis vous garantir que ces appareils figureront en bonne place au pied des sapins de Noël ! Quel message envoyez-vous à leurs futurs propriétaires ? « Attention ! Vous êtes des délinquants potentiels et, bientôt, des pirates ! » Tel est votre propos à trois jours des fêtes ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP)

Et je reprends à ce point de mon propos la démonstration de Christian Paul, en vous invitant à l'écouter en pensant à vos enfants !

Plusieurs députés UMP - Nos amendements vont régler le problème !

M. Patrick Bloche - Avec un iPod, je ne peux transférer les titres d'un CD assorti de MTP, même si je l'ai acheté légalement. Pour les lire, je suis donc obligé de les contourner. Sanction prévue par le projet de loi : jusqu'à trois ans de prison et 300 000 euros d'amende. Avec le même appareil, je ne peux transférer un titre acheté dans une boutique en ligne - vous savez bien, les marchands du temple qui se tenaient hier à proximité immédiate de cet hémicycle ! -, les formats et les MTP de ces plateformes n'étant pas compatibles avec les formats du baladeur. Pour le lire, je vais donc devoir contourner les MTP installées par la maison de disque. Sanction encourue : jusqu'à 3 ans de prison et 300 000 euros d'amende !

La FNAC - premier vendeur européen d'iPod - vend sur sa plateforme de musique en ligne des fichiers, protégés par le format et les MPT de Microsoft, que l'iPod ne peut pas lire. Dès lors, elle donne l'astuce de graver le titre ! Sanction encourue : jusqu'à trois ans de prison et 300 000 euros d'amende.

Avec un iPod, la seule option légale qui s'offre à moi si je souhaite acheter de la musique en ligne, c'est de me rendre sur la plateforme d'Apple. Je vous le demande : le but du projet de loi est-il de conforter le monopole d'Apple ? Il me reste la solution d'acheter un second baladeur, d'une autre marque, acceptant les formats Microsoft, pour lire les titres que j'acquiers sur d'autres plateformes. Le but du projet de loi est-il dans ce cas de renforcer le monopole de Microsoft sur les systèmes d'exploitation ? N'est-ce pas pourtant pour avoir lié le format de diffusion de la musique et celui des films que Microsoft a été condamné récemment pour abus de position dominante par la Commission européenne ? Alors, certes, quel que soit mon baladeur, je peux lire de la musique en format MP3. Malheureusement, aucune plateforme de musique en ligne n'en propose à la vente. Je suis donc obligé d'aller sur un réseau d'échange peer to peer. Sanction prévue par le projet de loi : jusqu'à 3 ans de prison et 300 000 euros d'amende !

M. le Ministre - C'est faux !

M. Patrick Bloche - Voilà, Monsieur le ministre, ce que vous appelez un point d'équilibre ! Mais vous avez tout de même bien compris que cet arsenal était mal compris et fortement contesté. Alors, vous nous sortez cet amendement 228, tendant à instaurer une réponse - il vaudrait mieux parler de riposte ! - graduée à l'égard du peer to peer. Je ne reviendrai pas sur les conditions de transmission de cet amendement. Nombre de nos collègues ont déjà dit qu'elles faisaient injure aux parlementaires ! Avouez que la création d'un nouveau chapitre dans le code de la propriété intellectuelle, composé de sept articles, méritait un examen plus sérieux ! Nous n'avons eu l'amendement qu'hier soir ! Ses dispositions sont dignes de la loi anti-casseurs : elles instaurent une responsabilité pénale collective et créent de nouvelles obligations pour les internautes : il leur appartient désormais de prendre les précautions nécessaires pour ne pas reproduire ou communiquer au public des œuvres sans autorisation des titulaires des droits d'auteur ! La peine plancher, en cas de récidive dans l'année, est entre 150 et 300 euros, et elle peut atteindre 1 500 euros ! Compte tenu du nombre de personnes obligées de contourner les mesures techniques de protection, il y a fort à parier que de telles dispositions seront source d'un contentieux important.

L'amendement 225 transforme le collège des médiateurs en autorité de médiation et de protection de la propriété littéraire et artistique, nouvelle autorité administrative indépendante chargée de statuer sur les différends relatifs aux mesures techniques et de prononcer les sanctions à l'encontre des internautes. Il y a vraiment deux poids deux mesures : à l'endroit de l'industrie culturelle, qui porte sciemment atteinte au droit de la copie privée, le Gouvernement choisit la conciliation, mais à l'encontre des internautes, la répression aveugle ! Il contourne ainsi la justice, qu'il trouve visiblement trop clémente vis-à-vis de ces derniers et trop sévère avec l'industrie culturelle. Christian Paul a raison de demander la présence du Garde des Sceaux ! Tout laisse en effet à penser que le Chancellerie est foncièrement opposée à vos amendements !

M. le Ministre - Mais non !

M. Patrick Bloche - Vous mettez en place une justice d'exception qui n'a pour objectif que de servir une fois de plus les intérêts de l'industrie culturelle. Quel sens de la graduation !

Tels sont les problèmes concrets que posent les mesures techniques. On marche sur la tête ! Nos amendements permettraient de relativiser le bénéfice de l'utilisation d'une mesure de protection pour les ayants droit et d'apporter les garanties d'interopérabilité essentielles aux utilisateurs de logiciels libres. Les deux amendements identiques, que nous appelons Vivendi Universal, qui rendent les mesures de protection obligatoires pour tout logiciel de communication, nous inquiètent fortement car ils auront pour effet de brider l'innovation dans les technologies de diffusion, notamment pour les logiciels libres et ceux qui organisent l'interopérabilité. Ces effets dépassent très largement la seule musique en ligne et nous ne pouvons accepter que, sous couvert de transposer une directive, le Gouvernement entame tout simplement un processus d'éradication du libre !

Enfin, et contrairement aux mesures techniques de protection, on ne peut pas dire que vous ayez profité de toutes les possibilités laissées par la directive pour décider des exceptions ! Seules deux ont été retenues, l'une à caractère technique, qui concerne les copies temporaires, et l'autre relative aux personnes handicapées. Il est vrai que la France a une tradition restrictive en la matière, mais il y avait là une formidable opportunité de faire respirer la loi de 1957 ! Certaines des pétitions qui circulent contre ce projet de loi demandent l'extension des exceptions à d'autres domaines, pour des raisons professionnelles. Les bibliothécaires et les archivistes doivent pouvoir continuer leur mission dans le contexte numérique ! Les enseignants et les chercheurs ne doivent pas être obligés de violer la loi chaque jour, ils ne doivent pas être entravés sans cesse dans leurs activité ! Cette situation ne peut plus durer ! Dès 1998, j'avais remis à Lionel Jospin un rapport qui en faisait état. J'avais souhaité que tous les acteurs se réunissent pour parvenir à un accord. Certaines négociations ont été entamées, mais elles sont trop lentes face à la rapidité du développement du réseau. C'est pourquoi il nous faut mettre en place un dispositif d'exceptions aux droits d'auteur à des fins de recherche et d'enseignement.

Notre position ne résulte pas de la volonté de s'opposer coûte que coûte. L'opposition à ce texte ne se trouve d'ailleurs pas seulement sur nos bancs ! Nous refusons votre logique exclusivement répressive, qui est vouée, et à court terme, à l'échec. Mais évitons les faux procès : si nous ne recherchons pas l'éradication des réseaux de peer to peer, nous ne voudrions pas pour autant du laisser-faire ! Entre les deux, il existe d'autres solutions, qu'une concertation préalable et un renvoi en commission permettraient à l'Assemblée d'explorer. L'internet et les réseaux peer to peer sont les laboratoires où s'activent les créateurs d'aujourd'hui, où vit une partie de notre jeunesse et où s'inventent les cultures de demain. Leur utilisation est durablement inscrite dans les pratiques de millions d'internautes. Avec les 250 millions d'utilisateurs qu'il a gagnés en cinq ans, le peer to peer est la technologie adoptée le plus rapidement de tous les temps ! C'est une architecture de diffusion remarquablement efficace et économe. C'est un instrument idéal pour la valorisation des œuvres du domaine public ainsi qu'un puissant outil de découverte, d'exposition et de promotion des œuvres.

La croissance exponentielle du peer to peer et ses qualités intrinsèques le rendent incontournable pour les industries culturelles. Il n'est ni un fléau, ni une nuisance, ni une parenthèse. Il ne doit pas être un espace de gratuité et n'annonce pas la fin des intermédiaires que sont les éditeurs et les producteurs. Mais il est certain que la situation actuelle ne peut plus durer : poursuites judiciaires contre le public, insécurité juridique, absence de rémunération pour les œuvres téléchargées et échangées... Il est plus qu'urgent d'encadrer ces pratiques et de les intégrer dans l'économie culturelle.

La voie moyenne consiste à reconnaître la légitimité des échanges non commerciaux et à en encadrer l'exercice. En tout état de cause, l'utilisation des œuvres doit donner lieu à une rémunération. Le groupe socialiste n'est en rien l'avocat de la gratuité ! Attachés au droit d'auteur, nous revendiquons, plus que jamais, des solutions novatrices ! Ainsi, les fournisseurs d'accès à internet sont aujourd'hui, avec les fournisseurs d'équipement, de stockage et de lecture, les principaux bénéficiaires du téléchargement des œuvres. Par conséquent, ils ne peuvent s'exonérer d'une double obligation, envers leurs abonnés, pour leur garantir une certaine sécurité juridique, et envers les créateurs, dont les œuvres sont massivement utilisées sans aucune contrepartie.

Il y a deux manières d'aborder la question de la rémunération. La première s'inscrit dans une logique de compensation du préjudice : l'on considère que le téléchargement se substitue à l'achat des œuvres. L'ampleur de cet effet de substitution et du manque à gagner qui en résulte est très difficile à mesurer. La seconde se base sur le constat que les échanges d'œuvres sur internet n'engendrent aucune rémunération pour les créateurs : il faut dès lors étendre aux échanges de fichiers non commerciaux les principes de la rémunération forfaitaire qui existe pour les supports vierges ou la radio. C'est à cette option que va notre préférence. Cette démarche n'est d'ailleurs pas très différente de celle qui conduisit en 1985 le législateur à reconnaître le phénomène de la copie privée et à l'encadrer par un mécanisme de rémunération assis sur les supports vierges.

La philosophie de la rémunération pour copie privée n'est pas de faire payer les utilisateurs pour les autoriser à faire des copies : elle vise en fait ceux qui tirent profit de la vente de supports. Son extension aux échanges sur internet aboutirait à faire supporter la rémunération des créateurs par les fournisseurs d'accès. Nous proposerons par amendement d'expérimenter une licence globale contractuelle, qui autoriserait les internautes à accéder à des contenus culturels sur internet et à les échanger à des fins non commerciales en contrepartie d'une rémunération pour les auteurs, versée à l'occasion du paiement mensuel de l'abonnement à l'internet.

M. Richard Cazenave - Ça ne tient pas la route ! Ce n'est même pas conforme à la directive !

M. Patrick Bloche - Mais si ! Vous avez entendu le terme « licence » et vous n'écoutez plus rien ! Cette licence, qui serait expérimentée pendant trois ans pour pouvoir en mesurer tous les effets, permet d'éviter le tout répressif et de rendre parfaitement claire la ligne de partage entre le licite et l'illicite - comme la contrefaçon à grande échelle de CD et de DVD, réalisée à des fins commerciales. Elle permet aussi de remédier à l'absence de rémunération pour les œuvres échangées, car nous savons que la gratuité n'est pas le motif essentiel des internautes : ils ne disposent d'aucune solution pour payer les œuvres qu'ils veulent avoir ! Un récent sondage montre d'ailleurs que 75 % des internautes sont prêts à payer sept euros par mois pour accéder librement aux réseaux d'échanges.

Cette solution entérinerait la jurisprudence actuelle qui considère que les téléchargements peer to peer relèvent de l'exception pour copie privée. C'est tout le sens de l'un de nos amendements visant à garantir une sécurité juridique pour les utilisateurs de réseaux numériques amenés à reproduire des œuvres protégées. La seconde justification de cette solution est qu'elle permet de rétribuer les ayants droit au titre du droit exclusif de mise à la disposition du public. L'autorisation est donnée aux internautes, et la rémunération est ensuite redistribuée aux auteurs, aux artistes-interprètes et aux producteurs. Dans son rapport, le professeur Lucas compare d'ailleurs cette solution à celle trouvée dans le cas de la photocopie. Elle donne toute sa place à la gestion collective à laquelle nous sommes particulièrement attachés. Nous serons d'ailleurs très vigilants sur les initiatives de la Commission européenne visant à ouvrir à la concurrence le secteur de la gestion collective, ce qui pourrait fragiliser la position des créateurs et conduire à un moins-disant culturel.

Notre solution, adaptée au réseau, ne va pas à contre-courant des usages de millions d'internautes, et, mettant fin à la gratuité, permet de rémunérer les ayants droit. L'alliance public-artistes, qui défend également la licence globale, a d'ailleurs calculé que si cinq euros par mois avaient été prélevés au niveau des fournisseurs d'accès à internet et auprès des internautes connectés au haut débit, 600 millions d'euros auraient déjà pu revenir aux ayants droit. Cela montre combien la situation pénalise les créateurs.

Il faut cela étant rappeler ici le caractère illicite d'activités qui compromettent l'exploitation normale des œuvres, comme le téléchargement d'œuvres avant leur fixation sur un support ou avant la diffusion en salle pour un filM. Il importe dans le domaine du cinéma, de respecter la chronologie des médias. C'est d'ailleurs pourquoi aucun de nos amendements ne concernera ce domaine.

Les adversaires de cette solution équilibrée considèrent que tous les internautes ne fréquentent pas les réseaux d'échanges, ce en quoi ils ont raison. C'est pourquoi nous souhaitons que la licence globale soit optionnelle.

Elle devrait être mise en place pour une durée provisoire afin d'en tester l'efficacité et de ne pas compromettre des développements futurs. Le secteur de la musique en ligne est en effet en pleine évolution. Les grandes maisons de disques, comme les labels indépendants, développent actuellement des offres commerciales à partir de forfaits et d'une nouvelle génération de plates-formes fondées sur les technologies peer to peer. Un régime transitoire permettrait d'accompagner l'industrie de la musique dans sa transition vers le numérique, laquelle est inéluctable à plus ou moins long terme. L'avantage de cette solution est de n'écarter aucune piste. Il permet, au contraire, de poursuivre la réflexion pour mettre au point les modèles économiques, techniques et sociaux les plus pertinents.

Monsieur le ministre, votre projet de loi fait la part trop belle aux mesures répressives. Soyons réalistes : la multiplication des procès et les stratégies défensives de lutte contre les réseaux peer to peer sont vaines. Ils produiront, si ce n'est déjà fait, l'inverse des effets attendus et aboutiront à affaiblir le droit d'auteur.

Faute d'une analyse approfondie de la situation, faute de propositions innovantes et adaptées, votre texte, s'il n'est pas sérieusement amendé, sera inapplicable et source d'importants contentieux, au risque de dévaloriser et délégitimer la loi. Je ne parle même pas de ses dommages collatéraux. En effet, le droit d'auteur ne concerne pas uniquement l'industrie culturelle. Il régit aussi des pans entiers de la société des connaissances et du savoir. Nous ne pouvons l'ignorer, comme vous ne pouvez ignorer les divisions que suscite votre texte parmi l'ensemble des professions artistiques mais aussi chez les juristes, les économistes, et même dans votre propre majorité.

Affaiblissement du droit d'auteur, dévalorisation de la loi, dommages collatéraux pour de nombreux secteurs, contestations, divisions : à l'évidence, ce projet de loi n'est pas mûr. Peut-être, datant de deux ans, est-il trop vieux pour saisir tous les enjeux actuels ? L'Assemblée doit disposer de plus de temps et de moyens pour l'examiner en profondeur. C'est le sens de notre demande de renvoi en commission.

Par nos amendements, nous avons tenté d'ouvrir d'autres pistes et de montrer que des solutions alternatives, servant la création, respectant les libertés fondamentales et renforçant le respect de la loi, étaient envisageables. Elles ne demandent qu'à être explorées, discutées, améliorées. Nous vous demandons, Monsieur le ministre, d'ouvrir rapidement une large concertation sur l'avenir des industries culturelles avec l'ensemble des auteurs, artistes-interprètes, producteurs, distributeurs, médiateurs culturels et utilisateurs finaux. L'ensemble des capacités d'expertise des administrations - direction du développement des médias, ministères de l'industrie et de la culture, réseau des ambassades... -, doit être mobilisé pour poser un diagnostic et analyser la situation concrètement, sans parti-pris idéologique.

L'enjeu est d'importance. Nous n'avons qu'une infrastructure commune pour toute la société de l'information. Nous ne pouvons l'abandonner à ceux qui redoutent par-dessus tout la diversité. Il est plus que temps de se remettre au travail. Ce renvoi en commission est un acte de prudence nécessaire car, en ce domaine, plus qu'en d'autres encore, nous devons légiférer en tremblant... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe des députés communistes et républicains et sur les bancs du groupe UDF).

M. le Ministre - L'alternative à l'apocalypse que vous avez longuement décrite, Monsieur Bloche, c'est tout simplement le projet du Gouvernement. La pire des choses aujourd'hui serait d'attendre et de ne rien faire, de ne proposer aucune stratégie.

Vous avez parlé à outrance de criminalisation. Pourquoi n'avez-vous pas rappelé que des offres légales vont voir le jour en plus grand nombre, après la concertation qui a permis le rapprochement des points de vue entre les fournisseurs d'accès à internet et le monde de la musique, de la radio, de la télévision et du cinéma ? J'aurais aimé que vous en arriviez à voir que la troisième voie que vous appelez de vos vœux, mais que vous n'avez que très succinctement exposée, c'est celle même que propose le Gouvernement. L'alternative à la pénalisation, c'est l'information, l'éducation, la prévention, à conduire notamment dans les établissements scolaires. Les valeurs de la diversité culturelle, du respect de soi comme des créateurs et de la propriété intellectuelle doivent l'emporter. (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

L'alternative, c'est le texte du Gouvernement dont j'espère, qu'il deviendra celui de la majorité présidentielle. Je compte sur les solides parlementaires de l'UMP pour soutenir ce beau projet qui permettra d'en finir avec des rapports antagonistes dignes du XIXe siècle. Notre majorité, tournée sur le XXIe siècle, aura permis que les plus jeunes comme les plus âgés de nos compatriotes qui ont le goût de la découverte sur internet puissent s'y livrer le faire avec joie et passion, dans le respect de la diversité culturelle et des droits des créateurs. Soyez-en fiers ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois - M. Bloche a longuement développé des arguments en faveur du renvoi en commission. Mais j'ai bien compris qu'il était opposé au projet du Gouvernement et qu'il était parfaitement informé, voire surinformé, sur le sujet, comme en témoigne le fait qu'il a parlé pendant près d'une heure et demie. Nous nous situons donc hors du champ d'application de l'article 91-7 de notre Règlement. Comment d'ailleurs pourrait-il en être autrement quand le rapporteur, que je félicite, a procédé à pas moins de 53 auditions...

M. Christian Paul - Oui, mais en solitaire, il y a un an !

M. le Président de la commission - ...au cours desquelles il a entendu 107 personnes ? Le rapport a, pour sa part, été présenté en commission le 31 mai dernier. La commission s'est réunie hier au titre de l'article 88, et comme quelques amendements ont été présentés tardivement, dont il eût certes été préférable de disposer avant cette réunion, j'ai décidé de la réunir de nouveau ce soir à 21 heures pour qu'elle puisse les examiner.

M. Dominique Richard - Dans l'intervention, pourtant ô combien documentée, de M. Bloche, à laquelle nous avons prêté toute notre attention, nous avons entendu beaucoup d'approximations, de contrevérités, d'amalgames. Mais à aucun moment de cette entreprise de désinformation, nous n'avons entendu un argument susceptible de justifier le renvoi en commission. De toute façon, le président de la commission vient de rendre sans objet la demande de renvoi, puisque l'amendement en objet sera examiné à 21 heures. Le groupe UMP ne votera donc pas cette motion qui n'est qu'une nouvelle manœuvre dilatoire.

M. Christian Paul - Patrick Bloche a développé avec fougue et rigueur les nombreux motifs qui motivent que notre assemblée approfondisse son travail en commission. Le président de la commission des lois a fait le compte des auditions menées par le rapporteur, mais celles-ci remontent à dix-huit mois, parfois à deux ans. Les reports successifs du texte, au moment où le débat prenait de l'ampleur dans le pays, font que ce travail est terriblement daté et aurait mérité d'être repris.

M. le Rapporteur - Il l'a été.

M. Christian Paul - Le groupe socialiste a demandé il y a un an la création d'une mission d'information, qui lui a été refusée par la majorité.

Pourquoi demandons-nous un renvoi en commission ? Nous attendions un grand débat de politique culturelle, nous espérions prendre la mesure des solutions à cette crise, nous souhaitions que l'exception culturelle française se manifeste. Mais nous en avons une autre idée que vous.

Nous aurions aimé démontrer qu'il est possible d'échapper aux lois d'airain de l'économie mondialisée, de refonder la légitimité de l'intervention politique en matière culturelle. Or vous proposez, à la manière d'un Garde des Sceaux ou d'un ministre de l'Intérieur, de raffiner la répression qui est censée s'abattre depuis des mois sur les internautes. En effet, les juges se rebellent et la CNIL a refusé d'accréditer les méthodes d'identification des infractions.

Vous êtes en train d'inventer une usine à gaz répressive, à base d'interceptions électroniques, de dénonciations, et utilisant un régiment de gardes assermentés. Il nous faut désormais choisir entre la Bastille et le pilori. Nous attendions Malraux, ce fut Maginot !

M. Richard Cazenave - Elle n'est pas très bonne celle-là !

M. Christian Paul - Vous vouliez que ce débat soit historique, il constituera sans doute le débat majeur de la législature sur les enjeux sociétaux. Mais si vous continuez ainsi, vous légiférerez contre la société. Prenons donc le temps d'une réflexion supplémentaire.

Cette controverse, qui est notre bataille d'Hernani, partage tous les groupes, même si les socialistes ont progressé (Rires sur les bancs du groupe UMP) et sont parvenus à une position unanime. Peut-être trouverions-nous, Monsieur le président de la commission des lois, si nous échappions à la conception paresseuse du travail en commission qui est la vôtre, des points d'accord. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - Sur le vote de la motion de renvoi en commission, je suis saisi par le groupe UDF d'une demande de scrutin public.

M. Frédéric Dutoit - J'aurais volontiers demandé une interruption de séance pour aller acheter un deuxième baladeur à mon fils, qui ne comprendrait pas que le père Noël l'envoie en prison dès dimanche...

Le groupe des députés communistes et républicains votera cette motion car ce projet de loi est un texte d'arrière-garde. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, il est techniquement possible de diffuser un socle commun de culture et de connaissances auprès de centaines de millions d'individus, simultanément et à un moindre coût.

Confrontés à cette nouvelle réalité, les grandes industries du loisir et de l'information multiplient les entraves et les contrôles liberticides. Nous n'acceptons pas que la diffusion du savoir soit considérée comme un crime. Au péage généralisé, nous préférons le partage. Nous souhaitons une réforme globale du droit d'auteur, qui garantisse aux créateurs des revenus justes et équitables. Aux nouveaux modes de consommation doivent en effet correspondre de nouvelles logiques de rémunération. Ce texte de loi ne correspondant en rien aux exigences de la société du XXIe siècle.

M. André Chassaigne - Très bien !

M. François Bayrou - Le groupe UDF votera la motion de renvoi en commission. L'unanimité, qui aurait pu régner sur ces bancs quant au soutien à la création et à la diffusion culturelle sur l'internet, disparaît au fur et à mesure que la réflexion avance et que les risques semblent grandissants.

Tout d'abord, ce texte, en imposant une cohérence absolue entre l'enregistrement et la diffusion, donne un avantage extraordinaire aux auteurs de logiciels propriétaires. Ensuite, il crée, par un amendement gouvernemental de sept pages déposé hier soir, une police de l'internet destinée à contrôler l'usage privé de nos outils informatiques.

Cet amendement prévoit entre autre qu'« un agent mentionné à l'article L. 331-2 peut, lorsqu'il constate des actes mentionnés à l'article L. 336-2, demander à la personne dont l'activité est d'offrir l'accès à des services de communication au public en ligne au moyen duquel ont été commis ces actes de lui communiquer une référence correspondant au titulaire de l'accès en cause. »

Monsieur le ministre, comment un agent peut-il constater ces actes ? De quelle manière cette police de l'internet filtrera-t-elle les fichiers techniques que nous recevrons, et comment fera-t-elle la part entre un fichier de nature artistique et un fichier de nature industrielle ? Nous donnons des outils exorbitants du droit public à une police, mise en place sans que nul ne s'en aperçoive, sans qu'aucune autorité publique ait été saisie, sans même que le conseil des ministres en ait délibéré !

Et comment ferez-vous pour communiquer les adresses postales nécessaires aux lettres recommandées mentionnées par votre texte ? Je doute, Monsieur le président de la commission des lois, que la réunion de trente minutes que vous avez annoncée pour ce soir suffise à examiner la création subreptice de la police d'internet.

Par ailleurs, les logiciels libres, qui se définissent par le fait que les codes sources sont à la disposition de tous les utilisateurs, permettent de contourner les mesures de protection. Ils se trouvent donc pénalisés, au bénéfice des logiciels propriétaires.

Lorsqu'un sujet est aussi lourd de conséquences, il mérite une navette entre les deux assemblées. Cela permet à l'opinion publique de s'investir dans le débat parlementaire : en 17 jours, 117 000 personnes ont signé une pétition sur ce sujet. Lorsque le Gouvernement décrète l'urgence, il interdit aux parlementaires d'effectuer le travail pour lequel ils sont élus, celui d'élaborer la loi.

Voilà pourquoi nous pensons qu'il est de la plus extrême sagesse de renvoyer le texte en commission, de demander au Gouvernement de renoncer à la procédure d'urgence et de réfléchir aux risques que nous sommes en train de prendre, sans que nul ne nous ait mis au courant à l'avance des dispositions que le Gouvernement avait décidé de prendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

A la majorité de 46 voix contre 20, sur 66 votants et 66 suffrages exprimés, la motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir à 21 heures 30.

La séance est levée à 20 heures 15.

                      La Directrice du service
                      du compte rendu analytique,

                      Catherine MANCY


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