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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2005-2006 - 49ème jour de séance, 110ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 22 DÉCEMBRE 2005

PRÉSIDENCE de M. Yves BUR

vice-président

Sommaire

      REMPLACEMENT DE LA VICE-PRÉSIDENTE 2

      LUTTE CONTRE LE TERRORISME (CMP) 2

      LOI D'ORIENTATION AGRICOLE (CMP) 7

      LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 2005
      ( CMP) 17

La séance est ouverte à neuf heures trente.

REMPLACEMENT DE LA VICE-PRÉSIDENTE

M. le Président - M. le Président de l'Assemblée nationale a été informé par Mme Paulette Guinchard qu'elle se démettait de ses fonctions de vice-présidente à compter du 1er janvier 2006. M. le Président du groupe socialiste a fait savoir qu'elle serait remplacée à compter de cette même date par Mme Hélène Mignon.

LUTTE CONTRE LE TERRORISME (CMP)

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre soumettant à l'approbation de l'Assemblée le texte de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers.

En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion du texte de la CMP.

M. Alain Marsaud, rapporteur de la CMP - Les travaux de la commission mixte paritaire ont permis d'aboutir facilement à un texte commun. Après une lecture dans chaque chambre, quinze articles avaient été adoptés dans les mêmes termes, treize faisaient encore l'objet de divergences et sept articles additionnels avaient été votés par le Sénat. La CMP s'est déroulée dans d'excellentes conditions car les deux assemblées partagent une même philosophie : combattre efficacement le terrorisme sans remettre en cause les libertés publiques en encadrant strictement les nouveaux pouvoirs donnés aux services de police et de gendarmerie.

Ainsi, le Sénat a retenu les dispositions introduites par l'Assemblée relatives à l'identification par leur numéro de matricule des enquêteurs dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ; la prolongation de la garde à vue en cas de nécessité sous des conditions très strictes ; les mesures concernant les victimes, le déconventionnement des chaînes extracommunautaires et l'interdiction administrative de stade.

La CMP a retenu certaines des précisions aux dispositifs de police administrative proposées utilement par le Sénat telles que l'extension aux délits douaniers des cas de mise en œuvre de dispositifs de lecture automatisée des plaques d'immatriculation et l'autorisation donnée aux agents des services de renseignement du ministère de la défense, principalement la DGSE, de consulter certains fichiers administratifs. En revanche, elle a rétabli la possibilité pour les services de répression - la division nationale antiterroriste ou le bureau de lutte anti-terroriste de la gendarmerie nationale - de recourir à la procédure de réquisition administrative que le Sénat avait supprimée. De même, elle a réintégré la lutte contre le terrorisme parmi les finalités permettant l'utilisation de dispositifs de lecture automatisée des plaques d'immatriculation.

La CMP s'est également penchée sur les nouvelles dispositions introduites par le Sénat. Elle a adopté l'article 3 bis qui harmonise les conditions dans lesquelles policiers et gendarmes peuvent utiliser des moyens appropriés pour immobiliser des véhicules ; l'institution d'une cour d'assises spécialisée en matière terroriste pour les mineurs ; l'extension du champ d'application du délit de non-justification de ressources correspondant au train de vie à l'ensemble des infractions procurant un profit et punies d'une peine supérieure ou égale à cinq ans d'emprisonnement ; et enfin, le chapitre relatif aux activités privées de sécurité et à la sûreté aéroportuaire qui vise à préciser l'habilitation des personnes travaillant dans les lieux sensibles et les conditions d'accès à ceux-ci.

Enfin, s'agissant de l'exclusion de certaines informations communiquées à la CNIL dans le cadre des formalités préalables à la création de fichiers sensibles, question sur laquelle Sénat et Assemblée s'opposaient, la CMP a adopté une version de compromis restreignant la dérogation aux seules demandes d'avis et prévoyant qu'un décret fixera la liste des informations minimales devant figurer dans ces demandes d'avis.

Les travaux de la CMP ont donc abouti à un texte équilibré améliorant la prévention contre le terrorisme. Mais, au nom de tous les parlementaires qui ont participé à ces travaux, je dois rappeler que nous avons renoncé à la discussion de trois amendements relatifs à la création d'une commission parlementaire de contrôle des services de renseignement, à laquelle nous sommes très attachés, car le Gouvernement s'est engagé à élaborer un texte de compromis avant le 15 février. Cette commission, contrepartie des moyens juridiques et financiers accordés aux services de renseignement, a été introduite par nombre de démocraties occidentales dans leur droit positif, et ce, depuis longtemps. Nous veillerons à ce que le Gouvernement tienne cet engagement et mène la lutte contre le terrorisme dans un cadre démocratique. Sous réserve de ces réflexions, je propose l'adoption du texte élaboré par la CMP (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire - Au nom de M. Sarkozy, je suis heureux d'exprimer les remerciements du Gouvernement à l'endroit de la représentation nationale. Ce projet de loi dote la France de nouveaux instruments juridiques pour prévenir et combattre l'une des formes les plus barbares et les plus pernicieuses de la violence : celle du terrorisme. Prévenir le terrorisme et non le subir, agir en amont des attentats potentiels en permettant une meilleure collecte des renseignements, voilà tout l'esprit de ce projet de loi. Avec le développement ciblé et qualitatif de la vidéosurveillance et le contrôle renforcé des déplacements et des échanges téléphoniques et électroniques, nous tirons le meilleur parti des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Nous modernisons nos instruments de lutte antiterroriste, en les adaptant à la réalité : celle de terroristes extrêmement mobiles, organisés en réseaux, maîtres dans l'art d'utiliser les nouvelles technologies. Après les attentats de Madrid et de Londres, nous avons tiré les enseignements opérationnels de ces événements tragiques, notre responsabilité étant de garder un temps d'avance sur le terrorisme.

Une grande majorité d'entre vous, sur différents bancs, a parfaitement compris les objectifs du Gouvernement, qui, pour sa part, s'est montré ouvert aux amendements présentés par les commissions et par des parlementaires appartenant à différents groupes politiques. Ces amendements tendent en particulier à améliorer le régime de contrôle des installations de vidéosurveillance, à prolonger la garde à vue dans les affaires de terrorisme, à consolider le dispositif des assurances au bénéfice des victimes du terrorisme et à modifier le régime de contrôle des chaînes de télévision extra-européennes.

Je veux remercier de leur soutien les groupes de l'UMP et de l'UDF ainsi que certains parlementaires socialistes qui - à l'Assemblée nationale et plus rarement au Sénat - ont su prendre la mesure de l'enjeu. Je me réjouis en particulier que les conditions de la prolongation de la durée de garde à vue dans les affaires de terrorisme aient pu être définies, à partir d'un amendement parlementaire, dans des conditions très consensuelles.

En effet, la lutte contre le terrorisme n'est ni de droite ni de gauche : l'opposition d'alors avait voté la loi sur la sécurité quotidienne du Gouvernement de Lionel Jospin après les attentats du 11 septembre 2001, avec le même esprit d'unité nationale que nous espérons aujourd'hui des responsables de l'opposition.

Je renouvelle solennellement l'engagement pris par le Gouvernement à propos du contrôle parlementaire des services de renseignement. Un groupe de travail sera constitué avant le 15 février, l'objectif étant d'aboutir au dépôt d'une proposition de loi ou d'un projet de loi faisant droit aux demandes exprimées dans les amendements déposés sur ce point par les différents groupes. Le ministre de l'Intérieur tiendra ses engagements.

Le Gouvernement ne prétend pas mettre les Français à l'abri de la menace terroriste, mais il entend, grâce à ce projet, améliorer les moyens de lutter contre la menace, dont l'actualité récente nous démontre bien qu'elle existe : la semaine dernière, une cache d'armes et de munitions a été découverte en Seine-Saint-Denis grâce à l'excellent travail des services de renseignement.

Les Français comprendraient-ils que, sur tels où tels bancs de la gauche, le choix ait été fait de voter contre les nouveaux instruments de la lutte antiterroriste ? Le Gouvernement entend bien appliquer la loi dès son adoption et de manière efficace : le ministre d'Etat a d'ores et déjà demandé de préparer la rédaction des décrets d'application. Il en va de la protection de la démocratie contre la barbarie des terroristes. A travers cette loi, la République, fidèle à ses valeurs, leur répond fermement, en utilisant les armes du droit. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. André Chassaigne - Tous les parlementaires, comme tous nos concitoyens, sont convaincus de la nécessité de lutter contre le terrorisme. Je tiens d'ailleurs à saluer le travail remarquable qu'effectuent nos services secrets, notamment la DST : la semaine dernière, tout un réseau a ainsi été démantelé, et un arsenal de guerre découvert en Seine-Saint-Denis, ce qui montre bien l'efficacité de notre dispositif de lutte antiterroriste ! Certes, il est toujours possible d'en améliorer le fonctionnement, en luttant par exemple contre la délinquance financière, une de ses sources de financement.

Mais notre seul objectif aujourd'hui doit être de concilier Etat de droit et lutte contre le terrorisme, en donnant aux services secrets les outils pour contrôler l'émergence de tout groupe terroriste, pas en organisant un contrôle policier de la société.

C'est pourtant ce que nous propose ce projet de loi issu de la CMP, qui étend la vidéosurveillance. S'il s'agit d'une recette miracle, convenez qu'elle est bien légère : elle peut certes permettre de retrouver les terroristes après qu'ils ont assassiné, mais elle ne peut déjouer un attentat. Les terroristes de Londres n'avaient que faire des caméras qui les ont filmés, jusqu'au dernier moment !

Vous proposez d'étendre les pouvoirs de la police administrative, qui aura désormais les mêmes prérogatives que la police judiciaire, lorsqu'elle mène des actions ciblées et ponctuelles. Là encore, imaginez-vous que des mesures d'ordre général comme le sont les actions de la DST permettront d'arrêter un terroriste ? Vu les ravages que font dans les banlieues les très nombreux contrôles d'identité au faciès, ces mesures ne feront qu'exacerber la tension et légitimer les critiques contre la police.

Enfin, vous prévoyez d'étendre l'accès à des données relatives aux communications électroniques, de constituer des fichiers sur les étrangers qui voyagent, de contrôler et de photographier, en tout point du territoire, les occupants de véhicules et de permettre aux agents de la police et de la gendarmerie nationale de consulter ces fichiers.

Personne n'a pu démontrer l'efficacité de telles mesures d'exception, en revanche, leur impact sur nos libertés publiques est patent. Le ministre d'Etat, dit-on, est un grand admirateur des Etats-Unis : quatre ans après l'adoption, à la suite des attentats du 11 septembre 2001, du Patriot Act - loi qui restreignait sévèrement les libertés publiques au nom de la lutte antiterroriste - de nombreux Américains réalisent qu'ils ont affaibli le modèle démocratique qu'ils pensaient protéger et le Sénat américain s'est montré fort réticent lorsqu'il s'est agi de proroger cette loi liberticide.

L'Etat de droit se protège avec les règles de l'Etat de droit : loin de renforcer la lutte antiterroriste, vous affaiblissez les règles de cette démocratie que les fanatiques cherchent à détruire. Enfin, vous encouragez l'amalgame entre terrorisme et immigration, terrorisme et délinquance, terrorisme et jeunesse, semblant vous saisir, à l'image des Britanniques, du prétexte des attentats pour imposer des mesures sécuritaires et porter de nouvelles atteintes à nos libertés publiques. C'est pourquoi les députés communistes, bien que très attachés à lutte contre le terrorisme, voteront contre ce texte liberticide !

M. Thierry Mariani - Une fois de plus, je pense aux victimes du terrorisme. Je suis persuadé que cette réforme nous permettra de mieux faire face aux nouvelles formes du terrorisme, qui a en effet changé de nature avec les attentats du 11 septembre 2001, ceux de Madrid et de Londres : la menace est aujourd'hui diffuse et multiforme, venant de groupes d'action sans réelle organisation, inspirés par un islamisme radical et n'ayant d'autre objectif que de déstabiliser l'occident.

Les enseignements opérationnels recueillis après les attentats les plus récents prescrivent l'adoption de nouveaux instruments juridiques, dans le respect du nécessaire équilibre entre les exigences de la sécurité et celles des libertés. Le développement de la vidéosurveillance, le contrôle des échanges téléphoniques et électroniques et l'exploitation des données, proposés par ce projet de loi, constituent des avancées significatives qui permettront de mieux prévenir les actes de terrorisme.

Les images prises par les systèmes de vidéosurveillance qui pourront être installés sur la voie publique ou dans des lieux et établissements ouverts au public seront destinées, indépendamment de la commission d'une infraction, à des enquêteurs spécialisés et individuellement habilités.

Par ailleurs, l'amélioration du dispositif pénal permettra de mieux sanctionner les actes de terrorisme. L'association de malfaiteurs à des fins terroristes, lorsque des personnes sont visées, est ainsi plus sévèrement réprimée. La peine encourue sera de vingt ans de réclusion et de trente lorsqu'il s'agit de dirigeants ou d'organisateurs.

De surcroît, le suivi des personnes condamnées sera centralisé auprès des juridictions de l'application des peines de Paris.

Enfin, le texte porte de dix à quinze ans les délais permettant au ministre chargé des naturalisations d'engager la procédure de déchéance de la nationalité française.

Je salue l'esprit d'ouverture et de dialogue du ministre d'Etat qui a notamment accepté la création d'un groupe de travail chargé de réfléchir aux modalités de création d'une commission parlementaire de contrôle des services de renseignement.

D'autre part, à notre initiative, la garde-à-vue pourra être prolongée de 48 heures en cas de faits graves liés à un acte de terrorisme, ce qui laissera aux services d'enquête un peu plus de temps pour rassembler les preuves.

Parce que notre pays est aujourd'hui menacé par une nouvelle forme de terrorisme, nous devons rompre avec nos habitudes, et nous féliciter des dispositifs novateurs de ce projet.

Les textes issus des majorités précédentes, de gauche comme de droite, nous ont donné des instruments pour rechercher avec efficacité les auteurs d'actes terroristes. Mais sanctionner les coupables ne suffit pas : il faut les empêcher de tuer. Face à une menace diffuse et multiforme, à des organisations sans hiérarchie, nous ne pouvons plus nous contenter d'agir avec des méthodes définies à l'époque où nous connaissions nos ennemis et leurs revendications.

Contre ces assassins fous, le présent projet nous aidera à mieux protéger nos concitoyens tout en garantissant leur liberté et leur sécurité. Vous pouvez donc compter, Monsieur le ministre, sur le soutien plein et entier du groupe UMP (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Christophe Caresche - Je le confirme, le groupe socialiste, comme en première lecture, s'abstiendra sur ce texte. Notre sens des responsabilités nous conduit à agir ainsi face à un phénomène qui menace notre démocratie. Nous devons nous rassembler pour défendre notre bien commun : la démocratie et la République. Notre groupe avait du reste adopté la même attitude quand, en 1986, la droite avait élaboré la première législation anti-terroriste, qui a d'ailleurs prouvé son efficacité au point de devenir un modèle de par le monde. Parce qu'il met le juge au centre du dispositif, ce système assure l'équilibre entre la répression et la sauvegarde des libertés.

Cependant, à l'issue de la CMP, notre groupe reste réservé sur nombre de dispositions. Tout d'abord, ce texte, qui aurait dû être exclusivement consacré à la lutte contre le terrorisme, contient de nombreuses mesures étrangères au sujet, comme la lutte contre l'immigration clandestine - vous en avez ainsi profité pour transposer une directive.

Des interrogations subsistent, notamment sur l'encadrement de l'utilisation de fichiers, sur laquelle la CNIL avait émis d'importantes réserves.

C'est vrai que la discussion parlementaire a permis de progresser. Grâce à nos amendements notamment, la détention provisoire est mieux encadrée. Par ailleurs, les services de renseignement feront peut-être l'objet d'un contrôle parlementaire, ce que nous saluons, car si l'on peut comprendre que ces services souhaitent disposer de moyens supplémentaires ou légaliser certaines pratiques, la contrepartie doit en être un contrôle accru. Nous avions, nous aussi, déposé un amendement en ce sens, et le ministre d'Etat s'était du reste montré très ouvert sur cette question. S'il ne s'agissait que de lui, je pense même que nous aurions déjà un tel dispositif. Espérons maintenant qu'il saura se montrer convaincant pour instituer ce type de contrôle qui existe déjà dans bien d'autres pays démocratiques.

D'autre part, le Sénat a alourdi le texte, sur certains points, sans que ces modifications lèvent toutes nos réserves et interrogations. Voilà pourquoi nous maintenons notre position d'abstention, soucieux de traduire ainsi l'unité de l'Assemblée nationale face à ce phénomène préoccupant qui doit être dénoncé.

M. Jean Dionis du Séjour - La lutte contre le terrorisme est l'un des défis majeurs de ce siècle, et nous nous devions de faire évoluer notre législation. Ce projet nous donne des moyens supplémentaires pour lutter contre les menaces que le terrorisme fait peser sur chacun d'entre nous.

Il comporte des mesures efficaces pour prévenir les actes terroristes et pour mieux assurer la sécurité des biens et des personnes. Le terrorisme s'installe dans la durée et il nous faudra du souffle pour mener cette guerre, amis dans le strict respect des droits de l'homme et des libertés individuelles. Le recours à la vidéo-surveillance ainsi que le contrôle des déplacements et des échanges téléphoniques et électroniques auraient pu porter atteinte à ces garanties fondamentales. Tel n'est pas le cas grâce à un travail législatif qui a permis de trouver un juste équilibre entre les impératifs de sûreté et le respect des libertés individuelles.

Le groupe UDF approuve la prolongation de la garde-à-vue à six jours en matière de terrorisme, même s'il aurait souhaité encadrer cette disposition, notamment quant aux modalités d'intervention de l'avocat.

Nous apprécions également les engagements que le ministre d'Etat a pris sur notre proposition d'instituer un contrôle parlementaire des services de renseignement. Le consensus qui s'est dégagé sur ce sujet l'oblige à tenir cette promesse, et nous aimerions en savoir davantage sur la forme de ce contrôle ainsi que sur le calendrier.

M. le Ministre délégué - Puisque plusieurs orateurs soulèvent la question, je réaffirme une fois pour toutes, au nom du ministre d'Etat, l'engagement solennel du Gouvernement de soumettre les services de renseignement au contrôle parlementaire. Dès l'adoption de ce texte aujourd'hui même, un groupe de travail parlementaire composé de représentants des groupes à la proportionnelle se mettra en place, et un projet ou une proposition de loi seront présentés au plus tard le 15 février 2006.

M. Jean Dionis du Séjour - Nous sommes très sensibles à cette réponse immédiate, et à la brièveté des délais que vous annoncez.

D'autre part, on ne luttera pas efficacement contre le terrorisme sans renforcer encore la coopération internationale. L'UDF a suggéré que l'on procède rapidement à la ratification des conventions du Conseil de l'Europe et à la transposition de la directive européenne sur le terrorisme et le blanchiment d'argent. C'est d'un espace judiciaire européen que nous avons besoin.

Nous apprécions également l'adoption de l'amendement de M. Baguet sur le hooliganisme, qui permettra de mieux lutter contre la violence qui, outre le football, gagne désormais d'autres sports.

Le groupe UDF soutiendra donc ce texte dont il partage les objectifs. Un tel sujet aurait mérité le consensus. M. Caresche n'en était pas loin, m'a-t-il semblé, et M. Chassaigne a hésité. (Sourires) Dommage, c'est une occasion ratée de nous retrouver dans cette guerre contre la démocratie.

Enfin, s'il faut renforcer notre arsenal juridique et policier, on doit aussi se pencher sur les causes du terrorisme, sur le plan social, idéologique, religieux, donc prendre des initiatives diplomatiques, mais aussi d'autres, pédagogiques, pour encourager la tolérance, le respect et le dialogue. Vaincre le terrorisme, c'est aussi faire triompher ces idées.

La discussion générale est close.

L'ensemble du projet, compte tenu du texte de la CMP, mis aux voix, est adopté.

LOI D'ORIENTATION AGRICOLE (CMP)

M. le Président - M. le Premier ministre m'informe qu'il soumet à l'approbation de l'Assemblée le texte de la CMP sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d'orientation agricole.

En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion du texte de la CMP.

M. Antoine Herth, rapporteur de la CMP - Même si les dispositions de ce texte sont un peu austères, elles sont importantes et je veux donc les rappeler.

La CMP a supprimé l'article premier bis introduit par l'Assemblée à l'initiative de M. Yves Simon, et relatif aux conditions d'adhésion d'un jeune agriculteur à un GAEC. En effet, le droit existant est satisfaisant sur ce point ; seule son application pose parfois problème. Aussi, Monsieur le ministre, pouvez-vous rappeler à vos services les dispositions en vigueur ?

A l'article 2, sur la définition de l'indemnité éventuellement due au preneur en cas de non-renouvellement du bail cessible, la CMP a retenu la rédaction de notre assemblée, alignée sur le droit en vigueur pour les baux commerciaux et artisanaux et plus protectrice du preneur.

A l'article 2 quinquies, suivant le Sénat, elle a maintenu le droit existant s'agissant des possibilités de conversion automatique des baux de métayage en baux à ferme.

A l'article 5 bis, la commission mixte s'est ralliée à la position de l'Assemblée de limiter à un an, à compter de la publicité de la déclaration de début d'exploitation, le délai de recours des tiers contre les décisions d'autorisation des établissements d'élevage, mais en étendant cette mesure aux installations classées liées à l'élevage comme les stations d'épuration collective de déjections animales.

S'agissant du régime fiscal des transmissions à titre gratuit du fonds agricole, la commission mixte a retenu le texte du Sénat en maintenant l'article 6 ter A et en supprimant l'article 6 bis. En conséquence, les transmissions de fonds à titre gratuit à un salarié de l'exploitation seront exonérées de droits de mutation dans la limite de 300 000 euros.

A l'article 6 quater, elle a maintenu la possibilité introduite par notre assemblée d'une nouvelle dérogation à la réciprocité de la règle des 100 mètres dans une rédaction nouvelle proposée par M. Le Fur.

Dans le chapitre II du titre premier du projet consacré aux questions sociales, la commission mixte a supprimé les articles 7 A, 7 bis A et 10 bis D ajoutés par le Sénat, de nature réglementaire ou dépourvus de lien avec le texte. Elle a supprimé l'article 10 bis C, également introduit par le Sénat et relatif aux conditions d'indemnisation des accidents du travail, comme de nature à favoriser des fraudes et à engendrer des surcoûts importants.

En revanche, le Sénat avait enrichi ce volet social et la CMP l'a suivi en adoptant l'article 8 bis visant à améliorer les retraites des polypensionnés du régime agricole, notamment des femmes ayant interrompu leur activité, et l'article 10 bis A qui crée, selon des modalités spécifiques, un dispositif de « 1 % logement » pour les salariés agricoles. Mais compte tenu des adaptations techniques relativement lourdes qu'il nécessite, elle en a reporté l'entrée en vigueur, au 1er janvier 2007.

Le Sénat avait réorganisé les dispositions reprenant les propositions du rapport de Jacques Le Guen dans un article unique, l'article 9 ter. La CMP s'y est ralliée, tout en suivant, contre le Sénat, l'Assemblée qui avait accordé le bénéfice de la réduction des taux de cotisations sociales pour l'embauche de travailleurs occasionnels ou de demandeurs d'emploi aux entreprises de travaux agricoles, ruraux et forestiers.

Toujours dans le volet social, la commission mixte a repris la modification de l'article 10 sexies, proposée par le Sénat, relative aux conditions d'adhésion au régime de protection sociale agricole des salariés des centres de gestion agréés.

Elle a également retenu la proposition du Sénat de créer un titre nouveau relatif au foncier. Dans ce titre premier bis, elle a notamment retenu l'article 10 octies, rendant possible le versement d'une soulte lorsqu'un remembrement fait perdre à un exploitant la jouissance de parcelles d'agriculture biologique, et l'article 10 undecies introduisant la possibilité pour les SAFER de préempter, en vue d'une rétrocession conjointe, des droits à paiement unique cédés avec un terrain.

Au chapitre premier du titre II, la commission mixte a adopté, sous réserve d'ajustements rédactionnels, l'article 11 bis A du texte du Sénat relatif à la promotion des lubrifiants biodégradables.

A l'article 11 bis, relatif à la promotion des plastiques biodégradables, un compromis a été élaboré, à l'initiative du président Ollier, entre la position prudente du Sénat...

M. Jean Dionis du Séjour - Trop prudente !

M. le Rapporteur - ...qui ne concernait que les sacs de caisse à usage unique et le texte de notre assemblée applicable à l'ensemble des emballages. Elle a maintenu l'interdiction de la distribution de sacs de caisse non biodégradables au 1er janvier 2010 au plus tard, mais vous propose d'habiliter le Gouvernement à déterminer par décret les usages du plastique pour lesquels l'incorporation dans celui-ci, selon des taux progressifs, de matières d'origine végétale, sera rendue obligatoire.

A l'article 12, qui concerne essentiellement les huiles végétales pures, sujet cher à M. Dionis du Séjour, la CMP a retenu un dispositif proche de celui que nous avions voté en ouvrant, en outre, la possibilité d'utiliser ces huiles comme carburant pour les navires de pêche.

A l'article 14, elle a maintenu le texte du Sénat : hors dérogation sectorielle, les membres d'une organisation de producteurs pourront céder leur production à celle-ci. Mais elle a précisé plus clairement que ne l'avait fait chacune des assemblées que les conditions de reconnaissance des organisations de producteurs seraient déterminées par un décret spécifique à chaque secteur.

A l'article 15 bis, elle a maintenu l'observatoire des distorsions créé par notre assemblée et supprimé par le Sénat.

A l'article 16, elle a validé les dispositions concernant la coopération agricole introduites par M. Guillaume et confirmées par le Sénat.

A l'article 19, en revanche, elle a retenu le texte du Sénat qui précise les missions du comité national de l'assurance en agriculture. Elle a également repris les dispositions relatives à la forêt qu'il a introduites, c'est-à-dire les articles 19 bis, 19 ter et 19 quater.

Elle a en revanche supprimé, compte tenu de son coût et de son caractère contraire à tous nos principes comptables, l'article 20 bis introduit par le Sénat. A l'article 21 relatif au contrôle des produits phytopharmaceutiques, la commission mixte a retenu le texte du Sénat, notamment le paragraphe V bis sur le régime transitoire d'autorisation de mise sur le marché. Les craintes qu'a pu susciter cette disposition sont en effet tout à fait infondées, puisque le texte prévoit explicitement que le bénéfice de la disposition est subordonné à un avis favorable de l'instance scientifique d'évaluation.

En ce qui concerne les signes de qualité, deux articles étaient en discussion. A l'article 22 bis, tout d'abord, notre assemblée avait décidé de permettre, sur proposition du syndicat de défense de l'AOC, le cumul de la dénomination montagne et d'une AOC. Le Sénat refusait ce cumul. La commission mixte a retenu un compromis l'autorisant pour les AOC dont l'intégralité de l'aire de production est située en zone de montagne. A l'article 23, la commission mixte a rétabli le texte de l'Assemblée nationale. La démarche de certification des produits a ainsi été distinguée des signes d'identification de la qualité et de l'origine. La commission mixte a en revanche retenu le texte du Sénat sur l'organisation de l'institut national de l'origine et de la qualité.

S'agissant de la promotion des pratiques respectueuses de l'environnement, la commission mixte n'a pas retenu l'article 25 bis A mais a maintenu l'article 25 bis.

Comme cela a également été le cas s'agissant des dispositions spécifiques à la forêt, elle a retenu les dispositions, proposées par le Sénat, propres à l'agriculture de montagne, qui constituent les articles 25 octies A à 25 octies H. Elle a également adopté, dans le texte du Sénat, l'article 25 nonies relatif à la lutte contre les incendies de forêt.

A l'article 28, elle a retenu la nouvelle rédaction du Sénat du II de cet article relatif à la certification du matériel génétique support de la voie mâle. Compte tenu de l'existence d'une procédure administrative plus simple de mise en valeur des terres incultes, elle n'a finalement pas retenu l'article 28 ter, adopté par notre assemblée.

Retenant un amendement présenté au Sénat par le rapporteur César, la commission mixte a introduit à l'article 29 une disposition posant le principe de la gestion et du versement de l'ensemble des aides versées dans le cadre de la PAC, premier et second piliers confondus, par un organisme unique à l'horizon 2013. Enfin, les dispositions relatives à l'outre-mer ont été validées.

Au total, nous aboutissons, grâce à un consensus très large entre les deux assemblées, à un texte cohérent et novateur, qui prépare l'agriculture à relever les défis de demain. Et il me semble que les discussions récentes à Bruxelles et à Hong-Kong sont de nature à ouvrir des perspectives. Je rends hommage à nos collègues de l'opposition, en particulier M. Gaubert et M. Chassaigne, qui ont apporté leur contribution constructive tout au long de la discussion. Enfin, je remercie le ministre pour l'attention et l'écoute permanente dont il a fait preuve.

En conclusion, j'invite l'Assemblée à adopter le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche - Après une nuit bruxelloise consacrée aux poissons, je suis heureux de vous retrouver pour les conclusions de la CMP (Sourires). Je remercie tout d'abord M. Herth, qui a apporté au débat toute sa connaissance du monde agricole, son talent et son engagement. Je remercie également les rapporteurs pour avis, qui ont enrichi le texte, et le président Ollier, dont l'autorité et la sagesse ont été sollicitées en de nombreuses occasions. Mes remerciements vont aussi aux porte-parole de chaque groupe et à l'ensemble des députés qui se sont impliqués dans le débat.

L'actualité a été très agricole, entre le Sommet de Bruxelles, qui a permis d'assurer le financement de la PAC jusqu'en 2013, avec 293 milliards d'euros, et les discussions de l'OMC à Hong-Kong. Ces dernières ont été très difficiles, avec devant nous un mur brésilien, tous les pays du groupe de Cairns, des Etats-Unis inflexibles, mais la délégation européenne a tenu, certainement confortée les deux derniers jours par la réussite du Sommet de Bruxelles, et je dois dire que le commissaire au commerce, M. Mandelson, a bien joué le jeu et s'est révélé un négociateur très ferme. Le Premier ministre l'a d'ailleurs remercié.

Autre actualité agricole : la mise en place des DPU à partir du 1er janvier. Nous allons maintenant pouvoir programmer le développement rural, puisque nous connaissons l'enveloppe financière. Les sujets relatifs à la sécurité sanitaire sont également toujours très présents. Je pense notamment à la grippe aviaire. Les prix de la filière avicole ont remonté et la consommation est presque redevenue normale, ce qui montre que les campagnes de communication ont été efficaces.

Dans ce contexte, la loi d'orientation agricole trace des perspectives, autour de trois principales orientations : adapter le statut de l'exploitation agricole pour encourager la démarche d'entreprise au service de l'emploi ; améliorer la qualité de vie et le revenu des agriculteurs ; conforter la sécurité sanitaire, la qualité des produits et le respect de l'environnement.

Le débat parlementaire a été riche et constructif, nourri par 2 000 amendements et par le volet emploi du rapport de M. Le Guen. L'Assemblée a en particulier enrichi le texte sur les biocarburants et elle est à l'origine de l'interdiction, à partir de 2010, de l'utilisation des sacs plastiques non biodégradables. De son côté, le Sénat est à l'initiative de mesures importantes de protection sociale, concernant notamment la retraite des polypensionnés. Les deux assemblées ont conjointement participé à la définition des chapitres sur la protection de l'espace agricole, la forêt et la montagne, donnant ainsi à cette loi un volet territorial très complémentaire de la loi votée en février sur le développement des territoires ruraux.

L'implication des parlementaires a conduit, sous la houlette du président Ollier, à restreindre significativement le nombre d'ordonnances prévues. Elles se limiteront en tout état de cause à des aspects techniques.

Si l'Assemblée veut bien voter ce texte, il faudra s'occuper du « service après vote » et je veux donc prendre devant vous un certain nombre d'engagements. Sur les 104 articles de la loi, 58 sont d'application directe ; 15 ordonnances, 56 décrets - dont 19 en Conseil d'Etat, un en conseil des ministres et 36 décrets simples - et 4 arrêtés permettront son application dans les plus brefs délais. Mon objectif est que les ordonnances et les décrets les plus importants soient transmis au Conseil d'Etat avant la fin du premier semestre, après concertation avec les professionnels et avec le Parlement. Je propose d'ailleurs de venir dans quelques mois devant la commission des affaires économiques pour faire le point sur l'état d'avancement des textes.

En conclusion, je crois que cette loi d'orientation met à la disposition des agriculteurs, des entrepreneurs et des consommateurs des outils importants, en conciliant la recherche de la compétitivité et l'attention portée aux équilibres territoriaux, environnementaux et sanitaires. Comme l'a dit le Président de la République, nous voulons une « agriculture économiquement efficace et écologiquement responsable ». Après la levée des incertitudes sur la PAC, ce texte doit contribuer à donner aux exploitants la fierté d'être agriculteurs, de nourrir leur pays, d'exporter et de respecter la qualité sanitaire. C'est un projet de rassemblement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jean Dionis du Séjour - Nous voici parvenus à l'ultime étape de l'examen de ce projet, dans un contexte marqué par des négociations difficiles tant sur le budget européen qu'au sommet de Hong-Kong. Nous ne savons pas ce que deviendra notre agriculture après 2013... Il ne faut pas nous étonner que le moral de nos paysans soit bas, quand les subventions sont en lent mais constant recul, tandis que les exigences sont croissantes quant à « l'écoconditionnalité » et que la pression administrative augmente. Ce texte n'en était que plus attendu, puisqu'il devait déterminer la place que nous entendions donner à notre agriculture.

Au départ, le groupe UDF était réservé sur ce projet, sur lequel l'urgence avait été déclarée alors qu'il aurait mérité une lente maturation, dont un tiers des articles renvoyait à l'abominable système des ordonnances, et qui semblait bien plus un regroupement de diverses dispositions en matière agricole qu'un texte fondateur. Mais, Monsieur le ministre, vous avez fait preuve d'attention, d'écoute des propositions du Parlement - certes pas toutes -, et le texte a ainsi pu évoluer dans le bon sens, à l'Assemblée comme au Sénat : merci, Monsieur le ministre, d'avoir gardé cette fibre parlementaire, et merci à tous ceux qui ont fait vivre ce débat, en premier lieu notre rapporteur, que je veux saluer très chaleureusement.

Sur le fonds agricole et le bail cessible, nous étions assez méfiants, craignant des conséquences négatives. Mais le cadre fiscal a été précisé, et le caractère optionnel retenu, ce qui a apaisé les inquiétudes, notamment dans les régions viticoles. Ce système sera donc un outil utile aux mains de ceux qui le souhaitent, un dispositif « gagnant-gagnant »pour les propriétaires et les fermiers.

Autre débat passionnant et essentiel : celui sur les biocarburants, sujet cher à l'UDF. Là aussi, la direction prise est bonne car si notre agriculture veut avoir un avenir, elle ne peut produire exclusivement des denrées alimentaires. A l'issue de discussions longues et passionnées, nous sommes parvenus à des avancées : interdiction des lubrifiants non dégradables dans les zones sensibles, interdiction des sacs et emballages en plastique non biodégradables. Sur ce dernier point, les débats ont été épiques... Les sénateurs ont fait preuve de plus de frilosité que les députés, et c'est vraiment dommage car c'est un problème à la fois économique, écologique et esthétique ; pousser à l'utilisation de sacs en papier ou en nylon aurait été un grand pas, nous devrons y revenir - le plus tôt sera le mieux.

Nous n'avons pas non plus suffisamment avancé en matière de biocarburants et d'huiles végétales pures. Nous avons perdu une bataille, mais nous gagnerons la guerre ! Nous cesserons de nous battre seulement lorsque nos paysans pourront vendre leurs huiles végétales pures aux particuliers. Rejoignez-nous dans ce combat légitime, Monsieur le ministre, et laissez Bercy en mener d'archaïques et rétrogrades !

Quant aux signes de qualité, ils étaient au départ cachés derrière des ordonnances... Nous avons demandé à débattre de ce sujet cher à tous les Français, et vous l'avez accepté. Les précisions et améliorations qui ont été apportées vont dans le sens d'une plus grande transparence, donc d'une meilleure protection du consommateur et d'une plus grande efficacité pour les agriculteurs.

Je dois néanmoins me faire l'interprète de certains de nos concitoyens, qui s'inquiètent de la création d'un comité horizontal baptisé « conseil agréments et contrôles » au sein de l'INAO. L'originalité de l'INAO reposait sur sa capacité à proposer des textes après un dialogue entre l'administration et les filières ; celles-ci craignent de perdre leur autonomie au sein de ce nouveau comité. Il faudrait rechercher une solution de compromis, peut-être en créant au sein de chaque comité une section spécialisée dans les contrôles.

Pour finir, permettez-moi de regretter l'absence de solutions apportées au déficit chronique du FFIPSA, et celle de mesures pour soutenir plus vigoureusement l'enseignement agricole. Par ailleurs, l'affiliation des centres d'économie rurale à la MSA sous condition d'appartenance de leurs administrateurs aux organisations syndicales ou professionnelles est à mes yeux une erreur : 13 000 salariés des CER sur 15 000 risquent de quitter la MSA, à un moment où elle n'a vraiment pas besoin de perdre des cotisants... Monsieur le ministre, je vous demande de remettre cette question en chantier.

Au total, malgré ces quelques réserves, le groupe UDF vous apportera son soutien sur ce texte qui donne à notre agriculture des outils intéressants et qui, dans un contexte difficile, l'engage dans la bonne direction. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. André Chassaigne - Notre débat d'aujourd'hui n'a qu'un caractère formel. En déclarant l'urgence sur ce texte, le gouvernement aura réussi à écourter nos débats, mais il ne sera pas parvenu à dissimuler sa précipitation à mettre notre agriculture sur une pente extrêmement dangereuse. Cependant, Monsieur le ministre, il est vrai qu'à l'instar des baux ruraux, qui nous enseignent qu'il faut jouir de la terre en bon père de famille, vous êtes parvenu, avec beaucoup d'habileté, à faire croire que ce texte était plutôt secondaire - d'où le silence des médias, qui vous a bien arrangé...

Pourtant, en créant le fonds agricole, vous n'aboutirez qu'à valoriser de façon tout à fait artificielle les exploitations agricoles ; leur transmission sera plus chère, le renouvellement des générations en agriculture plus difficile. En créant le bail cessible, vous ne parviendrez qu'à précariser le statut des fermiers ; les pas de porte seront légalisés, le renchérissement des prix des loyers des fermes va se généraliser, les fermiers n'en seront que plus fragilisés.

Avec le dynamitage du contrôle des structures, vous livrez le marché foncier aux spéculateurs, et le prix des terres va continuer d'augmenter. Comment les jeunes pourront-ils désormais s'installer ? Mystère... Et heureusement que le Sénat fut plus clément à l'égard des SAFER que notre assemblée ! Ce texte est une terrible illustration de ce bon mot de Balzac : « Les lois sont des toiles d'araignée à travers lesquelles passent les grosses mouches et où restent les petites »...

Avec les modifications apportées au statut des organisations professionnelles, vous décidez d'intensifier l'intégration des agriculteurs aux filières de transformation de l'industrie agroalimentaire. Au moment où la filière avicole traverse une grave crise, conséquence directe de sa forte intégration, vous cherchez à généraliser à toute l'agriculture un modèle qui démontre chaque jour son inefficacité.

Ainsi, toutes les conditions seront désormais réunies pour faciliter la concentration foncière et transformer les derniers paysans de France en « agromanagers ». Tout rachat d'exploitation, toute installation de jeune agriculteur deviendra progressivement impossible sans apport massif de capitaux externes. C'est bien la porte ouverte à la disparition de l'exploitation familiale, qui avait pourtant montré sa capacité à se moderniser et à répondre aux enjeux de notre époque, comme en témoigne la réussite des GAEC.

Nous avons appris la semaine dernière que le revenu des paysans avait baissé de 10% l'année dernière, après une baisse de plus de 7% en 2004. Ce projet de loi répond-il à l'urgence sociale posée par la chute du revenu des agriculteurs ? Non, aucune disposition ne va dans le sens d'une meilleure rémunération du travail paysan. Pour les paysans de France, ce projet de loi est simplement hors sujet !

L'orientation que vous souhaitez donner à notre agriculture est en outre, au regard du contexte européen et international, absolument suicidaire pour la « ferme France ». Que nous a-t-on dit la semaine dernière à propos de la réunion de l'OMC à Hong-Kong ? Les riches pays du Nord subventionneraient leur agriculture pour accroître leurs marchés et donc pousser à la faillite les petits paysans du sud, Nous savons tous que ce discours est mensonger, que les seuls vainqueurs de la libéralisation du commerce international seront les grands propriétaires du Brésil ou du Canada.

En encourageant les grandes exploitations et en appliquant à notre agriculture une logique capitaliste, vous préparez de nouvelles reculades dans les instances internationales. En favorisant une agriculture d'entreprise soumise aux lois du marché, vous légitimez les critiques de ceux qui, derrière la Grande-Bretagne, dénoncent les distorsions que crée le soutien européen à notre agriculture. Voilà pourquoi vous avez reculé à Bruxelles comme à Hong-kong !

Cette loi place les paysans dans une impasse. Vous anticipez les mutations imposées par les nouveaux inquisiteurs de l'OMC ; même ainsi, votre projet de loi demeure hasardeux. Avec le renchérissement de l'accès à la terre et des baux à ferme, les charges financières des exploitations, que jamais leur excédent ne suffira à acquitter, vont exploser. Vous prétendez préparer la ferme France à affronter la concurrence internationale ; au contraire, vous la lestez de charges nouvelles et handicapantes. Pour toutes ces raisons, les députés communistes voteront contre ce projet de loi.

Vous avez récemment, Monsieur le ministre, cité Camus de manière erronée - ces choses-là peuvent arriver. Je changerai à mon tour - volontairement - l'incipit de L'Etranger : aujourd'hui, l'agriculture familiale est morte...

M. le Ministre - C'est moins beau que Camus...

M. André Chassaigne - ...ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de l'asile : « Petite agriculture familiale décédée - enterrement demain - sentiments distingués ». Cela ne veut rien dire, c'était peut-être hier.

Quoi qu'il en soit, nous pouvons être sûrs aujourd'hui qu'elle sera bien morte demain ! (Applaudissements de MM. Gaubert et Dionis du Séjour)

M. Jean Dionis du Séjour - Il a du talent !

M. Michel Raison - La date est bien choisie pour voter cette loi d'orientation agricole...

MM. Jean Gaubert et Dionis du Séjour - C'est Noël !

M. Michel Raison - ...puisque vous vous êtes bagarré ces jours-ci sur la scène européenne et mondiale. Je vous rends hommage, Monsieur le ministre, ainsi qu'à Mme Lagarde, car la délégation française a su s'unir avec ses partenaires européens et convaincre M. Mandelson de tenir bon dans les limites de son mandat. N'opposons pas l'Europe au reste du monde : tout est lié, et la loi d'orientation agricole va de pair avec les négociations de l'OMC.

M. André Chassaigne - Elle les anticipe !

M. Michel Raison - Notre débat a su, en dépit de ceux qui souhaitaient ringardiser l'agriculture française, tenir compte du contexte international.

M. André Chassaigne - C'est une capitulation !

M. Michel Raison - N'opposons pas non plus l'agriculture à l'industrie : là encore, tout est lié !

Retenons surtout l'esprit de cette loi d'orientation, qui redonne de l'oxygène à notre métier d'agriculteur. Comment un jeune choisira-t-il ce métier s'il ne peut pas y respirer ? En outre, on donne un élan nouveau aux produits agricoles non alimentaires - carburants verts, mais aussi amidons de maïs et de pomme de terre par exemple.

M. André Chassaigne - On enterre la souveraineté alimentaire !

M. Michel Raison - Le débat a été riche et a dépassé les clivages politiques. Je remercie le rapporteur, ainsi que le ministre pour l'écoute sincère dont il a fait preuve tout au long de cette négociation - certes plus facile qu'à Hong-kong. Les agriculteurs sauront utiliser cette loi : la qualité d'une exploitation agricole n'est pas due à sa taille mais à la qualité de son chef d'entreprise ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jean Gaubert - Je confirme le bon esprit dans lequel ce travail s'est déroulé, avec un rapporteur affable et un ministre à l'écoute.

Le Président de la République avait annoncé cette loi lors de sa campagne de 2002 : rares sont les périodes de gestation qui, dans le monde animal, dépassent trois ans !

M. le Ministre - Les éléphants du PS ? (Sourires)

M. Jean Gaubert - Ils ne se reproduisent pas...

M. le Ministre - Tant mieux !

M. Jean Gaubert - Je vous laisse la responsabilité de vos propos. Trois années de tergiversations, donc, qui ont aussi produit une loi sur les territoires ruraux que l'on peine à appliquer et dont la portée n'est pas aussi vaste que prévu. Malheureusement, la loi d'orientation agricole ne transformera pas non plus les campagnes comme on l'avait imaginé. Au moins avez-vous compris que le Parlement ne pouvait se contenter des scandaleuses ordonnances que vous nous proposiez.

Certes, le débat a duré plus d'une semaine dans chaque assemblée, mais la déclaration d'urgence n'a pas permis de bien traiter certains dossiers techniques sur lesquels il faudra revenir : les interprofessions, le rôle des offices - ne pas en parler était une manière de les enterrer - ou le statut des coopératives agricoles. De même, les mesures sociales tendent parfois au clientélisme : le nouveau statut des agents des centres d'économie rurale, par exemple, les fera passer, pour satisfaire les lobbies, de la mutualité sociale agricole au régime général. Le Parlement ne s'honore pas en cédant aux intérêts particuliers !

M. Jean Dionis du Séjour - Très bien !

M. Jean Gaubert - En matière de temps de travail, on veut donner une image différente de l'agriculture : on y travaillerait plus, on y gagnerait moins. Comment voulez-vous que les jeunes se lancent dans l'agriculture si on leur annonce le bagne ?

Heureusement, le Sénat a pris quelques mesures dont nous nous félicitons : le 1 % logement ou le statut des conjoints, par exemple. En revanche, l'amendement sur les pesticides, voté lui aussi sous la pression des lobbies, est dangereux, car il prévoit une autorisation provisoire illimitée jusqu'à ce qu'une décision définitive soit prise : le statu quo revient donc à une autorisation de fait !

Certes, un bon compromis a été trouvé sur les signes de qualité en zones de montagne ; de même, des avancées ont été obtenues en matière d'urbanisme agricole, de forêt ou de biocarburants. Cependant, on a reculé sur les emballages en plastique ! On aurait pourtant pu favoriser les bioplastiques et protéger certains emballages aujourd'hui à la dérive, comme les emballages en bois qui se font « bouffer » par le plastique alors que nous sommes en pleine crise du pétrole ! C'est un non-sens ! Dans une démarche de développement durable, fallait-il abandonner les entreprises d'emballage en bois au prétexte qu'il ne faut pas attenter à celles spécialisées dans le plastique ? Si l'on dénonce souvent en France le lobby agricole, il en est un encore plus puissant : le lobby pétrolier.

Monsieur le ministre, vous vous êtes engagé à présenter un projet de loi sur l'agriculture et la ruralité dans les DOM-TOM. A dix-huit mois des élections, il est indispensable que ce texte soit inscrit à l'ordre du jour du premier semestre 2006, faute de quoi il se perdra dans l'encombrement législatif des fins de mandature.

Venons-en maintenant au corps du texte. Nous sommes revenus sur le fonds agricole, présenté initialement comme la grande novation de ce projet de loi, en le rendant optionnel. Il faudrait adopter sa création au seul prétexte qu'il est nécessaire de légaliser des pratiques existantes. Cela n'honore pas le Parlement ! Par ailleurs, que contiendra ce fonds ? Des actifs et les fameux DPU. Or, les jeunes qui les auront acquis à l'occasion de l'achat du fonds agricole auront de grandes difficultés à les revendre dans quinze ou vingt ans. De plus, la création du fonds va renchérir le coût de la reprise d'une exploitation, ce qui est loin de faciliter l'installation ! Pour atténuer cette difficulté, vous proposez le bail cessible. Ce n'est pas une solution puisque ce bail, pour être cessible, devra être augmenté de 50 % - maximum il est vrai, mais cela se négociera peu - pendant une période relativement longue avant la cession, augmentation auquel le jeune devra encore faire face après la cession.

M. André Chassaigne - C'est suicidaire !

M. Jean Gaubert - Parler dans ce contexte d'insertion des jeunes dans l'agriculture, c'est se ficher du monde !

Enfin, la politique de contrôle des structures. Certes, nous avons évité la mort des SAFER voulue par les ultralibéraux mais nous n'en sommes pas loin avec le cousinage et l'agrandissement.

M. Hervé Novelli - Excellente mesure !

M. Jean Gaubert - Dans ma commune, avec cette réforme, aucun dossier n'aurait été présenté en commission ! Cela découragera un peu plus les jeunes de s'installer, eux qui sont déjà de moins en moins nombreux et qui devront payer cher leur installation. Nous allons vers une agriculture avec des exploitations de plus en plus importantes recourant largement à un salariat sous-payé. Peut-être que le Polonais dont on se plaint aujourd'hui quand il est plombier sera très recherché demain comme ouvrier agricole ? Tant mieux, mais encore faut-il qu'il soit embauché à des salaires raisonnables !

Avec ce projet de loi, nous avons raté l'occasion de mieux adapter notre agriculture aux enjeux européens et mondiaux. C'est bien une loi d'orientation, en ce sens qu'elle est tournée vers un modèle d'ailleurs paradoxal : celui d'une d'agriculture résolument libérale mais percevant des subventions importantes et parfois mal réparties entre les secteurs - en France, ce sont les plus grands exploitants qui reçoivent les subventions les plus fortes. Au demeurant, ces subventions sont appelées bientôt à disparaître.

Le groupe socialiste ne veut pas « ringardiser » l'agriculture, à moins qu'être moderne signifie abandonner les agriculteurs, empêcher les jeunes de s'installer et concocter une loi pour les rentiers, car les dispositifs d'exonération fiscale bénéficieront aux seuls vendeurs. L'installation étant rendue plus difficile, les 600 000 agriculteurs que la France compte aujourd'hui pourraient bientôt n'être plus que 50 000, comme l'a évoqué M. Lassalle. Le groupe socialiste ne peut s'inscrire dans cette perspective. Il ne votera pas ce texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. André Chassaigne - Excellent !

M. Pierre Méhaignerie - Ce projet de loi qui apporte des outils nouveaux à l'agriculture, de l'oxygène comme l'a noté M. Raison, ou encore plus de responsabilité selon M. Herth, je le voterai avec plaisir. Toutefois, il n'éclaire pas l'avenir pour des raisons que nous connaissons tous : les négociations à l'OMC et les critiques à l'encontre de la PAC. A peine l'agriculture vient-elle de s'adapter à la réforme de la PAC qu'elle voit poindre une quatrième mutation humainement déstabilisante. Les responsables politiques doivent donc, plus que jamais, soutenir les agriculteurs qui, dans ces quarante dernières années, ont fourni l'un des efforts les plus importants de productivité. Comme M. Le Fur l'a rappelé, la commission des finances contribuera au débat sur l'avenir de l'agriculture.

Tout d'abord, il nous faut entreprendre une campagne de communication envers les Français et les Européens pour rétablir la vérité des faits. Nous devons rappeler les progrès accomplis en matière de qualité, remis en cause par d'aucuns. Nous devons dire que les subventions ne sont que la contrepartie de la baisse des prix agricoles organisée depuis une quinzaine d'années, diminution que les consommateurs ne ressentent pas car ils achètent, non pas de la matière première, mais du conditionnement et des produits préparés. Enfin, le coût de ces subventions a évolué : selon l'OCDE, la moyenne de soutien global des pays à leur agriculture représente 1,16 % du PIB, et en Europe le chiffre est de 1,20 %. Quant aux pays pauvres, un récent rapport de la Banque mondiale a démontré que la libéralisation totale des marchés leur serait très défavorable.

M. André Chassaigne - Bien sûr !

M. Pierre Méhaignerie - Ensuite, concernant l'article 10 sexies que M. Dionis du Séjour a abordé, subordonner l'affiliation des centres de gestion agréés à la mutualité sociale agricole à la condition que leur conseil d'administration soit composé d'une majorité de membres désignés par les organisations professionnelles agricoles ou les chambres d'agriculture ne va pas dans le bon sens. Cette disposition, qui touche à la liberté d'association, présente un léger risque d'inconstitutionnalité.

M. Jean Dionis du Séjour - C'est vrai !

M. Pierre Méhaignerie - D'autre part, il est logique que les centres de gestion comprennent majoritairement des représentants des agriculteurs, mais pourquoi ceux-ci devraient-ils être désignés par une organisation professionnelle ? C'est une question d'indépendance et de liberté.

M. Hervé Novelli - Très bien !

M. Pierre Méhaignerie - Je veux rendre hommage à ces centres qui, ces vingt dernières années, ont constitué une référence solide.

M. Jean Dionis du Séjour - Très bien !

M. Pierre Méhaignerie - Nous avons besoin qu'ils restent indépendants des autres organisations professionnelles (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Monsieur le ministre, il vous faut donc revenir sur ce point que nous n'avons pu traiter par manque de temps.

Pour conclure, rien n'est plus absurde que de soutenir, comme on le fait parfois aujourd'hui, que l'agriculture serait un secteur archaïque que nous devrions abandonner aux pays pauvres !

M. le Ministre - Très bien !

M. Pierre Méhaignerie - Il faut combattre ce genre d'affirmaton contraire à l'intérêt général ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe-Armand Martin - Je voudrais tout d'abord louer l'initiative du Gouvernement qui permet, dans un contexte de grandes mutations, de faire évoluer les exploitations agricoles afin qu'elles demeurent compétitives.

Un point particulier nous inquiète, M. Feneuil et moi-même, celui des signes de qualité. Si la politique d'amélioration de la qualité constitue une priorité, son principal instrument est l'Institut national des appellations d'origine. Or, la modification portée à l'article 23 pourrait remettre en cause le fonctionnement de l'INAO, en privant ses comités nationaux de leur capacité de libre gestion et de décision.

S'il peut être nécessaire d'apporter des changements aux appellations d'origine contrôlée, il importe de le faire après consultation des professionnels de la zone ou du terroir d'appellation. En effet, chacune des AOC présente des spécificités, les producteurs et les instances en charge de leur gestion sont donc les plus à même de se prononcer sur la définition des conditions de production et sur les modes de contrôle, forcément différents.

La création d'un conseil d'agrément et de contrôle qui agirait sur un plan transversal pourrait constituer une remise en cause des compétences de chaque comité national : entre leurs représentants, les accords ne se feront plus que sur des compromis proposés par l'administration, supprimant ainsi l'autonomie de décision des filières. Or, la force de l'INAO tient à ce que ses décisions ne peuvent être modifiées par le Gouvernement et que le dernier mot lui revient.

En outre, cet amendement sénatorial, qui augmente les coûts de fonctionnement de l'Institut, risque d'aggraver la situation financière délicate qu'il connaîtra en 2006 en raison de la diminution des recettes viticoles. Je souhaiterais aussi que le Gouvernement ne bouleverse par les AOC, dans la mesure où elles sont reconnues par nos concitoyens. Il convient de préserver cette spécificité française et de poursuivre la politique de soutien à l'originalité de nos produits.

Monsieur le ministre, pourriez-vous rassurer les professionnels de ces filières en confirmant que seuls les comités nationaux définiront les plans d'agrément et de contrôle et vous engager à ce que leurs prérogatives ne soient pas remises en cause dans l'ordonnance prévue à l'article 23 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Marc Le Fur - Je veux vous remercier, Monsieur le ministre, pour la méthode que vous avez employée, notamment à l'égard du droit d'amendement des parlementaires : certains de vos collèges seraient bien inspirés d'en faire autant. En effet, soit les ministres pratiquent le blocage et la fermeture au risque de provoquer la grogne, y compris sur leurs propres bancs, soit ils se montrent ouverts aux idées émises par les parlementaires.

Ce texte n'est pas seulement de nature agricole, il comporte un certain nombre de progrès de société. Le débat sur l'incorporation de matières végétales dans le plastique a ainsi vu le jour grâce à un amendement de notre collègue Francis Delattre. Si le Sénat a adopté une attitude frileuse sur ce sujet, nous ne devons pas négliger l'avancée de la CMP que constitue l'obligation faite au Gouvernement - à l'initiative de M. Ollier - de prévoir dans un délai d'un an les modalités d'incorporation de matières végétales dans l'ensemble des produits plastique. Avec Antoine Herth et Brigitte Barèges, nous ne manquerons pas, en tant que rapporteurs, d'exercer sur ce point notre droit de suite. Nous avons également progressé sur les biocarburants et les huiles végétales, tandis que les initiatives se multiplient sur le terrain.

Nous avons peu parlé des progrès sociaux et je souhaiterais évoquer à ce titre l'article 9, qui a fait consensus : quel progrès pour les éleveurs que de pouvoir être remplacés - grâce à un crédit d'impôts - pendant quinze jours ! Contrairement à ce que disent nos collègues socialistes, nous avons également progressé sur la question des travaux agricoles, qui constituent un véritable gisement d'emplois. Les engagements que vous avez pris, Monsieur le ministre, concernant les cotisations MSA et les prestations retraites, en particulier celles des femmes, constituent une autre avancée. En revanche, nous regrettons, comme le président Méhaignerie l'a expliqué, que les salariés des centres de gestion ne puissent rester à la MSA, ce qui d'ailleurs la prive de ressources financières.

S'agissant des contrôles, nous nous réjouissons que les agriculteurs, parallèlement à leurs devoirs se voient reconnaître des droits. Vous avez lancé dès votre arrivée au ministère une charte à laquelle nous avons donné, par l'un de mes amendements, une dimension législative, en prévoyant le principe du débat contradictoire, la possibilité de se faire assister et d'être averti avant le contrôle.

Toujours dans le domaine du droit, nous nous satisfaisons de ce que le délai de recours visant certaines installations classées - véritable épée de Damoclès pour les agriculteurs - soit ramené de quatre à un an. La réglementation sur l'éloignement est maintenue mais des accords entre tiers peuvent désormais permettre de déroger à la règle des cent mètres, ce qui permettra de résoudre bien des problèmes dans les secteurs ruraux denses.

Naguère, les lois d'orientation agricole imaginaient des modèles, que les agriculteurs étaient censés suivre. Aujourd'hui, il s'agit de définir un cadre pour des projets divers. Ce projet de loi, riche et nuancé, nous permet d'y parvenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La discussion générale est close.

M. le Ministre - Je souhaite remercier les orateurs, M. Dionis du Séjour pour le soutien qu'il apporte de la part du groupe UDF, M. Raison, porte-parole du groupe UMP et M. Méhaignerie, qui a inscrit notre réflexion dans le cadre plus large de l'Europe. J'ai bien noté les critiques que m'ont adressées, dans un esprit constructif, MM. Chassaigne et Gaubert.

J'ai bien entendu les préoccupations qui se sont exprimées au sujet des centres d'économie rurale : nous devrons en reparler. MM. Martin, Feneuil et Dionis du Séjour ont bien compris que le conseil d'agrément et de contrôle avait pour objet de renforcer la crédibilité du dispositif de qualité. Pour autant, il ne prive pas les comités existants de leurs prérogatives, l'implication des professionnels devant être préservée. Nous associerons les différentes filières à la rédaction de l'ordonnance et veillerons à mettre à la disposition de l'INAO les moyens financiers nécessaires.

Si cette loi est votée, notre objectif prioritaire sera de la mettre en œuvre en faisant paraître au plus vite les textes d'application, à propos desquels je souhaite l'implication du Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

L'ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la CMP, mis aux voix, est adopté.

La séance, suspendue à 11 heures 45, est reprise à 11 heures 55.

LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 2005 ( CMP)

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre soumettant à l'approbation de l'Assemblée le texte de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2005.

En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire.

M. Gilles Carrez, rapporteur de la commission mixte paritaire - A l'issue de la première lecture de ce projet de loi, l'Assemblée et le Sénat s'étaient mis d'accord pour adopter dans les mêmes termes 56 articles et en supprimer un. Il restait hier soir 82 articles en discussion à la commission mixte paritaire, dont 42 avaient été ajoutés par les sénateurs. La CMP a trouvé un accord et c'est ce texte que le Gouvernement nous demande d'approuver.

Ce projet comporte une réforme essentielle, celle des plus-values, qui permettra de conforter les petites et moyennes entreprises, notamment lors de leur transmission. Cette réforme s'inscrit clairement dans la priorité accordée par le Gouvernement à la relance de l'emploi.

Il s'agit d'assurer la transmission de centaines de milliers d'entreprises dont les dirigeants prennent leur retraite, en exonérant ces derniers de la plus-value de cession, qu'il s'agisse d'entreprises individuelles, de sociétés de personnes ou de sociétés de capitaux. Sur ce point, l'Assemblée a apporté des améliorations majeures au dispositif proposé par le Gouvernement. Surtout, cette mesure s'appliquera dès le 1er janvier prochain.

Par ailleurs, la réforme tend à favoriser la détention longue d'actions, afin de stabiliser l'actionnariat, et partant, les fonds propres des entreprises, ce qui est particulièrement important pour les PME. Selon les vœux que le Président de la République avait formulés pour 2005, ce dispositif s'inspire de la réforme des plus-values immobilières qui sont complètement exonérées au bout de quinze ans de détention. En l'espèce, l'exonération sera totale au bout de huit ans.

Enfin, le dispositif des plus-values professionnelles, inscrit dans la durée, est amélioré. Si une branche du dispositif relève de la loi d'initiative économique de 2003, l'autre, qui concerne la cession de branches complètes d'activité - il s'agit notamment de la bonne transmission de nos commerces de centre ville - bénéficie, en vertu de la loi de 2004 pour le soutien à la consommation et à l'investissement, d'une exonération totale en deçà d'un plafond de 300 000 euros, qui sera porté, avec une dégressivité, à 500 000 euros.

Par ailleurs, je tiens à souligner que nous avons dû hier, en commission mixte paritaire, examiner nombre d'amendements du Gouvernement...

Plusieurs députés UMP - Beaucoup trop !

M. le Rapporteur - ...qui arrivent au dernier moment, et relèvent souvent d'une certaine improvisation. Autant nous pouvons parvenir à un accord avec les sénateurs sur les points restant en discussion, après des débats sur le fond - je pense notamment à la question des autorités indépendantes, de leur financement et de leur traitement par la loi organique - autant il nous est difficile de traiter des amendements qui nous arrivent du Gouvernement au dernier moment, sans avoir été expertisés !

Je sais, Monsieur le ministre, que nombre d'entre eux ne viennent pas de vous, mais je souhaiterais que vous mettiez tout en œuvre pour que cela n'arrive pas. Notre premier souci de législateur est de faire du bon travail, ce qui est difficile dans ces conditions.

M. Michel Bouvard - Tout à fait !

M. le Rapporteur - J'espère, Monsieur le ministre, que vous transmettrez ce message, et je tiens à vous remercier pour la qualité du travail que nous avons effectué avec vous. Je remercie enfin tout particulièrement le président de la commission des finances avec qui j'éprouve beaucoup de plaisir à travailler. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat - Ce travail passionnant qui nous réunit tout l'automne, dans une sorte d'intimité, avec ses moments d'émotion et aussi de détente propres à la vie parlementaire, restera pour moi un grand souvenir. Je tiens vraiment à vous dire, Monsieur le rapporteur général, tout le plaisir que j'ai eu à travailler ainsi avec vous, ainsi qu'avec le président de la commission des finances.

Nombre d'entre vous avaient reproché au collectif 2004 d'être, en quelque sorte, le match retour du projet de loi de finances. Je vous ai entendus, et accordez-moi que ce n'est pas le cas avec ce collectif, dont on ne peut dire qu'il contient des dépenses non maîtrisées : toutes les ouvertures de crédits sont gagées pour un milliard, et les reports sont en très forte baisse, à 5 milliards, alors qu'ils avaient atteint 14 milliards en 2002.

Sur la fiscalité, nous avons fait une belle réforme des plus-values qui facilite les transmissions d'entreprises et stabilise l'actionnariat des sociétés. Au titre de la solidarité, citons la taxe sur les billets d'avion, la prime de Noël, la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat. M. Novelli, qui ne boude pas son plaisir à voir que la disposition qu'il proposait a été adoptée au mot près par le Parlement, ce qui n'est pas si facile, a bien voulu reconnaître que je tiens mes engagements, et j'y suis très sensible. Enfin, pour le FFIPSA, le Fonds de financement des prestations sociales des non salariés agricoles, auquel M. Censi s'est particulièrement intéressé, nous avons retenu la moins mauvaise solution possible.

Oui, Monsieur le rapporteur général, vous avez raison dans votre observation sur les amendements de dernière minute. Nul ne peut s'en réjouir pour le travail parlementaire, et d'ailleurs aucun de ces amendements ne sont de mon fait. Mais laissez-moi souligner que certains répondent à des situations d'urgence. Il s'agit d'abord des viticulteurs, que le Premier ministre a rencontrés cette semaine. Je vous demande d'accepter les deux amendements spécifiques qui concernent deux régions, en précisant à M. Mariton et à M. Novelli que cela n'interdit pas de travailler sur d'autres.

M. Philippe Auberger - La Bourgogne !

M. le Ministre délégué - Cela va de soi, si nécessaire. Je vous renvoie au ministre de l'agriculture, qui fera preuve d'esprit d'ouverture.

Quant à l'amendement sur les industries fortes consommatrices d'électricité, il répond à un engagement pris devant les instances européennes.

M. Michel Bouvard - Très bien !

M. le Ministre délégué - Je vous demande de l'adopter. En dehors de ces dispositifs d'urgence, je suis très attentif à votre propos et vous remercie encore du travail que nous avons accompli ensemble. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Augustin Bonrepaux - Les années budgétaires se suivent et se ressemblent. L'an dernier, le président de la commission des finances regrettait les allégements d'impôt ; cette année on en a encore fait pour 6 milliards. Cette fois, le rapporteur général a regretté que le déficit ait augmenté ; il se réjouit néanmoins des mesures sur les plus-values. A quoi bon faire rapport sur la dette publique, quand vous ne cessez de l'aggraver ?

Pour les collectivités locales, malgré une compensation de 544 millions inscrite dans ce collectif, le compte n'y est pas. La commission consultative d'évaluation des charges avait demandé que l'on modifie la référence. En effet, dans les Bouches-du-Rhône par exemple, le déficit lié aux dépenses pour le RMI a doublé, et il en va de même dans mon département. Gérez mieux, nous dit-on. Mais nous faisons des contrats d'avenir, des contrats RMA...

M. Hervé Novelli - Continuez.

M. Augustin Bonrepaux - A chaque fois, nous faisons baisser les charges de l'Etat et de la sécurité sociale. Il faudrait quand même en tenir compte dans la compensation. Vous avez bien ajouté 100 millions pour mieux gérer le RMI. Mais une fois qu'on a fait tout ce qu'on peut pour l'insertion, on ne peut pas priver les allocataires de ressources. C'est un problème très grave pour les collectivités. Pourtant, vous ne cessez de prétendre que vous compensez les charges à l'euro près. Pour les personnels contractuels, alors que les collectivités territoriales vont prendre en charge les TOSS au 1er janvier, le compte n'y est pas non plus. Les situations sont différentes d'un département, d'un collège à l'autre. Comment avez-vous pu retenir un coefficient de répartition nationale à l'article 27 ? Dans mon département, les crédits alloués couvrent la moitié des charges transférées. Je demanderai au président de la commission d'évaluation des charges de se saisir de la question.

En second lieu, avec ce collectif vous allez contre les décisions de justice concernant le remboursement aux transporteurs de la TVA sur les péages d'autoroute. Vous prétendez qu'ils ne l'ont pas payée, mais pourtant, la taxe était bien incluse dans le tarif. Vous portez aussi préjudice aux personnels de l'Equipement en faisant annuler une décision qui leur donnait satisfaction sur les indemnités de résidence. Ils vont saisir la Cour de justice européenne. Mais il aurait mieux valu satisfaire ces ceux catégories.

Le groupe socialiste votera contre ce projet.

M. Charles de Courson - Plutôt qu'à un véritable collectif, nous avons affaire à un DDOEF. En effet, seuls 8 articles constituent la partie proprement budgétaire contre 74 - 90 % - pour la partie « DDOEF ».

Sur le plan budgétaire le solde est en apparence amélioré de 883 millions, les pertes de recettes de 1,7 milliard étant plus que compensées par des réductions de dépenses de 2,6 milliards. Mais le déficit, à 47 milliards, reste à un niveau aussi élevé qu'en 2004.

Comme c'est le cas depuis quinze ans, le solde net des annulations et ouvertures de crédits porte moins sur le fonctionnement - 1,8 milliard, soit 0,8 % de l'ensemble - que sur l'investissement - 1,6 milliard, soit 5,3 % du total. La dérive se poursuit : toujours plus de fonctionnement, toujours moins d'investissement.

Quant à la reprise de 2,5 milliards de dettes du FFIPSA, elle est douteuse d'un point de vue constitutionnel. A sa suppression au 31 décembre 2004, le BAPSA enregistrait un déficit de 3,2 milliards qui fut transféré au nouveau fonds, établissement public autonome pourtant. Au terme de l'exercice 2005, le déficit de ce dernier atteint 5,1 milliards. La reprise de la moitié de ce déficit a été traitée comme une opération de trésorerie et ne figure d'ailleurs pas dans l'article d'équilibre mais dans celui qui concerne la dette. Il aurait fallu soit subventionner le fonds à hauteur de 3,2 milliards soit, mieux encore, conserver ce montant dans les comptes de l'Etat. Dans son rapport annexé au projet de loi de règlement de 2005, la Cour des comptes a qualifié cette opération massive de débudgétisation d'atteinte à la sincérité du budget de l'Etat. Elle considère que le BAPSA a été « délibérément maintenu en déficit en 2004, en contradiction avec la réglementation applicable aux budgets annexes, de façon à éviter de faire porter la charge en trésorerie correspondante sur le solde d'exécution du budget de l'Etat ». Forte critique !

La réforme des plus-values, pour sa part, aura dès 2006 des conséquences financières qui n'ont pas été évaluées. Pas plus que n'a été évalué le coût de l'amendement adopté en CMP sur l'extension du régime de rachat des cotisations.

J'en viens aux observations qu'appelle la partie DDOEF.

Une attribution exceptionnelle de TIPP a été décidée pour compenser les dépenses liées au RMI de 2004. Sachant que cette mesure de compensation ne sera pas reconduite, comment vont faire les conseils généraux en 2006 pour financer l'accroissement du coût du RMI ? La réponse est simple : ils seront malheureusement obligés d'augmenter les impôts. Le Gouvernement les accusera-t-il alors d'être de mauvais gestionnaires ? A vrai dire, il commence à se rendre compte que cette critique systématique de la gestion départementale est assez inappropriée, en particulier s'agissant d'une prestation définie par l'Etat. Et le Premier ministre a annoncé qu'il réunirait les présidents de conseils généraux en début d'année.

Une taxe de solidarité sur les billets d'avion a été instaurée. C'est une mauvaise idée. Bien que favorable à une hausse de l'aide française au développement, le groupe UDF considère que cette taxe va créer 3 000 chômeurs et détruire de la richesse. Elle ne pouvait selon nous se concevoir qu'au niveau communautaire.

Le groupe UDF est favorable à l'exonération progressive des plus-values, mais trouve qu'il n'est pas juste de ne pas prévoir un plafonnement des plus-values sur les sociétés de capitaux, comme il en existe un pour les sociétés de personnes et les entreprises individuelles. Des amendements en ce sens ont été défendus et le Gouvernement a répondu qu'une concertation aurait lieu l'an prochain à ce sujet. Espérons qu'il n'attendra pas trop, car sinon, nous entendrons encore dire que le Gouvernement a travaillé pour les riches.

Le Gouvernement a fait adopter un amendement tendant à ne pas rembourser aux transporteurs routiers le milliard de TVA acquittée sur les péages de la période 1996-2000. Juridiquement, cela constitue un déni de justice. L'affaire remontera certainement jusqu'à la Cour européenne de justice et la France se fera une nouvelle fois condamner. Il aurait mieux valu constater la créance, comme nous le proposions, et prévoir un étalement du remboursement sur deux ou trois ans.

Enfin, j'attire votre attention sur la réduction, décidée hier en CMP, du produit affecté au Conservatoire du littoral. J'ai protesté contre cet amendement, qui n'est même pas évalué et qui n'est guère conforme à l'engagement qui avait été pris de conforter les ressources dudit Conservatoire.

Au total, le groupe UDF ne peut accepter la dégradation de nos finances publiques, non plus que certains amendements gouvernementaux. C'est pourquoi il s'abstiendra.

M. André Chassaigne - Le projet de loi de finances rectificative qui nous est présenté cette année n'a rien d'une simple loi de conclusion de la gestion budgétaire, puisqu'il contient un nouveau train de mesures fiscales destinées une fois de plus à gonfler le portefeuille de contribuables privilégiées et à favoriser le capitalisme boursier au détriment d'une économie valorisant l'emploi stable et le travail correctement rémunéré.

Votre politique économique est un échec, mais vous demeurez « droit dans vos bottes », Monsieur le ministre, insensible à l'ensemble des signaux qui devraient vous alarmer...

M. le Ministre délégué - Vous me faites de la peine.

M. André Chassaigne - ...parmi lesquels l'aggravation considérable de la dette publique, évaluée à 2 000 milliards d'euros par la commission Pébereau.

Une des mesures clés de ce projet est l'exonération des plus-values sur les actions détenues depuis plus de huit ans. Il faut dire que votre majorité défend depuis le début une politique systématique de réorientation de l'épargne vers les placements en actions, s'attaquant parallèlement à l'épargne populaire, tant avec la baisse du taux du livret A qu'avec la décision plus récente de soumettre à l'impôt sur le revenu les PEL détenus depuis plus de douze ans. Tout en se lamentant sur les effets néfastes de la globalisation financière et sur la multiplication des plans sociaux, le Gouvernement fait des choix qui confortent la logique à l'œuvre dans cette évolution. Il devrait méditer la phrase de Bossuet : « Le ciel se rit des prières qu'on lui fait pour éloigner de soi des maux dont on persiste à accepter les causes. »

M. le Ministre délégué - Cette phrase me touche. (Sourires )

M. André Chassaigne - Vous savez fort bien en effet que les fonds de placement opèrent une pression destructrice sur l'emploi, les salaires et les investissements productifs. Vous n'en restez pas moins fidèle à une politique qui ne vise qu'à favoriser le capital au détriment du travail, à favoriser une poignée de nantis au détriment de la majorité de nos concitoyens.

Nous estimons quant à nous que l'Etat devrait garantir des taux satisfaisants pour l'épargne réglementée, qui pourrait constituer un authentique levier du développement économique, en permettant de réorienter les masses financières disponibles vers des investissements utiles à la collectivité - emploi, formation, recherche, logement.

Dans ce contexte, que pèse l'unique mesure « généreuse » de votre projet de loi, à savoir la fameuse taxe sur les billets d'avions ? Pas grand-chose, au mieux 200 millions d'euros, alors que le « bouclier fiscal » va coûter 250 millions d'euros, et ce au seul bénéfice des 14 000 ménages français les plus aisés.

De quel poids pourrait-elle être, de toute façon, alors que vous livrez les moindres parcelles de notre économie aux appétits destructeurs des marchés financiers ? Nous ne sommes pas dupes de cette hypocrisie. Les Français non plus. Les mesures fiscales que vous nous présentez ont vocation, dites-vous, à renforcer l'attractivité de notre territoire. Quelle supercherie ! L'impôt est en effet loin d'être le facteur essentiel de l'attractivité de notre pays. Et il n'y a vraiment pas lieu de continuer à favoriser une poignée de rentiers, dont vous nous expliquez sans rougir qu'ils sont la force vive de notre pays !

De leur côté, les PME indépendantes ont surtout besoin de crédits à taux bonifiés et de crédits pour la recherche-développement, alors que le soutien public est aujourd'hui monopolisé par de grands groupes. Elles sont plus étranglées par les donneurs d'ordres que par les charges.

On voit donc que les mesures fiscales voulues par le Gouvernement témoignent avant tout de l'étroitesse de ses grilles d'analyse et du peu de cas qu'il fait de la poursuite de l'intérêt général.

Vous n'avez pas l'ambition de permettre à nos concitoyens, particulièrement les plus fragilisés, d'avoir des conditions de vie décentes. Votre politique économique est elle-même condamnée à l'échec, les pertes de recettes fiscales qui résultent des mesures d'exonération affectant durablement l'attractivité de la France à travers nos services publics, notre protection sociale et nos petites entreprises, tout en aggravant les inégalités sociales.

Le Gouvernement ne modifie en rien sa politique budgétaire : il continue d'ignorer les attentes de nos concitoyens, son seul but étant d'améliorer les profits des entreprises, les gains des actionnaires et le train de vie des plus favorisés. Les 6,2 milliards que coûtent des dispositions fiscales hasardeuses auraient pu servir à lutter contre le développement de la grande pauvreté et contre la terrible fracture territoriale de notre pays... Vous l'aurez compris, Monsieur le ministre, nous voterons contre votre projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Hervé Mariton - A ce stade de nos débats budgétaires, on peut se demander ce qu'il reste à dire... Il est bon cependant de souligner que ce collectif budgétaire est une étape sur le long chemin de la maîtrise des finances publiques. Tout en constatant malheureusement que le niveau des recettes est moins élevé que ce qui était espéré, il témoigne d'une volonté de maîtriser la dépense - qui reste cependant inégalement partagée, y compris sur les bancs de notre assemblée, et même au sein de notre groupe.

Les collectivités locales doivent aussi contribuer à cette maîtrise : j'aurais voulu dire à M. Bonrepaux, qui vient de partir, que dans ce collectif, l'Etat tient son engagement d'une contribution supplémentaire - au-delà des exigences de la loi de décentralisation - pour le financement du RMI, mais que les collectivités locales doivent avoir ce souci dans l'exercice de leurs compétences. M. Bonrepaux nous annonçait des difficultés à venir pour les TOS des collèges et des lycées, qui relèveront demain de la responsabilité des conseils généraux et des conseils régionaux ; or, nous avons démontré dans le cadre de la commission d'enquête sur l'évolution de la fiscalité locale que les financements établis par la loi étaient parfaitement adaptés - à condition toutefois que les collectivités locales ne procèdent pas à des embauches nouvelles... Bien sûr, les dépenses nouvelles entraînent des augmentations des impôts locaux - telles qu'en annoncent les départements dirigés par des exécutifs socialistes -, mais celles-ci ne sont pas imputables aux transferts de compétences.

M. Didier Migaud - Vous l'affirmez, vous ne le démontrez pas !

M. Hervé Mariton - Il reste que l'Etat doit demeurer exigeant avec lui-même et qu'il devra, dans les mois qui viennent, respecter la plus grande transparence à propos de la prestation compensatoire de handicap : pour chaque compétence nouvelle, l'Etat doit démontrer l'adéquation des recettes transférées. Mais l'exigence ne doit pas se transformer en soupçon, et la manière dont les élus socialistes justifient l'augmentation des impôts locaux n'est en fait qu'une nouvelle preuve de leur incapacité à maîtriser la dépense.

M. Didier Migaud - N'importe quoi !

M. Hervé Mariton - Cette maîtrise doit être notre objectif à tous. A cet égard, la Conférence des finances publiques annoncée par le Premier ministre sera particulièrement bienvenue.

Pour terminer, Monsieur le ministre, je voudrais évoquer deux amendements que vous nous avez annoncés. Je ne peux que me réjouir que vous ayez repris celui que j'avais cosigné avec d'autres collègues sur les industries électro-intensives. En revanche, celui qui apporte une garantie de l'Etat pour des emprunts souscrits par des comités professionnels dans deux bassins viticoles est peut-être bienvenu pour eux, mais je veux vous rappeler que malheureusement d'autres bassins de production souffrent de la crise... Cette précipitation est presque maladroite, les viticulteurs de la vallée du Rhône méritant d'être entendus autant que ceux de la région de Bordeaux et du Beaujolais.

Ce collectif est une étape dans la nécessaire maîtrise des finances publiques, une station.

M. Charles de Courson - Sur un chemin de croix ?

M. Hervé Mariton - Pour le budget 2007, le Gouvernement a parlé de 0 % en valeur : ce serait encore plus vertueux qu'en 2005 et 2006. Nous voterons ce collectif, bonne étape sur le chemin de cette vertu ô combien nécessaire !

M. Didier Migaud - Monsieur le ministre, nous avons déjà dit tout le mal que nous pensions de ce projet, qui témoigne du décalage entre les résultats économiques et les prévisions très optimistes qui avaient été retenues dans la loi de finances initiale.

La consommation et le pouvoir d'achat s'en ressentent, le chômage diminue beaucoup moins que vous ne le dites, le nombre de défaillances d'entreprises augmente. En ce qui concerne la situation budgétaire, le déficit ne baisse pas malgré de nombreuses annulations de crédits, la dépense n'est pas maîtrisée. Nous continuons à nous demander comment vous pouvez à la fois augmenter les prélèvements obligatoires - même si vous diminuez l'impôt sur le revenu et l'ISF - et en même temps aggraver les déficits et l'endettement. En 1995, 1996 et 1997, vous aviez fait subir à la France le même régime... Nous constatons que depuis que vous êtes revenus aux affaires en 2002, nous ne sommes plus dans les clous des critères européens ; nous risquons de voir la Commission européenne déclencher au début de l'année prochaine à l`encontre de la France une nouvelle procédure pour déficit excessif.

Tout cela n'est pas glorieux, d'autant plus que les inégalités s'aggravent : vos mesures favorisent les ménages les plus aisés, mais pénalisent les petits épargnants. Chaque jour apporte la preuve de l'injustice de votre politique fiscale : une enquête d'un grand journal du soir révélait récemment combien vos affirmations sont loin de la réalité que connaissent les contribuables. L'incompréhension affecte aussi la relation entre l'Etat et les collectivités territoriales : le compte n'y est pas, contrairement à ce que dit M. Mariton. La formule copéenne « à l'euro près » est bien éloignée de la réalité ! En outre, la Cour des comptes a relevé des insincérités dans l'exécution du budget 2005, alors que la LOLF doit justement permettre plus de transparence. Nos critiques restent donc les mêmes qu'en début de discussion, et le groupe socialiste votera contre ce texte.

La discussion générale est close.

M. le Ministre délégué - L'amendement 5 supprime un gage.

M. le Rapporteur - Avis favorable.

L'amendement 5, mis aux voix, est adopté.

M. le Ministre délégué - Les amendements 1 et 9 permettent aux industries électro-intensives d'avoir une meilleure visibilité des conditions d'achat de l'énergie. C'est un sujet difficile : le ministère de l'industrie aurait peut-être dû associer le Parlement plus en amont à ses réflexions. Pour réparer cela, le Gouvernement s'engage à ce que le Parlement participe pleinement au suivi du consortium et que les conditions d'application soient rendues publiques.

M. le Rapporteur - C'est à l'initiative de M. Mariton que ce dispositif a d'abord été adopté il y a quelques jours. Il consiste à permettre aux industries fortement consommatrices d'électricité - métallurgie, papeterie, chimie - de se regrouper en sociétés anonymes agréées pour leurs achats. La CMP a décidé hier soir de ne retenir que le volet fiscal de cette mesure, d'ailleurs très limité, car elle n'avait pas l'expertise nécessaire pour adopter le volet technique et juridique, plus important, qui concerne la mise en œuvre de ces consortiums et leurs relations avec les sociétés actionnaires. Certains d'entre nous - MM. Mariton et Bouvard, notamment - sont experts en la matière, et la commission s'en remet donc à la sagesse de l'Assemblée.

M. Michel Bouvard - Je me félicite que le Gouvernement dépose à nouveau cet amendement dans une forme compatible avec la réglementation communautaire. Nous sommes dans une situation d'extrême urgence : en neuf mois, le mégawatt/heure est passé de 30 à 45 euros, et des dizaines de milliers d'emplois sont menacés. Le Parlement a attiré l'attention sur les problèmes du marché de gros de l'électricité, où certaines actions spéculatives détruisent l'emploi.

M. André Chassaigne - C'est la contradiction du système !

M. Michel Bouvard - Ce dispositif permet de rééquilibrer le marché. C'est une solution adaptée à un secteur où les cycles économiques sont longs, et cohérente avec nos choix d'investir dans le nucléaire. On ne peut pas pleurer sur les délocalisations et ne pas prendre les mesures qui permettent le maintien de notre grande industrie. En outre, dans ce domaine, le Parlement doit conserver son rôle de surveillance.

Les amendements 1 et 9, successivement mis aux voix, sont adoptés.

M. le Ministre délégué - Les amendements 2, 3 et 4 suppriment des gages.

M. le Rapporteur - Avis favorable.

Les amendements 2, 3 et 4, successivement mis aux voix, sont adoptés.

M. le Ministre délégué - L'amendement 10 concerne le dégrèvement de taxe professionnelle pour les transports sanitaires terrestres qui sont très exposés aux conséquences dramatiques de la hausse des prix de l'énergie.

M. Hervé Novelli - N'y a-t-il qu'eux ?

M. le Ministre délégué - Oui.

M. Michel Bouvard - On sent le ministre convaincu...

M. le Ministre délégué - Oui. Je vous demande donc d'accepter cet amendement avec enthousiasme.

M. le Rapporteur - Le ministre a été prolixe : je n'ai aucun commentaire.

L'amendement 10, mis aux voix, est adopté.

M. le Ministre délégué - L'amendement 6 supprime un gage.

M. le Rapporteur - Avis favorable.

L'amendement 6, mis aux voix, est adopté.

M. le Ministre délégué - Les amendements 7 et 8 concernent le Bordelais et le Beaujolais mais le ministre de l'agriculture m'a confirmé que sa porte était grande ouverte à quiconque souhaitait discuter d'autres régions.

M. le Rapporteur - Nombre d'entre nous, qui sommes maires, réfléchissons deux fois avant de donner une garantie communale. Or, l'Etat a multiplié les garanties par centaines dans le passé. La nouveauté, c'est que la LOLF permet au Parlement de les examiner.

L'Etat a par exemple garanti les sociétés de développement régional, et c'est encore lui qui paie aujourd'hui après les faillites de Nordex ou Picardex par exemple. Il paie encore les retraites garanties de la Compagnie de chemins de fer Ethiopie-Djibouti ! Il a garanti la concession du Stade de France qu'il paie encore car aucune équipe de première division n'est venue s'y installer.

M. Philippe Auberger - Et Eurodisney ?

M. le Rapporteur - Et, pour plusieurs milliards, l'Etat a garanti des prêts à l'UNEDIC qui n'ont jamais été remboursés - M. Migaud en sait quelque chose - et que l'on a fini par abandonner. L'Etat devrait donc considérer les garanties d'emprunt avec la même sévérité que le font les exécutifs locaux.

On nous propose ici une garantie - certes plus eurocompatible que d'autres - pour les offices interprofessionnels du Bordelais et du Beaujolais. Et les vins de Touraine, chers à M. Novelli ? Et ceux des Pyrénées-orientales, chers à M. Mach ? On fait même dans le Doubs, chez M. Binetruy, un excellent vin blanc ! Et l'Alsace ? Et la Drôme ? Et le champagne ? (Monsieur de Courson fait de vigoureux signes de dénégation) C'est vrai, M. de Courson serait plutôt prêt à contribuer généreusement à un fonds de péréquation en faveur des vignobles en difficulté... (Sourires)

Bref, je regrette que cet amendement débarque au dernier moment en CMP sans expertise : quel mauvais travail ! Et pourtant, je vous invite à la sagesse, cher collègues, car dans ce domaine, la sagesse et la modération ne doivent-elles pas toujours prévaloir ?

M. Philippe Auberger - Nous voilà enivrés par vos paroles !

M. Charles de Courson - Nous avons découvert hier soir en CMP ces amendements. Ces amendements par lesquels l'Etat s'engage à garantir les emprunts contractés par les interprofessions du Beaujolais et du Bordelais afin de verser une prime complémentaire aux viticulteurs. Est-il prévu que ces interprofessions augmenteront leur contribution volontaire obligatoire pour rembourser le prêt ? Si ce n'est pas le cas, les inquiétudes de M. le rapporteur général seraient fondées.

M. Michel Bouvard - M. le rapporteur général a souligné, à juste titre, les progrès accomplis avec la loi organique en matière de garanties de l'Etat. Mais nous pourrions aller plus loin en prenant l'exemple des collectivités territoriales dont le volume de garanties est encadré par la loi Galland.

M. le Rapporteur - Tout à fait !

M. Michel Bouvard - Il faudrait définitivement retirer la possibilité à certains organismes de solliciter la garantie de l'Etat. Avec ces deux amendements, nous ouvrons une brèche et les demandes vont se multiplier. On ne peut ignorer, alors que s'ouvre le débat sur l'endettement, que la garantie est potentiellement de la dette. Définir des limites permettra au Gouvernement de répondre plus fermement aux sollicitations des groupes de pression.

M. le Rapporteur - Très bien !

M. Antoine Herth - Au-delà du débat fort intéressant sur les garanties, certains pourraient remettre en cause le choix des vignobles retenus. Je veux donc souligner que, malgré la diversité des productions, le marché vitivinicole est très poreux en France. Partant, ces aides bénéficieront à l'ensemble du secteur. J'invite donc mes collègues à adopter ces deux amendements.

M. le Ministre délégué - M. Bussereau s'est déjà exprimé à ce sujet. Retenons simplement que les deux offices interprofessionnels ont la capacité de rembourser ces prêts et que la viticulture en crise aujourd'hui a besoin de ce geste.

Les amendements 7 et 8, successivement mis aux voix, sont adoptés.

L'ensemble du projet de loi de finances rectificative pour 2005, compte tenu du texte de la CMP modifié par les amendements qui viennent d'être adoptés, mis aux voix, est adopté.

Prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 13 heures 5.

            La Directrice du service
            du compte rendu analytique,

            Catherine MANCY


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