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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2005-2006 - 49ème jour de séance, 112ème séance

3ème SÉANCE DU JEUDI 22 DÉCEMBRE 2005

PRÉSIDENCE de M. René DOSIÈRE

vice-président

Sommaire

        DROIT D'AUTEUR DANS LA SOCIÉTÉ
        DE L'INFORMATION (suite) 2

        ART. 7 2

        ORDRE DU JOUR DU MARDI 17 JANVIER 2006 21

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

DROIT D'AUTEUR DANS LA SOCIÉTÉ DE L'INFORMATION (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information.

M. le Président - Le Gouvernement ayant décidé de reporter la suite de la discussion de ce projet après les vacances de Noël, je lèverai la séance un peu avant minuit.

Le temps dont nous disposons ce soir permettra à tous les députés présents de s'exprimer aussi largement que possible, et nous pourrons ainsi avancer quelque peu dans l'examen de ce texte.

ART. 7

Mme Muriel Marland-Militello - Cet article 7, pivot du projet de loi, définit les mesures techniques qui encadrent le téléchargement et la protection des œuvres sur Internet.

Je vous remercie, Monsieur le ministre, d'avoir entendu nos inquiétudes, et d'avoir proposé une réécriture du troisième alinéa de cet article. Je craignais en effet les conséquences du secret qui devait entourer ces mesures techniques de protection, ainsi que les risques encourus par l'internaute qui les aurait contournées, y compris s'il souhaitait se livrer à des opérations aussi simples que l'indexation de sa bibliothèque numérique.

Ces mesures de protection peuvent limiter le nombre de copies, la durée de vie du support ou de visionnage, et surtout les moyens d'accéder aux œuvres, notamment par l'absence d'interopérabilité.

Personnellement, je ne redoute rien de plus que le monopole et les ventes liées qui découleraient logiquement de ces encodages d'œuvres. La quasi-totalité des postes informatiques sont ainsi équipés du système d'exploitation Windows, et ce monopole permet de privilégier la suite bureautique du même éditeur.

Pour ces raisons, je vous remercie de nous permettre de créer un espace de concurrence.

Par ailleurs, gardons à l'esprit que les modes de consommation évoluent, et que nous devons nous adapter. Le changement fait peur, mais ne cédons pas à la tentation de tout encadrer. En protégeant à l'excès, l'on entrave la liberté des usagers et des jeunes créateurs artistiques et informatiques.

Ce n'est pas une raison pour ne pas responsabiliser les consommateurs, et le choix d'appliquer des sanctions graduées, dont ils auraient été prévenus, est la méthode la plus adaptée.

Toutefois, tout au long de ce débat, je proposerai que l'on privilégie le contrôle du premier accès à l'œuvre, ou la limitation de son utilisation. L'offre commerciale est balbutiante, laissons le marché s'installer, communiquons, et surtout n'allons pas au-delà des principes édictés dans la directive que nous transposons.

Permettez-moi de conclure par une image. Nous avons le choix entre deux attitudes. Imaginons que nous sommes sur une autoroute où la vitesse de circulation est limitée à 130 kilomètres par heure. Choisissons-nous d'y laisser rouler les seules voitures dont le moteur ne permet pas de dépasser cette vitesse, ou laissons-nous y accéder toutes les voitures quitte à sanctionner les conducteurs qui ne respecteraient pas cette règle ? Vous aurez compris que je préfère la deuxième solution. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Frédéric Dutoit - Je me réjouis que le Gouvernement accepte de reporter la suite de ce débat à janvier, mais je voudrais une nouvelle fois exposer le fond de ma pensée à l'occasion de cet article fondamental, d'autant plus que sur internet, nombre d'artistes persistent à propager l'idée selon laquelle les députés qui ont voté les deux amendements contestés seraient favorables à la gratuité totale des téléchargements. C'est faux.

Il s'agit de promouvoir la création littéraire et artistique, grâce à une véritable confrontation des analyses et des perspectives. Le développement du service public de la lecture, le libre accès au savoir, la lutte contre la fracture numérique, la diffusion libre des arts et de la culture, la liberté de création, la liberté de partager et de s'approprier cette création, sont autant d'enjeux qui nous poussent à un débat serein, débarrassé de toute polémique. Le téléchargement libre de fichiers sur internet appelait ainsi un débat sur la juste rémunération des auteurs et sur les moyens de garantir à tous les citoyens du monde un libre accès à la connaissance.

Nous devons ouvrir un grand chantier démocratique, et donner la parole aux professionnels, aux acteurs culturels, aux chercheurs, aux bibliothécaires, aux internautes. Chacun doit pouvoir s'exprimer sur cette question.

Nous sommes entrés dans l'ère de la numérisation et de la diffusion massive de la connaissance, et la question des droits d'auteur et de la propriété intellectuelle est devenue cruciale.

Au nom de l'extension du champ d'application de la propriété intellectuelle, vous voulez stériliser la création et la diffusion du savoir dans des domaines aussi indispensables que la recherche ou la propagation des connaissances et de la culture (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

La défense du droit d'auteur et de l'extension du domaine public est une question citoyenne. Dès l'origine, le concept de droit d'auteur implique le passage d'un « monopole » de l'auteur sur ses œuvres à un droit de la société à utiliser ces oeuvres. Etendu aux ayants droit, le « monopole » de l'auteur est devenu droit au respect de l'œuvre, qui comprend la « personnalité » de l'auteur. En ce sens, le droit d'auteur est un droit de la personne, une liberté. L'auteur va également choisir l'éditeur qui vendra au mieux son travail, ce qui l'incitera à produire d'autres œuvres, qui enrichiront d'autant la société.

Je pense que nous pouvons aussi faire respecter ces principes sur internet.

M. Christian Paul - Avec cet article 7 apparaît dans notre droit, à l'occasion de la transposition de la directive, le terme d'« interopérabilité ».

Permettez-moi, pour mieux vous convaincre, de vous citer deux exemples tirés de notre vie quotidienne...

M. Richard Cazenave - Vous nous les avez déjà cités !

M. Christian Paul - Ce matin, je faisais mes achats de Noël, et j'ai choisi un baladeur : aucun appareil ne permettait d'accéder à l'ensemble de l'offre musicale offerte par les plates-formes commerciales chères au ministre de la culture, ou par l'internet ! De même, essayez d'accéder à l'enregistrement vidéo de nos séances sur le site de l'Assemblée, en utilisant un logiciel libre. Vous ne le pourrez pas, car l'accès à nos archives est sinon confisqué, du moins limité par Microsoft. On le voit, pour l'instant, l'interopérabilité n'existe pas.

Alors que faudrait-il faire dans ce projet, ou dans un autre, une fois que nous aurons repris plus sérieusement ce travail ? Créer pour les industriels et les développeurs de systèmes informatiques, en particulier de logiciels libres, les conditions de la compatibilité de l'ensemble des systèmes. L'article 7 dans sa rédaction actuelle ne le fait pas. C'est pourquoi le groupe socialiste propose, par l'amendement 85, d'en améliorer la rédaction.

Ce débat n'est pas franco-français ; il y a là une question politique d'ordre mondial. Aussi, permettez-moi, Monsieur le ministre, de vous offrir l'ouvrage d'un universitaire et juriste américain, Lawrence Lessig, qui fut conseiller du président Clinton, L'avenir des idées. Vous y découvrirez l'offensive mondiale des grands de l'informatique pour confisquer la culture et l'internet. J'espère que, lorsque nous reprendrons ces travaux dans quelques semaines - ou quelques mois - vous aurez médité cette œuvre de Lawrence Lessig dont je me sens très proche.

M. Guy Geoffroy - Comme c'est émouvant !

Mme Martine Billard - L'interopérabilité des outils informatiques est essentielle et, en tant que législateurs, nous ne devons pas agir pour le court terme, car les matériels évoluent vite et les logiciels plus vite encore. Toute contrainte trop poussée en ce qui concerne la compatibilité obligerait les utilisateurs à renouveler régulièrement leur matériel. On nous dit que les systèmes de protection n'empêcheront pas de faire des copies privées, jusqu'à quatre ou cinq, si j'en crois une de vos déclarations, Monsieur le ministre. Dommage que vous ne l'ayez pas inscrit dans la loi.

Surtout, le système repose sur la bonne volonté des utilisateurs. Or Microsoft a été condamnée par l'Union européenne en mars 2004 pour imposer la vente de son logiciel Real player en même temps que le système d'exploitation Windows. En décembre 2005, la société n'a toujours pas tenu compte de cette décision et, face à l'amende dont la menace désormais l'Union européenne, la déclare simplement injustifiée. Elle refuse également de divulguer les protocoles informatiques nécessaires au dialogue entre Windows et les produits concurrents. On ne peut donc que douter de la « bonne volonté » dont Microsoft fera preuve pour les échanges avec les logiciels libres. Or beaucoup de PME ont choisi ces logiciels, moins coûteux, moins sujets aux bugs et aux virus. De plus en plus d'administrations et d'institutions s'en équipent également, ce qui est appréciable en ces temps d'économies budgétaires. Garantir l'utilisation des logiciels libres est essentiel. Nous verrons, au cours de la discussion de cet article, jusqu'où le Gouvernement est prêt à aller pour assurer l'interopérabilité.

M. Richard Cazenave - Avec cet article, nous abordons des questions plus décisives pour la communauté des internautes et pour les entreprises innovantes que celle, dont nous nous occuperons encore en janvier, de savoir quel doit être le type de licence ou comment les auteurs seront rémunérés. Le ministre a dit qu'il serait ouvert aux propositions, et je l'en remercie. En effet, aujourd'hui, l'interopérabilité n'existe pas vraiment dans la pratique. Il faut l'instaurer. Les mesures techniques ont pour objet de protéger les droits des auteurs, et non les fabricants de logiciels. On ne saurait donc aller vers le dépôt de brevet pour ceux-ci - Bruxelles le refuse d'ailleurs. Le groupe UMP a déposé plusieurs amendements, notamment l'amendement 144 rectifié et le 253 pour garantir la nécessaire interopérabilité, et donc le développement des logiciels libres et de la créativité.

M. Patrick Bloche - Je me réjouis de la convergence qui se dessine sur ce dossier. Le ministre appelait lui-même au rassemblement. Je suis certain qu'il saura donner aux amendements de la majorité et de l'opposition la réponse qui s'impose pour en créer les conditions.

L'interopérabilité, capacité de deux systèmes à échanger des données, est un préalable pour que les consommateurs acceptent les mesures techniques de protection. Ces consommateurs sont en effet aujourd'hui confrontés à une offre complexe. Le fait de ne pas savoir si leur appareil pourra lire une œuvre acquise légalement et dont l'usage est contrôlé par une mesure technique les dissuade d'acheter et freine donc considérablement le développement commercial des sites de vente en ligne. Ils peuvent par exemple se demander s'ils pourront entendre dans leur voiture le CD qu'ils veulent acheter. Il faut donc leur apporter la garantie que ces œuvres protégées peuvent être converties dans un format accepté par le système de lecture dont ils disposent.

D'une façon générale, il convient de veiller à ce que le fournisseur de la mesure technique ne puisse rendre captifs ses clients en bloquant la concurrence, soit par la rétention d'informations essentielles à l'interopérabilité, soit par le recours à des conditions discriminatoires et non équitables. Il faut d'autre part garantir que tous les acteurs du marché veilleront à ce que leurs logiciels ne suppriment pas les informations électroniques jointes à une reproduction lorsqu'ils manipulent des flux en contenant.

Nous proposerons donc des amendements en ce sens, l'objectif étant aussi de répondre aux objectifs fixés par la Commission européenne lors de la revue de transposition de la directive de 2001 et de satisfaire les attentes de tous ceux - acteurs industriels, associations de consommateurs - qui ont exprimé le souhait que les fournisseurs de mesures techniques se mettent d'accord sur des format pivots aux spécifications publiques et librement implémentables par tous - autrement dit les « standards ouverts ».

Mais sans signal fort d'un Etat membre, les annonces de recherche à l'échelle européenne d'une solution d'interopérabilité resteront lettre morte et ne conduiront qu'à la formation de consortiums de grandes sociétés, voire à un monopole américain abusant de sa position. Or, le texte est à cet égard insuffisant car il ne prévoit qu'une licence obligatoire, qui ne permettra pas à tous les acteurs concernés, notamment aux développeurs de logiciels libres, de mettre en œuvre cette interopérabilité. Pourtant, comme le soulignait Bernard Carayon dans son rapport sur la sécurité économique nationale, la réponse à l'hégémonie américaine pourrait venir du logiciel libre, qui permet de disposer de systèmes sûrs, dépourvus de portes dérobées - les « back doors - utilisables par des personnes malintentionnées ou par des services de renseignement étrangers.

M. François Bayrou - La rédaction de cet article fait courir deux risques. Le premier, industriel, est que les fournisseurs de mesures techniques profitent de cette maîtrise pour mettre la main sur la totalité de la chaîne, jusqu'au lecteur, et en tirent un atout décisif dans la compétition.

Le deuxième concerne les logiciels libres. Certains affirment qu'il n'y a rien dans le texte qui les remette en cause et le ministre lui-même pensait sans doute à eux quand il a parlé des fausses nouvelles qui se propagent. Aux esprits vigilants, le risque n'en apparaît pas moins. Le principe du logiciel est en effet d'exposer ses codes sources, de sorte qu'il est ensuite assez facile, paraît-il, de supprimer les mesures de contrôle. Or, l'article 13 assimile à un délit de contrefaçon le fait de fabriquer ou d'importer une application technologique, un dispositif ou un composant, ou de fournir un service, permettant de porter atteinte à une mesure technique de protection. Les logiciels libres pourront donc soit se retrouver mis dans l'incapacité de lire des phonogrammes protégés, soit exposer à des poursuites.

Ce risque inquiète beaucoup une grande partie de la communauté internet ainsi que toutes les entreprises ou administrations - la gendarmerie, par exemple ! - qui ont fait le choix du logiciel libre.

J'ajoute que des interlocuteurs bien informés estiment que les logiciels libres offrent à des services exposés plus de sécurité et d'indépendance que les autres, qui sont parfois, sans qu'on le sache, très contrôlés.

M. Jean-Pierre Brard - Je n'ai pas participé au débat jusqu'à présent, car j'étais pris par le travail sur d'autres textes, notamment celui sur le logement, mais mon fils de quinze ans et demi m'a alerté...

M. Richard Cazenave - C'était hier qu'il fallait venir ! Ce n'est plus le sujet !

M. Jean-Pierre Brard - Monsieur Cazenave, je ne vous ai pas interrompu jusqu'à présent... puisque je n'étais pas là (Rires). Quoi qu'il en soit, Monsieur le ministre, on peut dire qu'après avoir réussi à susciter l'intérêt prolongé des intermittents du spectacle, vous suscitez maintenant celui des jeunes, mais malheureusement à la faveur d'une position quelque peu liberticide (Protestations sur les bancs du groupe UMP) et qui donne le sentiment d'avoir été mal réfléchie.

Pourtant, vous savez d'ordinaire prendre votre temps, Monsieur le ministre. D'ailleurs, c'est ce que vous dites avec constance aux intermittents : il faut prendre le temps ! Alors pourquoi vouloir ce soir, à la veille de Noël, précipiter les choses ? Moi qui suis instituteur de formation, je sais que pour faire comprendre un concept aux enfants, il faut souvent raisonner par analogie : en donnant de facto une position monopolistique aux majors...

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission des lois - Rien à voir !

M. Jean-Pierre Brard - ...tels que Sony ou Microsoft, vous faites dans la culture ce que certains veulent faire pour Monsanto dans l'agriculture, à savoir lui permettre de devenir l'indispensable fournisseur de semences rendues stériles et bénéficier ainsi d'un immense marché captif.

M. Christian Vanneste, rapporteur de la commission des lois - Comparaison n'est pas raison !

M. Jean-Pierre Brard - On permettrait ainsi à un matériel d'être en position monopolistique. Il faut au contraire préserver la liberté et l'universalité. Certes, quelques grands artistes sont venus à votre secours, mais il faut regarder à qui ils sont liés...

M. Richard Cazenave - Nous sommes à l'article 7 !

M. Jean-Pierre Brard - Même à la veille de Noël, on ne peut pas couper ce texte en tranches, comme du foie gras !

Nous devons nous protéger d'une mondialisation donnant la primauté aux grands majors. Monsieur le ministre, vous qui savez prendre votre temps - parfois de manière excessive comme pour les intermittents, que vous continuez à refuser d'entendre -, prenez votre temps sur ce texte : reprenons toute la réflexion depuis le début... Pourquoi notre assemblée, comme elle l'a fait plusieurs fois depuis 2002, ne constituerait-elle pas une mission ? Cela permettrait de remettre l'ouvrage sur le métier, plutôt que, en cette période de réveillon, servir la soupe aux majors.

M. Christian Paul - C'est un propos d'honnête homme, au sens du XVIIIe siècle.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication - J'ai une conviction absolue : c'est de ne rien faire qui fait courir des risques. Je suis résolu à éviter la domination mondiale par quelques-uns, à éviter le cloisonnement et les monopoles abusifs ; et je suis fier de vous proposer un dispositif qui, allant au-delà de la stricte transposition de la directive européenne, nous place en avance. Sur ce sujet comme sur celui de la réponse graduée, nous jouons le rôle d'éclaireurs pour nos partenaires européens.

M. Christian Paul - La « riposte » graduée ! Que de métaphores militaires !

M. le Ministre - Monsieur Paul, la réponse graduée vous dérange parce que c'est une alternative intelligente, fondée sur l'information, la prévention et l'éducation...

La question des logiciels est très importante. Là aussi, je suis fier de vous dire que, depuis 1994, le ministère de la culture et de la communication utilise des logiciels libres. A ceux qui lui donnent des leçons de gestion, je suis heureux de rappeler que c'est la première administration à le faire.

M. Christian Paul - Vous adressez-vous à Bercy ?

M. le Ministre - Ce texte ne modifie en rien le droit des logiciels. Il ne remet pas en cause certains droits importants pour le logiciel libre, comme l'exception de décompilation, qui permet de décoder un logiciel pour en comprendre le fonctionnement et recréer un autre logiciel interopérable, celui-ci pouvant ensuite être diffusé sous une licence libre. Des amendements permettront d'apporter les clarifications nécessaires ; je remercie ceux qui y ont contribué.

Nous garantissons ainsi à d'éventuels nouveaux entrants dans le domaine des mesures techniques un accès aux fichiers existants. L'objectif du Gouvernement est de favoriser le développement de mesures techniques françaises et les entreprises françaises qui les fabriquent, tout en préservant le développement des services en ligne.

Monsieur Brard, je suis prêt à rencontrer les jeunes et à leur expliquer les enjeux, comme je l'ai fait tout à l'heure sur une radio. Je ne veux pas les priver de liberté, mais simplement rendre compatibles l'ouverture d'internet et le respect des artistes et de la création. On peut me dire que je ne me préoccupe que des grandes multinationales et des artistes au rayonnement mondial : c'est totalement faux !

Pourquoi nous sommes-nous mobilisés pour la bibliothèque numérique européenne ? Serait-ce pour céder aux sirènes du capitalisme mondial ? C'est tout simplement par souci d'équilibre, pour faire en sorte que nous ne soyons dépendants de personne pour permettre au plus grand nombre l'accès aux œuvres.

Ce débat est extraordinairement technique, mais là aussi nous servons une valeur : l'activité, l'indépendance et le rayonnement de l'intelligence française et européenne, ce qui suppose d'instituer des protections. C'est donc un débat très politique - et je suis triste de constater qu'il se heurte à des clichés.

M. le Vice-Président de la commission - Très bien.

M. François Bayrou - Monsieur le ministre, vous avez fait plusieurs fois allusion à la riposte graduée.

M. le Ministre - « Réponse » !

M. François Bayrou - J'emploie le mot « riposte » car c'est celui qui a été employé lorsqu'on a évoqué pour la première fois ce dispositif : c'était dans Le Parisien, je tiens à votre disposition la coupure de presse.

Réponse ou riposte, ce système introduit dans notre droit la police privée sur internet.

MM. Richard Cazenave et Laurent Wauquiez - Ce n'est pas le sujet de l'article 7 !

M. François Bayrou - Le ministre vient d'en parler !

Monsieur le ministre, pour graduer la réponse, il faut identifier le contrevenant et donc faire intrusion dans les échanges de fichiers : là est la faiblesse. C'est une faute au moins contre l'esprit que cette disposition soit proposée par un amendement gouvernemental et qu'elle n'ait donc pas fait l'objet d'un examen préalable du Conseil d'Etat.

S'agissant des logiciels libres, il est très facile d'extraire les mesures de contrôle puisque les informaticiens disposent de l'intégralité des codes sources. Ce que le ministre présente comme une sécurité ne fait donc que renforcer l'inquiétude des internautes.

M. Bernard Accoyer - Cela n'avait rien à voir avec l'article en discussion !

M. le Président - Quoi qu'il en soit, nous en venons à la discussion des amendements.

M. le Rapporteur - L'amendement 28 tend à insérer, après les mots « d'une œuvre », les mots « autre qu'un logiciel » - les logiciels faisant l'objet d'une protection particulière, définie dans l'article 7 de la directive sur la protection juridique des programmes d'ordinateurs. Transposée dans le code de la propriété intellectuelle par la loi du 10 mai 1994, cette directive exclut toute exception pour copie autre que la copie de sauvegarde. C'est pourquoi la directive de 2001 exclut que les mesures de garantie des dispositions de protection des œuvres qu'elle prévoit modifient en quoi que ce soit les dispositions existantes concernant la protection juridique des programmes d'ordinateurs. Cependant, la rédaction actuelle du projet exclut l'application des mesures techniques efficaces aux logiciels, ce qui pourrait être source d'ambiguïté. D'où cet amendement de clarification.

M. le Ministre - Avis favorable.

M. Jean Dionis du Séjour - Je vois mal la différence entre les deux rédactions, alors même que l'importance de ce sujet impose la plus grande clarté. Rappelons que la directive européenne ne concerne que les œuvres protégées, et non les logiciels. Tout empiètement en dehors de ce domaine irait donc au-delà de la simple transposition.

Cela étant posé, écrire qu'il s'agit d'une oeuvre « autre qu'un logiciel » ne me semble pas plus clair que la rédaction initiale : « Ces dispositions ne sont pas applicables aux logiciels » ? Et je comprends mal en quoi la nouvelle formulation serait plus rassurante.

M. Christian Paul - Ces rédactions se valent bien ! Dans les deux cas, il est clairement indiqué que les dispositions de l'article 7 ne s'appliquent pas aux logiciels, pour lesquels la notion de copie privée autorisée n'existe pas - pour cette raison, nous aurions d'ailleurs pu nous passer de la précision. En tout état de cause, ne semons pas le doute par nos débats : le projet de loi comporte déjà suffisamment de chausse-trapes et d'erreurs de rédaction !

M. le Rapporteur - Effectivement, Monsieur Paul, ces deux rédactions sont similaires. Il n'en reste pas moins que la formulation initiale comportait une ambiguïté que nous pouvons facilement lever.

M. Jean-Pierre Brard - Mais où se trouve cette ambiguïté ?

M. le Rapporteur - Distinguons clairement les œuvres et les logiciels, mais n'indiquons pas ensuite que ces dispositions ne sont pas applicables aux logiciels, car cela pourrait suggérer que ces derniers ne sont plus protégés. La rédaction que nous proposons s'impose par sa clarté, sa simplicité et son caractère incontestable.

M. le Président - Avant de donner la parole à M. de Roux, je dois vous rappeler nos règles : l'auteur de l'amendement présente celui-ci, puis le Gouvernement et le rapporteur donnent leur avis, avant que s'expriment deux orateurs, l'un pour, l'autre contre. Je ne peux déroger à ces règles.

M. le Vice-Président de la commission - Arrêtons de tout mélanger.

M. Jean-Pierre Brard - Reconnaissez que le texte est confus !

M. le Vice-Président de la commission - Pas du tout, il est d'une grande simplicité ! Il s'agit ici de la protection du droit d'auteur, et non des logiciels. Les notions d'interopérabilité et de mesures techniques ont pour objet d'obliger les opérateurs à fournir les données techniques nécessaires à la protection du droit d'auteur. Il serait démagogique d'y mêler tout autre sujet.

Mme Martine Billard - Nous ne faisons pas de démagogie ! Simplement, le texte gouvernemental nous paraît plus clair pour une fois.

L'amendement 28, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - Les amendements 134, 201, 2e rectification, 144 rectifié, 243, 136 et 252 peuvent être soumis à une discussion commune.

M. Frédéric Dutoit - L'amendement 134 reprend les termes retenus par le législateur portugais pour transposer la directive européenne. Selon l'article 6.3 de celle-ci, la notion de mesures techniques de protection vise le cadre normal de fonctionnement d'une oeuvre. Ainsi sont seuls visés les éléments dynamiques, et non les aspects statiques tels que le format d'un fichier, considéré isolément, ou encore une méthode de cryptage.

M. Richard Cazenave - Nous sommes tous d'accord sur ce point ! Avançons !

M. Frédéric Dutoit - Afin d'éclairer les juridictions françaises, il est souhaitable d'indiquer que les méthodes de cryptage, de brouillage et de transformation ne constituent pas des mesures techniques en tant que telles. Précisons également qu'une personne physique ou morale ne peut se prévaloir du régime de protection des mesures techniques pour exercer un contrôle sur l'ensemble des programmes informatiques mettant en œuvre les dits formats et protocoles.

M. Laurent Wauquiez - Je défends l'amendement 201, 2e rectification, de M. Martin-Lalande, le 144 rectifié de M. Carayon, et le 243 de Mme Marland-Militello.

Toute la difficulté posée par les formats numériques tient aux mesures techniques dont ils s'accompagnent et qui conditionnent leur lecture et les opérations de re-engineering. Dans quelle mesure la protection de l'œuvre doit-elle en effet s'étendre à ces mesures ? Les grandes multinationales, comme Microsoft, risquent en effet d'utiliser leur force de frappe en matière de logiciels pour établir un pont entre les licences accordées aux sociétés de distribution et leurs logiciels de diffusion.

Sur ce point, le droit anglo-saxon utilise la notion de fair use, selon laquelle toute opération de transformation d'une mesure technique s'apparente à une dénaturation de l'œuvre elle-même. Le danger réside dans l'assimilation d'une méthode de cryptage à une mesure technique, toute opération sur le verrouillage de l'œuvre se trouvant dès lors assimilée à une dénaturation.

Je voudrais vous remercier, Monsieur le ministre, d'avoir su écouter les industries du logiciel libre de notre pays. Nous devons en effet nous efforcer de ne pas favoriser les activités qui s'apparentent au piratage sans pour autant faire le jeu des grandes multinationales. Afin de préserver la notion d'interopérabilité, qui permet de convertir un format numérique dans un autre et qui a conditionné le développement de nombreuses start-up françaises, ces amendements visent à soustraire du champ des mesures techniques les protocoles, les formats, les méthodes de cryptage, de brouillage et de transformation, à l'exception des hypothèses où elles conduisent à un piratage.

M. Jean Dionis du Séjour - Revenons à la directive que nous transposons : « on entend par mesure technique toute technologie, dispositif ou composant qui est destiné à empêcher ou à limiter les actes non autorisés par le titulaire d'un droit d'auteur ». Voilà qui est très précis ! La législation européenne est d'ailleurs mieux rédigée que la nôtre dans de nombreux cas...

Nous devons créer un véritable climat de confiance et répondre aux attentes des industries du logiciel libre : les éléments de méthodologie, comme un protocole, une méthode de cryptage, de brouillage ou de transformation, n'ont aucun rapport avec des dispositifs opérationnels, et doivent donc être clairement placés en dehors du champ des mesures techniques de protection. Les principes et la directive nous invitent à préciser l'article 7 en ce sens : d'où l'amendement 136.

M. le Rapporteur - Les amendements qui viennent d'être présentés proposent de limiter le périmètre des mesures techniques de protection, dont le contournement sera pénalement sanctionné.

Contrairement à l'amendement 252 que je défends maintenant, ces amendements visent à exclure des éléments explicitement mentionnés par la directive et que nous ne pouvons donc pas écarter !

Selon l'article 6 de la directive, les mesures techniques sont réputées efficaces quand l'utilisation d'une œuvre ou d'un autre objet protégé est contrôlée grâce à un code d'accès, à un procédé de protection comme le cryptage, le brouillage ou tout autre procédé de transformation de l'œuvre, ou à un mécanisme de contrôle de la copie. C'est ce texte que reproduit quasi intégralement le troisième alinéa de l'article 7, et que contredisent les amendements qui viennent d'être présentés.

Si ceux-ci étaient adoptés, on peut se demander ce que voudrait dire la loi ! On peut même craindre que ces amendements n'empêchent Canal Plus, par exemple, d'utiliser un cryptage. L'amendement 252 donne, lui, la bonne réponse, en distinguant les méthodes de brouillage, cryptage et autres selon qu'elles portent sur des objets protégés par des droits d'auteurs ou non. Avis donc défavorable à tous les amendements sauf le 252.

M. le Ministre - Ces amendements ne diffèrent que par des nuances. Le Gouvernement est favorable à l'amendement 144 rectifié, tout en considérant que les autres servent les mêmes objectifs (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - J'observe que l'amendement 136 est identique au 144 rectifié.

Mme Martine Billard - Il me semble que nous voterons contre l'amendement 252 à l'unanimité, sauf le rapporteur !

M. le Vice-Président de la commission - Et le vice-président de la commission !

Mme Martine Billard - L'amendement 252 présente en fait une petite différence, mais très astucieuse. Il précise que ne sont pas des mesures techniques les protocoles, formats et méthodes de cryptage, de brouillage ou de transformation « qui n'ont pas pour objet de protéger des œuvres » et autres biens. A rebours, tous les protocoles - et autres - qui ont pour objet de protéger une œuvre le sont, et leur contournement est une infraction ! La différence est donc de fond. M. Vanneste essaye de faire croire qu'il précise ce qui ne fait pas partie des mesures de protection, mais il les réintroduit en fait par ce membre de phrase, de façon très subtile. C'est pourquoi il ne faut pas voter l'amendement 252.

M. Jean Dionis du Séjour - Nous avons été dans un premier temps sensibles aux arguments du rapporteur, mais à l'analyse, sa rédaction nous inquiète. Il est question en particulier des méthodes qui n'ont pas pour objet de protéger des « œuvres, interprétations, phonogrammes, vidéogrammes ou programmes », ce qui pose de nouveau la question de la frontière avec les logiciels libres. Nous soutenons donc les amendements 136 et 144 rectifié.

M. le Rapporteur - C'est incroyable ! Quel manque d'élégance !

M. le Vice-Président de la commission - Si la commission des lois a adopté l'amendement 252, c'est justement pour la formule « qui n'ont pas pour fonction de protéger » ! Nous cherchons à protéger les auteurs et les droits d'auteurs. Sans ce membre de phrase, les mesures techniques visent beaucoup plus de biens, le champ de l'article 7 est considérablement étendu et le texte de transposition que nous vous proposons devient expressément contraire à la directive !

M. Richard Cazenave - La rédaction des amendements 144 rectifié et semblables est conforme à la directive, puisqu'elle a été adoptée par d'autres Parlements européens. A la réflexion, c'est aussi la plus claire. L'amendement 252, en posant que les mesures de cryptage peuvent être une mesure technique dès lors qu'elles participent à la protection d'une œuvre, signifie indirectement qu'une mesure de cryptage est brevetable, ce à quoi nous nous refusons tous. En voulant faire mieux, on peut arriver à l'inverse de ce que l'on voulait ! C'est la raison pour laquelle nous en étions revenus à la rédaction plus simple de l'amendement 144 rectifié.

M. le Vice-Président de la commission - Je demande une suspension de séance.

M. Patrick Bloche - Le débat avance - sans emballement certes, mais il avance... Cependant, il ne me semble pas aller vers une clarification ! Voilà des amendements qui paraissent semblables à la première lecture, et qui s'avèrent contradictoires... En l'occurrence, il me paraît important de rappeler que l'on peut s'exprimer dans cet hémicycle à titre individuel, ou au nom d'une commission.

M. Jean-Pierre Brard - Jusque là, cela reste moral.

M. Patrick Bloche - En tout cas, conforme à notre Règlement ! Mais le vice-président de la commission des lois et le rapporteur devraient préciser qu'ils s'expriment à titre individuel : la commission ne s'est pas prononcée en faveur de l'amendement 252 contre le 144 rectifié, dont la rédaction nous paraît plus claire et plus conforme à la préoccupation de tous - sauf de MM. Vanneste et de Roux. Le sujet est sensible : c'est tout l'avenir du logiciel libre qui est en jeu. Nous devons savoir ce que nous votons, et la position que la commission a exprimée.

M. Dominique Richard - Je demande une suspension de séance.

M. Pierre-Christophe Baguet - Cette suspension est nécessaire. L'amendement du rapporteur protège les chaînes cryptées, qui sont les premiers financeurs du cinéma dans ce pays. Nous le soutenions, parce qu'il était hors de question pour nous de laisser porter atteinte, nuitamment, au financement de la culture française. Mais si cet amendement a également pour effet de pénaliser le logiciel libre, nous sommes devant un problème ! Nous ne voulons pas soutenir l'un au détriment de l'autre !

M. François Bayrou - Il y a deux questions distinctes. D'abord, nous ne voulons pas que les mesures de protection constituent un avantage pour certains grands opérateurs du secteur : le système doit être à la disposition de tous. Tous les groupes s'accordent là-dessus, et c'était le premier objet de l'amendement 144 rectifié et des amendements semblables. Mais les chaînes cryptées se sont inquiétées de leur rédaction, qui laisse penser que leurs systèmes de cryptage pourraient être mis à la disposition de tous. Nous devons donc suspendre la séance pour trouver une rédaction qui assure l'interopérabilité, mais exclue le cryptage.

La séance, suspendue à 22 heures 55, est reprise à 23 heures 10.

M. le Rapporteur - Les amendements 134, 201, 2e rectification, 136, 144 rectifié et 243 ayant été repoussés par la commission, nous avions cherché, par l'amendement 252, une solution de synthèse. Or, M. Cazenave a montré, à juste titre, qu'il posait un problème de brevetabilité.

M. Jean Dionis du Séjour - Eh oui !

M. le Rapporteur - Quant à l'amendement 144 rectifié, il mettrait en difficulté les chaînes cryptées, écueil que l'amendement 252 visait précisément à éviter. Aussi, je propose un sous-amendement 256 à l'amendement 144 rectifié qui viserait à ajouter la phrase suivante : « Cette disposition ne concerne pas les chaînes de télévision ».

Plusieurs députés UMP - Très bien !

M. le Ministre - Cette solution me convient. Avis favorable au sous-amendement 256. Je ne voudrais pas porter un mauvais coup à la création cinématographique française !

M. le Président - Par conséquent, les autres amendements reçoivent un avis défavorable ?

M. le Rapporteur - Tout à fait ! Si ce n'est que je retire l'amendement 252.

L'amendement 252 est retiré.

M. Pierre-Christophe Baguet - Je suis favorable au sous-amendement proposé par le rapporteur à condition que l'on précise également que cette disposition ne s'applique pas aux radios (Murmures sur les bancs du groupe UMP) car, demain, certaines d'entre elles seront également cryptées et payantes.

Un député UMP - Dieu nous en préserve !

M. Pierre-Christophe Baguet - La numérisation des radios est en cours, y compris dans le service public !

Mme Martine Billard - Je me félicite que l'amendement 252 ait été retiré mais je m'interroge sur l'utilité du sous-amendement 256. Le ministre a clairement indiqué qu'il ne voulait pas remettre en cause la création cinématographique. En cas de contentieux, cette déclaration suffit. D'autre part, forcer le cryptage d'une chaîne est déjà considéré comme un délit.

M. le Ministre - Ce sous-amendement apporte une précision utile !

M. Jean-Pierre Brard - Moins angélique que Mme Billard, je considère que parole de ministre n'est pas parole d'évangile. Cela étant, l'amendement du rapporteur paraît en effet superfétatoire, à moins que le ministre ne nous cache quelque chose, ce qui serait fort possible, car s'il est une vertu qu'on ne peut lui dénier, c'est bien l'habileté. Nous savons maintenant son aptitude à nous faire prendre des vessies pour des lanternes.

Monsieur le ministre, je me demande encore si vous êtes ou non le leurre du Gouvernement - je pense en particulier au dossier des intermittents...

M. Richard Cazenave - Ce n'est pas sérieux ! Vous vous égarez !

M. Jean-Pierre Brard - Soit, revenons à notre sujet. Ou bien l'amendement du rapporteur est superfétatoire, et il ne faut pas le voter, ou bien il ne l'est pas, mais que le rapporteur nous dise pourquoi ! Une chose est sûre, si ce débat progresse, c'est bien dans la confusion !

M. Jean Dionis du Séjour - La difficulté est réelle, car nous voulons mettre en place des mesures de protection techniques efficaces sans entraver le développement des logiciels libres.

M. le Vice-Président de la commission - Parfaitement !

M. Jean Dionis du Séjour - L'amendement 136 tendait justement à protéger ces logiciels libres. L'on propose de rajouter une phrase pour protéger les productions audiovisuelles, pourquoi pas ? Mais le problème de fond reste le même. Je rappelle que, dans la version initiale, le premier alinéa disposait que ces mesures ne sont pas applicables aux logiciels. J'estime que la suppression de cette phrase a compliqué les débats. Cela étant, sous réserve de viser les radios, comme le souhaitait M. Baguet, nous soutiendrons les amendements 136 et 144 rectifié sous-amendés.

M. Dominique Richard - Madame Billard, il n'y a pas que des chaînes payantes cryptées. Nous avons adopté des dispositions pour crypter les émissions de grande violence ou de pornographie. Ce sous-amendement répond à l'ensemble de la question des cryptages télévisés, et ne sert pas une chaîne en particulier.

M. le Président - Monsieur le rapporteur, acceptez-vous l'ajout demandé par M. Baguet ?

M. le Rapporteur - J'avoue ne pas avoir d'opinion sur le sujet. Je laisse donc le sous-amendement en l'état.

L'amendement 134, mis aux voix, n'est pas adopté.

Le sous-amendement 256, mis aux voix, est adopté.

L'amendement 144 rectifié ainsi sous-amendé, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - Les autres amendements ont été retirés.

M. Pierre-Christophe Baguet - Les radios ont-elles été intégrées au dispositif ?

M. le Président - Non, car un sous-amendement ne peut pas être lui-même sous amendé.

M. Pierre-Christophe Baguet - Et l'auteur du sous-amendement ne peut-il pas ajouter à celui-ci la précision que je demandais ?

Un député socialiste - Il n'a pas voulu.

M. le Président - Les débats ne se déroulent pourtant pas à une telle allure que vous ne puissiez les suivre, Monsieur Baguet !

M. Richard Cazenave - Le développement de nouvelles générations de mesures techniques de protection, de nature logicielle, pose le problème de leur interopérabilité et expose à un développement des pratiques anticoncurrentielles.

Le droit du logiciel permet de réaliser cette interopérabilité, soit dans un cadre contractuel, le fournisseur de la mesure technique apportant l'ensemble des éléments nécessaires, soit dans le cadre de l'« exception de décompilation » qui permet à un tiers de traduire le code du logiciel dans un langage plus intelligible, pour étudier le fonctionnement du logiciel et le réécrire afin qu'il soit interopérable.

L'amendement 253 tend tout d'abord à rappeler que les mesures techniques ne doivent pas conduire à empêcher l'interopérabilité, tant qu'elle ne porte pas atteinte aux conditions d'utilisation de l'œuvre.

Il ne s'agit pas d'instaurer une propriété industrielle sur les méthodes utilisées pour protéger les œuvres, interprétations, phonogrammes, vidéogrammes ou programmes, mais de sanctionner le contournement d'une mesure technique. Pour autant, ce projet de loi ne doit pas remettre en cause le statut juridique du logiciel qui relève du droit d'auteur, et non du brevet. C'est d'autant plus important qu'il y a déjà eu des tentatives à Bruxelles pour breveter les logiciels, ce que la France refuse à juste titre.

Si l'interopérabilité est réalisée dans un cadre contractuel, il faut renforcer les pouvoirs du juge de la concurrence, pour éviter les pratiques anticoncurrentielles.

Il convient par ailleurs de rappeler le bénéfice de l'« exception de décompilation » prévue à l'article L. 122-6-1 pour permettre l'interopérabilité. Enfin, il s'agit de clarifier la définition du contournement, pour ne pas empêcher cette interopérabilité.

Je précise que cet amendement est cosigné par M. Vanneste (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Frédéric Dutoit - L'amendement 135 tend à garantir que le fournisseur de cette mesure technique ne pourra pas rendre captifs ses clients en bloquant la concurrence, soit en faisant de la rétention d'information, soit en usant de méthodes discriminatoires et non équitables. Il vise aussi à garantir que, s'agissant des informations électroniques jointes à une reproduction, tous les acteurs du marché s'assurent que leurs logiciels respectent la loi.

Cet amendement permet également de répondre aux objectifs fixés par la Commission européenne ainsi qu'aux attentes de nombreux acteurs concernés par cette transposition.

Malheureusement, sans signal fort d'un Etat membre, les annonces de recherche à l'échelle européenne d'une solution d'interopérabilité vont rester lettre morte. Elles ne conduiront qu'à la constitution de consortiums de grandes sociétés, principalement américaines ou japonaises, ou, plus vraisemblablement, au monopole d'un fournisseur américain qui abuse déjà de sa position dominante, et qui sera désormais en mesure d'imposer légalement des licences sur ses technologies.

M. Christian Paul - L'amendement de M. Cazenave n'est pas mauvais, mais son périmètre est trop étroit, car il n'ouvre qu'à une catégorie d'acteurs industriels la possibilité d'accéder aux informations essentielles à l'interopérabilité. Il faut aller plus loin pour ne pas priver de cette possibilité un certain nombre d'autres acteurs, notamment ceux qui développent des logiciels libres non commerciaux.

Nous préférons donc notre amendement 85, assez proche de celui de M. Dutoit, et susceptible, contrairement à la rédaction actuelle du projet de loi, de garantir l'interopérabilité. Pour cela, il faut que les œuvres protégées puissent être converties dans le système de lecture du consommateur : les fournisseurs de mesures techniques ne doivent pas se constituer une clientèle captive en bloquant la concurrence ou en faisant de la rétention d'informations propres à assurer cette interopérabilité. Le texte initial prévoit seulement une licence obligatoire, mais reste théorique quant à la possibilité pour les développeurs commerciaux et non commerciaux de mettre en œuvre l'interopérabilité. Nous voulons la leur assurer en pratique. Il y a là un enjeu majeur pour le développement des logiciels libres. En juillet, les parlementaires européens ont évité que la Commission ne commette le pire en organisant la brevetabilité des logiciels. A notre tour, soyons à la hauteur de l'enjeu.

Mme Martine Billard - L'amendement 125 rectifié va dans le même sens, c'est-à-dire plus loin que l'amendement 253. Pour que l'interopérabilité soit réelle, il ne faut pas qu'on ait constamment besoin de recourir à des instances, ce qui allonge les délais. J'ai déjà signalé que Microsoft ne se plie pas aux condamnations de la Commission européenne. Or, ce que prévoit l'amendement 253, c'est l'intervention du conseil de la concurrence si des pratiques non concurrentielles sont constatées, pour ordonner l'accès aux informations dans des conditions de prix équitables et non discriminatoires. Ce n'est pas l'interopérabilité, c'est l'achat d'un droit. Nous proposons plutôt le format ouvert. Et l'expérience prouve que si l'on n'inscrit pas dans la loi des obligations précises pour les fournisseurs de mesures techniques, ils se livreront à des pratiques dilatoires comme c'est le cas aujourd'hui. Cela concerne les entreprises qui veulent utiliser des logiciels libres, mais aussi des développeurs, étant entendu que les droits d'auteurs sont garantis. Les matériels évoluant vite, sans format ouvert les consommateurs seront obligés de racheter sans cesse de nouveaux matériels.

M. Richard Cazenave - L'amendement 143 est retiré.

M. Laurent Wauquiez - L'amendement 240 est retiré également.

M. Christian Paul - Dommage !

M. le Rapporteur - L'amendement 253 propose une solution équilibrée et devrait rencontrer l'assentiment général, car il clarifie bien les contraintes d'interopérabilité. La commission y est favorable et a donc repoussé les autres amendements qui allaient plus loin - pour s'en tenir aux amendements défendus, les 135, 85 et 125 rectifié - ainsi que, pour les raisons inverses, les amendements 133 et 139 qui suppriment les contraintes d'interopérabilité.

M. le Ministre - Je donne un avis favorable à l'amendement 253 qui précise avec force la nécessité de la concurrence et de l'interopérabilité. Par conséquent, avis défavorable sur les amendements 135, 85 et 125 rectifié.

M. Jean Dionis du Séjour - A nos yeux, il ne faut pas descende à ce niveau de détail, qui est réglementaire. C'est bien là que le décret s'impose pour faire dialoguer les propriétaires de logiciels et les utilisateurs de logiciels libres. A descendre dans le détail très technique, sans de toute façon pouvoir être exhaustif, on ne réglera rien. On y parviendra d'autant moins que l'article premier de la directive que nous transposons rappelle qu'elle n'affecte en rien les dispositions européennes existantes concernant la protection juridique des programmes d'ordinateurs. Si l'on prend des dispositions qui ne sont pas cohérentes avec ce droit européen, elles n'auront pas d'effet pour l'interopérabilité. C'est pourquoi, par notre amendement 137 qui vient en discussion ultérieurement, nous assurons cette cohérence et nous renvoyons au décret, après rencontre entre ceux qui sont intéressés aux logiciels propriétaires et ceux qui le sont aux logiciels libres, avec arbitrage de l'Etat. Croire régler directement par la loi une question aussi technique est présomptueux.

Mme Martine Billard - Si les rapports de force n'étaient pas ce qu'ils sont, on pourrait se rallier à votre position. Mais étant donné le comportement de certaines sociétés, dont la plus célèbre, face aux contraintes qu'impose l'Europe, nous sommes obligés de fixer plus de contraintes dans la loi, sinon on pourra attendre longtemps avant qu'elles négocient.

J'observe que les autres amendements de membres de la majorité, proches des nôtres, ont été retirés au profit du 253 qui n'oblige pas à fournir des fichiers ouverts et prévoit même qu'on ne pourra les obtenir qu'en rémunérant les sociétés qui se sont livrées à des pratiques non concurrentielles. C'est assez incohérent.

M. Patrick Bloche - L'amendement 253, sur lequel les membres de l'UMP se rassemblent en en abandonnant malheureusement d'autres plus proches des solutions que nous défendons, a quelque chance, après l'acceptation du rapporteur et du ministre, d`être voté, et de faire tomber les nôtres.

L'amendement 253 a quelques vertus, qui font que nous pouvons nous y retrouver, mais il semble ne prendre en compte que les développeurs commerciaux, alors que nous voudrions qu'il n'oublie personne. C'est pourquoi je propose de le sous-amender en y insérant deux alinéas de notre amendement 85, le premier disant que toute personne développant un système interopérant doit pouvoir obtenir les informations nécessaires à cette interopérabilité dans un délai raisonnable et dans des conditions non-discriminatoires, l'autre que les fournisseurs de mesures techniques ne peuvent exiger de contrepartie financière pour la fourniture d'informations essentielles à l'interopérabilité que lorsque ces informations sont transmises sur un support physique et uniquement pour couvrir les frais d'impression, de stockage et de transport.

M. Christian Paul - Très bien.

M. Patrick Bloche - Il doit par ailleurs être bien clair que le prix doit être le simple prix de mise à disposition des informations et non l'expression d'une nouvelle forme de propriété intellectuelle. Le prix ne peut donc être que forfaitaire.

J'associe à ce sous-amendement, s'ils en sont d'accord, nos collègues Verts et communistes.

M. le Rapporteur - Avis défavorable, puisque la commission avait repoussé l'amendement 85. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Président - Je vais mettre aux voix l'amendement 253. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

L'amendement 253, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - Par conséquent, un certain nombre d'amendements tombent.

M. Frédéric Dutoit - Je vous demande, Monsieur le Président, une suspension de séance d'un quart d'heure.

M. le Président - J'ai d'abord des demandes de rappels au Règlement.

M. Dominique Richard - Les choses deviennent claires, petit à petit, le voile se lève, la mystification s'évapore. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Le monde du cinéma et celui de la musique nous ont interpellés toute la journée, nous expliquant que si nous ne revenions pas au plus vite sur la licence globale, ce serait la création française que l'on assassinerait (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) et l'internaute que l'on tromperait !

Il faudra revenir en janvier à l'architecture initiale et équilibrée de votre projet, Monsieur le ministre, qui sécurise l'usage de bonne foi et qui permet la viabilité économique de l'offre légale, la seule à même d'offrir leurs chances aux jeunes artistes. Tout retard ne ferait que fragiliser les internautes, les auteurs et les artistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Pierre-Christophe Baguet - Il serait dommage que nous nous séparions sans lever une ambiguïté. Hier soir, notre assemblée a voté, en toute souveraineté, la légalisation des téléchargements de fichiers. Ce vote est respectable, certes, mais il a eu un impact redoutable. On a vu ce jour l'ensemble de la communauté nationale de la culture se mobiliser - les auteurs, les artistes, les chanteurs, les comédiens, les producteurs, les techniciens... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Si, mes chers collègues, et il y avait avec eux Mme Anne Hidalgo et l'adjoint au maire de Paris, chargé de la culture, lesquels ont montré à tout le monde les déclarations de M. Jack Lang ! Il suffisait d'être tout à l'heure au café Le Bourbon, près de l'Assemblée.

Pour rassurer ces forces vives de la nation et éviter que les dommages d'hier soir s'amplifient davantage, il conviendrait, Monsieur le ministre, que vous preniez ici solennellement position. Je suis persuadé qu'avec de l'écoute et du dialogue, nous pouvons trouver un juste équilibre entre la préservation des libertés publiques dans les échanges sur internet et la légitime rémunération du monde de la création. Au-delà d'un engagement à organiser ce dialogue dès les prochains jours, il faudrait aussi que vous vous engagiez solennellement sur une seconde délibération.

M. Laurent Wauquiez - Il y a eu tout au long du débat des moments importants, parfois tendus, et nos conceptions ont pu évoluer. Personnellement, j'étais au début sensible à l'inquiétude des internautes. C'est pour cela que je me suis abstenu sur l'amendement 21. Mais à mesure que nous débattions, j'ai mieux mesuré les enjeux en termes de création artistique. Il faut à tout prix éviter une opposition entre internet et le milieu artistique, sans pour autant apporter une solution d'eau tiède. Cette solution doit à la fois garantir le droit d'auteur et permettre des avancées pour les internautes.

A cette fin, il serait utile que nous puissions former avec vous, Monsieur le ministre, un groupe de travail sur une nouvelle rédaction de l'article premier et sur un certain nombre d'avancées concrètes concernant le prix et les conditions d'accès à l'internet, la protection de la copie privée, l'accès d'internet à tous les artistes.

M. le Président - Je suis saisi d'un grand nombre de rappels au Règlement qui sont en fait autant d'explications de non-vote. Je vais donner la parole à ceux qui me l'ont demandée et le ministre conclura.

Mme Françoise de Panafieu - Il nous est demandé de trouver la voie étroite permettant à la fois de favoriser une diffusion plus large de la culture en direction des internautes et de préserver la création et les droits d'auteur. L'équilibre est très difficile à trouver.

La création est fragile et peut s'assécher, en particulier si elle a le sentiment d'être incomprise. Au bout du compte, tout le monde serait perdant, les créateurs bien sûr mais aussi les internautes. En tant que secrétaire nationale à la culture, j'ai été interpellée, comme beaucoup de mes collègues du groupe UMP, par des élus mal à l'aise et des créateurs inquiets. Ces créateurs, vous les connaissez : Francis Cabrel, Patrick Bruel, Johnny Hallyday, Michel Sardou, Enrico Macias, Jacques Dutronc et bien d'autres. Ne croyez-vous donc pas, Monsieur le ministre, qu'il faudrait en effet monter un groupe de travail pour répondre aux besoins des internautes tout en préservant cette création dont nous avons tous tellement besoin ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean Dionis du Séjour - Je ne m'attendais pas à ce happening final ! Au groupe UDF, nous avons essayé de garder un cap...

M. Jean-Pierre Brard - Changeant !

M. Jean Dionis du Séjour - Certainement pas, Monsieur Brard ! Vous n'étiez pas là, sans quoi vous ne diriez pas cela ! Nous n'avons pas changé d'avis et nous disons ce soir ce que nous disions déjà hier soir. Oui, la licence légale optionnelle est une supercherie. Il faut le dire. Nous avons été les premiers à le faire. Et je remercie les collègues de l'UMP d'avoir commencé à mettre un peu d'ordre dans leur groupe !

Nous, nous sommes pour les plates-formes marchandes légales, avec comme perspective une baisse de prix et un élargissement du catalogue. Nous défendions cette vision d'avenir et nous voyons aujourd'hui que les lignes bougent, ce qui n'est pas pour nous déplaire.

Un groupe de travail, soit, mais nous voulons surtout que le débat retrouve densité et sérieux. Des amendements très lourds ont été déposés, que ce soit sur la licence légale, l'autorité de médiation ou la réponse graduée. Nous voulons donc recevoir des assurances en termes de calendrier et de méthode, en vue d'un débat digne, serein et dense.

M. Christian Paul - Si l'on peut s'émouvoir, c'est bien du vote de l'amendement 253 amputé des propositions de Patrick Bloche, qui prive une part importante de la communauté du logiciel libre de la possibilité de revendiquer réellement le droit d'accès à l'interopérabilité.

M. Richard Cazenave - C'est faux !

M. Christian Paul - Par ailleurs, la loi de la République ne se fait pas au café Le Bourbon.

M. Guy Geoffroy - Jack Lang, reviens...

M. Christian Paul - Le ministre aurait pu en effet s'inspirer de Jack Lang car la loi sur les droits d'auteur de 1985 avait été votée à l'unanimité ! Au contraire, en n'écoutant qu'un seul point de vue - celui que nos collègues ont relayé à l'instant - ce gouvernement est allé à l'échec. Il ne faut pas réunir un groupe de travail dans une soupente de la rue de Valois, mais créer une mission d'information parlementaire - je crois savoir que le Président de l'Assemblée nationale n'y est pas hostile -, associant des représentants de l'Assemblée nationale et du Sénat issus de tous les groupes. La méthode chaotique qui a prévalu jusqu'à présent a lamentablement échoué ; donnons-nous donc le temps de travailler : je ne connais pas d'autre façon de faire la loi.

M. Thierry Mariani - Je ne voudrais pas que nous terminions cette dernière séance de l'année sans que le groupe UMP ait pu dire clairement qu'il est contre l'amendement qui a été adopté hier soir sur la licence globale.

M. Jean Dionis du Séjour - Eh bien voilà !

M. Thierry Mariani - Les propos de la secrétaire nationale de l'UMP, Mme de Panafieu, confirment que l'UMP, avec son président Nicolas Sarkozy, veut que la création culturelle soit clairement reconnue. Comme l'ont dit certains, je pense que cette licence globale est une supercherie. Il faut que les auteurs, créateurs et artistes sachent que nous ne maintiendrons pas cette disposition dans le texte.

Monsieur le ministre, votre projet initial était équilibré, il préservait le libre accès à la culture et la juste rémunération des artistes. Je vous renouvelle tout mon soutien, et je souhaite qu'un groupe de travail soit constitué pour apporter les précisions nécessaires. Si le texte voté hier était maintenu, toute la création serait en danger et nous serions ramenés des années en arrière.

M. Christian Paul - Fumisterie !

M. Thierry Mariani - J'ai la chance, Monsieur Paul, de présider depuis dix ans les Chorégies d'Orange.

M. Patrick Bloche - Quel rapport ?

M. Thierry Mariani - Les artistes lyriques, comme les artistes de variétés, sont inquiets de vos propositions.

M. Christian Paul - Qu'est-ce que vous leur racontez ?

M. Thierry Mariani - L'un de nos plus grands artistes lyriques, Roberto Alagna, a déclaré ceci : « Cet amendement nous renvoie à une époque ancienne que je croyais révolue, où les auteurs et les artistes étaient dépossédés de leurs droits contre une rémunération symbolique dérisoire ». A céder à toutes les pressions libertaires, on en arrive à tuer la création ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Martine Billard - Le 23 décembre, peu avant minuit, nos collègues de l'UMP ont eu une révélation ! Il faut dire que ceux qui sont là ce soir ne sont pas, à quelques exceptions près, ceux que nous avons vus hier... On nous déclare donc que, comme il y a eu un petit problème, on va constituer un groupe de travail UMP. Pendant qu'on y est, on peut dissoudre l'Assemblée, partir en vacances, et laisser l'UMP régler ses problèmes avec son ministre ! Mais ne serait-il pas plus normal de réunir la commission des affaires culturelles - qui n'a même pas été saisie de ce texte - ou de créer une mission parlementaire ?

Brusquement, le groupe UMP nous explique que l'amendement voté hier soir met en danger toute la création culturelle ! Pourtant le débat ne porte pas sur la rémunération du droit d'auteur, que nous voulons tous garantir. Nos collègues de l'UDF, eux, se déclarent favorables à des plateformes marchandes légales. Mais des auteurs sont d'accord pour passer par des plateformes gratuites ; il faut donc laisser la possibilité de choisir (Interruptions sur les bancs du groupe UDF). Il faut aussi laisser la possibilité de rémunérer l'ensemble des auteurs, connus et moins connus : la licence globale, je le répète, procède de la même idée que le droit au prêt appliqué au livre. Il s'agit de maintenir une création culturelle multiforme.

M. Jean-Pierre Brard - Les troupes fraîches de l'UMP sont arrivés : on a retiré du front les soldats qui avaient fraternisé avec la gauche et les internautes (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) pour les remplacer par d'autres qu'on a conditionnés, mais comme on n'est pas sûr qu'ils soient loyaux jusqu'au bout, le président du groupe veille en silence à la discipline des troupes... D'ailleurs, certains veulent fuir à l'arrière et réclament du temps pour reconstruire le dispositif.

M. Mariani nous a dit : « Depuis hier, nous avons des réactions ». Mais, chers collègues, il n'y a pas de mandat impératif ! Nous agissons en notre âme et conscience.

En réalité, la droite n'a pas de vision en matière de culture et de création, mais pour elle le dilemme est terrible, entre d'un côté les internautes et les intérêts fondamentaux de la création, et de l'autre les lobbies... Nos collègues de l'UMP nous ont habitués à leurs renoncements. La génuflexion est leur spécialité ! Il est vrai que le général parlait déjà de « godillots »...

« Pas de solution eau tiède », disait tout à l'heure un collègue. De fait, vous trouvez vos solutions dans les eaux glacées du calcul égoïste qui fabrique le profit des majors... Et pour sortir de l'impasse, vous êtes obligés d'invoquer les mânes de Clemenceau en proposant la constitution d'une commission, pour ne pas perdre la face !

M. Dominique Richard - C'est une demande des socialistes !

M. Jean-Pierre Brard - Pour notre part, nous sommes fidèles à notre position sur la licence globale, et nous sommes certains d'être entendus par les internautes et par les créateurs. Quant à nos collègues de l'UDF, ils sont fidèles à leurs options : ce sont de vrais libéraux, qui ne se masquent pas, et qui sont donc favorables aux plateformes marchandes légales - tandis que nous réclamons le droit d'accès à l'interopérabilité et aux plateformes gratuites, en refusant une discrimination par le prix.

M. Patrick Bloche - Nous voilà donc au terme de nos travaux, placés hier soir et cet après-midi encore sous le signe du chaos : nous avons en effet été ballottés d'amendements réservés en sous-amendements déposés en séance, preuve de l'impréparation totale du Gouvernement sur ce projet de loi.

D'ailleurs, un quotidien du soir...

M. Joël Hart - Un quotidien de gauche !

M. Patrick Bloche - ...vient de publier côte à côte un article consacré à l'écoeurement des intermittents du spectacle et un compte rendu de la soirée d'hier, dressant ainsi un double acte d'accusation contre le gouvernement actuel !

Un député du groupe UMP - Est-ce là parole d'Evangile ?

M. Patrick Bloche - Avec MM. Brard, Baguet et Dutoit, j'appartiens au comité de suivi de l'intermittence, et je peux témoigner que ce problème n'a aucunement été réglé. Les intermittents finiront l'année dans une extrême précarité, puisque nous nous orientons vers la pire des solutions : la prorogation du protocole de juin 2003.

Un député du groupe UMP - Vous êtes tellement mal à l'aise que vous glissez sur un autre sujet !

M. Patrick Bloche - Chacun voit bien l'échec de la politique culturelle menée par le Gouvernement depuis quatre ans - une politique dépourvue de visibilité, de budget et d'ambition.

Nous avons travaillé ensemble sur bien des dossiers culturels, cher Dominique Richard, mais je m'attriste de vous voir sombrer dans la facilité et appeler à la rescousse certains artistes. De telles pratiques devraient être proscrites dans cet hémicycle, car nous devons légiférer sans subir d'influence.

Que comptiez-vous faire en citant ces noms ? Nous impressionner ? Nous terroriser peut-être ? Nous signifier que le monde de la création s'oppose à nous ? Souhaitiez-vous que nous tremblions en sortant de l'Assemblée cette nuit ?

Je vous rappelle que nous devons légiférer en vue de l'intérêt général, chers collègues. Et l'intérêt général exige que nous prenions en compte toute la collectivité nationale : nous devons nous abstenir de criminaliser les internautes et veiller parallèlement à rémunérer les auteurs et les créateurs de ce pays.

J'en appelle aux vedettes qui se trouvent enrôlées dans votre combat d'arrière garde. Si elles s'inquiètent de leur rémunération et de la vente de leurs disques, qu'elles instruisent d'abord le procès de l'industrie musicale : la triste réalité, c'est l'excès de concentration, et l'uniformisation de la culture musicale imposée par les majors !

Notre vote d'hier permettra aux artistes de retrouver leur liberté et d'obtenir une rémunération décente. La licence globale optionnelle que nous avons adoptée devrait en effet dégager plusieurs centaines de millions d'euros, en mettant un terme à la gratuité qui prévaut aujourd'hui.

Et ne mêlez pas à cette question le cinéma, qui n'est en rien touché ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Dès la question préalable posée par Christian Paul, le groupe socialiste a en effet précisé qu'il ne s'agissait que du monde musical (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

M. le Rapporteur - M. Bloche ne sait plus ce qu'il dit !

M. Patrick Bloche - Je vous renvoie au compte rendu analytique d'hier soir et au communiqué publié par le parti socialiste le 13 décembre dernier.

J'ajoute que notre action repose sur deux principes : celui de la liberté, mais aussi celui de la responsabilité. Comme en 1957, 1985 et 1994, nous voulons adapter le code de la propriété intellectuelle aux évolutions technologiques. Ne défaisons donc pas notre travail d'hier soir, qui a su dépasser les clivages traditionnels et qui a permis à l'Assemblée de reprendre la main, donnant un bel exemple de ce que peut être la démocratie.

Pour ne pas faire insulte au vote de cette assemblée, le groupe socialiste demande donc à nouveau, et avec force, la constitution d'une mission d'information (Protestations sur les bancs du groupe UMP), et non un groupe de travail limité à l'UMP ! Nous en appelons au Président Debré : face à l'impréparation du Gouvernement et son incapacité à nous présenter un projet de loi cohérent, c'est à l'Assemblée qu'il revient de réécrive ce texte, dans le respect de l'intérêt général, c'est-à-dire sans criminaliser les internautes et en garantissant la diversité et la rémunération de la création culturelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Ministre - J'ai déjà eu l'occasion d'exprimer la position du Gouvernement : il est urgent d'agir et d'adopter les véritables avancées que permet ce projet de loi. Si la réponse graduée avait déjà été adoptée, un certain nombre d'internautes coupables d'infractions auraient fait l'objet de mesures de prévention, d'information et de sensibilisation, et non de sanctions pénales.

La création aurait en outre été mieux soutenue, et nous aurions pu écarter bien des idées fausses. Si certains ont pu me reprocher la passion dont je fais preuve...

M. Christian Paul - Nous n'avons rien fait de tel !

M. le Ministre - ...rien n'est plus urgent, dans cette période faite de démagogie et parfois de renoncement, que d'affirmer avec force certaines valeurs.

Plusieurs députés du groupe UMP - Très bien !

M. le Ministre - Aux internautes de ce pays, je veux donc garantir l'accès à la culture, et aux artistes et aux techniciens le droit d'auteur et la propriété intellectuelle. En effet, ces principes ne me semblent nullement ringards : il nous faut seulement les actualiser et leur donner les couleurs du XXIe siècle !

Plusieurs députés du groupe UMP - Tout à fait !

M. le Ministre - L'apport des parlementaires est bien sûr essentiel pour y parvenir. Si j'ai déjà travaillé avec chacun et chacune d'entre vous sur ce projet de loi, je compte bien sûr rester en permanence à la disposition des groupes parlementaires et de vos commissions. Si vous avez besoin que nous travaillions en commun d'ici notre prochain rendez-vous, sachez que j'y suis prêt !

Car je n'ai qu'un objectif : réconcilier les mondes de l'internet et de la culture, ceux des artistes et des techniciens, des jeunes et des moins jeunes grâce à ce projet de loi. Si certains s'efforcent de répandre des fausses nouvelles et des rumeurs erronées, semant ainsi les graines de tous les fantasmes et de toutes les peurs, je ne ménagerai pas ma peine pour les combattre.

Parce que je suis un homme d'engagement, je voudrais également évoquer devant vous l'assurance chômage des artistes et des techniciens. Nous souhaitons tous un aboutissement rapide des négociations, mais je suis heureux que les partenaires sociaux aient choisi de prendre le temps qui s'impose, au lieu de conclure dans la hâte : le risque aurait été qu'il n'y ait pas de véritable négociation.

Je vous rappelle également que le Premier ministre a pris des engagements clairs devant les partenaires sociaux. L'Etat sera un partenaire solide. Comme je m'y efforce depuis vingt-deux mois, je continuerai à chaque instant d'être un homme de parole, ne serai-ce que par respect pour mes fonctions ministérielles.

Enfin, si certains m'accusent de tous les maux et me jetent à la face des articles de presse, je n'aurai pas la cruauté, pour ma part, de vous rappeler les déclarations de certains responsables socialistes, fort différentes de vos positions. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Me faisant votre porte-parole, mes chers collègues, je voudrais remercier le ministre d'avoir décidé de suspendre nos débats, ce qui va nous permettre de préparer la fête de Noël dans de bonnes conditions. (Applaudissements sur divers bancs)

Je vous rappelle qu'en application de l'article 28, alinéa 2, de la Constitution, l'Assemblée a décidé de suspendre ses travaux pour les trois semaines à venir. En conséquence, la prochaine séance aura lieu le mardi 17 janvier 2006, à 9 heures 30.

Je vous souhaite à chacun, ainsi qu'au personnel de l'Assemblée, des vacances reposantes et de joyeuses fêtes.

Prochaine séance mardi 17 janvier à 9 heures 30.

La séance est levée à 0 heure 30, le vendredi 23 décembre.

                      La Directrice du service
                      du compte rendu analytique,

                      Catherine MANCY

ORDRE DU JOUR
DU MARDI 17 JANVIER 2006

NEUF HEURES TRENTE : 1ere SÉANCE PUBLIQUE

Questions orales sans débat.

QUINZE HEURES : 2eme SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat (n° 2332), relatif au volontariat associatif et à l'engagement éducatif.

Rapport (n° 2759) de Mme Claude GREFF, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 3eme SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

    www.assemblee-nationale.fr


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