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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

2ème séance du mardi 28 février 2006

Séance de 15 heures

65ème jour de séance, 152ème séance

Présidence de M. Jean-Louis Debré

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La séance est ouverte à quinze heures.

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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

O.P.A. hostiles

M. Éric Besson – Monsieur le Premier ministre, depuis quelques semaines, vous brandissez l'étendard du patriotisme économique, mais vos actes sont en contradiction avec vos discours. Dans l'affaire de l'OPA hostile de Mittal sur Arcelor, qui a raison ? M.Loos, qui prétend que le Gouvernement y est opposé, ou M. Breton, lorsqu’il explique que le Gouvernement n'est « ni pour ni contre » ? Ou bien encore le même M. Breton, qui convoque le PDG de Mittal et exige des explications, tout en reconnaissant qu'au bout du compte, il ne pourra rien faire ? S’agissant des OPA hostiles, qui a raison ? M. Breton, lorsqu'il propose au Sénat un amendement sur les bons de souscriptions pour permettre à nos entreprises de se défendre contre elles ou le même Thierry Breton lorsqu'il va plus loin que la directive européenne en privant les dirigeants de nos grands groupes des moyens réels de se défendre contre ces OPA hostiles, en expliquant que la seule vérité qui vaille est celle des actionnaires ?

Dans le dossier Suez-Gaz de France, qui dit vrai ? L’ancien ministre de l'économie et des finances, M. Sarkozy, qui assurait haut et fort ici même que la participation de l'Etat à 70 % dans Gaz de France ne serait pas négociable ; ou l'ancien ministre de l'industrie, M. Devedjian – très lié à Nicolas Sarkozy – qui explique aujourd'hui dans la presse que « GDF, ce ne sont que des tuyaux » ? Qui a raison ? Le Premier ministre qui, sur la foi d'une simple rumeur, invoque l'urgence et annonce sans en référer à qui que ce soit l'absorption de Gaz de France par Suez, ou le ministre de l'économie et des finances qui déclare tranquillement que la rumeur d'OPA hostile n'a rien à voir avec la fusion proposée et que tout cela était en préparation depuis des mois ?

II faut que cessent ce double discours, ce grand écart permanent entre les mots et les actes. La démocratie a besoin de permanence, la gestion de transparence et la conduite de l’économie d'une politique cohérente, compréhensible par tous les acteurs. En matière d'OPA hostiles, quelles sont donc, Monsieur le Premier ministre, vos convictions ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Dominique de Villepin, Premier ministre  De retour de La Réunion, je voudrais d’abord vous dire toute ma satisfaction de voir l’ensemble de la communauté nationale rassemblée autour des Réunionnais pour leur apporter un juste concours dans cette épreuve (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Plusieurs députés communistes et républicains – Ce n’est pas la question !

M. le Premier ministre – Mais il est important que chacun se mobilise sur le terrain. Du reste, le parti communiste est extrêmement présent, de même que les forces centristes et l’UMP, et nous n’avons finalement à regretter que l’absence des socialistes… (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Dominique Strauss-Kahn - Lamentable !

M. Jean Glavany - Pitoyable polémique ! Politicien !

M. le Premier ministre – Le sujet que vous évoquez est à la fois complexe et important. Je crois, Monsieur Besson, qu’il faut en revenir à une réalité que vous vous êtes contenté de survoler à grands traits, voire « à la louche » (Même mouvement). La donne énergétique a changé : les cours du pétrole ont atteint un niveau sans précédent, la crise du gaz entre la Russie et l’Ukraine a montré que l’énergie est désormais un enjeu stratégique majeur, partout émergent de nouveaux géants de l’énergie – en Espagne, en Russie, aux Etats-Unis -, les positions acquises hier sont fragilisées, et, dans ce contexte, nous devons relever sans attendre le défi de la sécurité des approvisionnements énergétiques de l’Europe et de la France. A cette fin, le Gouvernement veut apporter plusieurs réponses. La première, c’est que nous avons besoin de grands groupes puissants, parce que c’est un élément déterminant pour la maîtrise des sources énergétiques. La deuxième, c’est qu’il faut être à la pointe de la recherche et de l’innovation : c’est pourquoi le projet EPR a été engagé…

M. Yves Cochet - Très mauvais choix !

M. le Premier ministre – C’est pourquoi nous avons lancé la quatrième génération de réacteurs nucléaires, comme l’a demandé le Président de la République…

M. Jean Le Garrec - La question ! Tout cela n’a rien à voir !

M. le Premier ministre – C’est pourquoi nous allons développer les énergies renouvelables. La troisième réponse…

M. Bernard Roman - Répondez-nous !

M. le Premier ministre – Vous savez, il est important de rappeler certaines choses qui sont totalement ignorées par celui qui a posé la question ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste) La troisième réponse consiste à prendre des initiatives internationales en vue de faire face collectivement à ces enjeux. A cet effet, nous avons déposé un mémorandum sur l’énergie à la Commission européenne en janvier dernier, qui vise à améliorer la concertation et la prospective sur les besoins énergétiques de l’Union tout entière. Vous le voyez, face à une situation qui a radicalement changé, nous avons fait des choix qui préparent l’avenir et je me situe bien au-delà de la polémique de votre question. Nous avons besoin de nous engager dans l’après-pétrole, et c’est ce qui intéresse l’ensemble de nos compatriotes.

Dans ce contexte, Gaz de France et Suez nous ont proposé un projet industriel de rapprochement des deux entreprises. Avec Thierry Breton, nous avons donné notre accord à cette opération et nous l’avons fait pour trois raisons. La première, c’est parce qu’elle permet de créer un champion international de l’énergie susceptible de dégager plus de 60 milliards de chiffre d’affaires et employant 200 000 personnes dans le monde. La deuxième raison, c’est que l’État consolide sa maîtrise de la filière énergétique en devenant le premier actionnaire de ce nouvel ensemble : il exercera un co-contrôle de ce champion industriel et restera garant des questions stratégiques liées aux missions de service public et à la sécurité des approvisionnements. La troisième raison, c’est qu’il s’agit d’une fusion entre égaux, porteuse pour chacun de développement, donc créatrice d’emploi et d’investissement. En termes de méthode, une négociation approfondie aura lieu avec tous les partenaires : …

M. Maxime Gremetz - Après, comme toujours !

M. le Premier ministre – … le gouvernement belge, les partenaires sociaux et les salariés. Le Gouvernement entend apporter aux salariés des entreprises concernées toutes les garanties sociales légitimes. Le statut des personnels des industries électriques et gazières sera intégralement préservé, y compris pour les nouveaux salariés (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). L’activité de distribution commune entre EDF et Gaz de France sera également intégralement préservée et je sais que cela préoccupe les partenaires sociaux. Les tarifs continueront d’être régulés par l’État et toutes les obligations de service public seront maintenues, notamment l’interruption des coupures de gaz pendant l’hiver pour les personnes en difficulté. Le Gouvernement sera particulièrement attentif à la représentation des personnels dans les instances paritaires et aux conditions de mise en œuvre de l’actionnariat des salariés.

Vous le voyez, cette opération est une bonne illustration de ce que j’entends par « patriotisme économique » : le rassemblement de nos forces, française et européenne. Il est important d’apporter des réponses adaptées à une France qui bouge dans un monde qui change, plutôt que de mener des combats du passé, comme vous le faites, Monsieur Besson ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

DéCèS DU GENDARME RAPHAËL CLIN

M. Philippe Folliot – C’est une intense émotion qu’a suscitée la mort du gendarme Raphaël Clin sur l’île de Saint-Martin. Au nom du groupe UDF – et aussi, je pense, de toute la représentation nationale -, nous ne pouvons que nous incliner devant l’immense douleur de la famille. Difficile, le métier de gendarme est aussi dangereux : cinq d’entre eux ont péri en service en 2005 et, depuis le début de cette année, le nom de deux nouveaux gendarmes – dont celui de Raphaël Clin – va venir allonger la liste de ceux inscrits au Livre d’or de la gendarmerie.

Rapporteur pour avis du budget pour la gendarmerie, j’ai régulièrement l’occasion d’aller à leur rencontre sur le terrain et d’apprécier leur dévouement, dynamisme et professionnalisme. Reprenant le communiqué du ministère de la défense, les médias se sont fait l’écho de comportements scandaleux et haineux, de gestes et de paroles prononcées sur les lieux de l’accident ou à l’hôpital, à l’encontre de la victime, grièvement blessée. Pouvez-vous nous apporter des éléments nouveaux sur de tels faits, et sur les suites, y compris judiciaires, que le Gouvernement va leur donner ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP et certains bancs du groupe socialiste)

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’Etat, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire - Raphaël Clin est le troisième militaire de la gendarmerie mort en service depuis le début de l’année. Je tiens d’abord à rendre hommage à tous les gendarmes pour la qualité de leur travail et l’abnégation dont ils font preuve (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe socialiste) Avec Mme Alliot-Marie, nous avons envoyé un des plus hauts responsables de la gendarmerie pour rencontrer les gendarmes de la brigade de Marigot et prendre toutes les dispositions afin d’assurer la solidarité avec la famille. Je rencontrerai celle-ci et les collègues du gendarme Clin la semaine prochaine.

Deux enquêtes sont en cours. La première doit faire le point sur les circonstances du drame, et je rappelle que, pour l’instant, l’incrimination est celle d’homicide involontaire. Nous devons donc attendre les conclusions de la justice pour savoir dans quelles circonstances le gendarme Clin est mort. Une deuxième enquête est engagée pour savoir si, en plus de ce drame, il y a eu des injures racistes. Les médias se sont fait l’écho d’un certain nombre de propos. Je n’ai pas voulu « surréagir » car une enquête est en cours et les passions… (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) L’affaire est assez sérieuse pour que chacun s’abstienne de commentaires politiciens (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Après la manifestation à la mémoire du jeune Ilan, les tensions sont telles que nous ne devons nous prononcer qu’à partir de certitudes. L’enquête en cours dira s’il y a eu des comportements et des propos racistes. Si c’est le cas, les auteurs en seront poursuivis. Dans l’attente, nous ne pouvons qu’être très vigilants et, avec Mme Alliot-Marie, nous allons renforcer les effectifs, faire tout ce qui est possible pour soulager la famille du gendarme Clin dans cette immense douleur, et dire aux gendarmes de la brigade de Marigot que la représentation nationale, le Gouvernement et la République les soutiennent.

J’ajoute que le responsable de l’accident tragique ne pourra être entendu que la semaine prochaine, car il est lui-même blessé. Enfin, s’agissant de l’affaire de racisme, les services sont en train d’exploiter une photographie, qui a peut-être permis d’identifier l’un des individus présents. Nous mènerons cette enquête jusqu’au bout, car nous devons la vérité à la famille, à la représentation nationale et au pays tout entier (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

fusion de GDF et de Suez

M. Daniel Paul – Monsieur le Premier ministre, les promesses n’ont pas manqué lors de l’ouverture du capital d’EDF et de GDF : la participation de l’Etat ne descendrait pas en dessous de 70% ce qui devait constituer « une véritable muraille de Chine ».(Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Fortes paroles ! Dix-huit mois ont suffi pour que la parole de l’État soit bafouée.

Alors que les enjeux dans le secteur de l’énergie justifient que l’État s’implique fortement, qu’EDF et GDF fusionnent et qu’une véritable politique énergétique soit menée au niveau européen, vous livrez GDF aux marchés financiers, et exacerbez la concurrence avec EDF. Votre « patriotisme économique » ne doit pas faire illusion : les perdants seront les usagers, qui ont déjà subi une hausse de tarif de 9% en six mois, les salariés dont les emplois sont menacés, notre pays qui perdra la maîtrise de GDF – en attendant EDF. Les seuls gagnants seront et sont déjà les actionnaires.

Vous mettez en avant la présence de l’État pour 34% dans le capital du nouveau groupe. Mais vous en savez les limites, comme votre ministre des finances est bien placé pour savoir ce que cela a donné à France Télécom !

En fait vous bradez les intérêts de notre pays et les intentions que vous affichez aujourd’hui ne tromperont personne.

Après les ordonnances, après le CPE, après la remontée du chômage qui vient d’être annoncée, c’est une nouvelle fuite en avant dans la jungle financière. D’autres solutions existent pour faire face aux enjeux actuels en protégeant nos approvisionnements : fusionner EDF et GDF et développer la coopération européenne dans le secteur de l’énergie. On peut également préserver Suez en développant des partenariats publics.

Êtes-vous prêt à donner la priorité aux intérêts du pays et non à ceux de la finance ? Êtes-vous prêt à établir un bilan de l’ouverture à la concurrence dans le secteur énergétique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et quelques bancs du groupe socialiste)

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l’industrie La question est très sérieuse et le Gouvernement s’en préoccupe depuis plusieurs mois. Il faut bien avoir le contexte à l’esprit.

Par la loi du 9 août 2004, l’Assemblée nationale a autorisé EDF et GDF à changer de statut pour acquérir plus de souplesse car, tous savaient bien qu’il fallait leur donner la possibilité de nouer des alliances pour se consolider dans un secteur en rapide changement, tout en préservant l’intérêt national. En 2005, à la demande des entreprises, nous avons décidé d’ouvrir leur capital pour leur donner les ressources et, encore une fois, la souplesse nécessaires pour aller de l’avant. Je vous le dis très sincèrement (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) : personne, au second semestre 2005, n’anticipait une telle accélération dans la consolidation de ce secteur. Il est vrai qu’il a connu alors une de ses crises les plus graves, qui se prolonge, avec un doublement du prix du baril en moins d’un an. Tous les pays s’en préoccupent et, partout en Europe, des alliances se nouent car, dans un monde où l’énergie fossile devient de plus en plus rare, seule la taille compte.

Dans ce contexte, GDF et Suez ont envisagé, d’elles-mêmes, un partenariat industriel. Effectivement, elles sont venues avant Noël m’en informer et nous les avons encouragées dans la mesure où ce partenariat concourt à protéger leurs intérêts. Elles ont poursuivi ce travail en janvier et février, et il est vrai que durant cette période, contre toute attente, les évolutions se sont encore accélérées (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Le Premier ministre a donc autorisé les deux entreprises à annoncer qu’elles avaient un projet commun et il leur a donné neuf mois pour le mettre en œuvre dans une totale concertation (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

politique de l’emploi

M. Ghislain Bray - Monsieur le Premier ministre, l’emploi est au cœur des responsabilités et des priorités du gouvernement, dont la politique active en ce domaine a des effets structurels bénéfiques, puisque depuis neuf mois le chômage baisse (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste) ; En janvier 2006, cependant, après ces neuf mois consécutifs de baisse, le nombre de demandeurs d’emploi a légèrement remonté, le taux de chômage retrouvant alors son niveau de novembre, soit 9,6 % de la population active.

Les économistes s’accordent néanmoins à estimer que le chômage est sur une tendance à la baisse. Pouvez-vous nous le confirmer…

Plusieurs députés communistes et républicains – Allo !

M. Ghislain Bray - …et nous dire si l’on peut s’attendre dans les prochains mois à ce que cette tendance se confirme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Dominique de Villepin, Premier ministre - Après neuf mois de baisse, le nombre de chômeurs a augmenté en janvier. Ce chiffre est décevant. J’ai donné rendez-vous chaque mois à la représentation nationale pour évaluer les résultats de notre action et je serai fidèle à cet engagement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

En dix mois, le taux de chômage est passé de 10,2 % à 9,6 %...

M. Augustin Bonrepaux - Combien de Rmistes ?

M. le Premier ministre - …160 000 demandeurs d’emploi ont retrouvé un emploi depuis le mois de mars. Mais à l’évidence, la situation est difficile (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Et quand la situation est difficile, il faut se battre sur tous les fronts – sanitaire, économique, international – avec détermination (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) et avec sang-froid ! Je vous invite à en faire preuve !

Il faut se mobiliser auprès de chaque demandeur d’emploi. D’où les entretiens mensuels que conduit l’ANPE et les premiers guichets uniques, ANPE et ASSEDIC. Il faut se mobiliser aussi aux côtés des jeunes, en particulier les moins qualifiés. 145 000 d’entre eux sont accompagnés individuellement par les missions locales ; et dans les zones urbaines sensibles, des milliers de jeunes désormais inscrits à l’ANPE sont reçus tous les mois. Je suis convaincu que le Contrat Première Embauche, comme le CNE, aideront les jeunes.

Il faut se mobiliser pour faciliter l’embauche en même temps que pour accroître la compétitivité et relancer la croissance. L’investissement des entreprises est reparti au second semestre 2005 et les projets pour 2006 sont plus nombreux. Toute la politique industrielle du Gouvernement est mobilisée pour les conforter et pour dynamiser la croissance : efforts financiers importants pour la recherche et l’innovation, dégrèvements de taxe professionnelle sur les investissements nouveaux, investissements supplémentaires dans l’énergie et les infrastructures.

Vous le voyez, le Gouvernement est mobilisé sur tous les fronts et a rendez-vous avec vous mois après mois (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

détection précoce des troubles du comportement

M. Hugues Martin – Monsieur le ministre de l’intérieur, vous avez annoncé vouloir mettre en place un système de détection précoce des enfants présentant des troubles de conduite pouvant les amener à être de futurs délinquants (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

L'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale, l'INSERM, a rendu un rapport dont les conclusions vont dans le même sens. Nous sommes, en tant qu'élus, sur tous les bancs de cette assemblée, contraints de constater l'impuissance des structures sociales et éducatives à réagir sur le terrain pour prendre en charge le plus tôt possible les enfants qui, dès le plus jeune âge, montrent les signes d'un comportement agressif ou dangereux (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Pouvez-vous nous dire, Monsieur le ministre, comment vous entendez renforcer les moyens de réaction à un problème qui laisse désarmés les parents, les élus et les responsables associatifs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’Etat, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire Il y a deux points sur lesquels tout le monde peut être d’accord. D’abord, tous les scientifiques et médecins s’accordent à dire que plus tôt on intervient, plus on a de chances d’éviter le drame d’un enfant qui évolue vers la délinquance. Ensuite, personne ne conteste que le système actuel est parfaitement inefficace et laisse des jeunes souffrir. Nous voulons donc mettre en place un système qui permette de tendre la main à des jeunes qui se sentent aujourd’hui abandonnés, parce que ni leur famille, ni l’école, ni la PMI, ni la santé scolaire ne les aident. Qui peut bien refuser l’idée que l’État tende la main à des gosses qui n’ont pas eu la chance d’être encadrés et suivis ?(Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Nous voulons donc que les enseignants, les médecins scolaires, les PMI et les assistantes sociales puissent détecter les problèmes comportementaux de certains jeunes avant qu’il ne soit trop tard. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Face à ce problème comme à tout autre, il y a ceux qui protestent et qui ne font rien ; et il y a ceux qui veulent faire quelque chose, parce qu’ils ne se satisfont pas d’une situation qui plonge dans la misère des enfants abandonnés par notre société ! Nous devons à la République de faire quelque chose ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

décès du gendarme raphaël Clin

M. Philippe Briand – Nous avons tous été marqués, ces deniers jours, par le drame qui a frappé le jeune Ilan, ainsi que par celui qui a frappé le major Raphaël Clin.

Je voudrais avant toute chose rendre un hommage particulier aux militaires de la gendarmerie, qui assurent avec beaucoup de maîtrise leur mission sur l’ensemble du territoire national. Je voudrais aussi, Monsieur le ministre, que vous assuriez Mme Clin, son épouse, de notre solidarité. Nous partageons sa peine et nous avons tous été marqués par son témoignage courageux à la télévision.

Est-il vrai que le major Clin était en service commandé ? Qu’il a été délibérément heurté par une moto qui participait à une course issue de rassemblement sauvage de motocyclistes ? Est-il vrai que les secours n’ont pu être immédiatement appelés et qu’il y a eu non-assistance à un homme en danger ? Est-il vrai enfin que ce tragique décès fut l’occasion de provocations à la haine ?

La représentation nationale et l’ensemble des Français attendent des réponses à ces questions, pour que plus aucun doute ne subsiste, que nous puissions tous ensemble, à l’unisson, nous battre contre toutes les formes de racisme en France et que nos gendarmes soient respectés sur l’ensemble du territoire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’Etat, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire Si ma collègue Michèle Alliot-Marie le permet, je vais essayer de répondre en son nom, et le plus précisément possible, à vos cinq questions.

Le gendarme Clin est-il mort en service ? La réponse est oui. A-t-il été délibérément renversé par une moto ? En l’état actuel de la procédure, tel ne semble pas être le cas, puisque les poursuites ont été engagées pour homicide involontaire seulement. Y a-t-il eu non-assistance à personne en danger ? La réponse, c’est que les secours sont arrivés. Des dérapages verbaux se sont-ils en outre produits avant et après l’incident ? Certains éléments sérieux le laissent penser, et une procédure pour injures racistes a été ouverte, même s’il convient de ne pas assimiler la population de Saint-Martin au comportement de certains individus, qui d’ailleurs n’avaient sans doute pas toute leur raison au moment des faits, pour des raisons liées à l’alcool ou à la drogue. Enfin, des condamnations seront-elles prononcées, et dans quel délai ? Si des dérapages verbaux ont eu lieu, ce sera effectivement le cas, quand l’exploitation des documents photographiques aura permis de retrouver les auteurs des faits.

En tout état de cause, je puis vous assurer que nous sommes tous mobilisés pour que toute la vérité soit portée à votre connaissance. Et il ne sera pas dit que d’éventuelles injures racistes seront moins sévèrement punies à Saint-Martin qu’à Paris, ni que des actes commis contre un gendarme seront moins sanctionnés que s’ils avaient visé un autre membre de notre communauté nationale. Chacun a le droit d’être respecté, et les gendarmes au premier chef ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

GAZ DE FRANCE

M. François Brottes – Monsieur le Premier ministre, votre ignorance de la visite d’une importante délégation socialiste dans l’île de la Réunion, plusieurs jours avant votre déplacement, n’a d’égal que l’outrance et l’arrogance de votre réponse à mon collègue Eric Besson, au début de cette séance.

Ma question s'adresse à M. Nicolas Sarkozy, qui est à l’origine de la privatisation d'EDF et de GDF. Lorsque que vous étiez ministre de l'économie et des finances, en 2004, nous avions en effet annoncé que votre loi sur le changement de statut consacrait la fin de nos grandes entreprises du service public de l'énergie, et que les Français allaient le payer cher, de même que les salariés de ces entreprises.

A cette époque – peu éloignée – vous affirmiez pourtant avec fougue et fermeté que force resterait à la loi, et que l'engagement de votre majorité serait respecté. Or, où en sommes-nous aujourd’hui ?

Si le jeu des acteurs a été improvisé, le scénario était cousu de fil blanc : pour faire diversion, vous avez nommé à la tête d'EDF le patron de GDF, et à la tête de cette dernière un PDG de transition, dépourvu de projet industriel, mais chargé de la mise en bourse et de la vente de l'entreprise publique. Puis, vous avez attendu une fenêtre de tir pour trahir solennellement, sur le perron de Matignon, l'engagement pris devant le Parlement, avant de saisir l’alibi d'une OPA hostile sur Suez pour précipiter, au titre du « patriotisme économique», ce qui est un comble, la dénationalisation de GDF ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Pour parfaire la situation, vous allez jusqu’à faire croire que c'est GDF qui absorbera Suez, alors que Suez pèse deux fois plus que GDF ! Et afin que le gâchis soit complet, vous engagez une guerre fratricide entre EDF et GDF, qui va coûter cher en emplois et dégrader le service public sans enrayer l'augmentation des tarifs – 30% en un an pour le gaz – alors même que d’autres solutions étaient envisageables, comme une fusion entre les deux entreprises.

Pour que le flou soit total, vous annoncez une opération aujourd'hui parfaitement illégale, à quelques mois de l'ouverture du marché de l'énergie pour tous les particuliers et de l'extinction du contrat de service public de GDF. Le mépris du Parlement devient une habitude de ce Gouvernement !

Vous nous garantissiez en 2004, Monsieur le ministre d'Etat, que la part publique du capital de GDF ne descendrait pas en dessous de 70 %. Êtes-vous donc solidaire de la trahison et du mensonge du Gouvernement, M. Breton parlant désormais de descendre à 30 ou 40% ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Président – La parole est à M. Breton (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l’industrie A la demande du Premier ministre, nous avons engagé des consultations, (Plusieurs députés du groupe socialiste tentent de couvrir la voix de l’orateur) qui visent à créer le numéro deux mondial de l’énergie. Si cette opération aboutit, deux des plus grands acteurs mondiaux seront donc Français !

Rassurez-vous, ce projet sera construit de concert avec les collectivités locales, les organisations syndicales, au terme d’une large consultation que j’ai ouverte hier matin, à la demande du Premier ministre.

Plusieurs députés du groupe socialiste – Quel baratin !

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l’industrie A aucun moment, nous n’entendons enfreindre la loi : ce projet sera en effet présenté devant le Parlement dans les semaines qui viennent, et c’est vous qui déciderez s’il en vaut la peine. Si vous ne voulez pas de ce projet, nous ne changerons rien aux dispositions en vigueur. Soyez donc sûrs que la loi sera parfaitement respectée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

grippe aviaire

M. Jean-Michel Bertrand – Je souhaite associer tous mes collègues de l’Ain à ma question. Le virus H5N1 a non seulement touché plusieurs oiseaux sauvages dans mon département, mais aussi une exploitation de dindes, ce qui est une première en Europe.

Nos concitoyens, de même que tous les acteurs de la filière avicole, s’inquiètent vivement d’une telle situation. La France, premier producteur de volailles en Europe, enregistre en effet une baisse de 30 % de la consommation, qui a déjà provoqué des mesures de chômage partiel et des licenciements. Ajoutons que certains pays commencent même à placer nos produits sous embargo.

Les habitants et les professionnels ont été très sensibles à votre déplacement, Monsieur le ministre de l’agriculture, ainsi qu’à celui du Premier ministre, jeudi dernier, mais nous souhaiterions que vous nous informiez de l’avancement de l’enquête sur les causes de la contamination de l’élevage de Versailleux. De telles explications sont en effet nécessaires pour justifier les mesures de confinement, qui inquiètent profondément les éleveurs, à commencer par ceux qui bénéficient d’un label ou d’une appellation d’origine contrôlée.

Par exemple, c’est la survie même de la volaille de Bresse, seule au monde à faire l’objet d’une AOC, qui est en jeu, avec toutes les conséquences dramatiques qui pourraient s’ensuivre. Une des caractéristiques de cette appellation est en effet que les volailles trouvent en plein air leur complément alimentaire. La vaccination des volailles de Bresse pourrait-elle donc être autorisée ?

Outre les 63 millions d’euros annoncés, pouvez-vous nous indiquer, Monsieur le ministre, quelles mesures réglementaires et financières le Gouvernement envisage pour venir en aide à la filière avicole en général, et à la volaille de Bresse en particulier, mais aussi à l’ensemble des activités touchées par les mesures de protection actuelle ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche Deux canards et quinze cygnes ont effectivement été touchés, de même que l’exploitation de M. et Mme Clair, dans la commune de Versailleux, où nous avons dû euthanasier 11 000 dindes. L’étude épidémiologique en cours devra expliquer comment cet élevage, connu pour son sérieux, a pu être atteint par le virus malgré les mesures de protection mises en place.

Nous n’avons pas encore la réponse, mais nous la cherchons, car cet élevage est le seul à avoir été touché dans notre pays.

S’agissant des poulets de Bresse, le confinement pose en effet un problème puisque leur spécificité est d’être élevés à l’extérieur. Comme le Premier ministre l’a indiqué, la vaccination peut être envisagée. Les éleveurs peuvent aussi – et je les appuierai en ce sens – obtenir une dérogation de l’INAO et des autorités européennes pour que les poulets de Bresse puissent être élevés dans d’autres conditions sans perdre leur label.

S’agissant des mesures, le Premier ministre avait déjà annoncé 11 millions d’euros d’aides pour la filière. Il y a ajouté 52 millions – nous disposons donc de 63 millions – qui financeront une campagne de promotion ainsi que des aides aux entreprises avicoles, pour 20 millions, et à la filière en aval, pour 30 millions. Le Premier ministre a également indiqué que si ces mesures se révélaient insuffisantes, la solidarité nationale s’exercerait.

Nous sommes actuellement préoccupés par l’embargo qu’ont mis sur nos produits une vingtaine de pays avec lesquels nous avons signé des accords sanitaires. Cela représente environ 12% du volume de nos exportations, ce qui est important. Nous tentons donc de les convaincre par la voie diplomatique de reconsidérer cette mesure, ou à tout le moins de nous laisser exporter une partie de nos volailles. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

épidémie de chikungunya

M. Bertho Audifax - Monsieur le Premier ministre, votre présence à la Réunion a affirmé solennellement la solidarité totale de la nation avec une population durement éprouvée par la maladie du chikungunya. Je voudrais témoigner ici, devant la représentation nationale, que vous avez su rappeler la vérité sur le déroulement de cette épidémie et trouver les mots justes pour rassurer les Réunionnais. Quant à nos collègues socialistes, l’importance de leur délégation à la Réunion valait plus par la qualité que par la quantité : une extension d’une journée à la Réunion des vacances mauriciennes de M. Le Guen (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) et la présence présidentielle de M. Strauss-Kahn (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste). Avec les ministres de la Santé, de l’outre-mer et du Tourisme, vous nous avez présenté un plan d’action global et les moyens qui sont et seront déployés sur les plans sanitaire, social et économique, sans oublier la recherche médicale.

Je me fais ici l’avocat d’une demande particulière, la prise en charge de la totalité des jours d’arrêt maladie en cas de rechute, car la répétition des trois jours de carence pénalise fortement le pouvoir d’achat des salariés. Comment entendez-vous fédérer toutes les énergies pour l’utilisation immédiate des moyens à la Réunion, éviter tout retard dans notre action et assurer un juste contrôle de l’utilisation de l’effort de la nation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités Le Premier ministre a voulu adresser un double message aux Réunionnais. D’abord un message de solidarité dans l’épreuve qu’ils traversent, face à leur douleur et aux inquiétudes des familles. Ensuite un message de transparence : transparence sur notre action, mais aussi sur la réalité de cette épidémie. L’action unanimement réclamée à la Réunion passe par la prévention, la poursuite de la démoustication et la mise à disposition des plus fragiles et des plus démunis de produits anti-moustiques, que le Premier ministre a souhaité intensifier.

Deuxième priorité, la prise en charge des malades. Les équipes hospitalières comme les professionnels libéraux se dévouent depuis le début de l’épidémie. Il s’agit aussi de veiller à ce que ceux qui sont touchés par le chikungunya ne soient pas doublement pénalisés. J’ai donc rencontré hier matin la présidente de l’association des victimes du chikungunya. Comme vous nous aviez également interpellés sur le sujet, le Premier ministre a décidé qu’en cas de rechute, le délai de carence de trois jours ne serait pas appliqué une seconde fois. Nous connaissons en effet encore mal l’évolution des symptômes de la maladie. J’ai donné des instructions à l’assurance maladie dans le sens d’une prise en charge intégrale (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

La recherche, enfin, doit permettre de répondre aux questions des Réunionnais et de mettre au point de nouveaux traitements thérapeutiques. Ce week-end ont ainsi été transmis à tous les laboratoires français l’ensemble des molécules pouvant nous permettre de progresser sur la voie d’un traitement.

Le premier ministre a souhaité une entière transparence sur le suivi de ces actions. François Baroin se rendra à nouveau en mars à la Réunion, j’y retournerai moi-même en avril. Loin de toute polémique, la seule chose qui vaille aux yeux des Réunionnais est que l’unité et la solidarité nationale soient au rendez-vous (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

chômage

M. Jean Glavany – Monsieur le premier ministre, le chômage a augmenté en janvier. Personne ne peut s’en réjouir : au-delà des statistiques, il y a la détresse humaine et la souffrance sociale que les élus socialistes, parmi d’autres, rencontrent tous les jours dans leurs permanences (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Mais voilà : durant des mois, vous avez refusé de voir la réalité du chômage en face, de reconnaître que cette baisse dont vous vous gargarisiez était artificielle puisqu’elle n’était que le fruit des départs plus nombreux à la retraite, des emplois aidés que vous avez rétablis après les avoir supprimés en 2002, et des radiations des listes de chômeurs. Vous avez refusé de voir que l’emploi marchand, seul indicateur crédible du dynamisme d’une économie (Huées sur les bancs du groupe UMP), stagne lamentablement depuis 2002. Vous avez refusé de voir que pendant que le nombre de chômeurs baissait artificiellement , le nombre de érémistes augmentait conséquemment. Depuis ce matin, on entend partout que si le chômage a progressé en janvier, c’est parce que de nombreux radiés se sont réinscrits. Quel aveu ! Si le chômage augmente quand les radiés se réinscrivent, on comprend mieux qu’il régresse quand on les radie ! Quand allez-vous regarder la réalité en face et tirer le bilan de quatre ans d’échecs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement - Si vous m’aviez demandé des éléments d’information sérieux, je vous aurais dressé un premier bilan des plateformes de vocation, des contrats d’apprentissage ou des contrats de professionnalisation. Mais vous avez préféré tenter une opération politicienne qui me navre. Et puisque vous souffrez du chômage, combien avez-vous dû souffrir dans les douze derniers mois du gouvernement de Lionel Jospin, où le chômage augmentait inexorablement ! Vous le savez fort bien, il s’agit en la matière de tendances lourdes et le combat est difficile. Vous ne parlez plus que de l’emploi marchand, mais ailleurs vous critiquez les entreprises. Il fut un temps où il n’ y en avait que pour le CES et le CEC : on dénombrait alors 650000 contrats aidés précaires !

De grâce, Monsieur Glavany, vous savez comme moi que la lutte contre le chômage se mène à moyen terme …

Mme Martine David - Ça fait quatre ans tout de même !

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement  Je connais la souffrance des demandeurs d’emploi qui doivent attendre neuf à dix mois pour être reçus après avoir frappé à la porte de l’ANPE. Nous essayons de soutenir leurs efforts et de leur apporter de la considération Quoi qu’il en soit, nous continuerons de livrer ce combat contre le chômage (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

sanctions contre M. Frêche

M. Paul-Henri Cugnenc – Monsieur le Garde des Sceaux, en 1926, dans un livre de triste mémoire apparaissait la notion de sous-homme (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) assimilée aux peuples inférieurs sous la plume de celui qui allait devenir en 1933 chancelier du IIIe Reich (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Quatre-vingts ans plus tard,…

M. Julien Dray - C’est là toute la nuance !

M. Paul-Henri Cugnenc - … cette référence indécente réapparaît dans les propos du président de la région Languedoc-Roussillon. Ce ne sont pas d’attristantes excuses, à peine gênées, qui permettront de pardonner à cet élu que beaucoup considèrent comme un récidiviste de l’outrance et que les plus indulgents tentent d’excuser en évoquant l’hypothèse d’une dérive psychiatrique (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). J’informe la représentation nationale que les élus du Languedoc-Roussillon, députés et sénateurs, ont proposé à leurs collègues de l’opposition de les rejoindre au nom des valeurs humanistes…

M. Jean Glavany - … que M. Jacques Blanc incarne à la perfection !

M. Paul-Henri Cugnenc – Nous appelons solennellement les élus régionaux du Languedoc-Roussillon à refuser de siéger sous cette présidence qui s’est disqualifiée ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Par ailleurs, nous venons de prendre l’engagement auprès de plusieurs responsables d’associations de harkis de commémorer tous les 11 février le souvenir de cette insupportable agression en manifestant notre solidarité par un rassemblement devant une stèle (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Cette affaire, qui met gravement en péril la cohésion nationale, n’est pas close.

M. le Président – Monsieur Cugnenc, je vous prie de conclure.

M. Paul-Henri Cugnenc – Le parti socialiste n’a pris aucune sanction à l’encontre de M. Frêche (« Huées sur les bancs du groupe UMP) et le silence de ses responsables est assourdissant ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Le mutisme de nos collègues socialistes dans l’hémicycle sur le fond du problème et leurs glapissements pour la forme en témoignent ! Monsieur le Garde des Sceaux, quel est votre sentiment sur cette affaire ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice - Les déclarations de M. Frêche le 11 février dernier ont profondément blessé les harkis, leurs familles ainsi que beaucoup d’entre vous sur tous les bancs de l’Assemblée. Traiter de sous-hommes des hommes et des femmes, quels qu’ils soient, est inadmissible. Cela incite certains esprits faibles ou pervers à justifier leurs violences par la haine de l’autre. Il ne saurait être question en cette période difficile où antisémitisme et racisme ressurgissent de tolérer l’intolérable, de justifier l’injustifiable. La loi du 23 février 2005 a pour but de protéger cette composante de la communauté nationale qui fait trop souvent l’objet d’agressions et d’insultes. Les propos de M. Frêche montrent que cette protection était indispensable. Le procureur général de la cour d’appel de Montpellier examine les qualifications pénales pouvant être retenues contre M. Frêche et fait vérifier la teneur exacte des propos litigieux. Les premiers éléments qui m’ont été communiqués confirment qu’il y a bien eu infraction et que l’action publique peut être déclenchée rapidement (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Pour le reste, chaque citoyen appréciera ce qu’il convient de penser de l’auteur de tels propos ! (Nombreux applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Crise viticole dans le languedoc-roussillon

M. Robert Lecou – La région Languedoc-Roussillon a honte de son président mais elle est fière de son vignoble !

Plusieurs députés socialistes – La liaison est douteuse !

M. Robert Lecou - Le plus grand vignoble de France, celui du Languedoc-Roussillon, traverse une crise grave que les efforts des vignerons pour améliorer la qualité des vins n’ont pas réussi à prévenir. Cette situation est dramatique pour les viticulteurs qui ont investi, se sont endettés et ne parviennent plus à vendre leur vin. Dépôts de bilan et RMI, mots jusqu’alors inconnus, sont sur toutes les bouches. Pourtant, des vignerons continuent fièrement d’entretenir leur vigne. Nous devons partager la légitime inquiétude de ces femmes et de ces hommes qui ont manifesté dignement en nombre le 15 février dernier. Pour résoudre une telle crise dont les causes sont multiples et complexes – surproduction, adaptation à la demande du marché, concurrence de pays émergents, réglementation et mode de distribution –, une action unifiée de l’ensemble des acteurs de l’économie viticole est nécessaire. Parce que nous sommes tous concernés par la mutation du vignoble languedocien, les pouvoirs publics doivent rapidement prendre des mesures spécifiques en faveur de ce secteur comme ils l’ont fait autrefois pour la sidérurgie lorraine. J’en appelle à l’unité et à la fédération des volontés.

Monsieur le ministre, dans le marché actuel, les vins français ont besoin d’une démarche marketing pour être mieux identifiés au plan mondial. Le salon Vinisud, qui s’est tenu la semaine dernière à Montpellier, est la preuve de la qualité atteinte par le vin du Languedoc-Roussillon maintenant fédéré sous le label « Sud de France ». Le Gouvernement est-il prêt à mettre au point avec la filière une campagne de communication sur les vins français pour leur trouver de nouveaux débouchés ? Par ailleurs, quelles mesures comptez-vous prendre dans les prochaines semaines pour restaurer la confiance des professionnels et quelle sera la teneur de la campagne 2006 d’arrachage et de distillation ? Les viticulteurs, parfois dans des situations dramatiques, ont besoin du soutien du Gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche  Monsieur le député, effectivement, il semble injuste que le vignoble du Languedoc-Roussillon soit l’un des plus touchés par la crise viticole alors qu’il est de ceux qui ont réalisé les progrès les plus importants en matière de qualité et d’organisation. Au cours des derniers mois, nous avons souhaité aider la filière grâce à des mesures sociales et conjoncturelles. Il nous faut maintenant passer à la vitesse supérieure. M. Pomel, préfet, est chargé de réorganiser les vignobles par bassin. Je salue l’initiative « Sud de la France » prise dans le Languedoc-Roussillon qui va dans cette direction et s’accompagne en outre d’un plan de promotion commun. Nous allons tenir le 5 avril prochain une table ronde avec les viticulteurs au cours de laquelle le Gouvernement proposera un programme d’avenir pour la viticulture française, des mesures de gestion des stocks et de promotion.

J’ai indiqué également à M. Cugnenc, qui s’est beaucoup préoccupé de ce sujet, que le Conseil de la modération est en place, que son président est nommé et que ses travaux vont commencer. Enfin et surtout, notre plan contiendra des mesures d’aide à l’exportation car c’est là que nous pouvons gagner et redonner espoir à nos viticulteurs (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 25 sous la présidence de M. Raoult.
PRÉSIDENCE de M. Éric RAOULT
vice-président

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RECHERCHE

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, de programme pour la recherche.

M. Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche – Le projet de loi de programme que j’ai l’honneur de vous présenter avec François Goulard constitue le volet législatif du pacte pour la recherche que le Gouvernement propose à l’ensemble de la nation, car il y va de l’avenir et du rayonnement de la France. Pour se rendre à cette évidence, il a fallu que notre pays traverse une crise grave. Les chercheurs français avaient en effet le sentiment de ne plus être compris ni reconnus dans le travail qu’ils accomplissent pour « la science, la gloire et la patrie », selon la belle devise de l’Ecole Polytechnique. Salutaire, cette crise a provoqué une prise de conscience collective du rôle capital de la recherche pour l’avenir intellectuel et économique du pays. Il est désormais mieux compris que l’avenir n’est pas au tout commerce, au tout services ou au tout finances et chacun est bien conscient que la science et l’éducation sont les facteurs sine qua non d’une croissance durable et responsable. La recherche est aussi une nécessité pour l’avenir de l’humanité sur la planète : réchauffement climatique, tarissement des sources d’énergie, besoins croissants de la population mondiales – lourds de conséquences pour l’eau, la faune et la flore –, émergence de nouvelles maladies – dont nous faisons l’expérience avec le chikungunya et la grippe aviaire : aucune de ces grandes questions ne sera réglée sans la science.

Sous la pression de la réalité, les illusions anti-scientifiques un temps à la mode se dissipent. Les Français comprennent chaque jour que ce n’est pas dans une fuite romantique hors de la modernité qu’ils trouveront le remède aux maux de l’époque mais dans un surcroît d’investissement intellectuel. Quant à nous, décideurs politiques, la crise nous a fait prendre conscience des défis que la recherche française se doit de relever pour rester dans la course mondiale. Cette crise, je crois pouvoir dire que nous l’avons surmontée et que l’abcès a été crevé. Tout a été dit, et bien dit, grâce au dialogue entamé par nos prédécesseurs et à la concertation qu’avec François Goulard, nous avons menée avec la communauté scientifique et avec tous les hommes de bonne volonté que l’avenir de la recherche intéresse. Je pense en particulier au président Dubernard, que je remercie pour ses conseils et je suis heureux de saluer la contribution du Conseil économique et social et de son rapporteur, François Ailleret, qui a conduit à l’automne un travail très constructif, permettant d’enrichir tant le projet initial que celui soumis au Sénat. En rétablissant ce lien vital avec la communauté, nous avons dissipé de très nombreux malentendus et constaté que nos intentions étaient les mêmes. Bref, nous avons restauré la confiance…

M. François Brottes - Méthode Coué !

M. le Ministre – Dans l’idée de pacte pour la recherche, il y a celle de paix, et c’est bien à une grande réconciliation nationale autour de la recherche que nous assistons. Ce texte a été salué par la communauté scientifique et par les forces vives de la nation…

M. Pierre Cohen - Pas par toutes !

M. le Ministre – Je pense par exemple au Secrétaire général de la CFDT et à l’un de mes prédécesseurs, Claude Allègre.

En premier lieu, nous nous sommes tous retrouvés sur la nécessité de préserver les grands équilibres. Équilibre, d’abord, entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée car il est absurde de les opposer. Les applications de demain sont dans la recherche fondamentale d’aujourd’hui, comme l’explique très justement Claude Birraux dans son rapport. Les plus grands scientifiques de notre temps le rappellent régulièrement. Équilibre, ensuite, entre recherche publique et recherche privée, en reconnaissant que c’est pour développer la recherche privée que nous avons le plus à faire. Équilibre, enfin, entre la recherche et les préoccupations légitimes de nos sociétés : l’avis du Conseil économique et social insiste légitimement sur cette dimension de la question. Il convient en effet de prévenir des phénomènes irrationnels de rejet de la science, ainsi que les emballements prématurés pour d’illusoires solutions miracles. Et cette prudence est particulièrement nécessaire dans notre société de l’information immédiate où une simple rumeur a vite fait d’enfler pour devenir la vérité de référence. Le cas récent de ce scientifique coréen, adulé puis tout aussi rapidement désavoué par la communauté scientifique, le rappelle s’il en était besoin.

En second lieu, nous nous sommes retrouvés sur les objectifs que nous nous fixons, en vue de changer de braquet et de relever tous les défis. Je rappelle brièvement nos cinq objectifs.

Le premier, c’est de renforcer nos capacités d’orientation stratégique et de définition des priorités. A cet égard, nous clarifions les responsabilités en affirmant qu’il revient au gouvernement de déterminer la politique de recherche. Le pilotage automatique du système n’est pas une bonne méthode. Dans le monde complexe qui est le nôtre, il est indispensable d’arbitrer entre les aspirations des scientifiques, les intérêts économiques et les préoccupations des citoyens. Des choix sont nécessaires. Ils sont complexes et lourds de conséquences. C’est aux politiques de les assumer. Un haut conseil de la science et de la technologie éclairera leurs décisions. Le Sénat lui a donné une base législative et le Président Dubernard fera des propositions pertinentes sur son fonctionnement.

Le second objectif est de mettre en place un système d’évaluation unifié, objectif et transparent. Sans liberté, c’est le dirigisme, mais sans évaluation, c’est le laxisme. La nouvelle agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur assurera cette mission, que le Sénat a étendue à l’ensemble de l’enseignement supérieur.

Le troisième objectif est de faciliter les coopérations entre chercheurs. Les synergies étant insuffisantes, nous avons du mal à atteindre la taille critique. Ce projet offre une « boîte à outils » qui devra leur permettre de rassembler leurs énergies.

Le quatrième objectif est d’offrir des carrières attractives aux chercheurs qui, sinon, sont incités à choisir d’autres filières ou à partir à l’étranger. Cela ne peut plus durer. Nous devons susciter des vocations et permettre à nos jeunes scientifiques de réaliser leurs ambitions. Pour cela, il faut des carrières moins cloisonnées, qui sont désormais par nature internationales. Le pacte le permet.

Le cinquième objectif est d’établir des liens plus étroits entre recherche publique et recherche privée, pour engendrer richesse et emploi dans notre pays. Les commissions, je le sais, ont de nombreuses propositions à ce sujet.

Au service de ces objectifs communs, nous nous sommes retrouvés, avec la communauté scientifique, pour engager des moyens massifs, soit 19,4 milliards de 2005 à 2010, ce qui représente une hausse de 27 % en cinq ans du budget annuel de la recherche, et la création de 3000 emplois dès 2006. Cet effort sans précédent depuis trente ans nous permet d’investir dans un système plus offensif et plus attractif pour donner à nos centres de recherche la masse critique nécessaire et permettre à nos chercheurs, qui sont parmi les meilleurs du monde, d’être reconnus.

Les engagements du Président de la République et du Premier ministre sont ainsi tenus, malgré un contexte budgétaire difficile, et la mobilisation des moyens a déjà commencé. La nation se rassemble autour de la recherche, parce qu’elle a confiance en elle, et la communauté scientifique attend dans la sérénité, mais aussi le sentiment de l’urgence, la promulgation de cette loi. Nous attendons aussi beaucoup de vos travaux. Le président Dubernard – le professeur Dubernard – s’est beaucoup mobilisé et a observé ce qui se faisait ailleurs ; certains avaient déjà beaucoup travaillé sous la conduite de M. Door. Les rapporteurs ont fait un travail remarquable et, avec méthode et minutie, élaboré des propositions constructives. Vous améliorerez donc certainement ce texte, comme l’ont fait les sénateurs.

J’en viens à quelques points fondamentaux qui ont pu prêter à interrogation.

Il s’agit d’abord des nouvelles structures, prévues pour relever de nouveaux défis, car la recherche évolue en permanence. Créées pour rattraper les Etats-Unis, nos structures de recherche doivent désormais se mesurer au Japon, à l’Allemagne, au Royaume-Uni, à la Chine et l’Inde dans une âpre compétition. Il ne s’agit plus de constituer une « mini-Amérique » capable de tout dans tous les domaines, mais de devancer les autres pays dans des secteurs déterminés, ne plus être bon ou moyen partout, mais être les premiers là où nous avons un avantage comparatif.

Dans cette bataille, la France a des troupes, elle a des armes. La doctrine d’emploi, le pacte pour la recherche la lui donne : il faut concentrer nos forces pour, le moment venu, faire la différence sur des points stratégiques ! Pour ce faire, nous avons choisi l’évolution plutôt que la révolution, la liberté et l’initiative, la jeunesse et l’Europe.

Nous avons choisi l’évolution. Nos grands organismes, universités et grandes écoles ont un formidable potentiel. Il faut lui donner l’occasion et les moyens de se mobiliser. Mais on ne saurait faire table rase d’une tradition qui remonte à la création du collège de France en 1530.

Nous avons choisi de laisser aux scientifiques la liberté et l’initiative pour s’organiser. Les pôles de recherche et d’enseignement supérieur – les PRES – et les Campus que le Sénat a décidé d’appeler les réseaux thématiques de recherche avancée leur permettront d’accroître leur masse critique pour affronter la compétition internationale. Les PRES inciteront les acteurs d’un même territoire, actuellement trop isolés, à se regrouper pour être plus efficaces et mieux reconnus. Le Président Dubernard, qui connaît bien la situation de Lyon, sait de quoi je parle. Dans ce cadre, nous devons donner leur chance à tous les établissements d’enseignement supérieur, même les plus modestes. Les réseaux, de nature thématique, regrouperont des centres parfois éloignés mais dont les sujets de recherche sont proches, pour constituer une force de frappe scientifique. Dans les deux cas, il s’agit de mettre les forces en commun, non de déposséder qui que ce soit. Aujourd’hui, les laboratoires coopèrent certes, mais souvent en se répartissant un projet en tranches. Quelle erreur de fixer ainsi les limites de la participation de chacun à un projet collectif ! Craindre que cela ne prive certains de leurs meilleurs éléments n’est pas raisonnable. Ces structures seront créées par les universités et organismes de recherche de leur plein gré, et contrôlées par eux. La loi n’impose rien, elle propose des outils.

L’objectif est de mieux organiser la recherche française pour la rendre plus libre, plus attractive pour les chercheurs et les étudiants, plus efficace économiquement. D’ailleurs, la greffe, si j’ose dire, prend déjà : c’est l’effervescence dans les laboratoires, qui veulent être prêts dès la promulgation de la loi.

Nous choisissons ensuite la jeunesse, et voulons en particulier lutter contre la précarité des jeunes, qui sont le sel de la recherche de demain. Pour améliorer les débuts de carrière, nous avons augmenté les allocations des doctorants de 8 % au 1er janvier 2006, et ils en verront les effets sur leur feuille de paye de février. Nous voulons aussi aider les plus jeunes à choisir leur filière, à s’orienter à l’issue du doctorat, encourager les plus talentueux par des bourses, et surtout faciliter ensuite l’insertion dans la vie active, dans la recherche publique ou en entreprise.

Nous choisissons enfin l’Europe, par conviction, et pour des raisons objectives. La France est un grand pays ; mais un peu moins grand que la Californie. Dans la compétition entre les grands blocs mondiaux, l’Europe de la recherche est donc une nécessité. Pourtant, malgré le cri d’alarme du Conseil européen de Lisbonne en 2000, elle peine à se mettre en place. C’est que nous avons voulu construire le troisième étage de la fusée avant le premier. Car les constats que nous faisons en France sur nos structures, tous nos partenaires européens les font également chez eux. Le classement de Shanghai, qui vaut ce qu'il vaut, met la première université allemande au 51ème rang, la première italienne au 91ème et la première espagnole au 153ème. Seuls les Anglais font exception, avec cinq universités anglaises classées avant la première française, elle-même en 46ème position, dont une au deuxième rang !

La première étape consiste donc à renforcer le premier étage de la fusée, c’est-à-dire à nous mettre en ordre de marche grâce à de nouveaux outils. C'est d'ailleurs ce que font aussi les principaux pays européens de la recherche, l'Italie, l'Allemagne ou l'Espagne. Mais je pense que nous avons de bonnes chances d'être les premiers à faire évoluer nos structures. Cette première étape est indispensable. Faute de quoi, on continuera à avoir à Bruxelles des réactions qui préconisent simplement de marier telle université avec telle autre d'Allemagne.

Les bons partenariats se font sur les points forts. Les PRES et les RTRA nous permettent de renforcer nos points forts, à maturité pour tisser des partenariats européens. Cela nous met évidemment à la meilleure place pour être aux avant-postes de la construction de l'Europe de la recherche. Pour cela nous devons anticiper cette construction.

Anticiper la construction de la recherche européenne, c'est ce que nous faisons à Bruxelles. L'Europe fait des choix judicieux. Elle met l'accent sur les dynamiques d'innovation, qui ont un réel sens à l'échelle du marché européen, avec l'Initiative technologique conjointe, ou la facilité financière de la BEI, deux outils dotés de plusieurs milliards d'euros.

Grâce à l'action de la France, elle a également développé un équivalent européen de notre Agence Nationale de la Recherche : le Conseil Européen de la Recherche, qui se concentrera sur la recherche fondamentale. Et elle réfléchit aujourd'hui à une organisation capable d'atteindre la taille critique à l'échelle européenne.

Anticiper la construction de la recherche européenne, c'est ce que nous faisons aussi dans ce projet de loi, en disant par exemple que les partenaires d'un PRES ou d'un Campus pourront être européens. Avec ces formes d'organisation, nos acteurs pourront être moteurs à l'échelle européenne ; je pense par exemple à l'Institut européen de technologie.

C'est toujours dans cette logique d'anticipation que nous fixons comme objectif à l'ANR d’attribuer à l’horizon 2010 20 % de ses financements en partenariat avec ses homologues européens. Enfin, avec l'Agence d'évaluation, nous souhaitons donner à notre pays les moyens de devenir une référence européenne en matière d'évaluation.

Le monde scientifique est prêt à franchir le cap du XXIème siècle. Il attend pour cela que cette loi lui apporte la liberté dont il a besoin, qu'elle éclaircisse les perspectives et qu'elle lui donne les moyens de construire l'Europe de la recherche.

Ce Pacte pour la Recherche n'est pas le terme d'un travail, il ouvre au contraire un nouveau chapitre de la science française et prépare l'avenir de notre pays. C'est un grand projet pour la nation qui vous est soumis aujourd'hui (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. François Goulard, ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche - C’est un effort sans précédent qui est consenti par notre pays en faveur de la recherche. On le voit dans le budget qui a été adopté pour cette année : 3 000 créations d’emplois, 6 milliards d’augmentation de ressources en trois ans, de 2005 à 2007. Jamais il n’a été fait autant pour la recherche française. L’opposition nous dit déjà, par la bouche de François Hollande, que ce n’est pas assez ! Rappelons donc que le gouvernement Jospin envisageait au mieux 800 créations nettes d’emplois de chercheurs sur dix ans !

M. Pierre Cohen - Sans compter les universités !

M. le Ministre délégué – Il est vrai que Claude Allègre déclarait alors que la France était le pays du monde comptant le plus de chercheurs à temps plein par rapport à la population scientifique et qu’il n’était donc pas sûr qu’il faille en augmenter le nombre. Avec de tels présupposés, il n’est pas étonnant que la gauche n’ait pas voulu créer d’emplois ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Il faut situer l’effort que nous faisons sur le plan international. En Allemagne, la Chancelière vient d’annoncer qu’elle envisageait d’augmenter d’un milliard d’euros par an les ressources consacrées à la recherche publique. L’Allemagne a pris conscience de la nécessité absolue de consacrer plus de moyens à la recherche et s’apprête donc à faire le même effort que la France, pays moins peuplé.

Notre effort concerne toute la recherche, publique comme privée. C’est ainsi que nous améliorons le mécanisme du crédit d’impôt recherche. Il concerne la recherche fondamentale comme la recherche appliquée. Ainsi, l’Agence Nationale de la Recherche consacrera la moitié de ses crédits nouveaux à la première, l’autre moitié à la seconde. Toutes les disciplines scientifiques et tous les champs thématiques sont concernés par le Pacte pour la recherche.

Les moyens sont une chose. Il faut aussi que l’efficacité soit au rendez-vous. C’est pourquoi nous devons dégager des priorités. J’entends dire que le Gouvernement n’a pas à fixer de priorités à la recherche. Je pense au contraire que dans une démocratie, il appartient aux pouvoirs publics de fixer, là comme ailleurs, des priorités dans l’affectation des ressources publiques votées par le Parlement. Pas de façon arbitraire, évidemment, mais dans un dialogue permanent avec la communauté scientifique, avec les grands organismes, mais aussi avec l’industrie et le monde de la santé.

Nous avons par exemple bien fait de mettre l’accent sur la recherche dans le domaine de l’énergie, qu’il s’agisse de l’EPR, du réacteur de la quatrième génération, des biocarburants ou de la pile à combustible. L’actualité nous montre que ce choix politique était justifié. Nous nous réjouissons aussi d’avoir consacré un programme et des financements à ce que l’on appelle les maladies émergentes. Là aussi, l’actualité montre que nous avons eu raison.

Oui, le politique est fondé à affirmer des priorités en matière de recherche. Nous ne le faisons pas à l’aveugle, nous avons besoin d’éclairage. Le rôle du Haut Conseil pour la science et la technologie sera précisément de l’apporter. Ce sera également le rôle d’une administration réorganisée, renouvelée, fortifiée, avec la future Direction générale de la recherche et de l’innovation, qui sera le lieu de la synthèse entre la communauté scientifique et les utilisateurs de la recherche.

L’évaluation est évidemment la contrepartie de l’effort qui est consenti par la nation. Assurée par des commissions de scientifiques, qui jugent leurs pairs, elle est d’ores et déjà une réalité du monde de la recherche, dans tous les grands pays. Un système cohérent d’évaluation est l’outil indispensable d’une affectation optimale des ressources, c’est-à-dire d’une orientation de celles-ci vers les organismes et les équipes qui obtiennent les meilleurs résultats. C’est donc une réforme absolument nécessaire et un dispositif essentiel du projet de loi.

Nous devons aussi décloisonner la recherche et faire en sorte que les chercheurs ne passent pas trop de temps en formalités administratives, alors qu’ils ont beaucoup mieux à faire. Nous avons déjà pris un certain nombre de mesures qui simplifient la vie des chercheurs. Nous avons ainsi supprimé le contrôle a priori en matière de dépenses de recherche et nous avons allégé le dispositif de la commande publique. Avec les PRES et les RTRA, nous visons à décloisonner le monde de l’université et de la recherche. Mais nous laissons aux acteurs concernés l’initiative et le soin de définir eux-mêmes le projet leur permettant de mieux travailler ensemble, en faisant disparaître les barrières artificielles.

Nous voulons aussi que la carrière de chercheur soit attractive. Chacun déplore que des jeunes chercheurs brillants partent à l’étranger sans esprit de retour. Nous prenons des dispositions pour qu’il n’en aille plus ainsi : modulations de rémunérations, allègement des charges d’enseignement, moyens accrus pour les plus prometteurs… Ces moyens sont déjà mis en œuvre et ont permis certains retours sur notre sol.

Avoir une recherche fondamentale performante est une chose, faire en sorte que la société en profite au mieux en est une autre. Nous avons des progrès à accomplir en ce qui concerne la valorisation de la recherche. C’est un travail considérable, que nous avons déjà entamé sur le plan budgétaire : savez-vous qu’en deux ans, les fonds consacrés par OSEO-ANVAR à l’innovation auront doublé ?

Les PME sont à l’évidence les premières concernées. J’ajoute que le label Carnot sera prochainement attribué à une vingtaine d’organismes spécialisés dans le transfert de la recherche vers l’entreprise, essentiel pour améliorer la compétitivité de l’économie française. Chacun a bien conscience, en effet, que les emplois de demain se créent aujourd’hui dans nos laboratoires.

En vue d’instaurer un circuit court entre le monde de la recherche et la création d’entreprise, le projet de loi contient en outre plusieurs dispositions destinées à encourager les chercheurs qui souhaitent créer leur entreprise, et à faciliter leurs démarches. La création des pôles de compétitivité vise également à inciter les entreprises à se rapprocher de la recherche, de même que plusieurs dispositions qui renforceront l’embauche de jeunes doctorants par les entreprises, où ils sont moins nombreux que dans d’autres pays européens.

Il s’agit donc d’un projet de grande ampleur, qui mobilise des moyens financiers et humains importants. Une telle démarche n’ayant de sens que dans le temps, c’est donc une loi de programmation que nous vous présentons. Au-delà des critiques et des postures traditionnelles, je souhaite que nous puissions trouver le chemin de l’unanimité sur un sujet si important pour l’avenir de notre pays, et j’espère que chacun saura reconnaître que nous allons dans le bon sens.

J’ai d’ailleurs lu ce matin que M. Hollande fait désormais l’éloge de la politique de recherche menée par Tony Blair. Si nous sommes en avance sur le Royaume-Uni par notre effort financier, nous avons effectivement des leçons à prendre de notre voisin en matière d’organisation de la recherche. Du reste, les mesures que nous vous proposons pour renforcer les appels d’offre et l’évaluation ne font que reprendre les pratiques mises en place dans les autres grands pays.

Enfin, n’oublions pas la dimension européenne de la recherche, que la France défend à chaque réunion à Bruxelles, qu’il s’agisse de la création de l’Agence européenne pour la recherche fondamentale, qui vient d’être actée, de l’augmentation des crédits du programme cadre de recherche et de développement européen, que nous avons obtenue, ou du recours à la Banque Européenne d’Investissement pour financer la recherche, point sur lequel nous avons également été largement suivis.

La recherche est une cause qui nous dépasse, et c’est pourquoi nous sommes fiers de vous présenter ce projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Fallait-il une nouvelle loi sur la recherche ? Oui, sans aucun doute, et nous en sommes tous d’accord. En effet, l’existence de coûts de production plus bas ailleurs dans le monde, la suppression inexorable des entraves aux échanges internationaux, le développement des pays émergents, tout indique que notre croissance et le maintien d’un haut niveau d’emploi impliquent de soutenir notre capacité à innover, dans les sciences dures, les sciences de l’homme, mais aussi du vivant, comme l’actualité vient de le rappeler brutalement.

Force est pourtant de constater que les énergies sont aujourd’hui dispersées, que nos organismes n’atteignent pas la taille critique nécessaire et que nos laboratoires manquent de réactivité. Les structures de notre recherche sont devenues des handicaps, face à des concurrents internationaux qui ne subissent pas les mêmes contraintes, notamment sur le plan financier.

Depuis les États généraux de Grenoble en 2004, nous avons pourtant connu un sursaut, qui a permis l’irruption de la recherche dans le champ du débat public. Un double fossé a ainsi pu être comblé : l’ignorance des problèmes scientifiques par les hommes politiques, et celle des contraintes politiques par les scientifiques. La communauté scientifique est aujourd’hui prête à un véritable changement, tandis que le pouvoir politique a compris que des efforts plus importants s’imposaient.

Il y a un demi-siècle déjà Pierre Mendès-France, l’initiateur du colloque de Caen en 1956, puis le général de Gaulle, avaient fait de la recherche la priorité absolue pour notre développement économique et social, mais aussi pour le maintien de notre place dans le monde, préoccupations qui restent naturellement d’actualité. Si Pierre Mendès-France déplorait en 1953 l’absence de prix Nobel français depuis 1937, nous en sommes aujourd’hui au niveau de la Suisse, tandis que le nombre de brevets déposés baisse, et que les plus brillants de nos jeunes chercheurs s’exilent dans des laboratoires étrangers. De 2005 à 2014, plus de 46 % des enseignants-chercheurs devraient même les suivre !

Déjà, le général de Gaulle voulait éviter le décrochage de l'Europe occidentale face aux deux géants de la guerre froide, les États-Unis et l'URSS, qui misaient à fonds déployés sur l'expansion scientifique et technique. Près de cinquante ans plus tard, nous redoutons à notre tour que les prochaines ruptures technologiques ne nous placent du mauvais côté de la « fracture » face à l'Asie.

Ajoutons que déjà, le colloque de Caen faisait une grande place au rôle des universités dans le dispositif de recherche publique et aux relations entre recherche fondamentale et recherche appliquée, questions éminemment actuelles !

L’histoire montre de même qu’en dépit de certains particularismes, notre système de recherche est très largement l'héritier de modèles étrangers. Devant l'échec du CNRS à coordonner l'ensemble de la recherche française, la France s’est en effet inspirée alternativement des modèles offerts par les deux super-puissances du moment.

Prenant exemple sur les expériences américaines, le général de Gaulle a ainsi mis en place la Délégation générale à la recherche scientifique et technique, dont les orientations furent largement impulsées par un « comité des sages », le comité consultatif de la recherche scientifique et technique, qui ressemble comme un frère au Haut comité pour la science qu’institue le présent projet.

Le Président François Mitterrand a opté à l’inverse pour une politique d'inspiration dirigiste : nationalisations, recherche et industrie fusionnée en un seul et même ministère, suppression de la contractualisation, création des EPST, fonctionnarisation des chercheurs et consécration de deux statuts distincts – chercheurs et enseignants-chercheurs, ce qui allait proscrire toute possibilité de va-et-vient entre les EPST et l’université.

Par conséquent, rien de nouveau sous le soleil ! Mais il n’en reste pas moins que tout grand pays moderne doit disposer d’une puissante recherche scientifique, et que nous devons retrouver cet élan collectif qui a fait de la France le plus brillant des « outsiders » scientifiques au cours de la guerre froide.

Au-delà des mesures qui ont déjà profondément modifié le paysage – création de l'ANR, de l’Agence de l’innovation industrielle et des pôles de compétitivités, par exemple – et de celles qui sont en cours de déploiement, comme les bourses Descartes ou la mise en place des instituts Carnot, ce projet de loi apporte des réponses nouvelles.

S’agissant tout d’abord du financement, la recherche française se situe au cinquième rang mondial en volume, mais seulement à la treizième place pour sa part dans le PIB. Il faut donc saluer l’inscription dans ce projet de la volonté de poursuivre l'effort budgétaire engagé ces deux dernières années, l’objectif étant d’atteindre en 2010 un effort public global de 24 milliards d'euros, soit 27 % de plus que les crédits disponibles en 2004.

Saluons également la répartition des crédits supplémentaires entre financements récurrents, financements sur projets et dépenses fiscales. En effet, le déficit de financement de la recherche française est moins le fait de l'État que celui des entreprises privées, qui participent peu à l'effort national de recherche par rapport à nos voisins. L'augmentation des dépenses fiscales est donc une nécessité, tout autant que l'augmentation des crédits sur projets, meilleure garantie d'une dépense publique efficace.

Dans cette programmation, deux éléments restent toutefois à préciser. Tout d’abord, il importe que la programmation budgétaire soit exprimée en euros constants : exprimée en euros courants, la programmation envisagée par le Gouvernement conduirait de fait, à une quasi-stagnation du soutien public à l'effort de recherche, une fois l’inflation prise en compte ! La commission a donc adopté un amendement en ce sens, et si les dispositions de l'article 40 de la Constitution ne permettent pas à cet amendement de venir en discussion, notre préoccupation reste entière : puissions-nous être donc entendus !

Il faudrait en outre que la programmation offre une plus grande visibilité en matière d'emplois scientifiques. Certes, il ne s'agit pas d'afficher de façon démagogique une augmentation trop rigide du nombre de postes dans la recherche publique, qui poserait d'ailleurs plus de problèmes qu'elle n'en résoudrait : si la France manque d’emplois scientifiques par rapport à ses concurrents étrangers, ce déficit est surtout le fait du secteur privé. Toutefois, il serait souhaitable que l'État se dote d'un outil de gestion prévisionnelle qui offrirait de la visibilité aux jeunes désireux de s'engager dans la voie de la recherche, sans préjuger pour autant de la nature des postes. La commission a donc adopté un amendement en ce sens.

Pour ce qui est de l’organisation de notre recherche, ce projet de loi contient également des mesures qui nous semblent aller dans la bonne voie. Au sommet de la pyramide, il crée ainsi un Haut conseil de la science et de la technologie, chargé d'élaborer cette vision prospective qui fait tant défaut actuellement. En réponse au morcellement excessif qui empêche nos structures d'atteindre la taille critique nécessaire pour être concurrentielles sur la scène internationale, le projet de loi favorise en outre un remembrement sur la base du volontariat : deux nouvelles formes de coopération entre les opérateurs de recherche, publics ou privés, français ou européens seront en effet créées – d’une part, les pôles de recherche et d'enseignement supérieur, regroupement transversal autour de l'université et selon une logique de site, et d’autre part, les réseaux thématiques de recherche avancée, qui privilégient une intégration verticale.

Pour mettre en œuvre ces nouvelles formes de coopérations, le projet de loi instaure également deux nouvelles structures juridiques : les établissements publics de coopération scientifique, de droit public, et les fondations de coopération scientifique, de droit privé et reconnues d'utilité publique.

Le projet de loi comportait toutefois un oubli : la recherche dans les sciences du vivant et plus particulièrement la recherche clinique. Alors même que cette discipline transversale est primordiale pour l’avenir et que les Allemands doublent leurs financements dans ce domaine, la position française s’érode. Depuis la création de l’INSERM, la coordination des sciences du vivant au sein d’un seul établissement de recherche n’a cessé d’être ajournée. En proposant de créer des centres thématiques de recherche et de soins, la commission entend offrir un cadre propice au développement de la recherche clinique.

La création d'une Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur – AERES – est au cœur de la réforme, tant l'évaluation est déterminante dans une activité où, par nature, l'excellence doit compter avant tout. Les activités scientifiques – y compris l’enseignement supérieur – feront ainsi l’objet, pour la première fois, d'une évaluation « universelle », incontestable et transparente. La commission a adopté plusieurs amendements tendant à préciser les modalités de cette évaluation et à accroître la place des personnalités étrangères.

Dernière mesure touchant à l'organisation de notre dispositif de recherche, la pérennisation de l’Agence nationale de la recherche – ANR – , qui devient un établissement public. Une agence de moyens offre la garantie que la répartition des crédits s’opère bien, conformément au principe républicain du mérite, sur la base du critère d'excellence. La commission a adopté plusieurs amendements clarifiant le rôle et les missions de l’ANR : mise en place d'un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens dont l'exécution sera évaluée par des experts internationaux ; sanctuarisation d'une partie du budget de l’Agence pour le financement de projets «blancs» ou non thématiques afin d'assurer la liberté de la recherche, condition absolue pour que naissent de véritables ruptures scientifiques ; institution, enfin, d'un régime de «préciput», autrement dit d'un mécanisme garantissant qu'une partie des crédits distribués par l'agence revienne à l'établissement qui héberge l'équipe destinataire des fonds.

Le texte œuvre enfin à la simplification administrative et à l'assouplissement des procédures, avec notamment l’application des règles des marchés publics aux activités de recherche et la valorisation des recherches menées par le secteur académique. La commission a souhaité poursuivre dans la voie du changement culturel amorcé par la loi Allègre de 1999. Elle a ainsi adopté plusieurs amendements de la commission des finances et de M. Fourgous tendant à dynamiser la recherche conduite par les PME, ainsi qu’un amendement inspiré du Bayh-Dole Act américain, dont l'objectif est d'encourager la valorisation des recherches réalisées par les agents publics.

Le texte va-t-il assez loin ? Non, dans l'idéal. Oui, si l'on tient compte des équilibres nécessaires. Dans une société complexe, les choix collectifs, ceux qui commandent l'intérêt général, sont parfois obscurcis par des réalités indiscutables : recherche académique, recherche appliquée, recherche publique, recherche privée, organismes publics, universités, laboratoires privés, unités mixtes, domaines scientifiques multiples, jeunes et moins jeunes chercheurs… portent des revendications distinctes, voire contradictoires. Les mêmes voix, empruntent parfois des voies différentes. Il est donc difficile pour l'État – mais c'est son rôle – de définir et d'imposer les règles du jeu. De ce point de vue, le projet de loi est parvenu à un point d'équilibre subtil, qui ne lèse personne et offre de réelles opportunités d'amélioration.

Cette réussite tient pour l'essentiel en un mot : liberté ! Liberté donnée aux chercheurs de s'associer ou non ; liberté de s'associer dans un pôle ou dans un réseau ; liberté de relever d'un établissement public de coopération scientifique ou d'une fondation ; liberté de prolonger les activités menées dans leur laboratoire au sein d'une entreprise ; liberté de créer des «bulles», laboratoires flottant entre universités et organismes, à l’image du Translational genomics financé à ses débuts par l’État d’Arizona mais devenu totalement indépendant, ou des « kystes », laboratoires inscrits dans une structure, tels le CITRIS de Berkeley. Mais pour que cette liberté vive, pour que la recherche vive, encore faut-il que le soutien aux projets «blancs» soit assuré. Par essence inconcevables lorsqu'elles font irruption, les véritables ruptures scientifiques ne peuvent en effet entrer dans le cadre de l'évaluation classique.

J’exprimerai pour conclure un regret. La France est un pays de taille moyenne. Elle ne sera jamais de taille à rivaliser avec les États-Unis ou la Chine. Si la rénovation du dispositif de recherche est indispensable, elle n'est donc pas suffisante : l'échelon pertinent est désormais l'Europe. Or, sur ce point, le texte reste timide. Le Sénat et la commission se sont efforcés d’apporter un peu plus d’Europe chaque fois que cela était possible. Les difficultés sont réelles pour articuler dispositif national et dispositif européen, mais la représentation nationale aura réussi son pari si le texte qu'elle adopte est « eurocompatible ». Au Gouvernement de prendre le relais !

La délégation pour l'Union européenne a adopté une proposition de résolution sur le 7ème PCRD qui sera examinée demain par la commission. Avec raison, notre collègue Garrigue insiste sur l'effort à consentir en matière de recherche au niveau communautaire et sur le rôle d'impulsion qui doit être celui de la France. Notre pays doit promouvoir de nouvelles initiatives, comme la création d'un pool d'évaluateurs européens, la mise en place d'agences de moyens thématiques ou l'adoption d'un Bayh-Dole Act européen ou d'un ensemble de mesures pour stimuler la recherche dans les petites et moyennes entreprises.

Mais toutes ces ambitions ne seront réalisables que si notre pays retrouve confiance dans le progrès. La France des Lumières et du positivisme républicain, qui a vu dans le progrès scientifique non pas seulement un fait, mais une valeur, a fait long feu. Nos sociétés contemporaines abordent désormais trop volontiers la science sous l'angle de ses impuissances, de ses péchés et de ses dangers. Si nous ne pouvons que nous féliciter de l'inscription dans notre Constitution du principe de précaution, dès lors qu'il nous enjoint de gérer les ressources naturelles et de ne pas détruire le milieu avec lequel nous faisons corps, il ne saurait devenir un principe castrateur, source de toutes les prohibitions, d'obscurantisme ou encore de nostalgie de la «douceur des lampes à huile et de la splendeur de la marine à voile». Les philosophes nous l’enseignent : sans risque, il n'y a peut-être plus de danger, mais il n' y a plus de mouvement, plus de chance et surtout plus de progrès. La plus grande source d'insécurité est assurément notre désir éperdu de sécurité. J'espère qu'aux côtés du principe de précaution, nous saurons, demain, réserver une place au principe de progrès, et que notre pays aura de nouveau une très haute idée de la science. Nous pourrons alors redonner aux chercheurs ce sentiment si vital pour la recherche qu'ils n'hésitent pas à aller le chercher hors de nos frontières : l'enthousiasme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Claude Birraux, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques II n'est pas si fréquent que la recherche fasse directement l'objet de textes législatifs. Avant la loi du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche, les dernières initiatives datent de la loi du 15 juillet 1982 établissant une programmation de l'effort de recherche jusqu'en 1985 – qui n’a certes pas été appliquée à la lettre – et de la loi du 23 décembre 1985 prolongeant cette programmation jusqu'en 1988. Auparavant, il faut remonter à la loi du 19 décembre 1961 instituant le CNES, voire à l'ordonnance du Général de Gaulle du 18 octobre 1945 créant le CEA.

Cette implication épisodique de la loi crée quelques moments de forte mobilisation suivis de période d'inattention prolongée. Comme dirait la chanson, la recherche, « j'y pense et puis j'oublie !» Il est évidemment paradoxal d'avancer cette analyse au moment où le Gouvernement s'empare de la question à bras-le-corps, mais je voudrais souligner combien il est nécessaire de profiter de cet instant de mobilisation autour de la recherche pour créer les conditions d'une attention permanente de la Nation à son égard.

Plus que jamais, la recherche est en effet devenue un pilier fondamental de notre économie, donc du maintien de notre niveau de vie. La croissance des économies développées dépend crucialement de la capacité de l'offre à se renouveler. Il faut jouer en permanence sur la diversification des produits, la baisse des coûts, l'ajout d'éléments ou de services accroissant la qualité, la mise au point de fonctionnalités nouvelles. Cet effort d'innovation repose principalement sur le dynamisme de la recherche, qui apporte les matériaux, les phénomènes et les algorithmes nouveaux dont l'industrie et les services se servent ensuite pour améliorer leur offre.

Les nouvelles théories de la croissance apparues au milieu des années quatre-vingt ont mis en évidence qu'un simple maintien du taux de croissance supposait un effort permanent d'incorporation de facteurs qualitatifs comme la recherche dans la production nationale. Selon une étude citée par le rapport du Conseil d'analyse économique de 2005 sur le financement de la recherche, la croissance américaine entre 1950 et 1993 peut être attribuée pour 50 % à l'effort de recherche et développement, et pour 30 % à l’amélioration du niveau d'éducation – ce qui fait tout de même 80 % pour la matière grise !

Mais le besoin d'un effort soutenu de recherche est aussi mis en évidence par l’observation des mécanismes à l’œuvre dans la mondialisation. Le progrès technique se diffuse inévitablement. Les échanges mondiaux s'accompagnent d'un phénomène permanent de rattrapage, dont les pays d'Europe et le Japon ont profité jusqu'au début des années soixante-dix, et qui fonctionne maintenant au profit des pays à bas salaires. Ce rattrapage conduit à une augmentation tendancielle de la productivité des entreprises de ces pays qui exercent une pression concurrentielle toujours plus forte sur les marchés mondiaux. La seule issue pour les pays développés est la poursuite de la course en tête de la productivité du travail, dont la recherche est un déterminant essentiel.

Le récent rapport pour 2005 de l’Unesco sur la science confirme la réalité de ce rattrapage : la part de l’Asie dans le montant brut des dépenses mondiales de recherche et développement a crû de 27,9 % à 31,5 % entre 1997 et 2002 au détriment des parts des Etats-Unis et de l’Europe. En Chine, le nombre de chercheurs dépasse depuis 2002 celui du Japon : 810 000 contre 646 500. En Europe, leur nombre est d'un million. Les dépenses de recherche représentent en Chine seulement 1,3 % du PIB en 2002 mais augmentent de 15 % par an depuis 2002 tandis qu’elles représentent 2,2 % du PIB en France mais ont reculé depuis 1993. Ces chiffres montrent la nécessité absolue d’un sursaut national en faveur de la recherche. Celui-ci doit se traduire par une affectation supplémentaire de ressources pour atteindre l’objectif de Lisbonne, 3 % du PIB consacré à la recherche en 2010, mais aussi par une amélioration qualitative de la politique de la recherche. L'évaluation étant bien développée dans le présent projet de loi à travers la création de l'agence d'évaluation pour la recherche et de l'enseignement supérieur, je mettrai plutôt l'accent sur l’importance de reconnaître le primat de la recherche fondamentale et celle de valoriser socialement le statut de chercheur.

La recherche fondamentale est trop souvent présentée comme une activité d'inspiration purement théorique, déconnectée des finalités commerciales. Or, du fait de l'ouverture de son champ et de sa mise en œuvre expérimentale, elle est beaucoup plus génératrice d'innovations et d’inventions pratiques que la recherche appliquée. L’histoire le montre : l'émergence de la chimie du XVIIIème siècle a fourni les clefs de l'expansion des productions textiles et métallurgiques du XIXème siècle ; la découverte des principes de l'électricité au XIXème siècle a permis l'épanouissement de toute une production nouvelle d'équipements domestiques au XXème siècle ; la physique atomique du début du XXème siècle révolutionne encore aujourd'hui les secteurs de l'énergie et de la médecine. Pour reprendre un exemple souvent cité, tous les efforts de recherche appliquée n'auraient jamais pu tirer de l'amélioration de la bougie l'idée de l'ampoule électrique.

Comme tout investissement, la recherche fondamentale constitue un « détour de production », un sacrifice immédiat pour un gain futur. Les inventions découvertes au sein du centre européen pour la recherche nucléaire ont montré combien ce gain pouvait être potentiellement gigantesque : les inventions de Georges Charpak en matière de détection des particules, qui lui ont valu son prix Nobel de physique en 1992, sont en usage aujourd'hui dans tous les scanneurs utilisés par les dispositifs de sécurité ; Internet a été mis au point en 1989 par un des ingénieurs de ce centre, Tim Berners-Lees, pour faciliter les échanges d'information entre chercheurs ; le savoir technique accumulé par le CERN dans l'expérimentation des collisions de particules sert aujourd'hui au traitement du cancer par radiothérapie.

Pour valoriser les résultats de la recherche fondamentale, il faut rapprocher laboratoires et entreprises comme a su le faire l’université de Louvain-la-neuve en recourant au modèle très original du « parc scientifique ». Ce parc compte plus d'une centaine d'entreprises employant plus de 4 000 personnes. Cet espace de locaux professionnels locatifs géré par l'université bénéficie de services d'interface avec les unités de recherche universitaires : des visites et des rencontres sont régulièrement organisées pour nouer ou intensifier des collaborations scientifiques. Cette interface est assurée par une « administration de la recherche » de vingt-deux personnes, en liaison avec une société filiale de l'université, la SOPARTEQ, qui se charge du dépôt des brevets, de la gestion des licences, des partenariats avec les entreprises et de la création des structures d'essaimage. L’université de Leuven, en Flandre, a également adopté ce type d’organisation avec IMEC comme entreprise phare. Je pourrais citer encore l’université Twente, créée il y a vingt ans sur une friche industrielle du textile, et qui a donné naissance à 600 start up employant 6 000 personnes. Nous avons là un modèle à méditer pour nos pôles de compétitivité et nos pôles recherche enseignement supérieur.

D’autre part, parce que comme l’énonçait Jean Bodin au XVIe siècle « iI n'est de richesse que d'hommes », il faut s’attacher à revaloriser le statut du chercheur en prenant des mesures budgétaires et symboliques. « Le pacte de la nation avec sa recherche » évoque justement cet aspect à travers son troisième pilier en affirmant la « marque d'estime et de confiance de la nation envers ses chercheurs ». Pour vaincre la méfiance grandissante de la société vis-à-vis de la science, il faut encourager dès l'école une culture de l'esprit scientifique en développant des opérations telles que « La main à la pâte » lancée par Georges Charpak. L'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques s'est inscrit dans cette démarche pédagogique en organisant avec l'Académie des Sciences un partenariat entre les parlementaires et les jeunes chercheurs.

En conclusion, la commission des affaires économiques a affirmé la nécessité d'un effort budgétaire conséquent en faveur de la recherche, d'une plus grande lisibilité sur l'emploi des chercheurs et d’un encouragement plus important prodigué aux entreprises pour qu’elles aident les jeunes chercheurs. S'agissant des institutions, nous avons opté pour l'auto-saisine du Haut conseil de la science et des technologies en contrepartie d'une totale transparence de ses travaux ainsi que pour une évaluation de l'Agence nationale pour la recherche réalisée au moins tous les quatre ans par des experts internationaux.

Au terme de notre débat, une étape aura été franchie mais tout restera à faire pour que s'instaure une connivence entre tous les acteurs qui permettra l'adhésion du monde de la recherche et de la société. L’esprit de recherche doit irriguer tous les vaisseaux de notre société. Ainsi, nous aurons fait œuvre utile et durable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Michel Fourgous, rapporteur pour avis de la commission des financesMon parcours m'a rendu très sensible aux enjeux soulevés par cette loi : ingénieur au CNRS, j’ai créé et dirigé une entreprise innovante – ce passage de la recherche à la direction d’entreprise est d’ailleurs encore trop rare en France – avant d’être élu il y a douze ans.

Avec ce projet de loi, vous amorcez peut-être le début d'une petite révolution culturelle. Pour la première fois, on s'attache à aider les acteurs privés et publics à travailler ensemble. Ce pays a du talent mais souffre parfois du manque d'outils pratiques et du cloisonnement entre différents mondes.

Messieurs les Ministres, vous avez réussi un petit tour de force, celui de nous présenter un texte consensuel et ambitieux malgré le climat passionné du débat. Ce projet de loi vise à rapprocher la France des meilleurs standards européens et de l'objectif de Lisbonne. Il met le doigt sur les aspects cruciaux que sont l'évaluation, la mobilité des chercheurs, le mode de raisonnement par projet plutôt que par structure, la recherche de synergie entre les acteurs, la logique de confiance et la souplesse laissée aux acteurs.

La recherche, c’est le sujet du siècle à venir car ce ne sont plus la terre, l'or ou le pétrole qui font la richesse des nations mais une autre matière première : la matière grise.

M. Olivier Dassault - Tout à fait !

M. Jean-Michel Fourgous, rapporteur pour avisPour obtenir une tonne de blé, mille heures de travail étaient nécessaires il y a un siècle : aujourd’hui il n’en faut plus qu’une. La croissance, c'est de l'argent, de la sueur et de l'intelligence. C'est au troisième ingrédient de cette recette que le texte s'attaque. Pour le psychologue Binet, l'intelligence se résumait aux capacités de synthèse et d'abstraction. J’y ajouterai la capacité à trouver des solutions aux problèmes environnementaux, technologiques, sanitaires et sécuritaires.

Une première question de fond se pose : comment atteindre l’objectif de 3 % du PIB consacré à la recherche fixé à Lisbonne ? Tout d’abord, en encourageant les PME françaises à participer pleinement à l'effort en faveur de la recherche car notre pays accuse du retard en matière de recherche privée. Pour ce faire, il nous faut commencer par ratifier le protocole de Londres. Je rappelle que ce protocole, objet de discussions animées dans les couloirs de l’Assemblée, a été adopté par les commissions des affaires économiques et des finances à l’unanimité. La France risque de rater le train de l'histoire si elle ne ratifie pas ce protocole qui permettra d’abaisser le coût de dépôt de brevet, trop élevé pour des petites entreprises, et donc d’augmenter au moins de 20 % le nombre de brevets déposés et, partant, l’activité économique. L’obligation de traduire dans toutes les langues – anglais, allemand, islandais ou slovène – qui agissait comme un garrot pour les petites entreprises, les laboratoires et les universitaires est supprimée : l'accord de Londres renforce la langue française en l'instituant comme langue officielle de l'OEB, aux côtés de l'anglais et l'allemand. Ceux qui craignent une disparition de la langue française ont donc un comportement irrationnel. Par ailleurs, dans une économie mondialisée, adopter une attitude offensive plutôt que défensive se révèle bien plus payant.

M. Olivier Dassault - Très bien !

M. Jean-Michel Fourgous, rapporteur pour avisComme le président Dubernard l’a souligné, nous devons être « eurocompatibles ». Nos partenaires ne comprendraient pas que la France freine toute synergie européenne. Les Pays-Bas nous ont contactés tout à l’heure, par l’intermédiaire de leur ambassade, pour nous informer qu’ils ratifieraient l’accord.

Il faudrait aussi, pour combler le manque endémique de business angels, se rapprocher des incitations fiscales britanniques, beaucoup plus importantes – le rapport est de un à dix. En France, il y a un « trou » dans le financement des entreprises entre 100 000 euros et un million d’euros : on laisse mourir des entreprises qui auraient un vrai potentiel de développement.

Il convient de renforcer les FCPI, formule qui fonctionne mais qui pourrait être plus efficace encore. Je propose d’augmenter les volumes collectés en relevant les plafonds, de réserver un quota à l’amorçage de nos entreprises, et d’orienter une partie de l’épargne placée en assurance-vie vers nos entreprises innovantes ; un amendement que j’avais cosigné avec Olivier Dassault, quoique discret, a ainsi déplacé plusieurs dizaines de milliards d’argent dormant vers les activités productives… Il faut également proroger les FCPI-entreprises, encourageant les grands groupes à soutenir les PME innovantes.

S’agissant du patriotisme économique, dont on parle beaucoup, je rappelle que la France compte 11 millions d’actionnaires et 22 millions d’épargnants ; le patrimoine mobile, de quelque 2 600 milliards, doit être encouragé à aller vers les activités innovantes et créatrices d’emplois.

Notre capacité à relever les défis – dans les domaines de la sécurité, de l’environnement, de la santé, de la démographie,de l’éducation…– dépendra de notre capacité à mobiliser les intelligences. La France dispose d’un réservoir quasi-inépuisable ; sachons utiliser ce potentiel. Je suis convaincu que ce projet contribuera largement à permettre à tous les acteurs de la recherche française de donner le meilleur d’eux-mêmes (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

cas de méningite en seine-saint-denis

M. Jean-Christophe Lagarde - Monsieur le ministre de l’éducation nationale, j’ai appris hier à 17 heures 30 qu’un cas de méningite d’une forme extrêmement contagieuse et souvent mortelle s’était déclaré dans une école de ma commune. L’enfant, qui heureusement va mieux, avait été hospitalisé jeudi soir dans un hôpital parisien ; or aucune information n’avait été donnée ni à l’Éducation nationale ni au maire avant hier soir, c’est-à-dire pendant plus de quatre jours. Vous imaginez l’émotion du maire que je suis, des parents d’élèves et de la communauté éducative. Cela m’amène à vous demander, ainsi qu’à votre collègue M. Bertrand, de revoir les protocoles d’alerte et d’enquêter sur les dysfonctionnements qui ont eu lieu. Pourquoi la DDASS de Seine-Saint-Denis n’a-t-elle été prévenue que lundi matin, s’agissant d’une maladie qui est diagnostiquée en quatre heures ? Pourquoi le protocole existant ne prévoit-il pas l’information directe du maire par la DDASS ? Pourquoi celle-ci n’a-t-elle prévenu l’Éducation nationale que lundi soir ? Pourquoi la DDASS se permet-elle d’établir un protocole pour endiguer les risques sans même enquêter auprès des écoles concernées ? J’ai appris ce qui se passait au directeur d’école, je l’ai appris à l’inspecteur d’académie, je l’ai appris au préfet de Seine-Saint-Denis – que je tiens d’ailleurs à remercier pour leur disponibilité jusque tard cette nuit. Pourquoi le protocole se limite-t-il aux seuls enfants de la classe ? Pourquoi, dans ce type de situation, n’est-il pas prévu de donner une information claire aux parents de l’ensemble du groupe scolaire ainsi qu’aux médecins de la ville ?

M. Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche - Je comprends l’émotion du maire de Drancy que vous êtes. Cet enfant de sept ans et demi a été hospitalisé jeudi 24 février dans la soirée à l’hôpital Robert-Debré. Les signes cliniques ne permettaient pas de faire le diagnostic précis immédiatement ; celui-ci a été fait dans la matinée du lundi 27. Les services de l’hôpital ont immédiatement prévenu la DDASS de Paris, qui a sur-le-champ transmis par fax l’information au médecin de la DDASS de Seine-Saint-Denis – à 13 heures. Un traitement a été donné à l’enfant, et un traitement préventif à la famille proche. Les médecins de l’inspection académique ont été prévenus en tout début d’après-midi, et conformément aux recommandations de la DGS, une stratégie de traitement des cas a été mise en place pour les vingt-trois enfants de la classe et l'enseignant. Les parents ont été informés et ont tous accepté de venir à une consultation médicale ce matin. Le calendrier du traitement est respecté.

Les dispositions ont donc été prises selon une procédure et un calendrier totalement conformes à la gestion médicale d'une telle situation, dont l'enjeu est bien de prévenir l'extension de la pathologie.

En ce qui concerne l’Éducation nationale, dès que l’information a été connue, lundi après-midi, les services académiques se sont rapprochés de la DDASS pour que soit mise en oeuvre la procédure prévue par la circulaire du 15 juillet 2002. Tous les services de l’État ont donc rempli leur mission à la lettre.

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recherche (suite)

M. le Président – Conformément à l’article 69 de la Constitution, le Conseil économique et social a désigné M. François Ailleret, rapporteur de la section des activités productives, de la recherche et de la technologie, pour exposer devant l’Assemblée l’avis du Conseil sur le projet.

Mesdames et Messieurs les huissiers, veuillez faire entrer M. le rapporteur du Conseil économique et social.

M. François Ailleret, rapporteur du Conseil économique et social – Le 5 octobre dernier, le CES a été saisi par le Gouvernement d'une demande d'avis sur le projet de loi de programme pour la recherche. Le travail de préparation a été confié à la section des activités productives, de la recherche et de la technologie, qui m'a désigné comme rapporteur. L'avis a été adopté en séance plénière le 16 novembre par 74 % des 184 votants. En voici les principaux éléments.

Depuis quelques années, le thème de la recherche est très présent dans la société française, ce qui est évidemment satisfaisant. Les débats, les études ont été utiles. Chacun comprend bien que la problématique de la recherche en France va bien au-delà des seuls moyens budgétaires de la recherche publique ou du nombre et du statut juridique des chercheurs. Le projet gouvernemental vient en son temps, alors que beaucoup ont pu réfléchir et s'exprimer sur ce sujet qui conditionne l'avenir de notre pays.

Les enjeux sont considérables, s'étendant du court terme au très long terme et allant de l'aspiration immémoriale de l'homme à repousser les limites de la connaissance jusqu'aux retombées les plus concrètes. C'est bien entendu dans une perspective européenne et mondiale qu'il convient de se situer, mais cela n'exclut pas, bien au contraire, la nécessité au niveau national d'une vision, d'une stratégie, d'une organisation, d'une programmation des moyens et d'une régulation de l'ensemble.

Le CES a formulé son avis sur chacun des piliers de l'exposé des motifs du projet de loi, puis sur les objectifs, enfin sur les moyens programmés. Il a présenté également des recommandations.

Le CES a jugé positivement une série de dispositions, le plus souvent nouvelles, mais parfois aussi confirmant ou prolongeant des décisions récentes : création d'un Haut conseil de la science et de la technologie ; mise en place de l'Agence d'évaluation de la recherche ; appui à la coopération, notamment par les pôles de recherche et d'enseignement supérieur ; rôle essentiel de l'Agence nationale de la recherche pour le financement des projets ; allégement des contrôles et procédures, qui responsabilisera les gestionnaires de la recherche publique et leur donnera des marges de liberté ; mesures ô combien nécessaires pour rendre les carrières scientifiques plus attractives ; reconnaissance du doctorat comme première étape professionnelle ; bourses Descartes ; décharges d'enseignement, en particulier pour les jeunes enseignants-chercheurs ; aides diverses pour la recherche et l'innovation dans les PME, les Instituts Carnot, les pôles de compétitivité ; enfin, appuis pour accéder aux financements européens et volonté d'une coopération renforcée en Europe.

Ces avancées sont incontestables, mais elles ne constituent qu'un premier pas. C’est la raison pour laquelle nous avançons un nombre important de propositions, dont certaines pourraient être retenues dès le débat parlementaire, et dont je rappellerai simplement les principaux thèmes ou objectifs : assurer une composition équilibrée et l'indépendance du Haut conseil de la science et de la technologie et de l'Agence d'évaluation de la recherche ; préciser la mission et le mode de fonctionnement du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie ; contribuer à l'émergence d'une recherche européenne et orienter davantage les financements européens vers la recherche amont ; engager la préparation d'une loi d'orientation et de programmation sur l’enseignement supérieur ; revaloriser notablement et par étapes la rémunération des chercheurs, principalement en début de carrière ; établir un plan pluriannuel des embauches, pour prévenir les distorsions de la pyramide des âges dans la recherche publique ; approfondir la notion de "campus de recherche" ; veiller à une rapide montée en régime des Instituts Carnot ; accroître l'aide aux PME pour qu'elles se développent davantage dans le domaine des technologies avancées ; enfin, atteindre l'objectif de Lisbonne de 3 % du PIB dévolus à la recherche dans les dix années à venir, et, à cet effet accroître progressivement les financements publics et privés de la recherche et établir une programmation budgétaire contraignante, au moins pour les cinq ans à venir. Telles sont nos propositions.

Pour clore la présentation de l'avis du CES, je veux mettre l'accent sur la dimension du temps, essentielle dans cette affaire. Il faut à la fois voir loin et agir vite. Agir vite, parce que du temps a été perdu, que l'écart se creuse avec certains pays et que de nouveaux acteurs apparaissent, animés d’une formidable volonté de puissance : la Chine, l'Inde, la Corée du Sud, le Brésil, d'autres encore. Il a été dit : "Dans le monde d'hier, les gros mangeaient les petits ; dans le monde de demain, les rapides mangeront les lents". Déjà, des pays rapides – petits ou gros – ont, grâce à leur recherche et à leur enseignement supérieur, mangé une partie du marché de l'industrie ou des services : la Finlande avec la téléphonie mobile, la Corée du Sud avec l'imagerie, l'Inde avec l'informatique, etc. Hier, la France était parmi les gros et ce sont les petits qui étaient menacés. En matière de recherche, pour conserver nos atouts, pour entretenir le progrès économique et social, nous devons nous attacher à ne plus être demain parmi les lents, comme nous le sommes encore trop souvent aujourd'hui. Pour la recherche, cela engage les acteurs de la vie politique, économique et sociale et aussi bien le secteur public que le secteur privé. Aussi, dans la mise en œuvre de la loi qui sera votée par le Parlement, il faudra rester simple et aller vite, sans escamoter cependant les concertations et négociations indispensables, de sorte que le projet soit partagé et donc appliqué efficacement.

J'en viens aux positions prises en séance plénière par les différents groupes du Conseil économique et social. Des convergences fortes sont apparues, sans que l'on puisse parler d'unanimité : convergences autour des avancées, sous réserve qu’elles soient suivies d’autres pas, mais aussi convergences sur certaines critiques, sur des voies d'amélioration et sur la vigilance qui s'impose. Ainsi, la création de nouvelles instances présente un risque de complexité excessive et il conviendra de simplifier. De même, l'introduction de financements par projets ne doit pas démunir les structures qui ont besoin de crédits réguliers et suffisants. Ensuite, la taille de notre pays et son appartenance à l'Union européenne doivent le conduire à défendre des priorités stables et des choix clairs, au besoin courageux. Ce sera le rôle du Haut Conseil de la science et de la technologie que de les proposer. Enfin il faudra veiller à une juste répartition des moyens entre recherche amont et recherche aval et s'attacher à une continuité entre elles.

En séance plénière du Conseil, considérant le projet gouvernemental et le projet d'avis comme trop éloignés des attentes et propositions de la communauté scientifique, les groupes de la CGT et de l'UNSA ont voté contre le projet d'avis et le groupe FO s'est abstenu. Les groupes de l'agriculture, des personnalités qualifiées et de la coopération ont très majoritairement voté pour. Enfin, pour la totalité de leurs membres présents, le projet d'avis a été adopté par les groupes de l'artisanat, des associations, de la CFDT, de la CGC, de la CFTC, des entreprises privées, des entreprises publiques, de la mutualité et de l'UNAF. En définitive, le projet d'avis du Conseil économique et social a été approuvé par 74 % des 184 votants (Applaudissements sur divers bancs).

M. le Président – Monsieur le Rapporteur du Conseil économique et social, l’Assemblée vous remercie.

EXCEPTION D’irrecevabilité

M. le Président - J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Pierre Cohen - Le 7 janvier 2004, le collectif «Sauvons la recherche » lançait une pétition pour exprimer l’exaspération de la communauté scientifique à l’issue de deux ans de gels de crédits et d’annulations de postes, la recherche se trouvant sinistrée. Dès lors, le triomphalisme de M. Goulard sur le maintien des moyens laisse songeur : au terme de quatre ans de gouvernement de droite, le budget pour 2006, loin de progresser dans des proportions suffisantes, se contente de suivre l’augmentation du coût de la vie (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste). Consciencieusement méprisés par M. Raffarin, les chercheurs et l’ensemble des personnels de la recherche éprouvent peut-être aujourd’hui un sentiment de colère un peu moins vif, mais l’enjeu ne se borne pas à une remise à niveau des créations de postes ou à l’augmentation des moyens. Un seuil critique avait été atteint, au point que beaucoup se demandaient si la recherche avait encore un avenir dans notre pays ! Au reste, je concède que depuis vingt ans, la recherche ne figure plus dans les premières priorités de nos programmes respectifs, la pertinence de cette relégation devant être mise en cause au regard du rôle que notre nation prétend jouer.

Dans les années 1960, la recherche s’est inscrite dans une démarche gaullienne et étatiste fondée sur de grands programmes liés à la reconstruction et à l’affirmation de l’indépendance du pays, qui ont de surcroît permis de définir des orientations stratégiques. En témoignent les avancées du nucléaire, de l’aéronautique ou des médicaments, ou encore le plan Calcul. Dans la décennie suivante, sous l’impulsion de M. Giscard d’Estaing, s’est amorcée une remise en cause de l’effort de recherche. Heureusement, les Assises de la recherche, voulues par François Mitterrand et orchestrées par Jean-Pierre Chevènement, ont fait entrer notre politique de recherche dans une nouvelle phase de développement, la recherche mise au service d’une ambition de prestige et d’indépendance nationale laissant la place à une politique plutôt mise au service de la société. Les programmes élaborés alors visaient à soutenir le dynamisme économique, à développer l’emploi – notamment dans les entreprises nationalisées – et à apporter des réponses d’intérêt général en s’appuyant sur les sciences du vivant, et de l’information, sur les sciences humaines et sociales, etc. Plus près de nous, alors que la recherche a affirmé continûment son indépendance, la communauté scientifique a essuyé des revers du fait de l’apparition de risques qu’elle peine à maîtriser : le sida, l’amiante, les OGM, la vache folle, la grippe aviaire, le chikungunya… Dans un contexte mouvant, cette évolution a créé des confusions entre recherche, techniques et technologie.

Forts de ces constats, il est urgent que nous donnions à notre recherche une nouvelle ambition, que nous précisions ses objectifs et les conditions dans lesquelles nous pouvons la soutenir. La France et l’Europe peinent à être au rendez-vous du nouveau siècle et il ne faut pas attendre de ce texte qu’il leur apporte un nouveau souffle. Pour prévenir les faux débats entre recherches fondamentale et finalisée, je tiens à préciser d’emblée que nous avons toujours considéré la recherche comme un facteur de croissance économique tout à fait essentiel. D’ailleurs, c’est certainement sous la gauche que se sont développés les principaux dispositifs de transfert et de valorisation de la recherche, les incubateurs, les pépinières et autres incitations à la création d’entreprise. Alors, pas de caricature ou de procès d’intention, mais une question simple : la recherche peut-elle se limiter à cela ?

Tendant à l’avancée de la connaissance, la recherche peut certes connaître des revers ou se retrouver dans des impasses. Pourtant, en tant que Français héritiers des Lumières et défenseurs des valeurs fondamentales – dont la laïcité –, nous avons un rôle à jouer dans le monde pour que cette connaissance soit libre et universelle. Et si j’insiste sur ce point, c’est parce que ce texte aurait dû être l’occasion de l’aborder. Las, le projet qui nous est soumis est bien loin de ce type de préoccupations et je m’attacherai à le démontrer.

J’ai tenté de livrer une vision globale de la recherche mais je pense qu’il n’est pas inutile de débattre aussi de la manière dont elle se conduit. S’il est bien quelques savants géniaux, l’avancée de la connaissance procède le plus souvent d’un long travail, tant individuel que collectif. L’entretien donné ce mois-ci à la revue La Recherche par Yves Chauvin, prix Nobel de chimie 2005, illustre la dimension collective du travail de recherche et son caractère non linéaire dans le temps, le processus de dévoilement étant, le plus souvent, discontinu. Entamées dans les années 1950, les recherches de M. Chauvin sur la métathèse n’ont – malgré la liberté offerte par l’Institut français du pétrole qu’il a rejoint au tournant des années 1970 – réellement abouti qu’en 1990 et avec le concours de nombreux autres chercheurs, français et étrangers. Chauvin rappelle que, pendant longtemps, ses travaux semblaient n’intéresser que peu de monde, seul un journal allemand de faible notoriété publiant leurs résultats. A l’instar de toutes les autres, une recherche nobellisée – l’attribution du prix constituant, parmi d’autres, un critère d’excellence peu discutable – procède d’un effort collectif, ouvert sur l’extérieur et accompli dans un cadre de travail le moins contraignant possible, dans des conditions stables et sereines et avec des moyens non soumis aux aléas des appels d’offres ! Or ce projet, qui aurait pu être élaboré plus rapidement, qui aurait dû reposer sur le socle accepté par tous au moment des états généraux de 2004, me semble étranger à une telle vision.

D’abord, le Haut Conseil supérieur de la recherche éclairera seulement les décisions du Président de la République et du Gouvernement : vous voulez placer la recherche sous la responsabilité exclusive de l’exécutif, laissant à l’écart la représentation nationale qui, comme M. Birraux l’a remarqué a bien peu l’occasion d’en traiter…

M. le Président de la commission – C’est vrai.

M. Pierre Cohen - … mais aussi l’ensemble de la société. Quant à l’Agence nationale de la recherche, son conseil d’administration est tout entier nommé, ce qui est encore un élément de rupture. Par ailleurs, le recours aux seuls appels d’offres pour impulser la recherche ne sera-t-il pas au détriment des grands organismes et des universités ?

L’organisation territoriale et thématique de la recherche présente un autre risque. Pour ce qui est des pôles de recherche et d’enseignement supérieur, vous pouviez, comme le demandaient les états généraux, leur donner seulement un rôle de coordination afin d’assurer une dynamique commune. Mais vous leur ouvrez tout un éventail de possibilités et faites intervenir des fondations. Quant aux réseaux thématiques, ils visent bien à la création de quelques pôles d’excellence. D’ailleurs même la Conférence des présidents d’université, jusqu’alors assez favorable à ce projet, s’en inquiète. Nous sommes certes favorables au débat national sur les orientations de la politique de recherche, au soutien apporté à des projets émergents et interdisciplinaires. Mais, sans vous faire de procès d’intention, la droite a trop souvent critiqué l’organisation et l’utilité du CNRS pour que nous ne soyons pas inquiets sur les moyens qui lui seront accordés, et sur le fait qu’il sera jugé sur la qualité de la recherche.

S’agit-il d’un problème de moyens ? Pas seulement, mais également. Beaucoup de personnels vont partir en retraite de 2008 à 2012 – ou un peu plus tard, après la réforme de M. Raffarin.

Mme Martine David - C’est vrai !

M. Pierre Cohen – Or, dans ce projet, vous ne présentez pas de programmation de l’emploi. M. Goulard a parlé de continuité entre l’action de M. Raffarin et celle de M. Allègre. En réalité, en tant que rapporteur pour avis du budget de la recherche en 1999, j’avais mis en garde contre la faiblesse de l’effort pour la recherche – au point de m’interroger sur le soutien à accorder à ce projet. Lionel Jospin nous ayant demandé un rapport, M. Le Déaut et moi-même lui avions fait un certain nombre de propositions. Il en avait retenu le projet de programmation pluriannuelle et, dans les deux dernières années de son gouvernement, on avait ainsi créé des emplois, amorçant une réponse pour les années 2008-2012. Vous vous contentez d’annoncer des emplois pour 2006 et 2007. Or – nous en faisons les frais dans le domaine de la santé –, il faut huit à quinze ans pour former une génération de chercheurs. C’est pourquoi nous proposons la création de 4 500 postes par jusqu’en 2010. Cela permettrait aussi de traiter un autre problème, qui est que les jeunes se détournent des études scientifiques ou, quand ils s’y engagent, ne trouvent pas de débouchés. On sait que beaucoup partent aussi à l’étranger. Les responsables de laboratoires l’exigent, et c’est naturel. Mais le problème est que ces jeunes ont beaucoup de mal à revenir en France, parce que les postes manquent et que les mécanismes d’embauche ne favorisent pas leur réintégration.

Sur un plan plus général, les jeunes se désintéressent de la science et des carrières scientifiques, en particulier les jeunes filles. Il aurait fallu essayer de les y intéresser dès le lycée. De même, les jeunes des quartiers défavorisés ont des compétences. Pourquoi ne pas les orienter, comme on l’a fait pour Sciences po, vers les métiers de la recherche, par un soutien approprié ? Depuis des années, je demande aussi, sans guère d’écho, qu’on donne toute sa place à la culture scientifique et technique dans notre pays. Il faudrait instaurer, au lycée, en le plaçant sur le même plan que l’éducation civique, un enseignement de culture scientifique pour que les citoyens adultes soient à même de discuter des enjeux de la science. Leur incapacité à le faire était manifeste lors de crises comme celle de la vache folle, avec des conséquences négatives pour la science elle-même. A la faveur de la décentralisation, on aurait pu de même donner aux collectivités locales compétence pour créer des centres culturels scientifiques et techniques. Votre projet n’aborde aucun de ces aspects : vous ne vous souciez pas de réconcilier la jeunesse avec la science !

Ce que j’ai dit sur l’absence de programmation de l’emploi vaut pour les finances, de façon générale. Si le Sénat n’avait pas fait ajouté un tableau qui porte engagement jusqu’en 2010, votre projet ne portait que sur 2006 et 2007, – ce qui est d’ailleurs une forme de responsabilité, puisque vous n’êtes sûrs d’être aux affaires que jusqu’à cette date ! Mais le débat, du moins, aurait dû porter au-delà de cette période, tout comme il aurait dû – et pu – transcender les clivages partisans pour aboutir à un projet largement consensuel (Assentiment sur les bancs du groupe socialiste). Or sur les deux derniers budgets, nous vous avons mis en garde sur le « vrai-faux milliard » que vous ajoutez. Pour 360 millions, il correspond au crédit impôt-recherche, sur l’utilisation duquel nous demandons un rapport depuis des années. D’autre part, qui peut dire comment le produit de cette défiscalisation sera utilisé dans les quatre années qui viennent ? Outre que le risque d’effets d’aubaine est connu, nous ne voyons pas là le levier propre à convaincre le privé de s’engager davantage dans l’effort de recherche.

Heureusement que l’amendement Dubernard a introduit la notion de budget à euro constant ! Cela nous garantit au moins une progression chaque année de l’ordre de 2 %, mais nous sommes quand même loin des 10 % de progression annuelle nécessaires pour atteindre l’objectif fixé à Lisbonne, à savoir consacrer 3 % du PIB à la recherche en 2010.

Sur le plan financier, notre autre crainte est qu’en 2010, l’ANR ait à elle seule autant que l’ensemble des organismes et universités réunis, hors salaires. C’est en tout cas ce qui ressort du tableau. Ce serait une situation déséquilibrée, les organismes et universités étant alors réduits à répondre aux appels d’offres d’une Agence pilotée par l’exécutif. Si les choses devaient vraiment évoluer ainsi, la recherche s’en trouverait stérilisée, sauf peut-être dans quelques domaines, ceux des pôles d’excellence.

Autre problème financier important : reconnaître la valeur des jeunes doctorants. Les allocations de recherche ne doivent plus flirter avec le SMIC…

M. le Ministre délégué – Qui les a bloquées ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Pierre Cohen - Nous les avons augmentées les deux dernières années, alors que vous, depuis quatre ans que vous gouvernez, vous n’avez rien fait, si bien que ces allocations repassent sous le SMIC. Il faut qu’elles soient fixées au moins à une fois et demie le SMIC et qu’elles soient indexées de façon à maintenir cet écart.

M. le Président – Si M. Hollande veut parler avant le dîner…

M. Pierre Cohen - Il faut que j’aille plus vite ?

M. le Président – Voilà.

M. Pierre Cohen – Il faut que les conventions collectives intègrent cette reconnaissance des jeunes doctorants. Nous défendrons un amendement en ce sens. Nous proposons qu’ils aient un CDD pendant la thèse, ouvrant droit à l’indemnisation chômage et à la retraite, et qu’en cas d’intégration dans la fonction publique, la période soit comptée dans le calcul de l’ancienneté.

Au total, ce projet n’est pas conforme aux attentes de la communauté scientifique. Sur le site « Sauvons la recherche », je n’ai d’ailleurs dénombré que 200 réponses favorables à ce projet, sur 10 000 ! Le pilotage que vous prévoyez laisse en effet craindre des réponses à court terme et utilitaristes. Le projet ne nous donne pas non plus les moyens de faire de la recherche une priorité européenne. Nous avons pourtant su la dynamiser dans certains domaines, je pense en particulier à l’espace, mais qu’en sera-t-il demain ? Comment demander plus de moyens sur le budget européen tout en exigeant une PAC maintenue et en limitant les participations des États ?

Pour faire de la France la première dans quelques disciplines, vous prenez le risque, Monsieur le ministre, de la mettre en panne dans le champ plus vaste de la connaissance, oubliant par là que ce n’est pas en cherchant à améliorer la bougie que l’on a inventé l’électricité ! Ce projet de loi pourrait bien affaiblir la contribution – pourtant historique ! – de la France au savoir. C’est pourquoi j’invite l’Assemblée à voter cette exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président – Sur le vote de l’exception d’irrecevabilité, je suis saisi par le groupe socialiste d’une demande de scrutin public.

M. le Rapporteur - Tout en saluant la compétence de M. Cohen, le ton de son propos et son honnêteté intellectuelle, je suis obligé de dire que rien dans son discours ne justifie une exception d’irrecevabilité. Il a certes posé une série de questions pleines de bon sens, mais sans y apporter de réponse.

Vous avez dit, Monsieur Cohen, que l’innovation était toujours le fruit de l’intelligence – de plusieurs intelligences, dans le temps comme dans l’espace – et de la liberté. Je suis tout à fait d’accord. Ce projet apporte précisément la liberté nécessaire.

Vous avez critiqué le Haut Conseil, mais puisque vous avez cité la recherche spatiale en exemple, rappelez-vous que sans le comité des sages mis en place naguère par le général de Gaulle, la France n’aurait sans doute pas autant investi qu’elle l’a fait dans ce domaine, qu’une grande partie de l’opinion ne jugeait pas très prometteur ni très intéressant. C’est aussi grâce à lui qu’elle a pris l’orientation du nucléaire.

Je vous rappelle aussi qu’à ses débuts, le CNRS était une agence de moyens, comme l’ANR. C’est peut-être parce que certains universitaires ont décrété que la vraie connaissance n’était pas la connaissance appliquée, alors que nous savons bien que recherche fondamentale et appliquée sont inséparables, que le CNRS a ensuite dévié et qu’il est aujourd’hui absolument indispensable de se doter d’une agence de moyens. Notons cependant que cette année, 30 % des crédits de l’ANR sont allés au CNRS, en plus des moyens dont ce dernier dispose.

Vous avez posé des questions intéressantes sur la science et les jeunes, la science et les femmes, questions qui méritent un vrai débat mais qui sont assez loin du projet. S’agissant de la programmation des postes, je rappelle la comparaison qui a été faite entre les 800 créés sous la précédente législature et les 3 000 que nous ouvrons ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Sur la programmation financière, nous étions tous d’accord, au Sénat et en commission, mais nous nous heurtons à l’obstacle de l’article 40, et, évoquée par certains, à la proximité de l’échéance de 2007. Reste que j’ai déposé l’amendement sur ce point !

Comme l’a souligné M. Cohen à plusieurs reprises, nous aurions donc pu pourvoir à un consensus, sur ce sujet si important pour notre économie, pour notre société et pour la santé de nos concitoyens. Alors que le Gouvernement aurait sans doute été disposé à faire quelques pas en avant pour y parvenir, je regrette que des postures politiques nous éloignent d’une telle perspective et que ce beau rêve n’ait été qu’une bulle (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Pierre Albertini – J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les propos de notre collègue Pierre Cohen, mais force est de constater qu’il existe un hiatus entre ses observations, qui ne manquent pas d’à-propos, et l’absence de fondement de sa motion d’irrecevabilité. Il aurait fallu nous démontrer qu’il n’y a pas lieu de débattre !

Par ailleurs, Monsieur Cohen, vous cultivez le paradoxe quand vous mettez en évidence l’urgence d’un plus grand soutien à notre recherche tout en prétendant qu’il n’y a pas lieu d’en débattre ce soir (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Comme l’a indiqué le rapporteur du CES, nous devons d’autant plus en discuter que ce projet représente un premier pas nécessaire, même si on le juge insuffisant.

En effet, notre pays doit désormais accorder des moyens supplémentaires aux acteurs de la recherche, tant il a laissé se dégrader l’enseignement supérieur depuis trente ans. Nous avons arbitré en faveur des collègues et des lycées au-delà de ce que la raison exigeait, oubliant que plus de la moitié de la recherche est le fait d’équipes issues de nos universités, quoique souvent associées aux grands organismes. Si 27 % de crédits supplémentaires doivent être alloués en six ans grâce à ce projet de loi, rappelons-nous que nous partons de très loin !

S’agissant des dispositifs institutionnels prévus par le projet de loi, vous avez dénoncé une certaine complexité. Tout le monde convient pourtant que l’évaluation doit être renforcée, même si les chercheurs savent eux-mêmes où ils se situent les uns par rapport aux autres. En revanche, nous ignorons tout de la place qui sera faite aux grands organismes, aux jeunes, aux universités, ou encore aux projets individuels. Il est question d’équilibre, mais rien ne permet de le garantir en l’état actuel du texte.

Ajoutons que l’effort des entreprises privées est notoirement insuffisant, et que nous sommes loin de l’objectif de Lisbonne. En effet, l’effort de recherche et développement n’a pas cessé de se dégrader dans notre pays, ce qui explique d’ailleurs dans une large mesure le déficit de notre balance commerciale.

Enfin, il me semble que l’encouragement donné aux jeunes chercheurs reste insuffisant : 1 400 euros bruts leur seront accordés à partir du premier 2006, ce qui représente à peine le niveau du SMIC !

Au total, avec ce texte, on reste donc au milieu du gué, mais telle est précisément la raison pour laquelle nous devons en débattre !

M. Pierre Lasbordes - J’adhère totalement aux propos de notre collègue Albertini pour ce qui est de l’exception d’irrecevabilité : je n’ai guère été convaincu par l’exposé de Pierre Cohen.

En quoi un Haut Conseil élu serait-il en effet plus légitime qu’un collège nommé ? Si vous acceptez les PRES, vous dénigrez les réseaux thématiques, mais pourquoi devrions-nous avoir honte d’avoir des chercheurs excellents ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Vous affirmez en outre qu’il ne s’agit pas d’une loi de programme en vous référant à la programmation hâtivement décidée par le gouvernement Jospin, qui ne proposait pourtant que 800 postes supplémentaires en dix ans, alors que nous en créons 3 000 !

S’agissant du crédit impôt recherche, que vous remettez en cause, celui-ci doit effectivement faire l’objet d’un rapport, mais nous nous réjouissons tous qu’il favorise l’embauche des jeunes docteurs.

Enfin, vos critiques contre l’ANR font peu de cas du soutien de la communauté scientifique, qui estime dans son ensemble que ses premiers pas ont été un succès. C’est que vous n’acceptez pas le changement, Monsieur Cohen, et que vous ne vous souciez guère des chiffres. Ceux-ci démontrent pourtant que les allocations de recherche n’ont pas augmenté de 1997 à 2002, alors qu’elles ont été revalorisées de 30 % depuis !

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP rejettera donc votre exception d’irrecevabilité, et je regrette que nous ne parvenions pas à trouver un accord sur un tel sujet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Yves Le Déaut – Nous nous accordons tous sur le constat dressé lors des états généraux de Grenoble en 2004 : la recherche n’a rien d’une priorité en France à l’heure actuelle. Un certain nombre de propositions ont alors été mises sur la table, comme la création d’un Haut Conseil de la science et de la technologie ou celle des pôles régionaux de recherche et d’enseignement supérieur.

Or, nous avons aujourd’hui l’impression de nous trouver face à une occasion manquée. Pour remédier aux carences actuelles, ce sont des efforts bien supérieurs qui seraient nécessaires : avec votre projet, nous ne sommes qu’au tiers du gué !

Roger-Gérard Schwartzenberg reviendra tout à l’heure sur la question des postes supplémentaires, mais je voudrais préciser dès maintenant que vous oubliez les emplois créés dans l’enseignement supérieur par Jack Lang, emplois que le Gouvernement Raffarin s’est empressé de supprimer – et ce fut d’ailleurs sa première décision...

M. le Président – Avant de vous laisser poursuivre, je vous indique que je lèverai la séance à 19 heures 30, le président Jean-Louis Debré organisant à l’hôtel de Lassay une réunion sur les droits d’auteur dans la société de l’information.

M. Jean-Yves Le Déaut - Pour conclure, il nous semble que l’exception d’irrecevabilité présentée par Pierre Cohen est parfaitement justifiée. De plus grands efforts sont nécessaires pour notre recherche.

A la majorité de 89 voix contre 33 sur 123 votants et 122 suffrages exprimés, l’exception d’irrecevabilité n’est pas adoptée.

question préalable

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

La parole est à M. François Hollande, pour une durée qui ne peut excéder trente minutes.

M. François Hollande - S’il est un sujet qui devrait nous réunir, c’est bien l’avenir de la recherche. Sur le rôle de la science dans notre pays et l’effort que nous devons y consacrer du fait de l’avènement de la société de la connaissance, nous devrions en effet pouvoir dépasser les clivages politiques habituels.

Sur bien des points, votre texte devrait être complété, amélioré et enrichi, car dans le monde actuel, ce sont les pays qui investissent le plus dans la recherche et l’innovation qui s’en sortiront le mieux. Sur ce point précis, les évolutions qui ont lieu aux Etats-Unis offrent une référence pertinente pour notre action, même si ce pays n’a rien d’un modèle en soi. Ce qui se passe en Chine ou en Inde devrait également nous interpeller tous, tant les investissements d’avenir y sont considérables. L’Europe a certes conscience qu’elle ne peut rester à l’écart de cet enjeu : en 2000, la stratégie de Lisbonne a mis au premier rang la société de la connaissance. Mais ce qui nous inquiète le plus est que le défaut d’investissement dans la recherche est l’une des causes du déficit de notre commerce extérieur : les 26 milliards d’euros de déficit de notre balance commerciale sont un révélateur de l’inadaptation de notre offre productive à la demande internationale.

La recherche est donc la première condition de la croissance. Nous n’inventons rien : dès le milieu des années 1950, Pierre Mendès France affirmait, lors du colloque « historique » de Caen, que « le développement de la science est, au premier chef, affaire politique ».

M. le Ministre délégué - Cela a déjà été cité.

M. François Hollande – Quelques années plus tard, le général de Gaulle satisfaisait à cette ardente obligation. Aujourd’hui, vous nous présentez un plan, un pacte, une loi, un programme – ou ce qui en tient lieu – et au lieu d’un effort clair, nous avons un saupoudrage de mesures.

Au reste, vous n’avez cessé, depuis 2002, de décourager la recherche, de réduire les crédits, de démotiver les personnels. Dois-je rappeler que les organismes publics de recherche ont subi en 2003 des coupes budgétaires et des annulations de crédits sans précédent ? Partout, des projets ont été gelés, des recrutements taris. Il a fallu le grand mouvement de 2004 pour réveiller les consciences. En janvier 2004, le Président de la République estimait enfin qu’il fallait répondre à la demande des chercheurs, qui, au-delà, est aussi celle de la communauté scientifique, et finalement de la nation. Il a fallu attendre près de deux ans pour que cette volonté se traduise par une loi. Vous n’en avez pas moins succombé à la tentation du «coup par coup» : vous avez émietté et dispersé là où il aurait fallu une concentration de moyens !

Faute d’effort suffisant en faveur de la recherche, nous négligeons aussi l’enseignement supérieur. Ne pas avoir lié les deux est d’ailleurs un des défauts majeurs de votre texte (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

La notion de déclin est évoquée à l’envi, et pas seulement dans les cénacles universitaires ou intellectuels. Mais ne pas consacrer suffisamment à la recherche, c’est entretenir ce déclin.

Prenons la mesure du retard français. Le palmarès n'est guère flatteur : nous ne consacrons que 2,2 % de notre PIB à la recherche, contre 3,7 % en Suède, presque autant au Japon et 2,8 % aux États-Unis. La France compte 6,5 chercheurs pour mille actifs, contre plus de 9 au Japon et 8 aux États-Unis. Elle dépose un brevet quand l'Allemagne en dépose deux. L'investissement français dans la «connaissance» – recherche- développement, enseignement supérieur, logiciels – est inférieur à la moyenne européenne. Votre projet tient-il compte de cette misère de l’enseignement supérieur ? Mesure-t-il l’écart entre les souhaits des chercheurs et les réalités budgétaires ? Dans les classements internationaux – même s’il faut à mon sens s’en méfier, car ils sont souvent arbitraires –, la première université française n'arrive qu'au quarante-sixième rang mondial. Très loin derrière les universités américaines, britanniques et japonaises.

À l’heure où nous sommes confrontés à des crises majeures – le Premier ministre recevait cet après-midi les présidents de groupes et de partis politiques pour évoquer la grippe aviaire et l’épidémie de chikungunya –, force est de reconnaître le déficit chronique de notre recherche universitaire en matière de santé publique. Le législateur avait pourtant décidé il y a quelques années la création d'une École des hautes études en santé publique. Où est-elle ? Les décrets n’ont même pas été publiés ! Les grands organismes de recherche eux-mêmes se demandent où est leur place dans votre projet.

Présenté tardivement, sans véritable concertation avec les chercheurs – quelle pitié que de voir aujourd’hui manifester 1 000 chercheurs qui pourraient être dans leurs laboratoires ! –, votre projet n’est qu’un cache-misère. Il ignore des pans entiers de l'architecture de notre recherche : rien sur les universités, hormis la création des pôles d'enseignement et de recherche, dont la finalité reste à préciser ; rien sur l’attractivité des carrières scientifiques ; rien sur les primes et le service des jeunes maîtres de conférences ; rien sur le statut du doctorant, si ce n'est une maigre augmentation des allocations, qui resteront en dessous du SMIC. A court d'idées, vous allez même jusqu'à consentir la possibilité de postuler à l’emploi de Professeur des universités sans condition d'ancienneté. Mais savez-vous qu’elle existe déjà ? Ce que vous osez appeler une programmation des moyens n’est finalement qu’un leurre. En effet, si le financement public de la recherche est programmé pour passer de 19,8 milliards d'euros à 24 milliards, la hausse moyenne n’est que de 4 %. Cet après-midi encore, M. Brézin constatait dans un article que ces 4 % cachaient en réalité, compte tenu de la croissance du PIB et de l’inflation, une stagnation de l’effort de recherche. Y a-t-il vraiment là le sursaut nécessaire ?

Vous allez invoquer les contraintes budgétaires. Vous les connaissez certes mieux que moi, puisque vous avez renvoyé l’effort après 2007. Vieille méthode de votre gouvernement, qui consiste à légiférer pour autrui ! Baisse des impôts, réduction de la dette publique, tout est renvoyé à après 2007 ! On doute d’ailleurs des instruments que vous utilisez : vous recourez aux incitations fiscales, et même aux recettes des privatisations espérées ! Que reste-t-il d’ailleurs à privatiser ? Il n’y a guère plus qu’EDF, ce qui ne laisse pas d’inquiéter, car s’il est un domaine où la recherche doit être stimulée, c’est bien celui de l’énergie !

M. le Ministre délégué – Et nous le faisons !

M. François Hollande - Pas de moyens nouveaux, des hypothèses incertaines et des facilités financières qui les rendent peu crédibles, voilà ce qu’il y a en somme dans votre projet.

Et que dire de la nouvelle architecture de la recherche ? L’inflation n’est pas budgétaire, elle est administrative, avec autant d’institutions qu’il y a d’intentions : Agence nationale de la recherche, Agence nationale de l'innovation industrielle, Agence d'évaluation de la recherche, Haut Conseil de la science et de la technologie, Conseil supérieur de la recherche et de la technologie... Bref, il y aura bientôt plus de fonctionnaires pour organiser la recherche que de chercheurs ! Et si c’était tout le Centre national de la recherche scientifique qui était visé ? La manière dont votre gouvernement a géré la crise récente du CNRS et limogé un directeur général qu’il avait pourtant nommé, puis soutenu dans sa volonté de réforme et d'ouverture à l'Europe, est en tout cas un mauvais présage. Créer une agence de moyens est une bonne idée pour favoriser une synergie entre les différents établissements de recherche et les projets des chercheurs. Mais cette agence accapare l'essentiel des crédits et exerce un quasi-monopole sur les fonds incitatifs et donc sur la politique de recherche au détriment des organismes, c’est que ceux-ci n’ont plus leur place.

Votre projet est finalement aussi vide que confus. Il maintient en effet une ambiguïté entre recherche et innovation. Or si l’innovation est nécessaire, elle n’est pas la recherche : la recherche, c’est d’abord la recherche fondamentale, celle-là même que vous sacrifiez. Les États-Unis, pays libéral, lui consentent pourtant un effort ; l’Allemagne fait de même. Votre nouvelle Agence nationale pour la recherche, elle, ne consacre qu'un tiers de ses crédits à la recherche fondamentale. Vous semblez d’ailleurs préoccupés de la seule recherche privée. Il en faut, certes, mais pas au détriment de la recherche publique. Hors défense nationale, le budget de la recherche fondamentale ne représente d’ailleurs que 0,6 % du PIB.

Tant qu'il n'y aura pas assez de dirigeants industriels formés à la recherche et que l’entreprise continuera à se défier des chercheurs, il n’y aura pas de sursaut collectif.

J’en viens à nos propositions. On ne peut faire l'économie d'une refonte de notre enseignement supérieur. Faut-il rappeler que la France dépense moins pour un étudiant que pour un lycéen, qu'elle consacre à peine 1 % de son PIB à l’enseignement supérieur, contre 2,4 % aux Etats-Unis ? Que le choix qui a été fait est celui des grandes écoles contre l’université ? On dépense deux à trois fois plus par étudiant dans les premières ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Et qui accueillent-elles en majorité ? Les enfants des catégories les plus aisées…

M. Jean-Claude Lemoine - Et ceux des enseignants !

M. François Hollande - Les classements internationaux font portant la part belle aux universités, alors que nos grandes écoles peinent à se faire reconnaître. Nous devons donc revaloriser considérablement nos universités.

Nous proposons ensuite de créer un grand ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de la technologie, de lancer un plan d’investissement pour les universités et un autre pour les organismes de recherche, d’établir des passerelles entre les premières et les seconds.

Ensuite, s’agissant du financement, nous approuvons tous l’objectif fixé pour 2010 : consacrer 3 % du PIB à la recherche. Mais qui peut croire que nous l’atteindrons au rythme actuel ?

M. Jean-Yves Le Déaut - Personne !

M. François Hollande - Même pas le Gouvernement ! Pour ce faire, il faudrait augmenter de 10 % par an le budget de la recherche. C’est ce que nous proposons, tout en sachant que cet effort sera difficile et nécessitera des arbitrages en conséquence (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Il est également nécessaire d’augmenter la part de la recherche et développement financée par l’État et sous-traitée aux entreprises et de fournir un effort particulier en faveur des technologies de l’information et de la communication. Nous soutenons les pôles de recherche et d’enseignement supérieur, de même que les pôles de compétitivité, mais à la condition qu’on ne les multiplie pas ! Aujourd’hui, il y a autant de pôles de compétitivité que d’élus à l'Assemblée nationale ; chacun des députés usant de ses prérogatives, celles des parlementaires de la majorité étant plus étendues que celles de l’opposition …

M. le Ministre délégué - C’est faux !

M. Yves Nicolin - Monsieur Hollande, vous ne savez pas compter !

M. François Hollande – Il ne faut pas confondre recherche et aménagement du territoire ! La sélectivité des projets devrait être la règle.

Par ailleurs, une programmation des emplois scientifiques est nécessaire. Or, rien de tel dans votre projet.

M. Jean-Yves Le Déaut – Eh oui !

M. François Hollande – Comment pensez-vous que les personnels de la recherche trouveront leur place dans notre société en l’absence de propositions concrètes ? Nous vous proposerons donc l’ouverture de 4 500 postes scientifiques par an et la création d’un véritable statut du doctorant assorti, d’une allocation mensuelle de 1 500 euros. C’est la moindre des choses si nous voulons mettre fin à la précarité des jeunes chercheurs ! Autre proposition que nous aurions pu faire en commun, la reconnaissance du doctorat comme niveau de qualification. Le doctorat doit être reconnu dans les conventions collectives et l’administration…

M. Jean-Yves Le Déaut - Très bien !

M. François Hollande – Les docteurs doivent pouvoir accéder à des postes de cadres et de dirigeants d’entreprise qui sont aujourd’hui occupés essentiellement par les anciens élèves des grandes écoles. Dans cette perspective, pourquoi ne pas lier le crédit d’impôt-recherche à l’emploi de doctorants ?

M. Philippe Cochet - Pur soviétisme !

M. François Hollande - C’est à cette condition que ces crédits seront utiles à l’emploi scientifique. Enfin, il faut éviter une politique de recrutement des enseignants-chercheurs trop locale, car elle nuit à la qualité des équipes.

Pour conclure, je voudrais revenir sur trois considérations simples. Premièrement, parce que trop de jeunes se détournent de la science, un effort de sensibilisation aux carrières scientifiques doit être consenti dès le secondaire et poursuivi dans l’enseignement supérieur. Nous souffrons d’une insuffisance d’étudiants et de cadres formés aux sciences, qui menace l’avenir de notre économie.

Deuxièmement, la politique française doit être liée à celle de l’Europe pour être crédible. La diminution des crédits alloués à la recherche en France pourrait se justifier par leur augmentation au niveau européen. Il n’en est rien. Et qui a milité en faveur d’un budget européen amoindri ?

M. Jean-Christophe Lagarde - Fabius ! (Rires sur les bancs du groupe UMP)

M. François Hollande – On a préféré sanctuariser l’agriculture au détriment la recherche ! C’est une faute politique car ces deux domaines auraient dû être traités à égalité dans le budget.

Troisièmement, en l’absence d’une véritable réforme de l’enseignement supérieur, tous les discours du Gouvernement sur la recherche resteront lettre morte et nous aurons perdu cinq ans. Espérons que le Gouvernement qui sortira des urnes en 2007 s’engagera, lui, véritablement pour la recherche et l’enseignement supérieur ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Philippe Cochet - En tout cas, ce ne seront pas les socialistes !

M. le Rapporteur – Monsieur Hollande, avec tout le respect que je vous dois, je partage votre analyse.

Mme Martine David - Dans ce cas, il faut voter la question préalable !

M. le Rapporteur – Sur cette question, nous devons dépasser les clivages politiques ordinaires. Les références que vous avez prises – Pierre Mendès France, le colloque de Caen et le général de Gaulle – sont également les miennes. Je n’énumérerai pas tous les points sur lesquels nous sommes d’accord car cela serait trop long. J’apporterai une seule petite nuance à votre démonstration : vous déplorez la coupure entre recherche et enseignement supérieur mais c’est justement elle que s’attacheront à suturer les futurs pôles de recherche et d’enseignement supérieur que vous avez affirmé soutenir ! Ceux-ci réuniront dans un lieu unique l’université et les organismes de recherche…

Mme Martine David - Avec quels moyens ?

M. le Ministre délégué - 300 millions !

M. Jean Glavany - Monsieur Dubernard, rejoignez l’opposition puisque vous partagez son point de vue. Vous serez plus efficace !

M. le Rapporteur – Au-delà des querelles stériles de chiffres sur les moyens d’atteindre l’objectif de 3 % (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), j’ai le sentiment que la position de la majorité et celle de l’opposition sont identiques et que nous pouvons espérer un consensus sur ce sujet qui engage notre pays pour les trente années à venir !

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.
La séance est levée à 19 heures 25.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Catherine MANCY

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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