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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du lundi 6 mars 2006

Séance de 21 heures 30
68ème jour de séance, 159ème séance

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann
Vice-Président

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La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

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réunion d’une CMP

M. le Président – J’ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m’informant qu’il avait décidé de provoquer la réunion d’une CMP sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour l’égalité des chances.

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retrait d’un article d’un projet de loi

M. le Président – M. le président de l'Assemblée nationale a reçu le 5 mars 2006, de M. le ministre de la culture et de la communication, une lettre indiquant que l’article 1er du texte de loi relatif aux droits d’auteurs et aux droits voisins dans la société de l’information est retiré.

La séance est suspendue et reprise à 21 heures 40.

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offres publiques d’acquisition (deuxième lecture)

L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif aux offres publiques d’acquisition.

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l’industrie Nous nous retrouvons ce soir pour la seconde lecture d’un texte dont l’actualité la plus récente a montré l’importance. Les règles dont nous allons discuter contribueront à établir l’équilibre que nous recherchons sur deux points : d’une part, la promotion des intérêts des actionnaires mais également des intérêts industriels et sociaux ; d’autre part, la clarification de l’actionnariat à long terme des entreprises.

Ce débat constitue une étape importante dans le combat que nous menons en faveur de la stabilisation de l’actionnariat des groupes français. Je veux favoriser le dynamisme de nos entreprises et leur permettre de développer une base actionnariale stable qui les accompagnera dans leur développement. C’est le meilleur moyen dont nous disposons pour nous assurer que nos entreprises investissent, croissent, et que leurs centres de décision restent indépendants.

Stabiliser l’actionnariat consiste à favoriser l’investissement à long terme en actions et pour ce faire, nous prenons plusieurs mesures significatives. Tout d’abord, des mesures fiscales. Grâce au nouveau régime d’imposition à l’impôt sur le revenu des plus-values d’actions à long terme, nous avons incité les actionnaires à allonger la durée de leurs investissements : depuis le 1er janvier, plus une action est détenue longtemps, moins elle imposée, jusqu’à l’exonération totale à partir de huit ans. Nous avons également ajusté la fiscalité patrimoniale de l’actionnariat salarié pour supprimer certains effets pervers poussant à la vente, voire à la spéculation.

En outre, nous avons pris des mesures ciblées : le Premier ministre m’a ainsi demandé d’examiner, avec la Caisse des dépôts et consignations, comment augmenter de manière significative les placements en actions de cette institution. Celle-ci doit certes veiller aux intérêts à long terme dont elle a la charge, je pense en particulier à sa mission de financement du logement social et à son rôle de garant de la liquidité de l’épargne règlementée, mais compte tenu du type de ces placements, il nous semble possible que la Caisse des dépôts développe ses placements en actions. De la même manière, le fonds de réserve des retraites envisage de nouvelles règles d'allocation de ses placements, et son directoire a proposé le 28 février dernier une augmentation sensible de la part des actifs détenus en actions françaises.

Nous proposons enfin des mesures en faveur de la participation et de l’actionnariat salarié, lesquels ont selon moi un triple mérite : ils orientent vers le patrimoine des Français les bénéfices de la mondialisation ; ils impliquent encore davantage les salariés dans la vie de l'entreprise; ils renforcent le capital des entreprises françaises et son ancrage national. Si, depuis le général de Gaulle, notre tradition est bien établie en la matière, nous pouvons encore progresser. En effet, seuls 1,2 % des Français déclarent détenir des actions de leur entreprise et il n'y a que huit sociétés du CAC 40 qui comptent plus de 5 % d'actionnaires salariés dans leur capital. Je suis allé il y a quelques jours, dans le Tarn, visiter les laboratoires Pierre Fabre. Cette entreprise souhaite que 10 % de son capital soient détenus par ses salariés, ce qui me semble une excellente perspective, exemplaire de ce que notre politique peut engendrer.

Sur un plan plus structurel, j'ai préparé avec Gérard Larcher un projet de loi de relance de l'actionnariat salarié et de la participation qui vous sera présenté au cours du premier semestre. Le Premier Ministre en donnera les principales orientations le 16 mars prochain, en installant le nouveau Conseil supérieur de la participation.

Le projet de loi de transposition de la directive OPA s'inscrit dans cette perspective et repose sur deux principes. D’abord : assurer aux actionnaires une bonne gouvernance des entreprises : cela suppose une égalité de traitement entre tous les actionnaires, mais également que les décisions stratégiques de l'entreprise leur soient soumises.

Ensuite, permettre aux entreprises françaises de jouer « à armes égales ». Ce n'est pas parce que nous souhaitons respecter les meilleurs standards de gouvernance que les entreprises doivent être privées de moyens de défense. Dans ce cadre, le Gouvernement a choisi d’offrir aux entreprises la possibilité de bénéficier de la clause de réciprocité : il s’agit-là d’une innovation importante, qui permettra de s'assurer que nos entreprises se battent « à armes égales » avec l'initiateur d'une offre hostile. Non seulement nous offrons aux entreprises la possibilité de bénéficier de la réciprocité, mais nous avons également souhaité donner un contenu fort à cette clause, qui permet de choisir les options les plus attractives pour les actionnaires tout en retenant un principe de défense dans le cas où l'attaquant est lui-même protégé.

Une fois ce principe de défense retenu se pose la question des moyens de défense des entreprises ou de la « substance de la réciprocité ». Nous avions examiné en première lecture un amendement consacré aux augmentations de capital réservées en période d’offre, que nous n’avions finalement pas retenues comme un moyen de défense pertinent. Je m’étais engagé pour ma part à réfléchir à un dispositif plus satisfaisant. Le Sénat a donc voté sur ma proposition un amendement visant à introduire dans notre droit un mécanisme de défense efficace, tout en respectant les règles de bonne gouvernance. Il s'agit d'autoriser les entreprises faisant l'objet d'une offre hostile à émettre des bons de souscription d'actions spécifiques pour se défendre. C'est une faculté couramment employée, notamment aux États-Unis, que l'on ne peut soupçonner d'entraver la liberté d'entreprendre ou de nuire aux intérêts des actionnaires. Concrètement, il s'agit de permettre aux assemblées générales d’autoriser l'émission, en période d'offre, de bons de souscription d'actions qui donnent aux actionnaires le droit d'acquérir des actions nouvelles à un prix préférentiel.

C'est une défense efficace qui confronte l'offreur au risque d'une forte dilution rendant la prise de contrôle plus onéreuse. C'est une défense juste : les BSA doivent être proposés à l’ensemble des actionnaires, y compris aux actionnaires minoritaires. C'est enfin une défense intelligente : elle conduit naturellement au dialogue, poussant l'offreur à améliorer son offre, tant dans son prix que dans son contenu stratégique et industriel.

Que les choses soient claires : mon intention n'est pas de transformer les entreprises françaises en forteresses dont la stratégie ne serait jamais mise en cause…

M. Hervé Novelli, rapporteur de la commission des finances - Très bien !

M. le Ministre - mais de rendre la partie plus égale dans les cas où les entreprises françaises ont une gouvernance ouverte. Mon intention n'est pas de porter atteinte aux droits des actionnaires. Ce mécanisme est en effet de nature à augmenter le prix qu'ils obtiendront le cas échéant, dans l'intérêt de tous.

M. Bernard Carayon - Très bien !

M. le Ministre – Ce sont d’ailleurs eux qui décident si l'entreprise se dote ou non de telles possibilités de défense. Le Sénat s’est demandé si la décision d’émettre ces bons devait être prise par l’assemblée générale extraordinaire ou par l’assemblée générale ordinaire, et avec quelle majorité. Mon premier souci est celui de l'efficacité du dispositif. Je rappelle qu’aux États-Unis, l’approbation préalable de l’assemblée générale n'est pas requise.

C’est donc une stratégie globale en faveur de la stabilité et de la croissance des entreprises que mène le Gouvernement. Par la loi, la stratégie fiscale et l'incitation à la négociation, j’entends défendre nos entreprises, leurs salariés et leurs actionnaires. Je les encourage à développer une base actionnariale large et stable leur permettant de servir des projets ambitieux. Nous sommes donc vigilants et exigeants, et nous continuerons de l'être (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Rapporteur – Je tiens d’abord à vous féliciter, mes chers collègues, d’être présents en nombre à ce débat, qui se tient pourtant un lundi soir. Je félicite bien entendu la majorité, mais aussi l’opposition, qui avait été plus discrète en première lecture (« Totalement absente ! » sur les bancs du groupe UMP). Cette mobilisation est de bon augure pour la qualité de nos débats, et je m’en réjouis.

Après l’examen du projet en deuxième lecture par le Sénat, le 21 février, sept articles restent en discussion. Mais permettez-moi d’abord quelques remarques liminaires. Si les OPA se multiplient aujourd’hui, les raisons n’en sont pas seulement financières comme on voudrait nous le faire croire. Le niveau relativement bas des taux d'intérêt et la pause des marchés boursiers incitent certes au lancement d'OPA, mais ils n'expliquent pas tout. La raison principale serait plutôt l'arrivée à maturité du marché européen. Du reste, si les entreprises françaises font l'objet d'OPA – ou de rumeurs d'OPA – c'est d'abord le signe de leur qualité et de leur savoir-faire.

Certains proposent de construire des «lignes Maginot» pour empêcher les OPA sur les entreprises françaises. Mais enfermer nos entreprises sous une cloche de verre ne les aiderait en rien à devenir plus performantes, bien au contraire. La question des OPA doit être traitée – et c’est le choix du Gouvernement – par le renforcement du rôle des actionnaires, que ce texte place au cœur de la problématique…

M. Arnaud Montebourg - Voilà bien le problème ! C’est le gouvernement des actionnaires !

M. le Rapporteur - … Le projet n’oublie pas les autres acteurs que sont l’État ou les salariés.

M. Jean-Claude Sandrier - Quelle générosité !

M. le Rapporteur – La consolidation d'un actionnariat stable et la confiance qu’il porte à l’entreprise sont la meilleure protection contre les OPA hostiles. Si les actionnaires sont convaincus des perspectives de l'entreprise, ils contribueront à faire échouer une OPA. Je préfère laisser les acteurs rechercher l'efficience du marché là où certains voudraient que l'État intervienne en permanence. Rappelons au passage que, si la loi Thomas n'avait pas été abrogée par la précédente majorité, nous disposerions de fonds de pensions solides, susceptibles de peser lourd dans le capital des entreprises françaises et d'être un contrepoids efficace aux grands fonds de pensions étrangers (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Je voudrais ensuite apporter quelques éléments à notre réflexion, suite au débat que nous avons eu en commission sur le rôle de l'État dans notre économie. M. Montebourg nous a expliqué que l'État devait pouvoir intervenir et bloquer toute OPA, même si elle n'affectait pas la concurrence. Le ministre considère pour sa part que l'État, même non actionnaire de l’entreprise, peut participer au débat en tant que « partie prenante ». Cette position est sage. Je ne comprends pas l'attirance de l'opposition pour un retour à l'économie administrée : si celle-ci était la clé du plein-emploi, cela se saurait.

Donner un droit de veto sur toutes les OPA à l’État signifierait en effet que le ministère de l'économie devrait apprécier en opportunité les choix stratégiques de nos entreprises. Qui peut raisonnablement penser que ce dispositif serait conforme à nos engagements communautaires ? Il est vrai que M. Montebourg est cohérent, puisqu’il a appelé à voter «non» lors du référendum sur la Constitution européenne... Ce dispositif serait en outre un signal négatif adressé aux acteurs de l'économie mondiale. On ne peut demeurer ainsi à l’écart des grands mouvements du monde.

Venons-en aux articles qui restent en discussion. A l'article 7, le Sénat a renforcé l'information des comités d'entreprises lors des OPA : outre les éléments de la note publique d'information, l'offrant devra exposer au comité d'entreprise de l'entreprise visée sa politique industrielle et financière et préciser la localisation des centres de décision.

A l'article 10, le Sénat a adopté un amendement du Gouvernement permettant d'émettre des bons de souscription d'actions dans la société cible. La commission s’est longuement interrogée pour savoir si cette nouvelle faculté devait être exercée par une assemblée générale ordinaire ou extraordinaire, et selon quelles règles de majorité. Elle vous proposera un amendement précisant que seule une AGE pouvait permettre l’émission de BSA. Cela entraîne logiquement le vote à la majorité des deux tiers – et non la moitié – des actionnaires présents ou représentés, ainsi que des règles de quorum plus exigeantes : une AGE ne peut délibérer valablement que si le quart – ou le cinquième en deuxième convocation – des actionnaires est présent, au lieu respectivement du cinquième puis d’une absence de quorum dans le cas d’une AGO.

Permettre l'émission de BSA par une assemblée ordinaire ferait courir un grand risque, compte tenu de la portée d'une augmentation de capital, à l'équilibre de notre code de commerce.

A l'article 11 le Sénat a rétabli son texte de première lecture, estimant qu'une entreprise française cible de plusieurs offres, dont l'une émane d'une entreprise n'appliquant pas l'article 9 de la directive peut également ne pas appliquer ces dispositions. Compte tenu de l'évolution du contexte, cette position paraît aujourd'hui acceptable, et ce d'autant plus que le dispositif adopté par le Sénat permet de limiter les effets pervers du choix auquel nous avons été confrontés en première lecture. En cas d’offre multiple, l’entreprise française ne pourra s’exonérer de l’article 9 de la directive que si les entreprises vertueuses n’agissent pas de concert avec elle. Enfin, le Sénat a rétabli la réciprocité pour les dispositions de l’article 11 de la directive, qui s’appliqueront de manière facultative. Cette question est particulièrement délicate. Nous y reviendrons, mais je souligne que c’est essentiellement pour des raisons juridiques que nous avons proposé, comme en première lecture et avec le soutien du Gouvernement, l’abrogation de cette réciprocité à la carte.

Nous sommes donc parvenus à un texte équilibré que je vous invite à accepter, comme l’a fait la commission des finances (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

EXCEPTION D’irrecevabilité

M. le Président - J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Eric Besson – Notre rapporteur a prétendu en commission, et ici aussi, même si c’était de façon plus élégante, que l’opposition n’avait pas participé aux débats de première lecture, ce qui aurait causé le report de certaines questions à la deuxième lecture. Mais le groupe socialiste était loin d’être absent : notre collègue Patrick Bloche, notamment, avait développé nos objections à vos orientations. Vous les retrouverez dans le Journal officiel.

Ce qui va enfin permettre le débat, c’est que vous êtes aujourd’hui bien plus qu’en décembre confrontés à la réalité, et au jugement de nos concitoyens. Devant la multiplication des offres d’acquisition au sein de l’Union européenne, la signification réelle de vos discours enflammés sur la nécessité de rééquilibrer le pouvoir au bénéfice des actionnaires, de renforcer ce que vous appelez la démocratie actionnariale – certains parlent de « souveraineté » actionnariale ! – apparaît enfin. Le malaise de la majorité a été manifeste en commission, lorsque nous avons dû suspendre nos travaux pour permettre aux députés de l’UMP de s’entendre sur les amendements à adopter. Il vous reste à choisir, Monsieur le ministre, qui soutenir : M. Novelli, qui ne démord pas de l’absolutisme actionnarial, sous couvert de protéger les petits actionnaires ? M. Auberger, qui critique la décision de l’AMF de déléguer son visa pour Arcelor à l’autorité du Luxembourg alors que la société est cotée à Paris ? Ou M. Descamps, qui considère qu’une OPA n’est l’affaire que des actionnaires, qui doivent être informés avant les salariés, et si possible les seuls ?

M. Jean-Jacques Descamps - La fin est de trop !

M. Eric Besson – Cette deuxième lecture constitue une excellente occasion de mesurer la distance qui sépare vos paroles et vos actes.

Comme il y a quelques mois les rumeurs de rachat de Danone par PepsiCo, l’annonce du lancement d’une offre publique d’acquisition de Mittal Steel sur Arcelor et, plus récemment, la rumeur d’une opération d’Enel sur Suez ont en effet réveillé des interrogations révélatrices d’un malaise profond face à ces opérations, un malaise qui touche l’opinion publique comme les autorités publiques, les experts et les milieux économiques et financiers. Pas un essai, pas un témoignage de chef d’entreprise qui n’aborde les excès du capitalisme financier ou les fusions acquisitions ! On dénonce la folie financière d’un capitalisme total, un capitalisme en train de s’autodétruire, ou les dérives du capitalisme financier…

Ce malaise n’est pas conjoncturel. Il touche à des questions de fond. Nombreux sont ceux, au sein de la majorité, qui demeurent persuadés de l’existence d’un monde rêvé des OPA, source d’efficacité économique, et qui sont sûrs que la faculté des actionnaires de contester la politique du management – en clair, leur faculté de vendre à tout moment au plus offrant – assurerait la création de valeurs. Je pense que M. Novelli se reconnaît dans ce portrait. C’est qu’il a, comme les plus libéraux, le mérite de la franchise. Leurs amis se contentent de penser tout bas et de gérer une communication de crise en période d'OPA. Faut-il rappeler à ces absolutistes de la création de valeur que plus d'un tiers de ces opérations conduisent à un échec industriel et financier ? Que l'existence de vagues de fusions traduit des phénomènes d'engouement à la rationalité douteuse ?

En tout état de cause, ces approches caricaturales ignorent des enjeux fondamentaux : enjeux directs pour les salariés, premiers concernés par les synergies tant vantées qui se traduisent souvent par la suppression des « doublons » et des implantations ; enjeux liés à la localisation des centres de décision, la différence de culture managériale ou l’éloignement de la direction ayant une influence certaine sur les choix de réorganisation ; enjeux en termes de politique industrielle et de croissance enfin, car quel sens pourrait avoir une politique de recherche-développement et de mise en commun des ressources si des concurrents directs peuvent s'approprier instantanément le produit de ces investissements de long terme ?

Force est de constater la fragilité des principaux groupes français, c’est-à-dire la part de leur capital qui pourrait aisément être acquise sur le marché : 91 % pour Lafarge, 89 % pour Altadis, tandis qu’Arcelor, Carrefour, Danone ou Accor sont tous au-dessus de 80 %... Face à cela, le Gouvernement se contente d'une politique de communication à court terme, mais vos positions sont si confuses et si changeantes qu'il est bien difficile d'en comprendre la logique. Certains vantent le patriotisme économique, font des moulinets, mais restent passifs. Les tribulations qu’a connues le décret sur le patriotisme économique annoncé par Dominique de Villepin, peu à peu vidé de sa portée après l’affaire Danone-PepsiCo, illustrent bien cette tendance. Doit-on rappeler que la définition restrictive des secteurs stratégiques qu’il avait retenue n'aurait pas permis de s'opposer en quoi que ce soit à l'offre de Mittal sur Arcelor ? D'abord en effet, le siège social d'Arcelor n’a pas été considéré par l’AMF comme situé en France, même si Arcelor y emploie 30 000 personnes. Ensuite, le décret ne vise que les activités entretenant un lien direct avec la sécurité et la défense, avec pour seule exception les jeux d'argent.

La même impuissance est illustrée par le désaveu flagrant que vous avez, Monsieur le ministre, infligé à votre secrétaire d'État à l'industrie François Loos, qui avait osé affirmer – cela ne nous avait pas choqués – que la France était opposée à la réussite de l’OPA de Mittal sur Acelor. Vous avez affirmé avec force que le Gouvernement n'est « ni pour ni contre » cette opération, car, avez-vous ajouté, ce sont les actionnaires qui décident et qu’il est conforme à la vie normale des affaires que des entreprises discutent et se rapprochent. D'autres enfin, dans la majorité se contentent de rester discrets, ou très ambigus, et attendent qu'une pause temporaire dans les OPA leur permette de poursuivre leur entreprise de facilitation des opérations boursières agressives.

Monsieur le Ministre, nous sommes persuadés que vous êtes loin de vous contenter d’exercer le « droit à la parole du ministre de l'économie », comme vous le dites, et de gérer votre politique de communication stérile. En réalité, vous procédez, avec le présent texte, au démantèlement des moyens dont disposent les entreprises pour s'opposer, conformément au souhait de leurs salariés, de leurs exécutifs et parfois des pouvoirs publics, à des offres hostiles. Compte tenu des enjeux, une telle hypocrisie n'est plus acceptable. Il y a deux mois seulement, vous vous félicitiez ici même de renforcer, avec vos choix de transposition, la « démocratie actionnariale » et l'attractivité de la place financière française.

M. le Rapporteur – C’est vrai !

M. Eric Besson - La directive, d'inspiration très libérale, s'est donné pour but d'unifier la réglementation des opérations, mais également de les faciliter. Au centre du dispositif se trouve l'obligation faite à l'exécutif des entreprises de solliciter, durant une offre, l'autorisation de ses actionnaires pour mettre en œuvre des moyens de réponse – autrement dit, le droit de se défendre. Quelles que soient les protections qui pouvaient exister dans les statuts de l'entreprise, il faudra consulter de nouveau les actionnaires au moment où ils sont le moins susceptibles de donner leur accord, tentés par une offre de gain important à court terme. Cette rédaction n'a pu être acceptée, après rien moins que quatorze ans de négociations, qu'à la double condition que chaque État puisse décider de la rendre ou non obligatoire et soumettre son application à des conditions de réciprocité. Désormais, la société cible d'une OPA pourra ne pas appliquer les dispositions de la directive si son assaillante ne le fait pas non plus.

L'Allemagne, la Pologne, les Pays-Bas, le Danemark ont choisi de laisser leurs entreprises libres d'appliquer ou non ces dispositions. Le Luxembourg, en réaction notamment à l'offre de Mittal, vient de le faire également. La France au contraire, comme le Royaume-Uni, a décidé de les appliquer de façon obligatoire. Le Gouvernement a ainsi choisi de faciliter la réussite des OPA agressives, en garantissant que seuls les actionnaires auront voix au chapitre.

Faut-il affaiblir ou renforcer la position des groupes français face aux OPA hostiles ? Le choix d'imposer ces dispositions aux entreprises constitue la seule réponse claire du Gouvernement, et elle va dans le sens d'un affaiblissement. Face à l'émotion suscitée par l'OPA sur Arcelor, le Gouvernement a aujourd'hui bien du mal à justifier ce choix. La question centrale est la suivante : pourquoi avez-vous décidé de transcrire de façon obligatoire l'article 9 de la directive ? Nous avons une idée de la réponse. Dans le domaine des augmentations de capital, le Gouvernement avait déjà adopté des dispositions, par ordonnance, et donc en toute autonomie. Dans l’ordonnance du 24 juin 2004, il a décidé, alors que les augmentations de capital constituent l'un des outils à la disposition de l'exécutif des entreprises pour se défendre contre des OPA hostiles, de mettre en place, en-dehors de toute transposition de la directive, un dispositif en tout point similaire à l'article 9 de cette directive, sans même que s’applique le principe de réciprocité. Cela relativise beaucoup vos propos, selon lesquels le Gouvernement aurait voulu, depuis le début, doter les entreprises françaises des moyens de lutter à armes égales avec leurs assaillantes ! L’article L. 225-129-3 du code de commerce ainsi rédigé par l’ordonnance disposait que toute délégation de l'assemblée générale est suspendue en période d'offre publique d'achat ou d'échange sur les titres de la société, sauf si elle s'inscrit dans le cours normal de l'activité de la société et que sa mise en œuvre n'est pas susceptible de faire échouer l'offre. On retrouve quasiment mot pour mot la formulation de la directive, appliquée par anticipation et de façon unilatérale !

En réalité, la transcription de la directive apportera une souplesse par rapport à ce que vous souhaitiez. En effet, les entreprises auront la possibilité, dans le cadre de la directive, d'exiger au moins le respect par la société assaillante de principes aussi draconiens, sans quoi elles pourront se dégager de cette obligation,

Pour notre part, nous défendons quatre priorités : refus de la transcription obligatoire de l'article 9 de la directive, renforcement des pouvoirs des salariés, facilitation de la défense anti-OPA, intervention accrue des pouvoirs publics pour faire prévaloir des intérêts stratégiques de politique industrielle face aux considérations de court terme.

Nous persistons dans notre demande de voir les dispositions de l’article 9 de la directive rendues optionnelles, ce qui permettrait à chaque entreprise de choisir de les appliquer ou non en fonction de ses caractéristiques propres. Faute d’une telle réorientation du projet de loi, l’introduction en dernière minute d’une disposition concernant les bons de souscription d’actions – les BSA – ne sera qu’un pis-aller d’une efficacité incertaine, les modalités que vous avez choisies pour les introduire étant de surcroît contestables au plan constitutionnel. J’ai déjà indiqué que nous soutiendrons le principe de cet amendement, tout en considérant que son efficacité demeure aléatoire et que d’autres améliorations plus fondamentales devraient être apportées.

La première question qui se pose est celle de la légèreté avec laquelle vous introduisez ce mécanisme, dont vous prétendez qu’il permettra de protéger nos entreprises. En proposant à la sauvette un dispositif qui va à l’encontre des orientations initiales du texte, vous prenez le risque de le voir censurer par le Conseil constitutionnel. Au reste, M. Novelli indique lui-même dans son rapport écrit que « s’agissant de la procédure, il convient de s’interroger sur la compatibilité de l’amendement du Gouvernement adopté à l’article 10 au regard de la décision du Conseil constitutionnel du 19 janvier 2006, laquelle énonce que le droit d’amendement doit pouvoir s’exercer pleinement au cours de la première lecture par chacune des deux assemblées parlementaires et qu’il ne saurait être limité. En revanche, à partir de la deuxième lecture, et afin de satisfaire à l’économie générale de l’article 45 de la Constitution, les amendements – parlementaires ou du Gouvernement – doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion ». Et le risque d'inconstitutionnalité est d'autant plus frappant qu’il est évident pour tous les observateurs que cette proposition précipitée, introduite par amendement en deuxième lecture, constitue l'axe principal de votre communication de crise pour tenter de faire croire que le Gouvernement ne serait pas dépourvu ou inactif face aux OPA visant des entreprises françaises. Paradoxalement, cette précipitation souligne à quel point le travail indispensable n'avait pas été accompli dans le cadre du projet de loi initial.

Mais, la question centrale, c’est l'articulation entre les principes de la directive, vos choix de transposition et la mise en œuvre du dispositif relatifs aux BSA. En réalité, le seul apport de votre dispositif est de remettre en cause la jurisprudence défavorable de l'Autorité des marchés financiers vis-à-vis des BSA. II s'agit d'un point positif, car nous convenons que les BSA pourraient effectivement dissuader une offre hostile, en enchérissant son coût, ce qui pourrait constituer une amorce de réponse. Las, cette possibilité restera soumise au cadre déséquilibré de la transposition de la directive. Comme tout outil susceptible de faire échouer l'OPA, l'émission des BSA dépendra en effet du bon vouloir des actionnaires de l'entreprise, lesquels devront en accepter le principe durant l'offre. A cet égard, il est bon, Monsieur le ministre, que vous ayez rappelé à notre rapporteur ce qui se passe aux Etats-Unis car il ne nous avait guère semblé convaincu en commission ! Bien entendu, si la chance veut que la société assaillante ne s'applique pas les dispositions de la directive, la situation sera moins défavorable.

Se posera également la question des formes et de la majorité requise pour l'émission des bons. A l'opposé du projet initial du Gouvernement, et conformément à notre volonté de voir ce dispositif atteindre sa pleine efficacité, nous souhaitons que ce dispositif soit mis en place par une assemblée générale ordinaire, à la majorité simple des voix. A défaut, le passage en assemblée extraordinaire, et, plus encore, la nécessité d'une majorité des deux tiers, ne pourraient que condamner d'avance le dispositif. Comment, en effet, pourrait-il être mis en place dans des sociétés françaises dont 40 à 45 % de la capitalisation sont détenus par des fonds non résidents, lesquels seront, par définition, les plus hostiles à l’émission de BSA ?

Enfin, il ne faut pas négliger les risques de détournement de cet outil. Présenté comme un instrument dissuasif contre les OPA hostiles, les BSA ne doivent pas devenir simplement une arme de négociation permettant un renchérissement systématique des conditions de l'offre. Dans ce cas, l'outil serait perverti et pourrait avoir des conséquences fâcheuses. Une offre payée plus cher, au bénéfice des actionnaires, et rendue moins inamicale par la négociation de conditions plus avantageuses pour les exécutifs des sociétés, pourrait, in fine, faire supporter aux sociétés participantes - et surtout à leurs salariés - des restructurations encore plus drastiques afin de rentabiliser l'acquisition. Pour nous, les BSA ne seront une arme efficace que s'ils ne servent pas et conservent leur caractère strictement dissuasif.

Plus largement, les BSA ne répondent en aucune façon à la nécessité de mieux considérer les intérêts des «parties prenantes » – les stakeholders – que vous semblez redécouvrir aujourd'hui. Le dispositif reste toujours soumis à l'accord des seuls actionnaires, et que celui-ci soit plus ou moins facile à obtenir ne change rien sur le fond. Pour nous, les offres publiques ne peuvent rester arbitrées par les seuls actionnaires. Cette situation est en effet aussi déséquilibrée que néfaste. L'exemple des réactions à l'OPA de Mittal sur Arcelor le démontre amplement. Pour assurer sa défense, que fait aujourd'hui la direction d'Arcelor ? Elle cherche à prouver aux actionnaires qu'elle peut leur faire gagner plus que ce que Mittal propose. A cet effet, elle a annoncé, le 27 février dernier, la redistribution de 15,7 milliards de dividendes…

M. Arnaud Montebourg - Quel gaspillage !

M. Éric Besson - … contre 2 milliards pour les cinq dernières années, en rognant sur le renouvellement de l'appareil industriel – donc sur les investissements productifs de la société – et en se séparant de certaines branches d'activités soudainement jugées comme « non stratégiques ». Cela n'enlève rien aux oppositions que suscite toujours le projet de Mittal, mais on ne peut que s'inquiéter de voir ainsi mise sous pression la stratégie industrielle d'une entreprise, dans une perspective court-termiste qu’aggravent encore vos modes de transposition de la directive.

L’exemple Mittal-Arcelor pose une seconde question à laquelle il vous faudra aussi, Monsieur le Ministre, répondre clairement : que comptez-vous faire si le projet industriel de Mittal Steel, que vous avez réclamé à grands cris lorsque vous avez convoqué le PDG, vous apparaît négatif en termes sociaux ou économiques ? Que ferez-vous concrètement ? Je crois lire « rien » sur vos lèvres et cela ne m’étonne pas du tout ! Je ne voudrais pas anticiper sur votre réponse, mais force est de constater que vous vous êtes bien gardé de vous engager de manière explicite à ce sujet. Mais la question est désormais posée, et elle renvoie aux moyens d'action dont entendent se doter notre pays et l'Union européenne pour s'opposer à des projets néfastes.

Les « parties prenantes » que sont les salariés, les chefs d'entreprise et les pouvoirs publics sont fondées à se prononcer sur les opérations, et leur prise de position ne doit pas se limiter à un droit d'expression sans portée. Mieux informés des intentions de l'auteur d'une offre, notamment depuis le vote de la loi relative aux nouvelles régulations économiques, les salariés de toutes les entreprises concernées par l'opération doivent disposer d'une vision claire des enjeux et d'une possibilité d'expression renforcée.

A cet égard, votre projet contient une avancée : la prise en compte des salariés de l'entreprise à l'origine de l'offre. De plus en plus souvent, il apparaît en effet que ce ne sont pas les seuls salariés de la société cible qui subissent les conséquences des réorganisations. Mais, ce pas étant fait, pourquoi s’obstiner à refuser une information et des possibilités d'intervention étendues à ces salariés ? Nous défendrons des amendements tendant à ce qu'ils soient destinataires des mêmes informations que leurs homologues de la société cible.

En tant que socle stable de l'actionnariat, les actionnaires salariés pourraient se voir reconnaître des prérogatives plus étendues dans le cadre des offres publiques. Le discours incantatoire du Premier ministre – par vous relayé – sur l'actionnariat salarié est singulièrement affaibli par la non-parution du décret d'application de la loi sur l'épargne salariale, laquelle prévoit la nomination d'administrateurs salariés dès lors que la part de l'actionnariat salarié devient significative…

M. Jacques Godfrain - Fabius n’a pas fait mieux !

M. Éric Besson - J'ai déjà fait part de notre refus d'un désarmement obligatoire des exécutifs des sociétés, tel que le propose la directive. Contrairement à ce que prétend notre rapporteur, un tel désarmement ne constituerait pas un rééquilibrage des pouvoirs, mais bien plutôt un moyen d’accompagner une dérive vers l'absolutisme actionnarial (Murmures sur les bancs du groupe UMP). II est d'ailleurs surprenant de voir certains prôner aujourd'hui le développement des participations croisées et autres noyaux durs dans les conseils d'administration, tout en prétendant affaiblir les exécutifs face aux actionnaires. Le concept de démocratie actionnariale doit être précisé, et la terminologie ne doit pas nous abuser car il n'est en fait guère question de démocratie mais bien de suffrage censitaire. Les petits actionnaires que l’on prétend défendre ne sont pas directement consultés sur les décisions prises. Peu détiennent leurs actions en direct (Même mouvement).

En réalité, ce sont les institutionnels et des fonds souvent non-résidents qui gèrent les participations, avec des mandats de gestion qui s'éloignent rarement de la simple valorisation maximale à court terme. La démocratie actionnariale est une référence légitime quand elle vise à contenir les excès de certains dirigeants d'entreprises, parfois préoccupés de leurs seuls intérêts propres, au détriment de l'intérêt social de l'entreprise. Mais elle s’auto-parodie lorsqu’elle confie le pouvoir réel à des fonds exclusivement soucieux d'une performance à très court terme et indifférents à l'avenir des entreprises. Partie prenante indiscutable, les pouvoirs publics doivent retrouver, au sein de l'Union européenne, des voies légitimes pour intervenir.

A l'opposé des discours simplificateurs sur la globalisation des règles du jeu des marchés financiers, force est de constater que tous les pays mettent en œuvre des politiques stratégiques leur permettant d'intervenir s'ils considèrent qu’une OPA est néfaste. Le Japon s’est doté en la matière d’une législation draconienne, de même que les Etats-Unis qui laissent aux société de larges marges de manœuvre et d’initiative pour se protéger contre les offres – en attestent plusieurs exemples très récents. Plus près de nous, du fait de la multiplication des fusions, les États européens affirment de plus en plus leur détermination à s’interposer pour contrer les offres qu’ils fâcheuses néfastes. Ainsi, le gouvernement espagnol n'hésite pas à s'opposer aux offres sur l'électricien Endesa, et les commentateurs britanniques ont relevé que « le strict contrôle » annoncé par le gouvernement Blair sur le projet d'acquisition du principal fournisseur de gaz national par la société russe Gazprom ne laissait guère présager que l'opération serait rapidement autorisée.

Nous sommes donc persuadés que la France doit elle aussi retrouver les moyens législatifs et financiers de s'opposer à certaines OPA. A cet égard, l'intervention de la Caisse des dépôts pourrait être pertinente…

M. le Rapporteur – Le scandale du Crédit lyonnais ne vous a pas suffi ?

M. Éric Besson – … et judicieuse la définition d'une politique de placements de long terme pour un Fonds de réserve des retraites enfin abondé. M. Novelli a regretté la suppression de la loi Thomas…

M. le Rapporteur – Je persiste et signe !

M. Éric Besson - Mais rien n’indique qu’obsédés par des objectifs de rentabilité à court terme, les fonds de pension français se comporteraient de manière plus vertueuse que les fonds étrangers…

M. le Rapporteur – Mais si !

M. Éric Besson – Allons donc ! Vous faites preuve d’un angélisme surprenant ! Et nous déplorons que l’abondement du FRR ne constitue plus une priorité depuis 2002, au point qu’il a fallu un amendement du groupe socialiste à la loi de finances pour 2006 pour poser le principe que ledit abondement devait être assuré dans le cas où des privatisations étaient réalisées.

Le Gouvernement doit accepter enfin de définir avec clarté ses priorités en matière de politique industrielle et de développement de la compétitivité à long terme, en cessant de déléguer insidieusement cette responsabilité au marché des capitaux. Faute de s'engager dans cette voie, il se contente de « laisser faire, laisser passer », quoi qu'il en dise, et sans doute pour la plus grande satisfaction de notre rapporteur, qui, en première lecture, a eu une formule fabuleuse lorsqu’il a déclaré qu’ « une entreprise était vertueuse lorsqu’elle s’engageait à ne pas se défendre contre une OPA hostile »

M. le Rapporteur – Je n’ai pas dit cela. J’ai parlé de réciprocité, ce qui est très différent. Ne déformez pas ma pensée.

M. Éric Besson - Dans ces conditions, ce n’est plus du libéralisme orthodoxe, mais du masochisme.

M. Louis Giscard d'Estaing - Caricature !

M. Éric Besson - Pour toutes ces raisons, je vous invite à voter cette exception d’irrecevabilité, que justifie notamment le risque d’inconstitutionnalité de l’amendement gouvernemental relatif aux BSA. Cela donnerait le temps au Gouvernement de déposer un autre texte exempt d’incertitudes juridiques, plus cohérent et, qui sait, plus ambitieux… (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Louis Giscard d'Estaing – M. Besson a insisté, dans sa défense de l’exception d’irrecevabilité, sur la nécessité de mettre en accord les paroles et les actes. Eh bien ! précisément, par son article 19, ce projet de loi met en accord notre droit financier avec la règle de réciprocité.

Monsieur le porte-parole du groupe socialiste, vous avez également évoqué les vagues de fusions qui déferlent actuellement. Ce texte vise précisément à les endiguer, et à leur donner un cadre juridique préservant les intérêts sociaux des entreprises visées, mais aussi ceux des salariés et des actionnaires. Vous vous êtes étonné que l’on doive de nouveau consulter les actionnaires, sauf clause de réciprocité s’y opposant. C’est pourtant l’affirmation de la démocratie actionnariale que vous prétendez appeler de vos vœux. Qui par ailleurs se plaindrait que l’on cherche à éviter que les groupes français se trouvent placés dans une situation inéquitable ?

Vous avez encore souligné que le caractère tardif de l’amendement relatif aux BSA vous gênait, alors même que vous reconnaissez tout l’intérêt de cette disposition. Je vous invite à reconnaître qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire et que le temps qui s’est écoulé entre la première et la deuxième lecture vous a permis, ainsi qu’au projet de loi, d’évoluer dans un sens positif…

Enfin, c’est à juste titre que vous avez comparé les BSA à l’arme de dissuasion. En effet, sur le plan des relations internationales, la dissuasion nucléaire a parfaitement rempli son rôle puisqu’il n’a jamais été nécessaire d’y recourir. Merci donc, cher collègue, d’avoir vous-même démontré toute l’utilité du dispositif proposé.

Nous ne pouvons bien sûr pas voter cette exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Claude Sandrier – Le groupe communiste, lui, la votera (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Désolé !

Tout d’abord, il n’est pas sûr que notre Constitution autorise de donner à ce point la priorité aux actionnaires – que vous souhaitez, selon vos propres termes, placer au cœur de la protection des entreprises – comme si les salariés, les usagers et l’État n’avaient pas tout autant, et même davantage, de responsabilités dans la vie des entreprises, notamment lorsque celles-ci remplissent des missions de service public, bénéficient de commandes ou d’aides publiques. Il est choquant d’entendre le ministre, et à sa suite le rapporteur, expliquer que ce texte vise à défendre les intérêts des actionnaires et les intérêts industriels et sociaux. L’ordre des priorités aurait pu être inversé !

S’agissant des fonds de pension, la loi Thomas a été abrogée pour éviter une financiarisation excessive de l’économie (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) avec des « marchés exigeant aujourd’hui une rentabilité qui n’a rien à voir avec la raison économique », comme le souligne l’économiste Patrick Artus lui-même. Attendre des rendements de 10, 15 ou 20 % quand la croissance plafonne à 2 % est suicidaire pour l’économie. Voilà pourquoi il était judicieux d’abroger la loi Thomas.

M. le Rapporteur – Vous préférez les fonds de pension étrangers ?

M. Jean-Claude Sandrier - Certes, il n’appartient pas à l’État de tout gérer (« C’est nouveau ! » sur les bancs du groupe UMP). Pas du tout, vous retardez d’un siècle, chers collègues ! S’il n’appartient pas à l’État de tout gérer, disais-je, il a le devoir de dire l’intérêt général et de le faire respecter. N’est-ce pas d’ailleurs pour cela que nous sommes élus ? Il appartient à la nation de dire ce qui doit être de la responsabilité publique (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste). L’État n’a pas à se coucher devant les intérêts particuliers que représentent les marchés financiers (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. Arnaud Montebourg - Cela méritait d’être dit.

M. Nicolas Perruchot - Le groupe UDF ne votera pas cette exception d’irrecevabilité pour quatre raisons. La première est que le groupe socialiste a utilisé les trente minutes de défense de cette motion pour tenir un discours qui aurait mieux trouvé sa place dans la discussion générale. La seconde est que son orateur s’en est tenu à des stéréotypes et à des caricatures. La troisième est qu’il se réfère à des systèmes de pensée d’un autre âge : en dénonçant « l’absolutisme de la création de valeur », il parle comme bon nombre de partis socialistes européens ne le font plus depuis longtemps !

M. Éric Besson – Comme Claude Bebéar.

M. Nicolas Perruchot - Enfin, il nous a davantage exposé sa vision de l’OPA de Mittal sur Arcelor que cherché à nous convaincre de l’inconstitutionnalité de ce projet de loi.

M. Éric Besson - Cette OPA constitue un très bon exemple.

M. Nicolas Perruchot - Désapprouver un texte du Gouvernement ne signifie pas qu’il soit inconstitutionnel.

M. Jean-Louis Dumont – Dans son propos liminaire, le ministre nous a expliqué qu’il plaçait l’actionnaire au cœur de son projet, laissant d’ailleurs fort peu de place au projet industriel non plus qu’à la valeur ajoutée économique et sociale.

M. le Ministre – Ce n’est pas vrai.

M. Jean-Louis Dumont - Il suffit de se reporter aux rapports des assemblées générales des grands groupes pour voir qui y participe et qui détient les pouvoirs des petits actionnaires, et aussitôt comprendre que les dés sont pipés.

Soit l’on souhaite vraiment s’opposer aux OPA ou aux OPE, et on met en place les lignes de défense adéquates, soit on laisse jouer les marchés financiers. Les dispositions qui nous sont proposées ce soir, qui d’ailleurs ne paraissent pas définitivement arrêtées et recèlent quelques incohérences, ne semblent de surcroît pas faire l’unanimité dans les rangs de la majorité. Chacun convient que la création de BSA est une arme dissuasive qui ne vaut qu’à condition qu’on ne l’utilise point. En effet, son utilisation peut se révéler très dangereuse, aidant même l’entreprise assaillante qui a lancé l’OPA. La seule question qui vaille est de savoir qui l’on veut protéger. L’entreprise visée par une OPA, son développement ou quelques actionnaires ? Comme l’a souligné Eric Besson, sans doute M. Bébéar, ancien patron d’une entreprise qui n’était d’ailleurs pas « opéable » de par son statut – preuve, Monsieur le rapporteur, que les statuts peuvent aussi être protecteurs – ne partagerait-il pas entièrement les propos tenus par M. Breton et M. Novelli. Quel rôle exact jouent actuellement les fonds détenus par Axa sur certains marchés boursiers, comme celui de New York ?

Alors que la directive adoptée en 2004 que nous devons transposer donne incontestablement des marges de manœuvre aux gouvernements nationaux pour mettre en place des stratégies de défense contre les OPA et, en ce qui nous concerne, de préserver un certain particularisme franco-français, je ne suis pas sûr que le texte de transposition qui nous est proposé nous permette d’y voir beaucoup plus clair.

Le groupe socialiste votera bien sûr l’exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

L'exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n’est pas adoptée.

question préalable

M. le Président - J’ai reçu de M. Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Arnaud Montebourg – Chacun a compris qu’une grande vague de restructurations à coups d’OPA meurtrières se prépare dans l’industrie mondiale, européenne et française. Les groupes français sont dans l’œil du cyclone après l’attaque de Mittal sur Arcelor – entreprise que les contribuables français, soit dit au passage, ont aidée à hauteur de quinze milliards d’euros. Après la menace de l’attaque sur Suez, nous nous inquiétons légitimement des possibles prises de contrôle étrangères de fleurons nationaux, en raison de la part flottante de leur capital disponible sur les marchés. Lafarge, Altadis, Carrefour, Danone ou bien encore Accor ont tous entre 80 et 90 % de capital flottant. Tous les experts s’accordent sur la vulnérabilité boursière de très grandes entreprises françaises, telles que Renault, Peugeot, Air France, la BNP, la Société générale, Veolia Vinci, qui peuvent devenir l’objet de scénarios catastrophes.

L’attaque victorieuse d’Alcan sur Pechiney illustre les conséquences des OPA hostiles. Alcan, s’étant emparé de la quasi-totalité de l’approvisionnement de notre pays en aluminium, a fermé des usines dans le sud de la France, rapatrié quelques centres de recherche et exploité les brevets au Canada. L’aluminium est désormais vendu à Airbus par une société transnationale. Et les pouvoirs publics n’ont pas dit un mot, alors que Pechiney avait été recapitalisé grâce aux nationalisations de 1982.

M. Jacques Godfrain – Jospin n’a rien dit.

M. Arnaud Montebourg - L’affaire date de M. Raffarin.

Jusqu’où laisserons-nous le capitalisme financier ignorer l’économie réelle au profit des seuls actionnaires ? Est-il permis de contester l’utilité économique et même financière des OPA hostiles ?

Sur le plan économique, l’offre publique inamicale n’est précédée d’aucune concertation permettant de dégager un projet industriel. Elle entraîne une surenchère dans les prix proposés aux actionnaires de la société cible. Pour une entreprise, s’en protéger à l’avance coûte très cher, et cela devient hors de prix lorsque l’attaque a été déclenchée. Ainsi Total a-t-il investi l’an dernier 4 milliards dans le rachat de ses propres actions pour se protéger d’une OPA hostile, alors que M. Desmaret paye ses stagiaires 150 euros. En tout, les sociétés du CAC 40 y ont consacré 6 milliards. Quel gaspillage stupide à cause de la spéculation ! Or, cela ne donne lieu à aucune réponse des libéraux qui ont abandonné l’idée de combattre les effets les plus pervers du marché.

M. le Rapporteur – Vous nous entendrez.

M. Arnaud Montebourg - Enfin, la société victime se voit en général imposer des normes de rentabilité déraisonnables et des ventes d’actifs, dans le seul but de rembourser la dette d’acquisition. En bref, on se paye sur la bête. Ces OPA sont donc le plus souvent destructrices de valeur économique même si elles créent de la valeur financière. Quant aux salariés, OPA signifie pour eux suppressions d’emploi, qu’ils soient cadres ou ouvriers.

Au début de 2005, M. Mittal évoquait la suppression de 40 000 des 160 000 emplois de son groupe. Faut-il dès lors hésiter à l’interroger officiellement, à lui demander des engagements pour les années à venir ? Ajoutons le départ de centres de décision.

Nous essayons tous de soutenir les pôles de compétitivité, une des rares politiques que vous menez et que j’approuve.

M. le Ministre – Merci.

M. Arnaud Montebourg – En Bourgogne, nous avons un pôle de compétitivité sur le nucléaire, qui est une très bonne initiative (Ah ! sur les bancs du groupe UMP). Nul n’est dénué d’intelligence. A quoi bon ces investissements publics et privés si les concurrents directs de nos grandes entreprises peuvent s’en approprier le produit et mettre fin à la coopération locale avec les universités et les sous-traitants ? Il va de soi que les dirigeants politiques ne peuvent pas se désintéresser de ces vagues d’OPA qui se préparent, que vous le vouliez ou non – et si vous ne le voulez pas, les électeurs vous demanderont des comptes. L’entreprise n’appartient pas seulement à ses actionnaires, mais à l’économie toute entière, qui relève du bien public.

M. Jean-Jacques Descamps - M. Montebourg est marxiste !

M. Arnaud Montebourg - Nous ne pouvons confier notre avenir au marché.

Le gouvernement de Villepin s’est lancé dans un discours sur le patriotisme économique.

M. Jean-Louis Idiart - Un discours de plus !

M. Arnaud Montebourg – Pendant ce temps, l’UMP organise le démantèlement des moyens que l’État peut opposer à la violence du marché, par la transposition de cette directive. On développe une nouvelle religion, celle du petit porteur. Pendant que le Premier ministre, nouveau don Quichotte, fonçait sur le moulin d’acier Lakshmi Mittal, vous expliquiez, Monsieur le ministre, que votre rôle est de veiller à ce que les procédures se déroulent correctement dans l’intérêt des actionnaires, et c’est tout !

M. le Ministre – Dans l’intérêt des parties prenantes.

M. Arnaud Montebourg – Les actionnaires, rien que les actionnaires ! La politique de la France se fait à la Corbeille et voici venu le temps du gouvernement des actionnaires, dont vous êtes le fidèle porte-parole !

Pour notre part, nous voulons que la politique reprenne ses droits. Pour cela, nous proposons de donner au ministre de l’économie le pouvoir de suspendre les OPA, au vu de leurs conséquences négatives. Le politique prendra ainsi ses responsabilités face à l’économie aveugle et souvent destructrice.

Par exemple, allez-vous laisser M. Mittal prendre possession d’Arcelor sans intervenir ? D’où vient son argent ? De sa holding cotée dans les paradis judiciaires des Caraïbes, d’une société installée opportunément dans la place financière la plus opaque d’Europe, les Pays-Bas ?

M. Jean-Jacques Descamps - Comme Renault !

M. Arnaud Montebourg – Sait-on que la croissance de son groupe s’est faite uniquement par échange de titres et que l’évaluation de la société est faite par son propre fils et par une banque d’affaires qui a accompagné cette stratégie de croissance similaire à celle de Vivendi et de Enron ? Le laxisme aura un prix devant les citoyens.

Quant à l’attractivité de notre territoire, ce que nous avons vu, ce sont des dizaines de sièges sociaux qui sont partis depuis 15 ans vers des zones de basse pression fiscale…

M. Jean-Jacques Descamps - Comme Renault.

M. Arnaud Montebourg - …C’est-à-dire des paradis fiscaux, que nous ne voulons pas leur offrir, sauf M. Novelli et ses amis madelinistes.

M. le Rapporteur – Et les contribuables !

M. Arnaud Montebourg – Nous leur offrirons un sanctuaire, et vous verrez les sièges sociaux revenir en France pour bénéficier de cette protection et se développer en paix…

M. le Rapporteur – Vous rêvez.

M. Arnaud Montebourg - Sans gaspiller l’argent pour racheter leurs propres actions, mais pour une économie équilibrée.

Faute d’arguments sérieux, on nous oppose des règles européennes sacrées devant lesquelles il faut s’incliner religieusement, sans même chercher à convaincre les autorités de Bruxelles de modifier leur religion. Mais ce qui a été fait par quelques hommes peut être refait.

M. le Rapporteur – C’est le traité de Rome.

M. Arnaud Montebourg - Le traité de Rome de 1957 n’a pas empêché les règles que nous proposons de rétablir, de s’appliquer jusqu’en 1996. Nous voulons fermer la parenthèse de la dérégulation ultralibérale.

D’autre part, le principe de la liberté de circulation des capitaux n’interdit pas le maintien de l’emploi et de l’investissement, qui relèvent d’un intérêt général plus important que cette liberté aveugle, dangereuse, stupide parfois.

M. le Rapporteur – La liberté est stupide.

M. Jean-Jacques Descamps - Et qui décide ?

M. Arnaud Montebourg – M. McCreevy, responsable du dossier des OPA ou M. Barroso ne peuvent brandir l’anathème du protectionnisme, comme vous le faites, pour empêcher les États nations de défendre les intérêts que l’Europe, par ultra-libéralisme, refuse de prendre en charge. En l’absence de politique industrielle européenne – puisqu’elle n’est toujours pas en formation –nous ne pouvons pas accepter que l’Union empêche les États membres d’avoir la leur. Si l’Europe fait son travail, les États peuvent lui déléguer la défense de leurs industries et de leurs emplois. Si elle ne le fait pas, face aux prédateurs, elle détruit elle-même la notion d’intérêt général, nourrissant les populismes et les lepénismes.

M. le Ministre – Il faut la Constitution européenne.

M. Arnaud Montebourg – Vous nous accusez de vouloir édifier une nouvelle ligne Maginot. Non, c’est la ligne Zapatero, du nom de celui qui vient de prendre un décret-loi de cette nature en Espagne, la ligne Junker, qui anime la résistance face à l’OPA sur Arcelor. Et même celle de pays hors d’Europe qui commencent à lutter contre les excès du capitalisme financier.

M. Jean-Jacques Descamps - Pas Prodi !

M. Arnaud Montebourg – Partout où il n’y a plus de politique – et votre projet tend à la faire disparaître – il est urgent de recréer les outils de l’action publique. Les propositions que nous formulerons au cours des débats viseront donc à faire face à la destruction de notre économie et de notre industrie par les OPA à venir.

Au détour d’un chemin tortueux, vous venez certes de privatiser GDF pour la sauver, mais vous ne pourrez pas toujours vendre le patrimoine public sous forme de pièces détachées. Face à dix ou quinze OPA, que ferez-vous ? Parce que vous vous serez démunis, vous ne pourrez pas contrer la vague d’OPA qui se prépare, et nous vous tiendrons responsables d’avoir désarmé notre pays face au danger.

Avant qu’il ne soit trop tard, nous vous demandons, chers collègues, de voter la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Philippe Auberger - Je donnerai raison à M. Montebourg sur deux points.

M. Jean-Louis Dumont - Bravo ! (Sourires).

M. Philippe Auberger – Personne n’a le monopole de l’intelligence, disiez-vous : cela est vrai. Et si le politique doit effectivement conserver tous ses droits, y compris en matière d’OPA, c’est précisément dans ce but que nous sommes réunis ce soir.

Pour le reste, il s’agit d’introduire en droit français une directive communautaire, qui ne prévoit aucune possibilité de suspension des OPA. J’ajoute que nous sommes tenus par les engagements que nous avons souscrits lors de la réalisation du marché unique et du marché, et qui prévoient la libre circulation des capitaux. Or, vous n’en avez pas soufflé mot !

Vous souffrez en outre d’amnésie. En effet, qui a déclaré à la télévision que nous ne pouvions rien contre les réorganisations industrielles ? Un certain Premier ministre, que vous souteniez à l’époque.

M. Arnaud Montebourg - C’était une erreur !

M. Jean-Louis Dumont - Et nous avons vu le résultat !

M. Arnaud Montebourg - Résultat qui vous attend également !

M. Philippe Auberger – On dirait que la blessure de 2002 n’est toujours pas cicatrisée !

Vous proposez de demander des promesses aux attaquants. Or, Alcan avait promis de ne pas délocaliser les sites de produits et de préserver les emplois. Nous avons vu ce qu’il en était trois ans plus tard !

M. Arnaud Montebourg - Mais vous n’aviez rien demandé !

M. Philippe Auberger - Les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent… (Sourires).

Enfin, quel simplisme de vouloir piéger l’épargne. Comment financeriez-vous les investissements dont les entreprises françaises ont besoin ?

M. Hervé Novelli - Très bien !

M. Philippe Auberger – Mais le comble n’était pas encore atteint ! En refusant les OPA hostiles, vous cherchez seulement à protéger les dirigeants des entreprises attaquées, qui sont les plus directement menacés.

M. Hervé Novelli - Très bien !

M. Philippe Auberger – Vous vous placez du côté des dirigeants d’entreprise ! La nouvelle est intéressante, mais nous n’avions pas besoin de ce débat pour le savoir.

Nous ne voterons donc pas la question préalable.

M. Jean-Claude Sandrier – S’agit-il de s’inscrire dans la guerre économique mondiale qui s’étend aujourd’hui, ou bien tenterons-nous de développer des coopérations, quel que soit le domaine concerné ? Voilà la question de fond !

Au motif de contrer les agressions, ce projet de loi va renforcer la financiarisation des entreprises, et vos fusions capitalistiques vont livrer les entreprises publiques aux marchés financiers, dont on sait pourtant quel traitement ils réservent à l’intérêt général.

Lors de la vraie-fausse OPA sur GDF, sur laquelle bien des interrogations planent, vous avez laissé passer l’occasion de créer un véritable secteur de l’énergie, pour constituer un groupe privé. Et tant pis pour vos grandes déclarations : vous garantissiez que l’État ne descendrait pas en deçà de 70 % du capital de GDF, et vous affirmiez même que la participation publique était une « véritable muraille de Chine ». Cette dernière vivra plus longtemps que vos engagements !

Et ne dites pas que les fusions serviront l’usager, car dans tous les secteurs, les fusions, les usagers en ont payé le prix, soit par une hausse des prix, soit par une insécurité supplémentaire, soit par davantage d’inégalités. Seuls les télécoms échappent à cette règle pour le moment.

M. le Ministre – Et Air France ?

M. Jean-Claude Sandrier – Loin de combattre la loi de la jungle imposée par les marchés financiers, vous cherchez à vous y conformer ! Nous voterons donc la question préalable.

M. Éric Besson - Le groupe socialiste approuve la question préalable que M. Montebourg a défendue avec sa fougue et son talent habituels. En revanche, je suis surpris de l’intervention de M. Auberger, qui a tort d’ironiser sur la déclaration de M. Jospin : les licenciements boursiers, opérés par de grands groupes qui réalisent des profits nous guettent toujours.

Et vous oubliez que Lionel Jospin avait fait adopter la loi de modernisation sociale, qui prévoyait des mesures de reclassement et de réindustralisation sur place (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Or, le premier acte de la majorité actuelle fut d’abroger ces dispositions, ouvrant ainsi une brèche colossale pour les licenciements. Il aurait donc fallu mieux choisir votre exemple, Monsieur Auberger !

Pour ce qui est de la protection des dirigeants d’entreprise, je rappelle qu’on nous avait accusé de nous en prendre à eux lors du débat sur la loi « nouvelles régulations économiques » - limitation du cumul des mandats, nomination d’administrateurs indépendants et transparence des rémunérations… Sans parodier le ministre de l’économie et des finances, je dirai que nous ne sommes pas en faveur des dirigeants d’entreprise : « nous ne sommes ni pour, ni contre, tout dépend des dossiers ».

Ce que nous demandons, c’est qu’on ne désarme pas l’exécutif des entreprises en exigeant un vote à chaud de l’assemblée générale, dans des contextes où il y a tout lieu de penser qu’elle encouragera la recherche du profit à court terme.

L’amendement qu’a évoqué Arnaud Montebourg tendra enfin à combler le gouffre qui sépare les discours des actes, et qui cause tant de mal à la politique.

Question d’actualité après question d’actualité, vous affirmez, Monsieur le ministre, que la France va bien ; or, les Français ressentent exactement le contraire ! Et quand vous soutenez que le CPE serait un facteur de protection, chacun a bien compris qu’il engendra plus de précarité ! Vous prétendez maintenant que nous ne manquons pas d’armes contre les OPA ; or, tout le monde voit bien que vous n’avez pas de mains pour vous en servir ! Enfin, s’il s’agit certes de transposer une directive, mais c’est vous qui choisissez de ligoter les entreprises en donnant un caractère obligatoire à l’article 9.

Il n’y a pas plus grand abîme entre les paroles et les actes que vos mesures. Nous voterons donc la question préalable.

M. Nicolas Perruchot - Le groupe UDF ne vous suivra pas. Dans la guerre économique décrite par M. Montebourg, les OPA détruiraient la valeur économique au seul profit de la finance, en supprimant des emplois. Et c’est un véritable tsunami social que vous nous promettez !

Pourtant, certaines OPA réussissent et créent même des emplois.

M. Hervé Novelli - Très bien !

M. Arnaud Montebourg – Avez-vous des exemples ?

M. Nicolas Perruchot – Et n’oubliez pas qu’un excès d’interventionnisme signifie parfois moins d’emploi !

Enfin, le fond du problème actuel n’est pas de savoir s’il faut ou non créer plus de profit en restructurant les entreprises, mais comment nous le redistribuons. Telle est en effet notre principale difficulté depuis des années, et le gouvernement Jospin l’a bien montré malgré son dirigisme…

M. Jean-Louis Dumont - Mais il a créé des emplois !

M. Nicolas Perruchot - … car il n’a pas réussi à sortir les Français de la misère dans laquelle ils étaient tombés. C’est à cela que nous devons réfléchir : donnons aux entreprises les moyens de créer plus d’emplois dans notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. le Ministre – Je voudrais me féliciter de la richesse de nos échanges, et remercier l’opposition de jouer son rôle d’opposition, contrairement à la première lecture ! Il est vrai que les choses ont changé entre temps.

Je suis plutôt satisfait que l’opposition se soit rapprochée de notre point de vue, puisque M. Besson semble ainsi prêt à voter l’amendement du Gouvernement, qui n’est d’ailleurs pas de circonstance. En première lecture, j’avais ainsi indiqué que la réciprocité pouvait être envisagée selon deux modalités : augmentation de capital réservé ou émission de BSA. J’avais dit que je prendrais ma décision dans le cadre de la deuxième lecture, et c’est le cas avec le choix de la seconde modalité, qui me paraît plus efficace et mieux adaptée. Je note également que M. Montebourg soutient la position gouvernementale concernant Mittal ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste).

M. Arnaud Montebourg – C’est la première fois que l’on me dit cela !

M. le Ministre – C’est en effet la première fois… que j’entends M. Montebourg parler de partie prenante. Que ne l’a-t-il fait plus tôt ! Qui, aujourd’hui, réhabilite la parole publique en matière d’OPA quand vous étiez silencieux s’agissant d’Alcan ? C’est ce Gouvernement qui a distingué entre l’État actionnaire et l’État partie prenante non actionnaire…

M. Jean-Louis Dumont - M. Bonrepaux avait réagi !

M. le Ministre – C’est ce Gouvernement qui demande à Mittal Steel de nous éclairer quant à son plan industriel…

M. Arnaud Montebourg - Nous attendons que vous bloquiez Mittal !

M. le Ministre – C’est ce Gouvernement qui, bien qu’Arcelor soit une entreprise luxembourgeoise, a pris toutes les mesures nécessaires afin de protéger l’ensemble des actifs de l’entreprise sur notre territoire, et au premier chef, l’emploi. C’est enfin ce Gouvernement qui a demandé à ce que dans le cadre d’une OPA, l’entreprise assaillante vienne s’expliquer devant le comité d’entreprise en précisant son projet industriel et social (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Éric Besson - Rappel au Règlement. Nous l’avons entendu au moins à cinq reprises : j’étais en effet absent le 15 décembre. Néanmoins, j’ai lu vos déclarations, Monsieur le ministre, ainsi que le compte rendu intégral des débats de première lecture. A quel moment avez-vous évoqué les BSA ? Sans doute ai-je manqué d’attention, mais je n’ai rien lu en ce sens. J’attends votre réponse.

M. le Président – Nous en venons à la discussion générale.

M. Jean-Louis Dumont – M. Perruchot s’est étonné que des orateurs de l’opposition s’attardent sur l’OPA inamicale de Mittal sur Arcelor, mais Arcelor, c’est une partie de l’histoire européenne, c’est l’acier d’hier, d’aujourd’hui et de demain, c’est l’histoire de la Lorraine et des luttes sociales ! C’est aussi l’histoire d’une famille qui a quand même coûté une quinzaine de milliards de francs aux contribuables. Oui, Arcelor demeure selon nous emblématique ! Cette année, nous célébrons en outre le 90ème anniversaire de la bataille de Verdun. Dois-je rappeler qui fabriquait les obus ? Dois-je rappeler ce courrier adressé aux ministres d’alors, leur demandant de ne pas bombarder les usines de Briey, appartenant à la même famille ? Des fortunes ont été faites avec le sang des autres. Derrière une OPA, c’est bien toute une histoire qui ressurgit, et nous devons y être attentifs.

En 1999, une longue, lente et pénible restructuration aboutissait enfin en Lorraine. Cette année-là, Usinor trouvait un acquéreur pour Unimétal-Gandrange contre le franc symbolique : Mittal Steel. Dans mon département, deux entreprises, SMR Revigny et Trefilunion Commercy, appartiennent à Mittal Europe. J’ai discuté il y a peu avec un syndicaliste de Mittal : il me disait que, si le PDG d’Usinor n’avait pas trouvé Mittal, lui-même aurait été au chômage, voire, aujourd’hui, au RMI. Je ne défends pas un camp contre l’autre : je constate qu’une partie de la fortune de Mittal Steel est peut-être due à des salariés meusiens et lorrains. Les actionnaires ne sont pas seuls. Ainsi, lorsque M. le ministre évoque le rôle du comité d’entreprise de l’assaillant ou de l’assailli, il ne devrait pas oublier les collectivités locales qui ont joué un rôle essentiel dans le développement des sites industriels et qui s’intéressent à leur avenir.

Lorsqu’une OPA inamicale se produit, il convient d’établir des lignes de défense : c’est une question de volonté politique. Aujourd’hui, plus de 50% des sociétés du CAC 40 peuvent faire l’objet d’une OPA et disparaître. Le cas d’Alcan et de Pechiney est à cet égard fort intéressant : il faut des années pour constituer une entreprise et deux mois suffisent à la démanteler. Référence a été faite à une aventure survenue à l’entreprise Renault en Belgique : ne pensez-vous pas que si la Wallonie ne s’est pas mobilisée afin de résister à une OPA inamicale, comme certains l’auraient espéré, c’est peut-être aussi en raison de ce que nous n’avons pas fait, nous, voici quelques années ?

Nous avons eu l’occasion de distinguer les OPA amicales et inamicales. Quoi qu’il en soit, il s’agit de savoir qui l’on privilégie, de la proie ou du prédateur. Jusqu’à présent, il semble que vous auriez tendance à défendre ce dernier, ce qui est dommage : une fois prise, l’entreprise, souvent, disparaît. Mes collègues ont rappelé l’émiettement du capital des entreprises du CAC 40, mais celui-ci sera encore plus important avec les BSA. Mme Colette Neuville a expliqué comment le détenteur d’une action bénéficiant de ces bons pouvait la vendre, récupérer les bons et faire augmenter le prix de la proie. Le prédateur empruntera et se payera avec la trésorerie ainsi constituée à partir de l’augmentation de la valeur faciale des actions. Certaines lignes de défense sont des tigres de papier !

J’en viens, puisque décidément le temps presse, à ma conclusion. Il faut d’abord rendre obligatoires les évaluations financières, si possible indépendantes. Il y a en effet matière à réguler, et l’Autorité des marchés financiers pourrait voir son rôle renforcé : il n’est pas sûr qu’elle ait joué tout ce rôle dans les négociations qui ont conduit à envisager la transposition de la directive de 2004 dans notre législation.

Il faut ensuite rendre effectifs les engagements sociaux et économiques des prédateurs, non seulement vis-à-vis des comités d’entreprise, mais aussi vis-à-vis des collectivités locales, qui ont souvent financé des terrains ou des investissements industriels. Bref, il faudrait contraindre les investisseurs institutionnels à intervenir lors des OPA. On a évoqué la Caisse des Dépôts. Mais on la voit mal assumer un rôle important aujourd’hui. Sans doute manque-t-elle pour cela de fonds. Vous avez, me semble-t-il, fait référence, Monsieur le ministre, au Fonds de réserve des retraites.

M. le Rapporteur – C’est votre collègue Besson.

M. le Président – Pouvez-vous achever votre conclusion, Monsieur Dumont ?

M. Jean-Louis Dumont – Abondé, il pourrait jouer un rôle important.

Il est sans conteste nécessaire de prendre des dispositions. Faisons en sorte qu’elles n’aient pas les effets pervers dénoncés s’agissant des BSA. Tout ce que nous pouvons souhaiter est donc que la majorité vote un texte applicable et, si possible, efficace en termes de développement économique et de politique sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Nicolas Perruchot – Le 28 octobre dernier, un grand quotidien français titrait en première page : « Les OPA sont de retour !». Pas un seul jour, en effet, où elles ne fassent la une de l'actualité. Qui n'a pas entendu parler de GDF, de Suez, d'Arcelor, de Mittal, d'Enel, d'E.ON ? J’aimerais cependant, au nom du groupe UDF, mettre en garde contre tout excès ou toute précipitation sur le sujet. Ce texte vise à transposer une directive européenne, non à réagir à l'actualité brûlante du moment. Il nous appartient de faire la distinction entre ce qui relève du travail parlementaire et ce qui relève du travail journalistique. L'actualité doit inspirer notre réflexion : elle ne doit pas nous dicter notre action.

Les derniers mois ont certes vu croître le nombre d'OPA impliquant des entreprises françaises. Mais avant de crier au loup, encore faut-il en comprendre les raisons. Celles-ci tiennent d’abord à la situation financière des entreprises, qui disposent désormais, après des années douloureuses, de liquidités en abondance dans un contexte de taux bas. Elles tiennent ensuite aux stratégies de concentration en vigueur dans de nombreux secteurs – matières premières, télécommunications et énergie – notamment en Europe, dans la perspective de l'ouverture du marché en 2007. Elles tiennent enfin au fait que ces acquisitions constituent pour nombre d’entreprises une promesse de croissance à des coûts attrayants. Ce texte très technique n'a par ailleurs fait l'objet d’aucune polémique en première lecture. On ne peut donc que s'étonner de la vigueur que retrouvent ce soir certains de nos collègues.

J'aimerais pour ma part inciter notre Assemblée à faire preuve de responsabilité et de pragmatisme, en avançant des propositions sincères et réalisables en matière de réglementation des OPA. Il est de notre devoir de ne pas faire miroiter aux citoyens des pouvoirs dont l'Etat ne disposerait pas. La déception serait en effet d'autant plus vive que bon nombre d’entre eux ne croient déjà plus en la parole et en l'action politiques. Il n'y a pas plus grand danger pour une démocratie que des dirigeants qui s’inventent des prérogatives face à des citoyens incrédules. Il faut au contraire exposer avec sincérité les tenants et les aboutissants de ce texte : la France est le premier pays européen à prendre des participations dans des entreprises étrangères. La France est aussi tout autant – voire plus souvent – dans le rôle de l’instigateur que dans celui de la victime. Nombre d’entreprises françaises ont dernièrement lancé des OPA sur des entreprises étrangères : EDF en se rapprochant de l'italien Edison ; BNP-Paribas en prenant le contrôle de la banque italienne BNL ; Arcelor avec le canadien DOFASCO. Il est étonnant que cela n’ait pas suscité de contestation…

Les débats sur ce texte doivent dépasser la caricature. Il s’agit de doter nos entreprises d'outils leur permettant de se défendre légalement et légitimement face à une OPA qui s'avérerait hostile, sans nuire à l'attractivité de notre pays.

La France du XXIème siècle n'est plus celle des Trente Glorieuses. Elle est désormais inscrite dans la mondialisation.

Ce projet est le fruit d'un long travail, puisqu'il aura fallu plus de quinze ans pour que la directive soit adoptée par l'Union Européenne le 21 avril 2004. Fruit d'un compromis à 25 Etats, le texte qui nous est proposé a le mérite de proposer une réglementation à la fois effective et raisonnable, et une démarche volontariste qui n’aboutit pas pour autant à une réglementation trop stricte. Il rejette les tentations protectionnistes, anachroniques et donc dangereuses.

L’amendement du Gouvernement sur les bons de souscriptions d'actions adopté au Sénat le 21 février ne permettra à notre sens que de retarder l'échéance de l'OPA. Les vraies solutions qui permettraient de renforcer la position des entreprises françaises résident dans notre capacité à assurer leur développement durable sur notre territoire et à développer l'actionnariat salarié. Nous attendons à ce titre avec intérêt le projet de loi sur l'épargne salariale.

Je voudrais pour terminer insister sur le fait que ce texte doit nous rappeler à notre sentiment européen.

M. le Rapporteur – Tout à fait !

M. Nicolas Perruchot - Le premier projet de directive avait été lancé dès 1989. Abandonné, puis réétudié à partir de 1996, il n’a abouti qu’en 2004. Les oppositions exprimées apparaissaient légitimes – le sujet est sensible. Et pourtant, il a été adopté. C’est la preuve que l'on peut agir de manière complémentaire, sage et démocratique entre toutes les capitales.

L'actualité a été marquée ces dernières semaines par le rapprochement entre GDF et Suez, alors que Suez était convoité par l'italien Enel. Au-delà de la question industrielle, on ne peut qu'être surpris des réactions qu’a suscitées l’éventualité d'une OPA du fournisseur d'énergie italien sur l'entreprise française. Considérer les Italiens comme une menace est à nos yeux signe d’une régression de l'idée européenne. Une OPA d'une entreprise européenne n’est que la suite logique de la construction européenne. La constitution d'un marché européen est notre seule chance d'exister face aux géants américain, chinois ou indien. Elle passe aussi par la constitution de champions européens et, à ce titre, le patriotisme économique prôné par le Gouvernement nous apparaît anachronique.

Ne restons pas enfermés dans notre tour d'ivoire. Écoutons nos voisins européens ! Certains s'inquiètent, à juste titre d'ailleurs, d'un retour au protectionnisme qui marquerait un nouveau recul de la construction européenne. La Commission européenne demande d’ailleurs des explications à la France sur la chronologie de la fusion entre Suez et GDF. Si cette dernière était en préparation depuis plusieurs mois, on ne peut que s’étonner d’une précipitation qui, si elle s’abrite derrière le patriotisme économique, risque de heurter nos voisins européens.

« Nous avons parlé européen », a dit Aristide Briand dans cet hémicycle le 26 février 1926, il y a tout juste 80 ans. Reprenons cet effort en rendant honneur à ce texte d'origine communautaire et en évitant d’y inscrire des dispositions contraires à l’esprit et à l’idéal européens (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Claude Sandrier - Les apprentis sorciers du tout marché, tout déréglementé, tout privatisé et tout libéralisé sont ce soir devant les résultats de leurs choix : l’OPA illustre parfaitement cette loi du plus fort que vous appelez libéralisme et qui n’est qu’une prise en otage des salariés et des PME sous-traitantes. La multiplication des offres publiques d’acquisition, le plus souvent hostiles et qui pourraient très prochainement concerner d’autre groupes qu’Arcelor ou Suez, met en lumière les impasses de votre modèle économique. Elle est en effet la conséquence logique de la déréglementation de l’économie. Comment ne pas voir le lien étroit qui existe entre la dérégulation du secteur de l’énergie et la multiplication des OPA sur les entreprises du secteur, entre l’hostilité de la Commission européenne à l’égard de toute forme de politique industrielle concertée et la situation où se trouve placée Arcelor ?

Certains, devant l’affaire Mittal Steel, ont pu penser que la menace qui pèse sur l’Europe vient des pays émergents, mais le problème est ailleurs : la course aux gains de productivité et la recherche de la rentabilité ont conduit nombre de nos entreprises à privilégier des stratégies à court terme, soit en abandonnant leur cœur de métier, soit en se livrant à des acquisitions hasardeuses et à des restructurations sauvages, pour lesquelles elles se sont endettées et ont donc freiné leur effort de recherche et développement et leurs investissements – bref, elles se sont fragilisées et l’OPA vient sanctionner cette stratégie à courte vue. Le Gouvernement et la majorité ont leur part de responsabilité dans cette situation : ils n’ont eu de cesse de favoriser la pénétration de nos marchés financiers et de livrer jusqu’à nos PME aux appétits d’actionnaires qui se soucient bien peu de patriotisme économique. Il est du reste assez curieux de prêcher un tel principe et de laisser libre la circulation des capitaux dont la seule patrie est une rentabilité qui a « des exigences de moins en moins compatibles avec la raison économique », comme le dit Patrick Artus.

Fidèles aux convictions de Bruxelles, vous nous proposez pour toute solution un texte qui accorde une fois encore la primauté à la logique financière. La première de vos mesures anti-OPA est le renforcement de l’actionnariat salarié : mais distribuer quelques actions sans remettre en cause la logique des entreprises ne pourra rien changer à la situation, sauf à servir de prétexte pour refuser, comme cela s’est vu récemment, des augmentations aux salariés ! Économiquement, cela ne peut avoir d’effet positif sur la consommation et la croissance. En revanche, et à condition d’éviter que cela n’engendre une pression sur les salaires, nous sommes favorables à une distribution d’actions gratuites, ne pouvant être revendues et impliquant de nouveaux pouvoirs, pour les salariés, dans la gestion de l’entreprise. C’est une question clé.

Vous proposez aussi l’implication de la Caisse des dépôts et consignations : bravo ! Les communistes le demandaient depuis de nombreuses années. Mais vous le faites sans rien changer à la logique financière qui préside à la gestion des entreprise ! La mesure doit s’accompagner d’une gestion fondée sur l’investissement dans les capacités humaines, ce qui signifie recherche, formation et développement des coopérations. Il faut faire appel à la Caisse des dépôts pour sécuriser l'emploi, la formation et la recherche, bref, tout ce qui favorise croissance et développement, et non pour garantir à quelques-uns des taux de rentabilité invraisemblables ! Quant à la fameuse « pilule », dite « empoisonnée » – on peut se demander pour qui – il est vrai qu’une augmentation de capital rendra l’achat plus difficile, mais puisque vous ne changez rien sur le fond, le système ne va qu’encourager cette gestion néfaste. En outre, augmenter le capital en bourse conduira à accroître encore l'exigence de rentabilité financière : c'est une vis sans fin ! Ces mesures sont si peu crédibles que l'éditorialiste d'un quotidien économique réputé a écrit qu’à l’évidence, aucune de ces digues anti-OPA ne suffira à elle seule à protéger les entreprises.

Face aux risques de destruction d'emplois et de capacités industrielles, en France et en Europe, que représentent les OPA, le groupe communiste et républicain a formulé des propositions qui, pour une part, prennent en compte les remarques de Joseph Stiglitz, ancien conseiller de Bill Clinton et prix Nobel d'économie. Celui-ci affirme que les marchés ne sont pas capables de s'autoréguler et que l'idéologie du libre marché préconisant de «rétrécir» sans cesse l'Etat a été un échec dont il faut tirer l’enseignement en répartissant au mieux les rôles entre l'Etat et les marchés, ajoutant que les échecs du «tout Etat » ne pourraient faire oublier ceux du « pas d'État » ou de « l'État rétréci ».

Devant les résultats de votre modèle ultralibéral, vous appelez à une sorte d'union sacrée, au prétexte de patriotisme, mais qui consisterait essentiellement à se rassembler derrière de grands intérêts financiers privés. L’affaire Suez est un cas d'école : alors que vous aviez tous les moyens de bloquer une OPA sur Suez – dont la réalité reste toutefois à démontrer – en organisant un regroupement entre Suez, GDF, EDF, la Caisse des dépôts et COGEMA, les deux dernières étant déjà actionnaires de Suez, pour constituer un véritable pôle public de l'énergie, vous avez préféré une fusion privatisant de fait Gaz de France. Le patriotisme économique commandait de respecter le souhait de la majorité de nos concitoyens, à savoir l'exercice d'une responsabilité publique sans faille dans le domaine de l'énergie. Vous avez préféré noyer GDF dans un groupe privé en les mettant ensemble en concurrence avec EDF : quel gâchis !

Nous demandons donc l'arrêt de tout processus de déréglementation dans le secteur énergétique et l’organisation des coopérations nécessaires pour la constitution de réseaux de services publics européens. Les rapprochements nécessaires ne doivent pas se faire par une guerre économique et une concurrence destructrices, mais par des coopérations visant à sécuriser l’emploi, la formation et la recherche. Les besoins de financement doivent être couverts par un nouveau type de crédit bonifié, favorisant l'investissement dans les capacités humaines et la recherche plutôt que la rentabilité financière à court terme. Les changements dans les choix de gestion doivent s'appuyer sur de nouveaux droits et pouvoirs d'intervention des salariés dans la gestion.

« L’argent coule à flots » a écrit Patrick Artus dans son livre Le capitalisme est en train de s’autodétruire. Il ajoute que c’est un capitalisme sans projet, qui ne fait rien d’utile de ses milliards et qui n'investit guère. Dans ce contexte, la transposition d'une directive libérale ne fait que permettre la poursuite des gaspillages financiers. Rappelons qu'en quelques mois, 138 milliards ont été dilapidés en Europe pour des fusions-acquisitions sans investissements utiles pour la recherche et la formation ! En accordant une primauté renforcée au droit financier sur le droit du travail ou la simple logique économique, il s’agit de permettre des batailles financières toujours plus massives, mobilisant des ressources toujours plus importantes.

La réponse aux questions qui nous sont posées aujourd'hui suppose de nourrir une tout autre ambition : définir une véritable politique industrielle, favoriser les rapprochements entre entreprises sans être inféodé à la loi du marché, garantir le rôle et la place des salariés dans la prise de décision. Ce texte représente une fuite en avant dont les conséquences humaines seront toujours plus dures. Le patriotisme ne consiste pas à faire fructifier quelques intérêts privés et à permettre à Suez de phagocyter GDF, mais à assurer toujours mieux la défense et la promotion de l'intérêt général. Nous voterons donc contre ce texte.

M. Philippe Auberger - Depuis la première lecture de ce texte, le climat s’est profondément modifié, avec notamment les opérations projetées par Mittal Steel ou Enel. Ce n’est pas mauvais pour l’actionnaire : le CAC 40 a dépassé les 5 000 points et certains de nos concitoyens qui, auparavant, se portaient plutôt sur des valeurs à taux fixes vont venir se placer en bourse, soit directement, soit par le biais de fonds d’investissement ou d’assurances-vie, grâce notamment pour ces dernières à l’excellent amendement adopté dans la loi sur la confiance et la modernisation de l’économie. C’est également très utile aux entreprises, qui vont pouvoir plus facilement augmenter leur capital ou s‘introduire en bourse, et donc financer leurs investissements dans de meilleures conditions.

Il ne s’agit donc pas de remettre en cause la transposition de la directive européenne, mais de trouver un ajustement dans l’équilibre qui avait déjà été obtenu. D’une part, il est vain de vouloir interdire les OPA, puisque cela revient à dissuader les épargnants en actions, ce qui nuit au financement de l’économie, à protéger indûment les équipes en place, alors que celles-ci peuvent bénéficier d’une rente de situation, et à ne pas produire tous les efforts nécessaires pour rationaliser et améliorer la compétitivité des entreprises. Enfin, cela ferait fuir les capitaux étrangers alors qu’ils sont indispensables dans la moitié des capitalisations du CAC 40.

Il ne s’agit évidemment pas de laisser se développer des OPA à tout va, car cela placerait les actionnaires, les emplois et les centres de décision à la merci de prédateurs. Il faut donc faire en sorte d’avoir des offres transparentes, indiquant bien quel est l’intérêt à long terme de l’actionnaire quant à la valorisation de son patrimoine et à son rendement. Il convient d’inciter les entreprises à prendre des engagements précis en ce domaine et cela n’est pas du tout contraire à l’intérêt des salariés, car la stabilisation du capital est favorable à l’emploi.

Parmi les innovations introduites au Sénat, il y a évidemment la possibilité d’émettre des BSA. Et si nous voulons que cette arme contre les OPA néfastes fonctionne bien, il est indispensable de laisser les actionnaires autoriser ce type d’émission dans le cadre d’assemblées générales extraordinaires, puisqu’il s’agit d’augmenter à terme le capital de l’entreprise.

Nous aborderons les autres sujets dans le cadre de la discussion des articles, qu’il s’agisse de la publication du décret relatif à la convocation des assemblées générales – pièce maîtresse en matière d’OPA-, du contenu de la note d’information, laquelle doit dispenser l’information la plus complète possible, en priorité aux actionnaires et non aux membres des comités d’entreprise…

M. le Rapporteur – Absolument !

M. Philippe Auberger – Il y a aussi la question du visa de l’AMF. S’il est possible d’autoriser l’AMF à déléguer son visa, encore faut-il – bien que la loi relative à la sécurité financière ne l’ait pas précisé – que celle-ci s’assure que les notes d’information visées par une autre autorité présentent un contenu aussi riche et aussi prospectif que les siennes. Le ministre a du reste très bien décrit la clause de réciprocité, laquelle constitue la clé de voûte de la directive en ce qu’elle prévoit qu’attaquant et attaqué se défendent à armes égales, pour éviter que ne se développe un capitalisme naïf aux mains de prédateurs…

M. le Ministre – Absolument !

M. Philippe Auberger - Telles sont les raisons qui amènent le groupe UMP à approuver ce texte indispensable. Au surplus, je tiens à féliciter le Gouvernement pour sa diligence, car, pour une fois, la France n’est pas en retard pour transposer une directive européenne, la date fatidique du 20 mai étant encore loin. C’est tout à l’honneur du Gouvernement ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Arnaud Montebourg - Mais c’est pour le malheur de la France !

M. Paul Giacobbi – Voilà qu'après nous avoir chanté le grand air du libéralisme dans le grand marché européen et avoir fustigé toute velléité étatique d'y intervenir, notre gouvernement nous donne une interprétation étonnante de la vierge effarouchée par les méchants industriels étrangers ! En quelques jours, nous sommes passés du libéralisme mondialisé au patriotisme économique, nouveau concept flamboyant après « la France debout, face aux hommes, face à l'Histoire ». Après qu'on nous a ici même loué « le monde qui avait changé et l'inéluctable mondialisation », voici que l’on demande au législateur de tenir le rôle du guerrier gaulois défendant son pré carré économique.

Aujourd'hui, nous improvisons donc, pour répondre aux deux OPA qui font l'actualité, des stratégies hasardeuses sur le plan juridique, contestées au plan communautaire et grandiloquentes. Au final, elles ne semblent pas avoir la moindre chance de réussir. S'agissant d'Arcelor, notre position n’est en réalité que médiatique, cependant que la stupéfiante imprévoyance de ses dirigeants – et du Gouvernement – laisse ce groupe pathétiquement démuni face à une OPA tout à fait prévisible, et du reste prévue depuis des mois – et je pense que le Gouvernement en était informé – puisqu’elle avait fait l'objet d'un avertissement donné au chef d'entreprise.

Qu’en est-il, dans ces conditions, de la capacité de veille stratégique du Gouvernement ? L’existence d’un prédateur de taille mondiale, verrouillé à 95 %, ayant levé 8 milliards de fonds sur les marchés et disposant d’un cash formidable, n’était-elle pas de nature à inquiéter les autorités nationales ? La République française a consacré à Arcelor des subventions de plusieurs milliards. Aujourd'hui, à moins d'un miracle, cet outil industriel sera absorbé sans que nous ayons pu réagir autrement qu'en nous ridiculisant.

M. le Ministre – Qui a vendu les actions Arcelor ? C’est vous !

M. Paul Giacobbi - M. le ministre des finances a cru bon de convoquer le créateur d'un empire industriel pour lui expliquer comment l'on gouverne une entreprise. Et je ne doute pas qu'après avoir expliqué comment on organise la croissance d'un groupe industriel à Lakshmi Mittal, Thierry Breton, ira expliquer à Bill Gates, s’il vient un jour prochain à Paris, comment on dirige une entreprise d'informatique ! (M. Montebourg s’esclaffe). Mais hormis ces leçons, qui font de la France la risée de la presse économique mondiale, et certains propos un peu limites, pourriez-vous, Monsieur le ministre, expliquer concrètement comment vous allez lutter contre un projet d’OPA qui semble plutôt bien avancé ?

M. Arnaud Montebourg - Quand bloquez-vous l’OPA ? Voilà ce que vous demande l’opposition !

M. Paul Giacobbi - L’affaire de Suez est plus obscure, pour ne pas dire glauque ! Puisque l’on nous parle à l’envi de patriotisme économique, je voudrais comprendre pourquoi il serait nécessaire de sacrifier notre secteur énergétique public – Gaz de France d’abord, EDF demain peut-être – pour tenter de conserver une certaine influence française dans un groupe énergétique privé dominé par des capitaux belges… A ce stade, il serait d’ailleurs utile de préciser en quoi consiste le plan industriel Suez-Gaz de France et quelles conséquences il aura pour EDF, dont le président n'a pas semblé rassuré par le Gouvernement.

Vous présentez aujourd'hui un projet de loi dans lequel la suprême astuce, l'arme de dissuasion massive consiste en la possibilité d’émettre des BSA dans la société cible. Si nous comptons sur ce texte pour défendre nos industries contre les OPA, les raiders étrangers n'ont pas trop de souci à se faire et le « patriotisme économique » restera une formule de plus ! M. Breton s’est vanté d’avoir restauré la parole publique : nous aurions préféré que le Gouvernement instaure une politique publique en matière d’OPA. A l'occasion de ce texte, le gouvernement pourrait se donner les moyens d'une véritable politique industrielle nationale. C'est le moment ou jamais de passer du discours aux actes…

M. Jean-Pierre Brard - Ne rêvez pas !

M. Paul Giacobbi - Las, l’affaire est pliée et nous n’aurons pas de surprise ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Pierre Brard - C’est une histoire corse !

M. Luc-Marie Chatel - Le présent texte aura eu au moins un intérêt : alors qu’il n’avait, en première lecture, qu’une connotation technique de transposition de directive, il prend aujourd’hui, compte tenu de l’actualité récente, une tout autre importance. Ce débat a d’abord amené certains de nos collègues, sur certains bancs, à ouvrir les yeux sur le monde dans lequel nous vivons… (« Enfin ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Pierre Brard – Il doit y avoir souvent du brouillard, chez vous !

M. Luc-Marie Chatel - Eh oui, l’économie est aujourd’hui mondialisée, et, que l’on s’en réjouisse ou le déplore, cela représente souvent une chance pour nos entreprises…

M. le Ministre – C’est vrai !

M. Luc-Marie Chatel - Dois-je rappeler qu’un salarié français sur sept travaille grâce aux performances de nos entreprises à l’exportation ? Ou encore que l’année dernière, la France a été le premier pays d’Europe pour l’accueil de projets et d’investissements internationaux ? Ce sont 500 projets – en majorité en provenance des Etats-Unis et dans le secteur de la sous-traitance automobile – qui se sont développés sur notre sol, ce qui a créé plus de 30 000 emplois. La France est encore compétitive dans des métiers traditionnels lorsqu’elle sait jouer la carte de la mondialisation.

Ouvrir les yeux, aussi, sur les échanges de capitaux et les restructurations. Enfin, sur la fragilité de certains de nos groupes, notamment parce que notre pays, en son temps, n’a pas fait le choix des fonds de pension à la française, et ce pour des raisons essentiellement dogmatiques. Il faut en convenir : certains de nos grands fleurons industriels s’en trouvent aujourd’hui fragilisés…

M. le Ministre – C’est exact.

M. Luc-Marie Chatel - Dans sa version initiale, le projet de loi transposait la directive d’avril 2004 en conciliant la dimension internationale des entreprises françaises, le pouvoir d’attraction de la place financière de Paris et la capacité, pour nos entreprises, de disposer de mesures de défense équitables face à des offres inamicales. Mais la discussion au Sénat, en pleine offensive de Mittal sur Arcelor, a permis de notables améliorations, grâce à l’amendement du Gouvernement sur les BSA, lesquels permettront aux entreprises cibles de raids prédateurs d’augmenter leur capital et de renchérir ainsi leur coût d’acquisition.

Une fois ce texte adopté, il restera d’autres leviers majeurs pour empêcher ce type de raid. Le premier, c’est la constitution de grands champions nationaux ayant vocation à devenir leaders de leur secteur, une fois atteinte une taille critique suffisante pour décourager toute tentative de rachat. Nous en connaissons un certain nombre, qu’il s’agisse de Total, de BNP-Paribas ou, demain peut-être, du fruit du rapprochement entre Suez et Gaz de France…

M. Jean-Pierre Brard - Fossoyeur !

M. Luc-Marie Chatel - Autre levier, le projet de développement de l’actionnariat salarié qui sera défendu ici dans quelques semaines, car comment mieux protéger une entreprise de raids prédateurs qu’en augmentant la part de l’actionnariat des salariés ? On connaît en effet l’impact que cela peut avoir auprès d’investisseurs étrangers…

M. Jean-Pierre Brard - Et l’on sait que vous les protégez bien les petits actionnaires ! Demandez à ceux d’Eurotunnel !

M. Luc-Marie Chatel - Pour toutes ces raisons, nous soutenons ce texte car vous avez trouvé le chemin entre le laisser-faire total et l’interventionnisme passéiste (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Arnaud Montebourg - On en reparlera !

M. Bernard Carayon - Je fais partie de ceux qui se félicitent du retour du volontarisme en économie...

M. Jean-Pierre Brard - Vous devriez acheter un Petit Robert pour vérifier le sens des mots !

M. Bernard Carayon - … dont témoignent le sauvetage d’Alstom par Nicolas Sarkozy il y a quelques années, la constitution d’un leader mondial de la pharmacie avec la fusion Sanofi-Aventis, la création de l’Agence de l’innovation industrielle, de l’Agence nationale de la recherche ou bien encore d’OSEO et la mise en place des pôles de compétitivité. Toutes ces initiatives marquent le retour d’une véritable stratégie industrielle…

M. Jean-Pierre Brard – Et d’une hausse du chômage !

M. Bernard Carayon - Le contexte l’exigeait après le rachat, hélas, d’entreprises stratégiques comme Pechiney ou GemPlus, permis par l’économie ouverte, offerte devrais-je dire, laissée par nos prédécesseurs, en l’absence de fonds de pension. Ce sont maintenant les OPA qui se multiplient, fantômes comme sur Danone, tentées comme sur Suez, réelles comme sur Arcelor.

Dans cette situation trois attitudes sont possibles. Tout d’abord, celle des partisans de « l’économie des formulaires » qui voudraient tout encadrer sur le plan administratif et verrouiller pour des années la stratégie des entreprises. Je vise ici l’amendement de nos collègues socialistes qui croient contrer les excès des marchés par des excès d’administration. Pourquoi dès lors ne pas interdire purement et simplement toute OPA hostile en France ?

M. Arnaud Montebourg - Que font les Américains ?

M. Bernard Carayon – Ce type de proposition se retournerait tôt ou tard contre nos entreprises.

La deuxième attitude, tout aussi négative, est celle des partisans de l’ouverture sans la moindre protection ni contrepartie. Ses tenants ont sans doute été quelque peu déstabilisés par l’actualité économique de ces derniers mois, si la pratique quotidienne des affaires ne leur avait pas déjà apporté la preuve de la naïveté et de l’irréalisme des théories sur lesquels ils se fondent.

La troisième attitude enfin, qui est la vôtre, Monsieur le ministre, consiste à n’être ni naïf ni paranoïaque.

M. le Rapporteur – Absolument.

M. Bernard Carayon – Il s’agit de nous placer, en partie au moins, à armes égales avec nos partenaires compétiteurs. Je dis en partie seulement car, à y regarder de plus près, en dépit des déclarations convenues, les outils dont disposent nos partenaires, leurs pratiques et leurs modes d’organisation, les protègent bien plus encore que ne le fera ce texte.

Avec celui-ci, nous réaffirmons que l’entreprise ne se résume pas tout entière aux dividendes de ses actionnaires. C’est avant tout une communauté d’hommes et de femmes, ancrée dans un territoire, expression parfois d’un intérêt national…

M. Jean-Pierre Brard - « Parfois », tiens, tiens !

M. Bernard Carayon – Les entreprises doivent donc, comme tout organisme, pouvoir se défendre en cas d’agression. C’est d’ailleurs ce qu’elles font aux États-Unis, parangon du libéralisme.

Les intérêts des actionnaires doivent être protégés, notamment ceux des actionnaires minoritaires. Le mécanisme des BSA inquiète certains en ce qu’il pourrait entraîner une dilution du capital de l’entreprise, et donc une diminution de la valeur des actions. En réalité, les bons ayant une fonction essentiellement dissuasive et n’étant presque jamais émis, le risque demeure très théorique. Et si d’aventure ils étaient émis, dans la mesure où tous les actionnaires recevraient tous ceux émis après la clôture de l’offre, seul l’initiateur verrait son capital dilué, les autres, notamment les actionnaires minoritaires, n’auraient pas à en pâtir.

L’autre point en débat porte sur la nature de la majorité nécessaire à l’assemblée générale qui accepte le principe des BSA. Les tenants de la majorité des deux tiers arguent que celle-ci est nécessaire dans la mesure où il s’agit d’une augmentation de capital. Or, aucune règle supra-légale n’impose une telle majorité en ce cas. Ensuite, en cas d’augmentation de capital par incorporation de réserves, l’assemblée générale extraordinaire statue d’ores et déjà aux conditions de quorum et de majorité des assemblées générales ordinaires. Faire approuver les BSA à la majorité simple ne serait donc pas sans précédent. Enfin, l’objet des BSA n’est pas de procéder à une augmentation de capital, mais de donner aux actionnaires la faculté de mandater le conseil d’administration pour négocier les termes de l’offre. Plus de vingt ans d’expérience aux États-Unis montrent que ce mécanisme ne conduit jamais dans les faits à une augmentation de capital.

La thèse selon laquelle l’adoption à la majorité qualifiée protégerait mieux les petits actionnaires est elle aussi inexacte. Ceux-ci sont déjà parfaitement protégés par le principe d’attribution égalitaire et gratuite des bons, lesquels sont émis dans l’intérêt de tous les actionnaires, sans distinction. En outre, la majorité des deux tiers pourrait permettre à des fonds spéculatifs notamment de s’opposer à la volonté d’une majorité de petits actionnaires. D’où l’amendement que j’ai déposé et auquel s’est rallié, avec bon sens, le rapporteur. Je m’en réjouis et le remercie (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Olivier Dassault - L'an dernier, nos entreprises de textile étaient confrontées à la concurrence brutale de la Chine. Ce soir, pendant que nous parlementons, les Indiens travaillent.

M. Jean-Pierre Brard - Oui, les enfants indiens travaillent.

M. Olivier Dassault - La vague des produits bon marché venus d'Asie, où on ne recule pas devant le dumping social le plus honteux et où l'on distille en permanence le poison de la contrefaçon, a atteint tous nos secteurs d'activité. Dans ce climat de compétition exacerbée, chaque entreprise mobilise ses talents pour réduire ses coûts. Les meilleures y parviennent en optimisant leur organisation interne et leurs processus de production, et en exploitant toutes les ressources procurées par les révolutions technologiques. Certaines tentent de résister aux assauts de la concurrence en grossissant, cherchant ainsi à peser sur leurs fournisseurs et leurs clients, à réduire leurs frais de structure et à amortir les aléas de la conjoncture en diversifiant leurs marchés et de leurs produits. Pour les dirigeants des sociétés dont l'actionnariat est dispersé, la taille est aussi un moyen de décourager les prédateurs et d'échapper à une OPA hostile. Ainsi a-t-on vu très récemment Pernod Ricard, BNP Paribas, Air France, Saint-Gobain, Arcelor, se lancer à la conquête de groupes étrangers. L’honnêteté exige de reconnaître que cette course à la taille ne peut pas être à sens unique. Danone demeure sous la menace d'une OPA de Pepsi-Cola ; Arcelor est attaqué par Mittal Steel, sidérurgiste de droit européen dirigé par une famille indienne. Et Suez, groupe français qui tire l'essentiel de ses profits d'Electrabel, filiale conquise en Belgique, est convoité par l'italien Enel, ce qui vous a conduit, Monsieur le Ministre, a proposer, avec pragmatisme et réactivité, une fusion entre Suez et GDF.

Face à ces mutations accélérées, quelle doit être notre politique ? La France a fait depuis longtemps le choix courageux et réaliste d'une économie ouverte où circulent librement les personnes, les marchandises et les capitaux. Elle est à l’origine de l’Union européenne qu’elle a voulu capable de tenir tête aux grands blocs nord-américain et asiatique. Qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, jouant le jeu de la solidarité européenne et mondiale, elle s'est progressivement dessaisie de nombreux outils de politique économique auprès d'instances internationales. Parallèlement, l'État s'est désengagé, à juste titre, de nombreuses entreprises. Il a vendu la plupart de ses participations industrielles et a ouvert à la concurrence des services jusqu'alors confiés à des monopoles. Les actionnaires privés ont désormais le soin de décider ce qui est bon pour les entreprises, tandis que les consommateurs jouissent de la liberté de choisir leur fournisseur de téléphone ou d'énergie.

M. Jean-Pierre Brard - Et tant pis pour l’intérêt national !

M. Arnaud Montebourg - Quelle naïveté !

M. Olivier Dassault - Ce choix d'une économie de liberté impliquait de faire confiance aux entreprises françaises pour résister seules à leurs concurrents étrangers et de miser sur l'épargne française pour s'y investir. Hélas, en même temps que les entreprises se sont trouvées confrontées à la concurrence, le droit de s'armer pour livrer bataille leur a été refusé. Outre de conditions fiscales et réglementaires pénalisantes, elles pâtissent du climat de suspicion qui pèse sur leurs succès comme sur les réussites individuelles, lourdement sanctionnées par l'impôt au nom d'un égalitarisme dogmatique. Ainsi, cette année encore, nos plus belles affaires sont critiquées pour leurs profits, pourtant seule protection efficace contre des OPA hostiles. J'approuve donc votre détermination, Monsieur le ministre, face à ce qui peut mettre en péril des emplois et des intérêts stratégiques, et vous savez le soutien que je vous apporte en ce domaine.

Je tiens à saluer l'amendement à l'article 10 du projet de loi, adopté au Sénat, à l'initiative du Gouvernement, qui autorise l'assemblée générale à émettre des BSA pendant la période d'offre publique. C'est une mesure efficace et sage, grâce à laquelle nos entreprises aurontl es mêmes chances que leurs homologues américaines. Pour ce qui est de son application, je suis plutôt favorable à la méthode préconisée par M. Marini, rapporteur général de la commission des finances du Sénat. Celui-ci propose que cette décision puisse être prise par une assemblée générale ordinaire, et il me semble en effet que la majorité simple est suffisante. Je crains que la tenue d'une assemblée générale extraordinaire dans ces circonstances, ne conduise dans les faits à empêcher d’utiliser ce moyen de défense. Il serait en effet extrêmement difficile d'obtenir la majorité qualifiée dans un délai nécessairement réduit en cas d'OPA hostile.

Je souhaite enfin insister sur le fait que la méfiance à l'égard du profit que j’évoquais d'une captation de l'épargne privée pour financer la dette publique et les déficits de la Sécurité sociale, éloignant les Français du marché des actions. Le refus de leur accorder le droit de se constituer un complément de retraite dans des conditions avantageuses, grâce à des fonds de pension, a contraint nos entreprises à s'en remettre à l'épargne internationale pour assurer leur développement. Ceux qui ici ont sabordé, pour des raisons dogmatiques autant que démagogiques, la loi Thomas, savent-ils ce qui est arrivé depuis ? Nos PME et PMI, qui sont le tissu nerveux de notre économie, ont du mal à trouver des financements pour grandir, tandis que les grands groupes sont à la merci d'investisseurs étrangers, dans le meilleur des cas, et bien souvent de retraités de Palm Springs ou de Miami, intéressés par leurs seuls dividendes. Nous sommes dans une situation schizophrénique où nous inventons le capitalisme sans capital !

Le problème n'est plus désormais de .proclamer un "patriotisme économique" pour résister aux OPA venues d'ailleurs, mais, comme vous l'avez souligné dans votre propos liminaire, Monsieur le ministre, de soutenir nos entreprises dans la compétition, en particulier nos PME-PMI, vivier d'initiative et d'innovation, le conservatoire vivant de nos savoir-faire et le soutien nécessaire des grands groupes. Ce sont des étoiles dans la galaxie économique : dans l’élan créé par les grands groupes, elles scintillent telles la queue des comètes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – La discussion générale est close.

J’appelle maintenant dans le texte du Sénat les articles du projet de loi sur lesquels les deux assemblées n’ont pu parvenir à un texte identique.

M. Arnaud Montebourg - Rappel au Règlement. Diverses questions ont été posées par les orateurs, notamment de l’opposition. Il est de tradition que le ministre réponde aux orateurs à la fin de la discussion générale. Il serait utile qu’il s’exprime avant que nous n’abordions l’examen des amendements.

M. le Président - Monsieur le ministre, souhaitez-vous vous exprimer ?

M. le Ministre – Invité à le faire par M. Montebourg, je ne saurais refuser.

Je tiens à saluer M. Brard qui vient d’arriver et qui n’était pas là non plus lors de l’examen du texte en première lecture. Monsieur Brard, êtes-vous venu ce soir avec votre petit Robert ?

M. Jean-Pierre Brard - Non, Le Littré !

M. le Ministre – Quelle définition donne-t-il d’OPA ?

M. Jean-Pierre Brard - Le mot n’y figure pas.

M. le Ministre – OPA, cela signifie offre publique d’achat. Et, contrairement à ce que semblent penser beaucoup d’entre vous, une OPA n’est pas un acte guerrier. Ce sont des OPA qui ont permis à des entreprises françaises de devenir de grandes entreprises mondiales. C’est un cadre juridique qui permet de protéger, lors de fusions, la plupart du temps amicales ou sollicitées, les actionnaires mais également les parties prenantes non actionnaires, pour que les actionnaires votent en toute connaissance de la position de ces parties prenantes, collectivités locales, salariés, fournisseurs et clients, et également les Etats.

S’agissant d’Arcelor, monsieur Giacobbi, vous avez la mémoire courte. Qui a fait en sorte que cette société puisse avoir son siège à Luxembourg, qui a vendu les dernières actions détenues par l’Etat ? C’est votre majorité. Je ne le critique pas, mais c’est un peu osé de déposer un tel amendement.

M. Bernard Carayon - Ils l’ont fait avec le soutien du parti communiste !

M. Arnaud Montebourg - Cette erreur ne vous dispense pas d’agir !

M. le Ministre – Vous aviez eu la sagesse à l’époque de vouloir contribuer à la constitution de grands groupes européens.

Sur ce type d’opération, nous avons réhabilité la parole publique.

M. Arnaud Montebourg - Ce que nous voulons, ce sont des actes !

M. le Ministre – Ce que vous n’avez pas fait à propos de l’opération menée par Alcan et que vous critiquez.

En deuxième lecture, nous allons examiner un certain nombre d’amendements, notamment celui déposé par le Gouvernement dans le cadre de la réciprocité. Son objectif, c’est de permettre à nos entreprises de se défendre à armes égales, notamment dans le cas – rare – d’OPA hostile. Il faut alors que la fusion se fasse dans l’intérêt des salariés, des clients, des fournisseurs et, enfin, puisqu’ils votent, dans l’intérêt des actionnaires. Nous avons déjà fait évoluer ce texte au Sénat. Un certain nombre d’amendements vont encore l’enrichir. Il me tarde de les entendre exposer.

après L’article premier

M. Arnaud Montebourg – Notre amendement 14 tend à empêcher l’Autorité des marchés financiers, chargée de faire respecter la loi en cas d’OPA, de se dessaisir, comme elle l’a fait dans l’affaire Arcelor au profit de l’autorité luxembourgeoise alors que la société compte des dizaines de milliers d’ouvriers en France, des usines dans différents départements, de nombreux actionnaires à la bourse de Paris. C’est un déni de patriotisme économique. De tels actes détruisent la confiance en la parole publique que vous prétendez réhabiliter. Ce que nous proposons, c’est que l’AMF,– et je ne parle pas de la baisse des exigences déontologiques qu’on peut attendre d’une autorité indépendante qui, sur de nombreux dossiers, fait n’importe quoi – ne puisse se dessaisir sans l’autorisation du ministre de l’économie, car il y a là une responsabilité politique.

M. le Rapporteur – La commission a émis un avis défavorable pour trois raisons.

D’abord, cet amendement est bien vague,…

M. Arnaud Montebourg - Sous-amendez !

M. le Rapporteur - …puisqu’on y parle de « centre des intérêts principaux des entreprises ». Il faut vraiment être éloigné du droit des entreprises pour croire que cela veut dire quelque chose. Arcelor, aujourd’hui, ne ressemble plus à ce qu’était le fleuron de la sidérurgie française. C’est la réunion du luxembourgeois Arbed, de l’espagnol Aceleria et d’Usinor. Votre gouvernement ayant laissé faire, le siège social est à Luxembourg et la société a moins du tiers de ses salariés en France. Celle-ci peut difficilement être qualifiée de centre des intérêts principaux.

Ensuite, vous n’étiez pas là en première lecture, mais nous avons alors adopté, sans que votre groupe dépose d’amendement, l’article premier qui dispose que, si une entreprise est cotée sur plusieurs marchés, les États membres s’accordent entre eux pour la faire dépendre de telle ou telle autorité. Faute d’accord, l’entreprise peut choisir son autorité de contrôle.

Enfin, cet amendement remet en cause un fondement du marché intérieur européen – je sais que vous ne l’appréciez guère – qui est la reconnaissance mutuelle des compétences des États membres. Comment le ministre, en raison de sa modestie naturelle, mais pas seulement, pourrait-il dire qu’une autre autorité de contrôle ferait moins bien son travail que l’AMF ?

M. le Ministre – Effectivement, l’amendement n’est pas compatible avec le droit communautaire, selon lequel un État membre ne peut pas interférer dans une procédure de délégation entre deux autorités de supervision. En outre, soumettre les décisions de l’AMF au ministère remettrait en cause son mode de fonctionnement. L’AMF peut procéder à une délégation, mais elle n’y est jamais tenue.

M. Jean-Pierre Brard – Je n’étais pas là pour la première lecture, c’est vrai. Mais j’espère de mon côté que vous serez beaucoup plus présent pour la loi de finances. Avant de faire la leçon aux autres, balayez devant votre porte, cela va prendre du temps.

M. le Ministre – Vous nous avez manqué.

M. Jean-Pierre Brard - Quand on n’est pas parlementaire et qu’on n’a pas l’habitude de la vie publique, on commet parfois quelques écarts indécents dans cet hémicycle.

M. Luc-Marie Chatel - Donneur de leçons !

M. Jean-Pierre Brard - Il en est qui en méritent bien.

L’AMF est indépendante – de la légitimité populaire à coup sûr, mais pas des règles du profit pour les actionnaires. De ce point de vue, elle est intrinsèquement perverse. Vous êtes des patriotes dans le discours, mais quand il faut passer aux actes, vous vous abstenez.

Le rapporteur a certes du talent et des convictions d’idéologue ultralibéral qui se bat pour ses idées, car il en a – ce n’est pas si fréquent à droite. Mais, comme le dit à juste titre M. Montebourg, l’autorité de police ne doit pas pouvoir se dessaisir. Or vous lui coupez les bras, et vous lui refusez des prothèses. Pour notre part, nous ne sommes pas pour le renoncement, pour la capitulation devant la mondialisation sans règle. Nous vous prenons en flagrant délit de déni de patriotisme économique. Oser décerner un brevet d’honnêteté au Luxembourg, ce refuge bien peu moral ! – Je semble indisposer M. Breton ; tant mieux, car, disait August Bebel, qui ne fait certainement pas partie de vos références, quand l’adversaire vous félicite, c’est que vous avez commis une sottise. Je défends les salariés, vous les méprisez, et vous ne les évoquez que pour servir de cache-sexe à votre politique qui enrichit les plus riches et ruine la France (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Eric Besson - Monsieur le rapporteur, la formule « centre des intérêts principaux de l’entreprise » n’est pas vague : elle est utilisée par la jurisprudence communautaire, ce qui prouve que M. Montebourg est plus au fait des questions européennes que vous ne l’avez dit.

M. le Rapporteur – Mais cela ne s’applique pas à la France pour Arcelor.

M. Eric Besson - Cela ne change rien au fait que le concept n’a rien de vague. D’autre part, vous considérez comme le comble de la bonne gouvernance que l’entreprise puisse choisir son autorité de contrôle. Pour nous, en cas de conflit potentiel, il est bon que ce soit le ministre qui dise clairement quelle est l’autorité compétente.

Notons au passage que le Gouvernement a considérablement réduit ses ambitions. Alors que votre slogan de 2002 était de « réhabiliter l’emploi », vous vous faites de plus en plus discret sur ce sujet : le ministre revendique une réhabilitation de la « parole publique » dans l’affaire Mittal -Arcelor, alors que ce n’est pas la parole, mais l’action publique qui importe !

M. Arnaud Montebourg - Notre amendement respecte parfaitement la jurisprudence communautaire, qui mentionne le « centre des intérêts financiers ». En revanche, le degré de politique et d’indépendance que nous souhaitons introduire dans la régulation des marchés financiers ne regarde que notre pays !

Ne cédons donc pas aux amalgames entretenus par le rapporteur : il est normal, et tout à fait eurocompatible, qu’une autorité politique interdise certains comportements, et que l’AMF réponde de son action devant des élus, responsables devant le suffrage universel.

L'amendement 14, mis aux voix, n'est pas adopté.

ART. 2

M. Philippe Auberger - L’amendement 12 traite du même sujet, mais dans un esprit bien différent.

M. Arnaud Montebourg - Vous en excusez-vous par avance ? (Sourires).

M. Philippe Auberger – Nous proposons que l’AMF dispose d’un pouvoir que la loi sur la sécurité financière ne mentionne pas : celui de déléguer son visa sur les notes d’information, à condition que celles-ci ne soient pas moins complètes.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Cet amendement remet en cause la reconnaissance mutuelle des compétences des États membres, qui est un des fondements du marché intérieur : les instances d’un État membre n’ont pas à s’immiscer dans la gestion de leurs homologues européens, et cet amendement créerait un précédent fâcheux en soumettant l’action d’un État à l’approbation d’un autre. Au nom de quoi l’AMF pourrait-elle estimer que l’autorité d’un autre État s’acquitte moins bien qu’elle de sa tâche ?

M. Arnaud Montebourg - Au nom de nos intérêts !

M. le Ministre – Je partage la position du rapporteur. Non seulement le droit communautaire s’oppose à cet amendement, mais il nous semble également préférable d’accorder à l’AMF un véritable pouvoir de délégation, sans l’encadrement que vous proposez, mais aussi – rappelons-le – sans aucun caractère obligatoire.

C’est pourquoi je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, Monsieur Auberger.

M. Jean-Pierre Brard - Comme je l’ai expliqué en commission des finances, d’ailleurs en l’absence de M. Breton …

M. le Président – Qui n’avait pas à être présent !

M. Jean-Pierre Brard - …il existe trois « paquets » de députés UMP : tout d’abord, les idéologues convertis et convaincus, à l’image de MM. Novelli, Mariton et Fourgous, qui défendent ouvertement et légitimement leurs idées ; viennent ensuite ceux qui redoutent une trop grande visibilité de leurs actes à l’approche des élections, et qui hésitent, comme en janvier 1995, entre MM. Balladur et Chirac, entre MM. Sarkozy et de Villepin, ne sachant qui va l’emporter lors de l’élection présidentielle et leur accorder une investiture. Ils forment ce qu’on appelait sous la Révolution le « marais », où coassent aujourd’hui encore grenouilles et crapauds (Rires sur divers bancs).

M. le Président – Nous en sommes à l’amendement 12, Monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard - Et puis, il y a les députés patriotes qui conservent un reste de gaullisme, et qui montent au créneau quand l’intérêt national est en cause. C’est ainsi que M. Auberger demande, avec prudence, que l’AMF ne délègue ses pouvoirs qu’après avoir vérifié la pertinence des informations. A cette proposition, qui n’a rien de révolutionnaire, vous objectez la « véritable délégation » dont l’AMF doit jouir, et qui n’est qu’une capitulation, une trahison même ! Que le rouge vous monte donc au front, Monsieur le ministre !

M. Philippe Auberger - Pour ce qui est des révolutions, j’aurais quelques craintes si M. Brard devait contrôler l’échafaud (Sourires).

M. Jean-Pierre Brard - Pourtant, j’aurais soin de disposer du son !

M. Philippe Auberger – Pour le reste, l’objet de mon amendement n’est pas satisfait, puisque la délégation ne sera pas possible si elle n’est pas prévue explicitement par la loi. J’ajoute qu’il ne s’agit pas d’imposer une sorte de visa préalable de l’AMF sur toutes les notes d’informations, mais de s’assurer que le délégataire ait des exigences comparables aux siennes.

Cela dit, cette faille juridique pourrait être comblée lors d’un éventuel réexamen de la loi sur la sécurité financière. Je suis donc prêt à retirer mon amendement.

M. Jean-Pierre Brard - Je le reprends, et je le défends.

M. le Président – Il a déjà été défendu, Monsieur Brard.

L'amendement 12, mis aux voix, n'est pas adopté.
L'article 2, mis aux voix, est adopté.

M. Jean-Pierre Brard - Rappel au Règlement. Vous avez déjà fait preuve d’une plus grande objectivité et d’une plus grande mansuétude, Monsieur le président. Vous imaginez bien que mes arguments ne rejoignent pas ceux de M. Auberger : si notre champ sémantique est commun, nos convictions politiques divergent.

M. Novelli a certes cessé de faire référence au Luxembourg, qui cache dans ses coffres-forts des turpitudes qu’un esprit loyal ne peut accepter, mais vous allez conforter la situation actuelle en acceptant que l’AMF accorde des délégations à ce pays. Je regrette donc, Monsieur le président, que vous ne m’ayez pas permis de défendre ce qui était devenu mon amendement.

M. le Président – Vous étiez déjà intervenu, Monsieur Brard, et vous aviez jugé bon d’entretenir l’Assemblée des « paquets de députés » de l’UMP au lieu de vous concentrer sur d’autres arguments !

M. Jean-Pierre Brard - Choisissez-vous donc mes arguments ?

M. le Président – Pas du tout !

APRÈS L'ART. 2

M. Éric Besson - En cas d’offre d’échanges ou d’offre mixte, l’amendement 15 demande une information complète sur les cours passés des titres pendant les cinq années précédant l’annonce de l’OPA. Il s’agit en effet d’éviter toute « gonflette » de la part d’entreprises qui chercheraient à se présenter sous un jour exagérément flatteur, et donc il s’agit de mieux informer toutes les parties.

M. le Rapporteur – Avis défavorable. Demander à ce que dans une note d’information figurent cinq années de cours de bourse alors qu’il est si rapide de se renseigner sur Internet, c’est alourdir la loi et aggraver une dérive législative contre laquelle je proteste depuis des années.

M. le Ministre – Même avis.

M. Paul Giacobbi – Cet argument, Monsieur le rapporteur, serait concevable s’agissant d’une société cotée à la bourse de Paris, mais je vous défie par exemple de trouver sur Internet les cours de bourse des cinq dernières années de Mittal Steel.

M. le Rapporteur – Un tel dispositif n’existait pas il y a cinq ans.

M. Paul Giacobbi – En outre, il sera encore plus difficile de se procurer ce type d’information pour des sociétés étrangères cotées dans plusieurs bourses et disposant d’autres entreprises également cotées.

M. Arnaud Montebourg – Nous cherchons à lutter contre les escroqueries potentielles. Le titre papier peut être de la monnaie de singe, mais comment le démontrer ? M. Mittal, voilà quelques années, avait fusionné sa holding avec une entreprise cotée dans les Caraïbes et il me semblerait utile de lui poser quelques questions. Le « flottant » permettant de déterminer le cours est si ridicule concernant Mittal qu’il peut donner lieu à des manipulations. Et vous ne voudriez pas informer l’actionnaire adhérent de l’association de Mme Colette Neuville ? Et vous pensez que nous pourrions laisser les actionnaires sans protection ? Avec ce capitalisme débridé, ces paradis fiscaux, ces trous noirs, les scandales de Worldcom, Enron, Parmalat, Vivendi? Vous prétendez les défendre, mais vous méprisez cette piétaille à qui échappent grandes manœuvres et hautes stratégies.

M. Jean-Pierre Brard – Le Gouvernement ne veut manifestement pas combattre les escroqueries réelles ou potentielles non plus que les paradis fiscaux ou les escrocs russes qui vivent dans le sud-est de notre pays et qui n’ont pas de soucis à se faire.

M. Novelli n’est pas seulement libéral, il est aussi traducteur : selon lui, améliorer la transparence, c’est alourdir la loi. Du temps où M. Gorbatchev parlait de Glasnost, vous étiez tous favorables à la transparence, mais vous semblez l’avoir oublié !

L'amendement 15, mis aux voix, n'est pas adopté.

ART. 5

M. Philippe Auberger - L’amendement 6 a un double objet : il s’agit de distinguer clairement, dans les OPA, les offres publiques d’achat avec paiement en numéraire et les offres publiques d’échange. Ces deux opérations exigent des informations différentes afin que les actionnaires puissent se prononcer en toute connaissance de cause. La note d’information, en ce qui concerne les OPE, doit être beaucoup plus précise quant à la situation de l’entreprise, ses perspectives financières, sa politique industrielle, les synergies envisagées, sa rentabilité, les évolutions en matière d’emploi et les modalités de sa gouvernance. Il est vrai que le projet prévoit la reprise d’un certain nombre de ces éléments à l’occasion de la saisine du comité d’entreprise, mais mon amendement permet de donner la primauté à l’actionnaire quand le comité d’entreprise, lui, est simplement invité à donner un avis.

M. le Rapporteur – Avis défavorable, même si cet amendement est particulièrement intéressant. La note d’information, en effet, présente déjà nombre des éléments qui ont été évoqués, et il est donc satisfait. J’ajoute qu’il appartient à l’AMF d’apprécier la précision de la note d’information et de demander éventuellement des renseignements complémentaires.

M. le Ministre – Cet amendement va dans le bon sens : les actionnaires doivent être en effet correctement informés de la nature et de la valeur des titres. Néanmoins, il est en effet satisfait car la note d’information doit obligatoirement préciser la situation comptable et financière de l’initiateur, ses intentions sur une durée minimum de douze mois en matière de politique industrielle, financière et quant au maintien de la cote des actions, mais aussi ses orientations en matière d’emploi, notamment les changements prévisibles quant au volume et à la structure des effectifs. J’ajoute que, dans le cadre du comité d’entreprise, les salariés seront également saisis de l’ensemble des projets industriels et sociaux. L’AMF, quant à elle, doit conserver son pouvoir d’appréciation avant d’émettre son visa. Compte tenu de ces précisions, je vous prie de bien vouloir retirer votre amendement.

M. le Président – Je suis saisi d’un sous-amendement 31 de M. Brard visant à ajouter dans la dernière phrase de l’alinéa 2 de l’amendement 6, après le mot « industrielle », les mots « et sociale ».

M. Jean-Pierre Brard – M. le ministre m’a devancé, et j’ignorais que nous fussions en communion à ce point.

M. le Ministre – J’ai bien précisé que les salariés seraient informés dans le cadre des CE.

M. Jean-Pierre Brard - Evidemment, vous vous montrez restrictif.

M. le Ministre – C’est ce qui a été voté au Sénat.

M. Jean-Pierre Brard – Le texte ne doit comporter aucune ambiguïté. En outre, comment M. le ministre peut-il parler au nom de l’AMF, qui est une autorité indépendante ?

M. le Rapporteur – A titre personnel, avis défavorable.

M. le Ministre – Même avis.

M. Arnaud Montebourg - Nous soutenons l’amendement 6 ainsi sous-amendé. La formule selon laquelle la note d’information doit comporter « tous les éléments d’appréciation de la valeur proposée en échange » est en outre suffisamment large et claire pour permettre à l’AMF d’exercer un contrôle précis.

Le sous-amendement 31, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Philippe Auberger – Cette discussion est fort utile pour l’AMF. En revanche, la période de douze mois dont a parlé M. le ministre me semble un peu trop brève. Une période de trois ans me semblerait beaucoup plus raisonnable. Il est vrai que l’AMF n’existe que depuis 2003. Nous manquons donc du recul nécessaire pour apprécier son action. C’est pourquoi je suis prêt à retirer mon amendement. S’il s’avérait d’ici la révision de la loi de sécurité financière que l’AMF n’est pas suffisamment exigeante sur le contenu des notes d’information, nous pourrons toujours renforcer les exigences de la loi.

M. Jean-Pierre Brard - Je reprends l’amendement.

L'amendement 6, mis aux voix, n'est pas adopté.
L'article 5, mis aux voix, est adopté.

M. Jean-Pierre Brard – Les renoncements – c’est une question de pédagogie - doivent être visibles pour l’opinion. M. Novelli ne renonce jamais : il se bat pour le grand capital et les actionnaires…

M. Arnaud Montebourg - Pour les possédants !

M. Jean-Pierre Brard - … avec acharnement et habileté. Doté par la fibre patriotique des gaullistes, M. Auberger, lui, défend de bons amendements. Mais il lui manque la dernière énergie celle de ne pas capituler. Et voudrait éviter que ses électeurs ne découvrent qu’avant de rentrer à Joigny il est passé par Canossa !

article 7

M. Jean-Jacques Descamps - L’amendement 5 vise à rétablir le texte adopté en première lecture par notre Assemblée. Je suis personnellement favorable au patriotisme de l’emploi en France et dans ma circonscription en particulier. Cela n’a rien à voir, Monsieur Brard, avec le patriotisme du capital. Ce qui compte, ce sont les emplois qui se créent ici, quelle que soit l’origine du capital. Il est exact que dans le monde d’aujourd’hui l’actionnariat est flottant. Le problème du chef d’entreprise est donc de savoir s’il peut maîtriser l’origine de son capital. Les fonds de pension auraient à cet égard facilité les choses, mais nous n’en sommes pas là.

Dès lors que le leadership d’une entreprise se mesure à son poids dans le monde, la mondialisation va de pair avec une grande mobilité du capital : elle favorise donc la croissance externe, c’est-à-dire le rachat d’outils de production ou de parts de marché. Cette poursuite de la croissance externe passe nécessairement par l’OPA, qu’elle soit publique ou non, amicale ou non. On n’entend cependant guère parler ce soir que des OPA inamicales, et de groupes étrangers sur des entreprises françaises ! On ignore les OPA des groupes français sur des entreprises étrangères, voire françaises. Quoi qu’il en soit, c’est le jeu du capitalisme. On peut le regretter, Monsieur Brard, mais la mobilité du capital est indissociable de l’économie de marché. Un groupe qui lance une OPA ne peut être pour vous qu’un prédateur. J’estime pour ma part qu’une OPA peut être une bonne chose pour les salariés.

M. Jean-Pierre Brard - À condition qu’ils aient le sens du sacrifice !

M. Jean-Jacques Descamps – Bien des salariés de Bull auraient préféré travailler chez IBM. Et quand on entend dire que Thalès serait convoité par tel groupe franco-italien ou par EADS, je maintiens que ce qui importe avant tout pour ses employés de se voir assurer le meilleur emploi dans les meilleures conditions.

C’est bien la question de la primauté du capital sur le travail dans le cadre d’une OPA que pose mon amendement. En cas d’OPA, la décision finale appartient aux actionnaires. Voyez le cas de Mittal-Arcelor : Mittal a proposé un échange d’actions, les actionnaires demandent aujourd’hui une proposition en cash. Nous sommes d’ailleurs nombreux à croire à la démocratie financière dans le capitalisme. (Exclamations ironiques sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

La rédaction du Sénat oblige l’initiateur de l’offre à venir présenter son projet industriel et social au comité d’entreprise avant même que les actionnaires aient eu le temps d’en discuter. Or c’est à eux d’être informés d’abord. La rédaction que je propose est donc logique, puisque, dans le mécanisme des OPA, l’actionnaire a le dernier mot. Si le personnel se prononce en premier, je crains qu’on ne fasse surtout le jeu des démagogies et des populismes.

M. le Rapporteur – Notre collègue a excellemment exposé les rôles respectifs des actionnaires et du comité d’entreprise de l’entreprise cible. C’était le débat que nous avions avec notre collègue Auberger lorsque celui-ci souhaitait que la notice d’information contienne au moins autant d’informations que celles prévues en deuxième lecture au Sénat. L’auteur de l’offre doit désormais présenter au comité d’entreprise « sa politique industrielle et financière, ses plans stratégiques pour la société visée et les répercussions de la mise en œuvre sur l’ensemble des intérêts, l’emploi, les sites d’activité et la localisation des centres de décisions ». Depuis la loi de sécurité financière, le comité d’entreprise est réuni pour procéder à l’examen d’une OPA et, le cas échéant, à l’audition de l’auteur de l’offre. Cette audition était donc déjà prévue ; et si le comité d’entreprise auditionne l’auteur de l’offre, la date de la réunion est communiquée à ce dernier au moins trois jours à l’avance. Le Sénat a donc complété les dispositions de la loi de sécurité financière. Retenons que la notice d’information est complète et intervient avant la convocation du comité d’entreprise. Sans méconnaître la pertinence des interrogations de Jean-Jacques Descamps, il me semble que la suppression pure et simple de ces précisions peut laisser penser que les obligations pesant sur l’offrant disparaîtraient complètement. Je m’en suis donc remis à la sagesse de la commission, qui a repoussé cet amendement.

M. le Ministre – Il ne s’agit pas de donner au comité d’entreprise une information privilégiée par rapport aux actionnaires. Car dès lors qu’une information est donnée au comité d’entreprise, elle a vocation à être publique et doit donc être compatible avec ce qui figure dans la notice. Si d’autres informations sont données, elles doivent d’ailleurs être rendues publiques via un communiqué de presse ou une notice complémentaire. Je puis donc vous rassurer : nous précisons les dispositions de la loi sur la sécurité financière – il s’agit bien d’expliciter en détail devant le comité d’entreprise le projet industriel et social figurant dans la notice. Au bénéfice de cette explication, je vous propose donc de retirer votre amendement.

M. Jean-Jacques Descamps - L’élément nouveau, c’est la comparution du chef de l’entreprise initiatrice : elle est anormale et représente une sorte de déni de droit pour les actionnaires. En outre, connaissant l’ambiance des comités d’entreprise, il est évident que l’auteur de l’offre sera confronté à des inquiétudes sans disposer de tous les éléments de réponse, ou amené à rassurer en prenant des engagements qu’il ne sera pas forcément capable de tenir. Ce serait une innovation dangereuse et susceptible de se retourner contre les intérêts que vous voulez défendre.

M. Eric Besson - Les socialistes voteront contre cet amendement, mais ils remercient M. Descamps de contribuer à la créativité conceptuelle : « patriotisme de l’emploi », « démocratie financière dans le capitalisme »… Le concours n’est pas terminé.

M. Jean-Jacques Descamps - Vous n’êtes pas d’accord avec ces termes ?

M. Eric Besson - Non ! Nous avons essayé de vous dire combien votre démocratie actionnariale est limitée. Elle ne traduit pas les intérêts collectifs. Vous vivez, Monsieur Descamps, dans le mythe d’un marché de concurrence pure et parfaite où les OPA sanctionnent l’allocation des ressources. Il faut vous documenter sur la spéculation et les exigences de rentabilité des actionnaires. Cela fait quelque temps que le marché n’est plus parfait.

M. Jean-Jacques Descamps - Heureusement qu’il y a des entreprises honnêtes !

L'amendement 5, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Eric Besson - L’amendement 16 vise à communiquer au comité d’entreprise de la société initiatrice les mêmes éléments que ceux dont dispose le comité d’entreprise objet de l’OPA, de façon à ce qu’il puisse donner son avis.

M. le Rapporteur – La commission est défavorable à cette proposition, qui alourdit considérablement le texte. La publication de la note d’information intervient quinze jours au moins avant la convocation de l’auteur de l’offre. Prévoir une transmission officielle paraît donc parfaitement inutile.

M. le Ministre - Avis défavorable.

M. Jean-Pierre Brard - Si Jean-Jacques Descamps a introduit tout à l’heure un concept de démocratie financière, l’amendement de M. Besson traduit, lui, la notion beaucoup plus claire de démocratie sociale : il vise à informer plus à l’avance ceux qui risquent d’être les victimes du choix des actionnaires, lesquels vous le savez, ne pensent qu’au revenu qu’ils vont tirer de ces opérations et obéissent rarement à des logiques industrielles. La réaction du rapporteur face à cette proposition reste parfaitement dans sa ligne.

M. Eric Besson - Le rapporteur prétexte un alourdissement du texte pour refuser chacun de nos amendements visant à plus de transparence et d’information, mais il ne faudrait pas que cela devienne par trop systématique : en quoi le fait que la société à l’initiative de l’OPA, qui doit donner des éléments au comité de l’entreprise cible – une entreprise parfois étrangère –, les communique aussi à son propre comité d’entreprise – la porte à côté –, peut-il alourdir le texte ? Votre démocratie actionnariale a tout l’air d’être une démocratie sans droit à l’information !

M. le Rapporteur – Je ne vois pas de raison d’inscrire dans la loi la communication officielle d’une information qui est déjà publiée.

L'amendement 16, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Eric Besson - L’amendement 17 autorise le comité d’entreprise à demander des précisions sur l’information qu’il a reçue, l’initiateur de l’offre devant lui fournir les réponses dans les trois jours.

M. le Rapporteur - Avis défavorable : le dispositif d’information a été considérablement renforcé par l’adoption au Sénat d’un amendement du Gouvernement qui paraît plus efficace que celui-ci.

M. le Ministre délégué – Je comprends votre souci, mais lorsque le comité d’entreprise est saisi, les salariés disposent déjà de l’information, qui est publique. Si nous avons prévu un délai entre l’information publique et l’audition de l’assaillant par le comité d’entreprise, c’est justement pour que les salariés aient le temps de réfléchir, voire de faire appel à des experts. C’est dans le cadre de la réunion que le dialogue pourra ensuite avoir lieu. Ce dispositif répond à votre préoccupation.

M. Eric Besson - Mais il est très facile, dans une note au comité d’entreprise, d’être flou sur ses intentions ou de donner des informations contradictoires : on peut par exemple affirmer qu’on va diviser la production mais qu’on ne touchera pas à l’emploi… Pourquoi refuser que les salariés puissent, simplement, poser des questions complémentaires ?

M. le Ministre – Les informations concernant le projet industriel et le projet social doivent être connues de tous. Elles sont disponibles dans le prospectus. Les salariés auront ensuite le temps de réfléchir, et de préparer le dialogue.

L'amendement 17, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Eric Besson - L’amendement 18 est défendu.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

M. le Ministre - Même avis.

M. Jean-Pierre Brard - Lorsqu’il s’agit de favoriser les actionnaires, le Gouvernement et le rapporteur font assaut d’imagination ; lorsqu’il s’agit de renforcer la transparence aussi, mais pour mieux le refuser ! Vous ne voulez pas que les salariés puissent s’opposer aux coups tordus. Pourtant, il suffit d’une information un peu floue pour biaiser le débat et pour déposséder les salariés des droits que vous prétendez leur attribuer.

L'amendement 18, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Eric Besson - L’amendement 19 prévoit que les comités d’entreprise peuvent donner un avis motivé sur l’offre qui les vise. Dans la plupart des cas, le comité, saisi sur une opération financière, peut émettre un avis motivé. La procédure est encadrée : il peut saisir le tribunal sur les délais accordés ou les informations remises et demander que l’opération soit suspendue dans l’attente de son avis motivé. Rapprocher la procédure prévue dans la loi sur les nouvelles régulations économiques d’une consultation du comité d’entreprise pourrait ouvrir cette possibilité d’obtenir dans certains cas un report du calendrier de l’offre, voire son annulation. Cette probabilité avait été identifiée par le rapporteur de la loi au Sénat, Philippe Marini, qui y voyait un risque que ce dispositif ne devienne une poison pill, une mesure de défense supplémentaire aux mains de l’équipe dirigeante de la société cible. Ce commentaire montre l’intérêt qui s’attache à donner au comité d’entreprise un véritable pouvoir d’avis, de manière, notamment à sanctionner le non-respect de ses prérogatives.

M. le Rapporteur – La commission a repoussé les amendements 20 et 19, très voisins, puisque le premier a trait aux entreprises initiatrices d’une offre et le second aux entreprises qui en sont la cible. L’idée de donner aux représentants du personnel des prérogatives analogues à celles des élus du comité d’entreprise, lorsqu’il n’y a pas de CE constitué, ne semble pas opportune, et nous avons par ailleurs déjà relevé que le présent texte renforçait de manière significative les obligations des dirigeants à l’égard des CE.

M. le Ministre – Même avis.

L'amendement 19, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Éric Besson - Comme cela a été dit, l’amendement 20 procède de la même inspiration que le précédent, pour ce qui concerne les entreprises initiatrices.

L'amendement 20, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.
L'article 7, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 7

M. Arnaud Montebourg - En toute occasion, la majorité et le Gouvernement nous expliquent que nous ne comprenons rien au monde économique et qu’il faut accepter la marche du capitalisme telle qu’il va…

M. le Ministre – Nous n’avons pas dit ça !

M. Arnaud Montebourg - Votre politique, c’est de ne pas en avoir et de placer les entreprises dans les mains des seuls actionnaires, au nom du « réalisme ». C’est ce qui vous conduit à accepter le désarmement dans les conditions inadmissibles posées par la directive. Vous prenez là une responsabilité historique et nous ne manquerons pas de vous rappeler ultérieurement vos déclarations dans ce débat.

C’est au terme d’une discussion très approfondie que le groupe socialiste a déposé l’amendement 21, lequel tend à permettre au ministre chargé de l’économie de s’opposer à la poursuite d’une OPA hostile manifestement contraire aux intérêts supérieurs du pays. Nous ne voyons pas au nom de quoi notre pays se priverait d’une faculté dont se sont dotés plusieurs de nos grands partenaires. Les parlementaires américains s’étaient opposés à la tentative de rachat d’Unocal par le Chinois CNOOC , cependant que M. Zapatero prenait dans l’urgence un décret-loi pour éviter les prises de contrôle intempestives et que M. Juncker lui-même dotait le paradis fiscal dont il a la charge de moyens de défense publics. Nous considérons qu’il est parfaitement légitime que le Gouvernement puisse suspendre une OPA dont il ne serait pas informé de toutes les conséquences, en particulier en termes d’emploi et de politique industrielle, le respect des critères de sa bonne information pouvant faire l’objet d’un contrôle juridictionnel. Pourquoi les principes qui prévalent en matière de respect des règles de concurrence ne trouveraient-ils pas ici à s’appliquer ?

M. le Rapporteur – Cet amendement est révélateur de notre profonde divergence de vues quant au rôle de l’État dans nos économies de marché : confier au ministre le pouvoir de dire non à toute OPA est parfaitement contraires à toutes les règles communautaires. Nous ne pouvons qu’être hostiles à cet amendement « Maginot ».

M. Arnaud Montebourg - Non, Zapatero !

M. le Ministre – Même avis. M. Montebourg a fait allusion à l’offre de CNOOC sur UNOCAL : la vérité, c’est que certains parlementaires américains ont eu des velléités pour légiférer de manière préventive, mais personne n’est passé à l’acte…

M. Arnaud Montebourg - En tout cas, l’OPA a été bloquée !

M. le Ministre – Pas du fait du législateur : il y a eu une autre offre et les actionnaires l’ont préférée. C’est pour cela que l’opération n’a pas abouti.

Comme l’a expliqué votre rapporteur, l’amendement 21 est tout à fait incompatible avec le droit communautaire, lequel ne permet évidemment pas à un ministre de s’opposer à n’importe quelle OPA au motif que le projet industriel afférent ne lui aurait pas été soumis ! Il ne saurait être question de rétablir des mécanismes d’économie administrée tendant à donner à l’autorité publique un pouvoir discrétionnaire de cette nature.

M. Jean-Pierre Brard - Qu’avez-vous fait d’autre pour Enel ?

M. Arnaud Montebourg - Je ne puis laisser dire que nous proposerions de violer le droit européen ! Au reste, le droit communautaire, initial et dérivé, n’est pas écrit par M. Breton ou par M. Novelli, mais progressivement constitué par une jurisprudence sur laquelle il y a toujours manière de peser. Or, que dit cette jurisprudence, et singulièrement l’arrêt de la CJCE du 4 juin 2002 ? En substance, que les atteintes au principe de la libre circulation des capitaux sont tolérables si des motifs d’intérêt général les justifient, si elles ne créent pas de discrimination et si elles sont proportionnées aux dommages causés. Dès lors, n’attribuez pas à l’Europe votre propre dogme, et laissez aux responsables publics les plus lucides le droit de faire prévaloir des motifs d’intérêt général sur les intérêts économiques privés. La jurisprudence communautaire tolère certaines atteintes bien fondées : élargissons cette brèche fort bienvenue !

M. Philippe Auberger - Quel puits de science !

M. Éric Besson - Contrairement à ce qu’a laissé entendre le ministre, nous ne proposons pas, par cet amendement, de donner au ministre le pouvoir de s’opposer à toute OPA inamicale, mais seulement à celles qui contreviennent directement aux intérêts stratégiques du pays.

Au plan politique, un tel outil serait de nature à éviter la position de grand écart permanent à laquelle M. Breton s’est lui-même condamné, déplorant d’un côté que l’on ait ringardisé la parole publique en économie – d’où ses velléités de la réhabiliter – et refusant de l’autre toute initiative concrète permettant de peser sur la vie des affaires.

Qu’allez-vous dire aux Français ? Que nous courons à la catastrophe mais ne pouvons rien faire ? Dénoncer des dangers sans se donner les moyens de les combattre, c’est s’exposer au discrédit et les responsables politiques ne savent plus comment se sortir de ce piège. Cela fait penser, dans un autre domaine, au ministre de l’intérieur qui invoque la tolérance zéro – puis double ou triple zéro - à l’égard des délinquants sans parvenir à endiguer la montée de la violence dans le pays. Les Français se trouvent confortés dans l’idée que, décidemment, derrière les bonnes paroles des politiques, il n’y a que du vide ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP) Alors, Monsieur le ministre, ne refusez pas la proposition que nous vous faisons de renforcer vos moyens.

Au-delà, c’est la légitimité des OPA hostiles qui mérite d’être débattue sans tabou. Il y a quelque temps, lorsque nous contestions le bien-fondé de la distribution de stock- options aux cadres dirigeants, nous étions systématiquement traités de ringards par les tenants du réalisme économique. Or, il y a peu, IBM, a décidé de ne plus attribuer de stock-options, considérant que cela n’était plus conforme à ses intérêts de moyen et long terme. Qui nous dit que dans quelques mois ou quelques années nos partenaires européens ne considéreront pas qu’avec cette vague d’OPA on court à une « catastrophe collective », pour reprendre vos propres termes, Monsieur le ministre, et qu’il convient d’y mettre un terme ? Oui, notre proposition peut poser un problème de compatibilité avec le droit communautaire, mais il existe un espace pour ouvrir la discussion avec la Commission et avec la Cour de justice. Profitons-en. A défaut, après vous être contenté de « réhabiliter la parole publique », Monsieur le ministre, vous risquez de vous trouver fort dépourvu une fois ces vagues d’OPA passées et l’hiver venu…(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Ministre – Monsieur Montebourg, croyez bien que nous avons pris soin de consulter la Chancellerie, et elle nous a confirmé ce que vous savez pertinemment. Du reste, si vous étiez aussi sûrs de vous que vous le semblez, que n’avez-vous mis en œuvre plus tôt ce que vous proposez aujourd’hui ? Vous ne découvrez tout de même pas ce soir que les entreprises françaises peuvent faire l’objet d’OPA ?

M. Arnaud Montebourg - La situation se durcit.

M. le Ministre – Si vous n’avez rien fait, c’est parce que votre proposition est contraire au droit communautaire, portant atteinte de manière disproportionnée à la liberté de circulation des capitaux. Si elle peut avoir un certain retentissement médiatique, elle est inapplicable… sauf à ce que la France quitte l’Union européenne. La solution du Gouvernement au contraire est réaliste, permettant à nos entreprises de se défendre dans le respect du principe de réciprocité.

M. Jean-Jacques Descamps – M. Brard s’est étonné tout à l’heure que Arcelor ait son siège social dans ce qu’il appelle un paradis fiscal européen.

M. Jean-Pierre Brard - Et comment cela ne serait-il pas étonnant ?

M. Jean-Jacques Descamps – Arcelor n’est d’ailleurs pas seul dans ce cas. Si cet amendement était voté, beaucoup d’autres groupes auraient intérêt à installer leur siège social au Luxembourg. Il serait vraiment inopportun de le voter si l’on souhaite que les centres de décision demeurent en France.

M. Arnaud Montebourg - Ce serait tout le contraire. Les groupes viendraient s’installer dans le sanctuaire que nous aurions créé.

M. Jean-Jacques Descamps - Tout cela va à l’encontre de l’esprit européen. Mais est-ce étonnant de la part de personnes qui ont voté non au dernier référendum ?

M. Bernard Carayon - Monsieur Montebourg, le principe de la libre circulation des capitaux serait-il au fond absurde, comme vous le prétendez, il n’en figure pas moins à l’article 56 du Traité et ne connaît qu’une seule exception, énoncée à l’article 296 et confortée par l’arrêt de la Cour de justice des communautés européennes dit « Église de scientologie ». Cette exception concerne exclusivement la défense nationale et l’ordre public.

M. Jean-Pierre Brard - Monsieur le ministre, dès que vous êtes en difficulté, vous en appelez à la préhistoire et faites montre de mauvaise humeur. Bien que vous refusiez de le voir, la situation a changé, la mondialisation a gagné du terrain…

M. Jean-Jacques Descamps - Et c’est bien !

M. Jean-Pierre Brard - On ne peut pas raisonner aujourd’hui comme hier.

Je fais observer à M. Descamps que la plupart de ceux qui ont voté non au référendum l’ont fait parce que, résolument européens, ils refusaient que vous puissiez enterrer les espoirs qu’ils plaçaient dans l’Europe.

M. Éric Besson - Ce peut être aussi le cas de certains qui ont voté oui !

M. Jean-Pierre Brard - Les ultra-libéraux souhaitent que l’on ouvre toute grande la porte du poulailler pour que le renard ait encore plus de facilité à dévorer les poules. Eh bien, nous, nous préférons qu’on ferme la porte.

Monsieur le ministre, vous dénigrez nos positions de manière arrogante. Vous avez évoqué la valeur de la parole publique, mais en l’espèce, il s’agit plutôt de péroraison…

M. le Ministre – C’est un expert qui le dit !

M. Jean-Pierre Brard - Confondriez-vous parole publique, intérêt général et patriotisme industriel ? Je regrette profondément que vous ne voyiez pas le monde tel qu’il est et ne perceviez pas la nécessité de préserver notre modèle. Vous avez reproché à certains d’entre nous de ne pas être assez ouverts au monde. Mais votre monde, à vous, ne se limite-t-il pas au triangle qui va de Matignon à la Bourse et au siège du Medef ? Je vous propose, Monsieur le ministre, avant d’aller à l’autre bout de la planète, de franchir tout simplement le périphérique…

M. le Ministre – Je suis né au-delà du périphérique.

M. Jean-Pierre Brard - Vous n’en avez plus que des souvenirs dépassés. Venez donc à Montreuil…

M. le Ministre – C’est déjà fait.

M. Jean-Pierre Brard - Vous y êtes venu alors que vous étiez encore en culotte courte ! Je vous y invite aujourd’hui, maintenant que vous êtes chef d’une équipe de fossoyeurs.

M. Arnaud Montebourg - L’atteinte au principe de libre circulation des capitaux est possible, chacun en convient, dès lors qu’elle n’est pas « disproportionnée ». Je considère, moi, que la limitation que nous proposons n’a rien de disproportionné. Ce qui l’est, c’est la déferlante d’OPA destructrices qui se prépare et que nul ne pourra maîtriser. Quand, après la fusion, scandaleuse d’ailleurs, entre Suez et GDF, qui a abouti à une dénationalisation antipatriotique du gazier national, désormais placé sous les fourches caudines de M. Mestrallet, un autre mastodonte cherchera à avaler Suez-GDF pour une cinquantaine de milliards d’euros, comment vous défendrez-vous ? Vous aurez bien besoin de notre amendement. Nous n’aurons alors de cesse de vous rappeler que vous l’avez repoussé et avez refusé de vous battre contre des principes potentiellement bénéfiques mais stupides lorsqu’ils sont appliqués aveuglément et sans discernement.

M. Jean-Jacques Descamps - C’est vous qui êtes aveugle !

M. Arnaud Montebourg – L’excès, Monsieur Breton, réside dans l’aveuglement de l’Union européenne qui nous empêche de conduire des politiques tout simplement pragmatiques.

M. Descamps nous explique que si cet amendement était adopté, les groupes délocaliseraient leurs sièges sociaux. Je pense au contraire qu’ils les rapatrieraient dans notre sanctuaire où ils pourraient utiliser leurs profits à autre chose qu’à racheter leur propre capital.

M. Juncker et M. Zapatero ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, qui ont une tout autre lecture du traité européen que vous. Est-ce donc, de la part du Gouvernement, de la naïveté, de l’inconscience ou de l’incompétence ? J’ai peur, hélas, qu’il s’agisse des trois à la fois.

M. Nicolas Perruchot – Décidément, nous avons de sérieuses divergences…

M. Jean-Pierre Brard – Êtes-vous revenu dans la majorité ?

M. Nicolas Perruchot – Je vais vous lire une citation qui date de 2003 : « Le drame, c’est que certains de mes camarades de gauche ont du mal à admettre que le capitalisme a gagné, que nous sommes dans une économie mondialement ouverte…Nous ne construisons pas la société de nos rêves. » C’est Michel Rocard qui s’exprimait ainsi.

M. Arnaud Montebourg - Encore un géronte !

M. Nicolas Perruchot – Cela devrait vous inciter à réfléchir à l’évolution du monde.

Pour ce qui est de votre amendement, il placerait les ministres de l’économie dans une situation intenable. En effet, chacun d’entre eux qui aurait laissé se faire une OPA, serait férocement attaqué lors des questions au Gouvernement.

M. Arnaud Montebourg - C’est la responsabilité politique !

M. Nicolas Perruchot - Non, cela n’aboutirait qu’à une valse des ministres. On nous a déjà assez reproché au niveau européen d’avoir eu tant de ministres de l’économie en si peu de temps. Quelle image donnerions-nous de notre pays ?

M. Arnaud Montebourg - Quelle image en donne ce Gouvernement ? Et quelle image en donne le Président de la République ?

M. Nicolas Perruchot – Que pourrions-nous répondre à nos partenaires ? Inévitablement, ce seraient autant de marchés à l’exportation qui se fermeraient.

L'amendement 21, mis aux voix, n'est pas adopté.
La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.
Prochaine séance ce matin, mardi 7 mars, à 9 heures 30
La séance est levée à 2 heures 15.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Catherine MANCY

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Ordre du jour
du MARdi 7 mars 2006

NEUF HEURES TRENTE : 1RE SÉANCE PUBLIQUE

Questions orales sans débat.

N° 1484 de Mme Josette PONS à M. le ministre de l’agriculture et de la pêche : Lutte contre la varroatose des abeilles.

N° 1488 de M. Daniel SPAGNOU à M. le ministre de l’agriculture et de la pêche : Aides aux producteurs de lavande.

N° 1474 de Mme Françoise IMBERT à Mme la ministre de la défense : Statut des contrôleurs civils de la circulation aérienne « essais-réception ».

N° 1475 de M. Philippe AUBERGER à M. le garde des sceaux, ministre de la justice : Création d’un poste de juge des enfants au TGI de Sens dans l’Yonne.

N° 1478 de M. Louis COSYNS à M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche : Maintien de la section hôtellerie du lycée professionnel de Saint-Amand-Montrond dans le Cher.

N° 1479 de M. Jean-Pierre DECOOL à M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche : Enseignement du flamand.

N° 1482 de M. Jean-Pierre LE RIDANT à M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche : Création de postes d’auxiliaires de vie universitaire.

N° 1467 de M. Jean-Christophe LAGARDE à M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche : Perspectives de l’éducation prioritaire en Seine-Saint-Denis.

N° 1472 de M. Maxime BONO à M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche : Perspectives de l’éducation prioritaire à La Rochelle.

N° 1471 de M. Christian PAUL à M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche : Réorganisation de la carte scolaire dans la Nièvre.

N° 1465 de M. Daniel PAUL à M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche : Perspectives de l’éducation prioritaire au Havre.

N° 1466 de M. Jean-Claude SANDRIER à M. le ministre délégué à l’industrie : Restructuration de l’entreprise Timken à Vierzon.

N° 1487 de M. Vincent ROLLAND à M. le ministre des affaires étrangères : Conditions de travail spécifiques des artisans taxis de Savoie.

N° 1481 de M. Jean-Pierre GRAND à M. le ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer : Difficultés de l’application de la loi littoral à des communes rurales.

N° 1476 de M. Roland BLUM à M. le ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer : État des travaux de la rocade L2 de contournement de Marseille.

N° 1470 de M. François DOSÉ à M. le ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer : Desserte par le TGV Est de Commercy dans la Meuse.

N° 1477 de M. Georges COLOMBIER à M. le ministre de la santé et des solidarités : Financement du centre de soins aux toxicomanes Sitoni dans l’Isère.

N° 1489 de M. Thierry MARIANI à M. le ministre de la santé et des solidarités : Inscription du centre hospitalier de Valréas dans le Vaucluse au plan hôpital 2012.

N° 1468 de M. Olivier JARDÉ à M. le ministre de la santé et des solidarités : Financement des mesures de tutelle et curatelle dans la Somme.

N° 1473 de Mme Catherine GENISSON à M. le ministre de la santé et des solidarités : Situation financière de la polyclinique d’Henin-Beaumont dans le Pas-de-Calais.

N° 1483 de M. Dominique PAILLÉ à M. le ministre de la culture et de la communication : Rémunération des intermittents du spectacle participant à des jurys d’examen de l’éducation nationale.

N° 1480 de M. Maurice GIRO à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire : Réglementation de la détention d’engins militaires de collection.

N° 1485 de M. Jean-Luc REITZER à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire : Obligation de vaccination des sapeurs-pompiers volontaires.

N° 1486 de M. Jean-Marie ROLLAND à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire : Financement des aires de stationnement des gens du voyage.

QUINZE HEURES : 2E SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l’ensemble du projet de loi de programme pour la recherche, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence (n° 2784 rectifié).

3. Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi (n° 1206) relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information.

Rapport (n° 2349) de M. Christian VANNESTE, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 3E SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.
Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.
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