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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

2ème séance du mercredi 15 mars 2006

Séance de 21 heures 30
73ème jour de séance, 172ème séance

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann
Vice-Président

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La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

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DROIT D’auteur et droits voisins
dans la société de l’information (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information.

ART. 10 (suite)

M. Christian Vanneste, rapporteur de la commission des lois – Dans le même esprit qu’un amendement précédent – adopté à l’article 7 –, l’amendement 37 vise à lever une ambiguïté de rédaction pour confirmer que les dispositifs de protection propres aux logiciels existeront toujours.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication - Avis favorable.

L'amendement 37, mis aux voix, est adopté.
L'article 10 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 11

M. le Rapporteur – Les mesures techniques devant être protégées recouvrent non seulement les MTP mais aussi les DRM, lesquels peuvent avoir des fonctions plus étendues, comme la gestion numérique des droits, la distribution ou l’exploitation des droits. Par l’amendement 38, nous proposons de retenir une rédaction englobant les deux notions, en vue de prévenir toute difficulté d’interprétation.

L'amendement 38, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.
L'article 11 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 12

M. le Rapporteur – L’amendement 39 procède de la même inspiration que le précédent.

L'amendement 39, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.
L'article 12 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 12

M. le Rapporteur – Les différents amendements présentés après l’article 12 visent tous à incriminer – soit sanctionner pénalement – les éditeurs de logiciels de P2P qui ont manifestement encouragé les consommateurs à commettre des actes illicites en procédant à des téléchargements. Ces amendements ont un double objet. En premier lieu, ils évitent de ne sanctionner – fût-ce de manière adaptée – que les internautes, en visant aussi ceux qui leur donnent les moyens de procéder aux téléchargements illicites, et qui en tirent parfois profit dans le cadre d’une exploitation commerciale. En second lieu, ils tirent les conséquences d’une jurisprudence anglo-saxonne récente – Grokster aux Etats-Unis et Kazaa en Australie – qui a posé le principe de la responsabilité des éditeurs de logiciels de P2P ne faisant pas l’effort de gérer normalement les droits d’auteur dus, alors même que cela serait techniquement possible. Ainsi, la menace de sanctions devrait inciter au développement de logiciels de P2P vertueux, c'est-à-dire qui gèrent les droits afférents à des échanges d’œuvres protégées.

Un premier amendement en ce sens – le 247 de la commission – , déposé en décembre, présentait l’inconvénient de prévoir également un volet de responsabilité civile potentiellement très large, et sans doute excessif. L’amendement 150, 2ème rectification, tel qu’il vient à présent en discussion, ne retient que la sanction pénale et constitue à ce titre un bon compromis. Il a été accepté par la commission, qui a retiré à son profit son amendement 247 rectifié. L’amendement 320 de M. Wauquiez est identique au 150, 2ème rectification et le 151 de M. Dionis du Séjour inclut pour sa part le dispositif de responsabilité civile spécifique : la commission y est donc défavorable.

M. le Président – Les amendements 320 et 151 n’étant pas défendus, nous en venons aux sous-amendements à l’amendement 150, 2ème rectification, que vient de défendre M. Vanneste.

M. Patrick Bloche - Il s’agit d’un amendement très lourd de conséquences et je souhaite que nous prenions tout le temps nécessaire pour l’examiner. Le rapporteur en avait présenté une première version, qu’il a corrigée, et il revient devant nous avec une énième mouture qui vise à dire très clairement : nous ne voulons pas incriminer les internautes, car le P2P est un mode de partage désormais entré dans les mœurs ; par contre, il faut responsabiliser les éditeurs de logiciels. L’interview donnée à un quotidien du soir par le PDG de Vivendi est à cet égard très éclairante : avouant que le dispositif de sanctions lui inspire un certain scepticisme, il attache en revanche une immense importance à cet amendement dit de responsabilisation. Or derrière cette dénomination courtoise se cache une véritable machine de guerre contre le logiciel libre. Et je m’adresse à ce moment de ma démonstration plus particulièrement à M. Carayon et aux autres collègues qui, par leurs écrits, ont manifesté leur attachement à l’interopérabilité et à la défense du logiciel libre – ce qui répond à notre demande de contrôle strict des MTP. Si notre assemblée vote l’amendement qui vient d’être présenté de manière anodine et lapidaire, nous tuons le logiciel libre dans notre pays. Nous condamnons l’innovation et la recherche dans un domaine où les Français ont été pionniers. Le patriotisme économique – auquel appelle le Premier ministre – nous interdit de voter cette disposition gravissime, laquelle, par assimilation, tend à faire croire que les logiciels libres ne visent qu’à priver les auteurs de la juste rémunération qui leur est due. Je m’adresse aussi à vous, Monsieur le ministre, puisqu’il ne s’agit pas d’un amendement gouvernemental et que vous avez pris vous-même des engagements très forts au sujet de l’interopérabilité et du devenir du logiciel libre. Je vous exhorte, Monsieur le ministre, à repousser cet amendement.

Ayant pris la mesure du danger, le groupe socialiste souhaite au moins, par son sous-amendement 376, atténuer les conséquences négatives de cet amendement s’il venait à être adopté. Je rappelle qu’il prévoit de pénaliser la fabrication d’un outil en tant que tel plutôt que de réprimer, le cas échéant, ses usages répréhensibles : autant incriminer les fabricants de marteaux parce que ceux-ci peuvent être utilisés pour blesser quelqu’un ! Il est donc impératif de limiter les effets les plus désastreux de cet amendement, en ne visant que ce qui est répréhensible, soit le fait de tirer un bénéfice de l’échange illégal d’œuvres au mépris des droits d’autrui. Mais je répète qu’il serait éminemment préférable de le rejeter !

M. le Rapporteur – Le sous-amendement 398 est rédactionnel.

M. Christian Paul – Permettez-moi de vous redire que ces amendements « Vivendi » représentent un immense risque. Si ces dispositifs avaient existé il y a quelques années, le peer to peer n’aurait peut-être jamais vu le jour. Or le peer to peer n’est pas le diable : l’enjeu de ces logiciels est même considérable pour l’internet, puisqu’ils permettent le partage de contenus et de logiciels à grande échelle. La confusion est volontairement entretenue entre des logiciels indispensables et des sites ou des usages qui peuvent être sujets à caution. Certes, nous ne sommes pas d’accord sur les échanges musicaux via les logiciels de peer to peer : nous souhaitons les légaliser, vous voulez les interdire. Mais ne confondez pas pour autant l’outil et l’usage. Se battre contre le peer to peer – donc voter ces amendements –, c’est vraiment se battre contre l’internet. Veut-on un réseau où chaque échange est tracé, contrôlé, analysé, ou veut-on un réseau libre et ouvert ?

Le sous-amendement 324 à l’amendement 150 2ème rectification vise à insérer après les mots « un dispositif manifestement » les mots « et exclusivement ». Il s’agit d’un sous-amendement de repli, car j’espère que Patrick Bloche vous aura convaincus. L’objectif essentiel du groupe socialiste reste en effet d’éviter d’inscrire dans la loi l’éradication des logiciels de peer to peer. Ces réalités échappent du reste pour une bonne part au cadre national : vous pouvez forger des sabres de bois, mais le Parlement de la République a mieux à faire.

M. le Rapporteur – Le sous-amendement 399 est un amendement de précision rédactionnelle.

M. Richard Cazenave – Les sous-amendements 363 et 364 2ème rectification forment un ensemble cohérent. Le premier vise à substituer au mot « dispositif » celui de « logiciel ». Nous avons cherché un terme qui cerne non l’outil, mais l’usage. De même, il ne faudrait pas qu’en poursuivant ceux qui utilisent le peer to peer pour télécharger des œuvres sans acquitter de droits, on condamne l’outil lui-même.

M. Christian Paul - Voilà ! On va dans le bon sens !

M. Richard Cazenave - Le second sous-amendement vise donc à préciser que les dispositions de l’amendement 150 2ème rectification « ne sont pas applicables aux logiciels destinés au travail collaboratif, à la recherche ou à l’échange de fichiers ou d’objets non soumis à la rémunération du droit d’auteur. » De cette façon, la technologie ne sera plus visée en elle-même.

M. le Rapporteur – Avis défavorable au sous-amendement 376, qui limite le dispositif de l’amendement 150 au seul cas de l’exploitation commerciale – ce qui est beaucoup trop restrictif. Le choix opéré par l’amendement 150 est plus équilibré, puisqu’il se fonde essentiellement sur l’intention sciemment exprimée. Avis favorable, bien sûr, au sous-amendement 398. Avis défavorable au sous-amendement 324 : il serait certes assez simple de s’exonérer de la responsabilité pénale en prévoyant une petite partie qui serait licite afin de justifier l’ensemble du dispositif ; ce n’est donc pas acceptable. Avis favorable naturellement au sous-amendement 399, et, à titre personnel, aux sous-amendements 363 et 364, que la commission n’a pas examinés, mais qui recherchent un équilibre entre la nécessité de pénaliser ceux qui fournissent les dispositifs aux internautes et celle de protéger le logiciel libre.

M. le Ministre – Le Gouvernement est favorable à l’amendement 150…

MM. Christian Paul et Patrick Bloche - Non !

M. le Ministre - …sous réserve de l’adoption des sous-amendements 363, 364, 398 et 399. Il est légitime de ne pas viser les seuls internautes dans le cadre des actions visant à faire régresser les actes de contrefaçon numérique. L’amendement 150 2ème rectification répond à cette préoccupation. Le texte vise les logiciels destinés au piratage, et non ceux destinés à la recherche ou aux formes de travail en partage. Il ne vise pas non plus les logiciels de peer to peer en tant que tels. Avis défavorable, donc, aux sous-amendements 376 et 324, et favorable aux sous-amendements 398, 399, 363 et 364.

M. Frédéric Dutoit - Je ne puis m’empêcher, Monsieur Richard, de penser aux auteurs et aux artistes si attachés au droit d’auteur que vous citiez il y a quelque temps, aux personnalités du cinéma ou de la musique que nous avons rencontrées, et enfin aux artistes que j’apprécie particulièrement, comme Pierre Perret, qui suivent avec attention nos débats. Plus nous avançons dans le débat, plus je suis convaincu que les droits d’auteur ne sont qu’un prétexte. Avec cet amendement et les précédents, nous abordons à nouveau une question essentielle, à travers des propositions particulièrement dangereuses. Que nous est-il en effet proposé de ratifier, sinon le principe selon lequel tout logiciel de communication ne comportant pas de MTP serait illégal ? Les dispositifs juridiques qui nous sont proposés ont déjà leur nom : amendements Vivendi Universal ! L’amendement 150 2ème rectification assimile ainsi à un délit de contrefaçon toute édition et mise à disposition de logiciels manifestement destinés à la mise à disposition du public d’œuvres protégées. Sont visés les logiciels de peer to peer. Mais tout logiciel peut servir à mettre à disposition des œuvres. Est-ce une raison pour les interdire ? Interdit-on les couteaux parce que certains s’en servent pour tuer ?

Cet amendement est dangereux, car il affecte directement le logiciel libre. Il faut donc le repousser fermement.

M. Christian Paul – Une fois le débat mené à son terme sur cet amendement et ces sous-amendements, nous demanderons avant leur vote une suspension de séance de façon à essayer de trouver un compromis avec nos collègues de l’UMP…

M. Jean Dionis du Séjour - Et de l’UDF !

M. Christian Paul - Bien sûr, cher collègue ! Le sujet est trop grave pour que l’on se contente d’un examen superficiel de dispositions engageant l’avenir de la création et de l’innovation sur internet pour des années.

Mme Martine Billard - Je ne pensais pas que le ministre oserait, surtout après ses grandes déclarations sur les logiciels libres, donner un avis favorable à cet amendement dit Vivendi Universal et de surcroît, un avis défavorable aux sous-amendements visant à en limiter les dégâts. Je ne pouvais pas imaginer qu’on irait aussi loin dans l’interdiction des logiciels libres, mais sans doute étais-je naïve.

Il ne faut pas confondre l’outil et l’usage qui en est fait. Bien qu’internet puisse être très dangereux, permettant notamment de diffuser des idées racistes ou antisémites ou de servir le développement de réseaux pédophiles, nul ne songerait pourtant à l’interdire. Mes collègues ont dû, comme moi, recevoir aujourd’hui sur leur messagerie électronique le torchon raciste et antisémite émanant prétendument du conseil régional de Languedoc-Roussillon et qui met en cause le Cercle Léon Blum. Comme il est impossible, en l’état actuel des techniques, d’empêcher la circulation de tels écrits scandaleux, nous en sommes réduits à demander l’ouverture d’une information judiciaire pour tenter d’en retrouver les auteurs et les sanctionner, mais cela, nous ne le faisons qu’a posteriori. Nous ne sommes pas en Chine, internet n’est pas contrôlé a priori en France.

En acceptant l’amendement 150 2ème rectification – sur lequel je n’avais, pour ma part, déposé aucun sous-amendement tant je le jugeais inacceptable – et en refusant les sous-amendements qui auraient pu en limiter les dégâts, vous n’en êtes d’ailleurs pas à une contradiction près, Monsieur le ministre, puisque vous empêchez le développement des logiciels permettrant de faire respecter le droit à la copie privée précédemment adopté. Si des sociétés mettent à la disposition des usagers des œuvres verrouillées par des DRM ne respectant pas les prescriptions du collège des médiateurs, les usagers devront attendre la décision du collège pour faire respecter leurs droits !

De surcroît, cet amendement condamne à terme toute recherche sur les logiciels libres. S’il est adopté, aujourd’hui sera vraiment un jour noir pour eux.

M. Bernard Carayon – Je comprends les réticences de Christian Paul sur l’amendement 150 2ème rectification. J’aurais pu les partager si le ministre n’avait pas donné un avis favorable à nos sous-amendements 363 et 364 2ème rectification qui, comme l’a souligné le rapporteur, équilibrent le texte de l’amendement.

M. Patrick Bloche – Nous sommes à un moment extrêmement grave dans cette discussion, je le dis sans solennité aucune (Murmures sur les bancs du groupe UMP). L’initiative prise par nos collègues de la majorité de déposer des sous-amendements, que nous jugeons certes insuffisants mais qui rejoignent nos préoccupations, en est d’ailleurs la preuve.

La question est simple : voulons-nous ou non que les logiciels libres et le P2P continuent à se développer dans notre pays ? L’amendement 150 2ème rectification vise à casser l’outil, non à réprimer les usages répréhensibles qui peuvent en être faits. Cet amendement dévastateur bridera l’innovation et la recherche dans le domaine du P2P. Chacun s’accorde pourtant à reconnaître que celui-ci constitue un puissant moyen de circulation des œuvres et des savoirs. À l’INRIA, à France Télécom, dans de nombreuses start-up, des centaines d’ingénieurs travaillent à la mise au point de logiciels de P2P. Ce sont des élèves de Centrale qui ont créé VLC, l’un des formats vidéo les plus répandus au monde. Ce sont des développeurs français qui ont fabriqué certains des logiciels de P2P parmi les plus performants, capables de fournir à haut débit des contenus à plusieurs millions d’utilisateurs simultanément. Certains souhaitent créer des entreprises et lever des fonds. Seront-ils contraints, comme l’inventeur français du DivX, de s’expatrier en Californie ? Alors que les industries culturelles se placent sous la dépendance d’une poignée de fournisseurs pour les mesures techniques de protection et les plateformes commerciales, est-il raisonnable d’entraver en France l’exploitation de nouvelles pistes et de contraindre nos chercheurs et nos entrepreneurs à s’exiler pour créer des emplois ailleurs ? Tel est bien l’enjeu. Et permettez-moi à cet instant d’invoquer le patriotisme économique, thème cher au Premier ministre.

Je réitère la demande de suspension de séance formulée par M. Paul pour tenter, avec nos collègues de la majorité, de trouver un compromis limitant les dégâts. Il faut faire plus qu’adopter l’amendement 364 2ème rectification de MM. Cazenave et Carayon, et au moins adopter notre sous-amendement 324. Monsieur le ministre, l’avis favorable que vous avez donné à l’amendement 150 2ème rectification est en totale contradiction avec vos déclarations solennelles sur la nécessité de préserver le développement du P2P et des logiciels libres.

M. Bernard Carayon – Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ! Nos sous-amendements exonèrent de tous risques de poursuites les internautes se limitant à des pratiques légales sur les réseaux de P2P.

M. Christian Paul - C’est votre intention, mais ce n’est pas dans votre sous-amendement !

M. Bernard Carayon – Ils équilibrent le texte de l’amendement, qui, je le reconnais, n’était pas assez équilibré. Le ministre a par ailleurs accepté le principe d’un rapport parlementaire à l’issue d’une année d’expérimentation. Nous pourrons alors, à la lumière de la jurisprudence, mieux mesurer la portée du dispositif.

M. Christian Paul - Vos intentions sont sans doute louables, mais votre amendement 364 2ème rectification selon lequel « ces dispositions ne sont pas applicables aux logiciels destinés au travail collaboratif, à la recherche ou à l’échange de fichiers ou d’objets non soumis à la rémunération du droit d’auteur » ne protège rien du tout. Il faut bien distinguer entre le logiciel, lequel n’est en soi ni bon ni mauvais, et l’usage qui en est fait, qui peut être répréhensible. Nous devrions, une fois n’est pas coutume, nous inspirer de ce que fit la Cour suprême des États-Unis lors de l’apparition des magnétoscopes dont on disait qu’ils allaient ruiner l’industrie du film. La Cour décida qu’il n’était pas possible de considérer le magnétoscope comme une technologie illégale tant qu’il existait « un potentiel d’utilisation substantiel sans infraction ». Nous sommes devant un choix de même nature. Faut-il condamner les logiciels de P2P au motif qu’on peut les utiliser illégalement, ces pratiques restant marginales ? Il faut bien plutôt tenir que le logiciel en lui-même est neutre, et que seuls ses usages peuvent être condamnables.

M. Bernard Carayon - Nous sommes d’accord là-dessus ! Proposez un sous-amendement !

M. Christian Paul - Donnons-nous quelques minutes de réflexion hors de l’hémicycle, la plume à la main… L’essentiel est de garder ouvert le champ des possibles ; or l’amendement initial est pour l’internet une sorte de lettre de cachet.

M. le Ministre – Le droit pénal est d’interprétation stricte. Pensez-vous un seul instant que notre objectif soit de porter atteinte à notre capital scientifique et aux petites entreprises responsables de la mise en œuvre du logiciel libre ? Cet amendement vise le fait « de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un dispositif manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d’œuvres ou d’objets protégés » : le caractère intentionnel est donc indéniable ; n’essayez pas de faire naître des peurs inutiles !

M. Christian Paul – C’est un système impraticable !

M. Patrick Bloche - Si c’était si clair, Monsieur le ministre, votre majorité ne défendrait pas des sous-amendements !

M. Jean Dionis du Séjour - Le logiciel libre est incontestablement une voie d’avenir, l’un des modèles de développement de l’industrie du logiciel. Au départ, j’étais assez favorable à cet amendement, considérant que l’éditeur de logiciel a une responsabilité ; mais ma réflexion a évolué, et je ne le voterai pas. Le débat est en cours dans la communauté du logiciel libre sur « y aller ou pas » et « comment y aller » – en incluant ou non la fonction des DRM ; le créateur de Linux, par exemple, est prêt à l’inclure. Dès lors, faut-il légiférer ? Notre avis est qu’il faut laisser évoluer la communauté du libre. En outre, je doute de l’efficacité que pourrait avoir cet amendement.

M. Richard Cazenave - Il faut dire clairement que la technologie ne peut en aucun cas être rendue responsable de ce qui se passe à l’intérieur des tuyaux.

M. Christian Paul - Il faut le dire dans la loi.

M. Richard Cazenave - BitTorrent, aux États-Unis, n’était pas à l’origine un peer to peer manifestement destiné au téléchargement d’œuvres non protégées ; il l’est devenu parce que les utilisateurs l’ont plébiscité pour cet usage. Ensuite, un accord a été passé avec Hollywood pour mettre en place des systèmes de filtrage, afin de limiter les usages illégaux.

M’étant élevé contre cet amendement depuis le début, je suis content de voir que notre collègue Dionis du Séjour a fait du chemin dans notre direction ; mais nous n’allons pas régler cette question en quelques minutes de suspension de séance. J’ai retrouvé avec un certain amusement dans le sous-amendement de M. Bloche, qui vise l’exploitation commerciale, une rédaction que j’avais moi-même retenue dans un premier temps ; j’y avais finalement renoncé car elle m’est apparue moins protectrice que le sous-amendement 364, 2ème rectification. Celui-ci, auquel le ministre s’est dit favorable, précise que « ces dispositions ne sont pas applicables aux logiciels destinés au travail collaboratif, à la recherche ou à l’échange de fichiers ou d’objets non soumis à la rémunération du droit d’auteur ». Comme c’est le cas de tous les logiciels, nous neutralisons de cette manière cet amendement auquel nous ne croyons pas, et nous nous donnons le temps nécessaire avant de réexaminer la question dans quelques mois.

M. François Bayrou - Cette argumentation est surprenante : considérant que cet amendement est mauvais, M. Cazenave propose un sous-amendement qui en annule les effets… Quelle est cette casuistique ? Il serait plus franc de voter contre l’amendement ! À qui veut-on faire plaisir ?

Mieux vaut reconnaître que les choses ne sont pas mûres. Nous avons d’ailleurs là un nouvel exemple de ce que l’urgence nous empêche de faire… À mon tour, je réitère la demande de suspension de séance pour tenter d’éclairer ce sujet complexe.

M. le Président – Je l’avais annoncée, elle est de droit.

La séance, suspendue à 22 heures 25, est reprise à 22 heures 40.

M. le Président – Sur l’amendement 150 2ème rectification, je suis saisi par le groupe socialiste d’une demande de scrutin public.

M. Patrick Bloche – Nous avons mis à profit la suspension de séance pour travailler. M. Christian Paul vous fera part de nos conclusions mais nous nous réjouissons d’ores et déjà de cette approche plus consensuelle qui permettra d’assurer au peer to peer, si j’ose dire, des jours radieux. Le peer to peer permet aux internautes de mettre sur le web le contenu ou une partie du contenu d’un disque dur. L’outil étant neutre, il ne s’agit pas de l’interdire mais de « pointer » certains de ses usages. En outre, que signifie l’adverbe « manifestement » ? Il conviendrait à tout le moins de donner des exemples. Enfin, l’intention délictuelle doit toujours être démontrée, comme c’est le cas avec la contrefaçon. En matière pénale, il importe que le droit soit écrit de façon particulièrement intelligible. Si tel n’est pas le cas, cette disposition sera anticonstitutionnelle et il faut en écarter le risque.

Mme Christine Boutin – Cet amendement renoue avec la philosophie du projet telle qu’elle était exprimée au mois de décembre : mise à l’index du peer to peer et pistage des internautes.

M. le Rapporteur- Mais non !

Mme Christine Boutin - Vous direz ce que vous voudrez, mais vous ne me ferez pas taire ! N’est-ce pas stigmatiser les internautes que de prévoir des peines de trois ans de prison et des amendes de 300 000 euros ? Avec cet amendement, rien n’a changé : les internautes et le partage de fichiers sont en accusation. Ce serait grave si ce n’était risible, car la technologie rendra très vite ces mesures inapplicables.

M. François Bayrou - Absolument !

Mme Christine Boutin - Si un recours pour inconstitutionnalité est déposé sur la base de cet amendement, je le signerai !

M. Christian Paul - Nous avons tous, pendant la suspension, tenté de confronter nos points de vue et de proposer des solutions. Personne ici ne veut voir partir les plus talentueux de nos développeurs informatiques. Or, une loi insuffisamment débattue peut provoquer des dommages collatéraux.

Je rappelle qu’un logiciel peut avoir plusieurs usages, légaux ou non. En en condamnant l’éditeur ou le concepteur, vous portez un coup d’arrêt aux logiciels de partage de fichiers.

Il est donc essentiel de préciser les limites de ce qui peut être fait. Introduire la mention « exclusivement » dans le texte de cet amendement pour cibler les logiciels spécifiquement destinés au partage de fichiers permettrait d’éviter un sinistre industriel majeur.

M. le Rapporteur – Le but de ce projet de loi est de lutter contre les téléchargements illicites, dont un grand nombre est effectué inconsciemment parce que des éditeurs de logiciels les encouragent pour en tirer profit. Voilà pourquoi l’amendement 150 2ème rectification tend à exonérer les internautes pour mieux cibler les éditeurs de logiciels.

M. Patrick Bloche - Oui, mais faites donc le partage !

M. le Rapporteur – C’est parce que nous sommes passés de l’ère de la télévision à celle d’internet que la Cour suprême américaine a intelligemment modifié sa jurisprudence. N’incriminer les éditeurs de logiciels que si leur activité est exclusive est évidemment impossible ! Gardons à l’esprit le but que poursuit le Gouvernement depuis deux ans : faire glisser le téléchargement illicite vers les plateformes légales.

M. Patrick Bloche – Ah ! Voilà !

M. le Rapporteur – Il s’agit donc de légaliser le partage de fichiers ! C’est ce qu’a réussi la jurisprudence américaine, en passant de Napster à Snocap – et BitTorrent s’y met aussi.

Il faut donc adopter l’amendement 150 avec les garde-fous que MM. Cazenave et Carayon ont proposés. La situation que propose M. Paul nous conduirait dans une impasse !

M. le Ministre – Pour qu’il n’y ait d’idées fausses ni dans l’hémicycle ni au-dehors…

M. Patrick Bloche - Ce n’est pas à vous d’en décider !

M. le Ministre - …je précise que nous atteignons, avec l’amendement 150 2ème rectification sous-amendé, le point d’équilibre recherché : mettre la technologie au service de la diffusion des œuvres dans le respect du droit d’auteur. Les sanctions ne peuvent s’appliquer aux seuls internautes.

M. Patrick Bloche - Vous confondez tout !

M. le Ministre – Cessons donc d’agiter le chiffon rouge de la prison et des 300 000 euros, car c’est fini !

Mme Christine Boutin – (Brandissant son foulard rose) C’est un chiffon rose !

M. le Ministre – Il ne s’agit pas de condamner la technologie du pair-à-pair, mais de poursuivre pénalement ceux qui nourrissent intentionnellement le piratage par des messages publicitaires – c’est-à-dire ceux qui font de l’argent sur le dos des internautes et des créateurs.

Mme Martine Billard - Il ne s’agit pas du tout de cela !

M. le Ministre – Les sous-amendements proposés contiennent toutes les précautions nécessaires pour que le logiciel libre – qu’il ne faut surtout pas confondre avec le logiciel de piratage – ne soit pas concerné par cette disposition.

Tout le monde ici s’accordera à dire que nous avons un potentiel artistique et culturel considérable dans notre pays (« Ce n’est pas le sujet ! » sur les bancs du groupe socialiste), ainsi qu’un potentiel scientifique que nous voulons protéger. L’amendement 150 2ème rectification sous-amendé ne vise pas les internautes, mais seulement ceux qui tentent de contourner le droit d’auteur à des fins commerciales.

Mme Martine Billard - C’est faux !

M. le Président – Le groupe UDF s’associe à la demande de scrutin public du groupe socialiste pour l’amendement 150 2ème rectification.

M. François Bayrou – Chacun mesure le risque que comporte cet amendement. Dès lors, l’Assemblée doit avoir le réflexe de voter contre. Le sous-amendement 364 essaie de conjurer ce risque, quoique trop vaguement : il créerait en effet une ambiguïté dans le texte définitif. Le rôle de la loi pénale est de borner clairement les pratiques répréhensibles. Comment un juge pourrait-il considérer qu’un logiciel ne serait destiné ni à un travail collaboratif, ni à la recherche ou l’échange de fichiers qui ne sont pas soumis au droit d’auteur ?

Détruire ainsi par un sous-amendement le sens de l’amendement n’est pas faire œuvre constitutionnelle – le juge constitutionnel n’y sera d’ailleurs certainement pas favorable.

M. Richard Cazenave - Notre discussion éclaire ceux qui auront à faire la jurisprudence. Il est clair désormais qu’aucun éditeur de logiciels français ne sera visé par cette mesure.

M. Christian Paul - Ils le seront tous !

M. Richard Cazenave - Non, aucun. Seuls seront visés des sites étrangers qui proposent des téléchargements illicites. On ne peut pas prétendre contrôler l’exercice des droits sans encadrement, et encore moins mettre le logiciel libre français en état d’insécurité juridique.

Nous avons abouti à un point d’équilibre – même s’il n’est pas parfait, personne n’a encore trouvé de rédaction plus précise. Nous protégeons juridiquement les éditeurs de logiciels libres tout en permettant de poursuivre des réseaux étrangers qui contournent le droit d’auteur à des fins commerciales.

M. Laurent Wauquiez - Monsieur Bayrou, il n’y a pas, sur cet article, un risque à éviter, mais plutôt deux défis à concilier. Il faut d’une part défendre autant que possible le logiciel libre…

M. François Bayrou - Pas « autant que possible » ! Absolument !

M. Laurent Wauquiez - …et l’idée chère à M. Cazenave selon laquelle la technologie per se est neutre. Mais il faut également éviter le contournement des droits d’auteurs à des fins d’exploitation commerciale.

Je me serais volontiers rallié à votre sous-amendement 324, Monsieur Paul, mais une considération m’en dissuade : on ne peut pas, d’une part, expliquer que la technologie n’a jamais d’usage exclusif a priori tout en prétendant, de l’autre, sanctionner celles qui en ont un !

M. Patrick Bloche – Même si l’intervention du ministre a été largement hors sujet, il a très clairement utilisé le terme « intentionnellement ». Le problème est que ce mot n’est pas dans l’amendement 150 qu’on essaye à tout prix de nous faire voter.

M. le Rapporteur et plusieurs députés UMP – « Sciemment » !

M. Patrick Bloche – Dans l’amendement, vous utilisez le terme générique « manifestement ». L’ajout de « exclusivement » que nous proposons dans le sous-amendement 324 – auquel quelques membres de la majorité portent de l’intérêt – permettrait de ne viser que les développeurs de logiciels utilisables uniquement à des fins de contrefaçon. En l’état, l’amendement 150 aboutit à condamner une technologie en tant que telle pour certaines des utilisations qui en sont faites. Le vote de cet amendement serait la mort du développement du peer to peer en France – et comme il se développera de toute façon, ce sera ailleurs. Voilà votre conception du patriotisme économique.

M. Dominique Richard - L’amendement 150 modifié par les sous-amendements 399, 363 et 364 met le texte en cohérence avec les principes généraux de notre droit pénal. Il y a trois éléments constitutifs d’une infraction pénale : l’élément légal, l’élément réel et l’élément intentionnel. L’amendement correspond au troisième élément, puisqu’il pointe la volonté manifeste de contourner le droit d’auteur.

Mme Martine Billard - À voir la difficulté que nous avons à interpréter cette rédaction, on peut se faire du souci pour la jurisprudence ! Nous sommes en train d’instaurer une insécurité juridique et économique totale pour nos entreprises. Que veut dire « manifestement destiné » ? On pourrait soutenir qu’internet est manifestement destiné à la diffusion de discours racistes et pédophiles ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) En réalité, l’outil est neutre, le problème réside dans son usage. Or, c’est l’outil que vous voulez poursuivre en justice. Toute l’industrie du logiciel libre en sera affectée. La concurrence économique y est très forte, on se plaint que la France manque d’industries innovantes et que ses jeunes n’ont pas le goût du risque, mais on vote un amendement qui ne peut qu’inciter tous ceux qui travaillent dans ce secteur à tout arrêter pour ne pas risquer de se retrouver en prison avec 300 000 euros d’amende ! Le principe de précaution impose vraiment de ne pas voter cet amendement.

Le sous-amendement 376, mis aux voix, n'est pas adopté.
Le sous-amendement 398, mis aux voix, est adopté.
Le sous-amendement 324, mis aux voix, n'est pas adopté.
Le sous-amendement 399, mis aux voix, est adopté.
Le sous-amendement 363, mis aux voix, est adopté.
Le sous-amendement 364, deuxième rectification, mis aux voix, est adopté.
À la majorité de 55 voix contre 19 sur 76 votants et 74 suffrages exprimés, l’amendement 150, deuxième rectification, sous-amendé, est adopté.

M. Christian Paul – L’exposé du ministre a permis de faire comprendre l’enjeu de ces amendements : pour satisfaire certains intérêts économiques du domaine de la culture, on vient de créer une insécurité juridique durable pour l’ensemble de l’innovation logicielle dans notre pays. M. Sarkozy pourra faire tous les discours qu’ils voudra, comme au mois de janvier, pour tenter de séduire ceux qui représentent la créativité, l’innovation et l’intelligence de notre pays en matière logicielle, vous venez ce soir de réduire à néant les efforts de beaucoup d’entreprises françaises.

Art. 13

M. Patrick Bloche - Nous sommes encore sous le choc de ces votes (Rires sur les bancs du groupe UMP). Riez, quand vous verrez nos entreprises, nos ingénieurs et nos chercheurs s’expatrier pour développer un logiciel hors de nos frontières, vous rirez moins ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

M. Bernard Carayon - Vous avez plombé nos entreprises !

M. Patrick Bloche - Les grandes déclarations de M. Sarkozy sur l’innovation et de M. de Villepin sur le patriotisme économique sont oubliées, quand vous voulez défendre des intérêts particuliers !

Mme Claude Greff – On est au théâtre !

M. Patrick Bloche – Ces intérêts ont été défendus à longueur de colonnes de presse. Nous sommes ici pour défendre l’intérêt général, et vous votez un amendement scélérat qui nuit à l’industrie française, à la recherche française, à l’emploi en France. Prenez conscience de votre responsabilité. Mesurez les conséquences de ce vote. Nous avons encore l’espoir que l’imprécision de la rédaction poussera le Conseil constitutionnel à annuler cette disposition.

M. Christian Paul - C’est de la bêtise économique.

M. Patrick Bloche - Nous en arrivons à l’article 13, celui qui permettra sans doute au ministre de dire combien il est fier de ce projet de loi : il s’agit du dispositif de sanction « allégé », de la riposte graduée.

Nous revenons ainsi dans le cadre répressif, mais dans des conditions fort différentes de celles de décembre. Grâce au vote, le 21 décembre, d’un amendement qui légalisait le téléchargement afin de créer une rémunération supplémentaire pour les filières culturelles, et particulièrement la filière musicale, nous avons sorti le projet de loi du champ de la contrefaçon. Dans le rapport de M. Vanneste, l’article 13 porte en effet ce titre : « Assimilation au délit de contrefaçon des atteintes aux mesures techniques de protection et d’information dans le domaine des droits d’auteur ». On vous a entendu, Monsieur le ministre, et quelquefois dans un langage peu châtié, dire que vous en aviez assez de vous voir accusé de vouloir mettre les internautes en taule. Mais c’est vous qui avez présenté, le 20 décembre, un projet de loi qui assimilait le contournement des mesures techniques à de la contrefaçon et qui faisait peser sur chaque internaute la menace de trois ans de prison et de 300 000 euros d’amende ! Si, aujourd’hui, vous proposez un autre dispositif, c’est bien grâce à la majorité qui s’est dressée, le 21 décembre, pour dire non !

Nous sommes donc sortis du champ de la contrefaçon, mais votre nouveau dispositif de sanction a l’effet étonnant de nous faire passer de 300 000 euros d’amende et trois de prison à 38 euros d’amende, et de transformer les délinquants en contrevenants. Cela vous permet une nouvelle fois de dessaisir le Parlement et la justice, et de renvoyer le dispositif de sanction à la voie réglementaire. Nous avons posé, depuis les réunions des commissions des lois et des affaires culturelles, un certain nombre de questions auxquelles nous n’avons toujours pas de réponses. Le président de la commission des lois a très justement souhaité que l’intention du législateur soit précisée pour définir l’infraction. Quand sera-t-elle constituée ? À chaque acte de téléchargement, à chaque morceau téléchargé ? Qui fera les constatations, qui contrôlera, qui dressera les procès-verbaux ? Il nous a été dit qu’un juge serait saisi à un moment de la procédure pour faire le lien entre l’adresse IP et l’identité de l’internaute. Encore une usine à gaz !

Vous avez refusé de légaliser le téléchargement et de dégager une rémunération supplémentaire pour la filière culturelle, et notamment musicale. Vous préférez rester dans l’interdiction, l’illégalité et la gratuité. Avec la contravention à 38 euros, comme le disait un éditorial hier soir, nous sommes dans la farce du téléchargement. Vous allez alimenter les caisses de l’État, sans proposer la moindre rémunération des artistes. Tout cela est-il bien cohérent ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Christian Paul - Avec les sanctions, nous en arrivons au moment du débat le plus attendu par les tenants de la répression. Certes, nous avons bien noté que le téléchargement n’était plus assimilé à de la contrefaçon et que le terme de piratage était renvoyé aux manuels de droit maritime dont il n’aurait jamais dû sortir. Il reste que la montagne accouche d’une souris à 38 euros, et qu’il y a dans cette farce bien peu de raison et beaucoup d’hypocrisie. Alors que des dizaines de milliers d’internautes se réjouissaient de l’acte politique posé en décembre et voyaient, dans les déclarations du Premier ministre comme dans vos propres propositions, la possibilité d’une ouverture, les solutions finalement retenues aux articles 13 et 14 montrent que vous voulez sortir de la crise en biaisant et en entretenant l’hypocrisie. Nombre de questions essentielles restent en suspens : une amende de 38 euros est-elle dissuasive ? Allez-vous l’administrer dans une logique d’abattage de type « radar automatique » ? La « police de l’internet » sera-t-elle privée ou publique ? De quelle manière le contrôle du juge dont vous avez parlé en commission pourra-t-il s’exercer ? En vérité, vous allez créer un système perdant-perdant : pas un euro de plus pour les artistes, aucune entrave à la croissance exponentielle du téléchargement, et un dispositif qui manque totalement sa cible. Vous ne pouviez pas proposer pire sortie de crise !

M. Frédéric Dutoit - Je tiens à faire part moi aussi de mon émotion, après l’adoption de l’amendement qui signe l’arrêt de mort du logiciel libre. Mais j’ai bon espoir que le XXIe siècle finisse par vous rattraper et que ce texte retombe dans l’oubli dont il n’aurait jamais dû sortir.

En décembre dernier, vous aviez jugé bon de présenter à notre assemblée un volet sanctions totalement improvisé, tendant à assimiler – au gré du concept fantaisiste de la « réponse graduée » – des usages courants à de la contrefaçon. Pour faire suite au vote de décembre ayant écourté les débats, vous proposez aujourd’hui un dispositif imparfait, d’une efficacité douteuse et en parfait décalage avec la réalité. Ainsi, le seul contournement des MTP que vous proposez d’admettre serait motivé par les activités de recherche, alors que l’Australie vient de demander – dans le rapport parlementaire cité hier par Didier Mathus – 37 nouvelles exceptions à l’interdiction de contournement, et les États-Unis pas moins de quatre, liées, pour l’essentiel, au respect de la vie privée de l’internaute. Dorénavant, le public américain pourra neutraliser les MTP qui empêchent l’usage licite de dispositifs régulièrement acquis. Puissiez-vous vous inspirer de tels exemples, plutôt que de laisser à des opérateurs non désintéressés le soin de garantir les droits élémentaires de nos concitoyens.

M. Jean Dionis du Séjour - Nous arrivons au troisième pilier. Le modèle de rémunération de la culture via internet que nous tentons de faire émerger repose en effet sur un trépied : une plateforme légale d’acquisition – à ne pas confondre avec la licence globale –, des MTP pour protéger les œuvres et des sanctions adaptées. À cet égard, nous saluons le travail accompli depuis quelques semaines et nous soutiendrons ce volet du texte, beaucoup plus réaliste et équilibré que ce qui nous avait été soumis en décembre. Et j’indique au passage que je n’ai pas très bien saisi la position de nos collègues socialistes : l’amende à 38 euros leur semble-t-elle excessive ou pas assez dissuasive ? Si nous l’approuvons globalement, nous nous interrogeons tout de même sur l’efficacité du dispositif de sanctions. Il semble acquis que les contrôles seront exercés par un service spécialisé de la police d’État et cela nous convient…

M. Patrice Martin-Lalande - C’est en effet un progrès.

M. Jean Dionis du Séjour - Par contre, il est à nos yeux essentiel d’améliorer la prévention et de préciser d’emblée qui est passible de sanctions : l’auteur des faits ou l’abonné ? Nous avions déposé un amendement à ce sujet et nous déplorons vivement que la séance nous ait – une fois de plus – opposé la forclusion pour le déclarer irrecevable. Quoi qu’il en soit, il convient d’ouvrir le débat sur l’avertissement et de préciser qui, de l’utilisateur ou de l’abonné, est susceptible d’être poursuivi. S’il n’est pas sensiblement amélioré, votre dispositif reposera sur du sable.

M. Bernard Carayon – Dans un bel élan d’hypocrisie, nos collègues socialistes se font subitement les défenseurs de l’entreprise privée, du logiciel libre… À les entendre, on ne croirait pas que ce sont eux qui ont plombé les entreprises avec la RTT autoritaire et les prélèvements obligatoires… (Rires sur les bancs du groupe socialiste) Ces nouveaux apôtres de la libre entreprise ne sont guère convaincants !

M. André Chassaigne - Vous, c’est le logiciel du Medef que vous avez téléchargé !

M. Bernard Carayon – Et je m’étonne aussi que ceux-là même qui se lamentent à longueur d’année du dessaisissement du Parlement n’envisagent pas de légiférer autrement que sous l’ombre portée du Conseil constitutionnel, « cénacle » contre lequel François Mitterrand n’avait pas de mots assez durs en 1978.

Mme Hélène Mignon - De quoi parlez-vous ? Revenez au texte !

M. le Président – Monsieur Dionis du Séjour, si votre amendement n’a pas été retenu, c’est qu’il a été déposé hors délai.

M. Pierre-Christophe Baguet – Nous avions beaucoup travaillé à l’élaboration de cette proposition et cela méritera en effet quelques éclaircissements. Quels étaient les principes que nous voulions défendre ? D’abord, la responsabilisation de l’internaute ; ensuite, la prévention, au moyen d’une pédagogie efficace parce que ciblée ; enfin, des sanctions progressives et adaptées, la criminalisation étant manifestement excessive mais une certaine gradation des amendes devant être appliquée, notamment entre les usages illicites à des fins personnelles et ceux visant à mettre des œuvres protégées à la disposition d’autrui. Nous regrettons vivement que l’amendement reprenant ces différents points ne soit pas mis en discussion.

Mme Martine Billard - Nous travaillons décidément dans des conditions rocambolesques ! Nos amendements ont été déposés en décembre ; j’avais déposé l’amendement 126 visant à supprimer l’article 13, alors que celui-ci faisait référence à la contrefaçon. On a désormais, nous dit-on, une riposte graduée : 38 euros pour un téléchargement simple, 150 euros pour une mise à disposition de fichiers. Mais le principe même des logiciels de peer to peer est de permettre à la fois la mise à disposition de ce que l’on peut offrir et le téléchargement de ce que l’on peut trouver. La contravention sera-t-elle de 38 ou de 150 euros ? Serez-vous passible d’une contravention de 150 euros uniquement si un tiers télécharge un fichier que vous avez mis à disposition ? Si vous téléchargez deux œuvres, devrez-vous payer une fois ou deux fois ?

Mme Claude Greff – Et si vous roulez à 160 kilomètres-heure pendant une heure, êtes-vous verbalisée une ou deux fois ?

Mme Martine Billard – Autre problème : quand l’infraction est-elle constituée ? Si le téléchargement est opéré à partir d’un site interdit, c’est simple : il y a intervention judiciaire. Avec un logiciel de peer to peer, deux possibilités existent : la surveillance – mais il faudrait qu’elle soit constante…

M. Christian Paul - Le ministre de la culture va s’installer place Beauvau !

Mme Martine Billard - …ou l’incitation au délit. Mais en droit français, la provocation au délit est interdite. Bref, tout n’est pas si simple.

Mme Claude Greff - Quand on vous entend, ce n’est pas simple !

Mme Martine Billard - Peut-être, mais c’est la réalité d’internet ! La seule possibilité viable aujourd’hui, c’est de surveiller les logiciels de peer to peer. Tout se fera donc dans la clandestinité : vous ne pourrez pas savoir qui télécharge illégalement, à moins de demander l’ouverture d’une instruction. La solution n’est pas pour demain !

M. le Rapporteur – Notre excellente collègue est allée bien au-delà de la défense de son amendement, puisqu’elle a anticipé sur l’article 14.

La commission ne pouvait émettre qu’un avis défavorable à l’amendement 126, puisqu’elle a adopté l’article 13. Supprimer cet article reviendrait à supprimer la loi, et du même coup la directive…

M. Patrick Bloche - C’est faux ! C’est une honte de mentir ainsi !

M. le Rapporteur - …qui protège juridiquement les mesures de protection, qui protègent elles-mêmes les droits d’auteur. L’article 8 de la directive dit d’ailleurs que « les États membres prévoient des sanctions et des voies de recours appropriées contre les atteintes aux droits et obligations prévus par la présente directive, et prennent toutes les mesures nécessaires pour en garantir l’application. » Nous nous inscrivons donc bien dans l’intention de la directive !

M. le Ministre – Nous en arrivons certes à une série d’articles, qui traitent de la responsabilité, mais les propos de Mme Billard ne concernaient pas l’article 13. Permettez-moi de rappeler l’architecture du dispositif proposé. D’abord, un dispositif de sécurité, destiné à susciter et à faire s’épanouir une offre légale attractive. Notre objectif est bien de favoriser l’accès du plus grand nombre à un maximum de livres, de musiques et de films. Nous avons ensuite une intention pédagogique : faire comprendre à nos concitoyens que défendre le droit d’auteur, c’est reconnaître aux artistes le droit de vivre de leur talent. L’adoption de ce texte va clore une époque où il n’existait qu’une offre illégale.

M. Christian Paul - Obscurantisme ! Imprévision !

M. le Ministre – Ce que vous allez rendre possible, c’est une offre légale attractive. Nous avons créé ce que j’ai baptisé l’internet équitable. (Rires sur les bancs du groupe socialiste) La gauche regrette visiblement de ne plus pouvoir agiter le chiffon rouge de la prison pour l’internaute. Il est vrai que la caricature était facile ! Nous sommes tous des internautes, mais il faut parfois faire montre de volonté. Nous avons tout fait pour que les biens culturels ne soient pas considérés comme des marchandises comme les autres, et vous voudriez les abandonner à la jungle !

L’architecture que nous bâtissons s’appuie sur trois principes : délimiter clairement la frontière entre le légal et l’illégal ; sanctionner en fonction de la gravité des fautes et des responsabilités ; faire principalement porter la répression sur l’offre illégale, sans renoncer à dissuader le téléchargement illégal. La loi ne cherche ni à exonérer les internautes ni à les frapper massivement, ce qui serait illusoire et contre-productif. Elle prévoit donc des peines sévères pour le contournement des mesures – c’est l’objet de l’article 13 – et pour la mise à disposition pure, qui serait assimilée à de la contrefaçon. Pour le téléchargement illégal et pour le téléchargement associant une mise à disposition accessoire, comme c’est le cas dans le peer to peer, elle prévoit deux types de contraventions.

Le Gouvernement a voulu une transparence totale. Le texte fait donc référence aux contraventions, afin que chacun puisse connaître la règle du jeu. Vous ne pouvez pas agiter, après celui de la prison, le chiffon rouge de la traque des internautes.

M. Christian Paul - Non : celui de l’impuissance publique !

M. le Ministre – Il ne s’agit pas d’une intrusion dans la liberté de communication et la vie privée des internautes, mais d’une surveillance à partir des œuvres. Dans tous les cas, les sanctions seront prononcées à l’issue de procédures judiciaires comportant une enquête. L’intérêt de tous est évidemment que les procédures se concentrent sur les personnes soupçonnées de faits graves.

En ce qui concerne l’amendement 126, j’émets un avis défavorable.

M. Christian Paul - Je voudrais insister une nouvelle fois sur les risques que fait courir votre obstination. Savez-vous, mes chers collègues, qu’à l’heure où nous parlons, le Gouvernement procède à une réécriture complète de l’article 7, que vous avez voté en toute bonne foi ?

Mme Claude Greff - Heureusement que vous êtes là !

M. Christian Paul - Le Gouvernement va demander une deuxième délibération sur l’article 7 ! Chers collègues, faites preuve au moins une fois ce soir d’esprit d’indépendance et suggérez au ministre de demander aussi une nouvelle délibération sur l’amendement 150 2ème rectification, dit amendement Vivendi, que vous avez voté avec le même aveuglement que l’article 7, avec la même improvisation, vous comportant en apprentis sorciers prompts à ériger des remparts de papier qui ne tiendront pas au-delà de la bonne conscience d’un soir.

Le ministre nous a exposé son arsenal répressif, régressif pour contrôler la culture. Dans un entretien donné aux Inrockuptibles, il a d’ailleurs répondu à un journaliste qui l’interrogeait sur la proposition du président de l’UMP de supprimer le ministère de la culture, ce qui est une façon d’avaliser cette proposition…

Mme Claude Greff – Et alors ?

M. Christian Paul – Nous avons bien compris, nous, que le ministre de la culture allait quitter la rue de Valois pour la place Beauvau où il traquera les internautes.

M. Dominique Richard - Vous êtes fatigué !

M. Christian Paul - Voilà le dessein secret qui sous-tend votre entreprise répressive : créer un grand ministère de la police de l’internet !

M. Frédéric Dutoit - Je soutiens l’amendement 126. Comment, Monsieur le ministre, après avoir fait voter l’article 7 – mais peut-être le retirez-vous, avant de le réintroduire : vous nous avez habitués à tant de procédures particulières depuis décembre ! Comment, disais-je après avoir fait voter l’article 7 et l’amendement 150 2ème rectification, pouvez-vous prétendre que votre objectif serait de défendre les droits d’auteur à la française ?

M. le Ministre - On est à l’amendement 126 !

M. Frédéric Dutoit - Ce projet de loi n’est qu’un prétexte pour ouvrir aux fabricants de logiciels propriétaires un nouveau marché considérable et extrêmement rentable sur internet. Le voile s’est dissipé : votre texte a pour seul objectif de faire basculer la culture dans le marché. Et cela en dépit de vos beaux discours à l’UNESCO sur la diversité culturelle et l’exception française !

Nous aurions pu trouver un compromis satisfaisant pour tous, permettant de garantir le respect du droit d’auteur à l’ère du numérique. Vous vous y êtes refusé, mais le XXIe siècle vous rattrapera. Cet article 13 n’étant de toute façon pas applicable, il serait plus intelligent de le supprimer.

M. Patrick Bloche – Le 21 décembre dernier, le ministre de la culture déclarait ici, je le cite : « Vous aurez, sous les yeux du monde entier…

M. Christian Paul - Et au-delà ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste)

M. Patrick Bloche - …la magnifique responsabilité d’innover en la matière en définissant une réponse graduée. »

M. Richard Cazenave – Vous ne traitez pas de l’amendement. Ce n’est pas sérieux.

M. Christian Paul - Le ministre est-il sérieux ?

M. Patrick Bloche – La philosophie même de la réponse graduée procède d’une logique défensive, qui a été fort bien été analysée, notamment par le Conseil d’analyse économique. Dans son rapport sur la société de l’information, celui-ci explique qu’elle est « coûteuse en termes de bien-être social ». Elle cherche en effet à maintenir le plus longtemps possible le fonctionnement classique des marchés, retardant ainsi la marche de la révolution numérique. C’est, poursuivent les auteurs du rapport, la logique qui anime certains acteurs dominants du secteur de l’information de l’ancienne économie, éditeurs de contenus et grands groupes de médias, inquiets, à juste titre, des menaces que fait planer la nouvelle économie sur leurs modèles d’affaires. Le ressort de cette logique est de restaurer la liaison entre l’information et son support physique. L’histoire de la révolution industrielle montre pourtant que de telles tentatives conservatrices sont, à plus ou moins long terme, vouées à l’échec. À vouloir à tout prix préserver la protection de contenus propriétaires, on risque en outre de confisquer du bien-être en privant la société d’une bonne partie des bénéfices de la révolution numérique, concluent les auteurs. Voila pourtant ce que vous nous proposez, Monsieur le ministre, de voter sous les yeux du monde entier !

L'amendement 126, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Bloche – Défendant l’amendement 340, je ne peux que regretter l’absence de notre collègue Le Déaut, éminent spécialiste et défenseur des standards ouverts. Pour nous, l’utilisation d’un standard ouvert ne saurait entraîner le paiement d’un droit de propriété intellectuelle, quel qu’il soit. En effet, dans le monde numérique, ces standards constituent la langue commune parlée par tous, dont l’accès ne peut être payant. Notre amendement rédigerait donc comme suit l’article 4 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique : « On entend par standard ouvert tout protocole de communication, d’interconnexion ou d’échange et tout format de données interopérable dont les spécifications techniques sont publiques, dont l’utilisation ne fait l’objet d’aucune restriction d’accès ou de mise en œuvre et dont l’utilisation n’oblige pas à l’acquittement de droits de propriété intellectuelle. »

M. le Rapporteur – La commission n’a pas examiné cet amendement mais j’y suis, à titre personnel, défavorable. Outre qu’il s’agit d’un cavalier, il serait particulièrement regrettable dans un texte visant à protéger le droit d’auteur de dire ainsi le peu de cas que l’on fait de la propriété intellectuelle.

M. le Ministre – Avis défavorable.

M. Jean Dionis du Séjour - Nous sommes opposés à cet amendement qui procède à un curieux amalgame, source de confusion.

Je profite de l’occasion pour revenir sur la question de notre amendement disparu. Nous l’avions déposé en janvier à l’article 14, sur lequel la discussion était rouverte et qui était donc recevable. Le service de la séance, ayant souhaité, pour des raisons sans doute légitimes, en regrouper la discussion avec d’autres amendements, l’a déplacé après l’article 14, à un endroit où la discussion n’était pas rouverte. Résultat, cet amendement, sur lequel nous avions beaucoup travaillé et qui améliorait notablement le texte, a disparu. Monsieur le ministre, la forclusion sera-t-elle levée ? L’esprit de notre discussion l’exigerait. Il faut être fair play.

M. Frédéric Dutoit - Je suis étonné de la réponse du rapporteur. Avec l’amendement 340, que nous soutenons, nous sommes pleinement dans le sujet. Qu’il y ait un rapport avec la loi sur l’économie numérique, bien entendu. Le débat que nous avions eu à l’époque était un peu de même nature. Je suis donc tout à fait favorable à l’amendement de nos collègues socialistes.

L'amendement 340, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Christian Paul - Tel Christophe Colomb, notre rapporteur découvre le numérique…

M. Laurent Wauquiez - Ce serait plutôt Gutenberg !

M. Christian Paul - Un standard est dit ouvert lorsqu’il est librement utilisable par tous : c’est une langue commune ; le tarifer, c’est comme tarifer la langue française ! Votre réponse sur l’amendement 340 risque de figurer dans le long bêtisier de ce débat…

Notre amendement 341 pourrait vous permettre de réparer en partie le mal commis à l’article 7 – ce fameux article qu’on est en train de réécrire dans les cuisines du ministère de la culture –, en clarifiant certaines notions, notamment pour éclairer le juge. Il précise qu’on entend par compatibilité « la capacité de deux systèmes à communiquer sans ambiguïté », qu’on entend par interopérabilité « la capacité à rendre compatibles deux systèmes quelconques » et que « l’interopérabilité nécessite que les informations nécessaires à sa mise en œuvre soient disponibles sous la forme de standards ouverts ».

M. le Rapporteur – Autre cavalier : avis défavorable. Je n’en dirai pas plus, de peur de ne pas être compris par M. Paul…

M. le Ministre – Avis défavorable car la définition proposée n’est pas adaptée. L’interopérabilité peut très bien être atteinte avec un standard fermé, par exemple lorsqu’un éditeur cède des licences d’usage de son système, ou encore par échanges bilatéraux entre les prestataires des deux systèmes. En outre, comme il n’existe pas encore, même si des travaux sont en cours, de standard ouvert pour les mesures techniques, il est prématuré d’en imposer l’utilisation.

M. Patrick Bloche - Monsieur le rapporteur, nous sommes en plein dans le sujet ! Nous avons déjà évoqué la problématique de l’interopérabilité à l’article 7 ; dans le compte rendu de nos débats que faisait Le Figaro ce matin, la journaliste notait d’ailleurs avec pertinence que « nul ne sait encore exactement où commence et où se termine cette interopérabilité ». Rester dans l’imprécision, c’est confirmer l’insécurité juridique.

Montrons autant de détermination que la Commission européenne sur l’interopérabilité ! Selon une dernière dépêche, elle a envoyé une nouvelle lettre à Microsoft pour lui signifier qu’il ne respectait toujours pas les mesures anti-trusts imposés par Bruxelles en mars 2004 ; les services européens de la concurrence exigent de Microsoft qu’il fournisse à ses rivaux la documentation nécessaire au dialogue, ou interopérabilité de son système d’exploitation vedette Windows avec les produits concurrents. La Commission a même menacé Microsoft, fin décembre, d’amendes pouvant aller jusqu’à deux millions par jour.

M. Frédéric Dutoit - Monsieur le ministre, je ne comprends pas pourquoi vous refusez cette définition claire de l’interopérabilité – dont en fait, semble-t-il, vous ne voulez pas…

M. Richard Cazenave - J’entends beaucoup de choses très injustes… Nous avons déjà pris des mesures pour garantir l’interopérabilité, et nous aurons l’occasion de les affermir encore. Je vous renvoie à l’article 7.

M. Christian Paul - Pourquoi le Gouvernement le réécrit-il ?

M. Richard Cazenave - C’est une fausse information, ce n’est pas le Gouvernement qui réécrit l’article 7.

M. Christian Paul - Qui d’autre alors ?

M. Richard Cazenave - Reconnaissez donc les progrès immenses qui ont été faits par rapport au texte initial, grâce au travail parlementaire et parce que le ministre a accepté d’entendre nos arguments. Par ailleurs, arrêtez de dire que les mesures techniques que la directive nous impose de prendre vont conduire au « flicage » des internautes : le flicage aurait bien plus résulté de la nécessité de repérer ceux qui auraient pratiqué le téléchargement sans avoir acquitté la licence globale optionnelle… Ici, nous mettons en place un suivi de l’œuvre.

Mme Martine Billard - C’est la même chose !

M. Richard Cazenave - Pas du tout ! Il n’y aura pas de flicage général des activités de l’internaute. Évitons les procès d’intention et abstenons-nous de refaire sans cesse l’ensemble du débat.

L'amendement 341, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Bloche - Monsieur Cazenave, vous allez pouvoir prouver que vous aimez l’interopérabilité en votant notre amendement 331. Celui-ci prévoit, par parallélisme avec les amendements prévoyant une sanction à l'encontre des personnes qui contournent une mesure technique de protection, une sanction pénale à l'encontre des personnes qui mettent sur le marché des mesures de protection technique limitant l'interopérabilité. En outre, il a le mérite de donner une base légale au collège des médiateurs et aux consommateurs pour limiter une utilisation léonine et intrusive des MTP, pouvant aboutir à limiter et à contrôler l'usage d'un bien sur lequel on a par ailleurs un droit de propriété.

M. le Rapporteur – Cet amendement, qui n’a pas été examiné par la commission, réécrit l’article 13 puisque qu‘il remplace les sanctions pour contournement des MTP par des sanctions à l’endroit des fournisseurs de MTP.

M. Christian Paul – Non, c’est un complément.

M. le Rapporteur – La façon dont vous présentez cet amendement paradoxal et à la limite du ridicule est très claire. Avis défavorable.

L'amendement 331, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Ministre - L’amendement 261 clarifie les incriminations du contournement des mesures techniques de protection des œuvres et d'atteinte aux informations protégées portées sur les œuvres en mettant en place un système de réponse pénale graduée. Depuis 1985, il existe une offre de télévision payante qui ne s’est développée – en contribuant au dynamisme de notre création cinématographique et audiovisuelle – que parce qu’elle bénéficie d’une protection technique par cryptage. Tout cryptage pouvant être contourné, il est parfois nécessaire de renouveler la protection en changeant les codes ou les systèmes. Par la loi du 16 décembre 1992, la représentation nationale a apporté une protection juridique aux mesures techniques de cryptage utilisées par la télévision payante en sanctionnant lourdement la fourniture de moyens conçus pour frauder le cryptage et, plus légèrement, l’acquisition et la détention de ces moyens. C’est ce système juridique que le Gouvernement propose d’adapter à la société de l’information en distinguant trois niveaux de responsabilité pénale en fonction de la gravité des actes commis.

Le pourvoyeur de moyens de contournement des mesures de protection, ou qui favorise des atteintes répétées sur les œuvres, s'expose à six mois d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende. Le « hacker » qui, par un acte individuel et isolé, décrypte la mesure technique de protection de l'œuvre ou porte atteinte par lui-même aux mesures de protection, encourt 3 750 euros d'amende. Le détenteur ou l'utilisateur de logiciels mis au point pour le contournement qui profite des moyens mis à sa disposition pour s'affranchir des mesures de protection relèvera d'une contravention de la quatrième classe – 750 euros d'amende –, qui sera créée par un décret en Conseil d'État.

Ce système juste et équilibré préserve par ailleurs les intérêts de la recherche et la mise en œuvre de moyens d'interopérabilité professionnels offrant des garanties de protection équivalentes des œuvres, qui sont exclues de ce dispositif pénal. Si la technologie ne doit pas remettre en cause notre objectif commun, qui est de défendre la création française, il est fondamental de concilier celui-ci avec l’innovation technologique. Cet amendement va au-delà de la simple transposition de la directive, mais il n’excède pas ce qu’elle permet. Il favorisera l'interopérabilité et évitera de créer des monopoles au profit des concepteurs de mesures techniques tout en garantissant la protection des droits des créateurs. Il constitue donc un juste point d’équilibre.

M. le Rapporteur – Les articles 13 et 14 concernent la sanction des contournements de MTP et des éléments d’information portant sur les œuvres – pour l’article 13 et l’amendement 261 qui le réécrit – ainsi que pour les objets protégés par des droits voisins – pour l’article 14 et l’amendement 262 qui le réécrit. Ces deux articles ne diffèrent quasiment pas, si ce n’est par l’objet protégé. On aurait tout aussi bien pu imaginer un dispositif unique applicable tant aux œuvres qu’aux droits voisins. La commission a accepté les deux amendements de rédaction globale du Gouvernement qui organisent une gradation beaucoup plus nuancée des sanctions, tout en excluant les sanctions pour les activités liées à la mise en œuvre de l’interopérabilité. Je m’en félicite, puisqu’il s’agissait d’une demande parlementaire très forte. Ces deux amendements gouvernementaux ont également intégré les modifications souhaitées par la commission : seules les MTP efficaces sont pénalement protégées.

L’amendement 261 fait l’objet de très nombreux sous-amendements, visant pour la plupart à exclure de la sanction pénale certains comportements. Ceux-ci peuvent être regroupés en quatre catégories. D’abord, ceux qui visent la sécurité informatique et la protection de la vie privée. Il est vrai que des expériences récentes ont montré les dangers de certaine MTP trop intrusives. Toutefois, le peer to peer illégal constitue également une intrusion dans la vie privée par le biais d’envois de spams par exemple (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Frédéric Dutoit - Quel rapport ?

M. le Rapporteur - En second lieu, la recherche. La protection de la recherche en cryptographie est évidemment légitime mais un sous-amendement ne s’imposait pas nécessairement. Le juge sera guidé par deux points importants : le considérant 48 de la directive spécifie que la protection des œuvres ne doit pas faire obstacle à la recherche sur la cryptographie ; le projet précise par ailleurs que le contournement d’une MTP ne sera considéré comme un délit que s’il y a intentionnalité. Tel est bien le sens de la formule « en connaissance de cause » qui scande les article 13 et 14. Il ne faudrait pas que, sous prétexte de protéger la recherche et en autorisant la publication des travaux qui facilitent le contournement des MTP, on les réduise quasiment à néant. Je suis donc plus réservé sur ce deuxième groupe de sous-amendements.

En troisième lieu se pose le problème de l’usage licite. Exclure la sanction en cas d’usage licite est ambigu car on ne sait pas très bien si l’usage licite inclut par exemple la copie privée. Si tel était le cas, cela reviendrait à permettre au consommateur de se faire justice lui-même pour obtenir sa copie privée en retirant quasiment toute utilité au collège des médiateurs. J’y suis à titre personnel défavorable.

Enfin, un certain nombre de sous-amendements visent le caractère non commercial du contournement. Accepter le contournement dans ce cas reviendrait à autoriser chaque utilisateur à se faire justice lui-même dès lors qu’il ne revend pas la copie qu’il a obtenue en contournant la mesure technique. C’est évidemment contraire à l’idée que cette fonction de médiation doit revenir à l’instance neutre qu’est le collège.

M. Richard Cazenave - Le sous-amendement 415 est défendu.

M. le Rapporteur – Avis favorable.

M. le Ministre – Même avis.

M. Richard Cazenave – Le sous-amendement 315 rectifié vise à préciser dans le III de l’article L. 335-3-1 du code de la propriété intellectuelle que ces dispositions ne sont pas applicables à des actes aux fins d’interopérabilité ou de sécurité informatique dans la limite des droits prévus par le présent code.

M. le Rapporteur – Avis favorable.

M. le Ministre – Même avis.

Mme Martine Billard – Selon l’exposé des motifs de l’amendement 261, le détenteur ou l'utilisateur de logiciels mis au point pour le contournement qui profite des moyens mis à sa disposition pour s'affranchir des mesures de protection relèvera d'une contravention de la quatrième classe – 750 € d'amende – qui sera créée par un décret en Conseil d'État. Je ne retrouve pas un tel dispositif dans l’amendement.

M. le Ministre - J’ai décrit ce dispositif mais la contravention n’est pas inscrite dans la loi car elle relève du domaine règlementaire.

Mme Martine Billard – Les dispositions de l’article L. 335-3-1 ne sont pas applicables aux actes réalisés à des fins d’interopérabilité ou pour usage régulier des droits acquis sur l’œuvre. Je propose par le sous-amendement 288 de modifier cette rédaction en précisant : « aux actes réalisés à des fins d’interopérabilité, de sécurité informatique, de protection de la vie privée ou pour l’usage licite de l’œuvre. » Une entreprise qui aurait eu un problème avec un support contenant un DRM ayant permis l’intrusion d’un virus devrait attendre la décision du collège des médiateurs. Or, elle doit pouvoir rétablir rapidement la sécurité sur son réseau. Et ce danger n’est pas imaginaire, car un chef d’entreprise ne peut guère se prémunir contre l’utilisation, par un de ses employés, d’un ordinateur mis à sa disposition pour écouter un CD pendant une pause. Il faut donc qu’il puisse, le cas échéant, rétablir la sécurité. Il faut également autoriser la protection de la vie privée, ainsi que l’usage licite, à mon sens plus pertinent que les droits acquis sur l’œuvre qui ouvrent la voie à de multiples interprétations.

M. le Rapporteur – Avis défavorable.

M. le Ministre – Je vous remercie de permettre à chacun de défendre les sous-amendements à l’amendement du Gouvernement : nous y gagnons en clarté. Je suis favorable au sous-amendement 315 rectifié, car il préserve les actes de contournement à des fins de sécurité informatique.

En revanche, je suis défavorable au sous-amendement 288. Le projet de loi ne remet en cause aucune des dispositions de protection de la vie privée que vous avez adoptées en 2004 : la CNIL reste habilitée à contrôler les traitements automatisés, de sa propre initiative ou à la demande des consommateurs.

En outre, la mention d’un usage licite permettrait à chacun de contourner une mesure technique pour faire une copie privée, et provoquerait trop de problèmes, notamment pour le cinéma.

Mme Martine Billard - Vous rejetez la notion d’usage licite, alors qu’elle figure dans le sous-amendement 315 que vous acceptez !

M. le Président – Elle est absente de la version rectifiée.

Mme Martine Billard - Nous ne l’avons pas !

Le sous-amendement 415, mis aux voix, est adopté.

M. le Président – Le sous-amendement 315 rectifié a été distribué en dehors de la liasse.

M. Patrick Bloche - Je demande une suspension de séance afin que nous nous y retrouvions.

La séance, suspendue à 0 h 35 le jeudi 16 mars, est reprise à 0 h 40.
Le sous-amendement 315 rectifié, mis aux voix, est adopté.

M. le Président – En conséquence, les sous-amendements 288, 284, 330 et 333 tombent.

M. Patrick Bloche - Le sous-amendement 394 vise à autoriser le contournement des mesures techniques pour les actes relevant des exceptions aux droits exclusifs prévues par le code de la propriété intellectuelle et dont le bénéfice est menacé par le projet de loi.

Le sous-amendement 394, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Bloche - S’il faut combattre le contournement des mesures techniques à des fins de contrefaçon industrielle, il faut également faciliter l’appréciation du juge en cas de contournement lié à l’interopérabilité. À cette fin, le sous-amendement 342 vise à introduire un second critère d’appréciation : la recherche de profit. Ce critère permettrait d’améliorer à la fois la sécurité juridique des utilisateurs qui contournent une mesure technique à des fins personnelles – copier un CD, par exemple, pour pouvoir l'écouter sur l'appareil de son choix – et celle des personnes qui aident leurs amis moins experts à effectuer les actes de contournement nécessaires à la jouissance d'une exception, ce qui est essentiel si l’on ne veut pas que le droit de contournement à des fins d'interopérabilité reste théorique pour la majorité des consommateurs.

Le sous-amendement 342, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Bloche - Le rapporteur ayant promis de répondre à toutes nos questions sur l’article 13, nous conservons l’espoir qu’il motive de temps en temps son avis sur nos sous-amendements.

Certaines mesures techniques de protection peuvent communiquer des informations sur les habitudes ou le système de l'utilisateur – œuvres consultées, logiciels installés, autant d'éléments personnels qui ne regardent que lui. Si de tels envois sont encore interdits par la loi informatique et libertés, il importe cependant de permettre aux utilisateurs d'assurer eux-mêmes la protection de leur vie privée, en attendant l’intervention éventuelle, et a posteriori, de la CNIL. C’est l’objet du sous-amendement 343. S’agissant de la protection de la vie privée des internautes, un des aspects du texte qui motive notre opposition, nous espérons une véritable explication de la part du rapporteur et du ministre.

M. le Rapporteur – J’ai déjà donné ces explications, vous avez dû avoir une distraction. Avis défavorable.

M. le Ministre - Avis défavorable. L’amendement 273 de M. Carayon répond à ce souci.

Le sous-amendement 343, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Christian Paul - La brièveté des réponses du rapporteur nous conduit à penser qu’il n’a pas saisi l’ampleur des enjeux.

M. le Président – Comme vous souhaitiez que le débat ne se prolonge pas trop longtemps cette nuit, j’ai incité chacun à la concision.

M. Christian Paul - Nous ne nous faisons à l’évidence pas la même idée du débat nécessaire sur l’article 13. Certes, l’Assemblée devra interrompre sa discussion dans quelques minutes, mais cela ne nous empêchera pas d’aller au fond des problèmes.

M. le Président – Il n’est peut-être pas nécessaire de répéter cinq fois les mêmes arguments.

M. Christian Paul - L’article 13 vise à pénaliser le contournement des MTP, à en organiser la sanctuarisation juridique. La majorité des utilisateurs deviennent très démunis devant ces interdictions techniques, dont certaines peuvent être infondées. D’où la nécessité, puisque la directive semble nous imposer de sanctionner le contournement, de prévoir des exceptions – c’est-à-dire des autorisations de contournement – les plus larges possibles. Cela vaut en particulier pour l’interopérabilité, dont l’exigence est également posée par cette directive dont nous savons que la satisfaire est votre vœu le plus cher. Il me semble qu’il était important de rappeler au rapporteur le paysage juridique national et communautaire dans lequel se situe ce débat.

M. Richard Cazenave - C’est de l’obstruction vicieuse.

M. le Président – Laissez M. Paul achever.

M. Richard Cazenave - Il fallait le dire.

M. Christian Paul – Un peu d’élégance ne nuit jamais au débat, et un peu de pertinence aussi. Mieux vaut prendre le temps de réfléchir que de faire la loi trop vite. Vous allez vous en rendre compte en demandant vous-mêmes, dans quelques heures, une seconde délibération sur l’article 7, que vous aviez défendu avec la même arrogance que celui-ci.

M. le Président – Monsieur Paul, voulez-vous conclure ?

M. Christian Paul - Mais je n’ai pas commencé la présentation ! Le sous-amendement 344 crée une autorisation de contournement pour les actes réalisés à des fins de sécurité informatique. Les mesures techniques de protection peuvent en effet comporter certaines exigences incompatibles avec la sécurité d’un système d'information. Elles peuvent ainsi communiquer des statistiques d'utilisation d'œuvres, voire des pans entiers de documents.

M. Richard Cazenave - C’est l’amendement Carayon !

M. Christian Paul - Il est donc essentiel de permettre aux utilisateurs de contourner ces mesures techniques afin de s'assurer de leur innocuité pour leur système.

M. Jean Dionis du Séjour - Nous sommes tous d’accord. C’est l’amendement Carayon.

M. Christian Paul – Les mesures techniques de protection concernent tous les types d'œuvres hormis les logiciels, en particulier les documents produits par des traitements de texte. La société Microsoft fait d'ailleurs déjà de la publicité pour des DRM permettant de contrôler finement la circulation des textes. Ce sous-amendement est donc particulièrement important.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

M. le Ministre – Le sous-amendement 315 rectifié de M. Cazenave satisfait à cet objectif. Avis défavorable.

Le sous-amendement 344, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Bloche - Nous avons demandé tout à l’heure une suspension parce que nous devions voter sur ce sous-amendement 315 rectifié, dont on nous a dit qu’il avait été distribué mais que nous n’avions pas en mains.

M. le Président – Plusieurs d’entre vous n’ont pas trouvé ces amendements, mais les services de l’Assemblée les avaient distribués. Ils ne font jamais la moindre différence entre majorité et opposition !

Mme Claude Greff – Il y en a qui tiennent leurs affaires mieux que les autres !

M. Patrick Bloche – Loin de nous l’idée de mettre en cause les services de l’Assemblée, et nous avons d’ailleurs trouvé lesdits amendements.

M. le Président – Et vous avez obtenu votre suspension immédiatement.

M. Patrick Bloche – C’est parfaitement vrai. Il faut juste convenir que dans ce projet de loi, les amendements ne cessent d’être retirés et remis en discussion. Nous avons eu une longue discussion sur l’amendement 30 rectifié, celui dans lequel le nombre de copies ne pouvait pas être « inférieur à un »… Vous comprendrez donc que nous tenions à être précis quant aux amendements qui sont évoqués.

Les consommateurs sont aujourd'hui confrontés à la multiplication des systèmes de protection permettant aux éditeurs de contrôler les usages possibles d'une œuvre. Ces systèmes ne sont pas sans conséquences sur leur faculté de lire des copies acquises légalement sur leurs différents appareils. De nombreuses personnes n'ont, par exemple, pas pu lire un CD de Phil Collins sur leur autoradio. Le sous-amendement 345 vise donc à garantir le droit fondamental du consommateur à faire toute copie nécessaire au contournement d'une limitation dont il n'a pas été informé lors de l'achat et qu’il découvre souvent accidentellement, en voulant écouter son CD sur son autoradio par exemple.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Ce sous-amendement est satisfait par l’amendement 31 à l’article 8.

M. le Ministre - Même avis pour les mêmes raisons.

Le sous-amendement 345, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Christian Paul – Dans le monde orwellien que vous nous préparez, les mesures techniques seront de plus en plus intrusives, et elles modifient déjà en profondeur les systèmes d’exploitation des ordinateurs individuels. Il est par conséquent impératif, au titre de la sécurité informatique à laquelle je croyais certains de nos collègues très attentifs – je pense notamment à M. Carayon avant qu’il n’ait renié tous ses engagements antérieurs pour voter l’amendement Vivendi…

M. Bernard Carayon - Ne m’agressez pas vous décharger de la frustration que vous inspire la qualité de nos amendements !

Mme Martine Billard - N’ayez crainte : il faudrait qu’ils soient meilleurs pour que nous nous sentions frustrés !

M. Christian Paul - Les impératifs liés à la sécurité informatique commandent donc que les mesures techniques puissent être contournées dès lors qu’il s’agit de les rendre inoffensives pour le système d’exploitation dans lequel elles sont hébergées ou de mener une action de recherche en vue de les améliorer. Tel est l’objet de notre sous-amendement 371.

Le sous-amendement 371, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Bloche – Vu la fierté avec laquelle le ministre défend son dispositif de réponse graduée ou de sanctions allégées, j’ai presque scrupule à prolonger nos débats. Mais je n’oublie pas qu’il s’était engagé à répondre à toutes nos questions, et j’ai donc bon espoir qu’il retrouve un peu d’allant pour nous répondre de façon plus substantielle. Notre sous-amendement 390 lui en donnera une bonne occasion puisqu’il traite du sujet éminemment sensible de l’exception pour situation de handicap. Puisque la France partage avec la Grèce le triste privilège de n’avoir prévu qu’un nombre très restreint d’exceptions, il est vital que celle destinée à permettre aux personnes en situation de handicap – notamment visuel – de bénéficier de toutes les possibilités offertes par internet s’applique sans restriction. Tel est l’objet de notre sous-amendement 390.

M. le Rapporteur – Sous-amendement superflu, l’amendement 261 satisfaisant cette préoccupation.

M. le Ministre – Même avis, d’autant que les amendements 272 et 257 donnent encore des garanties supplémentaires pour que l’exception au bénéfice des personnes handicapées puisse être pleinement respectée.

Le sous-amendement 390,mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Martine Billard – L’interopérabilité suppose la possibilité de recourir tout à la fois à des logiciels propriétaires et à des logiciels libres. À ce titre, nous proposons, par notre sous-amendement 290, de compléter les dispositions de l’article L. 335-3-1 du code de la propriété intellectuelle de sorte qu’elles n’interdisent pas la distribution du code source d’un logiciel indépendant interopérant avec une mesure technique. Les logiciels libres, par définition moins coûteux que les logiciels mis sur le marché, doivent être préservés en ce qu’ils permettent aux internautes – notamment aux personnes handicapées qui viennent d’être évoquées – d’accéder à des contenus dont ils seraient privés autrement. Il importe par conséquent que la diffusion du code source ne soit en aucun cas assimilée à une facilitation du contournement de mesure technique. Si tel était le cas, l’interopérabilité serait enfermée dans un système beaucoup trop contraint pour être réalisable.

M. Christian Paul - Après que nos collègues de la majorité ont maladroitement expulsé le logiciel libre par la porte, vous nous permettrez – par notre sous-amendement 384 – de tenter de le faire rentrer par la fenêtre ! Dans le droit fil du sous-amendement de Martine Billard, nous proposons qu’il soit impossible d’interdire la publication du code source et de la documentation technique d’un logiciel interopérant pour des usages licites avec une MTP. Est dit « libre » un logiciel qui procure quatre libertés à ses utilisateurs : celle de l’exécuter sans avoir à payer – mais je sais que « gratuité » résonne comme un gros mot à l’oreille de certains de nos collègues…

M. le Président – Évitez les provocations.

M. Christian Paul - Pardonnez-moi, mais en défendant le logiciel libre, j’avais un peu le sentiment de prêcher dans le désert…

M. Bernard Carayon - Quel culot !

M. Christian Paul – Et je sais par ailleurs que le rêve secret du rapporteur est de rendre payant l’accès aux logiciels libres. Les trois autres libertés associées à ces logiciels sont celle d’étudier leur fonctionnement, de les modifier et de les redistribuer. J’indique enfin que notre sous-amendement est indispensable pour les logiciels libres dits « copyleft » ou « gauche d’auteur », dont la licence impose de fournir aux utilisateurs un logiciel de toute version modifiée faisant l’objet d’une redistribution. Ne pas l’adopter contraindrait les développeurs de MTP réputées efficaces à se mettre dans l’illégalité.

M. Jean Dionis du Séjour - Le sous-amendement 368 est défendu.

M. le Rapporteur – Avis défavorable sur ces trois sous-amendements. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Ministre – Même avis. Rien, dans la rédaction proposée par le Gouvernement, n’interdit la publication d’un code source d’un logiciel indépendant. La lecture d’un DVD est parfaitement légale et légitime sur un logiciel libre tournant sous Linux ou n’importe quel autre système. Un code source doit cependant être soumis aux mêmes règles que le logiciel correspondant ; il faut notamment éviter qu’il contienne des indications sciemment conçues pour faciliter un contournement.

Les sous-amendements 290, 384 et 368, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Mme Martine Billard - M. le ministre nous répond que le code source ne doit pas permettre de contourner la mesure technique. Il le faudra pourtant bien pour le respect de l’exception handicap.

M. le Ministre – C’est prévu.

Mme Martine Billard - Le sous-amendement 296, dont nous avons déjà débattu – mais les problèmes d’organisation de la discussion ne nous sont pas imputables – précise que les dispositions du chapitre sur les mesures techniques « ne sont pas applicables aux logiciels utilisés à des fins de partage de fichiers personnels, de recherche et de travail collaboratif. »

M. le Rapporteur – Avis défavorable. L’article 13 ne sanctionne pas l’utilisation de logiciels de peer to peer, mais le contournement des mesures techniques.

M. le Ministre – Même avis. Les sous-amendements 364 et 315 rectifié ont déjà satisfait aux objectifs de ce sous-amendement.

Le sous-amendement 296, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean Dionis du Séjour - Le sous-amendement 406 est défendu.

Le sous-amendement 406, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Richard Cazenave – Afin de ne pas entraver la mise en commun et l’échange des moyens entre chercheurs, le sous-amendement 414 précise que le 2° du II de l’article ne vise que la mise à disposition du public de moyens de contournement d’une MTP ou de suppression des informations légales.

Le sous-amendement 414, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Frédéric Dutoit – La conduite de ce débat me navre : le Gouvernement a multiplié les amendements rédactionnels, nous contraignant du même coup à rédiger des sous-amendements, qui sont du reste examinés en bloc. Le sous-amendement 336 vise à exclure du champ d’application de cet article « les actes réalisés à des fins d’interopérabilité, de sécurité informatique, ou pour l’usage licite de l’œuvre ». La notion d’usage licite vous paraît floue, mais c’est la seule à trouver un fondement dans notre droit. Votre refus de reconnaître la notion d’usage licite vous met en contradiction avec l’article 8 de la charte européenne des Droits de l’homme, qui dispose que « toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant ». En effet, le projet n’ouvre même pas aux internautes la possibilité de contourner des mesures techniques pour protéger leurs propres données personnelles. C’est très grave. Tout votre texte n’est qu’un témoignage de servilité envers les éditeurs de contenus. Vous vous êtes laissé abuser par un discours liberticide dont nous dénonçons la logique. De fait, il suffira demain de cliquer sur une image et de l’enregistrer pour devenir un délinquant ! Comment contrôlerez-vous ces comportements ?

Je vous l’avais dit en décembre, votre texte est un cauchemar orwellien : du cauchemar, il a l’inconsistance, et de l’orwellien, la tentation de s’ériger en big brother. C’est affligeant !

Le sous-amendement 336, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Bloche – Le sous-amendement 395 est défendu. Nous considérons que le contournement des mesures techniques ne doit pas être sanctionné, et ce au nom de la résistance à l’oppression, constitutionnellement garantie par l’article 2 de la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen. Avec l’article 13, on en arrive à une situation absurde : pour restreindre l’exception pour copie privée, non garantie par la Constitution, on accepte de porter atteinte à des droits constitutionnellement garantis – la vie privée et la propriété. Où va-t-on ?

Le sous-amendement 395, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Christian Paul - La rédemption est encore possible. Nous avons longuement insisté sur la nécessité que les mesures techniques de protection soient connues des consommateurs ; nous avions d’ailleurs une divergence de fond avec le rapporteur. Chacun a bien compris que quand une œuvre n’est pas lisible, ce n’est pas répréhensible : il suffit d’apposer une étiquette sur la boîte du CD pour informer le consommateur.

Vous voici au pied du mur. Les consommateurs vont être confrontés à une multiplication des systèmes de protection ; or ces systèmes ne sont pas sans conséquence sur la capacité des appareils de lecture à lire les copies acquises légalement. Le sous-amendement 346 autorise donc le consommateur à faire toute copie nécessaire au contournement d’une limitation dont il n’a pas été informé lors de l’achat.

Le sous-amendement 346, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Bloche - Le sous-amendement 347 vise à obtenir un certain nombre de garanties, en complétant cet article par l’alinéa suivant : « les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux actes réalisés sans but lucratif. »

M. Jean Dionis du Séjour - Vous vous répétez !

M. Patrick Bloche - Le contournement, la mise à disposition d’un outil de contournement ou l’offre d’un service de contournement d’une MTP peuvent avoir de multiples raisons. S’ils visent une contrefaçon industrielle, ils doivent être réprimés. Mais ils peuvent aussi se justifier pour rendre possible une interopérabilité. Ce motif n’étant pas facile à établir pour le juge, il semble judicieux de lui fournir un autre critère d’appréciation, la recherche d’un profit. Cela renforcerait la sécurité juridique pour les internautes contournant une MTP à des fins personnelles, comme pour pouvoir écouter un CD sur le matériel de leur choix, mais aussi pour ceux qui proposent des outils ou des services de contournement à leurs amis moins experts en informatique. Cela est essentiel pour que le droit de contournement à des fins d’interopérabilité prévu par cet article ne demeure pas théorique pour la majorité des consommateurs.

Le sous-amendement 347, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Bernard Carayon - Nos amis socialistes, qui n’ont jusqu’à présent voté aucun de nos amendements de bon sens, ont l’occasion de se racheter en votant le sous-amendement 316 rectifié qui précise que « ces dispositions ne sont pas applicables aux actes réalisés à des fins de recherche, d’interopérabilité ou de sécurité informatique ». De la même façon qu’on autorise le contournement d’une MTP à des fins d’usage licite, il convient d’autoriser la suppression d’un marqueur ou d’un identifiant aux mêmes fins. À défaut, le contournement d’une MTP, lequel exige souvent de supprimer de telles informations, risque d’être impossible sans exposer à des sanctions, ce qui serait en contradiction avec l’article L. 335-3-1 du code de la propriété intellectuelle. Sans cette clarification, la conversion de fichiers d’un format à un autre pourrait être illégale.

M. le Rapporteur – Avis favorable et enthousiaste.

M. le Ministre – Avis favorable.

M. le Président – Si ce sous-amendement est adopté, il fera tomber les sous-amendements 348 à 351 ainsi que le 372.

M. Christian Paul – Je suis convaincu que si la majorité avait été moins sectaire ce soir, nous aurions pu parvenir à un certain consensus pour éviter l’invasion des MTP. Pour montrer que nous ne sommes pas, nous, sectaires dès lors qu’il s’agit de l’intérêt général, nous voterons ce sous-amendement qui nous paraît utile.

Le sous-amendement 316 rectifié, mis aux voix, est adopté.

M. le Président – En conséquence, les sous-amendements 348 à 351 et le sous-amendement 372 tombent.

La suite de la discussion est renvoyée à cet après-midi.
Prochaine séance, ce matin, à 9 heures 30.
La séance est levée à 1 heure 35.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Catherine MANCY

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ordre du jour
du JEUdi 16 MARS 2006

NEUF HEURES TRENTE - 1re SÉANCE PUBLIQUE

1. Discussion de la proposition de loi (n° 2914) de M. Frédéric DUTOIT et plusieurs de ses collègues relatives à la négociation de plans de gestion prévisionnelle des départs à la retraite contre embauches et tendant à favoriser l’emploi des jeunes.

Rapport (n° 2946) de M. M. Frédéric DUTOIT, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

2. Discussion de la proposition de loi (n° 2894) de M. Jacques BRUNHES et plusieurs de ses collègues tendant à accorder la primauté à la commune de résidence des parents pour l’enregistrement de l’acte de naissance.

Rapport (n° 2933) de M. Jacques BRUNHES au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

QUINZE HEURES - 2e SÉANCE PUBLIQUE

1. Suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi (n° 2876) relatif aux offres publiques d’acquisition.

Rapport (n° 2921) de M. Hervé NOVELLI, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

À 17 h 30 :

2. Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi (n° 1206) relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information.

Rapport (n° 2349) de M. Christian VANNESTE, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

VINGT ET UNE HEURES TRENTE - 3e SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

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