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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

3ème séance du mardi 28 mars 2006

Séance de 21 heures 30
78ème jour de séance, 184ème séance

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann
Vice-Président

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La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

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transparence et sécurité
en matière nucléaire (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire.

M. Christian Bataille - Dans un rapport rédigé avec M. Claude Birraux, j’ai évoqué les grands enjeux de la politique énergétique en matière de technologies économes dans le domaine de l’effet de serre. Tous les pays développés dans le monde s’efforcent de trouver des substituts aux énergies qui rejettent du dioxyde de carbone et d’autres gaz à effet de serre. Or, l’on perçoit mieux aujourd’hui les limites des énergies renouvelables, connues et maîtrisables. L’hydroélectricité, que l’on pourrait encore développer en Afrique, en Asie ou en Europe, a atteint son niveau maximal d’exploitation en France. Dans notre pays, seules quelques petites réserves sont encore disponibles mais leur exploitation est politiquement sensible. L’énergie éolienne, intéressante en fourniture de pointe et dans des conditions favorables de production, montre également ses limites dans de nombreux pays voisins, dont l’Allemagne…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire – Juste !

M. Christian Bataille - …où malgré un développement massif avec 16 000 mégawatts installés, elle ne contribue que pour 3 % à la production d’électricité. Le solaire photovoltaïque, pour lequel la recherche offre des perspectives, représente une solution pour des applications locales mais sa contribution est pour l’heure négligeable au niveau national.

Notre pays, contrairement à l’Allemagne qui possède des ressources en charbon ou au Royaume Uni riche en pétrole et en gaz, s’est tourné très tôt vers le nucléaire. Pour continuer dans cette voie, nous devons d’une part régler le problème des déchets radioactifs – ce sera l’objet d’un autre débat que nous espérons le plus complet possible – et d’autre part garantir un haut niveau de sûreté, c’est le propos du texte que nous examinons aujourd’hui.

La sûreté nucléaire est une condition sociale et politique de la constitution d’une nouvelle citoyenneté énergétique. Durant le XIXe siècle et la plus grande partie du XXe siècle, la fourniture d’énergie a été vécue comme un problème strictement industriel et technique. C’est seulement quand survenaient de grandes catastrophes telles que celle des mines de Courrières il y a très exactement cent ans que se posait la question du coût humain à payer en rançon du progrès industriel. De même, la politique nucléaire engagée par la France à partir des années 1970 n’a fait l’objet d’aucune consultation. Il fallut attendre les accidents successifs des centrales de Three Mile Island et de Tchernobyl pour que cela change. Malgré l’introduction d’un débat parlementaire sur les déchets nucléaires en 1991 et sur le choix de l’EPR plus récemment, le Parlement est encore trop peu consulté. Je n’imagine pas, d’ailleurs, que l’on décide la construction de tranches dans les décennies futures sans l’aval du Parlement. Le modèle ancien – une décision prise en haut lieu par les seuls techniciens – est caduc.

Dans la même logique, l’autorité indépendante chargée de contrôler les industriels qui est au cœur de ce projet de loi, fût-elle nécessaire, ne doit pas se substituer aux pouvoirs publics. Les représentants de la volonté populaire, Gouvernement et Parlement, doivent conserver la maîtrise des choix qui engagent la collectivité nationale. La création de cette haute autorité de sûreté est rendue indispensable par l’ouverture à la concurrence, la privatisation possible des entreprises EDF et Areva et l’arrivée de nouveaux partenaires. Mais, en pratique, nous devons éviter une interprétation délictueuse de ce texte qui ferait de tout industriel de l’énergie nucléaire un délinquant en puissance. Une fois les règles fixées, les industriels doivent avoir une marge d’initiative suffisante. Par ailleurs, prenons garde de ne pas créer un État dans l’État avec cette autorité et repoussons le modèle américain de la NRC qui s’est substituée aux pouvoirs publics en matière de politique énergétique.

M. François Sauvadet - Juste !

M. Christian Bataille - Partant, le groupe socialiste sera particulièrement attentif à la manière dont le Gouvernement entend définir le partage des compétences entre la haute autorité de sûreté nucléaire et le pouvoir politique. Elle doit pouvoir remplir pleinement son rôle, et dans les cas exceptionnels user de son pouvoir de sanction, mais les arbitrages ultimes doivent continuer de relever du Gouvernement. En outre, le Parlement doit jouer un rôle accru en matière de politique énergétique. Pour la première fois en 1990, le Gouvernement Rocard saisissait le Parlement sur ces questions par l’intermédiaire de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Cette pratique doit être étendue à d’autres domaines de l’énergie nucléaire.

En ce qui concerne la sûreté et l’industrie nucléaire, mais aussi pour l’ensemble du dossier énergétique, il faudra définir, par la loi ou par une pratique démocratique plus tranquille, la manière dont le Gouvernement devra régulièrement rendre compte devant le Parlement : commission ou séance, avec ou sans vote… Mais si la sécurité en matière nucléaire doit rester l’affaire de tous, il est indispensable de donner tous les moyens nécessaires aux organismes de contrôle. Ceux de l’IRSN, par exemple, sont actuellement insuffisants. Le nombre d’inspecteurs est trop faible pour assurer un contrôle satisfaisant de la filière. Le renforcement des moyens devrait être une de vos priorités.

Je souhaite que l’examen des amendements soit l’occasion d’en revenir à certains aspects du texte du Gouvernement qui étaient satisfaisants et ont été altérés au Sénat. En particulier, il est important que les activités et installations nucléaires intéressant la défense soient soumises aux mêmes obligations d’information et de contrôle que les civiles. Enfin, et alors que le Haut comité d’information sur le nucléaire n’a jamais fonctionné, sa composition telle qu’elle nous revient du Sénat est peu satisfaisante. Il faut en particulier y inclure les parlementaires, selon une formule déjà expérimentée en ce qui concerne les déchets nucléaires et qui a montré son efficacité.

L’énergie, l’industrie nucléaires sont des enjeux de long terme. La durée d’une législature est bien courte face à des engagements dont l’unité de mesure est la cinquantaine d’année et qui nous conduisent vers la fin du XXIème siècle. L’ampleur de cet enjeu suppose que la majorité sache dépasser son horizon quotidien et montrer son intérêt pour les propositions de l’opposition. Nous y serons très attentifs (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Dionis du Séjour – Le Parlement a arrêté les grandes orientations de la politique énergétique de la France dans la loi d'orientation sur l'énergie. Nous abordons maintenant le cadre législatif. L'opinion publique française est globalement de plus en plus favorable au nucléaire. Habitant à 15 kilomètres de la centrale de Golfech, je garde en mémoire la profonde défiance qui a marqué les débuts du nucléaire français et le climat particulièrement tendu du début des années 1980. Mais l'image du nucléaire s'est considérablement améliorée ces dernières années : la filière, à ce jour, est sûre, les atouts du nucléaire en matière d'effet de serre et de réchauffement climatique sont reconnus, et la filière contribue à renforcer l'indépendance énergétique du pays et à assurer la compétitivité de notre économie par des prix stables et relativement bon marché.

Tout va-t-il donc pour le mieux ? L’UDF ne baigne pas dans cette douce euphorie. Les débats sur la loi d'orientation sur l’énergie ont été focalisés sur le nouveau réacteur EPR, alors qu’il aurait fallu commencer par calibrer la demande, en posant des objectifs rigoureux de réduction de l'intensité énergétique finale. La définition des besoins nous aurait permis réfléchir politiquement à la composition du bouquet énergétique de la nation en distribuant les rôles entre production électronucléaire, énergies fossiles et énergies renouvelables. L’UDF a approuvé la construction d'un démonstrateur EPR, mais cette question de fond n'a toujours pas trouvé de réponse. Combien de centrales nucléaires devrons-nous construire pour satisfaire nos besoins énergétiques ? Pour notre part, nous reconnaissons le rôle positif et central du nucléaire dans l'offre énergétique, mais nous sommes opposés a priori à un renouvellement à l'identique du parc nucléaire, dont la production représente 78,2 % de la production totale d'électricité. Pour une réelle diversification de notre bouquet énergétique, il faut fixer une règle simple : la production d'électricité nucléaire doit être recentrée sur la satisfaction de la base de la demande et le gaz naturel et les énergies renouvelables doivent monter en puissance pour satisfaire les besoins exprimés en semi base et en pointe.

C'est avec ces convictions en tête que nous abordons le débat sur le renforcement de la confiance de la nation dans cette filière stratégique. En la matière, le point faible reste la gestion des déchets, qui représente un véritable enjeu politique – notre commission s'en saisira d’ailleurs dès demain. Il faut accroître la confiance en cet élément central de notre approvisionnement énergétique. Le groupe UDF appelle donc vivement à une gestion exemplaire de ce dossier, qui aboutisse à des votes unanimes, ou presque, du Parlement. La balle pour cela est dans votre camp, Madame la ministre, au moins pour la première mi-temps. Encore faut-il vouloir créer les conditions de ce rassemblement : lancer un débat sur la transparence et la sûreté nucléaire, avec une traduction législative, semble être pour cela une excellente chose.

Vous me direz que les choses n’ont pas si mal fonctionné jusqu’à présent, reposant sur les bonnes pratiques de chacun, et l'absence d'incident majeur est la preuve du bon niveau de sécurité de l'ensemble de la filière nucléaire.

M. Daniel Paul - Pourvu que ça dure !

M. Jean Dionis du Séjour - Mais l'exigence toujours plus grande de transparence de la part de nos concitoyens, notamment dans la perspective de la nouvelle génération de centrales nucléaires, et celle de réponses plus satisfaisantes sur le traitement des déchets ainsi que la libéralisation croissante du marché de l'énergie, imposaient bien qu'un jour ou l'autre, la France se décide à édicter par la loi des règles précises. Permettez à l'UDF d'affirmer qu'il est aussi temps que l'Union européenne en fasse de même. A quand une directive en la matière ? Tchernobyl ne nous a-t-il rien appris? Que faisons-nous pour nos territoires situés à proximité de centrales étrangères, comme les départements du Nord et du Pas de calais, près des centrales belges d'Electrabel ?

Pour améliorer la confiance de nos concitoyens, il faut garder en permanence à l'esprit leurs préoccupations majeures, et d’ailleurs légitimes : la santé publique et l’environnement, pour lesquels le nucléaire est encore perçu comme une source de danger. En ce qui concerne la santé publique, nous nous sommes déjà vigoureusement battus pour qu’elle fasse partie des grands objectifs de la politique énergétique de la France et la loi formule dorénavant cet objectif ainsi : « mieux préserver la santé humaine et l'environnement et, en particulier, améliorer la protection sanitaire de la population en réduisant les usages énergétiques responsables de pollutions atmosphériques ». Nous sommes encore beaucoup trop timides dans l’étude des risques de pathologies graves liés au nucléaire. Trop de rumeurs, sans doute infondées, courent toujours, sur les risques accrus par exemple d'être atteints de tel ou tel cancer. Le nucléaire n’a rien à cacher et rien à craindre d'une surveillance sanitaire à proximité de ses installations. Des enquêtes épidémiologiques poussées et fréquentes doivent être menées, sur le long terme et de manière scientifiquement incontestable. Leurs résultats doivent être communiqués au public dans cet esprit de confiance et de transparence que nous voulons établir.

En ce qui concerne l'impact de la filière sur l'environnement, permettez au riverain de la Garonne que je suis d'aborder la question du rôle des rivières dans le fonctionnement des centrales. Lors de l’été 2003, la France a vécu une de ses sécheresses les plus graves en cinquante ans. La température des rivières a avoisiné les 30 degrés, interdisant les rejets d'eau chaude par les centrales nucléaires et compromettant leur fonctionnement. Nous avons craint, en plein été, pour l’approvisionnement électrique du pays. Une série de dérogations furent accordées en urgence. Avons-nous tiré toutes les leçons de cette alerte ? Si l’on en croit les climatologues, cette situation est vouée à se répéter. Il va falloir trouver de nouvelles règles d'arbitrage entre la nécessité d'utiliser de l'eau pour assurer un bon fonctionnement des centrales et les conséquences des rejets d'eau chaudes sur les milieux aquatiques. L'autorité de sûreté nucléaire devra proposer une solution satisfaisante pour tous – exploitants d'installations, citoyens et agriculteurs. C’est un problème politique très sensible que nous devrons avoir résolu à l'issue de nos travaux sur le nucléaire et sur l’eau.

L’objectif affiché de ce texte est d'améliorer la gouvernance en matière nucléaire, en créant notamment une autorité indépendante du pouvoir politique, l’autorité de sûreté nucléaire, qui doit disposer de missions et de moyens étendus. Les inquiétudes se sont cristallisées autour de cette instance. Il est vrai qu'en matière de nucléaire, nous devons être très prudents : une autorité indépendante, oui, une autorité irresponsable, non. Il existe déjà plus d’une trentaine d’autorités indépendantes, dans différents secteurs. L'UDF n'est pas opposée par principe à ce statut, notamment lorsqu’il évite que l'Etat soit à la fois juge et partie – État-actionnaire et État-régulateur dans des activités économiques stratégiques par exemple. Nous avons soutenu ce type de structure, mis en avant par le législateur européen, quand elles se sont avérées adaptées, comme ce fut le cas de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.

Le statut d'autorité indépendante garantit-il de manière automatique un fonctionnement efficace et indépendant ? Nous nous gardons de tout angélisme en la matière. Il y a effectivement un risque que les membres de l’Autorité, s'ils sont nommés du fait de leurs compétences, aient fait une partie de leur carrière dans l'industrie nucléaire et ne soient pas forcément impartiaux, et s'ils proviennent de la société civile, ne puissent être parfaitement efficaces dans un domaine aussi hautement technique. Il y aura donc là un équilibre difficile à trouver, sur lequel Gouvernement et Parlement doivent être vigilants. La sagesse de nos collègues du Sénat a heureusement permis d'apporter une première série de garanties. Ce texte comporte également d'autres avancées, notamment concernant les CLI et le Haut comité de transparence.

Le groupe UDF aborde ce projet, qui donne un cadre législatif utile et nécessaire à une question centrale pour les années à venir, de manière positive. Nous espérons que nos travaux nous permettront de nous rapprocher de l'objectif d'un vote unanime du Parlement. À vous, Madame le ministre, à nous de faire preuve d'imagination, d'audace et de sens du compromis – denrée rare par les temps qui courent ! – pour y arriver. La confiance forte et durable de notre peuple dans cette énergie de l'avenir mérite cet effort (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Daniel Paul – Cela fait maintenant plus de trente ans que la France a développé une filière industrielle dans le nucléaire civil, laquelle repose sur un véritable savoir-faire d'ingénieurs, de techniciens et d'ouvriers travaillant au sein de grandes entreprises publiques reconnues prenant en charge l'intégralité du cycle radioactif. Ce système efficace a permis à la population française de bénéficier en toute confiance des avantages du nucléaire dans les domaines énergétique et médical et c’est pour cela que les différents sites de production sont globalement acceptés par la population. Aujourd'hui, cette industrie continue d'être nécessaire, notamment pour l'approvisionnement en énergie de notre pays. En effet, la hausse continue de la consommation globale, les incertitudes pesant sur les ressources en hydrocarbures et les risques liés au rejet de gaz à effet de serre incitent à poursuivre dans la voie de l'énergie nucléaire. Et cette direction ne peut être suivie que si toutes les conditions sont réunies pour assurer une sécurité maximale à la filière.

C'est pourquoi nous approuvons la mise à l'ordre du jour de ce projet, lancé sous la législature précédente et qui regroupe dans un texte unique la surveillance et le contrôle de l'industrie nucléaire civile. Il donnera en effet un cadre juridique solide au contrôle du nucléaire civil. Nous approuvons également la volonté de tenir les citoyens informés sur la filière nucléaire, avec la reconnaissance des CLI et la création d'un comité chargé de diffuser l'information à ce sujet.

Toutefois, votre démarche nous inspire de sérieux doutes. Des doutes, car l'urgence – bien tardivement levée – avait été déclarée sur votre projet de loi, comme si vous vouliez forcer le Parlement à délibérer en moins d'un mois de deux textes essentiels pour le nucléaire civil. Cela révèle le manque de considération que vous portez au travail parlementaire, ainsi qu’un empressement suspect en de telles matières. Plus fondamentalement, nous contestons les moyens que vous mobilisez pour assurer la transparence et la sécurité dans le nucléaire civil. Si nous approuvons les objectifs généraux affichés dans le texte, l'approche très libérale des questions nucléaires que vous proposez est inacceptable.

En créant différentes structures de communication et une autorité indépendante de l'Etat, vous vous réfugiez dans l’affichage politique tout en faisant l'impasse sur les questions de fond. En effet, si le titre IV édicte une série de normes visant à réglementer le secteur, votre texte ignore délibérément les rapports de forces économiques qui conditionnent pourtant l’ensemble du secteur, dont les enjeux de sécurité. L'ouverture à la concurrence du secteur énergétique, votée par votre majorité en juillet 2004, modifie en profondeur le paysage énergétique. A terme, EDF risque de ne plus disposer du monopole d'exploitation de la filière nucléaire française, alors qu'elle avait construit un appareil de production sûr et performant. Suez, avec Electrabel, pourrait investir prochainement sur le marché français dans le cadre de sa fusion avec Gaz de France, venant ainsi concurrencer directement EDF sur notre territoire. Dès lors, comptez-vous laisser, une fois encore, jouer la « main invisible » du marché ?

Cet après-midi, Jacques Desallangre a bien montré que les logiques auxquelles sont poussées les entreprises publiques pour entrer dans le marché concurrentiel et capitalistique ne font pas toujours bon ménage avec la politique de sûreté. Au reste, le tribunal de Dijon ne vient-il pas de condamner Gaz de France pour manquement à ses obligations d'entretien et de maintenance ? Le rapport qu'a remis en 2002 l'inspecteur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection sur la situation aux Etats-Unis – où la libéralisation est très avancée – n'incite guère à l'optimisme. S’agissant notamment de la centrale de Davis Besse, il relève en effet que « le bon équilibre sûreté-sécurité n’est plus correctement assuré, cette situation ayant conduit progressivement à une implication minimale pour respecter les contraintes réglementaires, et à considérer comme normales des situations dégradées ». Pour rester compétitives dans un marché ouvert, les entreprises cherchent systématiquement à abaisser leurs coûts de production, le risque devenant une composante naturelle de l'activité.

En France, le changement de statut d'EDF et l'ouverture de son capital à des investisseurs privés se sont accompagnés d'une transformation des règles de gestion de l'entreprise. Cette déréglementation s'est traduite par une dégradation effective du niveau de sûreté, qui tire son origine d'une gestion et d'un management tournés essentiellement vers la recherche de gains financiers. Ainsi, depuis cinq ans, les rapports annuels de l'inspecteur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, ainsi que celui des autorités de sûreté nucléaire, alertent sur les incidences de la recherche de la compétitivité associée à la libéralisation du secteur. Ils soulignent, notamment, l'évolution des conditions d'exploitation pour tenir compte des aléas du marché et assurer une augmentation continue des marges financières.

Dès lors, comment allez-vous garantir une sûreté et une sécurité maximales dans les centrales nucléaires alors que les exploitants seront toujours amenés à réduire leurs coûts de production pour gagner des parts de marché ? Las, votre texte ignore résolument ce contexte politique et économique, alors même qu'il prétend offrir aux citoyens les meilleures conditions de sécurité. Ce n’est guère responsable ! Loin du chauvinisme économique, il s'agit plutôt de regarder en face les mutations du contexte et d’envisager de manière plus critique la compatibilité entre la sécurité nucléaire et la concurrence inhérente au marché.

La mesure principale de ce texte, c’est la création d'une haute autorité administrative, chargée d'une mission de contrôle d ans le domaine nucléaire. Il est prévu qu’elle regroupe les missions, les personnels et les moyens de l'actuelle Direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection et de ses antennes régionales. Par cette réforme, vous prétendez permettre à la France de se comformer aux standards internationaux. Pourtant, l'organisation actuelle du contrôle du nucléaire en France correspond déjà à ces standards, définis par l'AIEA et qui consistent essentiellement à séparer l'instance de contrôle de l’autorité chargée de définir la politique énergétique. En effet, l'actuelle DGSNR est bien distincte de la Direction générale de l'énergie et des matières premières.

Autre argument mis en avant par le Gouvernement et la majorité pour justifier la création d'une autorité administrative : l'exigence d'indépendance dans les questions nucléaires. Là encore, il convient d'examiner de plus près vos propositions. Cette haute autorité serait en effet composée de cinq membres, nommés par le Président de la République et les Présidents des deux assemblées du Parlement. Dès lors, permettez-moi de douter des garanties d'indépendance de cette autorité par rapport au pouvoir politique... Elle ne serait d'ailleurs contrôlée par personne, tout en concentrant – selon la version initiale du projet de loi - des pouvoirs extrêmement étendus.

Au vu de ces contradictions, faut-il conclure que vos véritables objectifs ne sont pas ceux que vous annoncez ? Pourquoi retirer à l'Etat des compétences dans un domaine aussi sensible et au cœur de ses missions régaliennes ? Pourquoi lui retirer des pouvoirs aussi importants que ceux de police et de constat d'infractions ? Pourquoi passer outre l'avis du Conseil d'Etat de 1999, qui estimait « que le transfert de pouvoirs de décision et de contrôle dans les domaines de police spéciale que sont la sûreté nucléaire et la radioprotection n'est pas justifié » ? Et la haute juridiction d’insister aussi sur le fait que les dispositions envisagées conduiraient à une répartition incertaine et incohérente entre le gouvernement et l'autorité en cause. Si un amendement du rapporteur s'efforce de clarifier la répartition des pouvoirs entre la haute autorité et l'Etat, l'ajout d'une autorité aux missions plus larges que celle de contrôler les décisions gouvernementales risque de réduire la lisibilité des décisions prises. Dès lors, la création de cette agence ne vise-t-elle pas avant tout à empêcher l'Etat de rester maître des décisions dans un environnement devenu éminemment concurrentiel ?

A bien des égards, cette nouvelle autorité administrative rappelle la Commission de régulation de l'énergie et l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, dont les appellations peinent à cacher qu’elles n’ont été créées que pour imposer au secteur public les règles du marché.

M. François Brottes - C’est vrai.

M. Daniel Paul - En somme, il s’agit surtout de préparer l'ouverture à la concurrence du marché du nucléaire. Comment pouvez-vous prétendre garantir la sécurité en vous contentant d'instaurer un gendarme nucléaire, sans prendre les mesures volontaristes qui s'imposent pour encadrer ce secteur industriel à risque ? Où sont les mesures visant à offrir les meilleures conditions de travail possibles aux salariés du nucléaire ? Car si le respect des normes est essentiel pour garantir la sûreté du processus de traitement de la matière nucléaire, les conditions de l'intervention humaine sont tout aussi déterminantes. Les risques liés aux activités nucléaires sont, en grande partie, des risques professionnels. Or le recours de plus en plus large d’EDF à des entreprises sous-traitantes aurait justifié à lui seul une intervention de la puissance publique. L'Autorité de sûreté nucléaire souligne en effet à ce sujet que « lorsque des prestataires d'EDF sous-traitent à des entreprises qui, à leur tour, font appel à la sous-traitance, il devient difficile de contrôler effectivement la qualification de l'intervenant et la qualité des travaux. » Comment ignorer que le recours abusif à la sous-traitance recèle un risque pour la sécurité des salariés et la sûreté des centrales ? En outre, les conditions de travail proposées par les entreprises sous-traitantes ne sont pas aussi protectrices que celles dont bénéficient les salariés sous statut. C’est socialement injuste et cela risque d'entamer la confiance des salariés dans leur outil de production. Ainsi, 84 % des salariés de la sous-traitance voudraient quitter la filière nucléaire. A terme, c'est aussi la confiance de la population dans le nucléaire qui est en jeu.

L'exigence de transparence que vous mettez en avant dans votre texte commandait une approche impliquant de façon plus forte et plus systématique les salariés dans la gestion de leur entreprise. Si le rapporteur semble vouloir rectifier quelque peu le tir en proposant un amendement relatif au CHS-CT, nous souhaitons réaffirmer qu'il n'y a pas de transparence possible sans démocratie dans l'entreprise. Le statut d’EPIC d'EDF permettait au moins un minimum de consultation des personnels grâce aux dispositions statutaires. Mais la participation des salariés à la gestion de leur entreprise doit être améliorée et nous déposerons plusieurs amendements à ce sujet. Votre texte reste foncièrement déséquilibré, l’impératif de transparence ne valant que pour l’externe et ignorant totalement le fonctionnement interne des entreprises.

Le projet pêche aussi par son manque d'approche préventive des questions de sécurité. Ainsi, nous regrettons vivement votre absence totale de questionnement sur le devenir de la recherche, tant sur les déchets que sur la sûreté dans les entreprises. Là encore, nous ferons valoir nos propositions grâce à plusieurs amendements. Il est vrai que ces dépenses de recherche, dont les retours sur investissements sont incertains, attirent peu les capitaux privés.

Parce que la sécurité nucléaire dépend également de la sûreté des installations, nous souhaiterions que des études soient menées sur le vieillissement des centrales de façon à mettre en perspective les objectifs de renouvellement du parc nucléaire. Les salariés, connaissant leur outil de production, devraient également être plus impliqués dans ces décisions.

Ce texte, qui fait abstraction du contexte politique de libéralisation de l'énergie et du nucléaire et qui fait également l'impasse sur toute une série de mesures volontaristes pour promouvoir la sécurité de ce secteur, ne nous satisfait pas. En l’état, nous ne le voterons donc pas. Espérons que les choses auront évolué à l’issue du débat.

M. Jean-Louis Dumont – Souffrez qu’un non spécialiste du nucléaire s’exprime. Il y a quelques années, j’ai visité les mines d’uranium d’Arlit. J’imagine ce minerai enrichi et utilisé dans la filière nucléaire civile ou militaire avant que de devenir un déchet à vie longue dans notre terre de Meuse. Chacun se souvient du 26 avril 1986 où le réacteur numéro 4 explosait à Tchernobyl. Les savants, les experts, les techniciens, les scientifiques ne pouvaient l’imaginer, et pourtant… J’ai constaté en Moldavie les dégâts occasionnés. Comment ne pas s’interroger sur la sécurité nucléaire et la nature des informations transmises au public ? J’ai entendu des noms circuler cette après-midi : est-ce un ministre ou le professeur Pellerin qui auraient prétendu que les nuages radioactifs se seraient arrêtés à nos frontières ? Moi qui viens de l’est de la France, je puis vous assurer qu’il n’en fut rien. Chaque citoyen se demande si on lui dit ou non la vérité. Vous l’avez rappelé, Madame la ministre, le principe de précaution est inscrit dans notre Constitution, ce qui implique de disposer d’un niveau fiable d’information. Il faut nous donner les moyens d’en discuter dans le cadre d’un dialogue fructueux.

J’entends parler de diversification énergétique. Des TPE ou des groupes plus importants sont prêts à investir dans le domaine des énergies renouvelables et dans le contexte que nous connaissons, cela peut être un élément déterminant. J’ai eu jadis l’occasion de fréquenter cette belle et grande entreprise qu’est EDF. Aujourd’hui, je puis dire que nous devons sortir de la culture du secret qui fut longtemps la nôtre. Pourquoi, Madame la ministre, ne pas intégrer dans ce projet le nucléaire militaire, même s’il faut évidemment tenir compte du secret défense ? Lorsqu’une petite installation militaire s’installe à côté de grandes structures civiles, l’ensemble du site relève toujours de la défense nationale. Le grand public peut alors se demander si on lui cache quelque chose. Je suis favorable à l’information, même si elle doit être maîtrisée car il faut se méfier du lien créé entre l’information et la publicité, par exemple lorsque certaines entreprises achètent des encarts dans les journaux.

Une autorité administrative indépendante ? Pourquoi pas, mais nous en avons déjà créé beaucoup, et avec quel effet – je pense par exemple à la commission de régulation de l’énergie ? Ayant commis un rapport parlementaire sur l’intégration d’une directive européenne pour l’ouverture du marché de l’électricité, je puis mesurer quelques années plus tard le chemin législatif parcouru. Mais il importe surtout de savoir où se situent les responsabilités. Le Gouvernement, le Parlement doivent être régulièrement informés pour que, au-delà du cadre législatif, nous puissions assurer aux Français que nous sommes d’abord animés par le respect de leur citoyenneté (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Claude Birraux – Il faut être vigilant et précis quant aux mots employés. On a ainsi reproché à quelqu’un des propos concernant le nuage de Tchernobyl mais je vous signale que cette personne a gagné sept procès : elle a en effet toujours dit que le nuage passerait, mais sans qu’il n’y ait de conséquences sanitaires pour la population.

L’activité nucléaire, pour être essentielle, s’est néanmoins développée sur une base juridique très ténue. C’est un amendement à la loi sur la pollution et les odeurs adoptée en 1961 qui précise que les installations nucléaires de base sont soumises à autorisation. Il faut y ajouter la loi sur le transport des matières nucléaires en 1980, dont j’eus l’honneur d’être le rapporteur. À l’occasion de la rédaction du premier rapport confié à l’office parlementaire, en 1990, j’avais pu étudier l’organisation de la sûreté nucléaire de différents pays d’Europe et aux États-Unis. Chaque fois, une loi cadre définit les principes. En Finlande, celle-ci date de 1958. Elle a porté création d’une agence de sûreté, STUK, placée sous la tutelle du ministère de la santé ; le ministère du commerce et de l’industrie ainsi que le Parlement jouent également un rôle important. En Suède, trois lois – en 1958, 1984 et 1989-1990 – sont relatives au financement du stockage dont le contrôle est confié à trois agences indépendantes – pour la radioprotection, la sûreté, les déchets et les combustibles usés - sous la tutelle du ministère de l’environnement. En Belgique, depuis un arrêté royal du 28 février 1963, la sûreté est un service spécialisé du ministère du travail et de l’emploi avec un conseil supérieur consulté sur la réglementation et l’hygiène pour les travailleurs. Il n’existe pas de moyens techniques propres et l’on fait appel à une association sans but lucratif, Vinçotte, chargée de conseiller l’autorité de sûreté et d’appuyer techniquement le gouvernement.

En Allemagne, autant de centralisme qu’il est nécessaire, autant de fédéralisme qu’il est possible. La réglementation relève de l’Etat central, son application des Länder. La loi-cadre sur l’énergie atomique, qui date de 1959, confère un rôle central au BMU – le ministère de l’environnement – qui s’appuyait sur l’Institut GRS – société de sécurité des réacteurs et des centrales – jusqu’à ce que l’accord de sortie du nucléaire interdise à celui-ci d’effectuer des recherches sur la sûreté. Alors que les centrales allemandes vieillissent, c’est d’autant plus inquiétant que le BMU n’encourage pas les exploitants à suivre l’évolution des normes. C’est comme si l’on passait d’un siècle à un autre avec la même vieille deux-chevaux sans en vérifier les freins !

Aux Etats-Unis, la NRC – commission de régulation nucléaire – est indépendante et composée de cinq commissaires proposés par le Président et confirmés par le Congrès, devant lequel elle justifie chaque année son budget et son bilan. Cette commission, forte de plus de trois mille employés, s’appuie sur une solide expertise technique. A la différence du Parlement français, le Congrès américain a un rôle-clef dans l’organisation de la sûreté nucléaire. Avec le texte que vous nous présentez, nous pallions enfin ce manque criant.

Je suis un militant de longue date de la transparence nucléaire. L’importance de notre parc nucléaire et son rythme de croissance dans les années 1980 sont uniques. Or, aucun incident n’est à déplorer pour une cinquantaine de tranches et une histoire déjà assez longue : un tel bilan est à mettre au crédit d’EDF et des autorités de contrôle.

Le contrôle de la sûreté des installations doit répondre à deux impératifs : la compétence et l’indépendance.

La compétence est essentielle à la prise, au moment requis et sans perdre de temps, de décisions techniques correctes, que les exploitants exécutent sans délai puisqu’elles sont fondées sur une expertise fiable.

L’indépendance est également nécessaire pour que les impératifs de sûreté l’emportent toujours sur toute autre considération – économique, par exemple, comme dans l’ex-URSS où l’acte de production prévalait sur la sécurité, comme j’ai moi-même pu le vérifier à Tchernobyl.

Les travaux de l’office parlementaire ont beaucoup amélioré la transparence, notamment grâce aux auditions publiques ouvertes à la presse et dont le compte rendu est publié en annexe des rapports. Mais l’Etat, déléguant ses responsabilités au service central de protection contre les rayonnements ionisants, n’a pas joué son rôle dans les domaines de l’environnement et de la santé. La radioprotection a trop longtemps été le parent pauvre du nucléaire, et ce n’est que récemment qu’elle a été intégrée à la DGSNR. De même, la création de IRSN est tardive, et doit beaucoup à Robert Galley et moi-même – nous avions à l’époque été consultés par le gouvernement de M. Jospin.

Je tiens à rendre hommage au personnel de la DGSNR et à son directeur, M. Lacoste : haut fonctionnaire exceptionnel, il ne dévie jamais de sa mission et a su imposer au monde nucléaire son irréprochable autorité.

Mme la Ministre - Très bien !

M. Claude Birraux – La sûreté nucléaire n’est ni un objet posé sur un meuble, ni un nirvana à atteindre ; ce n’est pas même une loi. C’est une exigence quotidienne. Chaque employé doit s’interroger sur ce qu’il peut faire pour l’améliorer. Cette culture de sûreté est une matière vivante qui se nourrit de la recherche et des discussions entre l’Autorité de sûreté et l’exploitant, dont elle est la première préoccupation.

Le risque existe de tomber dans les travers de la NRC : l’exploitant ne doit pas être tenté de se réfugier dans la paperasse, car l’essentiel est que le contrôle soit efficace.

Le projet de loi confirme le rôle des CLI auxquelles j’avais, dès 1990, proposé de donner une assise juridique plus stable. Elle reprend la structure de ma proposition de loi de 2000, et je m’en réjouis. Avec la création du comité pour la transparence, le conseil supérieur de la sûreté et de l’information nucléaire n’a plus lieu d’être.

Je ne comprends pas la levée de boucliers de certaines associations contre ce texte, alors qu’elle ne cessent pourtant de réclamer l’indépendance de l’autorité de contrôle. Après avoir organisé l’autonomie de l’IRSN – appui technique de l’ASN de demain – et renforcé l’ASN d’aujourd’hui en lui confiant la radioprotection, le projet en prévoit l’indépendance et la transparence.

Le maintien du nucléaire, cette technologie de pointe qui est un élément-clef de notre indépendance énergétique et de notre combat contre le réchauffement climatique, passe par le renforcement de la confiance que lui accordent les Français. Contrairement à la conception que s’en faisaient les Soviétiques, nous privilégions la séparation des tâches et la responsabilité de chacun. Voilà pourquoi le groupe UMP est favorable à ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. François Sauvadet - L’examen de ce projet de loi est très attendu par les parlementaires, mais plus encore par nos concitoyens. Sa réussite dépend de la crédibilité que nous saurons donner aux instances nouvelles qui doivent garantir la transparence, indispensable à la confiance. J’ajoute que le risque zéro n’existe pas : nos exigences doivent être réalistes.

Pour réussir, il faut aussi que le débat et la navette aient lieu : je me réjouis que vous soyez revenue sur l’urgence, Madame la ministre, car cela contribuera au sérieux et à la sérénité des débats. Le recours systématique à l’urgence nuit à la qualité de nos travaux et au bon fonctionnement de la démocratie. J’espère que le Gouvernement – dont vous êtes membre et dont j’essaie de ne pas douter de l’homogénéïté (Sourires) – imitera votre démarche pour le projet de loi sur le traitement des déchets nucléaires, comme le souhaitent plusieurs groupes politiques, dont l’UDF.

La loi que vous nous proposez est utile : elle instaure une assise juridique et publique en matière de transparence. Notre arsenal reposait jusqu’alors sur quelques lignes dans une loi de 1961 sur « l’air et les odeurs » et sur la loi de 1980 sur les transports de matière nucléaire, dont M. Birraux était le rapporteur.

Trente ans se sont écoulés, ou presque.

Cette époque semblait se dire, avec un certain embarras : moins on en parle, moins il y a de problèmes. Elle est révolue. L’opinion, sous le coup de la gestion incertaine et peu transparente de certaines crises veut savoir quels risques elle encourt, en particulier en raison du vieillissement des centrales.

Même si certaines questions restent en suspens, notamment sur le rôle de l’État, on voit bien l’esprit de ce texte, qui fournit une assise et lève des incertitudes. J’insiste sur les moyens humains qui seront mis à la disposition de la haute autorité et de l’État. On a bien avancé, et je salue les amendements du rapporteur qui permettent de bien distinguer ce qui relève de l’État, de la haute autorité, de l’information. Il ne faut pas faire jouer aux « autorités » des rôles qui ne sont pas les leurs. Elles doivent informer. Mais réaffirmons nettement que la décision, après débat, y compris au Parlement, revient aux gouvernants élus par le suffrage universel.

M. le Président de la commission - Très bien 

M. François Sauvadet - S’agissant de l’information, je peux, pour avoir présidé en d’autres temps une commission d’enquête, dire à quel point c’est un élément important de la communication. Je souhaite que le Haut conseil s’appuie sur des instances qui ont fait leurs preuves, comme les commissions locales d’information, pour permettre de s’exprimer à ceux qui ont une vision à présenter. J’ai participé à des CLI, y compris au centre du CEA de Valduc dans le domaine de la division des applications militaires, je peux témoigner de leur bon fonctionnement. L’association nationale des CLI a aussi réalisé des études épidémiologiques utiles. La fiabilité de l’information passe par celle des contrôles et la transparence. Mais il faut aussi lutter contre les emballements médiatiques, donnant plus de place à la rumeur qu’aux informations fiables. Les conditions de diffusion de l’information seront décisives pour l’appropriation des risques par la population.

Enfin, je rends hommage à ceux qui, il y a quelques décennies, ont fait le choix audacieux du nucléaire qui aujourd’hui, avec la crise de l’énergie et le réchauffement climatique, peut apporter beaucoup, au point que certains pays qui y avaient renoncé pensent désormais qu’ils ont perdu du temps. Je souhaite que, pour notre part, nous en gagnions en faisant bien percevoir les enjeux à nos compatriotes, ce qui passe par la transparence et l’assurance qu’on leur dira la vérité, comme l’exige la démocratie. Nous voterons ce projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Claude Gatignol - Ce texte profondément amendé par le Sénat et par le travail en commission, – j’en félicite notre excellent rapporteur – est un texte fondateur sur la sûreté et la transparence en ce qui concerne le nucléaire. Certes, depuis plus de 40 années que fonctionne le nucléaire à vocation industrielle, il existe un code de bonnes pratiques pour l'administration et les exploitants. Mais il reposait sur un cadre réglementaire et les retours d'expérience. Votre projet fournit une base législative sur les deux aspects essentiels que sont la sûreté et la transparence.

La sûreté est bien l'élément fondamental, et il faut souvent la redéfinir face à la notion de sécurité beaucoup plus globale. La nouvelle Autorité de sûreté nucléaire renforcera la confiance dans les choix technologiques issus de la recherche et concourant à la mise en œuvre de la politique énergétique de notre pays. Il s'agit donc de mettre dans la loi ce qui fonctionnera demain, comme aujourd’hui déjà, pour assurer la sûreté dans les établissements et la sécurité des populations. Ceux qui suivent leur action savent bien que les 400 inspecteurs chargés du contrôle, les « gendarmes du nucléaire », veillent au respect rigoureux des normes de fonctionnement. Les exploitants sont extrêmement attentifs à ces contrôles et travaillent constamment à améliorer leur organisation interne. Le résultat, heureux pour tout le monde, en est l'application pleine et entière du principe de responsabilité de l'exploitant et la stimulation de la recherche et de l'innovation, selon le principe ALARA, As Low as reasonably Achievable, aussi bas que raisonnablement possible.

D'ailleurs, au sein d'un centre nucléaire de production d’électricité par exemple, le rôle de l'ingénieur en sécurité-sûreté nucléaire est reconnu par tous. Ce travail immense et l'évaluation de divers dysfonctionnements ont conduit en 1987 à la création d'une échelle de référence – échelle INES – reconnue en 1991 par l'Agence internationale de l’énergie atomique. Confortée dans sa composition, son rôle, ses pouvoirs, la nouvelle Autorité garantira la bonne marche des installations, aux côtés de l'exploitant et en pleine collaboration avec son personnel. Elle renforcera l'obligation d'excellence de l'industrie nucléaire du concepteur à l’exploitant et à l’opérateur de maintenance. Pour ce qui relève de l'information, elle sera l'interlocuteur principal du Gouvernement, en particulier pour la radioprotection et l'action face à une situation d'urgence. De plus, le Parlement ou l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques pourront saisir la Haute autorité. Ce texte apporte donc une clarification totale alors que le monde se prépare à une augmentation de la production d’électricité nucléaire.

L’autre point tout aussi important est l'information du public. Que n'a- t-on pas entendu et lu sur ce sujet et pourtant que d'efforts ! Membre de la Commission locale du CNPE de Flamanville, de la commission spéciale Cogema la Hague, de la commission Centre de Stockage ANDRA de la Manche, je peux témoigner des multiples réunions, colloques et séminaires, expertises, contre-expertises, exercices de crises, missions spécialisées, publications dans des revues grand public ou scientifiques, sur internet, sans oublier les rapports de plusieurs collègues pour l’office parlementaire. J'ai même le sentiment que cette masse d'informations est mal utilisée, voire détournée et présentée comme une volonté de désinformation et même comme une culture du secret, ce qui est un comble !

Elle doit répondre à des interrogations très variées, de nature technique comme sur le risque réel, le risque perçu, le risque objectif, le risque observé… II devenait nécessaire de le dire clairement : le droit à l'information doit être garanti d'une part, satisfait d'autre part. C'est un droit légitime et l'Etat doit en être le garant ; l'article 124-3 du Code de l'Environnement s'y rapporte déjà.

Ce texte renforce l'accès à l'information, mais il me semble nécessaire, Madame la Ministre, de distinguer la demande justifiée et une dérive que je qualifierai de harcèlement idéologique. Je souhaite que vous y portiez attention. Le chapitre 1er du titre III renforce le rôle des commissions locales d'Information et des amendements vont plus loin dans ce sens. La CLI sera chargée de répondre aux demandes concernant l'exploitation du site et ses conséquences. Sa composition, très ouverte – mais les parlementaires ont été oubliés – en fait un lieu privilégié d'échanges. Elle sera pour l'exploitant un interlocuteur de proximité. Elle expliquera en langage non technique les résultats de mesures vis-à-vis des normes administratives ou bien le contenu d'un rapport sur un incident.

Elle fera aussi l'interface avec les inspecteurs de l'ASN, les intervenants de l'IRSN, ou encore les experts. Cette confirmation des CLI est bonne pour l'information du plus grand nombre, et contribuera à apaiser des inquiétudes infondées, voire entretenues.

Je me félicite également de la création du Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, instance nationale de concertation et de débat. Celui-ci, saisi par le Gouvernement et le Parlement, pourra recevoir tous les documents utiles et décider des expertises nécessaires.

Voilà réunis, Madame la ministre, les moyens de répondre, avec toute la transparence souhaitable, à nos concitoyens qui se préoccupent du nucléaire.

Le titre IV reprend toutes les règles relatives aux installations nucléaires de base et, c'est important, aux transports. Ces précisions utiles devraient lever toute ambiguïté.

Je le répète inlassablement depuis vingt ans, le secteur énergétique est hautement stratégique pour l'Etat – l'actualité nous le rappelle. L'industrie nucléaire française est un fleuron technologique que le monde entier nous envie. Il s’agit d’une filière – de la mine d'uranium au consommateur d'électricité – qui assure la gestion rigoureuse de toutes les substances : le Parlement examinera prochainement un autre texte sur ce point.

La sûreté doit être un objectif primordial. Elle contribue, de plus, à la compétitivité, en termes de résultats d’exploitation et d’image, par synergie, et non – comme je l’ai entendu dire – par opposition. Aussi faudra-t-il, Madame la Ministre, veiller à ce que des excès de contraintes ne viennent brouiller la lisibilité des règles générales de conception, de construction et d'exploitation.

Enfin, je voudrais évoquer la dimension internationale de la sûreté nucléaire, qu’a démontrée à l’évidence le cheminement de certains nuages. Une collaboration internationale doit s’instaurer, et les visions des autorités de sûreté doivent s’harmoniser avec celles des exploitants tant les peer reviews – expertises par des pairs – sont très intéressantes pour les directeurs de site. Une avancée est d’ailleurs perceptible avec la création de la Western European Regulator's Association – qui fédère plusieurs autorités de sûreté – la participation d’EDF à la World Association of Nuclear Operators ou bien encore la mise en place du Forum international pour les réacteurs de quatrième génération.

La maîtrise des règles de sécurité et de sûreté doit rester sous l'autorité de l'Etat. Toutefois, des projets de directive sont en gestation et il convient d’affirmer ici que la France ne pourrait y adhérer sans que soit levé un préalable : le classement du nucléaire parmi les énergies participant à l'action favorable au climat, nécessité souvent soulignée par le président Ollier.

Quelles orientations envisagez-vous de prendre, Madame la ministre, quant à la dimension internationale de la transparence et des règles de sûreté ? La discussion aujourd'hui engage le Parlement sur une vision nouvelle, réaliste et opérationnelle de la sûreté nucléaire, qui sera reprise hors de nos frontières. Nous soutiendrons ce texte tout en l’amendant, Madame la ministre, et en soulignant toute l'ampleur et tout l'intérêt de ses objectifs (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Noël Mamère - Transparence et sécurité en matière nucléaire... Voici un projet de loi que nous, les écologistes, attendions depuis longtemps ! Vingt ans après la catastrophe de Tchernobyl, ce texte devait offrir un cadre général aux activités nucléaires, qui fonctionnent sans base législative depuis près de quarante ans. Nous nous sommes donc penchés avec bienveillance sur ce projet, d'autant qu'il avait été lancé par Dominique Voynet, alors ministre de l'environnement.

Et voilà qu'au bout de cinq ans, subitement, ce texte est sorti du tiroir, profondément remanié et frappé d'urgence ! Pourquoi une telle précipitation ? Pourquoi restreindre le débat démocratique à sa plus petite expression ? Nous avons appris qu'il en serait de même pour le projet de loi sur les déchets nucléaires, ce qui est paradoxal pour un objet dont la durée de vie est de plusieurs milliers d’années !

Nous sommes ici au cœur du problème : ce qui mine votre projet de loi, Madame la ministre, c'est son caractère profondément antidémocratique. Il prévoit de créer une autorité administrative indépendante, chargée du contrôle de la sûreté nucléaire, de la radioprotection et de l'information. « Indépendante », mais de qui exactement ? La composition et les prérogatives de cette Haute autorité font frémir ! Les membres ne seront pas élus, mais désignés au regard de leur « compétence dans les domaines de la sûreté nucléaire et de la radioprotection». Il ne faut pas se voiler la face : ces personnes auront accompli l'essentiel de leur carrière dans l'industrie nucléaire, une aubaine pour le corps des Mines, Etat dans l’Etat, lobby nucléaire !

Ces cinq membres sont inamovibles et disposent de pouvoirs impressionnants : une partie du pouvoir réglementaire leur est transmis – en violation de l'article 21 de la Constitution – le Gouvernement se contentant d’homologuer les décisions ou de les communiquer selon une procédure prévue par un décret en Conseil d’Etat – ce qui est d’ailleurs une façon pour votre Gouvernement, rompu à l’usage, de passer outre la représentation nationale… Cela en dit long sur votre volonté démocratique.

La Haute autorité a un pouvoir d'influence, de contrôle, de nomination, d'agrément, d'information, de gestion de crise, d'investigation, et je pourrais allonger encore cette liste effrayante.

M. Claude Birraux - Effrayante !

M. Noël Mamère - Oui, car il s’agit d’une énergie qui rend notre pays vulnérable, du fait de la centralisation de l’énergie et des risques. Il est d’ailleurs notable que lors de la discussion du projet de loi sur le terrorisme, visant à mettre le territoire sous contrôle de caméras de surveillance, il n’ait pas été fait mention des centrales nucléaires : une étude de danger après le 11 septembre avait pourtant envisagé l’attaque d’un Cesna sur la Hague, qui contient, stocké dans des bidons de 2,5 kilos de plutonium, l’équivalent de 70 fois Tchernobyl ! N’a-t-on d’ailleurs pas installé, pour rassurer le bon peuple de France, des batteries anti-DCA autour des centrales nucléaires, alors que l’on sait qu’il faut se décider en moins d’une minute pour arrêter un avion de chasse qui aurait passé les frontières ?

Tout cela est un leurre, visant à aveugler les Français, qui, à juste titre, craignent le nucléaire. Il ne s’agit pas pour nous d’une posture idéologique, comme l’a dit M. Gatignol, mais d’une position claire et raisonnée : pour lutter contre l’effet de serre, il faut plutôt favoriser les économies d’énergie et les énergies alternatives !

La Haute autorité n'a pas de personnalité morale. Elle est donc irresponsable et inattaquable devant la justice. L’article 38 met à sa disposition les fonctionnaires compétents, ce qui revient à enlever tout moyen aux structures relevant des ministères de l'industrie, de la santé et de l'environnement. Le pouvoir politique se dépouille ainsi de ses moyens et de ses pouvoirs, dans un domaine hautement sensible. Cette autorité « indépendante » l’est peut-être de la démocratie, certainement pas du nucléaire.

Pour rester dans le domaine de la transparence démocratique, notons que les exonérations de certaines dispositions du Code de l'environnement ne touchent plus seulement les installations nucléaires de base mais aussi les installations non nucléaires situées dans leur périmètre. De plus, celles-ci sont placées sous l'autorité de l’HASN, y compris en matière de droit du travail, ce qui exclut tout contrôle.

Enfin, en ce qui concerne les CLI, on peut s'interroger sur leur indépendance quand on constate qu'elles seront financées en partie par la HASN et par la taxe sur les INB, également sous contrôle de la HASN. Quant au Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, que nous appelions de nos vœux, il n’est qu’une coquille vide, dont les attributions sont facultatives, la saisine limitée et la composition, intégrant des représentants de l'industrie nucléaire, accablante !

Il s’agit d’un texte profondément anti-démocratique, qui n'a de transparent que le noM. Loin de favoriser la sûreté nucléaire, il nous paraît au contraire dangereux en dessaisissant l’Etat de son pouvoir régalien. Nous nous opposerons à la création de la HASN, nous prônerons le renforcement de la séparation des pouvoirs réglementaire, de contrôle et d'information, l'indépendance de l'IRSN, la création d'une autorité indépendante en lieu et place du Haut comité de « l’opacité et du secret ». Avant tout, nous réclamons une levée de l'urgence, pour que cesse ce simulacre de démocratie et que le peuple, déjà privé d'un réel débat sur l'EPR, puisse enfin s'approprier la question du nucléaire. Celle-ci, décidément, a bien du mal à sortir de sa chape de plomb !

Mme la Ministre - Il n’y a plus d’urgence sur le texte !

M. François Brottes - La transparence est rarement la qualité première associée à la filière nucléaire par le grand public ! Rappelons que ce projet de loi arrive plus de soixante-dix ans après la découverte de la radioactivité artificielle, et coïncide avec le sinistre vingtième anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl : il était temps !

Mais cela ne justifiait pas pour autant de se précipiter dans l’urgence, piètre conseillère qui donne le sentiment du passage en force – l’actualité le dénonce aujourd’hui cruellement. Prenons acte, Madame la ministre, de la levée de l’urgence : nos débats pourront éclairer un sujet trop longtemps tabou. Encore un effort et le Gouvernement lèvera l’urgence sur le texte relatif aux déchets nucléaires !

M. François Sauvadet - Quel consensus !

M. François Brottes – Je souhaite attirer votre attention sur deux points : le rôle des CLI et la compatibilité entre les impératifs de sûreté et ceux de la concurrence, engendrée par l’ouverture du marché de l’énergie.

Sans parler de confiance, qui, comme chacun le sait, peut être aveugle, évoquons simplement l’appréhension qu’a la population de l’industrie nucléaire. Celle-ci ne peut que passer par la transparence et l’exercice effectif du droit à l’information. Aussi, nous proposerons que les commissions locales d’information soient chargées d’organiser le suivi des questions posées par la population aux exploitants d’installations nucléaires. Ce dispositif consacrerait la mission d'information, de suivi et d'expertise de ces commissions, qui seraient dans l’obligation de transmettre la question et d’obtenir une réponse de l’exploitant dans des délais convenables. Dans son courrier adressé le 12 janvier 2006 au Président de la République, l'association nationale des CLI rappelle que « le développement de processus de démocratie participative constitue aujourd'hui une caractéristique commune des évolutions qui touchent la gouvernance des activités à risques dans l'ensemble des pays développés. Cette tendance se caractérise par l'apparition de nouvelles catégories d'acteurs de la société civile dans les processus d'expertise et de décision qui entourent le suivi des installations nucléaires. Cette évolution contribue au renforcement de la qualité du suivi ainsi qu'à une meilleure perception de cette qualité par la société. Dans le contexte des activités nucléaires, dont le suivi présente une dimension de technicité forte, les attentes sociales de transparence sont très fortes ». Le renforcement du rôle des CLI permettra de répondre à ces attentes.

Venons-en maintenant à l’incompatibilité entre les impératifs de sécurité nucléaire et l'ouverture du marché de l'énergie. Après le vote de cette loi, la Haute autorité de sûreté nucléaire décidera la création, la suspension ou l’arrêt d'une installation nucléaire de base, décisions qui peuvent fausser la concurrence ou créer un préjudice commercial. Hélas, votre texte ne rappelle pas que l'intérêt de la sécurité publique doit toujours primer sur la libre concurrence. Pour autant, le directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection a noté, dans une lettre adressée au président d’EDF le 20 septembre 2005, que « l’autorité de sûreté entend contrôler de manière attentive les conséquences en termes de sûreté de cette recherche de compétitivité ». Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a souligné que la liberté du commerce et de l'industrie ainsi que la liberté d'entreprendre ne sont pas des libertés générales et absolues. Enfin, la Charte de l’environnement dispose en son article 6 que les politiques publiques concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social. Au nom de cet équilibre, un opérateur ne doit pas pouvoir arguer de la libre concurrence pour rendre inapplicable une décision de l'autorité de sûreté. Pour éviter toute ambiguïté sur la portée des décisions visées, nous vous proposerons un amendement qui pose le principe d'une obligation générale de traitement transparent et non discriminatoire des demandes par l'autorité de sûreté. La CRE et les juridictions susceptibles d’accepter des recours liés à la libre concurrence ne doivent influencer en aucun cas les décisions de la Haute autorité. La loi doit donc veiller à ce que l’étanchéité soit totale et durable entre la logique du marché et sa régulation d’une part, et la sécurité des populations concernées et des salariés du nucléaire d’autre part. Par ailleurs, nous vous proposons que la haute autorité, si elle venait à commettre une erreur grave en matière de sécurité publique, puisse être remise en cause, voire révoquée.

Renforcement du rôle des CLI, étanchéité entre CRE et autorité de sûreté et enfin possible révocation de l’autorité en cas de manquement grave sont les trois points que nous aborderons au cours de ce débat !

M. Jean-Marc Roubaud – Garantir l’indépendance énergétique par le développement du nucléaire fut en son temps un choix politique courageux, dont nous nous félicitons. Aujourd’hui, la transparence et la sécurité en matière nucléaire sont deux impératifs absolus. Je regrette donc que certains veuillent « surfer » sur les peurs de nos concitoyens : hurler avec les loups n’a jamais été une attitude responsable pour un représentant de la nation !

Le nucléaire suscite interrogations, fantasmes, voire peurs. Son aspect militaire et l’accident de Tchernobyl nous font oublier que le nucléaire civil a beaucoup apporté à la santé humaine, qu’il s’agisse des soins ou du diagnostic. Cependant, le recours au nucléaire pour produire de l’électricité n’est presque plus contesté dans notre pays et il a été largement validé par la loi du 13 juillet dernier.

M. Jean Dionis du Séjour - Sauf par les Verts, le dernier village d’irréductibles Gaulois !

M. Jean-Marc Roubaud - D’ailleurs, certains de nos voisins, dont l’Allemagne, craignent de ne pas avoir fait le bon choix en abandonnant le nucléaire.

M. François Sauvadet - C’est vrai !

M. Jean-Marc Roubaud – Enfin, le problème des déchets sera abordé dans un autre projet de loi défendu par le ministre de l’industrie.

Madame la ministre, votre démarche aujourd’hui est le signe d’une attitude responsable. Au XXIe siècle, il ne peut y avoir acceptation du nucléaire sans transparence et mise en œuvre d’une sécurité maximale. La Haute autorité de sûreté nucléaire aura donc pour mission de contrôler la sécurité de construction et de fonctionnement des installations, d’assurer la radioprotection des personnes et des personnels des installations et d’informer de manière indépendante le public. Sa création, ainsi que celle du Haut comité pour la transparence, constituent une avancée capitale. Enfin ce texte précise le régime juridique des installations nucléaires civiles ou militaires et sécurise le transport des matières radioactives. Là encore, il s’agit d’un progrès significatif.

Parce que ce projet permet de réconcilier les choix énergétiques de la France avec le droit légitime des populations à la sécurité et à l’information, je vous invite à l’adopter (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

La discussion générale est close.

Mme Nelly Olin, ministre de l’écologie et du développement durable Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de ce débat mesuré, signe que l’on peut dépasser les clivages politiques dès lors que l’on aborde des sujets majeurs.

Monsieur Bataille, comme vous, le Gouvernement souhaite que le Parlement joue tout son rôle en matière nucléaire. C’est la raison pour laquelle il a souhaité faire aboutir l’examen de ce projet de loi depuis longtemps à l’étude. Par ailleurs, rassurez-vous, les décisions politiques ou celles touchant à la sûreté nucléaire resteront de la compétence du Gouvernement et ne relèveront pas de la Haute autorité. L’État conserve les pouvoirs nécessaires à l’exercice de ses missions essentielles. S’agissant des activités et installations nucléaires intéressant la défense, elles seront soumises aux mêmes principes généraux que leurs homologues civiles en ce qui concerne la sûreté, la radioprotection et l’information. Ce sera affirmé sans ambiguïté dans le projet de loi, suite aux travaux de la commission.

Monsieur Dionis du Séjour, le Gouvernement aborde ce débat sur la transparence avec un réel esprit d’ouverture. À travers l’exemple de la canicule de 2003, vous avez évoqué l’impact des installations nucléaires sur la santé des personnes et l’environnement. Ce projet de loi consacre justement une vision élargie de la sûreté nucléaire qui combine sécurité nucléaire stricto sensu avec protection de la santé publique et de l’environnement, radioprotection des travailleurs et prise en compte des facteurs organisationnels et humains. D’autre part, je vous remercie d’avoir apporté votre soutien à la création de la Haute autorité de sûreté nucléaire.

Monsieur Daniel Paul, la réorganisation institutionnelle du contrôle n’annonce en rien une privatisation du secteur nucléaire. Bien au contraire, c’est parce que le Gouvernement est actionnaire majoritaire des entreprises françaises du secteur nucléaire qui ont vocation à rester publiques qu’il a souhaité la création de la Haute autorité. Par ailleurs, le niveau de sûreté nucléaire et de transparence n’est en rien corrélé au degré d’ouverture à la concurrence du marché énergétique, comme le confirment de nombreux exemples à l’étranger. À ce jour, nous n’avons constaté en France aucune dérive mettant en jeu la sûreté nucléaire d’une installation ou la transparence. Celles-ci dépendent avant tout du professionnalisme et de l’engagement de l’exploitant, et de la rigueur du contrôle exercé par l’autorité de sûreté nucléaire. Je vous assure que ces aspects font l’objet d’un contrôle attentif de l’autorité de sûreté nucléaire et qu’il en sera de même avec la Haute autorité.

Vous avez aussi évoqué l’avis du Conseil d’Etat sur le texte de 1999, mais quant au texte qui vous est soumis, le même Conseil a considéré en février dernier qu’il n’était en aucun cas contraire à la Constitution et l’a validé sans aucune observation.

M. Daniel Paul - Donnez-nous connaissance de l’avis !

Mme la Ministre - Je vous l’ai lu tel qu’il est écrit, et j’espère que vous ne mettrez pas en doute la parole d’un ministre s’exprimant devant le Parlement.

M. Dumont a rappelé les attentes de la société en matière de transparence. C’est bien sûr l’un des objets essentiels du projet de loi, qui adopte une perspective pragmatique et essaye de remédier aux défauts qui ont eu cours. Il le fait avec des mesures concrètes : droit d’accès du public aux informations détenues par les exploitants, statut législatif des CLI, institution d’un Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire. Cet effort de pragmatisme est une grande qualité dans une matière qui suscite trop souvent l’incantation.

M. Birraux a lui aussi insisté sur l’importance de la transparence – qu’il pratique d’ailleurs de façon remarquable au sein de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Je saisis cette occasion pour saluer la très haute qualité des travaux de l’office, notamment en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection. Le Gouvernement tient le plus grand compte de ces travaux, qui ont souvent inspiré les diverses réformes ayant marqué l’histoire du contrôle de la sûreté nucléaire. M. Birraux soutient globalement la réforme proposée par le Gouvernement, notamment la création de la Haute autorité de sûreté nucléaire, qui permettra l’indépendance du contrôleur. Cette réforme s’inscrit de fait dans la continuité de celles menées depuis dix ans. Elle prend acte de l’évolution des esprits et des choses, alors que certains acteurs, qui réclament leur indépendance, rejettent paradoxalement la réforme.

M. Birraux a insisté enfin sur la nécessité de rénover la législation en matière de contrôle de la sûreté des grandes installations nucléaires et du transport de substances radioactives. C’est là l’un des objectifs, technique mais néanmoins majeur, du projet de loi.

Les interrogations de M. Sauvadet sur la création de la Haute autorité de sûreté nucléaire ont retenu toute l’attention du Gouvernement et trouvent leur réponse dans le projet et dans certains amendements du rapporteur. Le texte lui donnera notamment toute garantie quant au fait que les décisions à portée politique restent de la compétence du Gouvernement. Celui-ci conservera également au sein de son administration les moyens nécessaires à l’exercice de ses compétences et définira une organisation adaptée.

M. Sauvadet a donné sur l’importance de la transparence et l’intérêt des commissions locales d’information l’avis particulièrement autorisé d’un praticien, membre d’une commission d’information et du Conseil supérieur de la sûreté et de l’information nucléaire, et le Gouvernement partage bien évidemment son analyse.

M. Gatignol soutient la création de la Haute autorité de sûreté nucléaire, qui répond effectivement aux attentes de nos concitoyens désireux d’un contrôle indépendant, et permettra ainsi de renforcer la confiance de l’opinion. Il considère que la répartition des responsabilités entre le Gouvernement et la Haute autorité, qui est une partie de l’État, est claire et pertinente et a noté des progrès dans la transparence. Je considère tout comme lui qu’il faut se garder d’une approche idéologique en ce domaine : il faut aller toujours plus loin en restant pragmatique.

Il a également évoqué la dimension internationale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection : il existe de nombreuses instances internationales, qui entretiennent des relations très suivies. Le Gouvernement encourage ces pratiques, qui contribuent à diffuser les conceptions françaises, et appuie fortement l’initiative de l’association des régulateurs européens Wenra pour harmoniser la sûreté en Europe. C’est pourquoi l’un des articles du projet traite expressément de la participation de la Haute autorité à ces relations internationales.

M. Mamère, qui est déjà parti et n’était pas non plus présent au moment où le Gouvernement levait l’urgence, a prononcé de nombreuses inexactitudes. Une seule chose est sûre : aucun aspect du projet ne trouve grâce à ses yeux. Il a adressé de nombreuses critiques à la Haute autorité de sûreté nucléaire, qu’il a notamment qualifiée d’antidémocratique. Il est plus facile de parler que d’agir, mais en matière de démocratie, j’ai peu de leçons à recevoir. Je confirme que le Gouvernement ne se dessaisit en aucun cas : il conserve les pouvoirs nécessaires à l’exercice de ses missions essentielles, notamment la réglementation et les décisions individuelles ou autorisations majeures. M. Mamère a estimé que le contrôle pesant sur la Haute autorité était insuffisant. Pourtant, ses membres peuvent être destitués, des amendements vont renforcer le contrôle du Parlement et elle est soumise au jugement de tous nos concitoyens et des autorités étrangères semblables. Je ne reviendrai pas sur ses autres inexactitudes – la Haute autorité, par exemple, ne disposera pas de la taxe sur les installations nucléaires de base.

M. Brottes a évoqué le rôle des CLI : elles sont une cheville ouvrière de l’information, de la concertation et plus généralement de la transparence dans le domaine de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Elles le sont, avec modestie et efficacité, depuis 1981 et il était temps de reconnaître leur légitimité dans la loi. Il souhaite qu’elles se trouvent systématiquement sur le trajet de l’information entre les exploitants et le public. Cette proposition très intéressante doit être examinée avec soin, mais il faut faire attention à ne pas faire percevoir les CLI comme étant du côté des exploitants.

M. Roubaud a rappelé la place du nucléaire dans notre pays et la nécessité de progresser en matière de déchets radioactifs, de transparence et de sûreté. Il a rappelé les nombreuses avancées du texte s’agissant de l’encadrement des activités nucléaires, comme de la transparence et de l’information – ce dont je le remercie –, et il a précisé que le Gouvernement s’était aussi attaché à traiter la question des déchets radioactifs. Le texte que vous examinerez dans quelques jours à ce sujet est en effet de la première importance.

J’espère que l’examen de ce texte se poursuivra d’une manière aussi sereine qu’il a commencé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 7, du Règlement.

Je vous rappelle que la conférence des présidents a fixé à trente minutes la durée maximale de l’intervention.

M. François Dosé – La seule question qui vaille est la suivante : avons-nous réellement, sincèrement, le sentiment que le juste temps fut accordé à un travail parlementaire digne de ce nom ? Quelques heures pour traiter les amendements ne suffisent pas pour prendre la juste dimension de ce qui est en jeu avec ce texte.

Depuis 1997, je n’ai cessé de réclamer une grande loi sur les orientations énergétiques de la France et un texte sur les modalités de fonctionnement de la filière électronucléaire. La gauche esquissa souvent, esquiva parfois. Je le regrette. Certes, nous devons à Pierre Mauroy l'existence des commissions locales d'information, à Christian Bataille une contribution remarquée dans le projet de loi de 1991 sur la gestion des déchets, à Lionel Jospin d’avoir confié à Jean-Yves Le Déaut un rapport sur la gouvernance de la filière nucléaire avec la séparation des fonctions de contrôleur et d'exploitant et à Christian Pierret un premier débat parlementaire sur les perspectives énergétiques françaises, mais les pratiques ne se conformèrent pas aux intentions du législateur, l’excellent rapport préconisant une « longue marche vers l'indépendance et la transparence » prit une place remarquée dans les centres de documentation plutôt que dans l’action quotidienne et le fameux premier débat dura quelques heures – pour quelques décennies – et fut conclu sans vote !

Ainsi la complexité du sujet comme les échéances électorales – c’est-à-dire les contingences pré- et post-électorales – entravèrent un travail nécessaire, et qui s’imposait depuis le désastre de Tchernobyl. Il fallait en finir avec la culture du secret qui, conséquence inéluctable, engendre la connivence d'élites autoproclamées, d'initiés sélectionnés et de décideurs intéressés qui oublient trop souvent que la démocratie impose d’éclairer l'opinion et non de l'ignorer.

L’alternance politique de 2002 fut également un trompe-l’œil : certes, on nous présenta une véritable loi-programme, mais qui évitait soigneusement de fixer des objectifs précis quant à la part de chacune des énergies dans le mix français. Ainsi, nous avons autorisé la construction d'un EPR avant de préciser la part du nucléaire dans le bouquet énergétique.

M. Jean Dionis du Séjour - Eh oui !

M. François Dosé - Cette fois, intention honorable soutenue par les voeux présidentiels, nous abordons un projet de loi qui pourrait constituer la matrice du droit en matière de transparence et de sécurité nucléaire pour les prochaines années. Mais nous ne pouvons que constater que le Gouvernement envisageait l'urgence, véritable provocation alors que le texte était inscrit depuis quatre ans à l’ordre du jour du Sénat ! Non content de cette décision, et deux semaines avant la séance publique au Sénat, le Premier ministre transmit une lettre rectificative changeant la nature du projet de loi. Nous examinons ce texte sans auditions préalables et dans des délais inadaptés à sa portée – politique, économique, environnementale, sanitaire… Ni l’ANCLI, ni l’IRSN, ni les responsables militaires, ni les représentants des salariés n’ont exprimé leur point de vue devant notre commission !

Déjà, la future loi sur la gestion des déchets radioactifs s’inscrit dans le même rythme de l’urgence, et, pour mieux faire fi du Parlement, on recourra par la suite à des décrets sur des sujets qui engagent l’avenir. Alors, de quelle transparence parle-t-on ? Ainsi, la confiance dans la gestion des risques, qui dépend largement – pour citer le chercheur Olivier Godard – du niveau de confiance générale placée dans les institutions, n’est pas de nature à se renforcer. Ne donnons pas le sentiment de légiférer à la sauvette ou dans la précipitation. L’actualité devrait être bonne conseillère : l’objectif et la manière sont intimement liés, et à vouloir mépriser l’un ou l’autre, ce sont les deux que l’on dessert. Cette loi doit donc naître dans la sérénité, pour rompre avec les pratiques anciennes de la filière nucléaire, trop longtemps marquées par le goût du secret et de l’opacité.

Madame la ministre, la France présente la particularité de se penser comme un État nation et il faut en tenir compte. Il nous faut conjuguer la raison d’État et le droit à l’information, le maniement de données non divulgables à tous et la légitime vigilance démocratique. Et ce n’est pas l’inflation sémantique – conduisant à créer une « haute autorité indépendante » ! – qui est un gage d’efficacité ou de confiance. La connaissance des réalités et l’implication des acteurs de terrain garantiront mieux le succès de notre entreprise que la création d’une instance où les jeux de pouvoir grisent déjà certains !

Je remercie le Gouvernement d’avoir cédé aux instances de notre rapporteur et du président de notre commission en renonçant à l’urgence – laquelle était proprement inacceptable – mais je reste convaincu que ce texte devrait être renvoyé en commission pour au moins cinq raisons.

D’abord, quel que soit son intitulé définitif, la création de la Haute autorité de sûreté nucléaire s’apparente à un démembrement de l’administration tendant à conférer à cinq personnalités, inamovibles et désignées pour un mandat de six ans, des pouvoirs disproportionnés qu’auraient plus naturellement vocation à exercer les services de l’État. Il est à craindre que la place de cette instance ne soit ambiguë et qu’une certaine confusion des rôles ne s’installe irrémédiablement. Avant d’aller plus loin, il serait donc utile de préciser qui sont les acteurs compétents pour les différentes séquences, qui valide quoi et comment s’organisent les différentes étapes de la prise de décision.

Ensuite, plusieurs de nos collègues, dont Claude Birraux, avaient milité pour que l’ex-IPSN soit émancipé de la tutelle du CEA. De fait, les lignes de partage se sont plus clairement dessinées et je m’en réjouis. Il nous reste à préciser les modalités de financement de l’IRSN afin de conforter son rôle de vigile indépendant et efficace.

Troisième motif de renvoi en commission : les CLI constituent un relais puissant – parfois tumultueux – des sentiments de la population. Tant mieux ! A nous de savoir en tirer profit et d’élargir leurs pouvoirs d’investigation. A cet égard, il convient de clarifier leurs modalités de financement sans porter atteinte à leur autonomie. Haute ou pas, l’autorité de sûreté nucléaire ne saurait être leur censeur ou leur directeur d’études ! Il importe aussi de préciser la vocation de la fédération des CLI et son périmètre de compétence.

Quatrième motif : des milliers de salariés mettent leurs compétences au service de la réussite de la filière nucléaire française. Fixons les modalités de leur contribution à l’entreprise – citoyenne ou pas – et prenons garde à ce que les départs à la retraite ou le recours massif à des personnels contractuels ne portent pas préjudice à la mémoire entrepreneuriale. Il n’est que temps de mieux associer les acteurs du quotidien à la démarche de transparence et à la sécurité.

Enfin, une nouvelle donne climatique s’esquisse et la mission parlementaire qui s’en est saisie déposera son rapport dans les prochains jours, à l’issue de cinq mois de travaux. Nous devons préciser dès à présent les modalités de suivi des changements climatiques que nous préconisons, au regard du fonctionnement des installations nucléaires et de la gestion de l’eau, principe de précaution oblige.

M. Jean Dionis du Séjour - Très juste.

M. François Dosé – Madame la ministre, mes chers collègues, en refusant de se donner le temps nécessaire pour mener à bien des investigations préliminaires diversifiées et approfondies, l’on gagnera peut-être quelques semaines, mais en prenant le risque de faire perdre beaucoup de temps à la filière électro-nucléaire ! Les décisions prises dans la précipitation sont rarement durables et il suffit souvent qu’une nouvelle génération – ou un nouveau gouvernement ! – arrive aux responsabilités pour qu’elles soient balayées. C’est pourquoi je plaide une dernière fois pour le renvoi du texte en commission, de sorte que nous puissions apprécier sa pertinence de manière plus rigoureuse, l’ensemble des partenaires intéressés ayant été entendus (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Alain Venot, rapporteur de la commission des affaires économiques – Aucune des raisons avancées par M. Dosé ne me semble justifier un renvoi du texte devant la commission. Celle-ci a fait son travail avec toute la précision et la rigueur requises, dans un esprit de grande sérénité. En tant que rapporteur, j’ai – comme il est d’usage – auditionné tous ceux qui devaient l’être, des représentants de l’ANCLI à ceux de « Sortir du Nucléaire », des exploitants à Greenpeace ou aux syndicats de travailleurs du nucléaire. Tous les amendements – dont plusieurs émanant du groupe socialiste – ont été examinés dans des conditions normales et nombre d’entre eux ont été adoptés en commission. Au final, je considère que rien ne justifie cette motion.

M. le Président – Dans les explications de vote, la parole est à M. Brottes.

M. François Brottes - Contrairement à notre rapporteur, je considère que le renvoi en commission se justifie d’autant mieux que Mme la ministre a fait part de l’intention du Gouvernement de renoncer à la procédure d’urgence ! Tout occupés à dénoncer la méthode scandaleuse qui nous était imposée pour traiter d’un texte que l’on attend depuis 70 ans et qui engage l’avenir pour cinquante ans, nous n’avons pas eu le temps de traiter avec toute la rigueur requise les questions de fond, qu’il s’agisse du changement climatique, de la gestion de l’eau ou de la concurrence, au sujet de laquelle Mme la ministre ne m’a pas répondu de façon satisfaisante en renvoyant à la notion – équivoque en ces matières – de « régulateur ». Retrouvons un peu de sérénité pour en traiter, alors que le calendrier de demain de notre commission est fort chargé et que le texte sur les déchets est déjà à l’ordre du jour de nos travaux. Adoptons la motion de renvoi en commission !

M. Jean-Louis Dumont - On nous fait travailler à marche forcée ! (Murmures)

M. Claude Birraux – Je rappelle tout de même que la première tentative de faire aboutir ce texte – que nous devons à Mme Voynet avant que le Conseil d’État ne l’éconduise – remonte à 1999 ! Par la suite, M. Cochet n’a même pas réussi à le faire inscrire à l’ordre du jour de nos travaux par le gouvernement de Lionel Jospin ! La démarche est donc restée en souffrance pendant trop longtemps et il est vrai que les nombreux juristes qui peuplent nos bancs ne sont jamais très pressés de légiférer sur de tels sujets ! Aussi devons-nous nous féliciter que ce projet de loi vienne enfin en discussion et ne pas en différer l’examen.

Dans les arguments de François Dosé, certains ayant trait aux missions de l’autorité indépendante méritaient toute notre attention, mais je crois que les amendements de notre rapporteur permettront de lever les dernières craintes. Ainsi, il ne saurait y avoir de confusion entre ce qui relève du Gouvernement et ce qui relève de la Haute autorité. Quant à la séparation de l’IRSN et du CEA, elle est effective mais une convention liera les deux organismes s’agissant des études de sûreté, car il ne peut y avoir de séparation entre l’autorité de sûreté et une expertise scientifique : l’autorité a besoin de l’apport de la recherche.

Nous donnons une base juridique incontestable aux commissions locales d’information alors que tout reposait jusqu’ici sur une circulaire. Entre un texte de loi et une circulaire, qu’est-ce qui est préférable ?

Concernant les compétences des salariés, un amendement du rapporteur prévoit la consultation des CHSCT.

L’effet de serre, le changement climatique et la gestion de l’eau sont certes des problèmes essentiels mais nous devons d’abord organiser la transparence et la sûreté dans le domaine du nucléaire.

Plutôt que de chercher un motif pour ne pas débattre, nous devons tous rendre hommage au Gouvernement pour avoir présenté un tel texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Daniel Paul – Je rends hommage à M. Dosé pour la façon dont il s’est exprimé : nous connaissons sa sensibilité à ces questions ainsi que la situation de sa circonscription.

Je reviens sur les deux derniers points qu’il a abordés, et tout d’abord sur la question du départ à la retraite des salariés. Au-delà de la formation initiale et de la qualification des personnels, l’appréhension quotidienne des problèmes est tout à fait spécifique dans le domaine du nucléaire. La tranquillité des salariés est en l’occurrence incompatible avec les règles du marché. Ce sont la transparence et la confiance à l’endroit de notre industrie nucléaire qui sont en jeu.

J’ai également été sensible aux propos concernant l’évolution du climat. Le niveau des fleuves, lors de la canicule de 2003, m’a particulièrement frappé. J’ai vu la Loire et la Garonne et je n’ai pu m’empêcher de penser qu’un jour nos centrales nucléaires devront peut-être être transportées le long de nos côtes.

M. Jean Dionis du Séjour - Et elles ne sont pas sur roulettes ! (Sourires)

M. Daniel Paul – En effet ! Le problème se pose, et nous n’en tenons pas suffisamment compte. J’ajoute qu’une dépêche tombée ce soir fait état d’une augmentation importante des prix du pétrole. Là encore, nous n’appréhendons pas suffisamment une évolution cruciale et nous n’en tirons pas les conséquences qui s’imposent.

Mme la ministre a donc levé l’urgence. Demain, M. Brottes y a fait allusion, notre journée sera chargée : nous tiendrons une réunion au titre de l’article 88, nous entendrons MM. Mestrallet et Sirelli et nous parlerons également de la gestion des déchets nucléaires. Autant de sujets en rapport avec celui qui nous préoccupe. Ne disposant pas d’une réelle sérénité pour poursuivre nos débats, un retour en commission me semble souhaitable.

M. Jean Dionis du Séjour – Au nom du groupe UDF, je salue la remarquable intervention de M. Dosé, et en particulier son honnêteté intellectuelle. Il a dit que la gauche « esquissa souvent et esquiva parfois », ce qui est également vrai de la droite en matière de transparence dans le domaine nucléaire. Je salue également le courage des élus de la Meuse, d’autant que je connais déjà les difficultés qui se posent lorsqu’il y a une centrale nucléaire dans une circonscription.

J’ai été sensible aux questions posées en ce qui concerne l’autorité indépendante et le lien de notre débat avec la gestion de l’eau et les problèmes climatiques. Ce sont-là des sujets majeurs qui devront être au cœur de notre discussion. Néanmoins, la logique de M. Brottes ne m’a pas convaincu : puisque l’urgence est levée, il faut revenir en commission, dit-il…

M. François Brottes - Oui, avec un état d’esprit différent.

M. Jean Dionis du Séjour – Mais c’est précisément parce que l’urgence est levée que nous devons débattre, puisque nous retournerons en commission dans le cadre de la navette ! Commençons donc à travailler ! Nous ne voterons pas la motion de renvoi en commission.

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, mercredi 29 mars, à 15 heures.
La séance est levée à 0 heure 10.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Catherine MANCY

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Ordre du jour
du mErCREdi 29 MARS 2006

QUINZE HEURES : 1RE SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Suite de la discussion du projet de loi (n° 2943), adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire.

Rapport (n° 2976) de M. Alain VENOT, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 2E SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l’ordre du jour de la première séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.
Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.
www.assemblee-nationale.fr

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