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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

1ère séance du mercredi 3 mai 2006

Séance de 15 heures
87ème jour de séance, 204ème séance

Présidence de M. Jean-Louis Debré

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La séance est ouverte à quinze heures.

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souhaits de bienvenue à une délégation étrangère

M. le Président - Je suis heureux de souhaiter en votre nom la bienvenue à une délégation du Parlement norvégien, conduite par son président, M. Thorbjørn Jagland (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent). Monsieur le Président et chers collègues députés, soyez les bienvenus à l'Assemblée nationale.

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questions au gouvernement

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

M. le Président - Comme tous les premiers mercredi de chaque mois, les quatre premières questions doivent porter sur un sujet européen (Sourires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jean-Marie Le Guen - Où est le Premier ministre ?

contribution sur les institutions européennes

M. Yves Bur – La France a récemment transmis à ses partenaires européens une contribution comportant des propositions pour améliorer les institutions, à partir des traités existants. La presse s’est faite l’écho de ces propositions, formulées pendant la période de réflexion décidée par les chefs d’État et de Gouvernement en juin 2005, après l’échec des référendums français et néerlandais, et en vue du prochain conseil européen sur l’avenir de l’Union.

Madame la ministre déléguée aux affaires européennes, ces propositions auront-elles une incidence sur l’avenir du traité constitutionnel ? Cette question se pose avec acuité, car un an après le non au référendum, et en l’absence d’un plan B – promis avec aplomb par les adversaires de l’Union – l’Europe fait du surplace et risque la paralysie. Pouvez-vous préciser les grands axes de la contribution française ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes - Depuis le mois de juin, le Gouvernement a donné la priorité à l’Europe des projets, tendant à une Europe plus efficace et plus concrète, répondant mieux aux préoccupations des citoyens concernant la croissance, l’emploi et la sécurité, favorisant les investissements dans la recherche et l’éducation ainsi que dans le domaine de l’énergie.

Le conseil européen de juin 2005 a décidé d’ouvrir une période de réflexion sur les institutions et sur l’avenir de l’Europe, dont il doit tirer les enseignements au mois de juin prochain. Notre pays a donc élaboré des propositions, dans le cadre des traités actuels, sous la forme d’une contribution à la réflexion commune. Comme le chef de l’État l’a souhaité, celle-ci a été transmise à nos partenaires la semaine dernière.

Il est possible et nécessaire de sortir du statu quo institutionnel, sans préjudice de l’avenir du traité constitutionnel.

M. Jean-Pierre Brard - Il est mort !

Mme la Ministre déléguée - Il n’est pas interdit d’améliorer ce qui existe ; cela est même fortement recommandé : l’Europe doit fonctionner de manière plus efficace et plus démocratique.

Nous nous sommes concentrés sur quelques propositions correspondant aux attentes de nos concitoyens : renforcer le rôle des parlements nationaux et celui du Parlement européen, notamment dans le cadre de la coopération judiciaire pénale ; utiliser la majorité qualifiée là où c’est possible, comme dans le domaine de la lutte contre le terrorisme ou pour renforcer la dimension sociale européenne ; mieux coordonner l’action extérieure de l’Union européenne, qu’il s’agisse de sa conduite ou de la représentation de l’Union ; améliorer la coordination des politiques économiques européennes.

Ces propositions, que j’ai présentées à la présidence autrichienne, ont été transmises à nos partenaires, au Parlement européen et à la Commission, où elles ont été accueillies favorablement par le Président Barroso. Comme vous le voyez, sur l’Europe, la France a l’initiative (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

affaire clearstream

M. le Président – La parole est à M. Hollande (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Hollande - Monsieur le Premier ministre, notre pays vit au rythme de l’affaire Clearstream (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Les révélations d’aujourd’hui viennent contredire vos déclarations d’hier. Cela est grave. Vous devez remplir un devoir de vérité devant la justice – le moment venu – et devant le Parlement, aujourd’hui.

Pourquoi cette utilisation des services de l’État ? Pour quels motifs et à quelles fins ? Sous quelle autorité ? Vous devez répondre dès maintenant à ces questions (Vives protestations et claquements de pupitres sur les bancs du groupe UMP).

Vous avez aussi un devoir de clarté : un Gouvernement comme le vôtre peut-il poursuivre sereinement son travail, quand la suspicion s’est installée en son sein – que dis-je, en son sommet ? Cette situation ne peut pas durer. Vous rendez-vous compte de ce qu’est aujourd’hui le crédit de l’État ? Mesurez-vous le trouble qui s’est emparé d’une grande majorité de nos concitoyens ?

M. Bernard Deflesselles - Ce n’est pas l’Europe ! Hors sujet !

M. François Hollande – Avez-vous conscience de l’image dégradée de la France ? Au nom des institutions, je vous demande de prendre ces éléments en considération.

Monsieur le Premier ministre, nul ne conteste votre expérience, qui est grande, notamment en matière de rouages de l’État – y compris des plus obscurs (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et protestations sur les bancs du groupe UMP). Mais la seule expérience qui vous manque est celle du suffrage universel (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) !

Elle vous serait précieuse, aujourd’hui, pour comprendre ce qu’attendent les Français – la clarté – et pour mesurer le désarroi du pays. Prenez vos responsabilités, tirez les conséquences (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) !

M. Dominique de Villepin, Premier ministre - Monsieur Hollande, je suis triste de répondre à un responsable politique…

M. Jean-Michel Ferrand - Irresponsable !

M. le Premier ministre - … qui s’érige aujourd’hui en procureur. C’est vous qui vivez au rythme des affaires (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) ! Mais il vous manque l’exigence et la prudence.

M. Augustin Bonrepaux - Et la vérité !

M. le Premier ministre – Je suis un homme comme les autres. Je suis l’objet d’attaques incessantes, calomnieuses et injustes. Oui, j’en suis blessé.

A quelques mois des présidentielles, au moment où nous enregistrons les meilleurs résultats (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) que la France ait jamais obtenus sur les fronts du chômage (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) et de la croissance (Mêmes mouvements), voilà que la politique retrouve ses vieux démons : les procès d’intentions, les jugements hâtifs (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), les approximations et – faut-il le dire ici – le lynchage (Protestations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP). Tout cela n’aurait pas d’importance s’il ne s’agissait que de moi ; mais il s’agit de notre démocratie.

M. Henri Emmanuelli - Oui, justement ! Parlons-en !

M. Dominique de Villepin, Premier ministre - Et dans une démocratie moderne, ce n’est pas la rumeur qui fait la vérité, c’est la justice (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP). Il s’agit de la politique ; et en politique, nous n’avons pas seulement besoin de volonté : nous avons besoin de courage (« De vérité ! » sur les bancs du groupe socialiste), nous avons besoin de résultats (« De vérité ! » sur les bancs du groupe socialiste). Pensez-vous qu’il est digne, Monsieur Hollande, comme le font certains représentants de votre parti, de réagir au fil d’un feuilleton de presse ? (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Croyez-moi, nul plus que moi ne veut la vérité, nul plus que moi ne veut la justice. La vérité, c’est ce qu’attendent et méritent nos compatriotes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

lutte contre le blanchiment

M. Michel Hunault – Je ne m’aventurerai pas sur le terrain de la polémique : elle affaiblit nos institutions et la République toute entière. Je vous interrogerai donc, Monsieur le ministre de l’Economie et des finances, sur la lutte contre le blanchiment de l’argent sale (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste). Il y a dix ans, jour pour jour, était votée dans cette Assemblée la loi incriminant le blanchiment de l’argent du crime organisé : c’était le début d’un vaste mouvement législatif, qui devait se poursuivre, quelques années plus tard, par l’interdiction des commissions dans les marchés internationaux. Le défi du financement du terrorisme renforce aujourd’hui la nécessité de cette lutte.

Quand le Gouvernement entend-il transposer la troisième directive de l’Union européenne relative à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, adoptée en octobre dernier, et ratifier la convention du Conseil de l’Europe sur le même sujet ? Comment associera-t-il le Parlement au suivi de cette question ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l’industrie En matière de lutte contre le blanchiment, le financement du terrorisme et la corruption, la France est exemplaire (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Ce sont les institutions internationales qui nous le disent ! Le Fonds monétaire international, avec le récent rapport du GAFI, chargé de définir les normes applicables contre le blanchiment et le financement du terrorisme, rapport que je vous invite à consulter sur internet. Les pays du G7 : la France a été le premier d’entre eux à ratifier la convention sur ces questions, le 11 juillet dernier, suivie par la Grande-Bretagne. J’ai invité les autres pays du G7, lors de la réunion qui s’est tenue à Washington il y a quinze jours, à nous rejoindre. L’OCDE enfin, qui a estimé, au terme d’un audit scrupuleux, que la France était exemplaire en ce domaine. Nous ne devons cependant pas en rester là. Nous avons jusqu’au 15 décembre 2007 pour transposer la troisième directive de l’Union européenne.

M. Jean-Pierre Brard - Faites-le avant : vous ne serez plus là !

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l’industrie A cet effet, le Gouvernement nommera une personnalité qualifiée qui procèdera à une consultation auprès des professionnels et des parlementaires. Nous lui demanderons de renforcer notre dispositif, tout en veillant à ce que les droits fondamentaux soient respectés. Je rappelle enfin que mon ministère mène un travail digne d’éloges, via TRACFIN, que j’ai décidé de doter de trente postes supplémentaires cette année (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

suspension de l’aide financière à l’autorité palestinienne

Mme Jacqueline Fraysse – Loin du marécage politicien, je voudrais, Monsieur le Premier ministre, évoquer la situation en Palestine. Le Conseil des ministres de l'Union européenne a confirmé la suspension de l'aide financière à l'Autorité palestinienne. Cette décision unilatérale intervient après l'annonce du gel des aides américaines, et l’arrêt des transferts mensuels des taxes, dont Israël assure la collecte pour l'Autorité palestinienne. Elle est d’abord incohérente : comment appeler à la démocratie au Proche-Orient et refuser de reconnaître les choix des populations non conformes aux souhaits de l'Union ? Elle est, de surcroît, inique : l'Europe veut faire pression sur le Hamas, organisation terroriste coupable de ne pas reconnaître l'existence d'Israël, soit ; mais elle ne met pas la même détermination à obtenir de l'Etat hébreu l'application des résolutions de l’ONU et de la Feuille de route : retrait des territoires occupés , arrêt de la colonisation et démantèlement du mur d'annexion. Enfin, elle est humainement dramatique. La situation financière de l’Autorité palestinienne est proche de la banqueroute : économie bloquée, fonctionnaires non payés, taux de chômage de 70%, avec une population dont les deux tiers vivent avec moins de deux dollars par jour. Ce blocus économique n'affaiblira pas le Hamas, mais il sanctionnera le peuple palestinien et affaiblira la position des laïcs et des modérés au profit des extrémistes et de l’influence iranienne. Mahmoud Abbas propose que l’aide européenne passe par la présidence de l'Autorité palestinienne, et non par le Hamas. Comment la France entend-elle plaider le maintien de l'aide aux Palestiniens et promouvoir cette proposition en Europe ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jacques Floch - Très bien !

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères - (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Les élections législatives palestiniennes se sont soldées par une large victoire du Hamas et la mise en place d’un gouvernement dominé par ce mouvement. Ce dernier, je le rappelle, figure sur la liste des mouvements terroristes établie par l’Union européenne. La France et l’ensemble de la communauté internationale ont demandé à cette organisation de renoncer expressément et publiquement à toute violence et de reconnaître l’État d’Israël ainsi que les accords passés entre l’OLP et Israël, en particulier les accords d’Oslo.

Dans ce contexte, il faut d’une part renforcer la légitimité du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, d’autre part, j’en suis d’accord avec vous, aider la population palestinienne qui souffre cruellement de ce que les fonctionnaires n’ont pas été payés depuis deux mois alors qu’elle aurait le plus grand besoin d’eux – je pense à ceux des hôpitaux, des établissements d’enseignement, des services de la justice, notamment les magistrats anti-corruption.

Le Président de la République a proposé à Mahmoud Abbas lors de sa récente visite à Paris que soit mis en place en place un fonds fiduciaire entre la Banque mondiale et l’Autorité palestinienne afin de payer les fonctionnaires. C’est la seule solution pour qu’en sus du chaos économique et social que connaissent actuellement les territoires palestiniens, ne soit aussi mise en péril la sécurité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

politique du logement

M. Jean-Marie Binetruy - Face à la profonde crise du logement que traverse notre pays depuis de nombreuses années, ce gouvernement a décidé d’agir avec détermination. Il a engagé d’importants moyens et pris toute une panoplie de mesures pour accroître l’offre locative, relancer la construction, développer l’accession à la propriété, en particulier l’accession sociale, et réhabiliter les quartiers. Le plan de cohésion sociale comportait des mesures fortes pour résorber la pénurie de logements, fixant notamment un objectif de construction de 500 000 logements en cinq ans.

M. le Président – Posez une question, je vous prie.

M. Jean-Marie Binetruy - Les derniers chiffres publiés attestent que plus de 420 000 logements ont été mis en chantier ces douze derniers mois, soit 12% de plus que durant les douze mois précédents.

Madame la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité, pouvez-vous confirmer ces progrès et nous dire comment vous entendez soutenir la dynamique enclenchée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) 

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité - Je vous prie d’excuser l’absence de Jean-Louis Borloo, retenu en ce moment même au Sénat par l’examen en deuxième lecture du texte portant engagement national pour le logement.

Vous l’avez dit, le nombre de mises en chantier sur les douze derniers mois a progressé de 12 % pour atteindre 420 000 (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). De même, il y a eu 533 000 permis de construire déposés, soit une hausse de 13 % (Mêmes mouvements). Ce sont là, eh oui, Monsieur Le Bouillonnec, des résultats jamais atteints en matière de logement dans notre pays (M. Le Bouillonnec s’exclame). Ces résultats ont été rendus possibles par les deux lois de programmation de rénovation urbaine et de cohésion sociale que Jean-Louis Borloo a fait adopter.

Je comprends que l’on s’époumone sur certains bancs quand on construit aujourd’hui 80 000 logements sociaux alors que les constructions ne dépassaient pas 39 000 en 2000 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; interruptions sur les bancs du groupe socialiste). De même, le nouveau prêt d’accession sociale à la propriété profite désormais à 200 000 familles chaque année quand le nombre de bénéficiaires plafonnait auparavant à peine à 80 000. Voilà les résultats concrets que nos concitoyens attendaient et dont ils peuvent chaque jour juger (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

rÉforme des tutelles et des curatelles

M. Jean-Michel Dubernard - Monsieur le Garde des sceaux, je souhaiterais vous redire l’impérieuse nécessité d’une réforme des tutelles et des curatelles (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et quelques bancs du groupe socialiste). Quelque 700 000 personnes sont aujourd’hui placées sous protection juridique, et elles devraient être un million en 2010, quand elles n’étaient que 350 000 il y a dix ans. De nombreux rapports ont mis en évidence les dysfonctionnements du système actuel et souligné l’urgence de l’adapter. Combien de personnes continuent-elles de relever d’une mesure de protection alors que plus rien ne le justifie ? Combien d’entre elles n’auraient besoin que d’un simple accompagnement social ? L’actuel président de la commission des lois, – mais aussi son prédécesseur, n’est-ce pas, Monsieur le ministre ? –, s’en sont préoccupés, tout comme le médiateur de la République qui est intervenu à plusieurs reprises de manière solennelle à ce sujet. Ils vous ont saisi, ainsi que votre collègue Philippe Bas, chargé des personnes âgées, des personnes handicapées et de la famille. Lors d’une audition récente, vous nous avez dit tout l’intérêt que vous portiez à cette réforme, très attendue des personnes concernées, des familles et des professionnels et qui bénéficierait aux plus fragiles de nos concitoyens. Or, il est de l’honneur du politique que de se préoccuper du sort des plus fragiles. Aussi, Monsieur le Garde des sceaux, pouvez-vous nous dire quelles sont vos intentions en ce domaine et quel pourrait être le calendrier de votre action ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et quelques bancs du groupe socialiste)

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice  Cette question ne me surprend pas venant du président de la commission des affaires sociales de l’Assemblée. Mon collègue Philippe Bas et moi-même sommes déterminés à mener à bien cette réforme indispensable. Les personnes placées sous protection juridique, déjà plus de 600 000 aujourd’hui, devraient en effet être un million en 2010. Malgré tout leur dévouement, les tuteurs et les curateurs ne peuvent plus faire face. Avant le 30 juin, je l’espère, nous déposerons au Conseil d’État un projet de loi répartissant de manière différente les pouvoirs des conseils généraux et de l’institution judiciaire, réservant la tutelle d’un juge aux personnes qui en ont le plus besoin. Nous sommes en train de finaliser les dispositions, notamment financières et celles concernant la formation des travailleurs sociaux qu’exigera sa mise en œuvre. Dès que toutes ces étapes auront été franchies, ce texte, essentiel pour la solidarité nationale, vous sera soumis (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Affaire clearstream

M. Philippe Martin - Voilà soixante-dix ans jour pour jour que triomphait le Front populaire et, avec lui, le peuple souverain (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et quelques bancs du groupe communistes et républicains). Songeant à l’état d’impuissance auquel se trouve réduit votre Gouvernement, Monsieur le Premier ministre, je ne puis résister à citer cette phrase de Léon Blum : « Toute classe dirigeante qui ne peut maintenir sa cohésion qu’à la condition de ne pas agir est condamnée à disparaître de l’Histoire. »

Monsieur le Premier ministre, hier, lorsque vous n’avez pas répondu aux questions précises et légitimes de M. Hollande et de M. Caresche, on en venait à se dire que s’il est une expérience qui vous fait défaut, ce n’est pas d’être nommé pour vous occuper de l’État avec, semble-t-il, une prédilection pour ses aspects les plus glauques, mais d’avoir été élu pour servir les Français.

Aujourd’hui encore, en dépit des évidences et des révélations (Protestations sur les bancs du groupe UMP) vous vous accrochez à une ligne de défense émouvante sur le plan humain, mais pathétique sur le plan politique.

Ma question sera brève ; vous pouvez y répondre d’un seul mot. Le général Rondot rapporte sous serment que le 9 janvier 2004, dans votre bureau, vous avez évoqué les noms de trois personnes, Nicolas Sarkozy, Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius. Oui ou non, avez-vous cité ces trois noms ce jour-là ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président – La parole est à M. Copé (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste). Écoutez la réponse avant de crier !

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l’Etat - Votre ton était très polémique, je le regrette (Cris et brouhaha sur les bancs du groupe socialiste). Je vous répondrai de façon plus apaisée.

Dans des situations difficiles comme celle que nous traversons (Mêmes mouvements), il y a d’un côté les faits, sur lesquels c’est à la justice de faire toute la lumière, et de l’autre la polémique, la rumeur, et aussi le double langage. Il y a quelques années, lorsqu’un de vos collègues avait été mis en cause puis relaxé, M. Hollande avait dit dans une interview à l’Humanité

M. Augustin Bonrepaux - Il ne veut pas répondre !

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l’Etat - …que les « affaires » doivent rester du domaine de la justice. M. Hollande était sage. M. Ayrault avait dit ensuite, aux journées parlementaires du parti socialiste en 1999, …

M. Christian Bataille – Cela n’a rien à voir !

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l’Etat - …à une époque où, à cause des affaires, les opposants que nous étions étaient sans doute très offensifs, que les socialistes n’ont jamais voulu faire de l’exploitation des affaires un élément de débat politique. Il ajoutait : nous voulons être jugés seulement sur nos idées, nos actes, nos projets. Mesdames et Messieurs, au travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Pierre Balligand - Si ce n’est pas de la langue de bois !

Commerce équitable

M. Antoine Herth – Il y a un an je remettais au Premier ministre un rapport dans lequel je formulais quarante propositions pour soutenir le commerce équitable. Les Français sont très mobilisés en faveur de cet acte solidaire qui porte sur la consommation du café, du cacao, mais aussi du coton, ou de produits artisanaux. Par ce geste, ils permettent aux petits producteurs des pays en développement de se doter d’infrastructures scolaires et sanitaires. A l’heure où nous nous interrogeons sur la régulation des flux migratoires, la France s’honore d’être l’un des pays de l’Union européenne les plus engagés dans l’aide aux pays du Sud.

Monsieur le ministre du commerce, en juin 2005 vous avez introduit dans la loi sur les PME ce concept de commerce équitable. Vous avez également fait adopter à l’unanimité une proposition visant à créer une commission nationale du commerce équitable pour assurer la transparence dans ce domaine. Alors que se déroule depuis le 29 avril la sixième quinzaine du commerce équitable, pouvez-vous indiquer comment vous voulez poursuivre ce travail ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Renaud Dutreil, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales – Le Gouvernement apporte tout son soutien au commerce équitable, qui est juste et généreux, et les mesures que nous avons prises s’inspirent très largement de votre rapport au Premier ministre. Dans le cadre du commerce équitable, les producteurs des pays en développement s’engagent, en contrepartie d’une juste rémunération de leur travail, à lutter contre les discriminations, notamment entre les hommes et les femmes, contre le travail des enfants, les conditions dégradantes pour la santé, les atteintes à la liberté syndicale. Actuellement, ce commerce représente 0,01 % des échanges mondiaux et 0,1 % entre l’Europe et les pays du Sud. C’est encore peu, mais c’est déjà 250 millions en France et surtout, une véritable dynamique : en 2005, dans notre pays, le commerce équitable a crû de 50 %.

Pour garantir que les produits proviennent bien du commerce équitable, la loi du 2 août 2005 ainsi que le décret que j’ai présenté en Conseil des ministres ce matin apporteront une totale sécurité aux consommateurs, aux commerçants et aux producteurs. J’invite l’ensemble des parlementaires à s’associer à la quinzaine du commerce équitable qui se déroule en ce moment (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

Apprentissage

Mme Irène Tharin – L’emploi des jeunes est une des priorités du Gouvernement et de la majorité. L’apprentissage, hier trop négligé, est une voie importante de l’insertion professionnelle. D’ailleurs, 50% des chefs d’entreprise de l’artisanat en sont issus. Il permet de former à des emplois stables et valorisants une partie des 120 000 jeunes qui sortent du système éducatif sans diplôme.

La loi de cohésion sociale et la loi pour l’égalité des chances se fixent pour objectif de développer cette filière. En 2005, avec 255 000 entrées, le nombre d’étudiants en formation a atteint 380 000. Le contrat de professionnalisation enregistre aussi d’excellents résultats, avec une augmentation de 27 % depuis le début de 2006.

Dans le rapport que j’ai remis au Premier ministre en septembre 2005, je demandais que l’on propose systématiquement un contrat de cette nature à tout jeune quittant l’enseignement en cours de formation. Est-il prévu de le faire dès la rentrée prochaine, pour accentuer une tendance déjà positive ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes Aujourd’hui, 382 000 jeunes sont en apprentissage, soit 10% de plus qu’à la rentrée 2004. Plus de 80 % des apprentis trouvent un emploi dans les trois mois, 90% dans les six mois. L’État et les régions se mobilisent en leur faveur grâce à 23 contrats d’objectifs et de moyens dotés de 186 millions au budget 2006. Pour la première fois, les fiches d’orientation en troisième offrent le choix du statut d’apprenti. Comme l’a voulu M. de Robien, la présentation de ce statut au cours de l’orientation constitue l’un des éléments-clef de la loi sur l’école.

En Allemagne, où le taux de chômage des jeunes est inférieur au nôtre, il y a 1,6 million d’apprentis. Nous fixons à 500 000 l’objectif à atteindre avant 2009.

Dès cette année, comme l’a souhaité le Premier ministre, un contrat de professionnalisation est offert à tous les jeunes qui quittent le parcours scolaire – le dispositif sera en place dès le 1er juin. D’autre part, en bloquant 1% des effectifs dans les grandes entreprises, nous ouvrons 40 000 postes. Ensuite, l’alternance est développée à l’Université – et sera même doublée au cours des trois prochaines années. Enfin, l’apprentissage junior ouvre une nouvelle grande filière de formation pour les jeunes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et quelques bancs du groupe UDF).

affaire clearstream

M. le Président – La parole est à M. Montebourg (« Robespierre ! Danton ! » sur certains bancs de l’UMP).

M. Arnaud Montebourg - Vous avez hier, Monsieur le Premier ministre, répondu aux questions de l’opposition que l’affaire Clearstream était un « pétard mouillé » et que vous étiez la victime d’une prétendue campagne de calomnie. Un grand quotidien national vient pourtant de publier, il y a deux heures (Protestations sur les bancs du groupe UMP), le témoignage intégral d’une personnalité irréprochable : votre ami le général Rondot, s’exprimant sous serment devant l’autorité judiciaire. La preuve y est faite…

M. Georges Tron - Pas du tout !

M. Arnaud Montebourg - …que vous avez ordonné d’enquêter sur de nombreux hommes politiques de droite comme de gauche, en dehors de vos compétences et de telle sorte que vous circonveniez vos rivaux et vos opposants. A la merci de vos pratiques de cabinet noir, la France est désormais l’otage de batailles occultes qui ravagent le sommet de l’État. Jugez plutôt : le numéro deux du Gouvernement porte plainte en justice contre vous, qui en êtes le chef…

Plusieurs députés UMP - Non ! C’est faux ! Quel scandale !

M. Arnaud Montebourg - … provoquant ainsi une perquisition dans les bureaux du numéro trois ! C’est une gravissime affaire d’État. De tels dysfonctionnements politiques appellent une sanction politique. Nous le savons désormais : hier, vous avez menti à la représentation nationale, et vous avez menti aux Français ! Quand prendrez-vous enfin vos responsabilités en remettant au Président de la République votre lettre de démission ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, huées sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président – La parole est à M. le Garde des Sceaux (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Garde des Sceaux  Nous serions surpris que le député de Saône-et-Loire, bien connu de cet hémicycle, ne fasse pas son miel de quelque affaire que ce soit. Vous êtes un ancien avocat (« Très ancien ! » sur certains bancs de l’UMP), mais je constate avec étonnement combien vous oubliez les principes élémentaires du code de procédure pénale. Vous semblez vous réjouir (« C’est un politicien ! » sur certains bancs de l’UMP) de voir le secret de l’instruction livré aux lecteurs de journaux sans qu’il le soit au Garde des Sceaux lui-même : c’est en effet dans Le Monde que j’ai découvert ce que la justice reproche au Premier ministre !

Vous ne pouvez fonder aucune construction sur des articles de presse qui n’ont rien à voir avec l’enquête judiciaire. L’Assemblée tout entière doit distinguer entre le politicien et la justice !

La calomnie est certes chose facile. Pourtant, vous devriez le savoir, Monsieur Montebourg : le temps de la justice n’est pas le temps de la politique. Vous faites de la politique : laissez à la justice le temps de dire la vérité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

intégration des immigrants

M. Roger Boullonnois – Lors de la réunion du comité interministériel de l’intégration, le 24 avril dernier, une politique d’action volontariste a été décidée pour améliorer l’accueil et l’intégration des étrangers dans notre pays, et les droits et les devoirs des nouveaux arrivants ont été réaffirmés – notamment la maîtrise de la langue française, moteur de l’intégration. La cérémonie d’entrée des nouveaux Français dans la communauté nationale sera généralisée. Les étrangers extracommunautaires bénéficieront du droit de vote aux élections des chambres des métiers et de l’artisanat dont ils sont adhérents.

Plus important encore : la création du diplôme initial de la langue française et du contrat d’accueil et d’intégration sont créés. Quelles en sont les modalités et le calendrier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité - Vous avez raison : sous la présidence du Premier ministre, le comité interministériel de l’intégration, en sommeil depuis 1990, s’est réuni pour la troisième fois depuis le discours fondateur du Président de la République en octobre 2002. C’est dire combien notre Gouvernement est mobilisé !

Le contrat d’accueil et d’intégration, désormais généralisé à l’ensemble du territoire, met fin à une situation d’indifférence. En y souscrivant, tout primo-arrivant s’engage à connaître et respecter les valeurs de notre République et à en apprendre la langue. Le diplôme initial de langue française permettra de vérifier les capacités d’expression de ces immigrants. En effet, on ne peut s’intégrer durablement dans un pays dont on ignore la langue. Cela vaut surtout pour les femmes : certaines vivent, depuis vingt-cinq ans, une vie difficile dans nos quartiers parce qu’elles ne parlent pas français. Le Gouvernement financera ces mesures à hauteur de 60 millions d’euros pour leur offrir enfin un véritable parcours.

Quant au calendrier, vous allez débattre, dès la fin de cette séance de questions, du texte de loi sur l’immigration présenté par M. Sarkozy, et notamment de ses articles 4 et 5 où figurent ces dispositions.

Enfin, la cérémonie officielle de remise du décret de nationalité souligne combien devenir Français n’est pas un simple acte administratif : le Gouvernement a ainsi souhaité donner à cette démarche toute son importance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

aide sociale à l’enfance

M. Jean-Yves Hugon - Chaque année, les centres communaux d’action sociale aident plus de 270 000 enfants. C’est dire s’il est urgent d’agir. Vous avez donc envisagé, Monsieur le ministre délégué à la famille, une réforme de la protection de l’enfance dont les axes principaux sont la prévention ainsi que l’épanouissement « affectif, psychique et intellectuel de chaque enfant ». Vous avez ce matin présenté votre projet en conseil des ministres. Pouvez-vous en détailler les mesures essentielles et en préciser le calendrier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la familleJ’ai une bonne nouvelle : le conseil des ministres a adopté ce matin la réforme de la protection de l’enfance que j’ai eu l’honneur de présenter. Il s’agit d’une réforme nécessaire – les enfants en situation de danger sont de plus en plus nombreux –, ambitieuse – des centaines de milliers d’enfants sont d’ores et déjà concernés – et qui a fait l’objet d’une intense concertation – l'Assemblée nationale a d’ailleurs ouvert la voie avec les travaux de la mission pour la famille menés par Mme Pecresse et M. Bloche. Cette réforme doit être consensuelle car la protection de l’enfance constitue une question de société essentielle.

Premier volet de ce projet : renforcer la prévention en détectant le plus tôt possible les difficultés au sein des familles. Il n’est pas normal que sur cinq milliards consacrés chaque année à la protection de l’enfance, seulement 4 % soient affectés à la prévention. Deuxième volet : le signalement. Il est anormal que tant d’enfants souffrent en silence pendant des années sans que personne n’intervienne. Il est anormal, alors que certaines difficultés pourraient être résolues dans le cadre d’une coopération avec les parents, que la justice soit immédiatement saisie. Les départements pourront donc mettre en place une cellule de signalement (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Augustin Bonrepaux - On ne vous a pas attendus !

M. le Ministre délégué – … et organiser le partage de l’information entre professionnels soumis au secret professionnel. Troisième volet : la diversification des modes d’action. Il est anormal que seuls deux cas de figure radicaux soient aujourd’hui envisagés : le maintien à la maison – avec peut-être des risques pour l’enfant – ou le placement en établissement – avec les traumatismes que cela comporte.

Le Président de la République a demandé ce matin que cette réforme puisse être adoptée avant la fin de l’année. Le Parlement en est maintenant saisi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La séance, suspendue à 15 heures 55, est reprise à 16 heures 15, sous la présidence de Mme Mignon.
PRÉSIDENCE de Mme Hélène MIGNON
vice-présidente

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immigration et intégration (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration.

Mme la Présidente - Hier, l’Assemblée a commencé à entendre les orateurs inscrits. La parole est à Julien Dray.

M. Bernard Roman - Il arrive, Madame la présidente. Il s’entretient avec le ministre, à l’entrée de l’hémicycle.

M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois – Mais le ministre est là !

Mme la Présidente - Quel ministre, Monsieur Roman ?

M. Bernard Roman – Celui qui nous soumet ce texte !

Mme la Présidente - Je vais accorder quelques minutes à M. Dray (Protestations sur les bancs du groupe UMP et sur le banc du Gouvernement).

La séance, suspendue à 16 h 17, est reprise à 16 h 20.

M. Bernard Roman - Je voudrais faire un rappel au Règlement. Le ministre de l’intérieur a présenté ce texte à la commission des lois comme le plus important en matière d’immigration depuis des décennies. Nous n’y voyons qu’une loi d’affichage, et les faits nous donnent raison : le ministre n’a trouvé le temps que de la présenter à la tribune avant d’aller vaquer à d’autres occupations, toutes plus importantes que ce texte capital ! Nous découvrons aujourd’hui que le ministre n’est toujours pas là. Je demande que nos travaux soient suspendus jusqu’à ce que le ministre de l’intérieur daigne venir débattre avec la représentation nationale de ce texte qu’il considère comme primordial.

Mme la Présidente - Monsieur Roman, votre remarque sera inscrite au Journal officiel mais le ministre est présent et nous pouvons commencer nos travaux.

M. Bernard Roman – Je demande une suspension de séance pour donner le temps au ministre de l’intérieur de nous rejoindre.

Mme la Présidente - Elle est de droit.

La séance, suspendue à 16 h 22, est reprise à 16 h 30.

M. Julien Dray - Je voudrais prendre notre assemblée à témoin : nous examinons un texte jugé essentiel par ce Gouvernement, présenté par celui qui s’est lui-même défini comme le numéro deux de ce gouvernement. Or, après l’avoir défendu sur les plateaux de télévision, voici que ce n° 2 s’abstient de venir débattre avec la représentation nationale.

Mme Marylise Lebranchu - C’est grave !

M. Julien Dray – Mais peut-être sommes-nous face à un gouvernement quasi virtuel, pris dans une tourmente dont il ne sait plus comment sortir… Quoi qu’il en soit, nous demandons au ministre d’État, ministre de l’intérieur de venir nous consacrer quelques minutes, afin de répondre aux questions que nous sommes dans l’obligation de lui poser.

Depuis quinze ans, les textes destinés à juguler l'immigration clandestine ne cessent de s'accumuler. Gouvernement après gouvernement – ma famille politique assume sa part de responsabilité dans ce diagnostic –, notre législation ne cesse de se durcir, sans que l'immigration irrégulière se tarisse : les sans-papiers sont toujours plus nombreux, leur ghettoïsation toujours plus grande, et les tensions sociales toujours plus importantes.

Les barrières érigées par les gouvernements successifs ont toutes été contournées. C’est la grande leçon de ces quinze dernières années, que vous ne pouvez ignorer. Le ministre de l’intérieur est lui-même aux premières loges pour constater que l'immigration clandestine a continué de progresser après l'entrée en vigueur de la loi de 2003. Quel constat d'échec !

Et quel aveu d'échec que de déclarer nécessaire un nouveau dispositif, moins de trois ans après une première loi, vendue comme l'arme absolue d'une politique d'immigration raisonnée et « pérenne ». Le plus prosélyte des journalistes, le plus converti des citoyens de ce pays ne peuvent que constater les faits. Et ils sont têtus.

J'admets la nécessité de remettre à plat tout le système, nous sommes d’ailleurs un certain nombre de parlementaires à avoir dit qu’il aurait fallu le faire plus tôt. Mais notre méthode diffère.

Nos règles administratives floues et complexes constituent une machine à fabriquer de l'immigration irrégulière. Il est d’ailleurs paradoxal que des parlementaires réclament à la tribune de cette assemblée le durcissement des lois, tout en étant les premiers à intervenir auprès des préfets afin d’obtenir la régularisation de telle ou telle personne, pour des raisons humanitaires.

M. Éric Raoult - Nous avons nous aussi du cœur !

M. Julien Dray - Vous pourriez aussi avoir une tête !

M. Christian Vanneste – C’est équilibré !

M. Julien Dray - Beaucoup de migrants restent dans la clandestinité, la précarité, la peur et l'incertitude en espérant trouver une faille, un alinéa dans ces articles de loi qui se superposent, afin de prolonger leur séjour. Votre projet ajoute encore à la confusion en multipliant les complexités administratives.

En durcissant les conditions d'immigration, vous encouragerez l’immigration irrégulière. Ainsi, limiter le droit au regroupement familial pour certaines catégories de migrants est injuste et irresponsable : ces personnes continueront légitimement à vouloir vivre en famille et s'en donneront les moyens, légaux ou non. Après les travailleurs clandestins, les familles clandestines ! De même, en supprimant la régularisation après dix ans de présence sur le territoire, vous créerez une nouvelle catégorie de sous-hommes : des clandestins à vie, et peut-être même des clandestins de génération en génération ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Tant que nous appréhenderons l’immigration de manière autocentrée, nous ne sortirons pas de la spirale infernale : durcissement, contournement, clandestinité. Tant que nous ne travaillerons pas à la source, nous n'aurons aucune chance de voir les flux se réguler. Dans les pays d'origine, les filières ont pignon sur rue et les offres de départ se font sur la place publique ! Les forces de police ne font rien, elles sont même parfois complices ! Si nous ne travaillons pas avec les autorités locales, nous continuerons à vivre dans le leurre des quelques arrestations que réalisent nos forces de l'ordre : lorsqu’elles appréhendent dix clandestins à la frontière, cent passent ailleurs. Sauf à se satisfaire d'apparences, il n'existe d'autre solution que la contractualisation, outil d'une régulation efficace de l'immigration clandestine, et d'une véritable intégration.

Cette politique doit être fonction de nos possibilités économiques, certes, mais elle doit aussi être inspirée par la solidarité et viser au co-développement. Si la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, elle doit prendre sa part de responsabilité, y compris en accueillant et en formant des cadres qui seront utiles à leur pays.

M. Éric Raoult - Pourquoi ne l’avez-vous pas fait pendant vingt ans ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – C’est nous qui avons lancé le co-développement !

M. Julien Dray – C’est cette contractualisation qui permettra d’organiser l’accueil des migrants, notamment par l’apprentissage de la langue, par l’éducation aux règles du pays, par la préparation des lieux d’hébergement et de possibilités d’emploi. Sans cela, les migrants, fragilisés à l'extrême dans un pays qu'ils ne connaissent pas, se tournent naturellement vers leur communauté, à même de leur offrir un peu de sécurité. Or, ce n'est pas l'immigration qui est la source des tensions, des peurs et des angoisses, mais la ghettoïsation quasi systématique, résultat inévitable des politiques migratoires autocentrées, telles que celle que vous nous proposez aujourd’hui.

Mais tenir un tel discours aux Français, leur expliquer le long travail de contractualisation et de partenariat qui s'annonce, exige une communication sérieuse et responsable, à l’opposé des utilisations qui sont faites, comme ces derniers jours, des fantasmes et des craintes.

Monsieur le ministre, l'opposition à laquelle vous allez devoir faire face au cours de ce débat ne se contentera pas de s'offusquer de telle ou telle posture outrancière prise dans tel ou tel meeting. Elle ne se limitera pas à agiter la morale ou l'humanisme de la même manière que vous agitez les peurs. Elle sait que derrière ce débat, sont en cause des centaines de milliers de personnes qui connaissent des conditions terribles de clandestinité et de misère. Voilà pourquoi nous vous demanderons de nous expliquer, article par article, en quoi ces dispositifs favoriseront l’intégration. Exemple après exemple, comme le font les associations humanitaires, nous démontrerons l’inanité de vos lois, nous prouverons que vous prenez la responsabilité de plonger dans la précarité des populations qui ont vocation à s’intégrer, ce qui obligera vos successeurs à régulariser.

Vous-même l’avez déjà fait en 1997. Le président de l'Assemblée nationale, alors ministre de l’intérieur, a présenté une loi de régularisation massive, obligé d’admettre devant l’hémicycle les conditions terribles d’application des anciennes lois Pasqua, qui avaient créé la catégorie des « ni expulsables, ni régularisables ». L’identité républicaine de la France finit en effet par s’imposer à tous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

D’ores et déjà, nous prenons date de l’ échec de votre politique. Il faudra une autre politique de gestion des flux migratoires afin de dire aux pays du continent africain que nous avons un avenir commun (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Michel Herbillon – Le projet de loi présenté par M. le ministre d’État …

M. Arnaud Montebourg – Mais où est-il ? Il est incroyable que ce soit le ministre de l’aménagement du territoire qui soit présent !

M. Michel Herbillon - …constitue une nouvelle approche de la politique d'immigration et d'intégration. Cette réforme marque une rupture nécessaire, car nos compatriotes vivent mal et depuis trop longtemps la question de l'immigration. Avec quoi faut-il rompre ?

D'abord avec l'hypocrisie d'un discours officiel qui, depuis trente ans, répète que les frontières sont fermées alors que la France continue chaque année d'accueillir de nombreux migrants. Ensuite, avec une politique absurde qui laisse entrer des étrangers sur notre territoire, mais qui ne les autorise pas à travailler légalement, une politique absurde qui ne se préoccupe jamais de l’insertion des immigrés, les laissant vivre dans des conditions de logement sordides, à la merci de tous les trafics et du communautarisme.

Il faut rompre enfin avec les discours démagogiques, en refusant à la fois la vision angélique d'une gauche aveugle et sourde, laquelle s'acharne à réfuter les difficultés provoquées par une immigration mal maîtrisée, et les discours extrémistes, qui stigmatisent les immigrés et prônent de façon totalement absurde une immigration zéro, impossible à mettre en œuvre.

Disons-le clairement : l'immigration peut être un enrichissement pour la France, pour son économie, sa culture – notre histoire nationale le prouve – mais certainement pas dans les conditions actuelles.

Il nous faut aujourd’hui une politique d’immigration cohérente, fondée sur des principes de bon sens. Il est d’abord nécessaire – et notamment – de juguler l’immigration irrégulière. Beaucoup a été fait depuis 2002, grâce au ministre d’État. Si la tendance s’est inversée par rapport au gouvernement Jospin, il nous restait néanmoins à mettre un terme à la régularisation automatique, au bout de dix ans, des étrangers en situation irrégulière…

M. Bernard Roman - Pourquoi l’avez-vous maintenue en 2003 ?

M. Michel Herbillon - … et à renforcer la lutte contre les fraudes et contre le détournement du mariage à des fins migratoires.

Il est également de bon sens qu’un migrant désireux de faire venir sa famille doive faire la preuve de sa volonté d'intégration, mais aussi de sa capacité à faire vivre cette famille par les revenus de son travail, et non grâce à des revenus d'assistance.

Il est de bon sens, enfin, que la France privilégie, à l'instar des autres démocraties, l'accueil des immigrés qui, par leurs talents et leurs compétences, contribueront à son développement.

Cette politique d'immigration choisie est le gage d'une intégration réussie, qui ne peut se fonder que sur l’engagement du migrant de respecter les valeurs de notre société. Vous nous proposez d’organiser ce processus d’intégration sur la base d'un contrat obligatoire, qui offrira au migrant, en contrepartie de son engagement, un soutien pour apprendre notre langue et obtenir un emploi ou un logement. C'est une mesure sage, au sein d’un projet global, équilibré et cohérent.

Je m'étonne par conséquent que la gauche en appelle aux valeurs de la République pour combattre ce texte. Comment refuser de reconnaître que la politique hasardeuse qu’elle a si longtemps menée en matière d’immigration et d’intégration s’est soldée par un échec sans appel ? Comment ignorer que cette question de l'immigration, faute d'une vraie politique, mine notre pacte républicain et nous expose à revivre un nouveau 21 avril, voire pire ? Comment ne pas dénoncer l'attitude irresponsable de certains dirigeants du parti socialiste, qui réclament une régularisation générale et massive des sans-papiers, vieille recette inacceptable qui est surtout un prodigieux appel au développement de l’immigration clandestine ? Ces provocations sont d'autant plus regrettables que la politique d'immigration devrait, à l'instar de ce qui se passe dans d’autres démocraties, faire l'objet d’un large débat, susceptible de déboucher sur un consensus.

II faut mettre fin à la crispation qui existe depuis trop longtemps sur l'immigration, et qui crée tant de dommages dans notre pays. Votre projet répond pleinement à cet objectif. Alliant la fermeté nécessaire en la matière à la fidélité à notre tradition humaniste, il répond aux attentes d'une large majorité de nos compatriotes. Vous pouvez donc compter sur notre soutien (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) .

M. Jean-Pierre Brard - Rappel au Règlement fondé sur l’article 58, qui concerne le déroulement de nos travaux.

Malgré le caractère scélérat du texte, nous ne renoncerons pas, nous l’avons dit, à exercer notre droit d’amendement. Il faut, déclare le Gouvernement, que les candidats à l’immigration puissent maîtriser le français. Cela suppose d’autoriser les collectivités territoriales et les associations à assurer des formations. Or les amendements que nous avions déposés en ce sens ont été déclarés irrecevables sur le fondement des articles 92 et 98 du Règlement. Je viens de relire ces deux articles : je n’y trouve rien qui permette de refuser nos amendements. Il faut revenir sur ce refus, ce qui serait légitime puisque le ministre s’affirme ouvert à la discussion…

Puisque nous n’avons pas de réponse, nous demandons une suspension de séance d’une demi-heure afin que notre groupe rencontre les représentants de la commission des lois, la commission des finances – qui ne peut pas opposer l’article 40, puisque nos amendements n’ont pas d’incidence financière - n’ayant pas été saisie.

M. Arnaud Montebourg – Cela permettra au ministre de l’Intérieur de revenir !

Mme la Présidente – Je vous accorde cinq minutes.

La séance, suspendue à 16 heures 50, est reprise à 17 heures.

Mme la Présidente - La parole est à M. Brard (Exclamations de M. Raoult).

M. Jean-Pierre Brard - Qu’est-ce qui vous indispose donc tant, Monsieur Raoult, alors que je n’ai encore rien dit ?

M. Éric Raoult - Vos manœuvres d’obstruction !

M. Jean-Pierre Brard – Ce n’est pas faire de l’obstruction mais être constructif que de souhaiter pouvoir défendre ses amendements dans l’hémicycle. Je n’ai toujours pas obtenu de réponse satisfaisante au sujet de mes amendements repoussés, alors même qu’au moins l’un d’entre eux n’entraîne aucune dépense. Auraient-ils été repoussés simplement parce qu’on chercherait à bâillonner la représentation nationale ? Dans la mesure où on n’a pas répondu à ma question légitime, je demande une nouvelle suspension de séance.

Mme la Présidente – Permettez-moi de vous faire remarquer tout d’abord que nous sommes toujours dans la discussion générale et que nous n’avons pas encore abordé l’examen des amendements. Pour ce qui est de ceux dont vous avez fait état, ils ont été transmis au président de la commission des finances, lequel les a jugés irrecevables au regard de l’article 40 de la Constitution dans la mesure où ils créent une charge publique - étant entendu qu’une charge publique est une dépense pour l’État ou pour les collectivités. Il n’est pas d’usage de remettre en question les décisions du président de la commission des finances en la matière. Je considère donc, pour ma part, l’incident comme clos. Si vous souhaitez une nouvelle suspension de séance, je devrai vous l’accorder mais sachez qu’il ne pourra vous être apporté de réponse supplémentaire.

M. Jean-Pierre Brard – Il y a toujours une solution aux difficultés : tout est question d’imagination, qualité dont M. Estrosi n’est nullement dépourvu… Lorsque certains amendements sont déclarés, à tort ou à raison, irrecevables au titre de l’article 40, il arrive que le Gouvernement les reprenne à son compte et lève le gage afin d’en permettre la discussion. Si, faisant preuve de son esprit d’ouverture bien connu, M. Estrosi acceptait de procéder ainsi, je pourrais renoncer à ma demande de suspension. A défaut, je la maintiendrais car je n’ai aucune raison d’abandonner une proposition qui va dans le sens de la volonté, affichée par le Gouvernement, de permettre aux résidents étrangers de se former.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l’aménagement du territoire  La commission des finances décide en toute souveraineté si l’article 40 s’applique ou non à un amendement. En l’espèce, le Gouvernement ne voit pas d’objection à lever le gage, de façon que l’amendement en question, qui ne m’apparaît d’ailleurs pas aussi essentiel que cela, puisse être débattu.

Je profite de ce que j’ai la parole pour répondre aux députés socialistes, en particulier à MM. Roman et Montebourg – lequel n’est d’ailleurs pas là –, qui se sont plaints de l’absence du ministre de l’intérieur. J’essaie très humblement d’être digne de la confiance que celui-ci m’a accordée, en ma qualité de ministre délégué auprès de lui, et de le représenter le temps nécessaire à ce banc. S’il a bouleversé son emploi du temps cet après-midi, c’est pour aller se recueillir sur la dépouille d’un gendarme tué en Indre-et-Loire, mais il nous rejoindra d’ici peu. Cette précision apportée, je vous saurais gré de faire preuve, d’une manière générale, d’un peu plus de respect à l’égard du représentant du Gouvernement, quel qu’il soit (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme la Présidente - Nous nous associons tous à la démarche du ministre d’État auprès de la famille de ce gendarme.

Mme Gabrielle Louis-Carabin – Lors de leurs récentes visites dans mon archipel, les ministres de l’outre-mer et de l’intérieur ont constaté que la population attend depuis des années des mesures pragmatiques pour lutter contre une immigration irrégulière si importante qu’il est désormais plus qu’urgent d’agir – non pour satisfaire les populistes de tous bords, comme le prétendent certains, mais pour répondre à un problème qui a pris une acuité particulière outre-mer. Certains pratiquent la politique de l’autruche, refusant de chercher à connaître l’ampleur, le coût, les incidences de l’immigration. En Guadeloupe, celles-ci sont si importantes que le problème ne peut plus être éludé.

Comme Mayotte et la Guyane, la Guadeloupe doit faire face à une immigration en constante augmentation. Cela s’explique par son caractère insulaire, sa dimension particulière, son attrait économique et sanitaire pour les habitants des pays voisins, dont on comprend aisément qu’ils tentent au péril de leur vie d’échapper à l’instabilité politique et à la pauvreté, ce que feraient vingt mille à trente mille d’entre eux. Mais si la Guadeloupe est une terre d’accueil par excellence, elle ne peut absorber toute la misère de la Caraïbe.

Mes fonctions m’ont placée en prise directe avec la réalité de l’immigration. C’est pourquoi, avec mon collègue Joël Beaugendre, j’ai déposé le 9 février 2005 une proposition de loi pour tenter de faire face à une situation de moins en moins maîtrisable : recueil de corps gisants sur nos plages, arrestations de clandestins, développement du travail illégal, mariages frauduleux et reconnaissances fictives d’enfants pour tenter d’acquérir la nationalité française, réactions xénophobes envers les migrants régulièrement installés et intégrés, inquiétude de nos compatriotes face à la multiplication des trafics en tous genres, qui trouvent, selon eux, leur origine dans une pression migratoire trop forte pour un archipel de 1 704 km². Les dispositions de cette proposition de loi ont été intégrées dans le volet outre-mer de ce projet, je m’en réjouis. Les recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière et les obligations de quitter le territoire, appliquées à toute la Guadeloupe, ne seront ainsi plus suspensifs ; la fouille, l'immobilisation et la neutralisation de tout véhicule terrestre ayant servi à l'entrée et au séjour irréguliers seront autorisées et le périmètre de contrôle des titres légaux de séjour sera élargi.

Si, pour le territoire métropolitain, ce projet de loi est le second volet d'une politique d’immigration choisie, il constitue pour l'outre-mer un pas vers la maîtrise de la pression migratoire. Depuis le début de la législature, la majorité a cherché de façon constante et soutenue à lutter contre l’immigration illégale outre-mer : elle n'est donc pas sourde aux préoccupations des Guadeloupéens, comme tentent de le faire croire certains élus. La loi de sécurité intérieure de 2003 a ainsi prorogé le régime de reconduite immédiate à la frontière pour Saint-Martin et la Guyane ; la loi relative à l'exercice par l'Etat de ses pouvoirs de contrôle en mer permet au procureur de la République d'ordonner outre-mer la destruction des embarcations dépourvues de pavillon ayant servi à un trafic de stupéfiants ou de personnes ; les accords conclus entre la France et les pays de la Caraïbe ont permis de renforcer la lutte contre ces trafics ; les accords signés par Brigitte Girardin et Nicolas Sarkozy ont permis de renforcer la coopération judiciaire policière et douanière entre la Dominique, Sainte-Lucie et les Antilles françaises ; les services de l'OFPRA ont été très utilement décentralisés car, en Guadeloupe, les demandes d'asile explosent depuis deux ans et leur nombre est même devenu le plus élevé de tout le pays. Autant d'actions concrètes engagées par les élus responsables de la majorité, quand d’autres s'opposent de manière systématique, par pure idéologie.

A la Guadeloupe, où les réalités migratoires ne sont nullement comparables à celles de la métropole, l'immigration choisie ne réussira que si elle fait l’objet d’un consensus parmi la population et si des moyens suffisants existent pour réguler la pression migratoire. A ce propos, je vous remercie de mettre, à compter de juillet 2006, une vedette supplémentaire à la disposition de la brigade nautique de Saint-François. Il faudra aussi augmenter la capacité d'accueil de notre centre de rétention administrative, ainsi que le nombre d'officiers de police judiciaire.

Ces mesures fortes ne seront efficaces que si elles se doublent d’actions de coopération très ciblées entre les collectivités ultramarines et les pays voisins, principaux pourvoyeurs d'immigrés clandestins. Dans cette perspective, il convient de renforcer l’aide financière au développement, à la stabilisation politique, sociale, sanitaire, éducative, administrative. Il faut également que les coûts entraînés par la pression migratoire ne grèvent plus les budgets des collectivités locales ni des services publics de santé – 20 à 25 % de femmes venant accoucher dans nos hôpitaux sont en situation irrégulière. L’Observatoire de l'immigration, qui doit être créé en Guadeloupe comme à la Réunion et en Guyane, sera le gage d'un ajustement plus rapide de la politique migratoire outre-mer.

Pour ce qui est de l’intégration, la lutte contre les mariages de complaisance et les détournements des reconnaissances d'enfants étant de nature à la faciliter, j’ai déposé un amendement à ce sujet.

Le développement économique et social même de notre pays étant en jeu, je voterai ce projet de loi. Les intérêts de la nation comme ceux de mon département le commandent. A tous ceux qui déclarent que la Guadeloupe deviendrait une terre de non-droit, je rétorque qu'elle a besoin d'un développement harmonieux, auquel peuvent et doivent participer les migrants en situation régulière (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme la Présidente - La parole est à M. Vanneste.

M. Jean-Pierre Brard - Un gauchiste…

M. Christian Vanneste – Le débat sur les migrations pose la question de l’existence et de l’identité d’une société. Aussi est-il déplacé d’avoir tenté de la ramener à un souci d’opportunité politique, voire électorale.

Assurer l’équilibre entre générations et un accroissement mesuré mais régulier de la population exige de mener une politique familiale, aujourd’hui tragiquement insuffisante et quelquefois suicidaire en Europe, et aussi une politique volontariste de gestion maîtrisée des migrations.

Il y a ceux qui partent. Le Sénat leur a consacré le 3 mars dernier une journée d’étude : depuis dix ans, le nombre d’expatriés a augmenté de 40 %, et même de 70 % vers les Etats-Unis. Ce sont un million de Français de moins de 35 ans, souvent très qualifiés. Selon l’INED, ces départs vont réduire de 46 % le nombre des enseignants chercheurs !

Mais il y a surtout le problème de ceux qui arrivent. Contrairement aux premiers, qui ont des motivations professionnelles précises, ceux-ci ont des motivations sociales diffuses. Le pourcentage de travailleurs dans la population étrangère est plus faible en France que dans les autres pays. C’est pourquoi nous ne devons pas céder à l’angélisme irresponsable comme l’a fait M. Blisko, mais faire preuve d’un humanisme responsable et bien distinguer les fins et les moyens, servir les intérêts de notre nation en même temps qu’assurer la solidarité avec des pays moins favorisés, notamment ceux qui ont des liens privilégiés avec nous.

M. Jean-Pierre Brard - Quel cynisme !

M. Christian Vanneste - Ces objectifs ne sont pas contradictoires. D’abord, une France solide sera mieux à même d’aider les autres. Ensuite, la dignité des personnes passe par le travail : l’insertion économique est donc un moyen primordial d’intégration.

Avec ce projet courageux, vous proposez de passer d’une immigration constatée, mal mesurée et non maîtrisée, à une immigration contractuelle, terme que je préfère à celui de choix, plus unilatéral.

Ce contrat est l’accord de deux volontés : l’immigrant doit accepter les conséquences de ce qu’il veut ; le respect des lois et l’apprentissage de notre langue sont indissociables de sa présence dans notre pays. Pour celui-ci, accueillir signifie avoir la capacité d‘offrir emploi et logement. Le contrat d’accueil et d’intégration illustre parfaitement cet équilibre.

Par ailleurs, il faut renforcer la coopération avec les pays d’origine, dans le respect mutuel, et donc par une politique contractuelle dont intégration et co-développement sont les deux aspects.

J’ai déposé plusieurs amendements pour approfondir les moyens d’intégration.

M. Jean-Pierre Brard - Vos amendements, vos collègues s’en méfient maintenant !

M. Christian Vanneste - Ainsi, les stages effectués par les étrangers doivent être rémunérés – vous en serez d’accord. Les élèves primo-arrivants doivent être répartis dans les établissements scolaires, et non regroupés, comme c’est le cas dans un école d’Halluin, dans ma circonscription, sans moyens supplémentaires. Enfin, une cérémonie en mairie, sorte de baptême républicain, doit signifier solennellement l’entrée de l’étranger naturalisé dans la communauté nationale.

Avec cette loi, réaffirmons notre attachement à un humanisme responsable. Devenir Français, c’est une volonté, ce sont des droits, mais aussi des devoirs (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Chantal Brunel - Élue de la grande couronne, je constate chaque jour que notre législation dans le domaine de l'immigration a des limites et, plus grave, qu’elle n’est pas appliquée. Depuis des années, nous refusons de voir que l'immigration actuelle ne conduit pas à la même intégration que lors des décennies précédentes.

Votre texte, que je soutiens, est courageux car il propose des solutions à des problèmes difficiles – regroupement familial, arrêt des facilités de naturalisation, priorité aux immigrés capables de s'intégrer dans notre pays.

La France demeure une terre d'accueil, mais il est de notre devoir de lutter contre une immigration clandestine massive, non par ostracisme, mais parce qu’elle nuit à l'intégration de ceux qui sont arrivés légalement sur notre sol et entraîne chez certains de nos concitoyens des comportements racistes.

Dire cela, ce n'est pas être de droite ou de gauche, c'est être responsable. « En 30 ans, l'immigration non contrôlée a créé des zones de non-droit dans nos villes, et rendu l'intégration difficile. Pour que le droit fondamental à l'asile soit respecté comme il le doit, je considère qu'il revient au gouvernement d'édicter des lois qui régissent son bon fonctionnement ». Cette analyse, que je partage, a été faite par Jean-Marie Bockel, sénateur-maire socialiste de Mulhouse devant les évêques de France à Lourdes (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Bernard Deflesselles - C’est un modéré.

Mme Chantal Brunel - Je comprends par ailleurs la hiérarchie des Églises qui réaffirme avec force que tout homme est notre frère et a droit à l'accueil. Mais il revient aux élus de voir ce que notre pays peut supporter.

M. Jean-Pierre Brard - Vous interprétez la parabole du bon Samaritain.

M. Eric Raoult - Assez, Peppone !

Mme Chantal Brunel – Nous devons concilier le réalisme et nos principes.

Or le réalisme nous force à admettre que l'immigration excessive entraîne des effets pervers, comme la ghettoïsation de certains quartiers, où les comportements asociaux se multiplient et où règnent la violence et la délinquance.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Voilà ! L’immigration, c’est la délinquance !

M. Patrick Braouezec - Il n’a pas fallu attendre longtemps !

Mme Chantal Brunel - Nous ne sommes plus à l'époque des Trente Glorieuses, à l'époque où nos usines manquaient de bras pour accomplir des tâches répétitives aujourd'hui de plus en plus automatisées.

Si, par réalisme, il faut freiner cette immigration que notre pays ne peut plus accueillir, il faut mieux intégrer ceux que des politiques laxistes ont laissé entrer.

On leur a dit dans leurs pays d'origine que la France leur procurerait des droits, des allocations, une couverture médicale...

Mme Marylise Lebranchu et M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Qui a dit cela ?

Mme Chantal Brunel - …Et qu'ils ne craignaient rien à venir illégalement, sachant que des régularisations massives interviennent périodiquement. D'ailleurs, la plupart des pays voisins ont su mettre ces freins plus tôt que nous.

M. Bernard Roman - Quels pays voisins ?

Mme Chantal Brunel - Nous avons laissé croire trop longtemps à ces nouveaux arrivants que la France leur apporterait le bien-être, le confort et le bonheur.

En réalité, non seulement ces immigrants sont coupés de leurs racines, de leur environnement, de leur famille, mais ils se retrouvent dans un pays avec une mentalité complètement différente et qu'ils ne peuvent ou ne veulent assimiler.

Il convient donc en priorité d'aider leurs pays d'origine à se développer, afin qu'ils puissent y vivre dignement dans un univers qui est le leur.

Il faut aussi favoriser l'intégration des milliers de déracinés qui sont déjà en France, sans beaucoup d'espoirs. La tâche est lourde dans les domaines de l'alphabétisation, de l'accueil, de l'intégration, de l'éducation.

Un étranger a le droit de venir avec sa culture, sa religion, ses traditions, et de vouloir les conserver, à condition qu'elles ne soient pas en conflit avec nos valeurs fondamentales.

En tant que femme, je suis choquée par la condition de beaucoup de femmes immigrées dans notre pays, par les coutumes ou traditions qui les dévalorisent, à contre-courant du combat que nous menons pour l’égalité. Dans certains de nos quartiers, les droits des femmes régressent, il y a des situations de semi-esclavage,…

M. Jean-Pierre Brard - Vous pensez à la Mamounia ! (rires)

Mme Chantal Brunel - …et je suis inquiète de voir, à l’école, certaines jeunes filles adopter désormais des attitudes de soumission.

Je me bats depuis 2003 contre la polygamie et je vous proposerai de voter un amendement visant à éviter qu'un père polygame puisse gérer lui-même les prestations familiales qu'il touche.

M. Jérôme Rivière - Très bien.

Mme Chantal Brunel – En tant que femme et mère, je suis aussi très choquée par la violence infligée aux enfants, en application de coutumes intolérables en France. Je vous demanderai donc de voter un amendement visant à empêcher la délivrance d'une carte de résident à un étranger ayant excisé ou fait exciser une mineure de moins de quinze ans (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Pendant longtemps, l'immigration a été un sujet tabou. Un consensus s'était établi pour ne pas voir la réalité, pour ne pas agir. Après s’être attaqué à ce problème dès 2003, le Ministre d'État, propose de passer d'une immigration subie à une immigration choisie, pour mieux accueillir ceux qui viennent dans notre pays plein d'espoir. C'est avec le sentiment de concilier les valeurs de l'humanisme, ma sensibilité de femme, et la conscience de servir mon pays que je voterai ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme la Présidente - La parole est à M. Raoult.

M. Patrick Braouezec - On va crescendo !

M. Jean-Pierre Brard - On va parler de la discrimination dans les réserves à bourgeois.

M. Eric Raoult - Monsieur Brard, vous avez beaucoup d’humour, mais respectez ceux qui ne sont pas de votre avis.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Et réciproquement !

M. Eric Raoult – Lors de la manifestation du 30 avril en mémoire de la Déportation, vous avez tenu des propos tout à fait déplacés à l’égard du ministre de l’Intérieur.

M. Jean-Pierre Brard - Je les maintiens.

M. Eric Raoult - C’est regrettable.

M. Guy Geoffroy – Très bien, monsieur Raoult.

M. Eric Raoult - Ce projet sur l’immigration n’est pas craint, mais attendu par le peuple. Si les terrasses tiers-mondistes de Saint-Germain-des-Prés ne l’approuvent pas, les HLM de Clichy et les pavillons de Montfermeil le souhaitent impatiemment.

M. Jérôme Rivière - Très bien !

M. Eric Raoult - Les progressistes des beaux quartiers apprécient l’exotisme des immigrés, surtout de leurs gens de maison, mais la Seine-Saint-Denis connaît les difficultés de la promiscuité. Aussi ne faut-il pas applaudir Sarkozy dans sa ville et le siffler ici.

Ce projet majeur est en fait un rempart contre le racisme, et, dans la crise d’intégration que nous connaissons, un antidote contre de futurs 21 avril. La France veut rester fidèle à ses valeurs d’humanisme et d’accueil, mais refuse de perdre son identité.

Pour la première fois, un projet de loi conjugue immigration et intégration, et fournit les outils d’une immigration raisonnée, « choisie », seule condition d’une intégration réussie. Chacun constate les limites de notre modèle : la communauté nationale que nous représentons tend à se transformer en mosaïque où les communautés, juxtaposées, possèdent chacune leurs règles et leur territoire. L’individualisme n’est plus synonyme d’émancipation, mais d’enfermement, car l’enracinement et la reconnaissance disparaissent. C’est sur ce terreau que croissent exclusion et discriminations, rejet de l’autre et refus de la nation.

A l’origine de cette situation, dont nous sommes les témoins dans nos permanences, en Seine-Saint-Denis particulièrement, il y a le constat d’une immigration subie : celle qui revendique, qui manifeste et qui souffre. On ne peut opposer les sans-papiers, que défendrait la gauche, aux sans pitié, que soutiendrait la droite.

M. Guy Geoffroy – Très bien !

M. Eric Raoult - Le projet de loi que nous examinons nous propose enfin un équilibre. Il permet avant tout de maîtriser quantitativement l’immigration, grâce à la définition annuelle d’objectifs prévisionnels fondés sur nos capacités d’accueil. C’est le choix qu’ont fait tous les grands pays de l’OCDE : pourquoi ne le ferions-nous pas aussi ?

D’autre part, il infléchit notre politique familiale : le migrant devra prouver sa volonté d’intégration. Il devra être en mesure de pourvoir aux besoins de sa famille par son travail, et non par des allocations. Notre pays, contrairement à l’Australie ou au Canada, n’est pas une terre de peuplement. L’ensemble des conditions d’intégration doit être examiné.

Ensuite, la réussite de l’intégration – à laquelle un emploi est essentiel – passe par le choix judicieux des candidats à l’immigration. C’est l’objectif de la carte de séjour « compétences et talents »…

M. Bernard Roman - Elle vaut aussi pour les footballeurs…

M. Eric Raoult - … qui permettra de mener de front la bataille de l’intégration et celle de l’emploi. Comme tous mes compatriotes, en effet, je préfère le plombier polonais aux marabouts et autres laveurs de carreaux (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Plusieurs députés socialistes – Ça dérape !

M. Eric Raoult - De même, les enseignants et chercheurs pourront obtenir une autorisation de séjour dès la fin d’une première expérience professionnelle. C’est en faisant fructifier leur formation qu’ils pourront en faire profiter leur pays d’origine.

Enfin, le primat de l’intégration régira l’attribution des cartes de séjour de dix ans. Le candidat devra s’engager à respecter les règles de la République française et en maîtriser la langue. A ce titre, le contrat d’accueil et d’intégration propose un processus itératif au cours duquel l’Etat s’engage à offrir une formation linguistique et civique, et le migrant à respecter nos valeurs. La France ne veut être ni un bunker, ni un hall de gare.

Grâce à ce nouveau dispositif législatif, on ne deviendra résident que par une volonté affirmée. Il ne s’agit pas d’un texte de fermeture ou d’exclusion, comme le dit la gauche, mais d’un texte de réalité – qu’elle oublie – et de volonté – qu’elle n’a pas. C’est un texte généreux pour ceux qui aiment la France, ferme pour ceux qui souhaitent en profiter illicitement. Il renoue avec la tradition d’ouverture et d’intégration de notre nation. Il va enfin garantir une immigration maîtrisée et une intégration approuvée dans les quartiers. La Seine-Saint-Denis, ce département du monde, et ses élus vous remercient (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Marylise Lebranchu - Rappel au Règlement, fondé sur l’article 58, alinéa 1. Ici comme au-delà de cette enceinte, un grand débat pourrait avoir lieu sur l’immigration et sur nos liens avec les pays en grande difficulté. Mais la représentation nationale que nous sommes travaille sous la voûte protectrice de la Constitution et de la Déclaration des droits de l’homme : personne ne peut, quelles que soient ses convictions, utiliser des arguments qui humilient des êtres humains, fussent-ils laveurs de carreaux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Eric Raoult - Cessez de donner des leçons !

M. Bernard Roman - Certains, à droite, ont baissé la tête…

M. Jean-Claude Viollet - Même le ministre était gêné !

Mme Marylise Lebranchu - Le respect des droits de l’homme…

M. Eric Raoult - Regardez votre bilan : votre seul succès est d’avoir rouvert le procès Seznec !

Mme Marylise Lebranchu – C’est précisément en tant qu’ancienne Garde des Sceaux que je suis convaincue de l’importance de respecter nos textes fondateurs dans l’hémicycle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jérôme Rivière - Hors de tout contexte politique, le texte qui nous est soumis pourrait laisser croire que nous vivons des moments paisibles. Hélas, la France traverse une grave et longue crise d’identité. Trente années de repentance et de masochisme soixante-huitard ont étouffé toute fierté d’être nous-mêmes.

M. Jean-Pierre Brard - C’est le tri social !

M. Jérôme Rivière – Pourtant, à l’heure de la mondialisation, les cultures sereines et fortes sont les meilleurs remparts contre le racisme. Un pays qui n’est pas sûr de son identité ne peut s’ouvrir aux autres sans peur.

M. Christian Vanneste - Ces mots de Claude Lévi-Strauss sont très justes !

M. Jérôme Rivière – Quelle que soit sa force morale, il existe un seuil d’immigration au-delà duquel un pays ne peut plus se reconnaître dans le miroir.

M. Jean-Pierre Brard - Surtout s’il vous y voit !

M. Jérôme Rivière – Ce seuil est largement atteint en France. Les Français n’ont jamais été consultés sur cette immigration de peuplement : leur colère finira par éclater.

La France possède un héritage judéo-chrétien vieux de plus de mille ans (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Or, chaque année, les dizaines de milliers de demandeurs d’asile – qui souvent s’évaporent dans la nature – et les 130 000 arrivants réguliers – sans parler des clandestins – sont, dans leur immense majorité, d’origine musulmane (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Quelle honte !

M. Bernard Roman - La République est laïque !

M. Jérôme Rivière – Les effets de l’islam sur notre société, pourtant profonds, restent inexplicablement tabous. A rebours des endormeurs médiatiques – qui sont nombreux sur les bancs de gauche –, je sais que cette situation préoccupe nos concitoyens.

M. Jean-Pierre Brard - C’est Barrès, sans la culture !

M. Jérôme Rivière – Ils craignent la place de l’islam à l’école, dans l’administration, dans la vie quotidienne enfin. Les décideurs n’en parlent que marginalement, comme si cette vague migratoire extra-européenne ne remettait pas en question le destin et l’identité pluriséculaire de notre pays.

Aussi, face à cette crise, nous devons aller plus loin. L’immigration choisie, qui s’apparente à un tri sélectif, priverait les pays d’origine de leurs élites et ne ferait pas cesser la nécessité de l’émigration. De plus, la question des étrangers non choisis qui choisissent la France demeurerait.

Pour améliorer l’intégration, vous évoquez, Monsieur le ministre, la discrimination positive, c’est-à-dire la représentation obligatoire de minorités dans les entreprises ou les médias. Pourtant, l’appartenance ethnique ou religieuse n’est pas même demandée dans les recensements !

M. Jean-Pierre Brard - Il ne manquerait plus que ça !

M. Jérôme Rivière – La polygamie est interdite en France, mais largement pratiquée, et payée par nos impôts.

M. Jean-Pierre Brard - Le Pen est représenté dans cet hémicycle !

M. Christian Vanneste - Staline l’est bien, lui !

M. Jérôme Rivière – Nos concitoyens savent tout cela. M. Goasguen le disait hier : il faut en finir avec les hypocrisies. Aussi, je présenterai des amendements visant à exprimer une réserve d’interprétation sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, véritable tunnel pour l’immigration.

Deux blocs coexistent au sein du Conseil de l’Europe : les pays de l’Europe de l’Ouest d’une part, qui exercent une forte attraction sur les ressortissants de pays moins favorisés, et les pays d’émigration. Aucune vision commune n’est donc possible, et je souffre de recevoir, à la Cour de Strasbourg, des leçons en matière de droits de l’homme de la part de juges ukrainiens, azéris, turcs ou géorgiens !

Plusieurs députés socialistes – C’est scandaleux !

M. Bernard Roman - A quand l’étoile jaune ?

M. Jérôme Rivière – La France a le meilleur système de santé du monde : il garantit l’accès gratuit aux soins à tous les étrangers – avec la CMU et l’AME – et motive à lui seul une décision de s’y installer. Voilà qui doit être strictement encadré.

M. Jean-Pierre Brard - Malheureusement, certains maladies sont incurables…

M. Jérôme Rivière – Notre société change et s’enrichit de nouveaux apports : c’est bien ainsi. Mais n’oublions pas que vivre avec nous, c’est vivre comme nous. Le premier devoir – qui n’est pas négociable – des immigrés est de respecter la culture de leur pays d’accueil.

Les Français ne nous écoutent plus : ils l’ont montré en 2002, en 2004, en 2005. Si nous continuons de nous excuser d’être nous-mêmes et d’hésiter dans nos débats, ils nous le montreront de nouveau (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Rappel au Règlement, au titre de l’article 58, alinéa 1. Nous savions, en engageant ce débat, que nous aurions à entendre des choses innommables.

M. Jean-Pierre Brard - Ignobles !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - En effet, nous avons atteint l’ignoble : comment peut-on, à la tribune de l'Assemblée nationale…

M. Jean-Pierre Brard - Où Jaurès s’exprima !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - …évoquer la Convention européenne des droits de l’homme dans ces termes ? Comment peut-on y refuser l’arrivée dans notre pays de gens qui pratiquent telle religion plutôt que telle autre ?

Plusieurs députés UMP – Il n’a jamais dit ça !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Mais si, vous lirez le compte rendu : il a dit, en substance, que ceux qui pratiquent la religion musulmane ne devaient pas rentrer dans notre pays !

M. Eric Raoult - Vous n’êtes pas procureur, vous êtes avocat !

M. Christian Vanneste - Inquisiteur !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Parler de polygamie et d’islamisme revient pour lui à parler d’immigration. Pour nous, parler de religion revient à parler de notre République, de notre Constitution, de la liberté de croire et de la laïcité…

M. Christian Vanneste - La laïcité, c’est la tolérance !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - … de la laïcité qui fait que les convictions religieuses ne sauraient entraîner quelque discrimination que ce soit (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Si c’est ce débat que la majorité veut avoir, nous l’aurons ! Il est inacceptable de considérer que la religion serait un obstacle à l’arrivée de migrants sur notre territoire : c’est contraire aux principes républicains et à la Convention européenne des droits de l’homme, dont nous considérons quant à nous qu’elle fonde également notre pacte social ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme la Présidente - Je vais suspendre la séance.

La séance, suspendue à 17 heures 45, est reprise à 18 heures 10.

M. Jean-Pierre Brard - Je voudrais faire un rappel au Règlement. Dans les débats difficiles, et celui-ci en est un, il n’est pas étonnant que s’expriment des opinions très différentes, voire complètement opposées. Ce n’est pas nouveau. Mais après l’intervention de Jérôme Rivière, M. Raoult pourrait passer pour un homme de gauche !

Jeter ainsi les étrangers en pâture n’est pas acceptable. J’appartiens à une culture internationaliste, et j’en suis fier. Je pense qu’il est des choses qui ne peuvent être dites dans cet hémicycle, quelle que soit la diversité des opinions représentées – pareillement honorables. Lorsque je vois cette tribune, je pense à Aristide Briand, à Clemenceau ou à Jaurès, lors de l’affaire Dreyfus… La haine de l’étranger n’est pas nouvelle chez nous : on a haï les Belges, les Polonais, les Italiens, les Espagnols, surtout quand ils étaient républicains, les Portugais anti-salazaristes, les Marocains, les Algériens et aujourd’hui les peuples du sud du Sahara. Il y a toujours eu des gens de droite pour s’identifier à Maurras ou Barrès, même s’il y en a toujours eu aussi qui avaient la fibre patriotique. On peut penser au général de Gaulle avec émotion même si d’autres ont terni cette assemblée, comme Papon, qui a même été ministre.

M. Jérôme Rivière - Caricature !

M. Jean-Pierre Brard - En me battant contre ce texte, je suis fidèle à mes opinions anticolonialistes. Que d’autres soient fidèles à la tradition inverse n’est pas étonnant, mais qu’ils l’assument ! Lorsqu’on voit l’état des pays victimes de la colonisation …

M. Christian Vanneste - Vous parlez des colonies soviétiques ?

M. Jean-Pierre Brard - … on comprend bien que la France a un devoir de réparation et de solidarité.

M. Christian Vanneste – Turkménistan ! Ouzbékistan !

M. Jean-Pierre Brard - La littérature est riche de beaux textes, propriété de tous.

M. Christian Vanneste - Vous êtes un refoulé du stalinisme !

M. Jean-Pierre Brard - Je voudrais en lire un : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger  (Interruptions sur les bancs du groupe UMP), j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire ; j'étais étranger, et vous m'avez recueilli …

Mme la Présidente - Monsieur Brard, il faudrait conclure.

M. Jean-Pierre Brard - …j'étais nu, et vous m'avez vêtu ; j'étais malade, et vous m'avez visité ». Méditez ce texte !

M. Christian Vanneste - Méditez sur tous ces chrétiens qui ont été envoyés au bagne par vos amis de l’URSS !

M. Jérôme Rivière – l'Assemblée nationale n’est ni un tribunal ni un lieu pour jouer la comédie. Lisez le compte-rendu : je n’ai jamais parlé de haine de l’autre ni de rejet de l’étranger ! J’ai expliqué que nous devions faire face aux problèmes qui se posent en France avec sérénité, à rebours des caricaturistes et de ceux qui refusent de voir les problèmes. Tenez-vous-en à ce qui est réellement dit !

M. Serge Blisko - Je m’associe au rappel au Règlement de M. Brard : le groupe socialiste est extrêmement préoccupé, et choqué, du tour invraisemblable que prennent les propos de certains de nos collègues – pas tous heureusement – de la majorité. Il n’est pas possible, face au public et aux députés eux-mêmes, face à tous ceux qui considèrent que ce débat est important – et c’est l’occasion de saluer, enfin, l’arrivée du ministre qui porte ce texte – de se prêter à l’invective, à la dénonciation, à la mise au pilori des étrangers.

Écoutant M. Rivière et ceux qui l’ont précédé, je me demandais ce que penseraient Gambetta, Zola, Waddington, Necker, ces grands Français d’origine étrangère, de ce prurit xénophobe dont sont victimes nos collègues, qui laissent libre cours à leur haine dès que l’on débat d’un texte sur l’immigration. Nous ferions collectivement une œuvre importante s’ils parvenaient à éviter de plonger ce débat dans le caniveau (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme la Présidente - Vous auriez pu aussi citer aussi une femme, comme Marie Curie par exemple.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire En présentant ce texte, j’ai formé le vœu que l’on sorte des oppositions frontales entre deux extrémismes, l’immigration zéro d’un côté, l’immigration totale de l’autre, entre l’incantation du passé pour mieux ignorer l’avenir et la peur de l’avenir pour se réfugier dans un présent frileux. La discussion générale a montré que l’idéologie restait privilégiée par certains, mais je continuerai d’être aussi concret que possible. Personne ne considère comme acceptable la situation actuelle : pour les uns, il y a trop d’immigration, pour les autres, il n’y en a pas assez. Pour sortir de cette impasse, il n’y a qu’une solution : tenter d’être pragmatique.

On ne quitte pas sa terre par plaisir, mais par nécessité. Nous devrions pouvoir nous accorder sur le volet co-développement et le gérer ensemble, dans le consensus. Par ailleurs, les élus de terrain, confrontés aux impatiences de la population, me disent tous que l’on ne peut pas accepter tout le monde. Nous sommes donc bien tous d’accord sur la nécessité de maîtriser l’immigration.

Débattons donc des moyens de le faire ! Je propose pour ma part l’immigration choisie. Si quelqu’un a une autre solution, nous pouvons en débattre. Malek Boutih, dont je lisais encore le rapport la nuit dernière…

M. Patrick Braouezec - Vous avez de mauvaises lectures !

M. le Ministre d’État – J’ai du respect pour cet homme, qui apporte beaucoup à la vie politique française. Ce n’est pas parce qu’il s’appelle Malek Boutih qu’il a moins d’importance que d’autres (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) ! Vous m’avez cherché, vous m’avez trouvé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) !

Malek Boutih dit qu’il faut aller jusqu’aux quotas : cette voie ne me fait pas peur, comme le sait Julien Dray, lui-même tenté naguère par cette option.

M. Julien Dray - Je l’ai même défendue, et je l’assume.

M. le Ministre d’État – Entre ces quotas et l’immigration choisie, je suis persuadé que nous pouvons trouver un consensus.

M. Julien Dray - Cela n’a rien à voir !

M. le Ministre d’État – Je crois que vous avez tout intérêt à vous approprier cette loi, que vous serez amenés, par le jeu de l’alternance, à appliquer.

M. Jean-Pierre Brard - On l’abrogera !

M. le Ministre d’État – Il y a une chose qui est certaine, c’est que vous, vous ne serez pas au pouvoir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Pierre Brard - Ne dites jamais : « Fontaine, je ne boirai pas de ton eau » !

M. Julien Dray - Je le prendrai comme ministre !

M. le Ministre d’État – M. Quentin a dit avec raison combien ce projet de loi s’inspirait des conclusions de sa mission d’information sur Mayotte, qu’il a conduite main dans la main avec M. Dosière, auquel je veux rendre hommage.

Je ne citerai que quelques chiffres : au premier trimestre, nous avons exécuté 3 500 reconduites à la frontière, soit une augmentation de 250 % par rapport à 2005. Les élus des départements et territoires d’outre-mer ont fort justement expliqué que l’on ne pouvait pas lutter contre l’immigration clandestine de la même façon dans l’hexagone et en outre-mer. Affirmer cela n’est pas rompre avec la tradition républicaine ; c’est tenir compte de la réalité : j’étais à Cayenne il y a huit jours, la situation y est explosive, tout comme aux Antilles, où je me suis rendu il y a quelques semaines. Seule la Réunion, plus préservée en raison de sa position géographique, maîtrise à peu près les choses.

Quant à M. Montebourg, a-t-il lu le même projet de loi ? Il est vrai qu’il s’intéresse tellement à lui qu’il n’a pas dû se pencher beaucoup sur mon texte (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Brard - Ne voyez pas les autres à votre image !

M. le Ministre d’État – Le lyrisme qui l’a échauffé lui a fait perdre le sens commun. Je m’étonne notamment qu’il ait pu déceler dans mon ouvrage Libre une quelconque contradiction avec ma politique actuelle, puisque j’y annonçais l’immigration choisie et redéfinissais la notion de regroupement familial, dans le strict respect des principes constitutionnels et du droit européen.

M. Perruchot, grâce à son expérience du terrain, nous a permis, et je l’en remercie, de revenir à plus de bon sens. Il a souligné la nécessité d’avancer vers une unification des trois administrations en charge de l’immigration, lesquelles ne fonctionnent pas selon la même logique. Un certain nombre de pays européens ont pu résoudre ce difficile problème. Je pense que, compte tenu de l’importance du sujet, les gouvernements devront comprendre à terme un ministre de l’immigration, auquel seront rattachées toutes les administrations. J’estime d’ailleurs, que l’organisation gouvernementale serait plus pertinente si elle était fondée sur les problèmes plutôt que sur les administrations (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

Nous avons engagé cette réforme depuis le mois de juin : ce premier pas en annonce d’autres. Nous commençons par un comité interministériel, un secrétariat général – dirigé par Patrick Stefanini – et un ministre en charge de la coordination, ce qui est nouveau. Mais je ne verrais, comme vous, que des avantages à unifier les administrations, en organisant un réseau unique d’agents de l’État, spécialistes de l’immigration, issus des réseaux préfectoral et consulaire. D’ailleurs, la première réunion des consuls et des préfets a eu lieu au mois de juillet dernier.

M. Brard nous a gratifiés de références épiscopales : il a été frappé par la révélation, ce qui prouve que rien n’est jamais perdu. Après m’avoir accusé d’attenter à la laïcité dans mon ouvrage sur les religions. Voilà qu’il brandit les déclarations des évêques : il est passé du livre rouge à la Bible !

M. Jean-Pierre Brard – Vous, vous êtes fils de Satan ! (Sourires)

M. le Ministre d’État – Vous assimilez la nouvelle politique de l’immigration à la traite des esclaves : cela est inacceptable et vous vous grandiriez en présentant vos excuses. Mais comme vous ne le ferez pas, nous ne vous le demandons pas, gagnant ainsi du temps (Sourires)

M. Teissier l’a dit fort justement: « Ceux qui disent que nous manquons de générosité manquent de lucidité ». Ce n’est pas être généreux en effet que de laisser monter le flot d’une immigration doublement subie, par les Français, et par les migrants eux-mêmes. Ne pas maîtriser l’immigration, c’est porter atteinte au souhait d’intégration des migrants en situation régulière.

M. Caresche s’est livré à une intéressante défense de la loi que j’ai mise en œuvre depuis juin 2002 et de la loi du 26 novembre 2003. Il les juge raisonnables, comme beaucoup de parlementaires. Mais que ne les ont-t-ils votées ?

M. Bernard Roman - On vous aura mal rapporté ses propos.

M. le Ministre d’État - Je ne sous-estime pas l’ampleur du désaccord sur la nécessité du projet de loi dont nous débattons aujourd’hui, mais je suis certain que M. Caresche, avec qui j’ai l’habitude de travailler, contribuera à enrichir ce texte. Je relève pourtant une faille dans son raisonnement, puisqu’il a soutenu que nous pourrions réformer par circulaire : cela est pour le moins surprenant de la part d’un législateur. Dire que l’immigration est un sujet très important et affirmer que l’on en débat trop est paradoxal. Convenons d’ailleurs qu’il est tout à fait anormal que l’immigration ne fasse pas plus souvent l’objet de discussions au Parlement.

Concernant les régularisations, celles intervenant de manière réfléchie au cas par cas restent possibles : nous supprimons les seules régularisations automatiques. Je m’expliquerai sur la création de la commission nationale, visant à harmoniser les pratiques préfectorales. Nous pouvons tous convenir de sa nécessité, comme de sa composition.

Mme Jacquaint a pris la défense des étrangers victimes du travail clandestin. Pour notre part, nous préférons agir. Entre le 1er septembre et le 31 décembre 2005, 601 opérations « coup de poing » ont été menées, dont 291 dans le secteur du BTP, 123 dans l’hôtellerie-restauration, 62 dans l’agriculture. 15 000 personnes ont été contrôlées et 925 placées en garde à vue, dont 611 employeurs, qui ont été déférés devant la justice. Ce n’est certes pas suffisant, mais c’est sans précédent. Nous ne fermons donc pas les yeux sur le travail clandestin. Je vous propose d’ailleurs de dresser le 15 juin un nouveau bilan de ces opérations « coup de poing » contre ceux qui exploitent la misère, et de faire désormais ce bilan deux fois dans l’année.

Mme Besse, suppléante de M. de Villiers, manifeste la même modération que lui et la même ouverture d’esprit. Si elle était là, je lui dirais qu’elle illustre parfaitement l’extrémisme que je refuse en tous points.

Mme Christine Boutin - Très bien !

M. le Ministre d’État – Je ne me reconnais en rien dans ce qu’elle dit, pense et incarne (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP). Le mythe de l’immigration zéro, ces slogans désagréables sur l’islam, la francisation, la fin du regroupement familial, la préférence étrangère, je ne les reconnais en rien ! Je ne laisserai pas caricaturer la droite républicaine par des propos aussi outranciers ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Comment peut-on se dire pour la « francisation » quand on est aussi éloigné de l’esprit français, de l’histoire et de la tradition françaises ?

Mme Rimane, elle, a fait honneur aux valeurs républicaines. Permettez-moi de vous raconter une anecdote : lorsque je me suis rendu aux obsèques de ce policier tué dans des conditions dramatiques à Cayenne, je me suis trouvé, à la sortie du commissariat, devant une manifestation de 300 personnes, toutes originaires de Guyane, qui scandaient « Sarkozy, le karcher ! » Loin d’exprimer leur mécontentement, elles me demandaient d’user du karcher à Cayenne, où l’immigration clandestine fait des ravages. Cette situation ne peut perdurer : il faut accroître les moyens de la lutte contre l’immigration clandestine en Guyane, où je retournerai au mois de juin. Au premier trimestre, nous avons reconduit à la frontière 2 363 personnes – soit une hausse de 164 %. Certes, ce n’est pas l’alpha et l’oméga, puisque ces personnes reviennent, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut renoncer à agir.

M. Goasguen a parfaitement rappelé l’exigence cardinale de ce projet de loi : mettre fin à l’hypocrisie des bons sentiments au profit d’une gestion volontariste des flux migratoires. Utilité de l’immigration, oui, mais une immigration à qui l’on propose un projet d’intégration.

M. Delnatte a justement insisté sur les dispositions qui protègent les étrangers en situation de faiblesse : victimes de la prostitution, mineurs relevant de l’aide sociale à l’enfance.

Le Gouvernement a écouté avec attention, comme de coutume, Mme Boutin. J’espère la convaincre que le texte ne porte pas atteinte à la vie familiale des étrangers.

M. Patrick Braouezec - Cela va être compliqué !

M. le Ministre d’État – Non : Mme Boutin est quelqu’un de très honnête, qui est capable de changer d’avis pour peu qu’on débatte loyalement. Il est plutôt rassurant, au demeurant, que des parlementaires aient des convictions, notamment sur la famille. Permettez-moi, Madame Boutin, de prendre l’exemple des mariages de complaisance. Ce n’est pas une vue de l’esprit. En avril, nous avons interpellé 47 personnes appartenant à une filière d’organisation de mariages de complaisance à Montpellier. Pour mettre des ressortissants nord-africains en relation avec des Françaises en situation précaire, les entremetteurs exigeaient 9 000 euros. C’est donc – je n’ai pas peur de le dire – le prix d’achat d’une épouse française, qui donnera droit à une carte de séjour et, quelques années plus tard, à la nationalité française. Mais si votre souci, Madame Boutin, est que l’on évite l’amalgame entre fraude et amour, nous répondrons présent !

M. Kamardine s’est fait, avec conviction, le porte-parole de Mayotte, où les moyens opérationnels ont été renforcés ces derniers mois. Je souhaite qu’une étude technique soit diligentée dès le mois de juin en vue de l’installation d’un troisième radar, sur la côte est.

Mme Taubira a cité René Char, qui disait que les mots savent de nous plus que nous n’en savons nous-mêmes. Chacun serait bien inspiré d’y réfléchir. Du reste, vous vous adressiez à tout le monde.

Mme Christiane Taubira - A vous, Monsieur le ministre, et sans ambiguïté !

M. le Ministre d’État – Je ne puis le croire : une voix comme la vôtre doit porter sur tous les bancs de cette Assemblée.

Mme Christiane Taubira - C’est votre texte : assumez-le !

M. le Ministre d’État – M. Piron a insisté sur la nécessité d’un dialogue des cultures et sur la réciprocité de l’intégration. Il a raison : on ne peut prétendre s’intégrer sans un minimum d’efforts. Je ne doute pas, Monsieur Piron, que vous saurez enrichir le texte sur le contrat d’intégration.

M. Victoria est intervenu en véritable républicain. Je n’en attendais pas moins d’un représentant de la Réunion, exemple exceptionnel de dialogue des cultures. Le conseil général y est présidé par une femme, jeune, de couleur, de confession musulmane et membre de l’UMP – bref, que des qualités ! (Rires et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP) La mosquée de Saint-Denis de la Réunion est la plus ancienne de France : elle a été construite en 1905, bien avant celle de Paris. Les élus de la Réunion ont donc beaucoup à nous apporter en matière de respect d’autrui et de tolérance. Par comparaison avec un territoire comme la Nouvelle-Calédonie, la Réunion est marquée par un métissage très important : c’est un exemple exceptionnel de réussite, qui devrait faire figure de modèle pour la métropole.

M. Pinte partage les interrogations de Christine Boutin, mais c’est avec lui que j’ai l’habitude de travailler – nous l’avons fait pour la réforme de la double peine. Le Gouvernement lèvera article par article les malentendus, et apportera des améliorations, notamment sur le délai de recours contre un refus de séjour, sujet qui vous tient à cœur.

M. Deflesselles a observé, avec raison, que la panne de l’ascenseur social rend nécessaire une vraie politique d’intégration.

M. Beaugendre s’est fait l’écho des préoccupations de nos compatriotes de Guadeloupe. Notre objectif pour 2006 est de parvenir à 2 000 reconduites à la frontière, soit une hausse de 40 %.

Je remercie M. Herbillon pour son soutien.

Mme Louis-Carabin a évoqué avec éloquence, elle aussi, la situation de la Guadeloupe. Je lui ai répondu hier lors de la séance des questions d’actualité.

Je remercie M. Vanneste d’avoir insisté sur la logique contractuelle du contrat d’intégration, qui est essentielle. L’immigration crée des obligations réciproques. Il n’y a aucune raison que celles-ci incombent au seul pays d’accueil. Avec la logique contractuelle, on ne reconnaît pas seulement au migrant des droits, mais aussi des devoirs ; et en les lui imposant, on fait de lui un citoyen à part entière. Quant au partenariat avec les pays d’origine, nous aurons l’occasion d’en reparler.

Merci, Madame Brunel, d’avoir évoqué la situation des femmes issues de l’immigration, particulièrement préoccupante dans certaines communautés. Le Gouvernement est très ouvert à votre amendement permettant la mise sous tutelle par le juge des enfants des allocations familiales des familles polygames. Dire que la polygamie ne doit pas exister en France, ce n’est pas faire preuve de racisme.

M. Raoult est un homme remarquable, généreux et réélu avec constance en Seine-Saint-Denis. Il apportera son expérience à ce texte, car il sait aller au-delà des seuls clivages idéologiques.

Nous pouvons être en désaccord, Monsieur Rivière, mais en politique, il faut veiller à l’équilibre de sa position. Equilibre entre justice et fermeté. Ne croyez pas que la région dont vous êtes l’élu ne prise que la première. Je la connais bien. Il y a là-bas un tempérament attaché à l’autorité et à l’ordre, mais il y a aussi beaucoup d’humanité. Vous gagneriez assurément à rééquilibrer votre position entre justice et fermeté (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Si j’insiste sur ce point, c’est que la meilleure chance pour la gauche, c’est que la droite se caricature elle-même, par la faiblesse, vous avez raison, mais aussi par l’excès de ses positions. C’est pourquoi je n’accepterai pas d’aller plus loin que là où je souhaite m’arrêter.

Mme Christine Boutin - Merci.

M. le Ministre d’État – J’accepte de débattre avec vous, Monsieur Rivière, alors que je refuse de le faire avec Le Pen ou de Villiers. Le débat n’aura pas lieu seulement avec la partie gauche de l’hémicycle, je prendrai le temps de le mener aussi avec sa partie droite. Ce n’est pas une honte que de souhaiter de la fermeté (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Simplement, il y a des limites que je ne franchirai pas car j’ai acquis la conviction que chaque Français porte en lui la double exigence de fermeté et d’humanité. C’est une seule et même France qui est à la fois ferme et généreuse. Chacun d’entre nous souhaite à la fois davantage de dépenses publiques et moins d’impôts, il a le cœur serré lors de l’évacuation d’un squat et il est excédé que notre pays laisse entrer tous ceux qui le souhaitent.

Le débat sur l’immigration est un débat légitime. La droite a d’ailleurs commis une grave faute en ne l’ouvrant pas par le passé. Nous pouvons avoir des désaccords, par exemple sur la situation des étrangers gravement malades. Il nous faut les assumer, et je ne me déroberai pas, car cela va bien au-delà de la seule mesure en cause. Je ne laisserai pas dénaturer mon texte sur un point qui risquerait de le faire basculer vers l’absence d’humanité. Pour chaque mesure, nous devrons veiller à ce délicat point d’équilibre entre fermeté et générosité. Toute la difficulté est qu’il n’est nulle part écrit ce qui est généreux et ce qui ne l’est pas. Tout est question d’analyse politique. Si je fixe des limites dès l’ouverture de ce débat, c’est que je refuse que nous versions dans la caricature.

Le débat sur l’immigration ne se limite pas à un débat entre la droite et la gauche. Il doit avoir lieu dans la majorité également, notamment au sein de l’UMP qui a vocation à couvrir un spectre électoral assez large et doit donc prendre le temps de rechercher un consensus (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Ce débat au sein de notre parti ne me gêne pas du tout : cela nous permet d’avoir une vraie politique de l’immigration, alors que le parti socialiste n’en a aucune ! Nous pouvons avoir des désaccords sur certains points, et les exprimer.

M. Jean-Pierre Brard - Le président de l’UMP, c’est le fléau de la balance !

M. le Ministre – Monsieur Dray, que j’apprécie pour n’avoir jamais considéré, vous, que l’immigration était un sujet tabou – ils n’étaient pas si nombreux, à gauche, ceux qui ont eu ce courage ! –, je vous invite à relire attentivement le document que vous avez élaboré pour le compte du parti socialiste, et où il est question de « régulation quantitative ». Proposez des amendements sur le sujet, le Gouvernement sera ouvert. Vous avez des idées sur l’immigration. Faites-nous en part et nous pourrons peut-être avancer ensemble.

M. Julien Dray - Vous n’avez pas lu mon intervention !

M. le Ministre d’État – Mais si bien sûr, car rien de ce que vous dites ni même pensez ne m’est indifférent ! (Sourires) En tout cas, je ne peux me résoudre à ce que le parti socialiste, parti de gouvernement, ne propose que des amendements de suppression.

Je terminerai par trois points. Tout d’abord, l’immigration choisie, c’est une immigration régulée (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste). Si vous souhaitez que l’on définisse différemment l’objectif de maîtrise, le Gouvernement est ouvert. Ensuite, il faut réaffirmer le lien étroit entre immigration et intégration : sur ce point aussi, nous pouvons nous retrouver à condition d’en finir avec les faux-semblants. Enfin, notre politique d’immigration doit s’accompagner d’une stratégie ambitieuse de co-développement : lorsque les populations trouveront du travail et se verront un avenir dans leur pays d’origine, il est évident que les flux migratoires faibliront.

Je vous prie une nouvelle fois de m’excuser de n’avoir pas été présent cet après-midi. Mon emploi du temps a été bouleversé du fait que j’ai souhaité assister à l’enterrement en province d’un gendarme motocycliste tué en exercice, ce qui ne m’a pas permis d’assister, comme je l’aurais souhaité, à la séance des questions d’actualité ni à la reprise du débat sur ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Christiane Taubira - Rappel au Règlement fondé sur l’article 58, alinéa 1. Je prierai le ministre de bien vouloir à l’avenir éviter les raccourcis et les amalgames. Si lors de sa dernière visite en Guyane, quelques centaines de manifestants, rassemblés pour protester contre le meurtre d’un policier, ont pu crier : « Karcher ! Y en a marre du Guyana ! », on ne saurait prétendre que cela reflète l’opinion de l’ensemble du peuple guyanais. Même si trois cents personnes avaient crié d’une même voix qu’elles en avaient « marre du Guyana », nous sommes tout de même 200 000 en Guyane ! Ne donnez donc pas cette mauvaise image des Guyanais ! Le policier Jean-Richard Robinson a été tué par un voyou. Ce ne sont pas des amalgames douteux entre l’immigration et la criminalité qui feront progresser la lutte contre celle-ci, que nous souhaitons ferme et sans complaisance. Les personnes qui sont reconduites aux frontières, parfois plusieurs fois dans l’année, le plus souvent des travailleurs clandestins embauchés sur les chantiers du centre ville, ne sont pas les criminels qui mettent en danger la vie des policiers et des habitants.

Pour le reste, je suis rassurée que vous ne vous réjouissiez pas du contenu de mon intervention d’hier, dont vous n’avez d’ailleurs retenu qu’une citation de René Char. J’en avais d’ailleurs donné une autre, qui aurait pu être écrite à votre intention : « Monter, grimper, oui ! Mais se hisser, oh, comme c’est difficile » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

motion de renvoi en commission

Mme la Présidente - J’ai reçu de M. Bocquet et des membres du groupe communiste et républicain une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 7, du Règlement.

M. Patrick Braouezec - Je vous ai écouté avec attention, Monsieur le ministre, mais vous ne m’avez pas convaincu.

Les migrations constituent aujourd’hui un phénomène massif. Elles sont souvent une question de vie ou de mort pour les intéressés, autant dire qu’elles sont devenues une stratégie de survie. Plus de 175 millions de personnes seraient concernées de par le monde. Préoccupés d’abord par la gestion des flux migratoires, les États éludent fréquemment la question de la protection des migrants et ne reconnaissent pas leur contribution positive à l’économie. La migration est pourtant l’un des droits humains, consacré notamment par les pactes internationaux, premiers instruments de portée globale et juridiquement contraignants, formant avec la Déclaration universelle des droits de l'homme, la base de la protection internationale des droits humains ainsi que des obligations des Etats.

Si la réglementation relative aux migrations et aux migrants demeure une compétence de l'État, celle-ci est soumise aux obligations internationales. Toute législation nationale, toute mesure administrative ou toute forme de régulation juridique des migrants doit se conformer aux normes fixées par les accords internationaux.

Les États doivent ainsi remplir les obligations que leur créent les deux pactes de 1966 et, s'il y a lieu, les protocoles facultatifs annexes au pacte international relatif aux droits civils et politiques, et bien sûr la Déclaration universelle des droits de l'homme qui proclame que tous les hommes naissent libres et égaux en droit et que chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés consacrées, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur ou d'origine. Ces instruments internationaux relatifs aux droits humains s'appliquent de la même façon aux ressortissants et aux non-ressortissants, donc à tous les migrants, indépendamment de leur statut et de leur nationalité.

C'est à la lumière d’exemples de vie que je vais justifier la procédure de renvoi en commission. Premier exemple : M. M.H.K., kashmiri du Pakistan, arrive en France en janvier 2002, et y demande l’asile. Débouté malgré un dossier très solide, iI reste sur le territoire et rencontre une Française avec laquelle il se marie en décembre 2004. Il demande alors un titre de séjour, qui lui est refusé en août 2005. Il forme un recours gracieux, arguant notamment du fait que sa femme est enceinte. Mais un arrêté de reconduite à la frontière lui est notifié en février 2006, alors que son épouse est enceinte de huit mois -ce que la préfecture n'ignore pas. L’enfant, français, naît alors que l’arrêté de reconduite n’est pas encore exécuté. En attendant, on a fait « du chiffre » en matière d’arrêtés prononcés mais surtout empoisonné la vie de ce couple, M. M.H.K, toujours sans papiers, ne pouvant travailler. En cette affaire, ont été violées la Déclaration universelle des droits de l'homme, M. M.H. K ayant été débouté de sa demande d'asile ; la convention européenne des droits humains, puisque ce couple a été privé de sont droit au respect de la vie privée et familiale ; et le pacte relatif aux droits économiques et sociaux. Pourtant, notre Constitution donne aux traités et accords internationaux une autorité supérieure à celle des lois dès leur publication. Et de fait, en 2004, la rapporteure spéciale du haut commissariat aux droits de l’homme, dans ses communications, a souligné que les discriminations envers les migrants tenaient surtout à l’application des normes internationales. Par ailleurs, elle s’est vivement préoccupée des campagnes destinées, dans plusieurs pays européens, à criminaliser l’immigration et à y relier directement l’augmentation de la délinquance – ce dont nous avons eu l’exemple dans les propos tenus il y a quelques instants. Dans son rapport de 2005, elle relève que ceux dont la couleur ou la religion diffèrent de la majorité sont souvent soumis à des violences et des violations de leurs droits, quel que soit leur statut juridique. Dans certains Etats, on leur applique plus durement les mesures antiterroristes.

Autre exemple, celui de cet Angolais qui, en 1992, dépose une demande d’asile. Ses demandes successives sont rejetées sans motif. Il vit jusqu’en 1999 dans l’illégalité, est souvent placé en centre de rétention, jusqu’à ce qu’un juge demande à l’OFPRA de rouvrir son dossier. Depuis juillet 2002, il a le statut de réfugié, après 10 ans d’une vie de sans-papiers, pour un refus non justifié.

L’immigration est devenue une question sociale, économique et politique des plus délicates. Avec ce projet, comme avec les lois de 1996 et 1997, vous pensez avoir trouvé la solution miracle : rendre l’entrée sur le territoire de plus en plus complexe en multipliant les statuts. Par exemple, un étranger ayant obtenu une carte de séjour avec mention « salarié » dans un Dom ne pourra pas changer de département, passer de la Guyane à la Martinique ou la Guadeloupe. Pourquoi ce traitement différent entre la métropole et l’outre-mer ?

Pour ce gouvernement le succès d’une politique se mesurera au nombre de migrants déboutés à l’entrée. Vous venez d’ailleurs de nous rappeler des chiffres, uniquement des chiffres. Pourtant le nombre de migrants est passé de 82 000 à 60 000 entre 2002 et 2005. Le traité européen, qui constituait une régression, était néanmoins plus raisonnable que le Gouvernement sur cette question. Son article III-266 dit qu’il ne s’agit pas de réduire le nombre de réfugiés mais de leur assurer une protection conforme à la convention de Genève de 1951 et au droit international. Ceux qui plaidaient pour l’adoption de ce traité veulent aujourd’hui nous faire adopter, dans un délai très court, une loi qui viole ce cadre international. Et y aura-t-il débat ? Le rapport consolidé nous a été remis hier matin à 9 heures 30. Comment aurions-nous pu travailler avec les associations sur les amendements ? Mais vous êtes pressés de faire adopter des projets, en raison des échéances électorales. Nous travaillerons de même dans l’urgence sur le projet relatif à la prévention de la délinquance des mineurs. C’est une politique au rendement.

Vous faites des sondages de décembre 2005 un argument d’autorité. Mais selon celui de l’institut Louis Harris 2 des 28 et 29 avril derniers, 54% des Français pensent que la France doit être un pays d’accueil, 46% que l’immigration est un atout, et 76 % sont pour la régularisation des sans papiers présents sur le territoire depuis cinq ans. Si d’autres pays ont, effectivement, pris des mesures pour réduire l’immigration, vous vous êtes gardé de dire qu’ils ont aussi procédé à de très nombreuses régularisations.

Vous justifiez aussi votre projet par des réalités comme les violences urbaines sans en examiner les causes profondes. De fait, ce projet ne donne pas toutes les garanties qu’une démocratie se doit d’offrir. Et un homme politique ne peut suivre l’opinion ni régler ses convictions sur les sondages. Dans l’ouvrage que vous avez écrit il y a cinq ans, vous écriviez, à propos du regroupement familial, qu’on ne peut réussir l’intégration d’un homme vivant à des milliers de kilomètres de sa femme et de ses enfants. C’est aussi ce que vous ont dit Stéphane Hessel, dans un article du Monde, le collectif de 500 associations contre l’immigration jetable, et les églises.

La commission nationale consultative des droits de l’homme dira sans doute encore que la législation sur les étrangers ne cesse d'être modifiée et qu'elle est de plus en plus complexe, sans qu’on se donne les moyens de voir ce qu’elle donne. En fait, cette complexité vise à décourager les recours. Vous voulez verrouiller toutes les portes. A ce jeu-là, les migrants perdent la liberté individuelle et la sûreté, et le bénéfice du recours permettant d'assurer la garantie de ces droits et libertés, alors que dans sa décision 325 du 13 août 1993, le Conseil constitutionnel rappelait que «le législateur peut prendre à l'égard des étrangers des dispositions spécifiques, mais il lui appartient de respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. » Vous êtes si pressé de vous débarrasser des migrants, que ce projet contient quelques incongruités sur lesquelles nous reviendrons dans la discussion des articles. Il contient aussi quelques gadgets. Reste que la France va devenir un pays qui viole les libertés individuelles et publiques.

Ainsi, vous édictez de nombreuses règles pour lutter contre le mariage frauduleux ou la polygamie, sans jamais vous appuyer sur des éléments probants. Plutôt que d’indiquer dans le rapport le nombre de saisines demandant l'annulation d'un mariage, qu’on nous donne le nombre de mariages annulés après saisine, et les périodes et les lieux de ces annulations, car selon des avocats du Var, dans certains départements, il y a saisine systématique dès qu'il s'agît de mariage « mixte ». Depuis 2003, on a renforcé le contrôle sur ces mariages entre un Français et un étranger. Est-ce à dire que pour vous, tout mariage avec un étranger en situation irrégulière est un mariage de complaisance ? La liberté du mariage a valeur constitutionnelle. En dotant le Gouvernement du droit de dénonciation, ce qui vient doubler ce que fait déjà le Parquet, vous soumettez ce droit constitutionnel à une règle qui relève uniquement de la police des étrangers. Vous soupçonnez les mariages mixtes, car le mariage crée des droits, et vous voulez en supprimer le maximum pour les étrangers. Pour aimer quelqu'un d'un autre pays, le plus simple sera bientôt d'aller se marier ailleurs dans l’Union européenne. Vous êtes impuissant face à la délocalisation des entreprises, mais vous favoriseriez bien celle du mariage ! Créer des obligations en réduisant le plus possible les droits, est-ce cela la démocratie ?

Il faut s'interroger quand même sur les raisons de la migration. Elle a bien ses sources dans ce que la mondialisation impose à de nombreux pays. Certains voudraient faire croire qu’elle pourrait la faire diminuer. Or, les pays en développement ne sont toujours pas capables de retenir sur place les travailleurs. Outre les flux de capitaux et de biens, la mondialisation a aussi modifié les migrations internationales de main d’œuvre. Ne circulent plus que ceux qui sont réduits à l’état de marchandise, soumis comme toute autre marchandise aux seules règles du marché.

Un vieil Algérien retraité, ayant donné une vie de travail à notre économie, expliquait récemment comment les immigrés, réduits à de simples fiches de paie, subissent partout le soupçon immédiat et doivent toujours prouver qu’ils travaillent – car s’ils ne travaillent pas, à quoi servent-ils donc ?

Le libéralisme, qui ne saurait s’encombrer de règlementations nationales, entraîne le démantèlement de nos systèmes de protection sociale : salaire minimum, durée du travail, conditions d’hygiène et de sécurité, interdiction du travail des enfants…

M. Francis Delattre - Et le goulag ?

M. Patrick Braouezec - Vous n’avez donc que ce mot-là à la bouche ?

La mondialisation de la pauvreté atteint de vastes secteurs des pays riches, notamment les étrangers, surtout s’ils sont en situation irrégulière. Les dérégulations qui en découlent sont multiples : politiques, mais aussi culturelles. Le racisme se répand : jamais, il y a dix ans, on n’aurait lu ou entendu certaines phrases de votre projet de loi, ou d’autres prononcées ici même il y a quelques instants ! Quant aux conditions d’accueil, elles restent problématiques.

M. Francis Delattre - Quelques bulldozers ne seraient pas de trop !

M. Patrick Braouezec - La migration, l’une des formes de la mondialisation néo-libérale, est plus que jamais au cœur des débats. Les travailleurs migrants sont plus nombreux dans les emplois mal payés qui requièrent peu de qualifications, et leur taux de chômage est supérieur à la moyenne.

M. Richard Mallié - Voilà pourquoi il faut choisir l’immigration !

M. Patrick Braouezec - Pourtant, votre projet de loi ne s’embarrasse d’aucune analyse politique : il lui suffit de démontrer que la migration est devenue un délit, tant dans les pays de départ que dans les pays d’arrivée. Souvenez-vous de Ceuta et Melilla ! La migration ainsi criminalisée, les politiques migratoires des pays européens se transforment en panoplies militaires et policières plutôt qu’en véritables politiques d’insertion. Les migrants viennent remplir nos réservoirs de main d’œuvre bon marché, où ils deviennent la proie de réseaux mafieux, souvent seule porte d’entrée sur nos territoires. Votre immigration « choisie » n’est au fond qu’une immigration jetable : il s’agit de renvoyer ceux qui sont venus chez nous pour un poste qui n’existe plus ou qu’un Français occupe. C’est pour disposer de cette main d’œuvre bon marché que vous multipliez les statuts et les cartes : certaines seront retirées dès la perte d’emploi, voire lorsque l’administration le jugera bon. Inféodés à leur employeur et soumis aux volte-faces de l’administration, les migrants seront condamnés à la précarité.

Autre exemple : S. D., du Bangladesh, obtient enfin, après de nombreuses difficultés, le formulaire de l’Ofpra nécessaire à sa demande d’asile, qu’il doit renvoyer sous un mois. Entre temps, la loi change et le délai est ramené à 21 jours : l’ignorant, il envoie son courrier 24 jours après, et l’Ofpra le refuse. Est-ce en coinçant les migrants sous les fourches caudines de circulaires toujours plus contraignantes que vous prétendez maîtriser l’intégration ?

La situation sera certes moins difficile pour les détenteurs d’une carte « compétences et talents », qui pourront rester en France après la perte de leur emploi et changer plus facilement de secteur ou de région. Mais choisir des travailleurs hautement qualifiés –objectif dont la légitimité se discute – ne sera pas tâche facile avec ce projet de loi. Ces travailleurs comparent la situation que peuvent leur offrir différents pays d’accueil. Or, l’offre est beaucoup plus alléchante ailleurs en Europe et aux Etats-Unis – où la carte verte leur est immédiatement délivrée – à tel point que nos propres étudiants décident de s’y expatrier. En outre, l’offre française n’assure pas la sécurité du séjour : le doute plane sur le renouvellement de la carte « salarié ». Combien de jeunes espoirs du football ont-ils perdu leur titre de séjour suite à une blessure ou des résultats jugés trop moyens ?

Avec la carte « compétences et talents », le Gouvernement poursuit son pillage des pays en développement. A défaut d’être naturelles, elles sont désormais humaines et intellectuelles. Ainsi, pour la première fois depuis 1974, on ouvre la porte à l’immigration du travail. Il s’agit surtout d’admettre des travailleurs moyennement qualifiés, taillables et corvéables à merci qui, une fois « jetés », iront grossir les rangs des sans-papiers. Le seul titre de séjour vraiment sûr est la carte de résident de dix ans renouvelable de droit, mais elle n’est délivrée qu’à un titulaire d’une autre carte après cinq ans de séjour, à la discrétion de l’administration. Ainsi, l’autorité administrative pourra fixer des métiers et des zones géographiques où la situation de l’emploi ne sera pas opposable à l’embauche de travailleurs étrangers moyennement qualifiés. Déjà, à Barcelone en 2000, la Commission européenne avait envisagé que les formations des lycées professionnels ne correspondent qu’aux besoins du marché…

Les pouvoirs de l’administration ne s’arrêtent pas là : elle définira les conditions de l’éloignement qui menacent les droits de la défense, ainsi que les restrictions au droit de vivre en famille en rendant le regroupement familial plus contraignant. Ainsi M. K., du Cameroun, paraplégique, est entré en France en juillet 2000 pour suivre un traitement non disponible dans son pays. Après l’obtention de sa carte de séjour pour traitement médical renouvelé, et la reconnaissance de son handicap par la COTOREP, il déposa une demande de regroupement familial qui fut rejetée au motif de ressources insuffisantes. De recours gracieux en rejets, sa femme a cru qu’il les délaissait et a demandé le divorce. En outre, M. K., qui pratiquait le basketball au plus haut niveau dans les compétitions d’handisport, a dû annuler ses déplacements.

M. Francis Delattre - Tout cela justifie-t-il une motion de renvoi en commission ?

M. Patrick Braouezec - Victime du refus du droit à la famille et du droit à se faire soigner, il subit votre système où l’on jette tout ce qui dérange. Aujourd’hui, il est plus loin que jamais de cette intégration dont on nous rebat les oreilles, qui l’a plutôt désintégré.

Votre projet de loi ne fera que créer de nouveaux sans-papiers, pour lesquels le Gouvernement se demandera quelle nouvelle loi adopter pour les éliminer une bonne fois pour toutes, parce que la France serait « trop fragile pour subir l’épreuve de la régularisation ». De loi en projet de loi, vous ne cessez de désigner l’étranger comme le responsable de tous les maux et l’immigration comme le seul problème. Vous attisez la peur de l’autre et la crainte de l’avenir à l’aune de la lutte contre le terrorisme qui régit le nouvel ordre économique que l’on nous impose. Vous éludez la tension entre profit et travail, au cœur du problème des migrations, pour ne vous concentrer que sur les sans-papiers. Personne n’est dupe : votre objectif est bel et bien la recherche du profit.

Dans la continuité de ce qui se fait depuis vingt ans, ce projet de loi est conforme à vos choix de société : surveiller, punir, exclure. Vous expérimentez vos nouvelles mesures outre-mer, dont vous avez fait le laboratoire de la lutte contre l’immigration clandestine.

A cette politique dangereuse, nous préférons un modèle de société solidaire fondé sur le respect des droits et des textes fondamentaux, des recommandations du Conseil européen de Tampere qui préconise une législation européenne harmonisée en matière d’asile et d’immigration. Seul le co-développement permettra d’inverser les flux migratoires. La mondialisation rend ces réformes difficiles, mais ce sont les seules possibles : il faut renforcer la protection des droits humains et l’égalité de traitement. Ce projet de loi, simple répertoire de faux-semblants, ne répond en rien à ces préoccupations, celles des Français qui, n’en déplaise à M. Raoult, sont des citoyens responsables et solidaires.

Pour toutes ces raisons, Monsieur le ministre, je demande le renvoi du projet de loi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. le Ministre délégué – C’est avec raison que vous vous souciez des demandeurs d’asile, mais ne vous trompez pas de cible, Monsieur Braouezec : avant 2002, il fallait deux ou trois ans pour statuer sur une demande d’asile ; nous avons ramené ce délai à un an en moyenne. C’est ainsi que l’on accueille mieux les demandeurs et que l’on respecte l’esprit de la convention de Genève ! En outre, vous confondez la lutte contre les détournements de procédure ou contre les abus en matière d’immigration familiale avec la violation du droit des gens. Mais l’assemblée générale du conseil d’Etat vous a répondu par avance en approuvant notre projet. Cet avis présage d’ailleurs selon moi de l’éventuelle décision du Conseil constitutionnel.

Nous le revendiquons : ce projet prend en compte nos besoins économiques. Je crois à la valeur du travail.

M. Patrick Braouezec - A celle du profit, surtout !

M. le Ministre délégué – C’est en effet le travail qui est le principal facteur d’intégration et nous devons tout faire pour que les étrangers qui souhaitent s’installer chez nous puissent trouver un emploi. Quant au pillage des cerveaux, c’est notre projet qui, pour la première fois, prend en compte la notion d’intérêt du pays d’origine. Là encore, nous le revendiquons, et cela ne vous autorise pas, Monsieur Braouezec, à nous donner des leçons !

La commission des lois a considérablement travaillé, et son rapport est disponible sur internet depuis vendredi dernier : il n’y a donc aucune raison de demander un renvoi en commission. Je demande à l’Assemblée de rejeter cette motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois Je félicite M. Braouezec : il demande un renvoi en commission faute d’informations suffisantes mais il a tout de même exposé pendant plus d’une demi-heure son point de vue sur ce projet !

En novembre 2005, j’ai décidé, à la demande de M. le ministre de l’outre-mer, de mettre en place une mission d’information sur Mayotte présidée par M. Dosière, du groupe socialiste, et dont le rapporteur était M. Quentin, du groupe UMP. Elle a travaillé pendant quatre mois puis a rendu son rapport, approuvé par tous les groupes, le groupe communiste ne s’y opposant pas non plus puisqu’il n’a pas pris part au vote. Ce texte reprend les préconisations de ce rapport. M. le rapporteur, le 1er mars, a de plus présenté un rapport d’application de la loi de 2003. M. le ministre de l’Intérieur s’est exprimé quant à lui devant la commission le 29 mars, à la sortie du conseil des ministres au cours duquel ce projet venait d’être adopté. Une discussion générale a ensuite eu lieu. Un mois plus tard, le rapporteur a présenté le texte devant la commission après avoir entendu une cinquantaine de personnes. Chacun a pu s’exprimer, et personne, alors, n’a demandé une prolongation des débats. J’ajoute que le rapport est en ligne depuis le 28 avril…

M. Bernard Roman - C’est faux !

M. Patrick Braouezec - En effet.

M. le Président de la commission - … même si la version papier n’a été distribuée que le 2 mai. Enfin, le nombre d’amendements qui ont été déposés témoigne que nous avons eu largement le temps de débattre.

Je félicite M. le rapporteur pour son excellent travail, ainsi que l’ensemble des membres de la commission. Un renvoi ne s’impose évidemment en rien.

Mme la Présidente - Je suis saisie par le groupe socialiste d’une demande de scrutin public sur le vote de la motion de renvoi en commission.

M. Michel Diefenbacher – J’ai beaucoup de mal à saisir le lien entre les cas particuliers cités par M. Braouezec et la demande de renvoi en commission. Certes, le droit de l’immigration suscite, comme tous les droits, des difficultés d’interprétation et donc des contentieux. Ils sont en l’occurrence d’autant plus délicats que les règles sont particulièrement complexes et qu’ils concernent de douloureuses situations humaines. M. Braouezec, néanmoins, met surtout en cause le droit actuel…

M. Patrick Braouezec - Que vous aggravez !

M. Michel Diefenbacher - … et non le projet. Ses observations pourront être examinées dans le cadre de la discussion des amendements, mais encore faut-il qu’elle puisse avoir lieu. Le sujet que nous abordons est grave et ne mérite ni formule à l’emporte-pièce, ni procès d’intention, ni caricature. La loi que nous voterons aura des conséquences sur des dizaines de milliers de personnes, sur la France elle-même, sur son image et sa cohésion sociale. Il faut bien reconnaître, en l’occurrence, qu’elle est sérieusement mise à mal depuis trente ans : cités-ghettos, violences urbaines, communautarismes, montée des extrémismes... L’immigration n’est évidemment pas la seule responsable de ces difficultés, mais son maintien à un niveau élevé, alors que le chômage a doublé sur la même période, comporte des conséquences inacceptables et pour les migrants, et pour le pays : les premiers, en effet, n’ont ni emplois, ni logements, ni perspectives ; le système d’intégration du second est quant à lui en panne. Ne soyons pas hypocrites ! Pour se réclamer de l’humanisme, il ne suffit pas d’ouvrir les bras et de faire preuve de bons sentiments…

M. Jean-Pierre Brard - On ne peut certes vous le reprocher !

M. Michel Diefenbacher - … il faut être capable d’accueillir dignement les migrants. La gauche, comme d’habitude, propose le statu quo et applique son adage : cela ne va pas, ne changeons rien. C’est le langage qu’elle tient depuis quatre ans à l’occasion de toutes les grandes réformes que nous avons engagées. Depuis trente ans le peuple crie son désarroi, clame son impatience face à la montée inexorable d’une immigration incontrôlée…

M. René Dosière - C’est faux !

M. Michel Diefenbacher - … et il faudrait renvoyer ce texte en commission ? Face à cet immobilisme, le Gouvernement fait preuve d’une véritable ambition. Il ne s’agit pas de verrouiller l’immigration, mais de réussir l’intégration. Il faut être ferme et juste. C’est ce difficile équilibre que le Gouvernement a recherché et que le Parlement doit chercher à atteindre avec lui. Je souhaite que nous discutions sereinement et sans tabous.

La démocratie, c’est d’abord la liberté de choisir : la politique, les gouvernants, le destin national, le mode de vie. Et l’on ne pourrait choisir notre politique d’immigration ? Le refus de principe d’une immigration choisie relève de l’idéologie. Laissons la gauche s’aveugler ! Écoutons le peuple ! Il est temps de débattre, de voter, d’agir ! Le groupe UMP ne votera évidemment pas cette motion (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard – On croit rêver en entendant M. Diefenbacher dire qu’il faut écouter le peuple ! Mais le peuple vous a botté les fesses à plusieurs reprises depuis 2002 ! Vous oubliez jusqu’aux leçons les plus récentes. Vous avez ainsi chanté les louanges du CPE avant de réciter votre acte de contrition : il est vrai que les Français ont dû descendre dans la rue pour que vous les entendiez vraiment.

M. le président de la commission a prétendu qu’une motion d’une demi-heure était bien longue. Non, quand vous rompez avec les valeurs qui assurent le rayonnement de notre pays depuis la Révolution française. Et vous voudriez que nous bâclions notre intervention ?

Le Gouvernement n’a même pas fait le bilan de la loi de 2003. La commission, quant à elle, pourrait encore beaucoup travailler. Puisque, selon M. Sarkozy, les autres pays agissent comme vous vous apprêtez à agir, pourquoi proposez-vous que le Parlement adopte une liste de pays dits sûrs différente de celle de l’Union européenne ? En fait, vous violez la déclaration des droits de l’homme. J’ai dit hier que nous avons organisé une réunion à Montreuil pour débattre de votre texte. Vous auriez dû entendre ces résidents étrangers qui sont parfois chez nous depuis quarante ans, qui ont passé leur vie à travailler chez nous pour faire vivre leur famille là-bas. J’aurais aimé que vous mesuriez ce que c’est que de condamner des gens mariés au célibat, d’obliger des enfants à vivre loin de leur père. Ce n’est pas humain !

M. Sarkozy s’est adressé tout à l’heure à M. Rivière, qui a ainsi montré toute son utilité politique : il sert d’escabeau au ministre, il lui permet de se faire passer pour un centriste. Pourtant, on connaît ses positions : nous en sommes à 20 000 reconduites à la frontière. Vous voulez à l’évidence faire du chiffre, comme si c’était honorable. Mais, sur 400 000 clandestins estimés, quel est votre objectif ? Passer de 5 à 7 ou 8  ? Cela ne changera rien !

En fait, ce que vous voulez imposer, c’est une précarisation générale. De quels critères allez-vous tenir compte, lors de l’évaluation de la personnalité des candidats ? De l’aptitude au syndicalisme, par exemple ? Vous dites qu’il ne faut pas faire de procès d’intention : c’est vrai, c’est sur vos actes que nous vous jugeons ! M. Estrosi assume au moins, lui, ses propos : il estime avoir besoin de l’immigration « pour notre économie ». Nous aurions besoin de salariés importés, comme on importe 80 millions de tonnes de pétrole, pour faire tourner notre économie ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Monsieur Vanneste, votre ire me plait : le jour où vous me féliciterez, je me demanderai, comme August Bebel, quelle bêtise j’ai bien pu faire ! Vos attaques sont l’hommage du vice à la vertu ! On ne jette de pierres qu’à l’arbre qui porte des fruits !

Mme la Présidente - Monsieur Brard, veuillez conclure.

M. Jean-Pierre Brard - Hier, le ministre d’État nous proposait de « prendre », par exemple, des médecins chinois et des informaticiens indiens… On le voit très bien, avec son panier, faire son marché et vider les pays en développement de leurs forces vives, pour les piller comme le faisaient hier les troupes coloniales ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Bernard Roman - Le président Houillon a eu beau s’évertuer à justifier le rejet de cette motion de renvoi en commission, je m’associe à l’ensemble des propos de Patrick Braouezec. Certes, M. Sarkozy est pressé que son projet devienne une réalité. Bien des ministres doivent d’ailleurs être jaloux de quelqu’un qui est capable de présenter son texte en commission le jour même où il est examiné en conseil des ministres, et de l’inscrire si vite à un ordre du jour du Parlement déjà chargé, et compliqué encore par la crise du CPE ! Bref, il était si pressé que la commission des lois s’est réunie, contrairement à la coutume, pendant une période où l’Assemblée ne siégeait pas, les travaux qui étaient en cours dans le bâtiment nous ayant même posé des problèmes pour organiser nos auditions !

M. Sarkozy a aussi, à l’ouverture du débat, déclaré l’urgence du texte. Pour ma part, je préfère continuer à penser que le rôle du Parlement dans l’élaboration de la loi peut être décisif… La navette parlementaire présente un intérêt majeur, et c’est encore plus le cas pour un texte rempli d’approximations qui feront les délices de la jurisprudence. Le rôle des députés est de laisser le moins d’espace possible à l’interprétation de la volonté du législateur. Et il y avait matière à travailler ! Quand il est prévu que l’administration apprécie la « personnalité » du migrant pour la délivrance de sa carte de séjour, qu’elle contrôle « la stabilité et l’intensité » de ses liens personnels et qu’elle décide s’il devient une « charge déraisonnable » pour le système social français, le législateur a de quoi faire pour préciser ces notions ! Tout cela aurait justifié quelques heures de travail en commission.

Enfin, et puisqu’il s’agit d’un texte essentiel, ne croyez-vous pas que le travail en amont reste un peu léger ? On parle beaucoup de l’évolution impressionnante du nombre des mariages mixtes, on assène des chiffres : un tiers des mariages, un dixième des enfants… Mais à quoi correspondent-ils réellement ? Nous n’avons jamais eu de réponse. N’est-ce pas le rôle de la commission que d’obtenir des explications ? Dans ma circonscription, un Français s’est marié à une Irakienne étudiante à Lille. Avec ce texte, elle aurait dû retourner en Irak pour demander au consulat de France un visa long séjour et obtenir un titre de séjour. Est-ce le fait d’un Parlement responsable de porter si peu d’attention aux conséquences de ce qu’il vote, de créer des situations inextricables ? A-t-on réellement mesuré les implications, pour les femmes mariées, de ce qui devient une véritable force de répudiation ? Si une femme étrangère est mariée en France, elle n’aura de titre de séjour que par le bon vouloir de son mari de la garder pendant quatre ans. S’il utilise ce pouvoir pour la mener à la baguette et la réduire à ce que personne ne souhaite ici, elle n’a qu’à se taire !

Dans une matière aussi essentielle, qui a des conséquences directes sur des êtres humains, nous pourrions au moins prendre le temps de mesurer les conséquences de nos décisions. C’est la raison pour laquelle je vous invite à voter cette motion de renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

A la majorité de 69 voix contre 38 sur 107 votants et 107 suffrages exprimés, la motion de renvoi en commission n’est pas adoptée.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir à 21 heures 30.
La séance est levée à 20 heures.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Catherine MANCY

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.
Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.
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