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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

1ère séance du vendredi 5 mai 2006

Séance de 9 heures 30
89ème jour de séance, 209ème séance

Présidence de Mme Hélène Mignon
Vice-Présidente

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La séance est ouverte à neuf heures trente.

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immigration et intégration (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration.

Mme la Présidente – À la demande du Gouvernement, les articles 16 à 22 sont réservés jusqu’après l’examen des amendements portant articles additionnels après l’article 32.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l’aménagement du territoire - Je tiens à remercier l’ensemble des parlementaires de l’excellent climat dans lequel nous étudions ce texte important. Nous sommes sur le point d’examiner l’article premier, précédemment réservé, qui permettra de mettre un peu de coordination dans les douze articles que nous avons examinés les trois jours derniers. On aurait pu imaginer un débat idéologique à coup d’amendements de suppression. Il n’en est rien et MM. Sarkozy, Hortefeux et moi-même nous en félicitons. Chacun semble avoir pris conscience de la nécessité de doter la France d’une grande loi sur l’immigration et l’intégration. Le Gouvernement vous invite à poursuivre le débat dans cet état d’esprit. Je souhaite dire aux représentants de l’opposition ici présents que nous apprécions leur contribution et que le Gouvernement est ouvert à leurs propositions. Nous prendrons le temps qu’il faut pour examiner ce texte, ce qui nécessitera certainement une modification de l’ordre du jour de l’Assemblée.

Mme la Présidente - Sans aucun doute, Monsieur le Ministre. Pour l’heure, évitons autant que faire se peut de retarder le débat.

M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des loisMadame la présidente, il serait paradoxal que la majorité fasse de l’obstruction ! Quelques mots simplement. Nous avons eu le plaisir d’examiner 136 des 605 amendements et sous-amendements déposés. Comme M. Estrosi l’a souligné, ce débat se déroule dans un climat constructif : une demi-douzaine d’amendements de l’opposition ont été adoptés.

M. Patrick Braouezec - Certains vous rendront grand service !

M. le Rapporteur – Certainement, Monsieur Braouezec. Nous travaillons dans le sens de l’intérêt général. La commission est prête à ce que le débat se poursuive la semaine prochaine.

Mme la Présidente – Nous n’avons pas le choix. Compte tenu du retard, nous ne parviendrons pas à terminer l’examen de ce texte ce soir.

M. Noël Mamère – En insistant sur l’importance du débat parlementaire, M. Estrosi cherche sans doute à montrer qu’il y aurait deux conceptions du dialogue dans ce Gouvernement : celle du Premier ministre qui avait recouru à l’article 49-3 pour faire adopter la loi instituant le CPE et celle de M. le Ministre d’État et de ses ministres délégués. Cette déclaration en dit long sur les divisions de la majorité… D’autre part, je ne peux laisser croire que l’opposition cautionne ce texte. L’idée que nous nous faisons de notre fonction de parlementaire nous conduit à présenter des amendements plutôt qu’à faire de l’obstruction systématique.

M. Jérôme Rivière - Vous n’avez rien à proposer !

M. Noël Mamère - Ce texte est dangereux pour les étrangers et porte atteinte aux droits fondamentaux des Français. Il nous faut donc être particulièrement vigilants. Nous ne coopérons pas avec le Gouvernement.

Mme la Présidente - Je vous prie de conclure.

M. Noël Mamère - M. Estrosi vient de dire qu’il fallait donner du temps au débat.

M. Jérôme Rivière - Ce n’est pas un débat, c’est un monologue !

M. Noël Mamère - Les amendements que nous avons proposés et qui ont été acceptés ne doivent pas servir d’alibi.

M. Étienne Pinte - Oh !

M. Noël Mamère - L’opposition rejette ce texte, elle le combat. Elle n’a pas la volonté de l’améliorer car il n’est en rien améliorable.

M. Patrick Braouezec - Précisons les choses. Monsieur Estrosi, je m’étonne que vous soyez surpris de l’atmosphère constructive de ce débat. Ce devrait être la règle dans cet hémicycle. Non plus que M. Mamère je ne peux laisser croire que nous soutenons ce projet de loi qui engage deux visions de la société, deux philosophies. Ce texte aggrave les conditions de séjour des migrants. Or, précariser les personnes qui vivent sur notre territoire, c’est fragiliser l’ensemble de la société française. Nous voulons donc, dépouiller ce texte de ces aspects les plus nocifs et, contrairement à M. Mamère, l’améliorer autant que faire se peut. Ce sera le sens de nos interventions et de nos amendements. J’espère que ce débat ne sera pas tronqué et sera exempt de toute obstruction.

M. Bernard Roman – Nous avons un débat parlementaire digne de ce nom. Nous avons en effet exprimé notre opposition résolue à la philosophie de ce texte inutile, dangereux et inefficace. Inutile, car l’essentiel de ce que vous proposez à travers le concept d’immigration choisie pouvait être traité par voie règlementaire ; dangereux, car ce texte remet en cause des valeurs fondatrices de notre République ; inefficace enfin, car il met en place une machine à fabriquer des dizaines de milliers de clandestins et à précariser l’ensemble de la société, comme en témoigne notre débat de la nuit dernière sur les titres de séjour des salariés.

Mais une fois notre opposition résolue exposée, notamment à travers des amendements de suppression – sur les dix articles examinés, nous en avons défendu neuf -, nous cherchons systématiquement à éviter le pire pour les migrants. Nous avons même acculé le Gouvernement à accepter un certain nombre d’amendements…

M. Yves Jego - C’est beau de le croire.

M. Bernard Roman - … dont celui rendant mécanique l’attribution du visa de long séjour aux couples mariés revenus dans leur pays. Nous poursuivrons notre discussion dans le même esprit.

M. Jérôme Rivière – J’aimerais sortir de ces échanges assez peu constructifs que nous avons en ce début de matinée. M. Roman parle d’idéologie : la sienne, en tout cas, ne tient absolument pas compte des attentes des Français.

M. le Rapporteur – Très bien.

M. Jérôme Rivière - L’opposition assure que notre débat est de qualité : certes, il n’y a pas d’obstruction, mais a-t-on pour autant de vrais échanges, dès lors que l’opposition n’a présenté aucune proposition…

M. Patrick Braouezec - M. le ministre a dit le contraire ! Vous n’avez pas assez dormi !

M. Jérôme Rivière - … hors l’amendement évoqué par M. Roman, que nous avons d’ailleurs présenté conjointement. Nos concitoyens se rendront compte qu’il n’y a rien à attendre de la gauche sur un sujet fondamental qui nécessiterait, en effet, un véritable débat.

M. Christian Estrosi, ministre délégué  M. le rapporteur et moi-même sommes à l’origine de cette discussion préliminaire. J’en assume la responsabilité et je prie chaque parlementaire de bien vouloir m’en excuser. Le Gouvernement, néanmoins, se devait de préciser son état d’esprit au début d’une journée qui s’annonce particulièrement riche en échanges.

Que MM. Braouezec, Mamère et Roman se rassurent : je leur confirme bien que la fracture idéologique, entre nous, est réelle. Non seulement pour la première fois dans notre pays la politique d’immigration est étroitement liée à la politique d’intégration, mais M. le ministre d’Etat veut doter la France d’une véritable politique d’immigration choisie et non subie. J’ajoute que M. Roman ne nous a en rien acculés à accepter un amendement : l’un de vos sous-amendements, mal placé dans le texte, a été présenté à nouveau par le Gouvernement à un endroit plus opportun. Où le groupe socialiste n’a proposé que des amendements de suppression, ce qui pourrait apparaître comme une volonté d’obstruction, les amendements défendus par MM. Braouezec et Mamère, par exemple, ont été beaucoup plus constructifs.

M. Patrick Braouezec - Ne cherchez pas à mettre la zizanie !

M. Christian Estrosi, ministre délégué - Enfin, M. le ministre d’Etat a toujours veillé à enrichir les grands textes qu’il a présentés – loi d’orientation et de programmation sur la sécurité intérieure, loi de 2003 sur l’immigration, loi relative à la lutte contre le terrorisme – par des propositions parlementaires. C’est dans le même état d’esprit que nous avons abordé notre présent débat. Nous prendrons le temps qu’il faut pour entendre vos propositions et le Gouvernement veillera à respecter les prérogatives du Parlement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Christophe Lagarde – Je me réjouis de ces propos, car nous légiférons souvent trop vite. Nos débats ont de plus une valeur pédagogique, comme en témoignent la presse et l’intérêt qu’y portent les Français. Enfin, il est vrai que M. le ministre d’Etat s’est toujours montré ouvert aux amendements défendus sur tous les bancs, mais hélas, il est bien le seul, ce Gouvernement se caractérisant par le refus de tout dialogue. Or, rien n’est plus urgent que de faire revivre le Parlement à travers sa force de proposition et sa mission de contrôle. C’est aussi cela, la démocratie : accepter de voter des amendements qui n’émanent pas de son groupe. Nous ne nous affrontons pas toujours bloc contre bloc et nous faisons la loi pour la France, pas pour nos partis.

ARTICLE PREMIER (précédemment réservé)

M. Noël Mamère – En effet, les différences philosophiques et idéologiques sont réelles entre nous. L’article premier et le titre 1 de cette loi sur l’immigration jetable définit les dispositions relatives à l’entrée et au séjour des étrangers. Nous sommes au cœur de votre stratégie qui vise à livrer une main d’œuvre docile aux employeurs et qui pille les talents du premier monde. N’est pour vous acceptable que l’étranger rentable. Votre projet institutionnalise en outre la précarisation du statut des étrangers. Vous allez les transformer en clandestins, qu’ils soient en situation régulière ou irrégulière. Les visas d’entrée, déjà difficiles à obtenir, sont toujours plus contrôlés. Pour les étrangers qui résident déjà en France avec un visa et un titre de séjour, la régularisation définitive est un objectif irréalisable. Vous multipliez à l’infini les difficultés pour obtenir une carte de résidence. Votre projet, au fond, repose sur une conception policière de l’immigration. Ce n’est certes pas la première fois qu’un ministre de l’Intérieur préfère le quadrillage policier de la population étrangère à son intégration, mais en l’occurrence, vous vous surpassez : non seulement vous écornez un peu plus les principes dont nous nous prévalons, mais vous augmentez le nombre des clandestins.

Une fois de plus et une fois de trop, nous rediscutons de la maîtrise de l’immigration, comme si ce sujet était votre obsession, comme si l’étranger était le bouc émissaire idéal d’un Gouvernement qui pense résoudre ainsi tous les maux de la société. La pauvreté ? C’est l’immigration ! La délinquance ? C’est l’immigration ! Le chômage ? C’est l’immigration ! Vous ne dérogez pas à la tradition qui veut qu’un an avant une élection décisive, la droite rende les étrangers responsables de la dérive néo-libérale de notre société. Non contents de renvoyer par charters entiers des hommes et des femmes qui ne demandent qu’à s’intégrer dans notre pays et de pourchasser les sans papiers, vous jouez les doublures de Le Pen. Mais l’électorat que vous braconnez sans vergogne préférera toujours l’original à la copie !

Depuis vingt-cinq ans, l’immigration est présentée comme une affaire policière, alors qu’elle devrait être considérée comme une richesse pour notre pays. Vous proposez de la criminaliser ; nous voulons, au contraire, la valoriser. L’épargne des migrants représente déjà, pour certains pays africains, plus que l’aide publique au développement distribuée à vos amis dictateurs Idriss Déby, Eyadéma fils ou Omar Bongo. Nous proposons, nous, la régularisation des sans papiers et la dépénalisation de l’entrée et du séjour en déconnectant la liberté de circulation de la liberté d’installation, pour en finir avec la clandestinité, le soupçon et la peur que votre politique ne fait qu’attiser depuis 2002. Vous êtes sans doute le gouvernement qui aura le plus encouragé la « lepénisation » des esprits, poison de notre société (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Du kärcher au « si vous n’aimez pas la France, quittez-la », vous surfez d’ailleurs sur les mots de Le Pen. Votre projet nous ramène soixante-dix ans en arrière : nous n’avions pas connu de loi aussi restrictive sur l’immigration depuis celle de 1937, qui fut maintenue par le régime de Vichy. C’est vous dire la menace que représente ce texte, qui n’est pas seulement condamné par les « droits de l’Hommistes », comme vous dites avec mépris, mais aussi par les Églises. Vous provoquez, vous humiliez, vous instrumentalisez les peurs. La France est la patrie de l’égalité des droits. C’est pourquoi nous combattons ce projet inique. S’il était malgré tout voté, nous en demanderions l’abrogation dès le début de la prochaine législature.

M. Bernard Roman - Cet article premier globalise en fait votre conception de ce que vous appelez une politique d’immigration. On touche là, avec l’article 12 sur la carte « compétences et talents » que nous avons examiné cette nuit, au paroxysme de la conception mercantile et déshumanisée que vous avez de l’immigration. Opposer immigration choisie et immigration subie, c’est porter de fait un regard de suspicion sur les immigrés et sur tous ceux qui sont différents. Imaginez ce qu’ils peuvent ressentir en s’entendant qualifier dans cette enceinte, au cœur même de la République, de personnes « subies » ! En rester à cette suspicion, c’est aller vers la société dont certains rêvent sur les bancs de la droite, une société fractionnée, qui encourage le communautarisme – bref, le contraire de ce qu’est la République.

Nous avons donc déposé sur cet article, comme sur la plupart de ceux qui ont été examinés hier, un amendement de suppression.

M. Philippe Tourtelier - Arrivé en retard, j’ai néanmoins suivi à la télévision la première intervention de M. Estrosi. Nous sommes là dans un débat idéologique, où deux conceptions s’opposent jusque dans vos rangs, les uns se situant dans le cadre de nos valeurs républicaines, tandis que d’autres reprennent à leur compte les fantasmes de l’extrême-droite. Le ministre d’État entend ramener les électeurs du Front national dans le débat républicain. C’est une démarche louable, à condition qu’elle ne se fasse pas en affaiblissant la République par la légitimation des positions xénophobes du Front national. Or votre texte les conforte. Vous pratiquez, à l’entrée, le tri sélectif des étrangers grâce au test de langue et à la carte « compétences et talents ». De même, vous durcissez les conditions du regroupement familial. Votre analyse se fonde sur une distinction entre une immigration de travail, qui serait bonne pour certains secteurs de notre économie, et une immigration familiale qui ne ferait que voler nos emplois - thèse bien connue. Pour faire venir sa famille, il faudra pouvoir la faire vivre par les seules ressources de son travail. Est-ce le cas de tous les Français ? N’y a-t-il pas là une résurgence du thème « Les immigrés vivent sur le dos des Français » ? Si l’on se situe dans une perspective d’intégration, cette distinction entre immigration de travail et immigration familiale n’est pertinente qu’au moment de l’entrée en France. Une intégration réussie passe au contraire par le regroupement familial. Si la part des étrangers dans notre population est stable depuis plus de vingt ans, c’est parce que l’intégration a bien fonctionné. Mais, plus que des moyens, elle réclame du temps. Notre pays ne peut se passer de la richesse qu’a toujours apportée l’immigration. Plus d’un Français sur trois a dans sa généalogie proche un parent d’origine étrangère. Ne cédons pas aux sirènes d’une conception ethnique de notre identité nationale. L’étranger n’est pas un suspect : c’est peut-être un futur Français.

M. Patrick Braouezec - Il y a ce que dit le texte, mais aussi tout ce qu’il sous-entend. Avec l’article premier et la carte « compétences et talents », vous organisez le pillage des cerveaux, mais vous considérez surtout que ceux qui ne sont pas dignes de se voir attribuer cette carte sont de « mauvais » étrangers, qui n’ont rien à faire sur notre territoire. Vous manifestez aussi du mépris vis-à-vis de l’ensemble des professions et des travailleurs qui ne rentrent pas dans ces catégories. J’ai eu l’occasion de dire cette nuit à M. Goasguen que je considérais qu’il n’avait pas plus de compétences et de talents qu’un travailleur manuel ou un ouvrier. On donne l’impression qu’il y aurait des élites, acceptées sur notre territoire non dans leur intérêt ou dans celui de leur pays d’origine, mais dans notre seul intérêt. Nous ne sommes pas loin du marché aux esclaves ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean Leonetti - Et quand Julien Dray parle des quotas, est-il esclavagiste ?

M. Patrick Braouezec – M. Goasguen le reconnaissait hier, ce n’est pas dans l’intérêt des autres pays. Puisqu’on nous « prend » nos élites, qui partent à l’étranger, nous irons les chercher ailleurs ! C’est inacceptable, et c’est pourquoi nous avons déposé un amendement de suppression et des amendements de repli.

M. Noël Mamère - L’amendement 149 vise à supprimer cet article, qui est révélateur de la philosophie de ce projet que nous combattons : une logique de discrimination, de précarisation et de déstabilisation de ceux qui veulent accéder à notre territoire.

M. Patrick Braouezec - L’amendement 500 a le même objet.

M. le Rapporteur – Avis défavorable. Qui peut dire que nous avons été acculés à accepter des amendements ? Je vous rappelle que dans la loi de 2003, sur 700 amendements, le Gouvernement en avait accepté 460 ! En revanche, à une autre époque, le sport préféré de la gauche était, lorsque la droite minoritaire avait une bonne idée, de demander une suspension de séance pour rédiger un amendement identique… Ainsi, vous avez pu vous vanter de ne pas avoir accepté le moindre amendement de notre part !

La discussion proprement sidérante que nous avons eue hier sur l’article 12 montre bien la fracture idéologique entre nous : comment peut-on nier que l’intérêt de notre pays est d’attirer les « compétences et talents » qui existent plutôt que continuer à les laisser partir chez les autres ? Je rappelle aux quatre représentants de la gauche ici présents – ce sera facile, puisque chacun d’eux était déjà là en 1998 – que la loi Chevènement a créé une carte de scientifique et une carte d’artiste. N’est-ce pas là reconnaître que nous avons besoin de compétences et de talents ? Mais, comme d’habitude, vous n’aviez pas osé aller jusqu’au bout de la démarche. Nous si : nous voulons une immigration choisie, nous voulons attirer les meilleurs pour qu’ils puissent participer à notre développement ainsi qu’à celui de leur pays.

M. Christian Estrosi, ministre délégué Nous sommes bien sûr défavorables à ces amendements de suppression. La carte « compétences et talents » a pour objectif de concilier les intérêts de la France avec ceux du migrant et ceux de son pays d’origine. Le débat a eu lieu à l’article 12, l’article premier n’étant déplacé que pour une simple mise en forme technique. Nous voulons une immigration choisie, dans l’intérêt de la France et dans celui des pays d’origine.

M. Christian Vanneste - Il y a bel et bien deux idéologies en présence : il faudrait que nos collègues de l’opposition se rendent compte qu’ils n’ont pas cessé de faire allusion aux immigrés de façon dévalorisante (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Ils ont parlé de tri sélectif, d’immigration jetable… mais ces expressions se rapportent à des choses, et non à des personnes ! Et ils ont aussi parlé de marché aux esclaves… Au contraire, nous pensons que l’immigration est basée sur un double choix : celui de la personne qui émigre et celui du pays qui l’accueille. Vous ne semblez pas vous rendre compte qu’il s’agit d’une notion contractuelle. Ce projet de loi est profondément personnaliste : il reconnaît à chacun le droit à la liberté. Il reconnaît l’égalité des droits, mais aussi l’inégalité des mérites, ce que l’esprit républicain et surtout l’école républicaine acceptent parfaitement. Hier, je vous rappelle que nous avons voté avec enthousiasme un amendement de Mme Boutin pour que ceux qui, grâce à leur mérite, viennent en France, rendent aussi service à leur pays d’origine (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Patrick Braouezec - M. le rapporteur a usé d’un argument malheureux : sur les quatre membres de l’opposition ici présents, nous sommes deux à avoir voté contre la loi Chevènement !

M. le Rapporteur – C’était la majorité plurielle…

M. Patrick Braouezec - Nous lui reprochions des dangers semblables à ceux que nous évoquons ici, même si l’ensemble du texte était plus positif.

Quant à M. Vanneste, je lui rappelle qu’il y a des pays dont les populations ne survivent que grâce à ce que leur envoient ceux qui ont émigré, en France ou ailleurs, et qui se privent de tout pour faire vivre leur famille. Ce projet de loi impose des conditions de plus en plus restrictives à l’entrée des personnes. Il ne défend donc que notre propre intérêt, pas celui des migrants ni de leurs pays d’origine. L’amendement de Mme Boutin, bien que positif, ne change fondamentalement rien au fait que l’on pille les intelligences et les savoir-faire de ces pays et qu’on n’a aucun moyen de s’assurer que les migrants iront mettre leurs compétences et leurs talents à leur service par la suite. Je préfère de loin à ce discours le cynisme ou, s’il y voit quelque chose de péjoratif, le réalisme de M. Goasguen, qui dit que puisque nos cerveaux partent à l’étranger, nous n’avons qu’à piller les cerveaux des autres ! Mais nous pourrions peut-être commencer par nous demander pourquoi nos cerveaux partent : serait-ce parce qu’ils ne voient pas d’avenir ici, ni de projet global de société, ni de solidarité ?

M. Christian Vanneste - Ou parce que la France n’est pas socialiste ?

M. Patrick Braouezec – Quant à s’en prévaloir pour aller piller les autres… la belle morale ! Où allons-nous comme ça ? Sans compter que ce texte ne donne pas beaucoup de raisons aux migrants de trouver la France attractive et qu’ils risquent d’y réfléchir à deux fois avant de venir ici !

Les amendements 149 et 500, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Rapporteur - L’amendement 404 est rédactionnel.

L'amendement 404, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Bernard Roman - L’amendement 269 supprime les derniers alinéas de l’article. Vous avez assimilé la carte « compétences et talents » à la carte de scientifique, mais elle était très différente. Passons sur votre dispositif inégalitaire et sur la précarisation des trois statuts de salariés : nous y reviendrons. Mais vous affichez un statut privilégié pour la carte « compétences et talents », notamment pour le rapprochement familial. Par ailleurs, personne ne peut se déclarer scientifique s’il ne l’est pas, mais qui peut prétendre qu’un maçon, un instituteur ou un employé de voirie n’ont ni compétence, ni talents ? C’est afficher une conception élitiste de la société française qui n’est pas acceptable d’un point de vue philosophique – et à ce sujet, j’éviterai de rappeler ce qu’a écrit Jean-Jacques Rousseau pour ne pas heurter M. Vanneste.

M. le Rapporteur – La carte de scientifique, qui a été créée en 1998, incluait des facilités de regroupement familial.

M. Bernard Roman – Les autres cartes aussi !

M. le Rapporteur – Mais vous savez fort bien que la carte de scientifique bénéficiait de conditions particulières !

Je suis défavorable à cet amendement : nous ne nions ni le mérite, ni la différence. Nous revendiquons l’immigration choisie.

M. Patrick Braouezec - Le mérite n’a rien à voir avec les compétences et les talents !

M. le Rapporteur – M. Braouezec soutient qu’il y a d’excellents maçons : il a raison ! Et si la France a besoin de bons maçons, ils auront toute leur place sur notre marché du travail car ils entreront dans le cadre de l’immigration choisie.

L'amendement 269, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme la Présidente – Les amendements 502 de M. Braouezec et 353 de M. Brard sont en discussion commune.

M. Patrick Braouezec - Je ne défendrai pas l’amendement de M. Brard car j’aurais du mal à expliquer ce qu’il entend par « courage », et j’ai quelque scrupule à défendre l’amendement 502, après vous avoir rendu service une première fois la nuit dernière en proposant de supprimer le terme « personnalité ». A vrai dire, je fais appel à votre intelligence (sourires) : vous devriez accepter cet amendement pour lever toute ambiguïté sur la carte « compétences et talents ». Il faut dire clairement que ceux-ci ne se mesurent pas à la durée des études, mais qu’on vise « tout type de compétences professionnelles ou talents », c’est-à-dire aussi des compétences manuelles. Mais je m’en veux presque de vous rendre service une seconde fois…

M. le Rapporteur – Avis défavorable. J’ai déjà dit que la carte couvrait tous les types de talents. En outre, l’article 1er étant un article de coordination, adopter cet amendement nous obligerait à revenir sur l’article 12.

M. Christian Estrosi, ministre délégué  Ne nous faites pas de faux procès. Des sportifs, des artistes, des intellectuels, et aussi des travailleurs pourront solliciter l’obtention de cette carte sous réserve que leurs compétences professionnelles participent au développement économique de la France ou de leur pays d’origine.

M. Patrick Braouezec - C’est une affirmation creuse. Comment développeront-ils leur pays, d’ici ?

M. Serge Blisko - Je soutiens cet amendement, car on a la pénible impression que l’appréciation des compétences et des talents va être laissée, de façon subjective, à une autorité administrative – en l’occurrence préfectorale – dont les politiques et les associations ont souvent mis en cause les interprétations au point que les ministres de l’Intérieur successifs ont dû prendre des circulaires pour assurer une égalité de traitement dans les différents départements.

Et comment juger le talent ? Les impressionnistes, dont les toiles sont aujourd’hui adjugées pour des dizaines de millions de dollars n’en avaient guère jusqu’à ce que Clemenceau, ami de Claude Monet, les impose dans les musées à la place des peintres pompiers.

En second lieu, on ne nous a toujours pas dit ce qui se passera quand le talent d’un peintre ou d’un écrivain s’étiolera, quand le sportif s’essoufflera ? Va-t-on leur retirer la carte, ainsi qu’à leur famille ? Dira-t-on au footballeur qui arrive à 35 ans qu’il n’a plus de talent, et que, n’ayant pas réussi à prouver ses compétences en français, il ne peut être entraîneur ?

M. Christian Estrosi, ministre délégué  Je ne peux laisser une fois de plus accuser nos fonctionnaires d’arbitraire. Ils sont parfaitement respectables (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP) et travaillent sous la responsabilité du ministre et, surtout, sous le contrôle du juge administratif.

M. Claude Goasguen - La gauche n’aime pas les fonctionnaires !

M. Christian Estrosi, ministre délégué - Les agents de l’État sont au service des Français et mériteraient un peu plus de respect (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Rapporteur – Si, au bout de trois ans, le footballeur décide de faire autre chose, il peut demander une carte de séjour normale et après cinq ans une carte de résident. La carte « compétences et talents » est une catégorie supplémentaire, elle ne supprime pas les autres.

M. Jean-Christophe Lagarde – Si nous comprenons bien, la carte « compétences et talents » permet de signer un contrat d’accueil et d’intégration.

L'amendement 502, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Braouezec - Mon amendement 501 vous offre une dernière chance de lever toute ambiguïté, en précisant que la carte est accessible à l’ensemble des salariés – je préférerais d’ailleurs parler de travailleurs – quelles que soient leurs compétences professionnelles. Cette fois, on ne pourra m’opposer qu’il faudrait revenir sur l’article 12.

M. le Rapporteur – La commission a émis un avis négatif. Je répète que la carte « compétences et talents » est une possibilité supplémentaire, et que tous les salariés entrent dans le cadre des dispositions de l’article 10.

M. Christian Estrosi, ministre délégué - Avis défavorable.

L'amendement 501, mis aux voix, n'est pas adopté.
L'article 1er, modifié, mis aux voix, est adopté.

Art. 13

M. Bernard Roman – Nous revenons aux titres de séjour ordinaires. Désormais, pour mieux répondre aux besoins en main d’ œuvre, on publiera chaque année un sorte de « palmarès » des métiers, sur une base régionale, sous l’autorité des préfets de région. C’est une forme de régression que ce recours à un « Gosplan » de l’emploi pour autoriser les étrangers à venir travailler dans tel métier dans telle région. Permettez-moi de demander : qui, comment, pour qui et quand ?

D’abord, qui établira ces cartes ? Les préfets de région fourniront les données, mais la carte sera aussi nationale. Si je comprends bien, les préfets de région feront des propositions au ministre en charge de l’immigration, qui les transmettra à celui chargé de l’emploi, lequel entrera en liaison avec le ministre des Affaires étrangères qui répercutera sur les consulats, lesquels feront connaître cette carte des emplois aux étrangers candidats. Si je parlais de « Gosplan », c’est qu’une bureaucratie centralisée organisera cette immigration dite choisie.

Ensuite, comment établira-t-on ces cartes ? Consultera-t-on les syndicats de salariés ou seulement les organisations patronales ? Les directions départementales du travail et de l’emploi seront-elles associées ? Et les organismes de formation ?

Que fera-t-on par exemple dans le bâtiment et les travaux publics où les besoins de main-d’œuvre sont très fluctuants selon les chantiers ? Un coffreur-boiseur autorisé à venir travailler dans une région déterminée ne pourra-t-il pas travailler sur un chantier d’une autre région ? Est-ce à dire que l’on répondra éventuellement aux besoins supplémentaires en employant des personnes avec une carte « travailleur temporaire », voire une carte « saisonnier » ?

Le présent texte devrait être vite publié rapidement, dans la mesure où il n’y aura qu’une lecture dans chacune des assemblées, puis une CMP. Or, les préfets n’ont pas encore commencé d’établir les listes, ce qui leur demandera un certain temps. Que se passera-t-il en attendant ? Quelles seront les dispositions applicables ?

M. Serge Blisko – M. Hortefeux nous a confirmé hier soir qu’il y aurait désormais trois catégories de cartes : la carte mention « salarié » pour les détenteurs d’un CDI, la carte « travailleur temporaire » pour les détenteurs d’un CDD et la carte « saisonnier » pour les saisonniers. Mais à cela s’ajoute déjà la nouvelle carte « compétences et talents », délivrée aux étrangers présentant un intérêt particulier pour notre économie et, à ce titre, sélectionnés et « invités » à venir travailler en France. Et voilà maintenant une cinquième carte, réservée à ceux qu’on souhaite faire venir pour occuper des emplois dans des branches professionnelles et des régions bien déterminées ! Reconnaissez que ce n’est pas mal pour un ministre qui se pique de libéralisme et prône la souplesse ! Disons que c’est le libéralisme économique allié à la rigidité administrative. Que de rigidités en effet, bien loin des réalités du marché du travail ! L’ouvrier qui sait poser des revêtements souples sait aussi poser des revêtements rigides, et inversement. Votre façon de créer des catégories à l’infini pour les travailleurs étrangers rappelle les années 30. N’êtes-vous pas étonnés que ce soient des socialistes qui vous rappellent les réalités de la vie économique et plaident pour davantage de souplesse ? La création de toutes ces catégories ne fait que rendre le dispositif encore plus complexe et obscur, mais peut-être est-ce à dessein que par toutes ces barrières administratives, vous voulez décourager la venue des travailleurs étrangers dont vous estimez que nous n’avons pas exactement besoin. Moins de rigidités, moins de contrôles tatillons, plus de fluidité et finalement d’intelligence, voilà ce qu’il faudrait !

M. Christian Vanneste - Quel discours blairiste !

M. Patrick Braouezec – Cet article est tout à fait révélateur, renvoyant à un décret en Conseil d’Etat la fixation de ses modalités d’application, tant son contenu est flou.

Il dispose tout d’abord qu’un étranger ne peut travailler en France sans y avoir été préalablement autorisé ni avoir obtenu un certificat médical. Je comprends bien que certains à droite voient dans l’exigence de ce certificat le moyen de vérifier que des malades ne cherchent pas à venir travailler en France, simplement dans l’intention de se faire soigner. Mais qu’attend-on exactement de la production de ce certificat ? Un étranger handicapé pourra-t-il venir travailler dans notre pays ?

L’article dispose ensuite que l’autorisation de travail peut être limitée à certaines activités professionnelles ou zones géographiques. Comment cette disposition pourra-t-elle être appliquée, notamment dans le bâtiment où les grands groupes ont souvent des chantiers dans plusieurs régions ? Le travailleur qui aura été autorisé à travailler dans une région donnée pourra-t-il rejoindre un chantier d’une autre région ?

Il est ensuite prévu que pour instruire la demande d’autorisation de travail, l’autorité administrative puisse échanger tous renseignements et documents, notamment avec « les organismes concourant au service public de l’emploi ». Mais parmi ceux-ci, figurent, on le sait, des organismes privés comme les entreprises de travail temporaire ou les agences de placement privées. Je ne vois vraiment pas en quoi leur avis aurait à être requis pour la délivrance d’une autorisation de travail. Ce serait même contraire à l’éthique.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales – Nous avons déjà longuement échangé sur la limitation de l’autorisation de travail à certaines activités professionnelles ou zones géographiques hier soir lors de l’examen de l’article 10. Je redis que les partenaires sociaux seront consultés par les préfets de région lors de l’établissement des listes.

Pour ce qui est de la production d’un certificat médical, il n’y a rien de nouveau. Lorsque l’on passe un concours de la fonction publique, on doit se soumettre à un examen médical. Cette disposition a en réalité pour origine un arrêté du 6 juillet 1999, relatif au contrôle médical des étrangers autorisés à séjourner en France, et signé, Monsieur Roman, par Martine Aubry !

M. Patrick Braouezec – Monsieur le ministre, votre réponse ne me satisfait pas. Je souhaite savoir si cette visite médicale obligatoire peut constituer un obstacle à la venue sur le territoire d’un étranger. Si oui, il pourrait y avoir discrimination à l’encontre des handicapés ou des personnes atteintes du VIH.

M. Jean-Christophe Lagarde - Il serait souhaitable que ce certificat soit plutôt un certificat d’aptitude au travail. M. Braouezec a raison : le risque de discrimination est grand, surtout lorsque l’on connaît la prévalence du sida en Afrique. Préciser que c’est l’aptitude au travail qui est jugée serait donc utile et irait dans le sens de l’humanitaire.

M. Patrick Braouezec - De l’égalité !

M. le Rapporteur – L’article 4 de l’arrêté du 30 juillet 1986 précise que « les étrangers atteints de maladies ou infirmités pouvant mettre en danger la santé publique, l’ordre public ou la sécurité publique sont considérés comme ne remplissant pas les conditions sanitaires exigées pour être admis en France et obtenir une carte de séjour. » Les maladies ou infirmités figurant en annexe sont les suivantes : peste, choléra et fièvre jaune ; maladies contagieuses en phase évolutive. S’agissant du VIH, il est précisé que l’existence d’une sérologie positive, en l’absence de signes cliniques, ne doit pas constituer un motif de refus d’autorisation à séjourner en France. Le sida appartient à la catégorie des maladies transmissibles, et non à celle des maladies contagieuses : il ne figure donc pas sur la liste des maladies dangereuses pour la santé publique.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué – Le contrôle médical a pour but de s’assurer que l’étranger n’est pas atteint d’une maladie contagieuse. Il s’agit d’un impératif de santé publique et en aucun cas de la volonté d’écarter les étrangers handicapés. Il ne doit y avoir aucune ambiguïté sur ce point.

M. Serge Blisko - Ça va mieux en le disant !

M. Patrick Braouezec - Ne pourrait-on pas reprendre la formulation de M. Lagarde afin que ne subsiste aucune ambiguïté sur l’utilisation de ce certificat ?

M. le Rapporteur – Il n’y a rien de nouveau par rapport aux textes existants !

M. Patrick Braouezec - Nous sommes en train de discuter d’un texte qui va encadrer l’arrivée et le séjour des étrangers sur le territoire : il n’est pas extravagant d’y faire figurer un certain nombre de principes.

M. Jérôme Rivière - Il y a une ingéniosité à voir le mal et à nous soupçonner de perversité. L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, que vous citez à l’envi, autorise les pays à exercer une ingérence sur l’accueil des étrangers pour des raisons de protection de la santé.

M. Noël Mamère – Je m’étonne d’entendre M. le rapporteur nous dire qu’il n’est pas nécessaire d’apporter cette précision législative, alors qu’il s’est évertué avec M. Myard à nous faire inscrire dans la loi la question de la sortie du territoire.

Nous avons souvent cité la Convention européenne des droits de l’homme car ce projet de loi est en contradiction avec elle et que ce n’est pas la première fois : le traitement des étrangers dans les centres de rétention a ainsi été dénoncé comme violant la convention. Nous sommes l’un des plus mauvais élèves de l’Union européenne de ce point de vue. Si l’on veut protéger les employés des pressions que pourraient exercer les employeurs, la proposition formulée par M. Braouezec doit figurer dans le texte législatif.

M. Bernard Roman - L’amendement 281 est défendu.

M. le Rapporteur – Nous avons fait le choix de l’immigration choisie : nous n’avons supprimé aucune catégorie, nous en avons rajouté. Cessez donc de nous soupçonner de rogner les droits des uns et des autres ! Bien au contraire, nous donnons à ceux qui veulent venir travailler en France des opportunités supplémentaires.

Monsieur Roman, vous demandez de supprimer la possibilité de limiter l’autorisation de travail à certaines activités professionnelles ou zones géographiques. En réalité, cette disposition s’inspire de l’article 341-4 du Code du travail, issu d’une loi du 17 juillet 1984, votée sous Pierre Mauroy. On reste sur vos terres !

M. Patrick Braouezec - L’amendement 503 est défendu.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué – Si je ne m’abuse, Laurent Fabius avait succédé à Pierre Mauroy à la date du 17 juillet 1984… Toujours est-il que cette disposition est directement issue de cette loi, approuvée – j’imagine – par la totalité des membres du groupe socialiste. Soyez donc cohérents.

M. Serge Blisko – Les choses ont changé depuis 1984. L’emploi, qui était régionalisé, est devenu beaucoup plus fluide, à l’échelon national. On constate aujourd’hui des poches de suremploi, comme à Saint-Nazaire, à quelques dizaines de kilomètres de régions touchées par le chômage, comme l’étang de Berre. Voilà la réalité économique ! Les collectivités locales doivent publier leurs appels d’offre dans le journal officiel de l’Union européenne, ce qui prouve l’ampleur du marché de l’emploi.

M. Bernard Roman - L’autorisation préalable à l’obtention d’un titre de séjour « salarié » est assise sur une zone géographique très précise, puisqu’elle est fonction de la situation de l’emploi dans le bassin où est installée l’entreprise. Dans l’ancien dispositif, cette autorisation permettait d’obtenir une carte de séjour « salarié ».

M. le Rapporteur – C’est donc exactement le même système !

M. Bernard Roman - Non, car auparavant le droit à la carte de séjour ne prenait pas fin avec l’extinction du besoin de main d’œuvre. Quand un immigré obtenait un titre pour travailler en tant que coffreur-boiseur dans la région Nord-Pas de Calais et que son entreprise ne pouvait le garder, il avait le droit de rester dans notre pays pour exercer sa profession.

M. Jérôme Rivière – C’est la raison pour laquelle le chômage est deux fois plus élevé chez les étrangers !

M. Bernard Roman – Le texte a été amendé pour que le titre de séjour ne soit pas retiré à un étranger dont le contrat de travail prend fin. Mais, somme toute, la condition de travail continue de s’appliquer. Par ailleurs, il faudra attendre au moins six mois après la promulgation de cette loi pour que la première carte de séjour soit délivrée. Que se passera-t-il durant cette période ? Est-ce à dire qu’aucun travailleur ne sera autorisé à entrer sur le territoire français ?

M. Patrick Braouezec – Je rejoins l’analyse de M. Roman, il existe une vraie difficulté d’application de ce dispositif. Désormais, un travailleur salarié sera corvéable à merci par l’entreprise qui l’emploie. Il ne pourra plus exercer son métier dans une autre région si celle-ci ne figure pas sur la liste, même si un poste est à pourvoir. Vous organisez l’immigration jetable, il n’y a pas d’autres mots !

M. Brice Hortefeux, ministre délégué Revenons à plus de simplicité et de bon sens (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Un étranger, dont le contrat de maçon dans le Nord-Pas de Calais aura pris fin, examinera les offres d’emploi et pourra exercer son métier en Auvergne à partir du moment où le besoin s’en fait sentir. C’est un système souple, cohérent et efficace.

M. Patrick Braouezec - Vous avez intérêt à rédiger un décret d’application très précis ! Pour l’heure, c’est le flou artistique.

M. le Rapporteur – Ce dispositif, je le répète, s’ajoute au système actuel. Par conséquent, avant sa mise en œuvre, c’est le système actuel qui continuera de s’appliquer. D’autre part, que se passera-t-il si le coffreur-boiseur que vous évoquiez tout à l’heure devient tonnelier ? Comme auparavant, il demandera l’autorisation de rester sur le territoire à la direction départementale du travail et de la formation professionnelle qui la lui accordera avec souplesse. Ce cas est prévu à l’article L. 341-3, et il n’y a pas de raisons que cela change. Pourquoi voulez-vous qu’on l’empêche de travailler ? Ce que nous recherchons, c’est précisément une immigration de gens qui travaillent.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué J’ajoute que nous nous donnons trois mois après la publication de la loi pour mettre en œuvre ce nouveau système d’immigration du travail.

Les amendements 281 et 503, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Patrick Braouezec - Madame la présidente, je demande une suspension de séance de cinq minutes pour reprendre quelques forces.

Mme la Présidente - Elle est accordée. Mais je vous propose de terminer d’abord l’examen de l’article 13.

M. Patrick Braouezec - L’objet de l’amendement 504 est de supprimer l’alinéa 6 de cet article. J’aurais aimé que le Gouvernement réponde à la question que j’ai posée concernant le service public de l’emploi. Par ailleurs, j’aurais voulu savoir si la CNIL avait approuvé l’échange de fichiers prévu à cet article.

M. le Rapporteur – La CNIL n’a pas été consultée puisque aucun fichier n’est mis en place. M. Delnatte, qui est membre de la CNIL et de la commission des lois, proposera plus tard des amendements sur cet aspect.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué – Monsieur Braouezec, rassurez-vous, toutes les précautions ont été prises. La CNIL n’est pas concernée puisqu’il s’agit de données non nominatives relatives aux activités professionnelles.

M. Patrick Braouezec - Une fois de plus, on ne m’a pas répondu sur le service public de l’emploi. J’aurais aimé qu’on remplace les « organismes concourant au service public de l’emploi » par les « organismes du service public de l’emploi » à l’alinéa 6 de l’article 13. En effet, il n’est pas normal que les agences de placement privées et les entreprises intérimaires soient consultées sur les demandes d’autorisation de travail.

M. le Rapporteur – Cela est parfaitement conforme à la loi définissant le service public de l’emploi.

M. Patrick Braouezec - Il y a manifestement une incompréhension. Le code précise que les entreprises de travail temporaire et agences de placement privé peuvent participer au service public de l’emploi. Cela me gêne qu’elles soient impliquées en l’espèce.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales – Ce débat est faussé (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). L’ANPE n’a plus le monopole de l’information sur la situation de l’emploi depuis 2005. Par conséquent, si l’on veut connaître l’état du marché du travail, il faut s’adresser à tous ceux qui le connaissent, y compris les agences de placement privées et les entreprises intérimaires. Il n’est pas question que les agences d’intérim imposent leur loi ou soient même consultées, mais de reconnaître qu’elles disposent d’informations indispensables à la connaissance du marché de l’emploi. Cela ne méritait pas un débat si long !

M. Patrick Braouezec - Si !

M. Noël Mamère – C’est un débat de principe. Pour nous, la réforme de 2005 a modifié le périmètre du service public en mettant en concurrence l’ANPE avec des organismes privés lesquels, selon nous, ne doivent pas avoir accès à certains renseignements.

M. Patrick Braouezec – Je ne suis pas opposé à l’idée que les organismes privés fassent remonter un certain nombre d’informations. Le problème, c’est qu’il est question dans l’article de « tous renseignements et documents relatifs à cette demande » et, donc, d’un échange direct d’informations entre organismes privés et publics. Le service public de l’emploi doit être protégé par la mise en place d’un écran.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué – Qu’il n’y ait pas d’ambiguïté : ce sont des informations qui sont demandées à ces organismes, pas un avis. Je le répète : il s’agit de disposer d’informations aussi précises que possible sur le marché de l’emploi. Si vous voulez que l’on rétablisse le monopole de l’ANPE, dites-le !

M. Jean-Christophe Lagarde – Nous avons en effet tous intérêt à ce que l’on dispose d’une vision aussi exacte que possible du marché de l’emploi. Il ne faut d’ailleurs pas prétendre que tel était le cas pour l’ANPE avant la rupture de monopole : beaucoup d’entreprises n’y avaient et n’y ont toujours pas recours faute d’y trouver le service attendu, de même d’ailleurs que certains demandeurs d’emploi. Je ne comprends pas l’inquiétude de M. Braouezec, même si le texte n’est pas d’une absolue précision : quelle information une société d’intérim pourrait-elle recevoir de la part des organismes publics qui lui serait utile « pour son business » ? J’ai travaillé dans ce type de structures et je sais fort bien qu’elles en savent plus que l’ANPE.

M. le Rapporteur – Je partage évidemment les propos de M. le ministre : il s’agit bien d’échanges d’informations sur le marché de l’emploi.

M. Patrick Braouezec - Échange de renseignements et de documents !

M. le Rapporteur – L’association pour le développement des échanges de stagiaires professionnels en Europe est l’exemple type d’un organisme non public qui doit pouvoir bénéficier de renseignements et de documents.

L'amendement 504, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur – Les amendements 411 et 412 sont rédactionnels.

Les amendements 411 et 412, approuvés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, sont adoptés.
L'article 13 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.
La séance, suspendue à 11 heures 30, est reprise à 11 heures 45.

après l’article 13

M. le Rapporteur – L’amendement 66 vise à permettre aux agents des préfectures de consulter le fichier des autorisations de travail, qui sera informatisé à partir de 2007, et à ceux du ministère de l’Emploi de consulter le fichier des titres de séjour, dans le respect de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés – comme le précise utilement le sous-amendement 371 de notre collègue Delnatte. Cette consultation croisée est indispensable pour vérifier la validité, non seulement de l’autorisation de travail, mais aussi du titre de séjour de l’étranger. S’il est titulaire d’une autorisation spécifique de travail, celle-ci relève des services du ministère de l’Emploi, alors que si l’autorisation de travail est la conséquence de la détention d’un titre de séjour – carte de résident ou carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » -, elle figure au fichier AGEDREF du ministère de l’Intérieur.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué Cet amendement concilie la lisibilité, la simplicité, la réciprocité et l’efficacité. Le Gouvernement y est donc favorable, ainsi qu’au sous-amendement 371.

M. Noël Mamère - Cet amendement ne vise qu’à accroître le pouvoir discrétionnaire des agents des préfectures. Je me méfie toujours quand on parle de croisement de fichiers : l’exemple du fichier STIC nous montre les abus auquel cela peut conduire. Encore une fois, l’étranger fait l’objet d’une surveillance policière. Ce n’est pas sain.

Le sous-amendement 371, mis aux voix, est adopté.
L'amendement 66 ainsi sous-amendé, mis aux voix, est adopté.

article 14

Mme Danièle Hoffman-Rispal - L’amendement 282 tend à supprimer cet article qui oblige l’employeur à s’assurer de la validité du titre de travail. Une fois de plus, on lui demande de jouer un rôle qui n’est pas le sien et on alourdit la charge des contraintes administratives qui pèsent sur lui.

M. Patrick Braouezec - L’amendement 505 est identique.

M. le Rapporteur – Le problème que vous soulevez est réel, mais on ne peut lutter contre le travail illégal sans mettre en œuvre des moyens de contrôle. Les employeurs ne peuvent évidemment pas remplacer les inspecteurs du travail ; l’amendement 67 propose donc de mettre à leur charge la vérification de l’existence – et non de la validité – du titre de travail. La procédure se limiterait alors à la consultation de la Direction départementale du travail.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué Je m’étonne que vous vous opposiez à cette mesure qui est à la fois juste et efficace. Il s’agit de lutter contre le travail illégal : c’est donc une disposition protectrice pour les salariés étrangers. Bref, c’est une mesure de bon sens.

M. Noël Mamère - Vous inventez une nouvelle usine à gaz. L’article 14 relève manifestement, lui aussi, d’une volonté de surveillance policière des étrangers, et du principe de défiance. Et vous n’avez bricolé ce nouveau texte que pour des raisons électoralistes.

M. Patrick Braouezec - Il faut se méfier du « bon sens », Monsieur le ministre. Il débouche parfois sur des contresens, voire des non-sens. Si nous demandons la suppression de cet article, c’est aussi parce qu’il fait endosser à l’employeur un rôle qui n’est pas le sien, celui de policier. Il faut au moins adopter l’amendement du rapporteur.

M. Étienne Pinte - Il faut tout de même protéger l’employeur, qui est responsable pénalement et financièrement s’il embauche à son insu un salarié en situation irrégulière ou non titulaire d’une autorisation de travail. Nous avons tous vécu ce type de situation dans nos communes.

M. Patrick Braouezec – Je souscris à cet argument. Mais le texte initial prévoyait que l’employeur s’assure de la validité du titre de travail, ce qui est impossible.

Les amendements 282 et 505, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Rapporteur – J’ai présenté l’amendement 67.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué – Avis favorable. Cet amendement est quasi rédactionnel (Protestations sur de nombreux bancs). J’ai bien dit « quasi »!

L'amendement 67, mis aux voix, est adopté.
L'article 14, ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

Art. 15

M. Patrick Braouezec - L’amendement 535 supprime l’alinéa 2 de cet article.

M. le Rapporteur – Je ne peux pas croire que M. Braouezec soit opposé à la lutte contre le travail illégal ! L’article 15 renforce la vérification par les donneurs d’ordre du respect de leurs obligations en la matière par leurs co-contractants ou sous-traitants. Aujourd’hui, la seule vérification se fait à la conclusion du contrat. Nous proposons que les co-contractants ou sous-traitants remettent tous les six mois une déclaration sur l’honneur au donneur d’ordre, comme c’est déjà le cas en matière de travail dissimulé depuis la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie. Cette disposition est tout à fait adaptée aux opérations de sous-traitance de longue durée, pour lesquelles la vérification initiale ne suffit pas. Les employeurs consultés n’ont rien trouvé à redire à ce dispositif.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué – Aujourd’hui, tout donneur d’ordre qui passe un contrat supérieur à 3 000 euros avec un entrepreneur doit lui demander une attestation indiquant que les travailleurs étrangers qu’il emploie sont en situation régulière. Or, ce système ne s’applique pas aux particuliers et n’est pas adapté aux contrats de longue durée. Nous proposons de renforcer les obligations pesant sur les donneurs d’ordre, en imposant une vérification régulière de l’existence de l’autorisation de travail et en soumettant les particuliers à ce dispositif, ce qui est particulièrement utile dans le secteur du bâtiment. Je ne comprends pas bien votre opposition à la lutte contre le travail au noir. Avis défavorable.

M. Patrick Braouezec - Je partage votre souci, mais cet article relève du même esprit que l’article 14 avant la correction apportée par le rapporteur. Vous demandez aux entreprises répondant aux appels d’offre de s’assurer que leurs employés sont en règle, c’est-à-dire de mener une enquête d‘ordre policier sur la validité de leurs titres de séjour. C’est pour cela que nous demandons la suppression de cet alinéa.

L'amendement 535, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L’amendement 68 étend les obligations du donneur d’ordre qui n’a pas respecté ses devoirs en matière de lutte contre le travail illégal. Actuellement, il est tenu solidairement responsable de la contribution spéciale ANAEM prévue par le code du travail. Nous proposons d’étendre ce dispositif à la contribution forfaitaire prévue par la loi du 26 novembre 2003. À l’époque, cette décision d’exiger des employeurs de travailleurs étrangers sans titre une contribution représentative des frais de réacheminement constituait un signal fort contre le travail illégal, mais, inertie du pouvoir réglementaire aidant, elle n’est pas entrée en vigueur. Je précise que la responsabilité du retard pris par le décret n’incombe pas au ministère de l’intérieur. Un projet de décret préparé par le ministère est prêt depuis novembre et n’attend plus que son examen par le Conseil d’État. Celui-ci a peut-être d’excellentes raisons de prendre son temps, mais il devrait alors cesser de se plaindre que les lois comportent des dispositions de nature réglementaire.

M. Jean-Christophe Lagarde - Il a autre chose à faire !

M. le Rapporteur - J’ai en effet cru comprendre que certains avaient des chroniques à tenir… En tant que parlementaire, je préférerais que les décrets sortent plus vite.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué Avis favorable. Je précise que le projet de décret est inscrit au calendrier du Conseil d’Etat pour le 30 mai.

L'amendement 68, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L’amendement 471 de M. Mallié est défendu. La commission lui a donné un avis favorable.

L'amendement 471, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.
L'article 15, modifié, mis aux voix, est adopté.

après l'Art. 15

M. le Rapporteur – Actuellement, les agents chargés de lutter contre le travail illégal, sauf s'ils appartiennent à la police ou à la gendarmerie, ne peuvent pas avoir recours à des interprètes, ce qui les pénalise beaucoup lorsque les personnes concernées ne parlent pas le français. Ils en sont réduits à leur faire remplir des formulaires traduits. L’amendement 69 règle cette difficulté.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué – Il paraît logique que tous les agents procédant à des missions de contrôle puissent être assistés d’interprètes. Avis favorable.

M. Noël Mamère - Cet amendement prouve votre duplicité ! Vous donnez des interprètes pour la répression, mais, parallèlement, vous interdisez aux étrangers d’avoir recours à des interprètes pour demander l’asile. Vous êtes pris la main dans le sac. Cet article additionnel suffit à montrer que c’est la chasse aux étrangers que vous privilégiez.

M. Etienne Pinte - En tant que représentant de l'Assemblée nationale à l’Office français des réfugiés et apatrides, j’ai eu l’occasion de voir comment les choses se passaient et je peux vous dire en toute objectivité que, tant en première instance, à l’OFPRA, que sur le plan judiciaire, à la commission de recours, l’instruction est juridiquement et humainement très satisfaisante. Dans tous les cas, soit les officiers chargés d’instruire le dossier parlent la langue de l’étranger, soit l’on fait venir des interprètes. Je me posais bien des questions avant d’y aller, et j’ai été agréablement surpris. Il est normal, à partir du moment où un étranger ne parle pas le français, qu’il puisse être accompagné d’un interprète pour toutes les situations où cela est utile.

M. Patrick Braouezec - Je suis entièrement d’accord sur ce point, mais vous mettez beaucoup plus de zèle à fournir des interprètes pour des missions répressives que pour l’accompagnement de l’étranger ! Que celui-ci puisse bénéficier d’un interprète est non seulement utile, mais nécessaire et normal. C’est la seule façon d’instaurer le dialogue. Nous ne disons pas que cette mesure est mauvaise, nous vous demandons de l’étendre à l’ensemble des situations que peut rencontrer l’immigré : une demande d’asile certes, mais aussi par exemple une interpellation policière.

M. Noël Mamère - J’ai la plus grande confiance dans la sincérité de M. Pinte, mais il n’a parlé que de l’OFPRA ! Je lui recommande vivement d’exercer son privilège de parlementaire pour aller dans les centres de rétention pour étrangers : il y verra les conséquences du défaut d’interprète et de la réforme du droit d’asile votée par cette majorité.

M. Jean-Christophe Lagarde - J’entends bien les observations de M. Mamère. Reste que l’amendement est utile et devrait faire l’unanimité. En pratique, la seule fois où l’on a recours à un interprète, c’est pour le mariage. Pour beaucoup de démarches, la plupart des étrangers sont laissés à eux-mêmes. Par exemple, sur les chantiers, il y a beaucoup de clandestins, et en cas de visite de l’inspection du travail, ils ne comprennent pas ce qui leur arrive.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué D’abord, sur la question des interprètes pour les demandeurs du droit d’asile, le Conseil d’État a donné raison au contentieux au Gouvernement. Ensuite, je souligne le décalage entre les déclarations d’intention de certains et leurs votes. On est unanime sur ces bancs à vouloir lutter contre le travail clandestin, et beaucoup des mesures que nous proposons ce matin entrent dans ce cadre. Encore faut-il les voter.

M. Patrick Braouezec - Le Conseil d’État vous a donné raison. Mais encore ? Dans les centres de rétention, il y a déni de justice. Et votre réponse me préoccupe car vous ne garantissez en rien le droit d’avoir des interprètes au-delà du cas visé par cet amendement.

D’autre part, j’ai toujours voté en fonction du fond. J’ai voté contre chaque article puisque je suis contre le texte. Mais j’ai voté certains amendements et, sur beaucoup d’entre eux, je n’ai pas participé au vote.

L'amendement 69, mis aux voix, est adopté.

M. Jérôme Rivière – S’il y a des clandestins en France, c’est aussi que des employeurs abusent de la situation. Notre amendement 226 rectifié punit plus sévèrement ceux qui récidivent.

M. le Rapporteur – La commission avait repoussé une première version de l’amendement qui prévoyait une peine de prison, inacceptable pour une sanction administrative. Dans sa version modifiée, il est très utile car la législation n’est pas assez dissuasive.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué Cet amendement correspond parfaitement à la volonté du Gouvernement de lutter cotre toutes les formes d’esclavagisme et de travail illégal et clandestin. J’y suis extrêmement favorable.

L'amendement 226 rectifié, mis aux voix, est adopté.

Art. 16 a 22

Mme la Présidente - Les articles 16 à 22 sont réservés.

Art. 23

L'article 23, mis aux voix, est adopté.

Art. 24

M. Jérôme Rivière – Il s’agit avant tout, dans cet article, de transcrire en droit français l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme. Celui-ci garantit à toute personne le respect de la vie privée, familiale, de son domicile et de sa correspondance, les ingérences des autorités publiques devant être prévues par loi et nécessitées par des conditions de sécurité nationale, de sûreté publique, de bien-être économique, de défense de l’ordre, de prévention des infractions pénales, de protection de la santé et de la morale ou des droits et libertés d’autrui.

L’article va dans le bon sens, en abrogeant des dispositions qui permettaient à des étrangers de bénéficier d’une carte de séjour en violant la loi de façon prolongée. Je proposerai des amendements pour aller plus loin, car cette transcription de l’article 8, par certains aspects, est un appel à l’immigration. Parmi les pays signataires de la convention européenne des droits de l’homme, il y a ceux de l’ouest, qui exercent une forte attractivité, et les autres, dans lesquels l’émigration est le seule projet économique viable pour l’immense majorité de la population. Cela interdit une vision commune des phénomènes migratoires. Je propose donc de limiter l’application de cet article.

Par ailleurs, il faut mieux encadrer l’accès aux soins gratuits. On ne peut renvoyer des femmes et des hommes pour lesquels ce renvoi serait une condamnation à mort, mais il faut y ajouter le critère de l’immédiateté du risque. Notre système, le meilleur selon l’OMS, garantit un accès aux soins gratuits pour les étrangers en situation régulière ou non : c’est un facteur d’attraction suffisant pour justifier à lui seul un projet migratoire.

M. Noël Mamère – Cet article illustre parfaitement la philosophie de la loi, puisqu’il s’agit de supprimer la régularisation automatique après dix ans de présence. Pourtant, c’est votre majorité qui l’avait introduite en 1997, après la grève de la faim de l’église Saint Bernard de l’été précédent. Pour les quelques milliers d’étrangers qui en ont bénéficié après une procédure très complexe, il ne s’agissait pas, comme vous le dites aujourd’hui, d’une prime à la clandestinité, mais d’une reconnaissance de leur intégration de fait. La supprimer plongera dans la précarité perpétuelle des étrangers qui ont vocation à rester en France.

Le nombre de bénéficiaires a été très modeste, car il est très difficile de satisfaire aux exigences des préfectures pour prouver ses dix ans de séjour. Mais il y avait reconnaissance d’une intégration de fait. Du moins, l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme, qui prime sur le droit français, devrait empêcher la remise en cause que vous opérez. Avec votre projet, les sans-papiers dépendront du bon vouloir des préfectures.

Pour les jeunes confiés depuis l’âge de 16 ans aux services de l’aide sociale à l’enfance, dont la situation est réglée actuellement par simple circulaire, vous prévoyez qu’il faudra tenir compte du sérieux de la formation suivie, de l’absence de liens avec la famille restée au pays d’origine et de l’avis de la structure d’accueil sur l’insertion de l’étranger. Il est très difficile d’obtenir un placement à l’ASE pour ces jeunes et ils n’obtiennent un titre de séjour que pour un an alors qu’avant la loi du 26 novembre 2003 on leur reconnaissait la nationalité française. En 2003, vous avez créé aussi le délit de mariage de complaisance et renforcé les contrôles lors de la célébration du mariage. Désormais, vous rendez plus difficile l’obtention d’une simple carte de séjour temporaire. C’est un nouveau recul. Cette carte temporaire attribuée pour tenir compte des liens personnels et familiaux en France a été créée par la loi du 11 mai 1998, non par générosité, mais pour tenir compte de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme.

Si les possibilités de revendiquer ces liens privés et familiaux ont déjà été considérablement réduites par voie de circulaire, des conditions supplémentaires non prévues par la loi ayant été posées, le projet renforce encore les obstacles. Cette mesure ne s’applique qu’aux étrangers n’entrant dans aucune autre catégorie -comme conjoint de Français ou parent d’un enfant français par exemple-, mais dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d’autorisation de séjour porterait gravement atteinte…

Mme la Présidente - Je vous prie de conclure.

M. Noël Mamère - J’essaie de détailler tous les points de cet article gravissime. Comme nous sommes peu nombreux à intervenir, peut-être pourriez-vous, Madame la présidente, faire preuve d’indulgence dans l’application du Règlement.

Le Gouvernement a renoncé à décliner précisément les conditions requises pour l’obtention d’une carte de séjour temporaire au titre des liens personnels et familiaux. Mais la formulation vague finalement retenue est tout aussi inquiétante car elle laisse une marge d’appréciation considérable aux préfets, ces liens étant appréciés « au regard notamment de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d’existence de l’intéressé, de son insertion dans la société française ».

Je terminerai en évoquant le cas des accompagnants de malades, qui met bien en lumière la dangerosité de cet article. En dépit d’une jurisprudence constante des juridictions administratives, les accompagnants de malades peinent à obtenir une carte de séjour temporaire sur le fondement de leur vie privée et familiale. Lorsqu’elles ne leur opposent pas un refus catégorique, les préfectures se contentent de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour à titre humanitaire. Sans le droit de travailler, ces personnes, condamnées à la précarité et à l’exclusion, ne peuvent pas soutenir comme il conviendrait leur proche ou leur enfant gravement malade. Les nouvelles exigences posées ne feront que donner des motifs supplémentaires aux préfectures pour refuser le séjour des accompagnants, au risque de mettre en danger la vie des malades. Tout cela montre bien quelle est la philosophie de votre texte : le soupçon vis-à-vis des étrangers et leur rejet.

M. Jean-Christophe Lagarde – C’est une erreur que de supprimer la possibilité, introduite en 1997, de régulariser les étrangers pouvant prouver une présence continue sur notre territoire depuis plus de dix ans. Pourquoi ? Tout d’abord, cette disposition ne concerne pas plus de 3 000 personnes. Ensuite, c’est la seule aujourd’hui qui permette de régler la situation intenable d’étrangers qui ne peuvent être ni expulsés ni régularisés. S’il n’est plus possible de les régulariser, on va les condamner à la clandestinité perpétuelle. Il n’est pas vrai, comme il est écrit dans l’exposé des motifs, que cette disposition revienne à récompenser une violation prolongée des lois de la République…

M. Jérôme Rivière - C’est pourtant bien le cas.

M. Jean-Christophe Lagarde - La prescription prévue existe dans notre droit (Exclamations de M. Rivière).

De deux choses l’une. Ou bien l’article relève d’une simple volonté d’affichage, et comme il y aura toujours des clandestins non expulsables, – sans compter tous ceux qui ne sont pas reconduits à la frontière –, on régularisera discrètement au titre de la vie privée et familiale. En ce cas cette disposition ne sert à rien. Ou bien vous prenez le risque de reconstituer des stocks de clandestins, et vous préparez de nouveaux Saint-Bernard.

M. Patrick Braouezec – Sur ce point au moins, le Gouvernement ferait bien d’entendre les voix qui s’élèvent non seulement sur nos bancs mais aussi dans sa propre majorité, – je pense notamment à celles de M.  Lagarde et de Mme Boutin. Il faut laisser un espoir à ceux qui ont réussi à se maintenir dans notre pays depuis plus de dix ans, dans des conditions souvent extrêmement précaires, et y ont mené une vie honnête. M. Lagarde pointait le risque de nouveaux Saint-Bernard, mais il y a déjà une nouvelle occupation d’église et il y en aura d’autres, car les personnes concernées n’ont plus rien à perdre.

Contrairement à ce que prétend M. Rivière, régulariser au bout de dix ans n’est pas accorder une prime à la clandestinité, mais apporter une réponse humaine à des situations extrêmement difficiles.

M. Jérôme Rivière - C’est du prêche !

M. Patrick Braouezec – Si le Gouvernement ne veut pas que l’on retienne seulement de ce texte qu’il est dépourvu de toute humanité et traduit le rejet des étrangers, revenez sur cette disposition-là au moins. Vous vous honoreriez de nous entendre sur ce point.

M. Rivière, encore lui, a parlé d’appel à l’immigration. Or, il n’y a pas plus d’étrangers dans notre pays qu’il y a trente ans. Arrêtez donc de brandir sans cesse la menace de l’invasion. C’est un fantasme.

M. Jérôme Rivière - Le nombre de clandestins augmente.

M. Patrick Braouezec - Vous prétendez que les étrangers seraient de plus en plus nombreux à venir se faire soigner dans notre pays, dont le système de soins performant – ce qui ne devrait, hélas, pas durer avec votre politique ! – les attirerait. Mais tout cela est faux. Alors que l’aéroport de Roissy constitue la plus grande frontière de France, les hôpitaux voisins voient bien combien de femmes, par exemple, viennent accoucher dans notre pays. On est très loin des chiffres que vous avancez.

M. Jérôme Rivière - Mais enfin, les personnes se dispersent à partir de Roissy ! Soyez réalistes.

M. Patrick Braouezec - Non, notre pays n’est pas envahi par les étrangers qui viendraient se faire soigner. Il est inadmissible de le faire croire.

M. Étienne Pinte - Cet article pose à beaucoup d’entre nous un problème de conscience. J’ai eu en tant que maire à vivre en 1995 l’occupation de la cathédrale Saint-Louis de Versailles par un collectif de 132 hommes étrangers sans-papiers, tous mariés ou ayant une compagne et des enfants. J’ai dû, avec l’évêque, aller voir le préfet, qui était à l’époque Claude Erignac, pour tenter de trouver une solution.

Nous nous sommes rendu compte à cette occasion que le service des étrangers de la préfecture n’appliquait pas toutes les lois et circulaires, puisque M. Charles Pasqua, alors ministre de l’intérieur, avait prescrit de régulariser toutes les personnes en situation irrégulière si elles étaient mariées, en situation de concubinage ou parents d’enfants – la règle était de ne pas séparer un enfant de son père, une femme ou une compagne de son époux ou de son compagnon. Sur les 132 grévistes de la faim, 120 ont ainsi été régularisés – les autres ne résidant pas dans notre département ou étant poursuivis sur le plan pénal.

C’est donc au nom de la vie familiale que nous sommes parvenus à régulariser ces hommes qui avaient fait tout ou partie de leur vie en France et y avaient fondé un foyer. Il me paraît donc indispensable de préserver cette possibilité, qui permet de régulariser quelque 3 000 des 400 000 immigrés illégaux.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi à 15 heures.
La séance est levée à 12 heures 45.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Catherine MANCY

Le Compte rendu analytique
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Préalablement,
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