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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

1ère séance du jeudi 1er juin 2006

Séance de 9 heures 30
98ème jour de séance, 233ème séance

Présidence de M. Maurice Leroy
Vice-Président

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La séance est ouverte à neuf heures trente.

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saisine pour avis d’une commission

M. le Président – J’informe l’Assemblée que la commission de la défense nationale et des forces armées a décidé de se saisir pour avis du projet de loi de règlement du budget de 2005.

La séance, suspendue, est reprise à 10 heures.

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droit de préemption des locataires en cas de vente (cmp)

L'ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d’un immeuble.

M. Christian Decocq, rapporteur de la CMP – Cette proposition de loi, après avoir été adoptée par le Sénat en deuxième lecture le 29 mars 2006, a fait l’objet de la réunion d’une CMP le 11 avril. Je remercie Mme Aurillac, à l'origine de ce texte, ainsi que le Gouvernement, qui a largement contribué à ce que, d'abord examiné à l'Assemblée nationale dans le cadre d'une séance d'initiative parlementaire en juin 2005, il soit sur le point d'être promulgué un an après le début de la procédure parlementaire.

Après deux lectures dans chacune des deux assemblées, trois des cinq articles de la proposition avaient fait l'objet d'un vote conforme. Dès la première lecture par le Sénat, l'article 2 bis avait été adopté conforme. Celui-ci prévoit que tout congé pour vente par lots qui interviendra moins de deux ans avant le terme du bail donnera lieu à une reconduction du bail, à la demande du locataire, afin que ce dernier soit assuré de rester dans les lieux pendant deux ans à compter de la notification du congé pour vente. Ainsi, l'article 2 bis constitue l'une des pièces essentielles du dispositif de protection des locataires en apportant des garanties à tous ceux qui ne peuvent se porter acquéreurs de leur logement.

En deuxième lecture, l'Assemblée nationale avait adopté conforme l'article 2 visant à modifier la règle de calcul de la majorité d'opposition à l'extension d'un accord collectif conclu entre les associations représentatives des bailleurs et les associations représentatives des locataires. Cette modification devrait faciliter l’extension par décret des accords collectifs et notamment de l’accord collectif de location relatif au congé pour vente par lots aux locataires du 16 mars 2005, plus protecteur que l’accord collectif du 9 juin 1998.

En deuxième lecture, le Sénat avait enfin adopté conforme l'article 3 qui prévoit l'annulation de tout congé pour vente intervenu en violation d'un accord collectif de location étendu par décret. La nullité du congé pour vente est créée afin de protéger les locataires des propriétaires procédant à une vente par lots qui ne respecteraient pas les obligations contenues dans l'accord collectif. Ainsi, l'article 3 complète utilement l'article 2 et leur conjonction donnera toute leur efficacité aux accords collectifs.

Demeuraient donc en discussion, au stade de la CMP, l'article premier et l'article premier bis. L'article premier a pour objet d'éviter des reventes en bloc successives à visée purement spéculative. Il prévoit que toute vente en bloc d'un immeuble devra s'accompagner d'un engagement de l'acquéreur à proroger pour six ans les contrats de bail en cours à la date de conclusion de la vente. À défaut d’un tel engagement de la part de l’acquéreur, les locataires disposeront d’un droit de préemption dans des conditions très favorables, le délai d’exercice de ce droit de préemption étant de quatre mois par dérogation au délai habituel qui est de deux mois. La CMP a permis d'établir un texte cohérent et satisfaisant : le seuil d'application de la disposition qui a été retenu est celui des immeubles de plus de dix logements, par cohérence avec les autres dispositions législatives et conventionnelles relatives à la vente par lots ; la durée de l'engagement de prorogation des baux en cours à la date de la conclusion de la vente sera décomptée à partir de la signature de l'acte authentique de vente.

L'article premier bis crée une incitation fiscale au profit de l'acquéreur d'un logement vendu dans le cadre d'une vente par lots qui conservera le logement sous statut locatif pendant une durée de six ans. Il prend ainsi le relais de l'article premier ainsi que de l'article 2 bis pour promouvoir le maintien dans les lieux des locataires en place lors d'une vente par lots. Le Sénat avait modifié l'article premier bis afin de permettre à l'acquéreur d'un logement vendu consécutivement à la mise en copropriété d'un immeuble en raison de l'exercice du droit de préemption en cas de vente en bloc de l'immeuble de bénéficier de l'avantage fiscal. L'extension de cet avantage fiscal a paru pertinente et a été retenue par la CMP.

Ainsi, par les articles premier, premier bis et 2 bis, la proposition protègera efficacement les locataires, qu'ils soient ou non capables de se porter acquéreurs de leur logement. Par les articles 2 et 3, elle donnera plus de force aux dispositifs conventionnels de protection, complémentaires de la protection apportée par loi. Le texte ne prévoyant pas d'entrée en vigueur différée dans le temps de tout ou partie de ses dispositions, elle sera d'application immédiate pour toute vente en bloc et toute vente par lots ayant lieu postérieurement à sa publication. Seuls les ventes en bloc et les ventes par lots ayant déjà été conclues ainsi que les congés pour vente régulièrement délivrés et devenus exécutoires ne seront pas concernés par l'entrée en vigueur de la loi. Dès lors que le texte sera publié, il modifiera ainsi complètement la pratique actuelle des opérations de vente par lots d'immeubles à usage d'habitation.

Nous avons fait notre travail de législateur face à une réalité économique que nous connaissons : la hausse des prix de plus de 70 % dans les cinq dernières années qui conduit les locataires à des choix difficiles : départ, ou exercice du droit de préemption à des prix exorbitants. Certes, il est toujours possible d’améliorer ce texte, mais alors que certains souhaitaient des représailles économiques ou des sanctions morales, nous avons quant à nous dit le droit, conformément à notre vocation, en veillant à l’équilibre des droits entre les propriétaires et les locataires.

Faites-nous encore de beaux logements, Monsieur le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement ! J’invite l’Assemblée à voter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement  Nous en sommes tous d’accord : la vente à la découpe soulève des problèmes sociaux et économiques qui appellent des réponses politiques. Tel est le sens de cette proposition déposée dès janvier 2005 par Mme Aurillac. Nous arrivons aujourd’hui au terme du parcours parlementaire, et la publication de ce texte est urgente…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Quinze mois après son dépôt !

M. le Ministre - …dans l’intérêt des locataires victimes de vente à la découpe.

Je souligne le remarquable travail du Parlement, et notamment celui de M. le rapporteur Decocq, car vous êtes parvenus à un équilibre qui permet de continuer à trouver des investisseurs dans le domaine de l’immobilier tout en préservant le droit des locataires. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Martine Aurillac – Nous arrivons enfin après d’une bien longue année au terme de la discussion de cette proposition, que j’avais déposée avec le groupe UMP dès janvier 2005 afin de mettre un terme à ce phénomène pervers qu’est la vente en bloc d'immeubles à des intermédiaires agissant comme marchands de biens. Celle-ci est le plus souvent effectuée en cascades et dans des délais très courts, jusqu'à la phase ultime de vente au détail, dite « à la découpe », au prix exorbitant alors atteint par l'immeuble. Les principes de cette loi sont clairs : suppression autant que faire se peut des plus-values purement spéculatives, car sans valeur ajoutée, par un droit de préemption dès la première vente avec mise en copropriété ; maintien du statut locatif pendant six ans ; renforcement des sanctions et protection des locataires qui ne peuvent pas acheter grâce à l'extension de l'accord du 16 mars 2005. Les navettes entre nos deux assemblées ont permis d'enrichir le texte en développant ces principes. L'incitation fiscale que nous avions souhaitée a été reprise par le Sénat et l'information du maire et du maire d'arrondissement est tout à fait bienvenue. Le délai de deux ans constitue un garde-fou solide. La taille minimale de dix logements au lieu de cinq nous a paru plus cohérente avec la loi de 1989 et les accords collectifs. La CMP a également retenu l'extension de l'incitation fiscale aux ventes par lots intervenant à la suite de l'exercice du droit de préemption prévu par l'article premier nouveau.

La protection des locataires doit quant à elle résulter de la pleine et honnête application des accords collectifs négociés entre bailleurs et locataires. Certaines associations de locataires ont jugé ce texte insuffisant et notre opposition l'a souvent caricaturé, mais il ne mérite pas tant d'indignité. L'équilibre est d'autant plus malaisé que nous ne pouvons nous affranchir des principes constitutionnels du droit de propriété et de la non-rétroactivité.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Ah !

Mme Martine Aurillac - Il fallait permettre l'extension du droit de préemption, certes, mais ne pas empêcher un institutionnel de réaliser une partie de son patrimoine si nécessaire – ce qu'autorisait la proposition socialiste qui nous a été soumise quelques mois après la nôtre, bloquant ainsi le jeu du marché et rigidifiant un système dont la fluidité est absolument nécessaire. Il faut protéger les locataires sans toutefois défendre des rentes de situation abusives. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste)

Ce texte ne prétend pas résoudre à lui seul la crise du logement, dont la pénurie est, avec la flambée des prix, une des causes principales. Beaucoup a d'ailleurs déjà été fait : prêt à taux zéro, prêt locatif Robien, plan Borloo qui prévoit la réalisation de 500 000 logements sur cinq ans – ce que les gouvernements socialistes n'ont jamais fait. Le nombre de permis de construire délivrés et de mises en chantier est à cet égard éloquent. Une étude sur le prêt hypothécaire pourrait aussi être engagée. Rappelons enfin que les PLI sont indispensables, notamment à Paris, si l’on veut retenir les jeunes familles. L'engagement national pour le logement ouvre d’autres pistes intéressantes, et le Gouvernement s'est engagé à faire émerger une profession assainie de promoteurs rénovateurs, notamment avec le contrat de vente en l'état futur de rénovation. Il était cependant urgent d'enrayer un phénomène spéculatif malsain en protégeant les locataires sans figer le marché, tout en favorisant l'accès à la propriété. On regrettera seulement que le délai d'examen – presque seize mois – en ait quelque peu réduit la portée, ce qui n’empêchera pas le groupe UMP de voter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Tony Dreyfus - M. le rapporteur nous disait à l’instant qu’il ne s’agissait pas de faire de la morale. Il serait pourtant inconvenant que le législateur n’en fît pas. Cela étant, il ne s’agit pas simplement d’un problème de morale, mais aussi d’un problème économique. Le maire de Paris, ou plutôt l’ancien maire de Paris… (Rires sur plusieurs bancs)

M. Jean Tiberi - J’en prends acte, et je vous remercie ! (Rires sur plusieurs bancs)

M. Tony Dreyfus - …peut en témoigner : la distance entre l’offre et la demande est telle que s’en remettre à la loi du marché n’est pas réaliste. Mme Aurillac a évoqué la moralisation en cours d’un certain nombre d’intermédiaires, marchands de biens et promoteurs. Permettez-moi d’observer qu’elle est loin d’être achevée : les projets qui sont aujourd’hui engagés font sursauter le maire d’arrondissement que je suis, soucieux de maintenir un équilibre sociologique dans son quartier. Seule la recherche du profit motive les marchands de biens.

Le texte adopté par l'Assemblée nationale le 15 décembre 2005, après son examen par le Sénat le 13 octobre 2005, ne règle toujours pas des questions pourtant déterminantes. Le premier souci du groupe socialiste est de s’assurer que les locataires concernés par les opérations en cours sont bien protégés. En effet, contrairement au dispositif adopté par les lois de 1982 et 1989, conforme en tous points à la Constitution, aucune disposition du présent texte ne prévoit qu’il s’applique aux locataires concernés par les opérations en cours, ceux-là même qui ont attiré l’attention des pouvoirs publics sur un certain nombre d’errements. Ne nous y trompons pas : ce sont les locataires qui sont victimes, et il est devenu rare qu’ils bénéficient de loyers privilégiés – on est loin de la loi de 1948 ! En outre, les candidats acheteurs ne pourront pas bénéficier des prix de la première vente en bloc, sauf dans l’hypothèse où les tribunaux prononceraient la nullité de l’offre de vente qui leur a été faite. Les locataires qui ne pourront pas acheter seront donc évincés, puisque les opérateurs spéculatifs pourront toujours exercer le congé pour vente. L’absence de dispositif applicable aux opérations en cours constitue donc une amnistie de fait et une prime à la spéculation. Or, le cycle des prix de l’immobilier est encore haussier.

Enfin, ce texte remet en cause la jurisprudence récente de la Cour de cassation et de la Cour d’appel de Paris sur la nullité des congés et des offres de vente, qui était favorable aux locataires. Ce qui doit nous préoccuper aujourd’hui, c’est la hausse des prix de l’immobilier dans les grandes villes, qui s’étend à la proche banlieue parisienne. Il nous sera très difficile de nous opposer à cette spéculation. C’est ce qui explique nos réserves. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Martine Billard - Très bien !

Mme Muguette Jacquaint – Au manque d’ambition de ce texte, que nous avions dénoncé en première lecture, s’ajoute la lenteur coupable de son examen au regard de la frénésie spéculative qui sévit dans le secteur immobilier. L’urgence de la situation est reconnue par tous, y compris sur les bancs de la majorité. Vous ne semblez pourtant pas, chers collègues, en avoir fait une priorité, si l’on en juge par votre manque d'empressement et par la modestie des mesures proposées.

J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer lors de l’examen de la proposition de loi de nos collègues socialistes sur la protection des locataires victimes de vente à la découpe et en première lecture. Nous sommes favorables à un renforcement du rôle des collectivités territoriales : elles doivent pouvoir défendre l'intérêt général en s'opposant aux opérations d'investisseurs qui portent atteinte à la mixité sociale, et en particulier aux ventes à la découpe. Nous proposons donc d’instituer un véritable « permis de diviser » comparable au permis de construire. L'argument selon lequel cette mesure porterait atteinte au droit de propriété n'est pas recevable. Faut-il rappeler à nos collègues, dont la surdité est décidément effrayante, que le droit au logement et à des conditions de vie décentes est un droit de valeur constitutionnelle, au même titre que le droit de propriété ? Or, les opérations de vente à la découpe emportent des conséquences disproportionnées pour les locataires incapables d'acheter, qui voient menacer leur projet de vie, leur vie familiale, voire leur emploi.

Le Gouvernement et la majorité feignent de l’ignorer, mais le problème central posé par les ventes à la découpe reste celui de l'éviction des deux tiers de locataires qui ne peuvent acheter leur logement. Ce texte n'intéresse donc que le dernier tiers. Admettez que c'est un peu faible !

De la même manière, la mesure relative au droit de préemption introduite par le Sénat, qui permet aux communes de se porter acquéreurs des biens dans l'hypothèse d'une vente à la découpe, est une mesure en trompe-l'œil, comme le sont celles du texte sur le logement que nous examinons actuellement. Quelle commune disposerait en effet des moyens nécessaires ? Il nous faudra bien nous orienter vers l'institution d'un permis de diviser.

D'autres mesures importantes sont cruellement absentes de votre texte, comme l'indispensable refonte du dispositif de congé pour vente afin de remédier à l’usage qu'en font les spéculateurs. Aucune mesure n'est par ailleurs prévue pour responsabiliser les investisseurs sur le terrain de la protection des locataires. On ne peut se contenter d’accorder des incitations fiscales comme la diminution des droits de mutation et continuer d’abandonner les victimes d'expulsion. Il faut garantir un droit au logement, par l'intervention des pouvoirs publics mais aussi en responsabilisant les acteurs privés, qui doivent prendre leur part à l’effort de solidarité. Il y va de l'avenir des familles concernées et de la mixité sociale dans nos quartiers.

Depuis longtemps, les députés communistes exigent la mise en œuvre de politiques volontaristes, soucieuses de solidarité et de justice sociale. La majorité et le Gouvernement s’abritent derrière le respect du droit de propriété et la fluidité du marché pour repousser toute forme d’interventionnisme. Mais la politique a précisément vocation à rétablir les équilibres là où ils sont rompus et à protéger la liberté des uns contre les appétits des autres.

Cette proposition apporte peut-être quelques améliorations, mais reste très en deçà des enjeux liés aux ventes à la découpe. Les institutionnels n’ont qu’une seule logique, qui est de réaliser leurs actifs et de bénéficier d’une manne fiscale grâce à votre majorité. Car ce sont bien les allégements considérables de la fiscalité des sociétés foncières qui ont donné le coup d'envoi à la frénésie spéculative actuelle. Pourtant, à l’indispensable assainissement du secteur, vous préférez les mesures de replâtrage. En première lecture, Mme Aurillac affirmait qu'il aurait été « pervers » de prendre des mesures « de nature à bloquer le marché de l'immobilier et à soumettre les bailleurs à des contraintes générales et permanentes nuisant gravement à leurs missions ». Cela dit tout, mais conduit à demander quelles sont les vraies logiques « perverses ».

Nous restons convaincus que les solutions passent par des mesures autrement ambitieuses, tant sur le plan fiscal que sur le plan social. II convient ainsi de revenir sur le dispositif de Robien, qui n'a permis que d'assurer la rentabilité de l'investissement locatif privé au détriment des besoins sociaux, mais aussi sur les exonérations des droits de mutation sur les opérations hautement spéculatives, telles que les ventes par lots, mesures qui accompagnent la flambée des prix de l'immobilier, et contribuent à priver l'État des moyens financiers d'une véritable politique de maîtrise foncière et d'aménagement urbain.

Il faudrait au contraire agir pour rendre vraiment opposable le droit au logement. Mais vous ne manifestez aucune intention d'engager une politique volontariste d'investissement et d'intervention publique, ni de revenir sur des choix coûteux et nocifs. Nous voterons évidemment contre votre proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Martine Billard - Très bien.

M. Jean Tiberi - Il s’agit d’un bon texte, et je remercie Mme Aurillac d’en avoir pris l’initiative. Certes, le délai qui s’est écoulé depuis son dépôt est un peu long, mais le Parlement manifeste ainsi sa volonté de lutter contre la spéculation. Je remercie également le rapporteur pour son excellent travail. Le débat a été approfondi, en commission et en séance, dans les deux assemblées.

Bien entendu, ce texte ne règle pas tous les problèmes.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Et pourquoi ?

M. Jean Tiberi - De grâce, ne faites pas de polémique, vous avez été au pouvoir de 1997 à 2001 et vous n’avez rien fait.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Pendant combien de temps avez-vous été au pouvoir à Paris ? Ne donnez pas de leçon !

Mme Martine Billard et Mme Muguette Jacquaint – Tout à fait !

M. Jean Tiberi - Je ne donne pas de leçon, je dis simplement que nous faisons quelque chose, quand vous n’aviez rien fait, et vous protestez.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - En 1997, il y a eu l’accord collectif !

M. Jean Tiberi - Ne vous énervez donc pas !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Je ne m’énerve pas, je dis des vérités !

M. Jean Tiberi - Pas du tout.

Ce texte permet une avancée dans la lutte contre une forme de spéculation inacceptable, la vente à la découpe que des organismes institutionnels – une minorité heureusement – utilisent. Effectivement, c’est inacceptable. Mais il n’est pas facile de lutter contre ce procédé. Pour cela, il faut construire plus de logements dans les grandes villes. À cet égard, le ministre a rappelé les chiffres de la construction, qui atteignent désormais des niveaux sans précédent. C’est cela, lutter contre la spéculation.

M. Guy Geoffroy - Très bien.

M. Jean Tiberi - Il faut aussi construire plus de logements sociaux, de logements en accession à la propriété et de logements pour les classes moyennes, car la situation est très préoccupante à cet égard à Paris. Mais la loi de l’offre et de la demande ne peut pas jouer car il n’y a pas assez de terrains. Il faut donc que le Gouvernement intervienne, sans porter atteinte à l’équilibre nécessaire entre propriétaires et locataires. L’action que le Gouvernement mène en ce domaine est remarquable, malgré un contexte difficile. Ce texte sur lequel nous avons beaucoup travaillé, sans démagogie, va dans le bon sens. Dans six mois, son apport sera évalué. De plus, sa simple existence devrait être dissuasive pour certains organismes. Je le voterai sans hésitation. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président – La parole est, maintenant, à M. Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Je sens comme un reproche dans votre propos, Monsieur le président, et je reconnais qu’il est peut-être justifié.

Cette proposition censée répondre au problème des ventes à la découpe parvient enfin au terme d’un laborieux processus.

Alors que le groupe socialiste avait alerté sur la recrudescence des ventes en bloc dès l'automne 2004 et proposé d'adopter un texte ambitieux dès le printemps 2005, il aura fallu plus de dix-huit mois à la majorité pour élaborer cette proposition. Cette longue et pénible gestation n’est d'ailleurs pas sans rappeler celle du projet d’engagement national pour le logement, qui a duré trois ans. Dans les deux cas, cette lenteur à agir face à l'urgence des difficultés à résoudre inquiète, et parfois même indigne !

Elle indigne les locataires qui, laissés seuls face aux spéculateurs, s'organisent et résistent, depuis des mois, pour ne pas être chassés de chez eux, surtout lorsqu’ils constatent que ce texte ne comporte aucune disposition relative aux procédures en cours. Cela revient à blanchir toutes les opérations spéculatives réalisées ces dernières années.

Avancer que la loi ne peut être rétroactive n'est qu'un prétexte. En effet, à propos des lois sur le logement de 1982 et 1989, le Conseil constitutionnel n’a pas retenu ce motif d'inconstitutionnalité lorsque les mesures en cause étaient relatives au statut des locataires.

Ce texte ne protège pas les locataires victimes aujourd’hui. Il protégera mal ceux qui risquent de l’être demain.

D’abord, il n’offre de réels avantages qu'au petit tiers des locataires qui ont les moyens ou le désir d'acquérir leur appartement. Et encore ! Selon certains professionnels du contentieux locatif, le droit de préemption pourrait être contourné, si au moins un local d'un immeuble – une cave par exemple – était vendu préalablement aux autres lots, puisque l'article premier ne vise que les immeubles vendus « dans leur totalité et en seule fois ».

Quant à la grande majorité des locataires qui ne peuvent ou ne veulent acheter, ils sont protégés de façon très insuffisante. En effet, l'accord du 16 mars 2005 peut être facilement déjoué : il suffit que le premier acheteur en bloc revende l'immeuble à un second preneur pour que celui-ci soit dégagé de toute contrainte à l'égard des occupants. À défaut d'interdire tout congé vente dans un délai de six ans après une vente en bloc, le législateur expose les locataires aux combinaisons les plus tordues des spéculateurs.

D’autre part, cette proposition ne contient aucune disposition efficace pour permettre aux maires de protéger la mixité sociale de leur commune. Or les ventes à la découpe mettent en cause la composition des centres-villes en contraignant souvent au départ les habitants issus des classes moyennes et populaires. Dans certains cas, la consolidation du droit de préemption peut présenter un intérêt pour lutter contre l'éviction sociale ; mais seule l'instauration d'un « permis de diviser » accordé par le maire aurait enrayé définitivement ce phénomène.

Enfin, cette proposition porte un mauvais coup aux principes de la concertation sociale. Le changement des règles de la majorité au sein de la Commission nationale de concertation relève, au mieux, du tripatouillage et, au pire, du règlement de comptes. Dans la commission précédente, la position du ministre, M. Daubresse, revenait à dire aux associations de locataires : je vous demande votre avis, mais si vous n’êtes pas d’accord, je change la loi ! Encourager cela n’est guère à l’honneur du Parlement et illustre une nouvelle fois les difficultés de la majorité avec le dialogue social.

Aucune des lacunes du texte n’ayant été comblée par la commission mixte paritaire, le groupe socialiste n’aura pas d’autre solution que de vous appeler à voter contre cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Martine Billard – Nous voici donc au terme des débats sur cette proposition de loi UMP. Il y a deux ans, les locataires ont demandé au législateur d’agir en urgence. Il y a un an et demi, les députés d'opposition ont alerté la représentation nationale sur le scandale des ventes à la découpe et son cortège de locataires plongés dans la détresse. Depuis, assureurs, banquiers, marchands de biens et autres fonds d'investissement ont eu tout loisir de continuer à faire main basse sur les biens des investisseurs institutionnels, pourtant souvent constitués dans le cadre du 1 % logement. Paris et la petite couronne et d’autres métropoles régionales ont été victimes de cette mise en coupe réglée. Le centre de Paris a été particulièrement sinistré, avec de nombreuses opérations de vente à la découpe dans les quatre premiers arrondissements. Et, contrairement à la vision caricaturale qu'en ont donnée certains parlementaires UMP, les locataires victimes ne sont pas en majorité des privilégiés vivant dans des logements de standing : la défense des locataires n’est pas une action catégorielle !

Malgré cette situation d’urgence, le moins que l’on puisse dire est que le Gouvernement, qui nous avait pourtant habitués à manier lestement la procédure d’urgence, n’a pas fait preuve d’autant de zèle. Chaque retard a favorisé une accélération des ventes à la découpe, et plus encore votre refus d’appliquer la nouvelle loi aux opérations déjà en cours lors de sa promulgation. Aucun des locataires déjà concernés ne sera protégé… Et le contenu du texte en lui-même est bien décevant, puisqu’il ne réglera pas la situation de plus d'un locataire sur trois. Vous avez d’entrée de jeu refusé de doter les pouvoirs municipaux de véritables moyens pour lutter contre la spéculation, comme l'instauration d’un permis de diviser dans les zones à marché tendu de logement locatif privé. Vous avez également refusé d'interdire le congé-vente dans les six ans d'une acquisition en bloc ou d'une division, ce qui aurait pourtant permis de casser la spirale actuelle.

Le logement n'est pas une marchandise comme une autre : c’est un besoin vital, qui devrait être reconnu comme un droit. Il est normal, en période de crise immobilière, que l'État se dote d’outils législatifs pour réguler le marché. Il l’a fait en 1948, il aurait dû le faire aujourd’hui. Mais vous n’écoutez que les marchands de biens qui crient à l'atteinte au droit de propriété. Tout ce que vous avez prévu, c’est de donner aux locataires victimes d'une revente par lots le droit d’acheter leur logement sans payer la marge prévue par le marchand. Bref, cette loi ne va intéresser qu’une petite minorité d’entre eux, ceux qui auront les moyens de se porter acquéreurs. À Paris, compte tenu de l’explosion des prix, ils ne seront même pas un tiers ! Quant aux maigres protections concernant les locataires, elles se résument à celles, très limitées, de l'accord issu de la négociation collective de mars 2005 – un accord à ce point contesté que vous êtes obligés de revoir les clauses de validité pour l'imposer aux organisations représentatives de locataires. Vous avez en outre refusé de rendre ces protections opposables en cas de ventes en cascade, qui caractérisent justement les opérations de découpe.

La piètre navette parlementaire n’aura pas non plus permis d'étendre aux baux « loi de 1989 » les sanctions pénales contre les bailleurs en cas de travaux abusifs et vexatoires, qui sont pourtant très fréquents dans les opérations de ventes à la découpe – dans le centre de Paris, c’est flagrant – et ont pour objet de harceler les locataires et de dégrader leurs conditions de vie pour les pousser au départ. La commission mixte a rendu un autre arbitrage défavorable aux locataires en laissant à dix le seuil de logements déclenchant l’application du dispositif.

Enfin, il ne faut pas oublier cette fameuse réforme fiscale que vous aviez introduite, qui a permis l’explosion de la spéculation et la flambée des ventes à la découpe. Cette réforme n’est pas remise en cause par votre proposition de loi. Tant que ce type de ventes permet de fantastiques plus-values, elles continueront. Les locataires ne vous demandaient pas une montagne ; ce n’était pas une raison pour accoucher d'une souris. Dans ces conditions, au nom des députés verts, je voterai contre une loi en décalage total avec la réalité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jean-Louis Dumont – Nous avons pu, surtout lors de la CMP, mesurer les différences qui nous opposent sur ce sujet qui nous occupe déjà depuis plusieurs années. Le texte déposé par Mme Aurillac il y a une quinzaine de mois a ouvert une petite fenêtre à l’intervention publique mais il ne suffira pas pour casser la spéculation et les ventes à la découpe qui ont dénaturé le marché de l’immobilier, y compris dans des villes moyennes, et jeté de nombreux locataires dans le désarroi. Le seuil de déclenchement du dispositif à été porté de cinq à dix logements au Sénat, ce qui exclut un nombre important d’immeubles des avancées de la loi, mais la commission mixte ne l’a pas rabaissé. Mme Aurillac compte beaucoup sur l’accord de 2005, mais Jean-Yves Le Bouillonnec vient de lui montrer comment on pouvait y échapper. Et, selon le rapporteur du Sénat soi-même, l’objectif de ce texte ne serait que de lutter contre les opérations « les plus scandaleuses » : c’est dire ses limites !

Quelles seront les protections des locataires, à partir du moment où les investisseurs institutionnels se désengagent de la gestion de leurs biens en location et où les ventes en cascade entraînent une forte spéculation, sans contrainte fiscale – et l’on a vu combien ces opérations étaient juteuses – et souvent menées par des groupes, qui peuvent ainsi consolider leurs bénéfices ? Quinze mois après le dépôt de ce texte un peu frileux, on en est réduit à escompter que les décrets d’application sortiront rapidement, puisque plus rien ne peut être fait pour les locataires victimes des opérations antérieures…

Mais il y a de quoi s’inquiéter pour l’avenir : dimanche soir, nous avons appris le divorce de la Caisse des dépôts et consignations et de la Caisse d’épargne. Lors de la répartition des biens, une société anonyme HLM est passée à la Caisse des dépôts, qui pratique depuis longtemps le déconventionnement. Qu’adviendra-t-il des appartements ? Dans quelques années, quel sera le montant des loyers, combien seront vendus ? Il y a quelque temps, à la question de l’appartenance du patrimoine, Louis Besson avait simplement répondu qu’il s’agissait du patrimoine de la nation, car il a été constitué avec des fonds publics et que le logement locatif social doit absolument être soutenu. Le cas n’était guère différent de celui des ventes à la découpe pour les classes moyennes aujourd’hui ! Je ne sais pas quels sont leurs privilèges, Madame Aurillac, et il est vrai que la loi de 1948 suscite des interrogations, mais si quelques propriétaires peuvent peut-être se plaindre, ce n’est certainement pas le cas des institutionnels et des grandes compagnies !

La crise actuelle est en train de vider des centres-villes. On ne peut prétendre mobiliser toutes les forces de la nation pour accueillir les familles et accompagner les parcours résidentiels et, en même temps, pratiquer les ventes à la découpe. Je m’interroge sur des cas comme celui de la société Efidis et sur l’avenir de ses locataires : comment ne pas penser « si les "zinzins" ont fait de grosses plus-values, pourquoi pas moi ? » Alors que nous examinons ce texte au milieu de la loi d’engagement national pour le logement, je vous engage à bien faire la liaison entre les deux et à ne pas vous laisser entraîner par de très mauvais exemples au détriment du logement social.

La discussion générale est close.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Patrick Bloche, qui a porté l’action des élus parisiens contre les ventes à la découpe, aurait voulu présenter notre explication de vote : il aurait dit combien cette loi est mauvaise. Elle ne répond pas au problème de l’éviction des locataires, qui influe sur la mixité sociale. L’urgence sociale est réelle, vous l’avez vous-même reconnu, mais vous n’en avez pas moins retardé les solutions. Sur le plan juridique, vous avez accepté de maintenir la scandaleuse nullité des congés : c’est une incitation aux opérations irrégulières. Vous n’avez pas non plus considéré la problématique des investisseurs institutionnels, Caisse des dépôts et consignations et Caisse d’épargne en tête, qui ne se pose pourtant pas que dans ce texte, mais pèse dans l’ensemble de l’action pour le logement des catégories socialement défavorisées ou intermédiaires.

Et puis, comme l’a dit Jean-Louis Dumont, vous vous êtes bien gardés de stigmatiser les investisseurs privés alors que nombre d’entre eux ont spéculé de la manière la plus cynique : j’achète à bas prix la totalité d’un immeuble, je provoque le départ du plus grand nombre de locataires possible, je revends les appartements libres en réalisant une plus-value conséquente. Je vous renvoie aux documents publicitaires de plusieurs des organismes qui se sont spécialisés dans ces opérations. Il y est dit explicitement que la vente à la découpe rapporte plus que la Bourse ! Et encore n’insisté-je pas sur le fait que les profits réalisés au moyen de ces montages scandaleux s’évadent souvent vers les paradis fiscaux. Du reste, la justice aura à en connaître prochainement.

Enfin, votre texte est inacceptable car il est incomplet. Comment justifier, lorsque l’on dispose d’une majorité telle que la vôtre, d’avoir renoncé à régler l’ensemble du problème ?

Bien entendu, le groupe socialiste ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Martine Aurillac - À l’issue d’une navette qui n’a que trop duré, le temps est venu de conclure. Je tiens à remercier le Gouvernement, qui a été très attentif à nombre de nos souhaits, ainsi que notre rapporteur pour son excellent travail. Bien que certains se croient autorisés à le caricaturer, ce texte réalise un bon équilibre : sans bloquer le marché, il le réglemente pour protéger les locataires qui ne peuvent acheter et favoriser l’accession de ceux qui le souhaitent. Quant aux investisseurs, Monsieur Dumont, ne croyez pas que tous thésaurisent pour s’endormir sur des matelas de fonds ! Il peut aussi arriver qu’une société d’assurance ait besoin de réaliser une partie de son capital lorsqu’un immeuble brûle et qu’il faut indemniser.

À la différence de certains, nous préférons agir plutôt que ne rien faire… (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Que n’avez-vous voté notre proposition de loi ?

Mme Martine Aurillac - Et il n’était que temps d’assainir un climat spéculatif qui faussait le marché…

Mme Martine Billard - Votre réforme fiscale n’y est pas pour rien !

Mme Martine Aurillac – Le groupe UMP votera ce texte sans réserve. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

L'ensemble de la proposition de loi, compte tenu du texte de la CMP, mis aux voix, est adopté.
La séance, suspendue à 11 heures 5, est reprise à 11 heures 30.

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engagement national pour le logement
-deuxième lecture- (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi portant engagement national pour le logement.

avant l'Art. 6

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Notre amendement 194 vise à étendre le champ d’application du décret qui encadre la hausse des loyers à Paris et en Île-de-France, afin d’en faire bénéficier des zones où le marché locatif est particulièrement tendu. Il s’agit, au début de l’article 18 de la loi du 6 juillet 1989, de remplacer les mots « Dans la zone géographique » par les mots « Dans la ou les zones géographiques ».

M. Gérard Hamel, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoireLa commission n’a pas examiné cet amendement mais, à titre personnel, j’y suis défavorable car l’emploi du singulier rend déjà le dispositif applicable à toute zone géographique où l’on constate une situation anormale.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement - Même position.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Si M. le ministre confirme l’interprétation faite par le rapporteur de l’emploi du singulier, je retirerai mon amendement, mais à ma connaissance ce n’est pas le sens qui lui est donné par les autorités préfectorales.

M. le Ministre – Le texte actuel ne pose pas d’obligation, mais permet.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Je maintiens mon amendement.

L'amendement 194, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Notre amendement 63 demande au Gouvernement de remettre chaque année au Parlement « un rapport sur l’impact des aides à la personne sur la solvabilité de leurs bénéficiaires ». L’absence de toute disposition relative aux aides personnalisées au logement, dans un texte « portant engagement national pour le logement », est un oubli pour le moins fâcheux, s’il n’est délibéré… En quatre ans, il n’y a eu que deux augmentations des APL, et leur niveau a créé un différentiel de près de 12 % avec l’augmentation des loyers ! Lors de la discussion budgétaire, nous avions dénoncé la baisse de 1,8 % de l’enveloppe globale des APL. Bien sûr, ce n’est pas une moindre économie pour l’État, 80 % du budget du logement étant affectés aux aides au logement ! « L’État se paye sur la bête », avais-je dit… – autrement dit, l’État se paye sur ceux qui ont du mal à payer leur loyer.

Plusieurs décisions gouvernementales ont aggravé la situation : le relèvement de 15 à 24 euros du seuil de non-versement, qui a exclu 200 000 personnes du bénéfice des APL ; le maintien du mois de carence ; la réintégration, dans le calcul des revenus, de certains revenus sociaux comme la rente orphelin.

La commission a adopté à nouveau en deuxième lecture des amendements qui ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 40 ; le vœu sous-entendu des commissaires était que le Gouvernement les reprenne. Ce serait pour lui le moyen de tenir ses engagements… Nous avons proposé de ramener le seuil de non-versement à 15 euros ainsi que d’accorder le bénéfice de l’APL dès l’entrée dans le logement. Nous avons également déposé un amendement indiquant que l’allocation logement serait versée mensuellement et que, les personnes remplissant les conditions de l’aide ne pouvant en être privées, au cas où l’allocation mensuelle serait inférieure à un seuil fixé par décret elle pourrait être versée par trimestre échu – cela afin de répondre à l’argument du coût de versement.

Il serait fort utile au Parlement de connaître chaque année, en sus du taux d’effort, l’impact des aides sur la solvabilité des locataires : ce serait le moyen d’apprécier si l’enveloppe budgétaire fixée répond bien à l’objectif poursuivi.

Mme Muguette Jacquaint - Nous soulevons depuis de nombreuses années le problème de la revalorisation de l’APL. Quel que soit le Gouvernement, nous n’avons malheureusement jamais obtenu qu’on intègre les charges dans le calcul. Or la question se pose aujourd’hui avec une particulière acuité, notamment à cause du très fort alourdissement des frais de chauffage. Il serait souhaitable qu’on tienne compte au moins pour partie de ces charges pour l’attribution de l’APL, dont de nombreuses familles se sont au contraire trouvées privées du fait du non-relèvement du plafond.

M. le Rapporteur – Je partage un certain nombre de vos arguments concernant l’APL, mais s’agissant de l’amendement 63…

M. Jean-Louis Dumont - Nous tentons d’éclairer le Parlement !

M. le Rapporteur - …l’avis est défavorable. C’est aux rapporteurs spéciaux des finances et aux rapporteurs budgétaires des commissions qu’il revient de rassembler ces informations ; la LOLF renforce d’ailleurs leurs moyens. Un nouveau rapport me paraît donc inutile.

M. le Ministre – Même avis, d’autant que la LOLF prévoit une information sur le taux d’effort et l’objectif du maintien de ce taux d’effort pendant cinq ans, ce qui va au-delà de votre demande.

L'amendement 63, mis aux voix, n'est pas adopté.

art. 6

M. Jean-Louis Dumont - Chacun ici a pu mesurer l’apport de l’ANAH, dont les interventions ont permis de densifier l’offre de logements locatifs, en particulier dans les centres-villes : on doit en particulier l’efficience de cette politique à Louis Besson.

Les fonds de l’ANAH, qui ont beaucoup augmenté ces dernières années, sont-ils utilisés de manière efficace ? N’existe-t-il pas, dans certains départements, des freins ? Le conventionnement ne pose-t-il pas problème ? Au moment où la lutte contre les logements insalubres et contre l’insécurité dans les immeubles anciens est plus que jamais nécessaire, l’ANAH doit y contribuer. Ainsi le conventionnement ne doit-il pas être un conventionnement « de confort » pour le propriétaire, mais accorder des garanties au locataire, notamment dans le domaine des économies d’énergie. Il arrive souvent qu’un propriétaire, pressé de louer, installe dans un logement mal isolé un chauffage électrique, augmentant ainsi les charges de son futur locataire : on reçoit souvent dans nos permanences des personnes en voie de réinsertion, dans l’incapacité de régler leurs factures d’énergie. L’ANAH doit mener une politique de reconquête du bâti ; elle doit se mobiliser pour consommer les crédits importants qui lui sont consacrés dans une optique qualitative et faire en sorte que les logements conventionnés dans le privé connaissent les mêmes contraintes que les logements publics (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Nous considérons que les objectifs que l’on tente d’atteindre par le repositionnement de l’ANAH sont pertinents. Toutefois, les amendements que nous présenterons visent à mieux coordonner les dispositifs, de façon à ce que le parc privé réponde aussi bien – voire mieux – que le parc public à la demande de logements sociaux.

Nous ne céderons pas sur un certain nombre de principes. Nous considérons que les avantages fiscaux consentis aux propriétaires doivent être désormais assortis d’avantages sociaux pour les locataires. L’optique ne doit pas être seulement le rapport locatif et la pertinence de l’investissement, mais aussi la situation du locataire. Il est nécessaire que les conditions de logement, la salubrité, la pérennité du bail, par exemple, soient assurées, au travers d’une garantie pour le locataire. Par ailleurs, la sécurisation du paiement du loyer – que le propriétaire peut d’ailleurs préférer à un avantage fiscal – est un instrument qu’il convient de promouvoir.

Nous comprenons bien, Monsieur le ministre, votre stratégie, même si nous ne l’approuvons pas toujours : réunir, au travers de l’Agence nationale de rénovation urbaine, de l’ANAH, de l’Agence de cohésion urbaine et sociale, des partenaires autour de l’État. Il serait toutefois inadmissible que cette stratégie autorise une débudgétisation de l’engagement de l’État, lequel n’interviendrait plus qu’en complément. La représentation nationale devra être attentive à cette question, notamment lors de l’examen de la prochaine loi de finances. La Cour des comptes s’est d’ailleurs montrée sévère quant au budget « rénovation urbaine et ville », puisqu’elle a considéré que l’État s’était désengagé, les fonds affectés en 2005, après avoir été gelés et réservés, ayant été équivalents à ceux de 2001. Si l’État devenait ainsi minoritaire dans les tours de table, cela constituerait un vrai manquement à sa responsabilité.

J’ai bien noté les observations de M. le rapporteur et de M. le ministre sur le fait que le budget de l’État comporterait les données statistiques sur le taux d’effort. Toutefois, nous proposons, par l’amendement 188, que l’ANAH se dote elle-même des moyens permettant d’examiner les conditions dans lesquelles le parc qu’elle conventionne est occupé. Ces informations seraient du même coup portées à la connaissance des acteurs, à même d’apprécier la pertinence des actions de l’agence.

M. le Rapporteur – La commission n’a pas examiné cet amendement. Il existe déjà nombre de moyens d’évaluation sur le plan local et il est possible d’exercer un contrôle sur les conventionnements. Systématiser ce contrôle me paraît difficile et coûteux. Avis défavorable.

M. le Ministre – Je suis touché de l’attention que portent les auteurs de cet amendement à l’ANAH. Toutefois, celle-ci a la capacité juridique et les moyens – prévus dans le contrat d’objectifs – d’exercer un contrôle. Cet amendement n’est donc pas nécessaire. Avis défavorable.

M. Michel Piron - À quoi tendent les derniers amendements qui viennent d’être défendus sinon à accroître des contrôles et des charges administratives qui de plus devront être financés ? En outre, l’ANAH engagerait moins de travaux de rénovation et donc de réhabilitation. Heureusement que d’autres collègues socialistes plus réalistes, dont M. Néri, ont souligné combien l’ANAH permettait de remettre beaucoup plus rapidement sur le marché des logements vacants. J’ajoute que les objectifs de l’ANAH visent à passer de 20 000 à 40 000 logements réhabilités chaque année. Quant au prétendu désengagement de l’État, à périmètre identique, les crédits s’élevaient à 29 milliards en 2001 et ils étaient de 30 milliards en 2005. Le Gouvernement a non seulement tenu ses engagements mais il ouvre de nouvelles perspectives.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire - Très bien.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – En fait, selon M. Piron, une loi est d’autant meilleure qu’elle prend moins en compte les amendements de l’opposition. Personne n’a contesté l’action de l’ANAH en matière de réhabilitation. Tout le monde est d’accord pour qu’une responsabilité nouvelle lui soit octroyée, mais l’ANAH gérera désormais des fonds d’État beaucoup plus importants dans le cadre de rapports locatifs qui supposent des droits et des devoirs. Dès lors que c’est du logement locatif social du parc privé qu’il est question, la mission d’évaluation de l’Agence doit être mise en relief dans la loi et la représentation nationale doit en être informée annuellement, d’autant que l’affectation des fonds sur des lignes spécifiques reversés par Bercy directement aux agences nous prive d’une partie des analyses. Le devoir de contrôle du Parlement ne doit pas être entamé.

L'amendement 188, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur – L’amendement 17 apporte une simplification administrative.

M. le Ministre – Avis favorable.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - C’est précisément chaque fois qu’un rapporteur propose une simplification que s’ouvrent des abîmes de questions et il est du devoir de l’opposition de ne pas le laisser se refermer dans le fracas d’un vote conforme ! (Sourires) En fait, cet amendement précise qu’il n’est pas opportun de fixer dans le décret d’application prévu pour le « conventionnement ANAH sans travaux » les conditions de ressources et de loyers que doivent respecter les bailleurs. C’est précisément l’inverse qu’il conviendrait de faire ! Ne prétendez pas qu’une telle mesure est neutre ! Nous considérons quant à nous qu’il ne doit pas y avoir d’avantage fiscal sans avantage social.

L'amendement 17, mis aux voix, est adopté.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – L’ANAH doit faciliter sur l’ensemble d’un territoire donné l’offre locative sociale. L’amendement 68 vise à rendre plus lisible la fonction sociale du parc privé en s’assurant de la cohérence entre les plafonds de loyers et de ressource du secteur privé aidé et ceux du secteur social.

M. le Rapporteur – Avis défavorable car l’ANAH conventionne également des logements intermédiaires ou autres.

M. le Ministre – Même avis.

L'amendement 68, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - L’amendement 127 rectifié vise à ouvrir aux opérateurs privés l’accès aux aides publiques en fonction de périmètres déterminés par concertation avec l’ensemble des partenaires du logement de façon à s’assurer de la cohérence de ces aides avec la situation des marchés locaux du logement et les objectifs du PLH, lequel vise à assurer la mixité sociale sur un territoire donné.

L'amendement 127 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Louis Dumont – L’amendement 189 propose que l’ANAH adresse chaque année un rapport au Parlement sur l’occupation sociale des logements qu’elle a conventionnés. Non seulement nous sommes comptables de l’utilisation de l’argent public mais un rapport permettrait éventuellement d’améliorer les cadres législatif ou réglementaire.

M. le Rapporteur – Avis défavorable à un énième rapport. Tous les éléments nécessaires pouvant être fournis par le comité départemental de l’habitat, pourquoi un rapport national ?

M. Michel Piron - Qui d’ailleurs existe !

M. Patrick Braouezec – Parce que des chiffres sont disponibles dans nos 102 départements, les députés devraient en faire le tour ? Si les informations existent, pourquoi refuser de les porter à la connaissance du Parlement dans un rapport annuel ?

M. le Rapporteur – Nous l’avons !

M. Patrick Braouezec - En tout cas, il n’est pas porté à la connaissance de l'Assemblée nationale !

M. Michel Piron - En quelque sorte, vous demandez l’adresse de l’ANAH ?

M. Jean-Louis Dumont – Il me semble que le comité départemental de l’habitat n’existe plus. Si les opérateurs continuent néanmoins à se réunir – de façon d’ailleurs moins formelle – autour du préfet, ce n’est plus une obligation. Il existe désormais un comité régional de l’habitat qui, nous dit M. le rapporteur, aura l’obligation de se livrer à une analyse de l’occupation sociale du logement locatif privé. Cela change tout, car jusqu’à présent seuls les fédérations d’organismes HLM le faisaient. Peut-être l’ANAH pourrait-elle s’en inspirer. Le CRH doit en tout cas être attentif à ce que ses représentants locaux fournissent ce type d’information.

M. Michel Piron - Peu de choses nous séparent en définitive. En effet, les informations que vous demandez par ce rapport existent : il suffit d’avoir les bonnes adresses ! Le Conseil national de l’habitat, où l’ANAH est représentée, dispose de données nationales. Je rappelle d’ailleurs qu’il a vocation à donner un avis sur tous les décrets d’application qui concernent l’habitat ou le logement. Ne laissons pas croire que nous sommes dans le flou sur les chiffres.

M. le Ministre – Le président Piron a raison !

M. Michel Piron – S’il ne s’agit que de dupliquer ou de multiplier les rapports, cela excède le champ de la loi.

L'amendement 189, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Louis Dumont - Les craintes des propriétaires bailleurs sur la solvabilité des locataires à terme sont l’un des freins à la remise sur le marché locatif de logements privés. Or le droit au logement suppose une continuité dans l’occupation de celui-ci, indépendamment des accidents de la vie ou des évolutions qui peuvent survenir dans le statut de l’occupant. Afin d’encourager à la remise sur le marché de logements privés, l’amendement 69 propose donc de créer un fonds mutualiste pour garantir les risques locatifs. Cela permettra de conventionner davantage de logements. Redonnons aux propriétaires l’envie de louer leurs biens à ceux qui en ont le plus besoin ! Ce fonds de garantie est attendu avec beaucoup d’espoir.

M. le Rapporteur – L’article 32 de la loi du 26 juillet 2005 sur les services à la personne instaure un système de garantie fondé sur une assurance et sur la participation du 1 % logement. Une convention est donc en cours d’élaboration avec les assureurs et les partenaires sociaux, d’où l’avis défavorable de la commission.

M. le Ministre – M. Le Bouillonnec étant très au fait de ces questions, je suis un peu surpris de cet amendement. L’accord est aujourd’hui arrêté ; ne restent en discussion que les dispositions relatives à la gouvernance de la société de gestion du risque. J’espère que le système sera applicable à la rentrée.

M. Jean-Louis Dumont - Je vous remercie pour ces informations. J’espère que cet accord constituera une incitation forte pour les propriétaires bailleurs et qu’une large publicité lui sera donnée. Je retire donc notre amendement.

L'article 6 modifié, mis aux voix, est adopté.

après l’art. 6

M. Jean-Louis Dumont - L’amendement 190 vise à faire bénéficier le parc privé conventionné par l’ANAH d’un dispositif de garantie des risques locatifs, afin d’inciter les bailleurs à conventionner pour permettre l’accès au logement des ménages défavorisés.

M. le Ministre – Même réponse !

M. Jean-Louis Dumont – Encore faut-il s’assurer que la convention entraîne la demande de garantie. Cela peut permettre à des ménages dont les ressources sont faibles de réintégrer le centre-ville, ce qui a un effet bénéfique dans les villes moyennes. Sous réserve des réponses qui viennent d’être données, je retire néanmoins cet amendement.

L'article 6 bis, mis aux voix, est adopté.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu, cet après-midi, à 15 heures.
La séance est levée à 12 heures 25.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Catherine MANCY

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