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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

2ème séance du jeudi 15 juin 2006

Séance de 15 heures
104ème jour de séance, 245ème séance

Présidence de M. Maurice Leroy
Vice-Président

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La séance est ouverte à quinze heures.

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réunion d’une CMP

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant qu'il avait décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information.

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gestion des matières et déchets radioactifs -deuxième lecture-

L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi de programme relatif à la gestion durable des matières et déchets radioactifs.

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie Ce projet de loi de programme, adopté en première lecture par votre assemblée le 12 avril et par le Sénat le 31 mai dernier, a été considérablement amélioré grâce à la qualité du dialogue que nous avons su établir d’une extrémité à l’autre de l’hémicycle, en évitant tout esprit partisan. Comme l’a indiqué le président Ollier le 12 avril dernier, nous parlons en effet d’un temps qui ne nous appartient pas, ce qui nous invite à dépasser nos clivages politiques. Mais si nous y sommes parvenus, c’est aussi en grande partie grâce aux deux rapporteurs, et je voudrais en particulier saluer l’excellent travail réalisé par Claude Birraux (Applaudissements sur tous les bancs).

Ce texte fixe en premier lieu un schéma de référence pour la gestion des déchets, schéma à l’intérieur duquel les trois axes définis par la loi de 1991 apparaissent plus que jamais complémentaires, qu’il s’agisse des programmes de recherches définis à l’article premier ou du plan national de gestion des matières et déchets de l’article 4.

Des échéances précises de mise en exploitation ont été arrêtées à l’article premier – 2 020 pour le premier axe, 2 025 pour le deuxième et 2 015 pour le troisième – tandis que des fonctions spécifiques ont été assignées par l’article 4 : réduction maximale de la quantité et de la nocivité des déchets pour l’axe 1, entreposage en surface dans des matrices robustes et stables des déchets en attente de stockage pour l’axe 3, et enfin stockage géologique réversible des déchets qui ne peuvent être stockés définitivement en surface pour l’axe 2.

En second lieu, le projet de loi renforce les exigences de transparence et de démocratie. La procédure d’autorisation du stockage géologique a ainsi été complétée à l’article 8, avec la fixation de deux rendez-vous parlementaires : le premier en 2015, pour fixer les conditions de réversibilité avant toute autorisation par décret, et le second pour autoriser éventuellement la fermeture d’un centre de stockage.

Il est en outre précisé que le rendez-vous de 2015 devra être précédé d’une consultation des collectivités territoriales concernées, dans un périmètre que vous avez élargi, ainsi que par un débat public portant sur l’ensemble des questions intéressant les populations locales : la réversibilité, mais aussi la sûreté ou encore le transport des matières radioactives.

Mais ce n’est pas tout : l’indépendance de la commission nationale d’évaluation a été renforcée à l’article 6, qui comporte notamment des clauses de déontologie ; la transparence sur le traitement et l’entreposage des déchets étrangers a été améliorée aux articles 5 et 10 ; enfin, la composition du comité local d’information et de suivi a été élargie par l’article 12, et sa présidence confiée à un élu, local ou national.

En troisième lieu, différents amendements ont conforté l’accompagnement économique : à l’article 9, les groupements d’intérêt public ont vu leur mission élargie à la formation et à la valorisation des connaissances scientifiques et techniques, qui doivent faire la fierté des départements concernés. Dans le même temps, les taux planchers et plafonds qui détermineront les fonds disponibles pour les actions d’accompagnement économique ont été relevés à l’article 15.

Ces fonds bénéficieront à l’ensemble des départements concernés, et en particulier, aux communes situées à moins de dix kilomètres de l’installation, qui recevront des versements directs pouvant atteindre 20 % des ressources collectées, mais également à une zone de proximité plus large, dont le périmètre sera défini par décret après avis des conseils généraux.

Sur ce point, je prends l'engagement d’organiser des concertations afin de trouver un juste équilibre entre la zone des dix kilomètres, celle des communes qui accueilleront le laboratoire et hébergeront certainement une partie de ses salariés, celle des bassins d'emplois proches, qui doivent être soutenus – je pense notamment aux bassins de Saint-Dizier, Bar-le-Duc, Commercy, Joinville ou Ligny – et enfin, les départements eux-mêmes, sans lesquels le laboratoire n'aurait jamais pu s'implanter et qui auront un rôle non moins important à jouer dans le développement du centre de stockage.

Sur ce point toutefois, plus encore que les fonds collectés par la taxe, c'est l'engagement des grandes entreprises du secteur, EDF, AREVA et CEA, qui me paraît essentiel. Depuis 2005, les choses bougent et mes successeurs devront veiller à ce que ce mouvement se poursuive !

En dernier lieu, le financement du démantèlement et de la gestion des déchets radioactifs a été encore sécurisé. Aux termes de l'article 10, il reviendra ainsi à l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l’ANDRA, d’évaluer les coûts afférents à la gestion des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue. À l'article 11 ter, le financement de la recherche sur l'axe 1 a été précisé, et, à l'article 11 bis, un fonds a été institué pour recueillir les sommes nécessaires à la construction et à l'exploitation des installations de gestion – fonds qui pourrait également recevoir les actifs des exploitants défaillants. Sur proposition de votre rapporteur, une commission nationale d'évaluation financière, placée sous l'égide du Parlement, devra enfin s’assurer de la pertinence et du sérieux des contrôles effectués par l'autorité administrative. Nous avons ainsi l’assurance de disposer des fonds nécessaires tout en évitant de transférer la responsabilité des déchets, et donc les risques financiers, à l'État. Des discussions qui ont eu lieu au Sénat, il ressort d'ailleurs que les dangers du transfert de responsabilité ont été reconnus par tous les groupes, ce dont je ne peux que me réjouir.

Nous sommes donc parvenus à un équilibre très satisfaisant à tous les égards. Les articles premier et 4 définissent le schéma de référence français pour la gestion des déchets radioactifs et fixe les échéances à observer pour le mettre en œuvre en appliquant les procédures on ne peut plus transparentes et démocratiques que proposent les articles 6, 7, 8 et 12.

Les articles 3 et 5 consacrent la réversibilité du stockage géologique et le principe du retour des déchets issus du traitement des combustibles usés étrangers, deux exigences auxquelles nos concitoyens sont très attachés.

Quant aux articles 9 et 15, ils marquent la reconnaissance de la nation à l'égard des territoires qui ont accepté de s'engager dans la gestion des déchets, ce au travers de mesures d'accompagnement économique.

Enfin, les articles 10, 11 et 14 permettent de laisser la charge du financement aux producteurs de déchets tout en confirmant le rôle essentiel que l'ANDRA, c’est-à-dire l'État, doit jouer sur le très long terme.

Nos concitoyens nous regardent, notamment ceux de la Meuse et de la Haute-Marne. Nos partenaires étrangers nous observent et les générations futures nous jugeront. Tous attendent que nous fassions les bons choix pour assurer la mise en sécurité définitive des déchets que nous avons produits. Ceux qui vous sont proposés ne sont ni de gauche ni de droite : tous les partis politiques ici représentés ont contribué, par leurs amendements, à les définir, et toutes les majorités auront à les mettre en œuvre. Ces choix vous appartiennent.

Pour ma part, je souhaite que ce texte soit voté par une majorité aussi large que possible, comme le fut autrefois la loi Bataille (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Claude Birraux, rapporteur de la commission des affaires économiques – Si le projet initial avait été très sensiblement modifié par notre assemblée, les évolutions imprimées par le Sénat sont plus modestes, car elles ne modifient ni l'esprit, ni l’architecture générale du texte.

Le Sénat a tout d'abord adopté dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale huit articles – les articles premier, premier bis, 4 bis, 7, 11, 13, 17 et 19.

Les modifications les plus substantielles qui lui sont dues concernent en premier lieu la procédure d'autorisation du futur centre de stockage : ont été réunies en un seul article les dispositions relatives à la procédure elle-même et celles qui concernent le projet de loi préalable sur la réversibilité, tandis que l'ordre des étapes a été modifié – les avis des collectivités territoriales et de l'autorité de sûreté devront être formulés préalablement à ce projet de loi, ce qui contribuera à améliorer l'information du Parlement.

La Haute assemblée a par ailleurs précisé que la demande d'autorisation de création doit concerner une couche géologique ayant fait l'objet d'études dans un laboratoire souterrain, et surtout que l’arrêt du stockage sera subordonné à une autorisation donnée par la loi.

De telles modifications sont conformes à l’esprit qui avait inspiré notre assemblée, puisqu’elles confortent le rôle central du Parlement dans les différentes décisions relatives au centre : une loi précisant les conditions de la réversibilité devra intervenir préalablement à l'autorisation ; la demande sera évaluée par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques qui en rendra compte aux commissions permanentes compétentes ; enfin, toute fermeture définitive devra être autorisée par la loi.

Pour le reste, le Sénat a tenu à préciser la définition du stockage et à mieux encadrer l'introduction en France de substances radioactives étrangères à des fins de traitement ; il a prévu que le Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, créé par la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, organisera périodiquement des concertations et des débats sur la gestion durable des matières et des déchets nucléaires radioactifs, ce qui rejoint les préoccupations de l’ANCLI, dont le « livre blanc » devrait être publié la semaine prochaine.

La Haute assemblée a en outre veillé à faciliter la gestion des moyens consacrés au développement économique local en autorisant, pendant une durée limitée et dans la limite de 80 %, une fongibilité entre les ressources affectées au développement économique proprement dit et celles attribuées à des actions locales de formation, de diffusion et de valorisation des connaissances.

Elle a également étendu les missions de l'ANDRA à la gestion des sites pollués par des substances radioactives et élargi la possibilité offerte à l'administration d'exiger l'abondement d'un fonds externalisé pour financer le démantèlement des installations nucléaires, et non plus seulement pour gérer les combustibles usés et déchets. Elle a complété la composition du comité local d'information et de surveillance, assuré son articulation avec le Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire et confié sa présidence à un élu choisi par le président du conseil général, et non plus au président du conseil général lui-même, ce qui répond à la préoccupation exprimée par François Dosé en première lecture. S’agissant du financement du comité, elle a substitué un cofinancement État-producteurs de déchets au cofinancement État-collectivités locales. Elle a également supprimé l'exercice par la Cour des comptes du secrétariat de la Commission d'évaluation financière – la Cour ne souhaitait pas assurer cette charge – et elle a modifié le système des taxes affectées, faisant notamment transiter par des groupements d'intérêt publics départementaux les sommes affectées directement aux communes les plus proches du site.

Avant de conclure, je voudrais rendre hommage à mon ami et complice de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, le président Henri Revol, et à mon complice de toujours, Christian Bataille. L’Office a accompli un travail considérable depuis le premier rapport de Christian Bataille en 1990 ; et il a ainsi fortement inspiré le texte présenté par le Gouvernement comme les amendements adoptés par l’Assemblée. Les modifications apportées par le Sénat s’inscrivent dans le même esprit. J’en remercie le président Revol, et vous propose par conséquent d’adopter ce projet de loi dans les mêmes termes que le Sénat (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

question préalable

M. le Président - J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. François Dosé – Vous aviez accepté, Monsieur le ministre, de lever l’urgence sur ce texte, à la demande des députés de la commission des affaires économiques. Un sujet où l’on compte par centaines de milliers d’années valait bien le sacrifice d’une navette parlementaire ! Mais prenez garde à ne pas ruiner le bénéfice de ce geste respectueux de la représentation nationale en nous invitant de façon trop insistante à voter le texte conforme. L’adhésion des élus de la nation, rompus aux subtilités de la gestuelle parlementaire, n’entraîne pas nécessairement celle de la société. Ce qui peut sembler aujourd’hui alléger un calendrier malmené pourrait même prendre une allure de contre-performance dans l’opinion publique. Un sénateur impliqué dans ce débat par d’anciennes responsabilités ministérielles et par de présentes obligations territoriales en a d’ailleurs appelé à une seconde lecture.

Du point de vue de la méthode, c’est le seul grief que j’aurai, car il serait injuste de ne pas reconnaître la qualité de votre écoute et l’esprit d’ouverture dont ont fait preuve les uns et les autres, et de ne pas saluer l’adoption de nombreux amendements améliorant un texte initial marqué du sceau des institutions et des entreprises liées à la filière électronucléaire.

N’esquivons pas pour autant les appréciations moins flatteuses ! Je souhaite une nouvelle fois appeler votre attention sur quelques points essentiels, à commencer par la réversibilité. Le vote solennel du Congrès a adossé à notre Constitution une Charte de l’environnement qui consacre le principe de précaution. Ni boîte noire de l’obscurantisme, ni credo des nihilistes, ce principe invite à agir pour la sécurité des territoires et des générations futures. Or le projet initial comportait une étrange définition de la réversibilité, puisque celle-ci permettait d’enfermer les déchets dans un centre souterrain « sans intention de les retirer ». Les députés ont écarté cette définition malheureuse en première lecture, pour exiger « une installation spécialement aménagée pour pouvoir conserver les déchets dans le respect des intérêts mentionnés », mais le Sénat nous a ramenés à la case départ, en parlant d’une « installation spécialement aménagée pour les conserver de façon potentiellement définitive » ! « Réversible » signifierait donc « potentiellement définitif » ! Proposez donc cette analyse sémantique comme épreuve au baccalauréat : même en philosophie, je crains pour la réussite des élèves ! (Sourires)

Pourquoi, d’autre part, avoir repoussé l’amendement du Sénat proposant de prendre toutes dispositions pour ne pas solliciter la fermeture définitive d’un centre avant trois siècles, alors que nous maîtrisons cette échéance-là, et avoir réduit la durée incompressible à un siècle ? Ce seront donc les institutions de la filière qui imposeront leur diktat aux élus de la nation. Il fallait l’éviter : quel gâchis pour la parole politique !

Notre collègue Christian Bataille nous a sensibilisés aux problématiques de la nature des déchets et des crédits dédiés. Nous n’acceptons pas que ces déchets ou ces crédits soient « privatisés ». Oui ou non, le produit des redevances versées depuis des années par les usagers sera-t-il disponible lors de son inéluctable mobilisation ? Souhaitons-nous garantir ces versements contre les aléas spéculatifs qui affecteront les entreprises concernées ?

J’en viens à la représentation démocratique et à la participation. Je note avec satisfaction que les deux assemblées ont remis le Parlement au cœur de la décision politique. Il était inconcevable que l’autorisation incombe au seul Gouvernement, dont les interlocuteurs sont des experts et la future autorité de sécurité nucléaire. Le texte a incontestablement été amélioré par l’obligation faite de recueillir les avis des collectivités territoriales du périmètre immédiat et rapproché avant toute demande d’autorisation, par celle d’obtenir l’aval du Parlement avant d’autoriser la création d’un centre de stockage en couche géologique profonde et celle d’organiser un nouveau rendez-vous législatif pour autoriser, le cas échéant, une fermeture définitive. Mais je vous interroge à nouveau : pourquoi cent ans, et pas trois siècles ? Comment assurons-nous la participation des citoyens de proximité ? Je rappelle que la France a ratifié la convention d’Ǻrhus, qui oblige à prendre dûment en compte, dans les discussions, les résultats de la procédure de consultation du public.

Par ailleurs, pourquoi ne pas laisser les membres du CLIS choisir leur président ? Le risque n’était tout de même pas bien grand ! Le parrainage obligé du préfet et du président du conseil général est une caricature de démocratie et se révèlera, j’en suis convaincu, contreproductif.

En cinquième lieu, je voudrais souligner à quel point il importe de prendre garde à la répartition des fonds. Il y va du crédit non seulement de la filière nucléaire civile, mais aussi de celui de la puissance publique. Si l’on veut des partenariats territoriaux pertinents, il faut coller à la réalité vécue. En milieu rural, que peut bien signifier un périmètre de dix kilomètres autour d’un laboratoire ou d’un centre ? Voyez la carte de la Meuse (M. Dosé déploie une carte pour illustrer son propos). À dix kilomètres du centre de Bures, qui se trouve au sud du département, vous avez 1,5 % de la population meusienne. Comment faire tomber 20 % de la dotation sur un territoire de 10 km de rayon qui comprend certes des communes de quelques dizaines d’habitants, mais pas les lieux les plus impliqués dans le développement économique ? Vous savez bien en effet que ce sont les EPCI et les bourgs relais qui ont la vocation économique et qui sont les vecteurs du développement ! Il faut donc bouger les lignes. Je le dis sans esprit partisan : dix kilomètres de rayon, cela ne veut rien dire. Il aurait plutôt fallu porter une attention particulière au bassin de proximité et aux intercommunalités concernées par le périmètre de Bure. Cela ferait déjà plus de monde. Mais il y a aussi la zone que je qualifierai de rapprochée, celle qui, de la Haute-Marne à la Meuse, doit faire vivre le développement…

S’il n’y a pas un partage judicieux des crédits, les gens se mettront aux abonnés absents dans dix ans, quand il faudra décider si le laboratoire doit ou non devenir un centre. C’est le développement économique de tous les secteurs concernés qui permettra à la population de comprendre qu’on ne crée pas chez eux un dépôt, mais bien un facteur de développement !

Au fond, c’est la vie qui crédibilisera la filière. S’il y a de la vie économique, le développement démographique suivra, et avec lui, la sécurité démocratique. Il vaut mieux en effet que ce soient les habitants qui se montrent vigilants plutôt que de s’en remettre à des institutions lointaines. L’argent doit servir à la vie, pas à édifier des mausolées !

J’espère vous avoir convaincus que cette motion de procédure n’était pas une argutie politicienne, mais une contribution inspirée par le animée du souci de crédibiliser la filière du nucléaire civil, élément indispensable de notre mixte énergétique, et de prendre en compte la demande des citoyens. Il faut s’adosser à l’excellence technologique et à la performance économique, mais aussi à l’adhésion raisonnée des populations.

C’est pourquoi je pense que, préalablement à la décision législative, il conviendrait de mieux définir ce qu’impliquent ici la réversibilité et le principe de précaution, et de retravailler sur la pertinence territoriale et partenariale requise par le développement économique (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Rapporteur – Avec l’enthousiasme et la rigueur qu’on lui connaît, M. Dosé a exprimé des interrogations, auxquelles je vais m’efforcer de répondre.

Pourquoi avoir choisi une durée d’un siècle ? Compte tenu de la durée prévisible du fonctionnement du réacteur EPR, à savoir soixante ans, et du temps de traitement des déchets, on peut déjà être sûr que le centre sera ouvert plus d’un siècle. Nous aurons une loi qui définira la réversibilité. Et le Sénat a dit qu’une loi déciderait de la fermeture du centre de stockage. Dans ces conditions, pourquoi s’accrocher à cette durée de trois siècles, d’autant que l’évolution des techniques et des connaissances permettra éventuellement d’aller au-delà ? Le présent texte ne ferme rien, c’est le Parlement qui définira la durée minimale de la réversibilité.

Vous avez dit, Monsieur Dosé, que vous n’acceptiez pas la privatisation des déchets. Mais nous avons réaffirmé la responsabilité des producteurs de déchets et nous avons pris des garanties pour la sécurisation des fonds. Il sera possible d’accélérer les versements au fonds dédié externe que nous avons créé auprès de l’ANDRA, par exemple au cas où des opérateurs nouveaux viendraient ou bien au cas où des inquiétudes naîtraient. Et le Sénat a ajouté une possibilité d’accélérer le versement pour garantir le démantèlement des centrales nucléaires.

Vous avez dit avec raison que le Parlement était au cœur du dispositif. Il y est depuis 1990 et il y restera, ce qui est une garantie démocratique.

S’agissant du CLIS, je pensais que le Sénat avait fait un pas dans votre direction en disant que son président ne serait pas automatiquement le président du conseil général. Pour ma part, j’avais défendu le droit commun des commissions locales d’information, qui veut que le président soit le président du conseil général ou son représentant. Droit commun issu de la loi transparence et sûreté nucléaire ainsi que de la circulaire Mauroy du 18 décembre 1981 !

J’ai bien compris vos interrogations concernant la répartition des crédits. Les 20 % représentent une limite maximale, ils ouvrent une possibilité. Les modalités définies par décret pourront peut-être prendre en compte la participation des communes aux intercommunalités.

La première fois que nous sommes allés, avec M. Bataille, en Meuse et en Haute-Marne, nous avons dès notre retour demandé un rendez-vous au ministre de l’époque, M. Devedjian, pour lui dire que les producteurs de déchets – EDF et AREVA – ne contribuaient pas comme ils s’y étaient engagés au développement économique.

M. François Cornut-Gentille - C’est vrai !

M. le Rapporteur – Cette démarche a porté ses fruits lors de la réunion du Comité de haut niveau qui s’est tenue la semaine dernière : le président d’EDF était présent, et la présidente d’Areva est aujourd’hui en visite dans ces deux départements. Nous avons réussi à réveiller la mémoire endormie des industriels !

Pour toutes ces raisons, je vous invite à repousser la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Ministre délégué – S’agissant de la question des cent ou trois cents ans, sur le plan technique, nous sommes incapables de prédire comment réagissent les bétons à si long terme. Par ailleurs, sur le plan politique, je rappelle qu’il est prévu l’adoption d’une nouvelle loi en 2015 et qu’il sera alors possible, en fonction de l’évolution des connaissances, de repousser l’échéance à trois cents ans. Pour l’heure, nous préférons suivre l’avis des experts, quitte à ce que notre position évolue dans les années à venir.

Au vrai, la question fondamentale est celle du périmètre. Les concertations locales permettront de trouver un équilibre entre les différentes zones. C’est pourquoi il est préférable de renvoyer cette question à un décret en Conseil d’État plutôt que de la régler par la loi. Naturellement, il faudra adapter la réponse à la situation particulière de chacun des deux départements.

M. François Cornut-Gentille - Très bien ! En la matière, il faut être pragmatique !

M. le Ministre délégué – Le Gouvernement a d’ailleurs présenté la semaine dernière le calendrier des concertations devant le Comité de haut niveau.

S’agissant de la convention Ǻrhus, je ferai observer que le nucléaire est le secteur industriel qui fait le plus l’objet de consultations, y compris un rendez-vous au Parlement. Que peut-on faire de mieux ? L’objectif est de mener des projets dont on peut expliquer l’utilité, l’intérêt et l’innocuité, non de procéder en catimini !

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

Mme Janine Jambu - La création d'un centre de stockage en couche géologique profonde, qui fera l’objet d’un projet de loi fixant les conditions de réversibilité, constitue une réelle avancée. Nous nous félicitons également de l'adoption de plusieurs amendements déposés par les sénateurs communistes, visant notamment à renforcer le rôle des comités locaux d'information. Ceux-ci seront destinataires du rapport de la Commission nationale d’évaluation et pourront échanger des informations avec le Haut comité pour la transparence et la sécurité nucléaire.

Toutefois, ce projet de loi reste insuffisant et, alors que la levée de l'urgence aurait permis des débats plus approfondis, ceux-ci n’auront pas lieu puisqu'il a été décidé de voter ce texte conforme.

Tout d'abord, ce texte reste en retrait par rapport aux perspectives ouvertes par les propositions du programme de recherche de la loi Bataille de 1991. Ainsi, en ce qui concerne le stockage, les recherches ont été menées jusqu'à ce jour uniquement sur le site de Bure alors qu’il était prévu à l’article 4 de créer plusieurs laboratoires souterrains. Dans ces conditions, comment prétendre à un choix éclairé ? Impossible, en effet, de comparer les différentes natures de terrain et, partant, de trouver éventuellement un terrain plus approprié pour le stockage. En outre, les éléments manquent à ce jour pour décider, de façon sûre, la création d'un site de stockage en profondeur. Les conclusions des experts sur cette solution incitent ainsi à la prudence. Pour toutes ces raisons, l'inscription dans ce texte d'une date de mise en exploitation d'un centre de stockage et l'absence d'engagement sur des recherches plus approfondies sont inacceptables.

D’autre part, la voie de la séparation-transmutation reste sous-estimée. Ce procédé permettrait pourtant de récupérer jusqu'à 95 % des combustibles usés pour les réutiliser, et de réduire à 5 % du volume initial les déchets hautement toxiques et à vie longue. Il aurait fallu prendre des engagements sur la réalisation d’un prototype de centrale de quatrième génération auquel sont liées ces recherches et faire mention de cette voie à l’article 4. Enfin, comme en première lecture, nous regrettons que le fonds de l'ANDRA ne soit affecté qu'aux études sur l'entreposage et sur le stockage en couche géologique profonde. Certes, le CEA a vocation à financer les recherches sur la séparation-transmutation. Toutefois, au vu de l'ampleur des missions qui lui incombent, 980 millions d'euros de subventions par an suffiront-ils ? Il faut réaffirmer notre volonté de poursuivre les recherches sur les trois voies de traitement des déchets, qui ne sont pas concurrentes mais complémentaires.

Plus généralement, nous regrettons que ne figure pas, dans le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, l’obligation d'évaluer et de définir les besoins financiers concernant les recherches. Cette mission aurait pu être confiée à la Commission nationale d'évaluation. Comment croire aux promesses de hausse des crédits consacrés à la recherche quand le Gouvernement multiplie les coupes dans le budget de l'État ?

M. le Ministre délégué – C’est faux !

M. le Rapporteur – Pas pour la recherche !

Mme Janine Jambu - La baisse drastique du nombre de fonctionnaires prévue l'année prochaine en constitue une triste preuve supplémentaire ! Ce texte manque de garanties suffisantes pour ce qui est de la recherche publique.

Les incertitudes relatives au financement de la filière ne se limitent pas aux questions de recherche, l'ensemble du cycle des déchets radioactifs est concerné. Le système concurrentiel, que vous avez instauré par la loi d'août 2004, tend à fragiliser les exploitants, et donc à provoquer des incertitudes quant au financement du traitement des déchets. Comment assurer que les entreprises seront à même, au moment du dépôt de bilan, d'apporter les fonds destinés à la gestion des déchets ? Comment garantir que les exploitants des centrales n'utiliseront pas les provisions à des opérations financières de court terme ? Les pratiques en vigueur chez EDF ces dernières années n'incitent pas à l'optimisme. La gestion des déchets nucléaires nécessite des moyens sûrs, difficilement compatibles avec les enjeux de court terme propres aux marchés financiers.

Enfin, la loi laisse aux producteurs la responsabilité de définir des processus de démantèlement des installations existantes, d'évaluer les coûts futurs et de gérer les actifs dédiés alors qu'il s'agit de choix qui concernent la collectivité. Les représentants des salariés et les CLIS auraient dû être associés au contrôle de ces fonds.

Comme le rappelait mon collègue Daniel Paul hier, les exigences de sécurité et de gestion à long terme de la filière énergétique sont difficilement compatibles avec son ouverture à la concurrence et avec sa privatisation. On ne peut donc pas livrer à la recherche du profit financier le secteur nucléaire, où la prudence et la vigilance sont essentielles car l’avenir des générations futures et l’équilibre écologique de notre planète sont en jeu.

C’est pourtant ce qui se prépare, puisqu’en fusionnant avec GDF, Suez entrera dans ce secteur. La filière nucléaire s’est toujours développée grâce à des entreprises intégrées qui géraient l’ensemble de la chaîne – le traitement des déchets étant compris dans le prix du kilowatt/heure. Comment garantir désormais que les entreprises assumeront leurs responsabilités en amont comme en aval ? En outre, la concurrence n’a jamais permis l’amélioration des conditions de travail, pourtant élément clé de la sécurité.

Ce texte est insuffisant en matière de recherche comme de financement, alors qu’il concerne un secteur très sensible : remettre en cause la maîtrise publique dans le nucléaire, c’est menacer la sécurité et compromettre l’acceptation de cette filière par l’opinion publique.

M. le Rapporteur – Vous n’avez pas lu le texte !

Mme Janine Jambu - Le groupe communiste et républicain votera donc contre ce texte.

M. le Rapporteur – Les communistes sont contre le nucléaire : voilà qui est nouveau !

M. Luc-Marie Chatel - Ce projet de loi responsable et ambitieux est l’aboutissement d’une démarche cohérente, commencée en 1991 et que le Gouvernement a poursuivie en définissant par la loi de programme de 2005 nos choix énergétiques pour les décennies à venir – notamment le maintien du secteur nucléaire. La loi sur la transparence et la sécurité nucléaire, adoptée récemment, répondait au besoin de sûreté et d’information qui en découle. Le texte que nous examinons aujourd’hui jette les bases d’une véritable politique nationale de gestion durable des déchets radioactifs et propose plusieurs mesures qui innovent par rapport à la loi de 1991 : plan national, cadre législatif pour le démantèlement des installations nucléaires de base, financement encadré de la gestion des déchets.

Compte tenu des enjeux, nous vous remercions, Monsieur le ministre, d’avoir renoncé à l’urgence pour nous permettre d’avoir le débat approfondi qui s’impose. L’Assemblée a d’ailleurs largement modifié le projet initial en affirmant le principe de réversibilité du stockage en couche profonde et la nécessité d’un rendez-vous parlementaire avant toute décision d’autorisation. La réversibilité du stockage en couche profonde, fixée à cent ans, permettra aux générations futures de choisir un mode de gestion différent en fonction des progrès techniques. La complémentarité des trois axes de recherche définis en 1991 renforcera cette liberté. Nos successeurs pourront s’appuyer sur la synthèse de recherches effectuées en France et à l’étranger, ainsi que sur les travaux de la commission nationale d’évaluation, dont l’indépendance et le rôle ont été renforcés.

Le Parlement est pleinement associé à la création d’un centre de stockage, qui ne pourra être autorisée que si les conditions de réversibilité que nous aurons fixées sont respectées. Le Sénat a également précisé que la fermeture d’un centre de stockage serait soumise à l’adoption d’une loi – initiative qui profite aux populations alentour. Avec la création de la commission nationale d’évaluation, le Parlement disposera des moyens nécessaires au contrôle efficace du financement du démantèlement des installations nucléaires et de la gestion des combustibles usés. À l’issue d’un large débat, nous avons opté pour les fonds dédiés internes aux entreprises productrices de déchets.

Les recettes de trois taxes additionnelles seront consacrées à la gestion durable des déchets radioactifs. L’Assemblée a en outre institué au sein de l’ANDRA – dont les compétences sont ainsi élargies – un fonds dédié au financement des installations de stockage et d’entreposage.

Les collectivités et les populations des zones proches du centre de stockage seront consultées à chaque étape de sa création. Il ne s’agit pas d’acheter les consciences, mais de faire bénéficier un territoire déshérité des transferts de technologies liés au plus grand chantier de recherche nucléaire au monde.

La Haute-Marne a besoin de la matière grise concentrée à Bure-Saudron, qui y joue le rôle de pôle de compétitivité, afin de diffuser les savoirs, de permettre le développement économique, de créer des emplois et d’inverser enfin la spirale infernale de la désertification.

Le débat parlementaire sur ce texte a permis des avancées majeures : augmentation des crédits du GIP, multiplication des projets supervisés par le Haut comité stratégique et mené par EDF ou Areva, dont pourront bénéficier les territoires concernés. Grâce au travail de MM. Birraux et Bataille, ce débat a été serein et le texte en a été enrichi. C’est pourquoi nous l’approuverons tel qu’il nous est revenu du Sénat (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Christian Bataille – Puisque la majorité le souhaite, nous nous apprêtons donc à clôturer par un habile vote conforme une longue période de réflexion législative sur la gestion des déchets nucléaires. Le Parlement, il est vrai, a largement joué son rôle.

L’heure est donc au bilan d’une démarche engagée dès 1989, lorsque M. Rocard saisit l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques d’un premier rapport. Dix-sept ans ont passé depuis les jacqueries suscitées par la maladresse de gouvernants qui pensaient avec suffisance imposer leur volonté sans consulter. Certes, il en allait ainsi dans le nucléaire depuis des décennies, mais l’opinion publique a fait irruption dans le débat là où l’on ne l’attendait pas, sur les déchets nucléaires, alors qu’elle ne s’était pas manifestée sur la filière nucléaire en général et, notamment, sur le vaste programme de construction de centrales. C’était en 1989. En 2006, les passions existent toujours, mais le Parlement a pu jouer son rôle.

Quelques remarques s’imposent.

Sur la durée, d’abord. Dix-sept années de réflexions nous ont conduit d’un rapport initial à la loi du 30 décembre 1991, à une mission de médiation que j’ai personnellement assurée dans les années 1992 et 1993 sous le gouvernement de Pierre Bérégovoy puis sous celui de M. Balladur, enfin à un deuxième rapport que nous avons, Monsieur le rapporteur, réalisé ensemble et qui a, Monsieur le ministre, inspiré le texte de loi que vous nous proposez. Nous avons eu la chance de bénéficier de la durée ; les électeurs ayant prêté longue vie parlementaire à M. Birraux, au sénateur Revol et à moi-même, le dossier a pu être approfondi par les mêmes hommes. Bien entendu, nous pouvons en tirer des leçons, une sorte de « discours de la méthode » car quelques maladresses ont été commises : je me souviens par exemple qu’on pouvait aisément ranimer les émeutes en annonçant que l’on allait fouiller dans tout le granit breton ! Il faut prendre les précautions nécessaires à l’égard de l’opinion publique, qui est désormais un acteur incontournable.

Sur le dépassement des obstacles politiques, ensuite. Nous sommes, sur le sujet des déchets nucléaires, dans un cas encore exceptionnel dans notre démocratie conflictuelle : la complémentarité, l’intelligence réciproque entre la droite et la gauche. Peut-être d’autres grands dossiers mériteraient-ils d’être ainsi sanctuarisés, en matière de défense ou d’éducation par exemple… Toujours est-il qu’ici nous n’en serions pas là où nous en sommes si, depuis 1989, les gouvernements successifs avaient eu pour première préoccupation de gommer le travail fait par la majorité précédente !

Sur le rôle du Parlement, enfin. En consacrant ce rôle, la loi sur les déchets nucléaires constitue une première application du programme socialiste pour l’avènement d’une République parlementaire ! Nous sortons d’une version régalienne de la gestion du dossier nucléaire, pour aller vers une version parlementaire, assumée sur tous les bancs. La version présidentialiste a fait son temps ; on ne peut plus dire que tout descend de l’Élysée, de Matignon et de l’administration : nous, Parlement, sommes en mesure de dire à EDF, au CEA, à AREVA ce que nous pensons et les règles que nous leur demandons d’appliquer. Je veux souligner à cet égard, Monsieur le rapporteur et ancien président de l’Office parlementaire, le rôle joué par l’Office d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, merveilleux outil créé sur la lancée du renouvellement de la réflexion parlementaire permis par la majorité élue en 1981. Cet office a contribué à développer la réflexion et a encouragé une démarche qui a un grand avenir : il s’agit de revenir à des comportements fondés sur la raison, de fortifier le combat contre l’obscurantisme – toujours dangereux, sur ce dossier comme sur bien d’autres – et de faire en sorte que la science et la connaissance entrent dans le débat parlementaire.

Je formulerai néanmoins une principale réserve au nom de mon groupe. Le Sénat a apporté quelques améliorations, mais le problème de la gestion des crédits demeure. Nous restons partisans d’un fonds externalisé dédié, contrôlé par la puissance publique.

Ce texte reste néanmoins le fruit d’un dialogue mené depuis bien longtemps, hors de tout sectarisme, entre la droite et la gauche ; et parce que nous envisageons en termes séculaires l’avenir de ce dossier, le groupe socialiste s’abstiendra, tout en lui souhaitant un bel avenir.

M. François Cornut-Gentille – Début avril, en première lecture, j'avais exprimé une grande méfiance car la première version du texte m'apparaissait notoirement insuffisante. Cette méfiance était encore renforcée par l'impression que certains voulaient passer en force, tant à l’égard du Parlement que vis-à-vis des populations locales.

Le débat qui a eu lieu à l'Assemblée nationale et au Sénat a permis des avancées très notables, que je n'imaginais pas quand il s’est ouvert. Je me réjouis en particulier que le Parlement soit appelé à voter deux fois, à chacune des étapes d'un éventuel stockage. On passe ainsi d'un contournement délibéré du Parlement à la reconnaissance du rôle majeur qu’il doit jouer.

Concernant le développement économique de la Haute-Marne et de la Meuse, j'adhère pleinement au très fort soutien accordé aux communes de la zone des dix kilomètres – qui n’est que justice. Quant à l'introduction d'une seconde zone de proximité, tenant compte des réalités démographiques et économiques, c’est un progrès majeur. Ces avancées ont permis de souligner l'importance d’une implication des intervenants sur le territoire d'accueil.

Je tiens à remercier notre rapporteur, Claude Birraux, du travail constructif et indépendant qu’il a accompli pour enrichir ce texte dès la première lecture. Je rends également hommage à celui de nos collègues sénateurs Bruno Sido, Charles Guéné et Gérard Longuet. Enfin, Monsieur le ministre, je tiens à souligner votre esprit d'ouverture.

Il reste que nous aurions pu aller encore plus loin. Ainsi, je regrette que nous n'ayons pas décidé d'une expérience d'entreposage en faible profondeur. Je regrette également que l'on reste encore un peu ambigu sur la notion de réversibilité. Enfin, j'aurais voulu un engagement extrêmement clair sur le transport des déchets.

Je demeure donc dans une position d'abstention. Il ne s’agit plus exactement de la méfiance de la première lecture, mais plutôt d'une vigilance active : vigilance sur le respect de la transparence dans l'information donnée aux populations et aux élus, vigilance aussi sur l'impartialité scientifique de la démarche, vigilance enfin sur le développement économique de la Haute-Marne et de la Meuse car l’engagement que je constate sur le terrain, en particulier de la part d’EDF et d’AREVA, est encore trop récent pour pouvoir être qualifié de pérenne. Dans ce domaine comme dans les autres, je prends acte d'une orientation et d'une volonté politique affirmée ; j'espère qu’elles ne se démentiront pas dans les années qui viennent (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La discussion générale est close.

M. le Ministre délégué - Je suis surpris de ce que les députés communistes expliquent dans le débat sur l’énergie que la privatisation crée des rentes de situation, et disent tout le contraire à l’occasion de celui-ci. Que Mme Jambu lise le compte rendu, elle apprendra que nous avons fait en sorte que les fonds nécessaires soient dédiés, et gérés dans la durée.

Je veux remercier M. Chatel pour le soutien qu’il a exprimé au nom du groupe UMP et pour sa détermination personnelle. Au-delà des fonds attribués par les GIP, qui constituent des garanties substantielles et sont mis à la disposition des collectivités locales, nous avons demandé aux industriels de s’engager sur plusieurs projets, tels que la biomasse – qui représente 100 000 tonnes de biocarburants – ou la maîtrise de la demande énergétique. Areva, notamment, a réalisé des achats pour plusieurs millions dans la région de Bure.

M. Cornut-Gentille préfère attendre de voir. Mais la confiance ne se mesure pas avec le temps : elle doit se donner et se recevoir, et c’est à cette condition que les actions, si elles sont sincères, peuvent durer.

M. Bataille a salué le travail parlementaire réalisé depuis quinze ans : combien de textes peuvent s’honorer d’une telle maturation ? Celui-ci a été porté par le même binôme à l’Assemblée et par les mêmes sénateurs, avec constance et efficacité. Un grand nombre d’amendements ont été votés au cours des deux lectures, si bien que le texte qui nous parvient aujourd’hui a été grandement amélioré par les parlementaires. Je veux remercier M. Bataille des souhaits qu’il a associés à son abstention, se plaçant dans une perspective d’avenir qui correspond au fond du texte.

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 7, du Règlement.

M. Christian Bataille – Les propos s’enchaînent rapidement et je voudrais revenir, après cette discussion générale, sur quelques points toujours en débat.

Nous pensons d’abord qu’il est nécessaire de régler le problème de la propriété des déchets, en la transférant à l’ANDRA, en contrepartie d’une redevance qui serait versée aux centres de stockage ou d’entreposage. Devant la multiplication des producteurs – que vous appelez de vos vœux – nous craignons de voir l’ANDRA dépositaire de « colis » dont on ne pourrait plus identifier les propriétaires. On peut ainsi imaginer que la France ait à faire pression sur des sociétés étrangères – comme des fonds de pension américains, ce qui n’est pas improbable.

Je veux aussi insister sur la création d’un fonds externalisé dédié. EDF et d’autres producteurs de déchets ont mis de côté des sommes importantes tandis que chaque foyer, comme vous l’avez expliqué lors de votre audition par la commission, Monsieur le ministre, acquitte environ dix euros par an. Il nous semble important de réfléchir à la gestion de ces fonds. Certes, vous avez fait, avec le rapporteur, un certain nombre de propositions, mais celles-ci ne nous semblent pas satisfaisantes : 2,3 milliards d’actifs dédiés étaient disponibles au 31 décembre 2003, il conviendrait de les confier à un organisme public comme la Caisse des dépôts. Ce système a été retenu par de grands pays libéraux, tels que les États-Unis, le Japon, la Finlande ou la Suède.

En outre, il faut dire explicitement que la réversibilité est un principe intangible, sans laisser place au doute, afin de rassurer nos concitoyens. Il faut faire confiance à la recherche scientifique pour garantir ce principe.

Enfin, l’ANDRA doit acquérir une puissance accrue et une compétence sur tous les types de déchets, ainsi que la maîtrise de l’ensemble des méthodes de stockage. Elle n’en est encore que partiellement responsable, ce qui donne l’impression de voir des puissances se disputer les morceaux de l’héritage. Les prochains gouvernements devront faire de cet organisme un spécialiste exclusif du stockage et de l’entreposage : nous avons besoin d’une filière unique. Voilà toutes les raisons qui me mènent à vous proposer, au nom du groupe socialiste, de renvoyer le texte en commission.

M. le Rapporteur – La commission n’a pu examiner cette motion.

J’estime pour ma part qu’il faut laisser à la loi de 2015 le soin de définir la réversibilité et les méthodes de stockage : les connaissances scientifiques permettront alors de le faire.

Nous avons choisi de laisser la responsabilité des déchets aux producteurs. Ce faisant, nous n’avons pas satisfait les entreprises du CAC 40, qui auraient aimé voir disparaître de leur bilans les provisions et les actifs dédiés à la gestion des déchets nucléaires. Les actifs dédiés ont été sécurisés, et le Gouvernement pourra accélérer les versements au fonds de gestion des déchets radioactifs. N’allons donc pas trop vite en besogne en confiant la responsabilité des déchets à l’ANDRA, ce qui exonérerait les producteurs de leurs responsabilités. Attendons la loi de 2015 pour un éventuel transfert de responsabilité !

La solution que vous proposez serait d’autant plus dangereuse que nous ignorons, malgré l’existence d’un laboratoire, ce que peut coûter la gestion du centre de stockage. Comment pourrait-on transférer la propriété et la responsabilité des déchets dès aujourd’hui ? N’écartons pas non plus l’option retenue par les pays scandinaves, qui ont créé une coopérative de producteurs.

Sans revenir sur la question du fond dédié, que j’évoquerai plus en détail lors de l’examen des amendements, je voudrais dire un mot sur la réversibilité : quelle meilleure garantie pouvons-nous apporter à nos concitoyens qu’une loi votée par le Parlement ? Pour le reste, faisons confiance à la recherche scientifique pour trouver les solutions les plus adaptées.

S’agissant enfin de l’ANDRA, ses missions ont été étendues par ce texte, le Sénat ayant même précisé qu’elle devrait s’occuper des sites « orphelins », où la présence de radioactivité n’est pas due aux seuls exploitants nucléaires.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à rejeter la motion de renvoi en commission.

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. le Président – J’appelle maintenant, dans le texte du Sénat, les articles du projet de loi sur lesquels les deux assemblées du Parlement n’ont pu parvenir à un texte identique.

ARticle Premier AA

L'article premier AA est adopté.

ARTICLE PREMIER A

M. Christian Bataille - L’amendement 1 vise à rappeler que les combustibles usés, ainsi que tous les déchets radioactifs, restent sous le contrôle de l’État, quand bien même leur gestion serait confiée à des entreprises privées.

M. le Rapporteur – Ce serait une précision superfétatoire. Le contrôle de l’État est déjà assuré au titre de la radioprotection, puisque le centre de stockage sera considéré comme une installation nucléaire de base, et qu’il sera couvert par l’inventaire de l’ANDRA et le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs. Tout cela me paraît amplement suffisant.

J’ajoute que le premier alinéa de l’article L. 542-1, créé à la suite d’un amendement de M. Bataille, impose le respect de la santé, de la sécurité et de l’environnement, qui font partie des missions régaliennes de l’État.

M. le Ministre délégué – Même avis. Cet amendement est satisfait.

L'amendement 1, mis aux voix, n'est pas adopté.
L'article premier A, mis aux voix, est adopté.

ART. 3

M. François Dosé – Selon l’alinéa 6 de l’article 3, « les déchets radioactifs sont des substances radioactives pour lesquelles aucune utilisation ultérieure n'est prévue ou envisagée », définition à laquelle l’amendement 13 propose d’ajouter cette précision : « à l’aune des connaissances actuelles ».

Avec le temps, la vocation et la signification de certains éléments change en effet. Qui aurait songé que les terrils offriraient un jour des matériaux de substitution et disparaîtraient ?

M. le Rapporteur - Avis défavorable, une telle précision allant de soi. En effet, comment connaître les connaissances futures ? Comme le notait Nils Bohr, « la prévision est difficile, surtout quand elle concerne l’avenir » (Rires sur divers bancs). Et il ne s’agit pas davantage de prendre en compte les connaissances passées, par définition obsolètes !

L'amendement 13, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. François Dosé - L’amendement 22 est défendu.

L'amendement 22, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Christian Bataille - L’amendement 2 me permet de revenir sur la propriété à long terme des déchets radioactifs. Nous nous inscrivons en effet dans une durée géologique qui dépasse le temps historique, si bien que la seule solution acceptable est un transfert à un organisme public, seul susceptible de perdurer pendant des siècles. Tel fut le cas en France avec les « Eaux et forêts », ou en Hollande avec les Waterstaaten.

Si la majorité est hostile au transfert de propriété à l’ANDRA, qui devrait naturellement se faire moyennant une indemnité préalable, l’avenir nous y conduira nécessairement.

M. le Rapporteur – Avis défavorable. Afin de mieux distinguer le stockage et l’entreposage, l’amendement 2 tend à supprimer l’expression « pour les conserver de façon potentiellement définitive ». Une telle mention n’a pourtant rien de contradictoire avec le principe de réversibilité : l’installation pourra être fermée par une loi, et les déchets ne s’y trouveront que tant que leur déplacement n’aura pas été décidé !

M. le Ministre délégué – Même avis. Cette précision, qui a été apportée par le rapporteur du Sénat, ne va nullement à l’encontre de la réversibilité, en faveur de laquelle toutes les garanties ont été prises : une nouvelle loi devra fixer ses conditions, notamment sa durée minimale, qui ne pourra être inférieure à cent ans, et c’est une autre loi qui autorisera, le moment venu, une éventuelle fermeture du centre de stockage.

M. François Dosé – Bien au contraire, cette mention transforme la nature même de la réversibilité, pour laquelle nous avons tous bataillé.

Si la réversibilité se révèle impraticable dans quatre siècles, il faudra certes s’adapter, et il se peut que nos petits-enfants optent pour la solution inverse, qui pourrait un jour être considérée comme une protection supérieure. Mais en précisant qu’il s’agit d’une conservation « potentiellement définitive », vous allez faire du principe de réversibilité un pur gadget intellectuel ! Vous verrez bien quelle lecture sera faite de cette disposition restrictive sur internet !

L'amendement 2, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. François Dosé - L’amendement 23 est défendu.

M. le Rapporteur – Avis défavorable. Attendons la loi de 2015 !

L'amendement 23, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.
L'article 3, mis aux voix, est adopté.

art. 4

L'article 4, mis aux voix, est adopté.

art. 5

M. François Dosé - Les amendement 16 et 15 de M. Dumont sont défendus.

Les amendements 16 et 15, repoussés par la commission et par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Christian Bataille - L’amendement 12 est défendu.

M. le Rapporteur – Avis défavorable. Cet amendement interdirait le retour de déchets techniques issus du traitement de combustibles étrangers, ce qui n’est sûrement pas son objet.

M. le Ministre délégué – Même avis. Je rappelle que la France a signé et ratifié la convention internationale sur la sûreté de la gestion des déchets radioactifs, qui exclut l’exportation de déchets radioactifs vers les pays en voie de développement.

M. Christian Bataille - On ne saurait mieux s’en assurer qu’en le disant. J’ai entendu en 1989, dans le cadre de mon premier rapport, des raisonnements qui ont peut-être toujours cours. Certains ne rêvaient-ils pas, à l’époque, d’exporter nos déchets radioactifs vers le Sahara, voire de les emprisonner sous une pyramide de cuivre dans la Cordillère des Andes – cette proposition émanait même d’un scientifique reconnu !

M. le Ministre délégué – Sans doute un géologue ! (Sourires)

L'amendement 12, mis aux voix, n'est pas adopté.
L'article 5, mis aux voix, est adopté.

art. 6

M. Christian Bataille - L’amendement 4 tend à substituer à l’Académie des sciences morales et politiques la Haute autorité de sûreté nucléaire, qui vient d’être instituée par la loi sur la transparence en matière nucléaire. J’ai beaucoup d’estime pour l’Académie des sciences morales et politiques, mais je doute qu’elle soit apte à sélectionner des personnalités ayant des connaissances scientifiques dans le domaine des déchets radioactifs. La commission a besoin de spécialistes, non de philosophes ou de politologues.

M. le Rapporteur – Avis défavorable. L’Autorité de sûreté nucléaire – tel est son nom depuis le vote de l’Assemblée nationale – est une autorité administrative indépendante ; elle n’a donc pas vocation à désigner des personnalités.

La précédente Commission nationale d’évaluation, qui a remarquablement travaillé – et je rends hommage à son président, M. Tissot – comptait essentiellement des scientifiques. Il nous a paru intéressant d’y adjoindre une personnalité susceptible de conduire une réflexion d’ordre éthique.

M. le Ministre délégué – Même avis. C’est d’ailleurs le président de la Commission nationale d’évaluation qui en a fait la suggestion.

L'amendement 4, mis aux voix, n'est pas adopté.
L'article 6, mis aux voix, est adopté.

art. 6 bis

M. François Cornut-Gentille – Je l’ai déjà dit, j’attache une grande importance au plan de transport des déchets. C’est pourquoi j’ai déposé trois amendements qui réintroduisent à chaque stade de la procédure – dans les débats du Haut comité pour la transparence et l’information sur la sûreté nucléaire pour l’amendement 7 – l’obligation de prendre en compte le transport des déchets. Il est important de le solenniser dans la loi : c’est un élément décisif pour les populations concernées. Le rapporteur me répondra que c’est prévu ; j’aurais souhaité que cela le soit plus clairement.

M. le Rapporteur – Cet amendement est satisfait par la rédaction actuelle, puisque les débats sur le transport des déchets sont prévus. En outre, la loi sur la transparence en matière nucléaire donne compétence au Haut comité pour la transparence pour organiser des débats contradictoires dans le domaine de la sûreté nucléaire, qui inclut le transport des déchets.

L'amendement 7 est retiré.
L'article 6 bis, mis aux voix, est adopté.

art. 8

M. François Cornut-Gentille - L’amendement 8 vise à intégrer le plan de circulation au moment de la demande d’autorisation de créer un centre de stockage.

M. le Rapporteur – Avis défavorable, cet amendement étant satisfait par les procédures actuelles. La question des transports sera traitée au stade du débat public, au stade de l’enquête publique, et dans le dossier de demande d’autorisation présenté par l’exploitant.

M. le Ministre délégué – Même avis. Le plan de circulation doit figurer dans la demande d’autorisation.

M. François Dosé - Mon expérience me montre qu’il s’agit d’un sujet sensible. À Bar-le-Duc, les manifestations ont été assez violentes pour conduire à un décès. Ne pourrait-on faire figurer en annexe de la demande d’autorisation un document établi par l’IRSN ou par une autre institution compétente pour préciser les risques et les précautions à prendre ? Le transport pose parfois plus de problèmes que la gestion du centre lui-même.

L'amendement 8, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. François Dosé - L’amendement 18 est défendu.

M. le Rapporteur – Défavorable : la majorité et l’opposition ont trouvé un accord sur une rédaction commune en première lecture.

L'amendement 18 est retiré.

M. François Dosé - L’amendement 17 est défendu.

L'amendement 17, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. François Dosé - Il aurait été préférable, dans une optique d’acceptabilité sociétale, de retenir une durée minimale de trois siècles au lieu d’un. Un siècle correspond en effet au temps de remplissage du centre de stockage, si bien que cette disposition prend une allure de plaisanterie. On aurait pu retenir à la rigueur deux siècles, mais un siècle, ce n’est vraiment pas pertinent ! Je le dis d’autant plus librement que je ne serai pas candidat aux prochaines élections.

M. le Rapporteur – Je me suis déjà exprimé sur ce sujet dans ma réponse à l’exception d’irrecevabilité et en première lecture. La loi de 2015 définira la durée à l’aune des connaissances du moment. Avis défavorable.

M. le Ministre délégué – Cette crainte est légitime, dès lors qu’on admet que la période de remplissage est de cent ans. Mais on peut très bien imaginer des sites se remplissant en dix ou quinze ans.

M. François Dosé - Ce n’est pas vrai…

M. le Ministre délégué – En réalité, nous ne connaissons pas la durée du stockage. Il faudra encore au moins dix ans de recherches pour pouvoir définir les conditions de la réversibilité dans une nouvelle loi. Il faut donc dissocier la durée minimale pendant laquelle la réversibilité doit être assurée et le temps de remplissage d’un centre de stockage. Quand j’ai écrit cent ans dans le texte, j’ai suivi les évaluateurs, qui eux-mêmes s’appuient sur des années de recherche. Cette durée de cent ans est d’une neutralité à toute épreuve.

Enfin, troisième argument, le bon moment pour se poser la question de la réversibilité du stockage sera l’examen en 2015 de la loi sur la réversibilité.

M. François Dosé - Écrivons donc deux cents ans aujourd’hui, quitte à ramener cette durée à cent ans dans la loi à venir si cela paraît préférable, au vu des connaissances. Je préfère que les choses se fassent dans ce sens.

Vous vous référez aux évaluateurs, Monsieur le ministre. Nous ne devons pas lire les mêmes livres ! Certains sols peuvent se refermer assez vite, on le sait.

Dans cette affaire, je pense surtout à ce qui est acceptable par la population. Si les gens pensent qu’il y a une tromperie derrière ce qui est écrit, nous sommes mal partis. C’est pourquoi je persiste à trouver préférable d’écrire que la réversibilité du stockage doit être assurée pendant au moins deux siècles que de retenir une durée – cent ans – qui est perçue comme celle du remplissage du centre. Vous dites, Monsieur le ministre, qu’un centre pourrait se remplir beaucoup plus vite et que d’autres prendraient le relais, mais enfin, vous savez bien qu’on ne va pas créer une dizaine de petits centres de stockage susceptibles d’être remplis en dix ans. J’ajoute que pour une même masse traitée, les déchets sont moins volumineux aujourd’hui qu’il y a dix ou quinze ans. Il faudra donc bien une centaine d’années pour remplir un centre.

Sincèrement, je crois que cet article ne nous rend pas service.

M. le Rapporteur – La loi dit que la réversibilité du stockage doit être assurée au moins pendant cent ans. Compte tenu du temps prévisible de fonctionnement de l’EPR, nous sommes déjà au-delà de cent ans. Vous voudriez que l’on écrive trois cents ans, Monsieur Dosé, mais l’ANDRA nous dit que cela demanderait des études complémentaires. Ne vaut-il pas mieux s’en tenir pour le moment à un minimum que nous savons pouvoir tenir ? Il y aura ensuite une loi qui définira la réversibilité. Et il ne pourra y être mis fin que par une autre loi votée par le Parlement. Nous avons donc assez de garanties.

L'amendement 32, mis aux voix, n'est pas adopté.
L'article 8, mis aux voix, est adopté.

Art. 9

M. François Dosé - L’amendement 19 est défendu.

L'amendement 19, repoussé par la commission et par le Gouvernement, n’est pas adopté.

M. François Cornut-Gentille - Je retire l’amendement 9.

M. François Dosé - Les amendements 21, 20 et 24 sont défendus.

Les amendements 21, 20 et 24, repoussés par la commission et par le Gouvernement, et successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.
L'article 9, mis aux voix, est adopté.

Art. 10

M. Christian Bataille - L’amendement 5 tend à ce que l’ANDRA soit chargée de conduire des recherches et des études sur le stockage des déchets radioactifs qu’elle ne peut accueillir dans ses installations actuelles. J’insiste sur la nécessité d’étendre les missions de l’ANDRA.

M. le Rapporteur – L’article premier bis prévoit déjà la conduite de recherches sur ces questions. L’ANDRA y participera au titre de sa mission générale de gestion des déchets, posée par la loi Bataille, mais il ne faut pas exclure que d’autres organismes, comme le CNRS, apportent leur contribution. Avis défavorable, donc.

M. le Ministre délégué – Même avis, puisque l’amendement est satisfait.

L'amendement 5, mis aux voix, n'est pas adopté.
L'article 10,mis aux voix, est adopté.

Art. 11 bis

M. Christian Bataille - Je veux à nouveau insister sur le financement des centres de stockage et redire combien il serait utile de créer un fonds externalisé dédié. Le Règlement de notre Assemblée a écarté de la discussion nos amendements tendant à créer un tel fonds, mais il n’est pas interdit de reposer la question, d’autant que la Cour des comptes a recommandé, dans son dernier rapport annuel, de mettre en place des systèmes visant à sécuriser les fonds dédiés aux charges nucléaires futures. Le texte ne le fait pas. C’est un manque grave, auquel nous aurons à remédier dans une prochaine loi.

M. le Président – Puis-je considérer que vous avez défendu votre amendement 11 en même temps que vous interveniez sur l’article ?

M. Christian Bataille - Oui.

M. le Rapporteur - Bien que nous ayons déjà discuté longuement de la question en première lecture, je souhaite prendre le temps de répondre à nouveau de manière approfondie, même si cet amendement, compte tenu des contraintes de l'article 40, est surtout d'appel.

Nous partageons tous le même objectif, sécuriser absolument le financement de l'aval du cycle, afin de garantir qu'il ne puisse, en aucun cas, être mis à la charge des contribuables. Pour ce faire, deux options étaient envisageables.

La première était celle du fonds externalisé, solution tout à fait respectable que j'ai d'ailleurs moi-même longtemps envisagée. Elle pose toutefois une vraie difficulté. Deux variantes sont possibles. La première, que le transfert des déchets au fonds ne s'accompagne pas d'un transfert de propriété, mais alors les opérateurs doivent payer deux fois, car ils resteront tenus de constituer des provisions tout en abondant le fonds. L'alternative serait un transfert de propriété des déchets au fonds, donc à la collectivité publique. Mais alors, une mauvaise évaluation des charges de gestion pourrait aboutir à des surcoûts pour le contribuable. Contre ce risque technique, nous n'avons pas de moyen de nous prémunir absolument.

L'autre option, celle retenue par le projet de loi, consiste à contraindre les opérateurs à constituer dans leurs comptes des provisions et des actifs dédiés sécurisés. Le risque est alors que les actifs soient mal gérés ou que les opérateurs soient défaillants. Mais, à la différence du risque technique, nous pouvons prendre des mesures pour nous en prémunir.

Des garanties importantes existaient dans le projet de loi initial, que nous avons considérablement enrichies, en décidant de renforcer le contrôle par la création d'une commission nationale d'évaluation financière indépendante ; de créer un deuxième fonds dédié ; et surtout, de permettre à l'administration, au moindre doute sur la gestion des opérateurs, de contraindre ces derniers à abonder ce fonds. Cela revient à permettre, mais seulement en cas de besoin, la création du fonds externalisé souhaité par nos collègues socialistes.

Le Sénat a encore renforcé ce dispositif en élargissant la possibilité d'abondement aux charges relatives au démantèlement des installations.

Enrichi par le Parlement, le projet de loi apporte donc, aujourd'hui, selon moi, une solution équilibrée et efficace à l'enjeu majeur que constitue la sécurisation du financement de l'aval du cycle. Cette solution intègre en partie les préoccupations de nos collègues socialistes. J'estime qu'il n'est pas souhaitable d'aller au-delà, et suis donc défavorable à cet amendement.

M. le Ministre délégué – Le sujet est d’une grande importance financière puisque nous parlons de 40 milliards d’euros pendant les trente prochaines années. Si l’on suivait M. Bataille, il faudrait procéder à un appel d’offres afin d’avoir le choix entre plusieurs opérateurs financiers. Ce n’est pas notre choix.

Grâce à ce texte, le financement du démantèlement et de la gestion durable des déchets sera sécurisé. Les exploitants d’installations nucléaires ont l’obligation d’évaluer de manière prudente les charges liées au démantèlement et à la gestion des déchets, de constituer des provisions et des actifs dédiés gérés sous le contrôle de l’État. Ces actifs sont cantonnés juridiquement, et protégés même en cas de faillite. Le cas échéant, il est possible de consigner ces sommes et de les placer dans le fonds externe créé au sein de l’ANDRA pour la construction et l’exploitation des installations. L’Assemblée a renforcé ce dispositif en instaurant une commission nationale chargée d’évaluer le contrôle effectué par l’autorité administrative, les travaux de la commission pouvant eux-mêmes être contrôlés par la Cour des comptes. Nous avons donc la ceinture et les bretelles ! Ce dispositif répond aux préoccupations exprimées par les députés socialistes. Un rapport supplémentaire ne semble donc pas nécessaire. Par conséquent, le Gouvernement est défavorable à l’amendement 11.

L'amendement 11, mis aux voix, n'est pas adopté.
L'article 11 bis, mis aux voix, est adopté.

Art. 11 ter

L'article 11 ter, mis aux voix, est adopté.

Art. 12

M. François Cornut-Gentille - L’amendement 10 est défendu.

M. le Rapporteur – Cet amendement est satisfait puisque les CLIS ont déjà compétence à traiter des questions de transport.

L'amendement 10 est retiré.

M. François Dosé - Le président du CLIS aurait plus de crédibilité s’il était élu plutôt que désigné, fût-ce par des personnalités aussi importantes que les présidents des conseils généraux. Le CLIS est un médiateur entre l’opinion et les institutions. Par opposition à ces dernières, il fait entendre plusieurs voix et ne peut être soupçonné de faire de la propagande. L’élection du président permettrait de garantir cette diversité de parole et de donner au CLIS plus d’autorité morale face aux associations environnementales. Tel est le sens de l’amendement 26.

M. le Rapporteur – Avis défavorable. Nous avons débattu de cette question en première lecture, et vous proposiez alors que le préfet soit chargé de désigner le président. Dans son Livre blanc, l’association nationale des commissions locales d’information demande l’application du droit commun pour Bure, c’est-à-dire l’attribution de la présidence à un conseiller général désigné. Les dispositions de cet article 12 reflètent le droit commun fixé par la loi sur la transparence et la sûreté nucléaire, qui s’inspire de la circulaire Mauroy du 18 décembre 1981.

M. François Dosé - C’était il y a plus de vingt ans !

M. le Rapporteur - En vérité, c’est un bel exemple de continuité républicaine !

M. le Ministre délégué – Avis défavorable.

L'amendement 26, mis aux voix, n'est pas adopté.
L'article 12, mis aux voix, est adopté.

Art. 14

M. François Dosé - L’amendement 27 est défendu.

M. le Rapporteur – La commission nationale d’évaluation est une instance d’expertise, et non de débat. Les représentants des associations n’ont donc pas vocation à y être représentés.

M. le Ministre délégué – Même avis.

L'amendement 27, mis aux voix, n'est pas adopté.
L'article 14, mis aux voix, est adopté.

Art. 15

M. François Dosé - Les amendements 28, 29, 25 et 31 sont défendus.

Les amendements 28, 29, 25, 31, repoussés par la commission et par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. François Dosé - Prendre pour critère un rayon de dix kilomètres autour du centre afin de délimiter la zone des communes qui seront bénéficiaires des sommes visées à l’article 15 ne correspond à aucune réalité. En effet, les communes ont souvent délégué une partie de leurs compétences économiques aux intercommunalités, dont le siège peut être éloigné de plus de dix kilomètres du laboratoire. Par l’amendement 6, je propose donc d’élargir la zone aux intercommunalités.

M. le Rapporteur – Défavorable, pour les raisons indiquées en réponse à la question préalable.

M. le Ministre délégué – Également défavorable. Dans mon intervention initiale, j’ai rappelé que le décret en Conseil d’État sera précédé de larges concertations qui permettront de trouver des solutions.

L'amendement 6, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. François Dosé - L’amendement 30 est défendu.

L'amendement 30, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.
L'article 15, mis aux voix, est adopté.

Art. 16

L'article 16, mis aux voix, est adopté.

explications de vote

M. le Rapporteur – C’est avec une certaine émotion que je vois arriver l’aboutissement de ce long travail. Le Parlement a été au cœur de ce dossier depuis 1991 et le restera, grâce aux parlementaires successifs qui ont travaillé sans relâche pour que ce dossier n’échappe pas au contrôle du Parlement.

Je remercie tous ceux qui ont soutenu le rapport et le projet de loi ainsi que les membres de l’Office parlementaire qui ont accepté que M. Bataille et moi-même menions l’évaluation de la loi de 1991. Je remercie également le ministre délégué à l’industrie ainsi que ces services.

Confucius assurait qu’on ne définit pas de politique pour un poste que l’on occupe pas. Ce travail des parlementaires, mené avec le concours du Gouvernement, a permis un débat démocratique, apaisé et responsable. Je me félicite de la confiance placée dans l’action parlementaire, car c’est un gage de succès ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François Dosé – Je n’avais jamais imaginé que je participerais un jour à l’élaboration d’une loi sur la gestion des déchets radioactifs quand j’ai voté l’installation du laboratoire à Bure en tant que conseiller général. En première lecture, ce texte m’apparaissait inacceptable. Je constate qu’il a été considérablement amélioré : le rôle du Parlement a été réaffirmé et nous avons laissé aux générations futures le choix de trancher entre irréversibilité et réversibilité.

Pour ma part, je crois que le rôle du politique est de traiter les questions de long terme. C’est ce que nous avons fait avec ce projet de loi, car le nucléaire civil restera longtemps un élément du mix énergétique. Par ailleurs, l’élu doit être un lien entre la population qu’il représente et les institutions. Pour toutes ces raisons, à titre personnel, je ne repousserai pas ce texte. Mon abstention, motivée par une exigence éthique, sera vigilante : nous devrons trouver l’acceptation sociétale d’un domaine bien délicat.

M. Luc-Marie Chatel - Le débat que nous avons eu fait honneur à notre Parlement, qui a su prendre ses responsabilités vis-à-vis des générations futures et jouer pleinement son rôle en enrichissant le texte initial afin qu’il soit accepté par tous. Je tiens à saluer l’action de ceux qui, depuis quinze ans, ont travaillé sur ces questions techniques et difficiles en notre nom : MM. Birraux et Bataille, mais aussi le Gouvernement, qui a compris combien le rôle du Parlement était indispensable. Compte tenu des avancées considérables que permettra cette loi – notamment l’implication du Parlement et des populations dans la gestion des déchets nucléaires – le groupe UMP votera naturellement ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Yvan Lachaud – Pour les mêmes raisons, le groupe UDF se réjouit des avancées impressionnantes que permettra ce texte, qu’il votera avec plaisir, et s’associe aux félicitations adressées à MM. Birraux et Bataille, ainsi qu’au Gouvernement.

L’ensemble du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

M. le Ministre délégué – Je conclurai par trois remarques. Tout d’abord, les gouvernements Raffarin et Villepin ont permis au Parlement de débattre abondamment de l’énergie, comme ce fut encore le cas hier – alors que l’on disait jadis que le Parlement était rarement consulté en matière énergétique. L’énergie nous concerne tous – dans certaines langues, ce mot signifie aussi « pouvoir ». Il fallait donc que les rapports de chercheurs et de spécialistes dont est issu ce texte donnent lieu à un véritable débat politique.

Ensuite, ce débat aboutit à une loi qui sera, je l’espère, un texte fort, comme la loi Bataille dont elle s’inspire, car elle nous engage pour les siècles à venir.

Enfin, nous avons accompli ici la tâche ardue de concilier la science et la société. Les idées que les scientifiques conçoivent clairement, et les résultats qu’ils obtiennent, sont souvent difficiles à transmettre sur le terrain, mais nous avons réussi à les adapter aux préoccupations de nos concitoyens.

Il s’agit donc d’un texte fort dont je vous remercie bien sincèrement. (Applaudissements sur de nombreux bancs)

Prochaine séance, mardi 20 juin, à 9 heures 30.
La séance est levée à 17 heures 50.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Catherine MANCY

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ordre du jour
DU MARDI 20 juin 2006

NEUF HEURES TRENTE - 1re SÉANCE PUBLIQUE

Questions orales sans débat.

QUINZE HEURES - 2e SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Discussion du projet de loi (n° 3109) portant règlement définitif du budget de 2005 : discussion générale.

Rapport (n° 3155) de M. Gilles Carrez, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

VINGT ET UNE HEURES TRENTE - 3e SÉANCE PUBLIQUE

Suite de la discussion du projet de loi (n° 3109) portant règlement définitif du budget de 2005 : débat sur les crédits de l’équipement de la défense.

Rapport (n° 3155) de M. Gilles Carrez, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

Avis (n° 3163) de M. Guy Teissier, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.
Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.
www.assemblee-nationale.fr

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