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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

1ère séance du mardi 7 novembre 2006

Séance de 9 heures 30
19ème jour de séance, 36ème séance

Présidence de M. René Dosière
Vice-Président

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La séance est ouverte à neuf heures trente.

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énergie (cmp)

L'ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au secteur de l’énergie.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la CMP Nous voici à la dernière étape de cette discussion commencée le 7 septembre, après que la CMP a trouvé un compromis qui doit beaucoup à l’esprit d’ouverture de mon collègue et ami Ladislas Poniatowski, rapporteur de ce texte au Sénat, mais également au président Ollier, que je remercie pour sa présence assidue et pour avoir tant contribué à enrichir ce projet…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire - Je vous remercie.

M. le Rapporteur – …ainsi qu’au président de la commission économique du Sénat, M. Emorine.

Trois points essentiels se dégagent au terme de cette CMP. Le premier concerne la CRE. Nous avons largement modifié sa composition en souhaitant que soit pris en compte le point de vue des consommateurs : elle ne sera plus constituée que de trois membres permanents, un président et deux vice-présidents, les autres commissaires étant rémunérés à la vacation. Le collège actuel sera immédiatement complété par deux représentants des consommateurs. Le Sénat avait introduit au sein de cet organisme un comité de règlement des différends qui sera maintenu et aura vocation à prendre des décisions à caractère juridictionnel. Enfin, nous voulons veiller à ce que le régulateur soit indépendant des entreprises du secteur, mais demeure sous l'autorité et le contrôle des autorités élues. Le contrôle politique du Parlement sur la CRE sera donc renforcé selon des modalités innovantes : son président sera désormais nommé après qu’il se sera présenté devant les commissions des affaires économiques du Sénat et de l'Assemblée nationale et que celles-ci auront voté.

M. Daniel Paul - C’est révolutionnaire !

M. le Rapporteur - On peut avancer ce qualificatif, en effet, et on peut aussi espérer que cet exemple sera suivi pour d’autres autorités indépendantes. Cette formule, inspirée du système appliqué aux États-Unis, est proche des propositions de réforme de l'État défendues par M. Nicolas Sarkozy.

M. François Brottes - Quel gage de réussite !

M. le Rapporteur – En outre, la CMP a adopté une procédure de révocation, par décret en conseil des ministres, des membres de la CRE, procédure qui pourra notamment être mise en œuvre sur proposition des présidents des commissions du Parlement compétentes en matière d'énergie.

Deuxième point : les deux assemblées se sont accordées sur la nécessité de créer un médiateur public indépendant des fournisseurs, comme le demandaient les organisations de consommateurs. Le Sénat souhaitait confier cette mission de médiation au comité des sanctions créé au sein de la CRE, mais la CMP s’est finalement prononcée pour un médiateur totalement autonome, l'activité de médiation, qui repose sur une simple magistrature d'influence sans aucun pouvoir décisionnel, devant être bien distinguée du rôle du régulateur. Pour assurer à ce médiateur les moyens nécessaires à sa mission, nous vous proposons de prendre sur le produit de la CSPE.

Le troisième point concerne le tarif transitoire d'ajustement du marché. Nous avions adopté un dispositif prévoyant une majoration de 30 % pour les entreprises dès lors qu’elles déclaraient opter pour ce système avant le 1er juillet 2007. Nous avions en outre précisé que ce dispositif était renouvelable. Le Sénat a quant à lui proposé une majoration de 25 % sans que la procédure soit renouvelable. Nous vous proposons aujourd’hui une mesure très proche de celle adoptée par le Sénat, avec notamment un plafond de majoration du tarif de 25 %. Comme il n’appartient évidemment pas au Parlement de fixer le tarif, nous avons adopté un amendement visant à ce que le Gouvernement le fasse très rapidement – dans un délai d’un mois. J’ajoute que le dispositif retenu est conforme à celui proposé par la commission des finances de l'Assemblée nationale en première lecture.

M. Patrick Ollier, président de la commission Dans le cadre d’un amendement.

M. le Rapporteur - Nous vous proposons également de reprendre le dispositif proposé par le Sénat proposant un financement partiel de la compensation de la fourniture de ce tarif par la CSPE. Il s'agit d'utiliser l'excédent existant de CSPE lié à la réduction des charges que cette contribution finance. Ce dispositif ne pourra en aucun cas avoir pour conséquence d'augmenter la CSPE due par les consommateurs, comme le précise d’ailleurs un amendement adopté par la CMP.

La CMP vous propose enfin de retenir des articles additionnels issus d'amendements sénatoriaux et notamment : l'article 2 bis A relatif au délai de changement de fournisseur de gaz, l'article 2 octies introduisant une comptabilité séparée pour l'activité de fourniture aux tarifs, l'article 5 bis A étendant le bénéfice de l'obligation d'achat aux installations valorisant des énergies de récupération, l'article 5 quater organisant une procédure dérogatoire d'alimentation dans des zones de fragilité des réseaux, l'article 6 quater prévoyant un contrôle sur le tarif des prestations annexes à l'utilisation des réseaux, l'article 8 bis organisant la participation des opérateurs de communications électroniques aux frais de terrassement pour l'enfouissement des lignes, l'article 9 bis A relançant la coopération intercommunale en matière de distribution d'électricité, l'article 9 bis D organisant le financement par les collectivités des extensions de desserte gazière, l'article 13 bis étendant aux petits consommateurs professionnels le bénéfice des dispositions relatives à l’information et à la protection des consommateurs.

De même, la CMP a intégralement réécrit, dans un souci de clarté, l'article 4 relatif aux conditions d'accès des consommateurs aux tarifs. Pour les ménages et les petits consommateurs professionnels, une offre de fourniture proposée par un opérateur historique ne pourra être valable que si elle est au tarif pour l'énergie traditionnellement fournie au tarif par cet opérateur, sauf renonciation expresse du client. Ainsi, un client pourra contracter avec EDF une offre combinant fourniture d'électricité au tarif et fourniture à un prix libre de gaz naturel. En revanche, la même offre « bi-énergie » sera nulle si elle n'est pas, pour l'électricité, au tarif sauf si le consommateur a renoncé par écrit à ce tarif.

J’ajoute que la CMP a adopté l'article 10 prévoyant la privatisation de GDF, rendant ainsi possible une opération industrielle dont nous avons longuement débattu (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l’industrie Nous sommes heureux, avec François Loos, de nous retrouver parmi vous. Je remercie tous les parlementaires pour la qualité des débats que nous avons eus. Je félicite M. le rapporteur Lenoir, travailleur acharné, le président Ollier, qui a toujours œuvré en faveur de l’équilibre et du compromis.

M. Patrick Ollier, président de la commission Je vous remercie.

M. le Ministre – Je remercie également M. Novelli, rapporteur pour avis, MM. Paul, Brottes, Bataille, Cohen, Poignant et, à travers ce dernier, tous les parlementaires de la majorité qui ont soutenu vaillamment le Gouvernement.

Le texte de la commission mixte paritaire reflète bien les équilibres nécessaires à notre politique de l’énergie. Dans la préparation et la discussion de ce projet, nous avons voulu privilégier la protection des consommateurs, à commencer par les entreprises. Confrontée à la hausse du prix des hydrocarbures et à la disparition des surcapacités de production en électricité, l’Europe a en effet vu les prix de l’électricité augmenter fortement depuis 2004. C'est pourquoi le texte a été enrichi, à l'initiative de votre Assemblée, d'un dispositif qui prévoit l'instauration d'un « tarif de transition » de l'électricité pour les entreprises ayant opté pour le marché libre. Ce sujet a fait l'objet de vifs débats : si la situation critique de certaines entreprises consommatrices appelait un tel dispositif de protection, celui-ci doit aussi permettre de maintenir un niveau élevé d'investissement, comme l'a rappelé l'incident de samedi soir. Je note au passage que là où il avait fallu trois jours pour rétablir le courant sur la côte est des Etats-Unis à la fin des années 1970, une heure et demie nous aura suffi. Notre système est donc opérant, même si nous avons demandé une enquête sur ce qui s’est passé en Allemagne afin d’éviter que l’incident ne se reproduise.

Je suis heureux qu’un compromis entre l'Assemblée et le Sénat ait pu être trouvé sur ce tarif de transition. Le Gouvernement n’entend pas modifier le texte de la CMP. L’équilibre trouvé – plus 25 % pour le maximum du tarif de transition – préserve en effet à la fois l’intérêt des entreprises et les capacités d’investissement. Il s’agit cependant d’un plafond…

M. Patrick Ollier, président de la commission Très bien !

M. le Ministre – …sous lequel le Gouvernement agira avec pragmatisme, au cas par cas. Cette disposition me paraît donc susceptible de faire consensus.

La représentation nationale a par ailleurs voulu renforcer les pouvoirs de la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, pour améliorer le fonctionnement du marché de l'énergie. Je suis favorable à ce renforcement en matière de surveillance des marchés organisés et de vérification de l'indépendance d'exploitation des réseaux de transport. En ce qui concerne l'évolution de la composition du collège de la CRE, la CMP a trouvé une solution satisfaisante, qui accroît le rôle du Parlement dans son processus de désignation sans remettre en cause l’indépendance et la neutralité de cette commission.

L’Assemblée nationale et le Sénat ont enfin adopté des amendements qui réaffirment utilement l'importance des collectivités concédantes dans l'organisation de notre système énergétique.

La deuxième partie du texte, qui a peu évolué, donne à Gaz de France la flexibilité nécessaire pour se développer à armes égales avec ses concurrents. La proposition du Gouvernement part d'un constat simple : alors que les autres acteurs européens de l'énergie sont en train de se consolider, Gaz de France n'est aujourd’hui qu'un acteur de taille moyenne. Il faut donc qu’il puisse s'allier pour investir en amont – 1 000 milliards d’euros devront être investis en Europe dans les vingt-cinq prochaines années – et offrir du gaz au meilleur prix à ses clients.

La seule question était de savoir, compte tenu de ces enjeux, s'il fallait ou non, à quelles conditions et avec quelles garanties, autoriser Gaz de France à prendre part au mouvement de consolidation du secteur.

Le texte dispose que l’État devra détenir au moins un tiers du capital de Gaz de France par l'État et il introduit une action spécifique, portant sur les actifs essentiels à la sécurité d'approvisionnement. Comme nous l'avons toujours dit, cette action spécifique est strictement compatible avec la jurisprudence communautaire.

Comme pour Air France, comme pour Renault, le Parlement est donc appelé à se prononcer le principe – donner une flexibilité à l'entreprise sur la part de l’État dans son capital. Il reviendra ensuite à l'entreprise de mettre en œuvre le meilleur projet, avec le même soin que lors des étapes précédentes : après le temps du Parlement, viendra en effet celui des entreprises et des actionnaires. Je réitère à ce propos mon engagement de venir devant la commission des affaires économiques pour exposer les éventuelles évolutions du projet de Gaz de France.

Telles sont les réponses aux principales questions qui nous ont été posées pendant ce débat, et les garanties que ce texte nous offre. Il s'agit de donner à Gaz de France les moyens de choisir le projet industriel qui répondra le mieux aux intérêts de la France, de l'entreprise, de ses salariés et des consommateurs, et de préparer le grand marché européen du gaz et de l'électricité, au bénéfice de nos entreprises, tout en préservant le pouvoir d’achat et la sécurité d’approvisionnement de nos concitoyens. La France se doit de défendre son excellence industrielle dans le domaine de l'énergie. Ce texte répond à ce défi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

exception d’irrecevabilité

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4 du Règlement.

M. François Brottes – Si nous sommes ici pour voter sur le texte de la commission mixte paritaire, c'est aussi et avant tout pour entériner la trahison de la parole donnée solennellement dans cet hémicycle, il y a quelques mois, par M. Nicolas Sarkozy, alors ministre des finances : « Je l'affirme, nous avait-il dit, parce que c'est un engagement du Gouvernement : EDF et GDF ne seront pas privatisées. Le Président de la République l’a rappelé solennellement lors du Conseil des ministres. » Ainsi donc, ils s'y étaient mis à deux pour donner des garanties, conformes d'ailleurs, à ce moment-là, à la Constitution.

Il faut toujours replacer les reniements dans leur contexte et c’est donc par là que je commençais la rédaction de mon intervention samedi soir, vers 22 heures. Sans doute influencé par l'hommage rendu à Georges Brassens à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de sa disparition, je me remémorais sa fameuse chanson La non-demande en mariage. « Nous avons fait davantage de concessions que nous l'imaginions », disait le fiancé Gaz de France, et le poète de considérer que ce n'était pas bien de se déshabiller comme cela, de lettre de griefs en lettre de griefs, à la demande de Nelly Kroes, le commissaire européen. J'imaginais M. Cirelli chanter le refrain de Brassens à M. Mestrallet : « J'ai l'honneur de ne pas te demander ta main, ne gravons pas nos noms au bas d'un parchemin. » L’inspiration s'est arrêtée là : ce fut le noir total, la « grosse panne » – d'électricité !…

M. le Rapporteur – N’exagérons pas !

M. François Brottes - …Comme un sort jeté par l'absence de vraie politique européenne de l'énergie. Mon lyrisme de pacotille s'est trouvé contrarié – je m'étais pris à rêver que le Gouvernement renonce à privatiser une grande entreprise publique de l'énergie, qui distribue un bien de première nécessité et relève du service public.

Cette panne qui a touché une grande partie de l'Europe est arrivée à point nommé pour que mes administrés, inquiets, me rappellent au téléphone que l'énergie était en effet un bien de première nécessité.

Ce « black-out » total évité de justesse, grâce aux précautions techniques prises par des professionnels encore sous statut public, est en fait un rappel à la réalité pour ceux qui n'ont comme obsession que l'ouverture des marchés. Bien des questions restent sans réponse. Est-ce parce que nous consommons trop d'énergie, parce que certains pays se dédouanent sur la production nucléaire française sans assumer leur part de la production d'énergie, parce que nous sommes en manque d'interconnections et que nos capacités d'arbitrage démocratique ne nous permettent pas de mesurer tous les enjeux, parce que les « traders » du marché de l'énergie profitent un peu trop du déséquilibre entre l'offre et la demande, au point d'empêcher de prendre à temps les bonnes décisions ? L'intérêt du marché n'est-il pas d'organiser la pénurie et de prendre en otage les usagers pour faire monter les prix ? Est-ce parce que les régulateurs ne coordonnent pas leurs actions en Europe, ou que la Commission ne s'intéresse pas à autre chose qu'aux parts de marché de chaque opérateur, au point de préconiser la casse de ce qui marche bien ? Est-ce parce que nous manquons de moyens de production ?

Franchement, avouez que ce n'est pas le moment de privatiser Gaz de France aux forceps !

Cette disposition tourne le dos à la Constitution. L’avis définitif de la Commission européenne n'est toujours pas connu – attendez de l’avoir pour venir en commission, Monsieur le ministre ! L’AMF ne s'est pas prononcée, les actionnaires de Suez continuent à faire monter les enchères – est-il acceptable que le contribuable les subventionne, surtout lorsqu’on sait qu’il devra payer jusqu'à dix fois plus pour obtenir moins que ce qui était prévu à l'origine ? Le périmètre gaz et électricité de ce fameux champion ne ressemble en effet plus beaucoup à ce qu’on nous a présenté pendant des mois.

Le personnel – vous l'avez vous-même avoué, Monsieur le ministre de l’industrie – n'a pas été consulté sur la fusion. Le conseil supérieur consultatif de GDF a d’ailleurs engagé une action pour vous rappeler que vous n'aviez pas respecté les formes, notamment concernant l'avenir d’EDF-GDF Service.

Les fantômes d’ENEL ou de Pinault rôdent toujours autour du démantèlement de Suez, et Gazprom est en embuscade pour acquérir le nouvel ensemble. Ce n'est pas l'action spécifique qui l'en empêchera.

Franchement, avouez que ce n'est pas le moment de confier l'indépendance nationale aux bons soins du régulateur comme le propose votre texte, qui dispose que « les programmes d'investissements des transporteurs de gaz naturel sont soumis à l'approbation de la Commission de régulation de l'énergie, qui veille à la réalisation des investissements nécessaires au bon développement des réseaux et à leur accès transparent et non discriminatoire » ! Bref, c’en est fini de la desserte d’un certain nombre de territoires ruraux…

Le groupe socialiste considère qu'il n'est ni opportun, ni nécessaire, ni conforme à la constitution de privatiser Gaz de France. Le recours qu’il déposera devant le Conseil constitutionnel portera exclusivement sur l’article 10, clef de voûte idéologique d’une politique de l'énergie soudainement improvisée, puisque c’est six mois à peine après la promulgation d’une loi d'orientation disposant que les entreprises publiques de l'énergie garantissaient le service public de l'énergie que, pour parer à une OPA inamicale, vous avez décidé de brader l'un de nos fleurons. Cela dénote un manque de sang-froid et un étrange sens de l'État. L’histoire jugera et les Français paieront…

Nous considérons tout d’abord que l'article 10 est contraire au neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, selon lequel « tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a, ou acquiert, les caractères d'un service public national ou d'un monopole défait, doit devenir – a fortiori rester, dirais-je donc – la propriété de la nation ». Nous considérons ensuite qu’il contrevient aux deux principes constitutionnels de libre administration des collectivités locales et de liberté contractuelle. Nous considérons enfin qu’il n'est pas conforme au principe constitutionnel de continuité du service public.

S’agissant du premier point, il est clair, vous le confirmez vous-mêmes, que cette loi privatise une entreprise publique ayant « les caractères d'un service public national ou de monopole de fait » puisqu’elle possède près de 88 % du réseau de transport de gaz et distribue cette énergie à près de 96 % des clients desservis par une concession. En vertu même de notre Constitution, une telle entreprise doit donc appartenir au secteur public, sauf à ce que vous lui ôtiez ces caractères. Mais ce serait là vous renier de nouveau. La privatisation de Gaz de France est contraire sur d’autres points également au même neuvième alinéa du Préambule. En effet, votre loi confère à une entreprise privée le monopole à l'échelon national de la distribution publique de gaz en tant que concessionnaire des communes déjà desservies en gaz naturel, monopole qui est en réalité un bien national, vu la part très réduite laissée aux distributeurs non nationalisés. Ensuite, Gaz de France, de fait en situation de monopole, continuera à jouer un rôle dans la péréquation des tarifs d'utilisation des réseaux. Enfin, dans le contexte d’ouverture du marché, votre loi renforce la mission de service public national de l’entreprise, notamment en lui demandant expressément d'assumer seule, pour une durée indéfinie, la fourniture de gaz naturel à un tarif réglementé, à tous les clients domestiques qui le souhaitent et à certains clients non domestiques qui le revendiquent.

Sur le deuxième point, les deux principes de la libre administration des collectivités et de la liberté contractuelle ont tous deux valeur constitutionnelle. Couplés, ils signifient que le législateur ne peut adopter de disposition ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la liberté contractuelle des collectivités, en particulier à la faculté pour elles de contracter avec les partenaires de leur choix, après publicité et mise en concurrence, surtout lorsque ces partenaires de publics deviennent privés. Il est difficile d'admettre que l'on puisse déroger ainsi au droit commun de la commande publique, surtout dans un contexte où le nouveau groupe Gaz de France-Suez deviendrait le partenaire privé obligé pour le gaz, alors que les collectivités le mettraient en concurrence pour l'attribution des délégations de service public concernant l'eau, l'assainissement, le chauffage urbain ou le traitement des déchets... Sans compter ce que j'ai dénoncé à plusieurs reprises dans le débat, à savoir que cette situation est illégale au regard du droit communautaire, toutes les concessions de distribution de gaz risquant d’être remises à plat, comme en atteste la jurisprudence de la Cour européenne de justice.

S’agissant du troisième point, la garantie de la continuité du service, c'est tout le débat sur la capacité réelle que s’assure l'État de garantir que des biens irremplaçables et indispensables à l'exercice du service public, comme le réseau de transport de gaz, y resteront affectés et pourront donc être réquisitionnés si besoin. Or, votre loi ne garantit rien de tout cela. Tout au plus envisagez-vous une action spécifique, pour l’instant assez floue, et dont l’usage, chacun le sait, est strictement encadré. Elle ne peut en effet être mobilisée qu’a posteriori – et donc peut-être trop tard ! – et cette utilisation est exposée à toutes sortes de recours. Outre sa validité juridique très incertaine, sa mise en œuvre relève en outre du seul pouvoir discrétionnaire du Gouvernement, qui ne doit donc pas rater la « fenêtre de tir ».

Vous le voyez, nombreuses sont les raisons pour lesquelles l’article 10 de ce projet de loi, qui privatise Gaz de France et annonce ainsi la fin du service public de l’énergie, contrevient à notre Constitution. Je vous invite donc, avec le groupe socialiste, à voter cette exception d’irrecevabilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Patrick Ollier, président de la commission Je n’ai pas entendu, dans la défense de cette exception d’irrecevabilité, d’argument démontrant le caractère inconstitutionnel du texte.

M. François Brottes - C’est que vous n’avez pas écouté !

M. Patrick Roy - Ou que nous n’avons pas les mêmes oreilles que vous !

M. Patrick Ollier, président de la commission Je sais si bien ce que vous pensez, Monsieur Brottes, et vous l’avez tellement répété en septembre, que je n’ai même plus besoin de vous écouter pour savoir ce que vous allez dire. Trêve d’ironie ! Il n’y a rien d’inconstitutionnel dans ce texte et, votre discours le montre, cela est rassurant.

Comme le Gouvernement, je me réjouis des avancées substantielles permises par la CMP. Que le président de la CRE ne soit dorénavant nommé par le Gouvernement qu’après avis des commissions compétentes du Parlement représente un réel progrès pour la démocratie et la transparence – dont devraient se réjouir ceux qui, sur tous les bancs, souhaitent que le Parlement soit mieux respecté et voie ses pouvoirs de contrôle renforcés. Que sur proposition des commissions parlementaires compétentes les membres de la CRE puissent être révoqués par le Gouvernement en cas de manquement grave à leurs obligations constitue un autre grand pas en avant.

M. Patrick Roy - Que répondez-vous à M. Brottes, qui a parlé de l’article 10 du texte ?

M. François Brottes - C’est le cœur du sujet.

M. Patrick Ollier, président de la commission Sur ce point, nous avons pris notre décision en notre âme et conscience.

M. Patrick Roy - Nous n’avons pas la même conscience !

M. Patrick Ollier, président de la commission Notre seul souci, comme celui du Gouvernement, a été de préserver Gaz de France en lui donnant les moyens nécessaires à son développement.

La panne d’électricité de samedi dernier a donné l’occasion, Monsieur Brottes, de constater que le réseau européen interconnecté de distribution d’électricité fonctionnait bien, ce dont je me réjouis. Si tel n’avait pas été le cas, comme l’a dit le ministre, la panne aurait pu durer trois jours comme à New York.

La constitution du nouveau groupe Gaz de France-Suez, qui possédera de très fortes positions dans le gaz naturel liquéfié, permettra notamment d’éviter que la fermeture brutale de gazoducs, pour des raisons géopolitiques, comme cela est arrivé récemment en Ukraine, n’entraîne une rupture d’approvisionnement. Je vous remercie, Monsieur le ministre, de vous être tout à l’heure engagé à venir devant la commission. J’invite tous les députés qui le souhaitent à assister à cette réunion qui aura probablement lieu le 14 novembre après-midi.

Le gaz naturel liquéfié étant un élément géostratégique essentiel de la sécurité d’approvisionnement énergétique, le nouveau groupe Gaz de France-Suez, grâce à l’une des premières flottes de méthaniers du monde et à ses usines de liquéfaction, dont la première du monde est en cours de construction, confortera notre indépendance en matière d’approvisionnement en gaz. Tous les faux procès qui nous ont été intentés ne tiennent pas. Je suis aussi soucieux que vous, Monsieur Brottes, de la préservation des services publics, nous nous sommes d’ailleurs battus au niveau européen pour la défense des services d’intérêt général. Mais en l’espèce, que vaut un service public du gaz lorsqu’on ne produit plus cette énergie sur le territoire national, qu’on l’importe aux conditions de prix fixées par les seuls producteurs et qu’on doit la revendre à des tarifs fixés par le Gouvernement ? À cet égard, je remercie le Parlement d’avoir voté un tarif social du gaz. Vous auriez pu, Monsieur Brottes, nous rendre hommage pour cette mesure à laquelle, je le sais, vous êtes favorable, bien que vous ne l’ayez pas votée, ce que je regrette.

Trêve maintenant des polémiques et des faux procès entendus au long de la défense de vos 137 000 amendements en septembre ! Encore merci à la majorité du soutien qu’elle nous a apporté, jour et nuit, tout au long de ce débat. Il est à l’honneur du Gouvernement et de sa majorité d’avoir eu le courage d’aller jusqu’au bout. J’invite l’Assemblée à rejeter cette exception d’irrecevabilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie  Le Gouvernement a bien sûr fait préalablement expertiser la constitutionnalité de ce projet de loi par le Conseil d’État, et nous n’avons pas d’inquiétude à ce sujet.

Ensuite, dans la mesure où la prochaine étape sera présentée à la commission des affaires économiques, le Parlement sera pleinement informé.

M. Brottes a fait allusion aux événements de samedi soir, dont l’origine est à chercher en Allemagne. La France a décidé d’investir 40 milliards d’euros dans la production d’électricité et les réseaux de transport. Et si nous avons déposé un mémorandum à Bruxelles en début d’année, c’est pour que, sur la base d’analyses prospectives, nos voisins prennent des mesures analogues. Je suis certain que ce type d’études révélera que les mesures prises en France sont à la hauteur des enjeux.

Monsieur Brottes, vous avez commencé par Le Déserteur de Boris Vian et vous avez conclu avec La Non-demande en mariage de Georges Brassens. Si j’apprécie ces références littéraires, je regrette que vous n’ayez que des non-engagements à proposer. Nous prenons, quant à nous, le taureau par les cornes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean Proriol - M. Brottes a essayé de ressortir en quelques minutes tous les arguments qu’il nous avait assénés pendant trois semaines et demie. C’était donc du réchauffé, mais nous ne nous sommes pas départis de notre patience habituelle.

Je rappelle, au nom de l’UMP, que ce projet de loi vise d’abord à ouvrir les marchés et à permettre le libre choix des consommateurs, en application du premier alinéa de l’article 22 de la loi du 10 février 2000, qui dispose que tout consommateur final d’électricité peut librement choisir son fournisseur. En votant cette exception d’irrecevabilité, nous renverrions à plus tard des dispositions utiles : aménagements concernant la composition de la CRE ; création d’un comité des différends pour régler les litiges entre consommateurs et fournisseurs ; création d’un médiateur, comme il en existe dans les autres pays.

L’article 10 prévoit certes la privatisation de GDF, mais aussi les modalités du contrôle de l’État qui, avec un tiers du capital, détient une minorité de blocage dans les assemblées générales d’actionnaires, où les décisions, relativement au siège social, au capital social, au rapprochement avec des entreprises…, requièrent une majorité de deux tiers. Avec une participation de l’État à 34 %, un pôle de stabilité sera garanti pour préserver les intérêts nationaux dans le secteur de l’énergie.

Il faut donc arrêter de dire que l’article 10 mettrait en danger l’approvisionnement de GDF. Ce matin, l’ancien président de cette entreprise rappelait à la radio que l’ouverture du capital d’EDF, avec une participation de l’État de 70 %, avait permis à EDF d’emprunter sept milliards d’euros sur le marché, de faire face à des investissements et de lancer pour les cinq ans à venir un programme de 5 000 mégawatts, dont nous aurons bien besoin ! Chers collègues, je vous propose de repousser cette exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Daniel Paul - Deux remarques, deux évidences, une conclusion.

Première remarque : GDF sera passé en peu d’années du statut d’entreprise nationale publique – ce qu’un personnage éminent du Gouvernement avait promis qu’elle resterait – au statut déclassé d’entreprise privée, absorbée par une autre entreprise privée et soumise aux exigences de la Commission européenne et des fonds de pension anglo-saxons.

Seconde remarque : après avoir livré GDF à Suez, vous prétendez à présent limiter les dégâts, en proposant des petites modifications à la marge. Mais celui qui possède, décide ! C’est le point de départ de l’opération qui est condamnable.

Première évidence, concernant la flotte de méthaniers que le président Ollier se plaît à évoquer. Les méthaniers, quand ils sont au milieu de l’Atlantique, peuvent mettre le cap à tribord ou à bâbord…

M. Patrick Ollier, président de la commission Ils doivent respecter leurs contrats !

M. Daniel Paul – Ils peuvent mettre le cap à tribord, vers Zeebrugge ou Montoir, et éventuellement vers Antifer, si ce projet de terminal se réalise, ou à bâbord, si les prix sont là-bas plus rémunérateurs.

M. François Brottes – Ça casse la démonstration !

M. Daniel Paul - C’est ainsi que cela se passe actuellement, y compris sur d’autres marchés que le gaz, avec à la clé des fluctuations de tarifs sur les marchés spot.

Seconde évidence : vous aviez une majorité de blocage il y a encore quelques semaines. Cette majorité de blocage vous aurait permis de respecter la parole du Gouvernement donnée il y a deux ans. Comment voulez-vous que nous croyions en votre capacité à faire usage d’une minorité pour vous opposer à un coup de force supplémentaire des actionnaires de Suez dans le nouveau groupe ?

Une conclusion : la messe n’est pas dite. Il est encore temps de faire marche arrière. Ce qu’une majorité de droite, qui renonce à l’intérêt national face aux intérêts privés, n’a pas su faire, une majorité de gauche courageuse le fera ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Jean Dionis du Séjour – Il conviendrait d’introduire un peu de sobriété dans ce débat excessif. À l’UDF, nous avons lu l’avis du Conseil d’État sur la constitutionnalité du texte. Nous en prenons acte et ne voterons donc pas cette exception d’irrecevabilité. Ce qui ne change rien à notre opinion négative sur l’opportunité du texte.

M. Christian Bataille - François Brottes, malgré la panne dont il a été victime au moment de rédiger son intervention, nous a bien éclairés sur les enjeux de ce débat, dont le point fondamental est effectivement le reniement de M. Sarkozy, qui montre que l’on peut aspirer aux plus hautes fonctions de l’État et dire n’importe quoi !

Quel était le contexte constitutionnel de 1946 ? Le travail de refondation républicaine mené visait à rappeler un certain nombre de notions fondamentales, comme la laïcité, mais aussi à affirmer la légitimité de l’État à prendre en charge de grands dossiers économiques. À l’époque, les socialistes, les communistes, le MRP, les gaullistes, tous étaient d’accord pour faire de GDF une entreprise nationale. Votre majorité renonce à l’esprit de 1946.

François Brottes a eu raison de fonder l’irrecevabilité principalement sur l’article 10. Le gaz, surtout aujourd’hui, n’est pas un produit comme les autres. Ce n’est pas de la camomille ou du caramel mou ! C’est un produit essentiel à la vie, et décisif pour la nation. Il peut être utilisé en tant que tel, mais aussi pour produire de l’électricité. Notre pays doit donc pouvoir en disposer instantanément car si l’essentiel de notre production électrique de base est nucléaire, il faut pouvoir la compléter par des énergies de pointe plus souples. Les énergies renouvelables – éolien, gaz de production animale ou solaire – ne répondent malheureusement pas pour l’instant aux espoirs qu’on avait mis en elles, mais le gaz, lui, peut remédier aux baisses brutales et empêcher un effondrement du réseau. Il est donc parfaitement légitime que la nation conserve la main sur la fourniture de gaz, que nous ne dépendions pas de contrats commerciaux qu’elle ne contrôlerait pas. Pour toutes des raisons, nous voterons cette exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

L'exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n’est pas adoptée.

question préalable

M. le Président - J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Christian Bataille – Le service public de l’énergie est le résultat d’une longue histoire, qui a commencé avant même la République. Le pouvoir central s’est vu attribuer un rôle d‘organisation économique, qui s’est transformé au XXe siècle : au moment du Front populaire et après la seconde guerre mondiale, les gouvernements l’ont assorti d’un souci de justice sociale, de garantie de services et de maîtrise des prix. Était-il utile de démonter ce qui fonctionnait si bien sous prétexte d’harmonisation européenne, de remplacer Gaz de France par autre chose sans savoir si cela marchera ? Nous ne le pensons pas : si la construction européenne supposait en effet la fin des monopoles et l’ouverture à la concurrence, en aucun cas Bruxelles n’avait demandé la privatisation des entreprises publiques ! Jamais il n’a été demandé aux gouvernements nationaux de se dessaisir de leurs prérogatives au bénéfice d’une commission de régulation de l’énergie, fausse autorité indépendante et vrai instrument du libéralisme, vecteur d’inégalités !

Cette loi va priver les citoyens de ce pays d’un instrument républicain et lui substituer une entreprise commerciale. La notion de service public est remplacée par celles de marché et de profit. Le service public du gaz avait pourtant bien des avantages, à commencer par sa vision et son action à long terme. Il est à peu près certain qu’une société privatisée ne prendra pas les mêmes précautions et sera portée par le marché à s’inscrire dans le court terme. L’entreprise publique avait le souci de l’investissement, de l’entretien des réseaux et de leur modernisation, ainsi que d’assurer la fourniture aux secteurs les plus éloignés. Je vous donne rendez-vous pour voir si, sous la houlette de la CRE et d’une société privatisée, les secteurs ruraux continueront à être équipés aussi bien que maintenant ! Enfin, Gaz de France était une société forte et indépendante, ce qui est indispensable dans un contexte international difficile.

Dans ce contexte économique et géopolitique dangereux en effet, la transformation du secteur gazier devrait être d’autant plus prudente que la situation européenne est fragile. Les risques de pénurie en gaz et en pétrole sont réels. Ils créent une tension sur les prix. Nous ne sommes plus dans le contexte d’une énergie abondante et bon marché – et il faut ajouter par ailleurs à son prix des coûts externes, comme celui de la guerre en Irak. Dans un tel contexte, on ne peut donc pas dire que la fourniture énergétique est une pure opération commerciale. La survie des pays développés en dépend. Or, nos approvisionnements en gaz ne sont ni totalement sûrs, ni suffisamment garantis contre la hausse des prix. La ressource en gaz est certes géographiquement mieux répartie que le pétrole, mais l’augmentation de la production et des rendements d’extraction est loin d’être aussi aisée qu’on a pu le penser, comme le montre l’exemple des États-Unis. Il faut désormais réaliser des investissements en infrastructures colossaux : gazoducs, flottes et terminaux méthaniers… Le prix du gaz continue à être indexé sur celui du pétrole et le danger immédiat est celui d’une pénurie organisée afin de faire monter les prix, avant la pénurie physique due à l’épuisement des réserves. Et la pénurie, les pays de l’est de l’Europe savent ce que cela veut dire !

La panne électrique du 4 novembre a quelque chose à voir avec la fourniture de gaz puisque notre production dépend pour une partie de centrales à gaz qui apportent, en pointe, l’énergie nécessaire au moment où le réseau en base ne suffit plus. Cette maladie de la panne, venue des États-Unis, semble tout de même propre à la dérégulation ! Nous venons sans doute d’assister à la première grande panne en Europe. Les tensions instantanées sur le marché, la volonté de faire grimper les prix, la surenchère sont les raisons pour lesquelles nous sommes parvenus tout près de l’effondrement du réseau.

M. Hervé Novelli - Fantasme !

M. Christian Bataille - Les États-Unis ont connu la même chose, pour ces raisons précises. Le deuxième défaut d’un système dérégulé est le manque d’investissements, en production comme en réseaux. La tentation est plus de distribuer des dividendes, d’empocher immédiatement les bénéfices, que de mener une politique de long terme. Or EDF doit penser ses investissements à soixante ou quatre-vingts ans ! Je ne crois pas que les entreprises privatisées qui vont maintenant détenir les clefs du marché de l’énergie soient en mesure de se projeter dans l’avenir de cette manière.

La panne de samedi pose le problème de l’Europe de l’électricité. L’harmonisation des réseaux européens s’impose évidemment, mais la France n’a aucun intérêt à une harmonisation des prix ! L’avantage compétitif du nucléaire serait totalement dilué, nos prix relativement modérés seraient alignés sur le prix mondial du pétrole et du gaz – le prix du kilowattheure produit à Gravelines sur celui du baril extrait en Arabie Saoudite !… Nous ne pouvons pas envisager cela. Notre pays doit conserver l’avantage compétitif qu’il possède par rapport à des voisins imprévoyants, complètement dépendants du gaz et du pétrole de l’extérieur. Pour cela, il faut investir en France, en base et en pointe. Ce matin, le président d’EDF en convenait lui-même : il manque des réseaux et des interconnexions. Pour ces investissements, il faut des sommes considérables. Voulez-vous vraiment faire confiance à un système qui ne sera peut-être pas en mesure de les réaliser, ou qui les négligera ?

En ce qui concerne les prix, on peut d’ores et déjà annoncer que ceux du gaz vont augmenter, non pas seulement à cause des variations mondiales, mais du fait de la nécessité de rémunérer l’actionnaire. Le prix du gaz ne sera plus calculé de façon juste par une entreprise publique, mais variera et inclura les bénéfices que l’entreprise voudra redistribuer à ses actionnaires. C’est donc la ménagère qui souffrira de la privatisation de GDF. La dérégulation, c’est la vie chère !

J’en viens à la CRE, dont nous avons beaucoup débattu à l’Assemblée, au Sénat puis en CMP : alors que le gouvernement de Lionel Jospin l’avait seulement chargée de veiller à la régularité et à la loyauté de la concurrence, vous allez en faire un organisme prétendument indépendant dont les missions empiéteront sur des compétences politiques actuellement réservées à l’État. Mais au nom de quoi ? Vous ne l’avez jamais expliqué !

Parce que telle est la pratique à l’étranger, notamment aux États-Unis, la nouvelle CRE sera composée de personnalités reconnues pour leur rôle juridique et économique, c’est-à-dire, chacun l’aura compris, pour leur défense acharnée du libéralisme ! Voilà comment sera composée cette commission qui récupérera une partie des prérogatives de l’État – elle ira jusqu’à donner son avis sur la construction de nouveaux réseaux ! M. Lenoir affirme que la CRE ne fera pas de politique, mais c’est le contraire qui est vrai !

M. le Rapporteur – Je n’ai jamais tenu le propos que vous me prêtez !

M. Patrick Ollier, président de la commission Nous n’avons rien entendu de tel !

M. Christian Bataille – Vous savez bien que la fourniture de gaz et la gestion des réseaux sont des fonctions politiques qui entrent dans le champ d’action de l’État ! Ce ne sont pas de simples mesures commerciales !

J’ajoute que l’article relatif à la CRE est un véritable habit d’Arlequin : c’est un texte brouillon qui empile trois organismes pour réaliser un compromis confus, seulement destiné à présenter sous un jour plus favorable la dérégulation et la libéralisation du marché.

Afin de veiller à notre indépendance nationale et à la sécurité des approvisionnements, l’État dispose d’un instrument, Gaz de France, qui nous sert à défendre les intérêts de notre pays sur les marchés mondiaux. Croyez-vous qu’une entreprise privée se comportera de la même manière que GDF face à Gazprom, dont le président russe souhaite faire un nouvel outil de domination ? L’hégémonie sera certes plus pacifique que celle assurée par les armes, mais elle sera également plus complète ! Nous n’aurons plus la barrière d’une entreprise nationale pour nous défendre ! Votre privatisation arrive donc au plus mauvais moment.

Votre décision est par conséquent une mauvaise action, qui nuira aux intérêts de la France en poussant à la hausse les prix à la consommation et en réduisant nos moyens de protection. C’est une décision doctrinale, sans intérêt pour nos concitoyens et dont seuls se réjouissent les marchés. Pour toutes ces raisons, je vous invite, mes chers collègues, à adopter la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Ministre délégué  Si les immenses réserves de Gazprom peuvent susciter des inquiétudes, nous apportons précisément une réponse grâce à ce texte.

M. Patrick Roy – Une réponse mauvaise et dangereuse !

M. le Ministre délégué – Imaginer que la nature publique des clients français de Gazprom garantirait des prix plus intéressants ou bien un accès privilégié aux gisements, c’est une illusion ! Seule la réponse que nous apportons dans ce projet de loi est de nature à garantir la sécurité des approvisionnements !

Vous prétendez, Monsieur Bataille, que la privatisation de GDF n’est en rien exigée par la Commission européenne ; c’est exact, mais regrettez-vous que le gouvernement français conserve la capacité de déterminer de lui-même ce qui importe pour notre pays ? Si nous transposons l’ensemble de la directive communautaire, nous le faisons à la française ! Nous avons l’obligation de respecter les décisions prise à l’échelon communautaire, mais nous le faisons avec nos méthodes et dans le respect de nos propres spécificités, avec le souci de conserver certaines manettes !

J’en viens à la CRE : l’existence d’une commission de régulation étant mentionnée dans une directive européenne, notre pays a dû créer un collège indépendant des électriciens et des gaziers, dont l’intérêt est de vendre le plus possible d’énergie, mais non pas indépendant de l’État : la commission de régulation est financée par le budget et ses membres sont nommés par les autorités publiques. Ce texte ne fait que conforter la situation actuelle en étendant au gaz les dispositions déjà applicables à l’électricité…

Le texte issu de la CMP me semble donc très recevable, et je suis défavorable à cette motion ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Serge Poignant – Christian Bataille prétend que le service public de l’énergie sera remplacé par le marché (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Mais nous n’avons pas cessé de prouver notre attachement au service public ! La différence qui nous sépare, c’est la conviction que le service peut être parfaitement assuré par des entreprises qui ne sont pas à 100 % publiques.

M. Patrick Roy – Elles ne le seront même pas à 50 % !

M. Serge Poignant – Je rappelle que certains de nos collègues socialistes, notamment d’éminents candidats à la présidence de la République, l’ont eux aussi affirmé… Dans un monde concurrentiel, les entreprises ont besoin de moyens financiers adaptés, et nous devions précisément légiférer en ce sens !

Quant aux risques de pénurie évoqués par M. Bataille, ce texte vise précisément à y répondre ! Sans revenir sur l’idée que la Commission européenne aurait exigé la privatisation de GDF, ni sur la question de CRE, arguments que le ministre vient de réfuter, je dirai un mot de la récente panne électrique : Christian Bataille l’attribue à la dérégulation, mais quel est le rapport ? Ne nous détournons pas de la vraie question : faut-il une politique européenne de l’énergie ?

M. Daniel Paul – Il en faut une, mais laquelle ?

M. Serge Poignant – Si vous votez toujours contre l’Europe, quand lancerons-nous une véritable politique énergétique communautaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Vous avez raison d’insister sur les investissements, Monsieur Bataille, car nous en manquons effectivement, mais vous oubliez que nous nous en préoccupons, nous aussi ! Et si certains pays évoquent la sortie du nucléaire, comme l’Allemagne, il faudra bien que l’Europe dispose de capacités de production suffisantes !

Je n’ai donc rien vu dans votre propos qui justifie cette question préalable. Vous vous êtes contenté d’affirmer les différences qui nous séparent : vous êtes contre l’économie de marché libérale, alors que nous souhaitons adapter notre économie. Contrairement à vos affirmations, ce texte se soucie des consommateurs…

M. Patrick Roy – Ils vont souffrir !

M. Serge Poignant – …Nous voterons donc contre la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Daniel Paul – Les prix coûtants, qui étaient appliqués par EDF et GDF, résultaient des contrats de long terme passés d’État à État et assuraient notre sécurité énergétique en même temps que des prix rémunérateurs pour le vendeur et l’acheteur ; ils incluaient le coût des infrastructures de transport et de distribution, la maintenance des réseaux ainsi que les investissements nécessaires. En réponse aux difficultés des années 1970, nous avons ainsi créé un parc électronucléaire qui a fait de la France l’un des pays les plus autonomes au monde ! Enfin, ces prix coûtants permettraient de consentir des tarifs sociaux à nos concitoyens en difficulté, car cette charge revenait à nos entreprises nationales de l’énergie.

À tous ces éléments, vous allez maintenant ajouter la rémunération des actionnaires, dont on sait pourtant qu’ils exigeront de plus en plus de dividendes. Ce faisant, vous allez aggraver la hausse des coûts, qu’entraîne déjà la raréfaction de la ressource, et donc aggraver ainsi la hausse des prix pour les usagers.

Par ailleurs, à quel moment décidez-vous de privatiser GDF et d’ouvrir totalement à la concurrence le secteur de l’électricité ? Au moment où les inquiétudes sur le réchauffement climatique ne font que se renforcer ! En réalité, vous agissez à l’inverse de ce qu’il faudrait faire pour lutter contre ce fléau dévastateur, qui menace l’avenir de l’humanité.

Alors que, pendant des décennies, gouvernements de gauche et gouvernements de droite s’étaient attachés à préserver EDF et GDF de l’appétit des financiers, vous livrez les entreprises publiques aux actionnaires, leur offrant ainsi de nouvelles sources de profits.

Comment, enfin, prétendre que la CRE serait indépendante alors que les « spécialistes » à la compétence si hautement proclamée qui la composent ont poussé certaines entreprises publiques à abandonner le tarif régulé pour choisir le marché ? Allons ! Cette « élite » est inféodée au marché (Protestations sur les bancs du groupe UMP) et son objectif est qu’on cède toujours plus aux règles de ce marché, dont nous ne voulons pas.

M. Patrick Roy – Je rappelle que le débat qui se clôt aujourd’hui après nous avoir occupés tout septembre a comme point de départ un mensonge d’État (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Qui ne se rappelle certain ministre influent promettant, il y a peu, la main sur le cœur, avec le talent oratoire qu’on lui connaît, que GDF ne serait jamais privatisé ? Les retournements de veste sont décidément bien rapides dans le Gouvernement ! (Exclamations et protestations sur les bancs du groupe UMP) Je conçois que ce rappel ne vous fasse pas plaisir… C’est qu’après ce premier mensonge, vous voudriez maintenant nous faire croire à une nouvelle promesse, fondée sur un argument que je comprends d’ailleurs mal. La minorité de blocage suffit, affirmez-vous ; mais ne faudrait-il pas, plus sûrement, la majorité, celle qu’a l’État aujourd’hui ? À votre deuxième promesse, nous ne croyons pas !

M. Patrick Ollier, président de la commissionOn voit que vous n’êtes pas juriste.

M. François Brottes - Pas juriste, peut-être, mais lucide !

M. Patrick Roy – Il a été acquis, en 1946, que l’énergie était l’un des secteurs qui devaient échapper à l’emprise du marché ; c’est un des postulats sur lesquels s’est fondée la France républicaine de l’après-guerre. Aujourd’hui, vous décidez de brader ce patrimoine et de substituer au service public le service du profit. Le choix de l’UMP, c’est le profit de quelques-uns. (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Vous êtes responsables d’une régression, et il est atterrant de constater le décalage entre votre texte et les inquiétudes qui s’expriment, à juste titre, dans le pays. La privatisation de GDF est dangereuse, à trois titres. En premier lieu, comme l’a rappelé avec talent notre collègue Christian Bataille, que vous n’avez pas écouté assez attentivement, le contexte est celui de la pénurie d’énergie. Le risque est bien que le robinet se ferme et dans ce cas, des pannes bien plus longues que celles qui vient de se produire seraient à craindre. Vient ensuite la question des prix. M. Serge Poignant peut dire avoir à cœur la défense du consommateur…

M. Serge Poignant - Bien sûr !

M. Patrick Roy - …on sait que les prix vont s’envoler, comme dans tous les pays où l’on a privatisé les réseaux d’énergie, puisqu’il faut rémunérer l’actionnaire…

M. Patrick Ollier, président de la commissionC’est faux.

M. Patrick Roy - …mais les Français sauront se souvenir que la majorité a encore réduit leur pouvoir d’achat. (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Enfin, l’expérience montre abondamment que privatisation et sécurité ne riment pas, et l’on a vu, hélas, ce qu’il advient quand on laisse le secteur privé gérer les réseaux de l’énergie.

En conclusion, votre texte est brouillon, dangereux, et purement idéologique (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). C’est pourquoi le groupe socialiste votera la question préalable, que mon collègue Christian Bataille est d’ailleurs prêt à répéter pour emporter votre conviction (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Un député du groupe UMP – Surtout pas !

La question préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.

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MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le Président - La conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur le texte de la CMP auront lieu cet après-midi, après les questions au Gouvernement.

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Énergie -CMP- (suite)

M. le Président – Nous en venons à la discussion générale.

M. David Habib – Le ministre de l’économie, parce qu’il est sur la défensive (Protestations sur les bancs du groupe UMP), s’est senti obligé d’énoncer les « garanties » que le texte, selon lui, offrirait. Cet aveu dit les difficultés d’un Gouvernement à cent lieues de l’opinion, et étranger, aussi, aux fortes préoccupations des chefs d’entreprise (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Car votre projet inquiète tout le monde : les citoyens, les salariés de GDF et ceux d’EDF mais aussi tous les entrepreneurs. Tous savent que c’est un mauvais coup porté au service public, mais aussi à la vitalité économique de notre pays et, quelles que soient vos précautions oratoires, vous n’apportez aucune garantie réelle. Quant au Sénat, fidèle à son idéologie libérale (Mêmes mouvements), il s’est employé à fragiliser davantage encore votre édifice, en excluant de la CRE les parlementaires, qui auraient pourtant dû y porter la parole des citoyens, attachés à la régulation du secteur de l’énergie, et dire l’intérêt général.

Au regard des enjeux énergétiques du moment et de la nécessaire indépendance énergétique de la France, vous avez bien du mal à justifier votre décision, et tous les observateurs étrangers s’étonnent d’ailleurs de cette perte consentie de souveraineté nationale. Ce texte est inopportun si l’on considère la question des prix, alors que, nous l’avons rappelé, le renchérissement du prix de l’énergie aura contraint chaque famille à dépenser 200 euros supplémentaires en 2006. Inopportun, il l’est aussi car il met en péril la sécurité – le gaz, ressource vitale, est aussi une ressource dangereuse. Inopportun, il l’est encore car il méconnaît les besoins de la recherche .Inopportun, il l’est toujours parce qu’il a été élaboré en l’absence de concertation avec les salariés de GDF. Inopportun, il l’est d’autant plus que la position exacte de l‘Union européenne n’est pas connue à ce jour.

Inopportun, il l’est enfin parce que vous n’avez donné à la représentation nationale aucune garantie sérieuse sur la maîtrise d’éventuelles OPA hostiles sur le nouveau groupe. Nous ne sommes pas les seuls à nous en inquiéter, et les orateurs de la majorité ont indiqué à de multiples reprises que la « golden share » n’était pas de nature à les rassurer. Président de la communauté de communes de Lacq, maire d’une ville qui compte un site de Total parmi ses entreprises, et qui a été développée par Elf et ses prédécesseurs, je sais à quoi m’en tenir ! La golden share est un argument politique, mais il n’a rien de juridique. Demandez donc à M. Bayrou ce qu’il en pense ! Ministre, à l’époque, il y croyait ! « J’ai des assurances », nous disait-il lorsqu’il revenait, le week-end, en Béarn, « Elf ne sera jamais privatisé, M. Balladur me l’a dit, et j’ai obtenu la golden share ». On sait ce qu’il en est advenu… Où en sommes-nous aujourd’hui ? M. Bayrou, échaudé, a même convaincu M. Dionis du Séjour, qui n’est pourtant pas le moins libéral de son groupe, et il nous rejoint lorsque nous dénonçons la fragilité de votre dispositif. Vos assurances ne tiennent pas…

M. Patrick Ollier, président de la commissionBien sûr que si !

M. David Habib - …et nous regretterons tous d’avoir ainsi fragilisé un outil industriel qui concourt à la sécurité et à la vitalité économique de notre pays. Nous l’avons fait, de surcroît, sans aucune protection juridique.

Ce texte est également inopportun eu égard aux conditions financières de l’opération. La presse et les experts évoquent les exigences de l’actionnariat de Suez. Nous observerons quant à nous attentivement ce qu’il en adviendra et nous n’accepterons pas la spoliation d’un bien public. Ce débat a montré que la majorité a basculé vers l’ultralibéralisme en faisant fi de ses héritages gaulliste et démocrate-chrétien. Elle détruit une architecture industrielle et énergétique conçue à la Libération et que tous les gouvernements avaient jusqu’ici pérennisée !

M. Patrick Ollier, président de la commissionQuid de Charbonnages de France ?

M. David Habib – Vous aviez affirmé de plus que jamais l’État, au cours de cette législature, ne privatiserait EDF et GDF. M. Roy a rappelé l’engagement de M. Sarkozy, mais c’était également celui du Président de la République et du Premier ministre.

Ce texte a aussi montré qu’ENEL n’était qu’un leurre et que la protection des consommateurs individuels ou industriels n’est pas votre priorité. Enfin, il laisse de nombreuses questions sans réponse : quid de l’avenir des concessions de distribution de gaz naturel, de l’« opéabilité » du nouveau périmètre, de l’imputabilité, même partielle, à GDF, du coût de démantèlement des centrales nucléaires belges, de l’emploi, des stock-options ?

Vous allez priver l’État d’un instrument important, alors que l’Union européenne a enfin considéré qu’une politique énergétique ne pouvait se résumer à des mesures dites de libéralisation des marchés. Vous allez avancer devant la Commission les mains liées derrière le dos. Le Monde d’hier rappelait que la première exigence européenne était la construction d’une politique énergétique non pas fondée sur la démission libérale, Monsieur Poignant, mais sur une politique volontariste qui privilégierait l’intérêt général sur l’intérêt particulier ainsi que le moyen terme et le long terme. Demain, c’est à nous qu’incombera le devoir de reprendre ce texte pour que la politique énergétique demeure un outil de la nation !

En 1951, les réserves de gaz de Lacq s’élevaient à 200 milliards de mètres cubes ; aujourd’hui, il en reste 15 milliards. Cette situation impose une mutation que les collectivités locales opèrent en ayant malheureusement le sentiment que l’État n’est pas au rendez-vous. Je souhaite que nous puissions, dans un souci d’unité nationale, mobiliser davantage la puissance publique afin que la réussite de cette mutation soit complète ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Dionis du Séjour – C’est bizarre, une CMP ! Je débarque de mon Sud-Ouest profond, déchargé de toute responsabilité puisque ni l’UDF – ni le parti communiste, d’ailleurs – ne peuvent voter en commission mixte…

M. Patrick Ollier, président de la commissionParce qu’ils sont suppléants.

M. Jean Dionis du Séjour - ...et je constate qu’une CMP est beaucoup plus calme que le débat en séance publique. C’est un ODNI, un objet démocratique non identifié, qui ressemble un peu aux dernières négociations sur les options ou la carte grise après l’achat d’une voiture. Naïvement, je pensais qu’elle se saisissait de toutes les divergences entre l’Assemblée nationale et le Sénat ; or, elle tend surtout à combler les derniers écarts entre le cabinet du ministre et les deux rapporteurs. Ainsi, l’Assemblée nationale avait adopté un amendement permettant à tout consommateur qui en faisait la demande de recevoir une facturation fondée sur sa consommation réelle. Le Sénat étant revenu sur cet amendement, je pensais que nous pourrions nous prononcer à ce sujet. Non ! Rapporteurs et services du ministère en ont décidé autrement.

M. le Rapporteur – Il y a eu vote !

M. Patrick Ollier, président de la commissionAbsolument.

M. Jean Dionis du Séjour – Non. Le jour viendra où le Parlement se réveillera et secoura la tutelle sous laquelle la Ve République l’a placé ! Alors, il faudra s’occuper sérieusement des CMP et en faire un véritable outil démocratique ! En attendant ce jour béni, Monsieur Ollier, je vous propose que la commission des affaires économiques puisse se réunir après les travaux du Sénat, en tout cas pour les textes particulièrement importants.

M. Patrick Ollier, président de la commissionIl faut faire confiance aux rapporteurs.

M. Jean Dionis du Séjour – Une réunion de la commission aurait en l’occurrence contribué à éclairer leurs travaux.

La CMP a traité de deux problèmes importants. Le premier est celui du rôle du régulateur. L’UDF considère que la concurrence ne peut s’exercer correctement sans un régulateur fort. Or, la France, vieux pays jacobin, n’aime pas les régulateurs : et on rajoute les parlementaires, et on rajoute les consommateurs, et on charge la CRE des problèmes de médiation ! Quel festival anti-européen ! Le Sénat, vieux bastion girondin, lui, a remis à peu près les choses en place. S’en est suivie une négociation difficile qui accouche aujourd’hui d’une usine à gaz même si, Monsieur le ministre, on a en effet évité le pire : exeunt les parlementaires et la médiation avec les consommateurs ! L’UDF salue ces deux corrections, mais tout de même : une CRE pour surveiller les marchés avec un comité des règlements des différends et des sanctions ! Bonjour les litiges !

M. Patrick Ollier, président de la commissionLe comité fait partie de la CRE.

M. Jean Dionis du Séjour – C’est un peu complexe. La CRE est en outre soupçonnée d’être anti-tarif, peut-être d’ailleurs à raison.

M. François Brottes – Un moment de lucidité !

M. Jean Dionis du Séjour – Mais l’État, plutôt de dire clairement que la CRE n’a rien à dire s’agissant des tarifs, lui met deux consommateurs dans les pattes ! Quelle confusion ! Malgré la « consanguinité » entre les opérateurs historiques et l’État, la légitimité de la CRE est européenne avant d’être nationale. Arrêtons d’en faire un bouc émissaire ! Quoi qu’il en soit, respectons en l’état les instances de régulation nationale dont nous disposons !

Le deuxième problème est celui du tarif de retour. C’est peu dire, sur ce point, que j’ai mal vécu la CMP ! Le débat sur l’appropriation de la rente nucléaire est honorable. Nous étions tous d’accord pour dire qu’EDF doit investir dans le renouvellement de ses capacités de production et de son réseau de transport et que nous devions trouver des solutions aux problèmes des entreprises qui ont subi des hausses de tarif supérieures à 60 %.

Quelle n’a donc pas été ma déception d’entendre une personnalité aussi respectable que Pierre Méhaignerie dire qu’il ne croyait plus aux chiffres de Bercy et d’EDF ! Je dénonce la confusion entretenue sur les chiffres qui nous auraient permis d’arriver au bon compromis. Quid du prix de revient du mégawatheure nucléaire : 20,30, 40 euros ? Ce chiffre clé, nous ne l’avons pas eu. La CMP s’est donc résignée à un compromis – plus 25 % par rapport au tarif intégré. La commission des finances avait proposé 20 % : l’UDF regrette que la CMP ne l’ait pas suivie.

L’essentiel reste cependant l’article 10, dont nous n’avons pas parlé en CMP.

M. François Brottes - Nous en avons parlé : nous avons proposé un amendement !

M. Jean Dionis du Séjour - Vous connaissez l’opposition de notre groupe à cet article. Nous maintiendrons donc notre vote contre le texte.

M. Daniel Paul – La panne d’électricité de samedi soir retentit comme une alerte face à la fuite en avant que constitue votre texte. Cette coupure d’électricité a touché 10 millions d’usagers. Selon les techniciens du secteur, elle aurait pu se transformer en black-out total et s’inscrit dans la lignée des incidents notables qui ont marqué les dernières années en Italie ou en Grande-Bretagne, dans le sillon de la libéralisation – c’est-à-dire de la déréglementation – du secteur.

M. Hervé Novelli - Fantasme ! Paranoïa !

M. Daniel Paul – C’est une preuve de plus que la décision de soustraire le secteur énergétique à la puissance et au contrôle publics ne répond pas aux enjeux actuels. Vous prétendrez bien sûr qu’il n’y a pas de lien entre la déréglementation et « l’incident » de samedi. Mais comment croire à la fatalité quand la presse allemande parle de « défaillance du réseau de lignes à haute tension » et que la fédération allemande des consommateurs d’énergie dénonce « l’état déplorable du réseau » ?

En tout état de cause, cette panne s’inscrit dans un contexte marqué par des évolutions profondes du secteur énergétique qui touchent aussi notre pays. EDF a longtemps assuré une surcapacité de production afin de faire face aux imprévus climatiques et d’assurer l’approvisionnement continu de l‘ensemble du territoire. Elle pratique aujourd’hui une gestion à flux tendus des capacités de production, alors même que pour le Conseil d’État, la continuité d’approvisionnement est inhérente au service public. L’objectif constant est désormais la recherche d’une baisse des coûts de production : dans le système concurrentiel que vous imposez à marche forcée, la production de surcapacités électriques serait une hérésie économique. Les pointes de consommation deviennent donc ingérables, et des ruptures d’approvisionnement sont prévisibles dans certaines régions françaises.

La question que pose l’incident de samedi soir est donc la suivante : le marché est-il apte à organiser un secteur aussi vital et complexe que celui de l’énergie ? La course à la rentabilité permet-elle de relever les défis de la gestion sur le long terme des capacités de production, de la sécurité sur les réseaux et des investissements en recherche et en maintenance ? Nous renouvelons donc notre demande de soumettre à un examen critique sérieux les mécanismes qui se mettent en place dans le cadre concurrentiel et privatisé organisé par les institutions communautaires. Comment pourriez-vous maintenir votre refus de dresser ce bilan ? Il risque certes de ne pas être flatteur, mais il éclairerait nos concitoyens. Il doit donc être réalisé avant l’ouverture de l’électricité à la concurrence au 1er juillet 2007.

Les hausses de prix vertigineuses constatées sur le marché de l'électricité et du gaz par les entreprises qui ont fait l’erreur de croire que le marché était synonyme de baisse des prix et la multiplication des dysfonctionnements depuis que les opérateurs entrent dans la course aux parts de marché en sont autant d'indices : la recherche de la rentabilité à court terme ne garantit pas un approvisionnement continu, à bas coût et sécurisé sur le long terme.

Tout n'aura pas été perdu pour tout le monde samedi soir : les vendeurs d'électricité sur le marché spot s’en sont sans doute donné à cœur joie, et j’attends avec intérêt de connaître les profits qu’ont engrangés un certain nombre d’opérateurs non producteurs. Certains auront payé, d’autres auront encaissé !

Votre texte, qui sacralise l'ouverture des marchés en l'étendant à l'ensemble des particuliers à partir du 1er juillet 2007, promet un bel avenir à ces marchands d'énergie lors des pics de consommation et autres défaillances du système de production. Et les tarifications spéciales ne changent rien au fond de l'affaire : quelle gestion souhaitons-nous pour ce bien commun de l'humanité qu'est l'énergie ?

Si une politique européenne est bien à l'ordre de jour, elle ne se fondera pas sur la casse des opérateurs publics au profit des actionnaires privés, au prétexte fallacieux de constituer des géants, mais sur une coopération entre les entreprises et sur une maîtrise publique visant la satisfaction des besoins des usagers. Je dis bien « fallacieux », tant la fusion de GDF avec SUEZ apparaît comme un projet de casse d'un opérateur public performant au profit des seuls actionnaires de Suez. À l’heure où des investissements colossaux sont nécessaires, et alors que GDF dispose des réserves permettant d’y faire face, comment admettre que le souci des actionnaires de Suez soit de s'approprier cette cagnotte ? Allez-vous laisser faire ? Le dernier mot doit rester au Parlement, non aux actionnaires de Suez !

Une agence européenne de coopération énergétique permettrait par ailleurs de mutualiser les résultats de recherche, les bonnes pratiques écologiques et les interrogations sur les besoins de production, tout en développant les coopérations frontalières et les interconnexions. La création d'autoroutes de l'énergie n’assurera pas à elle seule une sécurité d'approvisionnement qui passe par l’affirmation du principe d'autosuffisance de chaque pays et par les interconnexions. Dans le secteur gazier, seuls des contrats de long terme, fondés sur des relations entre États – et non sur des tractations entre actionnaires – permettront de satisfaire à ces exigences.

En livrant le secteur au marché et en privatisant GDF – avant EDF –, on organise la raréfaction des ressources pour mieux servir les actionnaires. L'exemple californien fournit une triste illustration de ce scénario. En Europe, déjà, le marché spot vient de plus en plus compléter, de façon hasardeuse, les capacités de production.

Seule une maîtrise publique de l'énergie permet de réguler le secteur, en anticipant sur le long terme les besoins de consommation et les capacités de production ou d'achat de matières premières. Nous plaidons donc pour un contrôle public exercé par l'État, les entreprises et les représentants d'élus, de syndicats et de consommateurs. Nous demandons un contrôle des investissements pour surveiller et entretenir les réseaux. Seul ce processus démocratique pourra imposer une gestion différente de celle qui caractérise le marché actuel.

En poursuivant dans la voie de l'ouverture à la concurrence, vous persistez à vouloir faire du secteur énergétique un secteur commercial, où traders et boursicoteurs se réjouiront des pics de consommation et des flambées des prix – quand ils ne les organiseront pas. Vous enlisez ainsi notre pays dans une logique dangereuse, faisant des commerçants, des artisans, des petites entreprises et des particuliers les nouvelles proies des marchands d'énergie.

Soumis aux dogmes libéraux, vous balayez d'un revers de main la fusion de GDF et d'EDF, et vous refusez d'imaginer les coopérations possibles. Vous fragilisez des millions de personnes aux bas revenus, pour qui l'énergie risque de devenir un bien de luxe.

À l’heure où l'évolution du climat devient une préoccupation internationale, vous sortez l'énergie de la maîtrise publique au profit des intérêts financiers : ce n'est pas la voie de l'intérêt général. Nous tenons à réaffirmer ces évidences. Ce n'est pas la fin de l'histoire qui s’écrit aujourd’hui : nous ferons tout pour bâtir une politique française et européenne adaptée aux enjeux de notre temps.

M. Serge Poignant - Après un long débat commencé le 7 septembre, nous nous prononcions le 3 octobre sur le projet de loi qui nous revient aujourd'hui après examen au Sénat et accord majoritaire trouvé en CMP. Comme l'Assemblée nationale, le Sénat a estimé qu’il aurait été irresponsable de ne pas légiférer alors que l'ouverture complète des marchés européens de l'énergie aura lieu le 1er juillet prochain et que les prix ont d’ores et déjà fortement augmenté. La majorité des sénateurs a partagé notre souhait que tous les consommateurs professionnels et domestiques qui le souhaitent puissent continuer de bénéficier du tarif réglementé. Le groupe UMP de notre assemblée avait largement défendu, pour ne pas dire exigé, l'instauration d’un tarif de retour, conformément au souhait des présidents des deux commissions des affaires économiques et des finances, du rapporteur et du rapporteur pour avis. Nous souhaitions que les PME-PMI ayant quitté le tarif et subi une forte augmentation de leurs coûts énergétiques puissent revenir à un « tarif transitoire d'ajustement du marché » compatible avec la réglementation européenne. Notre amendement, accepté par le Gouvernement et adopté par l’Assemblée, a été encore amélioré par le Sénat dans un sens favorable aux PME-PMI – ce dont nous nous félicitons. Il prévoyait que ce tarif transitoire d'ajustement du marché, fixé par arrêté du ministre chargé de l’énergie, ne pouvait pas être inférieur au tarif réglementé de vente hors taxes applicable à un site de consommation présentant les mêmes caractéristiques, ni lui être supérieur de plus de 30 %. Le Sénat a ramené le plafond à 25 %. Certains de nos collègues de l’UMP auraient souhaité un plafond plus bas encore pour protéger davantage le développement des PME. La CMP a, dans sa majorité, estimé que le plafond de 25 % était un bon point d'équilibre entre le souci de la santé des PME et les besoins financiers de l’opérateur pour investir, avis que je partage personnellement.

Pour ce qui est de la composition de la CRE, les deux rapporteurs et les deux présidents des commissions des affaires économiques de l’Assemblée et du Sénat sont parvenus à un compromis, alors que les positions initiales des deux assemblées divergeaient. Des parlementaires ne siégeront pas à la CRE, comme nous l’avions souhaité, mais le président de la CRE sera auditionné par les commissions et ne sera nommé par le Gouvernement qu’après avis de celles-ci, ce qui répond à l'objectif de contrôle parlementaire que nous nous étions fixé.

Le texte issu de la CMP, même si certains articles ont été réécrits, le plus souvent pour les préciser, et si quelques articles additionnels ont été introduits, ne s’éloigne pas du texte voté par l’Assemblée le 3 octobre dernier et le complète même utilement. Tarif social du gaz, statut des IEG, protection du consommateur, dispositions relatives aux DNN, toutes nos préoccupations s’y retrouvent. L'article 10 n'a pas été modifié, si ce n'est pour préciser que « l'action spécifique du capital de GDF a pour objet de préserver les intérêts essentiels de la France », ce avec quoi nous ne pouvons qu’être d'accord.

Nous arrivons au terme du processus parlementaire qui permettra à GDF de nouer les alliances nécessaires et de ne pas demeurer immobile dans le contexte actuel sans précédent de concentrations. Je rappelle à nos collègues de l’opposition que, pour nous, le service public n’exige pas d’être assuré par une entreprise publique – le service public de l’électricité présentant toutefois à nos yeux une spécificité, vu la part du nucléaire dans notre pays. Convaincus de leur efficacité, nous étions très attachés à l’existence d’une minorité de blocage et d’une action spécifique, lesquelles sont toutes deux prévues. Je ne reviens pas sur les solutions alternatives étudiées depuis le mois de juin et qui n’ont pas été retenues.

Je considère, pour ma part, que le projet de fusion Gaz de France-Suez est un bon projet industriel. Il avance, et je vous remercie, Monsieur le ministre de l’économie, de vous être engagé à revenir rapidement devant le Parlement. Dans leur grande majorité, les députés de l’UMP, hormis les quelques voix divergentes qui se sont librement exprimées tout au long du débat, voteront le texte issu de la CMP. Ils le voteront, convaincus qu’il préserve les intérêts des consommateurs, domestiques et industriels, dans la transposition des directives communautaires et qu’il prépare l’avenir de Gaz de France, tout en garantissant des leviers d’action efficaces pour l’État. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Yves Simon – Après la réunion de la CMP qui a eu lieu hier au Sénat, je tiens à saluer le travail remarquable et consensuel des présidents de commission et des rapporteurs des deux assemblées. Ils ont proposé un texte qui comporte des avancées tout en tenant compte des réalités économiques.

Si nos concitoyens ne se sont guère passionnés pour ce débat depuis septembre dernier et ne retiendront sans doute que l’image des piles d’amendements déposés à l’Assemblée, notre pays, lui, s’est toujours préoccupé de ses approvisionnements énergétiques. Après la période nécessaire d’organisation en 1946, les gouvernements des années soixante et soixante-dix ont eu le mérite de mener une politique volontariste dans le domaine nucléaire, dont notre pays recueille aujourd’hui les fruits. En revanche, la fin des années quatre-vingt-dix a été marquée par l’absence d’une grande politique énergétique, d’où les retards aujourd’hui constatés. Il serait d’ailleurs intéressant de connaître sur le sujet les programmes de certains candidats aux plus hautes fonctions de l’État. Durant nos débats, les représentants de la gauche n’ont cessé de vanter les mérites du nucléaire. Les journalistes qui interrogent les trois candidats socialistes à l’investiture pour la présidentielle sont-ils autorisés à les questionner sur le sujet ?

L’Europe a subi samedi dernier une panne d’électricité consécutive aux intempéries dans le nord de l’Allemagne. Alors que certains dénoncent la faiblesse des interconnexions du réseau européen, sans être nullement spécialiste, j’ai, pour ma part, été surpris de la façon dont cette panne a été rapidement réparée. Bravo à EDF et ses agents ! Nul doute que cet incident contribuera à renforcer encore le réseau européen. Il est clair que les capacités de production européennes sont à peine suffisantes. Si l’actuelle majorité gouvernementale française a choisi de développer ITER, nos amis allemands font les frais du poids du lobby vert dans leur pays.

S’agissant du gaz, il serait illusoire de penser pouvoir défendre nos entreprises et nos consommateurs dans un strict cadre national. Gazprom, à défaut, face à lui, d’interlocuteur de son poids, pourrait décider seul d’arrêter d’approvisionner tel ou tel pays, comme d’anciennes républiques soviétiques devenues indépendantes en ont récemment fait la cruelle expérience.

Le texte issu de la CMP est équilibré. Il faut veiller à la fois aux garanties pour les consommateurs, particuliers et industriels, et à l’incidence des mesures prises sur les opérateurs. Une saine concurrence est nécessaire entre les opérateurs, mais les meilleures garanties pour les consommateurs résident dans les capacités d’investissement des opérateurs et la pertinence de ces investissements.

Je conclurai en saluant le courage de la majorité et du Gouvernement. La décision européenne d’ouverture des marchés au 1er juillet 2007 a été prise en 2002, sous le gouvernement de Lionel Jospin. Aurait-il fallu ne rien faire jusque là, laissant le soin aux nouveaux élus de juin 2007 de légiférer sur le sujet en une dizaine de jours ? En permettant un large débat sur plusieurs mois, ce gouvernement a fait vivre notre démocratie participative et je l’en remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances – Je souhaiterais rappeler ici la position de la commission des finances. Lors de l’audition de président d’EDF, M. Gadonneix, celle-ci avait, à l’unanimité, exprimé son inquiétude et sa désapprobation quant aux prix imposés par EDF aux entreprises ayant quitté le tarif, ces prix dépassant parfois ceux d’E.ON, avec pour première conséquence l’érosion des marges de PME-PMI concernées. Que reste-t-il de l’avantage compétitif que l’effort de la collectivité tout entière en faveur du nucléaire a permis ?

La commission, à l’unanimité, a exprimé le souhait que l’on trouve, en matière de niveau de prix, un compromis. Celui-ci doit être à la fois suffisant pour permettre à EDF de réaliser les investissements nécessaires, dont on sait l’ampleur, et raisonnable pour les PME-PMI afin de ne pas nuire à leur compétitivité. La commission avait alors proposé que les prix de marché ne puissent pas être supérieurs de 20 % aux tarifs transport inclus, ou de 25 % transport non inclus. Le prix du mégawatheure aurait ainsi pu être ramené de 64 à 61 euros, alors qu’une proposition initiale avait été de 57 euros.

Nous avons exprimé hier en CMP, Hervé Novelli et moi-même, notre déception que cet équilibre n’ait pu être trouvé. J’ai bien entendu, Monsieur le ministre, que pour vous 25 % était un plafond impossible à abaisser. Mais vu la situation très difficile de certains secteurs industriels, notamment celui des équipementiers automobiles, qui devant un chiffre d’affaires en diminution de 15% et des prix de vente qui baissent de 3 % à 5 % par an, sont très fortement tentés de délocaliser leur production, je propose que la commission des finances auditionne en janvier prochain François Loos en même temps que M. Gadonneix, afin de mesurer les conséquences concrètes du choix qui a été fait. Cela ne concerne d’ailleurs pas seulement les PME-PMI mais aussi toutes les industries électro-intensives, dont hier encore, le président de l’Agence des investissements internationaux soulignait les risques de délocalisation. Regrettant, pour ma part, que l’on n’ait pas trouvé une solution plus compatible avec les exigences à la fois de notre tissu industriel et d’EDF, j’attends beaucoup de l’audition conjointe de MM. Loos et Gadonneix. La rente nucléaire de notre pays doit profiter à nos entreprises, pour assurer leur compétitivité dans une période difficile (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). J’ajoute enfin qu’il faut prendre garde à la complexité de la CRE. L’unité de responsabilité est essentielle. Nous serons très vigilants à cet égard et donnons rendez-vous au ministre courant janvier. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Patrick Ollier, président de la commissionAvec Jean-Claude Lenoir, nous avons voulu, en CMP, protéger au mieux les entreprises touchées par ces augmentations de prix inacceptables. Nous avons pensé qu’une majoration du tarif de 30 % permettrait de compenser les surcoûts que certaines entreprises subissent, tout en demandant que ce soit un plafond. Le ministre a accepté de nous suivre, et cet accord des deux commissions a été confirmé au Sénat, au niveau de 25 %. Le ministre aura le pouvoir de fixer des tarifs inférieurs à ce plafond. Il s’agit d’une solution équilibrée, soucieuse des entreprises les plus menacées et respectueuse en même temps des comptes d’EDF, que nous voulons voir reconstituer ses marges de manœuvre pour investir. Il reviendra au ministre de dire dans quelles conditions il entend fixer ces tarifs. En tout cas, je me réjouis de l’accord intervenu hier au Sénat. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre – Nous avons été attentifs aux demandes légitimes de la commission des finances. Il fallait, d’un côté, tenir compte de la nécessaire capacité d’investissement d’EDF – et nous avons pu voir ce week-end à quel point il est indispensable que celle-ci continue d’investir – et, de l’autre, remédier aux distorsions de tarif devenues dans certains cas insoutenables, sur lesquelles le président Méhaignerie a appelé notre attention. Nous avons donc travaillé ensemble, et 25 % a été considéré comme un compromis acceptable. Il s’agit d’un plafond ; comme je l’ai dit tout à l’heure, je m’engage à ce que les tarifs soient fixés en tenant compte des spécificités. Pour les secteurs qui souffrent le plus, les tarifs seront clairement établis en dessous de 25 %. Je ne peux en outre qu’accueillir favorablement l’initiative de la commission des finances désireuse de recevoir M. Loos et M. Gadonneix au mois de janvier.

La décision de la CMP est sage, car elle permet de différencier les secteurs, et garantit la capacité d’investissement d’EDF tout en soutenant les secteurs en difficulté (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Ministre délégué – Monsieur Habib, vous êtes l’élu d’un territoire qui était un grand producteur de gaz et a qui vu ces activités disparaître. Nous ne produisons aujourd’hui pratiquement plus de gaz ; notre problème est donc d’en acheter dans les meilleures conditions et avec toutes les garanties. Il est nécessaire pour cela que notre entreprise ait la taille adéquate, et c’est pourquoi nous lui donnons la possibilité de s’agrandir, tout en veillant à conserver des instruments de politique énergétique. Contrairement à la golden share d’Elf-Aquitaine, qui était générale, l’action spécifique que nous introduisons donne un pouvoir très précis à l’État, celui de décider des investissements en matière de terminaux méthaniers, de réseaux de transport de gaz, et de stockage souterrain. Ceci est compatible avec les directives européennes, selon lesquelles l’État peut garder le contrôle des activités qu’il estime être vitales. La sécurité juridique du dispositif est bien supérieure à ce qu’elle était dans le cas d’Elf-Aquitaine.

Le Gouvernement n’est pas inactif dans le bassin de Lacq. Il a pris la décision tout récemment de permettre la production locale d’éthanol, ce qui devrait créer 200 emplois. Il soutient également le projet de centrale combinée à gaz de la SNET-Endesa. Une extension du stockage souterrain est d’autre part envisagée, et Soficar se développe dans la fibre de carbone.

M. Dionis du Séjour a longuement parlé du fonctionnement de la CMP, sur lequel il a émis quelques critiques. Libre à lui de les formuler à la tribune. La CMP est un rouage traditionnel du fonctionnement parlementaire. Il a également insisté sur l’importance du régulateur. Nous souhaitons, comme lui, que celui-ci prenne toute sa place dans le domaine de l’électricité et du gaz. Je n’étais pas favorable à l’introduction des consommateurs dans la CRE. C’est la solution qui a été retenue…

M. Hervé Novelli - Hélas !

M. le Ministre délégué – Nous verrons comment cela fonctionnera. En tout état de cause, je crois pouvoir dire que l’équilibre trouvé permettra à la CRE de fonctionner sereinement. Il est également opportun d’établir un comité des différends, au moment où la liberté de choix du consommateur peut exposer celui-ci aux pratiques de certains opérateurs qui oublieraient leurs obligations de service public.

Je partage avec M. Daniel Paul le souci du long terme, et c’est la raison pour laquelle nous demandons à EDF de poursuivre ses investissements.

Je remercie M. Poignant pour sa participation et sa hauteur de vue. Il a rappelé qu’en transposant les directives européennes, nous nous engagions en même temps pour le service public. C’est ce qu’on peut appeler une « transposition à la française ».

Enfin, M. Simon a mis le doigt sur les retards qu’ont certains dans le domaine de la politique énergétique. Je lui sais gré d’avoir salué le courage de la majorité : il est vrai que nous avons mené une dure bataille – et que nous avons encore des engagements à remplir dans les prochaines semaines – mais nous arrivons à son terme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures.
La séance est levée à 12 heures 15.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
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Préalablement,
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