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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

3ème séance du mardi 5 décembre 2006

Séance de 21 heures 30
36ème jour de séance, 80ème séance

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann
Vice-Président

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La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

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modernisation du dialogue social (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi de modernisation du dialogue social.

M. le Président – Nous en venons à la discussion générale.

M. Jean-Pierre Soisson – Ce texte met un terme à la crise issue du CPE. Mais c’est aussi un point de départ : nous allons bâtir le socle sur lequel s’engagera demain le débat sur la représentativité des syndicats, leur financement et la place qui leur revient dans notre société.

Faut-il « changer les pratiques », se demande notre collègue Bernard Perrut au début de son excellent rapport ? Il me semble que nous devons plutôt revenir à une certaine pratique des relations sociales, hélas oubliée par beaucoup, à gauche puis à droite. Lorsque j’étais ministre du travail, la loi de juillet 1990 sur le travail précaire s’est ainsi efforcée de reprendre l’accord national interprofessionnel signé en mars 1990 : « Tout l’accord, rien que l’accord », tel était mon engagement devant les partenaires sociaux. Leur accord avait au demeurant prévu une clause d’autodestruction si le Parlement venait à apporter des modifications substantielles au texte. Fors deux modifications ultérieures et mineures, l’ANI et la loi de 1990 continuent ainsi à régir le travail précaire, ce qui est une de mes fiertés.

Le vrai problème, comme l’ont souligné les rapports de Dominique-Jean Chertier et de Raphaël Haddas-Lebel, c’est le partage des compétences entre la loi et les partenaires sociaux. Il s’agit moins d’un point de droit, précise M. Chertier, que d’une question pratique de juxtaposition de plusieurs temps de délibération, celui des partenaires sociaux et celui du Parlement. S’exprimant devant le Conseil économique et social, le Président de la République a souhaité que nous franchissions une « nouvelle étape » en inscrivant dans la loi les modalités de ce partage. « Il ne sera plus possible », déclarait-il le 10 octobre dernier, « de modifier le code du travail sans que les partenaires sociaux aient été au moins mis en mesure de négocier sur le contenu de la réforme, et aucun projet de loi ne sera plus présenté au Parlement sans que les partenaires sociaux aient été consultés sur le fond. »

Comme j’ai eu l’occasion de l’écrire de mon côté, et je me réfère à mon expérience de ministre du travail : l’État doit tout faire pour élargir l’espace ouvert au dialogue social. S’il veut remplir avec efficacité son rôle de garant et préserver sa capacité d’impulsion – je le dis à M. Larcher, qui remplit ses fonctions avec une grande compétence –, le ministre du travail ne doit pas s’effacer. En effet, l’histoire des relations sociales en France est le fruit d’un tripartisme de fait, l’action des pouvoirs publics s’étant toujours conjuguée avec celle des organisations patronales et sociales. Et plus on s’éloigne des temps où l’essentiel était de faire bénéficier les salariés d’un statut minimum, plus leur interaction a joué et doit jouer dans le sens de la complémentarité. Aujourd’hui encore, l’initiative en matière sociale ne doit être l’apanage ni de l’État ni des partenaires sociaux, le tripartisme étant nécessaire à l’équilibre de notre système de relations sociales. Il reste que cet équilibre n’est jamais acquis : à des phases de fort engagement contractuel ont en effet succédé des périodes d’atonie.

Avec ses différents partenaires, le ministre du travail forme un réseau dont il est le seul point de passage obligé. Les négociations ne peuvent s’engager qu’avec vous, Monsieur le ministre ! Telle est la base du droit social français et la raison pour laquelle nous ne pouvons accepter les amendements de M. Vidalies, qui reprennent des propositions présentées hier au grand public par MM. Thibault et Chérèque. Seul le ministre du travail est responsable devant la nation des conditions dans lesquelles s’engage la négociation. Les différentes formations politiques seront sans doute amenées, au cours de la campagne à venir, à préciser leurs positions en matière sociale, mais elles devront bâtir leurs propositions autour du socle que nous allons établir avec ce texte. Le ministre du travail est en effet l’accoucheur indispensable du droit du travail !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales  Bien dit !

M. Jean-Pierre Soisson - Faut-il préciser ce qui relève de la loi et ce qui renvoie au contrat ? Je le pense, et c’est l’objet de notre réunion. Ce texte – certains l’ont regretté – survient, c’est vrai, en fin de législature et en fin de mandat présidentiel. Mais il n’est ni une conclusion ni une clause de rattrapage. Le groupe UMP le considère, au contraire, comme un point de départ.

S’agissant de la représentativité des syndicats, je crois, chers collègues du parti socialiste, que nous ne sommes finalement pas sur des positions si éloignées que cela. Oui, la représentativité doit sans doute être appréciée en fonction des résultats aux élections ; toutefois, d’autres critères liés à l’histoire de nos relations sociales devront aussi êtres maintenus. C’est un équilibre difficile à atteindre que nous aurons à définir.

Tel qu’il nous a été transmis aujourd’hui, le texte de MM. Thibaut et Chérèque demande que le projet de loi soit amendé pour modifier les règles de la représentativité syndicale et du financement des syndicats. D’accord sur le principe ! Mais ils ajoutent que la représentation syndicale doit être fondée sur des élections professionnelles généralisées à tous les salariés. Dans quelles conditions ? Ils nous laissent libres de les définir. Et ils vous demandent de réserver le champ de la négociation que demain le ministre du travail engagera avec eux. C’est sur la base, dit M. Chérèque, de représentativités mesurées que le principe de l’accord majoritaire devra être appliqué aux différents niveaux de la négociation collective.

Il reste que nous n’aurons pas le temps, dans le cadre du présent texte, en quelques jours, d’envisager une réforme de fond de la représentativité, sans en débattre au préalable de manière approfondie avec l’ensemble des partenaires sociaux. Voter de tels principes prend du temps, et il faut avoir préparé le terrain de longue date.

Ainsi, dans son texte, le secrétaire général de la CFDT parle de mesurer la représentativité de chaque organisation sur la base d’une compilation des résultats aux élections professionnelles. Une compilation, qu’entend-on exactement par là et sur quel résultat cela peut-il déboucher ? À nous de le préciser en ayant soin de ne pas engager sans discernement une réforme de cette ampleur. On ne peut faire l’économie d’une négociation préalable approfondie pour passer d’une représentativité réputée irréfragable – aux termes du décret de mars 1966, souvent contesté mais toujours appliqué – à la représentativité irréfutable que beaucoup appellent aujourd’hui de leurs vœux.

Et encore faut-il rappeler que l’avis du CES a été adopté à la majorité relative, FO, la GFTC et la CGC ne l’ayant pas formellement validé.

Nous sommes, j’y insiste, à un point de départ. Il nous revient de bâtir le socle qui fixera, dans le corps de la loi et non dans un simple exposé des motifs, les règles à suivre en matière de dialogue social. Cette démarche, j’en suis convaincu, rendra service à tout le monde. Les organisations syndicales attendent ce signe pour s’engager dans la réforme de la représentativité. N’oublions pas que les principales centrales sont réticentes, les cinq du décret de 1966 sachant que ce qui sera accordé à d’autres risque de les affaiblir.

Nous voterons ce texte sans aucune réserve, car il marque une étape absolument nécessaire pour approfondir et apaiser le dialogue social. Le droit du travail et la pratique des relations sociales sont en constante évolution. Ayons l’humilité de reconnaître que nous ne réglons pas tout, mais soyons collectivement fiers de franchir une étape qui sera portée au crédit de tous ceux qui l’auront rendue possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Francis Vercamer – « Les sociétés qui conjuguent démocratie politique et démocratie sociale sont les mieux armées pour l’avenir » : vieille de six ans, cette déclaration du président du Conseil économique et social, M. Dermagne, a gardé toute son actualité et il n’est que temps de moderniser le dialogue social dans notre pays.

L’UDF a toujours été très attachée à la démocratie sociale, car elle est convaincue que la confrontation n’est pas inéluctable et que les réformes ne sont acceptées que si elles sont largement partagées et considérées comme justes, sur la base d’un diagnostic posé en commun. Nous sommes en outre convaincus que la certitude d’un seul groupe, fût-il majoritaire, d’être dans le vrai et de servir l’intérêt général ne suffit plus pour convaincre la collectivité de la pertinence de ses projets.

Cette évolution des mentalités, nous nous devons de la prendre en compte, en acceptant un État ouvert, garant de l’ordre public social mais ne l’ayant pas constitué de façon isolée, hors toute contribution extérieure. Déjà, en 2000, le président du Conseil économique et social recommandait d’associer les partenaires sociaux à l’élaboration et à la mise en œuvre de la décision publique.

L’idée est simple mais exigeante : l’État doit négocier avant de décider, saisir au préalable les partenaires sociaux, concilier les intérêts parfois divers en vue de les faire converger. Tel est l’esprit de la déclaration faite par le Président de la République le 19 décembre 2001. Gageons que cette pensée a dû être méditée lors de la crise du CPE de l’hiver dernier ! Car il faut bien reconnaître qu’hors le peu contraignant exposé des motifs de la loi du 4 mai 2004, aucun texte, au cours de la législature, n’est venu préciser les conditions d’une bonne articulation entre les rôles respectifs de l’État et des partenaires sociaux.

Au moment du vote de la loi de 2004, l’UDF avait déjà regretté que les dispositions relatives à l’obligation de négocier n’aient pas une portée normative plus forte, car les partenaires sociaux auraient été sensibles à une telle marque de confiance, à la reconnaissance qu’elle eût marqué de leur capacité à produire du droit. Las, l’occasion n’a pas été saisie et le pays n’a pas échappé à l’épisode bien fâcheux du CPE. De là à dire qu’il faut voir dans le présent texte un geste de contrition…

Revitaliser le dialogue social est, pour une démocratie avancée, un préalable fondateur. Et ce n’est certainement pas un hasard si les pays les plus avancés dans cette voie – la Scandinavie, les Pays-Bas… – sont aussi les plus ouverts à la réforme. Il est temps, pour la France, de substituer à l’image d’une démocratie sociale d’affrontement et de confrontation permanente un dialogue social apaisé et constructif. L’esprit de responsabilité doit prévaloir pour que, dans le respect des valeurs fondatrices de chacun, nous dégagions collectivement des solutions acceptables pour tous. La France, dit-on, n’a pas cette culture de la responsabilité sociale : l’UDF fait le pari contraire.

Dès lors, vous comprendrez que ce texte inachevé nous inspire un sentiment quelque peu mitigé, ainsi que plusieurs interrogations.

D’abord, une loi ordinaire est-elle suffisante pour garantir de tels principes ? Ce qu’une loi fait, une autre peut le défaire. Ne serait-il pas préférable d’inscrire dans la Constitution que la négociation est un préalable inviolable dans le processus de fonctionnement des pouvoirs publics ?

Ensuite, la notion d’urgence ne manque pas d’inquiéter sur le risque – toujours possible – de passage en force. Selon quels critères apprécier l’urgence ? Dans quelles circonstances est-elle vraiment justifiée ? Peut-on valablement considérer que les violences urbaines de l’automne 2005 justifiaient que le Gouvernement présente le CPE, quelques semaines après et sans concertation préalable ? On le voit, le risque d’une appréciation quelque peu arbitraire des pouvoirs publics n’est pas écarté. Nous demandons, pour le moins, que la notion d’urgence soit aménagée, ne serait-ce que pour respecter l’esprit de concertation qui doit animer ce texte.

D’autant que les textes d’origine parlementaire sont passés sous silence. Même rares, ils existent et ne sont pas à négliger, ne serait-ce que lorsqu’ils permettent au Gouvernement de se sortir d’une mauvaise passe où il s’est lui-même embourbé, comme pour le CPE. Recourir à de telles acrobaties pour réformer le droit du travail en court-circuitant la négociation est du plus mauvais effet : c’est faire bien peu de cas du rôle du Parlement ! De même, la réintroduction par le Sénat, dans le projet de loi sur l’actionnariat salarié, de dispositions relatives à l’indemnisation des conseillers prud’homaux, contestées par les partenaires sociaux et supprimées par l'Assemblée nationale, est le modèle de ce qu’il ne faut pas faire. En outre, précisons que c’est l’ensemble du Gouvernement, et non le seul ministre du travail, qui doit se soumettre à l’obligation de négociation. En effet, il arrive souvent que des dispositions relatives au droit du travail soient introduites, par des amendements du Gouvernement, dans des projets de loi apparemment bien éloignés de ce domaine : il faudra rompre avec cette habitude.

À l’heure où de nombreuses voix réclament la revalorisation du rôle du Parlement, il faut lui confier une véritable initiative, parallèle à celle du Gouvernement. Or, votre texte n’en dit rien. Chacun aura également remarqué le flou dans lequel vous maintenez les délais de saisine et de consultation des partenaires sociaux. Pourtant, si nous voulons que nos concitoyens retrouvent confiance en la démocratie sociale, leur respect est essentiel, tant par le Gouvernement que par les organisations professionnelles.

M. Maxime Gremetz – Et le Medef ?

M. le président de la commission – Oui, on sent poindre le chef d’entreprise…

M. Francis Vercamer – En outre, pourquoi ne pas simplifier les instances de négociation, comme le recommande le rapport Chertier ? Je regrette que vous n’ayez pas donné suite au projet de création du conseil du dialogue social, car la lisibilité est essentielle au bon fonctionnement de la négociation.

Plus grave encore : le projet de loi n’entreprend pas la rénovation nécessaire des règles de représentativité. Les résultats d’élections ne doivent pas être le seul critère : importance des effectifs, implantation territoriale, présence dans les secteurs public et privé et diffusion suffisante dans les branches professionnelles sont autant de facteurs permettant d’apprécier la représentativité. On respecterait ainsi notre traditionnel pluralisme syndical tout en évitant une trop grande dispersion. Une chose est sûre : il faut reconnaître l’émergence de nouveaux acteurs syndicaux.

J’ajoute que vous n’abordez pas plus la répartition entre les domaines législatif et réglementaire et celui de la négociation collective : là encore, il en va pourtant de la lisibilité de cette dernière. À quoi servirait-il de consulter les partenaires sociaux si le champ d’intervention du législateur continue de s’accroître comme c’est le cas depuis plusieurs années ? Pourtant, la position commune sur les voies et moyens de l’approfondissement de la négociation, signée en 2001 avec les partenaires sociaux, permet d’envisager une telle clarification. De même, le projet passe sous silence le financement encore opaque des organisations syndicales. Le Conseil économique et social comme le rapport Hadas-Lebel ont pourtant émis des propositions visant à tenir compte des résultats aux élections, mais aussi du nombre d’adhérents. Enfin, rien n’est fait pour revaloriser l’engagement syndical, l’un des plus faibles d’Europe. C’est pourtant lui qui donne tout son sens à la négociation. Il ne peut se mesurer à l’aune de la seule participation électorale : le principe de la libre adhésion des salariés doit être maintenu…

M. Maxime Gremetz – Encore heureux !

M. Francis Vercamer – …et il faut inciter nos concitoyens à adhérer davantage. À titre personnel, je crois qu’un système, certes iconoclaste, dans lequel les résultats de la négociation ne s’appliquent qu’aux adhérents, mérite pourtant d’être examiné : chacun serait ainsi face à ses responsabilités. Les salariés qui bénéficient aujourd’hui d’accords d’entreprise alors qu’ils n’ont nullement pris part à la négociation seraient incités à adhérer. De même, les syndicats n’auraient plus la tentation de refuser de signer un accord, en sachant que son acceptation par une autre organisation le rendra applicable à tous les salariés.

A minima, la réduction fiscale accordée aux adhérents doit bénéficier aux plus bas revenus. À ce titre, l’instauration d’un crédit d’impôt aurait l’avantage de bénéficier aux salariés syndiqués non imposables. De même, il faut développer la représentation des salariés dans les petites entreprises, de préférence à l’échelon territorial. Enfin, pour que le mandat syndical soit exercé sereinement, il faut garantir l’évolution de la rémunération des représentants, la sécurisation des parcours professionnels ou encore la validation des acquis de l’expérience acquise dans leurs fonctions syndicales.

En somme, ce projet de loi n’entame qu’à peine le vaste chantier de la modernisation du dialogue social. C’est donc en fonction des engagements que prendra le Gouvernement, au cours de nos débats, sur les points que j’ai évoqués que le groupe UDF se prononcera sur ce texte.

M. Maxime Gremetz - Représentativité et démocratie sociale : sur de telles questions, nous devons débattre sereinement. C’est en fin de législature, à quelques semaines de la fin de nos travaux, que le Gouvernement nous propose de moderniser le dialogue social qu’il a pourtant tout fait pour éviter depuis cinq ans, qu’il s’agisse du CPE, des 39 heures dans l’hôtellerie-restauration ou de la remise en cause du temps de travail effectif pour les salariés agricoles. Qui plus est, avec la loi du 4 mai 2004, en consacrant le droit d’opposition comme principe de validation d’accord et en bouleversant la hiérarchie des normes, et les mesures récentes qui excluent certains salariés du décompte des effectifs, vous avez tout fait pour empêcher la mise en place de toute institution représentative capable de mener le dialogue social.

Ce texte, bien qu’inabouti, est tout de même une étape vers la réforme à mener. Tout indique en effet que le temps est venu de changer la donne. Faute d’approfondissement, votre projet risque en effet de faire beaucoup de bruit pour rien, et de ne pas être à la hauteur des engagements du Président de la République. En l’état, la démocratie sociale reste bancale.

Il faut introduire dans ce texte la légitimité de la négociation fondée sur l’expression démocratique du vote des salariés. Le suffrage universel reste la meilleure garantie démocratique – pourvu qu’il soit proportionnel, sans quoi le groupe majoritaire à l’Assemblée peut être minoritaire dans le pays…

M. le Président de la commission – Et vous, Monsieur Gremetz, où êtes-vous majoritaire ?

M. Maxime Gremetz – Mais dans le pays, précisément (Rires sur les bancs du groupe UMP) !

Plusieurs députés UMP – 3 % !

M. Maxime Gremetz - Regardez l’hémicycle : 92 % des députés ont défendu le oui au référendum sur le Traité constitutionnel alors que plus de 55 % des Français ont voté non ! Il ne suffit pas de remporter un scrutin majoritaire : dès que le peuple est consulté, tout change, et vous en avez peur ! Un citoyen, une voix : voilà la démocratie ! Hélas, la pratique en est loin…

Quoi qu’il en soit, c’est le vote des salariés qui donne toute sa légitimité à la négociation. À cette fin, la réforme du dialogue social doit reposer sur quatre piliers. La réforme de la représentativité d’abord, recommandée par le Conseil économique et social, attendue par la majorité des salariés et même réclamée par une partie du patronat. En effet, c’est l’ensemble des organisations professionnelles, et non les seuls syndicats de salariés, qui est concerné : ainsi, l’UPA se plaint trop souvent de certains positions du Medef.

Il faut une initiative législative. Dans une déclaration commune, les secrétaires généraux respectifs de la CFDT et de la CGT nous y invitent en demandant que les propositions du CES sur ce thème soient reprises dans le présent projet. C’est exceptionnel, et même historique ! Nous qui nous battons depuis longtemps pour ces mêmes principes, nous entendons leur appel et nous défendrons donc un amendement en ce sens.

On ne peut plus en effet se satisfaire des règles actuelles. La représentativité ne se décrète pas, elle ne saurait relever, comme aujourd’hui, d’une décision réglementaire, en l’occurrence un décret de 1966. Elle doit être le fruit de la démocratie. C’est pourquoi il convient d’organiser une élection de représentativité, le même jour, dans toutes les entreprises, à laquelle pourraient participer tous les salariés, quelle que soit la nature de leur contrat de travail.

Deuxième pilier : la validation des accords selon le principe majoritaire en voix, je dis bien : en voix. Nous réclamons l’application de ce principe depuis 1982 et nous avons été les premiers à le faire inscrire dans la loi, en l’occurrence les lois Aubry sur la réduction du temps de travail. Mais depuis la réforme Fillon du 4 mai 2004, un accord est considéré comme majoritaire s’il est signé par la majorité des syndicats en nombre, qu’ils représentent ou non la majorité des salariés. On peut ainsi se retrouver avec des accords dits « majoritaires » mais qui ne sont approuvés que par une minorité de salariés.

Imaginez, chers collègues de l’UMP, qu’ensemble le groupe socialiste, le groupe UDF et le groupe communiste puissent faire échouer vos projets de loi : vous hurleriez ! Alors pourquoi ne hurlez-vous pas quand c’est ainsi que les choses se passent dans la démocratie sociale ? Vous me direz sans doute que le monde politique et le monde du travail sont deux choses différentes et certes, il est vrai qu’il n’y a pas ici beaucoup de personnes issues du monde du travail, mais il n’en demeure pas moins que la démocratie est une et qu’il ne saurait donc y avoir deux principes démocratiques.

Troisième pilier : le respect de l’ordre public social et de la hiérarchie des normes. Depuis la loi Fillon du 4 mai 2004, l’accord peut être supplétif à la loi. Ainsi, un accord peut déroger, de façon moins favorable, à un autre accord, qui lui-même dérogeait à la loi de façon défavorable. Il faut mettre un terme à ces accords dérogatoires et rétablir « le principe de faveur » ainsi que l’interdiction de l’inversion de la hiérarchie des normes dans un sens moins favorable pour les salariés.

Quatrième pilier : le temps du Parlement. Il ne s’agirait pas en effet que le Parlement n’ait plus son mot à dire, parce que les organisations syndicales considéreraient qu’elles ont négocié un bon accord, par exemple sur la formation, et qu’il ne resterait plus qu’à l’entériner, sans rien y toucher.

Nous avançons donc sur ce sujet une proposition novatrice et équilibrée, qui consisterait à renforcer la relation entre monde syndical et monde politique, dans le respect des prérogatives de chacun. Les commissions permanentes saisies au fond auditionneraient les partenaires sociaux afin qu’ils présentent chacun leur analyse de la négociation et de l’éventuel accord, après quoi le gouvernement ferait une déclaration, tandis que le rapporteur de la commission saisie au fond ferait un compte rendu de l’audition des partenaires sociaux. La représentation nationale s’exprimerait ensuite et les partenaires sociaux, prenant connaissance de ces remarques, jugeraient s’il y a lieu de modifier le résultat de cette négociation. Enfin, le gouvernement présenterait un projet de loi cadre au Parlement, qui engagerait un examen législatif classique.

Vous me direz peut-être : quelle perte de temps ! Il est vrai que l’adoption du CPE n’a, elle, pas demandé beaucoup de temps. Mais n’a-t-on pas perdu ensuite plus de temps en procédant comme l’a fait le Gouvernement que l’on n’en perdrait en s’y prenant comme nous le préconisons ? Il faut prendre le temps de bien se comprendre : c’est ainsi qu’on sera vraiment efficace.

Nous abordons donc ce texte dans un esprit constructif, Monsieur le ministre, soucieux d’aboutir à une véritable réforme du dialogue social. Mais jusqu’où êtes vous prêt à aller ?

Quelques éléments du texte méritent en effet des correctifs : ainsi, il faut élargir à la protection sociale les thèmes devant donner lieu à une consultation des partenaires sociaux. Il faudrait aussi que la déclaration d’urgence soit motivée, afin qu’elle ne serve pas à échapper à la procédure de consultation. Nous avons un amendement commun avec le rapporteur sur ce point ; j’espère que le Gouvernement ne s’y opposera pas. Il faudra également progresser sur les conditions du déclenchement de la négociation et trouver les moyens d’éviter les « cavaliers ».

Tous ces aspects feront l’objet d’amendements de mon groupe, qui a auditionné l’ensemble des organisations syndicales. J’espère que nos débats nous permettront d’avancer sur tous ces points, car il serait dommage que la modernisation du dialogue social souffre d’une absence de consensus. Dans cet espoir, je veux rappeler que M. Fillon, ancien ministre de l’emploi et actuel conseiller de M. Sarkozy, déclarait à propos de la réforme de 2004 que ce texte ne constituait qu’un « premier pas vers un dialogue social plus responsable et plus moderne » et qu’à l’issue d’une période de fonctionnement « d’autres réformes pourraient venir ». Je tiens aussi à citer notre président de commission, M. Dubernard : « Toutes les parties prenantes sentent bien qu’il faut faire évoluer le panorama actuel, tous sont las d’être prisonniers d’un système qui a atteint ses limites. »

Le temps est donc venu de briser les chaînes et de donner aux relations sociales l’élan dont elles ont besoin !

M. Robert Lecou – C’est avec satisfaction que j’ai vu arriver ce texte sur le Bureau de l’Assemblée nationale. Le dialogue, c’est l’écoute, l’expression libre, la discussion, l’échange. Le social, c’est l’organisation d’un groupe d’individus, les relations des hommes entre eux. Le dialogue social doit être reconnu dans l’entreprise comme la méthode organisée et efficace qui permet aux salariés de travailler en s’épanouissant et à l’entreprise de réussir. Il dépasse cependant le cadre de l’entreprise : l’État est présent dans les relations des partenaires sociaux ; la loi s’impose dans les relations du travail. Il est donc utile que le législateur intervienne aujourd’hui pour favoriser le dialogue social, qui peine à tenir sa place dans notre pays. Nous avons débattu à plusieurs reprises, depuis 2002, des relations entre les partenaires sociaux ou de l’organisation du travail. Avons-nous pour autant modifié les mentalités et les méthodes ? Avons-nous mis un terme à cette exception française, qui fait que les relations dans l’entreprise sont le plus souvent fondées sur l’affrontement ?

Permettez-moi de me référer à un rapport que j’avais rédigé en 2003. En Allemagne, les principales décisions des entreprises sont prises en accord avec les salariés, puisque les organisations syndicales sont représentées dans les organes de direction. Ce principe de co-décision conduit les organisations syndicales à s’impliquer pour éviter les conflits. La grève est donc considérée comme un échec.

Le Danemark est marqué par une longue tradition de concertation entre les partenaires sociaux sur les salaires et les conditions de travail, au travers des conventions collectives. Les partenaires sociaux pratiquent la concertation sur le marché du travail, qui est l’un des plus tranquilles au monde. Ils ont une grande responsabilité quant à la conclusion des conventions et cultivent une tradition de dialogue.

En Irlande, le dialogue social s’est renforcé depuis la mise en place du partenariat social, qui repose sur des négociations collectives organisées tous les trois ans et a permis de limiter les conflits collectifs. Ainsi 26 grèves ont eu lieu en 2002, contre 195 en 1984, avant l’instauration du partenariat social. Le nombre de journées de travail perdues pour cause de grève est passé de 584 000 par an dans les années 1970 à 21 000 en 2002.

La France se singularise par le caractère limité du dialogue social et la conflictualité des rapports sociaux. Cette exception française n’est satisfaisante ni pour les entreprises, qui pâtissent des conflits, ni pour les usagers, qui se retrouvent pris en otage, ni pour l’État, qui n’est plus le garant de la continuité du service public, ni pour les syndicats, qui ne parviennent pas toujours à faire aboutir leurs revendications et voient leur image ternie – 8 % des salariés sont syndiqués en France, contre près de 80 % au Danemark.

Il faut donc faire évoluer notre conception des relations dans le monde du travail et moderniser le dialogue social. Concertation, consultation et information lui donneront un nouveau souffle : tant mieux. Il est bon de faire précéder tout projet de réforme portant sur les relations individuelles et collectives du travail d’une concertation avec les organisations syndicales. Celles-ci doivent elles-mêmes évoluer dans leur approche de la négociation. Ce texte nous fait progresser. Je plaiderai donc, comme d’autres collègues, pour que l’urgence ne dénature pas votre juste volonté politique : il faudra la limiter et la justifier. Le dialogue social pourra ainsi se moderniser au profit de tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Martine Billard – Depuis quatre ans et demi, le Gouvernement a présenté presque tous les projets de loi modifiant le code du travail dans le cadre de la procédure d’urgence, certains sans concertation préalable avec les partenaires sociaux. Il n’a pas hésité à recourir à des propositions de loi UMP ou à des « cavaliers législatifs ». Nous avons tous en mémoire l’épisode du passage en force sur le CPE par voie d’amendement gouvernemental à la loi sur l’égalité des chances, adoptée par la procédure de l’article 49-3. Nous n’oublions pas non plus l’ordonnance du CNE, l’apprentissage à 14 ans, l’extension du recours au travail de nuit, les amendements surprise modifiant le calcul du temps de trajet ou d’astreinte, la généralisation de l’annualisation et du forfait-jour, ou la modification du temps de travail dans les transports au détour de la transposition d’une directive européenne.

Nous avons eu aussi les lois Fillon adoptées en urgence : celle sur le démantèlement des 35 heures et celle du 4 mai 2004 qui transposait, de manière incomplète, l’accord interprofessionnel sur la formation, mais comportait aussi une partie intitulée « dialogue social », qui prenait le même engagement solennel que le texte d’aujourd’hui, tout en autorisant les accords d’entreprises dérogatoires aux accords de branche plus favorables. Le dialogue avait été à sens unique, puisque cette régression faisait l’unanimité contre elle.

Est-ce l’approche d’échéances électorales nationales qui fait soudain découvrir les vertus du dialogue à ceux-là mêmes qui l’ont piétiné pendant des années ? Quoi qu’il en soit, pourquoi ne pas se féliciter de ce texte ? Chat échaudé craint cependant l’eau froide : les engagements de la loi de 2004 ont été aussitôt bafoués, et la pratique des cavaliers législatifs sans négociation avec les partenaires sociaux a encore été à l’œuvre dans le texte que nous avons voté cet après-midi.

Comme les syndicats vous l’ont fait remarquer devant la Commission nationale de la négociation collective, Monsieur le ministre, la procédure d’urgence est toujours possible. Rien ne garantit donc que les travers de cette législature ne perdurent pas. On m’opposera que le Gouvernement est maître de l’ordre du jour du Parlement et qu’il dispose du droit d’amendement à tout moment. Quelle est donc la portée de ce texte ? Ne sommes-nous pas devant un cas de « loi bavarde », une tentative d’effacer cinq années de pratiques contraires à celles prônées par le texte ?

Fallait-il se précipiter pour faire voter ce texte incomplet ? Le rapport Hadas-Lebel consacré à la représentativité et au financement des organisations syndicales, remis au Gouvernement en mai, et le rapport Aurelli-Gautier « Consolider le dialogue social » adopté la semaine dernière par le Conseil économique et social, jettent les bases d’une réforme de fond. Or ce texte ne reprend que peu de leurs préconisations. Comment peut-on considérer que les conditions du dialogue social sont définies lorsque ni l’identité des partenaires, ni le cadre de l’ouverture des négociations, ni les conditions de la validation ne sont précisés ? Je fais ici référence à l’alinéa 7 du projet.

Pour les Verts, une véritable modernisation du dialogue social passe par l’abrogation de l’arrêté de 1966 sur la représentativité syndicale, la mise en place d’élections dans les branches pour évaluer la représentativité et la signature d’accords sur la base d’une majorité d’engagement fondée sur le choix majoritaire des salariés. Je défendrai des amendements en ce sens. Il faut aussi aborder la question du financement des activités syndicales.

Alors que le débat sur le caractère obsolète de l’arrêté de 1966 portant sur le caractère irréfragable de la représentativité des cinq confédérations syndicales s’est ouvert et que le Conseil économique et social vient de rendre un rapport recommandant de modifier cet arrêté, le Gouvernement refuse d’intervenir. On nous demande de ne pas déposer d’amendements issus des recommandations du Conseil économique et social pour cause de dialogue social. Mais quel meilleur dialogue social que le débat de ces derniers mois au Conseil économique et social ? Non seulement l’UNSA et le G10 ne peuvent pas être considérés comme représentatifs au niveau national, mais ils sont obligés de se pourvoir en justice pour faire reconnaître leur représentativité dans les entreprises.

Le Conseil économique et social a fixé des principes. Il était possible de les reprendre dans ce texte et de renvoyer les précisions à des décrets pris après négociation selon les modalités proposées par le texte. Les insuffisances de ce texte ne nous permettent pas de l’approuver, mais tout au plus de nous abstenir.

M. Jean Le Garrec – Décidément, la journée aura été riche. Après l’intéressement cet après-midi, nous débattons ce soir du dialogue social. Les deux sont d’ailleurs liés, et je suis heureux d’intervenir à nouveau à cette tribune.

Avec le talent qu’on leur connaît, MM. Vidalies et Gorce ont dit ce qu’il fallait dire. J’ai aussi écouté avec attention M. Soisson. Nous avions travaillé avec lui, lorsqu’il était ministre du travail, pour faire aboutir un projet de conseillers des salariés. Nous avions un peu forcé la porte pour vaincre les réticences…

Il faut donc aller de l’avant. Nous assistons à une double maturation, intéressante et importante : une maturation politique et une maturation syndicale. Certains faits sont contraignants. Cette maturation n’arrive pas par hasard ; il a fallu que certains faits pèsent suffisamment, surtout dans un pays comme la France, qui n’est pas un pays de réforme. Nous sommes certes capables de coups de gueule, de passions, parfois même de révolutions, mais nous ne possédons pas de tradition réformiste.

M. Michel Piron – C’est vrai !

M. Jean Le Garrec – Il faut donc que ces faits soient très contraignants pour que cette maturation se produise. En 2001, avec Henri Emmanuelli, alors président de la commission des finances, tandis que j’étais président de la commission des affaires sociales, nous avons élaboré un projet concernant le financement public des organisations syndicales. Nous étions allés de l’avant, consultations, négociations et renégociations avaient eu lieu, mais nous avons buté sur la question de la représentativité. Il est extrêmement important que cette double maturation se fasse. L’étonnant, c’est que M. Fillon avait perçu cette nécessité dès 2004 puisqu’il affirmait alors : « Le Gouvernement prend l’engagement solennel de renvoyer à la négociation nationale interprofessionnelle toute réforme de nature législative relative au droit du travail. Par conséquent, il saisira officiellement les partenaires sociaux avant l’élaboration de tout projet de loi portant réforme du droit du travail avant de savoir s’il souhaite l’engager. » Hélas, sa déclaration, qui était pourtant de la plus haute importance, est restée sans effet. Vous n’avez cessé de revenir en permanence sur le code du travail, n’en faisant qu’à votre tête. Grosse erreur politique !

Et vous agissez encore de la sorte, aujourd’hui même, avec la réforme de la participation. Vous revenez sur les prérogatives des comités d’entreprise sur le droit d’alerte, ce n’est pas rien ! En ce qui concerne les conseils des prud’hommes : seize décrets, dont trois en Conseil d’État, balayés ; personne n’est consulté, ou quand les syndicats le sont, ils se disent unanimement défavorables ; les décrets ne sont pas fournis au Parlement, alors qu’ils remettent en cause les activités d’une juridiction extrêmement importante pour les salariés. Or, si 50 % des décisions des conseils des prud’hommes font l’objet d’un appel, sur ce nombre, 70 % sont confirmées : c’est dire la qualité de leur travail. Vous limitez le champ de ce droit, et je n’arrive pas à comprendre pourquoi, sous quelles pressions vous en êtes arrivés là.

La maturation syndicale a été tardive, puisqu’en 2001, nous n’avons pas réussi à passer le cap. Elle est en train de se faire ; pour des organisations syndicales, revenir sur le texte de 1966 sur la présomption irréfragable de représentativité, c’est une véritable révolution conceptuelle. Cette maturation est à présent possible parce que nous entrons dans une nouvelle forme de capitalisme, passant d’un capitalisme patrimonial et industriel à un capitalisme purement financier. Aujourd’hui, 40 % du capital des grandes entreprises est maîtrisé par des fonds de pension sans passeport. L’intérêt prime tout, et chacun d’entre nous, dans nos circonscriptions, peut en mesurer les dégâts. Ce sont les organisations syndicales qui ont le mieux perçu cette évolution : délocalisations, pressions permanentes sur les salariés, stress, maladies professionnelles…

M. Michel Piron – 35 heures !

M. Jean Le Garrec – Cher collègue, je ne dis pas que certaines révisions ne mériteraient pas être d’apportées. Dans des situations où la négociation a mal fonctionné, les conditions de travail ont pu être aggravées.

M. Michel Piron – Dont acte !

M. Jean Le Garrec – Je l’avais d’ailleurs dit au moment de nos débats : attention aux conditions de la négociation !

Rapports entre entreprises mères et entreprises sous-traitantes : délais de paiement de 66 jours pour les premières, comptant pour les secondes, alors que, dans le secteur automobile, par exemple, l’entreprise mère, c’est 180 000 salariés, l’entreprise sous-traitante, 360 000. Rapports entre les grandes surfaces et les fournisseurs, avec le problème des marges en retour, catastrophique en termes d’emplois. Usure. Fatigue. J’ai eu aujourd’hui un plan d’Axa entre les mains : sur 4 500 départs à la retraite, 1 500 sont remplacés, 1 500 délocalisés, 1 500 postes n’existent plus. La pression est extrêmement forte sur les salariés. Le seul élément de résistance possible, c’est la double maturation politique et syndicale. Si elle ne se fait pas, nous n’aurons aucun moyen de résister à cette évolution.

Monsieur le ministre, votre projet de loi me fait l’effet d’être un texte sur la méthode. Il est parfois bon de procéder ainsi, avant de concrétiser quelque chose dans les faits. Sauf que nous avons déjà eu un texte sur la méthode : la déclaration de M. Fillon en 2004. Et je ne comprends pas que, deux ans après, vous reveniez avec un nouveau discours sur la méthode !

M. Michel Piron – C’est de la maturation !

M. Jean Le Garrec – Elle avait déjà eu lieu avec M. Fillon. Est-ce que vous cherchez à vous protéger de vous-mêmes ? De votre environnement ? Est-ce de l’opportunité politique ? Votre discours de la méthode arrive avec beaucoup de retard. Schumpeter parlait du processus de destruction créatrice. Je crois qu’aujourd’hui, dans notre pays, les termes s’inversent. Daniel Cohen, en évoquant la rupture entre l’économique et le social, pointe le vrai problème.

Nous sommes en présence de deux événements majeurs. Le premier, c’est la création du syndicat mondial. La déclaration de celui qui en sera le secrétaire général, le Britannique Guy Ryder, est très forte : « L’objectif sera d’obtenir un changement profond dans les règles et le fonctionnement de l’économie mondiale. » Le second événement est le rapport du Conseil économique et social, voté à une large majorité, ce qui montre excellemment cette maturation syndicale. Vous connaissez comme moi la nature profonde du mouvement syndical. Obtenir une majorité, même si on aurait souhaité qu’elle fût plus importante, n’est pas un mince événement.

Une telle situation appelle une avancée décisive. Parce que ce texte n’a pas été profondément pensé, que vous avez insuffisamment pris en compte la maturation politique de 2004 et que vous arrivez beaucoup trop tard, vous vous apprêtez à commettre une très grave erreur stratégique. Prenez donc en compte l’amendement que le groupe socialiste déposera afin d’inscrire dans la loi le principe qui consiste à apprécier la représentativité à partir d’une élection nationale ! Puisque vous êtes d’accord, faites-le, que diable ! C’est ainsi que vous passerez du discours à l’action !

M. Jean-Pierre Soisson – Nous n’en ferons rien en raison de l’origine syndicale de cet amendement.

M. Jean Le Garrec – Cet amendement ne règle certes pas tout et je sais combien il est difficile de définir les modalités d’une élection nationale en la matière, mais au moins, vous aurez agi. Et ce sont sur leurs actes que sont jugés les gouvernements ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

La discussion générale est close.

M. le Président de la commission – Refonder les rapports entre pouvoirs publics et partenaires sociaux, proposer une nouvelle méthode pour écrire le code du travail, c’est l’engagement du Président de la République en ce centenaire du ministère du travail. Un gouvernement ne pourra désormais engager une réforme touchant le marché du travail ou l’emploi sans avoir auparavant proposé aux partenaires sociaux d’engager une négociation à ce sujet. Libre à eux de se saisir de cette faculté s’ils pensent parvenir à un accord ou de laisser le gouvernement travailler seul s’ils redoutent de ne pas s’entendre. Le texte instaure également une rencontre annuelle entre les organisations syndicales et patronales et le Gouvernement, les premières présentant l’état d’avancement des négociations interprofessionnelles en cours et le calendrier de celles qu’elles entendent mener, le second présentant les orientations de sa politique sociale ainsi que le calendrier envisagé pour son application. Comme la démocratie politique, la démocratie sociale doit définir de nouveaux modes de régulation et de participation. En matière sociale, l’État a eu trop longtemps une position ambiguë entre, d’une part, sa volonté de favoriser la négociation collective nationale et, d’autre part, son désir de régler par voie législative les grandes questions sociales. Ce penchant a été renforcé par l’émiettement syndical qui a donné au pouvoir politique de bonnes raisons d’intervenir. Les syndicats, déjà trop nombreux, étaient en outre capables, quoique minoritaires, de troubler le jeu social. Il s’agit d’une situation dont la responsabilité incombe à tous, syndicat, patronat, État, mais tous sont aujourd’hui conscients de la nécessité d’une évolution, tous se sentent prisonniers d’un système qui a atteint ses limites. Cette situation nuit au syndicalisme, pourtant indispensable à l’équilibre des rapports sociaux, au respect des employés et au progrès des entreprises.

Cette réforme est née des constatations faites par M. Chertier, qui a mené son étude parallèlement aux travaux de Raphaël Hadas-Lebel. Elle a aussi été inspirée par plusieurs exemples étrangers, notamment néerlandais et espagnol ; elle repose sur le pari du dialogue et de la responsabilité. Son application doit se traduire par un changement rapide et substantiel des pratiques ainsi que par une amélioration des cadres législatif et conventionnel. Ce projet s’inscrit dans la perspective ouverte par la position commune adoptée par les partenaires sociaux dès juillet 2001 et par la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social. Il est vrai que les principes posés alors manquaient de valeur normative. Cependant, au ministère de la défense, Mme Alliot-Marie a su faire appliquer, en 2005, une charte du dialogue social qui instaure le temps du débat avant tout changement au sein de cette administration et qui permet à chacun de faire des propositions. Le temps est venu de changer les mentalités.

M. Gaëtan Gorce – Et la majorité !

M. le Président de la commission – Inscrite désormais dans la loi, la nouvelle règle du jeu du dialogue social que nous étudions aujourd’hui transformera nos façons de penser et d’agir. Le texte proposé est volontairement court et simple. Il propose un équilibre harmonieux entre le maintien d’une hiérarchie des normes et la responsabilisation à tous niveaux de la représentation professionnelle.

M. Bernard Accoyer – Très bien.

M. le Président de la commission – Il donne à l’État un rôle de régulateur qui éclaire l’avenir et fixe un cadre au monde social. Il ne compromet en rien la primauté de la loi. Le Parlement conserve l’intégralité de ses prérogatives : droit d’initiative et droit d’amendement et donc droit d’adopter ou non les dispositions proposées, y compris lorsqu’elles résultent d’un accord interprofessionnel. Cette réforme conduit à une meilleure répartition des rôles entre les acteurs politiques et sociaux. Elle vise également à réarticuler le syndicalisme à sa base sociale par la recherche de nouvelles formes de légitimation.

Notons enfin que notre rapporteur a su trouver des réponses à la question de l’urgence.

M. Jean-Pierre Soisson – Très bien.

M. le Président de la commission – D’aucuns craignaient une utilisation abusive de cette disposition et nous avons donc prévu d’encadrer davantage ce recours en prévoyant une procédure solennelle de motivation.

Notre objectif fondamental est d’aller vers une pacification sociale, facteur de compétitivité. Il s’agit aussi de favoriser un syndicalisme puissant, des relations contractuelles fortes et d’abandonner enfin la culture de la seule « protestation sociale » pour la culture de « coopération conflictuelle » prônée en son temps par Edmond Maire. Je veux croire que tous les élus soutiendront cette initiative. Comme lors de l’examen du texte sur la participation, je citerai Jean Auroux défendant la nécessité de passer d’une société de conflits à une société de contrats : « Dans une société qui se transforme de façon considérable et très rapide dans tous les domaines, notre salut ne peut venir que de notre capacité à dialoguer, c’est-à-dire à partager nos connaissances et à déboucher sur des compromis. »

M. Gaëtan Gorce – Il aurait fallu le dire plus tôt !

M. le Président de la commission – C’est à cela que cette réforme nous invite. Naturellement, ce texte n’a pas la prétention de tout résoudre. Le prochain rendez-vous concernera les conséquence que nous tirerons tous ensemble du rapport de M. Raphaël Hadas-Lebel. Sur ces points essentiels et éminemment sensibles, rien ne pourra se faire sans que soit achevée une large concertation préalable avec les partenaires sociaux. À cet égard, je salue le travail remarquable du CES et de son président Jacques Dermagne qui se sont attaqués aux difficiles questions du ou des critères de la représentativité, de la validité des accords, des modalités de la négociation dans les très petites entreprises, des questions du financement des organisations représentatives comme de la sécurisation des parcours professionnels de ceux qui s’y impliquent. Je suis très intéressé par le rapport du CES, notamment s’agissant de la représentativité. Je comprends la démarche de MM. Chérèque et Thibault, mais aussi la position de M. le ministre délégué à l’emploi : il faut laisser du temps au temps, Monsieur Le Garrec, afin que la maturation que vous souhaitez puisse se produire ! Nous en sommes tous d’accord : ce texte n’est qu’une première étape et la seconde viendra inéluctablement, quelle que soit la majorité qui présidera aux destinées de la France (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes Je remercie M. Dubernard pour avoir souligné la cohérence de ce projet : la position commune, la loi du 4 mai 2004, les réflexions sur l’adaptation des règles de la validité et le rendez-vous prévu sur la validité des accords. Comment fait-on fonctionner le dialogue social quand 8 millions de salariés travaillent dans les PME ? C’est à cette question essentielle qu’il faut répondre. Ce texte réalise un équilibre entre partenaires sociaux, Parlement et Gouvernement. Le temps du dialogue social, du débat, de la concertation – de la confrontation parfois aussi –, n’est pas du temps perdu car c’est précisément un temps de maturation, comme disait M. Le Garrec. À ce propos, la double maturation étant un phénomène biologique bien connu, je souligne qu’il ne faut pas confondre, dans l’inspection des viandes, maturation et attendrisseur ! (Sourires) Prenons le temps de respecter les fibres des uns et des autres ! (Sourires)

M. le rapporteur a appliqué la méthode que nous cherchons à promouvoir et la commission a accompli un remarquable travail d’audition. Je rappelle que nous travaillons tout d’abord à partir du rapport de M. Chertier, commandé le 12 décembre 2005, et qui montre combien les temps social, politique et économique sont discordants et conduisent parfois à des affrontements.

J’en viens à vos amendements, Monsieur le rapporteur. Il est vrai que la notion de dialogue social peut paraître floue, et je suis favorable à l’encadrement de l’urgence dans le respect du droit constitutionnel : afin d’éviter certaines dérives, les partenaires sociaux seront en droit d’obtenir des informations sur la décision du Gouvernement d’y recourir. S’agissant du rapport annuel au Parlement et de la publicité des échanges menés devant la Commission nationale de négociation collective, vous avez également apporté des contributions utiles au texte.

Vous avez évoqué le rôle de l’État, Monsieur Soisson, ainsi que le tripartisme, tous points qui font encore débat. La première organisation du travail au monde, l’OIT, a certes été créée selon un modèle tripartite dès 1919 – par le Français Albert Thomas –, mais les approches nationales restent divergentes. Ainsi en Europe du Nord, l’État fixe les grands principes, appliquant une sorte d’article 34 épuré, et laisse aux partenaires sociaux le soin de régler le reste de la vie sociale, sans procédure de validation ni de contrôle des accords. Dans notre pays, l’État a en revanche l’habitude d’impulser la négociation collective tout en assurant l’ordre public social, comme je l’ai rappelé ce matin devant une organisation professionnelle, un peu surprise de mes propos. Je pense par exemple à la lutte contre le dumping social, à la santé au travail, à la modernisation de l’inspection du travail ou à la lutte contre le travail illégal.

Il reste que le rôle du Gouvernement évolue : par exemple, c’est désormais à l’État de fixer les thèmes de la concertation qui doit avoir ensuite lieu avec les partenaires sociaux, voire entre eux seuls s’ils décident de se saisir des sujets retenus. À cela s’ajoute la procédure de consultation, le ministre présidant notamment la Commission nationale de la négociation collective, dont l’activité a triplé depuis quelques années et devrait encore croître. Le Conseil supérieur de l’emploi est également placé sous la responsabilité de l’exécutif, de même que le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie. Il n’en demeure pas moins que nous devrons définir les conditions d’un échange loyal et régulier de l’information, en particulier devant la CNNC – le nouveau dialogue social l’exige !

Quant au « pacte de confiance » évoqué par M. Vercamer, la France devra effectivement évoluer en matière de relations au travail, notamment pour respecter la stratégie de Lisbonne et le Livre vert, objet d’un premier débat, vendredi dernier, au sein du conseil des ministres de l’emploi à Bruxelles : nous allons devoir concilier qualité de l’emploi et compétitivité des entreprises. Pour y parvenir, ce texte accorde une place particulière aux partenaires sociaux dans l’évolution de notre modèle social, qui ne passera pas nécessairement par une modification de notre Constitution. Un simple changement de pratiques pourrait en effet suffire, comme l’a montré l’expérience des Pays-Bas et de l’Espagne. Le dialogue social est une question d’attitude…

Je ne reviendrai pas sur la question de l’urgence, Monsieur Gremetz, mais je note que vous avez qualifié ce texte d’« étape importante ». Loin d’être une « réforme inaboutie », comme vous l’affirmiez en commission, il s’agit d’un élément essentiel dans un cycle de réforme. Ainsi, s’agissant de la validité des accords collectifs, la loi Fillon a déjà permis une grande avancée en instituant le principe majoritaire – il était jusque là possible que seule une organisation ultraminoritaire dans les faits signe un accord ! Dans son avis sur le rapport Hadas-Lebel, le CES a d’ailleurs évoqué un « processus progressif », dont la prochaine étape devrait être précédée par le bilan prévu par la loi de 2004, qui sera présenté le 31 décembre 2007.

Vous avez longuement insisté sur les comparaisons internationales, Monsieur Lecou, et il est vrai que notre déplacement à Madrid a joué un rôle notable dans l’élaboration de ce texte. Toutefois, nous n’avons pas cherché à transposer un système venu d’ailleurs, car ce serait ignorer les différences qui séparent nos histoires syndicales. Depuis la résistance au franquisme, les commissions ouvrières espagnoles ont elles-mêmes évolué, pour devenir aujourd’hui les actrices d’un dialogue social approfondi.

De son côté, Mme Billard a regretté que ce texte soit insuffisamment normatif. Je prendrai le pari inverse : nous nous apercevrons très vite des effets de cette loi sur le dialogue social ! Certains y verront même un texte trop contraignant, si du moins nous ne donnons pas le temps nécessaire au dialogue. La maturation évoquée par M. Le Garrec est en effet le résultat de toute une série d’incitations, et qui est à l’origine de celles-ci sinon cette majorité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Ces avancées, personne ne les avait faites depuis la « position commune » adoptée en 2001. Que ne l’avez-vous transposée dans la loi de modernisation sociale ! C’est ce Gouvernement qui s’est engagé dès 2005 sur un texte précis…

Plusieurs députés socialistes – Seulement en 2005 !

M. le Ministre délégué – …car nous ne nous contentons pas de discours sur la méthode ! Ce texte sera adaptable en fonction des évolutions portant sur la validité des accords et sur la représentativité, mais le Gouvernement a décidé d’aller de l’avant.

M. Jean Le Garrec – Ce n’était pas mal jusqu’à présent !

M. le Ministre délégué – Et c’est encore mieux maintenant ! Certains considèrent ce texte comme une « étape importante mais inaboutie »

Mme Martine Billard – Tout à fait !

M. le Ministre délégué – C’est plutôt une étape essentielle que nous allons franchir.

Plusieurs députés UMP – Une étape historique !

M. le Ministre délégué – En donnant aux partenaires sociaux la possibilité de s’emparer de certains dossiers, nous faisons un pari de confiance. Puissent-ils ne pas se contenter de décider à deux lorsqu’ils pourraient s’entendre à six, huit ou dix, selon les évolutions à venir de la représentativité. Nous avons en effet le sentiment que la négociation sociale peut changer sans que l’on touche pour autant aux pouvoirs du Parlement et du Gouvernement. Ce sont tout simplement des pratiques nouvelles que nous devons adopter, ce qui nécessitera du temps. Il n’existe pas de formule magique. Pour converger vers des synthèses, nous devrons sans doute faire évoluer notre regard sur les rapports sociaux. Ce texte est l’aboutissement d’une maturation, mais il y en aura sans doute d’autres. Ce qui compte, c’est que la maturation se fasse sans dégradation de la matière première ! (Sourires)

Mesurons l’importance de l’étape que nous allons franchir. Qui aurait imaginé il y a dix-huit mois que nous serions en mesure de vous présenter un tel texte ? Certains événements nous ont certes poussés à agir, mais nous en avons fait une chance, car il n’est aucune difficulté dont on ne saurait triompher. Tel est le rendez-vous que nous proposons ce soir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Plusieurs députés du groupe UMP – Bravo ! Quel ministre !

M. Jean Le Garrec – C’est le meilleur – depuis notre époque ! (Sourires)

motion de renvoi en commission

M. le Président – J’ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des députés communistes et républicains une motion de renvoi en commission, déposée en application de l’article 91, alinéa 7, du Règlement. La parole est à M. Maxime Gremetz.

M. Maxime Gremetz – Ce projet de loi est selon vous une deuxième étape, après la réforme dite « Fillon » du 4 mai 2004, dont la vision écornée du dialogue social a laissé un goût amer aux organisations syndicales. Peu de temps avant la fin de cette législature, vous présentez un texte destiné, dites-vous, à donner un nouveau souffle à la démocratie sociale. Vous prenez peu de risques puisque les réformes adoptées en application de ce texte ne devraient pas être légion avant la fin de nos travaux ! C'est donc au prochain gouvernement qu’il reviendra de mettre en musique vos nouvelles règles du jeu.

Contrairement à vous, nous ne pensons que ce texte soit réellement « fondateur et innovant » : il s’agit d’une étape importante…

M. le Rapporteur et plusieurs députés UMP – Très bien !

M. Maxime Gremetz – Cela fait vingt ans que nous nous battons en ce sens, je ne vais donc pas dire qu’on recule lorsqu’on avance enfin ! Il reste que votre réforme est inaboutie. Le dialogue social a besoin d'être modernisé, redynamisé et rénové, mais votre gouvernement n’y est pas parvenu.

Votre échec est patent. Depuis cinq ans, vous avez tout fait pour vous affranchir du dialogue social, le point culminant de votre autoritarisme ayant été atteint avec l’épisode pathétique du CPE. Oui, au cours de cette législature, le syndicalisme a souffert, et les quelques accords conclus ne l’ont pas été dans un esprit constructif. Pis, se sont multipliées les situations où les organisations syndicales ont dû faire jouer leur droit d’opposition pour tenter de prévenir – parfois sans succès – de nouveaux reculs sociaux. Autre caractéristique très regrettable de la période actuelle : fréquemment, le juge est devenu l’arbitre du dialogue social, cependant que la réforme de 2004 consacrait le principe de l’accord dérogatoire, la ou les organisations signataires ne représentant pas forcément la majorité des salariés de l’entreprise.

Toutefois, malgré ces atteintes répétées, un nouveau climat s’est installé. Dès juillet 2001, quatre syndicats de salariés et trois organisations patronales avaient signé une position commune visant, malgré ses limites, à renforcer le dialogue social. La volonté d’élargir le champ de la négociation collective était manifeste, ainsi que celle d’aboutir à un mode de conclusion des accords qui – sans remettre en cause la capacité de chaque organisation représentative d’engager l’ensemble des salariés – renforce la légitimité finale de ces accords…

M. Jean-Pierre Soisson – Utile rappel.

M. Maxime Gremetz – Dans le même esprit, les voix de votre majorité se sont jointes à d’autres pour adopter, la semaine dernière, le rapport du Conseil économique et social. Le temps est donc venu de franchir une étape, qu’il s’agisse du mode de calcul de la représentativité syndicale, de la consécration de l’accord majoritaire en voix ou du respect de l’ordre public social, au terme d’un bouleversement de la hiérarchie des normes.

Chacun s’accorde à dénoncer le fait que la France soit l’un des grands pays industrialisés où le taux de syndicalisation est le plus faible – et en constante diminution depuis un quart de siècle, la proportion de salariés syndiqués n’excédant guère 5 %. Et il faut bien admettre que le débat sur la représentativité n’est pas nouveau ! En 1988, Pierre Rosenvallon estimait déjà que la faiblesse endémique de nos syndicats avait partie liée avec l’équivoque du pluralisme et l’application de critères de représentativité par trop confus. Quant à nous, nous demandons depuis 1982 que soit mené de front un double mouvement d’actualisation des critères de la représentativité et de consécration des accords majoritaires, seuls les protocoles signés par une ou plusieurs organisations représentant la majorité des salariés de l’entreprise pouvant être considérés comme valables.

Dans la mesure où l’on admet que les organisations syndicales sont garantes des droits des salariés et habilitées à négocier en leur nom, il est impératif de vérifier leur représentativité selon des modalités actualisées. On ne peut s’en remettre à un acte réglementaire vieux de plus de quarante ans, fondé de surcroît sur des critères obsolètes. Lors de l’examen du texte de 2004, M. Fillon avait admis que ma proposition d’organiser des élections de représentativité était fondée, tout en regrettant que les esprits ne soient pas mûrs. Je crois que nous y sommes aujourd’hui : les organisations sont prêtes, et c’est pourquoi nous défendons l’idée d’organiser, le même jour et pour tous les salariés, des élections de représentativité, qui permettront de mobiliser les salariés et de présenter l’ensemble des organisations syndicales. C’est en faisant connaître l’action des syndicats que l’on convaincra les salariés de leur utilité et de la nécessité d’adhérer. Il semble que, du côté des organisations patronales, la nécessité de procéder à une actualisation de la mesure de la représentativité de chaque organisation est également admise. Compte tenu de l’accord de principe du Conseil économique et social et de l’initiative conjointe des deux principales centrales syndicales – la CGT et la CFDT –, et semble-t-il, de l’avis favorable du Premier ministre, au nom de quoi différer encore l’indispensable réforme ? Il serait plus sage d’accepter notre amendement visant à inscrire dans le présent texte la révision de la représentativité syndicale ! Qu’attend-on pour négocier ? D’ici à la dernière lecture du texte, au début de l’année prochaine, le Gouvernement aura largement le temps de procéder aux consultations nécessaires. Dois-je rappeler qu’il a démontré, en d’autres circonstances moins heureuses, sa capacité à aller très vite ?

Si l’objectif commun est vraiment de consolider et de moderniser notre démocratie sociale, il est indispensable d’actualiser la loi du 11 février 1950 et d’abroger l’arrêté du 31 mars 1966 posant une présomption irréfragable de représentativité pour cinq organisations. Bien entendu, la réforme ne doit pas conduire à laisser accéder à la représentation des organisations non républicaines, et il faudra s’en prémunir en retenant des critères adaptés et en s’appuyant sur la jurisprudence.

Quant à la consécration des accords majoritaires – qui vise, j’y insiste, à ce que la validité d’un accord soit subordonnée à sa signature par au moins une organisation représentant la majorité des salariés –, elle s’impose d’autant plus, à tous les échelons de la négociation, qu’elle répond à une exigence citoyenne d’adaptation de notre droit du travail. À quoi bon voter aux élections professionnelles, à quoi bon s’engager dans le syndicalisme si le code du travail tolère qu’un accord passe outre la volonté majoritaire des salariés de l’entreprise, pour peu qu’il ait été conclu avec une organisation, minoritaire mais présumée représentative ? Ignoré dans la loi de 2004, le principe de l’accord majoritaire est d’essence démocratique : il doit être au fondement de toute la négociation collective. Or je rappelle que seules les lois Aubry sur la réduction du temps de travail l’ont introduit comme une condition sine qua non pour valider les accords ouvrant droit au versement de certaines aides. Et il n’y a pas eu de blocage ! Rien n’interdit de généraliser ce principe. Ainsi, le Conseil économique et social propose de mettre fin au droit d’opposition en adoptant d’abord la majorité d’engagement. Ce compromis traduit une première prise de conscience qui doit faire réagir le Gouvernement.

Il faut même aller plus loin encore. Les expériences d’accords majoritaires existent déjà : le groupe Thales, par exemple, considérant qu’ils sont plus légitimes, n’en négocie plus d’autres et précède ainsi la loi ! Un pas est franchi : il reste à généraliser la procédure. En effet, les accords concernant les droits sociaux ne peuvent plus être conclus par des syndicats ne représentant qu’une minorité de salariés. De plus, le droit d’opposition conduit parfois des syndicats majoritaires à rejeter des mesures auxquelles ils sont en réalité favorables, sans pour autant exclure celles qu’ils jugent inacceptables. Ce faisant, ils s’opposent non seulement à la direction, mais entre eux. On entend souvent déplorer le manque d’esprit constructif des syndicats ; et pour cause, puisqu’on les oblige à dire non ! Le patronat en profite pour conduire les négociations sans se soucier des attentes de la majorité des salariés.

Ce lourd déficit de démocratie sociale est un indéniable facteur de régression. À preuve, le conflit qui, en septembre 2004, a opposé la CGT à Perrier dans le Gard. La CGT a refusé l’accord prévoyant 1 047 départs anticipés avant 2007, mais a dû lever son veto face à la menace brandie par Nestlé de céder Perrier et de filialiser tous ses sites français. L’usage du droit d’opposition avait, en l’occurrence, entraîné un vide juridique empêchant toute négociation. Le dispositif actuel n’est donc pas satisfaisant.

Enfin, il faut préserver le vieux principe de faveur en revenant sur la loi de mai 2004 qui généralise injustement les accords dérogatoires. Le procédé est à la fois simple et vicieux : en matière de salaire minimum, de classifications et de protection complémentaire, nul accord ne peut comporter des clauses défavorables aux salariés par rapport à l’accord de niveau supérieur, mais, dans les autres domaines, de telles clauses sont possibles. On ne peut laisser perdurer le risque que les droits des salariés soient ainsi négociés à la baisse. Ne dérogeons pas à un principe de progrès !

Le professeur Lyon-Caen disait de la loi Fillon qu’elle était un texte « pertinent dans son sujet et impertinent dans son état ». Cette judicieuse remarque s’applique aussi au présent projet, que nous proposerons d’améliorer grâce à des idées que nous défendons parfois depuis 25 ans. Assez perdu de temps : les partenaires sociaux s’accordent aujourd’hui à juger ces mesures indispensables. Ainsi, l’accord majoritaire – que nous avons intégré à la réforme du temps de travail – ou la révision des critères de la représentativité peuvent contribuer à dessiner les contours d’un dialogue social moderne et progressiste.

La représentation nationale doit se retrouver autour d’une réforme complète et conforme aux aspirations syndicales. Le Gouvernement ne peut se satisfaire d’un texte insuffisant, qui doit comprendre la révision de la loi de 2004, mais aussi les piliers que j’évoquais à l’instant. Comme le Conseil économique et social, j’espère qu’il ne s’agira pas là de renvoyer à d’hypothétiques réformes, mais bien de travailler sur les priorités que nous formulons dans nos amendements.

Le renvoi en commission permettra un tel approfondissement, à la lumière notamment du rapport du Conseil économique et social, qui ne nous est parvenu qu’hier,…

M. Bernard Perrut, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et socialesC’est vrai.

M. Maxime Gremetz – …mais aussi en nous appuyant sur l’amendement que la CGT et la CFDT ont proposé aux présidents de groupe et que nous sommes prêts à défendre, mais dont la commission ne s’est pas saisie pour cause de dépôt trop tardif. Pour toutes ces raisons, votons cette motion : il ne s’agit pas de toucher aux avancées, mais de parfaire la réforme !

M. le Président de la commission – Le propos était d’un grand intérêt. Néanmoins, la commission a examiné 56 amendements et en a adopté six à l’initiative du rapporteur. Le rapport du Conseil économique et social, il est vrai, est une formidable source de réflexion, certes, mais, quant aux amendements rédigés par MM. Chérèque et Thibault, ils semblent tomber du ciel : je ne souhaite pas que la commission travaille sous pression. Il faut, chacun en convient, du temps pour travailler sur ces questions.

M. Gaëtan Gorce – Vous avez eu cinq ans !

M. le Président de la commission – Par ailleurs, l’audition du ministre a donné lieu à de véritables échanges, et l’examen des amendements fut l’occasion d’un débat approfondi. Certains d’entre eux, cosignés par des commissaires de l’opposition, furent d’ailleurs adoptés à l’unanimité : c’est un signe qui ne trompe pas. Privilégions le rapprochement, plutôt que la division : un renvoi en commission ne me paraît par opportun. Je vous propose donc de rejeter cette motion.

M. Jean-Pierre Soisson – M. Gremetz vient de manifester une telle ardeur à débattre du projet et à présenter ses propositions qu’il nous sera certainement reconnaissant de rejeter sa motion, afin d’en venir plus vite au texte.

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Maxime Gremetz – Je demande une suspension de séance, Monsieur le président.

La séance, suspendue à minuit, est reprise à 0 heure 10, le mercredi 6 décembre.

M. le Président – J’appelle maintenant les articles du projet de loi, dans le texte du Gouvernement.

avant l'Article premier

M. Alain Vidalies – Notre amendement 30 rectifié dispose que « la représentativité au niveau national des organisations syndicales légalement constituées est appréciée en retenant les résultats d’une élection de représentativité organisée tous les cinq ans dans l’ensemble des entreprises de chacune des branches professionnelles et permettant à tous les salariés d’y participer ».

Nous répondons là à la question de fond, qui porte à la fois sur le principe de représentativité et sur l’opportunité d’introduire celui-ci dans la loi. Si j’ai bien compris, personne ne défend le maintien du droit actuel, mais le Gouvernement et la majorité nous disent que le moment n’est pas venu de le réformer, tout en nous présentant un projet sur le dialogue social !

C’est le Gouvernement qui a organisé cette situation, en commandant dès le départ deux rapports distincts – l’un à M. Chertier sur le temps réservé au dialogue social, l’autre à M. Hadas-Lebel sur la représentativité des syndicats et sur la validité des accords – alors que les sujets qu’ils traitent sont évidemment indissociables. Pourquoi les scinder, sinon parce que la stratégie du Gouvernement est de traîner les pieds ?

Le 31 octobre, vous déclariez à La Tribune, Monsieur le ministre, que le projet – celui dont nous parlons aujourd’hui – s’adapterait spontanément aux évolutions de la représentativité et qu’il prendrait en compte les pistes de réforme formulées par le CES. Aujourd’hui, vous dites : oui, mais plus tard. De son côté, le Premier ministre se déclare d’accord avec les propositions du CES et parle d’un « avant-projet ». Comme nous sommes début décembre et que nos travaux parlementaires devraient se terminer vers la fin février, je me demande quand viendra ce projet ou cet avant-projet. L’affaire traîne depuis des années, nous avons un avis unanime du CES, pourquoi attendre davantage ? Nous serions en tout cas très heureux de connaître le calendrier prévu, Monsieur le ministre.

J’entends déjà votre objection : les organisations syndicales seraient d’accord sur le principe, mais non sur les modalités d’application. Qu’à cela ne tienne ! Inscrivez au moins le principe dans le présent projet.

Même si vous refusez nos amendements, vous devez accepter que ce principe partagé soit inscrit dans la loi. Vous avez dit tout à l’heure, Monsieur le ministre, que le Gouvernement était à l’écoute, et que ce texte était né des événements qui ont vu votre gestion des rapports sociaux sanctionnée par une mobilisation sociale importante. Vous auriez pu vous référer à Malraux, qui disait qu’il fallait transformer l’expérience en conscience. Ne vous arrêtez pas au milieu du gué : il nous faut une réponse, au moins sur le principe de la représentativité des organisations syndicales sur la base du vote des salariés.

M. Maxime Gremetz – C’est dans cet esprit que deux grandes organisations syndicales ont pris l’initiative dont je vous ai parlé tout à l’heure. Si l’on veut avancer et en finir avec le décret de 1966, il faut organiser rapidement, comme le propose notre amendement 13, des élections professionnelles de représentativité – sans quoi les recommandations du Conseil économique et social resteront lettre morte. Je veux bien donner du temps au temps, mais il faut savoir donner une impulsion quand c’est nécessaire. La démarche qui est suivie est la bonne, mais il faut maintenant qu’elle se concrétise.

Certains pensent qu’il faut utiliser les prochaines élections aux conseils de prud’hommes. Je n’en suis pas, car je considère qu’il ne faut pas dévoyer ces élections. Mais d’autres pistes existent. Le débat sur les modalités de mise en œuvre du principe est engagé dans les organisations syndicales. Telle organisation avance ainsi l’idée de s’inspirer de l’élection des administrateurs de la Sécurité sociale par les salariés, qui serait du même coup rétablie. Pourquoi pas ? On ferait ainsi coup double !

La CGT et la CFDT souhaitent que le principe soit posé dans la loi, afin que l’on puisse avancer rapidement. Franchement, le Gouvernement devrait saisir cette chance.

Mme Martine Billard – L’amendement 45 vise également à organiser des élections pour mesurer la représentativité des organisations syndicales. Vous avez précisé devant la Commission nationale de la négociation collective, Monsieur le ministre, qu’il serait demandé aux organisations syndicales et professionnelles les plus représentatives au niveau national si elles envisageaient de négocier un accord interprofessionnel. Cette demande sera donc adressée aux cinq confédérations reconnues comme représentatives. Il ne faudrait pas que ce projet aboutisse à figer la situation, alors que tout le monde s’accorde sur le fait qu’on ne peut plus en rester à l’arrêté de 1966. On ne peut se contenter d’y inclure les confédérations qui ne sont pas reconnues : ce n’est plus au ministre de décider, mais aux salariés.

Il y a eu des débats sur la mesure de la représentativité. Les Verts ont d’ailleurs évolué : nous n’aurions sans doute pas fait il y a un an la proposition que nous faisons aujourd’hui. La représentativité dans l’entreprise est aujourd’hui mesurée selon les critères du fameux article de représentativité. Reste la question de la représentativité au niveau de la branche et au niveau national. Compte tenu de la structure actuelle du salariat, il faut que les salariés des PME et des TPE soient pris en compte. Le choix des élections professionnelles laisse de côté une grande partie des salariés. Il n’est donc pas possible. C’est à partir de ces nécessités que nous en sommes arrivés à proposer une élection au niveau des branches et une périodicité – tous les cinq ans – qui permet de stabiliser une représentation syndicale. Pour savoir quels syndicats ont le droit de se présenter à ces élections, il faut néanmoins définir des critères. Il faut éviter que les syndicats qui se présentent au niveau national ne représentent pas les syndicats existants dans les entreprises. Cet amendement propose donc le principe d’une élection tous les cinq ans, en renvoyant à un décret – qui peut être négocié avec les partenaires sociaux, y compris dans le cadre des dispositions de ce texte – les définitions précises.

M. le Rapporteur – Nous sommes comme vous attentifs aux recommandations du Conseil économique et social. Ces amendements apportent une contribution au débat, qu’il s’agisse de l’organisation d’élections professionnelles de représentativité spécifique, pour répondre à la question de la représentativité syndicale, des règles de validité des accords collectifs de travail, fondées sur le principe majoritaire à tous les niveaux de la négociation, des règles particulières de conclusion des accords dans les plus petites entreprises ou de la remise en cause des principes de la loi du 4 mai 2004. Mais vos propositions ne sont pas les seules et ce texte n’a pas la prétention de traiter toutes les questions se rattachant au dialogue social : ce n’est pas un hasard si deux rapports distincts ont été demandés, l’un à Dominique-Jean Chertier sur la modernisation du dialogue social et l’autre à Raphaël Hadas-Lebel sur la représentativité.

L’avis du Conseil économique et social vient de faire l’objet d’un vote, et a été remis officiellement au Premier ministre. Étant donné l’importance des enjeux, il n’est pas envisageable que ces réformes interviennent sans une concertation préalable avec les partenaires sociaux. Vous n’ignorez pas que les débats ont donné lieu à des tensions. M. Larcher disait lui-même le 6 novembre, devant la Commission nationale de la négociation collective, que nous serions « d’autant plus armés pour aborder les questions délicates du rapport Hadas-Lebel que le socle des rapports entre pouvoirs publics et partenaires sociaux aura été posé par le texte qui vous est aujourd’hui soumis. »

C’est la raison pour laquelle le Premier ministre a demandé ce matin à Jean-Louis Borloo et à Gérard Larcher, lors de la remise de l’avis du CES, de travailler avec l’ensemble des organisations syndicales et professionnelles à régler les questions qui restent ouvertes. Le critère de l’élection doit-il être exclusif ou combiné avec d’autres ? Sur quelles élections fonder la représentativité ? Quel seuil retenir ? Quelle organisation et quel financement ? Ces interrogations majeures restent à approfondir.

Ces amendements tendent tous les trois à organiser une élection de représentativité, en se fondant – plus ou moins directement – sur l’avis du Conseil économique et social. Un consensus commence à se dégager sur la nécessité de la réforme, mais les modalités de celle-ci sont encore en discussion. Le Conseil économique et social évoque ainsi une périodicité de cinq ans pour l’élection, mais seulement à titre d’exemple. Il avance en outre l’idée d’une instance indépendante, qui apprécierait la situation des organisations syndicales à partir des résultats de l’élection et « attribuerait » ensuite la représentativité nationale. Il précise que l’élection pourrait n’être qu’un critère parmi d’autres et insiste sur la nécessité de réviser les critères permettant de se porter candidat et de recourir aux nouvelles technologies pour l’élection.

Bref, la question est complexe. Elle requiert une concertation. Le travail commun entre le Gouvernement et les partenaires sociaux annoncé par le Premier ministre va donc dans le bon sens.

M. le Président – Sur le vote de l’amendement 13, je suis saisi par le groupe communiste et républicain d’une demande de scrutin public.

M. le Ministre délégué – Dans son avis, le Conseil économique et social pose des principes, sans aborder les modalités d’application. Je vous en lis quelques lignes : « Pour notre assemblée, c’est sur cette base que devraient être définis le ou les scrutins permettant de mesurer la représentativité des organisations. Il conviendrait également de préciser à cette occasion le seuil de représentativité à retenir pour permettre de sélectionner sans exclure. Un seuil égal ou supérieur à 5 % pourrait être retenu, en tenant compte de la spécificité reconnue à la CFE-CGC pour la représentation de l’encadrement ». Vous voyez que nous avons un certain nombre de points à régler. En la matière, le législateur ne peut se contenter de poser les principes, il doit énoncer des règles précises. Donc, il faudrait dire s’il est question seulement d’élections, si d’autres critères s’appliquent, préciser le niveau approprié pour les élections, les modalités de candidature, le financement, les procédures de contestation… L’avis du Conseil économique et social laisse sans réponse un certain nombre de questions relatives au seuil et aux critères. Voilà pourquoi j’en reviens à la notion d’étape.

Dans les avis de ceux qui n’ont pas voté, dans l’expression de tel ou tel, il y a aussi des ouvertures, et des questions restent en suspens. Il est important que nous menions, dans les semaines qui viennent, le débat avec les partenaires sociaux, qu’ils soient représentatifs ou non aux termes du texte de 1966. Le Gouvernement a, naturellement, déjà consulté des organisations qui ne sont pas actuellement reconnues comme représentatives : l’UNSA, la FSU, G10 solidaires…

M. Jean-Pierre Soisson – MM. Vidalies et Gremetz et Mme Billard n’ont pas la même lecture de la proposition d’amendement des secrétaires généraux de la CGT et de la CFDT, et leurs propositions de modification des règles sont différentes. Le projet de loi est un point de départ et le Gouvernement a la mission de négocier une meilleure représentativité syndicale.

L’avis du Conseil économique et social a l’appui de deux syndicats, mais il ne faudrait pas passer par pertes et profits les autres : FO, la CGC, les organisations patronales. Vous donnez tout, ce soir, à la CGT, selon des modalités différentes de l’un à l’autre. Si nous souhaitons, quant à nous, une meilleure représentativité syndicale, et si nous voulons que cela passe par un programme défini par le Gouvernement, nous ne voterons pas dans l’urgence n’importe quoi !

M. Francis Vercamer – Chacun s’accorde à dire qu’il est temps de réformer la représentativité irréfragable des cinq organisations de salariés arrêtée en 1966. Dans son avis, le Conseil économique et social pose comme critère de cette représentativité réformée les résultats aux élections professionnelles. Or, je considère que ce n’est pas le seul critère. Il faut aussi une répartition territoriale harmonieuse, car aller négocier des accords sur des territoires que l’on ne connaît pas bien ne me paraît guère judicieux. Il faut également que les syndicats disposent d’effectifs suffisants. Enfin, dans la position commune du 16 juillet 2001, il était indiqué que la représentation collective devait se faire d’abord par branche.

Il est inopportun de voter ces amendements, qui me rappellent d’ailleurs ce qui s’était passé avec le CPE. L’UMP, qui avait la majorité à l’Assemblée nationale, avait imposé un amendement contre l’avis de tous les autres groupes. Ici, la CGT et la CFDT, qui s’estiment majoritaires, demandent d’adopter un amendement contre l’avis de tous les autres.

Je proposerai, quant à moi, un amendement visant à ce que le Gouvernement formule des propositions à l’adresse des partenaires sociaux, lesquels y réfléchiront et viendront nous donner leur avis, de façon consensuelle. Le groupe UDF ne votera donc pas ces amendements.

M. Gaëtan Gorce – On mélange le problème de fond et la question d’opportunité. Le problème de fond, c’est de savoir s’il faut ou non modifier les règles de représentativité, et si cela doit être fait, comme le pense le Premier ministre, sur la base des résultats aux élections, ainsi que le préconise le Conseil économique et social. Ce point mérite d’être examiné attentivement, car il y a, derrière, les conditions nouvelles dans lesquelles se déroule le dialogue social. Pendant des décennies, le fait qu’un accord ne soit signé que par une minorité d’organisations ne posait pas réellement problème dès lors qu’il s’agissait de se partager des bénéfices. Depuis une vingtaine d’années, le contexte a radicalement changé : la négociation porte aujourd’hui soit sur des dérogations à certains avantages, soit sur des réformes dont le caractère positif ou négatif n’est pas forcément évident à première vue. C’est pour cela que la réforme est devenue plus difficile et qu’il est nécessaire de poser des règles nouvelles de représentativité pour que l’implication des salariés dans ces réformes soit incontestable.

Ensuite, se pose la question de l’opportunité. Vous nous dites que, puisqu’il organise le dialogue social, ce texte pourra être ensuite utilisé pour débattre de la représentativité. Mais quand ? Et comment ? Que le Gouvernement, en fin de législature, alors qu’il a à peine deux mois devant lui, nous dise : « c’est une première étape, nous verrons la seconde plus tard », a de quoi laisser dubitatif. Cela revient à signer un chèque sans provision. Vous n’avez pas aujourd’hui les moyens politiques de vous engager au-delà du texte que vous présentez.

Ensuite, M. Soisson affirme qu’intégrer l’avis du Conseil économique et social serait faire droit aux demandes d’une organisation syndicale, au détriment des autres. Je vous fais remarquer, tout d’abord, qu’il s’agit de deux organisations, la CGT et la CFDT, dont la déclaration commune constitue une donnée importante et qui devrait être matière à réflexion pour le Gouvernement. En outre, d’autres organisations, non représentatives aux termes de l’arrêté de 1966, sont également favorables à cette évolution de la représentativité.

On a dit que, sur un sujet comme celui-ci, le Conseil économique et social ne devait pas voter, qu’il fallait qu’il parvienne à un consensus. Sauf que le consensus était impossible et que le Conseil a dû se résoudre au vote. Notre responsabilité politique, aujourd’hui, est de procéder de la même manière : un principe est posé, entendons-nous l’accepter ou le rejeter ?

Enfin, Monsieur le ministre, vous nous dites que le législateur ne peut se contenter de poser le principe, sans fixer les modalités. J’aimerais que vous nous précisiez quelles dispositions constitutionnelles exigent cela et empêchent de renvoyer les modalités à plus tard, alors que l’article 34 de la Constitution dispose que la loi fixe les principes fondamentaux, notamment du droit syndical. Cet argument n’est pas recevable.

Mme Martine Billard – Si nous avons ce débat, ce n’est pas en raison du courrier commun de la CGT et de la CFDT : les amendements ont été déposés lundi soir, avant cette lettre. Le débat n’a pas été ouvert il y a quelques jours, ni même il y a quelques mois seulement. Certes, il a pris de l’ampleur avec le CPE, puis avec la demande du Gouvernement au Conseil économique et social. Une fenêtre a été ouverte, qu’il ne faut pas, maintenant, fermer sur les doigts des syndicats. Il faut continuer à avancer, trouver des solutions négociées. Et en l’absence de consensus, il faudra aussi, à un moment donné, que le Gouvernement prenne ses responsabilités et fasse la proposition la plus intéressante possible compte tenu du paysage syndical qui est le nôtre.

S’agissant de la représentativité « territoriale », je note que, dans les PME en particulier, des accords sont signés par des syndicats que les salariés n’ont jamais vus ! Si le taux de syndicalisation est plus important dans d’autres pays, c’est que l’obtention de droits supplémentaires y est subordonnée à l’appartenance au syndicat signataire. Telle n’est pas notre tradition républicaine. La représentativité telle qu’elle est avec ce fameux arrêté ne favorise pas la syndicalisation. Nous regrettons donc que le Gouvernement se refuse à poser le principe d’une modification de cette représentativité, quitte à renvoyer à la négociation ses modalités. Si certains syndicats opposent des blocages, nous devrons à un moment ou à un autre prendre nos responsabilités. En fait, ce ne sont pas deux mais quatre syndicats contre trois qui considèrent que la modification s’impose. J’ajoute que si l’on parle souvent de la représentativité des syndicats de salariés, on oublie d’évoquer celle des syndicats patronaux. Le patronat du secteur de l’économie sociale et solidaire, ainsi, n’est en rien représenté. Il s’agit donc d’un problème global et nous ne pourrons en rester au diktat de quelques organisations, s’opposant à la non-modification de l’arrêté de 1966.

M. Maxime Gremetz – La recommandation du CES concerne un principe, lequel doit, selon nous, être inscrit dans la loi : il faut déterminer la représentativité des organisations syndicales au plan national. On peut procéder de différentes manières, à travers par exemple des élections nationales ou par branche, mais l’essentiel est de faire vivre la démocratie. Comment la représentation nationale pourrait-elle ne pas soutenir l’avis du CES ? Tous les salariés de France doivent pouvoir s’exprimer. Non seulement il ne peut y avoir d’accord majoritaire sans élections de représentativité, mais il ne faut pas prendre de retard en la matière !

L'amendement 30 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.
À la majorité de 26 voix contre 6, sur 32 votants et 32 suffrages exprimés, l’amendement 13 n’est pas adopté.
L'amendement 45, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président – L’amendement 31 tombe.

M. Alain Vidalies – L’amendement 36 vise à modifier l’article L. 133-2 du code du travail précisant les critères de représentativité des organisations syndicales – effectifs, indépendance, cotisations, expérience et ancienneté du syndicat, attitude patriotique pendant l’Occupation. Il s’agit de substituer à ce dernier critère l’audience et l’activité, ainsi que le respect des valeurs républicaines afin d’éviter la présentation d’organisations syndicales qui ne viseraient pas exclusivement à défendre les salariés ou qui seraient inspirées par des partis politiques comme ce fut le cas naguère avec le Front national. Enfin, je rappelle que le commissaire du Gouvernement Jacques-Henri Stahl a déclaré devant le Conseil d’État que la composition du paysage syndical est en cause dans la mesure où elle reflète encore les héritages politiques de la Libération et de la guerre froide. Selon lui, les diverses règles régissant la représentativité syndicale tendent davantage à conforter cet héritage, voire à figer le paysage, qu’à favoriser son renouvellement. On peut dès lors être tenté, dit-il, de prendre position et d’inciter à des évolutions novatrices.

Tout le monde a donc décidé d’agir sur cette question, sauf le Gouvernement et l’UMP !

M. le Rapporteur – Avis défavorable car, si cet amendement part d’un bon sentiment, il n’en est pas moins imparfait. Si le CES estime qu’il convient d’insérer dans la liste des critères de représentativité les critères jurisprudentiels que sont l’audience et l’activité et de substituer à la notion d’attitude patriotique pendant l’Occupation celle du respect des valeurs républicaines, il considère également que l’ensemble des autres critères doivent aussi être réévalués de manière à ce qu’ils revêtent un caractère objectif facilement contrôlable, et non soumis à interprétation possible par un juge en cas de contentieux.

M. le Ministre délégué – Le Conseil d’État n’a pas annulé l’arrêté de 1966, dont on n’est par ailleurs guère certain de la légalité, si je puis m’exprimer ainsi à cette heure-ci de nos débats.

D’autre part, vous avez oublié l’outre-mer, cependant que le rapport du Conseil économique et social n’a fait qu’effleurer le sujet. Nous devons pourtant réfléchir à l’adaptation territoriale de la représentativité.

M. Alain Vidalies – Il suffit d’amendements pour cela !

M. le Ministre délégué – Certes, mais nous devons en débattre au fond ! Par le truchement de certains députés, plusieurs organisations syndicales ont déposé des amendements sur la représentativité, mais elles se sont peu souciées de cette question.

Comme l’a souhaité le Premier ministre, nous devons donc continuer notre réflexion sur les critères afin d’aboutir à une convergence – nous pouvons y parvenir, si j’en crois les discussions que j’ai eues avec les partenaires sociaux en marge d’autres dossiers. Je ne vous demande donc pas de renvoyer à plus tard ces dispositions, mais au contraire de nous permettre de franchir une étape supplémentaire !

M. Maxime Gremetz – Je ne suis pas non plus favorable à cet amendement, car nous devons laisser aux organisations syndicales le soin de régler ces détails. Contentons-nous de fixer les principes sans nous substituer aux acteurs concernés, qui doivent trouver un compromis – chacun aura noté que la CFDT souhaiterait évaluer la représentativité à la base, en partant des élections de branches, tandis que nous voudrions prendre pour référence le niveau national, mais ce n’est pas à nous de décider !

Il est vrai que nous avons tous des idées bien arrêtées sur certains points, notamment sur les valeurs républicaines, mais je n’apprécierais pas, en ancien syndicaliste que je suis, qu’on vienne me marcher sur les pieds ! Je ne prétends pas que le sujet ne concerne pas la représentation nationale, mais il touche surtout les organisations syndicales.

M. Jean-Pierre Soisson – Cet amendement est non seulement prématuré, comme l’a expliqué le ministre, mais également inutile : la jurisprudence a déjà interprété dans le sens que vous préconisez la référence à l’attitude patriotique pendant l’Occupation. Nous ne voterons donc pas votre amendement.

M. Francis Vercamer – Une fois de plus, le groupe socialiste nous reproche de légiférer sans organiser au préalable le dialogue social, mais il propose un amendement sans appliquer sa propre leçon – il faut dire qu’il avait fait de même avec les 35 heures !

Mme Martine Billard – Que faites-vous de l’avis du CES ?

M. Alain Vidalies – Personne ne peut prétendre que la représentation nationale n’a pas son mot à dire en la matière. En effet, quand nous avons vu émerger des organisations issues de partis d’extrême droite, nous nous sommes réjouis que la loi leur refuse la qualité de syndicats. Heureusement que ce n’est pas la « base » qui a fixé les critères !

Ce que nous voulons modifier par la loi, ce n’est pas un texte conventionnel. Et nous voulons seulement reprendre les critères retenus par des dizaines d’arrêts de la Cour de cassation et par le CES, dans son avis. Il ne serait pas absurde, d’un point de vue juridique, de remplacer la référence à l’attitude pendant l’Occupation par les références jurisprudentielles… Si vous ne voulez pas du droit positif, c’est votre affaire, mais ne prétendez pas voir malice dans notre proposition ! Sur ces critères, il ne devrait pas y avoir de divergences idéologiques entre républicains.

L’amendement 36, mis aux voix, n’est pas adopté.

M. le Président – Les amendements 32 rectifié et 47 rectifié tombent. Nous en venons à l’amendement 14.

M. Maxime Gremetz – Avec cet amendement, nous en venons au second volet de toute réforme ambitieuse du dialogue social : l’accord majoritaire. C’est un principe que nous demandons d’adopter depuis 1982 et que nous avons introduit pour la première fois dans notre droit à l’occasion des lois sur la réduction du temps de travail. Nous avions déposé une proposition de loi pour aller plus loin, mais la loi dite « Fillon » a mis son coup d’arrêt…

La légitimité des accords est pourtant une condition essentielle de la modernité de notre dialogue social, qui ne peut plus reposer sur le droit d’opposition. Un tel principe place en effet les organisations syndicales dans une position de contestation et d’opposition, au lieu de les inciter à élaborer des accords progressistes, soutenus par des syndicats représentant la majorité – en voix – des salariés. Par ailleurs, le principe de majorité, tel qu’il résulte de la loi de 2004, est de nature antidémocratique : les accords peuvent être signés par une majorité de syndicats, quel que soit le nombre de salariés qu’ils représentent dans les faits. Transposez ce principe à notre Assemblée et votre loi de finances ne passait pas ! Puisqu’il ne serait pas démocratique d’exiger l’accord de trois groupes politiques sur quatre dans notre assemblée, pourquoi maintenir une telle règle pour les accords collectifs ?

Le rapporteur de la loi de mai 2004, notre collègue Jean-Paul Anciaux, nous invitait d’ailleurs à la réflexion : « Nos collègues de l’opposition expliquent qu’il faudrait passer immédiatement à l’accord majoritaire d’engagement pour tous les types d’accords. Je leur ferai remarquer que les partenaires sociaux ne sont pas demandeurs d’un changement aussi brutal. Faudra-t-il aller plus loin ? Probablement. »

Où en sommes-nous donc ? Comme l’écrivaient MM. Aurélli et Gautier dans le pré-rapport du CES, « la perspective actuelle est d’aller vers une approbation majoritaire par les salariés des accords qui les concernent, c’est-à-dire vers une majorité d’engagement ou positive », ajoutant que « cette majorité devra être fondée sur le nombre de salariés ». Toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour redéfinir les contours de la validation des accords. Il est un moment où l’idéologie doit laisser la place à l’efficacité et au pragmatisme, rappelait souvent François Fillon lorsqu’il était ministre. Tel est précisément le sens de cet amendement…

J’ajoute qu’il n’y aurait pas de cohérence à voter ce projet de loi sans revisiter la loi de 2004, dans une démarche d’ensemble attendue par les partenaires sociaux, car seule à même de donner à ce projet de loi l’envergure qu’ils espèrent.

M. le Rapporteur – S’agissant de la validité des accords, nous avons déjà adopté une réforme importante il n’y a pas si longtemps – la loi du 4 mai 2004 : il est désormais possible de fixer la règle de la majorité par un accord de branche, dit de « méthode ». L’article 56 de la loi de 2004 a par ailleurs prévu que le Gouvernement présente avant le 31 décembre 2007 un rapport sur l’application des dispositions relatives au dialogue social, après un avis motivé de la CNNC. Il existe donc une clause de rendez-vous…

Le CES s’est d’ailleurs félicité de cette méthode, demandant qu’on respecte cette échéance avant toute refonte du dispositif actuel. Dans son avis, il souhaite une évaluation préalable du passage du droit d’opposition majoritaire à la majorité d’engagement, et exige une réflexion sur la représentativité avant toute modification. À terme, il préconise d’adopter dans un premier temps le principe de la majorité relative, et non absolue. Vous voyez que la réflexion est loin d’être à son terme…

M. le Ministre délégué – Nous ferons le bilan d’application de la loi de 2004 le 31 décembre 2007. Nous verrons alors si nous devons faire bouger à nouveau les lignes ou non. Nous devons procéder par étapes, en commençant par adopter ce texte sur le dialogue social, préalable nécessaire. Rien ne serait pire, en effet, que de susciter un blocage en précipitant les évolutions. La loi « Fillon » était une étape, cette loi en sera une autre, puis viendra peut-être un texte élaboré en concertation avec les partenaires sociaux.

M. Gaëtan Gorce – Vous ne serez plus là !

M. le Ministre délégué – C’est possible, mais la loi qui vous est présentée aura déjà changé la donne en matière de dialogue social – j’en prends le pari !

M. Gaëtan Gorce – Si vous prenez des paris, soyez plus courageux !

M. Alain Vidalies – Je déplore qu’une lecture rigide et quelque peu pointilleuse conduise à considérer que nos amendements sont tombés. Quoi qu’il en soit, je souhaite revenir sur le principe même de l’accord majoritaire. Monsieur le ministre, comme vous le savez parfaitement, ce qui pose problème à tous les niveaux, c’est l’existence même d’accords minoritaires. Nous avons là, en effet, le seul exemple connu où, en contravention avec tous les principes de base de la démocratie, une minorité peut être à l’origine de normes valables pour tous. En 2004, nous en avons débattu pendant des heures. Vous avez, pour parler clair, tourné autour du pot et votre seule réponse a consisté à mettre au point une usine à gaz dans laquelle plus personne ne se retrouve. Le principe serait l’accord majoritaire en nombre d’organisations représentées dans l’entreprise ; cependant, à condition que ce soit prévu dans un accord de branche conclu dans le cadre de l’ancien système des trois sur cinq, il serait possible de retenir l’accord majoritaire en termes de suffrages des salariés – ce qui correspond à ce vers quoi l’on tend aujourd’hui… Comment s’étonner qu’à la base, personne n’y comprenne plus rien ? Il y a deux ans, lorsque nous vous alertions sur cet état de fait, vous répondiez invariablement qu’il y aurait des accords conclus sur cette base et qu’il n’y avait donc pas lieu de s’alarmer. Je serais curieux de connaître le bilan des accords intervenus sur la base d’accords préalables de branche ! La vérité, c’est qu’il ne s’est rien passé du tout. Quelles que soient vos réticences de fond – qui semblent hélas bien réelles –, il est temps de franchir le pas et de reconnaître l’accord majoritaire.

Mme Martine Billard – Je regrette également que mon amendement 47 rectifié soit tombé. Le fond du problème, c’est que la loi de 2004 a remplacé un déni de démocratie par un autre. Au final, l’accord minoritaire – en voix – existe toujours et l’on a malheureusement l’impression que vous n’avez pas envie de bouger ! La formule retenue en 2004 est verrouillée et le bilan des accords intervenus sur ces bases est quasi nul. Quant à ce que vous appelez la démarche « par étapes », elle ne nous convainc guère davantage. Si je vous suis bien, le présent texte introduit certes une obligation de consultation – sinon de négociation – préalable, mais il faudra attendre le 31 décembre 2007 pour faire un bilan de l’application de la loi de mai 2004. Dans l’intervalle, nombre de questions essentielles restent en suspens, qu’il s’agisse de la représentativité ou du financement des organisations. Vous vous apprêtez à morceler le traitement de la question entre quatre ou cinq textes, alors qu’il faudrait une démarche d’ensemble, pour relancer la démocratie sociale en une seule fois. Une telle méthode est d’autant plus souhaitable que les problèmes posés sont désormais bien connus, un diagnostic sûr ayant été posé par diverses instances.

L'amendement 14, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Maxime Gremetz – L’amendement 15 rectifié reprend le troisième pilier de notre proposition de réforme, puisque, après la représentativité et les accords majoritaires, il tend à réhabiliter le principe de faveur. En effet, la loi du 4 mai 2004 a saboté cet élément fondamental de notre droit social. Au prétexte que le principe des accords dérogatoires figurait déjà dans notre droit, vous en avez profité pour le généraliser.

Faisons encore un peu d'histoire : formalisé en 1973 par un arrêt du Conseil d'État, le principe de faveur repose sur l’idée que l'on peut négocier une convention ou un accord améliorant les droits du salarié, mais en aucun cas un accord rognant sur les garanties minimales offertes par le code du travail. Une convention collective ou un accord de branche doivent, pour être valables, être plus favorables que la loi, de même qu'un accord d'entreprise devrait améliorer la protection offerte aux salariés par l'accord de branche ou le code du travail.

C'est ce minimum intangible qu'on appelle l'ordre public social. En 1982, le législateur l’a déjà écorné, en rendant possible la conclusion d'accords dérogatoires négociés sous ce seuil de protection. Depuis deux ans, la négociation collective a changé de fonction : alors qu'elle était conçue comme un moyen d'améliorer le sort des salariés, elle est devenu un outil de gestion de l'entreprise, destiné à assouplir son organisation ou à s'adapter à l'environnement économique en proposant des garanties au rabais pour les salariés.

Les accords « donnant-donnant » se sont généralisés. On l'a vu dans le chantage aux 35 heures, tendant à entretenir le mythe selon lequel les deux parties – l'employeur et les salariés – auraient un égal pouvoir. La réalité est tout autre. Le salarié est dans une situation d'infériorité fondamentale par rapport à l'employeur, et la négociation devrait, en principe, contribuer à corriger cet état de fait.

Il est d’autant plus impératif de rétablir le principe de faveur que la réforme Fillon était d'interprétation très large. En effet, l'accord devait préciser « s'il ne pourrait y être dérogé ». Autrement dit, en cas de silence, on déroge ! Il suffit d’un oubli dans l'accord pour que s’ouvre tout le champ de la dérogation.

En effet, la loi a changé le rapport entre les accords collectifs eux-mêmes. La hiérarchie qui existait entre l'accord d'entreprise, l'accord de branche et l'accord interprofessionnel n'existe plus. Ainsi, la protection est devenue l'exception et la possibilité de dérogation, la règle.

Il convient donc de réintégrer dans notre droit social ce qui a fait l'originalité de notre législation, elle-même arrachée de hautes luttes par les salariés. Cet amendement est donc fondamental pour rétablir les bases d'un dialogue social serein et modernisé. À défaut, la réforme que vous proposez sera un coup d'épée dans l'eau, bien loin de la révolution annoncée.

M. le Président – Sur le vote de l’amendement 15 rectifié, je suis saisi par le groupe des députés communistes et républicains d’une demande de scrutin public. Sur le vote de l’amendement 23 – que M. Vidalies s’apprête à défendre – je suis également saisi d’une demande de scrutin public, déposée par le groupe socialiste.

M. Alain Vidalies – Notre amendement 23 rectifié vise à abroger les dispositions de la loi Fillon de mai 2004, qui est revenue sur cet élément fondamental de notre droit social qu’est le principe de faveur. Monsieur le ministre, si votre intention est réellement de mettre les organisations syndicales de bonne humeur et de leur redonner confiance, vous seriez bien inspiré d’émettre un avis favorable à son adoption. Je ne résiste pas, en effet, à la tentation de rappeler les réactions qu’avait suscitées l’abrogation du principe de faveur de la part de toutes les organisations syndicales.

CFTC : « On peut prédire, sans crainte de se tromper, un véritable cataclysme. Si le projet était adopté en l'état, il serait possible de revenir sur les acquis de la loi et de la convention collective par un accord dérogatoire au sein de l'entreprise. Les réalistes que nous sommes prédisent un démantèlement du droit du travail, appelé de ses vœux depuis longtemps par le Medef. » Force ouvrière : « FO s'insurge contre la partie du projet de loi qui ferait du principe de faveur un objet de négociation alors qu'il devrait en être l'instrument. Le rôle économique de la branche, qui empêchait que la concurrence se fasse sur le dos des salariés, sera réduit à néant. Dans ce contexte, on ne peut parler que de régression sociale. » CGC : « Est-il utile de revenir sur cette loi scélérate au titre mensonger de loi sur le dialogue social ? Si par malheur cet immense recul social n'est pas amendé, la négociation de branche sera vidée de toute substance. Nos accords de branche nous garantissent au minimum le pain et le beurre. Avec la loi Fillon, nous aurons droit au quignon de pain sec. » CFDT : « Nous avons un désaccord de fond sur le rôle et la place de chaque niveau de négociation. Le Gouvernement a satisfait les demandes patronales en accordant une place excessive à la négociation d'entreprise. C'est une mesure libérale qui risque de conduire à l'appauvrissement de la branche. Celle-ci doit au contraire rester le pivot de la négociation collective. ». CGT : « Le projet bouleverse les principes actuels du droit du travail. Cette perspective est à ce point scandaleuse qu'elle a suscité un désaccord unanime et argumenté de toutes les organisations syndicales de salariés qui, une nouvelle fois, sont mises devant le fait accompli. Il est temps que le Gouvernement prenne conscience que son parti pris en faveur des revendications du Medef devient indécent et provocateur à l'égard des salariés. »

Tâchez, Monsieur le ministre, de réparer l’erreur gravissime qui a été commise en 2004, et soutenez notre amendement !

M. le Rapporteur – Avis défavorable. La loi de 2004, qu’il ne convient pas de réviser avant même qu’elle ait été évaluée, ne remet pas en cause le principe de faveur. En effet, elle prévoit l’articulation dynamique et maîtrisée des niveaux de négociation telle que la prône la position commune de 2001.

M. Alain Vidalies – Pas du tout !

M. le Rapporteur – De même, elle remet en cause ni la répartition constitutionnelle des compétences ni la soumission des normes aux exigences constitutionnelles.

M. Alain Vidalies – Encore heureux !

M. le Rapporteur – Elle ne menace pas non plus le rôle central de la loi – notamment du principe de faveur – dans l’articulation des normes. Enfin, les dérogations au principe de faveur remontent à 2002. Or, la loi de 2004 autorise les dérogations dans la seule mesure où la norme supérieure ne s’y oppose pas expressément.

M. Alain Vidalies - Ce n’est pas très convaincant…

M. le Ministre délégué – Même avis. Depuis la mise en œuvre de la loi de 2004, dix-huit conventions collectives ont été conclues, dont la moitié autorisaient la dérogation. C’est donc au cours du dialogue social qu’a été décidée l’application du principe de faveur. En 2005, le nombre d’accords auxquels les entreprises ne peuvent en tout état de cause déroger a augmenté, en partie grâce aux nouveaux textes sur les salaires minimum. Ces accords portaient tous sur des points essentiels : salaire minimum justement, mais aussi classifications, choix d’un organisme paritaire collecteur agréé, formation professionnelle ou encore âge de la retraite. Le dialogue social est donc au cœur de l’application de la loi de 2004 qui fera, de surcroît, l’objet d’une évaluation à la fin de l’année prochaine.

Comme l’usine à gaz que vous dénonciez, les principes dérogatoires sont donc issus de la position commune signée par la CFDT. Chacun est responsable de sa signature !

Mme Martine Billard – Le raisonnement est biaisé d’emblée : seules les cinq organisations syndicales dites représentatives peuvent signer de tels accords. Ce ne sont donc pas à proprement parler des accords majoritaires… D’autre part, le Conseil économique et social rappelle à juste titre que les accords de branche sont généralement plus favorables aux salariés des PME, qui souffrent encore souvent d’un retard croissant en matière de salaire ou de parité par rapport aux grandes entreprises. Avec les accords dérogatoires, vous ouvrez une brèche qui ne fera qu’aggraver ces inégalités. Au nom des députés verts, je voterai donc ces deux amendements.

M. Gaëtan Gorce – Hélas, le bilan de l’application de la loi de 2004 est éclairant : aucun accord n’a été signé grâce au système d’opposition majoritaire (M. le ministre délégué lève le poing, pouce tendu). Un seul accord de méthode, en effet : dans la biscuiterie. Je comprends qu’à cette heure-ci de la soirée, vous pensiez aux friandises, mais cela ne justifie pas tout…

M. le Ministre délégué – Un n’est pourtant pas zéro !

M. Gaëtan Gorce – Quant au principe de faveur, Monsieur le rapporteur, les syndicats n’ont pas réclamé sa remise en cause. Bien au contraire : ils l’ont condamnée. Jusqu’au vote de cette loi, en effet, l’impossibilité de déroger à une disposition plus favorable d’un accord de branche était acquise. Vous en avez fait un élément de la négociation et, de ce fait, en avez modifié l’équilibre au détriment des syndicats. Revenez sur ces dispositions adoptées sans l’accord des syndicats, et saisissez la perche que vous tend M. Vidalies afin de vous attirer leurs faveurs, comme vous prétendez le souhaiter !

M. Francis Vercamer – En 2004, le groupe UDF ne s’est pas opposé aux dérogations au principe de faveur, à condition qu’elles soient expressément autorisées au niveau supérieur – et non pas simplement qu’elles s’y soient pas interdites. Cela aurait permis à certaines branches de faire face à des difficultés ponctuelles, comme le textile après l’ouverture des quotas, par exemple. Nous ne voterons donc pas les présents amendements.

M. Alain Vidalies – Sur ces questions, l’UDF est toujours à droite !

M. Jean-Pierre Soisson – Vous tentez de grignoter toujours plus de terrain sur tous les aspects de ce texte. Voici que vous vous en prenez à la loi de 2004 !

M. Maxime Gremetz – Bien sûr : le projet de loi la contredit !

M. Jean-Pierre Soisson – Le Gouvernement vous en a promis un bilan : vous verrez qu’il n’est pas aussi noir que vous le dites !

À la majorité de 24 voix contre 5, sur 29 votants et 29 suffrages exprimés, l’amendement 15 rectifié n’est pas adopté.
À la majorité de 24 voix contre 6, sur 30 votants et 30 suffrages exprimés, l’amendement 23 n’est pas adopté.

M. Alain Vidalies – Les amendements 25, 26 et 27 sont défendus.

Les amendements 25, 26 et 27, repoussés par la commission et par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Alain Vidalies – L’amendement 29 vise à supprimer la possibilité pour le chef d’entreprise de conclure avec le salarié un accord individuel portant sur le contingent annuel d’heures supplémentaires. Une telle scorie sans précédent ne peut demeurer dans notre droit. C’est une terrible nouveauté, que vous combattez d’ailleurs à Bruxelles où certains de nos partenaires défendent l’opt out, une clause dérogatoire individuelle qui permet de se dégager de la norme légale afin de travailler plus. Elle n’a pas sa place dans notre code du travail, et pourrait donner de mauvaises idées.

Vous vous faites l’avocat d’un gestion collective des droits : corrigez au moins cette erreur, à défaut des autres, et supprimez cette disposition ! Cela ne vous rendra que plus convaincant face à nos voisins.

M. Gaëtan Gorce – Il y a beaucoup de cadavres dans le placard…

M. le Rapporteur – Avis défavorable. L’exposé des motifs de cet amendement assez éloigné de notre discussion indique que le principe des heures choisies est en contradiction avec les règles de la négociation collective. Au contraire : l’accord individuel est soumis à un accord de branche. J’ajoute que deux accords de branche, l’un dans la construction, l’autre dans la métallurgie, ont expressément ouvert la possibilité d’effectuer des heures choisies.

M. le Ministre délégué – Même avis défavorable. Sans revenir sur le rapport d’étape que j’ai présenté devant la commission, je voudrais souligner qu’il y a une vraie différence entre l’accord des parties, fruit du dialogue social, et ce que vos amis travaillistes comme ceux du SPD soutiennent, à savoir « l’opting out » individuel, qui peut porter le temps de travail à 65 heures par accord individuel. Heureusement, la France s’est opposée à sa généralisation au niveau européen en prenant la tête d’une minorité de blocage.

M. Alain Vidalies - On a tout de même inscrit dans la loi la possibilité d’un accord individuel entre le salarié et l’employeur. Que cette possibilité soit encadrée par des accords collectifs, j’en conviens et je veux bien que cela fasse une différence avec le droit anglo-saxon, mais il y a tout de même, depuis ce texte dont nous demandons l’abrogation, un moment où le salarié se retrouve tout seul face à son employeur pour donner ou non son accord à une dérogation au droit du travail. C’était une première dans notre droit !

M. Jean-Pierre Soisson - Nous avons déjà eu longuement ce débat, Monsieur Vidalies, lors de l’adoption de cette disposition. Vous dites qu’elle n’a rien à faire dans le code du travail. Permettez-moi d’ajouter qu’elle n’a rien à faire dans le présent projet.

L'amendement 29, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Alain Vidalies - En une anthologie des plus belles réalisations de cette majorité, nous voici amenés à évoquer, dans notre amendement 28, l’article 96 de la loi du 2 août 2005. Fallait-il vraiment, au détour d’une loi en faveur des petites et moyennes entreprises, décider unilatéralement de porter de deux à quatre ans le mandat des délégués du personnel ? Mais comme cette disposition a été imposée, comme beaucoup d’autres, et que l’heure est désormais, nous dit-on, au dialogue, vous serez sans doute d’accord pour la supprimer.

M. le Rapporteur – Cet amendement est lui aussi en dehors du champ de notre discussion. J’indique cependant que par dérogation, un accord de branche, de groupe ou d’entreprise peut fixer une durée de mandat comprise entre deux et quatre ans.

M. le Ministre délégué – Même avis défavorable.

L'amendement 28, mis aux voix, n'est pas adopté.
La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.
Prochaine séance, ce matin, à 11 heures 30.
La séance est levée à 1 heure 50.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
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Préalablement,
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actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.
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