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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

2ème séance du mercredi 13 décembre 2006

Séance de 15 heures
41ème jour de séance, 93ème séance

Présidence de M. Jean-Louis Debré

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La séance est ouverte à quinze heures.

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questions au gouvernement

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

bilan de la politique d’immigration

M. Thierry Mariani – Depuis cinq ans, le Gouvernement mène une action déterminée contre l’immigration irrégulière (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Il est vrai que la gauche ne peut pas s’enorgueillir d’en avoir fait autant ! Vous avez, Monsieur le ministre d’État, rompu avec des années de laxisme tout en faisant preuve d’humanité à l’égard des plus faibles. Les filières qui exploitent la misère humaine ont reçu le message : désormais, la France refuse l’immigration clandestine et entend choisir ses flux migratoires. L’opposition, qui avait régularisé 80 000 clandestins sous M. Jospin (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) n’a toujours rien compris. M. Montebourg, porte-parole de Mme Royal, est même allé jusqu’à qualifier notre politique actuelle de « néo-vichyssoise » ! (« Scandale ! » et huées sur les bancs du groupe UMP) Peut-être est-ce pour cela que la candidate socialiste saisit toute occasion qui se présente pour reprendre des réformes déjà votées par notre Assemblée, telles que la carte pour les travailleurs saisonniers ou la régularisation au cas par cas ?

M. Richard Mallié – Évidemment : elle n’est jamais là !

M. Thierry Mariani – Au-delà des polémiques, Monsieur le ministre d’État, quel est donc le bilan de votre action contre l’immigration illégale, et quelles en sont les prochaines étapes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire – Je ne répondrai pas aux insultes de M. Montebourg, sauf pour prendre la défense des milliers de fonctionnaires préfectoraux que ses propos humiliants ont profondément blessés. Ces agents appliquent la loi : nous leur devons le respect ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Le tribunal correctionnel de Créteil a condamné un individu à trois mille euros d’amende pour injures à préfets : il y a, en effet, certains mots que l’on ne doit pas prononcer.

Plusieurs députés socialistes – Racaille ! Kärcher !

M. Jean-Marie Le Guen – Portez donc plainte !

M. le Ministre d’État – La comparaison entre déportation et éloignement est scandaleuse, notamment pour ceux qui ont connu la guerre !

En matière d’immigration, la fatalité n’existe pas. La gauche prône la régularisation massive. Au contraire, grâce à notre action déterminée, les demandes d’asile politique ont chuté de 35 % cette année, et de 45 % en deux ans ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP) Pour la première fois, le nombre de titres de séjour délivrés a diminué de 2,6 %. Mieux encore : les arrestations de passeurs ont doublé pour atteindre 3 000 en 2005 ! Avant 2002, la gauche, qui donne tant de leçons, n’en avait pas arrêté mille !

Enfin, je viens de signer le décret imposant aux employeurs de travailleurs en situation irrégulière à payer le billet de retour de ceux qu’ils emploient illégalement : pourquoi leur malhonnêteté serait-elle à la charge du contribuable ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains, applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Je serai toujours au rendez-vous pour débattre de la politique d’immigration laxiste de la gauche, et de la nôtre, ferme, juste et républicaine ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste)

conférence négationniste en iran

M. Serge Blisko – Une conférence effrayante s’est tenue pendant deux jours à Téhéran, sous les auspices du ministre iranien des affaires étrangères. Elle a réuni le gotha de prétendus historiens venus de trente pays, dont bon nombre ont un casier judiciaire dû à leur révisionnisme. Ainsi, le Français Robert Faurisson, ancien maître de conférence à l’université de Lyon, a réaffirmé que la Shoah est un mythe, « une idée généralement fausse, mais que les gens croient vraie » ! Quant à Frederick Töben, qui a déjà purgé un an de prison en Allemagne pour incitation à la haine raciale, il a tenté d’illustrer l’inexistence des chambres à gaz avec une maquette de Treblinka !

M. Paul Giacobbi – Abject !

M. Serge Blisko – Après le concours de caricatures sur la Shoah – gagné par un Français – cette conférence est une insulte à la mémoire des six millions de Juifs exterminés pendant la guerre, et un coup dur porté à ceux qui s’efforcent de promouvoir le dialogue dans la région.

Au-delà de l’indignation, envisagez-vous, Monsieur le Premier ministre, de demander à l’ONU de se saisir de la question en vue de sanctions ? Pensez-vous, comme le déclarait en juillet votre ministre des affaires étrangères, que l’Iran est un « acteur important et respecté au Proche-Orient où il joue un rôle stabilisateur », alors que chacun sait comment il contribue à déstabiliser le Liban et l’Irak ?

Plusieurs députés UMP – Et le Hezbollah ?

M. Serge Blisko – En France, la loi Gayssot punit tout individu niant la réalité de la Shoah. Le Gouvernement donnera-t-il des instructions au ministère public pour qu’il engage des poursuites contre M. Faurisson et les autres intervenants français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères  Une nouvelle fois, je condamne de la manière la plus ferme la tenue de cette conférence choquante sur la Shoah, qui a donné une tribune aux thèses révisionnistes.

Aucun individu, aucun pays n’a le droit de nier ou de relativiser le génocide du peuple juif, l’Iran pas plus qu’un autre (Applaudissements sur tous les bancs).

L’an dernier, l’assemblée générale des Nations unies a adopté à l’unanimité une résolution rejetant « tout déni de l’Holocauste, total ou partiel ». La tenue d’une telle conférence est donc inacceptable.

Voici trois jours que les Européens ont proposé une résolution actuellement en discussion à New York, qui vise à imposer des sanctions à l’Iran dans les domaines nucléaire et balistique. Nous avons deux objectifs : l’unité de la communauté internationale – y compris la Russie et la Chine – et la fermeté des sanctions.

Plusieurs députés socialistes – Ce n’est pas la question !

M. le Ministre – Dans ce contexte, la France, plus que jamais, condamne l’Iran qui n’aurait jamais dû organiser une telle conférence ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

normes de sécurité dans les foyers-logements

M. Claude Leteurtre – Un arrêté ministériel de décembre 2001 fixe les normes de sécurité applicables aux établissements accueillant des personnes âgées dépendantes ou handicapées. Or, actuellement, certaines commissions de sécurité semblent vouloir appliquer ces normes aux foyers-logements, lesquels, avec 150 000 places, représentent un quart des capacités d’accueil des personnes âgées. Quatre-vingt pour cent d’entre eux appartiennent à des bailleurs sociaux et sont gérés par des CCAS, et la moitié environ est habilitée au titre de l’aide sociale, le loyer des résidents étant en ce cas pris en charge par les départements. Appliquer à ces résidences, au nom de je ne sais quelle dérive sécuritaire, les mêmes normes qu’aux établissements accueillant des personnes âgées dépendantes est une hérésie : le coût exorbitant des travaux nécessaires sera finalement supporté par les départements et par les résidents.

Quelles normes de sécurité allez-vous retenir, Monsieur le ministre, pour ces établissements qui hébergent, faut-il le rappeler, des personnes âgées non dépendantes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. le Président – La parole est à M. Bas (Interruptions et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille – Notre objectif est d’assurer la sécurité des personnes âgées et des personnes handicapées accueillies en établissement. Elles ne peuvent pas en effet, en cas d’incendie, évacuer les lieux aussi facilement que des personnes valides. D’où des normes plus sévères qu’il s’agisse de la détection d’incendies naissants, du désenfumage ou de la formation des personnels aux secours. Ces travaux de mise aux normes de sécurité exigent des investissements parfois lourds. En 2006, grâce à la journée de solidarité et à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, nous avons mobilisé à cet effet cinq cents millions d’euros, soit dix fois plus que durant les cinq années précédentes. Nous poursuivrons l’effort puisque la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, qui vient d’être votée, permet de dégager cent millions supplémentaires (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Les travaux de mise aux normes seront par ailleurs, c’est une nouveauté, éligibles au prêt à taux zéro, ce qui évitera que les intérêts des emprunts souscrits ne pèsent ensuite sur les prix de journée.

Vous le voyez, nous ne restons inactifs ni face à l’exigence de sécurité ni face à la nécessité d’aider les établissements à financer les travaux nécessaires (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

salaires et conditions de vie

M. Frédéric Dutoit – Monsieur le Premier ministre, vous avez convoqué demain les partenaires sociaux pour une conférence sur l’emploi et les revenus – d’ailleurs, pourquoi « revenus » et non « salaires », la différence est de taille ! Les Français attendent bel et bien une augmentation des salaires, quand 41 % de la richesse créée dans notre pays va aux actionnaires – soit 12 % de plus qu’en 1980 et 6 % de plus qu’en moyenne dans les pays de l’OCDE – quand le SMIC net mensuel, lui n’a que très faiblement progressé en dix ans.

Instabilité des emplois, précarité croissante, « smicardisation » des salaires, fiscalité injuste qui favorise les titulaires de hauts revenus et les patrons du CAC 40 – dont la rémunération moyenne équivaut à 300 fois le SMIC –, flambée sans précédent des loyers : voilà les conséquences de votre politique qui assombrit la vie quotidienne de nos concitoyens et fragilise notre économie, comme en témoigne la faiblesse de la croissance. La précarité s’installe durablement, la pauvreté et le mal-vivre gagnent toutes les couches de la population. Il faut stopper cette dégradation continue des conditions de vie de nos concitoyens et leur redonner confiance en l’avenir en leur donnant les moyens de vivre dignement.

Qu’attendez-vous pour porter le SMIC à 1 500 euros ? Revaloriser l’ensemble des salaires, des pensions et des minima sociaux ? En finir avec les stages-parkings, le temps partiel subi, le CNE et autres contrats précaires qui font que le travail ne protège plus de la misère ? Endiguer la flambée des loyers ? Bref, redistribuer les richesses plutôt que de conforter le portefeuille des actionnaires ?

En un mot, Monsieur le Premier ministre, la conférence de demain se résumera-t-elle à une rencontre de courtoisie, où auront lieu une nouvelle fois des discussions stériles, ou êtes-vous enfin décidé à répondre aux attentes de notre peuple en acceptant les propositions que je viens d’énoncer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes Tout d’abord, les partenaires sociaux n’ont pas été convoqués demain, mais invités par le Premier ministre (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains), dans l’esprit même du projet de loi sur la modernisation du dialogue social, adopté hier ici même. Nous souhaitons parvenir, avec les partenaires sociaux, à un diagnostic partagé sur la situation de l’emploi et des revenus, nous appuyant pour ce faire sur les travaux du CERC, présidé par Jacques Delors, du Conseil d’orientation pour l’emploi, du Conseil d’analyse économique et diverses comparaisons internationales. La conférence de demain a été précédée de longues rencontres bilatérales avec l’ensemble des partenaires sociaux.

S’agissant des salaires, permettez-moi de vous rappeler quelques faits et quelques chiffres. Alors qu’en 2002, coexistaient sept SMIC différents – résultat des 35 heures –, il y a aujourd’hui un SMIC unique qui a, depuis, progressé de 25 %. Et cela, c’est notre majorité qui l’a fait (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). L’une des conséquences de l’effort consenti en faveur du SMIC a été le tassement des grilles de classification. C’est pourquoi au printemps dernier nous avons décidé de relancer les négociations salariales dans l’ensemble des branches. Sur les 80 branches dont le minimum salarial se trouve inférieur au SMIC après la dernière augmentation de celui-ci, 71 ont d’ores et déjà engagé des négociations.

Les salariés qui touchent juste un peu plus que le SMIC et jusqu’à deux fois et demie celui-ci, les fameuses classes moyennes, ont, c’est vrai, vu leur salaire augmenter moins vite que d’autres. C’est pourquoi nous nous sommes engagés à accompagner les négociations salariales. Voilà à quoi servira cette conférence sur l’emploi et les revenus, temps fort du dialogue social dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

conférence nÉgationniste en IRAN

M. Xavier de Roux – Monsieur le ministre des affaires étrangères, l’Iran est une puissance régionale de première importance au Moyen-Orient, par son étendue géographique, par sa population, par son activité économique et par ses forces militaires. Dans cette région du monde, depuis longtemps en crise et parfois en guerre, ce pays a influé et influe dans tous les conflits, en Irak, en Afghanistan, au Kurdistan ou au Liban. Cette influence lui permet de peser sur leur issue.

La France, comme la communauté internationale, souhaite avoir affaire à une puissance responsable et respectable. Toute l’histoire de l’Iran se révèle d'ailleurs celle d’un grand pays. Or, les autorités iraniennes ont organisé à Téhéran, un prétendu colloque international, dont le but consiste à remettre en question les données internationalement établies du génocide commis par l’Allemagne nazie contre les juifs durant la Seconde guerre mondiale, connu sous le nom de solution finale.

Ce colloque suit de près un certain nombre de propos particulièrement inquiétants du Président de la République islamique d’Iran. La négation de la Shoah pourrait avoir en particulier pour objet de nier l’existence de l'État d'Israël, unanimement reconnue par la communauté internationale. Dans le contexte particulièrement tendu qui prévaut dans cette région du monde, quelle est l’influence de la position des autorité iraniennes sur les relations entre nos deux pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères  Cette conférence sur l’Holocauste ne peut être que condamnée. Elle est d’autant plus inacceptable qu’elle exprime non seulement le refus d’une réalité malheureusement indéniable, celle du caractère unique du génocide du peuple juif, mais aussi qu’elle conteste l’existence même et la légitimité de l’État d’Israël, créé en 1948 sous l’égide des Nations unies et dont il est un membre plein et entier.

M. Jean-Marc Ayrault  Que faites-vous de M. Faurisson ?

M. le Ministre  Pour avoir proféré des thèses négationnistes, M. Faurisson a été poursuivi par la justice française et radié de l’université. Nous étudions toutes les voies de droit qui nous permettraient de le poursuivre pour les propos qu’il tiendrait à l’étranger sur l’holocauste. Cette conférence est inacceptable sur le plan historique, moral et politique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

liens entre l’éducation nationale et le monde professionnel

M. Guy Geoffroy – Malgré les premiers efforts entrepris il y a une trentaine d’années pour rapprocher école et entreprise, le fossé subsiste entre ces deux mondes qui ne s’opposent plus, mais s’ignorent encore. Il suffit de voir le peu d’appétence de nos jeunes pour les perspectives d’emploi dans les entreprises : beaucoup continuent à penser que la fonction publique reste la voie de l’avenir. Pourtant, les emplois d’aujourd’hui sont dans les entreprises – petites et moyennes ou même grands groupes. Un des drames de la situation actuelle est qu’un grand nombre d’emplois vacants ne sont pas pourvus, sans compter les emplois de demain, ceux des nouvelles technologies ou des services, qui doivent trouver preneur.

Dans la loi d’orientation pour l’avenir de l’école, vous avez pris un certain nombre de mesures, telles que la généralisation de l’option découverte des métiers au collège, l’apprentissage junior ou encore le renforcement des liens entre l’enseignement supérieur et l’entreprise. Quand et comment envisagez-vous de combler définitivement le fossé entre ces deux mondes ?

M. Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche  Vous connaissez bien l’éducation nationale, et vous savez à quel point elle est en train d’évoluer. Le fossé est en train d’être comblé. Vous avez d’abord cité deux mesures essentielles du socle commun de connaissances : le devoir, pour tous les maîtres, jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire, de développer le sens de l’initiative des enfants, et le fait que trois heures par semaine soient consacrées, dans tous les collèges de France, à la découverte des métiers.

Hier, nous avons fêté l’anniversaire du centre d'études et de ressources pour les professeurs de l'enseignement technique : 1 525 professeurs sont à l’heure actuelle en stage dans les entreprises de France, petites, moyennes ou grandes, pour une courte durée ou pour toute l’année scolaire. C’est une évolution fantastique. Et aujourd’hui, j’ai reçu au ministère – quel symbole ! – cinquante entreprises, des plus petites aux plus grandes, françaises ou travaillant en France. Par la voix de leurs présidents et responsables des ressources humaines, elles ont pris l’engagement formel d’ouvrir leurs portes à la découverte professionnelle, aux doctorants ou aux professeurs, afin que le fossé se comble entre le monde de l’économie et celui de l’éducation nationale.

Enfin, j’ai tenu, dans la réforme de l’Institut universitaire de formation des maîtres, à ce que tous les professeurs de France fassent, avant leur titularisation, un stage en entreprise. Cette mesure entrera en vigueur dès 2007. Ainsi, ils sauront de quoi il s’agit lorsqu’ils parlent d’économie de l’entreprise aux jeunes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

nouvelle-calédonie

M. François Hollande  Le respect de la parole donnée est un élément fondamental du lien entre les citoyens et la République. En Nouvelle-Calédonie, il se traduit par le respect des accords de Nouméa, approuvés par le référendum du 8 novembre 1998 et qui prévoient la création d’une citoyenneté de Nouvelle-Calédonie, dans la nationalité française, et la mise en place d’un corps électoral restreint pour les élections locales. Ce sont deux des points essentiels qui avaient permis d’instaurer la paix.

Le Président de la République a dit en Nouvelle-Calédonie, en juillet 2003, que la question du corps électoral serait réglée avant la fin de son mandat, ce qui suppose le vote d’un texte, celui-là même que nous allons examiner cet après-midi, et la convocation d’un Congrès pour modifier la Constitution.

Nous sommes maintenant devant cette échéance. Sachant votre majorité hésitante et ayant entendu votre ministre de l’intérieur prendre une autre position que la vôtre, je vous demande, Monsieur le Premier ministre, de confirmer à la représentation nationale votre volonté de faire prévaloir le respect de la parole donnée, donc de faire voter le texte correspondant. Nous confirmez-vous également qu’il y aura convocation d’un Congrès avant la fin de cette législature ? Si tel n’était pas le cas, la discussion qui va s’engager tout à l’heure serait privée de toute portée.

Le moment est grave et les Calédoniens attendent votre réponse. Nous serons quant à nous prêts, à tout moment, à nous rendre au Congrès à Versailles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Dominique de Villepin, Premier ministre  Je vous remercie de cette question. L’État a pris sur la Nouvelle-Calédonie des engagements, qui seront tenus. Le Président de la République l’a dit. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste)

C’est pourquoi j’ai demandé l’inscription à l’ordre du projet dont vous venez de parler. L’Assemblée l’examinera dès cet après-midi et le Sénat en sera saisi en janvier. Les conditions seront dès lors réunies pour une convocation du Congrès.

Je vous rassure : le Gouvernement et sa majorité sont parfaitement unis sur ce projet. Et je souhaite bien sûr, tout comme le Président de la République, que cette procédure puisse être menée jusqu’à son terme, avant la fin de la mandature. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Plusieurs députés socialistes – Tout le monde n’applaudit pas !

liban

M. Étienne Pinte – Monsieur le ministre des affaires étrangères, la situation politique au Liban s’est beaucoup dégradée depuis quelques jours. La démission des ministres chiites, les manifestations de rue, le bras de fer engagé contre le premier ministre et son gouvernement laissent craindre une profonde déstabilisation politique du Liban, peut-être même une tentative de coup d’État.

Le Hezbollah, qui semblait avoir accepté les règles de fonctionnement de la démocratie, puisqu’il a des représentants élus démocratiquement au Parlement et qu’il avait jusque-là accepté de participer à un gouvernement d’union nationale, semble aujourd’hui tenté par un coup de force.

La France a plus que jamais un rôle à jouer, tant les Libanais, de toutes sensibilités politiques, réclament notre soutien et notre amitié. Depuis quelques mois, il ne se passe pas une semaine sans que le groupe d’amitié France-Liban de l’Assemblée nationale ne reçoive une délégation ministérielle ou parlementaire libanaise.

Face à ces développements inquiétants, quelle est la position du Gouvernement et comment la France peut-elle aider le Liban, sans toutefois s’immiscer dans ses affaires intérieures ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères  Le climat au Liban est particulièrement tendu. Emmenée par le Hezbollah, l’opposition a suscité, dimanche, à Beyrouth, une manifestation de centaines de milliers de personnes. La veille, le président Lahoud avait refusé le statut du tribunal à caractère international visant à juger les assassins de l’ancien premier ministre libanais, Rafic Hariri.

Constatant ces tensions, la Ligue arabe a proposé une médiation entre les parties. La France soutient cet effort de médiation, conforme à l’impératif de justice que servira le tribunal pénal à caractère international ; à l’impératif d’unité des Libanais qui est à l’opposé de l’appel à la rue ; enfin, à l’impératif d’efficacité.

Hier soir à New York, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté à l’unanimité, à la demande de la France, une déclaration présidentielle visant, d’une part, à soutenir le gouvernement de Fouad Siniora, d’autre part, à demander à toutes les parties en présence de poursuivre la mise en œuvre de la résolution 1701.

Oui, plus que jamais, la France est derrière le gouvernement de Fouad Siniora et derrière un Liban uni, souverain et indépendant. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

grèves à la SNCF

M. Gérard Menuel – Samedi dernier s’est tenue à Troyes l’assemblée générale des usagers de la ligne Paris-Bâle. Il y a été question des travaux nécessaires pour pérenniser cette ligne, mais cette réunion fut aussi l’occasion pour ces usagers d’exprimer leur colère face à la dégradation du niveau de service offert par la SNCF à ses clients.

Je n’évoquerai pas le fret, ni l’environnement des gares de province, ni l’entretien des rames, mais simplement tous ces trains annulés à la dernière minute, sans explication, ou en retard. Ces perturbations sont pour la plupart dues à des grèves à répétition.

Ce n’est pas remettre en cause le droit de grève que de s’interroger sur les motifs invoqués pour débrayer, par exemple le changement des horaires de service d’hiver, qui sert à justifier que, depuis une dizaine de jours, les usagers soient pris en otages. L’exaspération monte, en particulier chez ceux qui comptent sur ce moyen de transport pour leurs déplacements professionnels. Peut-on considérer comme un motif justifié celui qui conduit à la paralysie du pays, tous les ans, à la même époque ?

Monsieur le ministre des transports, comment sortir de la situation créée par les grèves systématiques ? Et comment assurer un niveau de service minimum ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Dominique Perben, ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer  Je suis comme vous sensible à la situation de tous ces usagers, très gênés ces derniers jours dans leurs déplacements et qui sont par conséquent irrités, furieux et même souvent désespérés.

Il n’est pas admissible que, du fait du comportement d’une partie des organisations syndicales, des grèves rituelles se produisent chaque année fin novembre ou début décembre, c’est-à-dire au moment de la mise en place des horaires d’hiver. Je veux rappeler qu’après le mouvement du 8 novembre, les organisations syndicales majoritaires ont discuté avec la direction et sont arrivées ainsi à un certain nombre d’accords.

Seules deux organisations minoritaires ont déclenché dans certaines régions, notamment en Île-de-France, en Auvergne, en Alsace et autour de Lyon et Saint-Étienne, des grèves qui n’ont pas pu être prévues par la direction ; les usagers n’ont donc pas pu être prévenus des modifications d’horaires. Il faut absolument substituer à ces comportements archaïques des systèmes de négociations préalables.

Dans un certain nombre de régions ont été conclues des conventions de service minimum garanti ; je souhaite que l’ensemble des autorités organisatrices de transports s’engagent dans cette voie : je pense en particulier aux présidents de région, qui n’ont pas tous, tant s’en faut, donné leur accord sur une telle démarche – qui permet de prévoir des systèmes d’information, de négociation préalable, d’alerte sociale et de service minimum garanti en cas de conflit. J’appelle chacun à prendre ses responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

sécurité maritime

M. Jean Launay – Sept ans après le naufrage de l’Erika, alors que le procès doit débuter en février prochain, nous sommes encore nombreux à nous interroger sur la nature de la cargaison : fuel n° 2 en majorité, très certainement, mais peut-être aussi, même si Total le nie, résidus pétroliers ; il s’agirait alors de déchets industriels spéciaux, dont l’exportation est interdite.

Un document du bureau enquêtes-accidents/mer du ministère des transports révèle qu’une des cuves a un graphisme différent des autres, ce qui pourrait accréditer l’idée d’un contenu différent ou non conforme à la commande initiale. Que sait le Gouvernement ? Ce document sera-t-il produit au procès ?

Force est de constater que le risque d’accident perdure et qu’il a fallu six ans pour que l’Agence européenne de sécurité maritime inaugure son siège à Lisbonne. Notre pays étant particulièrement exposé du fait de l’importance de sa façade maritime, nous ne devons pas nous contenter d’un affichage, mais jouer un rôle moteur pour parvenir à un protocole européen donnant le mode d’emploi des contrôles des bateaux – sujet d’actualité avec la perte de ses fûts par un bateau la semaine dernière, certes dans la tempête – et permettant de créer une base de données fiable sur les navires. Quelles initiatives comptez-vous prendre, Madame la ministre de l’écologie, pour relancer ainsi le projet européen ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Nelly Olin, ministre de l’écologie et du développement durable – Les éléments relatifs à la nature de la cargaison ont été portés à la connaissance de la justice et examinés lors de l’instruction. La commission d’enquête parlementaire constituée en 2000 a d’ailleurs conclu que la polémique sur la nature du fuel était fondée sur des éléments fallacieux et que les mesures de prévention lors des interventions de dépollution étaient adaptées.

En matière de sécurité maritime, c’est sous l’impulsion de la France que l’Europe a adopté un ensemble de mesures propres à améliorer la situation. Notre pays a mis sous surveillance toutes ses côtes, ce qui évite que certains navires se livrent à des opérations de déballastage. Les contrôles de la sécurité des navires ont été renforcés, avec un taux de contrôle fixé à 25 % minimum des navires et le bannissement de ceux figurant sur une liste noire de pavillons. Enfin, la Commission a proposé, en novembre 2005, de nouvelles mesures, parmi lesquelles la refonte de la directive relative au contrôle du port ; l’objectif est de porter à 100 % les contrôles des navires, et la France soutient cette initiative.

Par ailleurs, sous l’impulsion de Dominique Perben, le ministère des transports a conçu un système d’information et de suivi de la circulation maritime. Quant à la perte de fûts cette semaine, elle résulte des perturbations climatiques ; nous sommes assurés qu’il n’y a aucune pollution. Nous devons renforcer le dispositif par des signalements systématiques et plus précoces des incidents, afin de préserver l’environnement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

difficultés de l’arboriculture dans la drôme

M. Gabriel Biancheri – Les pêchers et abricotiers drômois sont victimes d’une maladie, la Sharka, qui pose la question de la survie de l’économie arboricole dans le nord du département.

Après le rapport commandé par votre prédécesseur, Monsieur le ministre de l’agriculture, et après l’élaboration d’un plan triennal par la profession, vous avez chargé un haut responsable de vous faire des propositions concrètes avant la fin de l’année. Les professionnels attendent des réponses sur trois points essentiels : le soutien aux replantations, le soutien aux reconversions dans les zones rouges, enfin l’indemnité d’arrachage – dont le montant conditionnera l’adhésion des arboriculteurs. Avez-vous arrêté vos choix ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche  La Sharka touche les fruits et légumes dans tous les départements du sud-est de la France, et tout particulièrement dans votre circonscription. Vous avez fait venir un expert de mon ministère, qui a fait des propositions. Son rapport, qui a été élaboré en liaison avec les autorités locales et les organisations professionnelles agricoles, préconise des mesures de prospection exhaustives, un arrachage pendant trois ans, des aides à la replantation ou à la cessation d’activités. Notre plan est en cours d’élaboration ; il comportera un volet financier complémentaire. Dès qu’il sera arrêté, je viendrai le présenter avec vous aux organisations professionnelles afin de recueillir leur avis. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

adoption

Mme Michèle Tabarot – Depuis plusieurs années, le nombre de candidats à l’adoption ne cesse d’augmenter. 25 000 couples sont titulaires d’un agrément, mais il y a en France de nombreux enfants adoptables pour lesquels aucun projet d’adoption n’a jamais été formulé. Les services sociaux les appellent « enfants à particularités » : ils sont environ 2 800 et ont pour point commun de ne pas avoir fait l’objet d’une démarche d’adoption pendant les six premiers mois de leur placement ; ils sont membres d’une fratrie, âgés de plus de huit ans, malades ou handicapés, et ils attendent une famille.

En 2003, le Gouvernement a pris la décision de créer le Système d’informations pour l’adoption des pupilles de l’État, afin de permettre, grâce à des fichiers nationaux, la mise en relation de ces enfants avec des familles prêtes à les accueillir.

Le conseil supérieur de l’adoption, que j’ai l’honneur de présider, a placé cette question parmi ses objectifs prioritaires. Aujourd’hui, il apparaît que le système d’information ne permet pas de créer des liens entre adoptants et pupilles de l’État. Monsieur le ministre délégué à la famille, que comptez-vous faire pour faciliter la mise en relation des enfants avec des familles susceptibles de les accueillir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille – Il est vrai que nous avons, dans notre pays, sans doute près de mille enfants qui ne réussissent pas à trouver des parents, parce qu’ils sont malades, handicapés ou parce qu’ils ont des frères et sœurs. Parallèlement, 25 000 candidats à l’adoption ne trouvent pas d’enfants…

M. François Rochebloine – Eh oui !

M. le Ministre délégué – …alors qu’ils seraient tout à fait prêts à adopter ces enfants en souffrance. En 2003, un système d’information a été créé pour mettre en relation les familles adoptantes et les enfants en attente d’adoption. Las, ce dispositif n’a pas tenu toutes ses promesses. C’est pourquoi j’ai décidé, après avoir recueilli l’avis du conseil supérieur que vous présidez, qu’à partir de février prochain, un dispositif plus efficace serait institué, le mois de janvier étant mis à profit pour procéder à toutes les consultations nécessaires. Cela s’ajoute à l’installation de l’agence française de l’adoption, qui, bien qu’elle n’existe que depuis cette année, a déjà reçu des milliers de demandes et ouvert de nouveaux pays à l’adoption pour les foyers français, comme la Chine, la Colombie et quinze autres pays. Enfin, le montant de la prime d’adoption a doublé, pour permettre aux parents qui doivent se rendre à l’étranger pour adopter un enfant de prendre tout le temps nécessaire.

M. le Président – Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

La séance, suspendue à 15 heures 50, est reprise à 16 heures 15.

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article 77 de la constituTion

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle complétant l’article 77 de la Constitution.

M. François Baroin, ministre de l’outre-mer – Nous partageons tous un même objectif : que la Nouvelle-Calédonie se développe dans la paix civile. Ce débat est tout à notre honneur. Il nous impose un respect mutuel de nos analyses, réflexions, positions, engagements, et de nous imprégner de l’histoire néo-calédonienne de ces 20 dernières années, pour préparer l’avenir. Les événements tragiques qui ont eu lieu entre 1984 et 1988 ont conduit les responsables des principales communautés à trouver des compromis dans le cadre des accords de Matignon de 1988 puis de Nouméa en 1998, qui ont permis de rétablir la paix civile.

Rappelons-en la philosophie générale. L’accord de Nouméa donne aux habitants de Nouvelle-Calédonie les instruments nécessaires pour construire un destin commun pendant une période de transition de 20 ans, au terme de laquelle la population se prononcera définitivement sur son avenir. Trois idées le sous-tendent. D’abord, une organisation originale des pouvoirs publics locaux a obligé les communautés à travailler ensemble. Le corollaire en a été le rééquilibrage économique et social entre populations et territoires, avec la garantie de l’État. Enfin, une citoyenneté calédonienne est réservée aux populations intéressées à l’avenir du territoire. La définition et les modalités de participation aux scrutins qui déterminent son avenir sont dérogatoires au droit commun de la République. Sont ainsi définis dans les accords de Matignon les scrutins pour les élections aux assemblées de province et les scrutins d’autodétermination. L’accord de Nouméa et la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 en tirent les conséquences juridiques. Il a été inséré dans la Constitution un titre XIII à vocation transitoire dont de nombreuses dispositions dérogent à nos traditions juridiques : pouvoir législatif local, préférence locale pour l’emploi, citoyenneté calédonienne dans la nationalité française, impliquant un corps électoral restreint.

Sur la loi organique portant application de ce titre XIII, le Conseil constitutionnel a émis, le 15 mars 1999, des réserves en ce qui concerne la définition du corps électoral spécial appelé à élire les membres du congrès et des assemblées de province.

Le projet que je défends aujourd’hui vise à revenir sur l’interprétation du Conseil constitutionnel. C’est essentiel pour marquer notre respect devant une histoire tragique et pour aménager le droit de vote, essentiel aussi pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.

Le chemin qui a conduit à ces accords a été marqué par le feu et par le sang. Les victimes furent nombreuses dans toutes les communautés et parmi les serviteurs de l’État. Le processus de réconciliation ne doit pas être interrompu. Le pacte qui consacre l’existence d’un destin commun et clôt définitivement la période coloniale dont il reconnaît les ombres comme les lumières, comporte des concessions mutuelles qui n’allaient pas de soi.

Ainsi, les partisans du maintien dans la République ont accepté que la question de l’autodétermination soit à nouveau posée au terme d’une longue transition, alors qu’elle avait été clairement tranchée par le référendum local du 13 septembre 1987. Ils ont aussi accepté le partage du pouvoir qu’implique la provincialisation.

Les partisans de l’indépendance, majoritairement issus de la population mélanésienne, ont reconnu que les autres habitants avaient un droit légitime de participer à la détermination d’un destin commun. Ils ont néanmoins souhaité que soit défini un corps électoral restreint pour éviter que des arrivées régulières ne modifient l’équilibre politique entre communautés. Sans consensus sur ce point fondamental, l’accord n’aurait pu être signé.

L’accord de Nouméa introduit donc la notion de citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, qui implique la restriction du corps électoral, pour certains scrutins, aux habitants ayant résidé suffisamment longtemps dans le territoire. Ainsi, ne voteront aux scrutins d’autodétermination qui seront organisés entre 2014 et 2018 que les électeurs inscrits sur les listes électorales en 1998 ou pouvant justifier d’une durée de résidence continue de 20 ans au 31 décembre 2014, ou encore de leur naissance en Nouvelle-Calédonie ou de la possession du statut coutumier. Le principe de ce corps électoral particulièrement restreint n'est pas contesté.

En second lieu, éliront les assemblées de province et le congrès de la Nouvelle-Calédonie les seuls citoyens ayant 10 ans de résidence. Ce point n'est contesté par aucun des signataires. La difficulté vient de ce que l'accord ne précise pas clairement s'il faut 10 ans de résidence à la date de la signature, en 1998 – soit un corps électoral « gelé » comme pour les scrutins d'autodétermination – ou dix années de résidence à la date de chaque scrutin – ce qu'on appelle le corps électoral « glissant ».

M. Jacques Myard – C’est très clair !

M. le Ministre – Même si le temps a passé, on peut invoquer l'esprit des accords, ou à défaut, leur logique. Elle était bien, selon les accords de Matignon, de réserver la participation « aux scrutins qui déterminent l'avenir de la Nouvelle-Calédonie » – dont les élections provinciales – aux « populations intéressées à l'avenir du territoire, c'est-à-dire aux électeurs présents dans le territoire à une certaine époque et à leurs descendants ». Voilà pourquoi, de façon constante depuis 1999, l'État considère qu'il s'agit d'un corps électoral gelé.

L'adoption du projet permettra de continuer à œuvrer dans le cadre ainsi tracé et nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie pourront envisager sereinement un avenir qu'il leur appartient de déterminer eux-mêmes avec le concours attentif d'un État loyal et impartial.

Or le Conseil constitutionnel, interprétant l'accord de Nouméa en 1999, a estimé que seul le corps électoral glissant était conforme aux orientations de l'accord.

M. Jacques Myard – Et il a eu raison !

M. le Ministre – Dans la mesure où cette lecture a été contestée par certains des signataires de l’accord pour lesquels l'objectif initial était bien d'établir un corps électoral « gelé », une clarification s'imposait.

M. Francis Delattre – Pourquoi l’avis des uns et pas l’avis des autres ?

M. le Ministre – Dans ce souci, dès 1999, il fut proposé au Parlement d’inscrire dans la Constitution cette notion de corps électoral « gelé ». L'Assemblée nationale et le Sénat en furent d’accord à une large majorité, mais les circonstances du moment ne permirent pas de soumettre ce texte à l’approbation définitive du Parlement réuni en Congrès.

Nous ne pouvons plus différer cette clarification. Nous le devons à nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie, et c’est nécessaire en vue des scrutins territoriaux de 2009 et de 2014. Avec un corps électoral « glissant », déjà accepté par les opposants à ce projet et qui est la norme aujourd'hui, pour les élections de 2009 environ 7 000 électeurs ne pourront pas participer aux élections du congrès et des assemblées de province. Avec le corps électoral « gelé », c'est environ 700 électeurs de plus, inscrits à partir de 1999, qui seront écartés du droit de vote.

Par ailleurs, cette réforme a une portée transitoire : Elle n'a vocation à s'appliquer que pour les élections territoriales et provinciales de 2009 et de 2014, ou pour des élections partielles ou consécutives à une dissolution de ces assemblées. Mais tous nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie continueront de participer aux scrutins présidentiels, législatifs, municipaux et européens, ainsi qu'aux référendums nationaux, dans les conditions du droit commun.

Il ne s’agit donc plus d’une question de principe – l'existence d'un corps électoral restreint – laquelle a été tranchée par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998, adoptée à la quasi-unanimité par le Parlement réuni en Congrès, puis par les électeurs de Nouvelle-Calédonie qui ont approuvé à 72 % l'accord de Nouméa le 8 novembre 1998. J’ajoute que la Cour européenne des droits de l’homme a accepté en 2005 ces dispositions, compte tenu du contexte et de leur caractère transitoire.

M. Jacques Myard – Et le suffrage universel ?

M. le Ministre – Nous traitons donc d’une simple modalité – certes symbolique – de mise en œuvre de l’accord de Nouméa.

Cette révision constitutionnelle rendra tout leur sens aux articles 188 et 189, qui ne renverront qu’au seul tableau annexe dressé en 1998 et révisé annuellement – afin de tenir compte des décès, des départs, d’éventuelles privations de droits civiques ainsi que des personnes ayant négligé de s’inscrire à l’époque. Naturellement, les juridictions ordinaires seront liées par cette interprétation.

Les grands principes juridiques seront sans doute invoqués au cours de notre débat. Toutefois, le droit pour le droit a l’inconvénient d’ignorer deux autres impératifs : la fraternité et la justice entre les hommes.

Le rejet du présent projet pourrait susciter la résurgence de la violence des années 1980 : ni la République, ni la Nouvelle-Calédonie n’y ont intérêt. L’équilibre actuel est d’autant plus précieux que le Pacifique sud est agité par plusieurs conflits, de la Papouasie aux îles Fidji. Par contraste, la stabilité de la Nouvelle-Calédonie est souvent citée en exemple par les États du forum des îles du Pacifique – auquel l’archipel vient d’accéder en tant que membre associé.

M. Jacques Myard – Justement !

M. le Ministre – On s’y félicite de la coopération des autorités françaises avec toutes les composantes de la population en faveur du développement du territoire. Le deuxième sommet entre la France et l’Océanie, qui s’est tenu en juin dernier à Paris à l’invitation du Président de la République, a d’ailleurs souligné le rôle de la France et de ses collectivités pour la stabilité régionale. Le véritable défi à venir, c’est le développement de l’archipel, dont les responsables doivent d’ores et déjà se préparer à exercer les compétences qui leur seront transférées dès 2009.

Je comprends les réticences, mais ne nous trompons pas de combat : l’adoption de cette révision ne signifie pas que la Nouvelle-Calédonie s’éloigne de la République ! Il s’agit simplement de respecter la parole donnée. Le Président de la République s’était engagé à traiter cette question avant la fin de son mandat : là comme ailleurs, les engagements pris seront tenus.

J’invite chaque député à peser les conséquences de son vote et à ne pas négliger les leçons du passé. Ce qui a été fait en Nouvelle-Calédonie française depuis vingt ans est grand ; ce qui reste à faire est plus grand encore. À terme, nous allons définir les nouvelles relations qui ancreront la Nouvelle-Calédonie dans la République. Nous ne réussirons qu’avec celles et ceux qui croient au pacte républicain et fraternel, en la France et ses valeurs. À l’approche du dixième anniversaire de l’accord de Nouméa, je suis convaincu que les partenaires calédoniens doivent sans attendre relancer le processus de discussion, sans jamais perdre le consensus de vue. Voilà comment nous préparerons dans la paix les rendez-vous à venir.

M. René Dosière – Très bien !

M. le Ministre – Il y a dix-huit ans, au plus fort d’une guerre civile qui ne disait pas son nom, naissait un jeune Calédonien. En découvrant les urnes au printemps prochain, il aura certainement une pensée pour ses parents, dont les suffrages à l’élection présidentielle de 1988 furent annulés car les bureaux de vote étaient dévastés, dans un contexte de violence telle que l’état d’urgence fut proclamé. Quelles que soient ses origines, il votera aux élections provinciales de 2008 et 2014, car il est né et réside en Nouvelle-Calédonie. Ce jeune citoyen, calédonien et français, je l’ai sans doute rencontré lors de ma dernière visite dans l’archipel. Je sais qu’il pèsera sur les scrutins d’autodétermination à venir, peut-être même sera-t-il un jour député ou ministre de la République. Quoi qu’il en soit, par son vote, il vous sera reconnaissant d’avoir respecté la parole donnée et œuvré à la construction du destin de la Nouvelle-Calédonie dans la République française ! (Applaudissements sur bancs du groupe socialiste, du groupe des députés communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Didier Quentin, rapporteur de la commission des lois – Jadis terre d’exil oubliée à 18 000 kilomètres de la métropole, la Nouvelle-Calédonie, lasse d’être ballottée de statut en statut, a violemment resurgi sur la scène de l’histoire voici vingt ans. À force de courage et de sens de la responsabilité, les dirigeants calédoniens ont surmonté ces drames et entamé un dialogue que leurs parents n’avaient pas su établir. Je salue ceux de ces hommes de bonne volonté qui sont nos collègues – MM. Lafleur et Frogier – ainsi que ceux qui nous ont quittés trop tôt – MM. Tjibaou et Yeiwéné – et d’autres encore, dont certains sont aujourd’hui dans les tribunes.

Les accords de Matignon et ceux de Nouméa sont des étapes fondamentales du renouveau calédonien. L’admirable préambule des accords de Nouméa illustre bien la réconciliation qui a eu lieu. Dans une région troublée et en dépit de difficultés inhérentes à un gouvernement de coalition, la Nouvelle-Calédonie fait désormais figure de pôle de stabilité et de développement, et de modèle de bonne intelligence entre des populations diverses. Ses grands voisins ne la voient plus d’un œil hostile, comme ils le faisaient il y a encore quelques années.

La question de savoir qui peut voter aux différents scrutins a été centrale tout au long de ce processus. Lors du référendum de 1998, la restriction du corps électoral aux personnes présentes en Nouvelle-Calédonie depuis dix ans a été acceptée par toutes les parties. De même, pour les consultations sur l’avenir de l’archipel qui auront lieu entre 2014 et 2019, la restriction du corps électoral aux personnes présentes en Nouvelle-Calédonie lors des accords de Nouméa et pouvant justifier en 2014 d’au moins vingt ans de résidence dans l’archipel a recueilli l’unanimité.

La seule difficulté dont nous avons à trancher aujourd’hui concerne donc les personnes appelées à voter aux élections des assemblées de province et du congrès qui auront lieu aux termes des accords de Nouméa en 2009 et en 2014. L’accord de Nouméa, en effet, divise le corps électoral de ces élections en trois parties : les personnes qui ont voté ou auraient pu voter au scrutin de 1998 ; celles qui auront résidé dix ans sur le territoire au moment des élections provinciales et sont inscrites au tableau annexe sur lequel je reviendrai ; enfin les enfants des personnes précitées dès lors qu’ils deviennent majeurs. L’article 188 de la loi organique de 1999 reprend cette définition du corps électoral, et l’article 189 en précise la mise en œuvre : les personnes pouvant voter seront inscrites sur une liste spéciale, et celles ne le pouvant pas sur un tableau annexe. Ces deux documents doivent être révisés annuellement.

Tout le débat porte sur l’interprétation à donner au tableau annexe : s’il reste identique à celui de 1998, ne pourront voter à partir de 2009 que les personnes arrivées en Nouvelle-Calédonie avant 1999. Le corps électoral serait donc figé. Au contraire, si la loi organique est appliquée à la lettre, la mise à jour annuelle du tableau permettrait d’inclure tous les nouveaux arrivants depuis 1999. Le corps électoral deviendrait alors glissant.

Le FLNKS, relayé par le Gouvernement et le rapporteur de l’Assemblée qui déposa un amendement à la loi organique de 1999, a soutenu la première interprétation, seule conforme à la volonté qu’il a exprimée lors des accords de Nouméa. Selon lui, le tableau devait être cristallisé en 1998. M. Hyest, alors rapporteur du Sénat, va dans le même sens. En revanche, le Conseil constitutionnel a, dans sa décision du 15 mars 1999, fait une lecture littérale de la loi organique. Constatant que ni les accords de Nouméa ni la révision constitutionnelle de 1998 n’abordaient le sujet, il a choisi l’interprétation la moins dérogatoire au droit de suffrage et conclu au caractère glissant du tableau annexe.

Pour dépasser cette divergence, qui ne demandera de toute façon à l’être dans les faits qu'à partir des élections de 2009, soit dix ans après l'accord de Nouméa, un premier projet de loi constitutionnelle permettant de faire prévaloir l'interprétation d'un corps électoral cristallisé en 1998 fut intégré à un projet de loi constitutionnelle relatif à la Polynésie française et adopté par les deux Assemblées dans les mêmes termes. Un Congrès du Parlement fut convoqué puis annulé, le projet de loi relatif à la magistrature auquel était associé le projet de loi sur la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie ne recueillant pas de majorité suffisante pour être adopté. Entre-temps, de nouvelles dispositions ont été adoptées sur la Polynésie, rendant sans objet le projet de révision de 1999, ce qui explique le dépôt du présent projet de loi.

Il ne faut pas se tromper sur la nature de l'accord de Nouméa. Pas plus que les accords de Matignon d’ailleurs, il ne s’agit ni d’un acte notarié ni d’un contrat juridique. Il n'avait en lui-même aucune force de droit. Il ne l’a acquise qu'au travers du processus de mise en œuvre juridique, autorisé par la révision constitutionnelle de juillet 1998, approuvé par les populations concernées le 8 novembre 1998 et concrétisé dans la loi organique et la loi du 19 mars 1999.

Après avoir auditionné nombre d'acteurs et d'observateurs avertis, il semble que la question du corps électoral glissant ou non aux élections provinciales n'ait pas été en tant que telle abordée lors des négociations de l'accord de Nouméa. Le problème n’est apparu qu'ultérieurement, au moment où le contrat politique a dû être traduit en acte juridique. Des malentendus sont alors nés. Certains, avant même la discussion de la loi organique, ont tenu des propos ambigus, laissant croire que telle interprétation pouvait prévaloir sur telle autre. À l'imprécision du texte de l'accord et à l'ambiguïté des propos, s'est ajoutée l'ambiguïté même de la lettre de la loi organique. Le Conseil constitutionnel, dans une lecture littérale, a privilégié la théorie du corps électoral glissant. Pouvait-il d'ailleurs lire autre chose que ce qui était écrit ? Certains répondront non, estimant que le juge constitutionnel doit s’en tenir à la lettre, dès lors que celle-ci est sans ambiguïté. D'autres estimeront, au contraire, que l'esprit des dispositions, tel que formulé par les deux rapporteurs de l’Assemblée et du Sénat, devait prévaloir compte tenu de la nature de l'accord de Nouméa.

Or, comme l’écrivait Paul de Tarse, n’est-il pas vrai que « la lettre tue, l'esprit vivifie » ? Il convient en l’espèce de respecter l’esprit de l’accord de Nouméa qui, par-delà les divergences ponctuelles, est porteur de réconciliation et de sérénité pour la Nouvelle-Calédonie. Le Président de la République l'a rappelé sans ambiguïté lors de son déplacement de juillet 2003 dans l’archipel. Il s’est de nouveau engagé à régler cette question délicate avant la fin de son quinquennat, « en concertation très étroite avec l’ensemble des Calédoniens », a-t-il précisé. Les ministres de l'outre-mer successifs, Brigitte Girardin et François Baroin ont réitéré cet engagement. On peut néanmoins regretter qu'après ce voyage du chef de l'État, les voies d'un consensus n'aient pas été recherchées.

M. Jacques Myard – Et pour cause !

M. le Rapporteur – Les parlementaires néo-calédoniens sont en effet opposés à ce texte, comme ils vont avoir l'occasion de le dire. Il n'en reste pas moins qu'à plusieurs reprises, a été reconnue la nécessité d'accepter, de manière transitoire, au nom de la paix civile, le principe de restrictions au corps électoral. Cela a été fait dans la loi organique et dans la révision constitutionnelle de 1999. Cela a été accepté par le Comité des droits de l’homme des Nations unies dans sa communication de 2002 et par la Cour européenne des droits de l'homme dans sa décision de 2005.

M. Jacques Myard – Comme si la Cour européenne des droits de l’homme avait quelque chose à voir là-dedans !

M. le Rapporteur – La légalité de la révision constitutionnelle ne fait aucun doute. Il faut souligner qu'aucune restriction n'est applicable aux autres élections qui auront lieu en Nouvelle-Calédonie, qu'il s'agisse de la présidentielle, des législatives, des municipales, des européennes et des référendums nationaux.

M. Jacques Myard – C’est d’autant plus scandaleux !

M. le Rapporteur – Ainsi, même si j'ai été attentif aux réserves exprimées par plusieurs de nos collègues, pour des raisons de principe parfaitement respectables, le présent projet de loi constitutionnelle se justifie par la nécessité de maintenir la sérénité en Nouvelle-Calédonie. « L'île la plus proche du paradis », pour reprendre le titre du beau roman de Katsura Morimura qui a assuré la célébrité de l'archipel au Japon et que, président du groupe d’amitié parlementaire France-Japon, je me plais à rappeler, pourra alors consacrer toute son énergie à son développement et à la mise en valeur de ses nombreux atouts, je l’espère de tout cœur, au sein de la République.

Dialogue et consensus sont deux valeurs profondément océaniennes. Respectons-les. Je vous invite donc à adopter ce projet de loi constitutionnelle avec les quelques modifications rédactionnelles proposées par la commission des lois. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP, ainsi que sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Président – J’ai reçu une exception d’irrecevabilité déposée par le groupe socialiste et une question préalable déposée par le groupe communiste. Ces deux motions de procédure ont été retirées. Nous en venons à la discussion générale.

M. Jacques Myard – Je demande la parole pour un rappel au Règlement.

M. le Président – Sur le fondement de quel article ?

M. Jacques Myard – Article 58, alinéa premier. Je découvre à l’instant que nos collègues ont retiré leur motion. Il s’agit là rien moins que de flibusterie parlementaire (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Président – Merci, Monsieur Myard. La parole est à M. Raoult dans la discussion générale.

M. Jacques Myard – C’est inadmissible. Voilà la preuve que l’on ne peut pas s’exprimer dans cette Assemblée.

M. le Président – Vous n’allez pas m’apprendre le Règlement de notre Assemblée, Monsieur Myard.

M. Éric Raoult – Le sujet qui nous réunit aujourd'hui, et qui devrait nous rassembler, suscite au sein de l’Assemblée, notamment au groupe UMP, des avis divergents. Ils peuvent être différents car ils ne sont dictés par aucune idéologie ni aucun remords, seulement par des appréciations et des sensibilités différentes.

L’UMP, et avant elle le RPR, ont plus fait pour la Nouvelle-Calédonie que tous les autres groupes. Là où certains avaient tenté, des hommes d'exception comme Jacques Lafleur et Pierre Frogier, et des hommes de persuasion sur le terrain comme Harold Martins, ont, eux, réussi à réparer et rassembler. Avant les Pisani, Nucci et autres Roynette, il y eut tout d’abord le mouvement gaulliste, qui n'a jamais ménagé sa peine pour la Nouvelle-Calédonie. Tout au long des années 80, du RPR rue de Lille à la place des Cocotiers à Nouméa, il y eut toujours un homme d'État de fidélité et de fraternité pour « être là quand ça n'allait pas » : Jacques Chirac, l'ami de la Nouvelle-Calédonie et des Calédoniens, des Caldoches comme des Kanak. Certains ici l’ont vécu en 1981, en 1984 et en 1988.

M. Guy Geoffroy – Très bien !

M. Éric Raoult – Certains voteront ce texte, suivant ainsi le ministre et le rapporteur. D’autres, pour des raisons de fond ou d'opportunité, se prononceront contre. Je comprends ceux d'entre nous qui refusent l'atteinte portée au suffrage universel. Je comprends aussi les élus calédoniens opposés au texte, qui connaissent, mieux que quiconque, la situation locale. Pour autant, pour la première fois, je ne partage pas leur position.

Depuis 1981 où, alors jeune assistant de Claude Labbé, je fus envoyé sur place par Bernard Pons…

M. René Dosière – Quelles références !

M. Éric Raoult – ...jusqu’à ce 13 décembre 2006, j'ai toujours partagé le combat de la Calédonie dans la République, Monsieur Dosière. Être ami de l'outre-mer, c'est aussi marquer sa solidarité envers cette « île la plus proche du paradis » comme l'a rappelé le rapporteur. Élu du département de France qui compte le plus de lycées, collèges et écoles Louise Michel, je crois sincèrement pouvoir parler de la Nouvelle-Calédonie.

Voter ce texte, c'est comprendre la question calédonienne, avec ses particularités et ses enjeux. Pour ma part, j’étais contre. Je le voterai finalement tout en comprenant et admettant les arguments de chacun.

M. Jacques Myard – L’Esprit Saint est descendu sur vous !

M. Éric Raoult – Il est des principes à respecter, au premier rang desquels le respect de la parole de l’État.

M. Guy Geoffroy – Très bien !

M. Éric Raoult – Je ne méconnais pas non plus les risques qu’il y aurait à ne pas adopter ce texte. Le Président de la République, qui a été le garant des accords passés, s’est loyalement et fermement engagé à régler cette question avant la fin de son mandat. Le Gouvernement de son côté, par la voix de Brigitte Girardin hier et de François Baroin aujourd’hui, a soutenu cet engagement et toujours privilégié la voie du dialogue pour la Nouvelle-Calédonie, afin que l’archipel plus jamais ne connaisse la violence mais un avenir de paix et de développement, comme l’a rappelé Jacques Chirac à Lifou en juillet 2003.

Si un important travail a été mené depuis plusieurs années, la paix qui y règne désormais demeure fragile et l'esprit des accords doit prévaloir. Nul d’entre nous n’a oublié les épreuves violentes des années 80, la situation difficile qui était alors celle de la Nouvelle-Calédonie par rapport aux autres îles du Pacifique et les difficultés de cohabitation entre ses populations. Or, aujourd'hui si la Nouvelle-Calédonie a été pacifiée…

M. Victorin Lurel – Mauvais souvenir historique que celui de la « pacification » !

M. Éric Raoult – Monsieur Lurel, si vous souhaitez nous aider à faire adopter ce texte, je vous saurais gré de garder votre calme.

M. Guy Geoffroy – Tout à fait.

M. Éric Raoult – Si, disais-je, la Nouvelle-Calédonie, stable, est désormais sur la voie du développement économique, c'est, en grande partie, en raison du processus engagé depuis vingt ans, que nous devons aujourd'hui soutenir. Tournons les yeux vers le Pacifique où l’image de la France va de pair avec paix et stabilité, valeurs rares dans les îles environnantes.

Ce projet de loi constitutionnelle vise à clarifier pour l'avenir la question du corps électoral pour les élections locales de Nouvelle-Calédonie. C’est une question de principe juridique, mais aussi une donnée électorale beaucoup plus modeste. Une élection se gagne dans les urnes et dans les cœurs plus que dans les projections et les slogans. Élu de droite en Seine-Saint-Denis, je suis bien placé pour le savoir.

La Nouvelle-Calédonie connaît depuis 1988 une transition statutaire devant conduire à un avenir institutionnel durable pour l'archipel, un renouveau économique et le retour à la paix civile. À la suite des accords de Matignon de 1988, le processus s'est poursuivi avec la signature le 5 mai 1998 de l'accord de Nouméa qui a ouvert la voie à la révision constitutionnelle du 20 juillet 1998 et à l'adoption d'un nouveau statut grâce à la loi organique du 19 mars 1999. Ces diverses étapes marquent le passage pour la Nouvelle-Calédonie du statut de territoire d'outre-mer à un statut sui generis, intégré au titre XIII de la Constitution.

Ce processus a impliqué des nouveautés institutionnelles, dont l’instauration d’un corps électoral restreint pour certaines élections. Le 15 mars 1999, dans sa décision sur la constitutionnalité de la loi organique, le Conseil constitutionnel constatait que ce corps électoral était glissant, et non figé. C’est ce corps qui aura à se prononcer lors des scrutins locaux – élections aux assemblées des provinces et au congrès – les autres, à l’exception du scrutin d’autodétermination, restant régis par les règles générales du corps électoral.

Certes, le suffrage universel est un principe auquel, en démocratie, on ne saurait déroger. Cependant, ce n’est pas sur la nature même du suffrage universel que nous devons nous exprimer, mais simplement sur son degré d’appréciation. Il ne s’agit dès lors plus d’un principe, mais d’une question d’application, d’une « logique », selon votre terme, Monsieur le ministre. Dès 1988, après les tragédies que nous avons tous en mémoire, c’est la voie du dialogue qui a été choisie par les parties. Elles ont toutes fait le choix du compromis pour parvenir à une solution acceptable. C'est sur cette base qu'ont été établis les accords de Matignon, puis de Nouméa. Le geste de fraternité de Jacques Lafleur et de Pierre Frogier avec Jean-Marie Tjibaou est une image de concorde qui est restée dans nos mémoires. Cette logique de compromis a conduit à la restriction du corps électoral, point d'équilibre précaire du dialogue entre les parties. Sa délimitation devait être adoptée dès 1999 mais des vicissitudes d'une toute autre nature ont empêché de valider alors le dispositif qui nous est à nouveau proposé aujourd'hui. Il ne s’agit donc pas d’une surprise, mais simplement de respecter la parole de l'État. C’est ce que nous faisons tous, dans nos communes de métropole. On le sait, dans la gestion d’une cité de banlieue : lorsqu’un contrat est passé, il doit être respecté.

Cela fait près de vingt ans que le dialogue est le moyen des évolutions de la Nouvelle-Calédonie et que le principe d'un suffrage restreint est instauré. Nous ne faisons ici que l'aménager. Pouvons-nous pour quelque raison, si valable soit-elle, remettre en cause ce long travail de confiance réciproque et ce geste de fraternité ? Pouvons-nous, au prétexte de défendre un principe, mettre en péril le dialogue qui a permis d'éradiquer la violence ? Pour la Calédonie, le vrai désir d’avenir est le désir de France. Je ne pense pas qu’il y ait désir de Canaquie. Pouvons-nous, pour des raisons d’opportunité, remettre en cause la parole de l’État et de la présidence de la République ? La Nouvelle-Calédonie veut-elle faire intrusion dans la campagne présidentielle ?

Ce débat est un moment d'émotion : venant après un passé de passions, il doit nous ouvrir un avenir de compréhension. Nous avons la chance de pouvoir installer en Nouvelle-Calédonie des institutions fiables et durables, d’y assurer un développement économique solide et de garantir le vouloir vivre ensemble de la population. Dans le passé, le président Mitterrand avait survolé Nouméa en hélicoptère, par peur de rencontrer ses compatriotes armés de leurs seuls drapeaux tricolores. Aujourd’hui, avec Jacques Chirac, se trouve à l’Élysée un Calédonien de cœur. Pour demain, Nicolas Sarkozy a appris à comprendre ce pays, pour que le Caillou ne reprenne pas l'habitude de lancer des pierres et de poser des barrages.

M. Christian Paul – Quel agent électoral !

M. Éric Raoult – Le vote d'aujourd'hui est celui de la fraternité et de l'avenir, en aucun cas celui du séparatisme et du repli. Pour un destin commun et partagé, pour une Calédonie dans la France, je vous fais confiance, Monsieur le ministre, et je demande à tous mes collègues de l’UMP d'approuver ce texte (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. René Dosière – Je voudrais d’abord saluer la population calédonienne, celle qui vit dans ce pays magnifique, quelle que soit son origine, et celle qui est présente ici, dans l’hémicycle. La Calédonie est chère à mon cœur. Même si je n’en suis pas l’élu, en tant que représentant de la nation, comme tous ici, j’ai le devoir de m’y intéresser. Je regrette le calendrier qui nous mène à examiner ce texte maintenant – et qui révèle la part d’instrumentalisation du dossier, en fonction des échéances électorales, métropolitaines ou calédoniennes – mais enfin, les socialistes n’en sont pas responsables : dès le 27 novembre 2002, lors de la révision constitutionnelle présentée par Jean-Pierre Raffarin, j’avais déposé un amendement dont votre prédécesseur n’avait pas jugé opportun de se saisir. Je le regrette, car tout aurait sans doute été plus tranquille.

Le rapporteur, qui a rendu un travail remarquable et équilibré, a bien fait remarquer que la question du corps électoral avait déjà été tranchée, et à deux reprises, par le Parlement. Dans la loi organique de mars 1999 d’abord, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur, il n’y avait aucune ambiguïté sur ce qu’il fallait entendre par corps électoral restreint. Le rapporteur du Sénat avait même précisé qu’il n’était pas question de comprendre qu’il s’agissait d’un corps électoral glissant ! C’est sans doute parce que nous avions été trop clairs que le Conseil constitutionnel a fait une autre lecture. Mais la loi ne se fait pas au Palais-royal.

M. Francis Delattre – Vous n’avez qu’à supprimer le Conseil constitutionnel !

M. René Dosière – Le gouvernement de Lionel Jospin a donc immédiatement déposé un projet de loi constitutionnel pour revenir sur cette interprétation erronée – projet que vous avez voté, et le Sénat aussi ! Le Parlement a donc voté à deux reprises, de manière massive, et si la révision constitutionnelle n’a pu avoir lieu en 2000, c’est pour des raisons totalement étrangères au sujet. Le problème est d’autant mieux tranché que la Cour européenne des droits de l’homme a, depuis, avalisé la restriction du corps électoral, sous les deux conditions qu’il s’agissait d’une disposition transitoire et qui conduirait à un scrutin d’autodétermination.

Il s’agit d’une question éminemment politique. Il faut essayer de comprendre la Nouvelle-Calédonie et ce qu’elle a vécu, il faut reconnaître le processus original dans lequel elle s’est engagée depuis 1988 à l’initiative de Jacques Lafleur et de Pierre Frogier. Après la catastrophe d’Ouvéa, ces hommes ont compris, avec Jean-Marie Tjibaou, qu’il fallait cesser de considérer la question de façon trop métropolitaine et que les Calédoniens, quelle que soit leur origine, devaient se saisir de leur destin. C’est parce que le dialogue a pu être rétabli entre les communautés – et je salue ici le rôle décisif de Christian Blanc, qui conduisait la mission de dialogue créée par Michel Rocard – qu’on est arrivé aux accords de Matignon, et c’est parce que Jacques Lafleur a compris que pour maintenir le consensus, il ne fallait pas attendre le référendum d’autodétermination qu’on est parvenus aux accords de Nouméa, dans lesquels Alain Christnacht a joué un rôle considérable.

Ces accords de Nouméa posent un certain nombre de problèmes institutionnels. Dans leur préambule remarquable, pesé et mesuré, les deux principales communautés de Nouvelle-Calédonie établissent que ce territoire leur appartient à égalité de droits et qu’elles ont toutes les deux acquis, par leur participation à l’édification de la Nouvelle-Calédonie, une légitimité à y vivre. Les Canaques reconnaissent donc que si le pays doit parvenir à la souveraineté, les Caldoches ont le même droit qu’eux à y vivre, et l’engagement est réciproque. Je vous laisse penser ce que serait devenue l’Algérie avec un engagement de ce type ! Cette volonté des populations calédoniennes de vivre ensemble et de travailler à un destin commun est fondamentale.

Pour y parvenir, il a fallu une disposition innovante et dérogatoire – mais le jeu en vaut la chandelle : la création d’une citoyenneté calédonienne, au sein de la nationalité française. Un citoyen calédonien est celui qui vote aux élections locales. On voit donc l’importance qu’il y a à définir ce corps électoral restreint.

Le fait d’être citoyen calédonien donne en outre une priorité d’emploi local. C’est ici encore une dérogation justifiée par les particularités de la Nouvelle-Calédonie. Cette citoyenneté n’est pas faite pour les retraités de la fonction publique qui vont s’enrichir en prenant leur retraite au soleil.

M. Éric Raoult – C’est hors débat.

M. René Dosière – Autres dispositions dérogatoires : le congrès de Nouvelle-Calédonie a un pouvoir législatif. Il vote des lois de pays, qui sont directement soumises au contrôle du Conseil constitutionnel. Il y a un gouvernement local élu à la proportionnelle. Et un transfert de compétences irréversible, puisqu’on l’a constitutionnalisé.

Nous sommes là devant un accord, qui est, comme le disait Clemenceau à propos de la Révolution française, un bloc. Pour qu’il soit complet, il nous reste à résoudre la difficulté concernant le corps électoral.

L’interprétation du corps électoral figé en 1998 est la seule compatible avec les principes de l’accord de Nouméa, qui étaient déjà ceux des accords de Matignon. Ces derniers prévoyaient en effet que seuls les électeurs ayant leur domicile en Nouvelle-Calédonie en 1988 – c’est-à-dire à la date de signature des accords – pourraient voter lors du référendum de 1998. Un contrat était en quelque sorte passé, pour toute la durée de l’accord, entre ceux qui étaient présents au moment où il était conclu. Dans l’accord de Nouméa, ce sont aussi les personnes présentes à la date du référendum qui ont le droit de vote pour les scrutins propres à la Nouvelle-Calédonie – scrutin d’autodétermination final, élections aux assemblées de province et au congrès.

L’accord de Nouméa n’est donc pas un accord définitif supposant un renouvellement périodique du corps électoral, mais un accord qui définit une citoyenneté pour une période donnée. Le corps électoral devait être connu au moment où il a été signé.

La parole de la France a été donnée, pas seulement celle du Président de la République, ni celle du Gouvernement, mais aussi celle du Parlement, puisque l’Assemblée et le Sénat se sont déjà prononcés à deux reprises. Il serait très dangereux de la renier. Comme le disent les Kanak, la parole donnée est la parole donnée, nul ne peut la reprendre.

Il est vrai que le dialogue entre les communautés a tendance en ce moment à se rompre et que des divergences apparaissent. Tout cela crée une situation propice à la surenchère dans les deux camps. Nous souhaitons que ces difficultés puissent être surmontées et que le processus engagé se poursuive, de façon que les Calédoniens puissent continuer à déterminer ensemble leur destin. De nombreux pays, où existent des conflits ethniques, regardent avec intérêt ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie, où enfin des communautés ethniques différentes apprennent à travailler ensemble. C’est un exemple que la Nouvelle-Calédonie et la France peuvent donner au monde entier. Ne brisons pas cet espoir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe des députés communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Christian Blanc – L'enjeu de nos débats aujourd'hui est de déterminer si les autorités de la République restent, dix-huit ans après, fidèles à l'esprit des accords de Matignon, qui ont permis de rétablir la paix civile en Nouvelle-Calédonie. Mon propos a pour objectif de répondre à deux questions : en quoi le gel du corps électoral constitue-il un élément fondamental de ces accords ? Pourquoi est-il crucial de rester fidèle à l'esprit de ces accords?

À première vue, une telle restriction du droit de vote, dans un territoire de la République, peut choquer. Mais permettez-moi, en tant qu'initiateur des accords de Matignon, de revenir aux sources de cette proposition de gel du corps préfectoral.

Chacun garde en mémoire le souvenir des affrontements sanglants d'Ouvéa, suivis d'un début de guerre civile en Nouvelle-Calédonie, mais chacun garde aussi en mémoire la poignée de main, symbole de paix, entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur sur le perron de Matignon, ainsi que leurs regards et leur fierté après une nuit d'âpres négociations.

Entre ces deux événements, sur ma proposition, une mission du dialogue avait été nommée par le Premier ministre, Michel Rocard. Conscient que l'identité, la considération, et les manquements à la parole donnée étaient au cœur du drame naissant – à savoir, la guerre civile – et qu'avant d'aborder les problèmes institutionnels, juridiques, ou économiques, la dimension humaine et culturelle devait être comprise, Michel Rocard fit le choix de personnalités représentant des autorités morales pour m'accompagner dans cette mission, chargée de lui faire des propositions pour sortir la Nouvelle-Calédonie de la crise profonde où elle s'engageait.

Le 14 juin 1988, après avoir écouté et rencontré beaucoup de monde, notre mission remit au Premier ministre une proposition d'accord en huit points, approuvée par MM. Tjibaou et Lafleur et qui allait être la trame des accords de Matignon.

Il me parait important aujourd'hui de porter – pour la première fois – à la connaissance de la représentation nationale un extrait du point 7 de ce rapport : « La question de l'indépendance sera mise entre parenthèse pour dix ans grâce au renvoi à un scrutin d'autodétermination sur le territoire. Cela implique que les évolutions démographiques ne soient pas perturbées et que donc, l'immigration soit très strictement contrôlée. »

Pour comprendre ce dernier souci, il faut considérer l'évolution démographique de la Nouvelle-Calédonie. Alors qu'en 1950, le peuple kanak était encore démographiquement majoritaire, l'immigration encouragée par l'État et accélérée par le boom du nickel des années 1970 le rendait peu à peu minoritaire sur son territoire d'origine. Aujourd'hui encore, cette immigration se poursuit, en raison notamment de l'arrivée de retraités bénéficiant d'indices correcteurs excessifs et injustifiés. Il est clair que les Kanak ne peuvent accepter la perspective de devenir en Nouvelle-Calédonie une minorité décroissante, qui serait peu à peu privée de la maîtrise de son propre destin.

L'idée que des métropolitains installés depuis peu pourraient, dans une proportion significative, se prononcer sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie lors d'un scrutin d'autodétermination et participer à la désignation des membres des institutions de l'île, était inacceptable pour le FLNKS. C'est la raison pour laquelle le gouvernement et le RPCR acceptèrent en 1988 d'inclure le gel du corps électoral dans les accords de Matignon. « Les électeurs et les électrices de Nouvelle-Calédonie qui seront appelés à se prononcer sur ce projet de loi référendaire, ainsi que leurs descendants accédant à la majorité, constituent les populations intéressées à l'avenir du territoire. Ils seront donc seuls autorisés à participer jusqu'en 1998 aux scrutins qui détermineront cet avenir; scrutin pour les élections aux conseils de province et scrutin d'autodétermination »

Ces accords garantissaient donc que seuls les citoyens qui avaient au moment de leur signature – c'est-à-dire en 1988 – un lien indéfectible avec la Nouvelle-Calédonie pourraient prendre part au référendum d'autodétermination dix ans plus tard.

À l'approche de l'échéance de 1998, il est apparu que le délai de dix ans prévu pour l'organisation du référendum d'autodétermination, serait insuffisant pour permettre un choix serein entre le maintien dans la République et l'indépendance. À l'initiative de Jacques Lafleur, la recherche d'une solution consensuelle entre le gouvernement national, les partisans du maintien dans la République et les indépendantistes a donc été engagée et a finalement abouti, le 5 mai 1998, à l'accord de Nouméa.

Cet accord s'inscrivait dans la continuité de ceux de Matignon, puisque son but était de fixer un nouveau calendrier pour la mise en œuvre des accords de 1988. Le principe d'un gel du corps électoral était donc réaffirmé. Seuls les citoyens présents en Nouvelle-Calédonie en 1998 étaient habilités à prendre part au vote d'autodétermination. Mieux, l'accord de Nouméa prévoyait de faire respecter le gel du corps électoral lors des élections aux assemblées de province et au congrès, ce qui avait été prévu par les accords de Matignon mais qui n'avait pas été mis en œuvre entre 1988 et 1998, faute de révision de la Constitution.

Mais le Conseil Constitutionnel a fait prévaloir une interprétation, dite « du corps électoral glissant », selon laquelle tous les Français installés en Nouvelle-Calédonie acquièrent le droit de vote aux élections aux assemblées de province et au Congrès après dix ans de résidence, quelle que soit leur date d'installation. Cela signifie par exemple que les personnes arrivées en Nouvelle-Calédonie en 1999, soit après la signature du nouvel accord, pourraient prendre part à ces élections à partir de 2009 ; et cela revient à admettre que l'immigration, qui se poursuit à un haut niveau, ait sur le corps électoral local des conséquences qui, bien sûr, ne pouvaient pas être mesurées au moment de la signature de l'accord de 1998.

En 1998 comme en 1988, le « contrat de citoyenneté » a été passé avec ceux qui avaient un lien indéfectible avec la Nouvelle-Calédonie. Respecter les principes de l'accord de Nouméa, qui étaient déjà ceux des accords de Matignon, suppose donc de figer le corps électoral en 1998.

En outre, l'accord de Nouméa est transitoire ; ses dispositions prendront fin en 2018 au plus tard. Ensuite, ce sera soit l'indépendance et un droit de vote lié à la nouvelle nationalité de Calédonie, soit le droit de vote attaché à la citoyenneté française.

Les accords successifs ont été fondés sur un contrat moral. Tout ce qui paraîtrait remettre en cause la parole donnée risquerait d’anéantir les résultats des efforts patients accomplis depuis bientôt vingt ans. N'oublions pas que les Kanak ont, pendant longtemps, fait le constat des engagements non tenus par les gouvernements successifs, à tel point qu’une difficulté majeure à laquelle s'est heurtée la mission du dialogue en 1988 a été de convaincre les négociateurs kanak qu'ils pouvaient faire confiance au Gouvernement de la France. D'où l'idée d'un acte solennel du peuple français : ce fut le référendum national de 1988, qui a donné toute sa force aux accords de Matignon.

En rétablissant le principe du corps électoral figé en 1998, nous serons fidèles non seulement à l'esprit des accords de Matignon, qui ont permis depuis dix-huit ans la coexistence pacifique des communautés, mais aussi à la parole donnée par le peuple français. Nous avons trouvé les rythmes compatibles avec les aspirations des populations ayant leurs racines en Nouvelle-Calédonie ; ne prenons pas le risque de rompre des équilibres subtils.

Cher Jacques Lafleur, nous avons pris des risques ensemble, cela crée des liens définitifs. Affectueusement, je vous demande de prendre vos distances avec ceux qui n'ont peut-être pas encore compris qu'en évitant la guerre civile en 1988, vous leur avez permis de conserver un avenir en Nouvelle-Calédonie – ce dont ils devraient vous savoir gré.

À vous tous, chers collègues, je demande d'approuver massivement ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe socialiste, du groupe des députés communistes et républicains et de nombreux bancs du groupe UMP)

M. Michel Vaxès – Ce texte devrait déjà faire partie de notre corpus constitutionnel, la question dont il traite ayant été tranchée par le législateur il y a huit ans. L'intention tant des signataires de l'accord que du Parlement était claire, mais la réserve d'interprétation formulée par le Conseil constitutionnel sur l'article 188 de la loi organique a rendu nécessaire un nouveau projet de loi constitutionnelle. Celui-ci, rédigé en termes quasi-identiques à celui dont nous débattons aujourd'hui, a été approuvé le 10 juin 1999 par l'Assemblée nationale et le 12 octobre suivant par le Sénat, mais son adoption définitive a fait les frais de l'ajournement par le Président de la République de la réunion du Congrès prévue le 24 janvier 2000, au cours de laquelle devait également être examiné un projet renforçant l'indépendance de la magistrature – qui a suscité des oppositions de dernière minute. Depuis, le Président de la République et le Gouvernement ont affirmé à plusieurs reprises que les engagements seraient tenus, mais le temps presse car nous sommes à deux mois de la fin de la législature… L’affaire est grave, l'avenir des relations entre la France et la Nouvelle-Calédonie étant en jeu. J’ai noté avec satisfaction cet après-midi les propos du Premier ministre et les vôtres, Monsieur le ministre, nous garantissant une réunion du Congrès prochainement.

Permettez-moi de rappeler le contexte historique de ce projet.

La Nouvelle-Calédonie a connu il y a deux décennies une période proche de la guerre civile, où le peuple kanak a lutté pour la reconnaissance de ses droits politiques, économiques et culturels, et qui a été ensanglantée par l'assassinat de Pierre Declercq, d'Éloi Machoro, de Jean-Marie Tjibaou, de Yewéné Yewéné, des dix de Hienghène et par le massacre d'Ouvéa. Un terme y a été mis par l'accord de Matignon, qualifié de « pari sur l'intelligence » par Jean-Marie Tjibaou. Signé par le FLNKS, le RPCR et le Gouvernement, cet accord était l'aboutissement d'une démarche nouvelle de dialogue et de réconciliation entre peuples déchirés par un siècle et demi d'histoire coloniale. Les Kanak tendaient la main aux autres communautés calédoniennes, et celles-ci comprenaient que la paix civile passait par la prise en compte de l'identité et des revendications kanak.

Ce même esprit a permis, dix ans plus tard, l'accord de Nouméa sur l'avenir institutionnel calédonien, qui prévoit un transfert progressif et irréversible à la Nouvelle-Calédonie de toutes les compétences, sauf celles qui sont régaliennes, sur une période de quinze à vingt ans, au terme de laquelle un ou plusieurs référendums décideraient de l'accession ou non de ce territoire à la pleine souveraineté. Certes, les négociations furent longues et âpres, mais le 8 novembre 1998, 72 % des Néo-calédoniens ont ratifié cet accord par référendum, auquel 74 % des électeurs inscrits ont participé.

La question la plus épineuse était celle du corps électoral spécial. L’interprétation faite par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 mars 1999 – le corps électoral glissant – ne correspond pas à l'esprit de l'accord de Nouméa et détruit son équilibre politique fragile. Lors du premier accord, les signataires avaient clairement exprimé leur souhait de restreindre le corps électoral pour les élections au Congrès et aux assemblées provinciales aux seules personnes installées en Nouvelle-Calédonie avant la consultation de 1998 ; il ne pouvait en être autrement car à l'origine, celle-ci devait être un référendum d'autodétermination. Par ailleurs, lors des négociations de l'accord de Nouméa, la référence au tableau annexe ne pouvait concerner que le seul document existant à cette date, à savoir le tableau constitué en vue de la consultation référendaire de 1998. Il y avait unanimité entre le Président de la République, le Gouvernement et les deux assemblées du Parlement sur cette question. Autrement, le projet de loi constitutionnelle relative à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie n'aurait même pas existé…

Comment ne pas comprendre le souci des Kanak de limiter aux scrutins nationaux et municipaux le droit de vote des personnes de passage sur le territoire ? Ou leur crainte que le corps électoral ne soit progressivement élargi par l’arrivée sur le Caillou de nouveaux résidents vraisemblablement hostiles à l’indépendance ? Ou bien encore leur volonté que l’avenir de la Nouvelle-Calédonie soit décidé par des Calédoniens, plutôt que par des immigrés de fraîche date, qu’ils soient Français de métropole ou de Wallis-et-Futuna ? Comment oublier l’utilisation faite, par le passé, en Nouvelle-Calédonie même, et, aujourd’hui, dans maintes parties du monde, d’une stratégie délibérée de peuplement allogène, afin de rendre minoritaires les populations autochtones ? Comment occulter l’impact des moindres flux migratoires, dans le contexte d’un pays dont la faiblesse numérique est notoire ?

Il est vrai que cette restriction est dérogatoire à notre tradition républicaine, ce qui a précisément motivé la révision constitutionnelle de 1998. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs admis des dérogations à plusieurs règles et principes de valeur constitutionnelle nécessaires à la mise en œuvre de l’Accord de Nouméa. Le Conseil d’État et la Cour de Cassation ont aussi estimé possible, en cas d’autorisation constitutionnelle, la restriction apportée au corps électoral – arrêts Sarran de 1998, et Fraisse de 2000. Rappelons aussi que la Cour européenne des droits de l’homme a rejeté, par un arrêt du 11 janvier 2005, un recours formé par un électeur de Nouméa exclu de la liste électorale spéciale pour les élections locales, au motif que l’histoire de la Nouvelle-Calédonie et le caractère transitoire du dispositif permettaient qu’il soit porté atteinte au droit de suffrage. De même, le Comité des droits de l’homme de l’ONU, saisi par une requête collective de 21 personnes résidant en Nouvelle-Calédonie, n’a relevé aucune violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans la mise en application d’un corps électoral figé.

À cet égard, je voudrais souligner que seules deux consultations locales, celles de 2009 et de 2014, sont concernées par la limitation du corps électoral. Par la suite, un référendum de sortie du processus de l’accord de Nouméa aura lieu, entre 2014 et 2019, et quel que soit son résultat, un nouveau régime juridique du corps électoral en Nouvelle-Calédonie devra être institué.

Permettez-moi aussi de rappeler que le droit de vote des immigrés – que nous réclamons ici – concerne les élections municipales et que les Français établis en Nouvelle-Calédonie en disposent, quelle que soit leur date d’arrivée. Les élections au congrès et aux assemblées de province posent la question de la citoyenneté calédonienne, et il est normal qu’elles conditionnent le droit de vote et la définition du corps électoral.

Pour conclure, j’insiste sur l’impératif de respecter la parole de l’État, le vote du Parlement intervenu en 1999, d’aller jusqu’au bout de l’engagement du Président de la République, en constitutionnalisant le corps électoral spécial. Dans le cas contraire, le risque est réel que les passions se déchaînent de nouveau et conduisent la Nouvelle-Calédonie dans une impasse. Ce serait la fin de cette voie inédite, et pacifique, d’autodétermination, que les accords de Matignon et de Nouméa ont permis d’engager et qui fait honneur à notre pays.

Nous voterons avec enthousiasme ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. le Président – La parole est à M. Lafleur (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jacques Lafleur – Merci, Monsieur le ministre, d’avoir cité mon nom aussi souvent dans votre tableau de la politique passée en Nouvelle-Calédonie. Mais je voudrais dire, avant de développer mon argumentaire – qui n’est pas le vôtre… – que j’ai un peu l’impression, avec ce débat, d’être transporté quinze ans en arrière, comme si les choses étaient restées figées en Nouvelle-Calédonie. Or tel n’est pas le cas ! Dans la période, notre territoire a considérablement progressé. Les Mélanésiens, qu’ils soient ou non pour l’indépendance, ne sont pas restés immobiles et ils ont, comme moi du reste, beaucoup appris.

Ce que je me dois de dire, Monsieur le ministre, c’est que votre prédécesseur, Mme Girardin, voyageait et – sans doute – travaillait beaucoup. Malheureusement, elle n’a pas tout compris de ce qui se passait en Nouvelle-Calédonie…

M. René Dosière – Cela n’est guère surprenant !

M. Jacques Lafleur – Et sans doute est-ce elle qui a fait prendre cet engagement au Président de la République. Hélas pour moi, on a dit qu’il s’agissait d’une promesse que j’aurais faite au président de la province Nord, M. Paul Néaoutyine, que je respecte. La vérité, c’est que j’ai dit à M. Néaoutyine que je l’avais compris ; pas que j’acceptais que l’on modifie les engagements pris dans l’Accord de Nouméa.

M. Christian Blanc a parlé de l’Accord de Matignon. Sans des hommes comme lui, comme Michel Rocard ou comme Alain Christnacht, jamais la Nouvelle-Calédonie n’aurait retrouvé le chemin de la paix. Je menais les discussions pour le Rassemblement. Quand nous sommes arrivés dans cette discussion, il y avait, parmi les choses qui pouvaient nous séparer, la question du corps électoral. Je n’ai pas accepté – et je ne comprends toujours pas – que l’on veuille priver ceux qui arrivent en Nouvelle-Calédonie pour faire sa richesse, et qui sont porteurs de la culture politique qui leur permet d’être des citoyens à part entière, de l’espoir de devenir de véritables citoyens de Nouvelle-Calédonie. Pourquoi leur barrer toute perspective de jamais voter là où ils vivent et travaillent, parfois depuis longtemps ? Accepterions-nous que l’on nous applique le même traitement en métropole ?

J’ai bien entendu ce qu’a dit M. Dosière. Permettez-moi de vous dire, cher collègue, que je n’aime pas plus être désigné sous le terme de caldoche que vous n’appréciez sans doute que l’on vous traite de Zoreille… Je suis un Français de Nouvelle-Calédonie, et les Mélanésiens le sont aussi. Aujourd’hui, les Mélanésiens sont du reste très heureux de ne pas avoir l’indépendance. Ils n’en veulent plus. Pourquoi ? Parce qu’ils ont sous les yeux 4,5 millions de Mélanésiens – appartenant à l’arc mélanésien – qui ne sont jamais en paix. La Nouvelle-Calédonie est le seul territoire de la région à vivre en paix, et elle le doit au fait que ses habitants ont pris les habitudes de la République.

Aujourd’hui, les Fidji subissent certaines pressions de la part de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Dans le passé, nous avons connu des situations analogues. Désormais, grâce aux Accords de Matignon et de Nouméa – ce dernier étant le seul accord institutionnel –, nous avons rétabli des relations positives avec ces deux pays, qui sont les grands voisins de la France dans la région.

Je me suis entretenu avec les indépendantistes, avec l’Australie et avec la Nouvelle-Zélande. Au vrai, personne ne comprend que l’on se précipite dans la présente démarche sans avoir renoué les fils du dialogue, d’autant que la période est mal choisie. Même en Nouvelle-Calédonie, nous avons entendu parler des prochaines élections en métropole, présidentielles et législatives… (Sourires) La survenue de ce projet de loi constitutionnelle dans cette période particulière risque de faire réapparaître tous les extrémismes. J’ai sous les yeux le compte rendu d’une réunion qui s’est tenue à Nouméa le 4 décembre dernier. À mon grand regret, il montre bien que les extrémismes sont de retour. Or ceux qui attachent le plus de valeur aux négociations menées depuis vingt ans, ceux qui sont le plus fiers des solutions consensuelles qui en ont découlé, ce sont les Mélanésiens ! C’est ce qui m’autorise à dire que le dialogue et la concertation sont toujours préférables à la situation qui consiste à se trouver confronté à une réforme couperet.

Je souhaite que ce projet soit retardé. Cela compte beaucoup pour tous les habitants de Nouvelle-Calédonie, afin que le dialogue ne soit pas interrompu. Si cette loi est votée, un certain nombre de Mélanésiens extrémistes, indépendantistes, racistes, revendiqueront plus encore, et nous serons en position d’affrontement. Moi qui reste l’un des derniers signataires locaux des accords de Matignon, j’ai l’impression d’avoir servi la Nouvelle-Calédonie, mais aussi la République. Pour maintenir le dialogue, même si le Gouvernement exerce des pressions, même si certains partis s’entendent pour voter ce texte, je vous demande de le reporter.

M. Nicolas Dupont-Aignan – Très bien.

M. Jacques Lafleur – Nous ne sommes pas à quelques mois près. Nous aurons le temps de reprendre ce dialogue tous ensemble. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Christian Paul – L'histoire commune de la République et de la Nouvelle-Calédonie est nourrie de doutes, de malentendus et de drames. Notre choix d'aujourd'hui doit donner des raisons d'espoir, non provoquer une crise, après des années d’efforts qui ont tellement fait progresser la Nouvelle-Calédonie. Notre seul objectif est l'application durable et réussie de l’accord de Nouméa, notre seul devoir le respect de la parole donnée, celle de la République, en poursuivant dans la voie tracée par les accords, par Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur.

En 1988 comme en 1998, les signataires furent visionnaires et inspirés par l'intérêt général, quand bien même ils ne s'accordaient pas sur la suite de cette histoire commune. S'écarter des accords, ce serait céder à la tentation d'une hasardeuse remise en cause. Ce serait pour certains, là-bas, tenter de rejouer la partie et prendre un risque inconsidéré, je le dis avec beaucoup de mesure à Pierre Frogier. Pour d'autres, ici, par aveuglement ou pire, par calcul, ce serait jouer avec le feu. Déjà, à la veille d'une autre élection présidentielle, la rupture de la paix civile conduisit au drame d'Ouvéa. J'en appelle donc à la raison des républicains contre toutes les surenchères.

La question du corps électoral est centrale, puisqu'il s'agit de définir une communauté de destin. Ce territoire a voulu une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie au sein de la citoyenneté française, il en a été doté par le constituant. C'est un fait sans précédent dans notre histoire, mais ce n'est pas une dérogation, c’est une reconnaissance.

Dès lors, il fallait s'entendre sur la définition des « populations concernées » pour les élections qui décident de l'avenir. Les accords ne procédaient pas d’un consensus artificiel entre ceux qui aspirent à la naissance d'une nation et ceux qui réaffirment leur particularisme dans l’ensemble français, mais d’une entente durable pour renoncer à l'affrontement, d’un équilibre des forces pour servir la paix et le développement. C'est un pacte pour vivre ensemble.

En votant ce texte, conforme à celui que proposa en 1998 Lionel Jospin, nous pouvons consolider ce pacte. Je plaide, avec beaucoup d'autres, pour la cohérence et la continuité. La cohérence exige que le corps électoral, pour la consultation référendaire comme pour les scrutins des assemblées locales, soit stabilisé. La seule question est de savoir si les personnes venues en Nouvelle-Calédonie pourront voter dix ans après leur arrivée, ou si le corps électoral reste celui de 1998 pour les élections décisives de 2009, 2013, voire 2014. Éviter l'entrée dans le corps électoral de personnes qui n'étaient pas en Nouvelle-Calédonie en 1998, c’est reconnaître une citoyenneté qui se construit. C'est la traduction d'un pacte loyal qui exclut que l'on mise sur des mouvements de populations pour défaire un compromis si difficilement acquis, Christian Blanc l’a bien rappelé.

Personne ne peut s’abriter derrière la décision du Conseil constitutionnel de 1999. Tout au plus peut-on considérer que la discussion qu'elle a alimentée nécessite un arbitrage du législateur constituant, et au plus tôt. Le Conseil constitutionnel n’est pas le constituant.

M. René Dosière – Très juste.

M. Christian Paul – Si l’impact électoral est faible, l'enjeu symbolique est fort pour une citoyenneté en devenir. Pour que la confiance dans l'accord de Nouméa ne soit pas ébranlée, assurons la continuité de la parole publique. Trois gouvernements, quatre ministres de l'Outre-mer se sont succédé sans dévier de cette ligne et je salue cette constance, à travers les caprices des alternances. Surtout, assurons la continuité de nos actions politiques et, après le vote acquis en 1999, par deux majorités différentes, l'une à l'Assemblée Nationale, l'autre au Sénat, dans des termes identiques à ceux d'aujourd'hui, votons cette loi constitutionnelle, présentée par votre gouvernement au nom du Président de la République. Nul d’ailleurs n'invoque des bouleversements en Nouvelle-Calédonie, qui justifieraient que l'on s'attaque à l'esprit des accords et que l'on modifie le corps électoral.

S'il y a une critique à émettre, c'est que ce vote, freiné par beaucoup d'hésitations, vient bien tard, à la veille d’élections nationales. L'engagement du Président de la République de traiter cette question avant la fin de son mandat doit être respecté. C'est là aussi tenir la parole de la France. Nous vous demandons, Monsieur le ministre, de prendre ici l'engagement clair de réunir le Congrès avant la fin de la législature, comme a semblé l'indiquer le Premier ministre cet après-midi. Ce sera une manière éclatante de donner toute sa force à la parole de la République et de donner des bases assurées pour la poursuite du dialogue. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Noël Mamère – Les Verts voteront ce projet. Une partie des signataires de l'accord de Nouméa avait très mal accueilli la décision rendue par le Conseil constitutionnel en 1999. L'enjeu est simple : Qui peut voter lors des futures élections provinciales et accéder ainsi à la « citoyenneté » de Nouvelle-Calédonie ? La présente loi vise à rétablir l’accord « dans son esprit et dans sa lettre ». En reconnaissant le droit aux résidents justifiant de dix ans de présence en 1998 de participer aux scrutins engageant l'avenir institutionnel de l'archipel, le législateur permettra de sortir de l'impasse dénoncée par les représentants du peuple kanak.

Depuis 152 ans, l'État s'est toujours opposé à l'indépendance. Pour les populations mélanésiennes, l'accord de Nouméa n'est pas seulement un accord de paix mais un accord de décolonisation au sens du droit international. Sur le plan politique, le droit de vote pour les élections provinciales, réservé aux gens du pays, ne peut être étendu arbitrairement à tous les nouveaux arrivés, sous peine de rompre un fragile équilibre. Qu’on prenne garde à ne pas remettre en cause les accords, en passant outre les déclarations du ministre chargé des relations avec le Parlement, qui a maintes fois indiqué que cet engagement du Président de la République serait tenu. En 1999, Assemblée et Sénat avaient adopté en des termes identiques un projet de loi constitutionnelle en tous points similaire à celui-ci. Malheureusement, Jacques Chirac n'avait pas convoqué le Congrès, pour des motifs étrangers à la Nouvelle-Calédonie.

Je veux bien croire qu’il tiendra cette fois à remplir ses engagements, mais la campagne présidentielle permet toutes les surenchères. Le ministre-candidat, président de l'UMP, l’a prouvé à plusieurs reprises ! Toutes les interventions dans les médias tendant à discréditer la loi, la lettre et l'esprit des accords de Nouméa nous inquiètent. Nous ne voulons pas d'un nouvel Ouvéa à la veille des présidentielles de 2007. Ce débat est légitime, il ne doit pas se passer dans la rue. Cette loi permet de consacrer le droit des Mélanésiens sans pour autant nier celui des autres populations à demeurer sur ce territoire auquel elles sont attachées et sur lequel elles sont nées. Si un jour les Calédoniens souhaitent choisir l'indépendance, cette loi garantira le caractère pluriethnique du nouveau pays et les droits fondamentaux des différentes ethnies qui le composeront.

Comme le disait le gaulliste Edgar Pisani, « en Nouvelle-Calédonie, on a fait toujours trop peu et trop tard ». Cette fois, en rééquilibrant les droits en faveur des populations colonisées, discriminées et abandonnées, nous voterons pour la paix civile et la poursuite de l’émancipation du peuple calédonien. Nous suivrons ainsi la voie tracée par MM. Tjibaou, Lafleur et Rocard. Les Verts seront vigilants sur le respect de la parole donnée.

Je profite de ce débat pour dénoncer les conditions d’exploitation du site minier de Goro Nickel, géré en dépit de tout souci social ou environnemental par le groupe Inco, qui a accompli des travaux en toute illégalité et auquel l’État doit retirer le bénéfice de la défiscalisation.

L’urgence commande de résister aux calculs politiciens. Les députés verts, qui soutiennent le désir de paix et d’émancipation du peuple de Nouvelle-Calédonie, voteront l’adoption de cette loi et se rendront avec plaisir au Congrès que le Président de la République convoquera (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Pierre Frogier – On vous propose aujourd’hui de priver du droit de vote des Français vivant sur le sol de France, en Nouvelle-Calédonie.

M. Jean-Christophe Lagarde – Mensonge !

M. Victorin Lurel – C’est transitoire.

M. Pierre Frogier – Véritable détournement du vote populaire, ce texte est une monstruosité juridique, qui bafoue les principes fondamentaux de notre République.

M. Jacques Myard – Très bien !

M. Jean-Christophe Lagarde – Jusqu’ici, le débat était digne…

M. Pierre Frogier – Il est vrai qu’en la matière, nous avons perdu la bataille de la vérité depuis bien longtemps… Pourtant, ce projet de loi est fondé sur deux contrevérités. On vous dit que le gel du corps électoral est inscrit dans l’accord de Nouméa : c’est faux !

M. Jacques Myard – Bravo !

M. Pierre Frogier – On veut vous faire croire qu’il est un engagement de l’État : c’est faux ! Contrairement à plusieurs orateurs, j’ai personnellement participé à toute la négociation de cet accord, sous l’autorité de M. Lafleur. Jamais il n’y fut question de geler le corps électoral pour les élections locales. Jamais nous n’avons accepté que des Français arrivés en Nouvelle-Calédonie après le 8 novembre 1998 soient privés du droit de participer aux élections locales. Il ne s’agit certes que de mon témoignage, mais pourquoi la parole d’un Calédonien, député de la République, aurait-elle moins de valeur que celle d’un dirigeant indépendantiste ou de l’un de ses alliés socialistes ?

MM. Jacques Myard et Francis Delattre – Très bien !

M. Pierre Frogier – Le préambule, qui donne tout son sens à l’accord lui-même, indique que le corps électoral sera restreint aux personnes établies en Nouvelle-Calédonie « depuis une certaine durée » : il n’est pas question de date ! En outre, les travaux préparatoires à la loi constitutionnelle de 1998 prônent clairement un corps électoral glissant, de même que le document d’information diffusé lors de la campagne du référendum en 1998 par les services de M. Jospin, alors Premier ministre. Les Calédoniens, en approuvant massivement l’accord de Nouméa, ont donc adopté sans ambiguïté le principe d’un corps électoral glissant. Enfin, la loi organique de 1999, proposée par la majorité socialiste, permettait aux citoyens installés en Nouvelle-Calédonie depuis dix ans d’y voter. Voilà la vérité, celle sur laquelle le Conseil constitutionnel a fondé sa décision du 15 mars 1999 !

M. Jacques Myard – À juste titre !

M. Pierre Frogier – C’est bien cette décision qui a obligé les socialistes à sortir d’une ambiguïté qu’ils avaient entretenue à dessein !

M. Jacques Myard – À leur détriment !

M. Pierre Frogier – Et c’est sous la pression du FLNKS, auquel ils avaient tant promis, qu’ils ont décidé en 1999 de modifier la Constitution.

M. René Dosière – C’est faux !

M. Pierre Frogier – L’engagement partisan est alors devenu parole de l’État.

Or, cette réforme constitutionnelle est lourde de conséquences. Le gel du corps électoral porte atteinte au caractère universel du droit de vote.

M. Nicolas Dupont-Aignan – Tout à fait !

M. Pierre Frogier – C’est aussi instaurer un véritable apartheid entre ceux qui ont le droit de vote et ceux qui ne l’auront jamais. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) C’est mettre en place un droit de vote héréditaire et interdire l’acquisition de la citoyenneté par la mariage. C’est, au fond, établir un véritable droit du sang, en opposition au droit du sol qui s’impose partout ailleurs dans la République !

M. Nicolas Dupont-Aignan – C’est une trahison !

M. Pierre Frogier – Et il ne s’agit pas d’une disposition transitoire : des milliers d’électeurs seraient définitivement privés du droit de vote. En effet, en 2018, si l’indépendance est choisie, ceux dont on n’aura pas encore reconnu la citoyenneté resteront des étrangers, et si elle ne l’est pas, l’accord de Nouméa prévoit que la structure politique existante soit constitutionnellement garantie sans possibilité de retour en arrière, en attendant la fondation ultérieure d’un nouveau système.

Comment des Français qui ont leur vie, leurs biens, leur cœur en Nouvelle-Calédonie peuvent-ils être délibérément écartés de consultations qui détermineront leur avenir et celui de leurs enfants ? De quoi se sont-ils rendus coupables pour que l’on en arrive à les priver de leurs droits civiques ?

Le pays des droits de l’homme et de la démocratie ne peut priver ses propres citoyens du droit de vote, et la citoyenneté calédonienne ne peut être plus difficile à obtenir que la citoyenneté française. Nombreux sont d’ailleurs ceux qui, ici même, approuvent ce projet tout en prônant l’octroi aux étrangers du droit de vote aux élections locales !

M. Jacques Myard – Eh oui !

M. Pierre Frogier – Le consensus de 1998 visant à éviter un référendum d’autodétermination que les indépendantistes auraient perdu, le gel du corps électoral à l’issue de l’Accord de Nouméa, et le corps glissant à dix ans pour les élections provinciales sont assez de concessions. Ne nous en demandez pas plus !

Dans cette bataille, ma détermination est sans faille, comme celle du peuple calédonien. Pour justifier un renoncement si aberrant, une telle dérogation au droit commun, on invoque l’engagement de l’État. Pourtant, le chef de l’État ne s’est jamais engagé à geler le corps électoral ; il n’a même jamais pris position sur le problème…

M. René Dosière – Et pour cause !

M. Pierre Frogier – …se bornant simplement à promettre de l’aborder avant la fin de son mandat, en précisant d’ailleurs qu’il ne se poserait pas avant 2009 et que seule une étroite concertation avec l’ensemble des Calédoniens permettrait de le régler. Je regrette que le Gouvernement n’ait jamais, depuis lors, pris l’initiative d’engager la discussion. Aujourd’hui, le désaccord entre les deux signataires locaux de l’accord de Nouméa reste entier.

Ni le Gouvernement, ni la représentation nationale n’ont le droit de réécrire l’histoire et de modifier un point essentiel de l’accord de Nouméa, au mépris de la parole donnée aux électeurs calédoniens. Modifier la Constitution sans même les avoir consultés serait un véritable déni de démocratie.

Au fond, nous assistons à un renoncement devant la menace d’un retour aux troubles que brandit le FLNKS et que ne font qu’amplifier la gauche et l’UDF locales. Ce n’est que pour céder à ce chantage insupportable que l’on s’obstine ainsi à passer en force au mépris de tout engagement et de l’histoire elle-même.

M. Nicolas Dupont-Aignan – Très bien.

M. Pierre Frogier – Les Calédoniens ont montré qu’ils savaient donner et pardonner, qu’ils pouvaient faire des concessions pour préserver l’essentiel : la paix, le développement, la communauté de destin. L’accord de Nouméa était un acte de générosité, mais pas de faiblesse, et encore moins de reniement de nos valeurs fondamentales.

La Nouvelle-Calédonie a beaucoup changé depuis vingt ans.

M. Christian Blanc – Pas vous !

M. Pierre Frogier – Un avenir de paix s’y prépare. Personne ne songe aujourd’hui à retourner au sang et aux affrontements. Ne faites donc pas de la Nouvelle-Calédonie un enjeu de politique nationale, par idéologie ou par calcul. N’abandonnez pas votre conscience à la culpabilisation et à la repentance. Ne renoncez pas devant le chantage d’une minorité. Ne laissez pas la France fouler aux pieds la dignité et les droits de milliers de ses citoyens, vos propres compatriotes ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Quitte à briser le magnifique consensus de cette assemblée, je voterai contre ce texte ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

La séance, suspendue à 18 heures 30, est reprise à 18 heures 35.

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modification de l’ordre du jour

M. le Président – Le ministre délégué aux relations avec le Parlement m’a informé que la discussion du projet de loi relatif à l’eau et aux milieux aquatiques se poursuivra ce soir à 21 heures 30 et qu’en conséquence, l’examen des projets de loi relatifs à la justice ne commencera que demain après-midi à 15 heures.

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article 77 de la constitution (suite)

M. Michel Piron – Chacun aura pu le constater, la question qui nous occupe aujourd’hui n’est pas simple. Il suffit de se rappeler les interprétations auxquelles a donné lieu l’accord de Nouméa et les traductions juridiques de la loi du 19 mars 1999 sur le tableau annexe. Corps électoral glissant ou cristallisé en 1998 ? On connaît les arguments en faveur de la première hypothèse, suite à la lecture littérale de la loi opérée par le Conseil constitutionnel en 1999. On connaît également l’avis des deux rapporteurs du texte, à l'Assemblée nationale et au Sénat, l’adoption par les deux assemblées du projet de révision constitutionnelle interprétative, les arrêts du Conseil d’État et de la Cour de cassation, ainsi que celui de la Cour européenne des droits de l’homme en janvier 2005.

La question n’est pas simple non plus car elle résulte d’un long parcours politique et juridique. Qui ne se souvient des événements tragiques d’Ouvéa en avril 1988, puis du dénouement apporté par les accords de Matignon du 26 juin, largement approuvés en novembre de la même année ? Accords politiques s’il en fut – oui, Monsieur Dosière, au sens le plus noble du terme –, affirmant une volonté de paix pour l’avenir et, traduit, peu ou prou, juridiquement, par une restriction dérogatoire du corps électoral pour une période transitoire.

La question n’est pas simple non plus car elle met en jeu des principes essentiels, dont celui du suffrage universel. Le compromis qui l’aménage a été validé pour un temps et des scrutins limités.

Comme souvent, dans les situations difficiles, la lettre peine à exprimer l’esprit de la loi. Ce fut sans doute le cas à l’époque et ce l’est encore aujourd’hui. Raison de plus pour en appeler à l’esprit de la loi, comme l’a fait Christian Blanc. Une parole a été donnée par le Président de la République et le Parlement. Elle doit être respectée, d’autant qu’elle a permis de ramener la paix.

En nous proposant d’adopter ce texte, on ne nous invite pas seulement à clore un débat ancien, mais bien plutôt à poursuivre et renouveler l’indispensable dialogue au terme duquel la Nouvelle-Calédonie fera un choix qui, grâce à notre choix, pourra être son choix. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

MM. Éric Raoult et M. Bernard Accoyer – Très bien.

M. Victorin Lurel – Une parole a été donnée solennellement à la Nouvelle-Calédonie. Elle lui a été répétée, martelée même. Au fil du temps, elle a fini par faire corps avec l’esprit de l’accord de Nouméa. Elle doit être respectée par tous. Elle l’a été jusqu’ici par tous les gouvernements successifs, en dépit des velléités et des atermoiements constatés à partir de 1999. Elle doit l’être aujourd’hui au Parlement et demain au Congrès. C’est une question de morale, d’éthique et de responsabilité. C’est aussi une question de crédibilité et de loyauté de l’État. Si cette parole n’était pas tenue, la confiance ne se mériterait plus.

Je sais ou je sens que la plupart d’entre vous sont convaincus du bien-fondé des arguments échangés. Je sais aussi, en tout cas je crois comprendre, que vous aurez à cœur, vous, les députés de la majorité, de ne pas humilier davantage le Président de la République (Murmures sur les bancs du groupe UMP) – qui s’est engagé personnellement et solennellement, en juillet 2003 en Nouvelle-Calédonie, à régler cette question avant la fin de son quinquennat.

Au-delà de quelques obstinés qui s’arc-boutent sur ce qu’ils croient être le noyau dur de la citoyenneté française, je ne doute pas un instant que vous approuverez, aidés par la gauche de l’hémicycle, le rétablissement de la bonne interprétation du corps électoral. Il n’est pas possible de croire que, pour des querelles intestines à l’UMP ou de subalternes calculs de réélection parlementaire, …

M. Éric Raoult – Tu vas tout gâcher !

M. Victorin Lurel – …vous seriez infidèles à la France – à sa parole, ses engagements, son honneur, son image – et accepteriez de mettre en péril la paix civile, là-bas. Vous adopterez donc la seule définition qui vaille, conforme aux accords de Nouméa : cristallisée, figée, non glissante à partir de 1998. Il n’est pas possible de croire, même pour les ayatollahs d’un certain droit et les révisionnistes calculateurs et pusillanimes, que ce qui a été approuvé par la Cour européenne des droits de l’homme dans le fameux arrêt Py contre France du 11 janvier 2005, que ce qui est en tous points conforme à la résolution 1514 de l’ONU sur la décolonisation, qui prévoit que seules les populations concernées sont consultées, que ce qui est parfaitement conforme au préambule de notre Constitution de 1946, qui dispose que la France conduit graduellement les peuples dont elle a pris la charge à l’autodétermination et à l’émancipation – bref, que ce qui répond aux canons du droit national et international serait ici récusé.

M. Jacques Myard – Parfaitement !

M. Victorin Lurel – Mais un terrible soupçon nous taraude. D’aucuns, par une interprétation controuvée de cette phrase du Président de la République sur Radio Rythme Bleu, en juillet 2003 : « j’ai eu l’occasion de dire que le problème, matériellement, ne se posait pas avant 2009 », préconisent d’appliquer l’hypocrite festina lente – hâte-toi lentement – et d’adopter le présent projet, mais en reportant le Congrès au-delà du terme de la législature. Une telle stratégie serait une véritable trahison, le viol de l’espérance canaque et calédonienne.

M. le Président – Monsieur Lurel, votre temps de parole est échu.

M. Victorin Lurel – J’en termine. L’histoire se répéterait, après le triste ajournement de la réunion du Congrès du 24 janvier 2000. Depuis bientôt huit ans, la Nouvelle-Calédonie attend patiemment, calmement, que le contrat social de 1998, qui fondait un nouveau pacte avec la République et un processus de décolonisation tranquille, soit enfin respecté.

Foin donc des arguties, du jésuitisme, de l’ésotérisme juridique (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Il ne s’agit que de volonté politique. Le parti socialiste soutiendra ardemment l’adoption de ce projet de loi.

Les congrès n’étant pas si fréquents, je profiterai de cette occasion pour soutenir l’inscription dans la Constitution de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, érigées très bientôt en collectivités d’outre-mer, ainsi que l’amendement relatif à la reconnaissance des langues régionales et minoritaires.

Je vous exhorte donc à l’audace, au simple courage ; à aller jusqu’au bout du processus d’adoption à l’Assemblée, au Sénat et au Congrès avant la fin de la présente législature (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Michel Diefenbacher – Chacun mesure l'importance, et même la gravité de ce débat, qui touche à la démocratie par l’exercice du droit de vote, à la justice, par l'équilibre entre différentes communautés, et à la paix civile, qui pourrait en toute hypothèse être compromise. L’accord de Nouméa a suscité un immense espoir : dans l’immédiat, la paix civile était consolidée ; à terme, le territoire fixerait lui-même son avenir ; et dans l'intervalle, les moyens de la souveraineté lui seraient progressivement transférés. Après des affrontements tragiques et des négociations difficiles, les responsables publics sont sortis grandis de cet épisode : ainsi, la politique pouvait être autre chose que des oppositions de personnes, d'intérêts ou d'idéologies ; ainsi, les responsables politiques pouvaient avoir assez de grandeur d’âme et de respect mutuel pour surmonter leurs divergences et préparer un avenir commun. Ce consensus n'aurait pas été possible sans un vrai dialogue, qui s’est tenu ici, au Parlement puis au Congrès de juillet 1998, pour intégrer dans la Constitution les dispositions de l'accord de Nouméa – par 95 % des députés et sénateurs – et qui s'est prolongé là-bas, la population calédonienne s’étant exprimée, en novembre 1998, à plus de 70 % en faveur de ce processus.

Or, c’est ce processus qui est aujourd’hui menacé. Nous mesurons tous qu'il ne serait de l'intérêt de personne qu'il soit interrompu. Personne ne conteste que le Gouvernement souhaite le préserver, mais la voie qu'il a choisie avec cette procédure de révision constitutionnelle n’est pas la bonne.

Le Gouvernement invoque la parole donnée. Lorsque le Président de la République s'est rendu en Nouvelle-Calédonie en juillet 2003, il a en effet demandé que la question du corps électoral soit réglée, mais sous deux conditions très explicites : que la solution soit trouvée en concertation très étroite, et en accord avec l’ensemble des Calédoniens. Or, force est de constater que la concertation s'est limitée au cercle très fermé du comité des signataires de l'accord de Nouméa – dont les communiqués sont très ambigus. Le congrès du territoire, directement intéressé par l’élection de ses membres, n’a pas été appelé à en débattre depuis huit ans, non plus que les électeurs de Nouvelle-Calédonie qui avaient été consultés sur l’accord de Nouméa. Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que l’accord n'ait pas été trouvé, ni au Parlement ni en Nouvelle-Calédonie.

Monsieur le ministre, je mesure la difficulté de votre tâche. Je ne veux ni la compliquer, ni fragiliser un gouvernement que j'ai toujours soutenu. Je cherche une solution, et je ne vois que deux hypothèses. La première, la plus dangereuse, consiste à aller, quoi qu'il arrive, au terme de la procédure. Il faut en mesurer les conséquences : ici, il y aura ceux qui sont pour et ceux qui sont contre, mais là-bas, il y aura les vainqueurs et les vaincus. Quel que soit le sens du vote, la fracture qui en résulterait serait tout le contraire du consensus qui est au cœur non seulement des accords de Matignon et de Nouméa, mais aussi de la culture des peuples d'Océanie – ce consensus qui a valu à la Nouvelle-Calédonie vingt ans de paix. La seconde hypothèse, à mon sens la seule qui vaille, consiste à renouer le fil du dialogue. Personne ne peut s'offusquer de ce que le sujet exige un temps supplémentaire de réflexion. Il n'est pas facile de trouver le juste équilibre entre le principe républicain, légitime par nature, qui donne à chaque homme une voix, et la référence identitaire tout aussi respectable selon laquelle tous les électeurs ne sont pas identiques devant l’histoire et que leurs droits peuvent donc être différents.

Sur ce point fondamental, la Nouvelle-Calédonie a besoin de trouver un pacte fondateur. L’accord de Matignon à fondé l'objectif de l'autodétermination. Celui de Nouméa en a fondé les principales modalités. Il reste aujourd'hui à fonder la place des différentes communautés dans ce processus historique. C’est un vaste sujet, qui nécessite plus de temps qu’il n’en reste dans cette législature. Faut-il, pour rattraper le temps perdu, pour boucler le dossier avant la fin de la mandature, courir le risque de rompre les équilibres si fragiles de la Nouvelle-Calédonie ? Ne serait-il pas plus sage, pour maintenir un consensus vital pour le territoire, de prendre le temps nécessaire à un vrai dialogue ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jacques Myard – C’est l’honneur du député que d’exprimer ses convictions, selon sa conscience et même si c’est à l’encontre de ses amis politiques. Mais c’est son devoir que de dire non lorsque les principes de la République sont en cause, ignorés au motif que l’éloignement rendrait bénigne la faute, qui serait rapidement recouverte du linceul de la lâcheté politique (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Car c’est bien de cela qu’il s’agit : la faute est grande, et ceux qui s’apprêtent à l’assumer renient la République par un véritable acte d’apostasie. Ce projet de loi constitutionnelle est une gifle pour la République telle que depuis deux siècles elle se construit, avec la force du suffrage universel, berçant en son sein l’universalité de la Déclaration des droits de l’homme. Vous dites que l’enjeu est limité, qu’il ne s’agit que d’élections provinciales, que seul un petit millier d’électeurs sera exclu. Raison de plus ! Pourquoi ruiner les fondements de la République pour un enjeu si anodin ? Du reste, n’y eût-il qu’un exclu, je me lèverais avec autant de force (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste).

M. Paul Giacobbi – Et s’il n’en reste qu’un…

M. Jacques Myard – Il ne s’agit pas pour moi de nier l’histoire de la Nouvelle-Calédonie, née de la colonisation, de ses injustices mais aussi de ses actes de fraternité. Après les accords de Nouméa, entérinés par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998, la Nouvelle-Calédonie a trouvé une large autonomie provinciale, avec une condition de résidence ouvrant le droit de vote. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 15 mars 1999, a clairement précisé que cette condition devait s’apprécier à la date de l’élection. « Il ressort, écrit le Conseil, des dispositions combinées des articles 188 et 189 que doivent notamment participer à l’élection des assemblées de province et du congrès les personnes qui, à la date de l’élection, figurent au tableau annexe mentionné au I de l’article 189 et sont domiciliées depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie, quelle que soit la date de leur établissement en Nouvelle-Calédonie, même postérieure au 8 novembre 1998 ; qu’une telle définition du corps électoral restreint est au demeurant seule conforme à la volonté du pouvoir constituant, éclairée par les travaux parlementaires dont est issu l’article 77 de la Constitution et respecte l’accord de Nouméa. »

Or, le présent projet aurait pour effet d’exclure du corps électoral calédonien des citoyens français établis sans discontinuité en Nouvelle-Calédonie depuis 1999 ! Il constitue un véritable déni de la parole donnée, telle qu’elle a été actée dans l’accord de Nouméa. Je vous rappelle que le point 5-7 du préambule de cet accord dit ceci : « Le corps électoral pour les élections aux assemblées locales propres à la Nouvelle-Calédonie sera restreint aux personnes établies depuis une certaine durée. » Vous, voulez un corps électoral qui ne puisse se rajeunir que par la loi du sang. Ce projet travestit l’histoire, il est révisionniste ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Avec lui, vous voulez imposer une interprétation biaisée qui n’était en rien dans l’intention des parties, rétroactive de surcroît. C’est là une violation flagrante du pacta sunt servanda qui fonde la confiance !

Non seulement vous nous demandez de violer le principe démocratique, un homme une voix, mais en outre vous balkanisez la République avec ce projet fondé sur l’origine et la race ! C’est l’ethnicisation de la nation, si contraire au « vouloir vivre ensemble » pour lequel tant d’hommes se sont battus, quelle que soit leur couleur de peau !

Ce projet est contraire à l’article 3 de la Constitution, qui proclame l’unité du peuple français, composé de tous les citoyens français, sans distinction d’origine, de race ou de religion, comme l’a redit avec force le Conseil constitutionnel le 9 mai 1991 à propos de la Corse.

Ce texte, qui constitue un véritable assassinat constitutionnel du suffrage universel, est lourd de conséquences, Monsieur le ministre. Avez-vous conscience d’instituer la notion d’étranger dans son propre pays, et ce au moment où les plus chauds partisans de votre projet proposent de donner le droit de vote aux étrangers présents depuis dix ans dans nos communes ? Ne vous étonnez pas ensuite que tant de nos concitoyens, révoltés par tant d’absurdité, soient tentés de radicaliser leur vote !

Souvenez-vous de l’adage antique : « défendre ses lois plus fort que ses murailles ». Hélas, vous portez des coups terribles à la République et vous mutilez ses principes fondateurs en fonction de la latitude et de la longitude, alors que la naissance du village planétaire commande de se battre partout, avec les mêmes principes, pour la même dignité des hommes et des citoyens. « La République est une, parce qu’elle est de tous », affirmait Aristide Briand.

M. Paul Giacobbi – Il a préféré quelques bourdes !

M. Jacques Myard – Alors, Monsieur le ministre, avant qu’il ne soit trop tard, retirez votre projet, dites non avec moi pour vivre libre dans l’honneur. L’esclave dit toujours oui ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP)

M. Bruno Le Roux – Je n’aurai certainement pas la même conclusion que vous, Monsieur Frogier, mais le fait que vous ayez participé aux négociations suffit pour que je vous dise aujourd’hui mon profond respect : vous avez fait ce qu’il fallait faire au moment où il le fallait, à savoir discuter autour d’une table afin de sortir du conflit que connaissait le Caillou à cette époque. Alors jeune étudiant, j’étais plutôt sensible aux thèses des indépendantistes et je me demandais si la République réussirait à trouver un ordre juste (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) sur ce territoire, un ordre qui permette d’envisager l’avenir. Vous, Monsieur Lafleur, avec Christian Blanc, Michel Rocard et Louis Le Pensec, avez su trouver ce chemin…

M. Jérôme Lambert – Et François Mitterrand ?

M. Bruno Le Roux – Lui aussi. Je me rappelle, Monsieur Lafleur, les négociations que vous avez menées avec Jean-marie Tjibaou et qui ont permis à la République de sortir de la crise.

Faisons-nous aujourd’hui uniquement du droit ? Le Président de la République fait-il seulement du droit quand il écrit à M. Neaoutyine qu’une révision constitutionnelle va être proposée au Parlement et – si je comprends bien – qu’un Congrès va être organisé afin que les accords passés soient respectés ?

La Nouvelle-Calédonie a retrouvé la paix civile et le chemin du développement économique grâce aux accords signés en 1988, à l’initiative de Michel Rocard, et en 1998, sous le gouvernement de Lionel Jospin. Nous serions fous d’introduire aujourd’hui un grain de sable dans le processus qui a été ainsi enclenché. Le vote que nous allons émettre est important pour la Nouvelle-Calédonie et pour la poursuite de ce processus. Je ne voudrais pas que l’on puisse demain nous tenir pour responsables d’une situation qui pourrait dégénérer.

Cela ne veut pas dire que nous légiférons sous la contrainte, mais simplement que nous légiférons toujours avec le poids de l’histoire, en l’occurrence un mouvement vers la paix civile et le développement économique. Si nous ne votions pas aujourd’hui ce texte, ce ne serait pas seulement grave pour la Nouvelle-Calédonie, cela le serait aussi pour le crédit que l’on pourrait, à l’avenir, accorder à la parole de la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Victor Brial – Malgré un emploi du temps chargé dans ma lointaine circonscription, j’ai tenu à être présent pour l’examen de ce texte et à témoigner ainsi de mon intérêt pour la Nouvelle-Calédonie. Permettez-moi tout d’abord de saluer nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie, avec une pensée particulière pour la communauté wallisienne et futunienne. Je tiens aussi à rendre hommage aux deux personnalités qui ont marqué l’histoire de ce territoire, notre regretté Jean-Marie Tjibaou et de notre ami Jacques Lafleur, présent parmi nous aujourd’hui.

La Nouvelle-Calédonie est ardemment défendue ici par lui et par Pierre Frogier, qui n’ont jamais ménagé leurs efforts sur les textes intéressant l’outre-mer et sur des dossiers clés comme celui du nickel, de la SLN et d’Eramet. S’agissant du projet d’aujourd’hui, M. Frogier défend avec force et conviction sa position, qui est aussi celle des loyalistes.

Je souhaite évoquer brièvement les difficultés du contexte actuel, liées à un calendrier parlementaire assez chargé et à la proximité d’échéances électorales nationales. La transposition dans la loi des orientations politiques de l’accord de Nouméa – synthèse politique issue du compromis entre le RPCR et le FLNKS – est aujourd’hui l’un des points de désaccord entre les parties concernées. Dans sa décision du 15 mars 1999, le Conseil constitutionnel a précisé sa lecture du droit. Depuis, le FLNKS et les partis indépendantistes ont à plusieurs reprises demandé que l’esprit de l’accord de Nouméa soit respecté et que la parole donnée soit honorée.

Le Gouvernement nous présente aujourd’hui un projet. Reconnaissons que son examen en fin de mandature nourrit une polémique politicienne au niveau national, alors qu’il s’agit d’un texte certes important mais d’abord d’intérêt local, puisqu’il s’agit de savoir s’il faut geler ou non le corps électoral pour les élections des provinces et du congrès.

À l’époque des accords, deux partis étaient représentatifs. À l’issue des élections de 2004, la carte politique calédonienne a changé, une majorité très composite s’est formée au Congrès. C’est bien la preuve qu’il faut tenir compte du caractère évolutif du corps social calédonien : les vérités de 1988 et de 1998 ne seront peut-être plus celles de 2009, 2014 voire 2018. Par ailleurs, les difficultés de fonctionnement du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie montrent que la loi organique mériterait d’être révisée. Enfin, il faut assurer l’avenir de ceux qui, venant de l’extérieur, et notamment des îles de Wallis-et-Futuna que je représente, contribuent par leur travail au développement de la Nouvelle-Calédonie.

M. Éric Raoult – Très bien.

M. Victor Brial – Certains médias alimentent la polémique, certains partis nationaux non représentatifs passionnent le débat sans mesurer le risque d’actions d’humeur de part et d’autre. Pour ma part, je regrette certaines déclarations visant à mettre en difficulté des personnalités de la vie politique calédonienne comme MM. Lafleur et Frogier, en insinuant qu’il pourrait exister des accords occultes. Je souhaite promouvoir la stabilité et la paix dans un pays d’outre-mer doté de nombreux atouts, qui doit continuer à être une chance pour la France, pour les îles du Pacifique et pour l’Océanie. Je demande solennellement au Gouvernement que tout soit fait pour poursuivre les discussions entre le Gouvernement de Nouvelle-Calédonie, le FLNKS, le RPCR, l’État et Wallis-et-Futuna. Le destin commun est le thème phare de l’accord de Nouméa ; la maison commune de la grande famille calédonienne continuera à se construire avec les populations de toutes origines.

Un grand leader politique disait récemment : « Je veux créer une nouvelle relation avec les Français, faite de respect de la parole donnée, de vérité, d’authenticité, d’honnêteté ».

M. Christian Paul – Jacques Chirac ?

M. Victor Brial – Un leader de droite !

Engageons-nous dans une relation de ce type avec la Nouvelle-Calédonie. Nous avons le devoir de dépolitiser ce débat et tracer tous ensemble, suivant le souhait de Jacques Lafleur et de Jean-Marie Tjibaou, les lignes d’un destin commun. Je formule le vœu que la pleine application de l’accord de Nouméa favorise l’accès des populations de Nouvelle-Calédonie, dotées de la citoyenneté, aux mêmes droits et devoirs, plus particulièrement dans les domaines de l’éducation et de la formation, de la santé, de l’emploi public et privé, ou encore du logement. La communauté de Wallis-et-Futuna, aux côtés des autres minorités ethniques, assumera sa place dans la construction d’un destin commun en Nouvelle-Calédonie (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP).

M. Jean-Christophe Lagarde – Ce projet, crucial pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, est la traduction constitutionnelle de l’accord de Nouméa, lui-même prolongement des accords de Matignon, signés sous le gouvernement de Michel Rocard et sous l’égide de notre collègue Christian Blanc, qui avaient permis à ce territoire français d’outre-mer de retrouver la sérénité et la confiance en l’État français après plusieurs années écrites en lettres de sang. Par ces accords, ratifiés par référendum par le peuple français, la France s’engageait à accompagner les Calédoniens dans le rééquilibrage des richesses économiques et l’exercice par le territoire d’une plus grande autonomie de gestion, notamment par la création de trois provinces. L’objectif était de rétablir la paix civile, en attendant un référendum qui déciderait si les Calédoniens souhaitaient rester ou non dans la République française. Caldoches comme Kanak se reconnaissaient mutuellement leur légitimité à vivre sur cette grande et belle île et affirmaient que leur avenir se déciderait en commun, ce qui constituait un tournant historique.

Dés l’origine, le problème du corps électoral s’est posé de façon aiguë, les indépendantistes redoutant légitimement une arrivée massive de métropolitains, forme de colonisation par les urnes. Les restrictions posées alors, d’un commun accord entre les parties, quant à la capacité à voter lors du ou des référendums d’autodétermination n’ont jamais été remises en question, par aucun des signataires ; c’est l’un des piliers des accords de Matignon et de Nouméa. De même, une ancienneté minimum fut exigée pour avoir le droit de vote aux élections provinciales. Les accords de Matignon puis de Nouméa définissent un équilibre politique d’ensemble, dont l’État français s’est porté garant à deux reprises ; en fixant le périmètre du corps électoral, on garantissait que ceux qui avaient décidé de faire la paix décideraient ensemble de leur avenir, sans que des apports nouveaux de population ne risquent de raviver les tensions.

Fallait-il accorder le droit de vote aux élections provinciales aux nouveaux arrivants pour tenir compte du report – de quinze ou vingt ans ! – du référendum d’autodétermination ? En contrepartie de ce report, les indépendantistes ont demandé que le corps électoral soit figé, tant pour le référendum d’autodétermination que pour les élections provinciales. Et même si quelques personnes tentent de nous faire croire le contraire, ces conditions ont bel et bien été acceptées par les représentants du RPCR et par l’État – lequel s’était engagé à régler les problèmes légaux ainsi soulevés, raison pour laquelle nous sommes réunis aujourd’hui.

L’UDF peut dire cela très tranquillement car, à l’époque, nos représentants locaux, notamment M. Didier Leroux, aujourd’hui ministre du Gouvernement calédonien, avaient dénoncé l’accord de Nouméa et appelé les Calédoniens à voter contre lors du référendum de 1998, justement parce qu’ils ne souhaitaient pas de corps électoral figé. Ils dénonçaient l’hypocrisie de signataires qui n’avaient pas eu le courage d’assumer devant les Calédoniens les concessions qu’ils avaient faites. Oui, le RPCR avait bel et bien accepté ces conditions, et ce n’est que pour des raisons électorales que ses dirigeants, aujourd’hui divisés, disent le contraire. Quand on sait que les électeurs qui ne seraient pas admis à voter aux élections provinciales de 2009 et de 2014 – et de celles-là seulement, Monsieur Frogier –, sont électeurs pour l’élection présidentielle, pour les municipales, pour les élections européennes et, surtout, pour les prochaines législatives, on comprend mieux le calcul : voteront en 2007 près de 700 personnes qui seront concernées en 2009 et 3 700 qui le seront en 2014.

Comment dire que ce corps électoral figé n’avait pas été accepté par le RPCR, alors que les gouvernements successifs, en période de cohabitation ou non, ont tous donné la même interprétation de l’accord ? Comment comprendre les imprécations de Pierre Frogier – j’ai noté la modération de Jacques Lafleur – contre le corps électoral figé ? Dans Le Monde du 7 décembre dernier, notre collègue Frogier déclarait, écoutez bien : « En tout état de cause, notre signature vaut autant que celle des indépendantistes. Qu’ils aient cru, à l’époque, à certaines promesses qui avaient pu leur être faites, c’est une chose. Mais que l’on ne fasse pas dire aux accords autre chose que ce qui est écrit. » Comment mieux avouer que ceux qui parlent aujourd’hui de corps électoral glissant ne font que renier des engagements d’hier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF ; M. Frogier proteste)

J’ai beaucoup entendu parler de grands principes cet après-midi, mais j’ai appris lorsque j’étais étudiant en histoire qu’on les invoquait souvent quand on préparait des mauvais coups… Encore faut-il être cohérent : si on acceptait votre interprétation de l’accord, Monsieur Myard, quelqu’un qui est sur le territoire depuis moins de dix ans serait lui aussi privé de droit de vote ! Et que le corps électoral soit glissant ou figé, il y aura de toute façon des Français exclus des scrutins. Le flou qui a été créé n'a existé que parce que le RPCR n'a pas cru pouvoir assumer cette position devant les électeurs calédoniens, au mieux parce qu'il craignait les réactions d'une partie de la population, au pire parce qu'il se savait en difficulté pour les élections provinciales approchantes – qu’il a d’ailleurs perdues. Et bien, mes chers collègues, ce n'est pas parce que des accords ont été passés dans le dos des électeurs calédoniens – lesquels se sont prononcés par référendum – que l’on peut remettre en cause la parole de l'État.

L'UDF comprend l'amertume des citoyens qui se sentent aujourd'hui floués. François Bayrou l’a mesurée sur place, et nous la comprenons d'autant mieux que nos responsables locaux ont milité et voté contre l’accord. Cependant, fidèles à notre esprit de responsabilité, nous considérons qu'un accord est un accord, et que lorsque la France engage sa parole, elle doit la tenir. C'est la raison pour laquelle nous saluons le courage du Gouvernement qui nous présente ce projet de loi, et prenons acte avec satisfaction de l'engagement de réunir le Congrès avant la fin de cette législature. Vous vous montrez à la hauteur de votre responsabilité de gouvernants de la France.

Mes chers collègues, prenons garde : si la parole de l’État n'était pas tenue, il n'y aurait bientôt plus d’État en Nouvelle-Calédonie. Si, au contraire, la France sait se montrer digne de confiance, alors, les Calédoniens continueront de construire leur avenir ensemble. L'UDF a confiance en tous les Calédoniens pour que cet avenir s'écrive au sein de la République. C'est pourquoi notre groupe votera unanimement le projet de loi constitutionnelle présenté par le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

La discussion générale est close.

M. le Président – J’appelle les articles du projet de loi constitutionnelle dans le texte du Gouvernement.

AVANT L'ARTICLE unique

M. Marc Le Fur – L’amendement 3 – cosigné par un grand nombre de collègues – vise à profiter de la présente révision constitutionnelle pour compléter l’article 2 de notre Constitution afin de faire référence aux langues régionales, qui font partie de notre patrimoine.

M. Gérard Charasse – Le patois bourbonnais !

M. Marc Le Fur – Adoptée en 1992 pour préserver notre langue de l’anglais, la rédaction actuelle de l’article 2 fait obstacle au développement de nos langues régionales partout sur le territoire, alors que nos jeunes y sont souvent particulièrement attachés.

Il ne s’agit donc pas de faire preuve de nostalgie ou de verser dans le folklore, mais de permettre enfin à la France de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, qu’elle est le seul pays, avec la Turquie, à ne pas avoir encore entérinée. C’est en valorisant la diversité de notre patrimoine culturel que l’on luttera efficacement contre les extrêmes, pas en lui tournant le dos.

M. le Président – Sur le vote de cet amendement, je suis saisi par le groupe UDF d’une demande de scrutin public.

M. le Rapporteur – Rejet.

M. le Ministre – Sur le fond, cet amendement est parfaitement respectable : qui pourrait s’opposer à la préservation de langues constitutives de notre richesse culturelle ? Cependant, le Gouvernement ne peut l’accepter, car il est dépourvu de portée normative. S’il ne vise qu’à formuler un vœu, il n’a pas sa place dans ce texte, car notre norme suprême n’a pas vocation à héberger des déclarations d’intention. S’il tend à permettre à la France de ratifier la charte européenne des langues régionales ou minoritaires, il est inopérant. Je rappelle que dans sa décision du 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel a indiqué que la ratification de ce texte en l’état était impossible, en ce qu’il portait atteinte à l’unité de la République en tendant à conférer des droits spécifiques à des groupes de locuteurs…

M. Jacques Myard – Très bien !

M. le Ministre – En outre, le Conseil constitutionnel a relevé que la charte visait à reconnaître à chacun le droit de pratiquer une autre langue que le français, y compris dans la vie publique, devant la justice ou les administrations. Toute personne pourrait prétendre à user de la langue minoritaire de son choix. On imagine les conséquences pratiques d’une telle évolution : faudrait-il recruter des juges ou des fonctionnaires s’exprimant dans ces mêmes langues ? Devrait-on généraliser les services de traduction et d’interprétariat ?

M. Marc Le Fur – Caricature ! Vous avez été mal renseigné.

M. le Ministre – Je n’insiste pas davantage et je vous invite, Monsieur Le Fur, à retirer votre amendement car ce n’est ni le moment, ni le lieu de l’examiner.

M. Christian Ménard – Rassurez-vous, Monsieur le ministre, cet amendement n’a pas pour objet de démanteler la République. Vous devez comprendre que les Bretons, Basques, Occitans, Provençaux que nous sommes ont envie de faire fructifier ce qui représente pour nous un atout culturel de premier plan. Songez que la France est le seul pays, avec la Turquie, à ne pas avoir ratifié la charte ! Nous avons là une occasion unique de réparer cette erreur historique : ne la laissons pas passer. Loin de nous diviser, la mise en valeur de nos richesses culturelles nous permettra de nous réunir sous le drapeau français.

M. René Dosière – Je ne me prononcerai pas sur le fond car, comme une grande partie des membres de mon groupe, je suis plutôt favorable aux langues régionales. Mais cet amendement nous éloigne beaucoup du projet. Ceux de nos collègues qui le défendent veulent-ils que le projet de loi constitutionnelle sur la Calédonie ne soit jamais voté ? Je rappelle que les règles particulières qui s’appliquent aux lois constitutionnelles commandent que les deux chambres du Parlement votent le texte dans les mêmes termes. Gardons-nous, par conséquent, de le polluer par des cavaliers, car il est impératif de voter le projet dans les meilleurs délais.

M. Roland Chassain – Élu du pays de Mistral, je ne peux que soutenir l’amendement de M. Le Fur, qui vise à défendre notre culture et à promouvoir l’enseignement des langues qui font la richesse de notre patrimoine.

M. Jean Lassalle – Notre groupe s’associera à cet amendement. Cher collègue Dosière, toutes les fois où le sujet est abordé, on nous répond que ce n’est pas le moment d’en débattre. Je considère, moi, que, pour enflammé qu’il soit souvent, le débat sur nos langues n’est jamais malvenu.

Alors que nous parlons d’un problème difficile, celui de la Nouvelle-Calédonie, il n’est pas déplacé d’en évoquer un autre qui pourrait le devenir un jour. Si nous ne faisons rien, les langues régionales vont disparaître, comme pourrait disparaître un jour le français, étant donné la progression de l’anglais dans le monde. (Applaudissements sur plusieurs bancs)

M. Victorin Lurel – Mme Lebranchu et moi-même nous associons aux collègues qui ont déposé cet amendement. Ce n’est, hélas, jamais le moment ! La République s’est bien passée pendant deux siècles de la mention qui figure désormais à l’article 2 de la Constitution. Mais si en France il n’y a qu’une langue officielle, il y a 75 langues régionales. Je ne peux ignorer mon identité, qui s’exprime aussi par le créole, comme d’autres l’expriment en kanak, en breton ou en basque. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Michel Vaxès – Je suis aussi attaché que les auteurs de cet amendement, plus peut-être, aux langues régionales. Mais introduire dans un texte qui a une dimension historique un tel cavalier, c’est risquer, avec les navettes, de retarder encore pour quelques années l’adoption d’un projet qui préserve un équilibre fragile (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur de nombreux bancs du groupe socialiste).

À la majorité de 57 voix contre 44, sur 110 votants et 101 suffrages exprimés, l’amendement 3 n’est pas adopté.

M. Victorin Lurel – Il faut inscrire dans la Constitution, nominativement, toutes les collectivités de la République. Très bientôt Saint-Martin et Saint-Barthélemy seront érigées en collectivités d’outre-mer. Par mon amendement 4, je demande qu’elles figurent, comme les neuf autres, dans la Constitution.

M. le Rapporteur – La commission l’a repoussé.

M. le Ministre – Avis défavorable. Un projet vous sera bientôt soumis sur les dispositions statutaires et institutionnelles outre-mer. Ce sera l’occasion d’en parler. Mais ici, c’est un cavalier avec sa monture.

M. Jean-Christophe Lagarde – La réforme constitutionnelle est déjà assez compliquée. Or nous n’avons pas encore discuté du futur statut de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. L’amendement est donc prématuré, d’autant que nous ne sommes pas convaincus que les deux îles puissent être traitées sur le même plan. La nouvelle collectivité de Saint-Barthélemy, en déséquilibre financier important et sans garantie de contrôle de ses frontières, pose problème. Le groupe UDF est favorable au principe de l’autonomie, mais votera contre cet amendement.

M. Maxime Gremetz – Encore une fois, évitons tout cavalier si nous voulons que le texte sur la Nouvelle-Calédonie soit voté.

L'amendement 4, mis aux voix, n'est pas adopté.

article UNIQUE

M. Jean-Charles Taugourdeau – N’ayant pu m’inscrire dans la discussion générale, je souhaiterais dire quelques mots ici. On parle de compromis. Mais on compromet plutôt l’égalité entre citoyens de la République une et indivisible. En somme, un citoyen, ou une citoyenne de Poitou-Charentes qui s’installerait en Île-de-France ne pourrait pas être élu à l’exécutif de la région ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. René Dosière – Cela n’a rien à voir !

M. Jean-Charles Taugourdeau – Socialistes et communistes plaident donc pour une étrange sorte d’immigration choisie. On lance un appel à la raison républicaine contre la surenchère. Mais qui fait de la surenchère ? Nous, qui nous plaignons de ne pas être entendus dans cette enceinte, écoutons nos deux collègues de Nouvelle-Calédonie. Le moment n’est pas propice et n’offre pas la sérénité nécessaire à un vrai débat.

M. le Rapporteur – L’amendement 1 est rédactionnel.

L'amendement 1, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.
L'article unique ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

titre

M. le Rapporteur – L’amendement 2 est de coordination.

L'amendement 2, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.
L'ensemble du projet de loi constitutionnelle, mis aux voix, est adopté.
Prochaine séance, ce soir, à 21 heures 30.
La séance est levée à 19 heures 55.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
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Préalablement,
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