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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

3ème séance du mardi 16 janvier 2007

Séance de 21 h 30
49ème jour de séance, 112ème séance

Présidence de M. Yves Bur
Vice-Président

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La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

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protection juridique des majeurs

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice  Vous examinez aujourd’hui le projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs, qui s’inscrit dans la vaste entreprise de rénovation du code civil voulue par le Gouvernement. Le bicentenaire de ce code a montré qu’il devait être modernisé et adapté aux attentes de nos concitoyens et aux évolutions contemporaines. Après les réformes du divorce et de la filiation, et celle des successions et libéralités, j’ai l’honneur de vous présenter le dernier état de cette réforme du droit de la famille, une étape particulièrement importante, attendue de longue date par nos concitoyens les plus fragiles, leurs familles et les professionnels.

Depuis une dizaine d’années, la protection juridique des majeurs fait l’objet d’études et de rapports dénonçant dysfonctionnements et dérives. Les lois en vigueur, qui datent de 1966 et de 1968, ne permettent plus de protéger correctement les plus fragiles. Elles ont été conçues pour s’appliquer à quelques milliers d’individus, alors qu’aujourd’hui ce sont 700 000 personnes qui sont concernées, soit plus d’1 % de la population française ; si la tendance constatée se poursuit, ils pourraient être un million en 2010.

Cette augmentation du nombre de personnes sous protection judiciaire s’explique par l’allongement de la durée de vie, par une meilleure prise en compte du handicap de la part des pouvoirs publics, notamment avec la loi de 2005 sur l’égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, mais aussi par une approche plus ouverte de la maladie mentale qui favorise des thérapeutiques permettant aux malades de vivre dans la cité tout en étant protégés dans leur vie civile. Elle est également due au détournement de la loi sous la pression des phénomènes de précarité et d’exclusion : les mesures de protection juridique sont souvent prononcées pour des considérations sociales qui ne justifient en rien la diminution ou la suppression de la capacité juridique des personnes. Or, la protection des personnes les plus vulnérables exige que les mesures privatives de droits ne soient prises qu’en ultime recours, qu’elles soient adaptées et contrôlées, assorties des meilleures garanties. Notre droit doit être modifié en conséquence.

Il s’agit d’une réforme à la fois civile, sociale et financière, dont je vous présenterai le volet civil, et M. Bas les dispositifs social et financier. La réforme du droit civil de la protection des majeurs poursuit trois objectifs : recentrer la protection juridique sur les personnes atteintes d’une réelle altération de leurs facultés ; renforcer les droits de ces personnes ; professionnaliser les intervenants extérieurs à la famille.

En premier lieu, il s’agit de limiter la protection juridique aux personnes qui en ont besoin. Les principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité acquièrent ainsi une force normative générale, pour retrouver toute leur efficience. Comme je l'ai dit, une part importante des personnes placées sous curatelle ou sous tutelle ne présentent pas de déficience, mais sont en situation de détresse sociale et économique.

Avec la réforme, le placement sous un régime de protection juridique, en ce qu'il porte atteinte aux libertés et restreint les droits, sera soumis à une double condition : d'une part, l'altération des facultés personnelles aura été médicalement constatée par un médecin expert ; d'autre part, le juge devra vérifier qu'il n'existe aucun mécanisme moins attentatoire permettant d’assurer une protection suffisante.

Cette protection juridique ne s'appliquera donc plus aux personnes qui se mettent en danger par leur inaptitude à gérer seules les prestations dont elles bénéficient ou qui se trouvent en situation de grande précarité. Si celles-ci pourront bénéficier d'une aide particulière, elles n'auront pas besoin d'être assistées ou représentées pour l'accomplissement des actes de la vie civile. Dès lors, pour ces personnes désocialisées, sont supprimées la tutelle aux prestations sociales ainsi que la curatelle pour les cas de « prodigalité, intempérance ou oisiveté », auxquelles se substituera un nouveau dispositif éducatif et social comportant deux volets, un volet administratif, au niveau des conseils généraux, et un volet judiciaire, qui ne pourra être actionné qu'en cas d'échec de l'action du département.

Le département pourra ainsi, dans un premier temps, proposer une aide à la gestion des revenus ainsi qu’un accompagnement social personnalisé. Pour cela, un contrat sera conclu entre la personne concernée et le président du conseil général, pour une durée de six mois renouvelable. Ce contrat sera établi en tenant compte de la situation sociale, familiale, médicale, financière de l'intéressé, comme de ses conditions d'habitat, et comportera des engagements réciproques. Dans ce contrat, le département pourra notamment proposer des actions permettant l'accès au logement ou aux soins. La personne concernée pourra, de son côté, autoriser le président du conseil général à gérer pour son compte tout ou partie des prestations sociales devant lui revenir, en les affectant en priorité au paiement du loyer.

En cas de refus ou d'échec, le président du conseil général aura la faculté de solliciter du juge d'instance l'autorisation de percevoir certaines prestations sociales, afin d'assurer le paiement du loyer et de garantir le maintien dans les lieux de la personne concernée. Il s'agit d'une disposition majeure, qui vise à préserver le logement, dont la perte est l'un des principaux facteurs d'exclusion.

Si cette mesure s'avère insuffisante, les services sociaux compétents adressent un rapport circonstancié au procureur de la République, qui appréciera s'il y a lieu de saisir le juge des tutelles pour qu'il ordonne une mesure judiciaire de gestion budgétaire et d'accompagnement social. Cette mesure judiciaire n'entraînera aucune incapacité juridique et aura pour seul effet de priver la personne du droit de gérer elle-même ses prestations sociales. Des garanties sont en outre prévues, puisque la gestion du mandataire de protection sera contrôlée et que la mesure ne pourra être prononcée que pour une durée de deux ans au plus. L'objectif est de rendre à la personne son autonomie financière et de lui permettre ainsi de reprendre en main sa vie économique et sociale.

Dans le même souci de limiter le champ de la protection juridique, donc de garantir l’effectivité du principe de nécessité, le juge ne pourra plus se saisir d'office sur le simple signalement d'un tiers, intervenant social ou professionnel médical. Cette pratique, qui concerne plus de la moitié des mesures de protection, est à l'origine de nombreuses dérives, même si les intentions peuvent en être louables. Désormais, seuls pourront saisir le juge les membres de la famille, une personne résidant avec le majeur ou bien le procureur.

La réforme renforce également le principe de subsidiarité. II existe, pour protéger une personne vulnérable, des solutions juridiques moins attentatoires aux droits. Certaines sont indépendantes de toute intervention judiciaire : procuration, mandat de protection future, accompagnement social. D'autres la requièrent : le juge dernier devra désormais vérifier si ces techniques moins restrictives peuvent être envisagées. Il en est ainsi de la sauvegarde de justice, qui pourra être utilisée pour un besoin ponctuel, ou des règles d'habilitation propres aux régimes matrimoniaux, qui permettent la désignation d'un époux pour représenter son conjoint lorsque celui-ci est hors d'état de manifester sa volonté à la suite d'un accident ou d'une maladie.

En outre, la subsidiarité implique qu'avant de recourir à la collectivité publique, on se tourne vers la famille. Confrontées les premières à la vulnérabilité d'un de leurs membres et assumant le plus souvent la protection de celui-ci, c'est à juste titre que les familles demandent à être davantage associées aux procédures judiciaires. La réforme rend donc à la famille sa place légitime.

D'abord, parce que la famille est la principale concernée par la protection d'un proche indépendamment de toute intervention judiciaire ; par exemple, les procurations sont en général données aux enfants. Ensuite, parce que si une mesure judiciaire est nécessaire, on cherchera en priorité à la confier à un membre de la famille. Enfin, la réforme organise le rôle de la famille dans le processus judiciaire, en clarifiant les droits reconnus à ses membres, comme le droit d'être consultés au moment de la mise en œuvre de la mesure et d'être informés de son déroulement.

Deuxième objectif : la personne est placée au centre du régime de protection. Notre droit est insuffisamment adapté à la spécificité des besoins des personnes vulnérables. Entre la liberté civile, trop exigeante pour les plus fragiles, et l'incapacité, il est temps de prévoir un dispositif civil librement choisi et circonscrit, c’est-à-dire personnalisé. C'est ce que propose la réforme, en donnant à chacun le pouvoir d'organiser lui-même sa protection future.

Elle instaure ainsi un tout nouveau mandat de protection future, inspiré des droits allemand et québécois et qui symbolise l'importance donnée à la volonté de la personne vulnérable. Ce mandant permettra à chacun d'organiser sa propre protection en désignant un tiers pour veiller sur sa personne et ses intérêts le jour venu, qu’il s’agisse d’un membre de la famille, d’un proche ou d’une personne morale agréée. Le mandat fixera la mission et l'éventuelle rémunération du mandataire et définira l'étendue de ses pouvoirs. Cette volonté de la personne s'imposera à tous, et le juge éventuellement saisi devra en tenir compte. Le mandat de protection future pourra être établi par acte sous seing privé ou par acte notarié, avec des effets différents : le mandat notarié, qui ouvre une protection juridique très étendue, pourra couvrir des actes de disposition du patrimoine, sous contrôle du notaire, alors que le mandat sous seing privé, qui donne au mandataire les pouvoirs d'un administrateur légal sous contrôle judiciaire, sera limité aux actes conservatoires et de gestion courante. En aucun cas les dispositions relatives à la protection personnelle ne pourront déroger aux règles de la protection judiciaire.

Le mandat de protection future sera mis en œuvre lorsque l'altération des facultés aura été constatée : le mandataire devra produire le certificat médical au greffier en chef du tribunal d'instance. Il pourra ensuite représenter le mandant dans tous les actes prévus par le mandat. Aucune intervention du juge ne sera nécessaire. Aucune mesure de publicité du mandat non plus : en effet, il crée un régime de représentation, mais sans entraîner l'incapacité de celui qui est représenté. Il fonctionnera comme une procuration générale donnée à un tiers mais qui ne prive la personne d’aucun de ses droits, ni en matière patrimoniale, ni en ce qui concerne sa propre protection. Les tiers seront avisés acte par acte de l'existence du mandat, sur présentation du document. En cas de difficulté, tout intéressé pourra saisir le juge des tutelles. Les parents d'un enfant handicapé pourront, par ce mandat, organiser sa protection pour le jour où ils ne seront plus en état de l'assumer eux-mêmes. Ce nouvel instrument évitera l'ouverture d'une tutelle judiciaire privative de droits. La famille demeurera ainsi le lieu naturel de la protection et de l'accompagnement de la personne malade ou handicapée.

Pour pallier les insuffisances du droit applicable aux personnes les plus fragiles, la réforme affirme également le principe de protection de la personne – et non plus seulement de son patrimoine. Ainsi affirme-t-elle le caractère pleinement contradictoire de la procédure judiciaire : une mesure de protection juridique ne pourra être ordonnée par le juge qu'après l'audition de la personne concernée, qui pourra être accompagnée d'un avocat ou de toute personne de son choix. L'audience sera le temps fort de la procédure : la personne participera, dans toute la mesure de ses facultés, aux décisions qui seront prises. Le juge devra l'informer, sous une forme appropriée à son état, des éventualités afin qu’elle puisse exprimer son sentiment, notamment sur le choix du tiers chargé de protéger ses intérêts, l'organisation de son mode de vie ou sa prise en charge médicale. Tout personne pourra avoir désigné préalablement son tuteur ou curateur pour le jour où cela deviendrait nécessaire – faculté également ouverte aux parents d'un enfant handicapé majeur. Ce choix s'imposera au juge, sauf s'il s'avère contraire à l'intérêt de la personne. En l’absence de telles dispositions, la famille et les proches seront privilégiés par le juge.

Ce principe de protection de la personne s’exprimera aussi par l'exigence de proportionnalité imposée au juge, qui devra définir la mesure de protection strictement proportionnée à la vulnérabilité et aux besoins de la personne, et pleinement adaptée à sa situation. La réforme veut en effet protéger les personnes en diminuant le moins possible leur liberté. Le régime de protection sur mesure, individualisé, permet d’éviter une tutelle judiciaire uniforme. Ce principe s'imposera enfin dans la mission du tuteur, qu'il soit membre de la famille ou professionnel. La personne protégée prendra seule, dans la mesure où son état le permet, les décisions la concernant. Le tuteur devra l'informer et la soutenir, et lui expliquer les décisions qu'il est amené à prendre. Il cherchera à l'associer, dans la mesure de ses capacités, à la gestion de ses intérêts. Ainsi, une personne protégée ne pourra plus se voir imposer un type de prise en charge thérapeutique, le lieu de sa résidence ou le choix de ses fréquentations. En cas de conflit, le juge pourra être saisi et se prononcera après audition de la personne.

Enfin, les modalités de contrôle des mesures de protection seront renforcées. Tout d'abord, elles devront être révisées tous les cinq ans. Il ne sera plus possible de rester des années sous un régime de protection devenu inadapté, ou qui n'est plus justifié. Les modalités du contrôle annuel, en particulier des comptes de gestion, seront aussi adaptées à chaque dossier : le juge tiendra compte du patrimoine et des revenus, mais aussi de la situation familiale de la personne protégée et de ses projets. Il pourra aussi organiser la façon dont il sera rendu compte des actes effectués par les tuteurs et curateurs.

Le troisième grand axe de cette réforme est la réorganisation complète des conditions d'activité des tuteurs et curateurs extérieurs à la famille. Les familles ne sont pas toujours présentes ni disponibles : les modes de vie des ménages et les configurations familiales évoluent ; l'éloignement et l'éclatement des familles est une réalité qui s'impose au juge et l'amène souvent à recourir à des tiers, travaillant dans un cadre associatif ou institutionnel ou seuls, en libéral. Nous nous devons donc d’organiser l'activité de ces personnes. Aujourd'hui, le régime des gérants de tutelle, mandataires spéciaux, tuteurs d'État ou encore préposés à la tutelle est en effet hétérogène, incohérent et injuste. Les nouveaux « mandataires judiciaires à la protection des majeurs » regrouperont tous les intervenants extérieurs à la famille, personnes physiques ou morales, qui exercent à titre habituel les missions de protection juridique. Ils obéiront désormais à des règles communes organisant leur formation, évaluation, contrôle, responsabilité et rémunération. La réforme inclut l'ensemble de l'activité tutélaire dans le droit commun de l'action sociale et médico-sociale. Elle soumet les professionnels à des procédures d'agrément ou d'autorisation selon qu'ils exerceront à titre individuel ou dans un cadre associatif ou institutionnel, et instaure des conditions strictes d'accès à cette activité.

La gestion faite par le professionnel sera mieux contrôlée, notamment par la production annuelle de l'ensemble des comptes de la personne protégée, le secret bancaire ne pouvant être opposé ni à la personne chargée de la protection, ni au greffier en chef. En outre, la pratique des comptes pivots, qui permet au gérant de tutelle de regrouper sur un compte à son nom tous les avoirs des personnes dont il assure la tutelle et de percevoir les intérêts générés par ce compte, sera prohibée. Les mêmes règles s'appliqueront lorsque la personne chargée de la protection est un membre dé la famille ou un proche. Toutefois, en l'absence de patrimoine, le juge pourra le dispenser d'établir un compte de gestion. Enfin, les modalités de rémunération des professionnels, très disparates, seront harmonisées de façon équitable, pour eux et pour les personnes protégées. Un financement public sera accordé si les ressources de la personne protégée ne suffisent pas. Philippe Bas vous donnera dans un instant les précisions concernant les volets sociaux et financiers de la réforme.

Je remercie votre commission des lois, et en particulier son président et son rapporteur, pour le travail rigoureux et très constructif qui a été mené, propre à améliorer le projet. Je remercie tout autant le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Nous partageons le souci de rénover le droit de la famille en étant attentifs aux évolutions de notre société et aux attentes de nos concitoyens et respectueux des principes et valeurs qui fondent le code civil. Cette réforme marquera une étape historique dans la construction d'un droit moderne, adapté aux besoins de nos concitoyens les plus fragiles – car le niveau de civilisation et d'humanité d'une société se juge à la manière dont elle respecte et soutient les plus vulnérables parmi les siens (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille – Je tiens à mon tour à remercier les rapporteurs des deux commissions pour la qualité de leur travail. Je suis certain que leurs réflexions permettront d’enrichir notablement le texte. Cette réforme était attendue depuis longtemps, tant par les associations que par les familles. Elle a fait l’objet d’une large concertation avec l’ensemble des acteurs. C’est une réforme d’une grande importance, sociale autant que judiciaire. Aujourd’hui en effet, la tutelle est trop souvent utilisée à des fins sociales, faute d’instruments mieux adaptés. Elle est pourtant privative de droits, sans alternative et pratiquement jamais révoquée. Il faut la réserver aux situations d’altération grave et permanente des facultés mentales, et aussi mieux encadrer son exercice.

La dérive de l’utilisation de la tutelle comme le développement de la maladie d’Alzheimer font que le nombre de majeurs protégés est en augmentation constante depuis plusieurs années.

De 1992 à 2005, il a augmenté de 13 % par an en moyenne. Aujourd’hui, 700 000 personnes sont placées sous tutelle ou curatelle et, si rien n’est fait, un million seront sous tutelle en 2010. Par cette réforme, le Gouvernement prend trois engagements : créer et développer des alternatives à la tutelle ; adapter la situation des personnes concernées à l’évolution de leurs capacités en créant un « parcours d'autonomie » ; apporter les garanties nouvelles aux personnes et à leurs familles. Pour appliquer ces engagements, le Gouvernement a pour exigence de financer la réforme sans pénaliser les départements ; le garde des sceaux y a veillé. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Maxime Gremetz – Voilà qui m’étonnerait !

Mme Chantal Robin-Rodrigo – À l’euro près, sans doute ?

M. le ministre délégué – Il est indispensable de créer des alternatives à la tutelle pour tous ceux dont les facultés mentales ne sont pas durablement altérées. Plus du tiers des bénéficiaires de tutelles aux prestations sociales adultes sont concernés. Il s’agit de personnes qui, touchées par la maladie ou la dépression, frappées par le chômage et la précarité, ne parviennent plus à gérer leur budget. Elles risquent de tomber dans l’errance et de mettre leur vie en danger. Pour ces gens dont la mise sous tutelle trouve son origine dans des difficultés sociales, nous allons créer une mesure d’accompagnement social personnalisé…

Mme Chantal Robin-Rodrigo – Limitée dans le temps !

M. le Ministre délégué – …qui prendra la forme d'un contrat passé avec le président du conseil général et comportera une aide à la gestion des prestations sociales et un accompagnement social personnalisé. Nous préviendrons ainsi l’ouverture de mesures judiciaires. Si une telle mesure doit malgré tout être envisagée, nous voulons que ce soit, systématiquement, sur la base d'un rapport circonstancié par lequel le président du conseil général informera le juge de la situation de la personne et des mesures qui ont déjà été prises.

Nous voulons, par la réforme, permettre un parcours progressif allant des mesures les moins contraignantes aux mesures les plus contraignantes. Nous voulons, non pas un seul dispositif pour tous, mais une solution pour chacun, adaptée à sa situation, à son histoire et à ses possibilités d'évolution. Les familles et les personnes concernées seront entendues à chaque étape. Hier, une personne qui se retrouvait sous tutelle en raison de ses difficultés sociales et financières n'avait plus voix au chapitre. Désormais, elle sera écoutée et responsabilisée, ce qui lui permettra, à terme, de retrouver son indépendance, car la solidarité passe aussi par la responsabilité de celui qui en bénéficie.

Le deuxième engagement que nous prenons est d’adapter la protection de chaque personne à l'évolution de ses capacités, en créant un parcours vers l'autonomie. Bien sûr, il faut d'abord protéger les intérêts de la personne et sa sécurité – c'est le sens du placement sous protection judiciaire. Mais nous devons aussi prendre en considération ses droits légitimes et garantir, autant que possible, l'exercice de ses libertés. La tutelle, statut très protecteur, n'encourage pas la personne protégée à évoluer pour assumer de nouveau ses responsabilités. Nous faisons le pari de la confiance à chaque fois que ce sera possible, et le projet permet donc à toute personne dont la situation évolue favorablement de retrouver l'exercice de ses droits. Pour cela, nous voulons déployer un éventail de mesures allant de l'accompagnement social à la tutelle et, dans certains cas, de la tutelle à l'autonomie.

La mesure d'accompagnement social personnalisé constitue le premier niveau d'accompagnement. Si elle échoue, une mesure d'assistance judiciaire, plus contraignante, sera décidée. Ce n'est plus un contrat mais une mesure d'autorité conçue pour donner une dernière chance à l'action sociale, cette fois sous le contrôle du juge. C'est alors un tiers qui gérera les prestations sociales de la personne protégée, mais elle conservera ses droits civiques et ses droits sur son patrimoine. Enfin, la curatelle et la tutelle seront désormais réservées aux personnes les plus vulnérables, celles qui souffrent d’une altération le plus souvent définitive de leurs facultés mentales.

À chaque étape, les familles et les personnes concernées seront associées. À chaque étape, le majeur protégé pourra renouer avec l'autonomie s'il en démontre les capacités car sa situation sera périodiquement réexaminée.

J’en viens au dispositif très innovant qu’est le mandat de protection future. Grâce à ce contrat, chacun pourra organiser sa propre prise en charge en cas d'altération de ses facultés mentales – à cause, par exemple, de la maladie d'Alzheimer, dont la prévalence augmente avec les progrès de la longévité. Le projet prévoit que toute personne pourra choisir celui ou celle qui prendra soin d'elle et de ses biens si ses facultés venaient à être altérées par cette maladie. De même, les parents d'un enfant handicapé majeur se demandent toujours avec angoisse qui s'occupera de leur enfant quand ils disparaîtront ou s'ils ne sont plus en mesure d'assumer sa prise en charge. Grâce à ce mandat, ils pourront désigner celui ou celle qui prendra soin de leur enfant après eux.

Le troisième engagement pris par le Gouvernement est d’apporter des garanties nouvelles aux familles et aux personnes protégées. Les familles prennent directement en charge plus de la moitié des tutelles. Je rends hommage à ce bel exemple de solidarité qui appelle aide et soutien. Sans les familles, nous ne pourrions pas assumer la responsabilité des personnes les plus vulnérables. Le Gouvernement accueillera donc avec faveur les propositions de votre commission destinées à aider les familles en charge d'une tutelle.

Lorsqu'elles ne sont pas assurées par les familles, les tutelles sont confiées à des associations tutélaires, à des mandataires ou aux établissements qui accueillent des personnes sous tutelle. Si ces intervenants s'acquittent généralement avec dévouement de leurs responsabilités, trop d'abus et de négligences sont encore constatés. Aussi, nous avons voulu mieux encadrer et mieux former les mandataires judiciaires à la protection des majeurs. On ne peut réduire une profession à quelques dérives, mais les dérives existent et chaque nouveau cas est un cas de trop. C'est pourquoi nous avons décidé de professionnaliser la fonction de mandataire et de renforcer les contrôles. Un certificat national de compétence sera créé, et le mandataire devra être inscrit sur une liste tenue par le préfet après avis favorable du procureur de la République. L'État assumera la responsabilité des contrôles.

Voilà pour nos engagements. J'en viens maintenant à notre exigence, qui est d’assurer le financement de la réforme sans pénaliser les départements qui, garants de l'efficacité de notre politique sociale, en seront les principaux acteurs. Cette réforme conforte leurs missions actuelles. Je sais que certains départements craignent que cette réforme alourdisse leurs dépenses…

M. Alain Vidalies – Rassurez-les !

M. le Ministre délégué – Je vais le faire, et dissiper leurs inquiétudes en soulignant que, par cette loi, l'État prend un engagement fort à leur égard…

Mme Chantal Robin-Rodrigo – Comme pour le RMI ?

M. le Ministre délégué – …puisqu’il assumera dorénavant la charge financière des tutelles des bénéficiaires des prestations sociales des départements, le RMI par exemple. Jusqu'à présent, ces dépenses étaient supportées par les seuls conseils généraux. De ce fait, les départements économiseront 77 millions en 2009 et, en 2013, plus de 92 millions seront pris en charge par l'État. Si les départements assument une charge nouvelle avec les mesures d'accompagnement social personnalisé, ces dépenses ne pourront excéder les économies qu'ils réaliseront grâce à l'effort de l'État. Votre commission des lois a présenté un amendement pour que cela soit tout à fait clair, et le Gouvernement y donnera un avis favorable.

M. Maxime Gremetz – Enfin une bonne nouvelle !

M. le Ministre délégué – Nous avons aussi prévu que la réforme s'appliquera intégralement au 1er janvier 2009, car les départements se sont vu confier beaucoup de nouvelles missions au cours des dernières années et je veux leur laisser le temps de s'organiser. Cependant, les dispositions qui n'affectent pas la charge de travail des départements seront immédiatement mises en œuvre, qu’il s’agisse de la professionnalisation des mandataires et du renforcement des contrôles ou du nouveau mandat de protection future, car nous ne pouvons faire attendre les familles plus longtemps.

Nous avons également voulu laisser aux départements la liberté de s'organiser. Pour appliquer les mesures d'accompagnement personnalisé, ils pourront soit s'appuyer sur leur service d'action sociale, soit faire appel au réseau d'associations qui assure aujourd’hui le suivi des personnes protégées.

La réforme doit permettre de diviser par deux le rythme d'augmentation du nombre de mesures judiciaires. Si nous n'avions rien fait, leur nombre aurait augmenté de près de 37 %. entre 2009 et 2013. Grâce à la réforme, l’augmentation devrait n’être que de 16 %, ce qui réduit d'autant le coût de ces mesures pour les départements : c'est l'inaction qui aurait été coûteuse.

Cette réforme est une réforme de citoyenneté, qui s'inspire des mêmes principes que la loi du 11 février 2005 sur l'égalité des droits et des chances. Elle suppose que l’on s'intéresse d'abord aux possibilités de chaque personne, qu’on l'aide à progresser en tenant compte, bien sûr, de ses difficultés, mais sans ériger autour d'elle un mur qui l’enferme dans un statut d'incapable. C'est à une révolution des esprits que la réforme invite, à un pari sur l'homme, sur ses capacités et sur sa dignité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Émile Blessig, rapporteur de la commission des lois – Après des années de rapports, d'études, de concertations et de discussions, ce texte vient enfin devant notre Assemblée. Il est très attendu par les intéressés et leurs familles mais aussi bien au-delà, chaque famille étant potentiellement concernée par le phénomène compte tenu des évolutions sociétales. Je me réjouis donc de cet examen et je remercie le président Accoyer qui s'est personnellement engagé afin que ce texte soit inscrit à l'ordre du jour. De plus, l'urgence étant prononcée, la réforme devrait être adoptée avant la fin de la présente législature, ce qui est évidemment primordial.

Le dispositif français de protection des majeurs vulnérables repose sur un socle législatif dont l'inadaptation a provoqué des dérives. Le constat initial a été dressé dès 1998 dans le rapport conjoint fait par l'inspection générale des finances, celle des services judiciaires et celle des affaires sociales. Récemment, le rapport du conseil économique et social de septembre 2006 a apporté une approche complémentaire et utile sur la réforme. Le vieillissement démographique, les handicaps physiques et mentaux ainsi que les ravages de la maladie d'Alzheimer entraînent une augmentation accélérée du nombre de personnes susceptibles de relever d'une mesure de protection juridique. La conception traditionnelle de la famille a en outre cédé la place à de multiples autres types de solidarités organisées.

Trois inquiétudes majeures sont à l’origine de cette réforme : l'évolution quantitative – 700 000 personnes placées sous protection juridique en 2006 et un million le seront en 2010 si rien n'est fait ; le coût – 420 millions en 2006 – et l’inefficacité des contrôles.

Le niveau de civilisation d'une société se mesurant à la façon dont elle respecte et soutient les plus vulnérables parmi les siens, cette réforme est à mettre au crédit de notre démocratie et de la législature. Les interventions du M. le garde des sceaux et de M. le ministre délégué ont clairement exposé l'intérêt de la réforme.

La commission des lois a quant à elle réfléchi sur les questions suivantes : la priorité de la personne est-elle la finalité des dispositions soumises à notre examen ? La protection de la personne est-elle organisée dans le respect des droits fondamentaux et de la dignité humaine ? L'autonomie de la personne protégée est-elle autant que faire se peut favorisée ? Comment le devoir des familles et de la collectivité dans l’application de la protection de la personne protégée est-il rappelé ? La discussion a été constructive et la commission a adopté le texte dans son intégralité. Bien entendu, des points plus délicats ont suscité des interrogations : l'organisation et le fonctionnement du conseil de famille avec la présence obligatoire ou non du juge ; les modalités de résidence du majeur protégé ; les modalités de convocation et d'assistance de la personne protégée devant le juge ; l'agrément et la composition de la liste des personnes habilitées à exercer les fonctions de mandataire de justice à la protection des majeurs ; l'obligation faite aux établissements sociaux et médico-sociaux de confier la mesure de protection à l'un de leurs préposés ; les modalités d’application du mandat de protection future, qu'il soit notarié ou sous seing privé. Sur le plan financier, la commission des lois et la commission des affaires culturelles ont toutes deux supprimé le recours sur successions. S’agissant des rapports avec les conseils généraux, la commission a voté le principe d'une clause de revoyure annuelle sous forme de rapport au Parlement, de 2010 à 2015, pour suivre la mise en place de la compensation financière par l’État, dont le principe figure dans le texte.

Lors des auditions et des rapports préparatoires à notre débat, j'ai été sensible à l'accueil globalement très favorable de la part des familles, des associations et des professionnels. Je tiens aussi à souligner l'excellent climat dans lequel se sont déroulés les travaux de la commission. Nul doute que nos travaux en séance publique permettront sur certains points d'améliorer encore cette réforme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

M. Laurent Wauquiez, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles – Il aura fallu quinze ans pour traiter enfin des tutelles-curatelles et, plus largement, de la protection juridique des majeurs. On est saisi de vertige en voyant tous les efforts qu'il aura fallu déployer pour parvenir à inscrire ce texte à notre ordre du jour. C'est le président de la République qui le premier, en 1995, avait soulevé ce problème. Jacques Toubon avait commencé à y travailler ainsi que la nouvelle garde des sceaux Elisabeth Guigou en 1997 mais très rapidement la réforme commença à battre de l’aile. Technique habituelle dans notre cher pays ? On commanda des rapports : tout d'abord en 1998 où une commission interministérielle d'experts remit un premier rapport jugé trop favorable à la réforme ; on commanda donc un deuxième rapport en 2000 – le rapport Favard – qui permit d'enterrer le projet de réforme. Dès 2002, notre majorité et au premier chef Émile Blessig ont souhaité une réforme. Je remercie solennellement les présidents Houillon et Dubernard – ce dernier ne pouvant malheureusement pas être des nôtres m’a demandé de l’excuser – de leur appui. Je remercie également M. le garde des sceaux et M. le ministre délégué pour leur écoute et la volonté politique dont ils ont témoigné. Il a fallu notamment conduire des négociations difficiles avec les conseils généraux et il aurait été inacceptable que notre réforme ne puisse aboutir en raison de négociations de marchands de tapis où chacun se serait déchargé sur l'autre.

M. le Garde des Sceaux  Allons ! On s’égare !

M. le Rapporteur pour avis – Ce sujet n'est pas médiatique mais nous connaissons tous des familles qui ont des difficultés ou des professionnels qui ont dû faire un travail compliqué. Les défis à relever sont importants. D'ores et déjà, plus de 700 000 personnes sont placées en tutelles-curatelles et on peut s'attendre à un doublement dans les années à venir en raison du développement de la maladie d'Alzheimer et parce que de plus en plus de personnes en situation de détresse sociale ont été placées sous un régime de protection juridique, les mises sous tutelle-curatelle étant devenues un moyen de réguler la pauvreté et un outil de gestion de la France d'en bas.

Or, notre système de tutelle-curatelle s’inspire plus du XIXe siècle qu’il n’est tourné vers le XXIe. Souvenons-nous que Baudelaire a été placé sous tutelle le 10 août 1844 alors qu'il n'avait que 23 ans et qu’il ne se remettra jamais de cette mort civile ! La réforme de 1968 avait tenté d’améliorer la situation mais elle souffrait de défauts majeurs. Le système était tout d'abord inhumain. Les familles étaient rarement entendues. Les tutelles-curatelles – simples ou renforcées – fonctionnaient trop souvent sur le mode de l'infantilisation. Des archaïsmes subsistaient comme la stigmatisation des incapables pour cause de prodigalité, d'intempérance ou d'oisiveté. Ce système était ensuite inadapté car il s'appliquait avec une égale brutalité sur des publics très différents. Enfin, il était inefficace. Oui, c’est bien-là un des scandales de la République !

Je rends hommage à tous les acteurs qui pendant toutes ces années ont permis, malgré des conditions très difficiles, de faire fonctionner le système : associations et gérants de tutelles qui ont effectué un travail sourcilleux en tentant au mieux de concilier les intérêts des majeurs et la bonne gestion des ressources financières – cela exige beaucoup de professionnalisme tant la paperasse peut être asphyxiante ! – mais également assistantes sociales, juges des tutelles et équipes des greffes qui ont veillé à prévenir les risques d'escroquerie majeurs.

La commission a centré son travail sur trois aspects : l'humanisation du dispositif, la simplification des procédures et la valorisation des acteurs. S'agissant de l'humanisation, notre apport principal consiste à préconiser la suppression du recours sur succession. Toute l’évolution de notre droit social vise en effet à supprimer ce type de mesures difficiles à appliquer, inefficaces et inhumaines. Pourquoi limiter dans le temps la durée de la mesure d’assistance judiciaire ? En cas d’échec, que fera-t-on ? Que faire en outre des revenus d’activité, l’aller-retour entre minima sociaux et revenus d’activité compliquant le suivi des personnes ? M. Gremetz a d’ailleurs déposé un amendement à ce sujet. S’agissant de la simplification, la commission des affaires sociales a proposé de clarifier un grand nombre de procédures : durée des mesures, pouvoirs du président du conseil général, obligation pesant sur les établissements d’hébergement de personnes âgées. Tous ces amendements visent à éviter de se perdre dans des méandres trop complexes.

S’agissant enfin des mandataires judiciaires, nous avons souhaité qu’ils puissent prêter serment devant le juge des tutelles. Leur rémunération, quant à elle, devrait mieux prendre en compte leur charge de travail réelle si les amendements de la commission sur ce point sont adoptés. Nous tenons également à ce que soit préservée la diversité de ces mandataires : gérants privés, associations, organismes de sécurité sociale… En un mot, nous souhaitons mieux valoriser le travail de ces acteurs de terrain.

Protéger les plus fragiles de notre société, tel est l’objet de la réforme qui nous est proposée et dont le Parlement pourra être fier de l’avoir votée. Quoi de plus noble en effet que d’accompagner, protéger et aider à vivre ceux qu’un handicap physique, l’altération de leurs facultés mentales ou le grand âge a rendu plus fragiles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Claude Leteurtre – Cette réforme des tutelles et des curatelles était très attendue, leur régime n’ayant pas été modifié depuis bientôt quarante ans, alors que notre société a profondément évolué. Je remercie à cet égard le rapporteur Laurent Wauquiez de ses pertinents rappels historiques.

Aujourd’hui, 700 000 personnes se trouvent placées sous protection juridique, et elles seront un million en 2010. Les modes de protection juridique des majeurs, prévus à l’origine, en 1968, pour quelques milliers de personnes, ont été de plus en plus utilisés dans le cadre de mesures d’accompagnement social. L’allongement de la durée de la vie, la multiplication des maladies invalidantes, l’augmentation très importante de l’espérance de vie des personnes en situation de handicap mental, l’apparition de nouvelles formes de pauvreté ont accru la part de la population susceptible d’être placée sous protection juridique. C’est ainsi que dans son application, la loi de 1968 s’est progressivement éloignée de sa finalité.

En outre, depuis 1992, le coût du régime est devenu exorbitant, ses crédits ayant sextuplé quand le nombre de mesures prononcées ne faisait que quadrupler. Enfin, de nombreuses personnes se voient aujourd’hui privées de l’exercice de leurs droits, pour des motifs non pas médicaux, mais strictement sociaux. Or, le dispositif actuel de protection des majeurs n’est pas adapté à ces situations de danger social.

Les fonctions de tuteur et de curateur ont, elles aussi, été profondément modifiées. Alors qu’autrefois, le tuteur était souvent un membre de la famille, il est aujourd’hui le plus souvent un professionnel spécialisé, sur lequel les tribunaux exercent un contrôle de moins en moins approfondi, faute de moyens. Pour toutes ces raisons, la loi de 1968, dont nul ne conteste la qualité originelle, n’était plus adaptée.

Quels sont les principaux objectifs de la réforme proposée ? Tout d’abord, distinguer clairement entre ce qui relève de la protection juridique et ce qui relève d’un traitement social. Ensuite, favoriser une nouvelle approche du droit des personnes. Enfin, organiser et harmoniser les conditions d’exercice des intervenants extérieurs à la famille. Sur ces trois points, le projet de loi comporte de réelles avancées.

La tutelle aux prestations sociales adultes, qui concerne actuellement 60 000 personnes, va être remplacée par une « mesure d’accompagnement personnalisé », qui figurera dans un nouveau titre du livre II du code de l’action sociale et des familles. Cette aide à la gestion des prestations sociales se traduira par une contractualisation entre les intéressés et le conseil général. Le rôle assigné aux départements en ce domaine facilitera l’application du dispositif, dans la mesure où pourra être mieux prise en considération la situation sociale des personnes. Un dispositif de gestion budgétaire et un accompagnement social pourront être mis en œuvre sans entraîner pour autant l’incapacité juridique de la personne, ce dont nous nous félicitons.

La mesure de protection future permet, quant à elle, d’adapter notre droit aux nouvelles réalités sociales. L’espérance de vie ne cessant de s’allonger, notre système de solidarité devra relever demain le défi de la perte d’autonomie, laquelle n’est souvent pas seulement physique mais aussi mentale. Il importe donc de pouvoir anticiper cette perte d’autonomie.

L’une des avancées majeures du texte réside dans la possibilité offerte aux parents d’un enfant en situation de handicap d’en organiser à l’avance la protection juridique lorsque celui-ci deviendra majeur, en désignant la ou les personnes chargées de cette protection et en établissant les clauses du mandat. La possibilité introduite par la réforme de nommer plusieurs tuteurs et curateurs est également bienvenue. Elle répond au souci souvent exprimé, notamment par les parents d’enfants en situation de handicap, de pouvoir continuer à s’occuper conjointement de leur enfant devenu majeur.

Toutes ces dispositions devraient permettre de séparer clairement ce qui relève de la protection juridique et ce qui relève de l’accompagnement social : c’est indispensable pour que le projet de loi puisse être concrètement appliqué.

Le véritable problème aujourd’hui réside dans la faiblesse des moyens des tribunaux. Si ce projet de réforme n’est pas contestable sur le fond, les moyens dégagés pour son application sont insuffisants. Les greffes sont engorgés et les juges ne peuvent eux-mêmes vérifier les comptes de gestion. Peut-être pourrait-on prévoir dans les tribunaux des personnels auxiliaires chargés de cette obligation légale. La mesure d’accompagnement personnalisé va certes alléger la charge des juridictions, mais cela sera largement compensé par l’obligation qui leur est faite de réévaluer les dispositifs de protection – excellente mesure en soi. Nous attendons des réponses précises sur cette question des moyens.

Le texte prévoit également que les établissements médico-sociaux d’hébergement puissent, au même titre que les associations tutélaires, avoir mandat pour la protection juridique des majeurs. Fruit sans doute de la réflexion sur l’évolution des modes de prise en charge des malades et des personnes âgées dépendantes, cette disposition n’en est pas moins dangereuse car elle permet à l’établissement hébergeur de devenir tuteur de la personne vulnérable. Cette confusion des rôles peut être contraire aux intérêts de la personne à protéger.

De même, le texte prévoit la récupération sur la succession de l’adulte protégé, des frais avancés au titre de la tutelle, en totale contradiction avec la loi du 11 février 2005 qui fait de la protection juridique une composante à part entière du droit à compensation des conséquences du handicap. Nous avons déposé un amendement précisant que les titulaires de l’AAH ne seraient pas concernés par cette récupération sur succession.

Il importe également de prendre garde aux mots utilisés, dont certains peuvent blesser. Il faudrait ainsi en finir avec le terme « d’incapable » par lequel on qualifie les majeurs sous protection. Il s’agit certes là d’un terme juridique précis que l’on retrouve en de nombreux textes de notre droit. Mais le langage étant au cœur des évolutions sociales, une adaptation terminologique nous paraît indispensable. Parlons donc plutôt d’inaptitude, terme générique sans connotation péjorative. Il faudrait de même en finir avec l’expression « insanité d’esprit ». Pourquoi ne pas parler d’altération des facultés mentales, puisque c’est de cela qu’il s’agit ? Si les lois que nous élaborons pouvaient être lisibles et compréhensibles de l’ensemble de nos concitoyens, et non des seuls juristes, nous aurions fait progresser la démocratie.

Vous l’aurez compris, l’UDF aborde ce texte avec un a priori favorable. Elle souhaite néanmoins avoir toutes assurances sur les moyens financiers qui seront dégagés pour sa mise en œuvre et sur le fait que les nouvelles charges financières qui en résulteront pour les départements seront intégralement compensées. C’est à cette condition seulement qu’elle le votera. Toutes les associations qui se sont battues pour qu’il aboutisse attendent du concret, surtout en cette période où fleurissent les promesses !

Nous tenons également à souligner que les dispositions relatives aux majeurs en situation de danger social se révéleront vite insuffisantes. Des outils existent d’ores et déjà comme la procédure de faillite personnelle ou le suivi social des érémistes. Mais ils ne forment pas encore un ensemble assez cohérent. Nous devrons à l’avenir réfléchir aux moyens d’assurer à long terme ces mesures d’assistance sociale qui exigeront de nouvelles formations à de nouveaux métiers.

Avec les nouvelles formes de pauvreté, de plus en plus de personnes auront besoin d’un accompagnement social de longue durée. Il faudra encore innover. Ce projet n’est qu’une étape, mais c’est un bon début. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Maxime Gremetz – C’est avec une grande satisfaction que j’interviens sur ce texte très important et très attendu. La loi rédigée il y a trente ans pour quelques milliers de personnes en concerne aujourd’hui 700 000, fragilisées par leur grand âge, un handicap physique ou la perte de leurs facultés mentales. Pensons aussi à l’inquiétude des familles. Cette population augmente de 4 % par an et devrait progresser plus vite encore. Mais une telle augmentation résulte aussi d’un détournement de la loi en liaison avec la montée du chômage, de la pauvreté et de l’exclusion. De nombreuses mesures judiciaires sont en effet prononcées pour des considérations essentiellement sociales. Votre politique de régression sociale y est certainement pour quelque chose. De nombreux rapports officiels ont mis en évidence les dérives du système. Rien d’étonnant à cela, puisque – personne ne l’a dit encore – notre pays ne compte que 80 juges de tutelle en équivalents temps plein. Les gérants de tutelle n’ont ni statut ni rémunération clairement définis. Les psychiatres et gérontologues chargés des évaluations sont débordés et les magistrats ne sont pas en mesure de contrôler efficacement la gestion des comptes. Quoi d’étonnant dans ces conditions que les cas de maltraitance et d’abus, dénoncés par les familles et les associations, se multiplient ? Selon Gilles Portejoie, l'un des avocats de l'Association française contre les abus tutélaires, notre système est indigne d’une démocratie judiciaire moderne. Pour être en accord avec nos valeurs, dans le cas de la protection des personnes vulnérables, la privation de droits doit être une ultime solution, et rester limitée au strict nécessaire ; elle doit être adaptée et respectueuse de la personne, exercée et contrôlée avec les meilleures garanties.

La réforme proposée obéit à quatre idées fortes : réaffirmer les principes fondamentaux de la protection, placer la personne au centre de la protection, rénover l'activité des tuteurs professionnels, instaurer un dispositif social de protection en amont de l'intervention judiciaire.

Le projet contient de nombreuses innovations, attendues par les associations avec lesquelles nous travaillons et avons élaboré nos amendements. Malgré une ambition louable, il ne va pas assez loin. Mais les travaux en commission laissent espérer qu’il sera sensiblement amélioré.

En premier lieu, je salue l'abandon du terme « incapable » pour désigner les personnes sous tutelle ou curatelle.

M. Claude Leteurtre – Tout à fait !

M. Maxime Gremetz – Dans cet esprit, je proposerai de modifier également le terme « capable » dans certains textes – faute de quoi, il continuera à renvoyer à son contraire.

D’autre part, les départements assumeront dorénavant la charge de la mesure d'accompagnement social personnalisé. L'Assemblée des départements de France s'est inquiétée à juste titre de l'absence de garanties de compensation financière. Ne parlons pas d’argent à propos des personnes vulnérables, dit le ministre. En attendant, les collectivités locales payent et, prises à la gorge, augmentent la fiscalité tandis que vous vous vantez de diminuer le déficit de l’État. Il faut donc dire qui paye. Nous avons déposé un amendement à ce sujet.

Nous saluons sans réserve la consécration de la protection apportée aux majeurs confiés à un tuteur ou un curateur, la possibilité pour des parents de désigner le futur tuteur ou curateur de leur enfant majeur handicapé et l’harmonisation des règles de fonctionnement des services de tutelle.

Mais les personnes handicapées mentales et leurs familles attendent que le législateur reconnaisse la spécificité de leur handicap. Nous demandons en particulier qu’on mette en œuvre le droit à compensation des conséquences de leur handicap prévu dans la loi de février 2005. Protéger une personne handicapée mentale, ce n’est pas la priver de ses droits mais lui permettre de prendre des risques grâce à la protection assurée par le tuteur ou le curateur.

Conformément à ce droit à compensation, nous espérons que sera supprimée la non-prise en charge du coût du certificat médical établi par un médecin spécialiste inscrit sur la liste du procureur et que le certificat établi par le médecin de l'équipe pluridisciplinaire de la maison départementale des personnes handicapées pourra se substituer à celui requis pour l'ouverture d'une mesure de protection juridique. Cela permettra aussi d'éviter certaines dérives. Marie-Hélène Isern-Real, avocate parisienne spécialisée dans le droit des personnes, expliquait récemment dans un hebdomadaire, se méfier beaucoup de certains médecins inscrits sur les listes des tribunaux, et, une fois sur deux, faire faire des contre-expertises. Elle racontait ainsi le cas de cette femme craignant que sa propre fille ne parvienne à la mettre sous tutelle ; effectivement, à l’occasion d’un séjour à l’hôpital, sa fille réussit à faire constater qu’elle ne jouissait pas de toutes ses facultés mentales. Une contre-expertise suffit à interrompre la procédure. Mais passer par la maison départementale du handicap aurait permis de gagner beaucoup de temps.

De même, nous demandons que la participation de la personne handicapée au financement de la mesure de protection rendue nécessaire par son handicap soit calculée en référence au dispositif prévu pour la prestation de compensation du handicap, et que les frais de tutelle avancés par les collectivités publiques ne fassent absolument pas l'objet d'un recours en récupération. Comme le rapporteur, nous avons déposé un amendement visant à corriger cette disposition, que la commission a favorablement accueilli.

La loi renforce la place de la famille dans le dispositif de protection juridique : c’est une bonne chose. Les tuteurs familiaux, eux, sont souvent seuls face à leurs responsabilités : une aide doit leur être accordée sur l’ensemble du territoire, assortie d’un financement pérenne.

La reconnaissance des professionnels et des associations tutélaires passe par des mesures volontaristes de formation – et nous en proposons. Un vrai diplôme permettrait en effet l’homogénéisation des pratiques professionnelles, mais le projet de loi n’en prévoit pas.

Lors de la préparation du projet, un dispositif d’amélioration de la connaissance du juge sur la situation de la personne à protéger a été envisagé. Les associations proposent à juste titre qu’il prenne la forme d’un bilan familial, social, médical et financier ; le rapport circonstancié prévu dans le projet est largement insuffisant.

Le rôle du juge est essentiel. S’il est parfois renforcé, il est atténué ailleurs : le tuteur pourra éviter de rendre des comptes de gestion, et un président issu du conseil de famille pourra faire office de juge. Heureusement, la commission a réglé ces problèmes.

Enfin, l’établissement médico-social devient un mandataire à la protection juridique des majeurs au même titre que les associations tutélaires. Nous défendrons, comme d’autres, des amendements visant à lever toute ambiguïté concernant cette mesure.

Nous ne voulons plus voir de vieilles dames dépouillées de leurs économies, flouées dans la vente de leur propriété, dérobées de leurs meubles ou bijoux. Nous ne voulons plus voir de handicapés mentaux dont les comptes bancaires fondent comme neige au soleil, ni d’enfants qui font mettre leurs parents sous tutelle pour dilapider le patrimoine familial. Ce sont certes des cas peu nombreux, mais ils existent.

M. le Rapporteur pour avis – Tout à fait !

M. Maxime Gremetz – La tutelle est une question sociale et éthique. Je salue l’esprit consensuel qui a animé son examen en commission. Le groupe communiste et républicain déploiera toute sa force de persuasion…

M. le Rapporteur pour avis – Et elle est grande !

M. Maxime Gremetz – Oui, surtout la nuit ! Nous serons entièrement mobilisés pour donner à ce texte qui va dans le bon sens toute la portée qu’il mérite. (Applaudissements sur divers bancs)

M. Patrick Delnatte – La protection juridique des majeurs repose sur un socle législatif vieux de quarante ans, inadapté à la situation actuelle : 700 000 personnes sont aujourd’hui concernées, et les juges prononcent 68 000 nouvelles mesures chaque année.

Le projet de loi que nous examinons n’est pas révolutionnaire, mais il propose la rénovation complète du dispositif qu’exigent l’augmentation de l’espérance de vie – y compris des personnes handicapées – et l’évolution de la structure familiale, ainsi que la diversification des personnes ayant besoin d’un tutelle. Il conserve les principes fondateurs de 1968 : la nécessité, la subsidiarité et la proportionnalité ; mais il place la personne au cœur de la protection, en recherchant dans chaque cas le régime le plus approprié et en respectant la volonté de chacun lorsque c’est possible.

Je remercie le président de la République et le Gouvernement d’avoir su conduire cette réforme malgré le calendrier contraint de cette fin de législature. Les élus que nous sommes observons trop de dysfonctionnements et d’abus qui suscitent souffrance et honte. Heureusement, ce sont des exceptions : rendons hommage à la très grande majorité des bénévoles et professionnels impliqués. Ils trouveront dans cette réforme de nouveaux outils et de nouvelles sources de motivation.

Si les objectifs de ce texte font consensus, certains points restent en débat. Ainsi, l’absence de tarifs pour les certificats médicaux délivrés par les médecins spécialisés pose problème, d’autant que la réforme conduira à y recourir plus encore : il convient de prévoir un plafond d’honoraires par décret en Conseil d’État. De même, je constate dans mon département que de nombreuses personnes handicapées, adultes comme enfants, se rendent en Belgique. Or, les familles et les associations craignent la cessation de plein droit de la mesure pour cause de départ à l’étranger. Le 13 janvier 2000, la France a pourtant signé – sans l’avoir encore ratifiée – la convention de La Haye qui prévoit expressément la création d’autorités centrales chargées de la coordination de l’information. Ensuite, la limitation de la mesure d’assistance judiciaire aux seules prestations sociales pose problème : la mesure ne devrait dépendre que du besoin de protection, et non de la nature des ressources.

M. le Rapporteur pour avis – C’est fondamental !

M. Patrick Delnatte – Enfin, la réforme accroît l’importance de la charge de tuteur et de curateur, ainsi que les responsabilités correspondantes. Je me félicite donc que la commission propose d’inscrire l’aide aux tuteurs familiaux dans la loi.

Une simple suggestion : l’appellation de mandataire judiciaire à la protection des mineurs est adaptée juridiquement, mais elle risque vite de se transformer en un malheureux sigle de plus. Ne pourrait-on pas la remplacer par « protecteur judiciaire », plus proche du très efficace Betreuer allemand ?

Pour finir, je m’interroge sur la procédure judiciaire, les recours contre les décisions dujuge des tutelles étant portés devant le tribunal d’instance. En matière familiale, tout autre recours est pourtant porté devant la cour d’appel, qui est d’ailleurs compétente en matière de tutelles aux prestations sociales. Peut-être y a-t-il là matière à une future réforme ?

Quoi qu’il en soit, le groupe UMP votera avec conviction ce projet de loi tant attendu, qui fait suite aux textes essentiels que cette majorité a votés en matière de droit de la personne et de la famille, du divorce à la protection de l’enfance. Nous avons accompli ces progrès avec pragmatisme et sans céder à l’aventurisme, en conservant les repères essentiels de notre droit. Les Français ont compris que le Gouvernement a su mener une politique efficace pour accompagner leurs désirs d’enfants. En 2006, pour la première fois depuis bien longtemps, la France renouvelle ses générations. C’est le signe d’une société qui retrouve confiance en elle. Réjouissons-nous en, et félicitons nos concitoyens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Alain Vidalies – Rarement projet de loi aura été aussi attendu : voilà si longtemps que le droit qui s’applique en matière de protection juridique des majeurs est inadapté, et même détourné de ses objectifs initiaux ! Ce texte si souvent annoncé avait fini par devenir l’Arlésienne de notre droit de la famille. En 1986, une table ronde était organisée sur l’indispensable réforme de la tutelle d’État ; en 1996, le Garde des Sceaux annonçait le dépôt imminent d’un projet de réforme, puis un scandale provoqua la création du groupe de travail présidé par M. Favard, dont le rapport déposé en avril 2000 a mis près de sept ans pour inspirer le législateur.

Ce cheminement chaotique illustre l’abondance de questions qui demeurent, comme la connaissance des populations visées, par exemple. Nous savons certes que le nombre de mesures augmente très fortement : 800 000 personnes sont aujourd’hui concernées, et le chiffre d’un million en 2010 est souvent avancé. Mais pour ce qui est des conséquences de la réforme relativement au nombre de personnes qui relèveront de mesures d’accompagnement, dont la compétence sera transférée aux départements, les estimations varient énormément selon les interlocuteurs. C’est bien le problème de cette réforme : nous ne connaissons pas le nombre de ceux qui se retrouveront sous la responsabilité des conseils généraux, ce qui, au passage, met en cause l’objectivité de vos estimations financières.

M. Serge Blisko – Eh oui !

M. Alain Vidalies – La deuxième incertitude porte sur le secret médical, dont le respect constitue à la fois un impératif et une difficulté, notamment s’agissant du rapport que le président du conseil général adressera au procureur de la République en cas d’échec des mesures d’accompagnement.

La troisième incertitude concerne le rôle des parquets. Nous approuvons la suppression de la saisine d’office du juge des tutelles, qui rend notre droit compatible avec la Convention européenne des droits de l’homme, mais actuellement, les parquets sont totalement absents des procédures de protection juridique, et l’on se demande comment des parquets de deux ou trois magistrats pourront assurer le suivi de plusieurs milliers de dossiers, d’autant que ce sont souvent dans les départements où la population est la plus âgée que les effectifs des parquets sont le plus réduits.

La quatrième interrogation porte sur le rôle des familles. Si nous approuvons la volonté de privilégier les familles, encore faut-il se garder de toute vision angélique de la solidarité familiale. Certes, 54 % des mesures ont pour origine une autosaisine du juge, mais cette statistique masque en réalité le fait que les familles refusent souvent d’apparaître comme ayant été à l’initiative de la procédure. De même, les détournements au détriment des personnes protégées sont aussi, parfois, l’œuvre de membres d’une même famille.

Ces interrogations subsistent et expliquent sans doute pourquoi le Gouvernement ne présente ce projet de loi à l’Assemblée que quelques semaines avant la fin de la législature. Si nous approuvons l’orientation générale du projet de loi, celui-ci mérite d’être amélioré, au-delà des apports de notre rapporteur, dont je souligne le travail remarquable.

Le mandat de protection future est une innovation essentielle, qui s’inscrit dans la continuité de la réforme du droit de succession, privilégiant la volonté individuelle. Dans la mesure où le risque de perdre son autonomie du fait de la dégradation physique ou intellectuelle nous concerne tous, la possibilité laissée à chacun de choisir le mandataire futur représente une avancée. Or, le choix d’un mandataire est une décision lourde de conséquences et qui doit pouvoir être portée à la connaissance des tiers. Dès lors, le contrat sous seing privé, qui ne manquera pas d’engendrer de nombreux contentieux, et dont nous ne comprenons pas qu’il figure dans la réforme, doit être supprimé.

M. Serge Blisko – Car trop dangereux !

M. Alain Vidalies – Nous souhaitons en outre que les personnes concernées puissent bénéficier du secours d’un avocat au stade de l’audition. Si le risque d’erreurs est certes limité, les conséquences de ces dernières sont trop graves pour se passer de l’assistance d’un avocat.

Nous serons également très attentifs au respect des droits de la personne, et notamment au maintien de l’accès au compte bancaire personnel. Les comptes-pivot étaient peut-être un passage obligé, mais le progrès technologique permet aujourd’hui le maintien des comptes individuels et la gestion au quotidien par les mandataires. Nous souhaitons que tous les organismes bancaires organisent l’accès à ce système expérimenté dans plusieurs départements.

Enfin, nous veillerons à ce que soit élaboré un statut du mandataire judiciaire. La professionnalisation de cette activité, avec une certification nationale, doit être un objectif majeur. Si nous approuvons le choix de séparer l’accompagnement social de la protection juridique, – et le département est en effet l’échelon naturel de gestion de l’aide sociale –, nous sommes conscients, pour autant, que les missions dévolues aux conseils généraux, au titre de l’APA ou du RMI, sont de nature différente de celles en cause ici. Les personnes qui seront chargées de ces missions devront posséder une formation spécifique en économie sociale et familiale. Le Gouvernement nous assure que cette nouvelle charge sera intégralement compensée. Instruits par l’expérience, nous demeurons sceptiques.

Pour une réforme reposant sur le transfert de centaines de milliers de dossiers aux départements, il est regrettable que le Gouvernement ne soit pas parvenu à un accord avec les conseils généraux. Je vous rappelle à cet égard la délibération du bureau de l’Assemblée des départements de France, en date du 5 septembre 2006 : le bureau « estime incontestable dans sa finalité la nécessité de conduire une réforme de la protection juridique des majeurs. Il s’étonne néanmoins du désengagement significatif de l’État, se traduisant par un transfert de mesures judiciaires vers des mesures administratives dorénavant financées et gérées par les conseils généraux ».

En raison de ce travail inachevé avec les conseils généraux, le groupe socialiste s’abstiendra sur ce texte, tout en participant de manière constructive au débat (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Marc Le Fur – Avec d’autres, je me suis battu pour que ce texte soit inscrit à notre ordre du jour, et je me réjouis que nous y soyons parvenus. Je remercie Bernard Accoyer pour son active collaboration. Au moment où, en cette fin de session, nous examinons certains textes de manière un peu précipitée, je suis convaincu que celui-ci restera à l’actif de cette législature, plus que certains autres pourtant davantage médiatisés. Ce texte achève un édifice cohérent en faveur du monde du handicap, dont la loi de 2005 sur l’égalité des chances a constitué le point d’orgue.

C’est mon expérience du terrain qui m’a convaincu de la nécessité de légiférer ; c’est d’avoir parlé à ce monsieur âgé qui sent ses forces le quitter et s’interroge sur l’avenir de son fils handicapé dont il a la tutelle, ou à ce mari qui doit envisager la mise sous tutelle de sa femme atteinte de la maladie d’Alzheimer, ou à ces enfants confrontés au déclin physique et psychique de leurs parents. Face à ces témoignages, nous mesurons la noblesse du rôle d’élu, puisque nos concitoyens nous font les confidents de leur détresse, mais aussi la faiblesse de nos moyens d’action.

J’ai entendu le témoignage de personnes protégées, qui estiment qu’elles ne sont jamais écoutées ou qui se sentent enfermées à perpétuité dans des formes juridiques qu’elles vivent comme asphyxiantes. J’ai entendu également le témoignage de familles qui ont appris par hasard qu’un de leurs ascendants était mis sous tutelle, ou celui de professionnels, qui m’ont convaincu que la tutelle était souvent utilisée pour résoudre des problèmes qui, pour réels qu’ils soient, ne justifient pas le recours à ce type de procédures.

Je souscris totalement aux objectifs de ce texte, à commencer par le respect de la dignité des personnes protégées. Un nouveau droit est créé, celui de la réversibilité des mesures : aucune mesure de cet ordre ne saurait être définitive, et elle doit donc être réexaminée périodiquement. La dignité, c’est aussi la liberté donnée à chacun d’anticiper, avec le mandat de protection future, vrai progrès de société. Les parents d’un enfant handicapé pourront y recourir pour organiser à l’avance la protection juridique de leur enfant devenu majeur ; ceci est de nature à rassurer bien des familles.

Le texte place la famille au centre du dispositif. Il n’est pas normal que près de la moitié des mesures de protection soient confiées à des tiers. En tout état de cause, la famille doit être informée, entendue et, dans la mesure du possible, associée. Les tiers, les professionnels ne doivent intervenir que si la famille n’existe pas ou est défaillante, en raisons de clivages internes, par exemple. Et, lorsque la famille se voit confier une tutelle, elle doit être soutenue et accompagnée. L’effort de formation et d’information doit être poursuivi.

En conclusion, je dirai que nous avons levé les incertitudes : sur la question des finances des conseils généraux, les ministres m’ont totalement convaincu, et la difficulté touchant à la reprise sur succession va aussi être levée. Reste la question de la situation des préposés à la tutelle dans les hôpitaux. Je suis certes conscient du travail qu’ils effectuent, mais un problème de principe se pose : l’hôpital étant l’hébergeant de la personne, et donc son créancier, le membre de l’administration hospitalière qui exerce la tutelle n’est-il pas juge et partie ? Les fonctions non financières de la tutelle ne sont-elles pas négligées, alors que nous voulons les placer au cœur de notre dispositif ? La question n’est pas sans importance.

Mais pour l’essentiel ce texte est bon, concret, utile et consensuel. Nous avions passé un très bon dimanche, nous passons également un très bon mardi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Serge Blisko – Qui rit un dimanche peut pleurer le dimanche suivant ! (Sourires) Mais nous continuons à nous réjouir du consensus qui s’est exprimé sur les principes et sur l’intérêt de la démarche, intérêt souligné par nos rapporteurs, que je voudrais remercier pour la teneur très concrète de leurs interventions. Chacun s’accorde à la fois sur la nécessité de légiférer et sur l’urgence de la réforme. Certes, Monsieur Wauquiez, la réflexion a duré, mais parce qu’elle a été très dense et très fournie, et dans des lieux très divers d’ailleurs. C’est le signe que ce projet de loi très attendu touche à la vie quotidienne et à l’organisation sociale dans son ensemble, et il a été extrêmement intéressant de voir les différents points de vue avec lesquels il a été appréhendé et préparé. Je ne crois donc pas que cette période qui a précédé la discussion parlementaire ait été inutile : elle a notamment permis de détecter un certain nombre de difficultés. Mon seul reproche serait peut-être que le temps qui nous est imparti ne nous permettra pas d’aller au fond de la discussion de ce texte très dense.

La perspective d’un million de personnes placées sous protection juridique en 2010, l’augmentation de 8 % par an des mesures de protection, des juges et greffiers noyés sous le nombre…

Tout indique que le dispositif actuel est complètement dépassé. Il est donc autant souhaitable que nécessaire de distinguer les personnes atteintes par le vieillissement ou la maladie d’Alzheimer de toutes celles qui perdent pied après un accident de la vie, une perte d’emploi ou de logement, une séparation familiale, une détresse sociale. Nous connaissons tous de ces situations où le psychologique le dispute au social, et il était important d’y voir clair. Je ne m’attarderai pas sur l’insuffisance des moyens actuels, avec 80 équivalents temps plein de juges préposés aux tutelles, puisque le garde des sceaux en a promis 29 de plus. Les députés socialistes en profitent pour rendre hommage à tous ceux qui, à tous les échelons de la chaîne de responsabilité – travailleurs sociaux, juges et greffiers, familles, associations – se sont attachés à faire le maximum pour les 700 000 majeurs protégés. À ce propos, je considère avec Maxime Gremetz que le terme dépréciatif et archaïque d’« incapable majeur » est à bannir.

L’objectif premier du texte est donc de replacer le majeur protégé au centre du dispositif et de mieux respecter les droits de la personne. Comme l’a souligné le rapport Favard, on ne saurait se contenter de la seule consécration par la Cour de cassation, en 1989, du principe selon lequel les régimes civils d’incapacité ont pour objet, d’une façon générale, de pourvoir à la protection de la personne et des biens de l’incapable. Il faut bien différencier la personne et la gestion des biens. Souvent d’ailleurs, ces biens sont réduits ; mais ce n’est pas parce que les comptes sont petits que leur contrôle ne doit pas être des plus rigoureux. Nous ne sommes donc pas favorables à une simplification abusive des règles concernant les petits revenus : certes, des logiciels de comptabilité simples suffiront, en tout cas aux tuteurs familiaux, mais le traitement ne saurait être réellement différent pour les petits revenus et pour les fortunes plus importantes.

Mais l’essentiel est donc de ne pas négliger la dimension humaine de la protection, la perte des droits et libertés qui en résulte. Il existe des situations complexes, ou délicates, comme l’éveil à une vie sentimentale ou sexuelle des jeunes majeurs protégés. Ce problème, qui était complètement occulté il y a trente ans, est aujourd’hui au cœur de la réflexion. Notre devoir de parlementaire est aussi d’aider les professionnels à prendre ces décisions difficiles, pour le bénéfice des majeurs protégés. De ce point de vue, l’examen périodique, tous les cinq ans, des mesures de tutelle et curatelle était une nécessité. La notion de réversibilité est en effet fondamentale : il n’est pas de situation, pas de maladie dont on soit sûr que les progrès de la médecine ne permettront pas de les améliorer. Il faut donc rester prudent, et cette clause de revoyure évite de laisser se faire les choses de façon trop mécanique.

Nous ne pouvons qu’approuver les notions de proportionnalité des mesures et de subsidiarité. Nous restent quelques états d’âme, et d’abord sur le fait que les tutelles aux prestations sociales adultes, régies par la loi du 18 octobre 1966, deviennent des mesures d'assistance judiciaire. Nous pensons qu’il faut étendre les mesures d'assistance judiciaire à des ressources autres que les prestations sociales, sans quoi le système deviendra illisible, et qu’il faut élargir l’assiette, pour les futurs mandataires. Nous nous interrogeons également sur la limitation à quatre ans des mesures d'assistance judiciaire : cela nous semble trop peu. Placer si vite la personne sous curatelle risque de réduire à néant l’ensemble des progrès accomplis pendant les quatre années précédentes. Ce retour en arrière va à l’encontre de notre objectif, selon lequel toutes les personnes, en particulier celles qui ne sont pas atteintes d’une affection irréversible, doivent être guidées vers plus d’autonomie. Dans ce cadre, la mesure la plus souple doit évidemment toujours être privilégiée.

De la même façon, on sait que le contrôle des tuteurs et curateurs doit être renforcé. Cela passe par la formation des professionnels, et par l’aide et le conseil aux familiaux. L’association nationale des juges d’instance a notamment proposé que le cabinet des juges d’instance ne soit pas le lieu de rendez-vous systématique : il est déjà assez traumatisant d’aller devant le juge pour parler d’un membre de sa famille sous protection sans avoir à se rendre dans des locaux peu agréables, voire complètement oppressants, et parfois, dans certains départements, très éloignés ! Il serait souhaitable que, dans les maisons de la justice et du droit, prennent place des associations, des structures de conseil, voire des groupes de parole, en tout cas des espaces de médiation.

La société devient complexe et les maisons de la justice et du droit pourraient être un cadre intéressant pour la formation et l’accompagnement des familles. On pourrait aussi mettre en place une plateforme, peut-être un numéro vert, pour répondre à leurs questions.

Enfin, le sujet des médecins traitants soulevait une difficulté, mais la solution a peut-être été trouvée. Les médecins généralistes ne sont pas aptes à évaluer la situation des personnes : l’examen médical est susceptible de faire apparaître qu’une personne est capable ou non, mais il ne peut pas estimer précisément ce qu’elle est capable de faire, et donc pas fonder la décision entre mise sous tutelle ou sous curatelle – je ne parle même pas des généralistes qui sont soumis à des pressions contradictoires entre différents membres de la famille. Une expertise est nécessaire, dont le coût d’ailleurs est considérable. Les médecins spécialisés, qui sont consultants ou référents dans les maisons départementales du handicap, seraient à même, eux – quitte à demander un avis au médecin traitant – de rendre cette expertise. Cette solution permettrait d’éviter un certain nombre de dérives.

S’agissant des majeurs vulnérables, le législateur doit concilier deux obligations. Il lui faut protéger des personnes qui n'ont pas la faculté de gérer leurs biens et d’accomplir les actes de la vie quotidienne, et, pour cela limiter leur liberté. Mais il lui faut aussi protéger leurs droits individuels. L'équilibre est difficile à trouver mais, comme l’Association des juges d’instance, le législateur prend cette question très à cœur. Notre point de repère doit être l'obligation de toujours placer la personne au centre du dispositif mis en œuvre pour assurer sa protection. L'individualisation des mesures, leur proportionnalité, leur révision chaque fois que nécessaire, l'accompagnement des familles, la formation et le contrôle des tuteurs répondent à cet objectif.

Le groupe socialiste s’abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Garde des Sceaux  Pourquoi ne pas approuver ?

M. Jean-Claude Guibal  Les textes qui régissent la protection des majeurs vulnérables ne correspondant plus à l'état de notre société, il fallait les réformer. C’est ce à quoi s'attache, de manière pertinente, le projet qui nous est présenté. Le dispositif créé par les lois de 1966 et de 1968 avait été conçu pour quelques milliers de personnes. Il s'applique aujourd'hui à plus de 700 000 individus, soit plus de 1 % de la population française. En 2010, il concernera plus d'un million de Français. De surcroît, l'application de ces textes a entraîné des dérives détournant le dispositif de sa finalité originelle. Indépendamment des abus suscités par l'appât du gain, que le nombre insuffisant de juges de tutelle ne permettait pas de réprimer, le système a été toujours plus utilisé pour faire face aux problèmes nés de la pauvreté et de l'exclusion. Il en est résulté une explosion du nombre de personnes placées sous protection juridique, d'autant plus choquante que la mise sous tutelle réduit, quand elle ne les supprime pas, les libertés fondamentales.

Une réforme s'imposait donc, qui devait viser à recentrer le dispositif de protection juridique sur les personnes réellement atteintes d'une altération de leurs facultés, et à améliorer leur prise en charge, en étendant la protection à leur personne et non plus seulement à leur patrimoine, et en personnalisant les mesures.

C'est ce à quoi s'attache le projet, dont l’intérêt est double. D'une part, il permet de distinguer les personnes qui souffrent d'altérations de leurs facultés et celles qui relèvent de l'intervention des services d'action sociale des conseils généraux ou des associations agréées. D'autre part, et c’est son mérite principal, il assure l'accompagnement de la personne mise sous tutelle. Trois dispositions illustrent cette préoccupation, le mandat de protection future en premier lieu. Les droits de la personne vulnérable sont aussi renforcés dès lors que la mesure de protection juridique ne pourra être ordonnée par le juge qu'après qu’il aura entendu la personne concernée. Dans le même esprit de respect de la personne, la mesure de protection ne pourra être prise que pour cinq ans au plus, et ne pourra être renouvelée par le juge que dans les mêmes conditions.

Autant certains textes peuvent sembler superfétatoires, autant celui-ci est bienvenu. Il tient compte de l'évolution de notre société et apporte, dans un domaine où le respect de la dignité de la personne est essentiel, des réponses claires, équilibrées et proportionnées. C'est pourquoi je le voterai, après qu’il aura été enrichi et précisé par nos débats. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Chantal Robin-Rodrigo – Notre dispositif de protection des majeurs vulnérables repose pour l'essentiel sur la loi du 3 janvier 1968 et sur celle du 18 octobre 1966. Quarante ans après leur adoption, force est de constater que le mécanisme n’est plus adapté. La population visée s'est profondément modifiée ; l'allongement de la durée de vie, la précarité et l'exclusion pèsent toujours plus sur le dispositif de protection ; l'évolution de la prise en charge de la maladie psychiatrique a eu pour effet la mise sous protection de nouvelles catégories de personnes. Pourtant, la fragilité, la précarité et l'exclusion appellent davantage une aide ou un accompagnement social qu'une protection juridique.

De nombreux rapports ont dénoncé les dysfonctionnements et les dérives de notre système de protection des majeurs vulnérables. La France compte aujourd'hui plus de 700 000 mesures de protection pour seulement 80 juges des tutelles, et les gérants de tutelle n'ont ni statut ni rémunération clairement définis. Les tribunaux sont débordés, les psychiatres et les gérontologues sont en nombre insuffisant et les magistrats ne sont pas en mesure de contrôler efficacement la gestion des comptes. Surtout, les principes posés par la loi de 1969 ne sont plus strictement respectés. Dans ces conditions, on ne peut s’étonner de la multiplication des cas de maltraitances et d’abus tutélaires.

La protection des personnes, qui constitue l'un des éléments structurants de notre société, doit s'adapter aux évolutions sociales pour aider les plus fragiles à faire face aux aléas, dans le respect de leur dignité et de leur autonomie, mais l'application effective de la réforme proposée, aussi ambitieuse que nécessaire, tiendra à la capacité de mobiliser les moyens qu'elle implique. Un pour cent de la population française – mais 2,2 % de celle de mon département – est concernée par le texte. Or, de légitimes interrogations se posent sur les ressources allouées à l’application de la réforme. J'insiste donc, Monsieur le ministre, pour que vous nous précisiez l'accompagnement financier réel que vous prévoyez. En effet, quelle que soit la mesure envisagée, il est important de poser des règles uniformes aussi bien pour la rémunération des gestionnaires que pour le niveau de participation demandé aux personnes protégées. Le choix du délégué à la tutelle et de la mesure gagnera ainsi en neutralité.

On évalue à 400 millions par an le coût des mesures de tutelle et de curatelle, coût qui pourrait s’élever à 600 millions dans cinq ans. On comprend donc les inquiétudes des conseils généraux, qui ont constaté qu’en dépit des promesses des gouvernements Raffarin et Villepin, les charges transférées par les lois de décentralisation de 2004 n'ont pas été compensées « à l'euro près », loin s’en faut.

On peut légitimement s'interroger sur le coût annoncé de la réforme. Il serait, nous dites-vous, de 35 millions l'an, et compensé par l'État. Mais cette somme est contestée par l’Association des départements de France, qui l’estime insuffisante. On peut, de même, s’interroger sur les moyens humains mis à disposition de la justice et des DDASS pour appliquer la réforme. La solidarité a un coût, elle suppose des investissements lourds, un effort soutenu de formation initiale et continue et, surtout, une revalorisation des métiers. L'attractivité des nouveaux métiers d'aide à la personne, le maintien de structures sur l'ensemble du territoire imposent des lignes budgétaires pérennes. On peut enfin s’interroger sur l'important volet réglementaire qui, parce qu’il porte sur des aspects essentiels, doit être adopté rapidement. Plusieurs instances préconisent en particulier que les modalités de financement de la formation des mandataires de. protection soient fixées par décret.

De même, il est souhaitable que la dotation globale versée aux associations tienne compte du coût des formations, qui doivent être des formations qualifiantes débouchant sur des diplômes délivrés par des organismes agréés ou des écoles telles que l'École nationale de la santé publique ou l'École nationale de la magistrature. Il reste que le projet comporte une sérieuse lacune, en ce qu’il ne prévoit aucune mesure de soutien et de formation pour les tuteurs familiaux.

Je souhaite enfin la création d’un observatoire national chargé de recenser, par type de mesure, les personnes placées sous protection juridique. Ainsi l'État disposerait-il d’un recensement exhaustif de la population des majeurs protégés.

Notre dispositif de protection des majeurs doit avoir pour seule finalité l’intérêt de la personne protégée et être organisé dans le respect des droits fondamentaux et de la dignité humaine, en favorisant autant que possible l'autonomie de la personne protégée. Mais je persiste à penser, Messieurs les ministres, que pour financer la réforme, vous vous renvoyez la balle, ce qui n’est pas très convaincant. Mettez-vous donc d’accord avant la fin du débat, afin que nous soyons certains qu’un financement adéquat a été prévu. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Pierre Morel-A-L'Huissier – Il était temps que le législateur fasse preuve de discernement pour ceux qui en ont moins. Le dispositif de protection des majeurs vulnérables, vieux de plus de trente ans, outre qu’il est poussiéreux, a conduit à des dérives avérées, et son coût ne cesse de croître – de 200 % depuis 2001. La réforme était donc très attendue, et ses dispositions sont bienvenues, qu’il s’agisse de l’accompagnement personnalisé ou de la limitation des tutelles et des curatelles aux personnes dont les facultés sont réellement altérées. Leur accompagnement n’en sera que mieux pris en charge compte tenu du manque de moyens dans le dispositif actuel. Pour ceux dont la vulnérabilité résulte de difficultés sociales ou économiques, la prise en charge sera effectuée par les départements dans le cadre de mesures sociales d’accompagnement personnalisé. Si l’on peut se réjouir de cette distinction, des moyens supplémentaires doivent être affectés à la protection des incapables majeurs. En 2003, 600 000 tutelles et curatelles étaient suivies en équivalents temps plein par 80 juges. De nombreux services de la DDASS se sont en outre récemment désengagés auprès des associations tutélaires. De même, il faudra donner aux départements les moyens humains et financiers d'assumer ces nouvelles responsabilités. La décentralisation a conféré des charges supplémentaires aux conseils généraux qui, s'ils sont égaux en devoirs, ne le sont pas devant le prélèvement de l'impôt. Les ressources propres des petits départements et notamment en zone rurale, comme en Lozère ou en Haute-Loire, ne sont pas extensibles. J'attends donc l’inscription de nouveaux crédits correspondant aux transferts de compétences.

Celles et ceux qui sont en grande difficulté sociale méritent une réelle attention plutôt qu'une vie par procuration. Alcooliques, toxicomanes, surendettés, divorcés... La précarité, ponctuelle ou prolongée a privé certains de tout ou partie de leurs capacités juridiques sans même que leurs facultés mentales soient altérées. L’interprétation ex nihilo de la loi de 1968 a néanmoins engendré de nombreuses dérives et nourri une jurisprudence abondante. Nous ne saurions blâmer des juges qui expédient les dossiers faute de temps, d'effectifs et de moyens, non plus que des tuteurs ayant en charge des centaines de dossiers et qui ne sont pas préparés à affronter la détresse humaine. Il fallait donc mieux encadrer le dispositif et mieux armer le juge pour contrôler la gestion des biens des personnes protégées. Désormais le juge, assisté du procureur de la République, ne pourra plus se saisir d'office. Il devra ainsi rechercher dans chaque cas à éviter dans la mesure du possible la mise sous protection juridique. Cette dernière sera d'ailleurs graduée et limitée dans le temps. De plus, la situation de chaque majeur considéré comme incapable sera réexaminée tous les cinq ans.

Je constate aussi que la famille est replacée au cœur de cette réforme. Dans une société où les liens se délitent, il était important de réaffirmer le rôle des proches. De surcroît, de nombreuses familles souffraient de ne pas être davantage associées aux procédures judiciaires. La tutelle familiale sera encouragée et je souhaite que son développement soit accompagné. Je souhaite également qu’une analyse approfondie de la situation familiale soit réalisée avant toute décision de protection et que le majeur protégé puisse bénéficier d’un véritable accompagnement juridique mais également psychologique.

La professionnalisation de la fonction tutélaire est le meilleur rempart à une judiciarisation excessive du droit des tutelles qui pourrait à terme rendre ingérable toute protection juridique des majeurs incapables. Elle est aussi indispensable pour que la confiance soit retrouvée entre les tuteurs, leurs protégés et leurs proches. Les professionnels sont en effet victimes de discrédit et de méfiance alors même que leur métier nécessite une grande générosité d'âme. Néanmoins, la responsabilité des organes tutélaires sera désormais engagée : ils seront considérés, selon l'article 5, comme responsables des dommages résultant d'une faute quelconque commise dans l'exercice de leurs fonctions.

Par ailleurs, ces nouveaux « mandataires judiciaires de protection des majeurs » seront soumis à des procédures d'agrément. Ils devront ainsi remplir des conditions de moralité, d'âge, d'expérience. Je souhaite, enfin, que ces mesures soient complétées par des programmes de formation spécifiques.

Parce que le Gouvernement a eu le courage de clarifier ce dispositif et de rendre leur dignité à nombre de majeurs incapables, je soutiendrai ce projet ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Béatrice Vernaudon – En Polynésie aussi la protection juridique des majeurs a été détournée de sa finalité et a entraîné une restriction injustifiée des droits des personnes concernées. Dans le but louable de protéger des majeurs – le plus souvent des personnes atteintes d'un handicap mental – l'organisme gestionnaire des régimes de protection sociale, les services administratifs ou bancaires ont institutionnalisé le recours à la mesure de tutelle sans réaliser les conséquences juridiques en terme de suppression des droits civils et civiques des personnes. Ce sont des atteintes à leur dignité.

Il y a près de 250 000 habitants en Polynésie. Les tribunaux y gèrent 1 568 dossiers de majeurs protégés dont 1 147 sous tutelle. Il y a deux ans, devant les difficultés rencontrées par les familles vis-à-vis de leurs majeurs protégés, des travailleurs sociaux ont créé une association, Tutelger, qui gère exclusivement la tutelle aux prestations sociales de 337 personnes, pour moitié placées en familles d'accueil. L'allocation majeur handicapé en Polynésie est de 500 à 750 euros selon le degré de dépendance et les ressources. À l'opposé, seuls 50 majeurs protégés dont le patrimoine dépasse 80 000 euros sont confiés à des gérants de tutelle privés.

En voulant se couvrir par une décision judiciaire pour verser l’allocation à un tiers généralement membre de la famille, on enferme définitivement la personne concernée dans le statut d'incapable. Il n'est pas non plus superflu d'évoquer le coût des enquêtes sociales et des expertises psychiatriques préalables à toute décision de protection. Je salue donc tous ceux qui depuis plusieurs années se sont élevés contre cette situation et ont plaidé pour une réforme en profondeur de ce dispositif. Je salue également votre détermination, Monsieur le garde des sceaux et Monsieur le ministre délégué, pour faire voter et publier cette loi avant la fin de notre mandature.

Cependant pour permettre à Mayotte, Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française de bénéficier des progrès humains, sociaux et techniques de cette réforme, nous allons à l'article 24 de la loi autoriser le Gouvernement à étendre et adapter par voie d'ordonnance, avant le 1er février 2009, les mesures relevant du domaine législatif. Le Parlement devra ensuite ratifier cette ordonnance mais il s'agit là pour le ministre de l'outre-mer, et en partenariat avec vos ministères respectifs, d'un exercice juridique difficile qui s'apparente, dit-on, au métier de dentellière.

M. le Rapporteur pour avis – Du Puy ! (Sourires)

Mme Béatrice Vernaudon – Sept codes sont concernés par cette réforme : deux sont de la compétence de l’État – le code civil et celui de l’organisation judiciaire – les cinq autres relevant de la compétence des autorités locales – le code de l’action sociale et des familles, le code de la santé publique, le code des assurances, le code de la sécurité sociale et le code de la procédure civile. Non seulement on doit respecter scrupuleusement les domaines de compétences respectifs entre l'État et chacune des collectivités mais il faut également s'assurer de la cohérence des différentes réglementations et les adapter à un contexte géographique, social, culturel et administratif spécifique. Autant dire que l'exercice relève de l'exploit ! Il a déjà rebuté bien des fonctionnaires et j'en veux pour preuve les deux décrets nécessaires à l'application du statut des pupilles de l'État étendu en 2000 qui nous permettraient enfin d’appliquer la loi sur l'adoption : à ce jour ils n'ont pas été publiés.

II est important de respecter notre appartenance spécifique à la République française et de permettre à nos populations de bénéficier des progrès sociaux accomplis par la majorité : prévention et répression des violences conjugales, prévention de la délinquance, protection de l'enfance, protection juridique des majeurs. Toutes ces lois ont en commun la modification du code de l'action sociale et des familles, socle de notre organisation législative et administrative en la matière. Une telle codification n'existe cependant pas encore en Polynésie. Le chantier est ouvert depuis plusieurs années mais il peine à aboutir à cause de ces intrications de compétences. La bonne gestion de ces chantiers juridiques et professionnels, voire financiers, suppose que nos spécialistes respectifs travaillent de façon complémentaire à partir d'une vision et d'une méthode partagées. Ils pourraient également contribuer à l'évolution de la convention État-Pays relative aux actions de solidarité et dont la renégociation est en cours. Il est temps d’adopter une bonne méthode. Je propose quant à moi d’envoyer sur place une mission composée d'un représentant de l'IGAS, d'un représentant des services de l'outre-mer et d'un représentant de la justice pour identifier avec les responsables locaux la nature, l'ampleur et la méthode de ce vaste chantier. Cette approche est innovante et au terme de ce premier mandat de députée j'ai la conviction que c'est ainsi que nous ferons évoluer harmonieusement nos cadres juridiques et techniques.

Je voterai ce texte attendu mais je souhaiterais, Messieurs les ministres, que vous précisiez si vous adhérez à cette démarche et comment nous pourrions l'initier sans attendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Sébastien Huyghe – Ce projet répond bien aux préoccupations de nos concitoyens. Depuis quarante ans, la notion d'incapacité a beaucoup évolué. Elle ne résulte plus seulement d'une altération des facultés mentales chez une personne majeure, mais revêt des formes plus larvées, liées à des conditions de vie économiques et sociales précaires qui conduisent à la marginalisation de certains individus. Elle peut résulter aussi d'une espérance de vie prolongée, ce qui se traduit parfois par une déficience des facultés intellectuelles.

Le projet a fort bien pris en compte cette évolution sociologique en étendant la règle graduée de l'incapacité et en proposant une gamme de protections encore plus affinée. Le meilleur exemple ? La proposition d'une mesure d'assistance judiciaire qui protège sans diminuer vraiment la capacité de l'individu. Cet effort de rénovation législative doit s'accompagner d'une meilleure prise en compte de la personne. Le projet intègre cette dimension en développant deux axes. La prise en compte de la volonté de la personne, tout d’abord, comporte un double niveau de réflexion et d'expression. La personne protégée ou à protéger doit l'être dans son intégrité physique et morale bien entendu mais également dans la manifestation de sa volonté. Sur un plan formel, le choix d'un vocabulaire adapté doit être systématiquement préféré. Parlons de personnes protégées, oublions la notion même d'incapacité qui apporte souvent une souffrance supplémentaire à l'entourage familial !

Sur le fond, la recherche d'un véritable statut de la personne, exprimée en termes voilés dans le projet de loi, doit être mieux affirmée. Ce statut personnel ne peut être exactement défini que s’il l’est par opposition au statut patrimonial. Si ce dernier induit une présomption d'incapacité, le statut personnel doit à l'inverse, chaque fois que possible, induire une présomption de capacité, le juge ayant le pouvoir, dans des situations aggravées, de la moduler si nécessaire par des règles d'assistance, voire de représentation. Ce statut personnel doit également être lisible, ce qui suppose de regrouper en un même lieu toutes les dispositions relatives aux pouvoirs de la personne sur son mode de vie, sa santé, son intégration sociale, ou bien encore sa citoyenneté.

Respecter la personne, c'est aussi respecter sa volonté, en lui permettant notamment d'anticiper l'altération de ses facultés mentales et d’organiser une mesure de protection personnalisée. Il faut à cet égard se féliciter de l'intégration dans notre droit du mandat de protection future. La possibilité donnée aux parents de désigner eux-mêmes un mandataire pour leur enfant majeur, lorsqu'il est hors d'état de manifester sa volonté, va dans le même sens.

Nous sommes sensibles à la promotion d'un droit volontaire, c'est à dire à la mise en place, par la volonté de l’individu, de règles juridiques librement consenties. Ce droit volontaire participe à la mise en place d'un droit juste, personnalisé, compréhensible, par opposition à la loi dont la vocation est nécessairement générale. En même temps, ce droit volontaire permet, autant qu'il est possible, de « déjudiciariser » le sujet, en sollicitant moins le juge pour des actes ponctuels et répétitifs.

La loi doit toutefois repenser systématiquement l'intervention de celui-ci dans le développement de ce droit volontaire. Il ne s'agit pas tant de « recourir moins » au juge que d’y « recourir mieux ». À cet effet, la mise en jeu du mandat de protection future, qui pose la question de son opposabilité, doit faire l'objet d'un examen attentif. Une notification préalable de son déclenchement devrait permettre de prévenir les contentieux.

Cette attention à la personne doit être un souci permanent, de même que celui de ne pas créer une législation discriminante à l'égard des personnes que la loi a le devoir de protéger, et ce dans le droit fil de la loi du 11 février 2005. Il s'agit de protéger, non de discriminer les personnes dont les facultés mentales se sont altérées.

Les personnes protégées doivent avoir un accès juridique égal aux différents actes patrimoniaux. Ce n'est pas le cas actuellement dans le droit positif français, et si le projet de loi corrige quelque peu ce défaut, il aurait pu aller plus loin. Une personne protégée doit pouvoir accéder aux donations de toute nature et en faveur de toute personne, souscrire, modifier ou racheter une assurance-vie, changer de façon simple de régime matrimonial… Il n’y a là rien à redouter car ces actes patrimoniaux particuliers seront toujours accomplis sous un contrôle judiciaire préalable très strict, qui évitera les déviances et les abus.

Envisager cette possibilité participera à l'essor d'un droit de composition volontaire, avec de nombreuses alternatives patrimoniales et de nombreuses possibilités d’assistance. Les modes de protection se déclineront alors sous diverses formes, chacune répondant précisément aux besoins juridiques des personnes vulnérables. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La discussion générale est close.

M. le Garde des Sceaux  Je remercie l’ensemble des orateurs d’avoir souligné l’urgence de cette réforme, attendue depuis très longtemps et qui sera, je le pense, réussie. Aucun d’entre vous en effet n’a remis en question le dispositif prévu.

M. Gremetz a rappelé les insuffisances et les dérives du système actuel. La réforme proposée répond aux trois objectifs qu’il estime nécessaires : respect du principe de subsidiarité, consécration de la protection de la personne, création d’un statut unifié pour les mandataires et renforcement des contrôles à leur égard. Pour ce qui est des moyens dégagés pour l’application de cette réforme, et je réponds aussi sur ce point à M. Blisko, le ministère de la justice va créer 30 postes équivalent temps plein de magistrats et 50 postes de greffiers.

M. Delnatte a évoqué l’importante question de la cessation de la mesure de protection pour les personnes résidant à l’étranger. Je le rassure, les personnes hébergées ou soignées à l’étranger continueront à être suivies par un juge français. La France compte aborder plus en détail cette question lorsqu’elle assurera la présidence tournante de l’Union européenne. Quant aux recours contre les décisions des juges des tutelles, s’ils sont examinés par les tribunaux de grande instance et non par les cours d’appel, c’est pour répondre à un souci de proximité. Nous n’envisageons pas de revenir sur cette règle.

M. Vidalies s’est félicité de la disparition de la saisine d’office du juge des tutelles. C’est en effet l’un des points essentiels de la réforme : la saisine du juge sera désormais subordonnée à une requête accompagnée d’un certificat médical attestant de l’altération des facultés mentales de la personne concernée. De nombreux abus seront ainsi évités. M. Vidalies a également souhaité la suppression du mandat de protection future sous seing privé, lequel est nécessairement limité aux actes de gestion, contrairement au mandat notarié, plus étendu. Les deux formes d’acte répondent à des besoins différents. Pourquoi ne pas faire confiance aux familles et suspecter a priori les actes sous seing privé ?

M. Le Fur a souligné l’importance du rôle de la famille dans la protection des proches. Le projet de loi prévoit ainsi que les tuteurs et les curateurs seront choisis en priorité parmi les membres de la famille.

M. Blisko a insisté sur la nécessité d’un accompagnement et d’une formation des familles dans l’exercice des missions de tutelle ou curatelle. Je trouve très pertinente sa proposition de faire organiser des formations sur le sujet par des associations dans les Maisons de la justice et du droit.

M. Guibal a vanté tous les mérites du mandat de protection future, qui constitue en effet une disposition-phare du projet de loi, permettant de désigner à l’avance et en-dehors de toute mesure judiciaire, la personne que l’on charge pour l’avenir de la défense de ses intérêts.

Dans ma réponse à Mme Robin-Rodrigo, je ne reviens pas sur la question des moyens. Je l’assure en revanche que tous les décrets d’application seront pris en temps utile pour assurer le succès de cette réforme. Mon collègue Philippe Bas expliquera tout à l’heure comment elle va générer des économies pour les départements.

M. Morel-A-L’Huissier a rappelé la nécessité de mettre un terme aux dérives du dispositif actuel qui conduisait à mettre sous protection juridique des personnes en situation de précarité sociale. La suppression des curatelles pour prodigalité ou intempérance et des tutelles aux prestations sociales adulte permettra aux juges de se concentrer sur les cas des seules personnes dont les facultés mentales sont altérées.

Je puis enfin assurer à Mme Vernaudon que tout sera fait pour que ce texte, tant sur la volet civil, d’application immédiate, que sur le volet social, soit mis en oeuvre en Polynésie française avant le 1er janvier 2009.

M. le Ministre délégué – Je remercie tout d’abord le rapporteur, M. Blessig. Oui, ce texte consacre la dignité des personnes, réaffirme les droits et les devoirs des familles vis-à-vis des personnes dont les facultés mentales sont altérées. Vous avez eu raison de le souligner, il fallait renforcer le dispositif actuel en matière de contrôle : c’est l’un des objets de la réforme. Nous y reviendrons lors de l’examen des amendements. Il est important de prévoir une liste de personnes habilitées et dotées des qualifications nécessaires. Il est important également de fixer une clause de revoyure en 2010-2015 pour apprécier les charges des départements et procéder à des ajustements si nécessaire.

Monsieur Wauquiez, la concertation préalable avec les conseils généraux, que vous appeliez de vos vœux, a bien eu lieu. Elle a été approfondie et a permis de dégager un accord sur les données chiffrées. Vous avez raison, même si cette réforme permet de réserver les tutelles et les curatelles aux cas pour lesquelles elles ont été initialement prévues, le nombre grandissant de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer la rend urgente. Vous avez dénoncé le caractère inhumain du dispositif actuel : les familles seront désormais associées aux décisions, même lorsqu’elles n’auront pas à exercer elles-mêmes la tutelle.

M. Vidalies a souligné tout l’intérêt de la mesure d’accompagnement social tout en s’inquiétant du coût du dispositif pour les départements – inquiétude partagée par Mme Robin-Rodrigo. Or, la réforme représentera d’abord pour eux une économie. D’ici à 2009, l’ensemble des départements aura économisé 77 millions d’euros. En effet, alors que jusqu’à présent, la collectivité servant la prestation finançait le coût de la mesure de tutelle prise pour la gestion de cette prestation, celui-ci sera désormais pris en charge par l’État. Selon une estimation que nous avons faite avec l’association des départements de France, de 77 millions d’économies, nous passerons à 92 millions en 2012. Certes, ce ne sont que des prévisions soumises à aléas. C’est donc bien volontiers que nous acceptons, comme le demande la commission des lois, des dispositions qui permettront de vérifier que ces économies sont réelles. En contrepartie en effet, les départements assumeront la charge de l’accompagnement social et budgétaire de personnes jusque là prises en charge par l’État. Cet « échange » doit être neutre, et si les départements dépensaient plus qu’ils n’économisent, l’État s’engage à compenser la différence.

Je remercie M. Delnatte et M. le Fur d’avoir souligné la grande cohérence entre ce projet et la loi du 11 février 2005 sur l’égalité des droits des personnes handicapées. Dans les deux cas, l’objectif est que chacun puisse s’accomplir, dépasser ses limites et trouver sa place dans la société grâce à la solidarité de tous. Avec cette réforme, nous voulons que des personnes prisonnières de façon durable d’un système de protection judicaire retrouvent leurs droits de citoyen.

Monsieur Blisko, vous demandez que la protection soit la même, quelle que soit la taille du patrimoine et j’en suis pleinement d’accord. Vous insistez aussi, comme M. Guibal, sur l’importance d’une réversibilité des mesures de tutelle. En effet, nul ne doit être enfermé à vie dans un régime de tutelle après une période difficile, car cela n’aide pas à reprendre le dessus. Enfin, la réforme favorise également l’accompagnement des familles.

Madame Vernaudon, après M. Clément, je vous assure que nous souhaitons commencer rapidement le travail de transposition à la Polynésie et aux autres collectivités d’outre-mer. Une mission commune de l’IGAS et des ministères de la justice et de l’outre-mer est une bonne idée, et je suis d’accord pour vous apportez toute l’aide nécessaire afin d’adapter votre code de l’action sociale. Monsieur Huyghe, vous craigniez une possible législation discriminatoire. Vous avez vu qu’il n’en est rien, et pour reprendre votre heureuse formule, nous allons protéger, et non marginaliser. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.
Prochaine séance ce matin, mercredi 17 janvier, à 9 heures 30.
La séance est levée à 0 heure 35.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
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Préalablement,
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