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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

3ème séance du mardi 23 janvier 2007

Séance de 21 heures 30
52ème jour de séance, 120ème séance

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann
Vice-Président

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La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

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loi organique et dispositions relatives à l’outre-mer

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi organique et du projet de loi, adoptés par le Sénat, portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer.

M. le Président – La Conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.

En attendant que la commission ait achevé ses travaux, je suspends la séance.

La séance, immédiatement suspendue, est reprise à 21 heures 35.

M. François Baroin, ministre de l’outre-mer – Je commencerai par remercier le rapporteur Didier Quentin, qui a témoigné, comme à l’accoutumée, d’une grande maîtrise des enjeux ultramarins – c’est l’un des parlementaires de métropole qui œuvre le plus pour ces collectivités et je tiens à lui rendre à ce titre un hommage particulier – ainsi que le président Houillon, pour l’intérêt bienveillant qu’il a toujours manifesté à l’égard des textes souvent complexes et très techniques que nous lui soumettons, et pour lesquels sa capacité d’expertise nous a été précieuse.

Ces deux projets constituent une étape importante dans la modernisation statutaire des collectivités ultramarines.

M. René Dosière - Modernisation, modernisation…

M. le Ministre – Ils servent trois grands objectifs : mettre en œuvre les dispositions que vous avez inscrites dans la Constitution et qui définissent le nouveau cadre institutionnel et statutaire de l'outre-mer, conformément aux engagements pris par le chef de l'État : traduire en droit la volonté exprimée le 7 décembre 2003 par les populations de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, représentées ici par leurs élus, de créer deux nouvelles collectivités d'outre-mer, et enfin renforcer l'État de droit outre-mer, par une clarification des statuts en vigueur et l'amélioration de la démocratie locale.

M. Jean-Pierre Brard - Il y a de la marge !

M. le Ministre - Ces deux projets visent donc d'abord à permettre l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle de 2003, qui a apporté aux collectivités d’outre-mer deux garanties essentielles : celle de leur appartenance à la République, consacrée de manière solennelle par leur désignation nominative dans notre Constitution, et celle selon laquelle aucune évolution ne pourra se faire sans le consentement des électeurs concernés.

M. Jean-Pierre Brard - Encore faut-il qu’ils aillent voter !

M. le Ministre - Ces garanties étant posées, la loi fondamentale a notablement assoupli le cadre institutionnel et juridique de l'outre-mer, ménageant des marges de manœuvre et d'adaptation sans précédent. En effet, si le principe d'identité législative est réaffirmé avec force, il est prévu que les lois et règlements puissent faire l'objet « d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières » des collectivités. La Constitution dispose que les départements et régions d'outre-mer pourront être habilités par la loi à adapter localement les lois et règlements et à fixer des règles dans certaines matières, à l'exclusion des matières de souveraineté – ordre public, politique de défense, droit pénal, nationalité... L'habilitation préalable ne pourra intervenir qu'à la demande des assemblées locales et le Parlement demeurera en tout état de cause libre de sa décision.

Il était bien naturel de fixer des règles pour encadrer ces nouveaux pouvoirs, de nature quasi législative, donnés aux assemblées départementales et régionales. L’article premier du projet de loi organique y pourvoit.

La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 a par ailleurs érigé Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon en collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution. Il convient d'en tirer les conséquences, notamment, comme le prévoit cet article, en confiant au législateur organique le soin de déterminer les principales dispositions de leur statut. Il faut enfin tirer toutes les conséquences des consultations locales du 7 décembre 2003 en ce qui concerne Saint-Barthélemy et Saint-Martin, et donc les ériger en collectivités d’outre-mer.

La première préoccupation du Gouvernement a été de rendre le droit applicable plus lisible. Dans un souci de clarté, nous avons choisi de codifier les statuts des quatre collectivités concernées dans le code général des collectivités territoriales, afin de bien montrer que, quelles que soient leurs spécificités, elles font partie du grand ensemble de la République. Si deux lois ont été élaborées, une organique et une ordinaire, c’est afin de respecter la hiérarchie des normes consacrée par notre Constitution. Ces deux projets peuvent certes paraître complexes et volumineux – à ce dernier égard, ils battent le record de toute la législature ! – mais le travail de codification qu’ils effectuent permettra, par des ajustements du code général des collectivités territoriales, du code électoral et du code des juridictions financières, d’atteindre à une plus grande transparence…

M. Jean-Pierre Brard - Quel défi !

M. le Ministre - …et donc à une meilleure compréhension du fonctionnement juridique de l’outre-mer.

Dans un certain nombre de domaines, des habilitations à prendre des ordonnances sont nécessaires, d’où l'article final du projet de loi. Sont également rendues applicables des règles modernes et claires d'application et de publication locale des textes nationaux. L’harmonisation des règles de consultation des autorités territoriales sur les projets de textes législatifs et réglementaires évitera pour sa part de nombreux contentieux.

Parmi les très nombreuses dispositions que comportent ces deux projets, je voudrais en souligner quelques-unes. D’abord, l’évolution statutaire des deux îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy était attendue avec beaucoup d'impatience par les populations locales. Ce projet répond à leur attente, comme à l’engagement du Président de la République. Conformément aux documents d'orientation élaborés par les conseils municipaux concernés, deux collectivités d'outre-mer de l'article 74 de la Constitution se substitueront aux deux actuelles communes. La collectivité de Saint-Barthélemy exercera les compétences dévolues aux communes, départements et régions. Ses compétences normatives propres s'exerceront notamment en matière de fiscalité, d'urbanisme, d'environnement, de tourisme et d'accès au travail des étrangers. Elle sera dotée de l'autonomie définie par l'article 74 de la Constitution et pourra, à ce titre, saisir le Conseil constitutionnel lorsqu'une disposition législative ordinaire, postérieure à la loi organique, lui paraîtra menacer ses compétences propres. Pour l'essentiel, les lois et règlements continueront à s'y appliquer de plein droit, à l'exception des domaines relevant de la compétence normative de la collectivité.

M. Jean-Pierre Brard - Ah bon, ils s’appliquent, pour l’instant ?

M. le Ministre – Attendez la suite, Monsieur Brard, elle devrait vous combler.

Saint-Martin disposera également d’une compétence normative propre. Les lois et règlements s'y appliqueront de plein droit, dans les mêmes conditions qu'à Saint-Barthélemy. Les institutions de ces deux collectivités seront organisées autour d'un conseil territorial – nom choisi à l’unanimité par le Sénat, après un débat de grande qualité –, doté des attributions des conseils municipaux, généraux et régionaux, et dont le président sera l'exécutif de la collectivité. En portant au même niveau qu’en métropole les garanties accordées aux élus minoritaires et en fixant les conditions d'application des consultations et des référendums locaux, notamment du droit de pétition, c’est aussi la démocratie locale qu’on conforte. Les deux nouvelles collectivités seront consultées sur les projets ou propositions de loi, d'ordonnance ou de décret comportant des dispositions qui leur sont spécifiques.

M. Jean-Pierre Brard - On en finit enfin avec l’apartheid !

M. le Ministre - Le Sénat a souhaité que ces deux collectivités soient représentées à la Haute assemblée. Le Gouvernement, pour se conformer à la décision du Conseil constitutionnel sur la recevabilité financière des amendements, présentera une nouvelle fois l’article adopté à ce sujet par les sénateurs.

S'agissant de la création des sièges de députés, j'écouterai avec attention les propositions de chaque groupe politique et du rapporteur au cours de la discussion générale et vous indiquerai à son terme si le Gouvernement déposera un amendement en ce sens.

M. René Dosière - Quel suspense !

M. le Ministre – C’est une marque de respect pour la représentation nationale. Il est important que celle-ci, souveraine, puisse formuler librement ses propositions. Le Gouvernement l’accompagnera.

Je voudrais maintenant lever quelques malentendus au sujet de la fiscalité. L'autonomie qui sera accordée à Saint-Martin et Saint-Barthélemy sur ce point n'est pas exceptionnelle, contrairement à certaines idées reçues, parfaitement injustifiées et fort désagréables pour les élus locaux. Toutes les collectivités d'outre-mer ainsi que la Nouvelle-Calédonie disposent du droit de déterminer leur régime fiscal et douanier.

M. René Dosière - La Polynésie française en tout cas n’est pas un bon exemple !

M. le Ministre - Il était logique que les deux nouvelles collectivités de Saint-Martin et Saint-Barthélemy bénéficient de cette compétence. De surcroît, le projet de loi organique mettra un terme à une situation où une partie de la législation était inappliquée.

Leur autonomie fiscale ne fera pas pour autant de ces collectivités des paradis fiscaux ou des centres off shore. L’État conservera toutes ses compétences en matière de droit pénal et de procédure pénale, de droit monétaire et bancaire, de droit des sociétés et de droit des assurances. Tous nos engagements internationaux, notamment en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux, continueront de s’appliquer de plein droit, de même que la réglementation communautaire sur le sujet.

M. Jean-Pierre Brard - Avec des fonctionnaires qu’on jette à la mer !

M. le Ministre - Le risque d'évasion fiscale au détriment de la métropole est nul, puisque le droit fiscal de l'État continuera de s'appliquer aux personnes qui ne seront pas résidentes depuis au moins cinq ans.

Cette réforme statutaire s'accompagnera d'un renforcement de la présence de l'État et d'une déconcentration accrue des moyens alloués aux services publics sur les deux îles. Un préfet délégué sera prochainement nommé, chargé de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Pour Saint-Martin, le nouveau statut donnera à l’État l'occasion de mieux jouer son rôle, comme le souhaitent les élus locaux, notamment en matière de traitement de la délinquance et de l'immigration clandestine.

S'agissant de Mayotte, le projet de loi organique modifie le régime législatif de la collectivité, qui sera désormais fondé sur le principe d'identité législative à l’exception des domaines de la fiscalité, du droit du travail, de la protection sociale, de la propriété foncière, de l’urbanisme, de l’entrée et du séjour des étrangers, sujet sur lequel vous avez, cher Mansour Kamardine, pris des positions très courageuses et sur lequel le Gouvernement vous a accompagné, prenant dans le cadre de la loi relative à l’immigration, des mesures spécifiques, dont les résultats peuvent être qualifiés de spectaculaires, quelques mois seulement après leur application.

Je rappelle ici que toute évolution institutionnelle de l'île suppose que les électeurs, consultés sur décision du chef de l'État, donnent leur consentement préalable. Dans le contexte actuel, le présent projet reprend et complète le statut de Mayotte dans le cadre de l'article 74 de la Constitution. Il ne préjuge donc en rien une éventuelle évolution vers le régime de l'article 73. Loin de l’empêcher, il la faciliterait même en faisant évoluer le régime législatif de la spécialité vers l'identité. Il s'agit en effet de favoriser le rapprochement de Mayotte avec le droit commun, dans la logique de votre démarche, Monsieur Kamardine, ainsi que de celle d’autres élus de l'île, en faveur d'une évolution progressive vers le statut de département d'outre-mer, évolution à laquelle je suis, en ma qualité de ministre de l'outre-mer, favorable. Je salue, Monsieur Kamardine, votre engagement depuis toujours dans ce combat, que vous gagnerez !

Saint-Pierre-et-Miquelon, quant à elle, voit son statut, issu de la loi du 11 juin 1985, repris intégralement, les dispositions relatives à la démocratie locale, qui avaient peu évolué depuis lors, étant toutefois actualisées. Les compétences normatives propres de la collectivité sont également précisées, comme vous le souhaitiez, Monsieur Grignon.

Enfin, le statut des Terres australes et antarctiques françaises – les TAAF –, issu d’une loi de 1955, est lui aussi actualisé. Leur régime législatif et leur organisation administrative sont précisés, comme l'exige désormais l'article 72–3 de la Constitution. Les îles dites éparses de l'océan Indien – Tromelin, Bassas da India, Europa, Juan de Nova et les Glorieuses – sont rattachées pour leur administration aux TAAF, dans un souci de rationalisation.

Avec ces projets de loi, le Gouvernement, sur ce sujet comme sur tous ceux concernant l’outre-mer durant cette législature, tient son engagement de tirer toutes les conséquences de la révision constitutionnelle de 2003. Ces projets ont été largement améliorés par le Sénat. Je suis tout à fait ouvert aux propositions d’amélioration que pourrait à son tour formuler l'Assemblée.

En conclusion, je tiens à dire ma reconnaissance et celle de tout mon ministère à Didier Quentin, rapporteur, ainsi qu’à l’ensemble de la commission des lois. Et je puis d’ores et déjà annoncer que je serai favorable à la très grande majorité de leurs amendements. Je souhaite que la discussion permette d’aboutir à un accord aussi large que possible. Elle sera, je n’en doute pas, riche et dense, témoignant de l'attention particulière que porte l'Assemblée nationale aux aspirations et aux besoins spécifiques de nos compatriotes d'outre-mer. Je me réjouis par avance de nos échanges, qui illustreront, une fois de plus, l'attachement aux valeurs qui nous rassemblent en métropole et outre-mer, et qui ne sont autres que les valeurs républicaines (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Didier Quentin, rapporteur de la commission des lois - Le droit de l'outre-mer est un droit par nature complexe et évolutif, parce qu'il reflète largement la diversité des situations et des attentes de nos concitoyens ultramarins. Ces deux projets de loi, organique et ordinaire, en proposent une réforme d'ampleur. Ils concernent en effet les compétences normatives des départements et régions d'outre-mer, et définissent le statut de quatre collectivités d'outre-mer, tout en modernisant les règles de droit électoral qui s’y appliquent. Le Sénat les a adoptés à la quasi-unanimité le 31 octobre dernier, grâce à l'important travail de préparation et de concertation mené par le ministère de l'outre-mer depuis plusieurs années déjà.

Ces textes comprennent environ un millier d'articles codifiés, ce qui explique mécaniquement le grand nombre d'amendements rédactionnels, de précision, de coordination ou corrigeant des erreurs matérielles, que je vous proposerai d'adopter. Nous compléterons ainsi l'important travail déjà accompli par le Sénat, dont la commission des lois avait elle-même présenté 354 amendements, la plupart aussi de nature purement technique.

Ces projets de loi précisent tout d’abord comment les conseils généraux et régionaux d'outre-mer pourront mettre en œuvre les nouveaux pouvoirs normatifs que leur reconnaît l'article 73 de la Constitution depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003.

L'article premier du projet de loi organique définit ainsi les conditions dans lesquelles les conseils généraux et régionaux des DOM-ROM pourront désormais adapter les lois et règlements à leurs « caractéristiques et contraintes particulières », pour les seules matières relevant de leurs compétences ; fixer eux-mêmes des règles dans des matières relevant du domaine de la loi, sauf dans les matières relatives à la souveraineté ou aux libertés publiques. À cette fin, ils devront d'abord avoir demandé et obtenu une habilitation accordée par la loi, puis adopter à la majorité absolue de leurs membres les délibérations normatives. Le Sénat a encadré cette procédure en disposant que les conseils généraux ou régionaux devront indiquer dans leurs demandes « les caractéristiques et contraintes particulières » justifiant les adaptations envisagées ; qu’une plus grande publicité sera faite à ces demandes ; que la durée des habilitations législatives sera au plus de deux ans et que l’ensemble du contentieux sera confié au Conseil d'État, en premier et dernier ressort. Les amendements de votre commission visent à aligner certaines rédactions sur celle de l'article 73 de la Constitution, à compléter l'information du Parlement sur les dispositions normatives envisagées et à rappeler que celui-ci demeure libre d'accorder ou non l'habilitation demandée.

II nous est ensuite proposé de définir les statuts de quatre collectivités d'outre-mer : Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, mais aussi Saint-Barthélemy et Saint-Martin, ces deux dernières n’ayant actuellement que le statut de communes. Ces dispositions feront l'objet de quatre livres distincts au sein d'une nouvelle sixième partie du code général des collectivités territoriales.

Le statut de Mayotte, actuellement fixé par une loi du 11 juillet 2001, sera rénové pour tenir compte des impératifs constitutionnels. En effet, de nombreuses dispositions relèvent désormais de la loi organique et non de la loi ordinaire, en vertu de l'article 74 de la Constitution. Le régime d'application des lois et règlements à Mayotte ne sera pas bouleversé, mais pour tenir compte de la situation locale, notamment des insuffisances du cadastre, l'application du droit commun sera reportée de 2007 à 2009 en matière douanière, et de 2007 à 2013 au plus tard en matière fiscale. Par ailleurs, les dispositions du statut relatives au fonctionnement des institutions, au contrôle de légalité et à la démocratie locale, s’inspirent directement du droit commun départemental. Votre commission vous propose des amendements visant à un alignement encore plus complet sur ce droit commun. Toutefois, pour tenir compte des spécificités mahoraises, d’autres tendront à renforcer la transparence des activités financières de la collectivité départementale, à permettre au préfet d'y rétablir le fonctionnement normal des services publics en cas de blocage, et à autoriser la collectivité à promouvoir des programmes audiovisuels renforçant l'apprentissage du français.

Le conseil général de Mayotte exercerait les mêmes compétences que les conseils généraux et régionaux d'outre-mer, à l’exception de certaines politiques scolaires et sanitaires compte tenu des difficultés locales. Le Sénat a enfin étendu la faculté d'adaptation normative prévue pour les DOM-ROM, ce qui semble légitime.

Plus ancien, car datant de 1985, le statut de Saint-Pierre-et-Miquelon serait également modernisé. Sans modifier substantiellement le régime législatif de l'archipel, il s’agit, là encore, de calquer les règles budgétaires, financières et institutionnelles sur le droit commun départemental.

La collectivité bénéficierait toutefois de compétences plus étendues que les autres DOM-ROM en matière de fiscalité, d'urbanisme et d'exploitation de la zone économique exclusive, tandis que les communes de l'archipel seraient associées à l'exercice des compétences fiscales et d'urbanisme dans le texte adopté par le Sénat. La Haute assemblée a par ailleurs choisi d’aligner la dénomination de l'organe délibérant et de son exécutif, ainsi que les règles de composition de cette dernière instance, sur le droit applicable à Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

La commission des lois vous propose non seulement d’adopter des amendements similaires à ceux qui portent sur Mayotte, notamment en vue de parfaire l'alignement sur le droit commun départemental, mais aussi de renforcer les conditions d'information des conseillers généraux sur les décisions qui leur sont soumises.

J’en viens au statut des deux nouvelles collectivités, Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Aujourd’hui simples communes de la Guadeloupe, ces territoires demandent depuis longtemps à devenir des collectivités autonomes. Rien ne justifie en effet leur rattachement à la Guadeloupe : elles en sont séparées par 250 kilomètres, et connaissent des problèmes bien différents. Le passage au statut de collectivité d'outre-mer ayant été massivement approuvé par les habitants des deux îles lors du référendum organisé le 7 décembre 2003, l’adoption d’un statut propre ne serait que la dernière étape de cette évolution.

Ainsi, la loi organique instaure, dans chacune des deux îles, une collectivité unique se substituant à la commune, au département et à la région. Cette collectivité sera dotée d'un conseil territorial, d'un organe exécutif collégial appelé « conseil exécutif » et d'un président, responsable devant le conseil territorial. Sous ces réserves, le fonctionnement des institutions est calqué sur le modèle départemental.

Afin d’adapter leurs normes juridiques à leurs particularités, ces nouvelles collectivités bénéficieront de transferts de compétences relevant actuellement de l'État, notamment en matière de fiscalité, d'urbanisme, de logement, de tourisme, de voirie et de transports routiers.

L’assemblée délibérante de chacune des deux nouvelles collectivités, assemblée que le Sénat a souhaité appeler « conseil territorial » afin d’éviter toute confusion avec les conseils généraux, comptera 19 conseillers à Saint-Barthélemy et 23 à Saint-Martin, tous élus au scrutin de liste à deux tours au sein d'une circonscription électorale unique, avec une prime majoritaire du tiers des sièges accordée à la liste arrivée en tête. Ces conseillers seraient renouvelés intégralement tous les cinq ans.

Le Sénat a souhaité que l'assemblée délibérante de Saint-Pierre-et-Miquelon soit, elle aussi, appelée « conseil territorial », et a modifié les dispositions relatives à son élection – abaissement de la durée du mandat de six à cinq ans à compter du renouvellement de 2012, élection des conseillers au sein d'une circonscription unique, composée de deux sections, correspondant l’une à la commune de Saint-Pierre et l’autre à la commune de Miquelon-Langlade, et enfin prime majoritaire réduite, au tiers des sièges.

S’agissant de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, la Haute assemblée a par ailleurs modifié la condition d'admission au second tour : alors que seules les deux listes arrivées en tête au premier tour peuvent aujourd’hui se maintenir, s’appliquerait désormais un seuil de 10 % des suffrages exprimés. Le Sénat a également confié le contentieux de l'élection au Conseil d'État, statuant en premier et en dernier ressort, et créé deux nouveaux sièges de sénateur au bénéfice des deux nouvelles collectivités.

L’application stricte des règles de recevabilité financière empêche certes tout amendement parlementaire tendant à créer un siège de député de Saint-Barthélemy et un autre de Saint-Martin, mais une telle évolution me semble légitime, même en dehors d’une révision générale des circonscriptions législatives. Il s’agit en effet de tirer toutes les conséquences de la transformation de ces deux communes en collectivités d'outre-mer, chacune de celles-ci bénéficiant aujourd’hui d’au moins un député. Il existe donc un impératif d'intérêt général suffisant pour déroger au principe d’une représentation démographiquement équilibrée.

Outre un certain nombre d'amendements tendant à compléter les dispositions électorales, la commission des lois vous propose de rétablir une prime majoritaire de la moitié des sièges pour les élections au conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon. S’agissant des élections à l’assemblée de la Polynésie française, la commission vous demande de revenir au mode de scrutin antérieur à 2004, c'est-à-dire à un scrutin de liste à un seul tour, à la représentation proportionnelle et sans prime majoritaire, ce qui devrait faciliter le retour de la Polynésie vers la stabilité politique.

M. René Dosière - Tant que Gaston Flosse sera là, c’est impossible !

M. le Rapporteur – Afin de donner un nouveau souffle à la démocratie directe, 5 % des électeurs pourront saisir l’organe délibérant de la collectivité conformément au droit de pétition consacré par l’article 72-1 de la Constitution. À cela s’ajoute l’extension des règles de droit commun fixées par les lois du 1er août 2003 et du 13 août 2004 en matière de référendum local et de consultation des électeurs.

La version initiale du projet de loi harmonisait enfin le contrôle exercé par les juridictions financières, tout en créant une chambre territoriale des comptes distincte dans chacune des collectivités. Le Sénat a décidé d'étendre cette démarche aux juridictions administratives, en créant deux nouveaux tribunaux administratifs, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin, sans qu’il en résulte de charge excessive puisqu’il est prévu de recourir aux magistrats des départements d'outre-mer les plus proches et de recourir à des systèmes de visioconférence.

S’agissant des Terres australes et antarctiques françaises, mais aussi des îles éparses de l'océan Indien et de l'île de Clipperton, ces deux textes visent à moderniser les statuts applicables en supprimant des dispositions obsolètes.

Une place est également faite aux ordonnances, qui jouent traditionnellement un rôle important dans la fixation du droit outre-mer, le Gouvernement étant souvent habilité à tirer les conséquences mécaniques des réformes statutaires, mais aussi à moderniser le droit social applicable dans les collectivités et à faciliter la lutte contre l'immigration clandestine outre-mer. On ne peut que se féliciter que 27 ordonnances soient ainsi soumises à ratification parlementaire, puisque le Gouvernement n'en a pas l'obligation constitutionnelle.

Malgré leur apparence très technique, ces deux projets de loi consacrent de réels progrès pour l'outre-mer, car ils permettront d'y clarifier le droit applicable et d'y vivifier la démocratie locale. Tout en vous soumettant un certain nombre d'amendements, je vous proposerai donc, au nom de la commission des lois, d'adopter ces deux textes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

exception d’irrecevabilité

M. le Président – J’ai reçu de M. René Dosière une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. René Dosière – Permettez-moi de commencer par un avertissement…

M. Jean-Pierre Brard - Les meilleurs auteurs procèdent de la sorte !

M. René Dosière – Je défends cette motion à titre personnel, ces deux textes étant soutenus par mes collègues du parti socialiste, notamment ceux de la Guadeloupe. Au Sénat, seuls neuf socialistes n’ont pas pris part au vote : tous les autres ont voté pour, avec la majorité. Une seule voix s’est élevée contre ces textes, celle de Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ce que je dirai n’engage donc pas le parti socialiste, dont le porte-parole sera Victorin Lurel.

Aux termes de l’article 27 de notre Constitution, « tout mandat impératif est nul ». Avec Guy Carcassonne, il me semble que « les parlementaires sont les représentants de la nation, non les mandataires de leurs électeurs ou de qui que ce soit ». Fidèle à la Constitution, je le suis également à Charles Péguy, auteur cher à mon cœur et à celui de Michel Piron (Sourires).

Je respecte naturellement le point de vue de nos collègues de la Guadeloupe, que nous devons prendre en considération, car ils vivent au contact des réalités locales. Il reste que la vision locale ne coïncide pas nécessairement avec l’intérêt général et, à ce propos, je déplore que les débats relatifs à l’outre-mer soient généralement réservés aux députés ultramarins, la plupart des députés métropolitains s’en désintéressant.

M. Patrick Balkany – Levallois-Perret est représenté ! (Sourires)

M. René Dosière - Pourtant, la France ne serait pas ce qu’elle est sans l’outre-mer. La départementalisation a fait de ces territoires une partie intégrante de notre République. Des adaptations demeurent certes nécessaires, compte tenu des spécificités locales – nous devrions ainsi mieux assurer la continuité territoriale –, et il est bien que notre pays soit divers : que serait par exemple le sport français sans les sportifs de l’outre-mer, qui portent haut les couleurs de la France ?

M. Mansour Kamardine - Il n’y a pas que le sport !

M. René Dosière - Nous sommes fiers de leur réussite. Par ailleurs, la façon dont vivent ensemble, à la Réunion, des personnes d’origine et de religion diverses est un exemple pour la métropole. Mais la République n’est pas l’addition de particularismes : c’est un ensemble de valeurs et de principes appliqués sur tout le territoire. Et c’est sur ce point que se fondent mes désaccords avec le texte.

Je m’attacherai uniquement au cas de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.

Saint Barthélemy, c’est 24 km², soit la superficie des XVIe, VIIIe et VIIe arrondissements de Paris…

M. Jean-Pierre Brard - C’est aussi riche.

M. René Dosière - Ce sont en effet de bonnes références. L’île compte 7 000 habitants, 2 200 entreprises, une trentaine d’hôtels dont une dizaine de quatre étoiles de grand luxe. Nous avons peu d’éléments sur le revenu des habitants, mais les millionnaires en euros semblent plus nombreux que les érémistes. Il est difficile de faire des statistiques puisque cette commune française est un paradis fiscal : on n’y paye ni l’impôt sur le revenu, ni l’impôt sur les sociétés, ni la TVA immobilière. Il paraîtrait en effet que le traité franco-suédois de rétrocession de 1877 aurait exonéré les habitants d’un impôt qui n’a été créé que… 50 ans plus tard.

Le dénuement de l’île, pendant près d’un siècle, explique l’absence de fiscalité. Tout change en 1957. Deux universitaires, l’un de Chicago, l’autre de Sciences Po, nous racontent cette histoire dans Le Monde diplomatique de janvier 2006. En 1957 donc, David Rockefeller débarque sur l’île et achète une propriété, entraînant à sa suite ses voisins de Park Avenue. Rapidement, le prix très élevé d’une résidence sur l’île et un accès réservé à de petits avions permettent de capter la clientèle haut de gamme soucieuse de confidentialité. L’île n’accueillait en 1963 que 310 touristes. Leur nombre passa à 47 000 en 1980 et 282 000 en 2003 – massification toute relative, car Saint-Barthélemy est un des hauts lieux de villégiature de la grande bourgeoisie de la côte est des États-Unis, rejointe par ses amis européens et par les tycoons de la nouvelle économie mondiale. Au réveillon du jour de l’an 2005, la petite anse de Gustavia accueillait les première, cinquième, douzième et vingt-cinquième fortunes mondiales. S’y sont joints quelques magnats du divertissement et une pléiade de stars du box office et de la mode.

M. Jean-Pierre Brard - Et en 2006, Thierry Breton !

M. René Dosière – À Saint-Barthélemy, les dominants du système sont entre eux. Point de protection, de vigiles, de sélection à l’entrée des boîtes de nuit : y être, c’est déjà en être. Les professionnels sont venus nombreux en profiter, et les « Saint-Barth » contrôlent la vie politique locale et le foncier, le bâtiment, l’approvisionnement en eau potable, le port et l’aéroport, la location et l’entretien des villas de luxe. De nombreuses familles locales sont, elles aussi, multimillionnaires en euros.

Cette évolution de l’île rend indécentes les exonérations fiscales dont elle bénéficie de fait, et non en droit. La gauche, et surtout Pierre Bérégovoy, ont essayé de faire lever l’impôt. Dans l’avis du 4 février 1988 et de nombreuses décisions contentieuses, le Conseil d’État a dit que rien ne justifiait l’exemption fiscale à Saint-Barthélemy. Cependant il y a un problème : la trésorerie ne compte qu’un agent à mi-temps, l’annexe de la sous-préfecture trois agents de catégorie C – sans doute le gardien, le jardinier et un employé de bureau – et le poste de sous-préfet de Saint Martin est souvent vacant.

La droite, elle, s’est efforcée d’organiser l’autonomie fiscale pour transformer une situation de fait en situation de droit. Divers projets circulèrent appuyés par des élus de l’île et de Guadeloupe. En 1996, à l’initiative de Mme Michaux-Chevry, une référence pour l’outre-mer,…

M. Jean-Pierre Brard - Sulfureuse !

M. René Dosière - …une proposition fut votée, grâce au président de la commission des lois Pierre Mazeaud, sous forme d’amendement à un texte sur la fonction publique à Mayotte. Je vous invite à lire ce morceau d’anthologie dans le compte rendu de la deuxième séance du 4 décembre 1996 ! La dissolution précipita ce texte aux oubliettes. Lionel Jospin, rigoriste comme il l’est, ne reprit pas ce texte qu’il considérait comme anticonstitutionnel en vertu des principes d’universalité des contributions fiscales et d’égalité des citoyens devant l’impôt.

Puis, à l’initiative du député de la quatrième circonscription de la Guadeloupe de l’époque, la campagne pour la séparation des deux îles se poursuivit, et Nicolas Baverez, cet ultralibéral, rédigea un plaidoyer pro domo pour la commune de Saint-Barthélemy. Ces idées furent reprises lors de la révision constitutionnelle, appuyées d’ailleurs par d’autres élus que ceux de droite. Elles débouchent sur ce projet. Vous le justifiez, Monsieur le ministre, par le respect de la parole donnée. La parole de la France est engagée quand elle a signé un accord et que le Parlement l’a approuvé, et vous avez eu raison de le rappeler à votre majorité s’agissant de la définition du corps électoral en Nouvelle-Calédonie. Mais il s’agit ici d’une orientation politique, qui consiste à accorder à des communes françaises un statut d’autonomie dont le détail n’est connu qu’aujourd’hui – car les populations locales se sont prononcées sur des orientations !

Un changement est certes nécessaire dans les relations avec la Guadeloupe. Mais votre solution est de calquer le statut de la Polynésie, qui n’est pas un exemple. Pourquoi vouloir « flosséiser » l’outre-mer ? D’autres formules pouvaient être imaginées. C’est pour échapper à la confidentialité des débats sur l’outre-mer que j’ai voulu défendre cette motion.

Le changement de statut pérennise la situation qui permet aux habitants de Saint-Barthélemy d’échapper à l’impôt. Transférer le pouvoir fiscal à la nouvelle collectivité, c’est permettre d’aligner le droit sur la situation de fait. Selon le rapporteur, le texte est un progrès grâce à une convention fiscale, à l’application de laquelle le Gouvernement français veillera – ou non. Bref, quand il s’agit d’une commune de droit commun, l’État est incapable de faire respecter le droit, puisque personne ne paye l’impôt. Et quand ce sera une collectivité autonome, il le pourra ! J’ai du mal à y croire, surtout quand on voit comment, en Polynésie, l’État est marginalisé.

Si les habitants sont riches, la collectivité l’est également, malgré l’absence de fiscalité locale directe. Elle dispose de ressources importantes liées à l’économie touristique. Le nouveau statut lui fera perdre quelques recettes minimes en provenance de la région et du département, mais elle en trouvera d’autres, plus productives. Et l’État continuera à lui accorder une dotation de fonctionnement et une dotation d’équipement. Une des collectivités les plus riches de la République recevra de l’argent au titre de la solidarité nationale ! Cette redistribution à l’envers est choquante. Comment la plus riche commune d’une Guadeloupe ravagée par le chômage et la pauvreté peut-elle être exemptée de tout effort de redistribution ? Le socialiste que je suis, même si je parle à titre personnel, ne saurait soutenir ce statut de paradis fiscal. Considérer que c’est la façon la plus efficace de maintenir la compétitivité de l’île sur le marché de la plaisance et de la villégiature de luxe revient à exonérer le châtelain sous prétexte qu’il fournit du travail à ses employés.

M. Jean-Pierre Brard - Ça arrive.

M. René Dosière – J’en viens au cas, différent, de Saint-Martin. Une partie de l’île est sous souveraineté hollandaise, l’autre sous souveraineté française. Entre les deux, la circulation est libre, mais les flux ont un sens. Dans la partie française, dont la population est de 30 000 à 35 000 habitants et augmente régulièrement, un tiers provient de Haïti et de Saint-Domingue.

La Hollande n’exigeant pas de visa, ces immigrés débarquent dans la partie hollandaise puis gagnent la partie française, notamment pour se faire soigner – car dans la partie hollandaise, les soins sont payants. Bref, la coexistence de deux législations sur un même territoire est source d’incohérence. La situation économique et sociale de Saint-Martin est d’ailleurs difficile : selon un rapport du Sénat de mai 2005, la « situation préoccupante en matière de délinquance et de drogue » nuit au développement touristique. Le nombre de chambres d’hôtel est passé de 3 170 en 1996 à 2 571 en 2003 ; les 44 hôtels – dont 15 quatre étoiles – ont un faible taux d’occupation. Nos collègues sénateurs relèvent également un taux de délinquance très supérieur à la moyenne nationale et une forte présence de la criminalité organisée. Ils observent que la situation géographique de Saint-Martin en fait un lieu propice aux trafics, notamment de stupéfiants, qui s’accompagne d’activités de blanchiment de capitaux. L’absence de contrôles systématiques aux ports et aéroports facilite en outre le stockage de marchandises en transit, tandis que l’enchevêtrement des eaux territoriales et la partition de l’île favorisent les mouvements des narco-trafiquants. Les saisies de stupéfiants à Saint-Martin et à l’arrivée à Roissy des vols provenant de Juliana se sont ainsi élevées à 162,5 kilos en 2003. Les gardes-côtes disposent certes d’équipements nautiques performants – vedette et intercepteur rapide – mais ils ne peuvent en assurer le fonctionnement, faute de budget. Le commandant de la gendarmerie locale a indiqué aux membres de la mission que les ressortissants des îles environnantes – Haïti, République dominicaine, île de la Dominique, Jamaïque – séjournaient brièvement à Saint-Martin pour commettre des délits. Grâce à l’absence de frontière et au défaut de coopération policière, les grands délinquants peuvent se réfugier dans la partie néerlandaise. Il apparaît donc nécessaire de conclure un accord de coopération bilatérale en matière de police, les procédures rendant difficile une intervention rapide. Le travail de renseignement requiert également un développement des échanges avec la partie néerlandaise.

Ce dont l’île a besoin, c’est donc d’une véritable présence de l’État. Or vous nous proposez l’autonomie, c’est-à-dire la disparition de l’État ! Cette réponse est si peu adaptée que le texte prévoit que cette autonomie ne sera effective qu’en 2012. Rappelons que le budget de la collectivité est depuis 1997 sous la tutelle de la chambre régionale des comptes. Celle-ci note que, « s’agissant du personnel, le critère du recrutement sur la base des origines saint-martinoises des candidats est trop privilégié par la commune de Saint-Martin au détriment de celui de la formation initiale ou des compétences, ce qui n’est pas sans influence sur les dysfonctionnements des services communaux qui ont été relevés par la chambre ». De même, « les responsables du centre de gestion de la fonction publique territoriale de la Guadeloupe ont affirmé être dans l’incapacité de reconstituer la carrière des agents municipaux de Saint-Martin. Les rares arrêtés qui leur ont été fournis sont entachés d’illégalité ». Enfin, « la chambre rappelle à la commune que tous les agents qu’elle emploie, en particulier les cadres, doivent se consacrer uniquement à leur activité administrative, et n’ont le droit d’avoir aucune activité salariée, commerciale et libérale, ou même bénévole, pendant leur temps de service. » On comprend qu’il faille attendre pour transférer des compétences ! Une mauvaise gestion de l’eau potable, un recouvrement incomplet des impôts directs et une sous-évaluation des recettes foncières sont également à déplorer. L’État porte une grande responsabilité : tout comme la Guadeloupe, il s’est désintéressé de cette commune.

Il y a donc un risque à accorder l’autonomie à des entités aussi petites que Saint-Barthélemy et Saint-Martin, dont le personnel qualifié est notoirement insuffisant. C’est déjà difficile en Polynésie, où les fonctionnaires métropolitains sont nombreux et les cadres locaux compétents.

Les contrôles administratifs et financiers prévus sont flous. Si le texte autorise la réquisition du comptable par l’ordonnateur, il ne rend pas applicable à ces nouvelles collectivités le livre III du code des juridictions financières sur la Cour de discipline budgétaire et financière. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que surgissent corruption, clientélisme et financements occultes.

J’en viens à la représentation parlementaire et au statut des élus locaux de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin. Le Sénat a créé deux nouveaux sièges de sénateur, disposition qui est à mon sens susceptible d’être annulée par le Conseil constitutionnel. C’est d’ailleurs aussi votre sentiment, Monsieur le ministre, puisque vous allez vous-même déposer un amendement créant ces deux postes.

M. le Ministre – Absolument.

M. René Dosière – Selon le rapporteur de la commission des lois du Sénat, « l’article 24 de la Constitution pose explicitement le rôle spécifique de représentation des collectivités territoriales dévolu au Sénat, et implique donc la création de sièges de sénateurs élus à Saint-Martin et Saint-Barthélemy. » Dans sa décision du 9 mai 1991, le Conseil constitutionnel avait cependant rappelé que, « si l’article 24 impose que les différentes collectivités territoriales soient représentées au Sénat, il n’exige pas que chaque catégorie de collectivité dispose d’une représentation propre ». En outre, l’amendement du Sénat a une incidence financière. Or, dans une décision du 14 décembre 2006, le Conseil a estimé que des amendements qui avaient pour conséquence l’aggravation d’une charge publique « auraient dû être déclarés irrecevables dès leur dépôt, et que si la question de la recevabilité financière des amendements d’origine parlementaire doit avoir été soulevée devant la première chambre qui en a été saisie pour que le Conseil constitutionnel puisse en examiner la conformité à l’article 40, cette condition est subordonnée pour chaque assemblée à la mise en œuvre d’un contrôle de recevabilité effectif et systématique au moment du dépôt de tels amendements. Or une telle procédure n’a pas encore été instaurée au Sénat. » Cela fait pourtant plusieurs années que le Conseil constitutionnel le réclame ! Mais dans le cas présent, vous allez tirer le Sénat de ce mauvais pas.

Ce qui me gêne davantage, c’est que le corps électoral sera limité à 20 électeurs à Saint-Barthélemy et à 24 à Saint-Martin : 11 voix suffiront donc pour élire un sénateur à Saint-Barthélemy, 13 à Saint-Martin. Compte tenu de ces chiffres, de l’éloignement de la métropole et des conditions de vie dans ces îles, la seule question qui se pose est celle du prix d’une voix. C’est un vrai retour en arrière.

La création d’un poste de député pour chaque collectivité est réclamée par tous les élus. L’article 40 étant appliqué scrupuleusement à l’Assemblée, c’est le Gouvernement qui présentera un amendement, qui sera voté à l’unanimité moins une voix – la mienne. On peut d’ailleurs s’interroger sur la position qui sera celle du Conseil constitutionnel, celui-ci ayant soulevé à plusieurs reprises le problème des inégalités démographiques liées à la date du découpage. Celui-ci remonte à 1982.

M. Jérôme Bignon - Cela n’a rien à voir !

M. René Dosière – Le Conseil s’est déjà inquiété de l’absence de découpage en juin 2002, puis en juillet 2005. En attendant, l’Assemblée va aggraver encore les inégalités démographiques en créant ces deux postes de député. Selon le rapporteur, « la question qui se pose est donc de savoir si la création d’un ou de plusieurs nouveaux sièges de député pour les nouvelles collectivités d’outre mer de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin soulève une difficulté au regard du principe d’équilibre démographique. En effet, en raison du faible nombre d’habitants de ces deux îles, les sièges ainsi créés correspondront à la représentation d’une fraction marginale de la population nationale. En outre, la création de nouvelles circonscriptions législatives pour ces deux îles s’imputerait sur la quatrième circonscription de la Guadeloupe, qui compterait ainsi un nombre d’habitants nettement inférieur à celui des autres circonscriptions de la Guadeloupe. La quatrième circonscription ne compterait en effet qu’un peu plus de 63 000 habitants, contre plus de 105 000 pour la population moyenne par circonscription en Guadeloupe. Or la loi de 1986 habilitant le Gouvernement à établir par voie d’ordonnance les circonscriptions législatives avait fixé comme condition que la population d’une circonscription ne s’écarte pas de plus de 20 % de la population moyenne des circonscriptions du département.

Enfin, si le texte améliore le sort des élus locaux, il fera certainement des jaloux. Avec le remplacement des communes par les conseils territoriaux, la rémunération des conseillers municipaux va faire un bond. La discrétion dont font preuve à cet égard nos rapporteurs parlementaires m’oblige à préciser quelques chiffres. Aujourd’hui, l’indemnité mensuelle du maire de Saint-Barthélemy est de 2 031 euros et celle de chacun de ses huit adjoints de 1 117 euros. Demain, le président de la nouvelle collectivité gagnera 7 496 euros, chacun des quatre vice-présidents 7 238 euros, les deux autres membres du conseil exécutif 5 687 euros chacun et les douze conseillers 5 170 euros.

M. Jean-Pierre Brard - C’est normal, il y a des frais de réception !

M. René Dosière - Le coût total pour la collectivité passera donc de 10 967 à 109 862 euros, soit le décuple ! On atteint des chiffres élyséens !

M. Éric Raoult - Et Mazarine ?

M. René Dosière - Quant aux frais de Saint-Martin, pourtant en difficulté, ils passeront de 23 420 à 139 915 euros. Rappelons que l’indemnité mensuelle d’un député s’élève à 6 800 euros : c’est moins que celle des présidents de ces collectivités !

Mme Gabrielle Louis-Carabin - C’est de la jalousie !

M. Jean-Pierre Brard - Non, c’est de la transparence ! Vous aimiez pourtant le mot glasnost !

M. Éric Raoult - Demain, glasnost à Montreuil !

M. René Dosière – Chaque année, nous remboursons 40 milliards à nos prêteurs, dont beaucoup sont américains. Aucune étude d’impact n’existe pour nous permettre d’évaluer dans quelle mesure ce texte aggravera encore la situation déjà critique de nos finances publiques. À l’approche de la rentrée scolaire et alors que les crédits et les personnels des collèges sont en baisse, le Gouvernement n’hésite pas à engager de nouvelles dépenses dont il ignore ou dissimule le montant.

Contrairement à votre prédécesseur, vous avez su, Monsieur le ministre, parler à l’outre-mer avec votre cœur. Je regrette que vous attachiez votre nom à cette entreprise de « flosséisation » (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

M. Éric Raoult - Et la « dosiérisation » ?

M. René Dosière - J’ai trop combattu ce système en Polynésie…

M. Éric Raoult - Et pour quel résultat, Monsieur le pote à Temaru ?

M. René Dosière - …pour en favoriser l’émergence dans les Caraïbes par ce texte !

M. Jean-Pierre Brard - Le passionnant exposé de M. Dosière a mis en évidence le fait que les élus de la métropole ne participent pas assez à la réflexion nationale sur l’outre-mer.

M. Éric Raoult - Quel aveu !

M. Jean-Pierre Brard - À vrai dire, je pensais surtout aux rangs clairsemés de l’UMP. Songez que M. Vaxès et moi-même représentons 10 % de notre groupe : où sont vos troupes, M. Raoult ? (Sourires) C’est d’autant plus grave qu’il se dit bien des sottises sur l’outre-mer. Songeons à l’irréaliste amendement sénatorial de M. Arthuis visant à indexer les rémunérations et les retraites, ou à certain rapport aussi arrogant qu’erroné.

Quant aux quatre collectivités en cause, on entend y faire régner le droit alors que la loi commune ne s’y applique pas encore. Saint-Barthélemy, par exemple, est une île très riche mais échappe à la contribution aux finances publiques, en dépit de la Déclaration des droits de l’homme de 1789.

Nous sommes par principe favorables à l’autodétermination des populations, à condition qu’elle se fasse dans la transparence et le respect des valeurs universelles. Or, il règne à Saint-Barthélemy un apartheid de fait, même s’il n’est pas aussi violent que celui de l’Afrique du sud d’autrefois. Disons la vérité : les édiles de l’île veillent à maintenir la pureté ethnique de la population ! Les non-Blancs sont cantonnés au service des privilégiés. En d’autres temps, on aurait appelé les autres des Aryens !

M. Jérôme Bignon et M. Éric Raoult – Scandale ! Provocation !

M. Jean-Pierre Brard - Il ne sera pas dit que le silence recouvrira cet état de fait !

M. Patrick Balkany - C’est incroyable !

M. Jean-Pierre Brard - S’il en est un dont je n’ai aucune leçon à recevoir, c’est bien vous, Monsieur Balkany !

M. Patrick Balkany - Et ce n’est pas à vous de m’en donner ! Voici trop longtemps que ma famille souffre les communistes !

M. Jean-Pierre Brard - Au moins, je peux regarder mon passé sans craindre la malhonnêteté !

M. Mansour Kamardine - C’est nul !

M. Jean-Pierre Brard - M. Dosière l’a dit : la loi ne s’applique pas dans ces territoires, et la violence a même été utilisée contre des fonctionnaires de la République qui venaient s’intéresser à la fiscalité locale, et qui ont dû rebrousser chemin, bredouilles et sans défense !

M. Jérôme Bignon - Cela n’arrive-t-il jamais en Seine-Saint-Denis ?

M. Éric Raoult – Cuba nous donne des leçons !

M. Patrick Balkany - Une leçon de démocratie par un communiste : on aura tout vu !

M. Jean-Pierre Brard - J’étais il y a un mois à Saint-Martin. Le représentant du Trésor m’y a raconté une anecdote significative : ayant envoyé 16 000 avertissements fiscaux sous enveloppe officielle, tous revenus avec la mention « n’habite pas à l’adresse indiquée »…

M. Éric Raoult - Comme les électeurs de Montreuil !

M. Jean-Pierre Brard - …il les renvoya sous pli ordinaire : tous parvinrent !

M. Éric Raoult - Il attaque les postiers !

M. le Président – Veuillez conclure, Monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard – Je ne serai pas bâillonné !

M. le Président – Votre temps de parole est épuisé.

M. Jean-Pierre Brard – Nous gagnerons du temps si je n’ai pas à intervenir plus tard. J’en viens à la convention fiscale qui lie la France aux Pays-bas. Lorsque l’administration française souhaite contrôler une filiale d’entreprise française implantée sur le territoire néerlandais, les autorités de ce pays demandent d’abord au patron de la filiale en question s’il veut bien s’y soumettre ! Ce n’est pas sérieux.

Je voterai donc la motion de M. Dosière : les parlementaires doivent réagir lorsque l’éthique est menacée !

M. Victorin Lurel – J’ai écouté M. Dosière avec attention : il a eu le courage de s’exprimer en son propre nom. Au nom du groupe socialiste, j’aurais pu m’en tenir à rejeter sa motion, mais celle-ci appelle plusieurs réflexions.

L’Europe a plusieurs paradis fiscaux, de Man à Jersey ou Monaco. Saint-Martin et Saint-Barthélemy, quant à elles, se trouvent dans une région où prospèrent pas moins de dix-huit paradis fiscaux. Or, leur économie – que les gouvernements successifs n’ont rien fait pour diversifier – repose exclusivement sur le tourisme, et elle est précisément en concurrence avec ces destinations.

Je trouve, d’autre part, la logique qui préside à cette exception d’irrecevabilité d’une rigueur un peu cadavérique, car elle exprime le refus de la diversité. Je rappelle que le parti socialiste a soutenu l’évolution institutionnelle de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, conforme au principe d’autodétermination qu’a toujours défendu la gauche. Les sénateurs socialistes et les sénateurs communistes ont voté ce texte à l’unanimité.

La discrimination consiste aussi à traiter de manière identique des situations différentes : si l’on suivait notre collègue Dosière, il faudrait appliquer la fiscalité de l’Île-de-France à la Guadeloupe, région la plus pauvre d’Europe ; il faut donc un « différentialisme » fiscal, et ce n’est pas déroger aux principes républicains que de demander, pour un temps raisonnable, des régimes adaptés, répondant aux attentes et aux besoins des populations. Voilà pourquoi, au nom du groupe socialiste, je ne peux m’associer à cette motion.

Plusieurs députés UMP - Très bien !

M. Éric Raoult - Qu’en pense Ségolène Royal ?

M. Jérôme Bignon – Nous connaissons tous l’attachement sincère de René Dosière à l’outre-mer ; gardons-nous donc de lui intenter un quelconque procès d’intention. Mais il s’agit d’appliquer une réforme de la Constitution que nous avons souhaitée et de répondre à l’attente des populations. Je ne voudrais pas que la conviction de M. Dosière entraîne des dérives, et je suis persuadé, d’ailleurs, que les propos de M. Brard ont excédé sa pensée…

M. Jean-Pierre Brard - Ai-je dit une seule chose qui ne soit pas exacte ?

M. Jérôme Bignon - …, dans une vision réductrice et méprisante de ces territoires. Il faut revenir au sujet, qui est l’avenir de l’outre-mer et l’application de la Constitution. Tout autre débat est polémique et sans intérêt.

Plusieurs députés UMP - Très bien !

L'exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

discussion générale

M. Victorin Lurel – J’avoue qu’après avoir entendu la motion de notre collègue, je n’ai plus envie de lire ce que j’avais écrit.

Trois ans après la révision constitutionnelle, ces projets visent à permettre l'entrée en vigueur de l'article 73-3 de la Constitution, à moderniser les statuts de Mayotte et de Saint-Pierre et Miquelon et à consacrer l'évolution statutaire de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Respectueux de la volonté populaire exprimée outre-mer et satisfait des clarifications proposées par ces statuts, améliorés par le Sénat, le groupe socialiste votera ces textes.

Je tiens à féliciter Christian Cointat, rapporteur au Sénat, pour le travail de qualité qu’il a mené, associant toutes les sensibilités. Notre rapporteur Didier Quentin, a travaillé dans le même esprit. Vous-même, Monsieur le ministre, en accompagnant le travail parlementaire, vous ne vous êtes pas départi d’une attitude extrêmement ouverte.

Trois critiques cependant. Tout d’abord, ces textes sont bien tardifs : nous avons attendu trois ans !

Ensuite, ils sont insuffisants. D’une part, malgré la réécriture par le Sénat de l'article premier de la loi organique, je suis malheureusement certain, comme Claude Lise l'a démontré au Sénat, que loin de concrétiser la demande des élus d'outre-mer d'un pouvoir d'initiative législative dans des domaines techniques, l'article 73-3 ainsi qu'un certain nombre de dispositions du titre XII de la Constitution devront, demain, être réécrits, si nous voulons qu'une partie du pouvoir normatif soit réellement transférée aux collectivités. D’autre part, malgré les améliorations apportées par le Sénat, des insuffisances demeurent en matière d'aide au développement des îles du Nord, de prise en compte des particularités culturelles et linguistiques de Saint-Martin, ainsi que d'accompagnement financier de cette collectivité.

Enfin, l'extension du bénéfice de la dotation de continuité territoriale aux personnes qui doivent se rendre outre-mer pour un événement familial grave devrait s’accompagner d’une augmentation de cette dotation, faute de quoi l’on grèvera un peu plus les finances des collectivités régionales ou l’on en restera aux effets d'annonce. Le débat démocratique qui va s'engager dans notre pays sera l'occasion de reprendre le sujet de la continuité territoriale, qui ne peut être réglé par un subventionnement public déguisé aux compagnies aériennes.

Ces critiques faites, je souhaiterais, en tant que représentant de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, exprimer ma satisfaction. J'appelle depuis longtemps de mes vœux une évolution statutaire des îles du Nord, et j'adresse mes félicitations aux élus de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, dont certains sont aujourd'hui dans les tribunes, pour le consensus qu’ils ont su trouver sur le document d'orientation approuvé à une écrasante majorité le 7 décembre 2003 et présenté au Gouvernement.

Un nouveau statut est en effet nécessaire. Prenant acte du choix des électeurs de Saint-Barthélemy – pour 95,1 % d’entre eux – et de Saint-Martin – pour 76,17 % – en faveur de l'accession au statut de collectivité d'outre-mer, ces projets se justifient au regard de la géographie et de l'organisation administrative. Les îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin ont suivi un destin différent du reste de l'archipel guadeloupéen, auquel elles n'ont été rattachées que par commodité. Elles évoluent dans un environnement international, économique, social et culturel très différent du « continent » – comme on dit chez nous –, et possèdent une histoire singulière, qui explique la volonté de leurs élus d'adopter le régime de l'autonomie de l'article 74.

Que faire, quand vous êtes face à un aéroport et à un port internationaux ? J’ai été invité par la reine Béatrice à inaugurer le gigantesque aéroport de Juliana ; ces réalisations – et c’est ce que nous n’avons pas compris en France, parce que nous sommes rigides et que nous refusons la diversité – sont dues au bénéfice de l’autonomie et de la liberté.

M. Jean-Pierre Brard - Et de la corruption !

M. Victorin Lurel - Non, Monsieur Brard. En tout, vingt-deux casinos sont situés dans la partie hollandaise de l’île, aucun dans la partie française : il n’y a pas de blanchiment d’argent sale à Saint-Martin ! Aujourd’hui, la législation française n’est pas suffisamment appliquée, parce que l’État a été trop absent, et ce n’est pas seulement parce que la droite est au pouvoir : nous sommes tous responsables. Il convient d’en tirer les conclusions et de permettre à Saint-Martin d’évoluer, en tenant compte de l’environnement international.

M. Éric Raoult - Très bien !

M. Victorin Lurel - Nous payons l’eau à un prix exorbitant, parce que l’État n’a rien fait. Et les touristes ne vont pas dans la partie française, mais dans la partie hollandaise, parce que nous sommes, côté français, des vertueux et des puristes.

M. Jean-Pierre Brard - Vertueux, à Saint-Martin ? Ça se saurait !

M. Victorin Lurel - Nous avons un problème. Sans tolérer les magouilles, nous devons libérer les initiatives, dans le respect de la législation ; c’est ce qui sera réalisé grâce à une convention fiscale.

Nous avons été colonisés, et aujourd’hui on refuse de tenir compte de la diversité. Je ne vais pas appliquer la réglementation de l’Île-de-France à huit mille kilomètres de distance ! Si on n’a pas compris ça, si on reste « gallo-centré » et jacobin, on ne développera pas ces îles.

M. Jean-Pierre Brard - La morale est universelle !

M. Victorin Lurel - C’est pourquoi je félicite mes adversaires politiques s’ils réalisent un travail nécessaire.

Saint-Martin et Saint-Barthélemy sont plus proches de Porto Rico et des États-Unis que de la Guadeloupe. C’est parce que les élus de Saint-Barthélemy veulent pérenniser les choses, dans la transparence, qu’ils proposent une convention fiscale qui sera agréée par l’État, afin que Bercy joue son rôle. Il n’y a pas assez de fonctionnaires d’État dans nos régions aujourd’hui.

M. Jean-Pierre Brard - Et l’apartheid, qu’en pensez-vous ?

M. Victorin Lurel - Saint-Martin nourrit les mêmes réflexions quant à son statut, renforcées par le sentiment d'un certain échec collectif : de l’État certes, peu présent et inefficace, et de la Guadeloupe, perçue comme éloignée et différente – voire indifférente ; un échec dû surtout à la relation asymétrique entre les parties française et hollandaise – deux pays européens qui, depuis 1957, n’arrivent pas à s’entendre pour gérer 90 kilomètres carrés ! Depuis 1957, on laisse la partie hollandaise tailler des croupières à la partie française sans rien faire. Nous pouvons nous réjouir de notre législation généreuse : on se fait soigner ou scolariser gratuitement à Saint-Martin… mais lorsqu’il s’agit de domicilier des entreprises, c’est dans la partie hollandaise ! Alors, que faire ? Tenir compte des réalités ! C’est ce que fait le texte, et même s’il n’est pas exempt de critiques, je le voterai sans avoir l’impression de créer un paradis fiscal ou de participer à une entreprise honteuse.

M. Jean-Pierre Brard - Les impressions sont parfois trompeuses !

M. Victorin Lurel – L’indispensable coopération avec la partie néerlandaise suppose que la partie française de l'île soit dotée dès maintenant du plus haut degré d'autonomie. Comment voulez-vous soutenir la compétition, entre Anguilla ou Saint-Eustache et les îles vierges américaines, lorsque pour passer le moindre petit contrat, il faut en référer au sous-préfet, au préfet et aux ministres des affaires étrangères et de l’outre-mer ? Il faut de la liberté ! Un aggiornamento est indispensable, et j’espère que j’y contribuerai. Si Saint-Barthélemy ne subit pas les mêmes contraintes et soutient un modèle de développement autonome tourné vers les États-Unis, le pragmatisme commande que les deux collectivités bénéficient pratiquement des mêmes compétences, comme le soulignait un rapport de l'inspection générale de l'administration de juin 2004. Votre projet initial, empreint de l’a priori que les Saint-martinois étaient incapables d’assurer leur avenir, était inacceptable et je remercie les rapporteurs Cointat et Quentin d’avoir su vous le faire comprendre.

Ces nouveaux statuts permettent également de régler la délicate et très ancienne question fiscale. Une clarification de la situation est en effet nécessaire. Un seul exemple : le problème spécifique et stratégique de l’eau. Comment le régler avec le droit commun fiscal ? Comment abaisser les prix ? En tant que président de région, je versais une dotation à cet effet, mais je vous fais remarquer que Saint-Barthélemy ne demande rien. Je salue l’esprit de responsabilité de ses habitants.

M. Jean-Pierre Brard - Avec tous les sous qu’ils ont !

M. Victorin Lurel - S’ils ne s’étaient pas débrouillés tout seuls, je me demande où ils en seraient ! Ils ont su, depuis les années 1950, trouver un mode de développement qui se passait de la présence de l’État. Celui-ci, pour sa part, pourrait respecter quelques-uns de ses engagements, et notamment ceux qui sont très clairement exprimés dans le traité international de 1877 ! C’est de la parole de la France qu’il s’agit. Je pense sincèrement que l’attachement aux valeurs républicaines et au droit commun n’empêche pas de donner une liberté suffisante aux gens pour qu’ils assument leur propre épanouissement.

Restent, Monsieur le ministre, trois sujets qui peuvent nous opposer. Le premier est le changement de mode de scrutin en Polynésie. Je peux comprendre l’argument de la stabilité, mais le groupe socialiste ne peut s’y associer compte tenu de la conjoncture : comment une législature finissante pourrait-elle, après une modification en 2004, revenir sur le sujet à la demande du même groupe politique, le Tahoerra, lequel a circonscrit son consensus aux « autonomistes républicains » ? Ce n’est pas acceptable. On peut ne pas être d’accord avec M. Temaru, mais c’est un élu du peuple et il faut respecter ses orientations, même nationalistes ou indépendantistes. Il serait donc plus sage d’élargir le cercle du consensus avant de toucher au mode de scrutin. Par ailleurs, je ne suis pas sûr, compte tenu du rééquilibrage des forces électorales en Polynésie, que la suppression de la prime majoritaire permettra de gagner en stabilité. Enfin, comment imaginer provoquer des élections au moment même où l’on supprime la prime majoritaire et où l’on passe de 3 à 5 % pour la répartition des sièges ? C’est de l’opportunisme politique, que nous ne pouvons soutenir. Si l’on veut la paix civile et sociale en Polynésie, il ne faut toucher à ces sujets qu’avec une main tremblante.

Le deuxième problème est la création du droit additionnel à l’octroi de mer. Je sais que les maires de Pointe-à-Pitre et de Basse-Terre, malgré les tentatives de division de votre direction, vous demandent de retirer votre projet le temps de la concertation. C’est la sagesse ! Cette mesure pourrait en effet avoir des répercussions considérables. Ainsi par exemple, le Gouvernement vient d’augmenter le prix de l’essence en Guadeloupe. Si, outre l’octroi de mer régional et la taxe spéciale sur les carburants, il faut acquitter un droit additionnel, le litre de super atteindra 1,53 ou 1,54 euro. Que l’on soit chômeur ou fortuné, cela se ressentira dans le budget familial ! Sans compter que, de manière indirecte, vous touchez à la dotation globale garantie. On ne peut accepter cela sans avoir organisé une concertation en amont avec les présidents de région et les communes. Et comptez-vous vraiment donner entre 15 et 30 millions et imposer 152 000 contribuables au bénéfice de seulement 32 000 personnes à Pointe-à-Pitre et Basse-Terre ? Certes, les charges de centralité existent, mais soyons honnêtes : à Basse-Terre, c’est la région Guadeloupe qui a tout payé ! Je viens de donner 1,3 million, et c’est loin de combler le déficit de Basse-Terre. Vous voyez que nous sommes prêts à faire un geste, mais il vous faut revenir sur votre décision, ou exonérer la Guadeloupe. Et, dans une République à organisation décentralisée, comment pouvez-vous donner du pouvoir à un territoire, quelle que soit son orientation politique, et décider à Paris de tout changer sans concertation ? Ce n’est pas sérieux.

Enfin, troisième point : les sièges de député. L’argument démographique avancé par M. Dosière conduirait à supprimer des députés dans certaines circonscriptions, comme celle de Wallis-et-Futuna par exemple. Nous sommes d’accord pour créer des sièges de député ; dans ce domaine, il faudra aller au bout des engagements pris.

Au bénéfice de ces observations, le groupe socialiste votera ce texte.

M. Michel Vaxès – Trois ans ont passé depuis que les électeurs de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy ont approuvé la transformation de leurs communes en collectivités d'outre-mer ; plus encore depuis la révision constitutionnelle qui autorise les départements et régions d'outre-mer à adapter localement les lois et décrets ou à fixer certaines règles. Ce sont les deux objets essentiels des projets de loi qui nous sont présentés aujourd'hui, et qui auront d’ailleurs des conséquences considérables : les questions institutionnelles et statutaires sont en effet incontournables pour le développement économique et social de l’outre-mer. Il ne peut y avoir de développement véritable sans responsabilité politique – mais encore faut-il que celle-ci soit garante de l’intérêt général, ce qui restera à prouver dans certaines collectivités.

La loi constitutionnelle du 28 mars 2003, relative à l'organisation décentralisée de la République, a accordé, dans le nouvel article 73 de la Constitution, de nouveaux pouvoirs normatifs aux départements et régions d'outre-mer qui peuvent, après y avoir été habilités par la loi, adapter les lois et règlements à leurs caractéristiques et contraintes particulières, et fixer des règles dans certaines matières pouvant relever du domaine de la loi. Le titre premier du projet de loi organique définit les modalités d'exercice de ces nouveaux pouvoirs. La première mouture en était inquiétante : outre une procédure particulièrement lourde, elle donnait pouvoir au préfet de demander à l'assemblée délibérante de procéder à une nouvelle lecture, pour des motifs de légalité et même d’opportunité. Les modifications de bon sens apportées par le Sénat ne sauraient masquer que ce pouvoir normatif demeurera bien relatif sans l’appui du Gouvernement. Un seul exemple : la demande d'habilitation devra, pour être discutée, être inscrite à l'ordre du jour du Parlement ; si elle ne prend pas la forme d'un projet de loi, les « niches » parlementaires étant ce qu’elles sont, elle n'a que très peu de chance de venir en discussion… Se réjouir de ces nouveaux pouvoirs normatifs serait donc tromper les populations ultramarines, même s’ils constituent quand même un premier pas vers l’autonomie.

J'en viens au nouveau statut de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Les élus communistes ont toujours défendu le droit à l'autodétermination des départements d'outre-mer. Il revient en effet aux populations elles-mêmes de décider des voies à suivre quant à l'évolution de leurs institutions. Les populations de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy ont fait un choix, qu’il appartient au Parlement de traduire sur le plan législatif. Actuellement communes de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy vont devenir collectivités d’outre-mer. Ces deux îles seront les premières à expérimenter le statut de collectivité défini par l'article 74 de la Constitution.

Ce changement de statut ne sera pas sans incidence sur la situation financière de la Guadeloupe. En effet, privé des 7 000 habitants de Saint-Barthélemy et des 35 000 de Saint-Martin, le département verra diminuer les dotations qu’il reçoit de l'Etat et percevra moins de recettes fiscales. Nous appelons l’attention du Gouvernement sur ce problème, de nature à aggraver les disparités entre la Guadeloupe et Saint-Barthélemy, la première se trouvant pénalisée et la seconde, paradoxalement, avantagée.

Une autre de mes remarques porte sur le statut fiscal de ces futures collectivités, en particulier celui de Saint-Barthélemy, petit paradis pour milliardaires qui jouit d'un statut d'exonération fiscale inique. Si certaines exonérations pouvaient se justifier par le dénuement lié à l’insularité, depuis des années, la défiscalisation de fait de cette île, devenue l’un des hauts lieux de villégiature et de plaisance de la grande bourgeoisie, ne se justifie plus en rien. Comment décemment faire admettre que ses résidents soient exemptés de toute forme de solidarité fiscale avec le reste du pays, notamment avec la Guadeloupe, département de France le plus sinistré par le chômage et la pauvreté ? Certes, Saint-Barthélemy n'est pas, au sens juridique, un paradis fiscal et ne deviendra pas, avez-vous dit, Monsieur le ministre, l’une des nouvelles plateformes euro-caribéennes du blanchiment des capitaux et de la grande délinquance financière. Néanmoins, le nouveau statut de l'île constitue une énième atteinte à la solidarité et à la cohésion sociale. L'exemption de toute fiscalité de redistribution est contraire à tous nos principes, de même d’ailleurs qu’à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Lors des débats au Sénat, vous avez assuré, que les ministères des finances et de la justice visaient, en étroite concertation avec vos propres services, à renforcer le rôle de l'État sur place. J'aurais aimé pouvoir vous croire, d'autant qu'une chronique people a confirmé la présence récente de M. Breton, ministre des finances, sur l'île de Saint-Barthélemy. Mais ce n’était que pour célébrer les fêtes de fin d'année ! J'aurais évidemment préféré que ce fût pour étudier les conditions d'un retour au droit commun et à l’éthique sur le plan fiscal.

M. Jean-Pierre Brard - Cela le préoccupe peu…

M. Michel Vaxès – Je souhaiterais enfin évoquer la question du contrôle juridictionnel des actes pris par ces collectivités dans le domaine législatif. Nous pensons, avec nos collègues sénateurs, que le projet de loi organique ne l’organise pas de façon satisfaisante.

Ces remarques étant faites, nous respecterons la volonté populaire qui s'est exprimée. En l’état actuel de leur rédaction et au nom de notre attachement indéfectible au principe d’autodétermination des populations, nous voterons ces textes, sous réserve bien entendu que d'éventuels amendements n'en dénaturent pas le sens. S’il doit se confirmer, ce vote positif ne devra pas être considéré comme davantage. Si les dispositions figurant dans ces textes marquent un premier pas vers une autonomie réelle, elles devront être améliorées sans tarder ; nos territoires d'outre-mer ne sauraient se contenter de dispositions imparfaites en matière statutaire et institutionnelle car il en va de leur responsabilité et de leur développement. Mais ils ne sauraient non plus s’affranchir du principe de l’égalité en droit, non plus que de la prise en compte de l’intérêt général.

Vous l’aurez compris, Monsieur le ministre, j’ai servi le miel. La potion que servira tout à l’heure mon ami Jean-Pierre Brard risque de vous paraître plus amère… (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jérôme Bignon - C’est un honneur pour moi que d’intervenir sur ces textes. Je suis en effet fier d’appartenir à un pays qui possède un outre-mer aussi vaste et aussi divers. Chers collègues d’outre-mer, je tiens à vous redire ce soir l’attachement que la métropole porte à vos territoires, la conscience qui est la nôtre de la richesse que représente l’outre-mer pour la République et l’engagement à vos côtés du modeste député de la Somme que je suis. Je le dis avec d’autant plus de sincérité que c’est là une position forte et constante de la famille politique à laquelle j’appartiens depuis que je me suis engagé dans cette voie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

L'outre-mer constitue pour la France un atout géostratégique de première importance. Au moment où des menaces planent sur la préservation de la biodiversité, où les océans constituent donc un capital particulièrement précieux, et où le réchauffement climatique laisse craindre des bouleversements majeurs, nos territoires ultramarins représentent une richesse considérable. Cela confère d’ailleurs à la métropole un devoir particulier de solidarité à leur égard. Si notre pays est la deuxième puissance maritime du monde, c’est grâce à l’outre-mer, puisque sur onze millions de km² d’espaces maritimes constituant la zone économique exclusive, sept nous sont apportés par l’outre-mer.

Je m’exprime donc non sans une certaine émotion ce soir au nom du groupe UMP sur l’outre-mer…

M. Jean-Pierre Brard - Sans oublier la baie de Somme ! (Sourires)

M. Jérôme Bignon - Je ne l’oublie pas car elle est aussi un territoire où la biodiversité est particulièrement importante.

M. Jean-Pierre Brard - C’est déjà presque l’outre-mer. (Sourires)

M. Jérôme Bignon - Les textes qui nous sont présentés ce soir, qui étaient demandés et attendus, reçoivent bien entendu l’approbation de notre groupe. Ils sont le fruit d’une large concertation et d’un travail considérable du Gouvernement. Ils comportent en effet plus d’un millier d’articles touchant à des domaines extrêmement divers. Il faut féliciter votre administration, Monsieur le ministre, pour cet excellent travail.

Ces textes ont été utilement complétés par le Sénat, et notre commission des lois, sous la houlette de son rapporteur, dont je sais l’attachement et l’amitié qu’il porte à l’outre-mer, proposera des amendements parachevant cette œuvre et dont l’adoption ne devrait pas poser de problèmes.

M. Jean-Pierre Brard - Vous n’avez oublié que de féliciter le ministre lui-même. Un futur Premier ministre pourtant !

M. Jérôme Bignon - Je le souhaiterais pour lui et pour la France. Vous êtes parfois un visionnaire, Monsieur Brard !

Ces textes attendus, disais-je, donnent de nouveaux pouvoirs normatifs aux départements et régions d’outre-mer, conformément à l’article 73 de la Constitution. Cette innovation, déjà intervenue en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie, va ainsi être expérimentée dans d’autres territoires. Le Sénat a amélioré l’encadrement de la procédure. Notre assemblée fera également des propositions en ce sens. C’est là une évolution extrêmement intéressante de notre démocratie locale. Il est probable que les collectivités locales de métropole revendiquent un jour le bénéfice de telles dispositions.

M. Jean-Pierre Brard - La Seine-Saint-Denis par exemple !

M. Jérôme Bignon - Pourquoi pas ? Il n’est pas interdit d’imaginer que ces innovations, expérimentées d’abord outre-mer du fait de ses spécificités, profitent ultérieurement à la métropole.

Ces textes définissent également le statut de quatre collectivités d’outre-mer : Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Bien que très divers et n’ayant pas la même histoire avec la métropole, ces quatre territoires ressentent le besoin de voir leur statut évoluer, comme le permet désormais la Constitution.

À Saint-Martin et Saint-Barthélemy, s’ouvrira ainsi une nouvelle ère dans l’histoire des relations avec la République. Le processus engagé, tout à fait innovant, doit être salué, au-delà des polémiques relatives à certains particularismes.

M. Jean-Pierre Brard - Plutôt certains dérèglements !

M. Jérôme Bignon – Il faut tenir compte de l’histoire et de la situation concrète de ces territoires, qui ne sont pas celles de la Seine-Saint-Denis ou de la Somme.

M. Éric Raoult - Merci.

M. Jean-Pierre Brard – Le Raincy en Seine-Saint-Denis, Monsieur Raoult, c’est un peu comme Saint-Barthélemy aux Antilles !

M. Jérôme Bignon - Il était normal que le statut de ces deux îles évolue.

Ces textes, bien au-delà de dispositions particulières pour telle ou telle collectivité, illustre la politique cohérente, intelligente, moderne et solidaire que la France mène à l’égard de l’outre-mer, et qui devrait conduire, dans ses relations avec l’Europe et le reste du monde, à des évolutions très positives. Profondément attachés aux principes républicains, nous aurons à cœur d’y veiller ; nous ne pouvons pas plus accepter des pratiques contraires à notre République en outre-mer qu’en métropole.

Un mot enfin sur les dispositions électorales : le Gouvernement n’a pas d’autre ambition que de permettre aux assemblées de délibérer efficacement, sans que les droits de la minorité soient pour autant entravés. Il n’est pas interdit de reconnaître qu’on s’est trompé – pour avoir rapporté sur la modification du mode de scrutin lors de l’adoption du statut de la Polynésie, je suis bien placé pour le savoir ! Ceux qui s’opposent aujourd’hui à cette nouvelle modification du scrutin devraient faire preuve d’une plus grande humilité – ils se prononçaient hier en sa faveur…

Notre seul objectif est que la majorité puisse gouverner, sans empêcher pour cette raison la représentation de la minorité. Les équilibres sont difficiles à trouver, car les problèmes sont bien différents dans les îles australes, aux Marquises, dans les Îles Sous-le-Vent, ou aux Tuamotu, mais la majorité, quelle qu’elle soit, doit pouvoir gouverner dans l’intérêt des Polynésiens et de la France. Tel est notre seul souci.

Pour toutes ces raisons, ces deux textes bénéficient de l’appui actif du groupe UMP. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Christiane Taubira – Ces deux projets comportent quelques avancées, car ils permettront effectivement de mieux adapter notre droit à la diversité géographique, économique, sociale, culturelle et politique de l’outre-mer.

Bien des problèmes demeurent toutefois sans réponse. De plus, plusieurs centaines d’amendements de coordination et de correction ont dû être déposés, au risque d’alourdir nos débats. Cela ne saurait s’expliquer par une hâte excessive, puisque la révision constitutionnelle et la consultation des électeurs de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy remontent à plus de trois ans… On peut également regretter que nos débats commencent vingt-quatre heures plus tôt que prévu car nous sommes nombreux à venir de loin et certains auraient pu ne pas arriver à temps.

En dépit de leur nature essentiellement institutionnelle, ces deux textes modifieront profondément la situation économique et sociale dans nos territoires ultramarins. Hélas, certains aménagements manquent encore, faute d’un volontarisme suffisant de l’État au niveau européen. La pêche, par exemple, vit sous la menace des limitations apportées à la modernisation et au renouvellement des flottilles, alors que son développement pourrait encore stimuler l’économie guyanaise. Nous souffrons également d’importants retards dans le développement des dessertes intérieures, ce qui est très préjudiciable à la liberté de circulation, mais aussi à l’égalité d’accès aux services publics et aux biens essentiels.

Je rappelle enfin que de nombreuses anomalies affectent les relations entre l’État et l’outre-mer, ce qui n’a pas manqué d’aggraver les problèmes que nous subissons. L’État a ainsi porté atteinte à la libre administration des collectivités en modifiant les ressources dont elles bénéficient. Sur ce point, il est regrettable que l’outre-mer n’ait pas été traité de la même façon que les autres régions. Depuis plusieurs années, c’est même une contractualisation de la pénurie qui s’organise face au désengagement de l’État et en l’absence de toute adaptation des ressources publiques au sous-équipement persistant de l’Outre-mer.

Que sont donc devenus la solidarité et le sens des responsabilités de l’État ? Sur la question des villes centrales, je rejoins tout à fait les positions de notre collègue Lurel, mais j’ajoute que l’accroissement de leurs charges résulte de l’enclavement des territoires qui les entourent, faute d’un développement des infrastructures à la mesure de la concentration démographique et économique, mais aussi en raison des disproportions croissantes entre certaines activités. Les besoins sont devenus si importants que certaines collectivités demandent la possibilité d’instaurer un droit additionnel à l’octroi de mer, proposition pourtant fort impopulaire. Quand des collectivités sont prêtes à de telles mesures, il faut s’interroger sur les responsabilités qui reviennent à l’État. Quelle place devons-nous faire à la solidarité budgétaire ?

M. Jean-Pierre Brard – Comme l’a souligné notre collègue Vaxès, la transformation du statut des communes de Saint-Martin et Saint-Barthélemy s'inscrit dans un processus démocratique : les populations ont le droit de choisir leur avenir.

Si les électeurs de Saint-Barthélemy ont massivement approuvé cette évolution statutaire, à la majorité de 95,5 % des suffrages exprimés, soit 77 % des inscrits, à Saint-Martin, le nouveau statut n’a recueilli que 76,2 % des suffrages exprimés, soit seulement 42 % des inscrits.

Concernant Saint-Barthélemy, personne n’a nié ce que j’ai dit de l’apartheid qui règne sur cette portion de la République française. Une majorité qui valide de telles pratiques ne respecte pas les valeurs universelles qui fondent notre État depuis la Révolution.

Sur le fond, un certain nombre d’anomalies sont à souligner.

Sur le plan fiscal, Saint-Martin a le statut de port franc. Les droits de douane n’y sont pas perçus et la TVA ne s’y applique pas, alors que la loi ne prévoit pas cette exception. L’impôt sur le revenu et les « quatre vieilles » doivent être payés, mais les bases sont très imparfaites, et le recouvrement délicat… Un fonctionnaire qui voulait faire son travail convenablement n’a pas tenu une année. À Saint-Barthélemy, il y a exemption de fait des impôts locaux et de l’impôt sur le revenu. Quant au contrôle, il est délicat à Saint-Martin, il n’existe pas sur place à Saint-Barthélemy. À Saint-Martin, faute de frontière effective entre les deux parties de l’île, et faute de coopération entre les autorités françaises et hollandaises, les fraudes sont nombreuses. Un salarié de la partie hollandaise peut bénéficier du RMI en se domiciliant fictivement dans la partie française, un érémiste aller travailler dans la partie hollandaise. Enfin, le projet ne concrétise pas la déclaration du Gouvernement du 7 novembre 2003, selon laquelle Saint-Martin pourrait adapter les lois en matière d‘urbanisme, de logement, de domanialité publique et d’enseignement.

Voyons maintenant les transferts financiers. En 2005, Saint-Barthélemy a reçu, en fonctionnement, 1,37 million de l’État et 1,26 million du département, soit au total 4,8 millions ; en investissement, 0,215 million de la région, 0,09 million du département, 0,13 million de l’État et 1,88 million du FEDER, soit près de 2,3 millions. S’y ajoutent les rémunérations de 118 agents de l’État, dont 81 dans l’éducation nationale. S’agissant de Saint-Martin, les données ne sont pas isolées dans les comptes de la Guadeloupe.

À l’avenir, tous les transferts de la région et du département ne seraient pas maintenus, mais ceux de l’État le seraient, notamment la dotation forfaitaire, la dotation globale de décentralisation et celle du fonds national de péréquation ainsi que les transferts sous forme de traitement des fonctionnaires.

Dans ces communes, l’état de droit n’existe pas, et les nouvelles dispositions risquent de nous en éloigner encore davantage. Bien que jeune, vous êtes assez sage, Monsieur le ministre, pour savoir que la convention fiscale que vous invoquez relève de l’illusion. Seriez-vous Merlin l’enchanteur ? Faute de volonté politique, et vous ne l’avez pas manifestée, on continuera à ne pas appliquer les règles républicaines.

Pour terminer, j’aimerais que vous répondiez clairement sur l’apartheid qui règne à Saint-Barthélemy ; est-ce vrai ou non, Monsieur Raoult ?

M. Éric Raoult - C’est faux !

M. Jean-Pierre Brard - Demandez à nos collèges de la Guadeloupe ce qu’est la discrimination raciale pratiquée par la communauté ethniquement pure de Saint-Barthélemy à l’égard des Guadeloupéens.

M. Éric Raoult - Pourquoi ne pas l’avoir dit sous Mitterrand ?

M. Jean-Pierre Brard - À l’époque, je n’étais pas allé sur place.

M. Éric Raoult - Et vous étiez dans la majorité !

M. Jean-Pierre Brard – Je ne l’avais pas constaté de mes yeux. Cela confirme la trop grande ignorance dans laquelle nous sommes tous de la réalité des territoires ultramarins. Nous gagnerions à mieux la connaître ; cela éviterait à certains de nos collègues comme M. Arthuis de dire des sottises qui risquent de nuire grandement à nos compatriotes de Polynésie, de Nouvelle-Calédonie et d’ailleurs. Ainsi, s’agissant de l’indexation des rémunérations et des retraites, 26 fraudeurs en Polynésie risquent de porter atteinte à 6 000 personnes.

M. Éric Raoult - Vous êtes meilleur.

M. Jean-Pierre Brard – Mais les turpitudes des uns ne sauraient justifier celles des autres. Qu’il y ait des paradis fiscaux dans les Antilles ne saurait justifier que l’immoralité et la truanderie règnent ici et là.

M. Éric Raoult - C’est faux !

M. Jean-Pierre Brard - Je le maintiens. Démontrez donc le contraire.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu aujourd’hui, mercredi 24 janvier, à 15 heures.
La séance est levée à 0 heure 10.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

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