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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du jeudi 8 février 2007

Séance de 9 heures 30
59ème jour de séance, 135ème séance

Présidence de M. René Dosière
Vice-Président

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La séance est ouverte à neuf heures trente.

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réforme de l’assurance de protection juridique

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, portant réforme de l’assurance de protection juridique.

M. Renaud Dutreil, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales – La présente proposition de loi, parfait exemple de la concertation entre le Parlement et le Gouvernement, procède d’une initiative parlementaire qui a pris le relais des négociations conduites par le Gouvernement depuis plusieurs mois avec les professions concernées. Je suis particulièrement sensible à ce que les artisans, les professions libérales, l’ensemble des entrepreneurs puissent bénéficier d’une garantie d’assurance de qualité.

Voilà trois ans que nous avons engagé le dialogue avec les avocats et les assureurs pour améliorer une garantie d’assurance que tout le monde s’accorde à dire qu’elle était imparfaite. Un premier diagnostic a été rendu en 2002, dans une recommandation de la commission des clauses abusives, faisant état des difficultés pratiques de mise en œuvre de l’assurance de protection juridique. Les assureurs ont alors entrepris de rénover les contrats et, en juin 2003, la Fédération française des sociétés d’assurances a formulé des engagements, qui ont permis de clarifier les différents types de garanties en matière de protection juridique. La concertation s’est poursuivie dans l’enceinte du comité consultatif du secteur financier, certaines clauses types ayant été rénovées à cette occasion.

Toutefois, les négociations ayant achoppé sur trois points, le Gouvernement a accueilli avec satisfaction l'initiative du Parlement. La proposition de loi suscite sur chacun de ces trois points l'opposition des sociétés d'assurances. Je suis pourtant convaincu qu’elle permettra d'aligner le régime de cette activité sur celui des autres branches.

La singularité de l'assurance de protection juridique tient à ce que l'indemnisation, vocation première de l'assureur, est ici supplantée par une activité de conseil ; certains auteurs ont ainsi pu parler de « contrats d'abonnement de conseil juridique ». Lorsque cette activité devient l'objet principal du contrat, la société d'assurance sort de sa fonction première. La proposition de loi permet de revenir aux fondamentaux de l'assurance, en rationalisant le contrat dans les trois principaux aspects de son exécution : la déclaration du sinistre, la tentative de transaction et l'éventuel procès.

Ainsi, la question du moment à partir duquel un sinistre peut être caractérisé est d'importance, car une déclaration jugée trop tardive peut entraîner la déchéance de la garantie, comme l’a dénoncé la Commission des clauses abusives en 2002. Le flou des définitions contractuelles permet parfois à l'assureur de refuser sa garantie au prétexte que le litige préexistait à sa déclaration. De fait, chacun sait que les conflits de voisinage peuvent avoir une origine ancienne ; de même, si le premier accroc dans une relation contractuelle n'est pas forcément un litige pour l'assuré, l'assureur peut y trouver un prétexte commode pour ne pas mettre en œuvre la garantie souscrite. Il faut donc établir un point de départ fixe et indubitable pour chacune des parties. La proposition retient à cet égard le refus opposé à une réclamation dont l'assuré est l’auteur ou le destinataire.

Pour les assureurs, une telle définition exclurait l’aléa, qui caractérise tout contrat d’assurance. Je pense au contraire qu'elle l'introduit, car, dans la pratique antérieure, c'est l'assureur qui n'avait pas à subir d'aléa. La définition proposée s'inspire de la loi de sécurité financière du 1er août 2003, qui permet un déclenchement de la garantie par la réclamation de l'assuré plutôt que par le fait dommageable. Je ne doute pas que cette réforme, appliquée avec succès dans les autres secteurs de l'assurance, s’avérera également adaptée à la protection juridique.

Le dispositif préserve les droits de l'assureur contre tout risque de fraude. Dès lors qu'un assuré aura souscrit une protection juridique pour un litige déjà en germe, le juge pourra décharger l'assureur de son obligation de couverture. Au demeurant, l'assureur aura pu prévenir une telle manœuvre par la mise en place d’un délai de carence et par un questionnaire préalable.

La rationalisation de l'assurance de protection juridique procède également d'une meilleure définition des rôles respectifs de l'assureur et de l'avocat. II ne saurait être question de priver l’assureur de son rôle de conseil : nombre de conflits, notamment en droit de la consommation, sont résolus grâce à son intervention rapide. Mais cette assistance devient une faiblesse lorsque l'adversaire de l'assuré est lui-même conseillé par un avocat, parce que, d’une part, le conseil juridique est un métier à part entière, et que, d'autre part, seuls les courriers entre avocats sont confidentiels.

Il s’agit en outre de garantir le caractère libéral de la profession d'avocat dans le cadre de l’assurance de protection juridique. Le président de la République avait insisté, lors du centenaire de la Conférence des bâtonniers, en juillet 2003, sur la nécessité d'éviter que le développement de l'assurance de protection juridique ne débouche sur un salariat de fait de l'avocat. Or, c'est bien une telle relation qui s'instaure insidieusement entre l'assureur et l'avocat.

Un avocat ne doit rendre de compte qu'à son client. Or, comment peut-il tenir une telle ligne de conduite lorsqu’il ne négocie ses honoraires qu'avec l'assureur et qu'il doit à ce dernier sa clientèle ? Comment résister aux pressions de l'assureur, dont l'intérêt est de minorer les coûts du procès, au besoin en renonçant à des expertises ou aux recours ? En interdisant à l'assureur de négocier les honoraires de l'avocat, la proposition de loi replace chacun dans son rôle.

Le Gouvernement souhaite néanmoins répondre à la préoccupation légitime des assureurs, qui craignent que ceci ne brouille les cartes pour les assurés, ces derniers pouvant être amenés à exposer un honoraire complémentaire imprévisible. Mon collègue Pascal Clément a donc décidé de transmettre au Conseil d’État, dans les prochains jours, un projet de décret modifiant les règles déontologiques de la profession d’avocat : dans le cadre d'une assurance de protection juridique, l’avocat sera tenu de proposer à son client une convention d'honoraires afin que les règles de facturation soient établies dès le début du litige. Ainsi, la liberté de choix de l'avocat et son indépendance seront pleinement garanties, parce qu'elles procéderont de l'économie même du contrat d'assurance.

La proposition intègre en outre des règles d'harmonisation avec l'aide juridictionnelle, ce à quoi je suis favorable. Tout d’abord, le principe de la subsidiarité de l'aide juridictionnelle, en présence d'un contrat d'assurance de protection juridique, est introduit. Ce principe, déjà applicable aux litiges transfrontaliers civils ou commerciaux, sera étendu à l'ensemble des contentieux devant les juridictions françaises. Le développement de l'assurance de protection juridique contribuera à réserver l'aide juridictionnelle au public dépourvu de moyens financiers. L'assurance de protection juridique jouera également un rôle complémentaire, dès lors que les garanties offertes aux assurés s'appliqueront à de nouveaux contentieux qui en sont aujourd'hui exclus, comme celui des baux d'habitation et professionnels.

La proposition ajoute plusieurs mesures nouvelles relatives à l'aide juridictionnelle, introduites par voie d'amendement gouvernemental au Sénat. Il s'agit, en premier lieu, d'unifier les voies de recours contre les décisions des bureaux d'aide juridictionnelle et d'harmoniser la jurisprudence en portant la contestation devant la Cour d'appel. Cette réforme très attendue garantira notamment un recours effectif lorsque le rejet de la demande repose sur une appréciation inexacte de leurs ressources.

Il s'agit en outre de permettre la rétribution des avocats pour les procédures introduites par deux réformes récentes. La proposition introduit ainsi l'indemnisation de la mission d'assistance d'un détenu faisant l'objet d'une décision de placement d'office à l'isolement. Par ailleurs, elle supprime la condition de résidence habituelle et régulière sur le territoire national pour les ressortissants étrangers qui sollicitent l'aide juridictionnelle à l'occasion d'un recours contre un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français, procédure introduite par la loi du 24 juillet 2006.

Enfin, la proposition de loi ratifie l'ordonnance du 8 décembre 2005 modifiant sur deux points la loi du 10 juillet 1991. Il s'agit, d’une part, de permettre aux bureaux d'aide juridictionnelle de ne pas tenir compte des ressources des parents du mineur poursuivi pénalement, lorsque ces derniers manifestent un défaut d'intérêt à l'égard de leur enfant ; et d’autre part, de simplifier la procédure de recouvrement des honoraires.

La réforme qui vous est proposée constituera un réel progrès pour nos concitoyens, qui pourront bénéficier de l'assurance de protection juridique dans des conditions claires, tandis que leur intérêt sera désormais central. Je vous demande donc d'adopter en l’état cette proposition de loi, comme le proposent votre commission des lois et son rapporteur, que je remercie pour la qualité de leurs travaux (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Étienne Blanc, rapporteur de la commission des lois – L'assurance de protection juridique connaît depuis plusieurs années un développement important, et elle couvre aujourd'hui 45 % des ménages français. Cette formule, qui garantit l’accès au droit de chacun, est particulièrement adaptée aux classes moyennes, dont les revenus sont trop élevés pour donner droit à l'aide juridictionnelle, mais qui peuvent se trouver dissuadées d’ester en justice, devant les frais d'un procès. Elle répond également aux besoins des entreprises qui ne disposent pas de services juridiques propres. Néanmoins, elle n'offre pas encore de garanties suffisantes pour constituer une véritable alternative à l’aide juridictionnelle, et son fonctionnement est critiqué aussi bien par la commission des clauses abusives, que par les consommateurs et les acteurs de la vie judiciaire.

Deux clauses sont particulièrement critiquées, car elles créent un déséquilibre au détriment de l’assuré et sont souvent cause de litige : la première laisse à l'appréciation de l'assureur le délai pendant lequel l'assuré est tenu de faire sa déclaration de sinistre ; la seconde impose l'origine du sinistre comme point de départ du délai de déclaration, privant ainsi du bénéfice de la garantie l'assuré qui n'aurait pas eu connaissance du sinistre dès son origine. En outre, l’avocat est exclu de la phase amiable du règlement du litige et placé dans une situation de dépendance vis-à-vis de l'assureur. Celui-ci garde en effet la maîtrise de la phase amiable sans contrôle extérieur, et demeure le seul juge de l'opportunité d'un recours contentieux. Pour la phase contentieuse, c’est l'assureur qui choisit l’avocat – dans des cabinets agréés dont les honoraires sont plafonnés en fonction du barème de remboursement du sinistre – le plaçant ainsi dans une situation de subordination.

Afin que l'assurance de protection juridique touche un nombre plus grand de ménages et d’entreprises et devienne un véritable outil d'accès au droit, l'assuré doit avoir la garantie que la solution amiable qui lui est proposée n'est pas guidée par la défense des intérêts de l'assureur. La proposition de loi rétablit ainsi l'équilibre entre l'assuré et l'assureur par deux séries de mesures.

Elle améliore les garanties offertes aux assurés. Désormais, le sinistre sera constitué dès qu'un refus sera opposé à une réclamation dont l'assuré est l'auteur ou le destinataire. Cette précision met fin à toute possibilité de contestation de la part de l'assureur, lequel ne pourra plus mettre en doute la date du litige pour refuser de faire jouer la garantie. En second lieu, l'assuré pourra demander une consultation juridique ou un acte de procédure avant la déclaration de sinistre, sans que cette demande puisse entraîner la déchéance de la garantie. Enfin, le remboursement par la partie perdante des frais et honoraires reviendra en priorité à l'assuré.

Le texte clarifie les relations entre l'assureur et l'avocat. Il est fait obligation de recourir à un avocat lorsque la partie adverse dispose elle aussi d’un conseil : cela prive l’assureur de la possibilité d'assister seul l'assuré, et permet à l'avocat d'intervenir dès la phase amiable. Par ailleurs, l'assureur ne pourra proposer le nom d'un avocat que sur demande écrite de l’assuré, la renonciation au choix de l'avocat résultant d’un choix délibéré de l’assuré. Enfin, les accords d’honoraires entre l'assureur et l'avocat sont interdits : les honoraires devront être fixés entre l’avocat et son client, indépendamment des intérêts de la société d'assurances.

Le Sénat a complété cette proposition de loi par quatre mesures modifiant les règles d'accès à l'aide juridictionnelle. Les personnes qui bénéficient du contrat d'assurance de protection juridique ne pourront plus demander que leurs frais soient couverts par l'aide juridictionnelle. Il s'agit de mieux articuler ces deux dispositifs d'accès au droit et d'éviter que l'État finance des frais, par ailleurs couverts. Les possibilités de contester les décisions du bureau d'aide juridictionnelle sont étendues : le demandeur disposera désormais d'un recours contre un refus fondé sur un motif lié au montant de ses ressources, et non plus seulement contre un refus fondé sur un motif juridique. Les personnes faisant l'objet d'un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire pourront accéder à l’aide juridictionnelle, sans condition de résidence en France. Enfin, l’assistance aux détenus est améliorée : la prise en charge par l'État de la rétribution de l'avocat, limitée aux procédures disciplinaires est étendue aux mesures d’isolement.

Les débats de la commission des lois ont porté sur la situation des justiciables dont les revenus sont modestes : pourront-ils cumuler la protection du contrat d’assurance et celle de l’aide juridictionnelle, et dans quelles conditions ? Monsieur le ministre, vous avez précisé que cette question serait réglée par voie réglementaire, et ce, dans les meilleurs délais.

M. Guy Geoffroy – Très bien !

M. le Rapporteur – La commission a souhaité souligner qu’il existait un risque de dérapage : un assuré bénéficiant d’une aide juridictionnelle partielle pourrait se voir tenu de payer des honoraires importants, à titre complémentaire. Cette question, Monsieur le ministre, sera aussi réglée par un décret, une convention d’honoraires pouvant être imposée et placée sous le contrôle des bâtonniers. Je vous propose d’adopter en l'état cette réforme, qui favorise l'accès de nos concitoyens à la justice et donne aux consommateurs les moyens de mieux faire valoir leurs droits (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Émile Blessig – L’accès au droit et à la justice est une condition essentielle de l’exercice de nos libertés, dans une société démocratique et complexe. L’accès au droit permet la construction de rapports équilibrés ; l’accès à la justice garantit à chaque citoyen des procédures équitables. Maisons du droit, centres départementaux d’accès au droit, aide juridictionnelle sont les outils élaborés par la puissance publique pour donner un contenu à ce droit fondamental. Parallèlement s’est développé un outil conventionnel, l’assurance de protection juridique.

Répondant à un besoin des particuliers et des entreprises, l’assurance de protection juridique a connu un très grand succès : son taux de croissance annuel est de l’ordre de 8 %, et son chiffre d’affaires, pour l’ensemble des compagnies d’assurances et des mutuelles atteint 1 milliard – quand l’État dépense 300 millions pour l’aide juridictionnelle. Lorsque l’on sait que moins de 3 % des clients assurés utilisent ce service, on comprend mieux la dimension économique de ce débat. Seuls 58 % des assurés ont un contrat spécifique, les autres bénéficiant de garanties incluses dans les polices d’assurance automobile, multirisque habitation ou carte bancaire.

Dès 1987, une directive européenne posait les bases d’une harmonisation et d’une coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives. Elle a été transposée en droit interne par les articles L. 127-1 et suivants du code des assurances. Cependant, en 2002, la commission des clauses abusives a formulé quinze recommandations, portant d’une part sur les conditions restrictives de mise en œuvre de la garantie, et d’autre part sur les relations déséquilibrées entre sociétés d’assurances, assurés et avocats.

L’article L. 127-3 du code des assurances, qui concerne le choix de l’avocat, en est l’illustration : lorsque 45 000 avocats exercent dans notre pays, comment expliquer que seuls 3 à 4 000 d’entre eux participent aux réseaux constitués par les compagnies d’assurances ? Le principe du libre choix de l’avocat est-il respecté, dans ces conditions ? Or, malgré les recommandations, les chartes et les accords, rien n’a changé : un déséquilibre inacceptable perdure, contrairement à ce qui se passe en matière d’aide juridictionnelle, où l’assuré peut exercer un libre choix.

Le recours à un avocat est un droit accordé à tout citoyen, que la charge en soit assumée par lui-même, par l’aide judiciaire ou par une compagnie d’assurances. La liberté de choix de l’avocat, principe inscrit dans notre droit, doit être respectée par tous les intervenants. L’indépendance de l’avocat est le socle de la confiance que lui porte son client ; l’une des conditions de cette indépendance est la libre détermination des honoraires entre eux. C’est l’avocat qui rétablit l’équilibre des armes dans le débat judiciaire – et en ce sens, il exerce une mission d’auxiliaire de justice reconnue par la loi.

Dans son rapport de 2005, le comité consultatif du secteur financier – qui rassemble les associations de consommateurs et les pouvoirs publics aux côtés des banquiers et des assureurs – a estimé qu’il était nécessaire de proposer la police d’assurance protection juridique « en toute transparence, en définissant clairement les garanties ainsi que les modalités de gestion des sinistres, les règles de prescription, et en rappelant le libre choix de l’avocat ». En fixant les conditions d’engagement de la garantie, en précisant les conditions de recommandation d’un avocat par l’assureur, en révisant le régime de fixation des honoraires pour garantir la liberté de choix de l’avocat, en affirmant le caractère subsidiaire du recours de l’assureur par rapport à l’assuré en cas de remboursement des frais par la partie perdante, ce texte apporte les clarifications nécessaires. Il rééquilibre les rapports entre assuré, compagnie d’assurance et avocat. Il concourt donc à améliorer le fonctionnement de l’institution judiciaire. Puisque la volonté des parties n’aboutissait à aucun résultat, il était temps que le législateur se saisisse du dossier (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Alain Vidalies – Ce texte prétend répondre aux recommandations formulées le 21 février 2002 par la commission des clauses abusives, qui avait dénoncé le caractère peu lisible de certains contrats et l’existence d’un déséquilibre significatif au détriment de l’assuré. Ce constat s’explique principalement par la nature très différente des contrats regroupés sous le vocable unique d’assurance de protection juridique. Le rapport de la commission distingue d’ailleurs la garantie « défense pénale recours », incluse dans les contrats d’assurance automobile et d’un coût annuel de 2 à 4 euros ; le contrat de « protection juridique segmentée », d’un coût annuel de 15 à 25 euros ; et la protection juridique générale, dont la prime peut atteindre 250 euros. Les auteurs distinguent pour leur part les contrats dits intégrés, c’est-à-dire inclus dans un autre contrat d’assurance, des contrats spécifiques visant uniquement la protection juridique.

Il est donc difficile de traiter de l’assurance de protection juridique en termes trop généraux, d’autant que comme l’observe le rapporteur, notre assurance de protection juridique se distingue des régimes en vigueur dans les autres États européens en octroyant à l’assureur une mission de prestataire de services, et non de simple tiers payant des frais de procédure. La différence est de taille. Or, notre débat a évacué cet aspect, alors que c’est précisément cette intervention de l’assureur dans la conduite de la procédure amiable ou contentieuse qui a motivé les observations de la Commission des clauses abusives.

Le groupe socialiste a voté contre ce texte au Sénat, estimant que, malgré des objectifs louables, il comporte des risques flagrants – coût de la présence de l’avocat dans la phase amiable et inflation des procédures judiciaires. Ces observations restent valables, même s’il faut reconnaître la sécurité juridique qu’apporte un débat préalable confidentiel où chaque partie est représentée par un avocat. Le texte répond ici à une vraie carence de notre droit : si une seule des parties est tenue à la confidentialité dans la phase amiable, l’éventuelle phase contentieuse qui suit s’engage en effet sur des bases faussées.

La définition du sinistre retenue par le texte me paraît en revanche de nature à nourrir un contentieux – ce qu’un travail parlementaire approfondi aurait peut-être permis d’éviter.

L’assurance de protection juridique joue un rôle important dans l’accès au droit, surtout pour les classes moyennes. Le problème majeur de ce texte réside donc dans l’article 5, ajouté par le Sénat et ainsi rédigé : « L’aide juridictionnelle n’est pas accordée lorsque les frais couverts par cette aide sont pris en charge au titre d’un contrat d’assurance de protection juridique ou d’un système de protection. » Le rapport du Sénat éclaire de manière édifiante les objectifs des auteurs de cet amendement : « Le contexte budgétaire tendu rend nécessaire de recentrer l’aide juridictionnelle sur les justiciables les plus fragilisés. Telle est la raison pour laquelle votre commission vous propose de prévoir le caractère subsidiaire de l’aide juridictionnelle. » Plus loin, il indique que, selon les représentants du ministère de la justice, cette disposition nécessitera un travail de vérification systématique de la part des bureaux d’aide juridictionnelle. Le garde des Sceaux a soutenu cet amendement au motif qu’il permettait à la France de s’aligner sur de nombreux pays européens en réservant « le bénéfice de l’aide juridictionnelle à des personnes dépourvues de tout moyen ou soutien financier ». Nous sommes ainsi passés d’un texte sur la réforme de l’assurance de protection juridique à un texte destiné à faire des économies sur l’aide juridictionnelle ! Il est surprenant qu’une telle réforme puisse ainsi intervenir à la sauvette, sans concertation préalable ni étude d’impact.

Nul n’est en effet en mesure de dire comment fonctionnera ce système hasardeux et quelles seront ses conséquences pour nos concitoyens. Il faudra modifier les conditions de la demande d’aide juridictionnelle, suivre les procédures jusqu’à concurrence des débours couverts par l’assistance juridique, puis revenir devant le bureau d’aide juridictionnelle pour obtenir la prise en charge de la suite de la procédure. Les frais de celle-ci seront d’abord payés par l’assurance – donc remboursés – puis par l’assurance juridique – donc gratuits. Faudra-t-il suspendre la procédure pour passer d’un système à l’autre ? Bref, c’est le capharnaüM. Comment articuler la procédure devant le bureau d’aide juridictionnelle et la procédure judiciaire, s’agissant notamment du respect des délais ?

Non seulement vous faites un choix politique – que nous contestons – en privilégiant l’assurantiel, mais vous inventez une nouvelle usine à gaz. Cerise sur le gâteau, la subsidiarité de l’aide juridictionnelle par rapport à un système de protection : l’aide juridictionnelle ne sera pas accordée lorsque les frais couverts par cette aide sont pris en charge par un « système de protection ». Or, il n’existe aucune définition du système de protection, et celle-ci n’est même pas renvoyée à un décret. Le rapport n’aborde pas cette problématique. Celui du Sénat donne cependant quelques exemples, tels que l’obligation de l’employeur, suite à un arrêt de novembre 2006 de la Cour de cassation, de prendre en charge les frais exposés pour la défense des salariés dans le cadre de leur activité. Encore fallait-il l’écrire. Se contenter de faire référence dans la loi à un système général de protection n’a pas grand sens. J’espère qu’au cours du débat, le ministre précisera si les exemples qui figurent dans le rapport sont exhaustifs ou si un décret précisera les cas particuliers d’exclusion.

Ce texte avait un intérêt et nous pouvions débattre de l’accès au droit. L’ajout de l’article 5 le dénature. C’est un choix politique lourd de conséquences. Si cet article n’est pas supprimé, nous voterons contre l’ensemble du texte.

M. Xavier de Roux – Assurer l’accès à la justice de tous les citoyens en garantissant aux avocats une rémunération décente est un réel problème pour l’État. Par ailleurs, il existe des assurances de protection juridique, autonomes ou dans le cadre d’un autre contrat. Le chiffre d’affaires en est estimé à un milliard, mais les 3 000 à 4 000 avocats concernés perçoivent des honoraires faibles, qu’ils compensent en suivant un nombre important de dossiers.

Comment assurer l’accès au droit, et une rémunération normale des professionnels ? Celle-ci est faible en effet, qu’il s’agisse d’aide juridictionnelle ou de protection juridique. L’avocat perçoit ainsi 44 euros pour une amende, 450 euros pour une affaire correctionnelle et 2 200 euros pour une affaire criminelle qui peut durer 35 mois.

On a pensé, pour améliorer cette rémunération, à modifier le code des assurances et notamment à accroître la liberté de fixation des honoraires. C’est là qu’apparaît la difficulté. S’agissant d’un contrat, avec un plafond de garantie fixé par la loi, l’assuré devra payer le montant des honoraires qui excédera ce plafond. En pratique, l’assureur va établir des barèmes du coût des interventions en fonction du temps passé par l’avocat et de normes d’efficacité. Cela existe déjà dans de nombreux contrats. On peut craindre que, rapidement, les avocats soient dans la même situation que les médecins libéraux remboursés par la sécurité sociale, et que périodiquement, ils exigent la hausse du barème ou du tarif horaire. Si ce n’est pas le cas, c’est qu’il y aura des contrats de protection juridique à plusieurs vitesses…

M. Yves Censi – Très bien !

M. Xavier de Roux – Nous sommes ici dans le domaine contractuel où cette liberté existe. Les auteurs du texte ne le veulent pas ; ils veulent même que ce soit impossible. Mais les exemples sont nombreux dans d’autres domaines et je crains qu’on n’aille inexorablement dans ce sens et que les organisations d’avocats qui ont tant soutenu la création de ce système ne soient pas très satisfaites de son fonctionnement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La discussion générale est close.

Art. premier

M. Jean-Marie Geveaux – Après les critiques de la commission des clauses abusives sur les réticences des assureurs à mettre en jeu les garanties dans ce domaine, il était nécessaire d’agir. Mais cet article, qui encadre la déchéance de garantie, est complexe en ce qu’il ne donne pas une définition précise du sinistre. Cela peut nuire à l’assuré, qui ne pourra déclarer le sinistre avant de recevoir un refus clair à sa réclamation. Mais quelle en sera la forme ? Sera-t-il écrit ? C’est une perte de temps, alors que dans ce type de litige mieux vaut intervenir rapidement pour obtenir un accord amiable et éviter des frais. Je proposerai donc une définition plus stricte.

D’autre part, le ministre a été sévère avec les assureurs. Or, ils jouent aussi un rôle de conseil pour la prévention et la protection de l’assuré. S’ils n’ont pas connaissance assez rapidement des sinistres, ils ne pourront jouer ce rôle.

Par ailleurs, l’article premier prévoit le recours systématique à un avocat si la partie adverse en a un. C’est, me semble-t-il, empiéter sur la liberté de l’assuré de conduire sa défense. Et n’est-ce pas alourdir la charge du sinistre ? Les assureurs ont des experts de qualité qui peuvent jouer ce rôle. L’assuré est capable de savoir ce qu’il a à faire. Je proposerai également par amendement de lui rendre le libre choix.

Enfin, même si des dérapages existent, comme dans tout secteur, et si les avocats désirent intervenir plus, est-ce au législateur à leur en offrir la possibilité ? Ce sont des professionnels libéraux, à eux de convaincre les clients. Le texte va trop loin car, pour corriger un excès, on en crée un autre. Par ailleurs, le coût des sinistres risque à terme de peser lourdement sur les compagnies d’assurance.

Mes amendements restent dans l’esprit de la loi, qui était nécessaire, mais contrebalancent ses excès (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

M. le Président – Gardez la parole, Monsieur Geveaux, et défendez votre amendement 4.

M. Jean-Marie Geveaux – Il remplace les mots : « le refus qui est opposé » par : « un désaccord total ou partiel consécutif ». Cela permettrait à l’accusé de bénéficier plus vite des prestations de protection juridique offertes par son assureur.

M. le Rapporteur – La commission l’a repoussé, car l’esprit du texte est de mettre un terme à une imprécision qui génère de nombreux contentieux entre les assureurs et les assurés, et qui peut se solder pour l’assuré par une déchéance de garanties. Le texte clarifie les choses en donnant une définition juridique précise au point de départ du délai de la garantie que doit l’assureur à son assuré. Nous mettrons ainsi un terme aux dérives constatées par la commission des clauses abusives.

Vous voulez remplacer « refus » par « désaccord », mais qu’est-ce qu’un désaccord ? Comment se matérialise-t-il ? Si nous retenions ce mot, nous resterions dans un flou très préjudiciable aux assurés.

M. le Ministre – Je n’ai pas le sentiment, Monsieur Geveaux, d’avoir été particulièrement sévère pour les assureurs. Leur rôle de conseil, important, n’est en rien altéré par le présent texte. Quant à l’activité de protection juridique, sa profitabilité est l’une des plus élevées du secteur. Il n’y a donc pas de risque économique flagrant sur cette partie de l’activité des assureurs !

Mais revenons en à votre amendement. Une définition mouvante de l’origine du litige pose un vrai problème, car dans ces conditions l’assureur se réserve en pratique la possibilité de prononcer la déchéance de garantie à sa guise. L’adoption de votre amendement rétablirait ce que la commission des clauses abusives avait réussi à proscrire et reviendrait sur un acquis fondamental des assurés.

En outre, cette rédaction serait contestable juridiquement. En effet, dès lors que l’assureur pourrait en pratique décider seul de couvrir ou non un litige, il ne subirait plus l’aléa, qui est une condition de validité du contrat d’assurance.

Le texte de la proposition de loi est parfaitement fondé juridiquement, et conforme aux recommandations de la commission des clauses abusives. Il définit le sinistre au premier instant où le litige est cristallisé. On peut précisément dater un refus, mais pas un simple désaccord, partiel de surcroît.

C’est pourquoi le Gouvernement demande le rejet ou le retrait de cet amendement.

L'amendement 4, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Yves Censi – Mon amendement 3 dit que « l’assureur doit proposer à l’assuré d’être assisté ou représenté par un avocat lorsque la partie adverse l’est elle-même ». Je maintiens donc l’obligation qui pèse sur l’assureur, mais en supprimant le caractère systématique de la mesure et donc en laissant à l’assuré la liberté de choisir d’être assisté ou non par un avocat. Cette liberté de choix me paraît en effet un principe important.

Le but est aussi de ne pas faire peser de contraintes financières sur l’assuré, ce qui serait le cas s’il avait l’obligation d’être représenté par un avocat, car les honoraires pourraient être supérieurs au montant de la garantie prévu au contrat de protection juridique.

M. Jean-Marie Geveaux – Mon amendement 5 replace également l’assuré au cœur du dispositif de l’assurance de protection juridique en lui laissant la liberté d’être assisté ou non d’un avocat. S’il avait l’obligation de l’être, il pourrait avoir à supporter des contraintes financières, car les honoraires pourraient être supérieurs au montant de la garantie prévue au contrat de protection juridique.

M. le Rapporteur – La commission a repoussé ces amendements, car le texte vise au contraire à imposer à un assureur de recourir à un avocat quand la partie adverse est elle-même assistée par un avocat.

Souvent, avant un contentieux, les parties se rapprochent pour essayer de trouver un accord. S’il est trouvé, une transaction est signée, dans le cadre de laquelle l’intéressé renonce définitivement à tout recours. Autant dire que c’est un acte particulièrement grave ! L’esprit du texte est d’assurer l’égalité des armes entre les parties pendant cette phase importante. Quand l’une est assistée par un avocat et que l’autre ne l’est pas, il n’y a évidemment pas égalité des armes.

M. Jean-Marie Geveaux – Vous méconnaissez les compétences des juristes travaillant dans l’assurance !

M. le Rapporteur – Nous ne faisons là que reprendre les exigences posées par la Cour européenne des droits de l’Homme, qui considère que le principe de l’égalité des armes requiert que chaque partie se voie offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne le placent pas dans une situation de net désavantage.

M. Yves Censi - Une possibilité ! Pas une obligation.

M. le Ministre – Le Gouvernement a également un avis défavorable. Il faut distinguer deux cas de figure. Le premier, sans doute le plus fréquent, est celui où l’une des parties n’a pas d’avocat. L’autre n’en aura donc pas non plus. De nombreux litiges pourront se résoudre ainsi, par exemple des litiges de consommation. Le deuxième cas est celui où l’une des parties a un avocat. L’intérêt de l’assuré est alors évidemment d’être aussi bien armé que son adversaire. Il ne l’est pas lorsqu’il n’est assisté que par son assureur et qu’un avocat se trouve en face.

Laisser l’assureur négocier directement avec l’avocat adverse pose deux problèmes. Tout d’abord, les rédacteurs des compagnies d’assurance, si compétents soient-ils, ne sont jamais aussi familiers de la négociation que les avocats. Surtout, ce déséquilibre empêche des transactions de se réaliser. Pour transiger, il faut être certain que les concessions que l’on propose à son adversaire restent confidentielles et qu’elles ne seront pas invoquées devant le juge. Or, cette confidentialité n’est bien protégée qu’entre deux avocats. Sinon, la partie adverse, plutôt que de transiger, aura tout intérêt à aller au contentieux afin de montrer au juge combien l’assureur était prêt à minorer ses demandes au cours de la négociation.

M. Yves Censi – N’y a-t-il pas entrave à la liberté dès lors qu’on crée une obligation, au motif que la capacité de discernement de l’assuré – et celle de son assureur – serait insuffisante ? Vous fondez votre raisonnement sur les quelques cas où une partie aura un avocat et l’autre non : c’est une vision théorique et erronée. Plutôt que de créer une obligation que la Cour européenne des droits de l’homme risque de désavouer, mieux vaudrait laisser le choix à l’assuré de prendre un avocat ou non. Mon amendement est donc bel et bien nécessaire !

M. Jean-Marie Geveaux – En effet, nous entendons des choses incroyables. Imposer un avocat à l’assuré, c’est méconnaître le rôle de l’assureur. Celui-ci doit satisfaire ses clients en mettant à leur disposition ses services juridiques, dont je sais d’expérience qu’ils peuvent faire jeu égal avec les avocats.

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois Cet argument n’est pas acceptable !

M. Émile Blessig – M. Vidalies a relevé tout à l’heure l’ambiguïté qu’illustre cette discussion. Levons-la : en France, les compagnies d’assurances sont à la fois tiers payant et prestataires de services. En l’absence d’avocat, l’assureur joue pleinement son rôle en transigeant. Dans le cas contraire, le litige peut être porté devant un tribunal, où l’avocat ne sera pas tenu par les conditions de déontologie – notamment de confidentialité – qui contraignent l’assureur : voilà où est l’inégalité des armes. Les assureurs doivent rester prestataires en phase de précontentieux, mais l’intervention de l’avocat change tout. L’assuré doit être protégé, et tel est l’objet du texte en l’état.

Les amendements 3 et 5, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.
L'article premier, mis aux voix, est adopté.

Art. 2

L'article 2, mis aux voix, est adopté.

Art. 3

M. Jean-Marie Geveaux – L’amendement 6 permet à l’assureur de fixer avec l’avocat le montant de ses honoraires avant le lancement de tout contentieux. Cette négociation préalable sert l’intérêt des assurés, car elle permet à l’assureur de maîtriser le rapport entre montant des primes et coût des sinistres. Son interdiction serait une entorse à la liberté d’entreprendre. Au cas où le règlement du sinistre est retardé, les honoraires de l’avocat risquent d’augmenter et l’assureur ne pourra pas forcément tout prendre en charge. Pour éviter tout dérapage, il serait donc utile que l’avocat s’engage d’emblée sur le montant de ses honoraires. Ainsi, l’assureur saura à quoi s’en tenir, d’autant plus que la plupart des sinistres portent sur de faibles sommes. On éviterait ainsi de piéger les assurés, y compris dans certaines situations où les honoraires sont supérieurs au coût du dédommagement lui-même !

M. le Rapporteur – Avis défavorable : une convention d’honoraires systématique relève du règlement plutôt que de la loi. Le ministre vous l’a dit : le décret du 12 juillet 2005 sera prochainement modifié afin d’instaurer cette obligation.

M. le Ministre – Même avis : le garde des Sceaux s’est engagé à modifier les règles de déontologie qui s’appliquent aux avocats. Ceux-ci seront désormais tenus de proposer une convention d’honoraires aux assureurs, sauf en cas d’urgence. Votre amendement est ainsi satisfait.

M. Guy Geoffroy – Très bien !

M. Alain Vidalies – Ce texte offre aux avocats un guichet ouvert chez les assureurs.

M. Yves Censi – Dites plutôt les assurés !

M. Alain Vidalies – L’assureur a le droit en effet de plafonner le montant de son intervention. Il ne manquera pas de le faire, surtout quand les cotisations de certains contrats ne dépassent par quelques euros par an. Soyons clairs : la signature d’une convention avec l’avocat ne signifie pas que l’assureur sera tenu de rembourser l’intégralité du montant négocié !

Quant à l’obligation de recourir à un avocat en cas de contentieux, elle est légitime, ne serait-ce que pour faire jeu égal en matière de confidentialité. Sans avocat, l’assuré courrait le risque d’une inégalité de traitement devant le juge.

Enfin, l’obligation faite par décret aux avocats de signer une convention d’honoraires est une judicieuse mesure de transparence.

M. Xavier de Roux – Nous sommes ici au cœur de la difficulté. Vous voulez, Monsieur le ministre, modifier le code de déontologie de l’avocat pour systématiser les conventions d’honoraires, mais le problème est de faire coïncider la convention entre l’avocat et son client, qui se trouve être un assuré, et le contrat entre l’assureur et l’assuré. La convention d’honoraires peut être très difficile à établir : dans des sinistres complexes, avec des procédures longues, il est évident que le temps passé est un élément essentiel de la convention d’honoraires. Mais le Conseil de la concurrence refuse l’établissement de barèmes : il a annulé ceux qu’avaient tenté d’instituer deux ordres d’avocats. À défaut de tarifs prédéterminés, il y aura donc une différence entre ce que les assureurs estimeront devoir payer et ce que les avocats estimeront devoir recevoir. Qui sera l’arbitre ? Avant d’écrire votre décret, Monsieur le ministre, il faudra bien tourner votre plume dans l’encre !

L'amendement 6 est retiré.

M. Yves Censi – L’amendement 2 vise à supprimer la fin de la phrase, qui deviendrait : « Les honoraires de l’avocat sont déterminés entre ce dernier et son client ». Le principe de la liberté de fixation des honoraires entre l’avocat et son client est ainsi sauvegardé. Je me fonde sur une notion de responsabilité personnelle : faisons confiance à la capacité de négociation de chacun avant de créer des obligations ! En aucun cas, cette liberté ne peut exclure la possibilité, pour l’avocat, de négocier, dans le cadre de ses relations habituelles avec un assureur, les honoraires qu’il sera amené à percevoir pour ses interventions couvertes par cet assureur. Dès lors qu’il connaît le montant des honoraires relatifs à son litige, l’assuré est en mesure d’exercer son libre choix de l’avocat. Cela me paraît de nature à satisfaire l’ensemble des parties.

M. le Rapporteur – Avis défavorable. Cet amendement vise en fait à maintenir les accords d’honoraires entre l’assureur et l’avocat. Or, cette pratique est contraire au principe de libre détermination des honoraires entre l’avocat et son client, et fait de l’avocat un quasi-salarié de l’assureur, allant à l’encontre des règles de la profession. Elle soumet la défense des intérêts de l’assuré à un tarif proposé par l’assureur, qui peut s’avérer inférieur au coût de la prestation – et va donc au détriment du service rendu à l’assuré. C’est l’indépendance de l’avocat et sa capacité à défendre l’assuré qui sont en cause.

M. le Ministre – Même avis. Cet amendement contrevient au principe d’égalité devant la concurrence. Un avocat de réseau peut plafonner ses honoraires à des montants que ses confrères ne pourront jamais concurrencer, puisqu’il bénéficie d’un flux d’affaires garanti par l’assureur. La rémunération pré-négociée par l’assureur pervertit donc le principe essentiel du libre choix, puisque les autres avocats ne peuvent proposer des honoraires aussi bas. Or, le libre choix est l’objet même de cette proposition de loi. Le Gouvernement souhaite le retrait de cet amendement.

M. Yves Censi – Je n’ai pas vraiment pensé aux assureurs ou aux avocats, en proposant cet amendement, mais aux assurés ! Ma proposition me semble de nature à éviter une tendance inflationniste qui résulterait de ce texte. C’est la raison pour laquelle je souhaite le maintenir.

M. Alain Vidalies – Dans la pratique, cette situation existe depuis longtemps et le fait qu’il existe des avocats spécialisés, correspondants des assureurs, bénéficie souvent à l’assuré, à la fois en termes de qualité et de coût de la prestation. Gardons bien à l’esprit que bien souvent, malgré son contrat, l’assuré aura un surplus à payer ! Si vous êtes atteint d’une maladie grave, la sécurité sociale vous prend en charge à 100 %. Mais si vous êtes couvert par un contrat de protection juridique à concurrence de 500 euros et que la procédure en coûte 3 000, c’est vous qui payez la différence ! Voilà une réalité à prendre en considération, d’autant que dans les faits, il me semble que les avocats en réseau ne font pas preuve de subordination, ni ne produisent des prestations de mauvaise qualité. Ce serait leur faire un procès injuste.

M. le Président de la commission – M. Vidalies sait bien comment cela se passe en pratique : les compagnies d’assurance de protection juridique ont un réseau de correspondants, et dirigent leurs assurés vers eux. Si jamais un assuré souhaite exercer son libre choix, elles le lui permettent bien sûr, mais sous réserve qu’il fasse l’avance de tous les frais et honoraires de l’avocat qui n’appartient pas au réseau !

M. Jean-Pierre Gorges – Il peut choisir !

M. le Président de la commission – Et M. Vidalies, bien qu’il assure que cette pratique ne nuit pas à la prestation de l’avocat, sait comme moi que le tarif habituel des compagnies de protection juridique pour chaque procédure est largement inférieur au coût réel de la prestation, y compris en termes de frais généraux. Certains cabinets s’y retrouvent sur la quantité, mais au détriment de la qualité et donc du justiciable. C’est comme cela que cela se passe. Je vous en parle d’expérience.

M. Alain Vidalies – Moi aussi !

M. le Président de la commission – La proposition de loi vise à en revenir à l’application des principes normaux : le libre choix de l’avocat, et la conclusion d’une convention d’honoraires avec son client. C’est comme cela que ça doit se faire. Quant aux risques de dérapage que vous évoquez, je vous rappelle que les avocats doivent respecter des obligations professionnelles et déontologiques, dont notamment la modération des honoraires en fonction de la situation du justiciable, et que le respect de ces obligations est contrôlé. La convention d’honoraires appréciera donc la prestation normalement, en application de ces règles de mesure et de modération. L’assurance de protection juridique aura, de son côté, un contrat avec l’assuré, qui pourra faire état d’un plafond d’indemnisation venant en soustraction des honoraires.

La proposition de loi précise clairement qu’une personne susceptible de bénéficier de l’aide juridictionnelle, et qui est assurée en protection juridique, ne doit pas être amenée à payer plus cher que si elle n’avait bénéficié que de la mesure d’aide juridictionnelle. Le décret y pourvoira. Il suffira de prévoir, dans les conventions d'honoraires, une clause selon laquelle une fois l’indemnisation de la compagnie d’assurance versée, le solde ne pourra dépasser le plafond d’indemnisation alloué par l’État. Tout cela est parfaitement équilibré.

M. Guy Geoffroy – C’est vrai !

M. le Président de la commission – Actuellement, nous ne respectons plus les principes du libre choix de l’avocat et de la libre détermination contractuelle des honoraires entre le client et l’avocat. Il faut en revenir à ces principes. Les justiciables n’ont qu’à y gagner (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Alain Vidalies – Les réseaux existent, et pas seulement en matière de protection juridique. D’autres systèmes professionnels me paraissent aujourd’hui ne pas répondre aux exigences du respect absolu du libre choix de l’avocat. Surtout, je crains qu’on ne tende un miroir aux alouettes aux assurés comme aux avocats, parce que les assureurs, avec ou sans l’intervention d’un avocat, verseront ce à quoi ils s’étaient engagés, et le reste sera à la charge de l’assuré.

Je partage avec le président de la commission l’idée que le niveau de rémunération offert par les assureurs aux avocats pose un problème. C’est à ce sujet qu’il aurait fallu intervenir, pour éviter la paupérisation d’une partie de la profession, mais ce n’est pas ce que vous proposez.

L'amendement 2, mis aux voix, n'est pas adopté.
L’article 3, mis aux voix, est adopté.

art. 4

L’article 4 est adopté.

Art. 5

M. Alain Vidalies – L’amendement 1 vise à supprimer cet article, qui n’existait dans aucune des propositions de loi initiales, et n’a été introduit que par un amendement présenté devant la commission des lois du Sénat et repris par le Gouvernement. « L’aide juridictionnelle, lit-on, n’est pas accordée lorsque les frais couverts par cette aide sont pris en charge au titre d’un contrat d’assurance de protection juridique ou d’un système de protection. »

Vous choisissez de privilégier l’assurantiel, sans d’ailleurs cacher votre objectif, puisque le garde des Sceaux a déclaré sans ambages au Sénat que l’aide juridictionnelle coûtait trop cher. Cela demanderait un débat de fond, avec audition des professionnels et des associations de consommateurs, sur l’avenir de l’accès au droit en France. D’ailleurs, vous remettez ainsi en cause certaines déclarations antérieures du Gouvernement, qui vantaient ses efforts financiers pour l’aide juridictionnelle.

Ce dispositif est également hasardeux : personne ne sait comment il va fonctionner. Vous préparez une usine à gaz ! Il existera en effet deux sources de paiement distinctes dans la même procédure : un contrat de protection d’assurance juridique, et l’aide juridictionnelle, celle-ci devant se substituer à celle-là en cours de route. On aboutira à un cafouillage généralisé.

Enfin, cerise sur le gâteau, la référence à « un système de protection », dont la couverture priverait du bénéfice de l’aide juridictionnelle. On ne sait pas de quoi il s’agit, et aucun décret n’est annoncé pour préciser cette notion. Le législateur ne s’honore vraiment pas d’écrire le droit de manière aussi floue.

Les auteurs de l’amendement, et le Gouvernement qui a repris celui-ci, sont responsables d’un mauvais coup contre le texte lui-même. Je considère cela comme un détournement de procédure visant à changer la nature de la proposition de loi.

M. le Rapporteur – La commission a repoussé cet amendement. L’esprit de l’article 5 et du principe de subsidiarité qu’il pose est que le système public d’aide juridictionnelle n’intervienne qu’en l’absence d’assurance ou lorsque le contrat ne couvre pas la totalité des frais de procédure engagés. Quelle logique y a-t-il à verser des fonds publics alors qu’il existe un contrat d’assurance censé couvrir les frais ?

Un décret sera pris pour répondre aux questions de M. Vidalies concernant l’application du principe. En tout état de cause, les choses sont simples : lorsqu’une personne sollicite le bénéfice de l’aide juridictionnelle, le responsable du bureau lui demande si elle est couverte par un contrat d’assurance, et si c’est le cas, il l’indique dans le document prévu, ainsi que le niveau de couverture du contrat. Au-delà de ce niveau, l’aide juridictionnelle interviendra, totale ou partielle, en fonction des revenus de l’intéressé.

M. Vidalies voudrait en outre que soit explicitée la notion de « système de protection ». Si nus avons retenu cette formulation, c’est parce qu’il existe des systèmes de protection juridique en dehors des contrats d’assurance : par exemple, l’administration a l’obligation d’assurer la défense d’un fonctionnaire cité en justice pour des faits commis dans le cadre de ses fonctions ; et la jurisprudence de la Cour de cassation prévoit un tel cas de figure pour des employeurs vis-à-vis de leurs salariés. Nous avons estimé que les frais engagés par l’employeur ou l’administration dans ce cadre devaient être défalqués de l’intervention de l’aide juridictionnelle.

M. le Ministre – Avis défavorable. Je trouve étonnant de votre part, Monsieur le député, que vous demandiez au contribuable de payer pour des dépenses qui sont déjà couvertes par un contrat d’assurance.

Le Gouvernement prendra prochainement un décret d’application, qui précisera notamment les informations et pièces à fournir à l’appui d’une demande d’aide juridictionnelle et prévoira que l’assureur délivre un justificatif des plafonds de garantie. J’ajoute que, si des économies budgétaires sont réalisées, elles seront entièrement consacrées à l’amélioration de l’aide juridictionnelle pour les plus démunis.

M. Alain Vidalies – Le texte n’évoquait pas la nécessité d’un décret ! Et les dernières interventions du rapporteur et du ministre démontrent bien quelle sera la complexité de votre usine à gaz. Les intéressés devront aller au bureau d’aide juridictionnelle – où les imprimés auront dû être modifiés et les employés formés à cette nouvelle pratique –, et demander une attestation à leur assureur. Le bureau d’aide juridictionnelle devra ensuite se réunir. Vous vous targuez volontiers, Monsieur le ministre, d’avoir fait œuvre de « simplification » pendant quatre ans : aujourd’hui, dans un moment d’abandon, vous faites tout l’inverse !

L'amendement 1, mis aux voix, n'est pas adopté.
L'article 5, mis aux voix, est adopté.

art.6 à 10

Les articles 6 à 10, successivement mis aux voix, sont adoptés.
L'ensemble de la proposition de loi, mis aux voix, est adopté.
Prochaine séance mardi 13 février à 9 heures 30.
La séance est levée à 11 heures 35.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

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