Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (session ordinaire 2006-2007)

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit

Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

1ère séance du jeudi 22 février 2007

Séance de 9 heures 30
65ème jour de séance, 148ème séance

Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde
Vice-Président

Consulter le sommaire

La séance est ouverte à neuf heures trente.

M. le Président – En attendant l’arrivée du Gouvernement, je vais suspendre la séance.

La séance, immédiatement suspendue, est reprise à 9 heures 35.

Retour au haut de la page

accords internationaux

L'ordre du jour appelle le vote, selon la procédure d’examen simplifié, sur treize projets de loi autorisant l’approbation d’accords internationaux.

M. le Président – Conformément à l’article 107 du Règlement, je vais mettre aux voix chacun de ces textes.

Le projet de loi autorisant l’adhésion au protocole relatif à la convention internationale de Torremolinos sur la sécurité des navires de pêche, mis aux voix, est adopté.
Le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation du protocole n° 2 à la convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales relatif à la coopération interterritoriale, mis aux voix, est adopté.
Le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre la France et les États-Unis du Mexique sur le mécanisme de développement propre dans le cadre du protocole de Kyoto, mis aux voix, est adopté.
Le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume du Maroc relatif au statut de leurs forces, mis aux voix, est adopté.
Le projet de loi autorisant l’approbation d’un accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Chypre relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure, mis aux voix, est adopté.
Le projet de loi autorisant l’approbation des amendements à la constitution et à la convention de l’Union internationale des télécommunications, adoptés à Marrakech le 18 octobre 2002, mis aux voix, est adopté.
Le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention de Budapest relative au contrat de transport de marchandises en navigation intérieure, mis aux voix, est adopté.
Le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du traité relatif au Corps européen et au statut de son Quartier général entre la République française, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume de Belgique, le Royaume d’Espagne et le Grand-Duché de Luxembourg, mis aux voix, est adopté.
Le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du protocole additionnel au traité entre la République française, le Royaume d’Espagne, la République italienne, la République portugaise portant statut de l’EUROFOR, mis aux voix, est adopté.
Le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre l’Agence spatiale européenne et certains de ces États-membres concernant le lancement de fusées-sondes et de ballons, mis aux voix, est adopté.
Le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l’accord euro-méditerranéen relatif aux services aériens entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part, mis aux voix, est adopté.
Le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation du protocole additionnel à la convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, concernant les autorités de contrôle et les flux transfrontières de données, mis aux voix, est adopté.
Le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation d’un accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la Fédération de Russie relatif à une coopération en matière de destruction des stocks d’armes chimiques en Fédération de Russie, mis aux voix, est adopté.

Retour au haut de la page

recrutement, formation
et responsabilité des magistrats (cmp)

L'ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats.

M. Philippe Houillon, rapporteur de la commission mixte paritaire – Le projet de loi modifiant le statut de la magistrature a été sensiblement enrichi par les deux assemblées, passant de 11 à 36 articles.

L'Assemblée nationale a adopté plusieurs articles additionnels, essentiellement destinés à favoriser l'ouverture de la magistrature et à clarifier son régime disciplinaire. Pour diversifier le recrutement, elle a souhaité relever la proportion maximale des magistrats recrutés sur titre ou par intégration directe au corps judiciaire, et, dans le même esprit, ouvrir le détachement judiciaire à davantage de fonctionnaires. Afin d’adapter la formation aux attentes des justiciables, elle a décidé de rétablir une obligation de formation continue, de porter de deux à six mois la durée du stage effectué par les auditeurs de justice en cabinet d'avocat et d'instituer une mobilité statutaire de deux ans. Pour améliorer la lisibilité des devoirs des magistrats, elle a confié au CSM le soin de publier un recueil de leurs obligations déontologiques. Enfin, le médiateur de la République a été chargé d’examiner les plaintes des justiciables.

Le Sénat a complété ces mesures. Il a rééquilibré les procédures de recrutement au profit des futurs magistrats : la commission d'avancement devra dorénavant motiver tout avis défavorable à l'intégration directe dans le corps judiciaire ou au recrutement d'un magistrat à titre temporaire ; lorsque le jury de classement émettra des réserves sur l'exercice de certaines fonctions judiciaires par un magistrat, celui-ci pourra faire verser à son dossier ses propres observations. Le Sénat a également souhaité simplifier les procédures en supprimant la présélection des candidats aux fonctions de magistrat à titre temporaire par les assemblées générales des magistrats du siège des cours d'appel. Il a décidé que le Garde des Sceaux saisira dorénavant un comité national, et non plus les comités médicaux départementaux, aux fins de suspension d’un magistrat pour comportement pathologique. Enfin, la Haute assemblée a soumis le départ des magistrats dans le secteur public au respect des règles de déontologie qui s'imposent aux fonctionnaires.

Parmi les 23 articles restant en discussion, la CMP a dû trancher cinq débats entre les deux assemblées.

S'agissant de la définition de la faute disciplinaire, le Sénat avait prévu que le CSM ne pourrait sanctionner la violation des règles de procédure que si elle était constatée par une décision de justice devenue définitive, cela afin de ne pas porter atteinte à l'autorité de la chose jugée et à l'indépendance de la justice. Cette rédaction présentait toutefois l'inconvénient de restreindre la portée de la définition de la faute disciplinaire, puisqu’elle excluait les actes juridictionnels n'ayant fait l'objet d'aucun recours, et garantissait l’impunité aux magistrats dont les manquements n’auraient pas été détectés par le juge d'appel ou de cassation. Cette définition se trouvait même en retrait par rapport à la jurisprudence du CSM et du Conseil d'État, lesquels acceptent de mettre en cause l'autorité de la chose définitivement jugée, lorsque le juge a de façon grossière et systématique outrepassé sa compétence ou méconnu le cadre de sa saisine. La CMP a donc préféré rétablir la rédaction du Gouvernement, adoptée par l'Assemblée en première lecture.

La deuxième divergence portait sur la procédure d'examen des plaintes des justiciables. Le Sénat avait confié cet examen à une commission ad hoc, la « commission d'examen des réclamations », composée d'anciens membres du CSM désignés par le garde des Sceaux et d'une personne qualifiée désignée conjointement par le Premier président et le Procureur général de la Cour de cassation. Cette commission aurait été chargée d'ordonner soit le classement de la plainte, soit sa transmission au Garde des Sceaux.

Ce dispositif présentait plusieurs inconvénients : la commission d'examen des plaintes n'aurait été compétente qu'à l'égard des magistrats du siège ; ses membres n’auraient pas disposé de l'indépendance suffisante pour examiner le bien-fondé des plaintes ; elle n'aurait disposé d'aucun des pouvoirs que l'Assemblée nationale prévoyait de confier au Médiateur, ne pouvant ni interroger les chefs de cour, ni contraindre le garde des Sceaux à diligenter une enquête. La CMP a donc rétabli le dispositif de l'Assemblée nationale, en confiant au Médiateur le soin d'examiner les plaintes du justiciable. Néanmoins, pour tenir compte des observations du Sénat, le filtre par un parlementaire a été supprimé, et une commission a été placée auprès du Médiateur afin de l'assister dans l'examen des plaintes.

Troisièmement, le Sénat avait décidé de ramener de six à cinq mois la durée du stage que les auditeurs de justice devront effectuer dans un cabinet d'avocat. Un tel choix était contestable car ce stage doit être suffisamment long pour permettre une pleine compréhension du fonctionnement de la profession d'avocat comme des situations individuelles, parfois tragiques – il s'agit notamment de faire toucher du doigt aux futurs magistrats ce que sont les droits de la défense. Je vous rappelle que le rapport de la commission d'enquête sur l'affaire d'Outreau avait préconisé de porter cette durée à un an et que la commission des lois de l'Assemblée, pour éviter une allongement excessif de la scolarité des auditeurs de justice, avait proposé de la ramener à huit mois, avant que le ministre ne parvienne à nous convaincre de la réduire encore à six mois. La CMP a donc décidé de revenir à cette dernière durée en rétablissant sur ce point le texte adopté par l'Assemblée nationale.

Quatrièmement, le Sénat avait également décidé que la durée minimale de la mobilité statutaire des magistrats, que nous avions fixée à deux ans en nous inspirant des règles applicables aux fonctionnaires recrutés par la voie de l'ENA, pourrait être seulement d'une année. Je n'étais pas totalement convaincu que cela s'inscrive dans la logique de notre réforme car les magistrats qui gagneraient le plus à s'ouvrir à d'autres activités professionnelles s'en tiendront probablement à la durée minimale. Toutefois, pour tenir compte des contraintes de gestion des ressources humaines, la CMP a choisi de maintenir cette durée plus réduite, l'essentiel étant que tous les magistrats découvrent un autre métier au cours de leur carrière.

Enfin, la CMP a décidé de revenir sur l'extension, voulue par les sénateurs, du détachement judiciaire aux agents de direction des organismes de sécurité sociale recrutés par la voie de l'École nationale supérieure de sécurité sociale. En effet, ces agents n'ont pas la qualité de fonctionnaires, ce qui rendrait inopérantes nombre de règles statutaires les concernant, par exemple en matière de discipline ou de procédure de réintégration.

Je me félicite du caractère constructif de nos débats. Certes, cette réforme ne répond pas entièrement à l'attente créée par les travaux de la commission d'enquête sur l'affaire d'Outreau, s'agissant notamment de la responsabilité des magistrats, et je reste convaincu qu'une réforme plus ambitieuse devra être conduite au cours de la prochaine législature. Toutefois, je vous invite à adopter ce projet car il comporte d’indéniables avancées sur la voie d'une justice plus efficace, plus ouverte sur le monde et plus respectueuse des droits de nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice  Rappelons-nous l’émotion que nous avons ressentie à la suite de l’acquittement des accusés d’Outreau, rappelons-nous leur rencontre avec le Premier ministre, les excuses que j’ai présentées au nom de l’institution judiciaire ainsi que l’engagement du Président de la République de tout faire pour que pareil scandale ne se reproduise pas. Rappelons-nous le travail exemplaire réalisé par la commission d’enquête et le formidable engouement des Français pour les questions de justice : nous ne pouvions reporter une réforme attendue par tous. Je suis donc fier de présenter des textes respectant l’engagement pris, et un texte qui, contrairement à ce qu’ont pu dire certains, n’élude aucune des questions posées par l’affaire d’Outreau.

La solitude plus que bicentenaire du juge d’instruction aura vécu lorsque, conformément aux propositions de la commission d’enquête, l’instruction deviendra collégiale. Le texte de la CMP prévoit que cette collégialité entrera en vigueur dans un délai de trois ans. Elle sera précédée de la création des pôles de l’instruction qui permettront de renforcer la cosaisine et constitueront ainsi la première étape de la réforme en donnant au juge d’instruction l’habitude du travail en équipe. La solution retenue par la CMP pour favoriser la cosignature des ordonnances de règlement en permettant l’appel de ces ordonnances si elles n’ont pas été signées par les juges cosaisis – sans rendre pour autant cette cosignature obligatoire – me paraît appropriée. Elle permet d’éviter tout risque de blocage tout en incitant fortement les juges cosaisis à se mettre d’accord et à cosigner l’ordonnance de règlement.

La limitation de la détention provisoire résultera du meilleur encadrement des critères de placement en détention et de la suppression du critère de l’ordre public en matière correctionnelle. Elle résultera également de la publicité du débat contradictoire, qui constituera désormais le principe, ainsi que de l’institution d’une audience publique de contrôle devant la chambre de l’instruction qui, notamment à la demande de la personne détenue, pourra intervenir trois mois après le début de la détention comme l’a proposé l'Assemblée, puis tous les six mois, et permettra l’examen approfondi de tous les aspects du dossier. Ces dispositions seront immédiatement applicables : dès la publication de la loi, les personnes détenues depuis au moins trois mois pourront demander que leur affaire soit examinée par la chambre de l’instruction.

Enfin, le renforcement des droits des parties résultera de l’enregistrement des interrogatoires, en matière criminelle, des personnes gardées à vue ou mises en examen, ainsi que de la possibilité de critiquer à intervalles réguliers une mise en examen et du renforcement du contradictoire en matière d’expertises et de règlement des informations.

L’affaire d’Outreau a également mis en lumière la nécessité de réformer le recrutement, la formation et la responsabilité des magistrats. La diversification de leur recrutement est une nécessité compte tenu de l’évolution de la société française, dont toutes les composantes doivent être présentes au sein de la magistrature, mais aussi de l’intérêt de faire appel aux expériences professionnelles les plus diverses. Je me réjouis donc que l’Assemblée ait décidé de relever le plafond du nombre de candidats issus des concours complémentaires ou souhaitant bénéficier des dispositions relatives à l’intégration directe dans la magistrature.

La formation des magistrats est également au cœur de nos préoccupations : c’est le moment où peuvent être détectés et écartés certains comportements incompatibles avec la fonction de juge. C'est pourquoi l'obligation d'effectuer le stage juridictionnel, qui était imposée seulement à une partie des élèves magistrats, est étendue à l'ensemble des candidats à la magistrature. Il s'agit d'un stage probatoire dont la sanction est claire : s'il ne réussit pas à démontrer qu'il détient les qualités indispensables à l'exercice des fonctions judiciaires, le candidat ne pourra être admis à ces fonctions. La formation des auditeurs de justice a été enrichie de l'obligation d'effectuer un stage d'une durée minimale de six mois auprès d'un barreau ou comme collaborateur d'un avocat inscrit au barreau. La formation continue des magistrats sera, elle aussi, tournée vers les réalités de la société française grâce à l’institution d’une mobilité statutaire, condition pour accéder aux emplois d'encadrement les plus importants, les fonctions hors hiérarchie. Cette mobilité, d'une durée maximale de deux ans, pourra être effectuée au sein d'une entreprise privée ou publique, auprès d'une institution ou d'un service de l'Union européenne.

Le régime disciplinaire des magistrats, qui date de 1958, méritait d'être adapté aux exigences de la société contemporaine. Nous avons réussi à le rénover sans pour autant mettre en danger l'indépendance de la magistrature. Première évolution, peut être la plus symbolique : la création d'une nouvelle faute disciplinaire, sanctionnant la violation grave et délibérée d'une règle de procédure constituant une garantie essentielle du droit des parties. Nous avons également élargi la gamme des sanctions en y ajoutant : l'interdiction d'exercer des fonctions à juge unique pour une durée maximale de cinq ans.

L'éventuelle sanction d'un magistrat n'est cependant que le terme d'un processus que nos concitoyens estiment long et difficilement compréhensible. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité confier au Médiateur de la République la lourde de tâche de recueillir les réclamations émanant de toute personne physique ou morale estimant, à l'occasion d'une affaire la concernant, que le comportement d'un magistrat est susceptible de constituer une faute disciplinaire. Le Sénat avait retiré cette compétence au Médiateur pour la confier à une commission des réclamations, placée auprès du Garde des Sceaux. La CMP a choisi de faire coexister ces deux organes en plaçant la commission, non plus sous l'autorité du Garde des Sceaux, mais sous celle du médiateur qui retrouve ainsi les compétences que l'Assemblée lui avait confiées. Ce texte permet de préserver l’essentiel : donner aux Français un interlocuteur unique et facilement identifiable pour traiter des affaires de discipline de magistrats. Le médiateur, qui pourra être saisi directement, aura la possibilité de demander au Garde des Sceaux d'entamer des poursuites disciplinaires ; la réponse du ministre devra être motivée et pourra faire l'objet d'une publication dans le rapport du médiateur.

Je remercie votre commission des lois, notamment son président, M. Philippe Houillon, et les rapporteurs Xavier de Roux et Guy Geoffroy, dont le remarquable travail a permis d'améliorer les textes proposés. Je vous assure que je veillerai à ce que ces textes soient effectivement mis en œuvre par les juridictions, notamment en prenant dans les toutes prochaines semaines les dispositions réglementaires nécessaires.

Tout en ne constituant sans doute qu'une première étape, la réforme que vous allez adopter compte des avancées très notables en reprenant, de façon totale ou partielle, l'essentiel des propositions de la commission d'enquête parlementaire. Ces mesures importantes ne sont anecdotiques que pour ceux qui ne connaissent pas la justice au quotidien. Le terme de « réformette » que j'ai entendu ça et là n'émane pas souvent de professionnels de la justice, mais de ceux qui, dans tous les domaines, regrettent le Grand Soir. Ainsi, est-il honnêtement possible d'affirmer que l'enregistrement des gardes à vue, même limité à la matière criminelle, la mise en place des pôles de l'instruction, première étape vers la collégialité, ou la mise en œuvre d'un contrôle des dysfonctionnements de l'institution judiciaire par le Médiateur ne sont pas des mesures fondamentales ?

Pour autant, nous savons que nous devons poursuivre nos efforts pour permettre à l'institution judiciaire de disposer de locaux et de personnels afin d’accueillir dans les meilleures conditions les justiciables. Nous devons tout faire également pour que les décisions prononcées soient exécutées rapidement et que les recours, quand ils existent, fassent l'objet d'un examen dans un délai acceptable. C'est pourquoi j'appelle de mes vœux le vote d'une nouvelle loi d'orientation et de programmation pour la justice, pour les cinq prochaines années.

Les dysfonctionnements révélés à l'occasion de l'affaire d'Outreau ont rappelé que la justice ne peut se contenter de bonnes intentions : il fallait des décisions, nous les avons prises ; il fallait des moyens, nous les avons engagés et la prochaine majorité devra continuer à le faire. C'est parce que nous nous convaincrons que la lutte pour une justice de qualité est un combat incessant que nous pourrons enfin donner aux Français la justice à laquelle ils aspirent : humaine, efficace et respectueuse des droits de chacun (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. André Vallini – Personnellement, je n’ai jamais parlé de réformette, Monsieur le Garde des Sceaux. J’ai en revanche dit à plusieurs reprises – et je le redis ce matin – que votre réforme, même si elle comporte des avancées notables, reste insuffisante et partielle. La majorité est dans son rôle lorsqu’elle choisit de ne voir que la bouteille à moitié pleine ; je m’attacherai donc à voir la bouteille à moitié vide…

En ce qui concerne la collégialité d’abord : le Sénat a certes ramené le délai de cinq à trois ans, mais c’est un horizon qui reste lointain. D’ci là, il faudra d’ailleurs réformer la carte judiciaire : on ne peut envisager la collégialité sans cela. Or vous êtes – et vous avez eu le courage de le dire, notamment devant la commission d’enquête – sceptique sur l’opportunité de cette réforme.

Je n’aurai pas la cruauté de reprendre ce qu’ont dit les députés de l’UMP des pôles de l’instruction créés par votre texte, qualifiés notamment d’usines à gaz.

Sur la détention provisoire, il y a certes des avancées, mais elles restent insuffisantes. Je regrette surtout l’absence de délais butoirs, en matière criminelle comme en matière correctionnelle. La suppression du critère du trouble à l’ordre public est une bonne chose. Le Sénat est allé plus loin que les députés de la majorité, et nous nous en félicitons. Mais il faut supprimer ce critère aussi en matière criminelle : ce « fourre-tout » autorise en effet tous les abus.

Autre avancée importante, l’enregistrement des gardes à vue, réclamé depuis longtemps par les avocats. Mais pourquoi ne pas avoir prévu la présence de l’avocat lors des interrogatoires ? Là encore, on reste au milieu du gué.

M. le Garde des Sceaux  On peut ne pas être d’accord.

M. André Vallini – J’en viens à la responsabilité des magistrats, et d’abord à la faute disciplinaire, dont la commission mixte paritaire a retenu la définition suivante : « constitue un des manquements aux devoirs de son état la violation grave et délibérée par un magistrat d'une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, commise dans le cadre d'une instance close par une décision de justice devenue définitive ». Est-ce plus clair que les définitions qu’avaient proposées les deux assemblées, est-ce plus ou moins protecteur des magistrats, des justiciables ? Je pense pour ma part que lorsque l'accès au CSM aura été élargi et sa composition modifiée, sa jurisprudence permettra d'affiner la notion de faute disciplinaire.

M. le Garde des Sceaux  C’est déjà le cas.

M. André Vallini – Certes, mais pas suffisamment. Il faut une vraie réforme du CSM.

S’agissant de la saisine du CSM, je reviens sur le rôle confié au médiateur, car ma position a évolué. J’étais à l’origine réticent. Mais devant la crainte des magistrats d’être rendus responsables à raison de leurs décisions juridictionnelles, j’ai pensé que l’intervention du médiateur, chargé de remédier aux dysfonctionnements du service public, leur montrerait qu’il s’agissait bien plutôt de répondre des dysfonctionnements du service public de la justice. Depuis la réunion de la CMP de vendredi dernier, je pense même qu’il faut permettre au justiciable de saisir directement le CSM, moyennant l’instauration d’une commission de filtrage. Philippe Houillon estime qu’il faudrait pour cela réviser la Constitution. Je n’en suis pas sûr, mais si tel est le cas, nous aurions pu le faire lundi – et que l’on ne vienne pas me parler de la proximité des élections !

Encore une fois, je reconnais les avancées que comporte votre réforme – renforcement des droits de la défense, du principe du contradictoire… Avocat comme vous, Monsieur le rapporteur, je partage donc votre satisfaction.

Mais je voudrais pour finir rappeler qu’il y a un an, la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau travaillait jour et nuit, sous le regard de millions de Français, qui se sont passionnés à cette occasion pour le fonctionnement de leur justice. Nous leur avons montré combien le Parlement pouvait être utile, et nous nous réjouissions des effets positifs de cette commission d’enquête, que chacun de nous pouvait constater dans sa circonscription. Un an plus tard, nous sommes dix députés présents dans l’hémicycle pour adopter définitivement cette réforme, dont trois seulement des trente membres de la commission d’enquête – les deux rapporteurs, Philippe Houillon et Guy Geoffroy, et moi-même. C’est dire si votre réforme déçoit, Monsieur le ministre. C’est peut-être injuste…

M. le Garde des Sceaux On vous verra à l’œuvre !

M. André Vallini – Les critiques adressées à vos réformes sont parfois excessives, je le reconnais. On ne peut pas dire pour autant que ces réformes emportent l’enthousiasme des milieux judiciaires.

Je vous lis pour terminer la conclusion de la « Charte des acquittés d’Outreau réformons la justice » que les intéressés ont adressée aux membres de la commission d’enquête : « Malgré l'émotion et l'unanimité provoquée par l'affaire d'Outreau, malgré les travaux exemplaires de la commission d'enquête parlementaire, aucun projet sérieux de réforme de notre système judiciaire n'a été mis en œuvre de façon à être débattu et voté d'ici la fin de la présente législature.

« Cette réforme devra être au cœur de la prochaine législature, et donc faire l'objet d'une attention toute particulière de la part du futur président de la République, qui est en France celui qui fixe les orientations du Gouvernement et sans l'impulsion duquel aucune réforme d'ampleur n'est possible.

« Les acquittés de l'affaire d'Outreau souhaitent en conséquence recueillir l'engagement public sur l'honneur de chacun des candidats déclarés à l'élection présidentielle d'engager la réforme de modernisation de la justice, sur la base des travaux de la commission d'enquête parlementaire d'Outreau et de mettre en œuvre ses quatre-vingts propositions.

Signé : Karine Duchochois, Alain Marécaux, Pierre Martel, Christian Godard, Odile Polveche, Roselyne Godard, Daniel Legrand père, Daniel Legrand fils, Franck Lavier, Sandrine Lavier, Dominique Wiel, Thierry Dausque, David Brunet, Lydia Mourman au nom de son frère François Mourman. »

Je compte sur chacun d’entre vous pour convaincre son candidat de mettre en œuvre les 80 propositions de la commission d’enquête. Dans cette attente, nous nous abstiendrons sur ces textes.

Mme Muguette Jacquaint – Comme celle de Michel Vaxès en première lecture, mon intervention vaudra pour les deux projets présentés par le Garde des Sceaux.

En ce dernier jour de débats de la douzième législature, notre Assemblée doit donc se prononcer sur ces deux projets que le Garde des Sceaux présente comme une réforme « pragmatique » de notre procédure pénale et de la formation et du régime disciplinaire des magistrats. Plutôt que de pragmatique, je qualifierai cette réforme de précipitée. Le résultat ne peut donc être que décevant. Au lieu de promouvoir une réforme conforme aux attentes des Français, vous avez préféré jouer la montre. Vous avez gagné votre pari in extremis, mais au détriment des intérêts de notre justice.

Certes, comme le disent Antoine Garapon et Denis Salas dans leur essai Les nouvelles sorcières de Salem, « une réforme de la procédure, aussi audacieuse soit-elle, n'épuisera pas l'ordre du jour fixé par l'affaire d'Outreau, qui dépasse l'institution judiciaire ». Cette affaire a en effet été l'expression d'une crise multiforme, qui affecte notre société dans son ensemble, et le fruit d'un populisme pénal et des excès liberticides qui l'accompagnent immanquablement. Cependant, les causes des dysfonctionnements de la justice qu’elle a révélés appelaient une réforme à la hauteur du scandale qui a ému le pays.

Sans conteste, celle-ci ne l'est pas. Pour l’être, elle aurait dû se traduire par des droits mieux garantis, notamment ceux qui s'attachent au respect de la présomption d'innocence ; elle aurait dû aussi appuyer une défense de qualité au service de tous et donner aux magistrats les moyens d'assumer dans les meilleures conditions leurs fonctions. Les propositions formulées par la commission d'enquête tendaient à cet objectif, même si elles étaient parfois trop timides. Malheureusement, les textes qui nous sont soumis ne reprennent qu’une vingtaine de ses quatre-vingts propositions.

Elles vont toutefois dans le bon sens et nous pourrions même nous prendre à espérer qu'elles marquent une prise de conscience des méfaits d'une politique liberticide. Espoir vite déçu, puisque dans quelques heures la majorité adoptera le projet de loi de M. Sarkozy sur la délinquance.

S’agissant d'abord du projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et la responsabilité des magistrats, nous apprécions les efforts faits en vue de rééquilibrer, au profit des candidats bénéficiant déjà d'une autre expérience professionnelle dans le domaine juridique, l'importance respective des différentes voies d'accès à la magistrature judiciaire. Mais ces efforts ces efforts restent insuffisants pour garantir une véritable diversification du recrutement et remédier à l'uniformité sociale et culturelle de la magistrature. Nous continuons également de regretter l’instauration d'une nouvelle sanction disciplinaire, l’interdiction d'exercer des fonctions à juge unique, car elle dévalorise la collégialité, qui a au contraire besoin d'être renforcée.

Bien que le second projet, relatif à la procédure pénale, contienne des dispositions que nous jugeons positives, il n’emporte pas non plus notre adhésion, car il ne fait pas de la détention provisoire une issue exceptionnelle. Certes, le Sénat a en partie modifié l'article 3 dans le sens que nous souhaitions et la commission mixte paritaire a limité le recours à la détention provisoire fondé sur le trouble à l'ordre public aux seules affaires criminelles – alors que le gouvernement et la majorité voulaient au départ l’autoriser également en matière correctionnelle. Mais nous regrettons que vous ne soyez pas allés plus loin en réduisant les durées de détention provisoire et en revenant sur les dispositifs des lois Perben I et II qui favorisent le recours à la détention provisoire. Rappelons que la détention provisoire restera comme le vrai scandale de l'affaire d'Outreau.

Les sénateurs avaient adopté un autre amendement que nous vous avions également suggéré et que vous aviez repoussé. Il rendait obligatoire la cosignature de l'avis de fin d'information et de l'ordonnance de règlement par le ou les juges d'instruction cosaisis. Cette modification s'imposait si l'objectif était de tendre vers plus de collégialité. Mais il semblerait que tel ne soit pas le cas puisque la commission mixte paritaire a décidé de substituer à cette obligation de cosignature une simple faculté, assortie de la possibilité pour les parties d'interjeter appel de l'ordonnance de règlement lorsque celle-ci n'a pas été cosignée.

Notre déception tient essentiellement aux silences de ces textes. Ce sont d'ailleurs ces absences qui empêchent de donner à l'ensemble des modifications proposées le nom de réforme. Une réforme digne de ce nom et à la hauteur des enjeux ne serait pas passée à côté d'une refonte de notre carte judicaire. Elle n'aurait pas non plus ignoré la question de l'organisation de la police judicaire. Elle se serait attaquée à l'organisation et à la composition du Conseil supérieur de la magistrature. Elle aurait abordé la question de l'indépendance du parquet. Enfin, la défense des plus démunis aurait été un de ses piliers.

Le temps ne permet pas de développer chacun de ces points. Je me contenterai donc à regret d'insister seulement sur les deux derniers.

Le parquet ne peut rester totalement soumis au pouvoir exécutif, même s'il doit demeurer lié à la Chancellerie afin de garantir la conduite de la politique pénale de la Nation. C'est pourquoi nous préconisons de garantir l'indépendance du statut personnel du « parquetier » en le distinguant de son statut fonctionnel. Il serait par ailleurs indispensable de supprimer toute possibilité d'instructions particulières du Garde des Sceaux.

Enfin, la question de la défense des plus démunis me tient particulièrement à cœur. Il est en effet inacceptable que la défense ne soit pas la même pour tous dans notre pays, d'autant que le projet de loi relatif à la procédure pénale a pour objet de renforcer la dimension contradictoire du procès. L'accès au droit et à la justice est un droit fondamental du citoyen, fût-il le plus démuni, et c'est à notre société de le garantir. La défense pénale est une question qui ne peut plus être regardée sous le seul angle de l'intérêt privé. Parce qu'elle est un droit de l'homme, elle doit être appréhendée sous celui de l'intérêt public inhérent à l'existence même de la justice. C'est pourquoi nous estimons qu'une réforme judicaire se devait de modifier l'organisation de l'aide juridictionnelle, qui, de surcroît, traverse une crise sans précédent.

Avec nos concitoyens et les acteurs de la justice, nous aurions souhaité que le Gouvernement nous présente une véritable réforme. C’est parce qu'il reste tant à faire pour notre justice que les députés communistes et républicains ont décidé de s'abstenir sur ces deux projets de loi.

M. Jérôme Bignon – Comme M. Vallini et Mme Jacquaint, je m’exprimerai sur les deux textes.

Jules Romains disait que la marche vers la justice était une très longue marche. Nous pouvons comprendre la déception des acquittés d’Outreau, mais je crois qu’aucune réforme n’aurait pu effacer les souffrances qu’ils ont endurées. Tant qu’il y aura un innocent en prison, nous serons tous malheureux. Or, chaque année, un millier de personnes placées en détention provisoire sont ensuite acquittées ou bénéficient d’un non-lieu. C’est dire qu’il nous reste un long travail à accomplir, tant sur les textes que sur les comportements, afin que justice soit rendue aux victimes sans créer d’autres victimes.

Nos collègues de l’opposition prennent acte de ce qui leur paraît bon dans la réforme proposée, mais s’attristent qu’elle n’aille pas assez loin. Il s’est un peu passé la même chose, hier, avec le projet sur le droit au logement opposable, dont j’étais le rapporteur pour avis. L’opposition a dit que c’était bien, mais que cela n’allait pas assez loin. De fait, on peut toujours aller plus loin, mais je crois quand même que, dans un cas comme dans l’autre, nous accomplissons un pas dans la bonne direction. La réforme proposée aujourd’hui est à la fois pragmatique et rapide. Les progrès n’attendront ni l’arrivée d’une nouvelle majorité, ni une refonte de fond en comble de notre droit, et tous ceux qui souffrent de l’injustice s’en réjouiront.

S’agissant des magistrats, on ne peut que se réjouir des améliorations apportées à la formation, à la fois sur le plan technique et sur le plan humain, je pense notamment à leurs relations avec les autres auxiliaires de justice. Notre rapporteur a eu raison d’insister sur la durée de leur stage.

À titre personnel, je ne suis pas enthousiasmé par le compromis qui a été trouvé en CMP et qui consiste à conserver la commission et le Médiateur. Je crois que l’Assemblée aurait parfois intérêt, puisqu’elle a le dernier mot, à ne pas chercher le compromis à tout prix mais à aller au bout de ses convictions. Et autant le médiateur me semble crédible pour l’opinion, autant la machine mise en place, si respectables qu’en soient les collaborateurs, me paraît peu satisfaisante.

S’agissant de la procédure à proprement parler, l’accord trouvé en CMP sur le délai de mise en pratique de la collégialité est certainement un bon accord, et il faudra trouver les moyens de lui donner corps. Sur la possibilité pour une des parties d’interjeter appel s’il n’y a pas cosignature de l’ordonnance par les deux juges, j’ai voté contre, comme le sénateur Badinter, faute de comprendre ce qu’on voulait. Mais je me range à la majorité. S’agissant de la détention provisoire, je pense comme Mme Jacquaint qu’il est bon que l’Assemblée se soit ralliée à la rédaction plus pertinente du Sénat. Pour ce qui est du recours à un avocat à la Cour de cassation, l’idée qu’en permettant aux justiciables de faire les recours eux-mêmes ou de les faire faire par un avocat au barreau, ils seraient mieux défendus, est un très mauvais argument à mes yeux. En tant que praticien, je me garderais bien de rédiger moi-même un pourvoi sur un problème qui me concernerait. Mais Sénat et Assemblée ont prévu que le sujet serait un jour remis en chantier. Le groupe UMP votera en faveur de ces avancées importantes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Garde des Sceaux  C’était très bien.

M. le Rapporteur de la CMP – Et très mesuré.

La discussion générale est close.
L’ensemble du projet de loi organique, mis aux voix, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire, est adopté.

Retour au haut de la page

équilibre de la procédure pénale (CMP)

L'ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale.

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission mixte paritaire – Avec ce texte, nous n’en avons pas terminé avec la réforme de la justice, si attendue après l’accablante affaire d’Outreau, mais nous mettons un terme à la première étape de ce long, patient et déterminé travail législatif que, comme nous nous y étions engagés, nous avons mis sur le métier. Les différences entre nous sont à la fois évidentes et mineures. L’essentiel, c’était de faire le consensus – et nous y avons réussi – sur ce qui ne pouvait pas ne pas être fait, tout en ne prenant aucune disposition qui empêche la prochaine législature de compléter le dispositif. S’il faut faire un bilan, je dirai avec humilité, mais aussi avec fierté, qu’ayant des engagements contradictoires à tenir, la représentation nationale ne s’en sort pas si mal.

S’agissant de la procédure pénale, nous savions, en particulier les membres de la commission d’enquête sur Outreau, qu’il nous fallait agir sur plusieurs points très sensibles : la solitude du juge, le drame de la détention provisoire, les conditions de garde à vue et d’audience dans le cabinet du juge d’instruction. Que nous a proposé le Gouvernement, qu’ont fait les assemblées, qu’allons-nous adopter au terme de cette CMP ? Beaucoup plus que ne le pensent certains. La commission d’enquête a fait plus de 80 propositions ; mais 32 seulement étaient de nature législative. C’est à cette aune qu’il faut mesurer notre action : les 22 mesures retenues ici représentent les deux tiers de celles, proposées par la commission d’enquête, que nous pouvions retenir. Ce n’est pas négligeable.

Sur la solitude du juge, le débat avait été vif. Dans un premier temps, pour adresser un signal au Gouvernement, notre commission des lois avait refusé le dispositif proposé des pôles de l’instruction et de la cosaisine. Nous voulions aller plus loin, et nous pouvons être fiers d’être parvenus, avec le Gouvernement, à faire inscrire dans la loi une véritable collégialité de l’instruction, dans des conditions plus contraignantes encore, au sortir de la CMP, qu’elles ne l’étaient après notre première lecture.

Sur la garde à vue et les conditions d’audition dans le cabinet du juge, la CMP a amélioré le respect de la présomption d’innocence. J’ai en effet plaidé pour qu’elle suive le Sénat dans sa volonté de limiter les manœuvres dilatoires en ce qui concerne les « impossibilités » d’enregistrement audiovisuel des gardes à vue et des auditions.

La CMP a adopté sans difficulté majeure d’autres dispositions nouvelles qui, sans être liées à l’affaire d’Outreau, sont importantes et garantissent qu’aucune porte n’est fermée pour l’avenir.

S’agissant de la collégialité, nous avions retenu le principe de la mettre en vigueur, après avoir instauré de nouveau le dispositif des pôles de l’instruction et de la cosaisine, non au bout de cinq ans, mais de quatre ans. Le Sénat voulait un délai de deux ans. En CMP, j’ai souhaité, au nom de l’Assemblée, retenir cette contrainte qui n’est pas mince : en effet, la loi peut être publiée très prochainement, les pôles de l’instruction être créés rapidement par décret, la cosaisine venant un an après ; passé cette étape décisive mais incomplète, il restera un an pour parvenir à la véritable collégialité. Conformément au vœu de la commission d’enquête, j’ai fait en sorte que la CMP revienne sur des dispositions qui en restreignaient la portée. Le prochain gouvernement devra donner les moyens nécessaires pour que, au bout de deux ans, cette collégialité fonctionne comme nous l’avons souhaité, et qu’il reste le moins possible de juges uniques afin que le dialogue interdise le retour d’erreurs comme celle qui ont marqué l’affaire d’Outreau et d’autres.

Les sénateurs avaient rendu obligatoire la cosignature des juges. En CMP, nous sommes parvenus, non à une transaction insatisfaisante, mais plutôt à une étape qui ne durera qu’un an. Donner aux parties la possibilité de faire appel lorsque les deux juges n’auront pas signé l’ordonnance de règlement est une avancée dans l’esprit de la collégialité.

Enfin, nous avons trouvé un accord, dans l’article 15 quinquies, sur le recours obligatoire à un avocat de la Cour de cassation. Il nous a semblé, malgré tout l’intérêt des propositions de Guy Canivet, qu’il fallait laisser le temps de travailler à nouveau la question. La prochaine législature aura certainement à se pencher sur le sujet.

Avant de conclure, je voudrais dire combien nous sommes redevables à M. Vallini, président de la commission d’enquête, ainsi qu’à M. Houillon, son rapporteur. Le Parlement leur doit une très grande gratitude pour l’image qu’ils ont donnée de la représentation nationale, comme pour l’efficacité des travaux et des auditions de la commission, conduits dans un esprit de grande humanité. Membre de cette commission, je suis fier d’avoir travaillé à leurs côtés. Des choses que les Français retiendront comme les acquis de cette législature, je pense que celle-ci sera l’une des toutes premières.

Monsieur le Garde des Sceaux, votre tâche n’a pas été facile. Vous aviez des projets, et vous avez eu l’intelligence de patienter le temps que notre commission d’enquête achève ses travaux. Vous avez en outre su définir avec une grande perspicacité ce qui pouvait et devait être fait avant la fin de la législature. Je peux témoigner du respect dont vous avez fait preuve pour la commission d’enquête.

De l’harmonie qui a régné au sein de la CMP sort, accompagnant la loi organique, un texte qui fait honneur à la représentation nationale, et qui nous permet de dire, la tête haute, que nous n’avons pas trahi les acquittés d’Outreau, que nous les avons entendus. Nous espérons que les parlementaires qui nous succéderont leur témoigneront autant d’écoute et de respect, en appliquant la nécessaire réforme de la justice.

Mes chers collègues, je vous demande ainsi de voter de la façon la plus unanime possible le texte qui résulte de la CMP (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; M. Vallini applaudit également).

La discussion générale est close.
L'ensemble du projet de loi, mis aux voix, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire, est adopté.

Retour au haut de la page

protection juridique des majeurs (cmp)

L'ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs.

M. Émile Blessig, rapporteur de la commission mixte paritaire – En ces dernières heures de débat de cette douzième législature, c'est un rapporteur à la fois fier et satisfait qui s'exprime à cette tribune. Fier, parce que nous nous apprêtons à adopter définitivement une réforme d'importance, attendue depuis plus de quinze ans, ce qui ne semblait nullement acquis il y a trois mois à peine. Satisfait, car les travaux de l'Assemblée nationale et du Sénat ainsi que les débats de la CMP ont amélioré substantiellement un texte qui comportait déjà de véritables avancées.

Lors de nos débats ici, en janvier, nous nous étions attachés à rendre plus effectifs les droits des personnes protégées. Cela nous avait conduit à mieux encadrer l'ouverture des mesures, en permettant notamment à une personne qui entretient des liens durables et stables avec le majeur protégé d'en être à l'initiative, et en exigeant au moins une révision de la décision du juge avant que ce dernier ne prononce une curatelle ou une tutelle pour une durée indéterminée.

Nous avions également renforcé la protection des personnes protégées, en précisant qu’elles pourront entretenir librement des relations personnelles avec des tiers et être visitées ou hébergées par ceux-ci. Nous avions aussi précisé les modalités de mise en œuvre du mandat de protection future, en posant notamment l'obligation de recourir à deux notaires pour sa conclusion.

De même, nous avions eu un long débat sur le champ des mesures d'accompagnement social personnalisé et d'accompagnement judiciaire, au terme duquel les considérations pratiques avaient pris le pas sur les principes juridiques sous-jacents à la réforme, notamment avec la disparition des mesures de protection pour intempérance, oisiveté ou prodigalité. Nous avions en outre renoncé au recours sur succession à l’encontre d'un majeur protégé aux ressources insuffisantes pour couvrir sa propre prise en charge, en cohérence avec la reconnaissance par notre législation, en 2004, du droit à la compensation du handicap.

Nous nous étions enfin évertués, d'une part, à limiter les risques de conflit d'intérêts entre les préposés d'établissements sociaux et médico-sociaux chargés de gérer les mesures de protection juridique et leur hiérarchie administrative et, d'autre part, à clarifier le financement du dispositif.

La qualité de nos débats s'était reflétée dans le consensus auquel nous étions parvenus à leur conclusion, l'opposition se partageant entre abstention et vote favorable.

Le Sénat a conforté bon nombre de nos améliorations, comme celles destinées à renforcer la sécurité juridique du mandat de protection future ou les garanties d'indépendance des préposés d'établissements sociaux et médico-sociaux. Il a également enrichi le projet de loi de quelques heureuses initiatives, à l’instar de l’affiliation des gérants de tutelle privés à la sécurité sociale au titre des professions libérales.

Des divergences sont apparues sur cinq points : la suppression de l'exigence de deux notaires pour établir un mandat de protection future ; le retour à la version initiale du projet de loi s'agissant du champ des ressources prises en compte pour la mise en œuvre des mesures d'accompagnement social et judiciaire ; la possibilité pour des mandataires judiciaires de constituer une fiducie pour le patrimoine des personnes dont ils ont la charge – première exception aux principes posés par la loi instituant la fiducie, huit jours après son vote conforme par l'Assemblée nationale ! – ; le rétablissement du recours de l'État, des départements et de la sécurité sociale sur la succession des personnes protégées dont les revenus ne permettent pas de financer la mesure dont elles bénéficient, initiative qui aurait eu pour effet de pénaliser les familles des personnes âgées ou des retraités au minimum vieillesse ainsi que les familles de handicapés ; enfin, la suppression des dispositions sur le droit pour les tuteurs familiaux d’obtenir une information destinée à les aider à exercer leur activité, rendant muet le projet de loi sur plus de la moitié des personnes exerçant une mesure de protection juridique.

La CMP est parvenue à un équilibre intéressant. Nos débats m'ont ainsi convaincu d'en rester à l'exigence d'un seul notaire pour la conclusion d'un mandat de protection future. La profession obéit à des règles déontologiques strictes ; un notaire confronté à une manipulation manifeste de la volonté d'une personne vulnérable devrait se récuser, sous peine d'encourir de sévères sanctions.

Sur la question du champ des mesures d'accompagnement social et judiciaire, la commission en est restée là aussi à la version retenue par le Sénat, qui cantonne aux seules prestations sociales perçues les ressources pouvant faire l'objet d'une aide à la gestion ou d'une affectation par le juge. Deux logiques s’opposaient : l'une s'en tenant au respect de la liberté des personnes à jouir de leurs ressources alors même qu'elles ne sont pas sous mesure de protection, l'autre privilégiant la pratique des travailleurs sociaux et des juges. La réforme aurait sans doute perdu en lisibilité et en cohérence si nous n'en étions pas restés aux seules prestations sociales.

La CMP a supprimé l'instauration de la fiducie pour les personnes protégées disposant d'un patrimoine important. Lors de l'examen de la proposition de loi instituant la fiducie, l'Assemblée nationale s'était interrogée sur la pertinence d'une restriction du procédé aux seules personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés. Cependant, l'initiative du Sénat n'avait pas sa place dans ce projet de loi. Surtout, elle était lacunaire – notamment quant aux droits patrimoniaux de la personne protégée, garantis par des stipulations contractuelles et non plus par la loi –, de sorte qu'elle aurait sûrement posé plus de problèmes qu'elle n'en aurait résolus.

S’agissant du recours sur succession des majeurs n'ayant pu payer leur propre protection juridique, la CMP s'est rangée du côté des sceptiques. Le produit financier de ce type de recours était estimé à dix millions, mais le coût des procédures de recouvrement relativisait considérablement ces estimations. La voix de la raison l'a emporté avec la suppression de cette disposition.

Enfin, la CMP a rétabli le droit des tuteurs familiaux à bénéficier d'une information pour l'exercice de leurs responsabilités, considérant qu'il eût été paradoxal qu’une réforme conférant un rôle central à la famille ne prévoie rien en faveur de cette dernière. Cela s’imposait d'autant plus que le Sénat avait adopté des articles additionnels sans grand rapport avec l'objet du projet, risquant d'en brouiller le message politique.

Au total, la CMP est parvenue à élaborer un bon texte, utile pour les majeurs protégés et leurs familles, applicable par les juges et les mandataires judiciaires. Dans les délais impartis, la tâche n'était pas aisée L'Assemblée nationale peut avoir le sentiment du devoir accompli, et je ne peux que vous inviter, mes chers collègues, à adopter les conclusions de la CMP, pour vous associer, ce faisant, à une grande réforme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice  C'est pour moi une grande satisfaction que la réforme de la protection juridique des majeurs trouve ce matin son plein aboutissement. Attendue depuis très longtemps par les familles et les professionnels, cette loi parachève en effet la rénovation du droit civil familial menée par le Gouvernement au cours de cette législature.

Je souhaite tout particulièrement remercier votre assemblée pour les améliorations apportées à ce texte – précision des droits de la personne protégée, par exemple, ou encore amélioration de la définition des devoirs qui incombent aux acteurs de la protection. Vous avez su préserver et renforcer l'esprit de cette réforme, objet d’un large assentiment au-delà de tout clivage politique.

Ce texte consacre en effet les principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité tout en visant à protéger la personne, et non plus seulement son patrimoine : il rend au consentement de la personne protégée toute sa place et à sa volonté toute sa force.

Ce texte restitue en outre aux familles la place qui doit leur revenir dans la protection de leurs proches, et redéfinit le rôle et les pouvoirs du juge en vue d’individualiser la protection des personnes, qui devra être mieux adaptée aux besoins spécifiques de chacun. Je me félicite d’ailleurs que la CMP ait circonscrit les dispenses d'audition de la personne protégée par le juge des tutelles, ce qui permettra de respecter l’équilibre entre la nécessité de connaître les volontés de la personne protégée et les limites posées par son état de santé.

La réforme renforce par ailleurs le contrôle exercé sur les mesures de protection : l'activité des tuteurs professionnels est réorganisée, et son financement totalement remanié, ce qui devrait mettre un terme à l'incohérence et à l'iniquité du dispositif actuel.

Autre avancée, chacun d’entre nous pourra désormais anticiper sa protection juridique éventuelle grâce au mandat de protection future, nouvel instrument juridique ouvert mais également encadré, et qui participe de la modernisation de notre droit.

Dans sa grande sagesse, votre assemblée a préservé la liberté de choix que nous avions souhaité laisser entre la conclusion du mandat sous seing privé ou bien avec l’aide d’un notaire, afin de respecter la diversité des aspirations de nos concitoyens. Sur ce point, la CMP a renoncé à l’établissement du mandat en présence de deux notaires, la compétence et la rigueur de ces professionnels permettant de confier à un seul d’entre eux le soin d’établir ce nouveau type d’acte.

Je me félicite enfin que la CMP ait écarté toute modification du code de la santé publique car il me semble plus cohérent d’attendre la révision des lois de bioéthique prévue en 2009.

Je voudrais remercier, une fois encore, votre commission des lois, notamment Philippe Houillon, son président, Émile Blessig, son rapporteur sur ce texte, ainsi que Laurent Wauquiez, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.

Avec ce texte, le Gouvernement et votre assemblée ne poursuivaient qu’un seul objectif : adapter notre droit aux évolutions sociales et démographiques dans le respect de nos valeurs communes. Cette réforme est une étape historique dans la construction d’un droit moderne (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Muguette Jacquaint – Je tiens à saluer l'esprit consensuel et constructif qui a présidé à nos travaux et je me félicite que certains de nos amendements aient été adoptés. Ce qui importe, c’est que ce texte renforce effectivement les droits des personnes protégées et que nous ayons introduit dans notre droit un dispositif qui était très attendu par de nombreuses familles, le mandat de protection future.

Toute personne pourra ainsi désigner un ou plusieurs mandataires chargés de la représenter si elle devenait un jour incapable de veiller sur ses propres intérêts. L'instauration d'un dispositif d'intervention graduée va également dans le bon sens : en application du principe de subsidiarité, le régime d'accompagnement social spécifique permettra à toute personne en détresse sociale de bénéficier d'une aide à la gestion budgétaire, sans que cela entraîne son incapacité juridique.

Pragmatique et de bon sens, ce texte distingue nettement la protection judiciaire et l'accompagnement social dans le respect des principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité, tout en plaçant la personne protégée au centre du dispositif et en renforçant ses droits, souci qui se manifeste tant dans la définition des personnes autorisées à demander l'ouverture d'une mesure judiciaire que dans le choix du protecteur.

Va devenir illégale la pratique, souvent abusive, du "compte-pivot" qui concentrait l'ensemble des rémunérations perçues par les adultes sous tutelle, et sur lequel les dépenses étaient imputées au fur et à mesure. Ce type de compte a malheureusement été utilisé par certains gérants de tutelle pour se constituer une trésorerie, voire pour détourner de l'argent en jouant sur la complexité des écritures comptables. J’ajoute que la profession de gérant de tutelle sera désormais réglementée - unification des honoraires, obligation de formation, ou encore contrôle des DRASS.

Le critère de communauté de vie sera en outre consacré, alors qu'il suffit aujourd’hui de faire partie de la famille. Voilà une adaptation du droit aux moeurs qui me semble bénéfique !

Cette réforme des tutelles devrait rendre à de nombreuses personnes la liberté de disposer de leurs revenus et de leur patrimoine, en les aidant lorsqu'elles sont privées de leurs moyens intellectuels ou mentaux. Espérons seulement que les départements, qui ont obtenu le report de l’application de ce dispositif au 1er janvier 2009, sauront dégager les moyens humains et financiers qui permettront de respecter pleinement le libre choix des personnes concernées. Les charges nouvelles qui résulteront du transfert de compétences vers les collectivités locales doivent être intégralement compensées par l’État : nous y veillerons.

On ne peut que se féliciter que les inquiétudes aient été levées quant au financement de ce texte, même si celui-ci est visiblement imprégné d'un souci d'économie financière pour l’État. L’alignement du régime de protection juridique redonnera une autonomie sous contrôle à des personnes pour l’heure réduites à une alternative liberticide, celle du "tout ou rien". Conscient des progrès incontestables réalisés par ce texte, le groupe communiste et républicain le votera.

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois – Très bien !

M. Patrick Delnatte – L'adoption des conclusions de la CMP parachèvera cette réforme de la protection juridique des majeurs, ardemment souhaitée par tous les acteurs concernés. Longuement réfléchie et concertée, mais rapidement adoptée, ce texte relève trois défis que nous avons toujours su garder à l’esprit : le vieillissement de la société, la plus grande vulnérabilité de certaines personnes et enfin les attentes exprimées par des familles souvent éclatées et éloignées, mais qui veulent être mieux informées et plus écoutées.

En vue de moderniser les dispositifs en vigueur et de les rendre plus respectueux des personnes, vous avez assigné, Monsieur le Garde des Sceaux, trois objectifs principaux à cette réforme : recentrer la protection juridique sur ceux qui souffrent d'une réelle altération de leurs facultés ; renforcer et mieux définir les droits et la protection dont ils bénéficient ; professionnaliser les intervenants extérieurs à la famille appelés à exercer la protection juridique.

En dépit des différents ajouts du Gouvernement, de l’Assemblée et du Sénat – nous sommes en fin de législature – qui ont contribué à complexifier ce texte, notre rapporteur, Émile Blessig, a toujours su tenir le cap. Je salue l’excellent travail législatif qu’il a accompli et dont la longue CMP tenue mardi dernier a fourni un nouvel exemple, introduisant dans ce texte de nombreuses mesures de précision, de correction et de coordination, notamment avec la loi relative à la protection de l'enfance.

Quant aux divergences qui subsistaient entre le Sénat et l'Assemblée, la CMP a su les régler sans remettre en cause la logique du projet et sans retomber dans les erreurs du passé : nous avons respecté un équilibre entre l’exigence de contrôle et la valeur sociale de l'accompagnement. En supprimant la récupération des frais de tutelle sur les donations et successions de majeurs sous protection, nous avons en outre tiré toutes les conséquences du droit à compensation du handicap. Enfin, nous avons maintenu le soutien aux tuteurs familiaux, confortant la place de la famille dans cette réforme. Pour toutes ces raisons, le groupe UMP approuve les conclusions de la CMP.

Tout au long de cette législature, nous avons profondément rénové notre droit de la personne en créant de nouveaux droits en faveur des enfants, des personnes âgées, des handicapés, des malades en fin de vie ou des victimes de violences conjugales. Nous avons également su moderniser notre droit de la famille – divorce, filiation, successions et libéralités, puis protection juridique des majeurs. Nous avons recherché un nouvel équilibre entre l’autonomie de la personne et son épanouissement dans une cellule familiale mieux reconnue par la société, et ce, dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Ce travail aura été utile à nos concitoyens et honore ceux qui y ont contribué ; il faudra le poursuivre, en maintenant le cap (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Alain Vidalies – Le texte issu des travaux du Sénat comporte des améliorations, comme la détermination de la durée de la période de renouvellement – l’objet de l’un de nos amendements, rejeté en première lecture – et la création d’un fichier national des services et des personnes physiques ayant fait l’objet d’un retrait d’agrément. En revanche, la CMP a retenu la suppression, souhaitée par le Sénat, de la possibilité d’étendre la mesure d’assistance judicaire à tout ou partie des ressources du majeur, dès lors que les prestations sociales ne sont pas suffisantes pour assurer sa santé et sa sécurité. Nous avons été un certain nombre, sur tous les bancs, à défendre une formulation différente et nous n’avons pas été entendus. Je le regrette, car en refusant d’étendre l’assiette de cette mesure, nous risquons de la rendre inefficace.

L’extension de la fiducie aux personnes physiques, introduite lors de la lecture au Sénat, m’a semblé pour le moins singulière : huit jours auparavant, nous avions en effet débattu d’un texte sur la création de la fiducie, qui – nous avait-on expliqué – avait pour caractéristique de ne porter que sur les personnes morales. Je suis heureux de constater que la CMP a finalement écarté une telle initiative. Globalement, le texte issu des travaux de la CMP est acceptable et réalise une réforme attendue depuis longtemps – trop longtemps.

Restent trois objections. La première concerne la portée exacte du texte. Les débats ne nous ont pas permis de savoir précisément quelles seront les populations qui relèveront de la mesure d’accompagnement social, quelles seront celles qui resteront dans le champ de la protection judiciaire.

Deuxième problème : le mandat de protection future sous seing privé. Si nous nous sommes tous réjouis de la mesure de liberté individuelle majeure que constitue le mandat de protection future notarié, la possibilité concomitante d’établir un mandat sous seing privé nous inquiète. Malgré les barrières supplémentaires que le Sénat a érigées, c’est certainement sur cet aspect de la loi que porteront les contentieux, visant le vice du consentement et la nullité de l’acte.

Enfin, si l’Assemblée des départements de France a estimé incontestable la nécessité d’une telle réforme, il s’étonne du « désengagement significatif de l’État », qui se traduit par un transfert des mesures judiciaires vers des mesures administratives, dorénavant financées et gérées par les conseils généraux. Or le Gouvernement n’a pas pris le temps de parvenir à un accord avec les départements.

Pour conclure, je ne peux passer sous silence – au risque de ternir le consensus - les cavaliers législatifs qui ont été ajoutés à ce texte au Sénat, à l’initiative du Gouvernement.

M. le Garde des Sceaux  Il en va de l’intérêt général !

M. Alain Vidalies – Non, Monsieur le ministre. Personne ne peut dire ce que viennent faire dans ce projet des articles relatifs au transfert de la tenue du registre du commerce et des sociétés, à la création de l’arbitrage dans le droit public, aux conditions d’exercice du métier de commissaire-priseur, aux conditions d’accès des huissiers aux parties communes des immeubles collectifs. Cela me semble peu respectueux de ce texte. Le groupe socialiste se réserve le droit de saisir le Conseil constitutionnel, à l’examen duquel ces articles ne résisteront certainement pas.

Comme en première lecture, le groupe socialiste s’abstiendra sur l’ensemble du texte. Je tiens, pour terminer, à saluer la qualité des travaux de la commission des lois, et plus particulièrement de notre rapporteur, M. Blessig.

La discussion générale est close.
L'ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire, mis aux voix, est adopté.
Prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures.
La séance est levée à 11 heures 25.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

© Assemblée nationale