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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU MERCREDI 10 JUILLET 2002

COMPTE RENDU INTÉGRAL
1re séance du mardi 9 juillet 2002


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

1.  Requêtes en contestation d'opérations électorales «...».
2.  Désignation de candidats à des organismes extraparlementaires «...».
3.  Ordre du jour de l'Assemblée «...».
4.  Rappels au règlement «...».
MM. Jacques Brunhes, Jean-Marc Ayrault.
5.  Amnistie. - Discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi «...».
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Michel Hunault, rapporteur de la commission des lois.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ «...»

Exception d'irrecevabilité de M. Ayrault : MM. René Dosière, Xavier de Roux, Jacques Brunhes, François Sauvadet, Jacques Floch. - Rejet.

QUESTION PRÉALABLE «...»

Question préalable de M. Ayrault : MM. Arnaud Montebourg, Pascal Clément, président de la commission des lois ; Claude Goasguen, Jacques Floch, François Sauvadet, Jacques Brunhes. - Rejet.

DISCUSSION GÉNÉRALE «...»

MM.
Jean Leonetti,
Jacques Floch,
Jean-Christophe Lagarde,
Jacques Brunhes.

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS BAROIN

MM.
Xavier de Roux,
Bernard Roman,
Philippe Vuilque,
Thierry Mariani,
Mme
Martine Billard.
MM.
Guy Geoffroy,
Jean-Claude Viollet,
Jérôme Rivière,
Joël Beaugendre.
Clôture de la discussion générale.
M. le garde des sceaux.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
6.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à quinze heures.)

1

REQUÊTES EN CONTESTATION
D'OPÉRATIONS ÉLECTORALES

    M. le président. En application de l'article L.O. 181 du code électoral, j'ai reçu du Conseil constitutionnel communication de cinq requêtes en contestation d'opérations électorales.
    Conformément à l'article 3 du règlement, cette communication est affichée et sera publiée à la suite du compte rendu intégral de la présente séance.

2

DÉSIGNATION DE CANDIDATS
À DES ORGANISMES
EXTRAPARLEMENTAIRES

    M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre des demandes de désignation de membres de l'Assemblée nationale au sein de soixante-dix-huit organismes extraparlementaires, pour lesquels il revient aux commissions de présenter des candidats.
    Conformément à l'alinéa 2 de l'article 26 du règlement, j'ai décidé de confier aux commissions retenues sous la précédente législature le soin de présenter les candidats.
    La liste des désignations sera affichée, notifiée et publiée à la suite du compte rendu de la présente séance.
    Les candidatures devront être remises à la présidence avant le jeudi 1er août 2002, à dix-huit heures.

3

ORDRE DU JOUR DE L'ASSEMBLÉE

    M. le président. L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au dimanche 4 août inclus...
    M. Jean-Pierre Brard. Tout un symbole ! On va finir par abolir les privilèges !
    M. le président. ... a été fixé ce matin en conférence des présidents. Cet ordre du jour sera annexé au compte rendu de la présente séance.
    J'appelle l'attention de l'Assemblée sur le fait qu'il sera tenu séance ce soir, à vingt et une heures, pour permettre de poursuivre la discussion du projet de loi portant amnistie.
    M. Robert Pandraud. Très bonne décision !

4

RAPPELS AU RÈGLEMENT

    M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes, pour un rappel au règlement.
    M. Jacques Brunhes. Monsieur le président, par ce rappel au règlement, fondé sur l'article 58, je veux élever, au nom du groupe des député-e-s communistes et républicains, une vive protestation contre les conditions de travail qui nous sont imposées. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) En effet, alors que le conseil des ministres avait délibéré mercredi dernier sur le projet de loi portant amnistie, la commission, dès le lendemain à neuf heures, désignait son rapporteur et, à neuf heures deux, le rapport était disponible. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Je considère, monsieur le président, que légiférer dans une telleprécipitation nuit au travail du Parlement. Vous-même, et le Président de la République également, avez indiqué vouloir renforcer le rôle du Parlement ; cela nous paraît donc tout à fait anormal.
    J'ajoute, mes chers collègues qui venez d'applaudir, que notre inquiétude est d'autant plus grande que l'on use de la même méthode pour les textes suivants. Je vous invite donc à lire avec attention les propos tenus l'année dernière par le sénateur Raffarin (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle) contre l'urgence et contre la précipitation dans l'étude des textes.
    M. François Liberti. Eh oui !
    M. Jacques Brunhes. Et je regrette beaucoup que le sénateur Raffarin, devenu Premier ministre, oublie aussi rapidement les bonnes intentions qui étaient naguère les siennes.
    M. Richard Cazenave. C'est vous qui êtes amnésique !
    M. Jacques Brunhes. Le Parlement doit jouer son rôle dans les institutions. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    M. le président. Je prends acte de votre rappel au règlement.
    La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour un autre rappel au règlement, certainement fondé, lui aussi, sur l'article 58.
    M. Jean-Marc Ayrault. Tout à fait, et plus précisément sur son premier alinéa.
    M. François Goulard. Ils n'ont lu qu'un seul article !
    M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, nous venons de prendre connaissance de l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Le Gouvernement a inscrit le 1er et le 2 août, c'est-à-dire tout à la fin de cette session extraordinaire, le projet de loi d'orientation et de programmation sur la justice...
    M. Patrick Ollier. Vous vouliez partir en vacances ?
    M. Jean-Marc Ayrault. ... sur lequel il a, en outre, déclaré l'urgence.
    On aurait pu admettre un tel agenda s'il s'était seulement agi de la loi de programmation des moyens destinés à l'institution judiciaire. Mais tel n'est pas le cas. Le projet de loi que va présenter le garde des sceaux ne comprendra pas moins de soixante articles.
    M. Arnaud Montebourg. Lamentable !
    M. Jean-Marc Ayrault. Il réforme en profondeur des pans entiers de la procédure pénale, et non des moindres (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) : ...
    M. Christian Bataille et M. Maxime Gremetz. Scandaleux !
    M. Jean-Marc Ayrault. ... l'ordonnance de 1945 qui régit la protection des mineurs (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle),...
    M. René André. C'est urgent !
    M. Patrick Ollier. Il faut travailler !
    M. le président. Mes chers collègues, laissez M. Ayrault s'exprimer !
    M. Jean-Marc Ayrault. ... les procédures de comparution immédiate devant les tribunaux, la détention provisoire...
    M. Robert Pandraud. Très bien !
    M. Jean-Marc Ayrault. ... la présomption d'innocence, les droits des victimes. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle).
    M. Jean Marsaudon. C'est ce que les Français veulent !
    M. Jean-Marc Ayrault. Nous aimerions, monsieur le président, que l'Assemblée nationale puisse travailler dans des conditions optimales. Les questions abordées dans ce projet de loi ne sont pas - permettez-moi ce jeu de mots - mineures. Elles touchent aux fondements mêmes des droits et des libertés de nos concitoyens.
    M. François Goulard. Et alors ?
    M. Jean-Marc Ayrault. Et certaines déclarations laissent même entendre qu'on pourrait voir surgir à l'occasion de ce texte quelques modifications de l'incrimination d'abus de biens sociaux. (Vives protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. François Goulard et M. Claude Goasguen. Fantasmes !
    M. le président. Je vous en prie, laissez M. Ayrault s'exprimer !
    M. Jean-Marc Ayrault. Comment admettre, monsieur le président, que le Gouvernement puisse demander à notre assemblée de débattre d'un tel projet en deux jours, au coeur de l'été, quand tout le pays a la tête aux vacances ? (Exclamations sur les mêmes bancs.) Cela ressemble à une adoption en catimini, à la sauvette, sans que nous ayons la possibilité de prendre une part active à une étude approfondie du texte et aux auditions, évidemment nécessaires, quand de tels changements sont apportés à notre code de procédure pénale et à notre code pénal.
    Le Gouvernement a-t-il si peu confiance en son projet ? A-t-il des propositions cachées qu'il ne veut pas voir portées à la connaissance de nos concitoyens ? (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Je ne veux pas lui faire ce procès d'intention. (« Ah ! » sur les mêmes bancs.) Mais convenez, monsieur le président, qu'une telle précipitation n'est pas acceptable quand l'essentiel est en jeu. Elle fait peu de cas du débat parlementaire et des droits de l'opposition, notamment à contrôler, voire à améliorer les textes gouvernementaux. Vous vous êtes engagé vous-même à les faire respecter. Le Président de la République, dans son message au Parlement, a souhaité qu'ils le soient et M. le Premier ministre également. Alors, sommes-nous capables de passer des déclarations d'intention à une autre pratique ?
    Vous avez une très lourde responsabilité devant le pays, chers collègues de l'opposition (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), ne la prenez pas à la légère !
    M. François Goulard. Nous sommes maintenant la majorité !
    M. Hervé de Charette. L'opposition oublie le jugement du peuple !
    M. le président. Je vous en prie, messieurs, laissez M. Ayrault s'exprimer !
    M. Jean-Marc Ayrault. Merci, monsieur le président.
    La majorité voudrait-elle donner la preuve, par son attitude intolérante, que mes inquiétudes ne sont pas vaines, que l'on cherche réellement à imposer une volonté par tous les moyens ? D'autant, ne l'oubliez pas, que la majorité à l'Assemblée nationale est aussi la majorité au Sénat, et qu'en déclarant l'urgence puis en vous mettant d'accord, soit par un vote conforme, soit à la suite de négociations en commission mixte paritaire, il n'y aurait qu'une seule lecture à l'Assemblée. Est-il acceptable de procéder à de tels changements en profondeur de notre droit pénal sans que nous ayons eu le temps d'en débattre non seulement à l'Assemblée nationale mais aussi dans le pays, pour que les citoyens eux-mêmes puissent se saisir de ces questions si importantes ?
    Voilà pourquoi, monsieur le président, au nom du groupe socialiste, je demande solennellement au Gouvernement de reporter à la session ordinaire d'octobre (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle) la discussion de tous les chapitres touchant à la procédure pénale. La justice a besoin de sérénité, non de ces réformes hâtives et bâclées dans le farniente de l'été. Faites la preuve de votre sincérité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. Monsieur Ayrault, je prends acte de votre rappel au règlement.

5

AMNISTIE

Discussion, après déclaration d'urgence,
d'un projet de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, aprés déclaration d'urgence, du projet de loi portant amnistie (n°s 19, 23).
    La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
    M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas M. Perben, c'est M. Stakhanov ! (Rires sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jean-Claude Lenoir. Vous êtes un connaisseur !
    M. René André. Ne brûlez pas ce que vous avez adoré !
    M. le président. Monsieur Brard, ne profitez pas des silences pour placer votre voix.
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Je remercie M. Brard de reconnaître mes qualités de travail. (Sourires.)
    Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, le projet de loi portant amnistie est le premier texte que le Gouvernement présente au Parlement dans le cadre de cette session extraordinaire.
    L'amnistie, vous le savez, est le fruit d'une très longue tradition. (« Trop longue ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Elle est née à Athènes, au ve siècle, lorsque les citoyens, réunis en assemblée, décidèrent de se réconcilier entre eux et avec le passé en adoptant la toute première loi d'amnistie de l'histoire. Cette clémence collective, qui effaçait la répression et les poursuites, avait moins pour objet l'oubli des faits eux-mêmes que l'oubli de la discorde pour créer la concorde.
    La pratique de l'amnistie s'est ensuite étiolée, même si la République romaine connut des amnisties célèbres. L'une d'elles, selon Plutarque, fut décrétée par le Sénat, sur la proposition de Cicéron, en faveur des meurtriers de César. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.)
    Il n'est pas inutile, messieurs, de réfléchir.
    M. Jean Glavany. L'arrogance est au pouvoir !
    M. le garde des sceaux. Le Moyen Age fut le moment du pardon accordé par les seigneurs puis par les rois, pardon individuel ou rémission collective qui s'apparentait à l'amnistie, conformément à l'adage selon lequel toute justice émanait du roi. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.) C'est la Révolution qui fit renaître l'amnistie, laquelle fut même la seule procédure de clémence jusqu'à ce que Bonaparte réintroduise la grâce dans le droit français, sans supprimer pour autant l'amnistie.)
    Après la Révolution, toutes les Républiques firent de l'amnistie une prérogative du pouvoir législatif. La Constitution de 1958 perpétue cette tradition républicaine dans son article 34. Car, au-delà de sa portée symbolique et historique, l'amnistie est bien une tradition de la République, de cette République qui a dû, à mesure qu'elle s'est établie dans les institutions et dans les esprits, cicatriser les plaies de l'histoire, après la Commune, après l'affaire Dreyfus, aux lendemains des guerres ou des événements violents qui déchirèrent la nation.
    Dès les débuts de la IIIe République, l'amnistie illustre aussi la fraternité républicaine inscrite sur les frontons des lieux publics.
    C'est en effet une loi républicaine, de générosité et de tolérance, qui vient régulièrement, a en particulier après chaque élection présidentielle, affirmer, par l'effacement de certaines infractions, la valeur de la réconciliation et de la cohésion nationales.
    Au fil des années, le champ de l'amnistie varie donc en fonction des exigences fondamentales de la République. S'il s'agit de « panser ses blessures », selon l'expression du général de Gaulle, il s'agit aussi, dans une France aujourd'hui réconciliée avec elle-même, d'affirmer des valeurs : valeurs de générosité, de tolérance et de solidarité, valeurs de civisme, de responsabilité et de sécurité.
    M. Robert Pandraud. Très bien !
    M. le garde des sceaux. C'est l'ensemble de ces valeurs humanistes fondant « la France du respect » que Jacques Chirac a incarnées dans l'élection présidentielle (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) et qui sont portées aujourd'hui par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin issu des élections législatives.
    Ces principes fondamentaux forment le socle du projet de loi d'amnistie. C'est le premier projet d'un gouvernement qui, comme l'a affirmé le Premier ministre dans la déclaration de politique générale que vous avez approuvée la semaine dernière, fait du rétablissement de l'autorité de l'Etat et d'une justice plus sereine, plus efficace et plus humaine une priorité essentielle de son action.
    M. Robert Pandraud. Eh oui ! Il faut le dire !
    M. le garde des sceaux. Ce projet amnistie certaines infractions commises avant le 17 mai 2002, date du début du nouveau mandat confié par le peuple au Président de la République.
    Sur le fond, il reprend dans ses grandes lignes les principes de la loi d'amnistie du 3 août 1995,...
    M. Jean Glavany. C'est bien ce qu'on lui reproche !
    M. le garde des sceaux. ... qui était, je le rappelle, beaucoup plus restrictive que les lois précédentes du 4 août 1981 et du 20 juillet 1988. (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. François Goulard. La gauche est amnésique !
    M. le garde des sceaux. Toutefois, pour tenir compte de l'évolution de notre société et de la priorité accordée par le Gouvernement à la lutte contre les différentes formes d'insécurité, nous avons voulu mieux concilier le geste de pardon, inspiration même de l'amnistie, avec les nécessités de la répression. Aussi ce projet de loi se caractérise-t-il principalement par une nette augmentation du nombre des infractions expressément exclues de l'amnistie.
    Sur la forme, ce texte est légèrement modifié pour plus de clarté par rapport à la structure des précédentes lois d'amnistie.
    Le projet de loi se divise en six chapitres.
    Le premier, qui comprend les articles 1er à 8, porte sur l'amnistie de droit. Sous ce vocable, nous avons regroupé deux formes traditionnelles d'amnistie. D'une part, l'amnistie réelle, qui consiste à amnistier les infractions en raison de leur nature ou des circonstances dans lesquelles elles ont été commises. D'autre part, l'amnistie en raison de la peine, dite au quantum, qui consiste à amnistier les infractions ayant donné lieu à une condamnation inférieure ou égale à un maximum fixé par le législateur.
    S'agissant de la première catégorie, sont notamment amnistiés les contraventions de police, les délits punis uniquement d'une peine d'amende, les délits de presse, les délits militaires, ainsi que les délits commis au cours de conflits sociaux ou professionnels, visés à l'article 3.
    Il reviendra au ministère public de constater l'amnistie de plein droit des condamnations intervenues à la suite de ces infractions.
    Je précise que le 4° de l'article 3 amnistie également les délits commis en relation avec des élections de toute nature, à l'exception, comme j'ai déjà eu l'occasion de le préciser maintes fois, de tout délit commis en relation avec le financement direct ou indirect de campagnes électorales ou de partis politiques.
    S'agissant de l'amnistie en raison de la nature ou du quantum de la peine prononcée, le projet de loi prévoit, conformément à la tradition, l'amnistie des délits ayant donné lieu à une simple peine d'amende ou de jour amende, sous réserve du paiement de celle-ci lorsqu'elle est supérieure à 750 euros.
    Pour les condamnations à une peine d'emprisonnement sans sursis, ou accompagnées d'un sursis avec mise à l'épreuve, le quantum de la loi du 3 août 1995 est repris : cette peine ne doit pas excéder trois mois.
    M. Pierre Cardo. C'est généreux !
    M. le garde des sceaux. Les condamnations à une peine d'emprisonnement avec sursis, assortie de l'obligation d'effecter un travail d'intérêt général, sont aussi amnistiées lorsque le travail a été effectué et que le sursis n'a pas été révoqué, si elles sont inférieures ou égales à six mois.
    Ce régime est plus sévère que celui de la loi de 1995. En effet, le seuil au-dessus duquel les condamnations à une peine d'emprisonnement avec sursis simple ne sont pas amnistiées a été abaissé par rapport à la loi de 1995 : il passe de neuf mois à six mois.
    Lorsque les peines amnistiables sont prononcées en même temps qu'une peine d'amende ou de jour amende, l'amnistie n'est acquise qu'après paiement de l'amende si celle-ci est supérieure à 750 euros.
    Le deuxième chapitre concerne la mesure hybride, mais également traditionnelle, dite de la « grâce amnistiante ». Elle cumule en effet les caractéristiques de la grâce et de l'amnistie en ce qu'elle permet, à la différence de l'amnistie de plein droit, une individualisation de la mesure d'oubli ; en ce qu'elle efface, tout comme l'amnistie, la condamnation pour des faits délictueux.
    L'article 9 permet ainsi au Président de la République d'accorder l'amnistie des infractions n'entrant pas dans le champ d'application de l'amnistie de droit, d'une part aux personnes âgées de moins de vingt et un ans au moment des faits et, d'autre part, à des personnes ayant servi, de manière déterminante, l'intérêt général.
    Il s'agit, en premier lieu, des anciens combattants. Je sais que votre commission s'est étonnée de ce que même les anciens combattants de la première guerre mondiale y soient mentionnés. Certes, les centenaires ont peu de chances, si j'ose dire, d'être concernés par l'amnistie. Mais les en exclure a priori pourrait être mal compris, ou mal interprété. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.)
    Il s'agit en deuxième lieu des résistants et des déportés.
    Il s'agit enfin des personnes qui se sont distinguées de manière exceptionnelle dans les domaines humanitaire, culturel, scientifique ou économique. Par rapport à la loi d'août 1995, cette possibilité a été étendue aux personnes qui se sont distinguées de manière exceptionnelle dans le domaine sportif.
    Cette faculté concerne bien évidemment les infractions non exclues de l'amnistie par l'article 13 du projet, et elle n'est accordée que si les personnes concernées n'ont pas été condamnées avant cette infraction à l'emprisonnement ou à une peine plus grave pour crime ou délit de droit commun. J'ajoute que le bénéfice d'une telle mesure, par nature exceptionnelle, est subordonné à la présentation d'une demande dans le délai d'un an à compter de la publication de la loi ou de la condamnation définitive.
    Le troisième chapitre concerne l'amnistie des sanctions disciplinaires ou professionnelles. Les fautes disciplinaires ou professionnelles commises avant le 17 mai 2002, sont amnistiées de plein droit, sous réserve des exclusions prévues à l'article 13. Les fautes disciplinaires constituant des manquements à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs ne peuvent être amnistiées que par une mesure individuelle du Président de la République.
    Comme je l'ai indiqué, ce projet tient compte des priorités du Gouvernement en matière de lutte contre l'insécurité. Il est donc cohérent avec la politique pénale que nous entendons mener.
    C'est pourquoi les exclusions du bénéfice de l'amnistie, qui font l'objet du chapitre IV du projet, sont, je dois le dire, beaucoup plus nombreuses que lors des lois précédentes. Toutes les exclusions prévues en 1995 ont été reprises, certaines ayant même été étendues, et de nouvelles exclusions ont été prévues.
    L'article 13, article unique de ce chapitre, dresse la liste précise de toutes ces exclusions. C'est pourquoi il ne comporte pas moins de quarante et un alinéas. Vous comprendrez que je vous fasse grâce - si j'ose dire - (Sourires.) de leur énumération détaillée.
    On peut les regrouper en deux parties, comme vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur, dans votre rapport écrit : d'une part, les exclusions qui concernent des infractions anciennes, dont nous avons augmenté le nombre ; d'autre part, de nouvelles infractions sont exclues de l'amnistie.
    Dans la première catégorie, on trouve, outre les actes de terrorisme, les discriminations, les faits de corruption, la fraude et la corruption électorales, le trafic de stupéfiants, le trafic de main-d'oeuvre et les atteintes à l'environnement. Sont également exclus les délits d'outrage, de rébellion, de violence, d'injures ou de diffamation commises à l'égard des personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public, comme les policiers, les gendarmes ou les agents des services ferroviaires ou des réseaux de transports publics.
    Ce sont là des exclusions traditionnelles, mais le champ en a été élargi. Par exemple, sont exclus pour la première fois l'association de malfaiteurs et le proxénétisme, ainsi que les infractions en matière de fausse monnaie et les infractions relatives à la réglementation sur les armes.
    Parmi les nouvelles infractions exclues de l'amnistie figurent le harcèlement sexuel et le harcèlement moral, les infractions sexuelles commises contre des mineurs ou encore l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse d'une personne. J'ajoute que le délit de recours à la prostitution de mineur, créé par la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale, figure logiquement pour la première fois dans la liste des exclusions.
    Votre commission a proposé un certain nombre d'amendements de précision rédactionnelle. Je tiens d'emblée à vous dire que j'y suis favorable. Elle a également tenu à étendre le champ déjà large des exclusions en ajoutant notamment à la liste des infractions exclues le délit de blanchiment créé par la loi du 13 mai 1996 et celui d'enlèvement international d'enfants pour lequel les peines ont été récemment alourdies par le législateur. J'y suis également tout à fait favorable.
    S'agissant des infractions routières, nous partageons tous le sentiment de l'urgence et de la nécessité de lutter avec sévérité contre l'insécurité routière. A cet égard, le champ des exclusions n'a cessé de s'élargir. La loi de 1981 limitait l'exclusion à la conduite en état d'ivresse et aux délits de fuite liés à des blessures involontaires. La loi de 1995 avait exclu, outre ces infractions, tous les délits au code de la route, ainsi que les contraventions entraînant le retrait de plus de trois points du permis de conduire.
    L'article 13 du projet exclut tous les délits et la plupart des contraventions au code de la route. Toutefois, conformément aux engagements du Président Jacques Chirac pendant la campagne présidentielle mais aussi - dois-je le rappeler ? - aux promesses d'autres candidats à cette élection, les contraventions de stationnement payant, de stationnement abusif et de stationnement gênant sont amnistiées, sauf lorsqu'il s'agit de stationnement sur des emplacements réservés aux véhicules de service public ou réservés aux personnes handicapées.
    M. Arnaud Lepercq. Très bien !
    M. le garde des sceaux. Ces comportements traduisent en effet un incivisme caractérisé.
    Le défaut de port de la ceinture de sécurité, ou la conduite avec un téléphone portable, contraventions de deuxième classe relatives à la conduite d'un véhicule sont, en tant que tels, exclus de l'amnistie.
    Des propositions d'exclusion supplémentaires ont été faites par plusieurs membres de la commission ; nous y reviendrons lors de la discussion des articles.
    Enfin, je souligne que le projet du Gouvernement exclut pour la première fois du bénéfice de l'amnistie les délits et les contraventions commis en état de récidive légale, hypothèse qui révèle une particulière dangerosité de l'auteur des faits puisque celui-ci a commis une infraction après avoir déjà été condamné pour des faits similaires. Cet alinéa 40 de l'article 13 touchera notamment les petites infractions commises à répétition par certaines entreprises.
    Le chapitre V rappelle les effets traditionnels des lois d'amnistie en renvoyant aux articles pertinents du code pénal et du code de procédure pénale.
    L'amnistie efface la condamnation et éteint l'action publique. C'est l'effet extinctif de l'amnistie qui entraîne donc l'effacement de la condamnation, la remise de toutes les peines, le rétablissement du condamné dans le bénéfice d'un sursis entièrement prononcé qui était révoqué par la condamnation amnistiée ainsi que l'absence d'effets préjudiciables aux droits des tiers.
    Comme dans la loi d'amnistie du 3 août 1995, le projet précise que l'amnistie n'entraîne pas la restitution ou le rétablissement des autorisations administratives annulées ou retirées.
    Certaines mesures ne peuvent être effacées par l'amnistie. Il s'agit par exemple de la faillite personnelle, de l'interdiction du territoire français, de l'interdiction de séjour, de l'interdiction des droits civiques. Tel est l'objet de l'article 15.
    Les articles 16 à 18 posent d'autres limites traditionnelles aux effets de l'amnistie, comme l'absence d'effet sur les décisions de retrait de l'autorité parentale, l'absence de réintégration de droit dans les grades ou emplois, le non-rétablissement des distinctions honorifiques.
    Le projet précise, au dernier alinéa de l'article 16, que les informations relatives aux faits amnistiés sont maintenues dans les fichiers de police judiciaire. En effet, si l'amnistie efface les condamnations, elle n'interdit pas de rappeler les faits eux-mêmes. Il était par ailleurs indispensables de prévoir explicitement ce principe pour garantir l'efficacité des fichiers de police judiciaire, qui serait grandement affaiblie si leur contenu était pour partie effacé régulièrement.
    Le titre VI, enfin, est relatif à l'application de la loi dans les territoires, les collectivités territoriales et les départements d'outre-mer.
    J'en arrive au dernier article du texte, l'article 22, qui a pu susciter chez certains d'entre vous un peu de perplexité. Le dispositif de sécurité juridique qu'il introduit est indispensable pour assurer la continuité du service public des transports de personnes en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane.
    Il fallait en effet répondre, dans l'urgence, au problème des concessions d'exploitation de lignes de transports publics routiers dans ces départements français d'Amérique. Sans revenir sur tous les épisodes d'une longue histoire, qu'il me suffise de préciser que les conventions passées entre les transporteurs et les collectivités locales ignorent pour la plupart les règles de la « loi Sapin » du 29 janvier 1993.
    La prorogation, depuis le 13 juin 2002 - date d'expiration de la prorogation précédente - et jusqu'au 1er janvier 2006, de ces concessions permettra, d'une part, de combler un vide juridique et, d'autre part, de nouer une négociation constructive entre toutes les parties concernées, pour concilier le respect de la légalité, les préoccupations des exploitants et les intérêts des usagers. Il n'y a donc dans cette disposition, vous l'aurez compris, rien qui soit contraire à l'esprit d'une loi d'amnistie.
    Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, les principales dispositions de ce texte.
    Je le rappelle, l'amnistie est une prérogative du pouvoir législatif. Il appartient sans doute aux législateurs que vous êtes de réfléchir à l'avenir d'une mesure qui jette périodiquement le voile de l'oubli sur certaines infractions, dans une société où la mémoire tient une place parfois paradoxale.
    Nous vivons en effet volontiers un temps de commémoration, voire de repentance. Les Français ont marqué l'importance qu'ils attachent au rétablissement de l'autorité de l'Etat et aux valeurs de la République. Une amnistie équilibrée, mesurée, conforme aux valeurs de tolérance et d'humanisme qui sont les nôtres, mais relativement restreinte dans ses effets, me paraît tout à fait adaptée à l'évolution contemporaine de notre société. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française).
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    M. Michel Hunault, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, chaque élection présidentielle depuis la Ve République a donné lieu à l'adoption d'une loi d'amnistie.
    Je rappelle que les lois d'amnistie sont des lois d'exception, d'interprétation stricte, qui ne préjudicient pas aux droits des tiers. Elles se distinguent de l'exercice du droit de grâce présidentielle.
    Certes, on peut s'interroger sur le principe même, l'opportunité d'une loi d'amnistie ; ce que n'ont d'ailleurs pas manqué de faire plusieurs membres de la commission des lois. Il est vrai que le contexte se prête à une telle interrogation. Dans un pays où, en 2001, ont été commis plus de 4 millions de crimes et délits donnant lieu à 550 000 jugements seulement, on comprend aisément l'exaspération de nos compatriotes face à une si grande impunité. Si l'on y ajoute que, sur les 100 000 condamnations à des peines de prison, 37 000 ne sont jamais exécutées, l'opinion publique est en droit de s'interroger sur le bien-fondé de la pratique de l'amnistie.
    Il n'est pas inutile de rappeler que le Président de la République et le Gouvernement, soutenus par la majorité parlementaire, entendent faire de la lutte contre l'insécurité et la délinquance la priorité de leur action. C'est pourquoi, après l'examen du texte d'amnistie, dont nous verrons qu'il est très restrictif, suivront la discussion des projets de loi sur la sécurité intérieure et sur la justice, pour donner, dans le cadre des lois de programmation, les moyens à l'Etat d'assurer la première de ces missions : la sécurité des personnes et des biens.
    C'est dans ce contexte qu'il faut replacer l'examen, mais surtout le contenu même de la loi d'amnistie de 2002. Le présent projet de loi, s'il s'inscrit dans cette tradition républicaine, est très restrictif. Il comporte six chapitres : les quatre premiers définissent le champ d'application de l'amnistie, ses effets sont rappelés aux chapitres suivants.
    Ce projet de loi reprend dans ses grandes lignes, avec une structure légèrement différente, le texte adopté en 1995. Néanmoins, dans le souci de mieux lutter contre la délinquance et de redonner confiance à nos concitoyens, tout en respectant la tradition républicaine, le champ d'application de l'amnistie a été sensiblement réduit par rapport aux lois antérieures de 1981 et 1988.
    Ainsi, conscient de l'enjeu majeur que représente l'éthique pour notre démocratie, et souhaitant dissiper tout soupçon, le projet d'amnistie exclut les délits économiques et financiers ou en relation avec le financement des campagnes électorales et des partis politiques. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    La France se distingue sur ces points de certains de ses voisins européens, notamment de l'Italie, qui a récemment amnistié l'ensemble des délits politico-financiers.
    M. Arnaud Montebourg. Quelle référence !
    M. Michel Hunault, rapporteur. Cette rigueur se retrouve également dans la fixation du quantum de la peine ouvrant droit à l'amnistie.
    Si le plafond de trois mois pour les peines d'emprisonnement fermes ou assorties d'un sursis avec mise à l'épreuve, prévu en 1995, a été maintenu, le projet de loi a choisi d'abaisser de neuf à six mois le seuil pour les peines d'emprisonnement assorties du sursis simple, traduisant ainsi sa volonté « de ne pas faire bénéficier de l'amnistie au quantum les infractions présentant une certaine gravité ».
    La liste des exclusions a été considérablement allongée, le projet de loi comportant quarante-deux catégories d'infractions exclues du bénéfice de l'amnistie, contre vingt-huit en 1995, dix-sept en 1988 et seulement quatorze en 1981.
    La commission des lois a adopté jeudi dernier un amendement, que j'ai moi-même déposé, visant à exclure de l'amnistie le blanchiment de l'argent sale. Faut-il rappeler que c'est sous le gouvernement d'Alain Juppé qu'a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée une mesure visant à créer une incrimination nouvelle, le blanchiment de l'argent sale, pour lutter contre le recyclage des trafics de drogue, de la prostitution, des filières d'immigration clandestines ?
    Ce matin, la commission des lois a adopté à l'unanimité un amendement de l'opposition précisant, s'il le fallait encore, qu'est exclu de l'amnistie le délit d'abus de bien social. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Christian Bataille. On respire !
    M. Arnaud Montebourg. Temporairement !
    M. Michel Hunault rapporteur. Pour la première fois, les mesures d'amnistie ne pourront pas bénéficier aux délits ou aux contraventions de la cinquième classe commis en état de récidive. Cette exclusion souligne la volonté des pouvoirs publics de lutter contre la délinquance endémique qui sévit dans certains quartiers.
    Aux infractions liées à la grande délinquance ou portant atteinte à la sécurité de l'Etat - je pense au terrorisme ou au trafic de stupéfiants - traditionnellement exclues de l'amnistie ont été ajoutés les délits d'association de malfaiteurs et de proxénétisme ainsi que les infractions en matière de fausse monnaie. Dans le même esprit, les infractions à la législation et à la réglementation sur les armes ont pour la première fois été exclues de l'amnistie ; il faut dire que le drame de Nanterre reste dans toutes les mémoires.
    La liste des infractions portant atteinte à l'autorité de l'Etat ou à ses agents a été complétée afin de viser expressément les délits de violence sur personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, d'outrages et de violences à l'égard des agents de chemins de fer ou de réseaux de transports publics, de défaut habituel de titre de transport, de diffamation ou d'injures envers les autorités publiques et de destructions ou de dégradations aggravées ou commises sur les emprises de la SNCF.
    La protection des personnes en situation de vulnérabilité, notamment les mineurs, a été renforcée par l'exclusion du bénéfice de l'amnistie de l'ensemble des infractions de nature sexuelle, ce qui n'était pas le cas jusque-là, ainsi que par celle des infractions récemment créées pour luter contre les phénomènes d'asservissement des personnes vulnérables, comme le délit de recours à la prostitution de mineurs, les délits de harcèlement sexuel ou moral ou encore le délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse, qui sanctionne les agissements des sectes.
     Afin de lutter plus sévèrement contre l'insécurité routière, et conformément aux engagements du Président de la République qui, dès le 2 avril dernier, a souhaité écarter « de l'amnistie toutes les infractions au code de la route, à l'exclusion des infractions au stationnement non dangereux », ont été exclus l'ensemble des délits et des contraventions au code de la route, à l'exception des contraventions de stationnement payant et abusif et de certains stationnements gênants.
    Ces dispositions sont beaucoup plus restrictives que celles de 1995, qui amnistiaient l'ensemble des contraventions au code de la route entraînant le retrait de trois points au plus du permis de conduire. Ainsi, mesdames, messieurs, sont exclus de l'amnistie le délit de grande vitesse et l'impossibilité de se voir restituer des points.
    La volonté de redonner à l'éthique la place qu'elle doit occuper dans la vie économique comme dans la vie politique a conduit les auteurs du projet de loi à exclure, outre les infractions économiques et financières, les infractions en matière douanière et fiscale, les trafics de main-d'oeuvre et les principaux délits en matière de concurrence et de bourse. A ces exclusions traditionnelles a été ajoutée l'exclusion des faits ayant donné lieu à des sanctions disciplinaires ou professionnelles prononcées par les autorités administratives financières.
    Une députée du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Très bien !
    M. Michel Hunault, rapporteur. Cette rigueur nouvelle se retrouve également dans les effets de l'amnistie, puisque le projet de loi prévoit pour la première fois que l'amnistie n'empêchera pas le maintien dans les fichiers de police judiciaire des mentions relatives aux faits amnistiés.
    La commission des lois considère que l'extension considérable de la liste des exclusions au fil des lois d'amnistie doit nous amener à nous interroger sur la structure de ces lois, qui gagneraient sans doute en lisibilité si les infractions admises au bénéfice de l'amnistie étaient limitativement énumérées plutôt que déduites du champ d'application des exclusions. Elle pourrait également conduire, à terme, à remettre en cause le principe même des lois d'amnistie, fortement critiquées pour leurs conséquences négatives sur la crédibilité de la sanction pénale.
    Il convient de préciser que les exclusions prévues par le texte et celles ajoutées par voie d'amendement réduisent à un tiers le nombre de personnes condamnées pouvant bénéficier de cette loi d'amnistie.
    Telles sont, monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les conclusions de la commission des lois sur ce projet de loi d'amnistie.(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

Exception d'irrecevabilité

    M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est à M. René Dosière.
    M. René Dosière. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'amnistie est d'abord un acte politique. Sous cet aspect, elle est même au coeur de la République. Au point qu'un historien, Stéphane Gacon, qui vient de publier sa thèse de doctorat, a pu écrire que « la République a été fondée par l'amnistie ». Cette expression s'applique aux amnisties de 1879 et 1880 ayant trait à la Commune de Paris.
    Il convient de rappeler le contexte historique et politique de cette époque. C'est en effet dans les années 1877-1879 que la République s'installe solidement en France. Ayant raté la dissolution de 1877, le Président de la République d'alors se « démet », O tempora ! O mores !... (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Pierre Brard. N'est pas Mac-Mahon qui veut !
    M. René Dosière ... et sera remplacé par un républicain.
    Dans le même temps, les conseils municipaux et le Sénat deviennent respectivement, en 1877 et en janvier 1879, à majorité républicaine. C'est alors que l'Assemblée quitte Versailles pour revenir siéger ici, au Palais-Bourbon, que la fête nationale est fixée au 14 juillet et que La Marseillaise est adoptée comme hymne national. Autant de symboles fondateurs.
    C'est cette conjoncture politique nouvelle qui appelle l'amnistie liée à la Commune, et jusqu'alors refusée. Pour Gambetta, l'amnistie est la première pierre de l'unité nationale. Ecoutons-le descendre du perchoir et parler à cette tribune, le 21 juin 1880 : « On a dit, et avec raison, que le 14 juillet étant fête nationale, il faut que, ce jour-là, devant la patrie représentée par ses mandataires fidèles, en face de cette armée, orgueil légitime de la nation, il faut que vous fermiez le livre de ces dix années, que vous mettiez la pierre tumulaire de l'oubli sur les crimes et les vestiges de la Commune, et que vous disiez à tous ceux dont on déplore l'absence qu'il n'y a qu'une France et qu'une République. »
    M. Jean-Pierre Blazy. Très bien !
    M. Claude Goasguen. Hors sujet !
    M. René Dosière. Ainsi, l'amnistie devient dès l'origine une pratique républicaine, puisqu'elle réintègre dans le corps des citoyens, au sein de la République une et indivisible, ceux qui, à un moment ou à un autre, s'en sont trouvés exclus.
    Bien plus qu'un pardon - fût-il maternel - ou qu'une compassion, l'amnistie est un acte rationnel, un retour à la source des valeurs républicaines. Il en ira ainsi, ultérieurement, avec les grandes amnisties qui concerneront les conflits du travail et permettront l'intégration dans la vie politique des socialistes et des communistes,...
    M. Hervé Novelli. Quel progrès !
    M. René Dosière. ... avec l'amnistie liée à l'affaire Dreyfus, avec l'amnistie de la collaboration, celle de la guerre d'Algérie, et, plus près de nous, celle qui a suivi les accords de Matignon concernant la Nouvelle-Calédonie.
    M. Claude Goasguen. Quel rapport ?
    M. René Dosière. A l'issue de chacune de ces périodes conflictuelles, l'amnistie ressoude la communauté nationale en permettant de tourner la page et de regarder vers l'avenir. L'amnistie est, en quelque sorte, refondatrice.
    Il est vrai qu'un examen attentif de chacune de ces amnisties ferait apparaître qu'elles ont toujours été contestées par ceux qui estimaient que l'effacement était trop précoce, d'ampleur discutable, voire injuste.
    M. Claude Goasguen. Au fait !
    M. René Dosière. C'est à propos de l'amnistie Dreyfus que Charles Péguy exprimera, dans Notre jeunesse sa colère en constatant que « tout commence en mystique et finit en politique », ce qui, sous sa plume, était loin d'être un compliment, on l'aura compris.
    D'une certaine manière, c'est à une telle dégénérescence que l'on assiste avec les textes d'amnistie portant uniquement sur des délits de droit commun, comme celui dont nous débattons aujourd'hui.
    Sans doute ce type d'amnistie n'est-il pas nouveau. La IIIe République en connut quelques-unes entre les deux conflits mondiaux ; il en est de même pour la IVe République. Mais ce qui est nouveau avec la Ve République, c'est le caractère systématique et programmé de l'amnistie à chaque élection présidentielle.
    M. Claude Goasguen. Et avec Mitterrand ?
    M. René Dosière. En effet, selon une étude très documentée de l'universitaire Mathieu Conan, il en allait tout autrement auparavant. Sous la IIIe République, sur quinze élections présidentielles, seules cinq ont été suivies d'une amnistie « avénementielle » pourrait-on dire, trois autres étant liées à d'autres événements et sept élections ne donnant lieu à aucune amnistie.
    Sous la IVe République, l'amnistie qui suit l'élection de Vincent Auriol a des motifs plus vastes, comme le souligne Edgar Faure, rapporteur du texte : « L'amnistie qui vous est proposée dépasse largement la portée que lui assignerait le simple renouveau d'une tradition généreuse, la clémence rituelle des avènements. » Et, après l'élection de René Coty, il n'y aura pas d'amnistie.
    La pratique de la Ve République de faire référence à l'élection du Président souligne bien le caractère très personnalisé du pouvoir. Plus qu'à une tradition républicaine, il s'agit d'une coutume monarchique selon laquelle le souverain inaugure toujours son règne par un acte de miséricorde. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Claude Goasguen. Délayage !
    M. René Dosière. La légitimité du souverain étant de droit divin, tous les pouvoirs, y compris celui de pardonner, sont concentrés entre ses mains.
    M. Arnaud Montebourg. Il faudra que ça cesse !
    M. René Dosière. Cette confusion des pouvoirs ne permet pas alors de distinguer grâce et amnistie. Il faudra attendre la République pour que la distinction soit faite, l'article 3 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 disposant : « Le Président de la République a le droit de faire grâce », formulation reprise par l'article 17 de la Constitution de la Ve République.
    M. Michel Hunault, rapporteur. Gremetz en sait quelque chose !
    M. René Dosière. Mais cet article ajoutait : « Les amnisties ne peuvent être accordées que par la loi », disposition reprise à l'article 34 de notre Constitution, qui précise : « La loi est votée par le Parlement. La loi fixe les règles concernant [...] l'amnistie. »
    Au demeurant, la première amnistie de la Ve République ne consacre pas encore la présidentialisation de l'amnistie, puisque le garde des sceaux de l'époque, Edmond Michelet, fait référence, le 7 juillet 1959, toujours à cette tribune, à l'installation du nouveau régime et propose que l'amnistie parte du 28 avril 1959, ouverture officielle de la session du nouveau Parlement, afin de rendre hommage aux assemblées.
    Tout changera à partir de 1966, après l'élection au suffrage universel du Président de la République ; la tradition si souvent évoquée a donc moins de quarante ans.
    Au demeurant, cette tradition peut-elle être source de droit ? Non, répond le Conseil constitutionnel.
    M. Claude Goasguen. Mais défendez une exception d'irrecevabilité ! C'est long !
    M. René Dosière. En 1988, il est saisi par l'opposition de l'époque au motif que la loi votée déroge à la tradition. La réponse du Conseil constitutionnel est nette : « La tradition évoquée par les auteurs de la saisine ne saurait en tout état de cause être regardée comme ayant engendré un principe fondamental reconnu par les lois de la République. »
    C'est dire combien les propos ministériels faisant référence à cette tradition n'ont qu'une portée conjoncturelle et à quel point cette référence, reprise dans tous les médias comme un principe républicain, n'en est pas un...
    M. Claude Goasguen. Avec Mitterrand, notamment !
    M. René Dosière. Cela a suscité l'ironie piquante de Bruno Masure, qui écrit : « Tradition : manière d'agir qui est un héritage du passé. Depuis toujours et sur tous les continents, civilisation rime avec tradition... »
    M. Claude Goasguen. Vous n'avez donc rien à dire !
    M. René Dosière. « L'excision des jeunes filles ? Une aimable tradition africaine ! L'esclavage ? Une tradition antique ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) La lapidation des femmes adultères ou des homosexuels ? Une riante tradition d'intégristes musulmans. En France, nous jouissons de la tradition républicaine de l'amnistie qui permet à tout un chacun de transgresser joyeusement les règles du code de la route durant les mois qui précèdent un scrutin présidentiel. D'où le dicton : Avant mai, fais ce qui te plaît. »
    En réalité, la tradition se trouve plutôt dans le travail de copie de la chancellerie, qui, d'un projet d'amnistie à l'autre, reprend le plus souvent les mêmes termes.
    M. André Santini. C'est de la flibuste, ça !
    M. René Dosière. Ainsi, l'article 9 du présent projet de loi fait bénéficier de l'amnistie par mesure individuelle les « engagés volontaires de 1914-1918 », formulation immuable dans les projets précédents, à cette différence près, qui a échappé aux auteurs du texte mais non à la sagacité du rapporteur de la commission, que, les années passant, les intéressés auraient aujourd'hui entre cent et cent dix ans, ce qui n'est pas, on en conviendra, un âge propice aux infractions de droit commun !
    Au-delà de ce fait anecdotique, on se demande si l'on peut reproduire, de septennat en quinquennat, de telles dispositions en ignorant l'évolution de la société française, et surtout son rapport à la politique.
    Peut-on, en effet, oublier les données des dernières élections ? D'abord, les records d'abstention ont été battus au premier tour de l'élection présidentielle et aux deux tours des élections législatives,...
    M. Claude Goasguen. Quel rapport avec l'amnistie ?
    M. René Dosière. ... le chiffre atteignant 40 % au second tour.
    Ensuite, rappelons-nous l'importance du vote contestataire...
    M. Claude Goasguen. Et alors ?
    M. René Dosière. ... populiste et révolutionnaire, près de 35 % au premier tour de l'élection présidentielle, ...
    M. Claude Goasguen. Et alors ?
    M. René Dosière. ...qui a propulsé au second tour le candidat de l'extrême-droite.
    M. Jacques Myard. La faute à qui ?
    M. René Dosière. Autant de signes qui démontrent que les partis politiques de gouvernement, les seuls à être représentés dans cet hémicycle, ne parviennent plus à emporter l'adhésion de la majorité des Françaises et des Français.
    M. Charles Cova. Et vous, vous l'avez suscitée, l'adhésion ?
    M. René Dosière. Il est rare dans l'histoire de la République que le discrédit des responsables politiques ait été aussi profond.
    J'ajoute que si l'on considère la montée des thèmes sécuritaires, et, de manière plus positive, la demande de restauration de l'autorité dans les diverses institutions de notre société, de l'Etat à la famille, on peut s'interroger sur la nécessité de présenter comme premier texte de la législature un texte d'amnistie des délits de droit commun.
    M. Thierry Mariani. Et vous, qu'aviez-vous fait ?
    M. René Dosière. C'est parce que nous sommes à l'écoute des Français (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle),...
    M. François Baroin. Quel culot !
    Plusieurs députés de l'Union pour la majorité présidentielle. Ils ne se sont pas montrés reconnaissants !
    M. René Dosière. ... parce que nous entendons tirer toutes les leçons de ces élections et répondre aux évolutions de la société que les socialistes et leur groupe parlementaire, à l'unanimité, ont décidé non seulement de s'opposer à cette loi d'amnistie, mais d'en contester désormais le principe et l'utilité.
    Oui, nous avons changé de position sur ce point (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française) par rapport à 1995 - j'ai relu ce que déclarait alors Julien Dray au nom du groupe socialiste -...
    M. Jean-Pierre Brard. Citer Julien Dray à ce propos, voilà qui est pervers !
    M. René Dosière. ... mais aussi par rapport à ce que nous disions à l'aube de la campagne présidentielle.
    Beaucoup, à droite, entendent rester fidèles, envers et contre tout, à une tradition devenue archaïque, incomprise et rejetée par un nombre croissant de Français. Cette attitude, qui ressemble à de l'autisme, me surprend...
    M. Claude Goasguen. N'importe quoi !
    M. René Dosière. ... parce qu'il est contradictoire de lancer le slogan « impunité zéro » et de faire voter comme première loi de la législature l'amnistie des délits de droit commun. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Chantal Robin-Rodrigo. Très bien !
    M. René Dosière. Au demeurant, la réduction de la durée du mandat présidentiel conduit à banaliser encore davantage une disposition que les Français ont longtemps acceptée, malgré des réticences qui se sont toujours exprimées. Aujourd'hui, l'amnistie conduit à éloigner les citoyens de la République et de ses valeurs fondatrices. Au lieu de favoriser la réconciliation nationale, elle accentue la fracture sociale.
    Déjà, en 1995, M. Toubon votre prédécesseur, monsieur le ministre, déclarait ici : « Il n'est pas faux de dire que l'amnistie rompt dans une certaine mesure l'égalité entre les honnêtes gens qui n'en bénéficieront guère et les autres qui ont encouru par leur comportement les foudres de la justice, et qu'il peut apparaître choquant d'accorder en quelque sorte une prime aux citoyens défaillants. »
    M. Claude Goasguen. Quelle évolution de votre part !
    M. René Dosière. M. Toubon poursuivait : « Il est certain également que l'amnistie, surtout lorsqu'elle intervient régulièrement, anéantit une part du travail accompli par les services de police et de justice, peut inciter certaines personnes à faire preuve d'incivisme dans les mois qui précèdent et entraîne un manque à gagner budgétaire non négligeable. »
    M. Claude Goasguen. M. Toubon avait raison !
    M. René Dosière. Ces arguments, dont il reconnaissait, à l'époque qu'ils « ont indiscutablement une certaine valeur », il les repoussait au nom de cette « tradition républicaine » que je viens d'évoquer, et surtout au nom de « l'opportunité » car, disait-il, « nos concitoyens attendent une telle mesure d'indulgence ».
    Plusieurs voix dans la majorité d'hier redevenue la majorité d'aujourd'hui...
    M. Charles Cova. Et qui sera celle de demain !
    M. René Dosière. ... s'étaient elles aussi élevées contre cette prime à l'incivilité que constitue l'amnistie dans son contenu actuel.
    M. Albertini, alors porte-parole du groupe UDF, faisait part de ses multiples réserves face à la banalisation et au caractère récurrent de l'amnistie - « chronique d'une amnistie annoncée », selon ses propres termes - qui ne peuvent qu'être aggravés par la réduction du délai qui séparera désormais les amnisties présidentielles, du moins si la droite se maintient au pouvoir.
    M. André Santini. Pas de provocation !
    M. René Dosière. Notre ancien collègue Jean-Paul Fuchs, comme en 1988, exprimait ses réserves, et même sa colère, devant l'encouragement aux infractions routières que constitue l'amnistie programmée.
    Notre collègue Emile Zuccarelli évoquait pour sa part une « sorte de fête barbare où l'élection du Président de la République est saluée par un éloge de l'incivisme ». Enfin, Ladislas Poniatowski, alors député,...
    M. Claude Goasguen. Vous avez le temps de lire, décidément, monsieur Dosière !
    M. René Dosière. ... exprimait le voeu que l'amnistie de 1995 soit la dernière du genre, ce qui constituerait un « hommage adressé à tous ceux qui font preuve d'un civisme scrupuleux. »
    Cette année encore, malgré l'extrême brièveté du temps consacré à l'examen de ce texte en commission des lois, de nombreux collègues de la majorité ont exprimé leurs réserves et, pour certains, leur opposition.
    En réalité, on voit bien le malaise croissant que suscitent de telles dispositions. Je n'en veux pour preuve que l'insistance mise, tant par le garde des sceaux que par le rapporteur, à souligner l'ampleur des exclusions retenues dans ce texte. Oui, ce texte est plus restrictif qu'en 1995. Mais à cette époque déjà, vos prédécesseurs, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, adoptaient la même argumentation, par rapport à 1988.
    Si les partisans de ce texte d'amnistie n'ont, pour le défendre, qu'à mettre en valeur toutes les infractions qui ne sont pas amnistiées, en insistant sur le fait qu'elles sont de plus en plus nombreuses, je dis simplement que, dans ce cas, il faut exclure encore plus et supprimer une loi d'amnistie dont l'utilité n'est plus démontrée.
    M. Michel Hunault, rapporteur. C'est ce que j'ai dit : pour la prochaine fois !
    M. René Dosière. Ainsi apparaît clairement la différence qui existe entre la « grande amnistie politique » proposée avec courage, accueillie avec soulagement et votée dans le cadre de la réconciliation nationale, et la « petite amnistie pénale » exposée si timidement et votée sans conviction.
    Nous pensons qu'il est temps de mettre fin à cette coutume monarchique si l'on ne veut pas déconsidérer la véritable amnistie, occasion de réconciliation républicaine. Prenons-y garde : il faut éviter que la mauvaise amnistie ne remplace la bonne amnistie.
    Il est d'ailleurs surprenant de lire dans le rapport de la commission que l'intérêt, sinon la justification, de ce texte est de limiter la surpopulation carcérale !
    Il est vrai que l'on dénombre 56 000 prisonniers pour 47 000 places, soit un taux d'occupation de 119 %. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jean Marsaudon. A qui la faute ? C'est la situation que vous nous avez laissée !
    M. René Dosière. Ainsi, vous concevez l'amnistie comme un outil de gestion des prisons, ce qui, vous en conviendrez, n'est pas le signe d'une grande politique pénale, et est quelque peu incohérent avec les propos et les projets tendant à multiplier les mises en détention. Sur ce point, monsieur le ministre, il serait utile que vous puissiez apporter quelques précisions. Je vous signale qu'en 1995 votre prédécesseur et ami Jacques Toubon se refusait à avancer un tel argument en faveur de l'amnistie.
    On peut en outre s'interroger sur sa pertinence, puisque l'amnistie concerne des délinquants condamnés à moins de trois mois, qui n'effectuent généralement pas leur peine. Au demeurant, il n'est nul besoin de l'amnistie pour prévenir un été chaud. La réponse se trouve dans la grâce présidentielle du 14 juillet. Dès lors qu'il s'agit de réduire la durée de la détention, il est tout à fait possible de s'en tenir à des mesures d'allégement de la peine, ce que la grâce permet.
    Il me reste maintenant à aborder, pour faire plaisir à M. Goasguen, la constitutionnalité de ce texte.
    M. Claude Goasguen. Très bien !
    M. Jean-Pierre Brard. Pourquoi faire plaisir à M. Goasguen ? Il ne le mérite pas !
    M. le président. Monsieur Brard, ça vous fait plaisir aussi !
    M. René Dosière. Personne n'ignore, dans cet hémicycle, que l'amnistie est à l'évidence constitutionnelle. J'ai d'ailleurs montré au début de mon propos qu'elle est même fondatrice de notre République. Et la Constitution confie au Parlement le soin de la voter.
    Mais autre chose est de s'interroger sur le contenu de ce texte d'amnistie et de vérifier la constitutionnalité de ses dispositions. En effet, certains aspects sont pour le moins troublants.
    Au demeurant, si la notion d'irrecevabilité comporte un aspect de figures libres, elle a aussi sa partie de figures imposées.
    A travers cette lecture constitutionnelle, je voudrais démontrer que, dans les conditions actuelles, l'amnistie va à l'encontre du but visé, qui est, selon l'exposé des motifs, de « mieux assurer dans l'avenir le respect de la loi républicaine ». Elle va même à l'encontre de la finalité profonde qui est au coeur de l'amnistie : la réconciliation et la cohésion nationales.
    Ce texte ne peut que choquer tous les Français, et ils sont nombreux, attachés au principe d'égalité. Faut-il, mes chers collègues, vous rappeler que l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 précise que « la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ?
    Selon que l'infraction aura été commise avant ou après le 17 mai 2002, le traitement sera différent. Il n'est pas besoin de développer le caractère injuste de ce critère qui, de surcroît, ne prend en compte ni la personnalité de l'auteur de l'infraction, ni la nature ou le nombre de ses antécédents judiciaires.
    Provoquant une application à éclipses de la loi pénale, ce type d'amnistie remet en cause la nécessité de l'infraction. Désormais, la création des infractions par la loi est régulièrement vérifiée par le Conseil constitutionnel. Si la loi institue une infraction qui n'est pas nécessaire, sa conformité à la Constitution peut être mise en cause. Or dispenser avec régularité, tous les cinq ans, le contrevenant des poursuites auxquelles l'expose la réalisation d'une infraction, n'est-ce-pas, pour le législateur, insinuer le doute sur la nécessité de cette peine et de l'institution de l'infraction ? Si l'on peut se dispenser d'appliquer périodiquement une peine, peut-on encore soutenir qu'elle est nécessaire ?
    Par ailleurs, le principe de sécurité juridique, principe qui prend une place accrue dans l'ordre juridique, conduit le législateur, lorsqu'il institue une infraction, à sanctionner le contrevenant, certes, mais surtout à protéger la victime, c'est-à-dire la société. La mise en suspens régulière et périodique de la sanction pénale revient à dénier la justice qui est due à la société et aux victimes.
    En outre, l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme affirme que « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ». La notion de sûreté comprend évidemment la sécurité, dont la loi sur la sécurité quotidienne affirme qu'elle « est un droit fondamental et qu'« elle est l'une des conditions de l'exercice des libertés et de la réduction des inégalités ». Ce même texte précise que « la sécurité est un devoir pour l'Etat, qui veille, sur l'ensemble du territoire de la République, à la protection des personnes, de leurs biens, [...] au respect des lois, au maintien de la paix et de l'ordre publics ». Le Conseil constitutionnel a lui-même reconnu valeur constitutionnelle au principe de sécurité des biens et des personnes. Mais, dès lors que la mission constitutionnelle de sécurité des biens et des personnes est régulièrement suspendue du fait de l'amnistie, on peut se demander si l'Etat ne faillit pas à son devoir de protection. Si cette argumentation s'applique aux infractions qui mettent en danger biens et personnes, elle vaut également pour les contraventions au stationnement. En effet, la mission fondamentale de l'Etat est de veiller à l'ordre public qui est, lui aussi, un principe de valeur constitutionnelle. La certitude qu'a le citoyen de l'amnistie annoncée ne peut que l'inciter à méconnaître l'ordre public.
    La loi d'amnistie déclenche, en outre, une immixtion du pouvoir législatif au sein de l'autorité judiciaire, mettant ainsi à mal la séparation des pouvoirs définie à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. L'amnistie, selon la nature de l'infraction, interrompt les procédures en cours. Le dessaisissement du juge ne manque pas d'être choquant, car il l'empêche de mener à bien l'action publique ; finalement, cela encourage la récidive.
    Quant à l'amnistie au quantum, elle paraît au premier abord plus respectueuse de l'autorité judiciaire, puisque son application effective dépend de la décision du juge, mais l'expérience montre que les tribunaux sont parfois tentés de rendre une décision en fonction de la loi d'amnistie : certains allant au-delà pour en exclure les délinquants ; d'autres, au contraire, allant en deçà pour les en faire bénéficier.
    Nous connaissons déjà les divergences d'appréciation qui existent entre les tribunaux ; elles ne peuvent qu'être accentuées avec l'application d'un tel texte. Une nouvelle fois, le justiciable s'interrogera sur ce que signifie l'égalité devant la justice.
    Et puisque j'évoquais la séparation des pouvoirs, il est un autre aspect de ce texte qui me choque, bien qu'il soit lui aussi traditionnel - mais la tradition n'est pas source de droit. Cette habitude, c'est ce que l'on appelle la « grâce amnistiante » qui est prévue à l'article 9 du projet.
    En 1988, l'un de nos collègues, qui ne siège plus parmi nous, la dénonçait avec sa vigueur légendaire. S'agissant de Pierre Mazeaud, je ne peux que reprendre ses propos. « Permettre au Président de la République d'accorder l'amnistie par décret me paraît pour le moins condamnable. L'amnistie résulte de la loi, et de la seule loi. C'est au législateur qu'il appartient, et à lui seul, de légiférer. Désormais, au-delà du droit de grâce qui est une survivance du droit régalien, le Président de la République va pouvoir, en prenant des décrets, remplacer en quelque sorte le Parlement. »
    Voilà encore un signe de l'abaissement du Parlement !
    Enfin, deux autres aspects de ce texte appellent des observations.
    En retirant aux collectivités locales, aux communes en particulier, plusieurs millions de recettes liées au paiement des amendes - le rapporteur s'est fait discret sur ce point car je ne l'ai pas entendu citer de chiffres - que l'Association des maires de grandes villes estimait à 200 millions d'euros, ce texte porte atteinte à la libre administration des collectivités locales, car aucune compensation n'est prévue. (Exclamations sur les bancs de l'Union pour la majorité présidentielle.)

    De plus, comme ces sommes sont obligatoirement consacrées à des investissements améliorant la sécurité routière, ce sont autant d'aménagements de sécurité qui seront retardés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Claude Goasguen. Ça, vous ne l'empruntez pas à Pierre Mazeaud !
    M. René Dosière. Enfin, je me dois de souligner - mais mon collègue Victorien Lurel développera cet aspect tout à l'heure - que l'article 22 du projet de loi n'a strictement rien à voir avec le texte qui nous est soumis, puisqu'il concerne les services réguliers de transport public routier dans les départements français d'Amérique. On est vraiment très loin de l'amnistie !
    Je terminerai mon intervention...
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Ah !
    M. Jean-Pierre Brard. Déjà ?
    M. René Dosière. ... en évoquant l'insécurité routière, domaine qui a en quelque sorte « popularisé » l'amnistie. Il est vrai que 80 % des ménages possèdent une voiture, 30 % deux et plus, et que, avec une voiture pour deux habitants, la France se situe au troisième rang européen pour la densité automobile, après l'Italie et l'Allemagne.
    L'ampleur de l'émotion suscitée par ce texte d'amnistie résulte de l'action inlassable et courageuse des associations de victimes. Quand on entend ces femmes et ces hommes, souvent jeunes, raconter leur vie brisée par suite du non-respect des règles du code de la route, on comprend leur incompréhension devant une « tradition » qui exonère les auteurs d'infractions au mépris des victimes. Et qui ne connaît, au sein de sa famille ou parmi ses proches, une voire plusieurs victimes des accidents de la route ?
    Car la route tue. Elle tue beaucoup : environ 8 000 morts par an, soit un mort toutes les heures ! Avant quarante-cinq ans, c'est la première cause de décès et, parmi les jeunes de quinze à vingt-quatre ans, elle est responsable d'un décès sur deux.
    Il n'y a pas de fatalité à cette hécatombe. Dans d'autres pays européens, comme le Royaume-Uni, la mortalité routière est trois fois inférieure. Nous sommes, de ce point de vue, dans le peloton de queue, en compagnie de la Grèce et du Portugal.
    Et pourtant, depuis trente ans que le gouvernement de Pierre Messmer a pris les premières mesures significatives de limitation de la vitesse, inaugurant ainsi une politique de lutte contre l'insécurité routière, le nombre des décès et des blessés a régulièrement diminué, passant de 16 600 en 1972 à environ 8 000 aujourd'hui. Durant cette période, les politiques en matière de sécurité routière ont beaucoup progressé, même si, parfois, le lobby routier avait un peu plus l'écoute des pouvoirs publics.
    C'est dans ce contexte - celui d'une grande cause de santé publique - qu'il convient d'analyser le rôle néfaste de ce type d'amnistie.
    Les motifs de l'hécatombe routière sont connus, analysés, répertoriés. Bien entendu, chacun - je veux dire chaque groupe de pression - a son explication et donc sa solution - alcoolisme, vitesse excessive, infrastructures, véhicules, etc. Mais quelle que soit l'origine d'un accident, force est de constater que chaque véhicule est conduit par un homme ou une femme et que, en définitive, c'est bien le comportement humain qui est en cause.
    Or, s'il est une « chronique de l'amnistie annoncée », c'est bien celle qui concerne les fautes des conducteurs ou des conductrices.
    Le 9 octobre 2001 - je dis bien : octobre 2001 ! -, un de ces journaux qui ne cessent de flatter les automobilistes publiait, sous la signature de son avocate-conseil, un article intitulé : « Amnistie, mode d'emploi ». On y parle de « cadeau providentiel à venir en mai 2002 » et on y trouve des conseils pour « jouer l'amnistie ». Compte tenu de l'air du temps, précise cette avocate-conseil, « qui est de plus en plus frais pour les automobilistes, il faut être prudent : l'amnistie sera plus réduite, mais on ne sait jamais... ».
    Peut-on penser que de tels propos sont sans effet sur les comportements des automobilistes ? Là est le problème.
    M. François Sauvadet. Ça n'a rien à voir ! Vous n'avez pas lu le texte !
    M. René Dosière. Encouragés par la perspective de l'effacement, les automobilistes anticipent l'amnistie et multiplient les entorses aux règles de la conduite prudente.
    Il suffisait pour s'en rendre compte, durant les mois qui ont précédé l'élection, d'entendre les conversations et de contempler les PV gisant dans les caniveaux.
    Peut-on raisonnablement imaginer que tous ces relâchements sont sans influence sur les accidents de la route ?
    Analysant les statistiques, les experts s'interrogent sur le nombre de décès supplémentaires qui en résulteraient. Exercice périlleux, car les accidents ont souvent plusieurs causes. Et le comité d'experts du Conseil national de la sécurité routière, lors de sa dernière réunion du 6 juin, n'a pas conclu sur ce point.
    Un député du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Ça n'a rien à voir !
    M. René Dosière. Mais qui chiffrera la gêne occasionnée par les voitures en stationnement sauvage ? Peut-on chiffrer les contorsions des mères de famille pour faufiler la poussette de leur enfant entre des voitures occupant un espace normalement interdit ?
    Peut-on chiffrer la peur qu'elles auront éprouvée en débouchant de derrière un gêneur pour traverser, et se retrouvant nez-à-nez avec une voiture qui n'avait aucune chance de les apercevoir ?
    Il est vrai que l'action de tous ceux qui agissent, au quotidien, en faveur de la sécurité routière n'a pas été inutile. Dès son installation, le 26 octobre, le nouveau Conseil national de la sécurité routière, au sein duquel l'Assemblée m'a envoyé, ce qui a permis au Premier ministre de me désigner comme président, s'est prononcé « contre toute amnistie pour les infractions au code de la route à la faveur des élections présidentielles de 2002 ».
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Très bien !
    M. René Dosière. Il lançait un appel insistant aux pouvoirs publics, aux formations politiques et aux candidats pour qu'ils prennent « l'engagement immédiat de renoncer à toute décision de cette nature afin d'enrayer le relâchement des automobilistes ».
    Relayés par les multiples démarches des associations agissant en faveur de la sécurité routière, ces appels ont été partiellement entendus.
    Je constate avec satisfaction qu'en matière d'infractions routières le présent texte d'amnistie est restrictif, c'est même le plus restrictif du genre, du moins si aucun amendement parlementaire ne vient le dénaturer sur cet aspect. Il n'empêche. Même ainsi, ce projet, pour reprendre la conclusion d'un éditorial de Mme Geneviève Guicheney, « équivaut à la permission d'être sans-gêne, négligent, incivil et, pour finir, de prendre le risque non calculable de provoquer indirectement un dommage plus ou moins sérieux ». C'est pourquoi, même dans sa forme minimale, il n'est pas acceptable, par respect des victimes et parce que l'insécurité routière doit devenir une préoccupation majeure des responsables de notre pays.
    L'insécurité a été l'un des thèmes principaux de la campagne pour l'élection présidentielle, mais on a plus évoqué les 700 meurtres commis chaque année que les 8 000 personnes tuées sur les routes, dont beaucoup sont assassinées par des chauffards.
    Voilà ce qui doit changer. Renoncer à l'amnistie d'une manière claire et nette, c'est contribuer à la lutte contre l'insécurité routière. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    Mes chers collègues, avant d'exprimer votre vote sur cette exception d'irrecevabilité, que je conclus, je vous invite à répondre en votre for intérieur à une simple question. Vos enfants, ou vos petits-enfants, font désormais l'apprentissage des règles du code de la route au sein du système scolaire. Eh bien, si vous êtes capables de leur expliquer pourquoi, après l'élection du Président de la République, il est nécessaire de déchirer les contraventions des automobilistes qui, pendant les mois précédents, se sont systématiquement garés en double file ou sur le trottoir, alors, votez en faveur de l'amnistie.
    Dans le cas contraire, votre devoir est de refuser ce texte. Car tout le reste, comme aurait dit Péguy, c'est de la politique,...
    M. François Sauvadet. Ça, oui !
    M. René Dosière. ... et on préciserait aujourd'hui : « de la politicienne ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Xavier de Roux pour le groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.
    M. Xavier de Roux. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, nous venons d'entendre une sorte de leçon, d'une extrême démagogie, car on ne sait plus très bien quel était l'objet de cette exception d'irrecevabilité.
    Un député du groupe socialiste. Il fallait écouter !
    M. Xavier de Roux. J'ai écouté attentivement !
    S'agit-t-il d'être contre le principe même de l'amnistie ou contre le contenu du projet de loi ? Personnellement, je n'ai pas très bien compris. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    S'il s'agit du principe lui-même, il serait tout à fait extravagant que notre assemblée renonce à une prérogative du législateur prévue par la Constitution.
    M. André Vallini. M. Dosière l'a dit !
    Xavier de Roux. Je vous rappelle qu'il existe trois procédures de pardon : le droit de grâce, la réhabilitation judiciaire, réservée à l'autorité judiciaire et, bien entendu, l'amnistie, qui est, je le répète, une prérogative du législateur.
    Alors, soyons clairs. Il n'est pas question de discuter de la constitutionnalité du droit qu'a le Parlement d'amnistier - l'irrecevabilité n'est donc pas recevable, si j'ose dire - puisque le Parlement exerce l'une de ses prérogatives, et qu'il serait tout à fait extravagant...
    M. Claude Goasguen. Absurde !
    Xavier de Roux. ... qu'il l'abandonnât.
    Discuter le contenu du texte, c'est autre chose, et ce sera l'objet d'un autre moment.
    M. Claude Goasguen. Bien sûr !
    M. Xavier de Roux. Nous avons entendu parler très longuement des problèmes d'insécurité routière. Certes, l'insécurité routière est un problème, parmi beaucoup d'autres que connaît notre société.
    Un député du groupe socialiste. Laborieux !
    M. Xavier de Roux. Mais peut-on exclure brusquement les contraventions ayant fait l'objet de timbres-amendes, comme nous l'avons entendu proposer ce matin en commission des lois ? Faudrait-il demander aux employés des greffes ou aux policiers de faire un tri parmi les timbres-amendes ? Je pense que l'on peut employer ces personnels à des tâches plus utiles !
    En ce qui concerne les infractions automobiles, ne restent dans le champ de la loi d'amnistie que les simples contraventions sanctionnées d'un timbre-amende. Tout le reste est exclu. Que voulez-vous de plus...
    Un député du groupe socialiste. La fin de l'amnistie !
    M. Xavier de Roux. Et de quoi voulez-vous discuter encore ?
    Dès lors que vous ne contestez pas, et vous ne pouvez par le faire, le droit de notre assemblée,...
    M. Claude Goasguen. C'est la Constitution !
    M. Xavier de Roux. ... conformément à la Constitution, d'amnistier, il est bien évident que l'irrecevabilité que vous soulevez ne peut guère prospérer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes, pour le groupe communiste et républicain.
    M. Jacques Brunhes. Le groupe des député-e-s communistes et républicains, monsieur le président.
    M. le président. Je rectifie, et je ferai attention la prochaine fois, monsieur Brunhes.
    M. Claude Goasguen. Profitez-en, monsieur Brunhes ! Des députés communistes, il n'y en aura plus, la prochaine fois !
    M. Jacques Brunhes. Le groupe des député-e-s communistes et républicains défend une conception de l'amnistie transposée aux conditions exigeantes de notre temps et aux attentes de notre société, une conception républicaine dont la finalité est de favoriser la réconciliation nationale et la cohésion sociale, de réaffirmer le pacte républicain. Or l'évolution sur la longue durée de l'institution des lois amnistiantes s'est traduite par l'extension démesurée de son domaine, désormais contre-productive pour son objet même, et qui de surcroît n'emporte plus l'adhésion de l'opinion publique. Il importe par conséquent de redéfinir précisément et restrictivement son champ, afin de lui donner une nouvelle pertinence.
    C'est ainsi que les infractions au code de la route devraient en être complètement exclues, tout comme les délits de droit commun, dont l'amnistie sert souvent à gérer la surpopulation des prisons et relève donc de la politique pénitentiaire.
    Quant à l'amnistie des affaires politico-financières, le groupe communiste s'y est constamment et fermement opposé. (Exclamations sur les bancs de l'Union pour la majorité présidentielle.) Vous permettrez, chez collègues, que le groupe communiste exprime une opinion sur ce point !
    M. le président. Le groupe des député-e-s communistes, monsieur Brunhes. (Sourires.)
    M. Jacques Brunhes. Et républicains : merci, monsieur le président.
    L'amnistie des affaires politico-financières est un acte poliquement inadmissible et éthiquement insupportable. L'impunité totale pour le monde politique consacrerait le schisme de notre société et renforcerait le courant extrémiste anti-républicain dont la force à ébranlé la France le 21 avril dernier.
    Par contre, l'amnistie des infractions liées aux conflits et luttes de toutes les catégories sociales pour la défense de leur outil de travail, l'amélioration de leurs conditions et cadre de vie, la sauvegarde du service public, la démocratisation et la transparence des choix de gestion, la maîtrise et l'humanisation des processus de mondialisation, la lutte pour la logique anti-productiviste dans le domaine agricole et le développement durable, cette amnistie nous semble un élément indispensable pour l'apaisement des tensions collectives politiques et sociales, surtout à un moment où les inégalitée se creusent. Elle nous semble de ce fait relever de l'objectif premier d'une loi d'amnistie, dans sa conception républicaine. Or cette amnistie ne figure pas dans votre texte, monsieur le garde des sceaux, qui est le plus faible sur ce chapitre, le plus en recul par rapport à toutes les lois d'amnistie précédentes.
    C'est la raison pour laquelle le groupe communiste votera contre ce texte. Mais c'est aussi pour l'ensemble de ces raisons qu'il ne participera pas au vote sur la motion de procédure qui vient de nous être présentée. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Claude Goasguen. En somme, M. Brunhes aurait voulu une amnistie plus vaste !
    M. le président. La parole est à M. François Sauvadet, pour le groupe Union pour la démocratie française.
    M. François Sauvadet. Autant vous le dire, monsieur Dosière, votre exception d'irrecevabilité n'avait rien de convaincant. De plus, elle nous est apparue hasardeuse sur le fond. Vous avez d'ailleurs reconnu vous-même qu'il était tout à fait conforme à la Constitution de débattre d'un tel texte.
    M. Claude Goasguen. Bien sûr ! C'est l'article 34.
    M. François Sauvadet. Et s'il convient d'en débattre, c'est bien ici qu'il y a lieu de le faire, en allant au fond des choses, aussi bien sur le texte qui nous est soumis que sur la question plus générale de l'opportunité d'une amnistie. Le débat a été engagé sur ce point.
    Vous vous êtes livré, monsieur Dosière, à une forme curieuse de repentance en disant que vous, socialistes, aviez changé. Au groupe socialiste, vous êtes très embarrassés. Car, dans le passé, vous avez voté des lois d'amnistie bien plus larges que celle qui est proposée aujourd'hui dans un texte sur lequel vous cherchez à jeter la suspicion en évoquant toute une série de sujets qui n'ont rien à voir avec lui.
    Vous avez évoqué, mon cher collègue, les problèmes de sécurité routière. Mais qui, sur les bancs de cette assemblée, est insensible aux drames de la route ? Je vous rappelle en outre que vous avez été au pouvoir pendant les cinq années qui viennent de s'écouler. Vous ne sauriez donc, au moment où nous entamons une nouvelle législature, vous exonérer de la responsabilité qui a été la vôtre dans ce domaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Quant à la pratique qui consiste à jeter la suspicion en évoquant une prétendue volonté, qui serait partagée ici ou là, de procéder à une amnistie sur les affaires politico-financières, elle n'est pas digne du débat. Nous sommes nombreux à nous être exprimés sur le sujet et à avoir dit la même chose. Les choses sont claires, et le débat doit porter sur le texte qui nous est soumis.
    M. Jean-Pierre Brard On verra !
    M. François Sauvadet. Pour ce qui nous concerne, si l'opposition veut bien me laisser conclure,...
    M. le président. Elle va vous laisser conclure, monsieur Sauvadet.
    M. François Sauvadet. Pour ce qui concerne le groupe UDF, nous entendons en rester au texte qui nous est présenté par le Gouvernement, en allant au fond du débat sur l'opportunité d'une amnistie. Ce débat, nous l'engagerons avec le Gouvernement et avec l'ensemble du Parlement.
    Naturellement, nous considérons que cette exception d'irrecevabilité n'a aucun fondement et n'aurait pas dû nous être présentée. Telle est, mes chers collègues, la position du groupe UDF. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Jacques Floch, pour le groupe socialiste.
    M. Jacques Floch. Si, par un malheureux hasard, j'avais eu envie de voter contre cette motion d'irrecevabilité,...
    M. Claude Goasguen. Ne vous gênez pas, monsieur Floch !
    M. Jacques Floch. ... les explications qui ont été données par nos collègues de la majorité m'auraient contraint à changer d'avis.
    M. Jean Leonetti. Une fois de plus !
    M. Claude Goasguen. Oui : c'est habituel, chez vous !
    M. Jacques Floch. Car vous confondez l'amnistie dont il est question dans la Constitution avec quelque chose comme un « oubli clientèle ». C'est-à-dire qu'en fait vous voulez faire passer par pertes et profits - pour l'Etat comme pour les collectivités territoriales - les petites, moyennes ou grandes incivilités. Vous nous dites que nos arguments n'ont rien à voir avec la Constitution. Eh bien si, car vous utilisez à contresens le mot « amnistie » qui figure dans la Constitution.
    M. Claude Goasguen. Vous rigolez !
    M. Jacques Floch. L'excellente explication de notre collègue René Dosière, dont je rappelle qu'il est le président du Conseil national de sécurité routière, nous amène à soutenir cette exception d'irrecevabilité, que nous vous demandons de voter pour mettre un terme à ce débat. Oui, le texte est inconstitutionnel, entre autres parce qu'il conduit à l'inégalité des citoyens devant la loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
    Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.
    (L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Il s'en est fallu de peu !

Question préalable

    M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est à M. Arnaud Montebourg.
    M. Arnaud Montebourg. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, l'amnistie, dont le mot même faisait sursauter sur leur siège il y a encore quelques semaines certains membres de l'opposition devenue majorité, mérite mieux qu'un vote expéditif dans l'aveuglement de la discipline majoritaire. L'amnistie, d'ailleurs, mérite toujours un retour - et je veux remercier René Dosière d'y avoir procédé - sur son histoire et une prospection méticuleuse de ses effets et de ses lourdes conséquences. Tel est l'objet de cette question préalable, que j'ai grand honneur à soutenir, car elle vise à nous poser, à vous poser, préalablement quelques questions, pour éviter les regrets d'une décision mal prise, aux conséquences peut-être funestes, des questions que toute majorité entraînée par les excès naturels de son nombre néglige parfois, malheureusement, de se poser. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    Vous me permettrez dès lors, monsieur le garde des sceaux, de m'adresser à l'esprit libre, encore libre, de chacun des députés membres de la majorité, en en appelant à leur conscience, que je veux croire capable d'évoluer sans chaînes et sans contraintes.
    M. Patrick Lemasle. Croyance naïve !
    M. Arnaud Montebourg. Dans mon esprit, il n'est jamais exclu, chers collègues de la majorité, que vous puissiez nous convaincre. Mais, dès lors, n'excluez jamais que nous puissions vous convaincre à notre tour.
    S'agissant de ce projet de loi d'amnistie, nous vous invitons à en refuser l'adoption. C'est cette position qui est la bonne. Il suffit pour s'en convaincre de constater les dégâts concrets et pratiques que les lois d'amnistie présidentielle accumulent.
    En 1995, monsieur le garde des sceaux, votre illustre prédécesseur, Jacques Toubon, indiquait que la loi d'amnistie entraînerait « la libération de 1 500 détenus. Si l'on ajoute les grâces individuelles auxquelles le Président de la République procéderait, comme il est de tradition, à l'occasion de la fête nationale du 14 Juillet, on peut estimer, précisait-il, que, au total, ce sont environ 4 500 à 5 000 personnes détenues qui devaient être libérées au mois de juillet. »
    L'étude d'impact du présent projet de loi que le ministère de la justice nous a adressée tient en trois misérables feuilles et ne prend même pas la peine de dénombrer les détenus qui retrouveront la liberté. Tout juste nous indique-t-on, dans l'analyse hautement étudiée de l'impact social, que « l'amnistie a pour effet de diminuer le nombre de personnes incarcérées ou susceptibles de l'être, ce qui a une incidence sur le taux d'occupation des maisons d'arrêt ».
    M. Bernard Roman. Bravo !
    M. Arnaud Montebourg. C'est une étude d'impact pour M. de La Palice, mais pas pour des parlementaires comme vous, comme nous tous, qui exigeons de connaître avec précision la façon dont ce premier projet de loi s'emploie à trahir méticuleusement vos engagements électoraux.
    Car ce projet entre en collision violente et frontale avec le discours que vous avez tenu aux électeurs il n'y a pas même un mois. Combien de ces petits fripons qui arrachent les sacs des vieilles dames et des personnes sans défense, de ces chapardeurs qui mènent la vie dure aux habitants dans des quartiers invivables,...
    M. Claude Goasguen. Ils n'ont pas à être amnistiés puisqu'ils n'ont pas été poursuivis !
    M. Arnaud Montebourg. ... de ces auteurs de larcins et d'incivilités que vous n'avez eu de cesse de dénoncer sur vos estrades électorales, combien seront, dans deux semaines, en liberté ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Ils étaient pourtant, à vous entendre, presque nos créatures. Ils étaient même notre péché, notre faute (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), l'incarnation vivante et odieuse de notre laxisme,...
    M. Jean Marsaudon. C'est exactement ça : vous devenez réaliste !
    M. Arnaud Montebourg. ... de purs produits de notre « culture de l'impunité » - je cite là Mme Alliot-Marie, c'est un souvenir personnel -, de notre « permissivité soixante-huitarde » !
    M. Robert Lamy. Mais c'est la vérité !
    M. Arnaud Montebourg. A vous entendre, nous les avions presque fabriqués nous-mêmes pour nuire aux braves gens de ce pays.
    Aujourd'hui, un mois plus tard, vous nous proposez de les libérer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Bernard Roman. Très bien ! Voilà la vérité ! Et elle est obscène !
    M. Arnaud Montebourg. Permettez que j'exprime, avec modestie, à cette tribune la stupéfaction de l'opposition parlementaire.
    Prenons l'exemple de M. Georges Fenech, aujourd'hui l'un de nos collègues, député de la majorité, ancien juge, auteur d'un livre au titre aussi prometteur que démagogique, Tolérance zéro. Le voici qui annonce en commission des lois qu'il votera sans sourciller la loi d'amnistie, sans même se demander à haute voix combien, parmi les 217 900 personnes condamnées qui seront concernées par cette loi, vont bénéficier de sa propre désinvolture. Tolérance zéro dans les livres, tolérance 217 900 dans les faits !
    Un autre exemple plus éminent encore parlera de lui-même. Le 14 juillet de l'an passé, le Président de la République déclarait la France en état de peur,...
    M. Gérard Hamel. Il disait la vérité !
    M. Arnaud Montebourg. ... presque en état de siège pour cause d'insécurité galopante, et ce le matin même du jour où il signait des décrets de grâce collective libérant combien de détenus, monsieur le garde des sceaux ?
    Un an plus tard, après avoir dit, écrit, répété, martelé, qu'« aucune infraction si légère soit-elle ne doit plus être laissée sans réponse, c'est l'impunité zéro » - c'est là un extrait du programme La France en grand, la France ensemble -...
    M. Lionnel Luca. Bonne lecture !
    M. Arnaud Montebourg. ... combien, monsieur le garde des sceaux, de ces jeunes adultes ricanant à la face des policiers en sortant des maisons d'arrêt en triomphateurs allez-vous libérer ? Combien de victimes à qui vous avez fait peur, dont vous avez exploité l'inquiétude, l'angoisse, le désespoir, allez-vous flouer par ce projet d'amnistie ? L'étude d'impact ne le dit pas. On parle de contraventions, on ne parle pas des libérations de personnes condamnées. Donnez-nous les chiffres et peut-être pourrez-vous, comme je le disais tout à l'heure, nous convaincre.
    J'ai parlé des dégâts concrets et pratiques que produit toute loi d'amnistie. Certains, dans votre majorité, et il faut les saluer, en ont une conscience aiguë. Le rapporteur lui-même évoquait le champ considérable de l'amnistie puisque ce sont, selon lui, 38 % des personnes condamnées en 2000 qui bénéficieront de la prochaine loi d'amnistie ; c'est tout à fait considérable.
    Quant à notre ancien collègue M. Ladislas Poniatowski déjà cité par notre ami René Dosière, et aujourd'hui sénateur de la majorité, je voudrais citer in extenso ce qu'il déclarait à cette tribune en 1995, pour que nous puissions mesurer combien sa pensée a peu réussi à imprégner ses collègues : « On parle insuffisamment de l'incitation à l'incivisme que l'amnistie provoque dans les mois qui la précèdent et des efforts redoublés qu'il faut entreprendre pour faire oublier les mauvaises habitudes trop vite acquises. Permettez-moi de penser d'abord à tous ceux qui ont pris sur eux pour ne pas être en état d'attendre l'amnistie. J'aimerais que nous nous engagions à mieux respecter à l'avenir leur civisme scrupuleux et que, en forme d'hommage, nous puissions les rassurer en leur affirmant qu'il s'agit bien de la dernière loi d'amnistie liée à l'élection d'un Président de la République. »
    En 1995, ce devait donc être la dernière. Nombre de députés appartenant à la même majorité que celle d'aujourd'hui déploraient déjà le surcoût pour les finances publiques, 1,5 milliard de perte pour les caisses publiques. Aujourd'hui, l'étude d'impact du ministère de la justice - que nous lisons, monsieur le rapporteur, n'en soyez pas surpris - évalue les pertes à 300 millions d'euros, soit une augmentation de près d'un demi-milliard de francs !
    M. Claude Goasguen. Ce n'est rien par rapport au déficit !
    M. François Goulard. Par rapport au déficit que vous laissez, c'est négligeable !
    M. Hervé Novelli. Ce n'est pas le Crédit Lyonnais !
    M. Arnaud Montebourg. En 1995, ce devait donc être la dernière, car l'amnistie est trop coûteuse. En 2002, ce sera la plus coûteuse de l'histoire des amnisties présidentielles, une grande première ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Dans ce concert de réticences, je ne veux pas oublier celle de M. de Robien, l'actuel ministre des transports...
    M. René Dosière. Il a d'ailleurs été rappelé à l'ordre !
    M. Arnaud Montebourg.  ... qui connaît, de par ses fonctions, le prix en vies humaines de l'amnistie. Il indiquait être personnellement opposé à celle-ci et favorable à - tiens, je connais cette expression - « l'impunité zéro ». Qu'il en soit salué ici.
    Mais comment qualifier cette curieuse politique qui consiste à faire le contraire de ce qu'on a proclamé devant les électeurs il y a à peine quinze jours,...
    M. Lionnel Luce. Vous en savez quelque chose !
    M. Arnaud Montebourg.  ... et à un coût largement supérieur pour les finances publiques à celui de la précédente loi d'amnistie.
    Stimulation de l'incivisme, atteinte morale aux efforts faits pour respecter la loi, opacité des effets pénitentiaires, hausse sans précédent du coût de l'amnistie pour les caisses publiques : quelle est donc l'utilité de cette loi ? Quelle est son utilité secrète, que je ne parviens pas, pardonnez-m'en, à discerner. J'entends déjà : « Ah ! messieurs de l'opposition, vous n'entendez rien à rien, c'est la tradition républicaine. » Eh bien, je dois vous dire que, comme René Dosière, je la cherche encore pour la loi d'amnistie. Tous les meilleurs docteurs et professeurs de la matière juridique y voient unanimement, tout au contraire, une tradition monarchique.
    On me permettra de citer comme témoin un certain Donnedieu de Vabres. Pas celui qui fut jusqu'à la semaine dernière ministre éphémère, pour cause d'implication judiciaire,...
    M. Lionnel Luca. C'est minable !
    M. Arnaud Montebourg. ... mais son grand-père, Henri Donnedieu de Vabres, grand professeur de droit des années trente, qui finit, avec de remarquables états de service, nommé par le général de Gaulle, juge français au tribunal de Nuremberg, lequel envoya d'ailleurs à la corde les deux tiers des dignitaires nazis. Ce Donnedieu de Vabres force le respect en rappelant, dès 1929, dans son traité de justice pénale, que « l'amnistie apparaît comme un vestige de l'ancien arbitraire du monarque » et figure « parmi les modalités du pardon, celle qui conserve le mieux le caractère que revêtait sous l'Ancien Régime la clémence royale ».
    M. Claude Goasguen. Ça devait plaire à Mitterrand ! C'était sans doute le livre qu'il étudiait quand il était à l'Action française !
    M. Arnaud Montebourg. Le roi inaugure toujours son règne par un acte de miséricorde,...
    M. Arnaud Lepercq. Et qu'a fait Mitterrand en 1981 ?
    M. Arnaud Montebourg. ... dont sont également l'occasion, outre son sacre, la naissance du dauphin, le baptême, le mariage, la première entrée du roi dans une ville, en son carrosse, ou à cheval lors d'une campagne militaire.
    Le roi, par son auguste ordonnance, reprend la formule consacrée depuis l'édit d'Amboise de 1563 - ça c'est une tradition républicaine (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) : « Que la mémoire de toutes choses passées dès et depuis les troubles advenus en nostredit royaume et à l'occasion d'iceux, demeure estainte et assopie comme de chose non advenue. »
    M. Claude Goasguen. M. Dosière vient de dire le contraire : je ne comprends plus !
    M. Arnaud Montebourg. Cette tradition ne reprit, comme l'a indiqué le garde des sceaux, que sous l'Empire, qui mimait les moeurs monarchiques. Ainsi, le mariage de Napoléon Ier avec Marie-Louise l'Autrichienne accorde l'amnistie aux déserteurs fatigués des armées de l'Empereur. Quelle tradition républicaine !
    M. Claude Goasguen. Il fallait le dire à Dosière !
    M. Arnaud Montebourg. Les diverses monarchies décadentes et un peu fatiguées du xixe siècle en France fêtèrent les événements nuptiaux : ordonnance d'amnistie de 1816, par laquelle Louis le bien-aimé veut marquer par des actes de bienfaisance l'heureuse époque du mariage de ce cher duc de Berry ; ordonnance royale de 1820 accordant à l'occasion de la naissance du duc de Bordeaux l'amnistie pour les délits forestiers. Quelle tradition républicaine !
    M. Jean Marsaudon. C'est notre histoire !
    M. Arnaud Montebourg. C'est vrai !
    M. Jean Glavany. Mais pas celle de la République ! (« Et alors ? » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Arnaud Montebourg. Au contraire, les IIe, IIIe et IVe Républiques ont préféré refuser l'amnistie festive, royale et de générosité octroyée.
    Sous la IIe République, même l'élection à la présidence de la République de Louis-Napoléon Bonaparte, le 10 décembre 1848, ne se traduit pas par une loi d'amnistie.
    Les élections sous la IIIe République des présidents Thiers en 1871, Mac Mahon en 1873, Carnot en 1887, Casimir Périer en 1894, Emile Loubet en 1899, Doumergue en 1924, Lebrun en 1932, ne donnèrent pas davantage lieu à une amnistie. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Robert Lamy. Et Mitterrand en 1981 ?
    M. Arnaud Montebourg. J'y viens, mon cher collègue.
    Sous la IVe République, rien pour l'élection du président Coty.
    Les gouvernements considéraient ce genre d'amnistie comme un dévoiement monarchique. (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Il est donc vain de rechercher, comme nous y invite l'exposé des motifs de votre texte, monsieur le garde des sceaux, la moindre tradition républicaine. Il s'agirait plutôt de satisfaire une pulsion monarchique - peut-être inconsciente - dont la France ne parvient décidément pas à se défaire.
    M. Arnaud Lepercq. N'importe quoi !
    M. Arnaud Montebourg. La Ve République cherche encore parmi les innombrables apanages et accessoires royaux ceux qui peuvent parer la figure de son roi-président. En réinventant le monarque, la Ve République ne pouvait donc pas se passer de l'amnistie royale, celle octroyée par la miséricorde du Dieu fait président. (« Mitterrand ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    A l'inverse, les républicains fervents du passé avaient à défendre la République contre le péril et l'agitation antirépublicaine. René Dosière a exposé parfaitement le sens de cette amnistie, totalement étrangère aux amnisties royales, comme celle aujourd'hui défendue à cette tribune. Je voudrais vous en donner un rapide exemple, pour ne pas abuser de votre temps, mes chers collègues. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Antoine Leonetti. C'est déjà fait !
    M. Arnaud Montebourg. Après les événements insurrectionnels de la Commune, pendant la campagne électorale de 1875, Victor Hugo s'engagea et adressa une proclamation aux 36 000 communes de France, qui mérite d'être lue et écoutée. Il fait parler Paris, l'ancienne commune insurgée, en implorant pour elle le pardon du reste de la France : « Electeurs des communes, Paris, la commune suprême, vous demande de décréter par la signification de vos choix la fin des abus par l'avènement des vérités, la fin de la monarchie par la fédération des peuples, la fin de la guerre étrangère par l'arbitrage, la fin de la guerre civile par l'amnistie, la fin de la misère par l'ignorance. Paris vous demande la fermeture de ses plaies ».
    A chaque période de troubles collectifs ou de souffrance nationale, l'amnistie réconcilie quand les événements divisent et opposent. Ces amnisties-là, monsieur le garde des sceaux, sont de celles dont on forge une nation. Elles renforcent l'esprit d'appartenance à celle-ci. Elles donnent le goût de continuer à vivre ensemble, dans le respect mutuel qu'organise la loi républicaine.
    Votre loi d'amnistie n'a rien de ce genre de fortifiant !
    M. Jean Glavany. Rien !
    M. Arnaud Montebourg. Elle démoralise plus qu'elle ne renforce l'esprit républicain. Elle insulte le civisme plus qu'elle ne le sert. Elle ressemble à un petit festival de la violation de la loi, où chacun serait convié à prendre part aux joyeuses transgressions.
    Préparons-nous, de surcroît, à recommencer tous les cinq ans. Le quinquennat permettra aux procéduriers avisés de tenir la longueur de la procédure jusqu'à la prochaine amnistie.
    M. Claude Goasguen. Quel optimisme pour la justice !
    M. Arnaud Montebourg. Nous voici, grâce à vous, dans un concours de saut d'obstacles dont la prime reviendra à celui qui sera capable de tenir sur ses jambes pendant cinq ans.
    M. Arnaud Lepercq. N'importe quoi !
    M. Arnaud Montebourg. Vous devriez plutôt, monsieur le garde des sceaux, précautionneux comme vous l'êtes à l'égard de ces citoyens indélicats, faire directement abroger ces lois encombrantes ! Vos statistiques pénitentiaires y gagneraient peut-être !
    C'est la nature même de votre projet de loi d'amnistie qui est contestable. Amnistie de confort, qui veut fêter une élection dont nul ici n'a pourtant de raison de se réjouir, tant elle a été mal acquise (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), et qui laisse le civisme abandonné au bord des routes, si j'ose dire.
    M. Claude Goasguen. Ridicule !
    M. Arnaud Montebourg. Voilà pourquoi nous voulons vous convaincre, chers collègues de la majorité, de ne pas la voter.
    Si certains parmi vous nous répondaient que ce que nous condamnons aujourd'hui, les majorités socialistes d'il y a vingt et un ans - en 1981 - et quatorze ans - en 1998 - l'ont fait, je leur dirais que cela est parfaitement exact,...
    M. Arnaud Lepercq. Ah !
    M. Arnaud Montebourg. ... mais qu'il est à l'honneur des parlementaires de tirer les leçons évidentes d'un passé lointain. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean Marsaudon. Le temps passe vite !
    M. Arnaud Montebourg. D'ailleurs, rien ne vous empêche d'éviter de reproduire nos propres erreurs. Au contraire, cela pourrait même faire utilement évoluer le pays.
    Une loi d'amnistie est une atteinte grave portée directement à la séparation des pouvoirs...
    M. Jean Leonetti. N'importe quoi !
    M. Arnaud Montebourg. ... puisqu'elle paralyse le fonctionnement de l'institution judiciaire en deçà d'un quantum de peine de trois mois. Vous connaissez d'ailleurs l'irritation légendaire des tribunaux, qui décident d'aggraver les peines plus que cela est nécessaire afin de lutter préventivement ou postérieurement contre l'amnistie. Les citoyens que vous souhaitez protéger s'en trouvent bien marris !
    Mais ce projet de loi contient dans son article 9 une deuxième atteinte à la séparation des pouvoirs. On vous demande, mes chers collèges, de déléguer au Président de la République le pouvoir amnistiant pour toute infraction commise avant le 17 mai 2002 par une personne qui se serait distinguée « d'une manière exceptionnelle dans les domaines humanitaire, culturel, sportif, scientifique ou économique ».
    Voici revenir les stigmates de la tradition monarchique. Le prince choisit discrétionnairement celui qui, n'entrant pas dans le champ d'application de la loi d'amnistie, se sera distingué par son casier judiciaire particulièrement garni pour obtenir la faveur royale. J'ai noté que l'intéressé pourra s'être distingué de façon exceptionnelle en matière économique. Peut-être comme Jean-Marie Messier est en train de le faire ? (Sourires sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean Marsaudon. C'est votre ami !
    M. Arnaud Montebourg. Ou peut-être encore comme ces dirigeants d'entreprise mis en examen pour abus de biens sociaux qui craignent - ô combien ! - les convocations des magistrats du pôle financier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jean Marsaudon. Urba !
    M. Arnaud Montebourg. Cette nouvelle forme de distinction par le casier judiciaire permettant d'obtenir la faveur amnistiante du prince est aussi scandaleuse qu'elle est discrétionnaire, aussi anticonstitutionnelle qu'elle est d'inspiration bonapartiste !
    M. Lionnel Luca et M. Bernard Carayon. Et Tapie ?
    M. Arnaud Montebourg. Vous me permettrez dès lors de rendre un hommage et un salut appuyés à nos collègues du groupe UDF, dirigé par M. Bayrou (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), qui s'apprêtent à voter contre ce texte qui détruit l'idée même d'égalité des citoyens devant la sanction.
    M. François Sauvadet. Pas pour les mêmes raisons que vous !
    M. Arnaud Montebourg. Ce projet d'amnistie d'essence monarchique n'a pas sa place dans un univers institutionnel modernisé. Etait-ce un hasard si, dans sa réponse à la déclaration du chef du Gouvernement, M. Bayrou - dont vous aurez compris que je ne partage pas toutes les convictions -...
    M. Jean Glavany. Heureusement !
    M. Arnaud Montebourg. ... indiquait que « nos institutions ont grand besoin d'une refondation, en lieu et place de cette aberration que fut la Ve République de ces dernières années ».
    Si aucune justification solide ne vient à l'appui d'une telle loi d'amnistie, qui provoque un malaise croissant d'une partie de la majorité, c'est qu'elle vise en vérité d'autres buts que ceux affichés et apparents. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    C'est qu'il paraît désormais certain et acquis qu'une amnistie est utilisée pour en cacher une autre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Robert Lamy. Nous y voilà !
    M. Arnaud Montebourg. Cette amnistie secrètement désirée par votre gouvernement, monsieur le garde des sceaux, prend le nom pudique et euphémisé de « réforme de l'abus de bien sociaux ». Qui peut comprendre ce qu'il y a derrière ce maquis technique ? Eh bien, nous allons vous l'expliquer !
    M. Claude Goasguen. Allons-y !
    M. Arnaud Montebourg. C'est le moyen par lequel, avec la constance des fourmis, les députés et les sénateurs RPR, qu'ils soient obscurs ou élevés, sans grade ou connus, spécialisés ou peu compétents en la matière, se relaient depuis des années dans une noria interminable pour tenter par cette réforme de mettre fin aux affaires.
    La feuilleton a commencé il y a sept ans.
    M. Lionnel Luca. Avec vous !
    M. Jean Marsaudon. Avec l'affaire Urba !
    M. Arnaud Montebourg. Pendant sept années, les épisodes se sont succédé et se sont tous terminés invariablement par le même échec !
    La première proposition de loi relative à la prescription du délit d'abus de biens sociaux date du 6 novembre 1995 et a été présentée par l'ancien président de la commission des lois, Pierre Mazeaud. Echec.
    M. Lionnel Luca. Cela n'a rien à voir avec l'amnistie !
    M. Arnaud Montebourg. Le garde des sceaux de l'époque, M. Toubon, ne veut pas assumer la responsabilité de faire tomber des milliers de procédures politico-financières, et de décourager ainsi l'institution judiciaire.
    Un an plus tard, en 1996, le sénateur RPR Philippe Marini se lance dans la même tentative. Même tempête, même échec. A cette époque - permettez-moi de citer l'anecdote, elle est croustillante - un certain avocat, maître Francis Szpiner, (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste), fait l'éloge public de cette réforme doublement avortée. On apprendra plus tard qu'il est l'avocat d'Alain Juppé, pousuivi pour infraction d'abus de bien sociaux, et du Président de la République, passible de poursuites du même chef. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    En 1999, le député RPR Michel Hunault, aujourd'hui rapporteur de ce projet de loi d'amnistie, dépose un amendement au texte relatif à la lutte contre la corruption afin de réduire la prescription des délits financiers. La garde des sceaux, Elisabeth Guigou, que je salue (« Elle n'est pas là ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), rappelle que, contrairement à la légende, les abus de biens sociaux ne sont pas imprescriptibles. Plusieurs députés s'élèvent contre l'amendement Hunault, dont Charles de Courson, député UDF, et moi-même, en dénonçant son caractère amnistiant. Nouvel échec !
    Quelques mois plus tard, à la fin de l'année 2000, à l'époque des révélations posthumes de Jean-Claude Méry sur le financement du RPR et de ses chefs, le porte-parole de ce parti, M. Patrick Devedjian, aujourd'hui ministre, évoque publiquement la nécessité d'un projet de loi d'amnistie des délits politico-financiers. M. Alain Juppé déclare, au sujet de l'amnistie : « Un mot qui fait peur, ce n'est pas très populaire ». (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Au même moment, aux journées parlementaires de Démocratie libérale se tenant dans mon département, la Saône-et-Loire,... 
    M. Hervé Novelli. C'était très bien !
    M. Arnaud Montebourg. ... département qui nous est commun, monsieur le garde des sceaux. M. Nicolas Forissier, député de l'Indre, proche de Jean-Pierre Raffarin, exposait que la question de l'amnistie « méritait d'être étudiée ».
    En 2001, Nicolas Sarkozy, aujourd'hui ministre, publie un livre dans lequel il suggère d'alléger les sanctions pour les auteurs d'abus de biens sociaux, en faisant appel au « courage » des siens.
    Finalement, Pascal Clément, l'actuel président de la commission des lois, a parfaitement résumé la situation en déclarant : « Cette réforme est souhaitable, mais suicidaire. Celui qui le fait sera battu. Qui osera se lancer ? » (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s commmunistes et républicains.)
Bravo : celui qui a osé se lancer, c'est vous, monsieur le garde des sceaux,...
    M. Arnaud Lepercq. Vous êtes un guignol !
    M. Arnaud Montebourg ... avec comme maigre escorte votre grenadier voltigeur de première ligne, Michel Hunault, rapporteur choisi sur mesure pour faire aboutir ce projet suicidaire,...
    M. Arnaud Lepercq. Ce n'est pas digne de cette assemblée !
    M. Arnaud Montebourg. ... mais tellement nécessaire à la défense de vos intérêts politiques.
    M. Jean Glavany. Très juste !
    M. Arnaud Montebourg. Nous avons compris que vous n'avez pas le choix pour tirer d'affaire vos chefs, à commencer par le Président de la République, afin qu'il ne finisse pas, selon la célèbre prédiction de Valéry Giscard d'Estaing, « comme Helmut Kohl ». (Rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Si vous vouliez des preuves de votre désir d'amnistier les abus des biens sociaux ainsi que les recels qui vont avec, il suffirait de se rapporter à l'article 13 du présent projet de loi d'amnistie, qui, par un oubli relevant peut-être du lapsus, omet comme par hasard de citer dans la liste des quarante et une exclusions non seulement l'abus de biens sociaux, mais également le détournement de fonds publics, les deux incriminations précisément retenues à l'encontre de M. Juppé et de M. Chirac par le juge d'instruction Patrick Desmure, du tribunal de grande instance de Nanterre.
    M. Arnaud Lepercq. Ici, nous ne sommes pas au tribunal !
    M. Jean Marsaudon Et la MNEF ?
    M. Jean Glavany. Vous savez bien que M. Montebourg a raison !
    M. Arnaud Montebourg. Lorsque vous indiquez, monsieur le garde des sceaux, dans une interview parue hier matin dans Les Echos, qu'« il faudra un vrai débat sur la modification des règles qui régissent les abus de biens sociaux » et que vous souhaitez, « si ce sujet doit être un jour examiné, qu'il le soit dans un climat apaisé et serein », vous dites exactement la même chose que MM. Devedjian, Hunault, Sarkozy, Forissier, Clément, Marini et Mazeaud. Vous ne faites que répéter ce à quoi chacun d'entre eux vous rêve ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. François Baroin. Emmanuelli, Strauss-Kahn...
    M. Arnaud Montebourg. Je sais que, pour certains, tout cela est difficile à entendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Toutefois, je voudrais prolonger encore un instant leur souffrance. (Rires sur les mêmes bancs. - « Ah non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Voulez-vous que je vous fasse connaître le commentaire de Mme Eva Joly, auteur d'un livre très sérieux sur l'abus de biens sociaux, qui fait désormais autorité, et qui vient de quitter ses fonctions de juge d'instruction au pôle financier de Paris ?
    M. Arnaud Lepercq. Commis voyageur !
    M. Arnaud Montebourg. Voici ce qu'elle indique sur les différentes tentatives de réforme que vous venez de faire vôtres, monsieur le garde des sceaux : « Les affaires politico-financières mettent à jour progressivement les nombreuses astuces mises en oeuvre pour dissimuler les agissements destinés à s'enrichir ou à enrichir ses proches de la part des dirigeants. »
    M. Arnaud Lepercq. URBA !
    M. Arnaud Montebourg. Je poursuis : « Un raccourcissement du délai de prescription aboutirait : premièrement, à mettre fin par prescription à de nombreux dossiers financiers en cours d'instruction ;...
    M. Gérard Hamel. GIFCO !
    M. Arnaud Montebourg. ... deuxièmement, à assurer définitivement aux délinquants que l'argent détourné devienne partie intégrante de leur patrimoine. »
    M. Jean Marsaudon. La MNEF !
    M. Arnaud Montebourg. Voilà la réponse des juges à votre politique, monsieur le garde des sceaux. Attention à ne pas insensiblement devenir « le garde des siens ». (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean Leonetti. On va finir avec l'almanach Vermot !
    M. Arnaud Montebourg. Alors, de sérénité et d'apaisement, il n'y aura point. Vous ne parviendrez pas à assouvir l'obsession que vous revendiquez. Nous lancerons, à partir des déclarations de M. Perben, un grand mouvement populaire de citoyens contre vos projets d'amnistie déguisée. Nous irons pétitionner, s'il le faut, sur les plages (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), au bord des péages, à la porte des stades, voire sur le parquet des guinguettes. (Nouveaux rires sur les mêmes bancs.) Et nous expliquerons en quoi consiste votre réforme.
    M. Arnaud Lepercq. C'est Guignol !
    M. Arnaud Montebourg. Nous expliquerons aux millions de salariés de ce pays que vous autoriserez dorénavant leurs dirigeants d'entreprise à abuser des biens sociaux,...
    M. Arnaud Lepercq. Quel comique !
    M. Jean Marsaudon. Vous mentez, monsieur Montebourg !
    M. Arnaud Montebourg. ... soit pour leur compte personnel, soit pour celui de leurs amis politiques dont ils financent la carrière, l'ascension et la prise de pouvoir. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Arnaud Lepercq. Mégalo !
    M. Bernard Carayon. Savonarole !
    M. Arnaud Montebourg. Nous expliquerons que vous garantirez une impunité de fait à ceux qui, manipulant les comptes, favorisent leur enrichissement personnel au détriment de l'emploi, des créanciers et des salariés.
    M. Lionnel Luca. Cela n'a rien à voir avec le texte !
    M. Arnaud Montebourg. Nous expliquerons sur le parquet des guinguettes aux petits épargnants de France qui voient leurs économies partir en fumée dans les scandales financiers à répétition (Exclamations sur les bancs de l'Union pour la majorité présidentielle) que vous voulez priver les juges des moyens permettant de rechercher s'il y a eu ou non des délits cachés et des dissimulations comptables.
    M. Robert Lamy. Arrêtez vos conneries ! Cela n'a rien à voir !
    M. Bernard Carayon. Robespierre !
    M. Arnaud Montebourg. L'affaire Vivendi Universal n'a-t-elle pas prouvé, au contraire, la faiblesse de la répression des abus de biens sociaux ?
    M. Arnaud Lepercq. Altus finances !
    M. Arnaud Montebourg. Pour que M. Messier...
    M. Jean Marsaudon C'est votre ami !
    M. Arnaud Montebourg. ... ait le front, l'impudence, de demander et d'obtenir en secret 18 millions d'euros d'indemnités (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle) alors qu'il a ruiné l'entreprise qui lui avait été confiée, ruiné les salariés qu'il avait ensevelis sous des promesses reluisantes...
    M. Gérard Hamel. Tapie !
    M. Arnaud Montebourg. ... de stock-options, tout en ne voulant pas se contenter des siennes qui ne valent plus un centime, c'est que la législation contre les abus de biens sociaux est largement insuffisante et mérite d'être renforcée plutôt qu'assouplie.
    Votre amnistie, vous la ferez, nous l'avons compris, cet été, dans le huis clos d'une commission mixte paritaire, entre sénateurs et députés qui ont déjà cuisiné leur affaire et mitonné leurs petits plats.
    Mais si votre bras, dont vous rêvez qu'il tire le fatal trait de plume, se laissait aller à ce que vous souhaitez, ce n'est pas seulement le gouvernement Raffarin qui en périrait, c'est la République elle-même (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), et tout entière, que vous auriez pris la responsabilité de faire chavirer, ...
    M. Lionnel Luca. Bouffon !
    M. Arnaud Montebourg. ... précipitant dans les bras de son pire ennemi des centaines de milliers de nos concitoyens que vous aurez repoussés,...
    M. Lionnel Luca. Quelle enflure ! Vous délirez !
    M. Robert Lamy. Vous êtes grotesque, monsieur Montebourg !
    M. Arnaud Montebourg. ... que vous aurez brutalisés dans leur conviction, et qui seront écoeurés et révoltés. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Nous faisons partie de ceux qui préfèrent voir assis à l'extrême droite de cet hémicycle des députés du RPR plutôt que des députés d'une autre nature !
    Voilà pourquoi, au nom de la République...,
    M. Jean Marsaudon. Ne parlez pas au nom de la République !
    M. Arnaud Montebourg. ... j'invite avec gravité nos collègues de la majorité à refuser cette amnistie rampante. Refusez-la en bloc pour toujours et à jamais. Ni pour cet été, ni pour l'hiver prochain, ni pour aucun de ceux que la République nous a confiés. Votre responsabilité est lourde.
    La République que nous aimons tous a besoin d'être fortifiée. Elle ne mérite pas d'être vilipendée, ni d'être jetée dans les bras de ceux qui la haïssent.
    En votant la question préalable, marquez votre désaccord et votre esprit de résistance. Comme le nôtre, il sera, je n'en doute pas, soutenu et encouragé par nos concitoyens. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député(e)s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la motion de procédure que vient de défendre M. Montebourg se résume en une question bien connue : y a-t-il lieu de délibérer ? Et la question préalable a pour objet de démontrer à l'Assemblée qu'il n'y a pas lieu de délibérer. C'est la seule question qui nous importe et j'y répondrai d'un mot.
    La tradition, plus monarchique que républicaine, comme l'a expliqué M. Montebourg, mais largement empruntée par la République, veut que le projet de loi d'amnistie soit le premier projet de loi à être examiné. Mais, à la différence des autres projets de loi qui nous seront présentés, nous sommes liés, pour celui-ci, par l'engagement d'un candidat. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Cela aurait pu être M. Jospin (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), qui a longuement expliqué pendant la campagne présidentielle qu'il souhaitait, dès qu'il serait élu Président, que le Parlement vote une loi d'amnistie. (« Très juste ! » sur les mêmes bancs.)
    En l'espèce, c'est grâce à Jacques Chirac que nous sommes réunis (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle) pour tenir son engagement de Président de la République.
    Pendant toute la campagne électrorale vous avez avancé un argument qui, vous l'espériez du moins, devait frapper l'opinion. Cet argument consistait à dire : « Ne votez pas Chirac, car il ne tient pas ses engagements ! » (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Or voici précisément le premier engagement, et il est tenu ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

    Pour moi, la question de fond est donc réglée.
    Au sein de l'Union pour la majorité présidentielle, nous nous sommes engagés, comme, je le lui rappelle, l'UDF, derrière Jacques Chirac, et nous avons le devoir moral de voter ce projet de loi portant amnistie.
    Un député du groupe socialiste. C'est un rappel à l'ordre ?
    M. Pascal Clément, président de la commission. Par ailleurs, M. Montebourg n'a pas du tout bâti son discours sur le thème qui nous rassemble aujourd'hui : faut-il exclure du champ d'application du projet de loi un certain nombre de contraventions pour mieux y maintenir les délits ? Il est en effet très frappant de constater, monsieur le grade des sceaux, que de nombreux amendements que nous aurons à examiner tendent à exclure les contraventions tout en maintenant les délits, ce qui, sur le plan juridique, ne laisse pas de surprendre ceux qui les ont lus.
    Tout le discours de M. Montebourg ne repose que sur l'imagination du parti socialiste. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Avant même que le rapporteur ait pris pour la première fois la parole, le parti socialiste avait laissé entendre sur des ondes radiophoniques que, c'était sûr, un amendement sur l'ABS, l'abus de biens sociaux, serait présenté.
    M. Bernard Roman. On a entendu le ministre !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Vous pouvez chercher partout, vous ne trouverez rien qui y ressemble !
    M. Jacques Floch. Vous n'avez pas osé !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Autrement dit, le parti socialiste, par la voix de M. Montebourg, n'est pas du tout opposé à l'amnistie, il fait un numéro, essayant de cacher la réalité au peuple français (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), à savoir, et je réclame l'attention de tous les députés socialistes, que toutes ces belles leçons de morale et de vertu oublient le mitterrandisme, qui a sévi pendant quatorze ans ! Ce n'est plus l'amnistie : c'est l'amnésie ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Toutes ces belles leçons oublient les amis de M. Mitterrand, dont M. Pelat, le scandale du Crédit Lyonnais, comme tous les scandales qui ont fleuri pendant les deux septennats de M. Mitterrand. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
    Mais j'irai plus loin : qui a, un jour de 1988, voté une amnistie dans cet hémicycle ? Est-ce nous, mesdames, messieurs, ou est-ce vous ? C'est vous, vous qui venez nous donner aujourd'hui des leçons ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    En fait, il ne s'agit pas d'amnistie. Le problème, c'est votre amnésie ! Vous avez oublié que vous avez voté l'amnistie en 1988.
    M. René Dosière. Avec vous ! Nous n'avions pas la majorité !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Alors que cette responsabilité marque d'une manière indélébile votre front, vous avez le culot, le culot d'acier, de nous expliquer que nous pourrions faillir à la pureté d'intention mais que vous êtes, comme toujours, au-dessus de tout soupçon ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. René Dosière. Relisez les débats !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Les socialistes, forts pour donner des leçons, viennent dire une fois de plus au peuple français : « Nous recommandons ce que nous n'avons pas fait nous-mêmes ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Vous avez vous-mêmes voté une amnistie et vous nous accusez aujourd'hui en vous fondant sur des virtualités. Nous vous rappelons quant à nous la réalité. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)

    Un peu de décence ! (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
    Rappelons au peuple français que nous n'avons jamais voulu, en ce qui nous concerne, faire oublier les turpitudes de nos amis, contrairement aux socialistes. Voilà la vérité ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Nous en avons assez de recevoir des leçons de morale, des leçons de vertu..
    M. Patrick Labaune. M. Clément a raison !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Nous en avons assez de nous voir infliger des remontrances par ceux qui n'auraient jamais péché !
    O, sépulcres blanchis !
    Monsieur Montebourg, je prie le ciel qu'il ne vous arrive jamais de commettre de dérapage. Vous auriez l'air ridicule à la première contravention ou au premier délit ! Que de risques vous prenez ! Que celui qui n'a jamais fauté jette la première pierre... (Sourires.)
    Mes chers collègues, il s'agit là d'une affaire politicienne lancée par les socialistes, qui ne se remettent pas de la raclée électorale qu'ils viennent de prendre (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Ils ont beaucoup de mal à la supporter. Ils en sont même à nous expliquer que nous n'aurions pas remporté une belle victoire, alors que, comme ce fut le cas la dernière fois, lorsqu'ils gagnent à la faveur d'une triangulaire, ils remportent quant à eux une belle victoire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Quand vous êtes, mesdames, messieurs, éliminés par le Front national, vous assurez que vos adversaires remportent une mauvaise victoire ! C'est indigne !
    Vous ne respectez la démocratie que lorsqu'elle va dans votre sens. Or il faut la respecter tout le temps, comme nous le faisons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    A mon tour de vous donner quelques leçons de respect des résultats électoraux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

    Mes chers collègues, oublions cette exception d'irrecevabilité qui ne correspondait à rien ! Oublions cette question préalable ! Tout cela n'est qu'un rideau de fumée pour ceux qui ne veulent pas faire leur deuil de l'échec électoral retentissant que le peuple français vient de leur infliger.
    Bien évidemment, mais l'Assemblée l'aura compris, il ne faut pas voter la question préalable. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la majorité présidentielle et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Claude Goasguen, pour le groupe de l'UMP.
    M. René Dosière. M. Clément vient de parler à sa place !
    M. Christian Paul. Les propos qu'a tenus le président de la commission des lois sont inadmissibles !
    M. René Dosière. Tout à fait !
    M. le président. M. Goasguen a seul la parole.
    M. Claude Goasguen. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, après avoir entendu les discours de M. Dosière et de M. Montebourg, je me dis qu'il manque quelque chose dans le règlement de l'Assemblée : on devrait pouvoir opposer une question préalable à une question préalable (Sourires), car pas plus que d'exception d'irrecevabilité je n'ai entendu parler de véritable question préalable.
    J'ai entendu deux discours contradictoires. En effet, selon une vision historique et politique pour le moins louche, au sens du verbe, mais aussi au sens trivial (Sourires), M. Dosière nous a démontré que l'amnistie était une tradition républicaine et M. Montebourg nous a fait valoir, avec le même talent, qu'elle était une tradition monarchique. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Aussi, je me disais que le parti socialiste se divise non seulement sur l'avenir mais aussi sur le présent et le passé, et je pensais : que la fracture est belle !
    Votre représentation de l'amnistie repose, messieurs, sur un sophisme qui aboutit à distinguer la grande amnistie, la belle amnistie, de la petite, celle des « contredanses », des contraventions de voirie,...
    M. René Dosière. Eh oui !
    M. Claude Goasguen. ... qui ne méritent pas la moindre attention de votre part.
    Le seul problème, c'est que la Constitution vous fournit une réponse sur ce point. J'ai donc trouvé savoureux que M. Dosière défende une exception d'irrecevabilité contre un texte dont le principe est de toute évidence reconnu par l'article 34 de la Constitution, lequel dispose que la loi, votée par le Parlement, fixe les règles concernant notamment « la procédure pénale ; l'amnistie ».
    C'est dire, monsieur Montebourg, que l'amnistie est liée à la procédure pénale et qu'elle n'a rien de la vision mythologique que vous nous avez décrite tout à l'heure et sur laquelle je reviendrai. Je relève au passage que, si vous avez critiqué l'amnistie et la grâce amnistiante, je n'ai rien entendu de votre bouche sur le droit de grâce. Ce qui m'étonne, c'est que cette amnistie, qui est, j'en donne acte à M. Dosière, républicaine, s'oppose parfaitement au droit monarchique de la grâce,...
    M. Arnaud Montebourg. Qui est encore pire !
    M. Claude Goasguen. ... que vous n'avez pas contesté et qui, pourtant, s'exerce dans notre République en toute impunité, sans encourir la moindre de vos réflexions critiques. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    A cet égard, vous avez la mémoire un peu courte.
    Vous avez fini, monsieur Montebourg, par jeter votre cri de vertu carnassière, de vertu républicaine toujours univoque, mélangeant la morale et le droit, les deux étant chez vous, de toute évidence, approximatifs. (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Vous avez parlé de l'ABS. Mais que vient faire l'ABS dans ce texte ? (« Ah ? » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

    Vous savez bien que l'ABS n'a pas besoin d'amnistie : si vous avez lu les arrêts de la Cour de cassation, et notamment sa jurisprudence récente, vous devez savoir que l'ABS a été rendu prescriptible. En l'occurrence, il ne s'agit pas d'amnistie, mais simplement de laisser jurisprudentiel ce qui est. L'amnistie n'a donc rien à voir avec cette affaire. Peut-être la Cour européenne nous condamnera-t-elle un jour sur la notion de « délai raisonnable », ... (« Ah ? » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Daniel Vaillant. Vous cédez à la tentation !
    M. Claude Goasguen. ... mais quel rapport cela a-t-il avec l'amnistie ?
    Je vous le dis, monsieur Montebourg, il faudrait pouvoir opposer à vos interventions, qui n'ont rien à voir avec le sujet, une question préalable tendant à nous y ramener. Nous aurions discuté du prix de la confiture, d'une convention avec la Lituanie ou d'agressions dans le Nord-Kalimantan que M. Montebourg nous aurait de la même manière servi l'abus de biens sociaux. Ses propos n'ont rien à voir avec la réalité des textes : il devait faire son numéro ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    Quoi qu'il en soit, ce numéro de Fouquier-Tinville à la petite semaine, de Ravachol du porte-plume (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) va me permettre de vous rappeler au « travail de mémoire », pour reprendre l'expression d'un de vos amis.
    M. Clément vous a posé la question : qui a voté l'amnistie des délits financiers et politiques ?
    M. Patrick Labaune. C'est eux !
    M. Claude Goasguen. Ce matin, M. Sapin, qui était garde des sceaux à l'époque, a eu quant à lui l'honnêteté de reconnaître l'erreur manifeste qu'il avait commise en votant, sur l'incitation du gouvernement Rocard et avec votre soutien,...
    M. René Dosière. Et votre abstention à nous !
    M. Claude Goasguen. ... une amnistie incontestable des délits financiers et politiques. Vous êtes les auteurs premiers de l'auto-amnistie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Vous parlez d'amnistie politique, mes chers collègues : quelle audace ! N'avons-nous pas entendu parler il y a quelques mois dans cet hémicycle d'une autre amnistie, concernant la Corse ? (Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    M. Bernard Roman. C'est faux !
    M. Claude Goasguen. Rappelez-vous les termes employés par votre candidat. C'était une grande amnistie, ce n'était pas l'amnistie des « contredanses », c'était celle de M. Colonna ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. C'est faux !
    M. Daniel Vaillant. Menteur !
    M. Claude Goasguen. L'amnistie de M. Colonna serait noble... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Je vous invite à conclure, monsieur Goasguen.
    Mes chers collègues, laissez M. Goasguen terminer.
    M. Daniel Vaillant. Mais il ment !
    M. le président. Monsieur Vaillant, laissez M. Goasguen terminer !
    M. Daniel Vaillant. Je ne me tairai pas ! M. Goasguen ment !
    M. Claude Goasguen. Je ne fais que reprendre la distinction du parti socialiste entre les amnisties de grande politique, comme celle des terroristes corses, et les amnisties électorales, comme celle des « contredanses ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Bien...
    M. Claude Goasguen. Je termine, monsieur le président. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Menteur !
    M. le président. M. Floch parlera après M. Goasguen, et il aura tout loisir de lui répondre !
    M. Claude Goasguen. Monsieur Montebourg, que vous soyez contre l'amnistie ne m'étonne pas. En commission des lois, il y a quelques années, vous étiez pour la dénonciation fiscale, alors que votre parti avait été, quelques années auparavant, le parti des écoutes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Menteur !
    M. Claude Goasguen. Je vous le dis tout net : je préfère être du parti de l'amnistie plutôt que de celui des écoutes ou des dénonciateurs.
    M. Patrick Labaune. Très bien !
    M. Claude Goasguen. Voilà pourquoi nous voterons sans hésiter contre votre question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Jacques Floch, pour le groupe socialiste.
    M. Jacques Floch. Monsieur le président, mesdames, messieurs, la véhémence...
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. De Montebourg !
    M. Jacques Floch. ... et l'impudence... (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Laissez M. Floch s'exprimer, je vous prie !
    M. Jacques Floch. ... de notre collègue Goasguen égalent celles du président de la commission des lois.
    Permettez à un vieux parlementaire qui a fréquenté longtemps les bancs de la commission des lois de ne pas reconnaître dans les propos de M. Clément ceux d'un président de cette grande commission.
    M. René Dosière. C'était un partisan !
    M. Jacques Floch. M. Clément a en effet traité le problème en partisan.
    M. René Dosière. Scandaleux !
    M. Jacques Floch. Monsieur le président Clément, je souhaite que nos travaux à la commission des lois ne se poursuivent pas sur le même ton, car il est inacceptable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    A M. Goasguen, que j'ai l'honneur de fréquenter depuis longtemps sur les bancs cette même commission, je dirai que ce n'est pas en parlant haut et fort dans un micro que l'on peut s'expliquer, surtout si l'on énonce un certain nombre de contrevérités,..
    M. Arnaud Lepercq. On en a entendu un paquet, venant de vos amis !
    M. Jacques Floch. ... pour ne pas dire de mensonges,...
    M. Claude Goasguen. Lesquels ?
    M. Jacques Floch. ... ce qui m'étonne de lui.
    Monsieur Goasguen, vous avez affirmé que nous aurions pensé à je ne sais quelle amnistie pour la Corse. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Claude Goasguen. Mais c'est vrai !
    M. Jacques Floch. C'est un scandale et une honte que de dire cela.
    M. Claude Goasguen. Même chose pour l'ABS !
    M. le président. Laissez M. Floch s'exprimer !
    M. Jacques Floch. Or vous savez très bien, monsieur Goasguen, que telle n'est pas la vérité. Vous cachez derrière vos pseudo-arguments votre crainte de voir une vérité se dégager de ce débat.
    M. François Sauvadet. Oh !
    M. Jacques Floch. Avec ce faux débat sur l'amnistie, vous voulez petit à petit conduire cette assemblée vers je ne sais quelle extrémité. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Et vous savez très bien que cela vous sera reproché,...
    M. Arnaud Lepercq. Qu'est-ce que ça veut dire ?
    M. Jacques Floch. ... à vous et à vous seuls.
    Vous n'ignorez pas non plus, et cela a été parfaitement exposé par René Dosière et Arnaud Montebourg, que l'amnistie que vous nous proposez n'a rien à voir avec le texte constitutionnel qui nous autorise, et vous avez eu raison de le rappeler...
    M. Claude Goasguen. Cela ressortit à la procédure pénale !
    M. Jacques Floch. ... à proposer une loi d'amnistie pour la réconciliation des Français. Il s'agit aujourd'hui d'une petite loi, car il y a eu une petite promesse de petite loi, pour une petite politique.
    M. Claude Goasguen. Mais il y a eu un grand Colonna, n'est-ce pas ?
    M. Jacques Floch. Mes chers collègues, vous allez voter la question préalable parce qu'elle est indispensable pour mettre fin à un faux débat dans cette assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. François Sauvadet, pour le groupe UDF.
    M. François Sauvadet. Monsieur le président, j'ai été un peu choqué par l'intervention de M. Montebourg, et notamment par plusieurs des propos qu'a tenus notre collègue.
    M. Montebourg nous a interpellés individuellement - il est vrai que nous devons chacun nous prononcer sur le texte tel qu'il est proposé. Que notre collègue me permette de l'interpeller à mon tour.
    Lorsque l'on veut dresser un inventaire, lorsque l'on veut se draper dans un manteau de vérité et de sincérité, on ne doit pas être sélectif...
    M. Montebourg a évoqué l'amnistie présidentielle de 1995. J'aurais aimé qu'il évoquât aussi, par simple rectitude intellectuelle, l'amnistie de 1988 qui était d'une autre nature. Or il ne l'a pas fait.
    M. Arnaud Montebourg. Si !
    M. François Sauvadet. Après nous avoir reproché, en pleine campagne électorale, il n'y a pas si longtemps, de jouer sur les peurs que peut faire naître la délinquance, il s'est livré à un exercice que j'ai trouvé un peu honteux, en jouant sur les peurs que pourrait faire naître la libération de certaines personnes. Cela n'est pas digne du débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Je voudrais lui rappeler la responsabilité de l'équipe sortante. Lorsque je me souviens des critiques prononcées à l'égard de M. Chevènement, qui fustigeait tous ces « sauvageons » qui empoisonnent la vie de nos concitoyens au quotidien, et des cris de la majorité de l'époque, certains propos qui ont été tenus sur les droits de l'opposition m'inquiétent beaucoup.
    Quand on veut faire un inventaire, on assume aussi son passé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Monsieur Montebourg, j'ai surtout été choqué par vos propos sur l'élection du Président de la République, qui serait « mal acquise ».
    M. René Dosière et M. Daniel Vaillant. Mais c'est vrai !
    M. François Sauvadet. Lorsqu'on a été confronté à un choix aussi clair et à des enjeux aussi lourds pour l'avenir même de la démocratie, on doit se réjouir que la démocratie ait gagné. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Patrick Labaune. M. Goasguen a raison !
    M. François Sauvadet. On doit se réjouir de l'élection d'un Président de la République qui a incarné le respect des valeurs de la République.
    Monsieur Montebourg, je tenais donc à vous dire que j'avais été choqué par vos propos concernant une élection « mal acquise », alors que les enjeux face à l'extrême droite étaient d'une telle importance.
    M. René Dosière. C'est nous qui avons fait campagne contre l'extrême droite !
    M. François Sauvadet. Enfin, vous avez évoqué la position du groupe UDF. Je rappelle que François Bayrou a été, pendant toute la campagne pour l'élection présidentielle, très clair : il a dit qu'il ne souhaitait pas d'amnistie.
    M. Arnaud Montebourg. Ah ! Bravo !
    M. François Sauvadet. Nous avons donc nous aussi, à l'UDF, une véritable cohérence et j'aurais aimé que vous fassiez le même effort de cohérence ; or le candidat Jospin, lors de la campagne pour l'élection présidentielle, affirmait qu'il était quant à lui favorable à une amnistie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Que ne vous êtes-vous exprimés plus tôt !
    Vous adoptez une démarche purement politicienne.
    Mais il y a pire.
    Vous vous êtes référé à la République...
    M. François Goulard. La République de Mitterrand, c'est Vichy !
    M. François Sauvadet. Mais quand on commence, à manier l'arme du doute et de la suspicion sur les intentions de tel ou tel, quand on laisse planer en permanence des doutes sur la réalité de l'engagement de chacun, on ne sert pas la République, en tout cas pas la République telle que nous la concevons. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Y a-t-il lieu de débattre sur l'amnistie ? Bien sûr ! D'ailleurs, je m'étonne, monsieur Montebourg, qu'un fin juriste comme vous ait accepté de défendre cette question préalable car elle n'a pas de fondement juridique.
    Cela dit, vous vous en êtes allègrement éloigné en brossant un large panorama historique, et je vous conseille de vous rapprocher de M. Dosière pour vous caler sur l'interprétation socialiste de l'histoire. Pour ce qui nous concerne, l'histoire c'est l'histoire, et nous n'avons pas de vision partagée, vous avez pu l'observer.
    Je souhaite donc que nous nous unissions pour repousser cette question préalable et dire à M. Montebourg que l'éloquence doit être au service du fond, et que le fond de son intervention n'a pas été à la hauteur de son éloquence. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. Jacques Brunhes. Notre position est la même que pour l'exception d'irrecevabilité : nous refuserons de participer au vote. J'ai été, pour ma part, choqué par l'intervention de M. le président de la commission des lois (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)...
    M. Robert Lamy. Il a été très bon !
    M. Jacques Brunhes. ... et je vais vous dire pourquoi. Après la défense de l'exception d'irrecevabilité ou de la question préalable, les représentants des groupes peuvent intervenir lors des explications de vote. Puis, dans la suite du débat, quand on a un groupe de près de 350 parlementaires, auquel il faut ajouter le groupe de l'UDF, il ne manque pas d'orateurs pour s'exprimer. Donc, si le président de la commission des lois est obligé de monter au créneau avec une telle véhémence, c'est sans doute que la cause est très difficile à défendre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste) Quoi qu'il en soit, sur le fond, c'est inacceptable. Certes, le président de la commission des lois a bien le droit d'intervenir dans le débat, mais en l'occurrence il n'a pas joué son rôle de président de commission.
    A l'ouverture d'une législature c'est dangereux et c'est grave, je crois, pour la commission des lois elle-même. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    M. le président. Personne ne demande plus la parole ?..
    Je mets aux voix la question préalable.
    (La question préalable n'est pas adoptée.)

Discussion générale

    M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean Leonetti.
    M. Jean Leonetti. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, en théorie, l'amnistie est destinée à réconcilier les Français ; espérons qu'elle ne divisera pas les députés de manière outrancière !
    En fait, nous ne devons pas nous écarter d'un texte qui est un simple projet de loi d'amnistie, xcomme on en vote après chaque élection présidentielle depuis les débuts de la Ve République. Mais, monsieur le garde des sceaux, vous avez bien fait de rappeler que l'amnistie, dont la racine grecque évoque l'oubli, est aussi ancienne que la démocratie athénienne, et donc qu'elle se confond avec la volonté populaire.
    L'amnistie a en effet marqué l'histoire des civilisations, de notre pays et de la République. Elle cherche souvent à effacer des moments douloureux de tension entre nos concitoyens. Elle cherche l'apaisement et la réconciliation.
    Ainsi pouvait-on lire dans l'édit de Nantes - M. Montebourg est déjà parti, c'est dommage, parce qu'il aurait pu voir dans un édit royal toute la portée de la véritable amnistie ! - : « La mémoire de toutes choses passées demeurera éteinte et assoupie comme de chose non advenue. » Cela veut bien dire que l'on ne pardonne pas l'individu, mais que l'on oublie la faute.
    Plus près de nous, une amnistie a suivi la Commune et les rôles ont alors été inversés : les monarchistes la refusaient et c'étaient les radicaux qui la souhaitaient.
    Mais, même dans ces actes forts de réconciliation nationale, on peut critiquer le fait de vouloir effacer le passé. Cela peut effectivement nous amener à ne pas regarder le passé immédiat et conflictuel avec une certaine lucidité et peut-être à ne pas vraiment solder les erreurs ou les douleurs de notre histoire.
    Plus près de nous encore, les lois de 1990 ont très certainement achevé, au sens le plus global du terme, de discréditer les lois d'amnistie. La loi sur le financement des partis politiques a indiscutablement renforcé l'idée de l'injustice d'une procédure, qualifiée d'autoamnistie, votée par les députés à leur seul profit. François Mitterrand, qui ne devrait pas totalement être renié sur les bancs de la gauche, regrettait déjà en 1991 que cette loi fût « l'un des faits qui ont le plus compté dans la démoralisation publique ».
    Je sais bien que la gauche place le reniement à la base de tout renouvellement et que M. Jospin a un droit d'inventaire.
    M. Jean-Louis Idiart. Occupez-vous plutôt de vos affaires !
    M. Jean Leonetti. J'ai entendu M. Montebourg renier clairement les engagements de M. Jospin, candidat à la présidence de la République, et nous inventer un nouveau style d'élu. Je connaissais les ambitieux, les tueurs, les fines lames, mais pas les comiques, notamment pas ceux qui se transforment si facilement de Don Quichotte en Sancho Pança !
    Rappelons-nous qu'en 1989 le gouvernement Rocard avait glissé en catimini, dans un projet de loi concernant les indépendantistes guadeloupéens, un amendement destiné à effacer certains délits politico-financiers. Le texte fut promulgué le 15 janvier 1990 et profita quelques mois plus tard aux personnes impliquées dans l'affaire dite du « Carrefour du développement ».
    C'est probablement la raison pour laquelle, dans la mémoire collective de la gauche, l'amnistie est liée aux affaires politico-financières. C'est probablement pourquoi, ayant utilisé la tactique de l'amendement discret, certains craignent que nous ne recourrions à la même manoeuvre. Est-il besoin, monsieur le garde des sceaux, de rassurer une fois de plus l'opposition à ce sujet ?
    Non, mesdames, messieurs de l'opposition, le contenu de l'amnistie ne couvre pas les affaires politico-financières ! Hélas, démentir la rumeur, c'est aussi l'alimenter. Le texte et les amendements prouveront la vérité de nos déclarations.
    C'est probablement depuis l'époque socialiste que l'amnistie n'est plus populaire. Il est désormais ancré, souvent à tort, dans l'esprit de beaucoup de nos concitoyens que certaines lois sont faites par des élus pour des élus ; le rapprochement de l'affaire du sang contaminé avec la loi sur les délits non intentionnels en est un exemple criant.
    De plus, et M. le rapporteur l'a parfaitement remarqué, notre société subit depuis plusieurs années une augmentation de l'insécurité et nos concitoyens constatent l'impunité des auteurs d'actes délictueux. Le taux considérable des affaires classées sans suite et, pis, l'absence d'exécution des peines prononcées créent une amnistie de fait et non de droit. Il est donc plus logique de faire voter une amnistie par les représentants du peuple plutôt que de la laisser s'instaurer par les lourdeurs et la lenteur des procédures.
    Cette préoccupation en matière d'insécurité d'une majeure partie des Français a été prise en compte par le Gouvernement. Nous avons proposé qu'à chaque infraction réponde une sanction proportionnée et systématique. Mais, dès lors, proposer d'effacer des sanctions, n'est-ce pas en contradiction apparente avec nos propositions ? Nous sommes en droit de nous poser la question.
    Devant l'incapacité du gouvernement précédent à juguler l'insécurité routière, est-il légitime de proposer une amnistie couvrant certaines infractions au code de la route ? La sagesse dans la limitation du champ de l'amnistie, telle qu'elle a été proposée par M. le garde des sceaux et M. le Président de la République, répond à la volonté de limiter l'amnistie aux seules infractions qui ne mettent en danger ni la santé ni la vie d'autrui.
    Sur ce sujet, je rappelle à la représentation nationale que Georges Sarre, qui ne siège plus sur ces bancs mais qui était un ardent militant de la lutte contre l'insécurité routière, avait réuni, avant l'élection présidentielle, des parlementaires venant de tous les horizons politiques. Nous avions alors essayé de trouver la juste mesure entre l'absence d'amnistie et une amnistie limitée qui n'incite pas nos concitoyens à un comportement incivique. Je représentais alors le groupe UDF et, avec son accord, j'avais proposé une amnistie très restrictive. Il m'avait semblé qu'un consensus s'était dégagé, mais je constate que les socialistes ont oublié ces débats.
    A force de restreindre le champ d'application de l'amnistie, nous nous trouvons dans une situation ambiguë. En effet, restera-t-il des délits et des fautes à amnistier la prochaine fois ? Faut-il encore une amnistie ? C'est une question légitime. Je répondrai : sans doute ! Faut-il que ce soit la dernière fois ? Peut-être, si le climat de la France est apaisé, si nos concitoyens ne s'opposent pas violemment les uns aux autres, et si nous n'avons pas à rechercher un apaisement.
    A quoi limiter l'amnistie ? Les infractions au code de la route doivent-elles être amnistiées de préférence aux peines légères de prison ? Qui est le plus coupable ? Le chauffard qui tue ou le jeune délinquant qui vole ? Nous nous trouvons devant une contradiction entre le droit et la morale, entre l'application de la loi d'amnistie et le champ de son application.
    Pour nous, pourtant, refuser l'amnistie, c'est refuser un peu la République, car ce n'est ni un pardon ni une grâce, c'est un acte de réconciliation qui s'inscrit tout naturellement dans une tradition humaniste de fraternité, d'ouverture et de tolérance. La France, me direz-vous, ne vient pas de connaître les douleurs de l'apartheid de l'Afrique du Sud. Elle n'a pas subi de guerre civile ni de guerre de religions. Nous aurions donc peut-être pu envisager de restreindre encore le champ de l'amnistie, mais, comme l'a très justement et pertinemment rappelé M. le président de la commission des lois, nous sommes de ceux qui tiennent leurs engagements. Or, pendant la campagne électorale, nous nous sommes engagés, derrière le Président de la République, à faire voter une loi d'amnistie restrictive ; et c'est dans le cadre de ces engagements que nous agissons.
    Notre pays vient d'être ébranlé par une élection que l'on peut qualifier d'atypique, ébranlé à la fois dans ses institutions et dans la confiance permanente du peuple en ses élus. Peut-être a-t-il besoin aujourd'hui d'un acte d'apaisement et de réconciliation. Peut-être que, sortant de divisions stériles et d'idéologies imposées, nous avons besoin d'ouverture. L'amnistie peut servir à refonder l'unité de notre pays, alors que les repères et l'intérêt national sont si souvent oubliés. On commence un mandat non pas en refusant le pardon aux fautes les plus légères, mais en construisant ensemble un avenir commun fondé sur le respect des lois et des règles.
    L'amnistie ne juge pas, elle ne pardonne pas ; elle oublie simplement le mal passé pour un bien à venir. Parce que cette amnistie est symbolique, aux deux sens du terme, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Jacques Floch.
    M. Jacques Floch. Je rappellerai d'abord à M. Leonetti que la loi de 1990 avait exclu les parlementaires de cette pseudo-amnistie. Je voudrais qu'on le sache et qu'on le répète, même si le vote de cette loi a été une erreur, pour ne pas dire une faute, de notre part.
    M. Pascal Clément, président de la commission. J'aime mieux ce ton-là !
    M. Jacques Floch. Je tenais à le dire à cette tribune.
    M. Michel Hunault, rapporteur. Très bien !
    M. Jacques Floch. Mais je dirai autre chose. Avant mai, fais ce qui te plaît ! Après mai, la tradition effacera tes erreurs, tes fautes, tes bourdes, tes incivilités. En mai, certains ont déclaré que, dorénavant, s'ils étaient élus, ce serait l'impunité zéro en matière de crimes et délits. Après mai, il y a l'oubli.
    Engagements, avez-vous dit. Cette prétendue tradition républicaine coûte très cher à l'Etat : 230 à 300 millions d'euros, selon diverses estimations. Cette prétendue tradition républicaine met à mal le travail accompli par les services de police et de gendarmerie, elle réduit à néant une partie de l'activité judiciaire. On sait aussi aujourd'hui mesurer les frais occasionnés : à peu près l'équivalent du non-recouvrement des amendes. Faites le calcul, vous verrez que c'est une somme extraordinaire qui va manquer dans les caisses de l'Etat !
    M. Jean Leonetti. En plus des trous que vous y avez laissés !
    M. Jacques Floch. Cette prétendue tradition républicaine conduit en fait à sanctionner les citoyens respectueux de la loi. Ceux qui ont payé leur amende, par exemple, ne seront pas remboursés. L'inégalité que, tous, nous avons dénoncée au cours des dernières campagnes électorales, se trouve non seulement renforcée, mais confortée par la loi.
    Tous, nous avons eu les mots qu'il fallait pour parler des victimes, des incivilités, des délits, des actes contraires à la loi qui nous conduisent, qui conduisent nos concitoyens à cultiver cette impression d'insécurité, d'absence de justice, d'accablement du plus faible, autant d'aspects de notre vie sociétale qu'il est facile de s'accaparer pour justifier ou permettre un vote extrême.
    En mai, les Françaises et les Français ont demandé, exigé, que la politique, c'est-à-dire la manière de conduire les affaires publiques, se fasse autrement. Tous, vous-même, monsieur le garde des sceaux, vous-même, monsieur le rapporteur, vous vous êtes engagés à leur donner satisfaction ou, pour être plus prudent, peut-être, à traduire dans les faits une telle aspiration. Vous en avez l'occasion, vous en avez la possibilité aujourd'hui, mes chers collègues, en mettant un terme à cette pseudo-tradition, et mon grand regret est de ne pas l'avoir fait en 1981 ou 1988. De temps en temps, vous le voyez, les socialistes sont responsables.
    M. Jean Leonetti. De temps en temps seulement, mon cher collègue !
    M. Jacques Floch. De temps en temps, nous mesurons le poids de notre histoire en évaluant ce que nous avons bien fait - c'est souvent la majorité des cas - et ce que nous avons mal fait : c'est souvent une minorité des cas.
    M. René Couanau. C'est ce qu'on appelle le droit d'inventaire !
    M. Jacques Floch. En effet, mon cher collègue, et il est bon de l'exercer de temps en temps, surtout lorsqu'on est dans la majorité. Et lorsqu'on est dans l'opposition, c'est l'occasion de dire un certain nombre de choses.
    M. Maurice Leroy. Fermé pour cause d'inventaire !
    M. Jacques Floch. Mon grand regret, je le répète, est de ne pas avoir expliqué en 1995 les raisons profondes qui m'ont fait voter contre la loi d'amnistie. A l'époque, vous vouliez satisfaire une certaine demande. Nous nous y sommes opposés au seul nom du droit, et particulièrement du droit des femmes. Mais nous aurions pu ajouter que c'était la dernière fois que nous souhaitions une loi d'amnistie. Peut-être aurions-nous ainsi suffisamment marqué l'opinion pour ne pas avoir aujourd'hui à discuter d'une pseudo-amnistie. En effet, comme vient de le dire notre collègue Leonetti, nous ne sommes pas dans une situation de guerre civile ou d'après-guerre civile ; nous sommes dans une situation d'après élections, et une aministie de réconciliation nationale ne se justifie pas.
    En 1995, Jacques Toubon, alors garde des sceaux, se posait les mêmes questions ; on attendait une réponse constructive. Il réaffirma l'idée de la tradition républicaine, confondant la gestion des sanctions et des peines avec l'oubli que la République et la nation assemblées surent accorder pour marquer la fin des grands troubles et des grands tourments. L'amnistie, c'est cela et seulement cela.
    Dans cette période de paix civile, avons-nous besoin d'un tel geste ? Chacun répondra non en conscience. Mais nous avons très certainement besoin d'autre chose : de la réconciliation des citoyens avec l'acte politique, de la reconnaissance de l'acte de justice par tous ceux qui, respectueusement, font encore confiance à la loi. Or, comme l'écrivait un éditorialiste du journal Le Point en 1995, « l'amnistie déroge trop aux règles ordinaires d'un Etat de droit pour que celui-ci gagne à ce qu'elle se banalise ».
    Monsieur le garde des sceaux, vous avez à votre disposition d'autres outils pour réguler au mieux l'application des peines. Le projet de loi que vous a laissé Marylise Lebranchu sur le sens de la peine vous permettrait de mieux connaître et de mieux utiliser l'enfermement pénal. Mettez ce texte en discussion au lieu de céder à la vindicte de certains, qui voient dans la prison le seul moyen dont l'Etat dispose face aux crimes et aux délits.
    La cuvée 2002 de la loi d'amnistie ne concerne que les condamnés à une courte peine. Ceux qui rêvent, dans l'administration pénitentiaire, d'un désengorgement estival vont être particulièrement déçus. Seule la grâce présidentielle du 14 juillet leur donnera peut-être satisfaction, cela a été dit et répété et il est inutile de s'étendre sur ce point.
    La loi d'amnistie que vous nous proposez, bien qu'elle se voit réduite comme une peau de chagrin, devrait nous permettre de faire un geste. Mais vers qui ? On ne sait. Voilà pourquoi ce n'est même pas la peine d'en discuter. Vous auriez pu retirer ce projet et dire que vous vous dispensez d'honorer la promesse du Président de la République. Vous auriez pu trouver les explications pour le faire. Et vous auriez été davantage encore approuvé par le peuple français.
    Pouvons-nous encore nous opposer à la démagogie ? Ce qu'on nous propose d'effacer ne menace certainement pas la vie de la nation, mais encourage l'incivisme et détériore l'art de bien vivre ensemble.
    Comme rien ne justifie sérieusement votre projet, les députés du groupe socialiste voteront contre.
    Tous les non-dits ou les supputations que suscite ce débat risquent de conduire à une grande démission, comme l'a longement expliqué notre collègue Montebourg. Je ne pense pas utile d'y revenir. En revanche, il faut dire et répéter que nos inconséquences, voire nos fautes, en matière de financement politique, étaient impardonnables. Surtout, ne jouons pas avec le feu.
    Un bel ensemble de mouvements de menton a accompagné la proposition d'une nouvelle législation sur les abus de biens sociaux. Jacques Barrot a déclaré de son côté qu'il ne fallait pas profiter de l'occasion - le vote de cette loi d'amnistie - pour s'en débarrasser « à la sauvette ». Cela signifie-t-il qu'on s'en débarrassera autrement ? Vous-même, monsieur le garde des sceaux, avez fait des déclarations ambiguës ; une explication s'impose donc.
    Mes chers collègues, cette loi n'est pas nécessaire. Elle est inutile, désastreuse, inconséquente et nous fait perdre notre temps. Dites haut et fort que vous ne la voterez pas, par cohérence avec vos propres déclarations. Et je vais faire mienne l'une d'entre elles, due à l'un des vôtres, mesdames, messieurs de la majorité : « Quand on aime son pays, il y a des événements qui ne peuvent pas vous laisser indifférent. La France traverse une triple crise. D'abord la crise de l'Etat, de cet Etat tracassin et par ailleurs impuissant. Ensuite, une crise de la démocratie, parce que les politiques sont vus comme des gens très haut, très loin, très distants de la vie quotidienne. Enfin, la France traverse une crise encore plus profonde, une crise de société, du sens collectif. On a beaucoup de mal à dépasser les problèmes personnels et les intérêts catégoriels pour reconstituer le sens de l'aventure collective. Pour remédier à cette crise, il faut beaucoup de cohérence. »
    Le président Jacques Barrot a eu grandement raison de rappeler cela fin juin dernier. En effet, il nous faut beaucoup de cohérence. Et aujourd'hui, la cohérence consisterait à rejeter ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.
    M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voici réunis pour débattre de ce projet de loi d'amnistie, premier projet de loi présenté par le Gouvernement, qui vise d'abord à respecter un engagement pris par le nouveau Président de la République pendant sa campagne électorale.
    J'ai entendu tout à l'heure le président de la commission des lois indiquer que le groupe UDF était tenu par cet engagement du nouveau Président de la République. Je lui rappelle que François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle, n'a pas souhaité s'engager sur cette voie. Au contraire, il a répondu à toutes les associations de victimes, qu'elles soient victimes de fautes pénales ou de la route, qu'il ne le souhaitait pas. C'est ce qui explique que celui qui fut son directeur de campagne avant de devenir ministre du Gouvernement, Gilles de Robien, se soit exprimé, à titre personnel, en cohérence avec les positions prises pendant la campagne électorale, contre une loi d'amnistie. Cela correspond à la vision qu'a l'UDF de la société.
    M. Maurice Leroy. Très bien !
    M. Jean-Christophe Lagarde. J'ai été, lors de cette première journée de débat, très surpris par l'intervention de M. Montebourg. Je suis un nouveau député mais j'ai pris connaissance, à travers la presse, des interventions de notre collègue. Celles-ci me semblaient marquées par la droiture, la rectitude, et constituer une sorte d'exemple républicain que nous serions conduits ou invités à suivre. En l'écoutant aujourd'hui, j'ai été frappé par son brio, son talent, sa verve, mais aussi par l'excès de son propos, par certains oublis et par sa façon de nous présenter sa position, qui ne faisaient que desservir le but visé. Si ce but était de faire rejeter le texte, encore fallait-il ne pas provoquer l'Assemblée et ne pas oublier certains éléments essentiels.
    Au-delà de son intervention rituelle sur les affaires, il a voulu nous faire un long rappel historique, peut-être un peu trop long. Moi qui ai une formation d'historien, j'ai été marqué par deux oublis qu'il a commis, mais pas le peuple français.
    D'abord, la pire des lois d'amnistie qui ait été votée dans cet hémicycle fut celle de 1981. Elle était tellement large qu'elle a abouti à faire relâcher des criminels ou des gens qui le sont devenus par la suite et qu'il a été bien difficile, après plusieurs années, de remettre en prison. Qu'ils y restent aujourd'hui.
    M. François Sauvadet. Très bien !
    M. Jean-Christophe Lagarde. Ensuite et surtout, toute sa diatribe qui vise à soupçonner la majorité et le Gouvernement, à jeter le doute, ce qui n'est pas digne du débat républicain,...
    M. Michel Hunault, rapporteur. Très bien !
    M. Jean-Christophe Lagarde. ...sur la future ou la supposée tentative de réforme de l'ABS, contre laquelle le ministre s'est exprimé à nouveau cette semaine, fait fi de la seule loi d'amnistie dont le peuple français se souvient encore : celle qui fut votée en 1990 au profit des hommes politiques, dans le cadre des affaires financières qui frappaient le parti socialiste. Or c'est bien celle-là que personne, j'en suis sûr, sur aucun de ces bancs, ne veut voir revenir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Maintenant, je souhaiterais que nous nous interrogions sur le sens d'une loi d'amnistie. Bien sûr, c'est un droit constitutionnel, mais je vois quatre objets possibles à une loi d'amnistie.
    Le premier, c'est la réconciliation nationale lors de grands événements, de drames ou d'accidents de l'histoire. Il est alors nécessaire que le Parlement efface certaines actions pour permettre aux Français de repartir du bon pied. Ce n'est, à l'évidence, pas le cas aujourd'hui dans notre pays. Fort heureusement, nous avons été épargnés par les drames.
    Le deuxième objet, c'est l'élan national qu'on a voulu donner - cette tradition, après tout, n'est pas si lointaine - au moment où l'on a décidé d'élire le Président de la République au suffrage universel. C'était une façon de sacraliser la fonction présidentielle. A cette époque, où les médias étaient moins importants qu'aujourd'hui, c'était un moyen de rapprocher l'élection personnelle du Président de la République de chacun des Français, qui se voyaient éventuellement pardonner certaines fautes. D'ailleurs, là encore, le discours contradictoire de notre collègue Montebourg m'a beaucoup étonné. En effet, alors qu'il était parlementaire sous la mandature précédente, il n'a jamais pris l'initiative d'une proposition de loi tendant, par exemple, à supprimer le droit de grâce. Quoi qu'il en soit, la sacralisation de l'élection présidentielle n'est plus de mise aujourd'hui. Le Président Chirac l'a lui-même prouvé dès 1995 en souhaitant une présidence modeste pour rompre avec les années Mitterrand, marquées d'un faste qu'il avait si longtemps dénoncé.
    Mais une loi d'amnistie peut avoir deux autres objets, moins avoués.
    Le premier, c'est de vider les fichiers informatiques des centaines de milliers de procès-verbaux qui ne sont jamais payés, du fait d'une carence administrative que chacun d'entre nous connaît. Prendre acte de cette impuissance administrative n'est ni équitable ni approprié. Il faudra, sous cette mandature, veiller à faire en sorte que les procès-verbaux infligés à nos concitoyens ne puissent plus sauter sur intervention ou tout simplement parce que le fichier informatique les a oubliés et que les poursuites n'ont pas été engagées. On sait bien que certains de nos concitoyens sont devenus de véritables professionnels en la matière.
    Dernier objet moins avoué : vider les prisons pour alléger la surpopulation pénitentiaire. Vous héritez, monsieur le garde des sceaux, d'une situation difficile. Nous savons que le Premier ministre, vous-même, ainsi que Pierre Bédier, qu'il a nommé auprès de vous, en avez pris la mesure pour mener une politique de construction de places permettant d'accueillir les détenus dans des conditions humainement plus acceptables et de mener un véritable travail de réinsertion, ce qui n'est pas actuellement le cas en raison de la surpopulation pénitentiaire. Néanmoins, vider les prisons ne nous paraît pas de bonne politique. Le trop-plein dans les prisons ne doit pas justifier un trop-plein d'insécurité dans certains de nos quartiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    Par ailleurs, monsieur le garde des sceaux, nous avons bien noté que cette amnistie était bien plus restrictive que les précédentes. Nous avons aussi entendu, au cours des deux dernières années, et plus encore au cours de ces dernières semaines, que de très nombreuses voix s'étaient élevées sur tous les bancs de notre assemblée pour contester le principe même de l'amnistie, emboîtant le pas aux associations qui se battent au quotidien contre l'attitude de certains de nos concitoyens, cause d'insécurité dans les rues des cités.
    Si la portée du projet est réduite, elle n'en demeure pas moins importante et n'est pas sans conséquence : 200 000 délits peuvent être visés par le texte qui nous est présenté.
    Trois points me paraissent particulièrement contestables.
    Premièrement, l'amnistie des procès-verbaux dits non dangereux. On sait que des centaines de milliers d'automobilistes ont changé de comportement à l'approche de la loi d'amnistie, et donc à l'approche de l'élection présidentielle. J'ai d'ailleurs été frappé par le retournement des médias, qui y évoquaient ce phénomène avant l'élection présidentielle et semblent maintenant considérer que, finalement, ce n'est pas si grave. Nombre d'élus des collectivités locales ont pu constater que, depuis plus d'un an, les stationnements payants ne sont plus respectés.
    M. Charles de Courson. 50 % de chute pour les parcmètres !
    M. Jean-Christophe Lagarde. Par voie de conséquence, faute de place, les stationnements sur les trottoirs, dans les virages, et sur les passages piétons se sont multipliés. Ils ne seront pas considérés comme des stationnements dangereux. Or des accidents se produisent tous les jours du fait de ce type de stationnement. Ce week-end, monsieur le ministre, dans ma commune, une jeune fille est décédée, à cause d'un chauffard qui roulait trop vite, mais également à cause de quelqu'un qui stationnant sur un trottoir a amené une petite fille de cinq ans à se trouver au milieu de la route, là où elle n'aurait jamais dû être. C'est dire qu'il est difficile de distinguer entre les stationnements dangereux et non dangereux.
    En second lieu, les collectivités locales touchent une partie du montant des procès-verbaux pour faire des travaux améliorant la sécurité routière, l'amnistie va les priver de cette recette. Cela nous paraît aller à l'encontre de ce que recherche par ailleurs le Gouvernement.
    Et puis, que faire des honnêtes citoyens qui ont acquitté consciencieusement leurs procès-verbaux au cours des dix-huit derniers mois ? Ceux-ci vont avoir l'impression d'être...
    M. Charles de Courson. Cocus !
    M. Jean-Christophe Lagarde. ... les véritables cocus, en effet, de cette loi !
    Face à ceux qui temporisent douze à dix-huit mois, qui savent multiplier les procédures et envoyer le courrier qu'il faut à l'huissier pour ne pas payer, ceux qui ont accepté de régler leurs dettes parce qu'ils avaient commis une petite faute seront les trompés de l'affaire.
    M. François Rochebloine. Le terme est plus correct !
    M. Jean-Christophe Lagarde. Certes, monsieur Rochebloine.
    M. le président. Notre collègue est facilement choquable ! (Sourires.)
    M. Jean-Christophe Lagarde. C'est, sans doute, parce que, dans sa région, on parle mieux que dans la mienne.
    Amnistier les procès-verbaux introduit une inégalité entre les Français, mais surtout favorise les mauvaises habitudes. Et on sait, lorsqu'on rencontre les associations qui se battent pour la prévention routière, combien les mauvaises habitudes sont rapides à venir et combien les bonnes sont difficiles à faire prendre aux automobilistes.
    Donc, ces procès-verbaux ne devraient pas être amnistiés, chacun assumant sa faute et sa responsabilité, sans que ce soit pour autant dramatique.
    J'en viens, troisièmement, à l'amnistie des peines de prison de moins de trois mois. Certes, vous avez, de ce point de vue, considérablement réduit le champ de l'amnistie, mais nous considérons que cette décision est détestable et va à l'opposé des aspirations des Français qui viennent de nous élire.
    On pourrait penser qu'il s'agit d'un pardon exceptionnel s'appliquant à des délinquants occasionnels, coupables d'un délit léger. Dans les faits, monsieur le garde des sceaux, il n'en est rien, l'élu de la Seine-Saint-Denis que je suis tient à vous le dire. Dans mon département, pour qu'un majeur écope d'une peine de trois mois au moins de prison ferme, il faut qu'il soit passé deux ou trois fois devant un juge et qu'il ait déjà été condamné. S'il s'agit d'un mineur âgé de seize à dix-huit ans, c'est pire : il faut qu'il ait fait l'objet de six ou sept comparutions ! Et je ne parle pas de tous les délits qui sont classés sans suite. Bref, les délinquants qui vont être relâchés en plein été seront de petits délinquants, certes, mais des multirécidivistes, ceux-là mêmes qui pourrissent la vie de nos quartiers difficiles.
    Comment expliquer à ceux qui ont subi pendant des mois méfaits, menaces et violences, et qui espéraient un peu de tranquillité, que les délinquants qui ont été enfin sanctionnés, retirés pour quelques semaines de la circulation, vont être purement et simplement relâchés ? (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    Dans la cité Gagarine de ma ville, trois délinquants viennent d'être arrêtés. Les dégâts occasionnés dans cette cité sont estimés à 1,2 million de francs, les associations sont en train de perdre pied et refusent pratiquement de maintenir leurs activités de socialisation. Comment pourrons-nous expliquer à ceux qui ont porté plainte, ont pris le risque de témoigner et, pour certains, ont été victimes de représailles, qu'ils se retrouveront face à ces délinquants dans le courant du mois de juillet ou du mois d'août ? Pardon, mais je ne sais pas le faire, ni en tant que maire ni en tant que député ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    Troisième problème, sur lequel je passerai plus rapidement : l'amnistie à raison du quantum, c'est-à-dire de la hauteur de la peine.
    Le principe même me paraît contestable. Les peines prononcées, nous le savons bien, ne sont pas tout à fait égales selon le tribunal saisi et la région où le délit a été commis, et la nature de la faute n'est pas vraiment prise en compte : elle ne l'est que par défaut.
    Si, là encore, nous amnistions, au-delà des PV, des peines de prison à raison du quantum défini dans le projet de loi, nous allons une fois de plus donner l'impression, et peut-être même faire la démonstration, que, dans notre pays, ceux qui trichent finissent par s'en sortir mieux que ceux qui respectent les règles de vie en commun.
    Or, et ce sera ma conclusion, le groupe UDF défend une société de responsabilité, c'est-à-dire une société où chacun assume ses fautes. L'amnistie va à l'encontre de ce principe de responsabilité. Alors, monsieur le garde des sceaux, même s'il a noté le caractère plus restrictif de votre projet par rapport aux lois précédentes, le groupe UDF, dans sa grande majorité, votera contre cette loi d'amnistie, qui relève d'une époque révolue et choque un nombre grandissant de nos concitoyens.
    Mais, je tiens à le dire avant de terminer, contrairement au procès d'intention intenté par le parti socialiste et M. Montebourg, nous prenons acte avec satisfaction de votre mise au point de ces derniers jours confirmant le refus que, dans cette loi ou dans une autre, le Parlement adopte une amnistie des délits économico-politico-financiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) Ce refus est aussi le nôtre, et vous pourrez, monsieur le garde des sceaux, vous appuyer pendant toute cette législature sur notre vigilance absolue en la matière. (Applaudissements sur les mêmes bancs).
    M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes
    M. Jacques Brunhes. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le principe d'un projet de loi portant amnistie soulève de très vives critiques émanant des divers courants politiques. Nous venons de les entendre, elles ne sont pas nouvelles. Déjà, en 1995, lors du vote de la précédente loi d'amnistie, de très nombreuses voix s'étaient élevées pour protester contre certains de ses effets nocifs. Plus fondamentalement, il s'agissait de dénoncer les dérives d'une institution dont l'objet normal est l'apaisement d'un climat passionnel suscité par un événement historique majeur.
    Il est vrai que, depuis le xixe siècle, les amnisties sortent du strict cadre politique pour s'étendre aux infractions les plus diverses, et que leur nombre se multiplie. Vingt-cinq lois d'amnistie ont été votées depuis 1947. Depuis 1959, chaque élection présidentielle est suivie d'une loi générale d'amnistie. Si cette tradition se poursuit, leur fréquence va s'accroître avec le quinquennat.
    Les conséquences de ce développement posent sans aucun doute des problèmes dans certains domaines. Ainsi, la certitude d'une amnistie concernant les atteintes au code de la route induit des comportements irresponsables de la part de certains automobilistes qui se laissent aller à enfreindre des règles de prudence élémentaires. Selon certains observateurs, « l'anarchie règne un peu plus dans la circulation automobile pendant les mois qui précèdent l'élection présidentielle ». Le Conseil national de la sécurité routière estime pour sa part à plus de 100 le nombre de victimes d'accidents de la circulation routière imputable à l'annonce d'une prochaine amnistie, et il a affirmé son opposition à celle-ci.
    Il est vrai, monsieur le ministre, que le champ de votre projet est restrictif dans ce domaine. Mais personne, et surtout pas les élus, ne peut légitimement tolérer l'esprit incivique et les désordres de circulation que l'imminence d'une amnistie engendre. On peut aussi s'interroger sur la légitimité et l'équité d'une telle prime offerte aux contrevenants.
    Un autre champ traditionnel de l'amnistie, celui de la délinquance de droit commun, invite également à s'interroger. L'amnistie en raison du quantum ou de la nature de la peine sert à pallier les insuffisances de la politique pénitentiaire. Elle constitue souvent un moyen d'alléger le surpeuplement critique des prisons. C'était le cas en 1981 et en 1988. En 1995, alors qu'il y avait 57 700 détenus pour 46 000 places, cette disposition, appliquée aux peines de détention jusqu'à trois mois ferme et neuf mois avec sursis, avait permis de libérer 1 500 détenus.
    Fondamentalement, l'amnistie ne devrait plus constituer un moyen de gestion de la population pénale. C'est à l'exécutif, par le biais de la politique pénale, de prendre sa responsabilité en la matière. Et cela d'autant plus que votre gouvernement, monsieur le garde des sceaux, a fait du tout sécuritaire et de l'impunité zéro son cheval de bataille pendant la campagne électorale et par la suite.
    D'une manière générale, l'utilité des lois d'amnistie pourrait s'amenuiser si de meilleurs choix politiques, économiques et sociaux s'attaquaient à la crise profonde de notre société, apportaient des réponses de fond à la question de l'emploi et du chômage, à la marginalisation et à l'exclusion d'une partie grandissante de la population, à la fracture sociale, à l'angoisse légitime devant un monde globalisé, qui brouille repères et identités.
    En 1995, pour s'opposer à un amendement du groupe communiste demandant l'amnistie des délits commis en relation avec les procédures d'expulsion ou de saisie, M. Toubon, alors garde des sceaux, affirmait que « les problèmes de fond sous-jacents à l'amendement [seraient] mieux résolus par [un] programme de logements d'urgence ». Tout le monde en conviendra. Encore faudrait-il que ce programme existe et, pour notre part, nous ne l'avons pas vu. Encore faudrait-il qu'il réponde réellement aux besoins et que le droit fondamental à un toit soit effectivement garanti aux plus démunis, ce qui est évidemment loin d'être le cas et nous obligera à déposer de nouveau un amendement.
    Le même argument vaut pour le droit au travail. Il est de fait que nombre de délits et d'infractions visés par les textes d'amnistie sont consécutifs à l'exclusion et aux conditions de vie difficiles de millions de Français, même si la compréhension du phénomène n'implique pas sa justification.
    S'il y a aujourd'hui une certitude, c'est bien l'aggravation des inégalités sociales dans notre pays. Or les premières mesures que vous avez annoncées - ce cadeau fait aux nantis avec la réduction de 5 % des impôts directs parallèlement à la décision de ne pas augmenter le SMIC ou l'APL, ainsi que les orientations prévues pour les services publics, les 35 heures et les retraites - ne sont pas de nature à redresser la situation ni à abaisser les tensions, et surtout pas à réduire le fossé entre nos concitoyens.
    Dans ces conditions, l'amnistie des infractions liées aux conflits et luttes de toutes les catégories sociales, pour la défense de leur outil de travail, l'amélioration de leurs conditions et de leur cadre de vie, la sauvegarde du service public, la démocratisation et la transparence des choix de gestion, la maîtrise et l'humanisation des processus de mondialisation, la lutte pour la logique anti-productiviste dans le domaine agricole et pour le développement durable, cette amnistie-là nous semble être un élément indispensable à l'apaisement des tensions collectives, politiques et sociales et, de ce fait, relever de l'objectif premier de cette institution.
    Or, monsieur le garde des sceaux, votre texte est justement le plus faible sur ce chapitre, le plus en inadéquation avec les exigences du contexte socio-économique du pays, le plus en recul par rapport aux avancées des lois d'amnistie de 1981 et de 1988. Faut-il s'en étonner de la part d'un gouvernement qui fait siennes les exigences du MEDEF ? Je laisse à l'Assemblée le soin d'en décider.
    Certes, l'article 3 propose une amnistie pour les infractions commises à l'occasion de conflits du travail ou d'activités syndicales et revendicatives de salariés et d'agents publics, ainsi que pour les délits commis en relation avec des conflits de caractère industriel, agricole, rural, artisanal ou commercial. Mais sa portée est amoindrie par les effets limités de l'amnistie et par certaines dispositions de l'article 13, qui énumère les exclusions. Cela veut dire que l'amnistie des infractions commises à l'occasion d'activités syndicales ou revendicatives n'a pas de portée réelle.
    Ainsi, depuis la loi de 1995, l'amnistie des infractions couvertes par l'article 3 (1°), et des sanctions disciplinaires ou professionnelles ne donne plus droit à réintégration, à la différence de ce que prévoyaient les lois votées en 1981 et 1988. Quelle est, dès lors, l'utilité pour un élu du personnel, un représentant syndical ou un salarié de voir effacer les faits retenus comme motif de sanction par un employeur et retirer les mentions de son dossier, si l'on ne revient pas sur le licenciement ou la rétrogradation ?
    Pour le groupe des députés communistes et républicains, le bien-fondé de ce projet de loi se jugera à l'aune de son apport au monde du travail. Nous avons déposé des amendements pour permettre des avancées sociales. Nous n'avons pas, hélas ! d'espoir que vous nous entendiez.
    Avant de terminer, je voudrais dénoncer le scandale que constitue la chronique d'une amnistie annoncée, celle des délits politico-financiers.
    Plus il y a de dénégations et plus elles sont véhémentes, plus nous sommes inquiets, monsieur le garde des sceaux. Ces infractions sont bien exclues du champ de votre projet et vous n'avez cessé d'affirmer l'intention du Gouvernement de s'opposer à tout amendement tendant à les y inclure. Mais vous savez que, depuis des jours, la presse dévoile ce que les juristes proches de l'Elysée, de Matignon, peut-être de votre ministère, envisagent pour modifier la législation les concernant.
    Je peux même indiquer quelles sont les pistes dégagées. Il s'agit ou bien de fixer un délai de prescription de l'abus de biens sociaux, soit en s'appuyant sur un arrêt de la Cour de cassation rendu en 2001, soit en s'inspirant de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme ayant trait au « droit à un procès équitable » et qui comporte la notion de « délai raisonnable », ou bien encore de limiter le délit de prise illégale d'intérêts.
    L'arrêt de juin 2001 a révisé les contours de l'ABS, en estimant que, si des faits incriminés apparaissent dans la comptabilité d'une société et ne sont pas réellement dissimulés, il ne s'agit pas d'un ABS ; le délai de prescription applicable est alors de trois ans, c'est-à-dire le même que pour le délit de corruption. En s'appuyant sur cette jurisprudence, il pourrait être envisagé d'imposer un délai de prescription de trois ou cinq ans pour les ABS, qu'ils figurent ou non dans la comptabilité d'une entreprise.
    Pour faire passer cette réforme, pour dorer la pilule, vous offririez d'allonger les délais de prescription pour le délit de corruption. Or il est difficile à prouver, sauf flagrant délit, cas rarissime, car il implique la démonstration d'un « pacte » de corruption précisant ses modalités et des contreparties ; ce pacte, par définition, reste occulte. La pilule serait donc dorée, mais uniquement pour les bénéficiaires de la réforme de l'ABS.
    Vous pourriez aussi vous inspirer de la notion de « délai raisonnable », afin d'aboutir au même résultat. Cette piste est plus difficile à manier politiquement car elle s'appliquerait aussi aux grandes affaires de trafic de stupéfiants.
    Enfin, vous envisageriez de limiter le délit de prise illégale d'intérêts à « un bénéfice réel et personnel ».
    Le rapporteur de ce projet de loi, Michel Hunault, député de la majorité présidentielle, vient de donner toute crédibilité à ces scénarios en déclarant sur France Inter que cette question pourrait être traitée dans le cadre du projet de loi sur la justice examiné au Sénat à partir du 23 juillet et à l'Assemblée le 1er août, c'est-à-dire au moment où les vacances estivales détourneront l'attention de nos concitoyens des événements politiques et où il pourra se passer tout ce que nous imaginons en commission mixte paritaire, alors que le Sénat et l'Assemblée nationale ont la même majorité.
    Nous n'inventons rien. Toutes ces pistes sont à l'étude, chacun le sait. Comment faire passer autrement qu'en catimini une mesure aussi scandaleuse du point de vue éthique et politique ?
    M. Michel Hunault, rapporteur. Les communistes sont meilleurs quand ils parlent du droit de grâce !
    M. Jacques Brunhes. Elle concernerait la plus grande partie des dossiers pénaux qui incriminent les plus hautes personnalités de l'UMP, à commencer par son initiateur, le Président de la République lui-même : l'affaire des emplois fictifs du RPR, les affaires des HLM de Paris, l'affaire Elf, et d'autres.
    Au nom du groupe communiste, je veux rappeler notre opposition constante, déterminée, aux tentatives de « blanchiment » des affaires politico-financières et d'auto-amnistie. C'est ainsi que nous avons voté contre l'amendement amnistiant « les délits commis avant le 15 juin 1989 en relation avec le financement des partis ou des campagnes électorales », présenté en 1990, et que nous récusons l'idée de passer l'éponge sur les financements occultes des partis avant 1995, idée propagée par la droite depuis l'affaire Méry.
    Ce serait un acte inadmissible, éthiquement inacceptable. Au moment où le discours gouvernemental souligne la nécessité de l'autorité de l'Etat et du civisme, il ne saurait y avoir d'« impunité totale » pour le monde politique, sous peine de consacrer le schisme de notre société et de renforcer le courant extrémiste anti-républicain qui a ébranlé la France le 21 avril dernier.
    Or toutes les périodes de l'histoire récente où la droite a dirigé le pays ont été marquées par le reniement des engagements et des promesses. C'est dire que vos dénégations, pour véhémentes qu'elles soient, ne nous rassurent pas.
    M. Jean Ueberschlag. Vous regrettez Jean-Baptiste Doumeng ?
    M. Jacques Brunhes. Je vous confirme, monsieur le ministre, la détermination de notre groupe à empêcher toute manoeuvre contre la démocratie et contre la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    (M. François Baroin remplace M. Jean-Louis Debré au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE FRANÇOIS BAROIN,
vice-président

    M. le président. La parole est à M. Xavier de Roux.
    M. Xavier de Roux. Monsieur le garde des sceaux, mers chers collègues, nous assistons à un débat qui me semble complètement surréaliste. Est-ce l'air du temps, la mode ou simplement l'angle d'attaque choisi par le groupe socialiste qui suscite cette sorte de hourvari contre la loi d'amnistie qui suit traditionnellement l'élection du Président de la République ?
    M. Jacques Floch. Les innocents ! Les angelots !
    M. Xavier de Roux. Toujours est-il que, depuis le début de l'après-midi, on entend des propos totalement exagérés et qui n'ont vraiment aucune relation avec le texte de loi qui nous est présenté.
    M. René Dosière. Sans blague ?
    M. Xavier de Roux. Certains, comme M. Brunhes à l'instant, émettent des sous-entendus totalement infondés.
    M. Jacques Brunhes. Non !
    M. Xavier de Roux. D'autres s'affirment des jusqu'au-boutistes qui voudraient exclure du champ de l'amnistie jusqu'aux contraventions payées en timbres amendes.
    M. Jacques Floch. Dans vos rangs !
    M. Jean Ueberschlag. Mais sauf pour Gremetz !
    M. Xavier de Roux. Jacques Floch a parlé du droit d'inventaire. Je suis également tout à fait pour, mais peut-être pensait-il à ce propos à l'amnistie de 1981, qui fut, comme il disait, une grande amnistie,...
    M. Jacques Floch. Je n'ai jamais dit cela !
    M. Xavier de Roux. ... une amnistie de réconciliation nationale.
    M. Bernard Roman. Il n'a jamais dit cela !
    M. Xavier de Roux. Vous vous souvenez qu'à cette occasion on avait élargi à la fois les terroristes du FLNC et ceux d'Action directe.
    Et quand Jacques Floch parlait du droit d'inventaire, peut-être pensait-il à l'assassinat de Georges Besse par Rouillan et Ménigon, que cette grande amnistie de réconciliation nationale avait fait sortir de prison.
    Aujourd'hui, il faut raison garder et constater que le Gouvernement nous propose de réduire très sensiblement le champ d'application de l'amnistie par rapport aux lois antérieures.
    M. Philippe Vuilque. Pas suffisamment !
    M. Xavier de Roux. Il est en effet normal, il faut le répéter, que le législateur conserve le pouvoir de pardonner. Simplement, il n'est jamais tenu par les termes des précédentes lois. Personne, aucun délinquant, aucun contrevenant n'a un droit acquis au pardon.
    Oui, il est normal que le législateur conserve le droit de pardonner. Cette querelle que certains souhaitent engager, jusque sur les bancs de l'UDF d'ailleurs, doit cesser. Sans refaire l'historique de l'amnistie, je rappellerai simplement que cela a commencé avec les Athéniens, qui voulaient justement oublier les querelles nées de l'expulsion des Trente, et que le mot « amnistie » vient du grec amnêstos, qui signifie oubli. Depuis, tous les droits, du droit romain jusqu'à notre ancien droit, ont prévu un droit d'amnistie qui longtemps, d'ailleurs, a été confondu avec le droit de grâce. Dans une décision de 1839 - cela ne date donc pas d'hier -, la Cour de cassation avait ainsi considéré que le droit d'amnistie était contenu dans le droit de grâce. Nous avons progressé depuis lors puisque, aujourd'hui, la grâce s'attache à la personne, tandis que l'amnistie éteint les délits. C'est la Constitution de 1875 qui a clairement consacré la séparation des pouvoirs législatif et exécutif en matière de pardon : le Président de la République a un droit personnel, le droit de grâce, le législatif a le droit d'amnistie. N'oublions pas, en outre, que l'autorité judiciaire peut elle aussi pardonner, puisqu'elle dispose du pouvoir de réhabilitation, qui a juridiquement exactement les mêmes effets.
    Dans ces conditions, la représentation nationale devrait-elle aujourd'hui abandonner ce droit, alors qu'il n'est question de supprimer ni la réhabilitation judiciaire ni le droit de grâce présidentielle ? Mes chers collègues, l'article 34 de la Constitution de 1958 nous confère sans aucun doute la faculté de légiférer et les effets de la loi d'amnistie sont reconnus par les articles 133-9 à 133-11 du code pénal. Il s'agit simplement d'un temps de respiration, d'un temps d'apaisement dans une société à laquelle on reproche d'être trop souvent hyperréglementée, avec une pénalisation de quasiment toutes les dispositions législatives. C'est ce qu'un professeur de droit appelle les « délits sentinelles ».
    Oui, cette loi d'amnistie est nécessaire. Elle ne crée aucun droit acquis, et si l'attitude d'un certain nombre de nos concitoyens anticipant une telle procédure est inadmissible, on ne va tout de même pas juger le droit d'amnistie à l'aune du comportement des automobilistes. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 11 janvier 1990, a d'ailleurs déclaré solennellement que l'anticipation des mesures d'amnistie va à l'encontre de l'apaisement politique et social.
    C'est précisément pour ne pas créer de droits acquis que ce texte ne prévoit pas d'amnistie pour les délits en matière de sécurité routière. De même, il n'est pas choquant de soustraire du bénéfice de la loi un certain nombre de délits qui, à l'évidence, heurtent la conscience publique. En revanche, exclure du champ de l'amnistie les contraventions relève vraiment de l'imbécillité. Nos greffiers et nos policiers, ont mieux à faire que de compter les timbres-amendes, d'autant que ce travail de bénédictin les occuperait fort longuement. Le 9° de l'article 13 me semble donc totalement fondé.
    Pour le reste, ce texte ne comporte que des mesures d'amnistie classiques, traditionnelles. Je ne comprends pas pourquoi les spécialistes des procès d'intention, des procès en sorcellerie, les saints inquisiteurs, ont évoqué le problème de l'ABS, qui est une des fantasmagories du droit français. De façon absolument inouïe, en effet, ce délit, qui figure dans le code de commerce - pas même dans le code pénal -, est devenu imprescriptible à la suite d'une interprétation exagérée de la Cour de cassation. Cela a donné lieu à une curiosité jurisprudentielle.
    A partir de là, parce que les juges préfèrent l'incrimination d'abus de biens sociaux à celle de corruption, d'utilisation moins facile, et parce qu'on a fondé, parfois tout à fait artificiellement, un certain nombre de poursuites sur cette disposition, il est devenu absolument impossible d'y toucher. Ce que le législateur ne veut pas faire, la Cour de cassation, qui n'est quand même pas folle, est en train de le faire à son pas.
    Vous avez cité un de ses arrêts, monsieur Brunhes, mais la Cour de cassation fait simplement du droit. Or il n'existe aucun délit dans notre droit, fût-ce ce fameux ABS, dont encore une fois on a fait une fantasmagorie pénale, qui ne puisse être prescrit. Le problème est de savoir à partir de quand court le délai de prescription.
    M. Jacques Brunhes. Tout le problème est là !
    M. Xavier de Roux. Eh bien, la Cour de cassation l'a dit : dès lors que l'on peut retrouver l'acte constituant l'ABS dans les comptes de la société tels qu'ils ont été approuvés par son assemblée annuelle, le délai de prescription commence à courir. Cette précision de bon sens doit-elle donner lieu à une révolution ? Permet-elle d'accuser le Gouvernement de vouloir faire je ne sais quoi pour je ne sais quelle raison ? Il faudrait en terminer une fois pour toutes avec cet extravagant procès d'intention. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Et il est inouï que ce soit vous qui le meniez, messieurs les députés du groupe socialiste. N'avez-vous pas été impliqués dans un certain nombre d'affaires ?
    M. Jacques Floch. Vous nous les avez bien fait payer !
    M. Xavier de Roux. Alors, arrêtez ces procès d'intention. Aucune disposition relative à l'ABS ne figure dans le présent texte ; et, à ma connaissance, aucun amendement n'a été déposé sur ce point.
    M. René Dosière. Si, un amendement de l'opposition qui exclut expressément l'abus de biens sociaux du champ de l'amnistie !
    M. Xavier de Roux. Monsieur le garde des sceaux, personnellement, je suis un partisan du pardon. Vous nous avez proposé une petite amnistie, pour un temps où l'opinion exige la sévérité et la sanction, et où elle ne pardonne pas.
    M. René Dosière. Qui a réclamé l'impunité zéro ?
    M. Xavier de Roux. La sagesse commande évidemment de vous suivre. Cela étant, ce n'est pas parce que l'on amnistie peu que l'on doit perdre le droit de pardonner plus tard. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Bernard Roman.
    M. Bernard Roman. Monsieur le garde des sceaux, c'est à vous que je vais consacrer les quelques minutes qui m'ont été accordées dans la discussion générale car, d'ici à la fin de cette session extraordinaire, nous allons passer ensemble un certain nombre de jours et de nuits. Aujourd'hui, votre pouvoir est immense, sans limite presque. Le peuple l'a voulu, la démocratie est ainsi. La droite règne en maître, à l'Elysée, au Gouvernement, au Parlement. Il lui revient désormais de nommer l'intégralité des membres renouvelables du Conseil constitutionnel et, face à ce pouvoir, il ne nous reste, à nous députés de l'opposition, que la parole. Vous me permettrez d'en user cet après-midi pour vous dire combien est grande votre responsabilité.
    Monsieur le ministre, vous avez en charge, avec le ministère de la justice, l'un des trésors de notre République. Par vos propositions, vos projets, au-delà même de cette loi d'amnistie, vous allez pouvoir façonner à votre guise les contours de l'institution judiciaire, de cette justice qui reste, comme le disait le Premier ministre à cette tribune il y a quelque jours, l'une des fonctions essentielles de l'Etat. Vous me permettrez de vous faire part, après vous avoir entendu à cette tribune, après vous avoir écouté dans les médias, lu dans la presse, sans vous avoir encore entendu devant la commission des lois, de l'immense inquiétude qui est la mienne.
    La justice est affaire de principes et une bonne justice est celle qui trouve l'équilibre entre ces différents principes quelquefois contradictoires.
    J'ai le sentiment aujourd'hui que votre intention de bouleverser les règles de notre institution judiciaire risque non seulement de mettre à mal cet équilibre mais aussi, et c'est sans doute cela le plus grave, de tourner le dos à des principes républicains essentiels.
    Est-ce l'air du temps ou la nouvelle configuration politique qui vous donne tant de marges de manoeuvre, tant de pouvoirs, tant de possibilités de passer en force, qui vous conduit à revenir aujourd'hui dans vos déclarations sur un certain nombre de principes auxquels vous vous disiez, vous ou les vôtres, si attachés dans un passé récent ?
    Finie la commission Truche mise en place en 1996 par le Président de la République Jacques Chirac ; enterrées les propositions pourtant validées en 1997 par le Président lui-même sur l'indépendance du parquet, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, la fin des instructions individuelles du garde des sceaux aux procureurs.
    Finis les discours lénifiants sur les grandes libertés lors du débat sur la loi relative à la présomption d'innocence qui a conduit le groupe politique auquel vous apparteniez à soutenir, voire à proposer des surenchères pour la défense de ce principe essentiel, en regrettant simplement que les moyens manquent pour une mise en oeuvre suffisamment rapide.
    Vous redécouvrez aujourd'hui les vertus d'une justice sous contrôle, des parquets sous tutelle, ce qui, au moment même où nous nous préparons à examiner votre projet de loi d'amnistie, ne peut que nous inquiéter.
    Mon deuxième sujet d'inquiétude porte sur vos choix idéologiques. Je n'oublie pas, de ce point de vue, ce qui s'est passé sous la précédente législature à propos d'un certain nombre de textes qui visaient à garantir une meilleure égalité des droits dans notre pays.
    Les députés du groupe Démocratie libérale, les plus proches amis du Premier ministre actuel, ont refusé de voter la loi relative à la lutte contre la corruption, qui prévoyait pourtant un durcissement de la législation en matière de commerce international.
    Ce sont encore les groupes de l'opposition de l'époque qui ont empêché l'adoption de la réforme constitutionnelle qui organisait la clarification du statut pénal du chef de l'Etat, lequel promet aujourd'hui de réunir cette commission des sages dont nous espérons qu'elle visera plus à proposer qu'à temporiser.
    Ce sont les mêmes qui ont refusé de voter la loi tendant à réprimer les infractions sexuelles et à renforcer la protection des mineurs.
    Ce bilan, monsieur le ministre, vous ne pouvez le nier ; avouez qu'il justifie quelque inquiétude quant au sens même des propositions que vous formulez aujourd'hui. Surtout lorsque vous remettez en cause la loi sur la présomption d'innocence, que vous aviez dans un premier temps soutenue, voire renforcée, avant de la décrier pour des raisons électoralistes, et aujourd'hui proposer de la désintégrer.
    La logique de cette loi, vous en conveniez à l'époque de son adoption, était de réduire le nombre des détentions provisoires. Votre logique aujourd'hui est de remplir les prisons, puis d'en construire de nouvelles que vous remplirez à nouveau.
    Dans votre approche de la justice, vous privilégiez la répression, mais la justice n'existe que fondée sur des principes, et la présomption d'innocence en est un fondamental. Un autre principe est le souci permanent de procédures respectueuses des droits de la victime comme des droits de la défense, et je crains à cet égard que vos orientations en matière de garde à vue et de détention provisoire ne se heurtent très vite non seulement à notre vision républicaine de ces principes, mais aussi, et vous le savez bien, à la Convention européenne des droits de l'homme.
    Je crains que vous n'instauriez une justice désorganisée, déséquilibrée. Je crains qu'au bout du compte le droit ne serve plus la justice.
    Mon troisième sujet d'inquiétude est lié à ce texte d'amnistie. Il y a ce que vous dites, il y a aussi que vous taisez. Il y a ce que vous affichez, il y a aussi ce que vous préparez ou, subtilité du travail parlementaire, ce que vous laissez à d'autres le soin de préparer. A cet égard, la déclaration de politique très générale du Premier ministre justifie notre scepticisme. Le flou qu'elle préserve permet finalement au Gouvernement de n'être engagé sur rien. Certes, vous nous proposez pour l'amnistie un texte light qui montre qu'en cette matière nous arrivons sans doute à la fin d'un système. Mais je crains que l'arbre d'une amnistie a minima ne cache la forêt d'un grand pardon.
    Les Français seraient alors fondés à se sentir trahis, floués, trompés. Ce risque vis-à-vis de l'opinion, vous avez tous les moyens de le prendre. Vous disposez de tous les pouvoirs. Mais je souscris à l'avertissement que vous a lancé la semaine dernière à cette tribune François Bayrou, décidément largement cité aujourd'hui : « Le risque pour le pouvoir absolu, quand il se trompe, c'est qu'il se trompe absolument ».
    A cet égard, vos déclarations prudentes mais empruntées sur l'abus de bien social, celles de notre rapporteur, moins prudentes et plus directes, sur les conditions de prescrition de ce délit nous laissent penser qu'au-delà de ce projet se profile une véritable amnistie présidentielle qui pourrait être qualifiée comme telle au regard de ceux à qui elle serait destinée en priorité ; présidentielle au regard du Président de la République, présidentielle au regard du président de l'UMP.
    Monsieur le ministre, vous avez, je le répète, tous les moyens de le faire au détour d'une procédure parlementaire qui se voudrait discrète, échappant même au Gouvernement, au sein d'une commission mixte paritaire qui se tiendrait une nuit de la première semaine du mois d'août.
    M. le garde des sceaux. Le 4 août, par exemple ! (Sourires.)
    M. Bernard Roman. Pourquoi pas le 4 août ?
    Mais vous serez comptable, si cette tentation existe, de la perception qu'auront les Français d'une réforme qui introduirait des sanctions pénales pour des enfants de dix ans, qui autoriserait la détention provisoire à partir de treize ans, qui enfermerait les jeunes délinquants sans qu'à aucun moment les moyens affectés à la protection judiciaire de la jeunesse, à l'éducation, à la politique de la ville ne soient mentionnés, et qui, finalement, consacrerait votre formule de l'impunité zéro pour les mineurs, mais qui, parallèlement, acterait la tolérance maximale pour les dirigeants qui ont puisé dans la caisse des entreprises et les politiques qui en auraient profité.
    La majorité pourrait être tentée de choisir cette voie, au motif qu'elle peut tout et que l'attention de l'opinion publique est engourdie en période estivale. Sachez que notre vigilance sera totale s'agissant d'un ministère qui est l'un des piliers de notre République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. Philippe Vuilque.
    M. Philippe Vuilque. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « fruit d'une longue tradition, l'amnistie efface les conséquences juridiques de la violation de la loi. Elle a pour but, dans un esprit de réconciliation, d'accorder à ses bénéficiaires l'oubli des fautes du passé pour mieux se tourner vers l'avenir dans le respect de la loi républicaine. Sous la Ve République, la tradition s'est établie de voter une loi d'amnistie à l'orée du mandat du Président de la République pour accompagner l'élan nouveau donné à la vie publique par l'élection du chef de l'Etat ». Telles sont les deux premières phrases, les plus importantes, de l'exposé des motifs du projet de loi d'amnistie qui nous est soumis.
    L'amnistie, qui est un acte politique, comme l'a rappelé René Dosière, est effectivement une longue tradition républicaine à connotation monarchique, comme vient de le souligner avec talent mon collègue Arnaud Montebourg.
    En fait, on distingue deux sortes d'amnistie.
    L'amnistie de réconciliation nationale, utilisée pour apaiser les passions, doit être conservée. Des exemples ont été cités tout à l'heure, il n'est pas nécessaire d'y revenir. Elle est, bien évidemment, d'une autre nature que « l'amnistie post-électorale » que nous pratiquons les uns et les autres depuis trop longtemps maintenant. Celle-là est plus que contestable tant dans son principe que dans son contenu. Elle est même choquante et de plus en plus inadmissible dans un Etat de droit. Cette amnistie-là, qui est aussi une tradition, doit être bousculée, remise en cause et supprimée.
    L'opinion publique a d'ailleurs largement évolué et l'amnistie est aujourd'hui considérée par la plus grande majorité de nos concitoyens comme une pratique exécrable. Je ne vois au demeurant pas en quoi elle est censée « accompagner l'élan nouveau donné à la vie publique » : il faudra me l'expliquer...
    Il est dommage que, pendant la campagne de l'élection présidentielle, tous les candidats n'aient pas pris d'engagement fort contre cette amnistie-là.
    Monsieur le garde des sceaux, vous avez aujourd'hui, avec votre majorité, l'occasion d'y mettre un terme. Et il faut y mettre un terme parce que cette pratique est inacceptable.
    Inacceptable d'abord parce que c'est un très mauvais signal donné à nos concitoyens lorsque l'on veut rétablir l'esprit civique.
    Quelle que soit l'infraction, l'amnistie, même réduite, l'amnistie équilibrée et mesurée, ainsi que vous l'avez qualifiée, favorise l'incivisme et les comportements désinvoltes, notamment chez les automobilistes, ce qui n'est tout de même pas l'idéal pour lutter contre l'insécurité routière.
    Lorsque l'on prône la fameuse tolérance zéro, avouez que commencer par exonérer de réparation ceux qui ont commis des infractions n'est pas le meilleur message qu'on puisse délivrer ; les victimes de ces infractions vont sûrement beaucoup apprécier...
    Inacceptable ensuite parce que cette pratique bafoue le principe d'égalité de traitement entre les citoyens. Ceux qui ont payé leurs amendes et se sont comportés en citoyens responsables se sentent aujourd'hui floués, pour employer un mot un peu moins cru que celui employé tout à l'heure par mon collègue du groupe UDF. Pourquoi d'ailleurs amnistier la FNSEA et non la Confédération paysanne, et je ne porte pas là de jugement sur les faits ?
    Quelle image, quel exemple donnons-nous aux jeunes générations en agissant de la sorte.
    Inacceptable enfin pour nous-mêmes, en tant que législateurs. Si nous votons cette loi, nous cautionnons des pratiques contraires à la vie en société. C'est choquant et nous ne pouvons en être fiers.
    Certes, vous nous dites que cette amnistie-là est a minima et que, finalement, elle n'est pas bien méchante. Détrompez-vous : elle est ravageuse par l'impression qu'elle risque de laisser dans l'opinion publique.
    Jean de La Fontaine disait : « Le trop d'expédients peut gâter une affaire. On perd du temps au choix, on tente, on veut tout faire. N'en ayons qu'un, mais qu'il soit bon. »
    Le bon choix, monsieur le garde des sceaux, serait de retirer ce projet de loi d'amnistie. Si tel n'est pas le cas, chers collègues de la majorité, il serait salutaire de préférer votre conscience à la consigne. C'est ce que viennent de faire certains d'entre vous, notamment au groupe UDF.
    Je suis persuadé que vous êtes nombreux à partager ce point de vue. Ce vote salutaire, vous ne l'émettrez sans doute pas, et c'est dommage. Prenons au moins collectivement l'engagement que si cette amnistie est votée, ce sera la dernière. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani.
    M. Thierry Mariani. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le débat relatif à l'amnistie soulève, tant parmi nos concitoyens que dans la classe politique, de nombreuses interrogations quant à la pertinence de cette mesure.
    Entre la tradition dont s'inspire l'amnistie et la réalité de notre société, en ce début de xxie siècle, les choses et les esprits ont fortement évolué, et force est de constater que la portée de l'amnistie n'est plus du tout ressentie de la même manière.
    Historiquement, nous l'avons dit depuis le début de ce débat, l'amnistie, mesure exceptionnelle, trouvait sa justification dans un souci de réconciliation nationale. Ressouder les Français déchirés par l'histoire, pardonner dans une volonté d'apaisement social et politique, telle était la philosophie originelle des lois d'amnistie. Reconnaissons-le, cette justification s'est aujourd'hui affaiblie sous l'effet de diverses évolutions.
    L'amnistie de la fin du xixe siècle intervenait dans une société progressiste soumise à de forts soubresauts d'ordre social ou politique. Elle avait ainsi pour finalité de faire table rase des blessures et des troubles du passé.
    Si la volonté d'apaisement et de réconciliation pouvait se comprendre dans un tel contexte, il n'en va plus de même aujourd'hui. D'une part, nous évoluons dans une société où les conflits civils sont moins nombreux, ce qui a fait perdre de sa vivacité à la signification première de l'amnistie. D'autre part, nous vivons une époque qui tolère difficilement les autres effets produits par l'amnistie, à savoir l'oubli et le sentiment d'impunité.
    L'amnistie doit en outre s'adapter à l'évolution des temps et la traduction de cette exigence à travers ce projet de loi, dont le champ d'application est considérablement resserré, répond aux attentes de nos concitoyens.
    Car si la notion de réconciliation qui prévalait dans le geste amnistiant a cédé le pas à une tradition républicaine renouvelée après la plupart des élections présidentielles, il convient d'éviter que celle-ci n'entretienne désormais un sentiment d'injustice et d'impunité.
    En effet, conjugué au développement d'une délinquance trop souvent impunie ces dernières années et aux secousses qu'a connues la classe politique dans les années 1990, le débat sur l'amnistie, dans les différentes formes que cette dernière peut revêtir, entretient l'idée que la justice ne serait pas la même pour tous et qu'il existerait des intouchables.
    Or c'est précisément ce sentiment d'impunité que notre majorité et le Gouvernement ont le devoir de combattre en renouant au plus tôt des liens de confiance entre les Français et la classe politique, en restaurant l'autorité de l'Etat dans sa lutte contre l'insécurité et en rétablissant les conditions d'une justice rapide, efficace et équitable. C'est ce que vous ferez, monsieur le garde des sceaux, en présentant un projet de loi dans quelques jours, ce dont nous nous félicitons.
    C'est pourquoi je me réjouis que votre projet de loi d'amnistie soit très nettement marqué par la volonté de mettre un terme au laxisme dans lequel les socialistes se sont complus et d'accorder la priorité à la luttre contre l'insécurité ainsi qu'à une application rigoureuse de notre droit pénal.
    Ainsi, l'extension de la liste d'infractions exclues de l'amnistie est-elle particulièrement bienvenue, comme l'a souligné notre rapporteur. Il y va de la crédibilité de notre politique, du respect de nos engagements et de la cohérence de l'action de notre majorité. Avec ces nouvelles limites, vous redonnez son caractère exceptionnel à l'amnistie et faites preuve d'une plus grande intransigeance.
    L'exclusion des délits d'association de malfaiteurs, de proxénétisme, de violences sur personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, de dégradations, d'atteintes portées aux personnes en situation de vulnérabilité, des infractions de nature sexuelle, de harcèlement, de concussion, de corruption, et la plus grande sévérité envers les délits et contraventions au code de la route illustrent ainsi la volonté de ce gouvernement de mettre ses actes en conformité avec ses engagements.
    J'ai pour ma part, monsieur le ministre, déposé deux amendements visant à exclure du champ d'application de l'amnistie, d'une part, les sévices graves et les actes de tortures commis sur les animaux, et, d'autre part, les contraventions les plus graves touchant les installations classées, visées par le livre V du code de l'environnement, installations couramment appelées périmètre Seveso.
    L'exclusion de ces délits me semblant pleinement justifiée, ces amendements emporteront, je l'espère, l'assentiment du Gouvernement. L'un d'entre eux a déjà été adopté en commission ce matin.
    Ce texte marque ainsi une nette rupture avec la pratique antérieure, et notamment avec celle du gouvernement socialiste. Il faut dire qu'on n'est jamais mieux servi que par soi-même et que tout laisser-aller en la matière est l'image de l'inconséquence. La gauche qui, ces derniers jours, se plaît à nous donner des leçons de moralité publique oublie qu'elle porte une très lourde responsabilité dans l'assimilation qui a pu être faite entre immoralité et amnistie. J'invite d'ailleurs nos collègues socialistes à relire les propos de François Mitterrand, qui reconnaissait lui-même que la loi d'amnistie du 15 janvier 1990 avait constitué une erreur.
    M. Jean Leonetti. Très juste !
    M. Thierry Mariani. A titre personnel, mais je ne crois pas que ma position soit isolée, je souhaite ardemment que cette loi d'amnistie soit la dernière. Il me semble en effet que l'amnistie, dans sa conception originelle, est obsolète et n'a plus vraiment de raison d'être. Inadaptée à notre société, elle m'apparaît difficilement compatible avec les impératifs de justice et de sécurité que nous nous sommes fixés.
    Monsieur le ministre, je suis maire de Valréas, une commune moyenne de 10 000 habitants située dans le Haut-Vaucluse. Chaque jour nous apporte son lot d'actes délictueux, qui sont le plus souvent le fait de jeunes récidivistes : dégradations de biens publics, agressions, et outrages à agents de police, dégradations de l'environnement. Tout y passe, sans répit et dans le mépris le plus total de la loi. Au cours des cinq dernières années, nous avons connu une explosion record de la violence et de la délinquance, dopées par l'impunité que les socialistes ont laissé se développer.
    Nous avons la lourde tâche de mettre fin à ce climat, sans faillir ni transiger. La justice doit être rendue et l'Etat de droit doit être une réalité pour toutes celles et tous ceux qui vivent sur notre territoire, quels qu'ils soient et où qu'ils se trouvent.
    Pour ma part, je considère que ce projet de loi portant amnistie doit être l'occasion d'une dernière mise à plat pour les délits les plus mineurs ne mettant pas en danger la vie d'autrui, comme c'est le cas dans votre projet de loi, et ne constituant pas une atteinte aux biens et aux personnes. Grâce aux cinq années durant lesquelles la majorité plurielle a gouverné ce pays, les délinquants ont pu sévir en toute quiétude. Avouez qu'il serait tout de même un peu fort que les automobilistes responsables, avant l'élection présidentielle, de stationnements gênants non dangereux soient aujourd'hui les seuls sanctionnés.
    Aussi, à la lumière des restrictions apportées à l'amnistie, et confiant dans la détermination du Gouvernement dans son combat pour plus de sécurité et plus de justice, je voterai ce projet de loi, en renouvelant le voeu que ce soit le dernier. Le civisme et la justice en sortiront renforcées. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Monsieur Mariani, je vous remercie d'avoir parfaitement respecté votre temps de parole. J'invite tous les orateurs inscrits dans la discussion générale à faire de même, M. le ministre ayant l'amabilité de répondre avant la levée de la séance, à dix-neuf heures trente. Cela leur permettra ainsi d'avoir des éléments de réponse.
    La parole est à Mme Martine Billard.
    Mme Martine Billard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mesdames, messieurs les députés, une fois de plus, une fois de trop peut-être, il est demandé à la représentation nationale de voter une loi d'amnistie. Déjà en 1995, on nous expliquait que c'était la dernière fois. C'est à nouveau la dernière fois. Espérons que ce sera la bonne ! Mais on pourrait faire en sorte que ce soit vraiment la bonne aujourd'hui.
    Sous prétexte de réconciliation nationale, cette tradition ne fait qu'entretenir une habitude démagogique qui détourne le suffrage universel de son but.
    Il est inadmissible de chercher ainsi à s'attirer les faveurs de l'électeur, de pousser à cet incivisme par ailleurs dénoncé comme le mal absolu de notre société, au point d'en avoir fait un thème principal de la campagne électorale. Et, pour ma part, je me sens très à l'aise sur ce sujet, puisque le candidat des Verts, Noël Mamère, avait pris parti lors de la campagne présidentielle contre l'amnistie.
    La première des incivilités n'est-elle pas de voter une amnistie des incivilités ? Je vous invite donc, sans attendre la prochaine échéance présidentielle à repousser cette loi, qui est pour le moins en contradiction avec les déclarations de fermeté du Président de la République et du Gouvernement.
    D'un côté, on nous annonce une loi sur la justice, axée exclusivement sur la répression, particulièrement des jeunes, une loi dangereuse pour les libertés. De l'autre, on nous demande de voter une amnistie. Où est la logique ?
    Amnistier ainsi, c'est aussi créer tous les cinq ans un sentiment d'impunité, d'autres intervenants l'ont déjà souligné.
    Je ne condamne pas toute forme d'amnistie. Mais celle-ci ne doit répondre qu'à des situations exceptionnelles ou à une nécessité de réconciliation nationale, et non à un appel au non-respect de la loi, comme pour le stationnement automobile. Car on peut constater, avant chaque aministie programmée, une augmentation significative des actes d'incivilité. Cette loi ne correspond donc pas au principe qu'elle prétend défendre.
    En outre, l'amnistie place les personnes dans une situation de profonde inégalité.
    Inégalité entre celui qui respecte la loi et celui qui la transgresse.
    Inégalité également parce que les faits amnistiés le sont de manière déséquilibrée, dans un but essentiellement électoraliste.
    Pour illustrer mon propos, je prendrai un exemple flagrant. Pourquoi amnistier le défaut habituel de paiement des paramètres, et non celui de défaut habituel de paiement de titre de transport ? Cela procède pourtant d'une démarche individuelle similaire et a pour conséquence dans les deux cas une baisse de recettes pour l'autorité gestionnaire.
    Pourquoi écarter de l'amnistie les étrangers en situation irrégulière, alors que cela permettrait de régulariser la situation de conjoints de Français ou les parents d'enfants français notamment ?
    Pourquoi les agriculteurs ne sont-ils pas mentionnés à l'article 3, comme bénéficiaires des mesures d'amnistie au même titre que les salariés et les professions libérales, et sont-ils visés par un autre alinéa ?
    En quoi le fait d'amnistier les contraventions relevant du code de la route réconcilierait-il les Français entre eux ? Cela conduit en fait à une multiplication des infractions, transforme pendant des mois les trottoirs de nos villes en immenses parkings et provoque directement ou indirectement une augmentation considérable des accidents.
    C'est en raison de ces inégalités que j'ai déposé, avec mes collègues Verts, une série d'amendements tendant à redonner à cette loi un caractère d'égalité.
    Il ne faudrait pas non plus que, dans les semaines à venir, une amnistie de fait des délits politico-financiers survienne à travers une modification de la loi, notamment en matière d'abus de biens sociaux, dont on a déjà parlé, mais aussi de fraude électorale. Ce serait extrêmement grave et préjudiciable pour la démocratie.
    Quelles que soient les personnes mises en cause, qu'il s'agisse d'un chef d'entreprise, d'un député ou du Président de la République, aucune ne doit pouvoir échapper à la justice.
    C'est pourquoi je demande au Gouvernement - il en est encore temps - de renoncer à cette amnistie et de s'engager publiquement à ne pas procéder à une amnistie rampante, qui serait mal comprise par nos contitoyens, des délits politico-financiers, des abus de biens sociaux ou des délits ayant porté atteinte à l'honnêteté du scrutin, dont certains sont en cours d'instruction. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.
    M. Guy Geoffroy. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il est vrai que depuis l'ouverture de cette séance, cet après-midi à quinze heures, notre hémicycle s'est enflammé par moments sous l'effet de certaines déclarations pour le moins excessives. Mais c'est, paraît-il, et le nouveau parlementaire que je suis le découvre aujourd'hui, un peu la règle du jeu.
    Malgré tout, on peut regretter, s'agissant d'une loi que certains décrivent comme petite, médiocre, au point de se demander s'il valait la peine de la présenter, que le mot « modestie », qui a été employé par certains de nos collègues tout à l'heure, n'ait pas été appliqué par ces mêmes collègues à l'analyse qu'ils ont faite de la situation avant de nous la présenter.
    En préambule à mon bref exposé, je reprendrai une formule qui me semble frappée au coin du bon sens et devoir peut-être présider à l'ensemble des débats qui vont suivre. Ce sont les propos du ministre de la justice de l'époque, Jacques Toubon, qui déclarait avec beaucoup de sagesse, lors de la première séance du 27 juin 1995 : « Il n'est pas d'équilibre parfait en cette matière d'amnistie, et nul ne détient l'unique vérité. »
    En effet, à écouter tout ce qui se dit et à lire tout ce qui s'écrit, on peut se demander de quoi il s'agit véritablement. Qu'on le veuille ou non - et ce ne sont pas les propos contradictoires et paradoxaux de certains qui me feront changer d'avis -, il s'agit de suivre ce qu'il est convenu d'appeler une tradition de notre République, une tradition qui est fort ancienne.
    Ladite tradition a pris, il y a une vingtaine d'années, des proportions qui, à y regarder de près, pouvaient paraître inquiétantes. J'ai sous les yeux ce que disait le rapporteur de la loi d'amnistie après l'élection présidentielle de 1981, et je suis très surpris qu'aucun des parlementaires du groupe socialiste n'y ait fait allusion tout à l'heure. Mais, en vérité, je ne suis surpris qu'à moitié. Quand on lit tout cela, on s'aperçoit en effet que la seule question importante est celle de la portée de la loi, et ce qui se passera après la loi.
    En 1981, le rapporteur déclarait : « Dans le domaine de l'amnistie réelle, il s'agit d'abord d'une préoccupation de générosité qui est dans la tradition de la gauche française et qui anticipe sur certaines réformes. » On a vu de quelles réformes il s'agissait.
    On a vu ensuite qu'en 1988, lors de l'examen de la loi d'amnistie, après l'élection présidentielle, le même rapporteur convenait que les choses s'étaient un peu dégradées. Il déclarait : « Aujourd'hui si la loi conserve ce caractère, elle s'applique aussi à une série d'infractions de droit commun commises dans des périodes normales. Elle risque ainsi d'encourager la délinquance et la récidive. » S'agissant en particulier de l'amnistie accordée en raison de la nature de l'infraction, il peut en effet apparaître choquant que les procédures en cours soient interrompues.
    Si je rappelle cela, c'est simplement pour montrer que tout ce que l'on nous propose aujourd'hui sur certains bancs n'est finalement qu'une tempête dans un tout petit verre d'eau !
    Monsieur le garde des sceaux, nouveau parlementaire de la nouvelle majorité, c'est sans aucun complexe ni états d'âme, mais avec la certitude que vous faites une oeuvre sage, raisonnable et qui veut échapper à l'air du temps, que je voterai, comme, je le sais, tous mes collègues, ce projet de loi.
    M. Michel Hunault, rapporteur. Bravo !
    M. Guy Geoffroy. Auparavant, je voudrais malgré tout me permettre de vous faire quelques suggestions.
    Je vous suggère d'abord de donner des prolongements réels à cette loi en matière d'information, de communication et - c'est le vieux chef d'établissement que je suis qui le dit - de pédagogie. En termes d'information, parce qu'il faut carrément tordre le cou à tout ce que l'on prétend ; d'autres l'ont fait avec beaucoup plus de talent que moi tout à l'heure et d'autres le feront certainement encore. Il est inacceptable, je le déclare avec beaucoup de force et de sérénité, qu'à nous députés du Parlement français, on nous serine sans cesse des allégations nées de la seule imagination de nos collègues de l'opposition, prêtant à la majorité et au Gouvernement l'intention de traiter, au travers de ce projet et peut-être d'autres à venir, des questions qui n'ont rien à voir avec celle du jour.
    Je vous demande, monsieur le ministre, au nom de tous les députés de la majorité, qui représentent la majorité de la France, de ne pas céder à l'injonction de la gauche, qui voudrait nous faire répondre de projets qui ne sont pas les vôtres.
    M. Jean Roatta. Très bien !
    M. Guy Geoffroy. Je vous demande également de solliciter vos collègues chargés de l'éducation nationale pour qu'ils fassent en sorte que cette loi d'amnistie, une fois votée, constitue comme d'autres un support concret de l'information qu'il faut donner à nos enfants dans les écoles sur la juste part, cet équilibre dont parlait Jacques Toubon, garde des sceaux, il y a quelques années, à trouver entre la répression d'une faute et la juste sanction à y apporter, d'un côté et, de l'autre, la prévention, laquelle passe, outre par la répression, nos enfants le savent bien, par la reconnaissance du droit à la faute et la capacité du pays à pardonner.
    Voilà, je crois, tout ce dont il faudrait raisonnablement parler après avoir entendu tous les intervenants et avoir adopté ce texte de loi. Passé le moment des émotions et des grandes envolées lyriques de ceux qui sont assez persuadés de leur bon droit pour dire parfois n'importe quoi à cette tribune, nul doute que nous pourrons passer aux choses sérieuses. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Viollet.
    M. Jean-Claude Viollet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dans son message au Parlement, le 2 juillet dernier, le Président de la République en appelait au renforcement de l'autorité de l'Etat. Le Premier ministe, dans sa déclaration de politique générale, le 3 juillet, évoquait lui-même la restauration de l'autorité républicaine.
    Au-delà, chacun s'accorde à reconnaître la nécessité de reconstruire un certain esprit public, en faisant vivre le pacte républicain autour de la triple exigence de responsabilité, de respect et d'exemplarité.
    Responsabilité individuelle, fondement de la citoyenneté, qui veut que toute infraction soit poursuivie, sanctionnée, et la récidive plus durement punie encore.
    Respect de l'autre, de la règle commune, mais aussi de ceux qui ont pour difficile mission de la faire appliquer.
    Exemplarité des comportements, égale pour tous, du plus modeste au premier personnage de l'Etat, mais aussi exemplarité des sanctions infligées lorsque la règle est transgressée.
    C'est précisément parce que l'amnistie que vous nous proposez aujourd'hui, monsieur le ministre, contribue à la dégradation de cet esprit public qu'elle doit être combattue. En effet, en effaçant arbitrairement certaines infractions qui ont été commises, en permettant à leurs auteurs d'échapper à la juste sanction, ou à son aggravation en cas de récidive, elle affranchit l'individu de sa responsabilité. Elle récompense le manque de respect de l'autre, en exonérant certains de la règle commune, mais elle met aussi à mal l'autorité de ceux qui sont chargés de la difficile mission de la faire respecter,
    Enfin, elle affaiblit la valeur même de l'exemplarité des comportements et la force réparatrice de la sanction.
    Voilà pourquoi je considère que, si l'amnistie a tout son sens, dans notre tradition républicaine, quand il s'agit de réconciliation nationale, comme ce fut le cas après les épisodes dramatiques de notre histoire - la Commune, la guerre d'Algérie et, plus récemment, les événements de Nouvelle-Calédonie -, elle me semble totalement injustifiée lorsqu'elle est de simple confort, une mauvaise habitude de plus dans nos moeurs républicaines, dont la chronicité ne ferait au surplus qu'empirer les effets, avec le raccourcissement du mandat présidentiel.
    Mais, au-delà de ces considérations générales, qui constituent la justification de notre opposition à votre projet, je voudrais revenir plus en détail sur un des aspects de l'amnistie que vous nous proposez, aussi anodin qu'il puisse paraître au premier abord : les infractions aux règles de stationnement.
    Certes, chacun aura bien noté que l'amnistie se limite aux contraventions de première classe pour stationnement gratuit ou payant, et de deuxième classe pour la plupart des cas de stationnement gênant mais non dangereux. Il n'en demeure pas moins que ce stationnement « non dangereux » peut avoir des incidences indirectes sur la sécurité. Il en va ainsi lorsqu'un automobiliste stationnant sur un trottoir étroit oblige les piétons à descendre sur la chaussée, au risque de provoquer un accident, ou lorsque tel autre, stationnant abusivement sur une place payante, incite inévitablement d'autres automobilistes à stationner sur des emplacements interdits.
    Le comportement d'un conducteur forme un tout, et la pédagogie en la matière doit donc également former un tout. On ne peut à la fois exiger d'un conducteur le strict respect du code de la route et tolérer le stationnement anarchique.
    Même lorsqu'il n'est pas dangereux, le stationnement interdit perturbe gravement la vie urbaine, et l'amnistie ne fera que compliquer la tâche des élus locaux qui pratiquent une politique courageuse de partage équitable de la voirie, démobiliser les policiers et gendarmes, à qui on demande par ailleurs une plus grande sévérité, décourager les citoyens qui, eux, respectent la loi, et elle sera perçue comme une insulte par les victimes et leurs familles.
    C'est d'ailleurs pourquoi plusieurs associations de sécurité routière ou de victimes de la route, ainsi que l'Association des maires de France, se sont opposées à cette amnistie, rejointes, si l'on en juge à travers les enquêtes d'opinion, par une majorité de nos concitoyens, ce qui est rassurant.
    Faut-il parler du coût que cette amnistie représente pour l'Etat, au moment où le Gouvernement affirme vouloir réduire la dépense publique, mais aussi pour les collectivités, auxquelles il dit vouloir donner davantage d'autonomie ?
    Un coût qu'en toute transparence, dans le cadre de l'évaluation des politiques publiques, nous vous demanderons de communiquer à notre assemblée, dans son volume comme dans sa structure précise, pour chacune des mesures d'amnistie pour l'Etat et pour les collectivités.
    Nous savons tous que l'amnistie est une promesse, une de plus du candidat aujourd'hui Président de notre République.
    M. Jean-Antoine Leonetti. De Jospin aussi !
    M. Jean-Claude Viollet. Mais je suis de ceux qui pensent que lorsqu'il faut choisir entre les promesses et la cohérence, il convient de choisir la cohérence.
    C'est la raison pour laquelle je voterai contre ce projet de loi d'amnistie, parce que c'est au Parlement que revient aujourd'hui la responsabilité de reconstruire l'esprit public, en faisant vivre le pacte républicain autour de la triple exigence de responsabilité, de respect et d'exemplarité, et parce que tout renoncement serait coupable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Jérôme Rivière.
    M. Jérôme Rivière. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme de nombreux orateurs avant moi, je me réjouis de constater que le projet de loi portant amnistie, présenté par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, est le plus restrictif de tous ceux qui ont été soumis au Parlement.
    Monsieur le garde des sceaux, vous avez fait un rappel historique tout à fait intéressant. Je me permettrai d'ajouter une précision étymologique : amnistie et amnésie ont la même origine, mais leur sens moderne, pardon et oubli, appelle quelques remarques.
    D'abord, le mandat présidentiel ayant été ramené de sept à cinq ans, ce type de loi perd beaucoup de son caractère exceptionnel. Dès lors, sans bien sûr que le Parlement renonce à la possibilité qui lui est offerte de légiférer en la matière, ne devrions-nous pas nous engager à refuser, pour l'avenir, que l'amnistie soit systématique. Qu'elle soit annoncée lui retire précisément le caractère exceptionnel que revêtait cet outil qui, dans le passé, a eu une réelle utilité sociale.
    Je m'interroge aussi sur l'opportunité de faire figurer dans ce texte certaines catégories de citoyens qui devraient avoir, pour les Français, valeur d'exemple. Je me suis réjoui de vos déclarations concernant le refus d'amnistier tous les délits liés au financement direct ou indirect des partis politiques, qui concernent principalement les élus. Ceux-ci doivent être des exemples pour nos concitoyens. Mais c'est aussi le cas, me semble-t-il, des sportifs de haut niveau, des acteurs, des grands noms de notre culture. Si je comprends que figurent dans le projet les anciens combattants, qui ont cher payé pour la défense de notre pays, je me demande s'il est opportun qu'y figurent les catégories que je viens de citer.
    Ce sont des personnalités que l'on n'oublie pas : il ne faut pas nécessairement pardonner les excès qu'elles auraient pu commettre. Comme nous, élus, nous l'espérons, elles inspirent la jeunesse et participent à l'image de notre pays.
    Telles sont les questions et remarques que ce texte m'inspire. (Applaudissements sur les bancs de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Joël Beaugendre.
    M. Joël Beaugendre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons à nous prononcer sur le projet de loi d'amnistie présenté par M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice.
    Dans le corps de ce projet de loi figure l'article 22, qui vise à proroger les autorisations et conventions de transport public de personnes dans les départements français d'Amérique, Guadeloupe, Martinique et Guyane, du fait, d'une part, de l'article 19 de la loi d'orientation du 13 décembre 2000 et, d'autre part, de la caducité, au 30 juin 2002, de l'ordonnance du 7 mars 2002.
    Cette ordonnance imposait dans ces départements un modèle d'organisation unique, fondé sur la création d'une agence administrative financée sur les fonds des collectivités locales.
    Ce dispositif, qui fait l'objet de vives critiques de la part de nos concitoyens, en particulier des professionnels des transports et de plusieurs collectivités locales, avait suscité, dès le 6 mars 2002, les réserves les plus appuyées du Président de la République quant à la méthode employée.
    Dès sa prise de fonctions, Mme la ministre de l'outre-mer, Brigitte Girardin, a pu constater qu'aucun des professionnels concernés n'était satisfait par le dispositif retenu.
    Pire encore, sur les six collectivités concernées, quatre, à savoir le conseil régional de la Guadeloupe, le conseil régional de la Martinique, le conseil régional et le conseil général de la Guyane, s'étaient opposées fermement à cette ordonnance, contestant le principe même de l'organisation centralisée envisagée et s'élevant contre les atteintes portées aux libertés locales par le prélèvement opéré sur leurs ressources au profit de la nouvelle structure administrative.
    Le conseil général de la Guadeloupe, quant à lui, s'est prononcé, lors de la commission permanente du 6 juin 2002, pour un prolongement de trois ans, à compter du 13 juin 2002, de ces conventions.
    Remarquons au passage que la collectivité départementale n'a pas vocation à légiférer. Il était donc indispensable de remettre à plat ce dossier et de revoir, dans la concertation et la transparence, l'ensemble du dispositif.
    Je ne comprends pas que certains élus locaux, qui siègent dans cette assemblée, portent l'offensive contre cet article, par pure démagogie, simplement pour lancer une polémique parfaitement stérile et qui, en tout état de cause, porte atteinte à la sérénité nécessaire au dialogue social.
    Pour éviter tout vide juridique, l'article 22 du projet de loi portant amnistie propose de prolonger de quatre ans la validité des conventions existantes entre les autorités organisatrices et les professionnels de transport public de personnes. Ce délai permettra aux parties concernées d'organiser le type de transport routier qu'elles entendent mettre en place pour répondre aux attentes légitimes de leurs concitoyens, dans le cadre des contraintes spécifiques à chacun de ces départements.
    Telles sont les informations qu'il m'a semblé important de porter à la connaissance de notre assemblée, car elles montrent le bien-fondé de cet article de pure sécurité juridique, étant bien entendu que les collectivités organisatrices de ces départements devront engager, dans le respect des desiderata des professionnels, un dialogue réel porteur d'avenir, tant pour l'organisation de ce service public que pour les usagers. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La discussion générale est close.
    Je remercie tous les orateurs d'avoir respecté scrupuleusement le temps de parole qui leur était imparti.
    La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je voudrais répondre à chacun des intervenants en m'en tenant au sujet qui nous réunit aujourd'hui : c'est dire que je serai assez bref pour certains d'entre eux...
    Monsieur Leonetti, vous avez raison de dire que la lutte contre l'insécurité est une priorité du Gouvernement. Vous aurez d'ailleurs, dans quelques jours, l'occasion d'en débattre, à la faveur du texte que vous présentera mon collègue Nicolas Sarkozy et, quelques jours plus tard, de celui que je vous proposerai sur les moyens de la justice, en termes financiers, d'emplois, ou de simplification des procédures et d'amélioration de nos textes, en particulier en matière pénale.
    On connaît votre combat, monsieur le député, contre l'insécurité routière, et vous en avez encore témoigné ici, ce dont je vous remercie. Oui, je pense comme vous que l'amnistie est un moment de réconciliation et d'apaisement, et je pense que nous ne devons pas l'oublier, même si nous n'avons pas vécu, au cours de ces toutes dernières années, des moments de déchirement national exceptionnel. Oui, vous avez eu raison de dire que nous tenons nos engagements. J'évoquerai tout à l'heure, si vous me le permettez, ceux des autres, qui, semble-t-il, sont oubliés ; mais, s'agissant de l'Union pour la majorité présidentielle et du Gouvernement, nous avons effectivement l'intention de tenir tous nos engagements.
    Cette loi, c'est vrai, est relativement restrictive, en tout cas elle l'est beaucoup par rapport aux lois de 1981 et de 1988. Elle est davantage dans la suite logique de celle de 1995, avec des restrictions supplémentaires, en particulier à l'article 13, conformément à ce qu'a souhaité le candidat Jacques Chirac.
    J'ai envie de demander à M. Floch pourquoi il renie les engagements de celui qu'il soutenait. Je tiens à sa disposition, ici même, les déclarations très précises de Lionel Jospin sur l'amnistie, qui ont été publiées par la presse à quelques jours de l'élection présidentielle. Il disait ce qu'il avait l'intention de proposer au Parlement s'il était élu. Il est vrai que c'était avant les élections. Aujourd'hui, nous sommes après les élections, et c'est pour M. Floch, semble-t-il, tout à fait différent. Je lui répondrai simplement, à lui et à ses amis socialistes, qu'il eût été plus convenable, plus respectueux des principes républicains et des principes de la démocratie, de dire à l'avance à leurs électeurs ce qu'ils feraient après les élections.
    M. Pascal Clément, président de la commission. Oui : c'eût été plus convenable pour l'honnêteté du débat !
    M. le garde des sceaux. En tout cas, ces électeurs retiendront - même s'il est vrai qu'ils étaient relativement peu nombreux pour l'élection présidentielle - que les socialistes n'ont pas tenu les engagements de leur champion, si vous me permettez cette expression sportive.
    Par ailleurs, M. Floch aurait peut-être dû examiner de plus près le texte tel qu'il est : cela lui aurait permis d'apprécier sa dimension relativement modeste, sans rapport avec le discours qu'il a tenu sur les conséquences de l'amnistie.
    Monsieur Lagarde, vous avez évoqué le texte de 1995, en soulignant qu'il était plus restrictif que ceux de 1981 et 1988, comme je viens de le dire.
    L'argument selon lequel on va vider les prisons me paraît à la fois inexact et un peu démagogique, et j'emploie ce mot tout en sachant que ce n'est pas votre manière de concevoir la politique. A l'évidence, il ne s'agit pas du tout cela. Si le texte que je vous propose est adopté - avec, j'imagine, les quelques amendements que retiendra votre assemblée -, ce sont moins d'un millier de personnes qui seront concernées. Quant on sait que 56 000 personnes sont aujourd'hui incarcérées, l'expression « vider les prisons » me paraît particulièrement inadaptée.
    S'agissant de l'amnistie des infractions au code de la route, je crois vraiment que nous avons tenu compte de l'impératif de sécurité. On peut évidemment être plus restrictif encore, mais il serait tout de même paradoxal d'amnistier un certain nombre de délits sans prévoir aucune amnistie pour celui qui, parce qu'il était dans un moment d'urgence ou parce qu'il est allé faire une course, s'est vu infliger un PV de stationnement. Laissons le débat au niveau où il doit se situer. J'ai été maire jusqu'à il y a quelques jours ; je n'ai pas vu ma ville à feu et à sang pendant les douze mois qui ont précédé l'élection présidentielle et il me semble que nous avons géré à peu près normalement les problèmes de stationnement et de circulation. Je n'ai pas souvenir d'un trouble considérable qu'aurait causé la perspective de l'amnistie que nous étions susceptibles de vous proposer et que vous étiez susceptibles de voter. En tout cas, je n'ai pas vécu cette expérience dans ma bonne ville de Chalon-sur-Saône.
    Quant aux récidivistes, monsieur Lagarde, il n'est pas inutile de rappeler qu'ils sont exclus de l'amnistie. Vous avez évoqué la cité Gagarine de votre commune. A travers les exemples que vous avez donnés, il m'a semblé qu'il s'agissait de dégradations aggravées - c'est le terme juridique - et elles ne sont donc pas amnistiées. Les uns et les autres devraient veiller à ne pas prendre comme exemples, pour expliquer pourquoi ils ne souhaitent pas voter cette amnistie, des cas qui sont précisément exclus de son champ d'application.
    Monsier Brunhes, vous avez évoqué la population carcérale, en me prêtant l'intention de vouloir l'augmenter systématiquement. D'une part, cette population est le résultat de décisions ponctuelles des magistrats du siège, qui sont totalement indépendants du garde des sceaux. D'autre part, elle augmente de 1 000 personnes par mois depuis le mois de janvier 2002 : vous conviendrez que je n'y suis pour rien, puisque je ne suis entré en fonctions qu'au début du mois de mai. Le phénomène est bien antérieur au changement de majorité.
    Aujourd'hui, il y a entre 53 000 et 54 000 personnes dans les prisons, et il y a théoriquement 47 000 places pour les accueillir. L'excédent de population carcérale n'est pas le résultat d'une politique qui serait menée dans les prochains mois ou les prochaines années, et dont vous me faites déjà le procès. Si nous souhaitons, avec Pierre Bédier, qui nous a rejoints, construire des places de prison, c'est d'abord pour essayer de corriger la situation inacceptable - et que les commissions parlementaires ont soulignée - à laquelle sont actuellement confrontées les prisons. Cette surpopulation carcérale, c'est le Gouvernement que vous souteniez qui nous l'a laissée, monsieur Brunhes ; je l'ai trouvée en arrivant. C'est sans doute à cela que pensait M. Roman quand il nous a parlé, peu de temps après vous, du bilan.
    Je suis également convaincu, et c'est pourquoi je n'ai pas très bien compris votre argumentation, qu'une loi comme celle-ci est nécessaire en ce qu'elle doit nous permettre de revenir sur des infractions qui ont pu être commises à l'occasion de conflits sociaux.
    M. Jacques Brunhes. C'est ce que j'ai dit !
    M. le garde des sceaux. Un petit détail, monsieur Brunhes : le blocage de l'APL, ce n'est pas nous, c'est le gouvernement que vous souteniez qui l'a décidé en décembre 2001 ; cela non plus, il n'est pas tout à fait inutile de le rappeler.
    Quant à mes intentions, laissez-moi les maîtriser ; et je vous assure que je les maîtrise à peu près normalement. Quand ce ne sera plus le cas, j'espère que mon médecin m'avertira. Pour le moment, elles sont claires et, je le répète, je les maîtrise. Soyez donc rassuré et ne vous inquiétez pas trop de ce qui pourrait être caché derrière des propos que je n'ai pas tenus.
    Monsieur de Roux, vous avez eu raison de rappeler les excès de la loi de 1981, que certains avaient sans doute oubliés. Comme vous, je ne crois pas que le législateur ait intérêt à renoncer, pour l'avenir, à la possibilité d'adopter des lois d'amnistie, après l'élection présidentielle ou à d'autres moments. Toute institution, y compris l'institution judiciaire, a parfois besoin de correctifs. A cet égard, l'article 34 de la Constitution donne au Parlement un droit que je ne suis pas sûr qu'il doive, par de grandes déclarations définitives, renoncer pour l'éternité à exercer.
    Je veux vous remercier, monsieur Roman, de votre intervention, mais je crois que vous n'avez pas parlé une seule fois du texte ; ce n'est pas un reproche, c'est une simple constatation. Bien sûr, la parole est libre dans cette enceinte, j'en suis convaincu comme vous-même.
    Nous aurons sûrement l'occasion de parler du bilan du gouvernement précédent, en particulier dans le domaine de la justice et de la sécurité, mais ce n'est pas tout à fait le sujet aujourd'hui. Comme je l'ai dit à M. Brunhes, les prisons, je les ai trouvées pleines. C'est Mme Lebranchu qui me les a laissées : 54 000 personnes pour 47 000 places, je l'ai déjà dit. Ce n'est pas le fantasme sécuritaire du nouveau garde des sceaux qui les a remplies.
    Quant aux procès d'intention, vous êtes libre d'en faire, bien entendu. Ce que je revendique, c'est que vous me jugiez sur mes actes et non les intentions que vous me prêtez. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Monsieur Vuilque, pourquoi renoncer à faire ce que l'on avait annoncé avant les élections ? Ce n'est pas seulement Jacques Chirac, c'est aussi M. Jospin qui a annoncé une loi d'amnistie. Comme je l'ai déjà dit à d'autres orateurs, on peut ne pas la voter après les élections, mais alors il fallait le dire avant, me semble-t-il.
    Je ne peux pas vous laisser insinuer que le projet que je présente discrimine l'amnistie en fonction des organisations professionnelles responsables de tels ou tels actes. Il n'y a rien de cela dans le texte. C'est la définition juridique des actes commis qui décide s'il y a amnistie ou pas. Je crois qu'il est de notre responsabilité aux uns et aux autres, députés comme membres du Gouvernement, de ne pas dire à cette tribune des choses qui sont fausses et qui peuvent introduire une certaine agressivité dans les relations entre les organisations sociales et professionnelles.
    Monsieur Mariani, j'examinerai avec beaucoup d'attention vos amendements au cours de la discussion des articles.
    Je crois que le propos introductif que j'ai prononcé tout à l'heure le disait très clairement : je partage complètement votre sentiment sur la nécessité d'éviter que cette amnistie aille à l'encontre de notre souci, celui du Gouvernement et de la majorité parlementaire, de lutter efficacement contre l'insécurité. La rédaction de l'article 13 va dans le sens, me semble-t-il, de ce que vous souhaitez.
    Madame Billard, l'amnistie première des incivilités » ! Je ne sais que vous répondre, c'est tellement excessif !
    M. Jean Leonetti. C'est dérisoire !
    M. le garde des sceaux. « Un but essentiellement électoraliste ». Ce qui était électoraliste, c'est la promesse qui a été faite - par d'autres, j'en conviens, puisque M. Mamère, semble-t-il, ne l'avait pas faite. Mais qu'on vienne nous dire à nous, qu'on vienne me dire à moi que c'est électoraliste ! Les élections sont passées ! Nous ne sommes pas en train de préparer une élection : nous tenons simplement nos engagements électoraux, et celui-là en particulier.
    M. René Dosière. Vous auriez pu l'oublier, celui-là !
    M. le garde des sceaux. Je note d'ailleurs une contradiction dans vos propos. Vous plaidez contre le principe même de l'amnistie mais, d'un autre côté, vous souhaiteriez que le champ de l'amnistie soit étendu à certains délits qu'il n'inclut pas aujourd'hui. Allez comprendre !
    A cet égard, les agriculteurs sont concernés par l'amnistie au même titre que tout le monde ; ce n'est pas un problème de catégorie socioprofessionnelle.
    Monsieur Geoffroy, vous avez évoqué la nécessité de travailler en relation avec le monde de l'éducation nationale. Je suis comme vous intimement convaincu que les relations entre la justice et l'éducation nationale doivent être renforcées dans le cadre de la lutte contre l'insécurité. J'ai d'ailleurs déjà abordé à plusieurs reprises la question avec Luc Ferry. C'est là une tâche extrêmement importante.
    Monsieur Viollet, vous avez employé vous aussi le mot de « promesses ». C'est vous qui ne tenez pas celles de M. Jospin.
    Je remercie M. Rivière pour sa contribution et j'essaierai de répondre au cours de la discussion des articles aux interrogations qu'il a bien voulu exprimer.
    Enfin, monsieur Beaugendre, le texte que je vous présente vise effectivement à régler une difficulté très importante, que je connais, dans le fonctionnement d'un certain nombre de services publics aux Antilles et en Guyane.
    En conclusion, je veux remercier celles et ceux des orateurs qui ont souligné le souci d'équilibre que manifeste ce texte. Nous avons voulu tenir compte du fait que chacune et chacun s'attendait à une amnistie à l'occasion de cette élection présidentielle. Il appartiendra à ceux des responsables politiques qui, en 2006 et en 2007, auront à s'exprimer de préciser à l'avance ce qu'ils feront.
    M. René Dosière. Nous l'avons déjà dit !
    M. le garde des sceaux. Vous avez dit le contraire !
    M. René Dosière. Non. Ce soir !
    M. le garde des sceaux. Ah ! Vous avez dit ce soir ce que vous feriez dans cinq ans ! C'est facile de parler cinq ans à l'avance ! On verra ce que dira l'éventuel candidat du parti socialiste en temps utile. Ce n'est pas aujourd'hui qu'il faut s'exprimer, c'était il y a quelques mois qu'il fallait le faire, pour être honnête avec les électeurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Pascal Clément, président de la commission. En effet !
    M. le garde des sceaux. Le texte que nous proposons aujourd'hui me paraît équilibré en ce sens que, tout en tenant compte de ce que nos concitoyens ont exprimé l'exigence d'une lutte efficace contre l'insécurité et d'une politique de justice équitable, il répond aussi à leur attente, naturelle, d'une mesure de clémence. Et vous conviendrez, nous le constaterons lors de l'examen de chaque article, que cette clémence est très raisonnable et tout à fait adaptée à ce qu'attendent aujourd'hui nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

6

ORDRE DU JOUR
DE LA PROCHAINE SÉANCE

    M. le président. Ce soir, à vingt et une heures, deuxième séance publique :
    Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, n° 19, portant amnistie :
    M. Michel Hunault, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'admnistration générale de la République (Rapport n° 23).
    La séance est levée.
    (La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT
REQUÊTES EN CONTESTATION
D'OPÉRATIONS ÉLECTORALES
Communication du Conseil constitutionnel
en application de l'article LO 181 du code électoral

CIRCONSCRIPTION NOM DU DÉPUTÉ
dont l'élection est contestée
NUMÉRO
de la requête
Guadeloupe (1re) M. Jalton Eric René. 2002-2768
Guadeloupe (1re) M. Jalton Eric René. 2002-2769
Guadeloupe (3e) M. Beaugendre Joël. 2002-2771
Guadeloupe (3e) M. Beaugendre Joël. 2002-2770
Guadeloupe (4e) M. Lurel Victorin. 2002-2767
DÉSIGNATION DE CANDIDATS À DES ORGANISMES EXTRAPARLEMENTAIRES

    Au cours de la première séance du mardi 9 juillet 2002, M. le président a désigné les commissions chargées de présenter des candidats au sein de 78 organismes extraparlementaires.
    Les candidatures devront être remises à la présidence avant le jeudi 1er août, à 18 heures.
    Si, à l'expiration de ce délai, le nombre des candidats n'est pas supérieur au nombre des sièges à pourvoir, les candidatures seront affichées et publiées au Journal officiel. Les nominations prendront effet dès cette publication.

NOM DE L'ORGANISME COMMISSION DÉSIGNÉE PAR M. LE PRÉSIDENT
pour nommer des candidats (titulaires/suppléants)
QUANTITÉ
Conseil supérieur de l'adoption Commission des lois 1
Conseil d'administration de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre Commission des affaires culturelles 1
Conseil d'administration de l'établissement public « Autoroutes de France » Commission production 1
Conseil national du bruit Commission production (1T/1S) 2
Commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations Commission des finances 3
Conseil supérieur de la coopération Commission des finances 1
  Commission production 1
Conseil d'orientation stratégique du fonds de solidarité prioritaire Commission des affaires étrangères 1
  Commission des finances 1
Commission supérieure du crédit maritime mutuel Commission des finances 1
  Commission production 5
Commission centrale de classement des débits de tabac Commission des finances 2
Commission nationale pour l'éducation, la science et la culture Commission des affaires culturelles 1
  Commission des affaires étrangères 1
Conseil supérieur de l'électricité et du gaz Commission des finances 1
  Commission production 2
Conseil d'administration du conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres Commission des lois (2T/2S) 4
  Commission production (1T/1S) 2
Comité des prix de revient des fabrications d'armement Commission défense 1
  Commission des finances 1
Comité des finances locales Commission des lois (1T/1S) 2
  Commission des finances (1T/1S) 2
Conseil supérieur de la forêt et des produits forestiers Commission production (1T/1S) 2
Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) Commission des lois 2
Conseil supérieur de l'Etablissement national des invalides de la marine Commission des affaires culturelles 2
Conseil supérieur de la mutualité Commission des affaires culturelles 1
Conseil d'administration du Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou Commission des affaires culturelles 1
  Commission des finances 1
Conseil supérieur des prestations sociales agricoles Commission des affaires culturelles (1T/1S) 2
  Commission des finances (1T/1S) 2
  Commission production (1T/1S) 2
Commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l'enfance et à l'adolescence Commission des affaires culturelles (1T/1S) 2
  Commission des lois (1T/1S) 2
Haut Conseil du secteur public Commission de la défense 1
  Commission des finances 3
  Commission production 2
Conseil national des services publics, départementaux et communaux Commission des lois 4
Commission supérieure des sites, perspectives et paysages Commission production 4
Conseil national de l'information statistique Commission des finances (1T/1S) 2
Conseil supérieur de la sûreté et de l'information nucléaires Commission production 1
Conseil national des transports Commission de production (2T/2S) 4
Conseil supérieur pour le reclassement professionnel et social des travailleurs handicapés Commission des affaires culturelles 2
Conseil national de l'habitat Commission production (1T/1S) 2
Commission consultative pour la production de carburants de substitution   Commission production
2
Conseil national du crédit et du titre   Commission des finances
2
Conseil d'administration de l'établissement public de la cité des sciences et de l'industrie Commission production 1
Conseil supérieur de l'aviation marchande Commission production (1T/1S) 2
Conseil national de la montagne Commission production 2
  Commission des affaires culturelles 1
  Commission des finances 1
Commission consultative des archives audiovisuelles de la justice Commission des lois 1
Conseil national du tourisme Commission production (3T/3S) 6
  Commission des affaires culturelles (2T/2S) 4
Conseil d'administration de la Société nationale de programme Radio-France Commission des affaires culturelles 1
Conseil d'administration de la Société nationale de programme France 2 Commission des affaires culturelles 1
Conseil d'administration de la Société nationale de programme de France 3 Commission des affaires culturelles 1
Conseil d'administration de la Société nationale de programme RFO Commission des affaires culturelles 1
Conseil d'administration de la Société nationale de programme RFI Commission des affaires culturelles 1
Conseil d'administration de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) Commission des affaires culturelles 1
Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche Commission des affaires culturelles (1T/1S) 2
Conseil national des assurances Commission des finances 1
Commission supérieure du service public des postes et télécommunications Commission production 5
  Commission des finances 1
  Commission des affaires culturelles 1
Conseil d'administration de l'agence pour l'enseignement français à l'étranger Commission des affaires étrangères 1
Conseil d'administration de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie Commission production 1
Conseil de surveillance de l'agence française de développement Commission des affaires étrangères (1T/1S) 2
  Commision des finances (1T/1S) 2
Comité de surveillance du fonds de solidarité vieillesse Commission des affaires culturelles 1
  Commission des finances 1
Conseil d'administration de la Société nationale de programme « La Cinquième » Commission des affaires culturelles 1
Comité d'orientation des programmes de la Société nationale de programme « La Cinquième » Commission des affaires culturelles 2
Comité de gestion (dessertes aériennes) du fonds d'intervention pour les aéroports et le transport aérien Commission des finances 1
  Commission production 1
Comité de gestion (plates-formes aéroportuaires) du fonds d'intervention pour les aéroports et le transport aérien Commission des finances 1
  Commission de production 1
Observatoire national de la sécurité des établissements scolaires et d'enseignement supérieur Commission des affaires culturelles (1T/2S) 3
Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire Commission des finances 2
  Commission production 2
  Commission des lois 1
Conseil d'administration de l'établissement public de financement et de restructuration Commission des finances 1
Conseil d'administration de l'établissement public de réalisation de défaisance Commission des finances 1
Commission nationale du débat public Commission production 1
Comité de surveillance de la caisse d'amortissement de la dette sociale Commission des affaires culturelles 1
  Commission des finances 1
Conseil d'administration de l'Etablissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux Commission production 1
Comité local d'informatique et de suivi du laboratoire souterrain de Bure Commission production 2
Conseil de surveillance du fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie Commission des affaires culturelles 3
Comité de liaison pour l'accessibilité des transports et du cadre bâti (COLIAC) Commission des affaires culturelles 1
Conseil d'orientation des retraités Commission des affaires culturelles 3
Conseil d'orientation de l'observatoire de l'emploi public Commission des lois 1
Conseil d'administration de la société France-Télévision Commission des affaires culturelles 1
Comité de l'initiative française pour les récifs coralliens (IFRECOR) Commission production 2
  Commission des lois 1
  Commission des affaires culturelles 1
Haut Conseil de l'évaluation de l'école Commission des affaires culturelles 1
Conseil d'orientation du comité interministériel de prévention des risques naturels majeurs Commission production 3
Commission nationale des aides publiques aux entreprises Commission des affaires culturelles (1T/1S) 2
  Commission des finances 2
  Commission production (1T/1S) 2
Conseil national de la sécurité routière Commission des lois 1
  Commisison production 1
Conseil de surveillance du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale (FOREC) Commission des finances 1
  Commission des affaires culturelles 1
Conseil de surveillance du fonds de réserve pour les retraites Commission des affaires culturelles (1T/1S) 2
  Commission des finances (1T/1S) 2
Conseil d'administration de l'agence de prévention et de surveillance des risques miniers Commission production 2
Conférence permanente « Habitat-Construction-Développement durable » Commission production 2
Conseil d'orientation de l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique Commission production 2
Haut Conseil des musées de France Commission des affaires culturelles (1T/1S) 2
Commission nationale d'information sur les farines animales Commission production 1
ORDRE DU JOUR

ÉTABLI EN CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS
    (Réunion du mardi 9 juillet 2002)

    L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra du mardi 9 juillet au dimanche 4 août 2002 inclus a été ainsi fixé :
    Mardi 9 juillet 2002 :
            L'après-midi, à 15 heures, et le soir, à 21 heures :
    Discussion du projet de loi portant amnistie (n°s 19, 23).
    Mercredi 10 juillet 2002 :
            L'après-midi, à 16 h 30, et, éventuellement, le soir, à 21 heures :
    Suite de l'ordre du jour de la veille.
    Mardi 16 juillet 2002 :
            L'après-midi, à 15 heures, et le soir, à 21 heures :
    Sous réserve de son dépôt,
discussion du projet de loi d'orientation et de programmation sur la sécurité intérieure.
    Mercredi 17 juillet 2002 :
            L'après-midi, à 15 heures, et, éventuellement, le soir, à 21 heures :
    Suite de l'ordre du jour de la veille.
    Jeudi 18 juillet 2002 :
            Le matin, à 9 h 30, l'après-midi, à 15 heures, et le soir, à 21 heures :
    Sous réserve de son dépôt,
discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2002.
    Eventuellement :
    Vendredi 19 juillet 2002 :
            Le matin, à 9 heures, et l'après-midi, à 15 heures :
    Suite de l'ordre du jour de la veille.
    Mercredi 24 juillet 2002 :
            L'après-midi, à 15 heures :
    Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée (n° 6) ;
    Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée (n° 7) ;
    Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du protocole additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (n° 8) ;
    Sous réserve de son adoption par le Sénat, discussion du projet de loi autorisant la ratification de l'accord aux fins de l'application des dispositions de la convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 relatives à la conservation et à la gestion des stocks de poissons dont les déplacements s'effectuent tant à l'intérieur qu'au-delà de zones économiques exclusives (stocks chevauchants) et des stocks de poissons grands migrateurs (ensemble deux annexes) ;
    Sous réserve de son adoption par le Sénat, discussion du projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à l'accord entre l'Agence de coopération culturelle et technique et le Gouvernement de la République française relatif au siège de l'agence et à ses privilèges et immunités sur le territoire français ;
    Sous réserve de son adoption par le Sénat, discussion du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de siège entre le Gouvernement de la République française et la Commission internationale de l'état civil ;
    Sous réserve de son adoption par le Sénat, discussion du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord du 20 août 1971 relatif à l'Organisation internationale des télécommunications par satellites INTELSAT tel qu'il résulte des amendements adoptés à Washington le 17 novembre 2000 ;
    Sous réserve de son adoption par le Sénat, discussion du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de siège entre le Gouvernement de la République française et l'Organisation européenne de télécommunications par satellites EUTELSAT ;
    Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention sur le transfèrement des personnes condamnées entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Paraguay (n° 9) ;
    Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Paraguay (n° 10) ;
    Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Paraguay (n° 11) ;
    Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention relative à l'adhésion de la République d'Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède à la convention relative à l'élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d'entreprises associées (n° 12) ;
    Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'avenant à la convention du 19 décembre 1980 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Norvège en vue d'éviter les doubles impositions, de prévenir l'évasion fiscale et d'établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (ensemble un protocole et un protocole additionnel), modifiée par les avenants du 14 novembre 1984 et du 7 avril 1995 (n° 13) ;
    Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire en vue d'éviter les doubles impositions, de prévenir l'évasion et la fraude fiscales et d'établir des règles d'assistance réciproque en matière d'impôts sur le revenu, sur la fortune et sur les successions (ensemble un protocole) (n° 14) ;
    Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'avenant à la convention fiscale du 21 octobre 1976 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Cameroun (n° 15) ;
    Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Guinée en vue d'éviter les doubles impositions et d'établir des règles d'assistance réciproque en matière d'impôts sur le revenu, la fortune, les successions et les donations (n° 16) ;
    Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation du protocole modifiant la convention du 23 juillet 1990 relative à l'élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d'entreprises associées (n° 17).
    Mardi 30 juillet 2002 :
            L'après-midi, à 15 heures :
    Sous réserve de son dépôt et de sa transmission par le Sénat, discussion du projet de loi portant création d'un dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise.
    Mercredi 31 juillet 2002 :
            L'après-midi, à 15 heures :
    Suite de l'ordre du jour de la veille.
    Jeudi 1er août 2002 :
            Le matin, à 9 heures :
    Sous réserve de son dépôt et de sa transmission par le Sénat, discussion du projet de loi d'orientation et de programmation sur la justice.
            L'après-midi, à 15 heures :
    Eventuellement, discussion des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances rectificative pour 2002 ;
    Suite de l'ordre du jour du matin.
            Le soir, à 21 heures :
    Eventuellement, discussion des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant création d'un dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise ;
    Suite de la discussion du projet de loi d'orientation et de programmation sur la justice.
    Vendredi 2 août 2002 :
            Le matin, à 9 heures, l'après-midi, à 15 heures, et, éventuellement, le soir, à 21 heures :
    Suite de la discussion du projet de loi d'orientation et de programmation sur la justice.
    Eventuellement, samedi 3 et dimanche 4 août 2002 :
    Navettes diverses.