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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU MARDI 8 JUILLET 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
1re séance du lundi 7 juillet 2003


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE
DE Mme PAULETTE GUINCHARD-KUNSTLER

1.  Réforme du Sénat et élection des sénateurs. - Discussion d'une proposition de loi organique et d'une proposition de loi adoptées par le Sénat «...».
M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales.
M. Jérôme Bignon, rapporteur de la commission des lois.
Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation aux droits des femmes.

Rappel au règlement «...»

M. Bruno Le Roux, Mme la présidente.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ «...»
(Election des sénateurs)

Exception d'irrecevabilité de M. Ayrault : MM. Bernard Roman, le ministre, Guy Geoffroy, Michel Vaxès, Bruno Le Roux. - Rejet.

QUESTION PRÉALABLE «...»
(Election des sénateurs)

Question préalable de M. Ayrault : MM. Jean-Jack Queyranne, Pascal Clément, président de la commission des lois ; le ministre, Guy Geoffroy, Bernard Roman. - Rejet.

DISCUSSION GÉNÉRALE COMMUNE «...»

MM.
Gilbert Gantier, Michel Vaxès.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
2.  Ordre du jour des prochaines séances «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE
DE Mme PAULETTE GUINCHARD-KUNSTLER,
vice-présidente

    Mme la présidente. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à dix heures.)

1

    Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion :
    - de la proposition de loi organique, adoptée par le Sénat, portant réforme de la durée du mandat et de l'âge d'éligibilité des sénateurs ainsi que de la composition du Sénat (n°s 936, 1 000) ;
    - de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, portant réforme de l'élection des sénateurs (n°s 937, 1 000).
    La conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.
    La parole est à M. le ministre délégué aux libertés locales.
    M. Bruno Le Roux. Vous sentez déjà le scepticisme sur ces bancs !
    M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, plusieurs initiatives ont été prises, au cours des dernières années, afin de modifier le scrutin sénatorial.
    En 1999, le gouvernement précédent déposait un projet de loi relatif à l'élection des sénateurs, devenu, après son adoption par le Parlement, la loi n° 2000-641 du 10 juillet 2000.
    Au mois de février 2000, ce même gouvernement déposait sur le bureau du Sénat un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire, en vue de mettre à jour la répartition des sièges de sénateurs entre les départements. Ces deux projets de texte ont été, à l'époque, rejetés par le Sénat qui avait adopté une question préalable.
    Au mois de décembre 2000, le sénateur Gélard déposait une proposition de loi réaffectant, à nombre constant, les sièges de sénateurs entre les départements, compte tenu des résultats du recensement général de 1999.
    Le groupe de réflexion sur l'institution sénatoriale, présidé par M. Hoeffel, a remis son rapport en 2002. Celui-ci comporte plusieurs propositions relatives au mode d'élection des sénateurs.
    La proposition de loi, adoptée en première lecture par le Sénat le 12 juin dernier, peut être considérée comme l'aboutissement de cette réflexion.
    La Constitution de 1958 a reconnu au Sénat un rôle législatif essentiel en tant que représentant des collectivités territoriales et des Français établis hors de France. Il convient donc de veiller à sa représentativité et de renforcer sa légitimité, dans la perspective d'une meilleure représentation des collectivités locales.
    Le renforcement de la légitimité du Sénat passe en premier lieu par la réduction de la durée du mandat sénatorial et l'instauration d'un renouvellement du Sénat par moitié.
    En effet, l'actuelle durée de neuf ans fait désormais figure d'exception dans un paysage institutionnel dont tous les mandats sont de cinq ou de six ans, y compris celui du chef de l'Etat.
    Tout d'abord, la proposition de loi organique réduit la durée du mandat sénatorial à six ans. Cette durée coïncide parfaitement avec la durée du mandat de l'ensemble des élus locaux. Elle permet en outre de conserver deux caractéristiques de la tradition bicamérale française : d'une part, l'écart entre la durée du mandat des sénateurs et celui des députés, et, d'autre part, le renouvellement partiel du Sénat.
    Toutefois, cette réduction nécessite de modifier le principe du renouvellement par tiers du Sénat, pour éviter que les renouvellements ne se succèdent à un rythme trop rapide, c'est-à-dire tous les deux ans. C'est pourquoi la proposition de loi organique instaure un renouvellement par moitié tous les trois ans.
    La réduction du mandat sénatorial et l'instauration du renouvellement par moitié nécessitent d'adopter des dispositions transitoires permettant de gérer le passage de trois à deux séries, sans porter atteinte aux mandats sénatoriaux en cours. La proposition de loi organique permet de gérer cette transition en dix ans, en commençant, dès 2004, à élire une partie des sénateurs pour six ans et l'autre, pour neuf ans.
    Le renforcement de la légitimité du Sénat impose en second lieu que l'on procède à une nouvelle répartition des sièges des sénateurs entre les départements, afin de prendre en compte les trois derniers recensements de la population française.
    Le nombre de sénateurs est fixé par la loi organique. Il est actuellement de 304 pour les départements de métropole et d'outre-mer, de 6 pour les territoires d'outre-mer et les collectivités territoriales, et de 12 pour les Français établis hors de France.
    Les dispositions actuelles ont été définies par une loi organique de 1976 qui a créé 33 sièges de sénateurs supplémentaires. Cette loi organique a adopté pour clé de répartition des sièges entre départements la règle suivante : chaque département a droit à un siège jusqu'à 150 000 habitants et à un siège supplémentaire par tranche ou fraction de tranche de 250 000 habitants au-delà de 150 000 habitants.
    Toutefois, le législateur de 1976 n'a pas supprimé les sièges des départements dont l'application stricte de cette clé de répartition conduisait à diminuer le nombre des sénateurs. Trois sièges étaient concernés : 1 dans la Creuse et 2 à Paris.
    Ce faisant, le législateur a instauré de facto un effet de « cliquet », en considérant qu'il était possible d'augmenter, mais non de diminuer le nombre de sénateurs par département.
    Or, les résultats du recensement général de la population de 1999 ont fait apparaître un décalage entre la répartition des sièges du Sénat, telle qu'elle avait été déterminée en 1976, et la répartition de la population française sur le territoire.
    C'est pourquoi le Conseil constitutionnel a, par deux fois, indiqué que la répartition des sièges de sénateurs devait tenir compte de ces évolutions démographiques, en rappelant, en 2000 et en 2001, la nécessité de « modifier la répartition par département des sièges de sénateurs pour tenir compte des évolutions de la population des collectivités territoriales dont le Sénat assure la représentation ».
    La proposition de loi organique répond aux préoccupations du Conseil constitutionnel, puisqu'elle prend en compte ces évolutions démographiques.
    Pour cela, elle utilise la méthode de répartition appliquée en 1976 et, à partir des chiffres du recensement général de la population de 1999, actualise le nombre de sénateurs affectés à chaque département. Ainsi, 25 sièges sont créés dans 21 départements et 3 territoires d'outre-mer.
    Cependant, la proposition ne revient pas sur l'effet de cliquet de 1976 et ne supprime pas les 4 sièges surnuméraires de Paris et de la Creuse.
    Or la conformité de cet effet de cliquet à la Constitution n'a jamais été examinée par le Conseil constitutionnel, qui n'a pas été saisi de cette disposition en 1976.
    Comme j'ai eu l'occasion de le dire devant le Sénat, le Gouvernement n'ignore pas que cette disposition peut être une source de difficulté. Mais il a d'autant moins cru devoir contester le choix opéré par le Sénat que la suppression de sièges à Paris et dans la Creuse se serait effectuée exclusivement au détriment de l'opposition, et qu'il ne voulait pas user envers elle d'un mauvais procédé, fût-il commandé par des raisons purement arithmétiques.
    Troisièmement, la proposition de loi relève de 3 à 4 sièges par département le seuil à partir duquel s'appliquent le scrutin proportionnel et l'obligation d'alternance des candidats de chaque sexe sur les listes électorales.
    La conformité à la Constitution du relèvement de ce seuil a été longuement débattue. Certains prétendent qu'elle pourrait réduire le champ d'application de la parité...
    M. Bernard Roman. C'est évident !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. ... et méconnaître l'article 3 de la Constitution issu de la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999, selon lequel « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ».
    Le Conseil constitutionnel pourrait en effet, conformément à une jurisprudence récente, être amené à vérifier que les dispositions de la proposition de loi « n'ont ni pour objet, ni par elles-mêmes, pour effet de réduire la proportion de femmes élues ».
    Cependant, selon la formule consacrée, « la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement ». Aucune règle, fût-elle de valeur constitutionnelle, ne saurait par conséquent priver le Parlement de sa légitimité à modifier un mode de scrutin. En fixant au législateur l'objectif de favoriser l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et fonctions électives, le constituant n'a pas entendu - et il ne l'a jamais dit - lui imposer par le fait de substituer de manière irréversible le scrutin de liste au scrutin uninominal. Ou alors, si telle était la règle, il ne resterait plus que le scrutin proportionnel à être constitutionnel.
    M. Jérôme Bignon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Très pertinent !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Tel n'est évidemment pas le cas. Le législateur conserve le droit de choisir son mode de scrutin et la Constitution n'en impose aucun.
    M. Bruno Le Roux. Il n'est qu'à relire l'excellent rapport de Mme Zimmermann !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Quatrièmement, le Gouvernement se réjouit enfin de voir l'âge d'éligibilité à la Haute Assemblée réduit à trente ans, ce qui le rapproche du seuil requis pour les autres élections.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Ce n'est pas le but...
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Il est de tradition que les assemblées parlementaires fixent elles-mêmes le mode de scrutin qui préside à l'élection de leurs membres. Respectueux de cette tradition, le Gouvernement a accepté que l'initiative de la réforme du Sénat revienne aux sénateurs eux-mêmes sous la forme d'une proposition de loi. Il souhaite donc que l'Assemblée nationale, sans s'immiscer plus que de raison dans les problèmes électoraux propres au Sénat, exerce à son tour la plénitude des responsabilités du législateur. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, sous l'impulsion du président du Sénat, M. Poncelet, et du président du groupe UMP du Sénat, M. de Rohan, la Haute Assemblée a initié son « auto-réforme » en adoptant, le 12 juin dernier, deux propositions de loi.
    La première proposition de loi, organique, tend à faire passer le mandat de sénateur de neuf à six ans tout en maintenant, par moitié, le principe du renouvellement partiel afin de préserver son caractère modérateur. L'âge d'éligibilité des sénateurs est abaissé de trente-cinq à trente ans afin d'ouvrir davantage le Sénat aux jeunes générations ; enfin, le nombre des sénateurs est adapté en l'augmentant pour tenir compte des évolutions démographiques intervenues depuis 1975.
    La deuxième proposition de loi, ordinaire, organise la nouvelle répartition des 346 sièges de sénateurs dont la création est proposée dans les départements et rétablit l'équilibre entre le scrutin majoritaire et la représentation proportionnelle.
    On l'a bien compris à l'exposé des modifications contenues dans ces deux lois : l'essence même du régime électoral de notre seconde chambre n'est pas remise en cause. Les principes posés à l'article 24, alinéa 3, de la Constitution sont les suivants : le Sénat est élu au suffrage universel indirect, il assure la représentation des collectivités territoriales de la République et les Français établis hors de France y sont représentés.
    Ces principes étant posés, les caractéristiques fondamentales du régime électoral du Sénat sont au nombre de cinq.
    Premièrement, ce sont les élus locaux qui composent, pour l'essentiel, le collège électoral. En effet, 95 % de ce collège est fourni par les conseils municipaux ; les députés n'y comptent que pour 0,4 %, le solde étant constitué des conseillers généraux et régionaux.
    Deuxièmement, le département est la circonscription électorale de l'élection du Sénat - exception faite, évidemment, des collectivités d'outre-mer. Cette règle, constante depuis 1975, s'explique par l'histoire de nos républiques.
    Troisièmement, le Sénat est la seule assemblée politique française qui soit désignée à travers deux modes de scrutin différents, le scrutin majoritaire pour les petits départements et le scrutin proportionnel pour les départements plus importants. C'est une évolution que nous devons à la IVe République, puisque sous la IIIe les sénateurs étaient tous élus au scrutin majoritaire.
    Quatrièmement, les sénateurs sont actuellement élus pour neuf ans, la longueur de ce mandat étant tempérée par un renouvellement triennal ; cinquième caractéristique enfin, l'âge d'éligibilité est fixé à trente-cinq ans.
    Ce régime électoral fait indiscutablement du Sénat une institution stabilisatrice assurant, à côté de l'Assemblée nationale, une représentation différenciée et complémentaire de la nation. Certes, notre bicamérisme inégalitaire, qui donne le dernier mot à l'Assemblée nationale en raison notamment de son mode d'élection, au suffrage universel direct, rendait moins urgente et moins aiguë la nécessité d'une évolution. Mais les changements rapides de notre société et l'intervention d'autres réformes - ainsi le quinquennat pour le Président de la République - ont incité les sénateurs, et il faut s'en féliciter, à décider ce qu'un journal du soir a appelé avec excès « une automutilation ». Bien au contraire, nos collègues, en entreprenant de réformer le Sénat sur deux points, ont non seulement donné d'eux-mêmes une image dynamique...
    M. Bernard Roman. Il ne faut rien exagérer !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. ... en proposant une réforme plutôt que de la subir, mais également rajeuni une institution particulièrement utile au fonctionnement équilibré de nos institutions.
    M. Bruno Le Roux. Et quand ils sont partis, ils ne s'arrêtent plus !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Les deux points de cette réforme, on l'aura compris, touchent à la durée du mandat, d'une part, et à l'amélioration de la représentativité des sénateurs, d'autre part.
    La durée du mandat, raccourcie à six ans, sera donc alignée sur celle des mandats locaux. Cela n'a rien d'illogique dans la mesure où, on l'a vu plus haut, 99,6 % de ceux que l'on appelle les grands électeurs sont des élus locaux. Une certaine uniformité est ainsi instaurée avec les mandats municipaux, régionaux et ceux des conseillers généraux.
    En outre, le Sénat sera désormais renouvelé par moitié. Il était certes concevable, mais difficilement réalisable et à l'évidence compliqué pour le fonctionnement du Sénat de conserver le renouvellement par tiers, qui aurait dû intervenir tous les deux ans - six ans divisés par trois. Le rythme de trois ans correspond à celui du conseil général et donne ainsi une certaine harmonie à cette organisation.
    La mise en oeuvre de la réforme sera progressive - vous-même l'avez dit, monsieur le ministre. Les trois séries actuelles, dites A, B, et C, ne deviendront les séries 1 et 2, appelées à être renouvelées au bout de six ans, qu'au terme d'un long processus appelé à commencer l'année prochaine, en septembre 2004, et qui s'achèvera en 2013. Il s'agit de le réaliser avec la modération qui sied à cette noble institution... Associé au fait que le Sénat ne peut être dissous, ce nouveau rythme confirmera, malgré la réduction de la durée du mandat, sa fonction modératrice.
    Après la réduction de la durée du mandat, l'amélioration de la représentativité des sénateurs. Pour atteindre cet objectif, trois moyens sont proposés.
    Premièrement, l'âge d'éligibilité est abaissé à trente ans. C'est un pas dans la bonne direction. Certains s'interrogent sur une possible uniformisation des âges d'éligibilité ; d'autres défendent la spécificité sénatoriale en raison du mode d'élection, le suffrage indirect, et de la fonction politique de modération de la Haute Assemblée. Il faut, me semble-t-il, expérimenter - le mot est à la mode - cette mesure pour en apprécier les éventuels effets. Il sera toujours temps d'évoluer si besoin est.
    Deuxièmement, la répartition des sièges doit être adaptée aux évolutions démographiques. Celle-ci n'a connu aucun changement depuis 1976. Or plusieurs recensements ont eu lieu et le Conseil constitutionnel a enjoint le législateur d'en tenir compte. En reprenant la clé de répartition de 1949, légèrement modifiée en 1966, nos collègues sénateurs proposent de créer 22 nouveaux sièges répartis entre 21 départements.
    M. Bernard Roman. C'est trop !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Les sénateurs, dans un consensus politique, vous nous l'avez dit, monsieur le ministre, n'ont pas tenu compte de l'impact démographique à la baisse, ce qui a conduit la commission des lois à proposer à son tour un amendement, qui a fait l'objet d'un consensus juridique, tendant à supprimer quatre sièges de sénateur, trois pour Paris et un pour la Creuse. En effet, le Conseil constitutionnel nous a enjoint par deux fois, dans deux décisions distinctes, de prendre acte de l'évolution démographique. Même quand elle était malheureusement négative, il nous paraissait difficile de nous plier à la règle du « toujours plus » et jamais à celle du « de temps en temps, un peu moins ». Au-delà de l'aspect purement juridique, nos concitoyens auraient eux aussi du mal à comprendre.
    M. Robert Pandraud. Ne serait-ce qu'au titre de la diminution de la dépense publique !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. S'agissant des collectivités d'outre-mer dont la représentation n'a pas changé depuis 1946 - contre 1976 pour les départements -, il est urgent de procéder aux adaptations nécessaires, d'autant que l'augmentation de la population a été forte dans ces territoires. Trois nouveaux sièges sont ainsi créés.
    La réforme propose enfin un meilleur équilibre entre le scrutin majoritaire et le scrutin proportionnel. En effet, depuis la loi de juillet 2000, 212 sénateurs, soit 70 % d'entre eux, issus de 50 départements, sont élus à la proportionnelle. En revenant au scrutin majoritaire dans les départements élisant 3 sénateurs ou moins, l'équilibre sera mieux assuré puisque 48 % des sénateurs seront élus au scrutin majoritaire et 52 % à la proportionnelle. Même moindre, au cas où l'amendement de la commission des lois viendrait à être adopté, la création de sièges supplémentaires proposée par les sénateurs profitera davantage aux départements les plus peuplés et, par voie de conséquence, aux élus à la proportionnelle.
    Il n'est pas apparu à la commission des lois, qui en a largement débattu, que ce rééquilibrage présentait un caractère contraire à l'article 3 de la Constitution. En effet, la grande réforme de 1999, qui a introduit la parité dans la loi fondamentale, n'a pas posé le principe que le scrutin majoritaire devait disparaître, vous l'avez dit avec beaucoup de pertinence, monsieur le ministre. Je ne peux que souscrire à cette analyse, le scrutin proportionnel n'est pas le seul à favoriser la parité. Ce serait, à mon avis, faire injure à nos collègues féminines engagées en politique que de présupposer qu'elles ne peuvent accéder à un mandat politique quelconque avec le scrutin majoritaire.
    M. Pascal Clément, président de la commission. Tout à fait !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Ce serait, à mon sens, une erreur politique que de suivre une telle logique.
    M. Bernard Roman. Chacun sait qu'elles seront aussi nombreuses que les hommes ! (Sourires.)
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. La parité a certes progressé au Sénat et continuera de le faire avec l'élection des séries C en 2004 et A en 2007. Elle gagnera aussi du terrain, et je le dis à notre collègue présidente de la délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes, si les partis politiques concourent de façon honnête, sérieuse, loyale à la promotion des femmes dans les commissions d'investiture,...
    M. Guy Geoffroy. C'est de leur responsabilité.
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. ... et si les femmes s'engagent.
    Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entres les hommes et les femmes. Tout à fait !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Il est arrivé à votre rapporteur, en tant que président de commission d'investiture, d'avoir du mal à trouver des candidates en nombre suffisant pour pouvoir assurer cette représentation. Je crois qu'il faut un effort convergent du législateur - auquel la Constitution nous invite -, des partis politiques et de nos compatriotes féminines pour répondre à un souhait de nos concitoyens.
    M. Bruno Le Roux. Mais qui va rester à la maison ? (Sourires.)
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Le relèvement du seuil poursuit un objectif constitutionnel conforme à l'intérêt général en assurant un meilleur équilibre pour mieux représenter les collectivités territoriales.
    Le juge constitutionnel s'est toujours refusé, semble-t-il, à devenir un juge de l'opportunité des dispositions votées par le législateur. La Constitution ne lui confère pas un pouvoir d'appréciation et de décision de même nature que celui que nous détenons. Il lui importe de vérifier que les modalités retenues ne sont manifestement pas inappropriées à l'objectif poursuivi. Dans cette optique, il me semble que les dispositions proposées ne sont pas contraires à la Constitution.
    En conclusion, c'est une réforme simple qui va dans le bon sens. Comme toujours, certains diront qu'elle est inutile ou que c'est un simple gadget, d'autres dénonceront les créations de sièges supplémentaires, d'autres encore reprocheront à cette proposition de loi organique de ne pas présenter beaucoup d'intérêt. Mais n'oublions pas deux choses. D'une part, l'essentiel de cette réforme passe par une loi organique qui doit être votée dans les mêmes termes par les deux assemblées. Il faut avoir présent à l'esprit le principe de réalité. D'autre part, la durée du mandat, très anachronique, méritait à elle seule une réforme.
    M. Jean-Jack Queyranne. S'il n'y avait que ça !
    M. Bernard Roman. C'est le Sénat lui-même qui est anachronique !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Je n'insulterai pas nos collègues, comme vous le faites, parce que je pense que notre bicamérisme inégalitaire est très intéressant et qu'il contribue de façon intelligente à une vie politique riche où chacun est bien représenté.
    M. Guy Geoffroy. Absolument !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Tout à fait !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. La démocratie représentative, même si elle est ancienne dans notre pays, est un bien fragile qu'il faut à la fois respecter et renforcer en la faisant évoluer.
    Le projet de Constitution européenne et le concept de développement durable qui nous incitent à une nouvelle gouvernance font aujourd'hui coexister démocratie représentative et démocratie participative. L'une ne va certes pas sans l'autre, mais l'émergence de la seconde aux contours encore mal définis, dont les instruments ne sont pas tout à fait au point et les effets pas parfaitement maîtrisés, doit nous inciter à consolider la première, en favorisant l'évolution mesurée de la grande institution de la République que constitue le Sénat. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
    Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la délégation aux droits des femmes a été saisie sur sa demande par le président de la commission des lois, que je tiens à remercier, des deux propositions de loi sénatoriales portant réforme du régime électoral des sénateurs et elle a adopté six recommandations sur ces textes.
    Même s'il est de tradition que chaque assemblée fixe elle-même son régime électoral, la délégation, qui a pour mission d'évaluer les conséquences sur les droits des femmes de toute modification législative, ne pouvait se désintéresser du nouveau mode de scrutin qui aura des conséquences non négligeables sur le nombre de femmes élues au Sénat.
    Elle a donc souhaité réaffirmer dans une première recommandation la portée de la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999 qui a reconnu l'objectif constitutionnel de parité en posant que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ».
    Elle a donc, dans une première recommandation, souhaité réaffirmer la portée de la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999, qui a reconnu l'objectif constitutionnel de parité en permettant à la loi de « favoriser » l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.
    La délégation a rappelé que cette réforme constitutionnelle a permis l'adoption de plusieurs lois favorables à la parité, concernant les élections au scrutin de liste - municipales, régionales, sénatoriales et européennes - et les élections législatives.
    La loi du 6 juin 2000, mais également celle du 11 avril 2003 pour les élections régionales et européennes et celle du 27 mai 2003 pour les élections à l'assemblée de Corse ont toutes retenu le principe de l'alternance homme femme sur les listes électorales. Or c'est ce principe d'alternance qui, dans le scrutin de liste, permet de garantir la parité.
    La délégation a regretté les résultats insuffisants de la loi du 6 juin 2000 pour les élections législatives. En revanche, elle s'est félicité des avancées significatives obtenues grâce à l'application de cette loi aux élections municipales de mars 2001, puisque 47,5 % des femmes ont été élues dans les communes de plus de 3 500 habitants, et aux élections sénatoriales de septembre 2001, 20 femmes ayant été élues parmi les 74 sénateurs élus à la proportionnelle avec obligation de parité, au lieu de 5 auparavant.
    M. Bernard Roman. Eh oui !
    Mme Marie-Jo Zimmerman, présidente de la délégation aux droits des femmes. La délégation a considéré que le rétablissement du scrutin majoritaire, à la place du scrutin proportionnel avec alternance homme femme dans les départements élisant trois sénateurs, aurait des effets défavorables sur la parité lors des prochaines élections sénatoriales.
    Lors du dernier renouvellement, 27,03 % des sénateurs élus au scrutin proportionnel étaient des femmes, contre 7,14 % seulement parmi ceux élus au scrutin majoritaire.
    Certes, avec le scrutin proportionnel, le nombre de femmes élues est d'autant plus grand que les départements comportent un plus grand nombre de sièges : il y a eu ainsi 35,71 % de femmes dans les départements élisant 5 sénateurs et plus, 25 % dans ceux élisant 4 sénateurs et 20 % dans ceux élisant 3 sénateurs.
    Toutefois, sur la base des chiffres du renouvellement de 2001 dans les départements élisant trois sénateurs - 20 % de femmes élues -, il y aurait environ 15 femmes élues sur 75 sénateurs, si le scrutin proportionnel y était maintenu. Ce chiffre est à comparer à ceux des renouvellements de 1992, de 1995 et de 1998, réalisés au scrutin majoritaire, où, pour l'ensemble des 3 scrutins, une femme seulement avait été élue sur les 78 sénateurs (« Absolument ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) des 26 départements élisant 3 sénateurs. La comparaison, pardonnez-moi, se passe de commentaire.
    M. Michel Vaxès. Absolument !
    Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente à la délégation aux droits des femmes. La réforme projetée a donc bien pour effet de « défavoriser » la représentation des femmes au Sénat.
    Dès lors, à l'instar de l'analyse que vous avez développée devant le Sénat, monsieur le ministre, la délégation, après avoir rappelé combien le Conseil constitutionnel s'est montré un gardien vigilant de la parité, s'est interrogée sur la compatibilité de la proposition de loi avec l'article 3 de la Constitution.
    Enfin, la délégation a conclu ses recommandations en réaffirmant un souhait déjà exprimé à plusieurs reprises : celui que les partis politiques, conformément à l'article 4 de la Constitution, veillent activement à la mise en oeuvre de l'objectif de parité.
    En conclusion, la réforme sénatoriale aurait pour effet de briser une dynamique paritaire voulue à l'unanimité par le législateur lors de la révision constitutionnelle de juillet 1999 et constamment réaffirmée depuis.
    La délégation aux droits des femmes a donc souhaité, une fois encore, par ses recommandations, rappeler que le principe constitutionnel de parité doit guider aussi bien le législateur que le partis politiques dans leur action. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Rappel au règlement

    M. Bruno Le Roux. Rappel au règlement !
    Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour un rappel au règlement.
    M. Bruno Le Roux. Je souhaite faire un rappel au règlement sur l'organisation de nos débats.
    Hier a eu lieu en Corse la première consultation rendue possible par la récente révision de la Constitution. Nous en avons discuté il y a encore quelques semaines dans l'hémicycle, opposant nos arguments respectifs.
    Or, comme nous sommes réunis en session extraordinaire, nous n'avons pas la possibilité d'interroger le Gouvernement le mardi ou le mercredi pour savoir comment il interprète les résultats - tant attendus - de cette consultation et quelles sont ses intentions au vu de ceux-ci.
    Le Gouvernement a-t-il prévu de faire au cours de cette semaine - aujourd'hui peut-être - une déclaration devant l'Assemblée nationale pour indiquer les enseignements qu'il tire de cette consultation ou d'ouvrir un débat à ce sujet ?
    M. Robert Pandraud. Ce n'est pas un rappel au règlement !
    M. Bruno Le Roux. Cette discussion serait nécessaire, car c'est la première fois que ce genre de consultation a lieu dans notre pays.
    M. Robert Pandraud et Mme Martine Aurillac. Ce n'est pas un rappel au règlement !
    M. Bruno Le Roux. Les résultats sont un peu étonnants, compte tenu de l'engagement très fort du Gouvernement pour le « oui ». Au-delà des commentaires et des réactions qui paraissent dans la presse, il est nécessaire qu'un débat ait lieu dans notre assemblée. Quelles sont les intentions du Gouvernement à ce sujet ?
    Mme la présidente. Monsieur Le Roux, quand l'Assemblée siège en session extraordinaire, l'ordre du jour est limité et relève de la responsabilité du Gouvernement. A lui de décider de la suite qu'il souhaite donner à votre proposition.

Exception d'irrecevabilité

    Mme la présidente. Sur la proposition de loi portant réforme de l'élection des sénateurs, j'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est à M. Bernard Roman.
    M. Bernard Roman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous livrons aujourd'hui à un exercice quelque peu singulier. Nous sommes en effet saisis, en plein mois de juillet, toutes affaires cessantes, d'une réforme portant sur la composition du Sénat et le mode d'élection des sénateurs. Et tout cela pour quoi ?
    Pour examiner deux propositions de loi concoctées par les sénateurs eux-mêmes, basées sur les recommandations d'un groupe de travail composé exclusivement de sénateurs, sans aucune prise en compte des attentes de l'opinion à l'égard de leurs institutions en général et de leur appréhension - ou de la nôtre - du bicamérisme français en particulier.
    Car contrairement à ce que voudraient les sénateurs - et je tiens à le souligner dès le début de mon propos -, une réforme qui porte sur la composition et le mode d'élection de la Haute Assemblée n'est pas seulement leur affaire. Elle intéresse aussi l'Assemblée nationale, car l'équilibre du bicamérisme est en cause, et l'ensemble des Français, car le fonctionnement de leurs institutions est en jeu.
    Le Sénat est conscient, depuis un certain temps, de la nécessité de se réformer ; il y est même contraint. Il n'ignore pas les critiques dont il est l'objet : un mandat exceptionnellement long, un mode d'élection déséquilibré, une légitimité quelquefois contestée.
    Il nous propose aujourd'hui, pour solde de tout compte en quelque sorte, un service minimum de la réforme. La majorité sénatoriale consent ainsi à accepter deux évolutions qui, de toute façon, étaient inéluctables : la réduction à six ans de la durée du mandat sénatorial - devenue incontournable depuis l'instauration du quinquennat présidentiel - et l'abaissement de l'âge d'éligibilité à trente ans, pour faire moderne.
    S'agissant de ce dernier point, je dirai, non sans une pointe d'humour : quelle ambition. En effet, je ne me lasse jamais de rappeler que l'âge d'éligibilité pour l'élection présidentielle est de vingt-trois ans. C'est vrai qu'il faut sans doute être plus digne et plus mature pour être candidat aux élections sénatoriales dans notre pays que pour être candidat à l'élection présidentielle. Le Président appréciera !
    Pourquoi cette réforme a mimima est-elle si urgente que nous devions en débattre dans les conditions que nous connaissons ? Les sénateurs ont anticipé cette question, d'autant plus pertinente que la majorité sénatoriale s'applique aujourd'hui une disposition qu'elle rejetait il y a trois ans, celle de l'augmentation de son effectif. A un an de son renouvellement triennal, la Haute Assemblée, qui s'était vu imposer sous la précédente législature une modification des règles électorales qu'elle avait vécue comme un outrage, s'empresse d'enrober d'un habillage pseudo-rénovateur une réforme dont l'enjeu est de revenir au statu quo ante en matière de représentation proportionnelle et de parité.
    Certes, la majorité sénatoriale s'emploie avec beaucoup de rouerie à justifier sa réforme. Le postulat de départ est la recommandation du Conseil constitutionnel d'adapter les effectifs sénatoriaux. Le sénateur Larché explique ainsi dans son rapport à la fois la forme - précipitée - et le fond de la réforme, considérant que les positions récentes du Conseil constitutionnel « impliquent aujourd'hui une actualisation rapide de la répartition des sièges des sénateurs ».
    On pourrait être tenté de saluer le zèle avec lequel le Sénat se plie aux observations du Conseil, lesquelles au demeurant n'impliquent en rien d'augmenter l'effectif sénatorial, mais seulement de l'adapter aux évolutions démographiques.
    On est aussi en droit de ne pas comprendre pourquoi l'Assemblée nationale se voit imposer d'examiner sans délai des propositions de loi dont l'intérêt principal est de faire plaisir à M. Poncelet. Nous serions bien mesquins de jouer les trouble-fêtes...
    Les petits cadeaux entre amis continuent.
    M. Guy Geoffroy. Oh !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Il y en a sous tous les régimes !
    M. Bernard Roman. Depuis que le sénateur Raffarin est entré à Matignon, la modernisation de la vie politique a été oubliée, la parité sacrifiée, le cumul des mandats réhabilité, la décentralisation détournée.
    M. Guy Geoffroy. Quelle caricature !
    M. Bruno Le Roux. Ce ne sont rien que des vérités !
    M. Bernard Roman. Caricature ? Un tel procès me surprend, car tout cela se fait au détriment de l'Assemblée nationale et au détriment de principes - y compris de principes constitutionnels - sur lesquels nous fûmes unanimes.
    Le Sénat, en revanche, a été favorisé, flatté, gâté.
    A la faveur de la révision constitutionnelle sur l'organisation décentralisée de la République, il a vu ses prérogatives renforcées.
    M. Guy Geoffroy. Faux !
    M. Bernard Roman. Malgré les réserves du Conseil d'Etat, selon lequel il n'est pas conforme à la conception française du bicaméralisme, pour l'examen d'une catégorie très importante de textes législatifs, de donner la primauté à la chambre qui n'est pas élue au suffrage universel direct,...
    M. Guy Geoffroy. La primeur, pas la primauté ! C'est différent !
    M. Bernard Roman. ... malgré les craintes formulées par un certain nombre de députés UMP - et pas n'importe lesquels, puisque le président de l'Assemblée nationale en personne s'est inquiété publiquement - quant à l'équilibre entre les pouvoirs des deux chambres, les projets de loi ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales sont désormais soumis en premier lieu au Sénat. Cela reste néanmoins tout théorique, monsieur le ministre : l'ordre du jour de cette session extraordinaire ne le confirme pas, le texte relatif à l'expérimentation par les collectivités territoriales ayant été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale. Quelques mois à peine après la révision constitutionnelle, le juge constitutionnel appréciera...
    M. Raffarin n'a pas daigné entendre les craintes de ceux qui, y compris au sein de sa majorité, se sont émus des faveurs ainsi accordées au Sénat. Il a même donné le feu vert à M. Poncelet pour consolider encore les privilèges sénatoriaux.
    J'en viens aux deux propositions de loi.
    Inutile de vous préciser, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, que ces textes passeront au crible de l'examen des juges constitutionnels.
    M. le ministre délégué aux libertés locales et M. Jérôme Bignon, rapporteur. Pour une proposition de loi organique, c'est automatique !
    M. Bernard Roman. Le premier texte est organique, certes, mais le second est ordinaire, et nous le déférerons au Conseil constitutionnel.
    La proposition de loi organique porte le nombre total de sénateurs de 321 à 346, réduit le mandat sénatorial de neuf à six ans, prévoit le renouvellement par moitié et abaisse à trente ans l'âge d'éligibilité au mandat sénatorial.
    La seconde proposition de loi, ordinaire, celle-là, procède à une nouvelle répartition des sièges de sénateurs entre les départements et relève à 4 sièges le seuil d'application du mode de scrutin proportionnel.
    Un pas en avant, deux pas en arrière. Derrière l'apparence de la rénovation, il y a la réalité de la régression.
    Les sénateurs de droite accèdent à deux mesures présentées comme des révolutions quand il ne s'agit que de concessions : l'abaissement de l'âge d'éligibilité et la réduction de la durée du mandat. Ces mesures, au demeurant, sont proposées par les élus socialistes depuis des années, et l'opinion n'accepteraient pas qu'elles soient différées, mais elles ne répondent pas, loin s'en faut, à la question de la légitimité du Sénat.
    Cette modernité affichée ne peut, du reste, masquer un conservatisme effréné. L'ambition réelle de ces propositions de loi est bien, pour les sénateurs de droite, de conforter leurs avantages acquis et de rester à l'abri de tout risque d'alternance : « défendre le bastion », selon la formule employée au Sénat par Pierre Mauroy.
    Cette réforme est contestable, d'abord parce que l'augmentation de l'effectif sénatorial est injustifiée.
    Avec habileté - et prudence -, la présentation de la réforme s'appuie sur la décision du Conseil constitutionnel, en date du 6 juillet 2000, à propos de la loi relative à l'élection des sénateurs, qui mentionne en effet la nécessité d'une nouvelle répartition des sièges par département afin de tenir compte des évolutions démographiques.
    Les sénateurs, s'ils se disent très soucieux de respecter les préconisations du Conseil constitutionnel, ne se montrent aussi sourcilleux que pour autant qu'ils y trouvent avantage... Leur volonté de se conformer aux observations du Conseil est à géométrie variable.
    Certes, le rapport Larché fonde ces propositions de loi sur « les décisions du Conseil constitutionnel des 6 juillet 2000 et 20 septembre 2001 [qui] ont exigé que le législateur modifie le nombre de sénateurs et la répartition par département des sièges pour prendre en considération les évolutions de la population des collectivités territoriales dont le Sénat assure la représentation ». A cet égard, le rapport Larché parle même « d'ardente obligation » au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel !
    Mais cela ne l'empêche pas, quelques pages plus loin, sur un sujet certes moins agréable aux sénateurs - en l'occurrence le respect du principe constitutionnel d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs -, d'affirmer que le juge constitutionnel, en matière électorale, « s'est toujours refusé à devenir un juge de l'opportunité des dispositions retenues par le législateur ». A bon entendeur ! Chacun comprendra que le Sénat utilise uniquement les décisions du Conseil constitutionnel qui l'intéressent !
    Le Conseil est d'ailleurs prié par avance de ne pas trop se mêler d'évaluer les conséquences des nouvelles dispositions au regard de notre loi fondamentale.
    Il est aussi extrêmement instructif de s'intéresser à l'interprétation par les sénateurs de l'article 24 de la Constitution car ils ont un véritable don pour le tordre dans le sens qui les arrange.
    Qu'on en juge ! Quand le gouvernement précédent avait proposé de modifier le nombre de sénateurs, le Sénat avait répondu catégoriquement « non » et adopté, le 16 mars 2000, une question préalable, ce qui conduisit au retrait du texte. Et voilà que la majorité sénatoriale actuelle - elle n'a pourtant pas changé -...
    M. Guy Geoffroy. Voilà ce qui vous gêne !
    M. Bernard Roman. ... multiplie les raisonnements justifiant une augmentation de l'effectif de la Haute Assemblée. Il y a trois ans, elle n'estimait pas nécessaire d'augmenter le nombre de sénateurs, sous prétexte que le Sénat représente les collectivités territoriales. Elle soutient aujourd'hui que, le Sénat représentant les collectivités territoriales, il est urgent d'augmenter le nombre de sénateurs. (Sourires.)
    Ainsi, en mars 2000, invitant le Sénat à adopter sa question préalable pour rejeter la proposition du gouvernement précédent - il s'agissait de créer 22 sièges et d'en supprimer 4 -, Paul Girod avait déclaré : « Dans la mesure où, en application de l'article 24 de la Constitution, le Sénat est le représentant des collectivités territoriales, il n'y a pas nécessairement à rechercher une stricte proportionnalité entre le nombre de sénateurs et la population des départements. » Aujourd'hui, le rapport Larché préconise au contraire « l'ajustement pertinent du nombre de sénateurs aux réalités démographiques » !
    Il y a trois ans, Paul Girod s'interrogeait : « II n'est peut-être pas nécessaire, dans l'état actuel de la conjoncture, d'augmenter les coûts de fonctionnement du Parlement de manière inconsidérée. Nous sommes actuellement 321, et, à 321, nous délibérons sereinement, nous délibérons convenablement, nous délibérons au fond. Pourquoi augmenter indéfiniment, sous le nez de nos concitoyens qui jugent déjà la classe politique un peu pléthorique, le nombre de sénateurs ? »
    Il poursuivait : « Le Sénat prendra ses responsabilités, il va indiquer au pays qu'il ne lui semble pas nécessaire d'augmenter un personnel politique sur lequel pèsent déjà, malheureusement, trop de soupçons » ! Il indiquait par ailleurs que la qualité du travail d'une assemblée parlementaire ne se mesurait pas au nombre de ses membres et que la création de sièges supplémentaires était une « solution de facilité inutile ».
    Quant à Jacques Larché, il s'adressait ainsi au ministre de l'intérieur de l'époque, Jean-Pierre Chevènement : « J'ai eu l'occasion de vous dire, à titre personnel, lorsque j'ai cru comprendre que le Gouvernement envisageait une telle proposition, à quel point elle me paraissait anachronique. Je me souviens de votre surprise et du zèle de certains de vos amis qui s'employèrent à démontrer combien la proposition du Gouvernement reposait sur de bonnes intentions. »
    « Dans les années 70-80, il y eut une période de vive inflation des effectifs des assemblées. Nul ne peut dire si le nombre actuel est satisfaisant. Notre collègue Albert Vecten vous en a proposé la diminution, et je n'étais pas loin au fond de moi-même de l'approuver. En tout état de cause, l'incrédulité qui a pu saisir certains, en dehors de ces murs, lorsque nous avons indiqué qu'il ne nous semblait pas nécessaire d'augmenter le nombre des sénateurs, m'apparaît à mon tour surprenante. C'est une décision dont nous sommes maîtres et que nous nous devons de prendre dans un certain climat d'antiparlementarisme. Je ne pense pas que l'opinion publique apprécierait l'accroissement de nos effectifs. Celui-ci ne nous paraît pas nécessaire. »
    Comment comprendre, mes chers collègues, que, trois ans après ces propos péremptoires, ce qui était « anachronique » soit devenu urgent, ce qui était inutile soit estimé nécessaire, ce qui était inopportun soit désormais indispensable ?
    La seule explication est que, il y a trois ans, la modification de l'effectif sénatorial devait accompagner la réforme du mode d'élection, l'abaissement du seuil de la proportionnelle et l'élargissement du collège électoral, dont la Haute Assemblée ne voulait pas.
    Aujourd'hui, la majorité sénatoriale, qui tient absolument à revenir sur la proportionnelle et la parité, accepte en contrepartie d'adapter la représentation sénatoriale à l'évolution démographique en proposant elle-même l'augmentation du nombre de sièges qu'elle vilipendait hier.
    Les sénateurs se réfèrent d'ailleurs largement pour ce faire, selon leurs dires, au rapport Hoeffel.
    C'est à moitié vrai et à moitié faux et, là encore, les sénateurs semblent être devenus, en ce qui concerne les textes et les rapports auxquels ils se réfèrent, les spécialistes du tri sélectif. Ce rapport, il convient de le rappeler, propose en effet, lui aussi, l'actualisation de la répartition des sièges sur la base du recensement de 1999 mais avec un effectif globalement stable à quelques unités près.
    Rappelant que la décision du 6 juillet 2000 du Conseil constitutionnel appelle à modifier la répartition par département des sièges de sénateurs pour tenir compte des évolutions de la population des collectivités territoriales dont le Sénat assure la représentation, le rapport insiste sur le fait que la répartition par département doit tenir compte de la population des collectivités territoriales, et souligne la relative stabilité de l'effectif sénatorial : 300 en 1875, 322 en 2002, malgré une augmentation de population de 39 à 60 millions d'habitants sur cette période.
    Le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale, M. Bignon, propose de supprimer 4 sièges, se rapprochant ainsi de la proposition refusée par ses amis sous la précédente législature. J'ignore quelle sera la position du Gouvernement vis-à-vis de cette mesure, mais elle va dans le bon sens et est, en tout cas, conforme aux décisions du Conseil constitutionnel et aux conclusions du rapport Hoeffel concernant le Sénat. Nous verrons ce qu'il en adviendra.
    L'augmentation du nombre de sièges n'a rien d'imposé, ni par la pseudo-injonction du Conseil constitutionnel derrière laquelle s'abritent les sénateurs, ni par la contrainte démographique. Elle n'est qu'une solution de facilité, non seulement parce qu'elle évite de se fâcher avec des élus en leur annonçant que leur département enverra un sénateur de moins au Palais du Luxembourg, mais aussi parce qu'elle permet d'atténuer les incidences sur la parité du relèvement du seuil d'application de la proportionnelle. Il reste que cette correction remet en cause la tradition constitutionnelle française, qui a consisté à toujours observer une certaine proportion entre la composition de la première assemblée élue au suffrage universel et celle de la chambre haute. Les travaux préparatoires à la Constitution ont toujours reposé sur un rapport deux tiers un tiers entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Si l'Assemblée nationale ne s'oppose pas à la création de 25 sénateurs supplémentaires sans ajustement de la représentation de l'Assemblée au congrès, l'équilibre de nos institutions s'en trouvera modifié.
    Je tiens à préciser que le Congrès ne tient pas une place mince dans nos institutions. Il jouera d'ailleurs un rôle central lors de la révision du statut pénal du président de la République.
    Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes. Je l'espère.
    M. Bernard Roman. Compte tenu du fait que, tant que le mode de scrutin ne sera pas modifié, le Sénat aura toujours une majorité de droite, la procédure d'impeachment proposée par le projet de loi constitutionnel sur la responsabilité pénale du président de la République, qui, d'après ce que j'ai cru comprendre, devrait nous être soumis prochainement, ne peut concerner qu'un président de gauche puisqu'il y aura toujours une majorité de droite au Congrès. En renforçant encore la place du Sénat à l'intérieur du Congrès, vous renforcez encore ce mouvement qui n'est pas tout à fait salutaire dans une démocratie comme la nôtre.
    Les débats au Sénat, le mois dernier, vous ont donné, monsieur le ministre, l'occasion de qualifier cette augmentation de l'effectif sénatorial d'« inconvénient inévitable ».
    Or, il est évitable, pour les raisons que je viens d'exposer.
    Nous relèverons le défi que vous avez lancé aux sénateurs socialistes : nous présenterons nous aussi un amendement tendant à définir une nouvelle répartition des sièges à l'intérieur des départements, à effectif constant, et vous demanderons de le reprendre à votre compte, comme vous vous y êtes engagé au Sénat.
    Cette réforme, mes chers collègues, est critiquable, car elle oublie un des éléments présents dans les décisions du Conseil constitutionnel et les préconisations du rapport Hoeffel : à savoir la composition du collège électoral. C'est le deuxième aspect que je veux rapidement évoquer pour montrer l'inconstitutionnalité de ces textes.
    L'une des réserves majeures que suscite le mode d'élection du Sénat résulte de la désignation et de la composition du collège électoral.
    Monsieur le rapporteur, vous l'avez rappelé, les délégués des conseils municipaux constituent à eux seuls plus de 95 % du collège électoral, ce qui assure une représentation quasi exclusive des communes, avec, naturellement, une sur-représentation des communes rurales. N'oublions pas que, sur les 36 000 communes que compte notre pays, plus de 30 000 ont une population de moins de 1 000 habitants. Le rapport Hoeffel reconnaît, d'ailleurs, la nécessité de tenir compte de la place des grandes villes dans le collège sénatorial et préconise que les départements et les régions procèdent à l'élection de délégués supplémentaires, à l'instar des communes les plus peuplées.
    Laissant le soin à la commission des lois de formuler des propositions quant au nombre de délégués supplémentaires - question délicate, j'en conviens, puisque le texte que nous avions nous-même proposé avait été censuré sur ce point par le Conseil constitutionnel -, M. Hoeffel ajoute que « le principe même d'élection de délégués supplémentaires départementaux et régionaux constituerait une innovation majeure, irait beaucoup plus loin dans le sens du rééquilibrage de la représentativité sénatoriale que la plupart des propositions dont le Sénat a pu précédemment être saisi, car ce rééquilibrage concernerait toutes les collectivités territoriales, et pas simplement les communes. Sans affecter l'assise élective des sénateurs, dont le collège électoral resterait majoritairement composé des délégués des communes, cette mesure représenterait, une vingtaine d'années après les grandes réformes de la décentralisation, une reconnaissance claire du fait régional et de l'importance des départements ». On pourra même, poursuit M. Hoeffel, réfléchir « sur la prise en compte, le moment venu, des intercommunalités dans le collège électoral ».
    Etrangement, les propositions de loi qui nous sont soumises ignorent totalement cette partie du rapport Hoeffel et les recommandations du Conseil constitutionnel sur ce point semblent avoir été totalement occultées par les sénateurs. Cela est d'autant plus curieux que les principes définis par le Conseil constitutionnel n'excluent en rien une modification du collège électoral. Il en ressort, en effet, ainsi que l'explique M. Hoeffel, que le Sénat doit être élu par un corps électoral émanant des collectivités territoriales, que toutes les catégories de collectivités territoriales doivent y être représentées, que la représentation des communes doit refléter leur diversité, et que le respect du principe d'égalité devant le suffrage impose que la représentation de chaque catégorie de collectivité tienne compte de la population, sans que la fixation du nombre de délégués supplémentaires aille au-delà de la simple correction démographique.
    Dès lors, si cette décision a justifié l'annulation du dispositif proposé sous la précédente législature, elle ne permet pas de conclure au bien-fondé du statu quo, bien au contraire. Car si l'article 24 de la Constitution dispose que le Sénat représente les collectivités territoriales de la République, comment ne pas considérer que ces collectivités sont des communautés humaines et non de simples territoires, et qu'elles doivent être également représentées en fonction de leur population ?
    Si chaque commune, département ou région, possède un droit propre à être représenté dans le collège électoral sénatorial, si chaque département dispose du droit d'élire au moins un sénateur, cette considération sur le caractère territorial du Sénat ne peut influer, en tout cas à la baisse, sur les droits de chaque citoyen. Le suffrage universel indirect n'exclut pas le droit égal de représentation. En d'autres termes, l'application de l'article 24 de la Constitution ne l'emporte pas sur l'article 3 qui dispose que le suffrage est égal.
    Or, en l'état actuel, cette condition d'égalité n'est pas respectée. C'est, d'ailleurs, ce que suggère la décision du Conseil constitutionnel de juillet 2000.
    Si le bicaméralisme suppose une différence, cette différence n'interdit pas la juste représentativité. Dans un même département, on constate de fortes disparités de représentation entre grandes et petites communes au sein du collège électoral sénatorial. Selon les départements, les droits civiques de l'habitant d'une commune de 50 habitants sont de 20 fois à 30 fois plus importants que ceux de l'habitant d'une commune de 1 000 habitants. Aujourd'hui, dans une commune de moins de 9 000 habitants, le nombre de délégués est lié au nombre de membres des conseils municipaux, lui-même déterminé par rapport à la population de la commune concernée. Au-delà de 30 000 habitants, des délégués supplémentaires sont désignés à raison de 1 pour 1 000 habitants. A cet égard, le groupe socialiste proposera des amendements tendant à ramener le seuil de désignation des délégués supplémentaires à 1 pour 400 ou à 1 pour 500 habitants, tirant en cela les leçons du refus du Conseil constitutionnel du seuil de 1 pour 300 prévu par notre loi de 2000. Il est, en effet, inadmissible qu'aujourd'hui certains sénateurs représentent au Palais du Luxembourg 70 000 habitants quand d'autres en représentent près de 300 000.
    Troisième sujet, sur lequel pèse sans doute le plus lourd motif d'inconstitutionnalité : cette réforme ne favorise pas le principe constitutionnel de parité.
    On ne s'attendait pas à voir ce principe remis en cause puisque dans son discours de rentrée, le 10 octobre 2001, le président Poncelet s'était exprimé en ces termes : « Il nous appartient de contribuer à mettre un terme aux procès en représentativité, et donc en légitimité, qui sont instruits çà et là à l'encontre du Sénat. A cet égard, j'ose espérer que le mode d'élection des sénateurs ne souffrira plus de critiques émanant de l'opinion ou de la majorité plurielle depuis l'extension de la proportionnelle et l'introduction de la parité sous sa forme la plus radicale, la parité alternée. Voilà un point réglé ! »
    « Un point réglé », nous le pensions aussi. Dès lors, nous nous interrogeons sur les motivations qui poussent les sénateurs de la majorité à revenir sur des avancées que le président du Sénat lui-même semblait considérer comme irréversibles.
    Aujourd'hui, le rapport de M. Larché explique qu'il faut rétablir « le pluralisme des modes de scrutin ». Depuis la loi du 10 juillet 2000 relative à l'élection des sénateurs, la représentation proportionnelle s'applique aux départements ayant 3 sièges de sénateurs et plus, ce qui représente 50 départements et 212 sièges. Mme Zimmermann a largement commenté cette question. Le relèvement du seuil d'application de la représentation proportionnelle aura pour conséquence que les sénateurs seront élus au scrutin majoritaire dans 70 départements. Au total, ce sont 166 sièges qui seront pourvus au scrutin majoritaire, soit près de la moitié de l'effectif du Sénat.
    La lecture du rapport de M. Larché est édifiante en ce qu'elle révèle de mauvaise foi et de contradictions. Certes, reconnaît son auteur, « le scrutin proportionnel favorise la représentation de la diversité des sensibilités politiques - c'est bien le moins ! - il facilite aussi la prise en compte de l'objectif constitutionnel de parité inscrit à l'article 3 de la Constitution ». On pourrait penser que la répartition actuelle entre les deux scrutins sera confirmée. Pas du tout ! Car, poursuit M. Larché, « le scrutin majoritaire seul permet une représentation satisfaisante des départements moyens ainsi que des moins peuplés et des plus fragiles ». Les femmes apprécieront ! « Il favorise une plus grande proximité entre l'élu et ses électeurs. » Elles apprécieront encore ! « Il donne aux sénateurs une indépendance certaine par rapport aux partis politiques. » Il faut donc « modifier à nouveau le curseur entre représentation proportionnelle et scrutin majoritaire afin d'étendre l'application de ce dernier ».
    On avait cru comprendre que la France s'était urbanisée. Alors pourquoi renforcer le mode de scrutin qui représente le mieux les zones les moins peuplées ? Faisons confiance à M. Larché, il a réponse à tout ! Selon lui, la spécificité du Sénat impose que les collectivités territoriales « les plus fragiles » y soient « sur-représentées, en dépit de leur démographie, au nom de l'intérêt général » !
    Ce raisonnement est plus audacieux que convaincant ; en tout cas il ne recule pas devant le paradoxe. Nous sommes face à une légitimation de l'illégitime qui laisse sans voix !
    L'instauration de la proportionnelle dans les départements élisant 3 sénateurs a bien évidemment constitué un progrès en termes de parité. Le rapport que la présidente de la délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes a rédigé au moment du débat sur le projet de loi relatif à l'élection des conseillers régionaux et des députés européens souligne d'ailleurs que « jusqu'au renouvellement de 2001, le Sénat était le bastion fermé à la parité ». Vous vous félicitiez par conséquent, madame Zimmermann, que la réforme du scrutin sénatorial ait étendu le scrutin proportionnel, qui permet une parité stricte sur les listes entre les hommes et les femmes. Je suis très sensible au fait que vous n'ayez pas changé d'avis.
    M. Jean-Jack Queyranne. Très bien !
    M. Bernard Roman. Le rééquilibrage a été net. Lors du dernier renouvellement du Sénat, en 2001, parmi les 102 sénateurs sortants, il n'y avait que 7 femmes, soit 6,9 %. Il y en a 22, soit 21,6 %, parmi ceux qui ont été élus ou réélus. Le nombre de femmes a plus que triplé, entraînant parallèlement un rajeunissement puisque la moyenne d'âge des sénatrices est de 53,9 ans contre 59,3 ans pour leurs collègues masculins.
    Pour ce même renouvellement de 2001, parmi les 28 sénateurs élus au scrutin majoritaire, il n'y a que 2 femmes, soit 7 %.
    Par contre, parmi les 74 sénateurs élus à la représentation proportionnelle avec obligation de liste paritaire, il y a 20 femmes, soit près de 30 %.
    Or le relèvement de la représentation proportionnelle à partir de 4 sièges, conjugué à l'augmentation du nombre de sénateurs, aura pour conséquence que, dans les 27 départements qui désigneront chacun 3 sénateurs, soit 81 sièges, le mode de scrutin de liste proportionnel se verra remplacé par le scrutin uninominal majoritaire à deux tours.
    L'argumentation de la majorité sénatoriale est si fallacieuse qu'elle suscite des incompréhensions et des doutes au sein même de la majorité.
    Le ministre délégué aux libertés locales s'est lui-même ému, lors de la séance du 12 juin dernier au Sénat, se demandant publiquement si le relèvement du seuil pour l'application de la proportionnelle ne méconnaissait pas l'article 3 de la Constitution, qui exige que la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux.
    Il sera intéressant de connaître la position du Conseil constitutionnel à ce sujet. Il a eu à se prononcer récemment, le 3 avril 2003, à la suite du recours contre la loi du 11 avril 2003 relative à l'élection des conseillers régionaux et des députés européens, dans lequel les requérants ont fait valoir que la création de circonscriptions pour les élections européennes aurait pour effet de réduire le nombre de sièges obtenus par chaque liste en présence, que de nombreuses listes n'obtiendraient qu'un siège et qu'il en résulterait nécessairement un déséquilibre important entre hommes et femmes au profit des élus masculins. Le Conseil a rejeté cet argument, mais il a précisé que les dispositions critiquées n'avaient ni pour objet, ni par elles-mêmes pour effet de réduire la proportion de femmes élues en France au Parlement européen, et surtout que le législateur avait maintenu la règle de l'alternance entre candidats féminins et masculins sur les listes de candidats qui prévalait sous l'empire des dispositions précédentes.
    Au regard de cette décision, on peut estimer que, pour la jurisprudence constitutionnelle, inspirée de la lettre de l'article 3 de la Constitution selon lequel la loi doit favoriser l'égal accès aux mandats et aux fonctions électives, il existerait un effet cliquet empêchant de revenir sur une disposition favorisant l'accès des femmes au mandat sénatorial et donc d'augmenter le seuil à partir duquel le mode de scrutin proportionnel s'applique.
    M. Larché assure n'avoir aucun doute sur la constitutionnalité de ce projet : « Le problème est de savoir si ce que nous allons adopter va à l'encontre de la Constitution. La réponse est très claire : nous proposons de modifier la mise en oeuvre du scrutin proportionnel, qui n'a pas eu l'intégralité des effets escomptés. Notre projet maintient la proportionnelle dans certains départements et l'introduction du scrutin uninominal dans les autres : qui vous dit que le scrutin uninominal est incompatible avec la parité ? Il suffira de vous organiser, dans vos formations, pour que ce scrutin permette l'élection d'un nombre suffisant de femmes. »
    Je veux bien entendre cet argument trois ans après que nous avons légiféré sur cette question. Cependant, je tiens à le rappeler, ce qui avait conduit l'ensemble de la représentation nationale, le Sénat y compris - poussé, il est vrai, par le Président de la République - mais l'Assemblée nationale unanime, à la fois à la révision de la Constitution et à l'adoption de la loi sur la parité, c'était justement le constat quasi culturel que, dans notre pays, les formations politiques étaient dans l'incapacité de faire avancer la représentation des femmes. Cette unanimité, je le précise, portait sur la reconnaissance par chacun de ses torts respectifs.
    Soutenir aujourd'hui le contraire est une argutie. Il est clair que, si nous supprimons la proportionnelle dans les départements élisant 3 sénateurs, nous aurons une représentation qui, à l'image de ce qui s'est passé en 1998, dernier renouvellement au scrutin majoritaire, sera à 98 %, voire 100 % masculine.
    M. Larché fait mine de croire que « le scrutin uninominal permet tout à fait que des femmes soient élues. Vous soutenez - poursuit-il - que lorsqu'une loi a adopté un certain régime de parité, on ne peut plus modifier cette loi et que, donc, nous n'aurions pas le droit de modifier le système électoral en touchant à la parité. Vous soumettrez l'argument au Conseil constitutionnel. Il dira ce qu'il en pense. Rien ne permet de dire que le scrutin uninominal empêche par nature la parité, même si je reconnais que ce scrutin exige un plus grand courage au regard de la parité ».
    Rien ? L'exemple de 1998 que je viens de citer est édifiant : 100 % d'hommes élus au scrutin majoritaire lors de ce renouvellement dans les départements qui désignent 3 sénateurs.
    Rien ? Alors, pourquoi le ministre de l'intérieur lui-même, cité récemment par un hebdomadaire, explique-t-il à une militante associative corse, auprès de laquelle il plaide en faveur du « oui » au référendum : « On ne compte aujourd'hui qu'une seule femme sur 52 conseillers généraux. Demain, avec des élections à la proportionnelle, elles seront au moins 46 sur 91. » ?
    Une fois n'est pas coutume, le ministre de l'intérieur parle d'or.
    Les sénateurs de la majorité ont rivalisé d'imagination et d'inventivité, lors de l'examen de ces textes, pour suggérer au Conseil constitutionnel le sens dans lequel il pourrait se prononcer.
    Certains l'ont invité à supputer le nombre de départements qui auraient contourné la loi, d'autres à décider que les pertes potentielles n'étaient pas très importantes et que, pour l'essentiel, la parité serait préservée. Le Conseil constitutionnel n'a sans doute guère besoin de souffleurs ! Il appréciera d'avoir été incité à juger de la constitutionnalité de cette loi à l'aune de l'instinct de conservation de la majorité sénatoriale.
    Cette loi, quoi qu'en disent ses inspirateurs, défavorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs, s'agissant du mandat sénatorial.
    M. Bruno Le Roux. Bien sûr !
    M. Bernard Roman. Le danger d'inconstitutionnalité est réel, et ce ne sont pas les arguments invoqués par la majorité sénatoriale qui nous persuaderont du contraire.
    M. Mercier, sénateur centriste...
    M. Pascal Clément, président de la commission. Du Rhône !
    M. Bernard Roman. ... disait, dans son intervention au Sénat : « La parité ne dépend pas du mode de scrutin, sinon un seul serait constitutionnel. » C'est un argument qui a été repris, partiellement par vous-même, monsieur le ministre, et par M. le rapporteur. « Ce qui compte », poursuit M. Mercier, « c'est l'organisation même du scrutin proportionnel : le code électoral rend obligatoire l'alternance des sexes parmi les candidats, c'est cela qui permettra l'égal accès des femmes aux mandats électifs. Le Conseil constitutionnel a confirmé ce principe dans sa décision du 3 avril. Ce texte serait un recul s'il modifiait cette alternance des sexes, mais il n'en est rien, puisque nous laissons entière l'alternance dite "chabada. » On croit rêver !
    L'argumentation du rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale selon laquelle « les effets potentiellement négatifs au regard de la parité de la nouvelle ligne de partage entre les modes de scrutin seraient en partie compensés par l'augmentation de l'effectif » ne nous paraît pas davantage satisfaisante. Elle ne l'est ni au regard des principes ni au regard de la constitutionnalité. Car, mes chers collègues, on ne transige pas avec les principes, sinon il s'agit d'arrangements. La parité est un objectif que la loi doit favoriser, pas une contrainte qu'elle peut contourner.
    Nous avons eu ce débat en commission des lois. Mme la présidente Zimmermann a exprimé, avec un certain nombre de ses collègues de la majorité, des réserves que les socialistes partagent. La parité est désormais un principe constitutionnel. Toute nouvelle loi doit la faire progresser, pas reculer. Si une question se pose, c'est donc celle de l'extension du champ d'application de la représentation proportionnelle, pas sa restriction.
    Le groupe socialiste estime par conséquent que les textes qui nous sont proposés sont inconstitutionnels et vous demande, mes chers collègues, de voter cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Je vais vous donner simplement trois réponses ponctuelles, sans entrer dans un débat au fond.
    D'abord, sur l'équilibre numérique entre le Sénat et l'Assemblée nationale. M. Roman a expliqué que l'augmentation du nombre de sénateurs modifierait la proportion.
    Puis-je vous rappeler, monsieur Roman - vous n'avez pas la mémoire courte -, qu'en 1986 votre majorité de l'époque a augmenté de 101 le nombre des députés ? On est passé de 476 à 577. Or, depuis 1976, aucune augmentation du nombre de sénateurs n'a eu lieu. Permettez-moi de vous dire que les députés ont un peu d'avance dans un équilibre modifié. Mais, 25 sièges, c'est le quart de 101. Vous avez parlé tout à l'heure d'une règle du tiers. Elle est très largement respectée. Le nombre de députés a augmenté de 101. Celui des sénateurs augmente de 25. Nous sommes dans les proportions que vous avez vous-même souhaitées. Je ne vois pas là la création d'un déséquilibre, mais, au contraire, le rétablissement d'un équilibre que vous avez contribué à rompre.
    Sur la question des territoires, il est vrai que le Sénat a vocation, dans un système bicaméral, à représenter davantage le territoire que la population. Naturellement, il doit être tenu compte de la population. Dans un système strictement fédéral - tel n'est pas le cas de la France -, il y a une chambre qui ne représente que les territoires. Dans notre système bicaméral, il y a une prépondérance pour l'une des chambres à représenter les territoires. L'argument de M. Larché, que vous avez vous-même évoqué et qui vous a fait sourire, n'est pas ridicule. Si l'on observe les territoires concernés par une réduction du nombre de sénateurs, on constate qu'il s'agit des territoires les plus fragiles. Un mécanisme d'appauvrissement de ces territoires se mettra en place si leur représentativité politique diminue : il y a là un véritable processus cumulatif de réduction.
    Nous avons fait le pointage - sans doute comme vous - des départements concernés par une réduction, à effectif sénatorial constant et en tenant compte des augmentations démographiques : 14 départements seraient visés, ce qui entraînerait la suppression de 16 sièges. Je vais énumérer ces départements, car c'est assez révélateur, non pas sur le plan politique, à peu près équilibré...
    Il y a le Cantal, petit département fragile et rural ; la Corrèze...
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Grand département !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. M. Hollande ne dira pas le contraire ! (Sourires.)
    La Creuse, le Gers, l'Indre, la Haute-Loire, le Lot, la Haute-Marne, la Meuse, la Nièvre, les Hautes-Pyrénées, la Haute-Saône, le Tarn-et-Garonne : tous ces départements qui ont 2 sièges de sénateurs n'en conserveraient qu'un. Or ce sont des départements fragiles, entrés dans un processus de régression démographique et d'affaiblissement économique. Si vous y ajoutez l'affaiblissement politique, franchement, vous ne les aidez pas.
    Il y a un autre département que je n'ai pas cité, Paris, où l'on supprimerait 3 sièges.
    M. Bernard Roman. Dont celui de Romani !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Et je pense que ce seraient plutôt vos amis politiques qui en feraient les frais, sans préjuger du suffrage universel puisque, à Paris, vous avez maintenant une forte majorité.
    Par conséquent, l'idée selon laquelle les territoires doivent conserver un minimum de représentativité, c'est-à-dire, 2 sénateurs par territoire, constitue un véritable argument.
    Enfin, et j'en aurai terminé, j'aborderai la question de la parité.
    Je me suis, moi aussi, interrogé sur ce point. Dans son rapport, Mme Zimmermann a fait la comparaison entre les effets de la proportionnelle et ceux du scrutin majoritaire. J'en conviens, le résultat est éloquent. Mais il me semble à la réflexion que cette comparaison ne vaut pas raison. Car, en réalité, c'est le comportement des acteurs qui influe sur le scrutin majoritaire. Autant, par le passé, l'attitude des formations politiques, de toutes les formations politiques - la mienne en particulier, hélas ! - a été, sur l'investiture des femmes, plutôt négative et en retard sur l'évolution sociale, autant la loi sur la parité, avec son caractère exceptionnel et indispensable - je l'ai votée, je ne m'en dédis pas -, a changé les mentalités et même fait progresser les esprits, s'agissant du scrutin majoritaire - sans oublier la question des dispositions financières.
    Et puis il y a aussi, et cela jouera notamment pour les élections sénatoriales, l'effet de l'instauration de la parité aux municipales, qui a permis aux femmes de s'initier à la politique locale et a été l'occasion pour elles d'une vraie acculturation dans un domaine d'où on les avait écartées, ou pour lequel elles n'avaient peut-être pas non plus toujours montré énormément d'appétence. Quoi qu'il en soit, cela a changé la donne. A présent, dans les conseils municipaux, les femmes sont là, elles comptent, et cela oblige les formations politiques à changer leurs comportements.
    L'argument qui a été avancé au Sénat est quand même vrai, monsieur Roman : le scrutin proportionnel ne change rien, en fin de compte, pour ceux qui sont vraiment déterminés à passer outre à l'obligation de parité. Car il suffit de multiplier les listes proportionnelles pour aboutir de facto à un système majoritaire.
    M. Guy Geoffroy. Bien sûr !
    M. Jean-Jack Queyranne. C'est plutôt dangereux !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Une même formation n'a qu'à présenter trois ou quatre listes, en plaçant des hommes en tête de chacune d'entre elles, pour assurer leur promotion au détriment des femmes. Vous voyez donc que le scrutin proportionnel n'est pas un moyen de contrainte permettant de résoudre à coup sûr cette difficile question. Vous direz qu'il faut être vertueux. Oui, bien sûr, mais on sait bien que, quand les enjeux électoraux sont aussi passionnés, tous les comportements sont possibles.
    Enfin, monsieur Roman, si le scrutin proportionnel a été utilisé - et il l'a été à bon escient - pour sortir d'une situation qui était intenable du point de vue du sort qu'elle réservait aux femmes, on ne peut pas pour autant en conclure qu'il est devenu un principe constitutionnel. Non, la proportionnelle n'est pas devenue une obligation constitutionnelle !
    M. Bernard Roman. Je n'ai pas dit ça !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Pour que tel soit le cas, il faudrait que le législateur, en l'occurrence le souverain, le dise expressément. Or il ne l'a pas dit. Et s'il ne l'a pas dit, le fait de renoncer au scrutin proportionnel ne peut pas être inconstitutionnel en soi.
    Certes, cela peut avoir des effets - encore que ce ne sera pas obligatoirement le cas - sur le nombre de femmes élues, j'en conviens. Mais en fait, la question fondamentale est celle de l'évolution des comportements de nos formations politiques. Je rappelle parfois, par amusement, l'existence de cette procédure assez singulière - qui témoigne bien de la faiblesse de l'homme - aux termes de laquelle un joueur invétéré qui se sent incapable de résister à la tentation des salles de jeux peut décider de s'adresser au ministère de l'intérieur pour que celui-ci lui en interdise l'accès. Il signe un engagement, après quoi les forces de sécurité lui interdisent l'entrée des casinos. Tout cela parce qu'il n'a pas en lui-même la force de surmonter sa passion du jeu ! Eh bien voyez-vous, j'ai le sentiment que c'est un peu ce qui se passe s'agissant de la parité. Parce que nos formations politiques - toutes nos formations politiques - sont incapables d'accorder leur investiture à autant de femmes que d'hommes, elles s'obligent à le faire en modifiant la Constitution.
    M. Jean-Jack Queyranne. Eh oui ! Mais il fallait le faire !
    M. Bernard Roman. Si nous ne l'avions pas fait, il n'y aurait pas eu d'avancée !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Autrement dit, elles modifient la Constitution pour ne pas avoir à modifier leurs comportements ! C'est quand même l'aveu d'une grande faiblesse. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Mme la présidente. Dans les explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité, la parole est à M. Guy Geoffroy, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire, et pour cinq minutes.
    M. Guy Geoffroy. Le ministre a dit l'essentiel de ce que le simple bon sens doit nous conduire à dire au sujet de cette exception d'irrecevabilité. C'est pourquoi je ne réagirai que brièvement, et seulement sur trois points précis, à l'intervention de notre collègue Roman. Mais je ferai tout d'abord observer qu'en dénonçant le caractère « péremptoire » de certaines affirmations de ceux qui ont défendu ces textes au Sénat, M. Roman nous a simplement démontré qu'il était lui-même tout à fait capable d'être péremptoire. Car aucun de ses arguments n'a été réellement décisif.
    La première question que je voudrais aborder est celle de l'urgence. Nous légiférons dans l'urgence, nous dit-on - c'est d'ailleurs le reproche qu'on nous fait à l'occasion de beaucoup d'autres textes. On n'est pas allé jusqu'à dire que nous légiférions « en catimini », à la faveur d'une session extraordinaire de juillet, mais c'est bien ce que nous avons failli entendre ! Chers collègues socialistes, soyons raisonnables ! Quand les textes arrivent en discussion, on nous reproche soit d'avoir attendu trop longtemps, soit, lorsque ces textes arrivent à leur heure, d'être allés trop vite. En réalité, vous savez très bien que la tradition républicaine, à laquelle il n'est pas question de déroger, veut qu'aucun mode de scrutin ne soit modifié dans l'année précédant l'élection à laquelle il s'applique. Si le Sénat a pris l'initiative de proposer ce début de réforme - je dis bien ce début de réforme, car je crois, et là est en vérité le fond du débat, qu'il faudra probablement aller beaucoup plus loin dans l'avenir -, c'est donc tout simplement parce qu'un renouvellement partiel de la Haute Assemblée aura lieu en 2004, et qu'il n'aurait pas été raisonnable d'attendre plus longtemps.
    Sur le deuxième point, le ministre a presque tout dit, et c'est pourquoi je n'y reviendrai qu'à peine. Il s'agit de la représentation respective de l'Assemblée nationale et du Sénat au sein du Parlement et donc au sein du Congrès. Bien sûr, il vous est toujours possible, monsieur Roman, de refaire l'histoire autant que vous voulez et de vous arrêter sur les références historiques qui vous intéressent, en ignorant les autres, mais je tiens à souligner qu'en 1976, lorsque le Sénat a vu son nombre de sièges augmenter considérablement, il s'agissait là, si j'ai bonne mémoire - mais je ne crois pas me tromper - d'une initiative qui émanait justement des sénateurs socialistes et communistes, lesquels n'avaient pas vu malice à l'augmentation du nombre de sénateurs, sans diminution dans quelques départements.
    En 1986, comme le ministre l'a rappelé, vous avez augmenté le nombre de députés. C'était tout à fait normal et nécessaire puisqu'il s'agissait alors de passer au mode de scrutin proportionnel. Il fallait donc qu'il y ait une base représentative qui soit à peu près identique dans tous les départements. Mais ce faisant, vous avez instauré un déséquilibre entre les deux chambres. La présente proposition de loi organique procède à un rééquilibrage, voilà tout. Et je prends le pari que lorsque nous discuterons - car nous aurons à en discuter - de l'ajustement du nombre de députés, vous nous reprocherez d'augmenter le nombre de parlementaires !
    Je voudrais inviter M. Roman et ses collègues à être prudents. Veillons à ne pas participer nous-mêmes à l'instauration d'un consensus autour de l'idée quelque peu indélicate selon laquelle l'opinion publique n'aimerait pas le Sénat et jugerait cette assemblée ringarde, qu'il s'agisse d'une « anomalie » ou d'un « anachronisme ». Méfions-nous de tout ce qui peut porter atteinte à la représentation nationale. Si le Sénat est touché aujourd'hui, c'est tout le Parlement - dont nous faisons partie - qui le sera demain.
    Troisième point : la parité, qui a fait l'objet d'un débat fort intéressant en commission. Il faut le dire très clairement, et le ministre l'a dit d'une manière limpide, le scrutin proportionnel ne règle pas tout. Il peut même parfois avoir des effets totalement pervers en la matière.
    Si l'on veut parler de parité obligée, il faut prendre en compte, d'une part, la dimension du mode de scrutin, et, d'autre part, la dimension volontariste, celle qui met en jeu le comportement politique de l'ensemble des acteurs, à commencer par les partis. S'agissant du mode de scrutin, je persiste à dire que ni le scrutin proportionnel ni le scrutin majoritaire ne font la parité : c'est le scrutin par liste qui fait la parité. Et l'on pourrait s'interroger, comme je l'ai fait et comme je le ferai à nouveau dans la discussion générale, sur l'effet qu'aurait sur la parité l'instauration d'un scrutin de liste majoritaire dans certains départements où le scrutin proportionnel n'a de proportionnel que le nom. Parce que vous n'allez quand même pas nous dire que là où il y a trois sièges, le scrutin proportionnel aboutit réellement à une représentation proportionnelle ! Au contraire, il peut même avoir des effets complètement inverses et aller à l'encontre du principe de proportionnalité. Mais je le répète, j'aurai l'occasion d'y revenir dans la discussion générale.
    Mes chers collègues, M. Roman nous a annoncé au début de son intervention que, de toute façon, le groupe socialiste avait décidé de saisir le Conseil constitutionnel. Y a-t-il un plus beau paradoxe que de vouloir empêcher l'Assemblée d'aller au terme du débat alors que l'on attend goulûment que le Conseil constitutionnel censure la loi qu'elle s'apprête à voter ! Je ne voudrais pas que notre assemblée fasse le mauvais cadeau à M. Roman de voter cette motion, le privant ainsi de la décision du Conseil constitutionnel qu'il attend. (Sourires.) C'est la raison pour laquelle le groupe UMP ne votera pas l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Mme la présidente. La parole est à M. Michel Vaxès, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. Michel Vaxès. Les auteurs de cette proposition de loi, la majorité, le Gouvernement ont sans doute jugé nécessaire, dans un contexte de crise de la politique et des institutions, de dépoussiérer un peu, si peu, la noble et conservatrice institution qu'est la Haute Assemblée.
    Pour ce faire, ils se sont saisis de deux plumeaux, l'un organique, l'autre ordinaire. Se sont-ils rendu compte que pendant que l'un dépoussiérait légèrement, l'autre, parce qu'il a déjà beaucoup servi, redéposait la poussière ? Parce que je ne sous-estime pas la capacité de calcul politique de la majorité, je réponds sans aucun doute, oui.
    M. Roman disait très justement « un pas en avant, deux pas en arrière ». Entre autres pas en arrière, je n'en retiendrai qu'un, celui qui modifie le seuil à partir duquel la proportionnelle est appliquée et qui met à mal le principe de la parité.
    Vous dites, monsieur le ministre, qu'il n'appartient pas au juge constitutionnel, mais au législateur, de décider des modes de scrutin et qu'il serait inconvenant, au motif d'assurer la parité, de recourir plus largement au scrutin proportionnel, au risque de devoir l'imposer à toutes les élections. Ce ne serait pas un mal, mais ce n'est pas de cela dont il s'agit. Le seuil actuel à partir duquel la proportionnelle s'applique améliore la parité. Or votre texte la réduit. Cette régression n'est pas acceptable.
    Cette seule raison justifie que le groupe des député-e-s communistes et républicains vote l'exception d'irrecevabilité.
    Mme la présidente. Pour le groupe socialiste, la parole est à M. Bruno Le Roux.
    M. Bruno Le Roux. Bernard Roman a défendu l'exception d'irrecevabilité avec une conviction qui me semble partagée par beaucoup sur ces bancs, notamment sur la question de la parité.
    Je prie M. Bignon, qui a présenté son rapport avec beaucoup de courage et d'abnégation, de m'excuser. En votant cette exception d'irrecevabilité, j'ai bien conscience que, pour la seconde fois, nous le priverions d'un débat en tant que rapporteur. Après le débat relatif aux modes de scrutin européens et régionaux, sur lequel le Gouvernement a brandi l'article 49-3, le vote de l'exception d'irrecevabilité serait pour lui un second coup dur ! (Sourires.)
    M. Guy Geoffroy. Nous n'avons aucun souci ! (Sourires.)
    M. Bruno Le Roux. J'invite notre Assemblée à ne pas se défausser sur le Conseil constitutionnel. La source d'inconstitutionnalité est réelle ; elle ne tient pas au mode de scrutin proportionnel, mais au fait qu'on ne favorise pas l'égal accès des femmes aux postes électifs.
    Nous ne faisons pas l'apologie de la représentation proportionnelle. Si vous nous proposez un mode de scrutin qui permette de respecter la parité, alors nous conviendrons qu'il existe un mode de scrutin meilleur.
    Nous ne défendons pas ce mode de scrutin, nous constatons que votre proposition introduit un recul. La question n'est pas simplement constitutionnelle, elle est aussi politique. C'est pour cela que nous demandons à l'Assemblée de voter l'exception d'irrecevabilité.
    Monsieur le ministre, en 1998, dans les départements où 3 postes de sénateurs étaient à pourvoir, tous les élus ont été des hommes. Certes, les mentalités progressent et le débat sur la parité n'est pas un débat nouveau. En 1998, il était déjà posé. De 1998 à 2001, il a fait son chemin. En 2001, 7 femmes comptaient parmi les sortantes, mais sur 22 entrantes 20 étaient élues au scrutin proportionnel, 2 seulement au scrutin majoritaire.
    Il faut continuer d'aiguillonner les candidats, mais aussi ceux qui accordent les investitures, pour assurer la mise en oeuvre de la parité.
    Vous évoquez les départements où, pour contourner la parité, plusieurs listes ont été présentées, comme cela s'est passé en 2001. Dans les départements où nous avions les sortants, nous n'avons pas fait usage de cette astuce. Cela aurait été un détournement de la loi sur la parité et à aucun moment nous n'avons voulu céder à cette facilité.
    J'invite mes collègues à voter l'exception d'irrecevabilité. S'ils ne le souhaitent pas, je leur demande de ne pas céder à cette passivité qui consiste à dire qu'il n'appartient pas à l'Assemblée nationale d'intervenir dans la façon dont les sénateurs fixent leur mode d'élection, laissant le Conseil constitutionnel se débrouiller. Qu'ils votent nos amendements en faveur de la parité.
    Parce que cette proposition entraîne un recul de la parité, nous devons nous soucier du mode d'élection des sénateurs.
    Mme la Présidente. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.
    (L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

Question préalable

    Mme la Présidente. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est à M. Jean-Jack Queyranne.
    M. Jean-Jack Queyranne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat a enfin pris l'initiative de se réformer. Cette perspective ne bouleversera pas les Français qui ont bien d'autres sujets de préoccupation : l'avenir de leurs retraites qui vient de faire l'objet d'un long débat devant notre assemblée, la remontée du chômage provoquée par une croissance anémiée, le déficit de l'assurance maladie, le malaise de l'éducation, de la recherche, de la culture.
    Pourtant, cette réforme du Sénat devrait être un élément, certes très partiel, de réponse à la crise de la représentation politique que connaît notre pays. On a beaucoup disserté sur le coup de tonnerre du 21 avril. Très profondément, il a révélé une profonde fracture civique et une confiance ébréchée dans le fonctionnement de notre démocratie. Nous sommes tous comptables, Gouvernement, élus de la majorité comme de l'opposition, de l'indispensable revitalisation de nos institutions. Le Sénat devrait y tenir sa place. Mais comme il est préservé des foudres du suffrage universel, il peut jouer la montre, laissant passer les tempêtes.
    Le principe d'une réforme du Sénat s'impose depuis longtemps. Le Conseil constitutionnel, à plusieurs reprises, en a rappelé l'ardente obligation, constatant que la répartition des sièges et le mode de représentation ne correspondent plus à l'évolution démographique de notre pays.
    Les sénateurs eux-mêmes en sont convenus. Le 16 octobre 2001, après sa réélection, le Président du Sénat, Christian Poncelet, constatait que la politique de l'autruche avait fait long feu et il fixait deux objectifs : « normaliser » l'existence du Sénat, « rénover ses méthodes de travail et recentrer son activité pour devenir une véritable assemblée de proximité à l'écoute des Françaises et des Français, sans oublier nos compatriotes établis hors de France ».
    Dans la foulée, le Sénat constituait un groupe de réflexion ouvert à tous les groupes politiques et présidé par Daniel Hoeffel. Son rapport, déposé le 2 juillet 2002, n'élude pas la question « du socle de la légitimité du Sénat ». Il dresse le constat lucide : « Le Sénat souffre d'une image paradoxale, contrastée et ambivalente. » Le groupe formule un ensemble de propositions, conscient de la nécessité d'une réforme devant « des critiques qui, à force d'être répétées à l'envi, peuvent de proche en proche remettre en cause la représentativité du Sénat et à terme sa légitimité, au risque de fragiliser le bicamérisme en France ».
    On pouvait espérer que la majorité sénatoriale ferait preuve de davantage d'audace. Or, dans les propositions de loi qui nous sont soumises, c'est plutôt la résignation qui prédomine. Il ne nous est en effet proposé ni une révolution - nous n'oserions attendre cela du Sénat ! - ni une réforme, mais une réformette, un faux-semblant.
    A travers ces deux textes, le Sénat confirme ainsi qu'il est bien le temple des conservatismes.
    Il veille d'abord à conforter les situations acquises en son sein et, surtout, à préserver l'ordre des choses. Il se contente de bouger en surface pour créer l'illusion du mouvement. Pire, il cherche à détourner l'obligation constitutionnelle de parité, laquelle, il est vrai, a plutôt été subie que désirée au Palais du Luxembourg.
    Cette « auto-réformette » du Sénat est bien un rendez-vous manqué pour la démocratie. Elle ne va pas contribuer à rapprocher les citoyens de leurs élus, à faire du Sénat une véritable assemblée de proximité, ou à améliorer le fonctionnement de nos institutions parlementaires. Voilà pourquoi nous lui opposons cette question préalable.
    Que l'on nous entende bien : nous sommes partisans, je suis partisan du bicamérisme. L'existence d'une seconde assemblée, chambre de réflexion, est nécessaire au fonctionnement d'une démocratie. Elle tempère la toute puissance de l'Assemblée élue au suffrage universel direct. Elle donne du temps et de la mesure dans l'élaboration législative. Elle contribue à améliorer les textes de lois. Elle permet les échanges et évite les empressements. Elle peut aussi faire avancer des sujets de société qui demandent à mûrir dans l'opinion. Dépourvu du pouvoir d'impulsion politique qui appartient à notre assemblée et, bien sûr, à l'exécutif, le Sénat se doit d'être une chambre de vigilance. Il lui faut aussi veiller à ne pas s'aligner systématiquement sur les positions de l'Assemblée nationale, sauf à risquer de voir un jour ses compétences réduites à ce qui concerne uniquement les collectivités territoriales et les Français de l'étranger.
    Pour jouer ce double rôle de réflexion et de vigilance, le Sénat doit reposer sur une représentativité large et incontestable. Or tel n'est pas le cas, tel n'est plus le cas, puisque le divorce s'accroît entre le pays réel - celui d'une France où les trois quarts de la population vivent dans des agglomérations - et un monde qui fleure bon la France d'autrefois : celle des petits bourgs et des campagnes, une France rurale qu'il faut bien sûr défendre, mais qui ne saurait être l'image dominante de notre pays.
    Ainsi va le Sénat, préservé, par son mode d'élection et son corps électoral, de tout risque d'alternance politique, ce qui constitue une exception dans toutes les démocraties au monde. Il pourrait s'en contenter, mais, bénéficiant de cette protection politique, il ne songe qu'à accroître son champ d'intervention, n'hésitant pas à marchander son soutien au moment des révisions de la Constitution. Chaque fois que les circonstances politiques rendent cela possible, il cherche en effet à prélever sa dîme. Ainsi ont dû lui être successivement concédés le droit de veto sur toute modification institutionnelle le concernant et, plus récemment - vous étiez au banc du Gouvernement, monsieur le ministre -, la priorité dans l'examen des projets de lois relatifs aux collectivités territoriales, et cela malgré les grandes réserves formulées par le président de l'Assemblée nationale et par les rapporteurs des commissions.
    En 1995, par la réforme de son règlement, le Sénat a imposé sa conception de l'ordre du jour. Si le Gouvernement conserve sa prérogative constitutionnelle de maîtrise de l'ordre d'examen des textes, le Sénat s'est arrogé la maîtrise du temps, puisqu'il pourra, par différents moyens de procédure, vider de sa substance la notion d'ordre du jour prioritaire. Rassurez-vous, monsieur le ministre, ce n'est pas dans l'actuelle configuration politique qu'il sera tenté d'exercer ses talents en la matière ! D'ailleurs le texte sur les retraites, à peine adopté par l'Assemblée nationale, a été immédiatement mis en discussion au Sénat. Bien qu'ayant exercé les fonctions de ministre des relations avec le Parlement, je n'ai jamais vu une telle précipitation dans l'examen d'un texte aussi important.
    De même, si le nouveau statut pénal du chef de l'Etat était adopté, le Sénat pourrait toujours, à égalité avec l'Assemblée nationale, déclencher la procédure de destitution. Parions, là encore, que cela lui sera plus facile quand un Président sera de gauche que lorsqu'il sera de droite !
    Aujourd'hui, il est donc temps de porter un coup d'arrêt à cette république sénatoriale qui était annoncée dès 1959 par le doyen Prélot. Si cela était alors prématuré, elle est en passe de devenir réalité à raison de l'action paradoxale de ceux qui se réclamaient, il y a encore quelque temps, du gaullisme.
    Pourquoi tant de sollicitude de la part du Gouvernement envers le Sénat ? J'y vois deux raisons.
    Il faut d'abord ménager une base arrière pour servir les ambitions électorales de l'ancien sénateur qu'est l'actuel Premier ministre et qui lorgnerait, dit-on, sur la présidence du Sénat.
    M. Guy Geoffroy. C'est indigne !
    M. Jean-Jack Queyranne. Etes-vous là, monsieur le ministre, pour lui faire plaisir et laisser passer cette réforme alors que, au fond de vous-même, vous n'êtes pas convaincu de sa pertinence ?
    Le temps est bien loin où le général de Gaulle confiait à Alain Peyrefitte, en 1963 : « Le Sénat et les conseils généraux représentent la France du xixe siècle, celle du seigle et de la châtaigne. Notre grande affaire est d'épouser notre siècle. Ce ne sont pas eux qui nous permettront de rattraper notre retard puisqu'ils font tout pour l'accentuer. »
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Vous avez refusé de le réformer avec lui !
    M. Guy Geoffroy. Vous avez tout fait pour faire échouer cette réforme !
    M. Jean-Jack Queyranne. La seconde raison est qu'il faut bien payer le Sénat de sa docilité.
    C'est la première fois depuis 1875 qu'un parti politique dispose, à lui tout seul, de la majorité au Palais du Luxembourg. Comme cette majorité concorde avec celle du Palais-Bourbon, le Sénat n'est plus qu'une chambre d'enregistrement.
    En tant que ministre des relations avec le Parlement, j'ai beaucoup fréquenté le Sénat où j'ai d'ailleurs entretenu d'excellentes relations avec son président et avec sa majorité. Mais je les ai connus plus pugnaces, n'hésitant pas à décortiquer les projets de loi et à peser de tout leur poids sur le calendrier parlementaire. J'avoue même que les observations et les critiques du Sénat étaient fréquemment pertinentes et parfois avisées. Je dois donc vous faire cet aveu que je ne reconnais plus le Sénat d'hier : plus personne, dans la majorité, ne déplore que le Gouvernement déclare l'urgence sur les textes, plus personne ne déplore que les adoptions conformes deviennent la règle et que les commissions mixtes paritaires soient rapidement conclusives.
    Force est pourtant de constater que cette réformette passe mal. Vous essayez, monsieur le ministre, de faire contre mauvaise fortune bon coeur et vous vous êtes interrogé, lors du débat en première lecture au Sénat, sur le constitutionnalité de l'article 5 de la proposition de loi qui tend à rétablir le scrutin majoritaire dans les départements élisant 3 sénateurs.
    Certes, vous avez semble-t-il évolué, si j'en crois les explications que vous avez données dans votre intervention liminaire de matin, mais je rappelle que les deux présidentes des délégations parlementaires aux droits des femmes, Mme Gautier au Sénat et Mme Zimmermann à l'Assemblée, s'en sont légitimement émues et que la commission des lois de notre assemblée n'a pas débordé d'enthousiasme lors de l'examen du texte. Le président Debré lui-même ne s'est d'ailleurs pas précipité pour l'inscrire à l'ordre du jour et il a fallu que le Gouvernement l'impose.
    Aujourd'hui, vous nous proposez donc un ripolinage du mode d'élection des sénateurs que la majorité sur ces bancs est instamment priée d'adopter sans modifier l'essentiel du dispositif. La menace est claire : une assemblée ne s'immisce pas dans le régime électoral d'une autre, en vertu d'une tradition républicaine fort opportunément invoquée. Sinon, de terribles rétorsions seront exercées par la majorité sénatoriale.
    Parce qu'il n'a pu faire autrement, le Sénat a proposé de raccourcir la durée abusive du mandat sénatorial et d'abaisser de cinq ans l'âge de l'accès à la seconde chambre. Nous l'approuvons sur ces deux points, même si nous estimons qu'il aurait été souhaitable d'aller plus loin en décidant, par exemple, un renouvellement intégral à la suite des élections municipales, comme le proposait le rapport de la commission Mauroy dont vous êtes un fervent lecteur, monsieur le ministre,...
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Oui !
    M. Jean-Jack Queyranne. ... et en ramenant l'âge d'élection à vingt-trois ans, comme pour le Président de la République.
    Parce que vous ne voulez pas faire autrement, vous oubliez l'essentiel d'une réforme juste du Sénat répondant à l'intérêt général : celle de son corps électoral.
    Parce que vous devez subir la pression des situations acquises et des conservatismes ambiants, vous vous préparez à porter, à votre corps défendant, une atteinte politiquement inadmissible et juridiquement anticonstitutionnelle à la parité.
    Voilà les trois points que je souhaite développer dans le cadre de cette question préalable.
    Le raccourcissement de la durée du mandat représente finalement, avec l'abaissement de l'âge d'éligibilité, l'un des deux seuls apports positifs de ce texte.
    Le 14 mars 2000, le Forum des Sénats du monde, vaste opération de communication destinée à démontrer l'universalité du bicamérisme, a fait apparaître que les sénateurs français sont en Europe les parlementaires qui disposent du plus long mandat.
    Alors que l'article 24 de la Constitution prescrit que le Sénat représente les collectivités territoriales, une partie de celles-ci ne sont pas représentées à un instant donné au Sénat. C'est le cas d'un tiers des conseils municipaux élus en mars 2001 : ceux des départements dont les sénateurs, élus en 1998, ne seront pas renouvelés avant septembre 2007, soit après les prochaines élections municipales. Voilà une anomalie incontestable.
    Surtout depuis l'instauration du quinquennat, le temps du Sénat n'est plus le temps de la démocratie. Les sénateurs élus l'an prochain achèveront leur mandat en 2013, soit au début du mandat, non du prochain Président de la République, qui sera élu en 2007, mais de son successeur, qui le sera en 2012 !
    Mais si le Sénat ne pouvait donc pas agir autrement, il pouvait agir plus tôt. Dès juin 2000 en effet, le groupe socialiste, puis le groupe communiste, avaient déposé des propositions de loi organique dans ce sens.
    Voilà que le Sénat s'y résout aujourd'hui. Je me souviens pourtant que la proposition de loi présentée le 19 juillet 2000 par M. Jacques Larché, alors président de la commission des lois, prévoyait une application très progressive de la réduction du mandat, qui ne devait pas entrer en vigueur avant le renouvellement de 2010. Il est vrai qu'avec le dispositif transitoire qui nous est proposé, les derniers sénateurs élus pour neuf ans - soit la moitié de ceux qui seront élus l'année prochaine - n'achèveront leur mandat qu'en 2013.
    C'est pourtant l'un des rares points de cette « auto-réformette » sénatoriale qui suivent les recommandations du rapport Hoeffel sur l'avenir de l'institution sénatoriale. Cet avenir ne peut cependant se résumer au mandat de six ans.
    Second aspect de ces propositions de loi, la volte-face de la majorité sénatoriale quant à l'augmentation du nombre de sièges. Elle démontre que la majorité du Sénat n'a pas compris les véritables priorités d'une réforme utile à l'institution sénatoriale.
    On a rarement vu revirement aussi spectaculaire, surtout après une réflexion aussi longue, puisqu'il aura fallu attendre vingt-huit ans pour que soit envisagée la mise à jour de la composition du Sénat, qui reflète actuellement la situation démographique de la France de 1975 ! Or deux recensements ont été effectués depuis, et le Conseil constitutionnel a, sur ce sujet, adressé deux injonctions au législateur.
    La majorité sénatoriale avait le choix : soit reprendre sa position traditionnelle et proposer une nouvelle répartition des sièges à effectifs constants, ce qui était politiquement douloureux au regard de la situation de certains départements - vous avez vous-même évoqué tout à l'heure ces départements fragilisés par la dépopulation eu égard à l'étendue de leur territoire -, soit créer de nouveaux sièges.
    Nous avions nous-mêmes proposé cette solution en 2000. Mais c'était dans le cadre d'une réforme d'ensemble, qui comportait également l'évolution du collège électoral sénatorial. La question préalable ayant été, comme on sait, votée par le Sénat le 16 mars 2000, l'examen du texte - il s'agissait en l'occurrence d'un projet de loi organique - s'arrêta là, faute de consensus.
    La commission des lois du Sénat justifia sa position de refus en considérant que l'on ne devait pas nécessairement rechercher une stricte proportionnalité entre le nombre de sénateurs et la population des départements, que la qualité du travail d'une assemblée parlementaire ne se mesurait pas au nombre de ses membres, et que l'opinion n'apprécierait pas cet accroissement. Selon le texte de la question préalable, « la création de sièges supplémentaires était une solution de facilité inutile ». En outre, pour Paul Girod, rapporteur de la commission des lois du Sénat, le coût de cette réforme représentait un véritable obstacle. Selon lui, « il n'était peut-être pas nécessaire, en effet, dans l'état actuel de la conjoncture, d'augmenter les coûts de fonctionnement du Parlement de manière inconsidérée ».
    Que je sache, la situation des finances publiques ne s'est pas améliorée par enchantement depuis que vous êtes aux responsabilités ! Je remarque en passant que ces propositions de loi vont à l'encontre du principe de l'article 40, puisque leur adoption entraînerait l'aggravation des charges publiques. Il est vrai que le Gouvernement, en les reprenant à son compte, leur a en quelque sorte délivré un blanc-seing de présentation devant le Parlement.
    M. Girod ajoutait : « Nous sommes actuellement 321, et, à 321, nous délibérons sereinement, nous délibérons convenablement, nous délibérons au fond. » Contribuons donc au maintien de cette sérénité en refusant l'augmentation des effectifs du Sénat !
    Il concluait enfin : « Pourquoi augmenter indéfiniment, sous le nez de nos concitoyens qui jugent déjà la classe politique un peu pléthorique, le nombre des sénateurs ? Certes, les conséquences - éventuelles - du recensement sur la répartition des sièges par département pourront être examinées dans le cadre d'un projet de loi ordinaire, mais nous verrons bien le moment venu ! » Apparemment, M. Girod n'a pas mis à profit les trois ans qui séparent ces propos de notre discussion actuelle pour faire de la pédagogie, puisque, selon ses propres mots là encore - permettez-moi le plaisir de le citer, moi qui occupais alors votre place au banc du Gouvernement : « Le Sénat prendra ses responsabilités, il va expliquer au pays qu'il ne lui semble pas nécessaire d'augmenter un personnel politique sur lequel pèsent déjà, malheureusement, trop de soupçons. »
    M. Bruno Le Roux. Il l'a dit ! C'est une citation !
    M. Jean-Jack Queyranne. Le président de la commission des lois du Sénat de l'époque, Jacques Larché, estimait quant à lui une telle proposition « anachronique. Je ne pense pas, disait-il, que l'opinion publique apprécierait l'accroissement de nos effectifs. Celui-ci ne nous paraît pas nécessaire ». Ça ne l'était pas en 2000. En 2003, cela le devient. Pourquoi ? Mystère. On n'en trouvera nulle explication dans les débats du Sénat.
    Il serait pourtant nécessaire d'expliquer de façon cohérente et argumentée ce retournement d'opinion, d'autant que le groupe de réflexion piloté par le sénateur Daniel Hoeffel avait lui-même préconisé d'actualiser la répartition des sièges sans augmenter les effectifs du Sénat, qui devaient rester « globalement stables à quelques unités près ». Le rapport constatait d'ailleurs que, depuis 1875, le nombre de sénateurs était resté pratiquement stable, puisqu'il est passé de 300 sièges à l'époque à 321 aujourd'hui, et compte tenu de la diminution du nombre de sièges consécutif à la décolonisation.
    Vous-même, monsieur le ministre, avez déclaré devant le Sénat que vous n'étiez pas absolument convaincu de la nécessité d'augmenter l'effectif sénatorial, car « il n'est pas certain que l'opinion publique comprenne bien la nécessité de cet aspect de la réforme ». Je demande donc à mes collègues de la majorité d'apporter leur soutien à M. Devedjian en repoussant ces textes. L'opposition quant à elle est prête à aider le Gouvernement dans ses difficultés avec la majorité sénatoriale !
    M. Bruno Le Roux. Surtout M. Devedjian ! C'est un bon ministre !
    M. Jean-Jack Queyranne. Pour celle-ci, la réforme, qu'elle jugeait inopportune lorsque le gouvernement de Lionel Jospin la proposait, est devenue urgentissime, puisqu'il faut l'adopter avant la fin de notre session extraordinaire.
    Permettez-moi à ce propos de trouver un peu courtes les explications du rapporteur du Sénat, l'éminent juriste Jacques Larché, qui, après avoir combattu avec acharnement l'augmentation des effectifs en 1999 et 2000, estime, trois ans après, que « déjà proposée sous la législature précédente, l'augmentation de l'effectif du Sénat peut être envisagée désormais ». Nous n'en saurons pas davantage, et le compte rendu des travaux parlementaires sera en la matière de peu de secours pour les futurs historiens de nos institutions politiques !
    Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le respect des équilibres démographiques ne tient pas au nombre des sénateurs, mais à leur « répartition par département » : en d'autres termes, cette exigence ne s'apprécie pas en valeur absolue, mais dans l'équilibre entre les départements les plus peuplés et ceux qui le sont moins.
    Une modification quantitative de l'équilibre de notre système bicaméral méritait mieux que ce que qui nous est proposé, qui ressemble à un caprice ou à un petit arrangement à visée électorale.
    Une autre solution pourrait être envisagée, à effectif constant : il suffirait de changer la clef de répartition actuelle, fondée sur une loi remontant à un peu plus de cinquante ans. En effet, les critères de répartition sont explicitement fixés par la loi du 23 septembre 1948, à raison d'un siège par département jusqu'à 154 000 habitants, puis d'un siège par tranche de 250 000 habitants ou fraction de 250 000.
    La population française ayant évolué depuis lors, pour dépasser aujourd'hui 60 millions d'habitants, le quotient de répartition des 320 sièges pourrait être relevé à 200 000 habitants. Un siège serait ainsi attribué à chaque département jusqu'à 200 000 habitants, puis un siège supplémentaire pour chaque nouvelle tranche de 100 000 habitants. 305 sièges seraient ainsi répartis. A ces sièges s'ajouteraient ceux des collectivités d'outre-mer, qu'il convient de renforcer - Polynésie française et Nouvelle-Calédonie, avec chacune 2 sièges, et Wallis-et-Futuna, avec 1 siège -, ainsi que les 12 sièges revenant aux Français à l'étranger. On atteindrait ainsi un total de 322 sièges.
    Je verse donc au débat cette proposition de systè me simple et juste.
    La réformette qui nous est soumise oublie un point essentiel : la question du corps électoral.
    Dans la Constitution de 1958, la primauté légitime de l'Assemblée élue au suffrage universel direct se concilie avec le rôle reconnu à la Chambre haute, élue au suffrage indirect.
    Pour que cet état de choses puisse durer, l'un de nos grands juristes, éminent spécialiste du Sénat, souhaitait, dans un texte publié par Le Monde en septembre 1980 - mais toujours d'actualité - « que les règles de l'élection du Sénat ne comportent pas les mêmes inégalités, dangereuses pour l'autorité de la Haute Assemblée, que celles du Sénat de la IIIe République ». Or, observait-il, « à bien voir les choses, le régime électoral du Sénat comporte aujourd'hui, quoique de manière un peu moins accentuée, des inégalités de représentation analogues à celles qui caractérisaient celui du Sénat de la IIIe République ». Cet observateur lucide était François Goguel, qui fut secrétaire général du Sénat avant de siéger au Conseil constitutionnel, et qui, en 1980 déjà, tenait pour évident que la condition d'égalité du suffrage posée par l'article 3 de la Constitution était « loin d'être remplie en ce qui concerne le Sénat ».
    Il ne s'agit pas seulement d'une affaire d'équité ou de justice électorale abstraite, mais bien des conséquences du régime électoral du Sénat sur sa représentativité et son rôle dans nos institutions.
    François Goguel observait encore qu'alors que la majorité des Français vivaient dans des villes de plus de 10 000 habitants - tendance qui s'est, bien sûr, accentuée depuis -, on pouvait craindre « pour le Sénat lui-même qu'une situation très analogue à celle de l'entre-deux-guerres ait des conséquences identiques à celles qui se produisirent alors, et que la Haute Assemblée en vienne à ne plus bien saisir les données réelles de la vie sociale et politique de l'ensemble de la Nation ». Cette analyse significative est celle d'un homme mesuré et pondéré, qui a fréquenté successivement le Sénat et le Conseil constitutionnel.
    En fait, la majorité sénatoriale a toujours cherché à conserver un mode de scrutin et un corps électoral qui ne soient pas affectés par les alternances politiques - toujours « brutales », selon elle -, afin que le Sénat puisse, selon les termes employés en 1998 par le rapporteur de la commission des lois, « exprimer une certaine permanence de la France, au-delà de sa diversité, et d'assurer la préservation des repères fondamentaux du pays, que peuvent occulter certaines modes et certains empressements ».
    Pour autant que les objectifs ainsi affirmés soient dignes d'intérêt, on doit constater que le collège électoral des élections sénatoriales souffre d'archaïsme. Alors que les réflexions sur l'aménagement du territoire mettent de plus en plus en avant les synergies intercommunales, départementales et régionales, le corps électoral est encore le lieu d'une sur-représentation des communes, puisque les délégués des conseils municipaux représentent 95 % des collèges électoraux.
    Une occasion de moderniser et d'améliorer la représentativité du Sénat nous est donnée : saisissons-la, et ne la gâchons pas !
    En outre, le mode de scrutin, à travers son collège électoral, souffre aussi d'une inconstitutionnalité évidente au regard de l'article 3 de la Constitution, qui pose le principe de l'égalité du suffrage.
    Ainsi, une commune de 100 000 habitants dispose de 125 délégués - soit un pour 800 habitants -, contre 33 pour une commune de 10 000 habitants - soit un pour 303 habitants. Globalement, ce système défavorise les communes importantes, alors qu'il privilégie les communes de taille moyenne, de sorte qu'à l'échelon national les communes de plus de 100 000 habitants, qui accueillent un peu plus de 15 % de la population française, ne désignent que 7,2 % des délégués des conseils municipaux.
    Tout le monde semble s'accorder sur la nécessité de faire évoluer le corps électoral du Sénat, et la majorité sénatoriale en a, d'ailleurs, elle-même convenu.
    Le rapport Hoeffel, que je citais précédemment, plaidait aussi en faveur de l'augmentation du nombre des électeurs sénatoriaux, « pour une meilleure prise en compte du fait urbain et notamment de la place des grandes villes », et pour donner « une meilleure représentation aux départements et aux régions qui procéderaient à l'élection de délégués supplémentaires à l'instar des communes les plus peuplées ».
    Plus précisément, ce rapport proposait deux pistes. La première, dans l'esprit du texte initial du projet de loi présenté par le précédent gouvernement, consisterait à ne faire varier le nombre des délégués qu'en fonction de la population communale, tout en conservant une tranche assez large pour limiter le nombre des délégués désignés en dehors du conseil municipal, dans le sens exigé par le Conseil constitutionnel.
    La seconde, conforme à la logique du texte adopté en 2000 par le Sénat, consisterait à abaisser le seuil à partir duquel les communes désignent des délégués supplémentaires - par exemple, selon le texte du Sénat, à partir de 9 000 habitants -, tout en resserrant la tranche de population considérée - 700 habitants, selon le même texte.
    Un expert constitutionnel - le secrétaire général du Conseil constitutionnel, M. Schoettl, dans un commentaire de la décision du 6 juillet 2000 - proposait une troisième solution, qui ferait l'économie de la désignation de délégués et consisterait à « faire voter les organes délibérants de toutes les collectivités territoriales de la circonscription en pondérant les voix exprimées au sein de chacun par la population de cette collectivité ».
    Pourquoi ne pas avoir suivi ces excellentes recommandations ?
    En s'abstenant de le faire, la majorité sénatoriale s'expose au risque constitutionnel d'incompétence négative du législateur. Dans sa décision du 6 juillet 2000, le Conseil constitutionnel a, en effet, affirmé que « la représentation de chaque catégorie de collectivités territoriales et des différents types de communes doit tenir compte de la population qui y réside ».
    Dès lors, le législateur devait prendre l'initiative de modifier le code électoral. En effet, le système actuel maintient des inégalités, manifestes et maintes fois décrites, de représentation des populations. Or, la jurisprudence constitutionnelle relative à la méconnaissance du principe d'égalité du suffrage, patente en l'espèce, est fermement établie.
    C'est ainsi que, dans sa décision des 1er et 2 juillet 1986, le Conseil constitutionnel a rappelé que l'Assemblée nationale devait être élue sur des bases essentiellement démographiques. Ce principe a été implicitement étendu au Sénat par la décision du 7 juillet 1987, relative au découpage électoral de la ville de Marseille.
    Le Conseil constitutionnel a fondé son raisonnement, non seulement sur l'article 72 de la Constitution, mais également sur l'article 24 et sur le fait que le Sénat, élu au suffrage indirect, « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ».
    Il a donc signifié, par cette décision, que la règle de l'élection d'un organe délibérant sur des bases essentiellement démographiques s'appliquait à l'élection des conseillers municipaux parce que ceux-ci participent à l'élection des sénateurs. On peut donc en déduire que le même raisonnement est valable pour l'élection des conseillers généraux, des conseillers régionaux et des conseillers de Paris. Parce que le Sénat est élu au suffrage universel, même si c'est un suffrage universel indirect, cette jurisprudence doit donc nécessairement et fort logiquement s'appliquer à l'élection des sénateurs eux-mêmes.
    Pour ne pas encourir de censure constitutionnelle supplémentaire par rapport aux arguments qui ont été développés par M. Roman, il faudrait donc procéder à cette réforme. Mais, pour la majorité sénatoriale, il ne convient pas de modifier un collège électoral qui épouse si bien une France rurale qui n'est pourtant plus majoritaire aujourd'hui. Oui, la France a changé. Dire que le Sénat doit continuer imperturbablement à représenter la France du seigle et de la châtaigne, pour reprendre l'expression d'André Siegfried, ne saurait suffire aujourd'hui pour justifier le maintien d'un statu quo institutionnel qui, pour bon nombre de nos concitoyens, n'est plus acceptable.
    Cela est d'autant plus vrai que la seconde chambre a souvent montré le visage d'une France conservatrice, sans rapport avec les aspirations de l'opinion publique. C'est le cas notamment en ce qui concerne la parité.
    A travers ces deux propositions de loi, la majorité sénatoriale veut faire reculer la parité. Son véritable objectif n'est-il pas d'atténuer les effets dévastateurs de la parité, pour les sénateurs hommes sortants de la droite sénatoriale, lors des prochaines élections de 2004 ? En effet, dans les départements élisant 3 sénateurs, dont les sortants sont 3 hommes de la majorité, la proportionnelle pourrait les contraindre à céder un siège à la gauche et, du fait de la parité, un autre à une femme, fût-elle de droite. Quel cauchemar pour les sénateurs !
    M. Le Roux a rappelé que nous nous sommes pliés à cette règle en 2002 et qu'il n'y avait pas, comme vous sembliez l'envisager, de liste dissidente à gauche pour essayer de maintenir des situations acquises. En revanche, elles ont fleuri à droite, souvent d'ailleurs avec des échecs à la clé dans certains départements. A cet égard, je me souviens, et M. Clément aussi, de ce qui s'est passé dans les départements de la Loire et de l'Isère.
    L'augmentation du seuil à partir duquel les sénateurs sont élus au scrutin proportionnel a un objectif affiché et un objectif inavoué.
    L'objectif officiel est un prétendu rééquilibrage entre scrutin majoritaire et scrutin proportionnel. L'objectif inavoué, car inavouable, de l'élection proportionnelle des sénateurs à partir de 4 sièges est, bien entendu, de faire reculer la parité.
    Parité que le Sénat n'a acceptée qu'à contrecoeur en 1999 que parce que l'opinion publique y était, à juste titre, massivement favorable ; parité que la droite sénatoriale a essayé de contourner lors des premières élections qui ont vu s'affronter les listes paritaires en septembre 2001. Il serait logique que la proportionnelle qui a joué une fois pour un tiers du renouvellement des sièges continue à jouer pour l'ensemble du Sénat.
    Nous en avons discuté en commission des lois, la parité ne peut s'imposer qu'avec des scrutins de liste, comme les élections législatives l'ont montré a contrario, en dépit des pénalités prévues concernant l'aide publique aux formations politiques.
    Mme Zimmermann s'est exprimée devant notre assemblée, au nom de la délégation aux droits des femmes, sur le projet de loi relatif à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen. Ce texte a d'ailleurs constitué un fiasco politique et juridique sans précédent. Elle avait déclaré alors - je trouve ses propos très justes : « Jusqu'au renouvellement de 2001, le Sénat était un bastion fermé à la parité. Force est donc de se réjouir de la réforme du scrutin sénatorial qui a étendu le scrutin proportionnel de liste à tous les départements élisant plus de 2 sénateurs - contre plus de 4 auparavant - et imposé une parité stricte entre les femmes et les hommes sur les listes. » Je tiens à saluer la constance des positions de Mme Zimmermann qui s'exprime dans les recommandations adoptées par la délégation aux droits des femmes de notre assemblée.
    Monsieur Devedjian, vous avez déclaré tout à l'heure, quelque peu gêné, que comparaison n'était pas raison. Pourtant, les élections sénatoriales de 2001 ont représenté d'incontestables progrès quant à la représentation politique des femmes. Les chiffres ont été cités et je veux les reprendre.
    Parmi les 101 sénateurs sortants, il n'y avait que 7 femmes, alors qu'il y en a 22 parmi les 102 élus ou réélus. Le nombre de femmes a donc plus que triplé. Par ailleurs, l'arrivée des femmes a eu un effet de rajeunissement, puisque la moyenne d'âge des femmes élues ou réélues est de moins de cinquante-quatre ans, contre plus de cinquante-neuf ans pour les hommes.
    La preuve de l'impact extrêmement positif de la réforme apparaît de manière encore plus flagrante lorsque, parmi les 102 sénateurs élus ou réélus en 2001, on distingue ceux qui ont continué à être élus au scrutin majoritaire. Parmi les 28 sénateurs élus au scrutin majoritaire, il n'y a en effet que 2 femmes, soit 7,14 %. Au contraire, parmi les 74 sénateurs élus à la proportionnelle avec obligation de parité, il y a 20 femmes, soit 27,03 %.
    La conclusion coule de source : revenir au scrutin majoritaire, c'est faire reculer la parité. Or, faire reculer la parité est désormais contraire à la Constitution. En effet, son article 3 dispose sans ambiguïté que la loi doit favoriser la parité. Cette loi la défavorise ; cela justifie pleinement l'adoption de la question préalable.
    La parité est l'un des grands acquis de la modernisation de la vie politique initiée par Lionel Jospin. Nous ne transigerons pas. Nous saisirons le Conseil constitutionnel qui tranchera dans la sérénité, malgré les menaces voilées du rapporteur du Sénat. Mais l'Assemblée a encore le temps d'éviter cette saisine en revenant sur ce texte. Si les dispositions figurant actuellement dans le texte qui nous est soumis sont maintenues en l'état, la proposition de loi encourt donc des risques d'inconstitutionnalité - la saisine du Conseil constitutionnel fait partie, bien sûr, du rôle de l'opposition -, sans compter, et c'est plus grave, les répercussions sur l'image du Sénat dont on a vu qu'il recherchait une plus grande légitimité.
    C'est pourquoi le courage commande de renoncer à ces propositions de lois dans leurs aspects les plus discriminatoires, tant à l'égard des femmes que de la représentation équilibrée des territoires.
    Mes chers collègues, il faut donner au Sénat une représentativité incontestée et constitutionnellement irréprochable. Il faut aider le Sénat à franchir de nouvelles étapes sur ce plan-là. Ce courage, nous devons l'avoir à la place du Gouvernement. C'est pourquoi je vous demande d'adopter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
    M. Pascal Clément, président de la commission. Madame la présidente, je veux juste signaler à nos collègues que la commission se réunira, au titre de l'article 88 du règlement, à quatorze heures trente et non pas à quatorze heures.
    M. Guy Geoffroy. Très bien !
    Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Monsieur Queyranne, ce n'est guère gentil de parler de réformette. C'est surtout oublier l'essentiel : la réduction à six ans du mandat sénatorial qui, je crois, recueille votre approbation.
    M. Jean-Jack Queyranne. Tout à fait.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Cette réforme considérable avait été impossible jusqu'à présent. Il faut féliciter le Sénat car, après tout, il s'agit d'une auto-réforme. La capacité pour le Sénat à se réformer lui-même est une perspective bien séduisante.
    Le Sénat a aussi pris en compte l'obligation constitutionnelle qui lui a été signifiée à deux reprises par le Conseil constitutionnel de tenir compte de l'évolution démographique.
    Dans ces conditions, monsieur Queyranne, vos critiques tous azimuts sur le conservatisme du Sénat ne sont pas opportunes puisque, en l'occurrence, c'est la Haute Assemblée elle-même qui a pris l'initiative de se réformer. Ces critiques récurrentes seraient beaucoup plus convaincantes si nous avions oublié - mais ce n'est pas le cas - que le Sénat a été pendant très longtemps très antigaulliste...
    M. Guy Geoffroy. Vigoureusement antigaulliste !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. ... avec votre soutien et votre approbation, notamment lorsqu'il était présidé par M. Gaston Monnerville. La gauche, alors, s'accommodait parfaitement du prétendu conservatisme du Sénat, de son caractère rural et de toutes les avanies que vous dénoncez aujourd'hui.
    M. Jean-Jack Queyranne. Vous êtes convertis !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Et lorsque le général de Gaulle a voulu réformer le Sénat, c'est la gauche qui a fait échec à cette réforme ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Bernard Roman. Je n'étais pas né !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Le « non » au référendum de 1969 à la fois sur la décentralisation et sur la réforme du Sénat, c'est bien vous en particulier ! Vous n'étiez pas les seuls, mais vous en avez été l'élément dominant et décisif.
    M. Jérôme Lambert. Merci Giscard !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Par conséquent, vos critiques d'aujourd'hui sur l'absence de réforme du Sénat - réforme dont vous n'aviez pas voulu en 1969 - ont un peu des relents d'hypocrisie.
    M. Guy Geoffroy. « Un peu », c'est gentil !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Je comprends que vous ne soyez pas d'accord, c'est le fonctionnement même de la démocratie. Mais vous ne cessez de nous donner des leçons de morale !
    M. Jérôme Lambert. Pas de morale, mais de politique !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Mais si, c'est de la morale ! Vous êtes « vertueux » et, à vous entendre, vous seriez les seuls à l'être. Vous pratiquez cette autosatisfaction qui caractérise les pharisiens (« Pas du tout ! » sur les bancs du groupe socialiste) mais qui ne leur assure pas le paradis pour autant ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Pascal Clément, président de la commission. Eh non !
    M. Bernard Roman. Le septième ciel, c'est bien mieux que le paradis !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. D'ailleurs, cela vous a été rappelé !
    Vos observations sur la France rurale gagneraient en force si l'on ne savait que, historiquement, le parti socialiste a renoncé à toute implantation en milieu rural et qu'il n'a d'ailleurs jamais réussi à s'y implanter.
    M. Jérôme Lambert. Ne suis-je pas l'élu d'une zone rurale ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Certes, mais il n'empêche que le parti socialiste trouve l'essentiel de ses gros bataillons en zone urbaine !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Contrairement à nous, ils n'aiment pas le monde rural !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Le discours que vous tenez sur le monde rural ne vous aidera sûrement pas à vous y implanter ! Il n'y a aucun doute là-dessus !
    Vos critiques sur les territoires « fragiles, abandonnés et victimes du centralisme » ne sont donc pas désintéressées. En vérité, ce qui vous déplaît, c'est que vous n'y avez pas d'implantation !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Ils ne connaissent pas le monde rural !
    M. Bruno Le Roux. Est-ce que le monde rural n'est pas plutôt fragilisé par le fait qu'il y a effectivement une surreprésentation, la vôtre ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. En tout cas, monsieur Queyranne, vous avez conclu votre propos en disant qu'il n'y avait pas lieu de délibérer sur les deux propositions de loi qui vous sont présentées. N'y a-t-il pas quelque paradoxe de votre part à soutenir cette position, alors que le groupe socialiste au Sénat a voté pour la réforme ?
    M. Bernard Roman. Mais non ! Il a voté pour un des deux textes seulement ! Et du reste, en l'occurrence, ils sont sénateurs, pas socialistes ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le ministre délégué aux libertés locales. On le leur dira !
    Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à M. Guy Geoffroy, pour le groupe UMP.
    M. Guy Geoffroy. Si l'on devait reconnaître à M. Queyranne quelque mérite, ce serait de nous avoir livré, dans un beau morceau d'éloquence parlementaire, quelques-uns uns des plus admirables poncifs en la matière, et d'avoir réussi, un lundi matin alors que nous sommes peu nombreux, un mouvement de danse d'un pied sur l'autre, qui était assez évocateur.
    « Audace ou résignation », « réforme ou réformette », « Sénat, temple des conservatismes » ! Mais, tout de suite après, la main sur le coeur : « Le Sénat est une assemblée de proximité, une chambre de réflexion ; il est nécessaire. »
    Puis, recommençant à danser d'un pied sur l'autre, M. Queyranne explique qu'il y a, d'un côté, la représentation du vrai peuple, celui des villes, et la fausse représentation - exagérée - du faux peuple, celui des milieux ruraux. Et pour solder cet inventaire, il conclut de cette merveilleuse formule : « Il faut mettre un coup d'arrêt à la République sénatoriale. »
    Après vous avoir entendu, mon cher collègue, je ne peux que constater que vous n'avez pas apporté d'éléments nouveaux par rapport à l'explication de M. Roman sur l'exception d'irrecevabilité. Vous avez néanmoins un peu déchiré le voile... En effet, à plusieurs reprises, vous avez traité de choses qui révèlent votre véritable objectif ainsi que votre rancoeur de ce que le Sénat ne soit pas à gauche.
    M. Bernard Roman. Bien sûr !
    M. Jean-Jack Queyranne. Le problème, c'est qu'il n'est jamais à gauche !
    M. Guy Geoffroy. Et vous voulez, par tous les moyens, faire en sorte qu'il le soit, quitte à envisager des évolutions dans le corps électoral qui vous soient plus avantageuses.
    Ainsi, la réforme du corps électoral que vous évoquez mérite réflexion mais sûrement pas le résultat sommaire que vous en tirez. Vous parlez de la « sur-représentation des communes ». Il faut être très prudent. A chaque fois qu'a été envisagée une évolution de notre panorama territorial, il a été question de revenir sur deux des éléments fondamentaux de notre vie territoriale depuis la naissance de la République : la commune et le département. En effet, à chaque fois, on a constaté, dans des milieux qui se voulaient pourtant « politiquement corrects », des résistances sur ce point.
    Il ne faut pas oublier - je m'adresse à mes collègues de gauche - qu'il y a, au fond de nos provinces, des électeurs qui savent faire la part des choses. Ils savent, dans les scrutins nationaux, comme leurs homologues des villes, voter en alternance pour des représentants de droite ou de gauche. Mais dans les élections locales, ils savent que la plus grande sagesse s'impose pour que, précisément, le monde rural ne soit pas oublié et qu'il soit bien représenté.
    Au moment où nous accentuons nos réflexions sur l'aménagement du territoire, ne serait-il pas paradoxal d'affirmer qu'il est nécessaire de redonner du souffle et de la vie à certains territoires tout en prétendant qu'ils sont sur-représentés ?
    Bien loin de revenir sur « les conséquences dévastatrices » - ce sont vos propres termes - du prochain renouvellement de 2004, il faut plutôt saluer l'initiative de nos collègues sénateurs comme étant courageuse, même si elle est inaboutie, mais nous aurons à en reparler... car il y a une vie après aujourd'hui ! En tout cas, elle n'est pas aussi méprisable que vous l'avez dit et elle ne méritait pas la caricature que vous en avez donné, même si celle-ci ne manquait pas d'éloquence.
    Pour toutes ces raisons, la majorité, le groupe UMP en particulier, ne votera pas la question préalable.
    Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Roman, pour le groupe socialiste.
    M. Bernard Roman. Le groupe socialiste, naturellement, votera la question préalable, défendue avec brio et éloquence, M. Geoffroy vient de le dire, par notre collègue Jean-Jack Queyranne. Mais je profiterai de cette explication de vote pour conforter l'idée qu'il n'y a pas à débattre en développant un argument qui n'a été qu'évoqué rapidement par notre collègue, celui de l'article 40 de la Constitution.
    Cet article, qui a beaucoup fait parler de lui lors du débat sur les retraites - ce n'est pas notre ami Michel Vaxès qui me contredira -, dispose : « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique. »
    M. Jean-Jack Queyranne. C'est pour cela que nous avions présenté un projet de loi en 2000 !
    M. Bernard Roman. Or je ne vois pas comment un membre du Gouvernement ou de la majorité parlementaire pourrait soutenir que la création de 25 postes de sénateurs n'aggrave pas la charge publique. Il est donc clair que si nous nous en tenions, non seulement à la lettre, mais aussi à l'esprit de la Constitution, il n'y aurait pas lieu à délibérer.
    M. Bruno Le Roux. Bien sûr !
    M. Bernard Roman. C'est pourquoi la question préalable défendue par M. Queyranne doit tout naturellement être adoptée par cette assemblée.
    Mme la présidente. Je mets aux voix la question préalable.
    (La question préalable n'est pas adoptée.)

Discussion générale commune

    Mme la présidente. Dans la discussion générale commune, la parole est à M. Gilbert Gantier.
    M. Gilbert Gantier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un régime bicaméral comme le nôtre, il est évident que chacune des deux assemblées composant le Parlement est élue selon des modalités qui lui sont propres. Une tradition non écrite, mais qui a été rappelée par le ministre, veut que chaque assemblée intervienne avec discrétion dans les lois qui gouvernent l'élection de l'autre. Or, nous constatons qu'il n'en a pas été ainsi aujourd'hui, puisque le groupe socialiste de l'Assemblée a défendu non seulement une exception d'irrecevabilité, mais aussi une question préalable, qui ont été l'une et l'autre rejetées, mais qui nous contraignent à intervenir dans ce débat.
    Par ailleurs, les textes du Sénat, qui résultent des réflexions d'un groupe de travail réuni par son président, sont une proposition de loi et une proposition de loi organique, ce qui nous conduit à nous en saisir. Ces textes s'articulent autour de quatre points : la réduction de la durée du mandat de sénateur, l'abaissement de l'âge de l'éligibilité, l'adaptation à l'évolution démographique et le rétablissement d'un équilibre entre scrutin majoritaire et scrutin proportionnel.
    Au-delà de ces mesures de réforme, l'objectif est d'établir un régime électoral qui dépasse les clivages politiques et évite des changements lors de chaque alternance. Nous ne pouvons qu'être favorables à un tel objectif, et je peux d'ores et déjà annoncer que nous voterons ces textes, même si certaines de leurs dispositions appellent de notre part quelques réserves mineures, sur lesquelles je reviendrai.
    Concernant, premièrement, la réduction de la durée du mandat, qui passerait de neuf à six ans, il me semble très important d'aligner la durée du mandat sénatorial sur celle de la plupart des autres mandats électifs. La durée de neuf ans, qui avait été instituée en 1875, n'a jamais connu de modifications, hormis entre 1946 et 1958, sous la IVe République. Or, depuis la mise en place du quinquennat pour l'élection présidentielle, le mandat sénatorial est le seul à excéder six ans. Il détient ainsi - il faut le dire - un record dans les démocraties européennes. Cette durée était justifiée à l'origine par la volonté de conférer au Sénat une certaine stabilité. Mais la spécificité du renouvellement fractionné de la Chambre haute lui assure l'équilibre et la continuité souhaités par le constituant. En outre, le mode de scrutin indirect permet de conserver un caractère modérateur.
    La réduction de la durée du mandat de sénateur ne saurait donc remettre en cause l'essence même du Sénat. Elle permettra, au contraire, de renforcer et de re-dynamiser la légitimité démocratique de l'institution et elle favorisera une meilleure représentation des collectivités territoriales. J'ajoute que le « novennat » - si l'on veut bien me pardonner ce terme - ne permettait pas à tous les élus locaux de participer à une élection sénatoriale. La réduction du mandat à six ans remédiera à ce problème.
    Il s'agit donc d'une amélioration de notre démocratie que nous approuvons.
    Une autre des principales dispositions de ces textes vise à abaisser l'âge d'éligibilité à trente ans. Dans ce domaine également, les mesures applicables au Sénat paraissaient sans rapport avec les autres mandats. En effet, l'âge d'éligibilité est fixé à dix-huit ans pour les mandats locaux et à vingt-trois ans pour les mandats de député, de député européen et même de Président de la République. Certes, l'âge d'éligibilité élevé des sénateurs avait été voulu par le constituant, soucieux de conférer au Sénat un caractère modérateur ; mais il justifie des critiques récurrentes. En effet, même si l'âge moyen des sénateurs - soixante et un ans, je crois - n'est que de sept ans supérieur à celui des députés, il n'en demeure pas moins que le Sénat conserve l'image d'une assemblée relativement âgée. Au-delà de l'âge d'éligibilité, les modalités de désignation, où la longue expérience d'élu local demeure l'atout principal pour être élu, favoriseront les candidats expérimentés. Cet abaissement à trente ans permet donc de redonner un souffle de jeunesse au Sénat tout en conservant l'équilibre institutionnel conforme à la mission de celui-ci. C'est pourquoi nous l'approuvons.
    Concernant le rétablissement de l'équilibre entre scrutin proportionnel et scrutin majoritaire, les textes prévoient l'application du scrutin majoritaire à deux tours dans les départements où sont élus 3 sénateurs ou moins. Il s'agit en effet de corriger le déséquilibre institué par la loi du 10 juillet 2000 qui avait introduit massivement la représentation proportionnelle.
    L'instauration, à partir de 1946, du scrutin proportionnel a abouti à la coexistence de deux systèmes électoraux pour une même assemblée. Jusqu'en 2000, le scrutin majoritaire était dominant, puisqu'il s'appliquait dans 85 départements concentrant 67 % de la population française et concernait 206 sièges de sénateurs. Mais depuis la loi du 10 juillet 2000, il n'est plus appliqué que dans les seuls départements auxquels sont attribués un ou 2 sièges de sénateurs. De 110 sièges élus à la proportionnelle avant la loi, nous sommes ainsi passés à 224, ce qui a créé un nouveau déséquilibre.
    Il nous est proposé de rétablir une situation plus juste en permettant d'aboutir à une quasi-parité entre les deux modes de scrutin. Si, grâce au scrutin majoritaire, l'enracinement local des sénateurs et leur indépendance relative vis-à-vis des formations politiques sont assurés, le scrutin proportionnel favorise quant à lui la représentation des différentes formations politiques et se justifie dans les départements à forte population urbaine où le tissu social est plus hétérogène. Le nouveau système permettra donc d'assurer une représentation plus équitable.
    Enfin, et je conclurai mon intervention sur ce point, la réforme prévoit l'augmentation du nombre des sénateurs. Depuis 1959, nous avons assisté à huit changements dans ce domaine. Les évolutions démographiques, notamment l'exode rural, ont effectivement bouleversé les données. Entre 1975 et 1999, la population française a augmenté de 12 %, mais cette croissance n'a pas été uniforme et elle se traduit par des disparités certaines entre les départements. Je citerai l'exemple de la Seine-et-Marne, qui a vu sa population croître de plus de 50 % durant cette période. Certains départements sont donc sous-représentés et l'on assiste à des écarts très importants : dans certains départements, un sénateur représente 180 000 habitants, dans d'autres 300 000. Il convient donc de procéder à un réajustement.
    Toutefois, l'augmentation de 22 du nombre de sénateurs ne nous paraît pas être la solution la plus appropriée. En effet, en ces temps de conjoncture économique difficile, il ne nous semble pas opportun d'aggraver excessivement les charges de l'Etat. En outre, aux termes du troisième alinéa de l'article 24 de la Constitution, le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Dans sa décision du 6 juillet 2000, le Conseil constitutionnel a rappelé que la représentation par le Sénat de chaque catégorie de collectivités territoriales et des différents types de communes doit tenir compte de la population qui y réside. Certes, la représentation de la population doit être moins arithmétique pour le Sénat que pour l'Assemblée nationale, laquelle est élue sur des bases essentiellement démographiques.
    On peut donc augmenter le nombre de sièges quand l'évolution de la démographie le suggère, mais il ne faut pas non plus oublier de le réduire là où cela s'impose.
    En dépit des réserves que j'ai pu formuler au sujet de l'article 5 de la proposition de loi organique - car à nos yeux, l'augmentation du nombre de sénateurs doit rester limitée -, le groupe UDF votera les propositions de loi qui nous sont soumises. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Mme la présidente. La parole est à M. Michel Vaxès.
    M. Michel Vaxès. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'occasion du bicentenaire sénatorial, en 1999, M. Didier Maus, professeur de droit constitutionnel, déclarait : « Le Sénat a traversé deux siècles, le débat sur sa légitimité également. » Il s'agit donc d'une sorte d'Arlésienne de la vie institutionnelle.
    Prenant très certainement la mesure que ce débat porte le plus souvent sur l'existence même d'une seconde chambre, 160 sénateurs de l'UMP et de l'Union centriste, avec le soutien du Premier ministre, ont estimé qu'il était temps de déposer deux propositions de loi en vue de la réformer. La première, organique, vise à réformer la durée du mandat, l'âge d'éligibilité des sénateurs et la composition du Sénat ; la deuxième, ordinaire, tend à modifier le mode d'élection des sénateurs.
    Ces deux textes sont-ils de nature à imposer de manière définitive la légitimité de la chambre dite « haute » ?
    Dans son exposé des motifs, les auteurs de la proposition de loi organique déclarent vouloir renforcer la légitimité du Sénat et son ancrage dans les collectivités territoriales en réduisant à six ans la durée du mandat des sénateurs. Il est prévu, en conséquence, le renouvellement du Sénat par moitié tous les trois ans.
    Cette réduction de la durée du mandat des sénateurs est sans doute une mesure de bon sens, qui peut emporter notre adhésion. Elle aurait d'ailleurs dû s'imposer depuis bien longtemps. Une durée de neuf ans est en effet excessive, absurde et incohérente. Quatorze années peuvent parfois séparer l'opinion exprimée par les électeurs quand ils choisissent leurs représentants et la fin du mandat d'un sénateur !
    En revanche, j'ai la conviction que le maintien d'un renouvellement sur plusieurs séries ne sera pas de nature à assurer la représentativité qui manque tant à cette chambre. Seul un renouvellement intégral, en une seule fois, permettrait de refléter l'état de la société française à un moment donné.
    La proposition de loi organique entend également abaisser l'âge d'éligibilité au Sénat à trente ans afin, est-il dit, de rapprocher ce seuil de celui des autres élections. Pourquoi tant de timidité quand l'âge d'éligibilité est fixé à dix-huit ans pour tous les mandats locaux et à vingt-trois ans pour deux des trois mandats nationaux, dont celui de Président de la République ? Quelle raison justifie encore cet écart ? Le Palais du Luxembourg va-t-il éternellement refuser d'accueillir une jeunesse pourtant si indispensable au renouvellement de ses forces ?
    Pour le rapporteur de la commission des lois du Sénat, la fixation d'un âge d'éligibilité plus élevé pour les sénateurs se justifierait par la « vocation traditionnelle de chambre stable et modératrice du Sénat ». Doit-on dès lors comprendre que notre assemblée serait par nature instable et excessive parce qu'elle est susceptible d'accueillir en son sein une jeunesse turbulente ?
    Cette vision a déjà conduit la Constitution de l'an VIII à conférer à la Haute Assemblée, et à juste titre, le label de « Sénat conservateur ». Faut-il continuer dans cette voie ? Ce n'est pas notre avis, d'autant que la sagesse et le bon sens ne sont pas nécessairement l'apanage de l'âge - ce n'est pas vous, monsieur le ministre, qui allez me contredire.
    Nous défendons donc l'idée que l'âge de l'éligibilité des sénateurs doit être aligné sur celui des députés. Mais que nos collègues de l'autre chambre ne soient pas trop inquiets : seuls 2 députés siégeant aujourd'hui dans cet hémicycle ont été élus à l'âge de vingt-neuf ans. Le péril jeune n'est pas encore à nos portes ! (Sourires.)
    La proposition de loi organique propose également, afin de tenir compte de l'évolution démographique, l'augmentation de 25 sièges du nombre de sénateurs élus dans les départements.
    Le Sénat représente aujourd'hui la France de 1975. Il s'agit donc d'une prise de conscience bien tardive ! Si elle avait eu lieu plus tôt, elle aurait pu concerner le renouvellement de 2001. Rappelons-le : en 2000, lorsque le gouvernement de M. Jospin avait fait cette proposition, il s'était violemment heurté à l'opposition de la majorité sénatoriale.
    Une telle augmentation s'impose donc, mais il faut regretter qu'elle n'oeuvre aucunement au rééquilibrage indispensable entre zones urbaines et zones rurales. La sur-représentation des communes rurales dans le collège électoral ne sera nullement corrigée par cette réforme.
    C'est donc encore la question de la représentativité de cette chambre qui se trouve posée. La représentation des collectivités territoriales ne sera en effet pas mieux assurée.
    La proposition de loi qui nous est soumise ne peut donc, vous l'aurez compris, emporter notre adhésion tant elle manque d'audace et de courage à corriger les défauts que ses auteurs ont bien timidement repérés.
    La proposition de loi ordinaire propose quant à elle le rétablissement du scrutin majoritaire dans les départements où sont élus au moins 3 sénateurs.
    Si la réforme de juillet 2000 avait pu insuffler une bouffée d'air frais dans le Palais du Luxembourg, cette proposition est, sans aucun doute, une formidable régression.
    Chacun sait en effet que l'instauration de la proportionnelle dans les départements comprenant 3 sénateurs avait permis l'élection de plusieurs sénatrices lors du renouvellement de 2001. Le Palais du Luxembourg a ainsi pu accueillir en son sein 4 jeunes sénatrices communistes. Grâce à la proportionnelle, seul mode de scrutin en mesure de garantir efficacement la parité, ces sénatrices sont venues rajeunir et féminiser la Haute Assemblée.
    M. Guy Geoffroy. Vous avez attendu d'y être obligés !
    M. Michel Vaxès. Je vous en prie !
    La proportionnelle avait permis également de combattre la notabilisation chronique du Sénat qui rendait cette chambre fort peu représentative de la population française. Le pluralisme politique est pourtant un élément essentiel de la légitimité démocratique d'une institution en crise. Or la stabilité politique du Sénat reflète peu les mutations de notre pays.
    Ce principe de parité est d'ailleurs à ce point maltraité que vous-même, monsieur le ministre, avez exprimé les plus grandes réserves sur la constitutionnalité de cette proposition de loi.
    Au cours des débats au Sénat, vous rappeliez à cet effet le cinquième alinéa de l'article 3 de la Constitution, issu de la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999, aux termes duquel « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ».
    Puis vous ajoutiez : « Le Conseil constitutionnel, conformément à sa récente jurisprudence du 3 avril 2003, pourrait être amené à vérifier que ces dispositions n'ont ni pour objet ni, par elles-mêmes, pour effet de réduire la proportion de femmes élues. En l'espèce, il pourrait être conduit à constater que le relèvement du seuil d'application de la représentation proportionnelle aura pour effet, dans les 25 départements élisant 3 sénateurs, de réduire les possibilités d'accès égal aux mandats, puisque aucune règle, ni incitative ni contraignante, ne viendra atténuer la suppression de l'obligation d'appliquer le mode de scrutin proportionnel. »
    Vous avez raison, monsieur le ministre : cette proposition de loi porte une atteinte évidente au principe de parité qui ne saura échapper au Conseil constitutionnel.
    Enfin, cette proposition de loi ordinaire ne prévoit pas de réforme du collège électoral, et il s'agit là d'une lacune peu sage pour une réforme qui prétend renforcer la légitimité du Sénat.
    La légitimité du Sénat ne va pas sans une représentativité réelle. Or, peut-on sérieusement parler de représentativité lorsque l'on sait que le pourcentage de délégués représentant les communes de moins de 1 000 habitants, où vit 16,5 % de la population française, dépasse les 30 % ?
    Voilà autant de raisons, pour le groupe des députés communistes et républicains, de ne pas voter en l'état ces propositions de lois.
    Une fois encore, un grand rendez-vous sera manqué. Il y avait pourtant là une belle opportunité de pouvoir enfin donner au Sénat la légitimité démocratique qui lui manque, au point de faire regretter au président Poncelet, en 1998, que cette « institution soit injustement mais fréquemment brocardée ».
    Une fois de plus, et croyez bien que nous le regrettons, le constat ironique fait en 1913 par un docteur en droit est plus que jamais d'actualité : « Notre Sénat a un mérite essentiel qu'il faut lui reconnaître : il a duré. »
    Nous aurions préféré que, au-delà de son endurance, il se réforme pour offrir à nos institutions républicaines une seconde chambre démocratique et représentative de la population française. Malheureusement, les solutions apportées par ces propositions de loi ne sont pas à la hauteur des problèmes existentiels auxquels est confronté le Sénat.
    En ce domaine comme dans bien d'autres, il aurait fallu qu'un véritable débat sur nos institutions s'instaure et que notre peuple puisse s'en mêler. Mais le Gouvernement s'y refuse, préférant inscrire sa démarche dans le droit fil de la réforme des modes de scrutin des élections régionales et européennes, strictement dictée par la loi de l'intérêt de l'Etat UMP. Nous voyons que celle-ci passe aussi par un Sénat UMP.
    Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

    Mme la présidente. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :
    Suite de la discussion :
    - de la proposition de loi organique, adoptée par le Sénat, n° 936, portant réforme de la durée du mandat et de l'âge d'éligibilité des sénateurs ainsi que de la composition du Sénat ;
    - de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, n° 937, portant réforme de l'élection des sénateurs ;
    M. Jérôme Bignon, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration de la République (rapport n° 1000).
    (Discussion générale commune.)
    A vingt et une heures trente, troisième séance publique :
    Suite de l'ordre du jour de la première séance.
    La séance est levée.
    (La séance est levée à treize heures cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT