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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU JEUDI 7 NOVEMBRE 2002

COMPTE RENDU INTÉGRAL
2e séance du mercredi 6 novembre 2002


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

1.  Questions au Gouvernement «...».

AVENIR DES COMPAGNIES AÉRIENNES
FRANÇAISES «...»

MM. Michel Vaxès, Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

IRAK «...»

MM. Yves Bur, Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères.

AVENIR DU SYSTÈME DE RETRAITE «...»

MM. Pascal Terrasse, François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

RÉPARTITION DES FORCES DE POLICE
ET DE GENDARMERIE «...»

MM. Stéphane Demilly, Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

DRAME FERROVIAIRE DE NANCY «...»

MM. Laurent Hénart, Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

POLITIQUE ÉCONOMIQUE EUROPÉENNE «...»

MM. Patrick Herr, Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

LOGEMENT SOCIAL «...»

Mme Annick Lepetit, M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

VIOLENCE À L'ÉCOLE «...»

MM. Guy Geoffroy, Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire.

LIAISON LYON-TURIN «...»

MM. Michel Bouvard, Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

SITUATION EN CENTRAFRIQUE «...»

MM. Jean-Pierre Dufau, Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie.

PROTECTION DES SANS-ABRI EN HIVER «...»

M. Manuel Aeschlimann, Mme Dominique Versini, secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion.

POLLUTION DE L'ÉTANG DE BERRE «...»

M. Eric Diard, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable.

Suspension et reprise de la séance «...»

2.  Loi de finances pour 2003 (deuxième partie). - Suite de la discussion d'un projet de loi «...».

BUDGETS ANNEXES DE LA LÉGION D'HONNEUR
ET DE L'ORDRE DE LA LIBÉRATION «...»

M. Tony Dreyfus, rapporteur spécial de la commission des finances.
M. Christian Kert.
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice.

BUDGET ANNEXE DE LA LÉGION D'HONNEUR «...»

Adoption des crédits ouverts aux articles 40 et 41.

BUDGET ANNEXE DE L'ORDRE DE LA LIBÉRATION «...»

Adoption des crédits ouverts aux articles 40 et 41.

Suspension et reprise de la séance «...»
PRÉSIDENCE DE M. ERIC RAOULT
JUSTICE «...»

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial de la commission des finances.
M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis de la commission des lois, pour l'administration centrale et les services judiciaires.
Mme Valérie Pecresse, rapporteure pour avis de la commission des lois, pour les services pénitentiaires et la protection judiciaire de la jeunesse.
M. Pascal Clément, président de la commission des lois.
MM.
Michel Vaxès,
Jean Leonetti,
André Vallini,
Rudy Salles,
Michel Hunault,
Jacques Myard.
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice.
Réponses de M. le garde des sceaux et de M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice, aux questions de : MM. Patrick Braouezec, Michel Vaxès, Christian Kert, Richard Dell'Agnola, Patrick Hoguet, Mme Ségolène Royal.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
3.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

    M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
    Nous commençons par une question du groupe des député-e-s communistes et républicains.

AVENIR DES COMPAGNIES AÉRIENNES FRANÇAISES

    M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès.
    M. Michel Vaxès. Monsieur le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, l'ensemble des organisations syndicales d'Air France ont exprimé hier, d'une seule voix, et nous à leurs côtés, le refus de voir s'engager le processus de privatisation d'une entreprise publique.
    Air France, sous son statut actuel, avec l'ensemble de son personnel, a fait preuve, depuis 1993, de sa capacité à redresser une situation financière difficile et a conclu de solides accords avec d'autres compagnies aériennes internationales. Elle a ainsi démontré qu'il est possible de concilier service public de qualité et développement de l'entreprise dans un contexte concurrentiel exacerbé. Pourtant, la presse s'est fait l'écho ces derniers jours d'un projet de décret de privatisation qui serait d'ores et déjà soumis au Conseil d'Etat sans concertation avec les partenaires sociaux, sans débat au sein de la représentation nationale.
    De leur côté, les personnels d'Air Lib rejettent un plan de suppression de 500 emplois dont le coût, estimé à 50 millions d'euros, est bien supérieur à ce que coûterait la transformation en aide à la restructuration du prêt de 30 millions d'euros consenti par le gouvernement précédent.
    Ma question, monsieur le ministre, est donc simple et appelle une réponse précise sur ses deux volets.
    Entendrez-vous la volonté très largement majoritaire des salariés d'Air France qui refusent, avec une belle unanimité, les aventures d'une privatisation dont on sait ce qu'elle a coûté à France Télécom ?
    Avez-vous l'intention d'abandonner Air Lib ou, au contraire, allez-vous défendre avec la plus grande énergie son dossier devant Bruxelles ?
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transport, du logement, du tourisme et de la mer.
    M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Je vous en supplie, monsieur le député : ne dramatisez pas ! (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) La grève d'hier a réuni exactement 11,5 % des salariés d'Air France ! (Exclamations sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Il est important, pour cette grande entreprise, à laquelle nous tenons tous, d'ouvrir son capital plus largement pour passer des accords de partenariat plus importants, surtout au moment où la concurrence devient de plus en plus vive. La première ouverture du capital a montré ses bienfaits, il en sera de même de la deuxième. C'est un moyen pour l'entreprise de mieux financer ses investissements, à un coût moindre qu'en recourant à l'emprunt.
    Je peux vous préciser, pour vous rassurer, qu'à terme il y aura deux blocs : un bloc national, de 20 % environ, et un bloc des salariés, qui pourront profiter de cette ouverture du capital, de 20 %. Nous donnerons aux salariés deux années pour négocier un accord collectif. La représentation nationale sera interrogée, il y aura débat, et la loi prévoira bien sûr que la France et les capitaux français resteront majoritaires dans le capital d'Air France. Les étrangers ne prendront pas possession d'Air France !
    Je terminerai par cette citation : « Par l'apport financier important qu'elle représente, l'ouverture du capital permet à Air France de financer un projet industriel. L'opération a été un élément de renouveau du dialogue social. » Cette citation est de Jean-Claude Gayssot ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jean-Pierre Brard. M. Gayssot n'est plus ministre !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Vous m'avez également interrogé sur Air Lib, à l'égard de laquelle le Gouvernement a fait son devoir. Il lui a prêté 30,5 millions d'euros, auxquel il faut ajouter plus de 60 millions d'euros supplémentaires en moratoires fiscal et social. Cette situation ne peut pas durer, il faut à Air Lib d'autres partenaires et une véritable stratégie de développement. Nous attendons cette stratégie de développement, nous attendons ce partenariat - et j'ai bien dit des « partenaires », pas des « contribuables » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)

IRAK

    M. le président. La parole est à M. Yves Bur, pour le groupe UMP.
    M. Yves Bur. Monsieur le ministre des affaires étrangères, la France a déployé depuis le début de la crise irakienne des efforts considérables pour parvenir à un règlement satisfaisant, conforme au droit international. Sa position a fait l'objet d'un large consensus dans notre pays et au-delà. Aujourd'hui, nous sommes toujours activement engagés dans la négociation sur l'Irak au sein du Conseil de sécurité, et un accord semble imminent sur cette question majeure.
    Quel a été le rôle de notre pays dans l'évolution de cette négociation ? Quels progrès ont été d'ores et déjà enregistrés dans le projet de résolution en discussion ? Les perspectives de parvenir prochainement à l'adoption d'un texte, avec le soutien du Conseil de sécurité, sont-elles satisfaisantes pour notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
    M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, c'est vrai, nous arrivons au terme d'un processus. Les Etats-Unis devraient présenter, ce matin même à New York leur nouveau projet de résolution. Un vote est donc proche.
    Dans ce contexte, nous poursuivons deux objectifs principaux : non seulement le désarmement de l'Irak et un retour rapide des inspecteurs des Nations unies, mais aussi la défense d'une vision et de règles fortes : la légitimité, la responsabilité collective. Nous voulons mettre au centre le rôle des Nations unies et nous visons l'efficacité en inscrivant cette action dans la durée.
    Quels sont les principaux résultats d'ores et déjà enregistrés ? Vous me permettrez d'en citer trois.
    D'abord, l'acceptation d'une démarche en deux temps. Le Conseil de sécurité doit être et sera le passage obligé pour toute forme d'action.
    Ensuite, le refus de l'automaticité du recours à la force. Nous bénéficions sur ce point d'un très large soutien des membres du Conseil de sécurité.
    Enfin, l'élaboration d'un régime rigoureux et réaliste d'inspection, fondé sur notre confiance envers M. Blix et M. ElBaradei.
    Pour aboutir à ce résultat, nous avons multiplié les propositions et les contacts au cours des dernières semaines avec les membres permanents du Conseil de sécurité, mais aussi avec tous les autres membres. Car nous devons maintenant rechercher l'unité, voire l'unanimité. Ce sera le message de détermination le plus fort que nous pourrons adresser à Saddam Hussein. Ce sera aussi le meilleur atout de la communauté internationale au cours des prochaines semaines, où il faudra gérer cette crise. Ce sera enfin le meilleur atout pour ériger un nouvel ordre international et faire face à la menace terroriste, à la menace de prolifération et à la menace intégriste.

AVENIR DU SYSTÈME DE RETRAITE

    M. le président. La parole est à M. Pascal Terrasse, pour le groupe socialiste.
    M. Pascal Terrasse. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    Le Gouvernement a décidé de réformer l'actuel système des retraites d'ici la fin du premier semestre 2003. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Bernard Accoyer. Enfin !
    M. Pascal Terrasse. A cet égard, monsieur le ministre, vos propos polémiques selon lequels vos prédécesseurs n'ont rien fait ne sont acceptables ni sur le fond ni sur la forme. (Vives protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Dois-je vous rappeler que ce n'est pas en jetant des milliers de salariés dans la rue, comme vous l'avez déjà fait en 1995, que vous réglerez le problème et que vous conforterez l'actuel système de retraite ?
    La création du fonds de garantie des retraites tout comme l'abrogation des lois Thomas portant sur les fonds de pension illustrent l'action du précédent gouvernement.
    Laisser croire aux Français qu'ils pourront demain jouer leurs retraites à la Bourse serait catastrophique pour des millions de retraités. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Vous avez déclaré, le 4 novembre dernier, que les préretraités sont une catastrophe pour notre économie et que les salariés vont devoir travailler plus longtemps. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Cette déclaration intervient au moment où vous venez de supprimer le dispositif de congé de fin d'activité dont bénéficient des milliers de salariés, au moment où, pour la première fois depuis cinq ans, le pouvoir d'achat des retraités va diminuer de 0,2 % en 2003.
    Voilà dans quel contexte vous souhaitez engager le débat aujourd'hui.
    Après le rapport Charpin qui a posé le principe des réformes, après le remarquable travail de dialogue social mené par le Conseil d'orientation des retraites avec l'ensemble des partenaires sociaux, à l'exception du MEDEF qui n'a pas souhaité s'y associer, nous souhaiterions...
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. La question !
    M. Pascal Terrasse. J'y viens, mes chers collègues.
    Monsieur le ministre, sur quelles bases vont s'engager les négociations ? Allez-vous pousser nos concitoyens à cotiser davantage et au-delà de soixante ans ? Allez-vous garantir l'actuel système de répartition ? Voilà les questions que se posent les Français. Ils attendent des réponses claires, et non des polémiques stériles. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le député, depuis vingt ans, tous les gouvernements ont encouragé le recours massif aux préretraites, faisant d'ailleurs de notre pays celui qui, en Europe, compte le plus grand nombre de personnes dans cette situation et a le taux d'activité le plus faible. J'estime qu'à court terme, ces mesures ont été utiles et qu'il n'y a pas lieu de les regretter. Mais à long terme, force est de constater que le recours massif aux préretraites a de graves inconvénients. Le premier est de priver notre pays des compétences, du savoir-faire, de l'expérience (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française) de salariés qui, bien souvent, ne sont pas remplacés - et le seront de moins en moins, compte tenu du vieillissement de la population. Le deuxième inconvénient de ce dispositif est de contribuer à dévaloriser le rôle du salarié âgé dans l'entreprise, d'autant que, dans de nombreux cas, ces préretraites ne sont pas souhaitées, mais subies.
    M. Edouard Landrain. Absolument !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Enfin, le troisième inconvénient est de déséquilibrer les comptes sociaux, et en particulier ceux de l'assurance vieillesse. Il y a d'ailleurs sur ce sujet, monsieur le député, un assez large consensus. Vous citiez tout à l'heure les travaux du Conseil d'orientation des retraites. Ils aboutissent à la même conclusion. Et le gouvernement que vous avez soutenu a eu raison, pendant trois ans, de réduire chaque année le recours aux préretraites.
    J'ai indiqué à Nantes, lundi, que je souhaitais ouvrir beaucoup plus largement la formation continue aux salariés âgés.
    Mme Martine David. Ce n'est pas la question !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Et j'ai demandé aux partenaires sociaux, dans la négociation qu'ils vont engager, de penser aux salariés de plus de cinquante ans qui doivent pouvoir avoir accès - ce qui n'est pas le cas aujourd'hui - à une formation pour se reconvertir et pour s'adapter à l'évolution de la société.
    La négociation, comme le Premier ministre l'a annoncé, débutera à partir du mois de février. Tous les sujets seront sur la table. Le Gouvernement n'a pas présélectionné un choix plutôt qu'un autre. Et je souhaite que personne n'aille dans ce sens, parce que la situation est suffisamment grave pour que l'on n'ait pas recours à la pensée unique qui stérilise le débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Je remarque, mesdames, messieurs les députés, que dans beaucoup de grands pays européens, on a trouvé un consensus national autour de cette question. Ce fut le cas de l'Espagne, tous les partis politiques s'étant mis d'accord, à Tolède, sur la réforme des retraites.
    M. le président. Je vous prie de bien vouloir conclure, monsieur le ministre.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je souhaite que nous puissions agir de même. J'attends, dans cet esprit, la contribution du parti socialiste.
    Mme Martine David. Elle est faite !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je ne doute pas qu'elle sera de grande qualité, car j'ai compris que vous y travailliez depuis longtemps. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

RÉPARTITION DES FORCES DE POLICE
ET DE GENDARMERIE

    M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly, pour le groupe UDF.
    M. Stéphane Demilly. Monsieur le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure a confirmé le principe d'une évolution de la répartition territoriale des zones de compétences respectives de la police et de la gendarmerie. Ce redéploiement engendrera la fermeture de nombreux commissariats de police dans les villes de 10 000 à 20 000 habitants. Cela m'inquiète. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Martine David. Et ce n'est pas un député de gauche !
    M. Stéphane Demilly. L'idée consiste à retirer les policiers nationaux des territoires où les taux de délinquance sont faibles pour les orienter vers les grandes villes où les problèmes sont d'une autre nature. Je ne pense pas qu'en déshabillant Paul pour habiller Jacques nous renforcerons efficacement la sécurité dans le monde rural et dans nos petites villes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Monsieur le ministre, si les taux de délinquance sont plus faibles dans les petites villes et dans le monde rural, tout en augmentant cependant très régulièrement, c'est justement parce que nous y avons une police de proximité, connaissant la population et impliquée dans la vie locale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains).
    En tant que maire, on me dit que mes policiers seraient remplacés par quinze gendarmes. Outre le fait que cette équation me laisse pantois, si les gendarmes s'occupent de nos petites villes, ils seront moins présents dans les communes rurales. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Et vous savez, monsieur le ministre, que les trois assassinats successifs perpétrés dans ma circonscription en pleine zone rurale ont traumatisé la population.
    Je suis un ardent défenseur de la police nationale, parce que je pense que c'est une mission régalienne de l'Etat.
    M. Bruno Le Roux. Très bien !
    M. Stéphane Demilly. Or, là, où nous avons mis en place ou étendu la compétence de la gendarmerie, il est souvent nécessaire d'y adjoindre une police municipale. Les villes pauvres, éligibles à la DSU, comme celle dont je suis le maire, n'ont pas toujours les moyens de financer cette police de proximité. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Posez votre question, mon cher collègue !
    M. Stéphane Demilly. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous assurer que la concertation que vous avez demandé aux préfets de mener est réelle et qu'elle prendra en considération les remarques et la volonté des élus (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste) que j'ai synthétisées dans mon intervention exprimée avec le coeur ?
    M. le président. Veuillez conclure !
    M. Stéphane Demilly. Je fais confiance au sens du pragmatisme que vous avez démontré ces dernières semaines et à votre action courageuse, que je soutiens. Mais, député de Chaulnes et de la cinquième circonscription de la Somme, j'ai peur du mot « concertation ». (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française, sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le député, je suis très heureux que cette question ait été posée par un membre du groupe Union pour la démocratie française. Souvent, et à juste titre, le groupe UDF, par la voix de ses principaux représentants, a appelé le Gouvernement à mettre en oeuvre des réformes courageuses. Le redéploiement est une de ces réformes. Je vois que nous nous sommes compris ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

    Monsieur le député, l'une des plus grandes voix qui ait posé la première question du redéploiement est celle d'un élu UDF, M. Hyest, qui, avec un élu socialiste, avait fait un rapport remarquable sur le redéploiement. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Et n'en doutez pas, je le dis au président du groupe UDF, je vais m'inspirer de ce rapport pour conduire l'action du Gouvernement en la matière. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Mais pourquoi cela n'a-t-il pas marché ? Monsieur le député, vous êtes un élu national et un élu local enraciné.
    A quoi tient l'inquiétude des élus locaux ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Au fait que depuis trop d'années on leur raconte des fariboles et ils ont fini par associer réforme et réduction des effectifs. Or les arbitrages rendus par le Premier ministre, qui ont abouti à la création d'effectifs pour la gendarmerie et la police, assureront au minimum à chacun l'équivalence du service existant. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Christian Bataille. Ce n'est pas vrai, vous mentez !
    M. le président. Monsieur Bataille, je vous en prie !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je ne serai pas le ministre de l'intérieur qui ira dire à un maire, à vous ou à un autre, qu'on peut avoir l'équivalent de quarante policiers travaillant de jour comme de nuit en les remplaçant par douze gendarmes qui ne travaillent que le jour.
    M. Christian Bataille. C'est faux !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Il faut également tenir compte de la crainte des personnels : ici, un policier a acheté un pavillon qu'il n'a pas fini de payer ; là, des gendarmes ont scolarisé leurs enfants. Comment faire ? Création d'effectifs ? Innovation sociale ? Ce qui est certain, c'est que depuis 1941, la France attend cette réforme. Et si le déploiement des forces de police et de gendarmerie était si efficace, pourquoi la délinquance a explosé en ruralité depuis les dix dernières années ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Christian Bataille. Supermenteur !
    M. le président. Taisez-vous, monsieur Bataille !

DRAME FERROVIAIRE DE NANCY

    M. le président. La parole est à M. Laurent Hénart, pour le groupe UMP.
    M. Laurent Hénart. Monsieur le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, à deux heures quinze ce matin, dans la ville dont je suis l'élu, Nancy, un accident ferroviaire a fait douze morts, un wagon-lit du Paris-Vienne ayant pris feu. Ce drame, survenu en pleine ville, a bien sûr marqué les habitants de Nancy. La représentation nationale ne peut que faire part de sa compassion aux familles des disparus, aux blessés et à leurs proches.
    Nous devons aussi rendre hommage à ceux qui, porteurs de l'action publique, sont intervenus rapidement. En sept minutes les pompiers étaient sur le site ; les services de la ville de Nancy, ceux de l'Etat, et ceux du centre hospitalier régional universitaire, ont pu très vite prendre en charge les 150 passagers qui ont dû être accompagnés psychologiquement, ainsi que les blessés et s'occuper des corps des victimes.
    Monsieur le ministre, vous êtes venu dès ce matin à Nancy - je vous en félicite - où vous avez été accueilli par le maire. Mon collègue Claude Gaillard, l'autre député de cette ville, se joint à moi pour vous interroger très simplement sur les enquêtes qui seront ouvertes.
    Quand pourrons-nous tirer des enseignements de ce drame ? Des leçons en seront-elles tirées quant à la sécurité des transports pour tous les Français, conformément au voeu du chef de l'Etat, du Gouvernement et de l'ensemble de la représentation nationale. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.
    M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Monsieur le député, je dois d'abord vous indiquer que Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, est aujourd'hui à côté de Poitiers à cause de l'accident qui s'est produit hier sur l'autoroute A 10 où, parmi les huit victimes, figure l'inspecteur d'académie des Deux-Sèvres.
    Pour ce drame ferroviaire, chacun connaît désormais les faits. Un cheminot a vu de la fumée et des flammes s'échapper du premier wagon du train qui passait dans la gare de Nancy. Il a eu le bon réflexe de couper le courant et de donner l'alerte. Le train s'est arrêté très près de la gare. Je tiens donc, en cette occasion à donner un grand coup de chapeau aux cheminots qui prennent souvent des risques, et qui sont toujours très performants et très vigilants. (Applaudissements sur tous les bancs.)
    Sur place, j'ai été admiratif devant la capacité de mobilisation, dans la cohérence, de la société civile, des élus politiques, des agents publics et du corps médical. Je veux donc également saluer l'ensemble des acteurs, qui, en quelques minutes, ont bien réagi, et qui ont ensuite immédiatement su entourer psychologiquement et médicalement les victimes - car, en plus des douze morts, il y avait aussi une dizaine de blessés - dans un climat de très grande sérénité, et avec beaucoup de sérieux.
    Dès ce matin, en conseil des ministres, le Président de la République en a tiré une leçon. Certes, la sécurité implique la lutte contre la délinquance, et Dieu sait combien Nicolas Sarkozy et l'ensemble des membres du Gouvernement concernés s'y attachent ; il s'agit même d'une priorité, et je parle sous le contrôle du Premier ministre. Néanmoins, il y a aussi la sécurité dans les transports. A cet égard, je peux vous indiquer que, chaque fois que l'on parle de nouveaux systèmes européens et de mise en concurrence au sein du conseil des ministres européens des transports, où je siège, je mets en avant la position constante de la France : accord si le problème de la sécurité est résolu.
    M. François Rochebloine. Très bien !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Il faudra que cette question soit réglée avant que l'on envisage de passer à une nouvelle étape, par exemple celle du deuxième paquet ferroviaire européen. La sécurité demeure la priorité du Gouvernement et j'espère que, en cela, il est rejoint par la représentation nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)

POLITIQUE ÉCONOMIQUE EUROPÉENNE

    M. le président. La parole est à M. Patrick Herr, pour le groupe UMP.
    M. Patrick Herr. Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, au même titre que les Etats-Unis, la zone euro connaît une croissance économique peu vigoureuse. Face à cette situation, votre gouvernement a décidé d'agir...
    M. François Hollande. Comment ?
    M. Patrick Herr. ... de manière volontaire sur deux leviers : d'abord, inscrire dans la durée une politique ambitieuse de baisse des prélèvements obligatoires afin de consolider la consommation de tous les ménages et de relancer les carnets de commande des entreprises,...
    M. Jean Glavany. C'est efficace !
    M. Patrick Herr. ... ensuite, coordonner les politiques économiques et budgétaires au sein de la zone euro.
    De ce point de vue, le dernier conseil économique et financier franco-allemand a marqué une étape très importante, constituant un succès à double titre : il témoigne de la vitalité retrouvée du couple franco-allemand ; il démontre qu'il est possible d'afficher une volonté politique forte pour consolider la croissance de la zone euro, tout en respectant l'esprit des traités liant les pays qui ont adopté une monnaie commune.
    En décidant d'introduire de nouveaux critères dans le cadre du pacte de stabilité, vous cherchez de nouvelles règles de coordination européenne, plus efficaces et plus réactives en période de ralentissement économique. Pour autant, monsieur le ministre, deux interrogations subsistent : quel est le sens des nouveaux critères que vous avez voulu introduire dans le pacte de stabilité ? En quoi ces nouveaux critères nous permettront-ils de consolider notre croissance future et de mieux préparer l'avenir ? (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)

    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
    M. Francis Mer. Avant de répondre à votre question, je veux, monsieur le député, préciser que notre réunion s'est déroulée dans une excellente atmosphère et que la percée diplomatique et politique opérée il y a quinze jours à Bruxelles produit déjà des effets positifs. Cela devrait nous permettre de retrouver, entre nos deux pays, un climat de confiance et de coopération qui s'était érodé dans le passé. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Mme Martine David. Vous êtes mal placé pour le dire !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Pour répondre plus précisément à votre question, je vous indique qu'il n'est pas question de modifier le pacte de stabilité et de croissance (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), auquel M. Eichel et moi-même avons tous deux clairement renouvelé notre attachement.
    M. Jacques Desallangre. Il est « stupide », dixit Romano Prodi !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En effet, ce pacte est une condition nécessaire pour nous permettre de bâtir ensemble un avenir soutenable, notamment avec une baisse contrôlée, mais assurée, de nos déficits, afin de maîtriser la croissance de la dette.
    En évoquant d'autres sujets tels que l'emploi ou la qualité de la préparation du futur, M. Eichel et moi-même avons souligné la nécessité de coordonner les politiques économiques que nous devons développer en Europe. L'importance de nos deux pays dans l'ensemble européen est telle qu'ils ne peuvent réussir l'un sans l'autre. En revanche, si nous nous mettons d'accord sur des éléments de politiques communes, cela nous donne les plus grandes chances de les faire adopter au niveau européen.
    M. Jean-Claude Lefort. Zéro ! La France n'est pas Sacilor !
    M. le président. Monsieur Lefort, je vous en prie !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Dans ce contexte, nous avons donc décidé de multiplier les occasions de travailler ensemble. A titre d'information, je vous indique que nous sommes convenus de nous rencontrer bilatéralement quatre fois par an au lieu de deux. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jean Glavany. Formidable !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous nous sommes également mis d'accord pour coordonner nos positions avant chaque réunion de l'Ecofin, afin qu'il y ait une position franco-allemande aussi systématiquement que possible.
    Enfin, nous avons décidé de multiplier par dix le volume des échanges de fonctionnaires que nous organisons habituellement, car c'est en nous connaissant mieux les uns les autres que nous travaillerons mieux ensemble. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

LOGEMENT SOCIAL

    M. le président. La parole est à Mme Annick Lepetit, pour le groupe socialiste.
    Mme Annick Lepetit. Monsieur le ministre délégué à la ville et à la rénovation urbaine, vous avez déclaré à plusieurs reprises que vous étiez pour plus de justice sociale, pour plus de logements sociaux, pour que les habitants des quartiers les plus pauvres vivent mieux.
    M. Jean Glavany. Il n'avait qu'à voter Jospin !
    Mme Annick Lepetit. Vous avez dit aussi que vous étiez contre les ghettos. Vous sembliez ainsi relayer la demande de nombreux habitants, celle de vivre dans un logement décent.
    Or nous découvrons que quelques sénateurs de votre majorité viennent de déposer un texte conséquent, inscrit précipitamment à l'ordre du jour du Sénat. Il remet en cause le principe même de la construction de logements sociaux de façon équilibrée sur le territoire.
    M. Jean-Marc Ayrault. Double langage !
    Mme Annick Lepetit. Cet équilibre était garanti par l'article 55 de la loi de solidarité et de renouvellement urbains, loi dite SRU. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - « Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Richard Mallié. Quel scandale, cette loi !
    Mme Annick Lepetit. Cette mesure, appliquée maintenant depuis presque deux ans, a donné de bons résultats (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française),...
    M. Richard Mallié. Pas du tout !
    M. Dominique Dord. C'est faux !
    Mme Annick Lepetit. ... comme le montrent d'ailleurs les documents publiés par le ministère du logement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Alors, monsieur le ministre, pourquoi casser cette dynamique ?
    Chers collègues, comme vous le savez, l'inquiétude est grandissante parmi nos concitoyens. (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Xavier Emmanuelli, président du Haut Comité pour le logement des défavorisés, et l'abbé Pierre, pour ne citer qu'eux (Vives exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), se mobilisent pour défendre cette disposition qui garantit la solidarité nationale.
    Comment, monsieur le ministre, allez-vous concrètement traduire votre volonté de mixité sociale, et comment allez-vous traiter cette proposition de loi...
    M. Dominique Dord. Qu'avez-vous fait avant ?
    Mme Annick Lepetit. ... qui sera sans doute examinée prochainement par notre assemblée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Borloo ! Borloo !
    M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Pardonnez-moi, la loi SRU fait partie de mes attributions. (« Borloo ! Borloo ! » sur les bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. S'il vous plaît ! M. de Robien a seul la parole ! (« Borloo ! Borloo ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Julien Dray. Y a-t-il des intérimaires dans le Gouvernement ?
    M. le président. Taisez-vous ! Laissez M. de Robien parler ! (« Borloo ! Borloo ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. Le spectacle que vous donnez est affreux ! Monsieur Roman, taisez-vous !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Madame la députée, je voudrais essayer de vous convaincre que l'article 55 est inefficace et injuste.
    M. Julien Dray. A Neuilly !
    M. le président. Monsieur Dray, taisez-vous ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. L'article 55 est inefficace tout simplement parce que, tous comptes faits, un maire qui ne veut vraiment pas construire de logements sociaux a intérêt à payer les pénalités prévues plutôt que de mettre en oeuvre l'autofinancement nécessaire à un logement social. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Par ailleurs, il est totalement injuste, car il fait payer des communes qui bénéficient de l'excellente DSU, que vous avez vous-mêmes inventée. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Le Gouvernement tient à la contractualisation avec les élus locaux. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) C'est pourquoi il n'acceptera aucune proposition qui tendrait à remettre en cause la mixité sociale. Il préfère contractualiser avec les élus locaux auxquels il fait toute confiance, plutôt que de mettre en oeuvre des pénalités qui découragent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    De nombreux députés du groupe socialiste. Borloo ! Borloo !

VIOLENCE À L'ÉCOLE

    M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour le groupe UMP.
    M. Guy Geoffroy. Monsieur le ministre délégué à l'enseignement scolaire, depuis plusieurs mois et même depuis plusieurs années, la violence s'est malheureusement installée à l'école.
    M. Christian Bataille. Il faut des surveillants ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Guy Geoffroy. L'existence de comportements incivils, perturbateurs, insolents, parfois violents, est aujourd'hui quotidiennement constatée dans tous les établissements.
    M. Jean-Pierre Blazy. Oh !
    M. Guy Geoffroy. Cette existence inquiète considérablement les responsables, les personnels, les familles et, au-delà, l'ensemble de nos concitoyens. Même si tous les établissements ne sont pas concernés (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste), cela est de plus en plus fréquent. Cela ressort des chiffres donnés pour les seuls actes graves, puisque 80 000 ont été annoncés par les établissements.
    Depuis la dernière rentrée, les incidents se sont à nouveau multipliés. Les exemples sont nombreux, mais je n'en donnerai que deux : à Marseille, le 12 septembre, peu de jours après la rentrée scolaire, le directeur d'une école primaire est gravement agressé par un enfant de neuf ans ; le mois dernier, à Paris, une élève est agressée à coup d'acide dans les toilettes d'un lycée.
    Bref, la situation devient de plus en plus préoccupante et il y a probablement un lien entre la crise du recrutement d'enseignants dans l'éducation nationale et la crainte de beaucoup d'entre eux, au sortir des IUFM, de se voir affectés dans les sept académies qui regroupent, à elles seules, 50 % des établissements réputés sensibles.
    La semaine dernière, monsieur le ministre, vous avez précisé les orientations que le Gouvernement souhaitait prendre en matière de lutte en profondeur contre la violence à l'école.
    M. le président. Mon cher collègue, pouvez-vous poser votre question, s'il vous plaît ?
    M. Guy Geoffroy. Vous avez notamment souhaité réhabiliter et relégitimer l'autorité dans l'école.
    M. le président. Veuillez poser votre question, s'il vous plaît.
    M. Guy Geoffroy. Pouvez-vous donc nous indiquer comment vous comptez, dès cette année scolaire, permettre aux établissements scolaires, à leurs enseignants et à leurs élèves, de retrouver la sérénité à laquelle ils ont droit ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire.
    M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire. Monsieur le député, le problème de la violence scolaire nous préoccupe, non seulement parce que les accès de violence sont malheureux et scandaleux en eux-mêmes, mais aussi parce qu'ils confirment d'autres malaises de l'école, en particulier l'inégalité des chances et la ségrégation. En effet, les mêmes établissements où ils se produisent sont souvent ceux dans lesquels nous avons des difficultés scolaires et pédagogiques.
    M. Jacques Desallangre. Cela est sans doute mieux en supprimant 3 200 postes de suppléants !
    M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. Malgré des plans successifs, les chiffres restent très alarmants.
    Je rappelle qu'un rapport sénatorial a montré récemment que, au cours des dix dernières années, l'augmentation des incidents provoqués par des mineurs a été de 79 %. Fallait-il simplement constater les faits ou essayer, à notre tour, d'apporter une réponse ? A cet égard, nous avons pensé qu'il convenait de ne pas se borner à annoncer, une fois de plus, des dispositifs semblables aux précédents qui n'ont été que des emplâtres posés sur des jambes de bois et qu'il valait mieux essayer de changer les mentalités. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Aussi avons-nous proposé de restaurer dans l'école l'autorité des maîtres et des professeurs (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française), l'autorité des savoirs et des disciplines et de restaurer l'autorité des règlements intérieurs. Pour nous donner une légitimité en matière de restauration de l'autorité des maîtres, du savoir et des règlements, nous allons nous appuyer sur une charte.
    M. Jean Glavany. Formidable !
    M. Christian Bataille. Il faut davantage de surveillants !
    M. Albert Facon. Mettez Sarkozy à l'école ! (Sourires.)
    M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. Le texte général fixera les valeurs, les devoirs, les responsabilités de chacun et j'espère que la représentation nationale, qui aura à en débattre, le fera dignement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et sur divers bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

LIAISON LYON-TURIN

    M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, pour le groupe UMP.
    M. Michel Bouvard. Demain, aura lieu à Rome le sommet franco-italien. Je suis sûr, monsieur le Premier ministre, que vous saurez d'abord transmettre à nos amis italiens la compassion de l'ensemble des parlementaires français, dont beaucoup entretiennent des liens personnels avec leurs pays, après le drame de San Giuliano di Puglia.
    Ce sommet est attendu avec impatience par ceux qui croient à l'importance des infrastructures dans le développement des échanges économiques et à la nécessité de rééquilibrer l'arc européen vers le sud, ainsi que par les populations des vallées alpines...
    M. Jean Glavany. Et pyrénéennes !
    M. Michel Bouvard. ... qui en espèrent, enfin, une solution aux problèmes de pollution, de danger dans leurs déplacements routiers, problèmes qui se posent depuis la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc.
    Au mois de janvier dernier, le Président de la République a signé, à Turin, au nom de la France, un traité pour la réalisation d'une nouvelle infrastructure ferroviaire. Ce traité a été ratifié en février par le Parlement français et vient de l'être par les deux chambres du Parlement italien.
    Ma question est donc simple, monsieur le Premier ministre : comment la France entend-elle mettre en oeuvre ce traité pour que soit réalisée, dans les meilleurs délais, cette infrastructure essentielle pour faciliter les échanges économiques en Europe, pour lutter contre la pollution dans les vallées alpines et pour respecter nos engagements internationaux, ceux de la convention alpine, ratifiée également par le Parlement, et, enfin, pour assurer une meilleure sécurité ?
    Je suis l'élu d'une ville que traversent chaque jour 10 000 poids lourds ! Or l'actualité, malheureusement, nous en rappelle les dangers.
    Le seul outil dont nous disposons en matière de transport ferroviaire dans les Alpes est un tunnel qui a été créé en 1853 et ouvert en 1871. Je ne suis pas sûr que si nous avions eu à y déplorer un accident ferroviaire, il ne s'agirait pas de la plus grave catastrophe ferroviaire que notre pays aurait connue.
    Par conséquent, il est grand temps que ce nouvel ouvrage soit réalisé et nous souhaitons connaître l'engagement de la France pour respecter le calendrier et honorer la signature apposée par le Président de la République à Turin en janvier. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.
    M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Monsieur Bouvard, vous m'interrogez sur les trafics transalpins, routier mais surtout ferroviaire.
    Pour ce qui est du trafic routier, nous cherchons à le rééquilibrer entre la vallée de la Maurienne et la vallée de Chamonix. Depuis sa réouverture, le tunnel du Mont-Blanc supporte 10 % du trafic ; les 90 % restant empruntent la vallée de la Maurienne. Demain, en effet, je vois mon homologue italien pour discuter du résultat de l'étude lancée pour chercher comment rééquilibrer ce trafic, en concertation avec les élus locaux bien sûr, dans des conditions raisonnables.
    S'agissant du trafic ferroviaire, la liaison Lyon-Turin est un grand projet international de franchissement des Alpes pour le fret, mais aussi, ultérieurement, pour les voyageurs, par une ligne à grande vitesse. Ce projet est phasable. Plusieurs points doivent faire l'objet d'une attention toute particulière à court, moyen et long terme. D'abord, bien sûr, et c'est notre priorité, la sécurité dans le tunnel du Mont-Cenis et l'amélioration de la ligne existante. Actuellement, le fret assuré par le ferroviaire est d'environ 10 millions de tonnes. C'est insuffisant. Nous pouvons le doubler, voire le tripler, mais pour cela il faut, je le répète, assurer la sécurité dans le tunnel et améliorer les lignes existantes.
    Des expériences sont en cours et se poursuivront en 2003 avec le wagon Modalor. Les Italiens commencent les travaux. Nous avons pratiquement terminé les nôtres et nous pourrons, en 2003, expérimenter le système de transport de camions sur voie ferroviaire, en commençant par des véhicules de faible gabarit, des camions-citernes plutôt que des « gros bahuts ». Dès 2003, on verra ces convois expérimentaux passer sur nos voies ferrées.
    Après, il faudra mettre au gabarit les tunnels existants pour permettre le passage des camions de tous tonnages, ce qui devrait être possible en 2006.
    Il faudra également réaliser le tunnel de Chartreuse pour éviter Chambéry, où les nuisances sont considérables et les risques importants le long du lac.
    Enfin, nous continuons les travaux préparatoires au tunnel de base, qui fait cinquante-deux kilomètres, avec les tunnels en amont. La première descenderie est en cours, la deuxième sera réalisée au cours de l'année 2003 - le financement est prévu.
    En tout état de cause, l'audit en cours nous aidera à déterminer les priorités et à vérifier si nos analyses de phasage sont les bonnes. Je suis sûr que votre contribution dans le débat parlementaire nous aidera aussi à trouver les financements. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)

SITUATION EN CENTRAFRIQUE

    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Dufau, pour le groupe socialiste.
    M. Jean-Pierre Dufau. Monsieur le ministre des affaires étrangères, pourquoi ce silence assourdissant sur la situation en Centrafrique ? D'après les rares informations dont nous disposons, une nouvelle tentative de coup d'Etat crée une situation de guerre à Bangui et en d'autres points du territoire. Certaines dépêches font état de nombreux morts civils, d'exactions et de crimes qui confirment la gravité de la situation.
    Faut-il rappeler que plusieurs centaines de nos compatriotes, résidents et coopérants, se trouvent pris au milieu des combats ? Sans nouvelles d'eux, leurs familles sont dans l'angoisse. Pouvez-vous informer la représentation nationale de la situation de nos ressortissants ? Quels moyens de protection ont été mis en oeuvre pour assurer leur sécurité ? Certains Etats auraient déjà rapatrié leurs représentants et suspendu leurs relations diplomatiques. La visite de M. Wiltzer, ministre de la coopération et de la francophonie, a été ajournée. Est-elle maintenue ?
    L'invitation du Président centrafricain, M. Patassé, par le Président Jacques Chirac vous paraît-elle compatible avec le séjour actuel en France du général Bozizé qui a revendiqué cette tentative de coup d'Etat ?
    Quelle politique la France entend-elle avoir en Centrafrique, pays dont chacun mesure l'instabilité chronique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
    M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur le député, le « silence assourdissant » dont vous parlez n'est pas le fait du Gouvernement puisque, sur la situation en Centrafrique, par les voies les plus officielles, il a exprimé ses positions et que des mesures ont été prises.
    Il s'agit, effectivement, d'un coup d'Etat perpétré à Bangui, capitale de la République Centrafricaine, le 25 octobre. Ce coup de force, revendiqué par le général Bozizé, ancien chef d'état-major des armées centrafricaines, n'a pas réussi, puisque les assaillants ont été repoussés et la situation à Bangui rétablie.
    Je voudrais rappeler la position française dans de telles affaires. Elle a, bien sûr, des implications directes en l'occurence dans l'affaire centrafricaine, mais elle est valable dans d'autres cas, notamment en Côte d'Ivoire. Elle repose sur les principes suivants.
    D'abord, elle est soucieuse de la sécurité de ses ressortissants.
    Deuxièmement, elle appuie résolument les autorités légitimes, démocratiquement élues.
    Troisièmement, elle défend l'unité et la souveraineté des Etats et l'intégrité de leur territoire.
    Quatrièmement, elle appuie les efforts de médiation et de maintien de la paix, conduits par les Etats africains eux-mêmes, en l'occurrence dans le cadre de la Communauté des Etats de l'Afrique centrale.
    Enfin, elle condamne toute entreprise de déstabilisation et tous agissements susceptibles de porter atteinte à la paix civile.
    Appliquant ces principes, le Gouvernement a condamné la tentative de renversement du gouvernement légitime centrafricain et réaffirmé son soutien aux opérations de médiation entreprises par la CEMAC, sous l'égide du Président Bongo.
    En ce qui concerne nos concitoyens, monsieur le député, toutes les mesures ont été prises. Ils ont été et ils sont toujours regroupés, en sécurité. Certains qui ont été l'objet d'agressions ont été rapatriés. Je les ai vus, moi-même, hier soir, à Yaoundé. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

PROTECTION DES SANS-ABRI EN HIVER

    M. le président. La parole est à M. Manuel Aeschlimann, pour le groupe UMP.
    M. Manuel Aeschlimann. Madame la secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion, tous nos collègues, sur tous les bancs s'y attendent, la période hivernale revient avec tout son cortège de problèmes dans nos communes. Les SDF sont bien souvent les premiers à pâtir du froid. Certes, des structures existent pour les aider, à commencer par le numéro d'appel 115, qui assure une veille sociale. Les centres d'hébergement et de réinsertion prodiguent sur tout le territoire un toit, un support social et médical. Encore faudrait-il que les SDF veuillent bien s'y rendre volontairement, ce qui n'est pas toujours le cas.
    Ma question est simple, madame la secrétaire d'Etat : les maires, ou toute autre autorité publique, pourraient-ils, sous le contrôle éventuel du préfet ou des tribunaux, conduire d'autorité ces personnes, qui mettent en danger leur survie (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains)...
    Mme Martine Billard. N'importe quoi ! Vous voulez les aider ou les casser ?
    M. Manuel Aeschlimann. ... ou leur santé mentale et physique, dans des centres d'hébergement ? (« La question ! » Sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. Monsieur Aeschlimann, posez votre question !
    M. Manuel Aeschlimann. C'est ce que je suis en train de faire, monsieur le président !
    Madame la secrétaire d'Etat, nous attendons votre réponse sur ce point ou toute autre solution qui pourrait êre utile aux élus locaux que nous sommes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Christian Bataille. Sarkozy ! (Rires.)
    M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion.
    Mme Dominique Versini, secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion. Monsieur le député, la question revient régulièrement chaque hiver. Faut-il contraindre les personnes sans domicile fixe à se mettre à l'abri pendant cette période ? La réponse que je vais vous apporter est fondée sur une expérience de dix années auprès des plus fragiles de nos concitoyens. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Les clochards, puisque c'est ainsi qu'on les appelle,...
    Un député du groupe socialiste. Qu'on les appelait !
    Mme la secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion. ... sont arrivés, au terme d'un long parcours de désocialisation, à un sentiment d'abandon qui les conduit à refuser toute aide médicale ou sociale. C'est vrai, nous le savons tous ici, ils peuvent être en danger, et particulièrement lorsque l'hiver approche.
    Néanmoins, je sais par expérience que toute démarche coercitive est vouée à l'échec. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jean Le Garrec. D'accord avec vous !
    M. Bernard Roman. Dites-le à Sarkozy !
    M. Jean-Pierre Brard. Demandez à Nicolas, il a des solutions !
    Mme la secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion. On pourrait, certes, les mettre à l'abri une nuit, mais, la suivante, ils se cacheraient mieux et seraient plus encore en danger. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Mesdames et messieurs de l'opposition, je pense qu'au nom de la souffrance de ceux qui sont dans la rue, vous pourriez écouter ma réponse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Mme Martine David. Zéro pointé !
    Mme la secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion. Du reste, notre système juridique ne nous permet pas de mettre quelqu'un à l'abri contre son gré, sauf dans deux cas : s'il y a urgence vitale - dans ce cas, seul un médecin peut décider de l'hospitalisation - ou lorsque la personne présente des troubles psychiatriques...
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Sarkozy ! (Rires.)
    Mme la secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion. ... susceptibles de la mettre en danger ou de mettre les autres en danger. Là encore, une hospitalisation d'office peut être décidée. Dans tous les autres cas, pour ces personnes très désocialisées, il n'y a qu'une méthode,...
    M. Christian Bataille et plusieurs députés du groupe socialiste. Sarkozy ! (Rires.)
    Mme la secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion. ... c'est, et ce tout au long de l'année, de les approcher, de créer du lien avec elles (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)...
    M. le président. S'il vous plaît !
    Mme la secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion. ... et de les mettre à l'abri, avec leur accord. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Madame la secrétaire d'Etat, si vous pouviez conclure...
    Mme la secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion. C'est pour toutes ces personnes que le SAMU social a été créé.
    Mme Martine David. Voilà la réponse !
    Mme la secretaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion. C'est pour elles que des travailleurs sociaux passent toutes les nuits dans la rue ainsi que des infirmières. Il faut leur rendre hommage. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) C'est pour ces gens, qui souffrent...
    M. Jean-Claude Lefort. Ah ! les pauvres souffrent ?
    M. le président. Monsieur Lefort, taisez-vous !
    Mme la secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion. ... tandis que nous nous perdons en vains débats, que j'ai demandé à tous les préfets de renforcer les équipes mobiles afin que le maximum d'entre eux soient mis à l'abri et que nous les convainquions de revenir dans la société. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

POLLUTION DE L'ÉTANG DE BERRE

    M. le président. La parole est à M. Eric Diard, pour le groupe UMP.
    M. Eric Diard. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    Dans la semaine du 21 octobre, les communes du pourtour de l'étang de Berre ont connu un troisième pic de pollution au dioxyde de soufre en moins de trois semaines. Ces villes enregistrent parfois des valeurs dépassant 1 000 microgrammes par mètre cube d'air, le seuil d'alerte étant à 500.
    L'OMS recommande pourtant de ne pas dépasser le seuil de 125 microgrammes plus de trois jours par an. En dépit de normes d'émission de gaz et de contrôles plus sévères, la pollution de l'air ne cesse de croître et constitue encore et toujours une menace pour la santé.
    Selon une étude européenne récente, une réduction, même minime, des taux de particules polluantes, se traduirait par des centaines de vie sauvées.
    Depuis cinq ans, les observateurs constatent une recrudescence des pics de pollution autour des principales zones industrielles du pays. La réhabilitation de l'étang de Berre est donc un impératif écologique, qui conditionne le développement durable de la région. Les habitants et les élus de ce secteur, toutes sensibilités confondues, se souviennent de l'élan suscité par Michel Barnier, alors ministre de l'environnement, en faveur de la réhabilitation de ce site...
    M. François Goulard. Bravo !
    M. Eric Diard. ... grâce à un plan volontariste, aujourd'hui totalement en panne. Personne n'oublie, non plus, l'action menée par Corinne Lepage pour l'amélioration de la qualité de l'air. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) On reste, en revanche, plus circonspect devant la force d'inertie manifestée par Mme Voynet et M. Cochet. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Madame la ministre, quels sont vos engagements pour, d'une part, améliorer la qualité de l'air et de l'eau dans ces secteurs sensibles et, d'autre part, réhabiliter l'étang de Berre, totalement délaissé depuis 1997 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable.
    Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable. Monsieur Diard, l'étang de Berre offre une problématique exemplaire de développement durable : protection de l'environnement, puisque les écosystèmes y sont extrêmement fragiles ; dimension économique, car il s'agit d'y préserver des emplois ; problématique sociale, puisqu'il y a des problèmes de sécurité industrielle - personne n'oublie la terrible catastrophe de La Mède en 1992.
    En tant que ministre de l'écologie et du développement durable (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste), je suis responsable de la qualité de l'air et des eaux. Chaque jour, 180 tonnes de dioxyde de soufre sont émises au-dessus de l'étang de Berre. Chaque fois que les pics de pollution sont dépassés, les préfets ont reçu l'ordre de procéder à des réductions d'activité industrielle (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) ou de faire passer à des combustibles moins riches en soufre. Mais ce ne sont là que des palliatifs. Je mène donc, avec les DRIRE, une opération de fond pour la réduction de la pollution par le dioxyde de soufre. L'usine Sollac de Fos-sur-Mer a déjà réduit de 6 tonnes par jour ses rejets de soufre, grâce à des travaux réalisés pour un montant d'à peu près 12 millions d'euros.
    J'ai l'ambition de parvenir, en outre, à réduire les émissions de dioxyde d'azote et des composés organiques volatils afin que, en 2005 et en 2010, nous soyons en conformité avec les directives européennes.
    Quant aux problèmes que pose la qualité de l'eau, ils ne peuvent être résolus que de manière globale, sur tout le bassin de la Durance. Le groupement d'intérêt public de réhabilitation de l'étang de Berre a donc commandé des études. Nous allons y être extrêmement attentifs. Dans le même temps, j'avais commandé moi aussi une étude avec mes collègues de l'industrie, de l'agriculture et de l'équipement. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous venons de la recevoir et nos services sont en train de l'analyser. (« Ah ! »sur les bancs du groupe socialiste.) Dès que cette expertise sera terminée - dans quelques jours - nous commencerons la concertation avec vous-mêmes, avec les élus locaux, avec les associations de protection de la nature et avec l'ensemble de la population. Nous prendrons des décisions fortes dès le début de 2003 parce que, pour moi comme pour tout le Gouvernement, l'étang de Berre est un enjeu considérable de développement durable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

    M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze.)
    M. le président. La séance est reprise.

2

LOI DE FINANCES POUR 2003
DEUXIÈME PARTIE
Suite de la discussion d'un projet de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2003 (n°s 230, 256).

BUDGETS ANNEXES DE LA LÉGION D'HONNEUR
ET DE L'ORDRE DE LA LIBÉRATION

    M. le président. Nous abordons l'examen des crédits des budgets annexes de la Légion d'honneur et de l'ordre de la Libération.
    Je suis heureux, au nom de l'Assemblée, de saluer la présence, aux côtés de M. le garde des sceaux, du général Douin, grand chancelier de la Légion d'honneur, et du général de Boissieu, chancelier de l'ordre de la Libération. A l'un et à l'autre, j'exprime toute notre reconnaissance et toute notre amitié.
    La parole est à M. Tony Dreyfus, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.
    M. Tony Dreyfus, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le grand chancelier, monsieur le chancelier, mes chers collègues, l'examen par le Parlement des budgets annexes de la Légion d'honneur et de l'ordre de la Libération est souvent considéré comme un exercice formel. En répondant à une tradition profondément ancrée dans notre vie parlementaire, cet examen a pourtant une importance symbolique non négligeable, qui traduit l'attachement de la représentation nationale aux générations d'hommes et de femmes, français ou étrangers, civils ou militaires, qui se sont illustrés au service de notre pays.
    Je vais bien entendu vous présenter les budgets annexes des deux ordres, très rapidement, pour, dans un second temps, parler de l'avenir de ces deux budgets.
    Les crédits de l'ordre de la Légion d'honneur sont en hausse de 4,2 %, essentiellement pour la rénovation des maisons d'éducation. Par ailleurs, l'exercice 2003 devrait permettre de poursuivre la rénovation du musée de la Légion d'honneur, intégré depuis 2000 dans le budget annexe.
    S'agissant de l'ordre de la Libération, les crédits baissent de 17,5 %. Cette baisse s'explique par la fin des travaux de réfection de l'installation électrique de la chancellerie.
    Je voulais surtout vous dire quelques mots concernant l'avenir de ces budgets.
    L'examen du premier budget de la 12e législature s'inscrit dans un contexte juridique nouveau. En adoptant la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, le Parlement a en effet lancé une profonde modification du cadre de présentation et du vote du budget de l'Etat. Il a notamment défini les conditions de recours à un budget annexe. Interprétée strictement, la loi du 1er août 2001 devrait entraîner la suppression pure et simple des budgets annexes non conformes à la définition organique.
    Je parlerai essentiellement de l'ordre de la Légion d'honneur car, pour l'ordre de la Libération, un texte prévoit la transformation du Conseil national de la Libération en Conseil national des communes « Compagnons de la Libération » qui, sous la forme d'un établissement public à caractère administratif sui generis, sera chargé, sous la tutelle du ministère de la justice, de veiller à la sauvegarde de l'ordre.
    Pour l'ordre de la Légion d'honneur, c'est un peu différent. Trois solutions peuvent être envisagées : le maintien du budget annexe, son intégration au sein du budget général sous la forme d'un programme spécifique et sa transformation en un établissement public. Il me semble nécessaire de choisir la solution la plus adaptée à l'histoire et à la spécificité de la Légion d'honneur.
    Je vous ferai tout de suite remarquer que, si le budget annexe n'est pas conforme à la nouvelle loi organique, il ne respecte pas davantage l'ordonnance du 2 janvier 1959 qui est toujours en vigueur et qui définit les conditions de recours aux budgets annexes.
    L'intégration de la grande chancellerie dans le budget général de l'Etat ne serait pas compatible avec l'autonomie de l'ordre, à laquelle la chancellerie est attachée, comme, je pense, tous les parlementaires. L'histoire de la Légion d'honneur et sa particularité juridique pourraient justifier le maintien du statut actuel. Celui-ci peut être considéré comme le support budgétaire le plus adapté à la forme d'administration qu'il requiert.
    Une troisième solution serait la mise en place d'un établissement public spécifique, comme il en a été décidé pour l'ordre de la Libération. La loi pourrait créer un établissement sui generis, doté d'un conseil d'administration et financé par une subvention de l'Etat.
    En tout état de cause, il faut réfléchir et ne pas se prononcer dans la précipitation. Une solution doit être trouvée d'ici à 2006. Elle doit respecter la particularité de la grande chancellerie et être conforme aux règles organiques édictées en 2001.
    Pour conclure, me conformant à la tradition parlementaire, je vous suggère, mes chers collègues, d'adopter les budgets qui vous sont présentés. Nous devrons simplement réfléchir à la forme de présentation de ces budgets pour les exercices ultérieurs. (Applaudissements.)
    M. le président. La parole est à M. Christian Kert, inscrit pour cinq minutes.
    M. Christian Kert. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le grand chancelier de l'ordre national de la Légion d'honneur, monsieur le secrétaire général de l'ordre de la Libération, mes chers collègues, deux cents ans après sa création, la Légion d'honneur reste la plus élevée et la plus enviée des décorations nationales. Elle demeure l'un des grandes oeuvres de Napoléon Bonaparte qui, aujourd'hui, à l'instar du code civil, du Conseil d'Etat ou encore des grandes écoles, contribue à la grandeur et au rayonnement de notre pays.
    Le projet de budget de la Légion d'honneur et de l'ordre national du Mérite que vous nous présentez, monsieur le garde des sceaux, permettra de conserver une place de choix à ceux qui se sont distingués par leurs mérites éminents, leurs vertus et leurs talents au service de la nation. De même, il permettra à l'ordre de la Légion d'honneur d'assumer ses fonctions essentielles, telles que la gestion et la conservation de son patrimoine immobilier, la gestion des nominations et des promotions, ainsi que la responsabilité des maisons d'éducation.
    En effet, le budget atteindra, pour 2003, 17,6 millions d'euros, soit une augmentation de 4,22 % par rapport à la dotation de 2002. La progression des ressources résulte essentiellement du relèvement de la subvention budgétaire inscrite sur les crédits de la justice.
    Les crédits de fonctionnement, qui atteindront près de 17 millions d'euros, seront en légère augmentation par rapport à 2002 et permettront d'assurer le paiement des traitement des membres de la Légion d'honneur et des médaillés militaires, l'action sociale menée par la grande chancellerie, ainsi que le fonctionnement des services et des maisons d'éducation.
    Les crédits de paiement augmentent de plus d'un tiers, ce qui est nécessaire afin de couvrir les coûts des opérations réalisées à la grande chancellerie, qu'il s'agisse de la restauration du palais de Salm, du Musée national de la Légion d'honneur ou de la réfection du réseau d'assainissement.
    De même, une des priorités de ce budget réside dans la rénovation des maisons d'éducation, dont la mission est d'assurer l'éducation d'un millier de filles et de petites-filles et, depuis peu, d'arrière-petites-filles des membres français de l'ordre. Les deux maisons d'éducation que compte notre pays, celle de Saint-Denis et celle des Loges, se distinguent par des taux de réussite extrêmement élevés. Ces résultats, fondés non sur la sélection des meilleurs, comme c'est souvent le cas dans certains grands établissements, mais sur la qualité de l'éducation et de l'enseignement qui sont dispensés dans ces institutions, sont le meilleur gage de leur pérennité.
    Saluons donc, monsieur le ministre, ce budget de la Légion d'honneur particulièrement généreux à l'égard de ces jeunes filles, même si, en ces temps où la parité est dans tous les coeurs, dans tous les esprits et sur toute les lèvres, le pourcentage de femmes détenant la Légion d'honneur ne représente que 10 %.
    Le Président de la République lui-même a très justement souligné ce fort déséquilibre en émettant le souhait que soit mieux assuré le caractère universel des ordres. Aussi, depuis quelques années, le nombre de femmes dans les promotions civiles de la Légion d'honneur et de l'ordre national du Mérite est en augmentation régulière. Le souci du Président de la République de préserver le caractère démocratique de cette institution a conduit également à augmenter les contingents dans l'ordre de la Légion d'honneur, par le décret du 4 décembre 1996.
    En ce qui concerne le budget de l'ordre de la Libération, ses dotations diminuent de 17,5 %, du fait de la non-reconduction des crédits ouverts en 2002 pour la réfection des locaux de la chancellerie. A propos de cet ordre, je tiens à saluer l'initiative identique des deux gouvernements précédents, tendant à transformer la chancellerie, comme le rappelait M. le rapporteur, en un établissement public : le Conseil national des communes « Compagnons de la Libération ». Le dispositif que nous avons ainsi adopté en 1999 à l'unanimité permettra d'assurer la pérennité de l'esprit de l'ordre de la Libération.
    En revanche, il nous faudra trouver, d'ici à trois ans, une solution pour la grande chancellerie, dans la mesure où l'avenir du budget annexe de l'ordre de la Légion d'honneur semble compromis, car contraire à la loi organique du 1er août 2001. A ce titre, il est indispensable de dégager une solution qui respecte la particularité de la grande chancellerie, ainsi que le caractère régalien de la Légion d'honneur et le lien constitutionnel qui la relie au chef de l'Etat.
    Pour l'heure, le projet de budget annexe que vous nous présentez, monsieur le ministre, permettra à l'ordre d'assumer les missions qui sont les siennes depuis sa fondation et de s'adapter à l'évolution de notre société. C'est pourquoi le groupe de l'UMP votera favorablement ces crédits. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le grand chancelier, monsieur le chancelier, mesdames, messieurs, messieurs les députés, comme cela vient d'être dit par M. le rapporteur spécial et par M. Kert, le budget annexe de la Légion d'honneur atteindra en 2003, en recettes et en dépenses, 18,66 millions d'euros, soit une augmentation des crédits de 4,22 % par rapport à la dotation de l'exercice précédent. Cette situation résulte pour l'essentiel de l'augmentation des crédits de paiements afférents aux opérations en capital des maisons d'éducation.
    Les ressources du budget annexe sont constituées par la subvention versée par le ministère de la justice et par les recettes propres de la Légion d'honneur.
    La subvention budgétaire augmentera de 4,41 %.
    Quant aux recettes propres de la Légion d'honneur, d'un montant de 1,41 million d'euros - en augmentation de près de 2 % - elles sont constituées essentiellement par la perception des droits de chancellerie, les pensions et les trousseaux des élèves des maisons d'éducation.
    Les dépenses prévues pour l'exercice 2003 sont le reflet de l'évolution des recettes.
    Les dotations de fonctionnement, d'un montant de 18,66 millions d'euros, soit une augmentation de 0,59 % par rapport à 2002, permettront d'assurer le paiement des traitements des membres de la Légion d'honneur et des médaillés militaires, comme M. Kert vient de le rappeler, le fonctionnement des services ainsi que l'action sociale menée par la grande chancellerie.
    Tel que ce budget a été préparé pour 2003, des crédits ouverts à hauteur de 1,24 million d'euros permettront de régler les traitements des membres du premier ordre national et des médaillés militaires.
    Quant aux nominations et promotions dans la Légion d'honneur et l'ordre national du Mérite et aux concessions de la médaille militaire - qui constituent la mission première de service public de la grande chancellerie -, elles ont concerné en 2001, 13 380 citoyens français, hommes et femmes, civils et militaires, de tous statuts et de toutes conditions sociales et professionnelles. A ces décorations conférées aux Français, s'ajoutent près de 500 décorations concédées aux étrangers dans les deux ordres nationaux.
    L'informatisation des services de la grande chancellerie, aujourd'hui achevée, offre des données sociologiques, professionnelles et statistiques sur la population des personnes décorées.
    Ainsi, il n'est pas inutile de rappeler que les effectifs globaux des décorés vivants sont désormais connus avec précision : au 30 juin 2002, la Légion d'honneur comptait 111 000 membres dans ses rangs. J'indique pour mémoire qu'en 1962 le premier ordre national vit ses effectifs culminer à 320 000 membres. A l'époque, le général de Gaulle prescrivit une politique de réduction et fixa, dans le code de la Légion d'honneur qu'il fit préparer et publier, un effectif à atteindre pour la fin du xxe siècle de 125 000 membres. Cet objectif a été atteint à la date prévue, au prix d'une politique de réduction poursuivie, depuis 1962, avec constance par les différents grands maîtres de la Légion d'honneur.
    Une inflation jugulée, des effectifs réels connus, des nominations et promotions maîtrisées permettent désormais aux instances des ordres nationaux de renforcer le caractère universel de ces institutions nationales en les ouvrant davantage à certaines activités de caractère civil - enseignement, recherche, formation, santé, solidarité nationale - et en y faisant figurer des femmes, lesquelles, comme vient de le rappeler M. Kert, ont représenté, pour l'année 2001, 24 % des décorés de la Légion d'honneur et 33 % des récipiendaires de l'ordre national du Mérite.
    Les crédits affectés au fonctionnement de l'administration centrale de la grande chancellerie et des maisons d'éducation représentent 15,57 millions d'euros et sont consacrés pour plus des trois quarts aux charges de personnel.
    Enfin, le budget d'action sociale, c'est-à-dire les secours et les allocations en faveur des membres des ordres nationaux ou de leur famille, est maintenu à 52 730 euros pour l'année 2003.
    Les dépenses en capital prévues en 2003 représentent 1,32 million d'euros en autorisations de programme et 1,8 million d'euros en crédits de paiement.
    En 2003, la dotation des crédits de paiement est essentiellement consacrée à l'entretien des bâtiments des maisons d'éducation et de la grande chancellerie. Dans ses deux maisons d'éducation, la grande chancellerie de la Légion d'honneur a pour mission d'assurer l'éducation de près de 1 000 élèves, filles, petites-filles et arrière-petites-filles des deux ordres.
    Selon une habitude bien établie, les résultats obtenus aux examens à la fin de l'année scolaire 2001-2002 par les élèves des maisons d'éducation ont été excellents. Ainsi, 94,49 % d'entre elles ont obtenu le brevet des collèges ; 98,59 % ont réussi aux épreuves du baccalauréat - le taux de réussite national, je le rappelle, a été de 80,30 % ; 95 % ont obtenu le BTS, le taux de réussite national étant de 59,24 %. Ces résultats, fondés, je tiens à le dire, non sur une sélection sévère, mais sur la qualité de l'éducation et de l'enseignement qui sont prodigués dans ces institutions, sont le meilleur gage de leur pérennité.
    L'année 2002 est celle du bicentenaire de la Légion d'honneur, instituée par la loi du 29 floréal an X. Elle est marquée par de nombreuses manifestations et commémorations, les unes nationales, les autres - plus d'une centaine - à caractère local. Elles ont été inaugurées au début de l'année par une cérémonie présidée au palais de l'Elysée par le Président de la République, suivie par un hommage au fondateur de l'ordre aux Invalides. Par la suite, le défilé du 14-Juillet et le colloque organisé au mois de septembre ont permis d'évoquer l'histoire de la Légion d'honneur et la place qu'elle a prise depuis deux siècles dans l'histoire de notre pays. D'autres manifestations sont prévues : en 2003, pour célébrer l'anniversaire des premières nominations et, en 2004, pour célébrer celui des premières remises de la croix de la Légion d'honneur.
    Tels sont, mesdames, messieurs des députés, les éléments dont je souhaitais vous faire part à l'occasion de la présentation du budget de la Légion d'honneur.
    J'ajoute, pour répondre à M. Dreyfus et M. Kert, que je participerai avec la grande chancellerie à l'indispensable réflexion qui doit s'engager sur l'avenir budgétaire de cette grande institution qui nous réunit cet après-midi.
    Je vous remercie, mesdames, messieurs les députés, d'approuver le budget qui vous est proposé. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

BUDGET ANNEXE DE LA LÉGION D'HONNEUR

    M. le président. J'appelle les crédits du budget annexe de la Légion d'honneur.
    « Crédits ouverts à l'article 40 au titre des services votés : 17 610 035 euros. »
    « Crédits ouverts à l'article 41 au titre des mesures nouvelles :
    « Autorisations de programme inscrites au paragraphe I : 1 321 000 euros ;
    « Crédits inscrits au paragraphe II : 1 053 618 euros. »
    Je mets aux voix les crédits ouverts à l'article 40 au titre des services votés.
    (Ces crédits sont adoptés.)
    M. le président. Je mets aux voix les crédits ouverts à l'article 41 au titre des mesures nouvelles.
    (Ces crédits sont adoptés.)

BUDGET ANNEXE DE L'ORDRE DE LA LIBÉRATION

    M. le président. J'appelle les crédits du budget annexe de l'ordre de la Libération.
    « Crédits ouverts à l'article 40 au titre des services votés : 636 713 euros. »
    « Crédits ouverts à l'article 41 au titre des mesures nouvelles :
    « Autorisations de programme inscrites au paragraphe I : 0 euro ;
    « Crédits inscrits au paragraphe II : 923 euros. »
    Je mets aux voix les crédits ouverts à l'article 40 au titre des services votés.
    (Ces crédits sont adoptés.)
    M. le président. Je mets aux voix les crédits ouverts à l'article 41 au titre des mesures nouvelles.
    (Ces crédits sont adoptés.)
    M. le président. Nous avons terminé l'examen des crédits des budgets annexes de la Légion d'honneur et de l'ordre de la Libération.
    Monsieur le grand chancelier de la Légion d'honneur, monsieur le chancelier de l'ordre de la Libération, je vous remercie.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de M. Eric Raoult.)

PRÉSIDENCE DE M. ERIC RAOULT,
vice-président

    M. le président. La séance est reprise.

JUSTICE

    M. le président. Nous abordons l'examen des crédits du ministère de la justice.
    La parole est à M. Pierre Albertini, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.
    M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. Le budget que vous présentez, monsieur le garde des sceaux, est un bon budget, et nombre de vos prédécesseurs auraient sans doute aimé présenter, comme vous le faites, un budget en augmentation sensible, qui témoigne à la fois de l'effort que le Gouvernement entend entreprendre en matière de justice et du nécessaire rattrapage que la justice méritait. Celle-ci, en effet, n'a jusqu'à présent jamais été reconnue, hélas ! comme une véritable priorité de l'action publique, et il était donc temps de lui attribuer des moyens supplémentaires, parfaitement justifiés, à mon sens, par sa fonction irremplaçable de régulation sociale.
    Des efforts avaient, certes, été accomplis au cours des dernières années, spécialement depuis 1995, mais ils étaient insuffisants pour combler l'immense retard accumulé au fil des décennies précédentes. Pour que la justice soit à la fois plus rapide, mieux comprise de nos concitoyens et plus respectée - je pense notamment au taux d'exécution, encore insuffisant, des décisions de justice -, il est assurément important de réconcilier les Français avec cette institution, et de le faire dans la sérénité qui doit présider à une discussion de cette nature.
    Il va de soi que votre budget, monsieur le ministre, doit s'apprécier d'abord au regard de la loi d'orientation et de programmation du 9 septembre 2002, qui prévoit d'entreprendre au cours des années 2003 à 2007 des efforts extrêmement significatifs en matière de justice.
    Je me contenterai de rappeler les grandes lignes de cette loi d'orientation et de programmation : 3,650 milliards d'euros de dépenses supplémentaires qui s'ajouteront aux moyens ouverts par la loi de finances initiale pour 2002 ainsi qu'aux crédits récurrents de réajustement des rémunérations du personnel ; 1,750 milliard d'autorisations de programme seront affectés à la rénovation des palais de justice, à la construction de nouveaux, mais aussi, bien sûr, à la modernisation de nos prisons, qui sont, chacun le sait, dans un état de vétusté avancée ; enfin, 10 000 postes supplémentaires seront créés au cours des cinq années d'application de la loi.
    Il faut aussi apprécier votre budget au regard des quelques innovations qui ont été introduites par cette loi d'orientation.
    Ainsi, il a été prévu de créer des juges de proximité. Ces magistrats, au nombre de 3 300, exerceront à temps partiel et seront recrutés sur plusieurs années à compter de juillet de l'année prochaine. Le projet de loi organique créant ces juges a été récemment adopté par le Sénat et il devrait venir prochainement en discussion devant l'Assemblée. Il a également été prévu de créer les premiers centres éducatifs fermés et d'étendre - mesure tout à fait bienvenue - l'aide aux victimes.
    Au regard de l'effort à consentir au cours des cinq prochaines années et des innovations introduites par la loi d'orientation et de programmation, le constat global que nous pouvons faire est très simple : le test est tout à fait réussi, puisque le projet de budget pour 2003 s'inscrit parfaitement dans ce cadre.
    Vous comprendrez certainement que le rapporteur de la commission des finances s'interroge sur les années à venir. Pour la première année, le test est réussi. Nous espérons qu'il le sera les années suivantes. Malheureusement, les lois de programmation sont parfois l'objet, en cours de route, d'un relatif abandon.
    Nous sommes parfaitement conscients que la maîtrise des dépenses publiques est le défi majeur de l'Etat dans les années qui viennent. Mais cette exigence ne saurait être aveugle. La maîtrise des dépenses publiques doit être sélective, et certains domaines méritent incontestablement un effort particulier de la part de la communauté nationale : la justice en fait à l'évidence partie.
    Je voudrais donc d'abord présenter rapidement quelques grands indicateurs sur le budget de la justice pour l'année 2003 : au plan budgétaire d'abord, au plan humain ensuite, au plan fonctionnel enfin.
    Globalement, le total des crédits de paiement que vous présentez à l'approbation parlementaire s'élève à un peu plus de cinq milliards d'euros. Certes, cela représente un taux de progression de 7,4 % par rapport à la loi de finances pour 2002, mais il convient de relativiser ce chiffre car le budget de la justice ne représente que 1,84 % du budget de l'Etat. Il existe, à l'évidence, des domaines beaucoup plus consommateurs de crédits que la justice.
    Les autorisations de programme sont en forte progression, de 95 %. Cette hausse est mécanique, c'est la conséquence de choix qui ont été opérés dans la loi d'orientation et de programmation qui est mise en oeuvre à compter de l'année qui vient.
    Sur le plan des moyens humains, l'effectif total qui relève de votre autorité, monsieur le garde des sceaux, s'établit aujourd'hui à 69 215 personnes et le budget pour 2003 inscrit 2 042 créations nettes qui iront prioritairement vers les services judiciaires et surtout vers les services pénitentiaires. Cela représente globalement une progression des effectifs de 3 %, tandis que l'évolution générale des budgets civils de l'Etat montre une légère diminution des effectifs, d'ailleurs sans doute insuffisante, de 0,11 %.
    Enfin, sur le plan fonctionnel, il faut se garder de l'idée selon laquelle le budget de la justice s'appliquerait prioritairement aux juridictions puisque, en réalité, il regroupe cinq grandes masses d'importance assez inégale : premièrement, les services judiciaires, qui représentent à peu près 42 % des crédits totaux ; deuxièmement, la pénitentiaire, qui en représente près de 30 % ; troisièmement, l'administration centrale, qui est, si j'ose dire, le pilote de l'ensemble, avec 14 % ; quatrièmement, la protection judiciaire de la jeunesse, pour 11 % ; enfin, les juridictions administratives, pour seulement 3 %.
    Si vous le voulez bien, je vais prendre chacune de ces grandes fonctions pour mesurer l'évolution et émettre quelques suggestions ou quelques souhaits pour éclairer la discussion parlementaire.
    Premièrement, l'administration centrale. Avec 700 millions d'euros à peu près, ses crédits sont en augmentation de 13,8 %, sachant que sont compris les frais de fonctionnement de la Commission nationale de l'informatique et des libertés et de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
    Dans une perspective d'efficacité accrue, monsieur le garde des sceaux, je me permettrai d'émettre deux voeux.
    D'une part, je souhaiterais, suivant en cela les recommandations de la Cour des comptes, que la proportion des agents qui sont gérés directement par la direction de l'administration générale et de l'équipement soit accrue. En effet, selon une pratique ancienne, qui n'est d'ailleurs pas propre au ministère de la justice, un certain nombre de personnes sont mises à la disposition de l'administration générale par les services déconcentrés. Ce n'est pas sain et je crois que nous gagnerions à avoir une administration centrale entièrement pilotée, ou presque, par la direction de l'administration générale et de l'équipement.
    D'autre part, je souhaiterais que l'Inspection générale des services judiciaires bénéficie de postes supplémentaires. Rompant avec une habitude qui avait été prise ces dernières années, aucune création n'est en effet prévue pour l'Inspection générale des services judiciaire en 2003. Cela me semble regrettable parce que les missions de l'Inspection sont nobles et utiles. D'ailleurs, l'absence de moyens supplémentaires se traduit hélas ! par une diminution du nombre des enquêtes constatées en 2001 et durant le premier semestre 2002.
    En revanche, je souligne avec beaucoup de satisfaction l'augmentation des moyens accordés à l'Agence de maîtrise d'ouvrage : treize postes supplémentaires sont prévus. L'agence est, depuis le 1er janvier 2002, un établissement public de nature administrative. Le programme d'équipement est tellement important qu'il est essentiel que l'agence puisse le piloter. C'est une condition de la réussite de ce programme en termes à la fois de qualité et de délais, j'y reviendrai in fine car le rythme de consommation des crédits du ministère de la justice n'est pas toujours aussi optimal qu'on pourrait le souhaiter.

    Deuxièmement, les services judiciaires. Ils voient leurs crédits augmenter de près de 6 %. Mais plus que par ce chiffre, je suis préoccupé par l'évolution des affaires nouvelles. Celles-ci sont en hausse très sensible, notamment devant les juridictions pénales, conséquence assez logique de l'augmentation de la criminalité et de la délinquance d'une manière générale, que nous constatons et, en même temps, de la plus grande efficacité des services de police, de gendarmerie et de justice.
    Le budget prévoit 700 postes supplémentaires, ce qui représente 16 % de ce qui est écrit dans la loi de programmation. C'est un peu inférieur aux 20 % qui seraient nécessaires si l'on voulait respecter mécaniquement les choses jusqu'en 2007. Plus de la moitié de ces postes concernent les greffes. C'est bien. On oublie en effet souvent cet élément indispensable de la qualité du service judiciaire que sont les greffes. Les magistrats, quant à eux, disposeront de 180 nouveaux postes. Le rythme devra sans doute être accéléré si l'on veut atteindre l'objectif que vous vous êtes fixé, monsieur le ministre, de plus de 10 000 postes créés. Enfin, une petite provision est inscrite pour les juges de proximité, dont j'ai dit tout à l'heure qu'ils seraient recrutés à partir de juillet 2003.
    Quant aux autorisations de programme, elles s'élèvent à 250 millions d'euros. La liste de toutes les opérations, qu'elles soient déconcentrées ou non, figure dans mon rapport écrit ; je ne vais pas la reprendre devant vous.
    Je voudrais simplement suggérer que soit poursuivie l'amélioration de la gestion des services judiciaires. Celle-ci est complexe, notamment parce que notre pays compte près de 1 200 juridictions réparties sur 900 sites différents. C'est bien sûr plus difficile à gérer qu'un vaisseau unique. Mais la déconcentration qui est effectuée au niveau des cours d'appel doit être poursuivie, elle mérite même certainement d'être améliorée sur le plan des méthodes. A ce propos, l'expérience très positive des maisons de la justice et du droit devrait être étendue, tout comme celle des antennes de justice dont les missions recouvrent souvent celles des maisons de la justice et du droit. Il faudra l'étendre géographiquement mais aussi stabiliser le fonctionnement et le financement de ces maisons de justice et du droit qui sont un des éléments de la justice de proximité que nous sommes nombreux à souhaiter.
    Troisièmement, les services pénitentiaires. Dois-je souligner que les besoins en personnels sont importants même si la pyramide des âges est un peu différente de celle de la fonction publique en général ? Dois-je rappeler que les besoins en nombre de places de détention sont également très importants, d'autant plus que, depuis quelque quinze ou dix-huit mois, le nombre de détenus a augmenté. Au 1er juillet 2002, il s'élevait à 56 385, soit une progression importante. Cela pose des problèmes de conditions de vie non seulement pour les mineurs dont la situation a souvent été signalée, mais aussi pour d'autres détenus. Vous savez qu'une grande partie de notre parc est très vétuste, il faudra donc consentir un gros effort dans ce domaine.
    Vous avez prévu 870 postes nouveaux, et des autorisations de programme un peu supérieures à 380 millions d'euros qui s'inscrivent dans l'objectif ambitieux que vous vous êtes fixé de parvenir à 11 000 places, 7 000 créations, 4 000 places rénovées.
    Quatrièmement, la protection judiciaire de la jeunesse. Un rapport remis à Mme Lebranchu en janvier 2002 l'a reconnu clairement, sans aucune polémique, ce service est encore à la recherche de ses repères et la qualité des relations entre les magistrats, la police et la protection judiciaire de la jeunesse s'est plutôt dégradée ces dernières années. Je n'hésite pas à parler de crise d'identité pour ce service, ce qui nous préoccupe. Au lieu de les laisser camper sur des territoires respectifs, il voudrait mieux mettre en place une véritable coopérative entre les magistrats, les éducateurs, les services sociaux, la police, l'éducation nationale, car la délinquance des jeunes est probablement un des facteurs les plus préoccupants de l'évolution de notre société.
    La protection judiciaire de la jeunesse représente un effectif de 7 753 personnes. Il est composé de deux secteurs, le secteur public à proprement parler et le secteur associatif. Ses crédits augmentent de 4,8 % pour 2003. Les autorisations de programme sont destinées essentiellement à la construction des premiers centres éducatifs fermés, l'une des innovations de la loi du 9 septembre 2002 dont je parlais en commençant mon propos.
    Cinquièmement, les juridictions administratives. Elles occupent, en termes budgétaires, une part plus faible : 3 % de l'ensemble des crédits. Les crédits de paiement qui leur sont affectés représentent une évolution positive de 6,8 % pour l'année à venir. Ils permettront la création de 100 emplois dont l'immense majorité, 88, bénéficiera aux cours administratives d'appel. Si je le souligne, c'est que l'engorgement des cours administratives d'appel est aujourd'hui considérable, c'est le maillon faible de l'ordre administratif. Il est donc très important de concentrer l'effort sur ce point.
    En guise de conclusion, monsieur le garde des sceaux, je voudrais simplement reprendre quelques-unes de mes observations et les mettre en perspective avec l'analyse comparée des budgets de la justice.
    L'allocation de moyens supplémentaires à la justice est une condition nécessaire mais ce n'est pas une condition suffisante pour améliorer le fonctionnement de cette institution.
    En matière de gestion, je voudrais revenir sur la consommation des crédits. Le rythme de consommation peut encore être amélioré, il subit souvent des courbes assez erratiques. Il serait bon de s'inscrire désormais dans une utilisation plus mesurée et dans des études de faisabilité plus précises que celles qui ont pu être faites par le passé, notamment en matière de crédits d'équipements.
    Il est important aussi de savoir qu'en dépit des efforts, il existe un assez grand nombre de postes vacants. Ainsi, 392 postes de magistrats sont aujourd'hui non pourvus. Il est donc important de poursuivre l'effort pour diminuer le délai qui existe entre la décision de créer sur le plan budgétaire un poste nouveau et l'affectation concrète, dans la juridiction, du magistrat appelé à améliorer le fonctionnement de l'institution.
    Attention aux à-coups ! Attention à la régulation budgétaire dans les trois derniers mois de l'année qui a parfois pour conséquence de gêner le fonctionnement quotidien des juridictions.
    M. le président. Veuillez conclure, s'il vous plaît, monsieur le rapporteur spécial.
    M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. Je termine, monsieur le président.
    S'agissant des réformes, de grandes disparités existent encore entre les juridictions. Il faut essayer de les corriger. La réflexion sur la carte judiciaire doit s'inscrire dans la perspective d'une répartition plus harmonieuse des moyens entre tous nos tribunaux.
    Une loi pénitentiaire permettrait, je crois, de réfléchir sur les fonctions, sur les missions de la prison, sachant que les conditions de lutte contre la délinquance des jeunes sont à la clef de la notion de sanction éducative.
    Enfin, la réforme de l'aide juridictionnelle est au bout de notre chemin. Nous ne pourrons pas y échapper. Les métiers de la justice qui ont beaucoup évolué ces dernières années doivent être redéfinis. Ce dossier doit être ouvert tranquillement, parce que c'est sans doute le moyen de faire comprendre à nos concitoyens combien nous avons tous intérêt, les uns et les autres, à disposer d'une justice efficace, rapide et sereine.
    M. Guy Geoffroy. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour l'administration centrale et les services judiciaires.
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour l'administration centrale et les services judiciaires. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 prévoit un renforcement sans précédents des moyens de la justice.
    En effet, entre 2003 et 2007, notre système judiciaire bénéficiera de 3,65 milliards d'euros de crédits de paiement nouveaux pour dépenses ordinaires et dépenses en capital, de 1,75 milliard d'euros d'autorisations de programme nouvelles et de 10 100 créations d'emplois budgétaires permanents, auxquelles s'ajoute le recrutement, sur crédits de vacations, de 3 300 juges de proximité et d'assistants de justice pour un équivalent à temps plein de 580 emplois.
    Quatre objectifs sont recherchés : l'amélioration de l'efficacité de la justice ; l'adaptation du droit pénal à l'évolution de la délinquance et le développement de l'effectivité de la réponse pénale ; le traitement plus efficace de la délinquance des mineurs et l'amélioration de l'accès des citoyens au droit et à la justice.
    Ces objectifs sont légitimement ambitieux et correspondent à l'attente de nos concitoyens, pour qui l'amélioration du service public de la justice constitue une absolue priorité.
    Les auditions auxquelles j'ai procédées, les déplacements que j'ai effectués et ma propre expérience de magistrat m'amènent à formuler dans mon rapport un certain nombre de conclusions dont je souhaite donner ici l'essentiel.
    Quand vous avez pris en charge vos nouvelles fonctions, monsieur le garde des sceaux, l'état des lieux était fort préoccupant. D'autant plus préoccupant que, malgré les moyens nouveaux qui avaient été donnés à la justice au cours des années précédentes, les délais de jugement étaient toujours aussi longs au pénal comme au civil, l'effectivité des décisions tout aussi relative, les juridictions toujours autant encombrées, la réponse judiciaire, principalement au pénal, très limitée.
    Au civil, malgré un nombre d'affaires nouvelles en baisse, les stocks d'affaires à juger sont en hausse, surtout dans les tribunaux de grande instance, et les délais de jugement, de fait, augmentent.
    Au pénal, les chiffres sont éloquents. Sur 4,9 millions de procédures qui ont été traitées par les parquets en 2001, environ 3,6 millions n'ont pu faire l'objet de poursuites. Et encore, ces 4,9 millions d'infractions ne reflètent pas la criminalité réelle car bon nombre de faits n'arrivent jamais à la connaissance de la justice : les plaignants renoncent à se manifester, la police n'enregistre pas les plaintes, préfèrant la pratique des mains courantes. Et le nombre des affaires non élucidées augmente : 9,6 % de plus en 2001 par rapport à 2000.
    Finalement, sur les 1,3 million d'infractions qui sont effectivement traitées, près de 33 % sont classées pour inopportunité des poursuites et seulement 47 % font l'objet de poursuites, ce qui représente, en 2001, 621 866 affaires.
    Sur ce chiffre, 20,3 % font l'objet de mesures alternatives et seulement 0,1 % de composition pénale. Sur ce point, l'amendement que j'ai déposé lors des débats sur la loi de programmation, qui permet le recours à la composition pénale dès la garde à vue, permettra, je l'espère, un recours plus fréquent à cette procédure.
    Si on ajoute à ces éléments que 30 % des peines d'emprisonnement ne sont jamais mises à exécution, que le recours à la comparution immédiate est de moins en moins fréquent, que les délais d'audiencement augmentent surtout en matière d'appel des arrêts de cour d'assises, un an parfois, le constat est assez édifiant et la situation est proche pour bon nombre de nos concitoyens d'un véritable déni de justice.
    Les causes d'une telle situation sont diverses, mais il ne faut surtout pas croire que l'augmentation des moyens financiers suffira à régler les difficultés. A l'augmentation des moyens que vous souhaitez mettre en oeuvre, monsieur le garde des sceaux, doit absolument correspondre une simplification des procédures.
    Nous en débattrons bientôt lorsque vous nous proposerez le deuxième volet de votre réforme, mais, si je me suis permis d'insister sur cet aspect, c'est parce qu'il me semble indispensable de dresser un bilan de l'application de la loi du 15 juin 2000 qui a été particulièrement dévoreuse de moyens matériels et humains.
    Il a ainsi fallu détourner de nombreux vice-présidents de tribunaux du traitement des affaires civiles pour les redéployer sur des postes de juge de la mise en liberté et de la détention. De nombreuses audiences civiles ont donc été supprimées et le contentieux a pris un retard considérable.
    Et cela pour quels avantages ? Pour diminuer le nombre des détentions provisoires ? Pas du tout, puisque le nombre de mises en détention provisoire, après avoir chuté dez 30 % au début de l'année 2001, est à un niveau similaire et même supérieur à celui qu'il connaissait avant la réforme du 15 juin 2000.
    Les garanties des droits de la défense ne me semblent pas meilleures, surtout dans les grosses juridictions, et le critère de la diminution des détentions provisoires ne suffit pas à lui seul. Il ne peut être artificiellement isolé puisqu'il doit être mis en perspective avec le niveau réel de la délinquance.
    Comment peut-on penser diminuer le nombre des détentions provisoires au moment où la délinquance augmente et alors même que les effets de la réforme vont nécessairement retarder le jugement des affaires ?
    Un bilan s'impose pour que les réformes à venir ne s'enlisent pas dans des procédures inutiles qui nuisent à l'efficacité du système sans rien apporter aux droits de la défense.
    Persuadé que les objectifs que vous avez définis, monsieur le garde des sceaux, sont ceux qui sont attendus avec impatience par nos concitoyens, j'ai aussi examiné dans mon rapport un aspect particulier relatif au recrutement et à la formation des personnels concourant à l'oeuvre de justice : magistrats, greffiers en chef, greffiers, fonctionnaires de justice.
    En effet, au moment où de vrais défis doivent être relevés et où une nouvelle construction s'organise, il convient de s'interroger sur les bases de la structure. Cela me semble essentiel. Il faut construire sur du solide.
    Vos prédécesseurs ont répondu sur ce point de façon sommaire, sans réflexion préalable.
    Vous souhaitez à juste titre entourer les magistrats d'une équipe de collaborateurs, ce qui impose une redéfinition des statuts et des tâches ainsi qu'une vraie réflexion sur les recrutements, les programmes des épreuves, les viviers de candidatures. En fait, il s'agit de la cohérence d'un nouveau système mis en perspective avec des objectifs à atteindre.
    Force est de constater qu'en ce domaine règne une certaine incohérence.
    Permettez-moi de résumer les points significatifs.
    En ce qui concerne les magistrats de l'ordre judiciaire, nous disposons de nombreuses voies d'accès à la magistrature, soit pour un exercice permanent des fonctions, soit pour un exercice temporaire - je pense au détachement judiciaire, aux magistrats à titre temporaire, aux conseillers de cour d'appel en service extraordinaire et, ce sera pour bientôt, aux futurs juges de proximité.
    Pour un exercice permanent des fonctions, nous disposons de l'intégration directe, sans concours, en tant qu'auditeur de justice ou en tant que magistrat, et des trois concours d'accès à l'Ecole nationale de la magistrature, ainsi que des concours complémentaires.
    A chaque voie d'accès correspondent des caractéristiques particulières et, si l'on peut se féliciter d'une telle diversité, qui enrichit le corps judiciaire et qui permet de lutter contre le corporatisme, on ne peut que regretter que plusieurs voies d'accès se contredisent entre elles. Sans compter les programmes des épreuves d'accès des concours classiques, qui doivent absolument être repensés car des chapitres entiers sont consacrés à des matières ayant disparu de nos codes alors que, par contre, certaines, comme le droit communautaire, ne sont pas au programme !
    Pour donner un exemple de l'incohérence du système, je citerai le cas d'un candidat disposant de dix ans d'expérience professionnelle, qui peut à la fois demander son intégration directe ou tenter le deuxième ou troisième concours, ou encore le concours complémentaire !
    En fait, on puise dans le même vivier de candidatures, ce qui explique que certaines voies soient en complète déconfiture et que le jury du concours complémentaire ne pourvoie pas tous les postes mis à sa disposition.
    Cela entretient également entre les lauréats des différents concours de véritables inégalités.
    Par exemple, pourquoi exiger d'un auditeur de justice, disposant déjà d'une expérience professionnelle et recruté au titre du deuxième concours d'entrée à l'Ecole nationale de la magistrature, une formation probatoire de près de trente et un mois, alors qu'un autre candidat présentant exactement le même profil mais ayant réussi le concours complémentaire ne suivra qu'une formation, non probatoire, de six mois ?
    Un légitime sentiment d'injustice et d'incompréhension se répand ainsi chez les auditeurs de justice, dont certains connaissent de plus des inégalités de traitement quant à leur régime indemnitaire.
    A cette incohérence dans les recrutements s'ajoute une incohérence dans la formation.
    L'Ecole nationale de la magistrature ne peut assumer une formation totalement à la carte, individualisée pour chaque profil de candidat. Les durées de formation ne sont pas les mêmes, les fondamentaux de type universitaire sont acquis dans certains cas et pas dans d'autres, les formations sont probatoires dans certains cas mais pas dans d'autres. S'y ajoutent des problèmes de moyens et de locaux pour l'ENM.
    Les mêmes difficultés se retrouvent dans les juridictions, lieux de stages où les auditeurs apprennent sur le terrain leur futur métier. Il convient d'examiner d'urgence cet aspect de la formation pour lequel il faut revaloriser, à tous les sens du terme, les fonctions de magistrat délégué à la formation et de directeur de centres de stages.
    Des difficultés analogues sont ressenties en matière de recrutement et de formation des autres personnels de justice.
    Le déplacement que j'ai effectué à l'Ecole nationale des greffes a été particulièrement instructif. Cette école forme les greffiers en chef, les greffiers et les personnels de bureau. Elle a dû faire face à une augmentation de 54,7 % du nombre de ses élèves entre 1999 et 2000 et à une nouvelle augmentation de 65,1 % entre 2000 et 2001.
    Dans ce lieu tout à fait révélateur des divers ressentiments de l'ensemble des professions des greffes, j'ai ainsi pu constater, malgré l'absolue bonne volonté de tous les acteurs, de sérieuses difficultés tenant à la crise du recrutement chez les enseignants, à la crise d'identification des greffiers concernant l'avenir de leur statut et le manque de reconnaissance de leur rôle, et à l'impossible élaboration d'une vraie politique de recrutement et de formation à partir des structures existantes.
    J'ai ainsi préconisé, monsieur le garde des sceaux, une réforme des structures de cette école pour qu'elle obtienne, tout comme l'Ecole nationale de la magistrature et, récemment, l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire, un véritable statut d'établissement public. C'est à mon avis la seule solution pour résoudre les difficultés. Ce serait aussi un message fort envoyé à tout le corps judiciaire, qui a besoin de cette reconnaissance.
    J'ai également consacré de nombreux passages de mon rapport à la juridiction administrative et à l'encombrement considérable des cours administratives d'appel. Des simplifications de procédures doivent également intervenir dans ce contentieux.
    Enfin, je me permettrai d'insister sur le régime indemnitaire des magistrats de l'ordre judiciaire et de l'ordre administratif ainsi que sur la nécessaire parité qui doit être instaurée entre eux.
    Monsieur le garde des sceaux, en ma qualité d'ancien magistrat et de nouveau parlementaire, je me permets de vous féliciter pour votre programme de réformes et pour les moyens que vous souhaitez donner à notre justice.
    A ces réformes et à ces moyens doit correspondre au préalable une réflexion sur l'organisation des structures, sur leur mise en cohérence et sur la remise à plat d'une partie du système.
    L'institution judiciaire est composée d'une immense majorité de personnels prêts à servir la République et à qui il faut donner des signes de bonne volonté.
    Afin de préparer l'avenir, il faut également tracer des perspectives à long terme et construire sur des bases solides.
    Il faut, enfin, avoir une vision globale et s'en tenir aux objectifs que nos concitoyens nous ont assignés.
    C'est tout à l'honneur du politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à Mme Valérie Pecresse rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour les services pénitentiaires et la protection judiciaire de la jeunesse.
    Mme Valérie Pecresse, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour les services pénitentiaires et la protection judiciaire de la jeunesse. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice, mes chers collègues, le budget de la justice qui nous est présenté aujourd'hui, dans son volet relatif à l'administration pénitentiaire et à la protection judiciaire de la jeunesse, est un budget impérieusement nécessaire, ambitieux et équilibré. Il répond en effet à une situation d'urgence.
    Est-il besoin de rappeler ici les conclusions de la commission d'enquête conduite, il y a deux ans déjà, par nos collègues Louis Mermaz et Jacques Floch sur la « France face à ses prisons », dont les constats alarmants sont désormais bien connus et, comme j'ai pu le constater par moi-même, restent pleinement d'actualité ?
    Leur rapport dénonçait déjà la surpopulation carcérale, dont les causes sont structurelles et non conjoncturelles, je tiens à le souligner, puisque, durant la période allant de 1975 à 1995, le nombre des détenus s'est accru de 100 %.
    Il décrivait ensuite des conditions de détention inégalitaires, particulièrement dégradées en maison d'arrêt et mal adaptées aux publics concernés, avec les tabous des problèmes psychiatriques et de la toxicomanie en prison.
    Il montrait une administration désorientée par le manque d'effectifs et le manque de reconnaissance.
    Il insistait, pour finir, sur la nécessité de repenser une mission de réinsertion trop souvent reléguée au second plan.
    Situation d'urgence pour nos prisons donc, mais également en ce qui concerne la protection judiciaire de la jeunesse !
    Est-il besoin de décrire à nouveau l'inquiétante progression de la délinquance des mineurs ? Certes, la délinquance des jeunes a toujours existé. Hésiode ne constatait-il pas déjà dans Les Travaux et les jours que « la jeunesse d'aujourd'hui [...] est insupportable, sans retenue, simplement terrible. Notre monde atteint un stade critique. Les enfants n'écoutent plus leurs parents ».
    L'adolescence est l'âge de toutes les révoltes. Soit ! Mais les évolutions récentes que connaît notre pays sont néanmoins fort inquiétantes : les délinquants sont de plus en plus jeunes et de plus en plus violents. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : entre 1992 et 2001, le nombre des mineurs mis en cause a augmenté de 79 %. La moitié a moins de seize ans. Au total, c'est un délit de voie publique sur trois qui est aujourd'hui commis par un mineur.
    Certes, ces comportements ne concernent qu'une toute petite partie de notre jeunesse. C'est la « théorie des 5 % ». Selon une enquête du sociologue Sébastien Roche, 5 % des jeunes commettraient entre 60 % et 85 % des infractions. Faut-il pour autant les laisser faire, les laisser à la dérive, les laisser pourrir la vie de leurs quartiers et influencer ou intimider leurs camarades ?
    Malek Boutih, président de SOS-Racisme, auditionné par la commission d'enquête sénatoriale présidée par Jean-Pierre Schosteck, décrit parfaitement le caractère erratique de la justice des mineurs : « Vue par les jeunes, c'est une succession de petites "emmerdes et, un jour, c'est une grosse "emmerde. »
    Comment mieux résumer les difficultés de notre justice, saturée, dépassée, à prononcer des sanctions rapides et appropriées, seules capables de prévenir la récidive chez des adolescents en quête de limites ?
    Est-il nécessaire de rappeler l'état de désarroi dans lequel se trouve la protection judiciaire de la jeunesse, et la nécessité incontournable, pour notre « République en quête de respect », de proposer de nouvelles réponses pour la sanction et l'éducation des jeunes les plus déstructurés, ceux qui ont perdu les repères de la vie en société ?
    Faut-il enfin rappeler que c'est en violation de la Convention internationale de Beijing sur les droits de l'enfant que nos prisons mêlent encore aujourd'hui, dans des quartiers bien mal séparés, mineurs et adultes, avec les effets délétères qu'une telle promiscuité entraîne ?
    Face à cette urgence d'agir et conformément aux priorités dégagées par la loi d'orientation et de programmation sur la justice adoptée par la représentation nationale l'été dernier, le Gouvernement nous propose aujourd'hui de voter un budget très ambitieux.
    Ce projet est exceptionnel par les crédits qui lui sont affectés. Je ne citerai que deux chiffres : 1 200 créations d'emplois et 400 millions d'euros d'autorisations de programme.
    Il s'agit aussi d'un budget équilibré car, contrairement à ce qu'affirment parfois d'une manière un peu hâtive certains de nos collègues de l'opposition, il répond pleinement à deux exigences complémentaires : améliorer l'éducation et la réinsertion des délinquants, renforcer la sécurité publique.
    Les efforts en matière d'action de réinsertion des délinquants sont visibles : c'est la création de cent cinquante nouveaux emplois d'agent de probation et d'insertion ; c'est la création de trois cent quatorze emplois pour améliorer la protection judiciaire de la jeunesse ; c'est le développement des mesures alternatives à l'incarcération, comme le bracelet électronique.
    Pour ce qui concerne le renforcement de la sécurité, 9 millions d'euros sont affectés à la sécurisation des établissements pénitentiaires afin de tenir compte des préconisations du rapport Chauvet. Six cent treize nouveaux postes de surveillant sont créés.
    Des centres éducatifs fermés pour les mineurs verront le jour dès 2003 dans d'anciens foyers reconvertis, afin d'élargir la palette de réponses offertes aux juges et de donner une dernière chance, avant l'incarcération, aux mineurs les plus déstructurés, autour d'un programme de resocialisation complet, exercé sous la menace d'une révocation de contrôle judiciaire. On le voit, la « fermeture » de ces centres est avant tout « psychologique » : ce ne sont pas des prisons, mais la fugue ou la rébellion peuvent entraîner l'incarcération.
    Nécessaire, ambitieux, équilibré, ce budget, je tiens à le souligner pour conclure, est également exigeant. En effet, son exécution sera ardue.
    Le Gouvernement devra relever plusieurs défis, et d'abord celui d'un recrutement massif dans des administrations qui ont perdu au fil du temps une bonne part de leur prestige, alors qu'elles participent à deux missions essentielles de l'Etat : le maintien de l'autorité de la loi et l'éducation.
    Une campagne de publicité sans précédent est lancée par le ministère. Elle semble déjà recueillir un écho favorable.
    Le Gouvernement devra relever le défi de la construction de nouveaux établissements pénitentiaires, adaptés, dignes, dans des délais qui ne pourront plus être ceux des années passées. Il aura fallu entre huit et dix ans pour que les prisons modernes mises en chantier en 1995 dans le cadre du plan « 4000 » voient le jour. Les deux premières ouvriront en 2003, à Toulouse et à Avignon. De tels délais sont insupportables et ils mettent en cause la crédibilité de l'action de l'Etat.
    De nouveaux outils juridiques et administratifs ont été mis, par la loi de programmation, à la disposition du secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice, qui nous promet l'ouverture du premier volet de nouvelles prisons d'ici à quatre ans. Voilà un beau « challenge » ! (Murmures sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Par ailleurs, pour une prise en charge mieux adaptée des délinquants, corollaire d'une meilleure exécution des peines, sans surcharge de la population carcérale, il sera nécessaire de diversifier davantage la réponse pénale en accroissant le recours aux mesures de semi-liberté et en créant des établissements spécialisés pour les courtes peines.
    Enfin, les crédits dégagés pour la protection judiciaire de la jeunesse seront dépourvus d'effets s'ils ne s'accompagnent pas d'un véritable effort de modernisation et de réorganisation en profondeur de ces services ainsi que de leurs rapports avec le secteur associatif habilité.
    En somme, si l'on doit se féliciter de l'effort budgétaire exceptionnel consenti en faveur de notre justice, il reste à bien consommer les crédits prévus. Cela suppose un changement profond des mentalités et l'instauration de pratiques d'évaluation peu courantes dans cette administration régalienne.
    Monsieur le garde des sceaux, vous vous êtes résolument engagé dans cette voie. Permettez-moi de vous y encourager. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Madame et messieurs les rapporteurs, je voudrais d'abord vous remercier du travail que vous nous avez présenté, sachant que ceux d'entre vous qui rapportaient au nom de la commission des lois, mais je ne doute pas que le rapporteur spécial de la commission des finances en ait fait autant, sont allés sur le terrain pour étayer ce qu'ils ont bien voulu exposer à l'Assemblée cet après-midi.
    Je voudrais, monsieur le garde des sceaux, vous dire combien nous sommes satisfaits de ce budget.
    Que l'on se souvienne ! En juillet dernier, le Gouvernement lançait la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure et la loi d'orientation et de programmation sur la justice et aujourd'hui arrivent les moyens de cette politique. C'est peut-être ce qui est nouveau.
    Afficher, c'est à la portée de tout gouvernement, mais réaliser, c'est plus rare. On le constatera au fil de tous les budgets qui s'échelonneront les semaines à venir : en fait, ce qui a été voté l'année dernière n'aura été réalisé qu'à 80 % en moyenne.
    Le budget-vérité qui nous est soumis offre les moyens de donner aux Français ce qu'ils attendaient.
    M. Gérard Léonard. Très juste !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Je le dis parce que, d'après les sondages, 70 % de nos concitoyens approuvent massivement les orientations définies par le Gouvernement tant pour la sécurité que pour la justice.
    Nous avons donc un budget de la justice qui est à la hauteur des ambitions affichées. Il est en parfaite adéquation avec les nouvelles orientations de la politique de sécurité voulues par le Gouvernement.
    Faire des lois, c'est bien beau. Mais je me souviens de cette bonne loi qui visait à créer un deuxième niveau de juridiction pour les cours d'assises alors que nous n'avions pas les moyens de la mettre en oeuvre. On mesure aujourd'hui sur le terrain les immenses difficultés auxquelles on se heurte pour concrétiser la bonne idée qui l'avait inspirée.
    Je ne parlerai ni de la loi sur la présomption d'innocence ni de la création du juge des libertés et de la détention - JLD -, qui, avec un effectif de magistrats quasi constant, a entraîné le report de nombre d'audiences pénales ou civiles. La difficulté du Parlement, vous le sentez bien, c'est de ne pas se contenter de voter des lois. Combien de fois avons-nous demandé, nous, les législateurs, aux ministres successifs s'ils avaient les moyens de réaliser les réformes qu'ils souhaitaient entreprendre ! Eh bien, monsieur le ministre, si j'ai tenu à prendre la parole, c'est pour dire que vous vous êtes donné les moyens de la politique ambitieuse que vous proposez aux Français dans le domaine de la justice.
    Je ne reviendrai pas sur les chiffres : ils viennent d'être cités par les rapporteurs. Je souhaite simplement rappeler quelques idées qui me tiennent à coeur.
    La première a trait à un problème qui a été récemment repris par les médias : l'exécution relativement faible des peines de prison, puisque 32 % d'entre elles ne seraient pas exécutés. Cela trouble les Français, ne nous cachons pas la vérité. Je ne dirai pas à la tribune quelles sont les raisons de ce phénomène. Elles sont parfois techniques, parfois immobilières, mais elles sont globalement politiques. Je voudrais, monsieur le ministre, que vous vous engagiez devant la représentation nationale à faire baisser significativement ce chiffre, car les Français ne le tolèrent pas.
    Par ailleurs, nous sommes, ici comme partout, confrontés aux difficultés posées par les 35 heures. Certes, vous avez créé de nombreux postes de magistrats. Mais il me semble - je ne m'en souviens plus très bien, peut-être ai-je tort - que des assistants devaient permettre aux magistrats de travailler. Je ne sais pas s'il en est prévu beaucoup, mais je crois qu'il faut encourager la création de ce type de postes, qui a déjà existé, afin de soulager le travail des magistrats. On n'a pas idée, dans la société civile, du travail abattu par les magistrats français. Ils sont surchargés, pour ne pas dire complètement débordés. Il faut donc des effectifs supplémentaires, mais tout le monde sait que former un magistrat, que ce soit à l'ENM - établissement qu'a d'ailleurs visité M. Garraud - ou dans le cadre d'un dispositif comme celui prévu à l'article 30 du code de procédure pénale, prend du temps. Or, à mon avis, les assistants permettraient précisément de gagner du temps car ils faciliteraient la vie des magistrats.
    Je voudrais aussi insister sur la mission qui incombe à Pierre Bédier. Pour la première fois, une autorité de rang ministériel est en charge des programmes immobiliers de la justice : 4 000 réhabilitations et 7 000 créations, soit 11 000 places de prison au total, c'est une ambition considérable. Je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, que Bercy vous accorde toutes les facilités nécessaires, dans les mois à venir, pour ce travail. J'insiste sur ce point à la tribune pour être sûr d'être entendu jusqu'à Bercy. L'une de vos difficultés sera en effet de trouver l'argent au bon moment. Or, tout le Gouvernement doit comprendre que la commission des lois de l'Assemblée nationale attend que vous receviez les moyens de la politique annoncée aux députés, car je crains que l'on ne vous crée quelques soucis dans ce domaine. Peut-être me taxera-t-on de pessimisme...
    M. Gérard Léonard. Voyons, Bercy ne peut pas faire autrement que d'octroyer ces crédits !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Je suis heureux de constater votre optimisme.
    Enfin, s'agissant de l'éducation pénitentiaire, personne n'oublie qu'elle consiste d'abord à préparer la réinsertion des détenus. Vous avez créé, monsieur le ministre, 150 postes, je crois, d'agents chargés de cette mission d'insertion et de contrôle en milieu ouvert. C'est bien. Mais je souhaiterais que l'on insiste sur ce point, dans les mois et années à venir, pour que l'ensemble des détenus français n'aient pas le sentiment qu'il n'y a pas d'avenir à la sortie de prison. Celui-ci se prépare pendant la détention.
    M. Guy Geoffroy et M. Gérard Léonard. C'est important !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois. C'est pourquoi je voudrais que, d'ici à l'année prochaine, cette piste de travail soit exploitée, tant par les commissaires aux lois que par vous-mêmes, messieurs les ministres.
    Tels sont les rares points sur lesquels je voulais insister, sans oublier de saluer, surtout, la cohérence du travail du Gouvernement, qui a su, en quelques mois, créer les instruments juridiques aptes à combattre l'insécurité et dégager les moyens matériels, humains et budgétaires nécessaires à leur mise en oeuvre. C'est trop rare pour ne pas être souligné. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès, premier orateur inscrit.
    M. Michel Vaxès. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de budget de la justice pour 2003 est en augmentation de 7,43 %. Il s'élève à 5 milliards d'euros. Cela devrait nous réjouir, d'autant plus que nous n'avons jamais cessé de réclamer, sous tous les gouvernements, une hausse des crédits consacrés à la justice. Cependant, nous avons toujours assorti cette exigence d'une autre, bien plus essentielle encore : le budget de la justice doit servir une politique de la justice efficace. Or, en l'occurrence, si nous approuvons la hausse proposée, nous contestons avec la plus grande énergie la politique qu'elle va servir : une politique qui rompt le nécessaire équilibre entre éducation, prévention, dissuasion et répression ; une politique qui, au motif légitime d'accroître l'efficacité de la justice de proximité, affaiblira la qualité reconnue et internationalement enviée de notre système judiciaire en recrutant des juges non professionnels, non formés et vacataires dont les décisions et l'impartialité pourront être contestées ; une politique, enfin, qui construira de nouvelles prisons sans se soucier, ou si peu, des conditions de travail des personnels pénitentiaires et des conditions de détention et de réinsertion des détenus.
    Une justice de proximité au service des citoyens doit être accessible à toutes et tous sur l'ensemble du territoire, moins lente et demeurer indépendante et impartiale.
    Vous avez décidé de créer, par la loi du 9 septembre 2002, des juges de proximité pour, in fine, remplacer des juges professionnels qui existent déjà. Ces « proxijuges » assureront en effet de véritables fonctions de magistrats. Du reste, le Conseil d'Etat ne s'y est pas trompé, puisqu'il a demandé le dépôt d'un projet de loi organique relatif aux juges de proximité.
    Pourtant, les magistrats de proximité existent déjà. Ils sont en charge des petits litiges de la vie quotidienne et des infractions mineures. Je veux parler des juges d'instance, qui offrent aux citoyens une justice de proximité gratuite, simple d'accès, où l'on n'est pas obligé d'être représenté par un avocat, où la procédure est orale et permet au juge de concilier les parties.
    Ces juges offrent les garanties de compétence, d'indépendance et d'impartialité que tout citoyen est en droit d'attendre de sa justice. Ils sont formés pour la lourde charge qui leur incombe : celle de juger leurs semblables. Vos juges de proximité, en revanche, seront recrutés sans concours, sans formation initiale sérieuse. Ce seront des juges vacataires payés à l'acte pour juger les petits litiges de citoyens ordinaires. Pour les litiges importants, il sera fait appel aux magistrats professionnels ! Je crains que vous n'ouvriez ainsi la voie à une justice à deux vitesses.
    Pour garantir une véritable justice de proximité, une justice une et indivisible, une justice au service de tous, il aurait fallu choisir de renforcer les moyens humains et matériels des tribunaux d'instance en facilitant l'accès à l'aide juridictionnelle et en recrutant des greffiers et des magistrats. Il aurait été également nécessaire de refondre la carte judiciaire afin de rendre les juridictions véritablement accessibles à tous. Ce n'est pas ce que vous nous proposez !
    Au contraire, vous avez décidé de revoir à la baisse le plan de recrutement quinquennal des magistrats sur lequel le précédent gouvernement s'était engagé suite aux mouvements de 2000 et 2001 des professionnels de la justice.
    La justice est beaucoup trop lente et ce ne sont pas les tribunaux d'instance qui, de ce point de vue, posent les plus gros problèmes ; bien au contraire, ce sont ceux qui disent la loi dans les plus courts délais. En réalité, c'est la pénurie de moyens et d'effectifs dont souffrent les services judiciaires dans leur ensemble qui est la cause essentielle des délais de jugement excessifs. Comment expliquez-vous qu'actuellement, tous les magistrats ne soient pas dotés de postes informatiques et d'accès à Internet ? Comment justifier que la majorité des magistrats ne soient pas en possession des codes juridiques de l'année en cours ? Or, que prévoit votre projet de budget pour pallier cette pénurie ?
    M. Guy Geoffroy. Et les précédents ?
    M. Michel Vaxès. La baisse du plan quinquennal et une augmentation des crédits consacrés aux moyens des juridictions de 8 %. Avouez que, en regard des besoins, c'est peu, bien peu, pour permettre aux tribunaux de résorber les délais de jugement excessifs.
    Pour ce qui concerne l'accès au droit pour toutes et tous, nous pourrions nous féliciter de votre volonté de revoir le décret du 19 décembre 1991 afin de modifier les seuils d'admission à l'aide juridictionnelle et de permettre à un plus grand nombre de familles aux ressources modestes d'y avoir recours. Cependant, cette mesure corrective ne saurait être suffisante, et nous souhaitons appeler votre attention sur la nécessité d'un texte qui réformerait l'ensemble du système.
    En outre, toujours dans le souci d'un accès facilité au droit, les conseils départementaux d'accès au droit et les maisons de justice et du droit doivent être présents sur l'ensemble du territoire. Or, actuellement, une trentaine de départements ne disposent toujours pas de CDAD. Combien pourront être créés avec l'enveloppe de 400 000 euros prévue ? Je vous pose la question, monsieur le ministre.
    L'enveloppe de 183 000 euros prévue pour l'installation de nouvelles maisons de justice et du droit permettra de financer seulement seize nouvelles maisons. Avouez que c'est bien peu pour assurer un maillage du territoire et en deçà de la loi de programmation qui prévoit la création annuelle de vingt maisons de justice et du droit.
    Au-delà des interrogations liées au fait que votre budget n'est pas au service d'une justice au plus près des justiciables, nous sommes inquiets du sort réservé aux plus jeunes de nos concitoyens, à nos enfants.
    Nous n'en sommes pas, pour autant, surpris. En effet, la loi du 9 septembre dernier, discutée en urgence au plein coeur de l'été, résume à elle seule votre politique. Dans le cadre de ce qui aurait pu être une grande loi d'orientation et de programmation pour la justice, vous avez décidé, en accord avec les parlementaires de votre majorité, de stigmatiser les enfants des quartiers, victimes d'un véritable apartheid social.
    M. Guy Geoffroy. Oh !
    M. Michel Vaxès. Votre gouvernement a choisi de ne voir que la partie émergée de l'iceberg, le comportement délictueux, alors qu'il est impératif de voir aussi et surtout sa partie immergée, bien massive celle-là : une détresse humaine insupportable, qui appelle la multiplication de réponses sociales, économiques, éducatives et culturelles, accompagnant et prolongeant de nécessaires et justes sanctions.
    Le budget pour 2003 s'inscrit dans cette logique de cécité : il est partiel parce que partial. Les moyens que vous avez décidé d'octroyer à la protection judiciaire de la jeunesse sont à la mesure d'objectifs qui visent l'enfermement afin de faire croire à nos concitoyens que tous leurs problèmes seront ainsi résolus. Cette croyance ne pourra tenir que sur le très court terme. Ainsi, les crédits pour 2003 permettent de budgéter 314 emplois et 150 éducateurs. Nous sommes bien loin des préconisations du rapport de Mme Lazerges et de M. Balduyck qui jugeait nécessaire l'embauche de 500 éducateurs par an sur six années afin de permettre à la PJJ d'assumer pleinement sa mission de service public. Le choix de négliger cette direction déconcentrée du ministère de la justice, dont la fonction traditionnelle est la prise en charge et l'accompagnement éducatif sur décision judiciaire des mineurs et des jeunes majeurs, prouve le peu de cas que fait votre gouvernement de la protection d'une jeunesse en danger et de la prévention des actes délictueux.
    Je ne m'étendrai pas sur le contenu du projet pédagogique, éducatif ou professionnel proposé aux mineurs détenus dans les centres éducatifs fermés, qui devra être principalement axé sur leur éducation et leur insertion dans le monde professionnel. Je fais confiance aux professionnels que vous ne manquerez pas de consulter et qui vous feront certainement part de leur expérience de terrain et de leur connaissance des problématiques relatives aux mineurs en danger.
    Je conclurai sur le douloureux chapitre des services pénitentiaires. Alors que les détenus sont plus de 56 000 pour 47 000 places, que les suicides de détenus augmentent, que les agressions à l'égard des personnels de surveillance ne cessent de se multiplier et que le nombre de majeurs et de mineurs incarcérés ne cesse et ne cessera de croître, une grande loi pénitentiaire s'impose. Les divers rapports qui ont été commandés et les diverses commissions d'enquête parlementaires qui ont été mises en place, bien accueillis alors par l'ensemble des professionnels, des détenus et de nos concitoyens, semblent déjà oubliés.
    Nous saluons, bien évidemment, votre objectif de construire de nouvelles places de prison et de remplacer les places trop vétustes, mais faut-il s'en contenter ? S'il convient de prendre des dispositions pour enrayer la surpopulation carcérale, il convient également d'améliorer la prise en charge des détenus et les conditons de travail des personnels pénitentiaires. Nous renouvelons, d'ailleurs, notre soutien à la revendication de ces personnels en faveur du dialogue social et de la reconnaissance professionnelle.
    Le groupe des député-e-s communistes et républicains votera contre ce budget. Il est, certes, en hausse mais, pour reprendre les propos que vous avez tenus vous-même devant la commission des lois lors de votre audition, monsieur le ministre, un budget qui augmente n'est pas nécessairement un bon budget. En l'occurrence, et pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, le projet de budget pour 2003 ne sert pas la justice qu'attendent nos concitoyens. C'est pourquoi nous y sommes opposés. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. Jean Leonetti.
    M. Jean Leonetti. Il est assez habituel qu'un député approuve le budget proposé par un ministre issu de sa majorité, mais la tâche n'a jamais été aussi facile qu'aujourd'hui, compte tenu du budget qui nous est présenté.
     D'abord, la lutte contre l'insécurité est une des priorités de ce gouvernement et de la majorité. Or, on ne peut imaginer une lutte efficace contre l'insécurité sans que des moyens soient donnés à la justice. Pascal disait que la force sans la justice, c'était la tyrannie, mais que la justice sans la force, c'était l'impuissance. Nous pouvons essayer d'envisager, enfin, que la force soit juste. A quoi servirait, en effet, d'augmenter les moyens de la police et de la gendarmerie s'il n'y a pas de juges pour juger les coupables ? Ne faut-il pas, aujourd'hui, plusieurs mois, voire plus d'un an, pour qu'un jeune délinquant comparaisse devant le juge pour enfants ? A quoi bon arrêter les criminels si on ne peut les mettre en prison faute de place ? Les juges doivent-ils adapter leurs sanctions au nombre de places disponibles ou à la vétusté de nos prisons ? Faut-il rappeler que 30 % des peines de prison prononcées aujourd'hui ne sont pas exécutées ?
    Ensuite, l'état de la justice de notre pays est misérable. Misérables une grande partie de nos prisons, certains bâtiments de justice et les moyens humains alloués à cette grande institution. Il en résulte une justice trop lente, mal appliquée et inégale sur l'ensemble de notre territoire. Le décalage est important entre le nombre de places disponibles dans les prisons, qui s'élève à 48 000, et le nombre de détenus, qui oscille entre 53 000 et 56 000.
    Ce budget est donc le premier à donner à la loi d'orientation et de programmation pour la justice les moyens de son application. Représentant exactement le cinquième, ou un peu plus, des moyens programmés, il montre que le Gouvernement tient ses engagements, ce qui est pour nous un grand motif de satisfaction.
    Les crédits de votre ministère dépassent donc pour la première fois les cinq milliards d'euros. Il faut reconnaître que le budget de la justice en 2002 avait déjà bénéficié d'une augmentation substantielle de 5,7 %. Mais, cette année, l'augmentation de 7,43 % traduit un renforcement considérable des moyens, de manière équilibrée, ciblée et orientée sur un objectif.
    Ce budget est aussi un budget de rupture, car, l'année dernière, l'augmentation était une augmentation subie, imposée par la mise en place de dispositions législatives qui ont considérablement accru le travail des magistrats et de la justice en général. Le budget pour 2003, en revanche, est au service d'une loi de programmation dans le cadre d'une politique de justice définie. C'est donc un budget positivement choisi.
    Rappelons brièvement les quatre axes de cette politique.
    D'abord, l'aide aux victimes : pourquoi les victimes, quelquefois des crimes les plus graves, n'auraient-elles pas droit à la même aide immédiate dont bénéficient les délinquants ?
    Ensuite, une justice plus simple, avec la mise en place d'une justice de proximité : trois millions d'euros sont destinés aux juges de proximité, afin de réduire les délais de traitement des affaires les plus courantes.
    Il faut aussi s'adapter à la délinquance nouvelle, plus mobile, plus violente.
    Il faut enfin traiter avec équilibre, humanisme mais aussi fermeté le douloureux problème de la délinquance des mineurs.
    Par ailleurs, ce projet est équilibré parce qu'il met autant l'accent sur la prévention et la réinsertion que sur la répression. J'en veux pour preuve l'effort considérable d'investissement qui a pour objectifs l'humanisation des prisons, la création de centres fermés pour mineurs délinquants, destinés à les remettre dans le droit chemin en leur évitant la prison, et la remise à niveau des services gestionnaires de la protection judiciaire. Ces dernières années, ceux-ci avaient en effet bénéficié d'une aide peu importante. La création, dans votre budget, de 314 emplois est donc pleinement justifiée : elle permet d'augmenter le nombre d'éducateurs de 25 % en une seule année. Il faut, en outre, souligner l'inscription de 2,2 millions d'euros destinés au secteur associatif.
    Ce budget redonne de la dignité aux acteurs de la justice. Le Gouvernement a su adapter les moyens à ses ambitions avec la prise en compte de l'attractivité des métiers de justice, souvent difficiles et déconsidérés, de celui de magistrat à celui de gardien de prison ou de greffier-assistant-magistrat, pour une plus grande efficacité de la justice.
    Ce budget redonne également de la dignité à ceux qui sont sanctionnés en prévoyant les crédits nécessaires pour les centres fermés évitant l'incarcération aux jeunes délinquants et pour les quartiers des mineurs afin de réinsérer les jeunes délinquants sans les envoyer purger leur peine dans des prisons pour tous qui sont souvent des écoles du crime.
    Ce budget permet donc une justice enfin digne d'une grande démocratie. Cela suppose des moyens de fonctionnement, une meilleure rémunération de ses acteurs et un respect accru vis-à-vis des hommes et des femmes condamnés, avec une vigilance toute particulière pour les jeunes et les mineurs, afin de leur permettre une réinsertion dans la vie sociale.
    Cependant, ces objectifs ne pourront être tenus que si trois conditions sont remplies.
    La première - c'est une évidence, mais combien difficile à mettre en oeuvre ! - est de bien utiliser ces moyens, là où il faut et quand il le faut. Monsieur le ministre, vous avez obtenu des moyens adaptés à vos objectifs et nous nous en réjouissons. Ces moyens, et je sais que c'est votre volonté, doivent améliorer la qualité de ce grand service public. Cette culture de résultat, de l'efficacité, qui doit passer par l'évaluation et le suivi, doit désormais être la clé de toute la politique du Gouvernement. C'est pourquoi il est plus que jamais nécessaire que, dans tous les domaines, des outils d'évaluation établis en concertation avec les professionnels nous permettent de mettre les moyens là où cela est nécessaire.
    La deuxième condition est la simplification de la justice et l'allégement de nos lois. Contrairement à ce qui a été fait par le passé, nous devons être vigilants sur les conséquences budgétaires des nouvelles lois votées. La justice a besoin de simplification et non de complexité accrue. Il ne faudrait pas que de nouvelles dispositions viennent amputer les moyens que vous avez aujourd'hui à votre disposition. Il faut aussi alléger les lois actuellement en vigueur.
    La troisième condition - vous avez déjà commencé à la remplir, monsieur le ministre - c'est la réforme de l'ensemble de la justice. Vous aurez contre vous, dans ce domaine et sur ce chantier, tous les conservatismes de tous bords, ceux qui pensent qu'il ne faut rien changer et continuer à faire comme avant. Le monde change et change vite. La délinquance change de forme. Les frontières sont plus perméables. La précarité frappe souvent les plus jeunes. Les repères des valeurs sont moins affirmés. L'institution judiciaire ne peut pas rester immobile dans ce grand tumulte. Avec les centres éducatifs fermés, les juges de proximité constituent les premières étapes positives de cette réforme. La décentralisation peut aussi ouvrir des horizons de réforme, en particulier en matière de protection judiciaire de la jeunesse mieux orientée et mieux coordonnée avec l'action des conseils généraux.
    Monsieur le garde des sceaux, vous le savez, vous aurez notre soutien dans cette grande ambition que nous partageons de faire, pour notre pays, une justice plus rapide, plus proche des justiciables et plus humaine, comme l'a souhaité le Président de la République. C'est la raison pour laquelle, sans ambiguïté mais sans surprise, le groupe UMP votera les crédits de votre ministère. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. André Vallini.
    M. André Vallini. Nous sommes donc réunis pour examiner le projet de budget de la justice pour 2003 et je tiens d'emblée à tempérer l'enthousiasme de mes collègues Leonetti, Clément et Pecresse. Votre budget augmente, monsieur le ministre, c'est vrai, mais cette augmentation se situe dans la droite ligne des budgets votés depuis 1997.
    Je rappelle que le budget 2002 était caractérisé par une augmentation de 5,7 % et que, sur les cinq années de la législature précédente, Mme Guigou puis Mme Lebranchu ont réussi à obtenir une hausse historique et sans précédent, de près de 30 %, du budget de la justice.
    Vous ne partez donc pas de rien et le budget 2002 met d'ailleurs en oeuvre des avancées décidées par Mmes Guigou et Lebranchu comme la réforme statutaire des directeurs de l'administration pénitentiaire, celles des greffiers et des greffiers en chef, des personnels des services de probation, ou encore l'augmentation des primes des personnels de la PJJ, ou encore le plan de résorption de l'emploi précaire, ou encore la réforme du régime indemnitaire des auditeurs de justice, ou encore la poursuite du plan de résorption des personnels des services déconcentrés mis à disposition de l'administration centrale. Tout cela avait été décidé avant vous, par d'autres que vous. Vous le financez, c'est bien la moindre des choses !
    Ce budget assure aussi la poursuite de la hausse des crédits accordés aux associations d'aide aux victimes et aux conseils départementaux de l'accès au droit, le renforcement des effectifs de l'agence de maîtrise d'ouvrage des travaux du ministère de la justice. Il marque aussi quelques efforts en faveur de l'aide juridictionnelle, même s'ils sont bien loin de l'ambition du projet de loi déposé début 2002 par Mme Lebranchu.
    Des chiffres en hausse donc dans ce projet de budget pour 2003, qui serviront à confirmer ce qui a été décidé avant vous, mais aussi des zones d'ombre, monsieur le ministre. D'abord, vous créez 750 emplois de moins qu'en 2002. C'est un recul incontestable et si, dans le même temps, vous présentez des chiffres mirobolants en équipement, tout le monde sait ici que la construction d'une prison ou d'un palais de justice cela prend du temps et que si les autorisations de programme augmentent de 44 %, ce qui est beaucoup, ce ne sont que des autorisations de programme. On se souvient à cet égard du sort réservé au plan pluriannel pour la justice de M. Méhaignerie, voté en 1995 mais bien vite abandonné jusqu'à ce que la gauche le reprenne à son compte à partir de 1997-1998.
    Vos chiffres, monsieur le ministre, nous laissent donc sceptiques, a fortiori quand on voit votre secrétaire d'Etat, M. Bédier, lors de son récent déplacement à Lyon, oser remettre en cause des décisions longuement concertées sur la reconstruction nécessaire d'une des prisons les plus vétustes et les plus insalubres de France, je veux parler de celle de Lyon. En fait, nous savons tous ici que les crédits d'équipements sont toujours les plus vulnérables aux gels de crédits et qu'ils seront sans doute touchés dès la première régulation budgétaire, à commencer par celle que M. Mer a d'ores et déjà annoncée pour le début de 2003.
    Mais au-delà des chiffres, une discussion budgétaire n'a d'intérêt que si elle permet d'aborder la politique elle-même que le budget permet de mettre en oeuvre. Je veux donc replacer notre discussion dans la perspective des lois que vous avez fait voter, cet été, dans la précipitation, par votre majorité - loi d'orientation sur la justice, loi d'orientation sur la sécurité de votre collègue Sarkozy - et de celles que vous lui ferez voter cet automne, à commencer par la sinistre loi de M. Sarkozy (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle),...
    M. Gérard Léonard. C'est inadmissible ! Lamentable !
    M. Guy Geoffroy. C'est nul ! Indigne !
    M. André Vallini. ... qui va pénaliser tous les laissés pour compte de notre société et envoyer des milliers de gens supplémentaires devant les tribunaux d'abord, dans les prisons ensuite. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Gérard Léonard. N'importe quoi !
    M. le président. Chers collègues, laissez M. Vallini s'exprimer au nom de son groupe !
    M. Gérard Léonard. Et nous, nous avons le droit de dire que ce n'est pas correct !
    M. André Vallini. Pas seulement au nom de mon groupe, monsieur le président, car beaucoup d'associations, de syndicats et de gens sont concernés par les problèmes de justice que va poser cette loi Sarkozy dont nous aurons l'occasion de débatte ici dans les semaines qui viennent.
    M. le président. Ici, vous parlez au nom de votre groupe !
    M. André Vallini. Oui, mais j'ai consulté beaucoup de gens qui s'intéressent à ces problèmes.
    M. le président. Veuillez poursuivre !
    M. André Vallini. Monsieur le garde des sceaux, qu'allez-vous faire de tous ces gens supplémentaires que va vous envoyer M. Sarkozy ? (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Gérard Léonard. C'est lamentable !
    M. André Vallini. Où allez-vous les mettre ? Qu'allez-vous dire aux magistrats, déjà écrasés sous une masse de procès-verbaux qu'ils ont le plus grand mal à traiter ? Qu'allez-vous leur dire quand ils vont devoir, en plus, juger des milliers de mendiants, de squatters (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française),...
    M. Gérard Léonard. Quelle caricature ! Vous devriez avoir honte !
    M. André Vallini. ... de prostitué(e)s ou même d'adolescents qui auront été arrêtés pour avoir fumé une cigarette dans un hall d'immeuble ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Gérard Léonard. Et il dit ça sans rire !
    M. Xavier de Roux. Quelle caricature !
    M. André Vallini. Et pendant ce temps, les réseaux internationaux continueront de prospérer sur la criminalité. Qu'allez-vous dire aux surveillants de prison déjà débordés par une surpopulation carcérale qu'ils ont le plus grand mal à maîtriser - 55 000 détenus pour 47 000 places ? Qu'allez-vous leur dire quand ils vont devoir accueillir des milliers de détenus supplémentaires dans des cellules où le nombre de suicides s'accroît tragiquement depuis quelques mois, au point que nous sommes décidés à demander la création d'une commission d'enquête parlementaire sur ce sujet ?
    M. Gérard Léonard. Vous voulez les laisser en liberté, c'est mieux !
    M. André Vallini. Je ne laisse pas les prisonniers se suicider la conscience tranquille, monsieur, contrairement à vous sans doute ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Xavier de Roux. Ce n'est pas sérieux !
    M. André Vallini. En tout cas, ce n'est pas le budget que vous nous présentez qui permettra aux magistrats et aux surveillants de faire face.
    Concernant l'administration pénitentiaire, le nombre de postes créés est inférieur à celui de l'année dernière et, plus grave encore, si votre budget prévoit bien la sécurisation des établissements programmée par le gouvernement précédent à la suite du rapport Chauvet, il néglige l'importance de l'élément humain et toutes les actions nécessaires pour l'équipement culturel et social des prisons, pour lutter contre l'indigence des condamnés, pour améliorer leur santé et surtout pour lutter contre la récidive par la mise en oeuvre d'une vraie politique de réinsertion complètement absente de votre budget.
    M. Gérard Léonard. C'est une autocritique !
    M. André Vallini. C'est en fait d'une grande politique pénitentiaire que nous avons besoin. Et comment ne pas regretter, à cet égard, l'abandon du projet de grande loi pénitentiaire qu'avait préparé Mme Lebranchu et qui devait intégrer aussi une réflexion sur le sens de la peine ? Je ne fais ici que reprendre ce qu'a dit, il y a une heure environ, M. Albertini de l'UDF. Quel dommage que, deux ans à peine après avoir oeuvré ensemble, droite et gauche confondues comme l'a rappelé Mme Pecresse, au sein de la commission d'enquête sur les prisons, dans une espèce d'« état de grâce » démocratique et humaniste, ce souffle humaniste ait pu disparaître aussi vite pour céder la place, aujourd'hui, à la surenchère répressive dont fait preuve votre gouvernement, sans parler de la majorité qui vous soutient ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Cette surenchère répressive induit le recours au tout-carcéral dans des prisons qui restent aujourd'hui la honte de la République.
    M. Guy Geoffroy. Qui a gouverné pendant vingt ans ?
    M. André Vallini. Concernant la protection judiciaire de la jeunesse, monsieur le garde des sceaux, le manque de moyens sera tout aussi réel, car il est évident que les cinquante-huit centres d'éducation renforcée et les quarante-deux centres de placement immédiat vont faire les frais du financement de vos fameux centres éducatifs fermés, qui suscitent non seulement le scepticisme de tous les spécialistes de la délinquance des mineurs, mais aussi l'inquiétude des personnels à la PJJ, qui sont des éducateurs au sens le plus fort et le plus noble du terme et qui ne veulent en aucun cas se transformer en surveillants.
    S'agissant des services judiciaires, enfin, le constat sera le même avec une diminution de plus de la moitié des créations d'emplois de magistrats - vous en créez 280 alors que le budget 2002 en créait 320 - diminution tragique qui signe l'abandon du plan d'action pour la justice annoncé en mars 2001. Et, par ricochet, ce sont toutes les réformes, à commencer par celle de la présomption d'innocence - la grande réforme de la présomption d'innocence -, ainsi que celle visant à l'accélération des procédures pénales, qui vont être condamnées par ce manque de moyens. Il sera facile, monsieur le ministre, de venir nous dire ensuite : « Vos réformes ne marchent pas », dès lors que les moyens nécessaires à leur mise en oeuvre auront été sacrifiés.
    Enfin, vous abandonnez la réforme nécessaire de l'aide juridictionnelle qu'avait préparée Mme Lebranchu, qui seule permet aux gens modestes d'accéder au droit et à la justice, au profit d'une aide judiciaire accordée sans condition de ressources aux victimes. C'est ainsi l'espoir d'une vraie justice de proximité et de qualité qui s'éloigne, et c'est une justice d'abattage qui va revenir en force.
    M. Jacques Myard. On va tirer à vue !
    M. André Vallini. C'est aussi une justice à deux vitesses qui s'annonce avec vos fameux juges de proximité. Nous aurons l'occassion, dans les prochaines semaines, lorsque nous examinerons votre projet de loi, de répéter ce que nous avons dit cet été sur ces juges amateurs, mais je redis dès ce soir que nous nous y opposerons de toutes nos forces, car, alors que nous disposons dans ce pays de magistrats de haut niveau, recrutés par concours selon la règle républicaine - la seule qui vaille - vous voulez instaurer à la place une cooptation de notables locaux vaguement formés au droit et sans garantie ni d'impartialité ni d'indépendance.
    M. Jacques Myard. Tout ce qui est excessif ne compte pas !
    M. André Vallini. J'ajoute que les crédits affectés à vos juges de proximité auraient été bien plus utiles aux tribunaux d'instance, qui sont, eux, la vraie justice de proximité. Là encore, je reprends ce qu'a dit cet été Pierre Albertini, ou même Xavier de Roux. Je me souviens de la discussion que nous avons eue fin juillet, début août sur ce sujet.
    M. Xavier de Roux. Tout à fait !
    M. André Vallini. Avant de conclure, je souhaite dire un mot sur le débat relatif à la décentralisation. En août 2002, vous avez déclaré vouloir « expérimenter des formes régionales de la justice » et le 2 octobre, devant le Sénat, vous avez déclaré que vous alliez accroître les « possibilités d'expériences législatives et réglementaires en matière judiciaire ». Ce « localisme judiciaire » ce régionalisme judiciaire, monsieur le ministre, signerait la mort de l'unité pénale sur le territoire de la République. Je vous suggère de vous faire communiquer le discours de Jean-Louis Debré, notre président, discours prononcé à Strasbourg la semaine dernière, pour éviter de tomber dans de funestes travers, alors même que les réseaux criminels sont de plus en plus internationaux et que nous avons un besoin urgent d'une coordination des politiques pénales au plan européen. Epargnez-nous donc la régionalisation de la justice, dont on ne sait même pas ce qu'elle veut dire !
    Un mot aussi sur les pôles financiers, monsieur le ministre. Nous avons appris récemment, dans une interview que vous avez donnée au Journal du Dimanche, que vous avez commandé un audit sur leurs résultats. Avec quelles intentions ? Peut-on le savoir ? Souhaitez-vous préparer le terrain à leur disparition ? En tout cas, nous serons vigilants, car si certains reprochent aux juges financiers de déstabiliser les grandes entreprises, ils ont joué ces dernières années un rôle précurseur en protégeant les salariés et les petits épargnants des turpitudes ou des délires, voire de l'incompétence, de quelques capitaines d'industrie mégalomaniaques ou tout simplement malhonnêtes. D'Elf au Crédit Lyonnais, les magistrats ne mettent pas en péril l'économie française, ils contribuent à l'assainir.
    En conclusion, monsieur le ministre,...
    M. Jacques Myard. Ah !
    M. André Vallini. ...je souhaite vous rappeler que la justice doit jouer son rôle, tout son rôle, et qu'elle doit tenir sa place, toute sa place. Or, on voit depuis quelques temps de nombreux membres du Gouvernement se mêler de politique pénale. Je pense à M.  Jacob, ministre délégué à la famille, et à M. Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire, qui ont annoncé la création d'une amende pour les parents d'enfants absentéistes.
    M. Jacques Myard. C'est leur droit !
    M. André Vallini. Tout aussi surprenante, mais bien plus grave, est l'omniprésence, pour ne pas dire l'omnipotence de votre collègue de l'intérieur dans les réformes qui touchent à la procédure pénale et au droit pénal. Monsieur le ministre, permettez-moi de vous rappeler que vous seul êtes le ministre de la justice et que vous êtes aussi le garde des sceaux, garant à ce titre de la défense des libertés publiques dont les magistrats sont les gardiens. N'oubliez pas ce rôle éminent qu'ils doivent jouer dans une démocratie, notamment dans une période où, au nom de la « sacro-sainte sécurité », ce sont les principes mêmes de la République que certains seraient prêts à mettre en cause.
    En ce qui nous concerne en tout cas, nous exercerons notre droit et notre devoir de vigilance en commençant par voter contre votre budget, qui est au service d'une mauvaise politique.
    M. Gérard Léonard. Quelle mauvaise foi en tout cas !
    M. le président. La parole est à M. Rudy Salles.
    M. Rudy Salles. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le précédent gouvernement a laissé s'aggraver une situation préoccupante, alors même que les indicateurs fréquents l'avaient alerté.
    M. Jacques Myard. C'est vrai !
    M. Rudy Salles. La confiance des Français en leur justice s'est de plus en plus détériorée. Sujet résiduel des dysfonctionnements de la justice, la lenteur persistante des procédures a alimenté la crise de confiance que les Français entretiennent vis-à-vis de leurs institutions judiciaires. L'augmentation régulière de la durée moyenne des procédures engendre des condamnations régulières et croissantes de la France par la Cour européenne des droits de l'homme et fait de notre pays l'un des plus mauvais élèves européens en la matière.
    Alors que l'insécurité s'est érigée depuis quelques années en l'une des questions de société les plus délicates à traiter, l'analyse de quelques chiffres clés nous montre que le précédent gouvernement n'a absolument pas cherché à règler ces questions. En effet, 37 % des condamnations à l'emprisonnement ferme ne seront jamais exécutées. En outre, la capacité de traitement des juridictions est très limitée. Sur les 5 millions de procès-verbaux reçus chaque année par les parquets, seuls 592 000 jugements sont prononcés, ce qui représente une capacité de jugement de 11,7 %. On mesure aisément le chemin qui reste à parcourir pour parvenir à atteindre l'objectif de l'impunité zéro vers lequel doivent tendre nos efforts. Enfin, dernier symbole sur lequel le précédant garde des sceaux a continué à fermer les yeux et qui intéresse directement les finances de l'Etat, 20 % à 30 % seulement des amendes sont recouvrées, preuve du laxisme pratiqué ces dernières années. Telle est, monsieur le ministre, la situation à laquelle vous vous trouvez et nous nous trouvons confrontés.
    Votre budget est en augmentation de 7,43 % par rapport au précédent et dépasse les 5 milliards d'euros. A titre de comparaison, on notera le retard que nous avons accumulé dans ce domaine, puisque le budget de la justice de Grande-Bretagne, pays comparable à la France, est de 10 milliards d'euros, soit le double du nôtre.
    Il est l'occasion de réaliser la première tranche de la loi quinquennale d'orientation et de programmation de la justice, avec la création de 2 042 emplois sur les 10 100 postes supplémentaires prévus sur cinq ans, et, surtout, avec l'ouverture de 706 millions d'euros d'autorisations de programme, dont l'augmentation, de 95 %, démontre la volonté du Gouvernement de concrétiser le plus tôt possible les orientations de sa politique.
    Les services judiciaires, qui absorbent 42 % des crédits du ministère, bénéficient d'une augmentation de 5,98 %. Ces crédits vont servir à améliorer l'efficacité de la justice au service des citoyens, en créant des postes de magistrats et en modernisant les juridictions.
    Un des axes majeurs de ce budget est le traitement de la délinquance des mineurs, qui s'effectue au niveau des services pénitentiaires, dont le budget progresse de 7,7 %. Vous prévoyez un programme de rénovation et de construction d'établissements pénitentiaires pour les mineurs. Au niveau de la protection judiciaire de la jeunesse, on enregistre une augmentation de 4,8 % grâce, notamment, au très fort développement d'un programme d'investissement et de rénovation immobilière.
    Mais il faut se garder de tout triomphalisme et inviter le Gouvernement à la vigilance. Le travail qui attend la France dans le domaine de la justice sera en effet long et semé d'embûches.
    La politique du Gouvernement, en matière de lutte contre l'insécurité, aussi légitime et nécessaire soit-elle, aura à n'en pas douter des conséquences sur le fonctionnement de la justice. En effet, l'objectif d'éradication progressive de la délinquance, associé à la création de nouvelles infractions, entraînera une inflation certaine des poursuites pénales devant nos juridictions, dont on connaît déjà l'état de saturation.
    M. André Vallini. C'est ce que j'ai dit !
    M. Rudy Salles. Certes, monsieur Vallini, vous l'avez dit. Mais vous avez été au pouvoir pendant cinq ans. Alors, il fallait le faire ! On ne peut pas laisser la situation en l'état. La population française vous a d'ailleurs répondu par son vote du mois de juin dernier.
    Par voie de conséquence, les problèmes liés à la surpopulation carcérale, que le Gouvernement tente d'ores et déjà d'anticiper par la création de 10 000 places supplémentaires dans les cinq ans à venir, vont s'accroître. Il faut se féliciter que le budget des services pénitentiaires prévoie la création de 870 emplois.
    En revanche, on peut s'étonner qu'aucune création de poste n'ait été prévue pour les personnels de direction des établissements pénitentiaires, car il y a des besoins à satisfaire. Peut-être pourrez-vous, monsieur le ministre, nous répondre sur ce point.
    Il est évident qu'aucune politique de sécurité n'est envisageable sans un engagement durable d'agrandissement du parc pénitentiaire français, qui en est le quatrième maillon, après la police, l'administration judiciaire et l'administration pénitentiaire. Il faut impérativement que le Gouvernement maintienne le cap qu'il s'est aujourd'hui fixé, et reste conscient que tout relâchement de l'effort budgétaire en faveur de la justice entraînerait la paralysie de sa politique en matière de sécurité.
    M. Jacques Myard. Très bien !
    M. Rudy Salles. En outre, si l'accroissement des effectifs de magistrats demeure une priorité dans l'optique d'un meilleur rendement de notre justice, d'autres solutions méritent d'être envisagées. La lenteur et la saturation de nos tribunaux ne pourront être résorbés sans réformes de fond de notre organisation judiciaire.
    L'instauration de la justice de proximité, dont on perçoit les prémices dans ce budget, constituera probablement une étape importante vers le désengorgement de nos tribunaux d'instance.
    Je souhaiterais aussi aborder le problème de l'accès des plus démunis à la justice. Des efforts significatifs ont été accomplis concernant le droit des victimes et l'aide juridictionnelle, et il faut s'en féliciter. Cependant, le recours à un avocat, pour les particuliers dont les ressources ne permettent pas forcément de bénéficier de l'aide juridictionnelle, reste trop coûteux, en raison notamment du taux de TVA à 19,6 %. L'injustice devient plus criante encore si l'on compare le sort du particulier à celui d'une personne morale, qui peut récupérer la TVA versée à son avocat.
    M. Xavier de Roux. Absolument ! Très bonne remarque !
    M. Rudy Salles. C'est pourquoi j'invite le Gouvernement, ainsi que les parlementaires, à réfléchir à une éventuelle baisse de la TVA sur les prestations juridiques aux particuliers ; monsieur le ministre, j'aimerais connaître votre avis sur ce point.
    Je voudrais conclure mon propos en abordant le statut de deux professions dont l'activité est un rouage essentiel du fonctionnement de la justice.
    En premier lieu, j'aimerais attirer votre attention sur la situation des experts, notamment linguistiques. Une revalorisation des tarifs s'impose, au regard des besoins très importants en la matière. Sinon, ces experts risquent d'être de moins en moins attirés par cette fonction et de moins en moins qualifiés.
    En second lieu, j'attire votre attention sur la disparité du statut des personnels travaillant dans des unités psychiatriques. Par exemple, des primes de risque sont attribuées à certains et pas à d'autres, suivant qu'ils appartiennent à des centres hospitaliers universitaires ou à des établissements privés qui exercent des missions de service public.
    En vous remerciant par avance, monsieur le garde des sceaux, de bien vouloir répondre aux quelques questions évoquées dans ce propos, je vous indique que le groupe UDF votera ce budget, qui, de notre point de vue, se donne les moyens de mener une politique ambitieuse et nécessaire dans l'intérêt de la justice et de la sécurité dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Michel Hunault.
    M. Michel Hunault. Monsieur le garde des sceaux, je voudrais saluer à mon tour l'augmentation sensible des crédits de votre ministère pour l'année 2003. Avec une augmentation de plus de 7,4 %, un quasi-doublement des autorisations de programme, des crédits de paiement en forte progression pour les opérations d'investissement et la création de plus de 2 000 emplois supplémentaires, ce budget est satisfaisant. Il traduit la loi d'orientation et de programmation votée par le Parlement - au moins par la majorité - au mois d'août dernier.
    Il faut dire, monsieur le garde des sceaux, qu'il y a urgence. Je vous ai interrogé dernièrement, dans le cadre des questions d'actualité, sur la situation dans laquelle nous nous trouvons. Permettez-moi de rappeler quelques chiffres : 80 % des plaintes sont classées sans suite. Dans un pays où sont commis plus de 4 millions de crimes et délits par an, la capacité de jugement est d'un peu plus de 600 000. Plus du tiers des peines de prison n'est jamais exécuté. Cela s'apparente à du laxisme. Comment, dans ces conditions, ne pas approuver l'effort considérable que vous nous proposez en termes de moyens financiers et matériels, seule vraie réponse pour stopper la spirale du laxisme judiciaire ? Seule la création de postes de magistrats et de greffiers permettra de rendre la justice dans des délais acceptables et donc d'en accroître l'efficacité.
    Je voudrais également saluer l'effort nouveau et significatif en matière d'accès à la justice et d'aide aux victimes. Vous avez souhaité que les victimes puissent demander la désignation d'un avocat. C'est l'occasion de soulever la question de la refonte et de la revalorisation de l'aide judiciaire. Vous savez fort bien, monsieur le garde des sceaux, qu'elle ne couvre pas le coût d'intervention de l'avocat.
    A l'occasion de cette discussion budgétaire, je tiens à insister sur la prévention et les difficultés du monde pénitentiaire, plus précisément, la situation dans nos prisons.
    Concernant la prévention, il faut mettre l'accent sur le secteur associatif, l'augmentation du nombre des éducateurs et encourager le travail des services de la protection judiciaire et de la justice. Je sais que votre budget le prévoit.
    Concernant la situation dans les prisons, je souhaite, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, que les travaux des deux commissions d'enquête parlementaire de l'Assemblée nationale et du Sénat soient pris en compte prochainement dans une grande loi pénitentiaire.
    M. André Vallini. C'est mal parti !
    M. Michel Hunault. On ne peut que saluer l'ambitieux programme de modernisation immobilière fixé par la loi de programmation, le financement des créations d'emplois pour accroître le personnel pénitentiaire et l'ambitieux programme immobilier en matière de construction de prisons.
    Là aussi, il y a urgence. Les chiffres de l'année 2002 sont dramatiques. A ce jour, plus de 100 suicides ont été dénombrés dans nos prisons. L'enfermement est la sanction ultime ; il prive l'être humain de liberté et permet à la société de se protéger. Pour autant, il ne faut pas admettre que se rajoute à cette sanction de privation de liberté les humiliations, les sévices ou toute autre atteinte à la dignité de la personne. C'est pourquoi il faut faciliter l'accès des avocats dans les prisons, prendre les moyens d'un suivi médical, voire psychologique, pour réhabiliter les condamnés en vue de leur réinsertion.
    Dire cela, monsieur le garde des sceaux, ce n'est pas faire preuve d'angélisme. Vous savez combien je me suis toujours dressé contre les remises de peine automatiques ou les libertés conditionnelles, quelquefois scandaleuses - à l'exemple des sinistres frères Jourdain qui, moins de sept ans après une condamnation à quinze ans de prison par une cour d'assises, ont récidivé dans l'horreur.
    Néanmoins, il faut humaniser les prisons. Puisque le Gouvernement a décidé la construction de nouveaux établissements, permettez-moi de vous faire une suggestion : acceptez que les parlementaires qui ont travaillé au sein des deux commissions d'enquête soient associés aux programmes de construction des futurs établissements.
    Je souhaite aussi que l'application de la législation récente, qui permet à une personne en fin de vie d'être libérée avant la complète exécution de sa peine, soit appliquée à tous.
    Monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, la majorité vous soutient et vous avez les moyens de votre politique. Mais au-delà des moyens financiers, n'oublions jamais les victimes, les auxiliaires de justice, n'oublions jamais la dignité de l'être humain, quels que soient les faits qui l'ont conduit à être privé de cette liberté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.
    M. Jacques Myard. Le budget de la justice pour l'année 2003 marque une heureuse et indispensable rupture avec les objectifs et la pratique du Gouvernement précédent, et chacun doit s'en réjouir. Il correspond à la première année de mise en oeuvre de la loi d'orientation et de programmation votée au mois d'août dernier, laquelle s'articule autour de quatre actions : le renforcement des services judiciaires, la prise en compte des problèmes pénitentiaires, la lutte contre la délinquance juvénile avec notamment la mise en place de centres éducatifs fermés, l'amélioration de l'aide aux victimes.
    Monsieur le ministre, votre budget augmente de 7,4 % et atteint 5 milliards d'euros, soit 1,8 % du budget de l'Etat. On relève avec satisfaction le quasi-doublement des autorisations de programme et la forte progression des crédits de paiement. Il est prévu de créer 2 042 emplois nets, le nombre total d'emplois budgétaires étant de 69 215 emplois - soit 3 % d'augmentation.
    Le Gouvernement donne ainsi à la justice les moyens matériels et financiers de fonctionner. Nous devons nous en réjouir. Mais s'il était indispensable de donner à la justice des moyens supplémentaires, cela ne suffira pas cependant à redonner à la justice confiance en elle-même, ni surtout aux Français confiance en leur justice. Or la justice est au coeur de l'Etat, le service public par excellence, destiné à tempérer les conflits privés et à défendre la société. Pour atteindre cet objectif primordial, une véritable politique de la justice doit être mise en oeuvre. Je souhaite, monsieur le garde des sceaux, que vous soyez le ministre qui accomplisse cette mission.
    Cette politique commande, selon moi, quelques actions prioritaires.
    En premier lieu, il est indispensable de préserver la qualité du recrutement des magistrats, et donc d'en recruter de nouveaux. On connaît les voies royales de l'ENM et de l'ENA. Il sera nécessaire d'ouvrir, dans les mois qui viennent, des voies de recrutement complémentaires. Il est impératif que ces recrutements soient d'une extrême qualité, afin qu'il n'y ait pas deux catégories de magistrats et une justice duale. Pour l'éviter, il convient que le recrutement complémentaire soit effectué à un niveau au moins équivalent, voire supérieur à celui requis pour les concours de l'ENM et de l'ENA, et que la formation dispensée aux intéressés soit solide.
    En deuxième lieu, il faut se pencher sur la complexité de la justice et, au premier chef, de la procédure, qu'elle soit civile, administrative et surtout pénale. Certes, il convient de se garder d'une simplification extrême qui pourrait rendre la justice expéditive. Toutefois, entre la situation d'aujourd'hui et une justice expéditive, il y a un juste milieu à retrouver. Tous les commissaires de police se plaignent des chausse-trapes des procédures qui paralysent et parfois annulent leurs efforts. Il est donc urgent d'agir et je souhaiterais que vous nous indiquiez ce que vous entendez faire pour améliorer la situation. A ce propos, monsieur le garde des sceaux, et ce n'est pas une boutade, méfiez-vous des conseils des avocats.
    M. Michel Hunault. Oh !
    M. Jacques Myard. Je sais qu'il y en a beaucoup dans cette assemblée...
    M. André Vallini. C'est scandaleux !
    M. Jacques Myard. Mais non... Lors de notre dernier débat, j'avais évoqué devant vous la nécessité de dépénaliser la République. Trop de sujets, trop de litiges et d'affaires sont aujourd'hui pénalisés. Le juge pénal doit exclusivement être le juge du droit pénal, de la faute intentionnelle. Il ne doit être ni l'assistante sociale de la société ni le juge des manquements administratifs - c'est précisément le rôle du juge administratif.
    Je souhaite maintenant évoquer ce que je considère, comme une grave dérive : la dérive médiatique de lajustice.
    Il n'est pas acceptable que des procureurs jouent les vedettes dans des émissions de télévision tonitruantes pour évoquer des affaires dont ils ont eu à connaître professionnellement. Il n'est pas acceptable que des juges du siège critiquent à l'envi, à la radio ou à la télévision, les projets du Gouvernement, quel qu'il soit. Il est urgent de réagir, monsieur le garde des sceaux. Nous vivons dans un monde hypermédiatisé. Personne ne croit un instant que la justice, les juges, les auxiliaires de justice peuvent ignorer un pouvoir aussi fascinant. Mais je suis persuadé que la justice risque de s'y brûler les ailes.
    Il faut avoir le courage de mettre un terme à cette dérive, même s'il n'est guère facile d'aller à contre-courant du flot des images et des propos simplificateurs qui font les délices des médias.
    Là encore, je souhaite, monsieur le garde des sceaux, que vous soyez l'homme qui mette un coup d'arrêt à cette dérive. La sérénité de la justice est à ce prix. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, rarement le débat sur la justice aura été aussi intense dans notre pays. Rarement aussi l'attente de nos concitoyens aura été aussi forte. Les dernières consultations électorales ont exprimé l'importance de ce débat et marqué ces attentes.
    Dès sa prise de fonctions, le Gouvernement a montré qu'il avait entendu ce message, en présentant au Parlement deux lois d'orientation et de programmation en matière de justice et de sécurité.
    S'agissant de la justice, les objectifs et les priorités ont été définis, pour la durée de la législature, par la loi du 9 septembre dernier. Les moyens budgétaires et humains correspondants ont été inscrits dans ce texte. Ces moyens témoignent d'une véritable mobilisation en faveur de la justice. Les chiffres ont été rappelés tout à l'heure par les rapporteurs. Aussi, je n'y reviendrai pas. Je voudrais seulement citer celui des créations d'emplois : 10 100 sur la période.
    Le budget 2003 de la justice, que j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui, traduit dans les faits ces orientations pour le premier exercice de la législature. Plusieurs orateurs l'ont rappelé, il est l'expression de la volonté du Gouvernement de tenir ses engagements. Je souhaite d'ailleurs rendre hommage à la qualité du travail effectué par les différents rapporteurs qui se sont exprimés tout à l'heure.
    Le projet de loi de finances pour 2003, par sa dimension et ses caractéristiques, illustre le fait que la justice est au coeur des priorités de l'action du Gouvernement.
    Ce budget prévoit un renforcement sans précédent des moyens de la Chancellerie au service d'objectifs clairement définis. Il progresse globalement de 7,43 % - progression jamais atteinte depuis une dizaine d'années. Ce chiffre s'impose à tout un chacun - à moins que M. Vallini n'ait pas à sa disposition les séries statistiques des budgets précédents.
    Cet effort porte à la fois sur le fonctionnement et sur l'investissement.
    Les dépenses de fonctionnement augmentent de 5,26 % et 2 026 emplois budgétaires seront créés, auxquels il convient d'ajouter 83 emplois dans les établissements publics, ainsi que 170 emplois financés sur des crédits de fonctionnement qui permettront de rémunérer les assistants de justice dans les juridictions administratives. J'ajoute que la CNIL bénéficiera de la création de deux postes.
    Ce budget marque également un effort très significatif de redressement de la situation en matière d'investissements. Il m'est apparu, en effet, dès mon arrivée place Vendôme, qu'un effort exceptionnel était nécessaire pour rattraper le retard pris non seulement dans le domaine pénitentiaire mais aussi dans celui de la rénovation et de la modernisation des palais de justice. A cet égard, j'ai obtenu, avec Pierre Bédier, pour 2003, un doublement des autorisations de programme - je dis bien un doublement, monsieur Vallini, et non pas une augmentation de 40 % - par rapport à 2002.
    M. Jean-Paul Anciaux. Très bien !
    M. le garde des sceaux. Cela veut dire que nous aurons la possibilité de lancer une masse considérable d'opérations - les autorisations de programme servent à cela - dès 2003, ce qui est extrêmement important pour réaliser, au cours des quatre ou cinq prochaines années, les investissements absolument indispensables, qu'il s'agisse du pénitentiaire ou des juridictions.
    M. André Vallini. On verra !
    M. le garde des sceaux. Dans quelques semaines, nous aurons l'occasion, avec Pierre Bédier, de présenter une première vague de projets d'investissements extrêmement importants.
    A ce propos, je tiens à souligner, monsieur le président Clément, l'attention très positive du responsable du ministère délégué au budget et à la réforme budgétaire tout au long des discussions que Pierre Bédier et moi-même avons eux à propos des besoins du ministère de la justice. Il faut dire que M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire a été longtemps rapporteur des crédits de la justice au Sénat, ce qui lui a donné une très bonne connaissance des problèmes de notre département ministériel. Je voulais le préciser pour tempérer certaines observations formulées à l'encontre de Bercy.
    M. Gérard Léonard. Certaines inquiétudes !
    M. le garde des sceaux. Il y a une unité gouvernementale et une bonne volonté partagée. Cela est important.
    M. Gérard Léonard. Nous voilà rassurés ! (Sourires.)
    M. le garde des sceaux. Dans la même logique, les crédits de paiement alloués au département ministériel dont nous avons la responsabilité avec Pierre Bédier, progresseront de 58,2 % l'année prochaine. Cela nous permettra de terminer un certain nombre d'opérations.
    Le budget qui vous est présenté me semble donc répondre aux attentes des Français et de votre assemblée, telles que les a exprimées le président Clément.
    L'orateur du groupe communiste a rappelé l'expression que j'ai utilisée devant la commission des lois : « Un budget qui augmente n'est pas nécessairement un bon budget. » Je revendique cette affirmation, car il est en effet indispensable que, au-delà de son augmentation globale, ce budget soit clairement articulé autour de priorités sur lesquelles votre assemblée s'est prononcée lors du débat d'orientation de cet été et qu'il permette effectivement la mise en oeuvre des principes sur lesquels vous vous êtes prononcés.
    Quatre priorités majeures ont été fixées par la loi d'orientation et de programmation. Elles pourront être mises en oeuvre grâce au budget pour 2003.
    La première est l'amélioration de l'efficacité de la justice au service de nos concitoyens, ce qui implique, M. Hunault l'a souligné à juste titre, une plus grande rapidité dans le traitement des dossiers, ainsi qu'une gestion plus simple et plus proche des citoyens. Nos concitoyens ont besoin de lisibilité ; ils ont besoin de comprendre et de pouvoir apprécier le fonctionnement de la justice.
    La deuxième priorité est l'accroissement de l'efficacité de la réponse pénale. Nous en avons beaucoup parlé et nous l'avons beaucoup entendu réclamée par nos concitoyens. Il s'agit d'adapter le droit à l'évolution des formes de la délinquance. A cet égard, nous devons nous mobiliser pour mieux exécuter les décisions de justice. En effet, le taux d'exécution de peines, rappelé par plusieurs orateurs, est inacceptable. Cela tient essentiellement à deux difficultés que nous rencontrons dans le processus pénal : en amont, il faut donner à notre système judiciaire la capacité de traiter la totalité des cas qui lui sont soumis, et, en aval, nous devons faire en sorte que les peines prononcées par les tribunaux soient effectivement exécutées, car quelle serait l'utilité du travail des juges si leurs décisions n'étaient pas appliquées dans de meilleuresconditions ?
    La réussite en la matière dépend non seulement de l'augmentation des moyens - nous en parlons aujourd'hui - mais aussi, j'en suis convaincu - tel est d'ailleurs le point de vue de l'inspection générale, qui m'a remis un rapport très documenté, très intéressant sur le sujet - d'une simplification du processus d'exécution des peines. Ainsi que j'ai eu l'occasion de le préciser devant la commission des lois, en effet, la complexité du processus de décision dans l'exécution est telle qu'il serait miraculeux que l'exécution effective des peines soit meilleure. Nous avons donc déjà commencé à travailler sur ce sujet et je serai sans doute amené à proposer des dispositions législatives ou réglementaires pour raccourcir le délai entre la décision de justice et son exécution.
    La troisième priorité est de prévenir et de traiter plus efficacement la délinquance des mineurs, en associant plus étroitement éducation, sanction et réinsertion.
    Enfin, nous devons améliorer l'accès des citoyens à la justice et accroître les droits des victimes.
    Comme cela a été souligné par plusieurs orateurs, ce budget correspond à la première tranche annuelle de mise en oeuvre de la loi de programmation. Il correspond même très exactement à un cinquième des moyens supplémentaires prévus par cette dernière.
    La première action que nous devons mener est de permettre aux services judiciaires de remplir pleinement leur mission. Ils doivent en effet faire face à un accroissement des charges et des responsabilités qui leur incombent. A cet égard j'ai été étonné qu'un certain orateur s'interroge sur le risque que nous prendrions en voulant mieux lutter contre l'insécurité dans la mesure où cela provoquerait un accroissement des charges dans le processus judiciaire.
    M. Gérard Léonard. Incroyable !
    M. le garde des sceaux. Pourtant, qu'attendent nos concitoyens de l'Etat, qu'attendent-ils de la République sinon qu'ils assurent la sécurité et l'équité ?
    M. André Vallini. Je n'ai pas dit cela ! Vous transformez mes propos !
    M. Gérard Léonard. Si ! Et pire encore.
    M. le garde des sceaux. Monsieur Vallini, le relevé de nos débats permettra à chacun de vérifier !
    M. André Vallini. Tout à fait ! On vérifiera !
    M. le garde des sceaux. Nous devons impérativement renforcer les moyens de lutte contre l'insécurité, action qui, sous l'autorité de mon collègue ministre de l'intérieur, est menée dans d'excellentes conditions. Toutefois, il faut également que, en aval, nous fassions en sorte que la justice soit en mesure de traiter les cas qui lui seront soumis par les forces de police et de gendarmerie.
    Notre deuxième objectif est de développer la justice de proximité. Comme vous le savez, la création et les compétences des juges de proximité ont été prévues par la loi d'orientation et nous aurons l'occasion, au cours du mois de décembre, de reprendre ici le texte du projet de loi organique qu'a examiné en première lecture le Sénat il y a quelques semaines. A ce propos, je souhaite que chacun fasse preuve d'un peu de sérieux et de sénérité.
    Je pense sincèrement que les garanties prévues pour le recrutement et l'exercice de ces fonctions sont de nature à apaiser les craintes exprimées, en particulier en raison du rôle confié au Conseil supérieur de la magistrature. Je rappelle en effet à M. Vallini qu'il appartiendra à cette instance de nommer ces juges, alors qu'il a parlé de « cooptation », de « notables ». Monsieur Vallini, ces propos constituent une grave mise en cause du Conseil supérieur de la magistrature.
    M. Guy Teissier. Absolument !
    M. Jacques Myard. Il devrait retourner suivre des cours de capacité en droit !
    M. André Vallini. Je vais comparaître !
    M. le garde des sceaux. En tout état de cause, lacréation de cette justice de proximité est indispensable. Elle est d'ailleurs très attendue par nos concitoyens...
    M. Jacques Myard. Attendue et souhaitée !
    M. le garde des sceaux. ... qui s'expriment, chaque fois qu'ils en ont l'occasion, en faveur d'une justice facilement accessible et capable de traiter des petits litiges et des petits délits. Cela permettra de soulager notre système judiciaire traditionnel et de traiter enfin, dans de meilleures conditions, cette petite délinquance dont nos concitoyens nous parlent si souvent.
    Par ailleurs, je veux également souligner que le projet de budget pour 2003 nous donnera la possibilité d'augmenter de 20 %, l'an prochain, le nombre des juges pour enfants afin d'appuyer l'effort éducatif que nous développons en direction des mineurs, et de mieux traiter une délinquance qui n'a cessé de progresser ces dernières années. Cette action, absolument indispensable, sera l'un des éléments clés du dispositif qui vous est proposé.
    Globalement, ce budget prévoit la création de 700 emplois, puisque aux 180 emplois de magistrat s'ajouteront 520 emplois de greffier et de fonctionnaire. Ces créations permettront de recentrer davantage les magistrats sur leurs missions essentielles et de les faire bénéficier du soutien de greffiers-rédacteurs qui les assisteront directement.
    Le choix d'assurer, à moyen et à long terme, l'équilibre entre magistrats et fonctionnaires collaborateurs me paraît pertinent.
    Au-delà des créations budgétaires, il faut veiller au rythme des entrées effectives dans les juridictions, compte tenu du calendrier des recrutements et de la durée des formations. Il s'agit d'une préoccupation majeure pour laquelle j'ai donné des instructions précises à mes services. Je suis ainsi en mesure de vous indiquer que les juridictions bénéficieront, dès 2003, de l'arrivée de 290 magistrats et de 800 fonctionnaires des greffes. Cet effort me semble extrêmement significatif.
    Par ailleurs, 3 millions d'euros seront consacrés aux premiers recrutements, à l'installation et à la formation des juges de proximité au cours de l'année prochaine.
    Ce budget permettra encore d'améliorer sensiblement la situation de l'ensemble des magistrats et des fonctionnaires des greffes. Ainsi, avant la fin de l'année 2003, les primes des magistrats judiciaires passeront de 37 % à 41 %, ce qui permettra de réduire l'écart, qui ne se justifie pas, aujourd'hui constaté avec les juges administratifs.
    Pour les greffiers et les greffiers en chef, des réformes statutaires importantes seront mises en oeuvre au cours de l'année 2003. J'ajoute que les fonctionnaires de catégorie C verront leurs primes revalorisées.
    Enfin, les efforts en termes d'effectifs que je viens d'évoquer nécessitent à l'évidence le renforcement des moyens de l'Ecole nationale de la magistrature et de l'Ecole nationale des greffes, dont les capacités doivent augmenter en conséquence, comme l'a justement souligné M. Garraud dans son rapport.
    Ce dernier ayant également évoqué la question des concours des magistrats et la situation de l'Ecole nationale des greffes, je lui indique que le concours étudiant restera la voie majoritaire de recrutement des magistrats. Toutefois, je partage avec lui le sentiment qu'une certaine diversification du recrutement est à la fois nécessaire et utile si nous voulons bénéficier d'une diversité dans le recrutement de la magistrature, mais aussi pour augmenter sensiblement le nombre des magistrats au cours des prochaines années, car cela est une nécessité.
    Par ailleurs, monsieur le rapporteur, nous avons déjà eu l'occasion, de parler de l'Ecole nationale des greffes. Votre souhait que l'on réfléchisse à sa transformation en établissement public est intéressant.
    Comme je vous l'ai indiqué, c'est un sujet sur lequel mes collaborateurs et moi-même travaillerons au cours des prochaines semaines, mais je ne peux pas vous indiquer dès aujourd'hui quelle sera la conclusion à laquelle nous parviendrons.
    L'administration pénitentiaire, quant à elle, est confrontée à des défis considérables et la première priorité est d'augmenter rapidement sa capacité d'accueil. En effet, le nombre de places dans les établissements pénitentaires est de 48 000, alors que le nombre des détenus oscille entre 53 000 et 56 000. Ces chiffres ne sont pas très différents de ceux que nous connaissions - il y a une dizaine d'années, mais les variations peuvent être sensibles sur le court terme. Ainsi, la progression a été très forte entre la fin de l'année 2001 et le début de l'été 2002, avant qu'intervienne une certaine diminution au cours de l'été. Actuellement, nous assistons à un nouvel accroissement.
    L'administration pénitentiaire doit pouvoir accueillir la totalité des personnes condamnées à des peines d'emprisonnement dans des conditions dignes, comme cela a été rappelé, en particulier par M. Albertini. C'est un enjeu majeur pour la justice et pour la République. Je rappelle que le Gouvernement a décidé de créer 11 000 places dont 4 000 de remplacement.
    M. Hunault a eu raison d'évoquer la question des suicdes. A ce propos, j'ai demandé aux services de mon ministère de me présenter rapidement des propositions pour remédier à une situation que je n'accepte pas, que nous ne pouvons pas accepter. Le suicide n'est certes pas un phénomène propre à la prison, mais le nombre de suicides en prison a augmenté depuis quelques mois. Nous devons analyser cas par cas les situations pour tirer le plus vite possible les conclusions qui s'imposent.
    La réalisation d'établissement dédiés aux mineurs a été évoquée par plusieurs orateurs, dont Mme Pecresse. Il est en effet indéniable que nous devons mettre en place un réseau d'établissements spécialisés qui permettent de séparer totalement les mineurs des adultes. Il faudra surtout, organiser différemment ces établissements afin qu'ils puissent assurer l'éducation et la formation professionnelle des jeunes alors que tel n'est pas le cas actuellement.
    Pierre Bédier a plus spécialement la charge de cet important dossier, mais je veille avec lui à la finalisation de ce programme sur lequel portera la plus grande part de l'effort d'investissement.
    Dans ce cadre, le ministère souhaite utiliser les nouvelles dispositions législatives destinées à faciliter une plus grande implication des partenaires privés qui ont été adoptées cet été dans les deux lois de programmation. Il s'agit de recourir, éventuellement, à des locations avec option d'achat pour des équipements réalisés par le secteur privé, et aussi d'utiliser le dispositif de 1987 rénové, afin d'intégrer dans des marchés d'ensemble une partie de la gestion des établissements, à l'exception, bien évidemment des missions qui, constitutionnellement, doivent être exercées par l'autorité publique, telles que la direction des établissements, les greffes et la surveillance.
    L'évolution des effectifs de l'administration pénitentiaire doit naturellement être mise en cohérence avec les efforts d'investissement que je viens d'évoquer. Nous devons notamment anticiper les besoins de recrutement, afin de tenir compte des délais de formation. Je ne vous cache pas que la barre a été placée assez haut. Nous devrons en effet recruter 10 000 personnes au cours des cinq prochaines années. Cet impératif nous a amenés, comme l'a rappelé Mme Pecresse, à lancer une grande campagne d'information pour faciliter ces recrutements. Cela était d'autant plus nécessaire que d'autres administrations vont offrir de nombreux emplois dans les prochaines années. Il y aura donc une certaine concurrence entre différentes administrations qui chercheront à recruter dans les mêmes tranches d'âge.
    Je souhaite également renforcer le niveau de sécurité dans les établissements pénitentiaires. Sur ce point, je rejoins entièrement les observations de Mme Pecresse. Plusieurs mesures sont donc prévues dans cette direction : tunnels à rayon X, brouillage des téléphones portables, développement de filins anti-hélicoptères, utilisation de la reconnaissance biométrique devront notamment être développés.
    Certes, la réponse pénale, chacun en convient, ne peut se traduire par une politique exclusivement carcérale. Le développement des sanctions alternatives, comme le bracelet électronique - nous en avons parlé en examinant le projet de loi d'orientation cet été - l'emprisonnement de nuit ou le week-end constitue un moyen de remplacer l'enfermement pur et simple.
    Pour la mise en oeuvre de ces politiques, 870 emplois seront créés en 2003, dont 613 pour le personnel de surveillance. Ces derniers emplois permettront de prendre en compte la sortie des établissements du « programme 4000 », prévus pour les années 2003 et 2004, ainsi que les nouveaux quartiers pour les mineurs, dont je viens de parler.
    Les autres créations d'emplois permettront de poursuivre le nécessaire renforcement des services d'insertion et de probation signalés par Mme Pecresse, qui bénéficieront de 200 emplois supplémentaires, ainsi que la poursuite de la réforme de la politique sanitaire en milieu pénitentiaire. Il s'agit d'un sujet extrêmement important, car nous avons un problème tout particulier au regard de l'état sanitaire des prisonniers qui nous sont confiés par les magistrats.
    Je pose également la question des détenus en fin de vie qu'a évoquée M. Hunault. J'examine d'ailleurs les raisons pour lesquelles, en dehors de quelques cas qui ont fait parler d'eux, récemment, les textes récents régissant les libérations pour ces cas précis ne sont pas davantage utilisés. Leur application est même rarement sollicitée, sans que l'on sache vraiment pourquoi.
    Peut-être conviendrait-il que l'administration pénitentiaire prenne elle-même l'initiative en la matière, alors que les textes en vigueur nécessitent une demande de l'intéressé, de son avocat ou de sa famille. Je suis d'accord avec vous, monsieur le député, pour avancer sur ce sujet car le maintien en détention de personnes en fin de vie ne se justifie généralement pas.
    Il m'est apparu enfin nécessaire de veiller à l'attractivité des fonctions pénitentiaires, comme je l'ai dit tout à l'heure. C'est la raison pour laquelle nous avons lancé cette grande campagne, qui nous permettra, je l'espère, de recruter autant que nécessaire pour occuper les postes budgétaires dont la création a été décidée.
    Je souhaite enfin une mobilisation des services de la protection judiciaire de la jeunesse, qui doit impérativement trouver des remèdes plus efficaces à l'augmentation préoccupante de la délinquance des mineurs.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Ça doit changer !
    M. le garde des sceaux. A cette fin, la loi d'orientation prévoit d'élargir la palette des réponses, pour assurer la prise en charge des mineurs délinquants les plus difficiles, notamment par la création de centres fermés, sur lesquels votre assemblée s'est penchée, et par l'intervention des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse dans les quartiers mineurs, ce qui n'était pas le cas jusqu'ici. Il est, en effet, indispensable de mettre à profit le temps de l'incarcération, quand celle-ci ne peut être évitée, pour construire avec le mineur un projet éducatif qui se poursuivra après sa sortie de prison.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Très bien !
    M. le garde des sceaux. Le développement de la prévention de la récidive, qui est également une priorité de la loi de programme, passe par l'amélioration de la prise en charge en milieu ouvert ainsi que par la réduction des délais de prise en charge des mesures.
    M. Yves Bur. C'est indispensable !
    M. le garde des sceaux. C'est donc bien, comme vous l'avez souhaité, madame Pecresse ou monsieur Leonetti, une politique équilibrée que le Gouvernement souhaite construire.
    Pour atteindre ces objectifs, 314 emplois sur les 1 250 prévus sur la durée de la loi de programmation seront créés dès 2003, dont 188 dans la filière éducative. Il s'agit d'une première étape vers l'objectif d'augmentation de 25 % des effectifs d'éducateurs par la loi d'orientation et de programmation.
    Alors, que l'on cesse de nous dire que nous faisons du « tout-répressif » !
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Eh oui !
    M. le garde des sceaux. Une augmentation d'un quart du nombre d'éducateurs, cela me paraît une réponse claire.
    M. Jean-Paul Anciaux. Ils caricaturent tout !
    M. le garde des sceaux. La santé des mineurs et leur accompagnement psychologique, notamment lorsqu'ils font l'objet d'une mesure de placement, font l'objet aussi d'une attention particulière, avec la création de vingt-quatre emplois d'infirmiers et de psychologues.
    L'efficacité de la protection judiciaire de la jeunesse passe également par le renforcement de sa capacité de gestion, qui n'a pas suivi le rythme de développement très rapide de ce secteur. Comme le relève le rapport de Mme Pecresse, des progrès doivent être réalisés en matière de gestion de ressources humaines et de déconcentration.
    S'agissant de la décentralisation, dont a parlé, à juste titre, M. Leonetti, je considère, pour ma part, qu'il nous faut effectivement réfléchir à la façon dont sont articulés aujourd'hui, dans les différents départements, le rôle de la PJJ et le rôle des services dépendant des conseils généraux.
    M. Jean-Paul Anciaux. Très bien !
    M. le garde des sceaux. Il convient - c'est là un travail de précision - de rechercher les bonnes pratiques. En effet, si les choses fonctionnent très bien dans certains départements, d'autres connaissent davantage de difficultés. Nous devons, en partenariat avec les départements, faire cette analyse et éventuellement effectuer quelques expérimentations, pour voir quelles seraient les meilleures conditions de réussite, au bénéfice des mineurs,...
    M. Jean-Paul Anciaux. Tout à fait !
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis. Très bien !
    M. le garde des sceaux. ... car c'est bien de cela qu'il s'agit, pas d'autre chose !
    La création de soixante-quatre emplois dans la filière administrative de la PJJ permettra de renforcer en particulier la capacité de gestion et de contrôle des services déconcentrés.
    L'augmentation des crédits de fonctionnement, qui s'élève à 7,38 millions d'euros, permettra d'accompagner cette politique en s'appuyant sur les capacités du secteur public et sur celles du secteur habilité justice.
    Les crédits d'investissement, avec 26 millions d'euros en autorisations de programme, connaissent une progression très importante là aussi. Ces moyens supplémentaires seront consacrés à la mise en oeuvre du programme des centres fermés et à la rénovation d'un patrimoine immobilier qui ne répond plus aux conditions actuelles de prise en charge des mineurs.
    Par ailleurs, le budget prévoit des mesures statutaires et indemnitaires pour les personnels qui exercent les fonctions les plus exposées.
    Monsieur Vallini, il ne sert à rien de caricaturer ce que nous faisons. Les centres éducatifs fermés n'ont pas vocation à se substituer à ce qui existe mais à s'y ajouter. Je l'ai dit des dizaines de fois et je le répète encore aujourd'hui.
    M. Jean-Paul Anciaux. Pas la peine, il n'écoute pas !
    M. le garde des sceaux. Quant aux réticences entre autres de certains éducateurs, j'ai envie de vous rappeler, ce que vous savez très bien d'ailleurs, c'est qu'ils éprouvaient les mêmes, il y a quelques années, pour les CER. Ils se font aujourd'hui les défenseurs de ce dont ils ne voulaient pas il y a quelques années !
    Par ailleurs, monsieur le député, je vous le dis avec beaucoup de sérénité, je n'accepte pas les mots de « justice d'abattage » que vous avez utilisés.
    M. Jacques Myard. C'est scandaleux !
    M. Jean Leonetti. Inadmissible !
    M. Gérard Léonard. C'est inacceptable !
    M. André Vallini. C'est ce qui se passe ! Les magistrats le dénoncent eux-mêmes !
    Mme Marylise Lebranchu. Ils l'ont dit dans leurs discours !
    M. le garde des sceaux. Je ne l'accepte ni pour moi-même ni pour les magistrats.
    J'en viens au Conseil d'Etat et aux juridictions administratives, qui connaîtront une augmentation considérable de leurs moyens humains et financiers. Le maximum de notre effort sera fait en direction des cours administratives d'appel, car - M. Albertini l'a expliqué à juste raison - nous devons résoudre le plus rapidement possible les difficultés que rencontrent ces juridictions afin de conforter leur crédibilité.
    S'agissant de l'aide aux victimes, dès mon arrivée, j'ai souhaité et conformément aux orientations fixées par le Président de la République, faire en sorte qu'elles soient vraiment replacées au centre du processus judiciaire.
    M. Richard Mallié. Très bien !
    M. le garde des sceaux. Tout récemment, le procès des attentats terroristes de 1995 a illustré la gravité de la problématique, et a montré la nécessité d'accompagner la victime dès le début du processus, dès que les constations en termes de délit ou de crime ont pu être faites.
    Pour cette raison, j'ai présenté au conseil des ministres, le 18 septembre dernier, un plan d'action sur cinq ans. Les ressources nécessaires ont été programmées par la loi du 9 septembre. Les moyens qu'il vous est proposé d'adopter dans le budget 2003 permettront d'engager des mesures déjà significatives : la victime sera informée de la possibilité de demander la désignation d'un avocat dès le dépôt de la plainte ; l'aide juridictionnelle sera octroyée sans conditions de ressources - j'ai cru comprendre que M. Vallini le regrettait ! - pour les victimes des crimes les plus graves, ce qui me paraît une nécessité absolue.
    M. Jean Leonetti. Une évidence même !
    M. le garde des sceaux. Le renforcement des réseaux associatifs fera l'objet de moyens supplémentaires. A quoi s'ajoutent l'extension du numéro national d'appel et l'amélioration de l'aide juridictionnelle, notamment par la hausse des correctifs familiaux.
    Au-delà de ces dispositions immédiates, il faut poursuivre la réflexion sur la meilleure prise en compte de la situation et des attentes des victimes. J'ai engagé un dialogue extrêmement approfondi avec chacune des grandes associations de victimes. Nous les rencontrerons, avec mes collaborateurs, au cours d'une journée de travail et nous pourrons ainsi, avec elles, décliner, d'une manière plus concrète, le plan d'action que je viens d'évoquer.
    Au-delà du renforcement des moyens d'action de mon département ministériel, je voudrais faire deux observations.
    La première, c'est qu'il n'est pas suffisant d'obtenir des moyens, il faut aussi veiller à leur mobilisation effective.
    J'ai pleinement conscience, sachez-le, mesdames et messieurs les députés, de l'importance des moyens qui ont été alloués à la justice : leur bonne utilisation et leur traduction rapide en résultats constituent une priorité absolue. J'en prends l'engagement devant vous.
    Il faut d'abord améliorer l'exécution du budget. Vos commissions ont mis en évidence la sous-consommation de plusieurs lignes budgétaires. M. Albertini et Mme Pecresse l'ont, à juste titre, rappelé.
    Je constate que la situation s'améliore, pour les crédits d'investissement. En 2002, d'après les prévisions dont je dispose, les reports seraient en diminution de plus de 70 % par rapport à l'année dernière, ce qui démontre que les mécanismes mis en place ont été efficaces.
    Il n'en reste pas moins que cet effort doit être poursuivi et accentué.
    Pour cette raison, je souhaite engager une politique ambitieuse de réforme de mon administration, en m'appuyant sur les travaux en cours, notamment pour la mise en oeuvre de la loi organique sur les lois de finances.
    Il m'est apparu nécessaire de renforcer l'administration centrale du ministère. A ses effectifs seront ajoutés quarante postes budgétaires supplémentaires. Cet effort portera en priorité, en 2003, sur la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, dont la capacité de gestion, je l'ai déjà dit, doit être renforcée de manière urgente.
    M. Claude Birraux. Tout à fait !
    M. le garde des sceaux. Cette action de modernisation doit aboutir à une amélioration des conditions de déconcentration des responsabilités, de gestion et d'exécution budgétaire. Mais, comme vous le savez, pour déconcentrer, il faut être capable de fixer des objectifs et d'évaluer les résultats, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il faut donc renforcer les équipes de la Chancellerie.
    Une meilleure organisation du travail des juridictions et des services extérieurs de la Chancellerie passe, en effet, par le suivi plus étroit de l'adéquation des moyens aux objectifs. Dans cette perspective, le recours à des contrats d'objectifs passés avec les autorités gestionnaires sera développé.
    Je compte aussi utiliser la possibilité qui sera ouverte par le projet de loi constitutionnel consistant à expérimenter des réformes portant notamment sur les structures des services relevant de la Chancellerie.
    Monsieur Vallini, pourquoi faire semblant de ne pas comprendre ? Je n'ai jamais envisagé une quelconque décentralisation - au sens juridique du terme - de la justice ou un quelconque localisme judiciaire. Il ne s'agit pas de cela ! En tant que ministre de la justice et en tant qu'ancien ministre de la réforme de l'Etat, j'ai une claire conscience de la nécessité, pour réformer l'Etat, d'utiliser aussi le principe d'expérimentation. Cela n'a rien à voir avec la décentralisation en direction de telle ou telle collectivité territoriale. Il s'agit pour l'Etat de recourir à des expérimentations, territorialement définies pour tester une organisation différente, un mode de fonctionnement nouveau, puis en tirer les conclusions et, enfin, pour les généraliser. C'est de cela dont j'ai parlé à plusieurs reprises.
    M. André Vallini. Dont acte !
    M. le garde des sceaux. Merci de m'en donner acte !
    Nous savons bien, les uns et les autres, que nous ne pouvons pas réformer des structures aussi complexes que l'organisation judiciaire si nous ne mettons pas en capacité de tester, avant de les généraliser, des dispositifsdifférents.
    M. Michel Hunault. Très bien !
    M. Claude Birraux. Tout à fait !
    M. le garde des sceaux. C'est une démarche raisonnable. Ce n'est qu'ainsi, au XXIe siècle, que l'on peut réformer les grandes organisations. On ne peut pas le faire d'un trait de plume, a priori, à partir d'un pur raisonnement intellectuel.
    M. Jean Leonetti. Très bien !
    M. le garde des sceaux. Sur la question des contrats d'objectifs, j'ai récemment réuni les chefs de cour pour appeler leur attention sur cette priorité. Par ailleurs, je compte engager, dès le mois de décembre, une démarche de fond de l'ensemble des responsables territoriaux de la Chancellerie, afin de les mobiliser sur ce thème. Je leur ai indiqué que nous étions collectivement comptables devant le Parlement des crédits supplémentaires qui nous seraient accordés, et que nous devions faire, dans la durée, la démonstration de l'efficacité de ces moyens supplémentaires.
    Cette culture de l'objectif, cette exigence de résultat doivent se diffuser au sein de la justice, afin qu'elle puisse mieux assumer ses missions au service du peuple français. En effet, nous ne devons jamais oublier que c'est en son nom qu'elle rend ses décisions.
    Je partage le souci de M. Albertini de renforcer l'Inspection générale des services judiciaires. On ne peut pas tout faire la même année, mais je suis convaincu de l'intérêt de cette proposition. Du reste, il sera intéressant d'examiner aussi dans quelles conditions l'Inspection générale pourrait s'ouvrir sur d'autres corps et d'autres types de formation, ce qui permettrait de nourrir sa capacité d'analyse et lui fournirait des concours complémentaires de ceux dont elle dispose aujourd'hui. J'aurai sûrement l'occasion de vous en reparler.
    J'en viens à la seconde observation qui me tient à coeur : l'efficacité de la justice passe aussi, et peut-être avant tout, par l'amélioration du droit. Je souhaiterais rappeler ici les grandes orientations que je soumettrai dans les mois prochains à votre assemblée.
    Tout d'abord, dans le domaine du droit des personnes, il convient d'améliorer le régime de protection des majeurs incapables, de réformer le droit de la filiation, du divorce, des successions et des libéralités, afin de trouver des solutions mieux adaptées aux aspirations des personnes concernées sans surcharger les juridictions.
    Je voudrais rassurer encore une fois M. Vallini : je travaille en parfaite intelligence avec M. Christian Jacob. Nous avons convenu que, compte tenu de son rôle au sein du Gouvernement, il se devait de développer la concertation avec le milieu familial pour qu'ensuite, la Chancellerie, en liaison avec lui, puisse rédiger les modifications législatives indispensables. Il est normal que les ministres s'apportent des concours réciproques. Contrairement à ce qui a pu se produire à une époque récente, les textes qui concerneront la famille seront rédigés à la chancellerie.
    Je crois reconnaître sur ces bancs quelqu'un qui n'était pas garde des sceaux et qui avait pourtant pris la responsabilité de mofidier le droit de la famille.
    Mme Ségolène Royal. Les familles n'ont pas eu à s'en plaindre !
    M. le garde des sceaux. Ce n'est pas ce qu'elles disent !
    M. Jean Leonetti. Et les élections l'ont prouvé !
    Mme Ségolène Royal. Les textes ont été adoptés à l'unanimité !
    M. le garde des sceaux. C'est à M. Vallini qu'il faut dire cela, madame, pas à moi !
    M. Jacques Myard. Il y a de la friture entre lescourants !
    M. le garde des sceaux. Je considère aussi qu'il est indispendable de poursuivre la modernisation de la procédure civile. La procédure doit permettre une meilleure maîtrise des délais. Les incidents de procédure doivent être traités le plus en amont possible, afin que le juge puisse, le moment venu, trancher les questions de fond.
    Enfin, il faudra mettre en oeuvre rapidement la réforme de la protection des données personnelles car les technologies nouvelles et Internet ont profondément modifié l'utilisation des fichiers informatiques. Le projet de loi modifiant la loi informatique et libertés, que votre assemblée a examiné en janvier dernier, reviendra au Sénat au début de l'année prochaine.
    Le droit des sociétés - le président Clément n'est pas là mais je sais qu'il est très attentif à son évolution - doit être, c'est vrai, profondément rénové. Je ne doute pas de la détermination à cet égard de votre commission des lois, qui a constitué une mission parlementaire - ce dont je me réjouis - et avec laquelle nous pourrons travailler efficacement pour ouvrir cet important dossier.
    Il en est de même des procédures collectives. Dans l'immédiat, vous aurez à examiner d'ici à la fin de l'année le projet de loi sur la sécurité financière, qui apportera des précisions très attendues sur le gouvernement d'entreprise et le contrôle légal des comptes.
    Enfin, la réforme des administrateurs judiciaires et mandataires de justice devra être examinée par la commission mixte paritaire en décembre.
    Ce programme ambitieux devra être bien sûr échelonné dans le temps. Il n'est que plus important de démarrer dès à présent le travail préparatoire à ces réformes, dans la concertation et le dialogue auxquels je suis très attaché. Vous savez combien l'attente de la société est considérable dans tous ces domaines.
    S'agissant du droit pénal et de la procédure pénale, je vais vous rappeler les principales orientations que je souhaite vous soumettre. Il s'agira tout d'abord, de modifier la procédure pénale pour remédier, dans le respect des principes de notre droit, aux disparités qui entravent ou rallongent les procédures et de faciliter le recours aux méthodes d'investigation les plus modernes ; ensuite, d'améliorer la coopération pénale internationale - l'actualité récente démontre amplement la nécessité de cette politique, en particulier au sein de l'Union européenne ; enfin, il s'agit de réprimer plus fermement les formes les plus nouvelles et les plus insidieuses de la délinquance. Je pense à la criminalité organisée, à la traite des êtres humains, aux actes racistes, autant de manifestations particulièrement préoccupantes des nouvelles violentes qui menacent notre pacte social. Je pense aussi à la lutte contre la violence routière, qui est une grande cause nationale.
    S'agissant de la lutte contre la criminalité organisée, je crois que nous devons faire un effort, et ce sera le sens du texte que je vous proposerai, sans doute au printemps prochain, pour redonner à notre institution judiciaire la capacité de lutter efficacement contre des formes de délinquance qui, ayant pris une dimension internationale, utilisant les technologies les plus modernes, sont devenues d'une redoutable efficacité. Il faut que la justice, comme la police, adapte son organisation et ses façons de faire pour combattre avec efficacité ces nouveaux modes de délinquance qui sont extraordinairement dangereux.
    Ce travail a été engagé dès le vote de la loi de programme et je souhaite rapidement vous proposer ce dispositif législatif.
    Enfin, et partageant sur ce point l'opinion du président Clément, je ne peux pas accepter que l'inexécution des peines soit aussi élevée, j'en ai parlé tout à l'heure. Il nous faut dans les prochains mois, grâce au renforcement des moyens et à l'accélération et la simplification des procédures, réussir à améliorer la situation.
    Telles sont, mesdames et messieurs les députés, les principales orientations de ce budget et de la politique que je conduis avec Pierre Bédier au nom du Gouvernement. Elles témoignent, j'en suis profondément convaincu, de notre ambition pour la justice, de notre souci de mener une politique ferme et humaniste, respectueuse du droit et de nos valeurs. C'est l'autorité de l'Etat, c'est aussi le respect de la République qui sont en jeu. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Nous en arrivons aux questions.
    Nous commençons par le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    La parole est à M. Patrick Braouezec.
    M. Patrick Braouezec. Monsieur le ministre, comme l'a noté mon collègue Michel Vaxès, il serait difficile de bouder l'augmentation de votre budget de 7,4 %. Nous avons trop souvent, sur ces mêmes bancs, quels que soient d'ailleurs les gouvernements, argumenté afin qu'il en soit ainsi pour faire aujourd'hui la fine bouche. Mais, à y regarder de plus près, on s'aperçoit qu'au-delà des chiffres, il y a une profonde disparité dans la répartition des moyens de ce budget pour les diverses missions concernées par votre ministère.
    Les moyens consacrés à la protection judiciaire de la jeunesse, notamment, sont bien en dessous des besoins et votre réponse à l'instant ne m'a ni convaincu ni rassuré.
    Mme Lazerges et M. Balduyck, dans un rapport dont personne n'avait contesté le bien-fondé, avaient fait un état relativement préoccupant de ce pan primordial de l'action de votre ministère. Leurs préconisations avaient d'ailleurs été reprises par l'ancien gouvernement, dans un plan pluriannuel visant à rattraper les retards cumulés en dotant notre pays de 500 éducateurs par an, sur six années.
    Votre budget s'en éloigne très fortement, puisqu'on ne prévoit plus que 188 postes d'éducateurs, ce qui sera insuffisant, compte tenu de l'objectif qu'on pourrait se fixer, objectif indispensable si l'on ne veut pas se cantonner à la prison et à l'enfermement, sans mesures éducatives, comme seules réponses aux problèmes rencontrées par une partie de la jeunesse de notre pays.
    Ne croyez-vous pas qu'il faille, il est encore temps, infléchir votre budget en direction de ces moyens préventifs sans lesquels on ferait, qu'on le dise ou non, une croix sur ces mêmes jeunes ?
    M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
    M. le garde des sceaux. Monsieur le député, je vous rappelle d'abord que le nombre d'éducateurs de la PJJ augmentera d'un quart sur cinq ans. C'est important, il faut agir dans la durée pour être efficace. Par ailleurs, vous le savez sans doute puisque vous êtes, je crois, élu local, il n'est pas si facile de recruter des personnes susceptibles d'assurer ce type de fonctions.
    On peut donc se faire plaisir en évoquant un plus grand nombre de postes, à condition bien sûr de les financer, mais ce qui est encore plus important, c'est de faire en sorte que les recrutements soient assurés dans la durée, et dans des structures auxquelles on aura pris soin d'assurer une meilleure efficacité.
    Comme je l'ai dit tout à l'heure, il est nécessaire d'améliorer la gestion globale de la protection judiciaire de la jeunesse, qui est mal assurée, avec une administration centrale insuffisante, des services déconcentrés qui n'assument pas suffisamment de responsabilités de gestion, et des relations à la fois avec les milieux associatifs et avec les magistrats qui se dégradent. Il faut avoir le courage de dire les choses. Les magistrats, même s'ils le font dans la discrétion, se plaignent de plus en plus de la mauvaise qualité de certaines réponses, ou de l'absence de réponse de nos services judiciaires de la jeunesse. Il est donc absolument nécessaire d'améliorer les choses. Les constats effectués par différentes structures d'évaluation ne sont pas bons. Il faut cesser de se raconter des histoires et faire un gros travail pour réorganiser, redéfinir les objectifs et les responsabilités au niveau local, améliorer les relations tant avec les magistrats qu'avec les services des départements. C'est à ces conditions que l'on pourra améliorer les choses et augmenter les moyens de façon efficace. Il ne servirait à rien d'augmenter davantage les effectifs, à supposer d'ailleurs qu'on trouve les gens à travers les structures de formation, si c'était à structures inchangées.
    M. Pierre Cardo. C'est la qualité qui compte.
    M. le garde des sceaux. Aujourd'hui, le dispositif n'est pas satisfaisant. Il faut l'améliorer, chacun en est convaincu. C'est l'une des priorités absolues de mon ministère, parce que c'est très important.
    M. Guy Geoffroy. Absolument !
    M. le garde des sceaux. A l'égard de tous ces jeunes, qu'ils soient victimes ou délinquants - quelquefois d'ailleurs, ils passent d'une catégorie à l'autre assez rapidement -, nous avons le devoir d'être efficaces. Tous ceux qui ont une expérience de terrain le savent très bien. Cela passe par des réorganisations courageuses et des remises en question des uns et des autres également courageuses. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès.
    M. Michel Vaxès. Monsieur le ministre, votre programme quinquennal de recrutement de magistrats prévoit de créer 950 postes juridictionnels d'ici à 2007.
    C'est bien inférieur aux promesses du précédent gouvernement, qui avait prévu en 2001 la création de 1 200 postes sur quatre ans, soit 300 recrutements par an.
    C'est également bien inférieur aux besoins. En effet, les nouveaux contentieux créés par les différentes lois votées ces dernières années ne feront qu'absorber l'arrivée en juridiction des nouveaux magistrats. Je pense notamment aux appels des décisions de cours d'assises, à la création du juge des libertés, à la juridictionnalisation de l'application des peines.
    De même, les nouveaux délits créés par la loi sur la sécurité quotidienne, comme les voyages sans titre de transport, et ceux qui seront créés par le projet de loi sur la sécurité intérieure, par exemple les délits de mendicité ou de racolage, vont à l'évidence alourdir considérablement la charge de travail des parquets et des juges correctionnels.
    C'est pourquoi votre plan quinquennal ne suffira pas à résorber les besoins criants de la profession.
    En revanche, votre projet de loi de finances prévoit une provision de 2,6 millions d'euros inscrite sur les crédits de vacation pour financer les premiers juges de proximité. Pour répondre au souci d'une justice de proximité, que nous partageons, il aurait mieux valu créer des postes de magistrats de plein exercice, seuls à même de pallier les délais de jugement excessifs qui vont inévitablement encore augmenter.
    Enfin, seulement 180 magistrats seront recrutés en 2003. Il sera vraisemblablement impossible d'atteindre en 2007 l'objectif que vous vous êtes fixé. Pour ce faire, il faudrait créer au moins 190 postes par an.
    Pour répondre aux départs à la retraite d'ici à 2010, envisagez-vous de revoir votre plan quinquennal afin de permettre la formation de 300 auditeurs de justice par an, seul objectif crédible pour répondre aux besoins réels de la justice ?
    M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
    M. le garde des sceaux. Monsieur le député, je ne rentrerai pas dans une sorte de course en avant pour le nombre de magistrats. Ce n'est pas le choix que nous avons fait après avoir mûrement réfléchi. D'abord, il faut faire la part entre créations d'effectifs budgétaires et arrivée effective des magistrats. L'année prochaine, 290 magistrats arriveront en juridiction.
    Cela étant, nous avons fait les calculs prévisionnels sur les dix prochaines années de façon à avoir une arrivée continue de magistrats sur le terrain, mais que les choses soient claires.
    Ce choix de 950 postes sur les cinq ans, c'est pour nous un objectif optimal. En effet, je ne souhaite pas dévaloriser la fonction de magistrat. Il faut plutôt réfléchir, nous avons commencé à le faire et les magistrats le font d'ailleurs, à l'organisation du travail dans les juridictions.
    Les magistrats, qui sont en moyenne à bac plus sept, ont une formation très poussée, font de gros efforts à la fois personnels et collectifs pour leur formation, doivent pouvoir travailler en équipe avec des collaborateurs juristes recrutés en assez grand nombre. Ce sera notre effort principal sur les cinq ans de manière à avoir des équipes permettant aux magistrats d'assumer leurs responsabilités bien sûr, mais en ayant autour d'eux des gens capables de les aider à préparer leurs décisions, à chercher de la documentation, à prérédiger les jugements.
    Cette formule serait à tous égards plus efficace et plus intéressante. C'est la raison pour laquelle le chiffre de 950 me paraît raisonnable. On passerait ainsi approximativement de 7 000 à 8 000 postes, ce qui me paraît satisfaisant, à condition, bien sûr, que l'on ne s'engage pas par ailleurs dans des réformes hyperconsommatrices de magistrats. Les années précédentes, il y a eu les 35 heures et la loi de 2000, qui ont nécessité une forte augmentation du nombre de magistrats. S'il devait y avoir à l'avenir des décisions de ce type, les effectifs devraient alors éventuellement évoluer, mais, à structure inchangée de notre système judiciaire, les chiffres que nous proposons sont raisonnables et satisfaisants.
    M. le président. Nous passons au groupe UMP.
    La parole est à M. Christian Kert.
    M. Christian Kert. Monsieur le ministre, vous avez évoqué les moyens de la justice. Je voudrais parler des locaux judiciaires de la ville d'Aix-en-Provence, dont la situation est devenue difficilement acceptable, et est de loin la plus critique dans le ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, qui est, vous en conviendrez, une très belle cour d'appel française.
    Le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence est logé à l'étroit dans des locaux très nettement insuffisants, non fonctionnels, qui ne permettent pas à cette juridiction de vivre et de travailler dans des conditionsnormales.
    La cour d'appel elle-même est éclatée en trois sites, trois bâtiments, dont deux vétustes, dans un périmètre particulièrement restreint du centre-ville, où les difficultés de circulation et de stationnement créent des obstacles permanents à son fonctionnement. Les locaux ne suffisent plus à abriter dans des conditions acceptables les 125 magistrats et 236 fonctionnaires qui y travaillent. Les effectifs supplémentaires qui lui seront consentis dans le cadre d'un contrat d'objectif pour réduire la durée de traitement de certains contentieux civils, ce dont les magistrats de la cour se réjouissent, devront être installés sur un quatrième site, à la périphérie de la ville.
    Toutes ces difficultés, toutes ces contraintes, ne peuvent que croître dans une région où l'on attend un essor démographique et économique dans les prochaines années.
    Des études sont en cours pour réévaluer les besoins et envisager des scénarios d'implantation nouvelle, mais leurs conclusions tardent à être déposées et publiées, et il est urgent que des décisions de programmation soient prises. Un agenda peut-il être fixé, car cette belle cour d'appel d'Aix-en-Provence a vraiment besoin de travaux de rénovation ?
    M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice.
    M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice. Effectivement, monsieur le député, la juridiction d'Aix-en-Provence connaît une situation immobilière pour le moins préoccupante. Des travaux d'importance ont déjà été réalisés, puisque nous avons livré en 1997 le palais Monclar, qui a récupéré l'ancienne maison d'arrêt voisine du tribunal, mais aujourd'hui, vu l'évolution démographique d'Aix et l'évolution même de cette juridiction, nous avons indéniablement un problème immobilier. C'est pourquoi, sous l'autorité du garde des sceaux, nous avons diligenté une étude, qui nous sera remise courant 2003, pour avoir une vision d'ensemble nous permettant de traiter le problème.
    Si vous voulez me l'entendre dire, je dis bien volontiers que le tribunal de grande instance ne peut plus rester en ces murs. Au vu des conclusions de cette étude, qui nous donnera une vision globale, nous trancherons en 2003 pour une solution définitive.
    M. le président. La parole est à M. Richard Dell'Agnola.
    M. Richard Dell'Agnola. Monsieur le ministre, la majorité de cette assemblée ainsi que certains parlementaires de l'opposition ont voté le 8 octobre dernier une proposition de loi visent à lutter contre la conduite sous l'influence de stupéfiants. Chaque année, en effet, la drogue tue 2 000 personnes sur les routes de France.
    Ce texte, qui est une réponse à la lutte contre l'insécurité routière, priorité du Président de la République et du Gouvernement, devrait être examiné par le Sénat le 19 décembre prochain. Le dispositif mis en place, calqué sur celui contre l'alcool au volant, prévoit la création d'un délit de conduite sous l'influence de drogues illicites, la mise en place de contrôles préventifs aléatoires et un dépistage systématique en cas d'accident corporel.
    Pour que ce dispositif puisse être appliqué, de nouveaux moyens budgétaires devront être mobilisés en effectifs, en matériels et en formation. Je précise qu'actuellement, les coûts de la lutte contre l'alcool au volant sont pris en charge, pour la partie dépistage, par le ministère de l'intérieur, et pour les analyses, par le ministère de la justice.
    Pouvez-vous donc m'indiquer si le ministère de la justice, à l'instar de ce qui est pratiqué dans la lutte contre l'alcool au volant, prendra en charge une partie des frais de mise en oeuvre du dispositif, et quels crédits vous comptez engager dans ce budget en collaboration avec les autres ministères pour que ce texte soit appliqué sur le terrain ? Votre réponse est très attendue par les familles des victimes de la drogue au volant.
    M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
    M. le garde des sceaux. On avait un peu évoqué la question lors de l'examen de la proposition de loi. Je vous confirme que les tests de dépistage sont pris en charge sur les frais de fonctionnement de la police et de la gendarmerie. Par contre, les honoraires du médecin qui lit le test sont à la charge du ministère de la justice, au chapitre des frais de justice, chapitre de crédits évaluatifs, qui évoluerait donc s'il fallait l'abonder.
    Je vous confirme ce que je vous avais annoncé lors de la discussion de votre proposition de loi, le Gouvernement s'engage à mettre en place les moyens financiers nécessaires lorsque le texte aura été définitivement adopté.
    M. le président. La parole est à M. Patrick Hoguet.
    M. Patrick Hoguet. Monsieur le ministre, les maires des communes rurales souhaitent désormais être considérés comme des partenaires à part entière de la justice de proximité que vous entendez promouvoir. Lorsqu'ils saisissent le procureur de la République en vue d'une demande d'investigation pour des faits troublant la tranquillité publique dans leur commune, leur courrier ne doit donc pas être traité comme une simple correspondance à laquelle on répond ou on ne répond pas, mais considéré comme initiant formellement une procédure. Ils devraient avoir droit à une réponse de la part du ministère public, pour être ainsi informés de la suite qui a été donnée ou non à cette saisine. Cela ne porterait nullement atteinte au principe de l'opportunité des poursuites, qui resterait, bien entendu, la prérogative du procureur, pas plus qu'à celui du secret des enquêtes, dont je ne veux surtout pas méconnaître l'exigence.
    Par ailleurs, que l'on ne s'imagine pas que la réponse à la préoccupation dont je me fais l'écho réside dans la création des comités locaux de sécurité, qui, d'ailleurs, ne seront pas mis en place dans les plus petites communes.
    Ma question, monsieur le garde des sceaux, est très précise. Acceptez-vous de demander par circulaire aux procureur d'informer les maires sur la suite donnée à ce type de saisine ? Mon objectif, vous l'avez compris, est l'efficacité, mais il s'agit aussi de remédier au sentiment d'impuissance et parfois au découragement d'élus qui sont trop souvent mis en cause lorsque des faits portant atteinte à la tranquillité publique se produisent dans leur commune et qu'ils se voient reprocher de n'être pas suffisamment pris en considération par le ministère public, ce qui porte, qu'on le veuille ou non, atteinte à leur autorité. Merci de bien vouloir les rassurer sur ce point.
    M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
    M. le garde des sceaux. Monsieur le député, le décret du 17 juillet 2002, en particulier l'article 4, et la circulaire interministérielle de juillet 2002, que nous avons signée, Nicolas Sarkozy et moi-même, consacrent un droit des maires à être informés sans délai des actes graves et de la situation de la délinquance par l'ensemble des services de l'Etat. Je pense qu'il n'était pas inutile de le rappeler.
    S'agissant d'un sujet qui peut être délicat à apprécier précisément, je souhaite mettre en place un groupe de travail dans lequel il y aura à la fois des magistrats, des parlementaires et des représentants de l'Association des maires, pour étudier la question. Il ne s'agit pas de modifier la procédure judiciaire ou la procédure pénale. Il s'agit de bien réfléchir à la façon dont le maire, élu légitime, doit et peut être informé. Je voudrais pas non plus que le maire se trouve impliqué dans des situations dans lesquelles il n'a pas nécessairement intérêt à être impliqué.
    M. Pierre Cardo. Il ne faut pas qu'il se mette endanger.
    M. le garde des sceaux. L'action de justice doit restée indépendante et le maire ne doit pas se mettre « en danger », en se mêlant d'affaires pour lesquelles, après, on lui demandera des comptes. Il faut être très prudent dans ce domaine.
    C'est la raison pour laquelle je souhaite que l'on fasse, d'une manière très simple et de façon partenariale, un inventaire de la question. J'ai d'ailleurs eu l'occasion d'en parler avec des procureurs de la République, qui comprennent bien le souci des maires d'obtenir des réponses aux questions qu'ils posent et, en particulier, de savoir ce que deviennent les affaires dont ils ont saisi la justice. Cependant, en même temps, il faut faire attention à ne pas entrer dans une modification de la procédure, ce qui, à mon avis, n'est souhaitée par personne.
    Je souhaite donc commencer ce travail le plus vite possible. Ensuite, j'en tirerai les conclusions, mais, à mon avis, celles-ci déboucheront sur des mesures moins d'ordre législatif que d'ordre réglementaire, telles que des circulaires concernant les règles de comportement àadopter.
    M. le président. Nous en venons au groupe socialiste.
    La parole est à Mme Ségolène Royal.
    Mme Ségolène Royal. Monsieur le ministre, je voudrais vous interroger sur un thème d'actualité concernant le fonctionnement de la justice, je veux parler de la reprise des faits de bizutage à l'école des arts et métiers de Cluny.
    La lutte contre le bizutage a fait l'objet d'une loi, votée en 1998 sur tous les bancs de cette assemblée. Elle a nécessité sur un travail de longue haleine, car l'éradication de tels comportements ne se fait pas du jour au lendemain. A chaque rentrée universitaire, il a fallu rappeler aux recteurs leur devoir de vigilance et aux chefs des établissements d'enseignement supérieur leurs obligations quant au respect des droits de la personne humaine.
    Les faits de bizutage, nous les connaissons : certains sont anodins, d'autres sont beaucoup plus graves. Je garderai toujours en mémoire l'image de ces parents dont le fils, élève d'une école de commerce, est devenu handicapé à vie à la suite d'un bizutage consistant à lancer des élèves ficelés entre deux matelas du haut du troisième étage,...
    M. Richard Mallié. C'est de la caricature !
    Mme Ségolène Royal. ... celle de ces autres parents, effondrés dans mon bureau parce que leur enfant, également élève d'une école de commerce, est mort à la suite d'un week-end d'intégration, ou encore celles de ces jeunes filles, étudiantes en fac de médecine ou aux beaux-arts, ayant subi des atteintes sexuelles ou des viols. C'est aussi cela la réalité du bizutage, monsieur le ministre !
    Le bizutage comporte des aspects très particuliers, spécialement aux Arts et Métiers, où il est appelé « usinage ». Et le journal Le Monde a décrit hier avec force détails en quoi il consistait en publiant le témoignage d'une desvictimes.
    Ma question est simple, monsieur le ministre : pourquoi ne se passe-t-il rien en ce moment, alors que des bizutages se déroulent ?
    Les délits sont commis sous nos yeux, les faits sont avérés, leurs auteurs sont identifiés, les victimes sont connues, une manifestation a même eu lieu à Cluny pour narguer l'autorité de ce chef d'établissement - homme remarquable - qui résiste autant qu'il peut au retour du bizutage. Dans ces conditions, pourquoi l'action publique n'est-elle pas en mouvement ? Pouvez-vous, monsieur le ministre, prendre une initiative - ici, peut-être - pour déclencher une enquête ?
    Si le bizutage reprend à Cluny en toute impunité, s'il y a dans notre pays deux sortes de jeunes, ceux des banlieues, qui ne peuvent pas se permettre le dixième de ce que s'autorisent d'autres jeunes qui ont la chance d'étudier dans une grande école, aux frais de la nation (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française)...
    M. Richard Mallié. Caricature !
    M. André Vallini. Elle a raison !
    M. Pierre Albertini. Comparaison n'est pas raison !
    M. Pierre Cardo. Parlez des jeunes qui vont dans les grandes écoles, madame Royal, mais pas de ceux des banlieues, que vous n'avez pas souvent rencontrés ! Vous n'êtes pas compétente pour parler de ces derniers ! Quant à la victime, elle a le droit de porter plainte !
    Mme Ségolène Royal. Monsieur Cardo, vous savez bien qu'on n'accepte pas que certains jeunes se permettent le dixième de ce que s'autorisent aujourd'hui quelques bizuteurs qui bafouent la loi, qui commettent des actes de violence, qui portent atteinte à la dignité d'autres élèves.
    M. Pierre Cardo. Alors, pourquoi refusez-vous le témoignage anonyme ?
    Mme Ségolène Royal. Or, si on laisse faire, si on laisse la loi être bafouée, le bizutage reprendra, nous le savons, dans d'autres établissements scolaires et dans d'autres universités.
    Le moment pour agir est symbolique. A un moment où le Gouvernement s'engage à lutter contre toutes les formes de violence, monsieur le ministre, je souhaiterais savoir quelles sont vos intentions à ce sujet.
    M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
    M. le garde des sceaux. Quel que soit l'intérêt médiatique de tel ou tel sujet, nous ne devons ni les uns ni les autres nous laisser aller à des dérapages dans nos analyses.
    Vous savez mieux que quiconque, madame la députée, qu'il existe un texte de loi précis en matière de bizutage. Celui-ci doit être appliqué, à condition, bien entendu, que les uns et les autres assument leurs responsabilités. Si des faits répréhensibles sont commis dans un établissement, il appartient au directeur de les signaler au parquet compétent.
    Je suis un des élus du département dans lequel se trouve la commune de Cluny. Je connais donc bien la situation locale. C'est justement parce que le directeur de l'établissement en question a pris des positions fermes contre le bizutage qu'une manifestation a eu lieu dans les rues de Cluny. Cela montre que la loi est connue et que certaines personnes veillent à ce qu'elle soit appliquée.
    Madame la députée, je ne savais pas que vous me poseriez cette question. Par conséquent, je ne peux pas vous répondre sur ce qu'il en est en matière de poursuites. Toutefois, vous savez que pour engager des poursuites pénales, le délit doit être caractérisé.
    M. Pierre Cardo. Eh oui ! Nous sommes dans un pays de droit !
    M. le garde des sceaux. Je vais donc interroger à ce sujet le parquet territorialement compétent.
    Enfin, je vous dirai une évidence : mon rôle est de faire appliquer la loi et, bien entendu, je veillerai à ce qu'il en aille ainsi.
    M. le président. Mes chers collègues, j'avais, à sa demande, donné la parole à Mme Ségolène Royal, mais, compte tenu de l'heure, nous allons maintenant devoir interrompre nos travaux.
    La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

3

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

    M. le président. Ce soir, à vingt et une heures, troisième séance publique :
    Suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2003, n° 230 :
    M. Gilles Carrez, rapporteur général au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (rapport n° 256).
    Justice (suite) :
    M. Pierre Albertini, rapporteur spécial au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (annexe n° 33 du rapport n° 256) ;
    Administration centrale et services judiciaires :
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (tome V de l'avis n° 261) ;
    Services pénitentiaires et protection judiciaire de la jeunesse :
    Mme Valérie Pecresse, rapporteure pour avis au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (tome VI de l'avis n° 261).
    Tourisme :
    M. Augustin Bonrepaux, rapporteur spécial au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (annexe n° 23 du rapport n° 256) ;
    M. Jean-Michel Couve, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire (tome XI de l'avis n° 258).
    La séance est levée.
    (La séance est levée à dix-neuf heures vingt-cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT