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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU JEUDI 21 NOVEMBRE 2002

COMPTE RENDU INTÉGRAL
2e séance du mercredi 20 novembre 2002


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

1.  Organisation décentralisée de la République. - Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle adopté par le Sénat «...».

DISCUSSION GÉNÉRALE (suite) «...»

MM.
Emile Blessig,
Bernard Derosier,
Augustin Bonrepaux,
Gilles Bourdouleix,
Arnaud Montebourg,
Francis Delattre,
Victorin Lurel,
Mme
Huguette Bello,
M.
Hervé Mariton.

PRÉSIDENCE DE M. MARC-PHILIPPE DAUBRESSE

Mme
Christiane Taubira,
MM.
René-Paul Victoria,
Paul Giacobbi,
Guy Geoffroy,
Simon Renucci,
André Thien Ah Koon,
René André,
Bertho Audifax,
Jacques Myard,
Michel Buillard,
Camille de Rocca Serra,
Michel Hunault,
Bruno Bourg-Broc,
Jean-François Mancel.
Clôture de la discussion générale.
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice.
2.  Dépôt d'un projet de loi «...».
3.  Dépôt de rapports «...».
4.  Dépôt d'un rapport d'information «...».
5.  Dépôt d'avis «...».
6.  Ordre du jour des prochaines séances «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à vingt et une heures.)

1

ORGANISATION DÉCENTRALISÉE
DE LA RÉPUBLIQUE

Suite de la discussion d'un projet de loi
constitutionnelle adopté par le Sénat

    M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par le Sénat, relatif à l'organisation décentralisée de la République (n°s 369, 376).

Discussion générale (suite)

    M. le président. Cet après-midi, l'Assemblée a poursuivi la discussion générale.
    La parole est à M. Emile Blessig.
    M. Emile Blessig. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre délégué aux libertés locales, mes chers collègues, décentralisation, expérimentation, reconnaissance du principe de subsidiarité sont parmi les principaux points du projet de réforme de la Constitution, qui consacre la décentralisation engagée par M. le Premier ministre. Je souhaiterais, dans cette discussion générale, donner les grandes lignes de la série d'amendements que j'ai déposés avec un certain nombre de mes collègues.
    Concernant la décentralisation, je voudrais aborder la question de la nécessaire conjugaison du principe de l'unité de la République avec la reconnaissance de la diversité des territoires.
    Avec cette réforme, la région est reconnue au nombre des collectivités territoriales. De plus, nous voulons donner à celles-ci les outils permettant d'assumer, d'une part, les compétences qui leur seront définitivement transférées et, d'autre part, à l'avenir, celles qui pourront leur être transférées après expérimentation. Mais la décentralisation, c'est aussi reconnaître la nécessité de rapprocher le pouvoir du citoyen, ce qui suppose légitimer et s'enrichir de la diversité territoriale sans nuire à l'unité nationale. Avec des collègues, j'ai souhaité déposer un amendement qui précise cette coexistence entre unité et diversité dans le cadre de la décentralisation.
    Par ailleurs coexistent dans notre pays plusieurs normes juridiques dont les normes européennes et les normes nationales.
    Demain, dans le cadre de la décentralisation, en cas de transfert de compétence de l'Etat à une collectivité territoriale, la collectivité, pour donner plein sens au processus de décentralisation, bénéficiera dans ces domaines d'un pouvoir réglementaire.
    La question qui se pose est de savoir si ce pouvoir réglementaire est autonome ou s'il s'exerce en subordination au pouvoir réglementaire accordé par l'article 21 de la Constitution au seul Premier ministre, à l'exception du pouvoir réglementaire de l'article 13 de la Constitution réservé au Président de la République.
    Avec un certain nombre de collègues, nous estimons que le pouvoir réglementaire du Premier ministre, c'est-à-dire en pratique celui des ministères, ne doit pas venir faire écran au pouvoir réglementaire territorial né, au profit des collectivités territoriales, en cas de transfert de compétences.
    Le transfert de compétences fait appel à la fois à l'étendue des compétences transférées et aux moyens accordés pour les mettre en oeuvre.
    En ce qui concerne les moyens financiers, les débats qui ont eu lieu au Sénat illustrent la nécessité de permettre aux collectivités d'obtenir de l'Etat les moyens financiers suffisants pour accomplir les missions qui leurs sont confiées.
    Le transfert des moyens financiers est nécessaire mais pas suffisant. En effet, le transfert des compétences doit aussi être accompagné du transfert des moyens humains. Cela n'a pas été le cas dans le passé, d'où la multiplication artificielle du nombre de fonctionnaires, en contradiction avec un déploiement efficace des moyens humains de l'Etat et des collectivités territoriales.
    Les nouvelles contraintes financières et démographiques auxquelles nous sommes confrontés nous imposent de ne pas rééditer ce type d'erreur. Par conséquent, le transfert des moyens humains et financiers est une condition du plein exercice de la liberté d'administration des collectivités territoriales, dont le principe est réaffirmé à l'article 4 du projet de loi constitutionnelle.
    Je souhaiterais, à ce stade de mon intervention, souligner un point qui me semble important.
    Dès lors qu'il y a transfert de compétences et de moyens, il est possible que nous soyons confrontés à une divergence d'appréciation entre l'Etat et les collectivités territoriales concernées, et il reviendra, en dernière analyse, au Parlement de se prononcer sur la loi qui lui sera soumise.
    Or de quelle possibilité d'appréciation disposera le législateur entre, d'un côté, les services de l'Etat et du ministère, qui auront accepté de transférer une compétence, et, de l'autre, les suppositions de telle ou telle collectivité territoriale ?
    Nous proposons, mes collègues et moi-même, que le Parlement se prononce sur les conditions d'attribution de ces ressources financières après avis public de la Cour des comptes. En effet, on peut penser que la Cour des comptes veillera à proposer des dispositifs propres à aménager les ressources publiques dans leur ensemble et de manière équilibrée entre l'Etat et les collectivités territoriales.
    L'enjeu lié à la répartition des compétences entre collectivités territoriales, d'une part, et entre collectivités territoriales et l'Etat, d'autre part, en vertu du principe de subsidiarité, est fondamental. Le Conseil d'Etat a fait remarquer les difficultés à traduire sur le plan opérationnel le principe de subsidiarité. Le risque de voir apparaître un litige existe en la matière. Le principe de subsidiarité a été posé dans la Constitution, mais quid des litiges qui seront susceptibles d'apparaître dans son application, d'une part, entre collectivités territoriales et, d'autre part, entre collectivités territoriales et l'Etat ? C'est un vrai problème.
    Enfin, le dernier principe appelé par le texte est celui de la péréquation, inscrit au dernier alinéa de l'article 6 du projet de loi.
    La péréquation est une mesure de justice, mettant en oeuvre les principes d'égalité et d'équité qui inspirent notre constitution. Il n'en reste pas moins que sa finalité doit être enrichie des priorités d'aménagement du territoire telles qu'elles sont définies par l'Etat dans l'intérêt de l'ensemble de notre pays. Certains ont dit que la péréquation n'était pas un droit à faire tout ce dont la collectivité territoriale avait envie. Lier la péréquation et la mise en oeuvre d'une politique nationale d'aménagement du territoire, c'est mettre en place une discrimination positive pour inciter les territoires à s'inscrire dans une stratégie d'aménagement du territoire régionale mais aussi nationale, voire, dans certains cas, européenne.
    En conclusion, tout en adhérant pleinement à la démarche du Premier ministre, voilà les quelques questions que je souhaitais évoquer dans le cadre de ce débat et sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir lors de la discussion des articles. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Bernard Derosier.
    M. Bernard Derosier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ainsi, nous serions en train de nous engager dans une nouvelle étape de la décentralisation.
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Affirmatif !
    M. Bernard Derosier. La droite, si frileuse en 1982, a mesuré au cours des vingt années écoulées tous les avantages qu'elle pouvait tirer de ce concept pour asseoir son pouvoir local. Aujourd'hui, elle reconnaît son erreur de s'y être opposée, et l'on assiste à des sortes de coming out, hier de la part du rapporteur et du ministre, tout à l'heure de la part du Premier ministre lui-même.
    Là est bien la différence entre la gauche et la droite. Pour cette dernière, décentralisation est synonyme de renforcement des pouvoirs des élus locaux, qui supportent mal, selon elle, le cadre imposé par la République. On l'a bien vu au moment des modifications législatives intervenues dans la loi du 21 décembre 2001 pour les chambres régionales des comptes. Si l'on avait suivi la majorité sénatoriale de droite, relayée dans notre assemblée par ce qui était alors l'opposition, c'en serait fini de cette garantie dans la gestion des collectivités territoriales que représente le contrôle des chambres régionales des comptes.
    Pour la gauche, au contraire, la décentralisation, c'est la responsabilité des citoyens et de leurs élus locaux. De nombreuses avancées sont intervenues depuis 1982. Elles sont toutes à mettre à l'actif de la gauche. Elles ont toutes vu la droite s'y opposer.
    M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. N'est-ce pas un peu manichéen ?
    M. Bernard Derosier. Aujourd'hui, le Gouvernement et la droite voudraient faire croire à l'opposition qu'ils se sont convertis à la décentralisation. Personne ne peut croire cela !
    La décentralisation est d'abord un exercice d'équilibre : donner plus de pouvoirs aux collectivités ne doit pas conduire à affaiblir l'Etat dans ses compétences régaliennes, ni dans son rôle de garant de l'unité républicaine, de la solidarité entre les territoires et, en fin de compte, de l'égalité entre les citoyens. Si la décentralisation était seulement un remède aux maux de l'Etat, il conviendrait de faire attention à ce qu'il ne soit pas pire que le mal.
    Vous mettez en avant la concertation que vous auriez engagée sous couvert des assises des libertés locales. Donner le nom de concertation à ce qui n'est ni plus ni moins qu'une occasion pour le Gouvernement de délivrer sa vérité est tout à fait inacceptable.
    L'exemple de ma région est l'illustration de cette parodie de dialogue : les responsables des collectivités territoriales ont quelques minutes, pas plus de trois, pour témoigner de leur expérience au milieu de propos plus ou moins responsables tenus par des représentants du patronat, le tout sous la houlette d'un banquier, certes ancien ministre de droite, chargé d'animer les tables rondes.
    De qui se moque-t-on quand on parle de concertation, sinon des citoyens et de leurs représentants ?
    Notre rapporteur vous a présenté ce texte, mes chers collègues, comme un texte concis et équilibré.
    Un texte concis, mais il me semble pourtant qu'il transforme la Constitution en véritable règlement de police ou de gendarmerie.
    M. le garde des sceaux et M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Oh !
    M. Bernard Derosier. Un texte équilibré, alors que cette révision manque de clarté en de nombreux points. Ma collègue Ségolène Royal en a fait la démonstration, article par article. C'est davantage l'opacité et l'incohérence qui caractérisent votre projet.
    Opacité, parce que ce texte ne cesse de mettre en avant des concepts flous et qu'en l'absence de réflexion d'ensemble, il ouvre la voie à un processus de décentralisation hasardeux qui risque de démanteler l'Etat et de désorganiser durablement nos institituions.
    Vous me répondrez sans aucun doute que vous êtes pragmatique. Pragmatisme ne signifie pas désordre.
    Ce texte est incohérent, car il introduit dans la Constitution des concepts dont la portée semble vous échapper et dont les effets risquent d'être dangereux pour l'unité de la République. J'entends par là l'expérimentation.
    Vous n'avez pas su, ou pas voulu, monsieur le ministre de la justice, expliquer clairement à la commission des lois la signification réelle de l'expérimentation permise par l'article 2 du projet de votre gouvernement. En l'état, c'est une habilitation qu'aucune limite claire ne borne. L'égalité de tous devant la loi, c'est-à-dire le fondement de notre République, est pourtant largement remise en question
    Nul ne sait non plus comment se déroulera le choix de la collectivité susceptible d'expérimenter une nouvelle politique.
    En s'appuyant sur des critères flous, l'expérimentation aléatoire peut signifier que les collectivités territoriales peuvent, à terme, exercer l'essentiel des compétences, ne laissant à l'Etat que la portion congrue de la définition de la politique nationale. Une telle évolution serait contraire au principe d'égalité d'accès des citoyens aux services publics et renforcerait les inégalités entre les territoires.
    Votre texte est aussi incohérent car il ne répond pas juridiquement aux objectifs politiques que vous vous fixez.
    Vous vous targuez de restaurer la démocratie locale, mais n'abordez pas la question de la réforme du Sénat, de sa place dans le paysage institutionnel et en particulier de sa capacité à représenter légitimement les collectivités territoriales.
    L'égalité, c'est l'assurance de préserver la solidarité et la possibilité de satisfaire ensemble aux aspirations de chacun. Mais ce texte promeut, au sein même de la Constitution, un principe d'inégalité en organisant la concurrence entre les institutions, entre les territoires, entre les populations.
    L'inégalité entre les citoyens est assurée dès la première ligne de votre projet, puisque son article 1er place sur un même plan la décentralisation et les principes d'égalité et de démocratie.
    La notion de chef de file, c'est la constitutionnalisation de l'inégalité entre les collectivités territoriales. C'est une dérogation à l'interdiction de la tutelle d'une collectivité sur une autre. Une collectivité affublée du titre de chef de file pourrait imposer son point de vue aux autres collectivités, et le financement des actions communes s'apparenterait à une dépense obligatoire. Plus encore, on risque de voir se développer une concurrence entre les collectivités pour savoir qui aura l'avantage de se voir attribuer le titre de chef de file d'une expérimentation ou d'une politique. L'opacité des décisions et les conflits locaux y gagneront alors ce que la démocratie et le débat y auront perdu.
    C'est un projet qui n'est accompagné d'aucune perspective de mise en oeuvre. En effet, alors qu'il y est fait référence à de nombreuses reprises à la loi ordinaire et à la loi organique, aucune ébauche de projet de loi ne nous a été soumise.
    J'ai entendu hier un argument tout à fait spécieux de la part de M. Devedjian. Selon lui, faire connaître les projets de loi à venir, ce serait mépriser le pouvoir d'amendement du Parlement. Si mépris il y a, c'est vis-à-vis de la Constitution et de la part du Gouvernement, car le pouvoir d'amendement relève de l'article 44 de la Constitution, celui que vous proposez de malmener.
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. C'est faux !
    M. Bernard Derosier. Pourtant, le Président de la République lui-même avait affirmé cette nécessité de faire connaître l'ensemble des projets lors de l'examen du projet de révision constitutionnelle sur la justice.
    J'estime donc votre réponse insuffisante et fâcheuse, monsieur le ministre. Contrairement à ce qui est affirmé, le texte qui nous est proposé ne contient aucun objectif, mais présente des méthodes, subsidiarité et expérimentation pour les plus marquantes.
    L'essentiel du débat consiste alors à anticiper sur les textes d'application qui constitueront le coeur de la réforme. Le soutien fondamental de la décentralisation, c'est-à-dire l'autonomie financière des collectivités territoriales, a été renvoyé au débat sur les critères de la péréquation, débat essentiel s'il en est et qui devrait précéder toute révision.
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. C'est l'inverse !
    M. Bernard Derosier. Plus encore, si le Gouvernement s'est engagé à les réformer, on a assis les ressources des collectivités locales sur des impôts locaux dont le caractère injuste n'est plus à prouver.
    La gauche et les socialistes ont suffisamment démontré leur volonté décentralisatrice pour qu'on ne nous fasse pas de faux procès. Or, dans l'explication de vote de son groupe sur l'exception d'irrecevabilité, l'un de nos collègues a écrit l'histoire à sa façon. Il a prétendu que c'était à la demande des députés socialistes que l'élection au suffrage universel direct des élus communautaires ne figurait pas dans la loi sur la démocratie de proximité. Permettez au rapporteur de cette loi devant cette assemblée de rétablir la vérité.
    Nous avions voté cette disposition en première lecture avec l'accord de l'opposition d'alors. Au Sénat, cette décision a été annulée après de longues discussions. Il n'y a qu'une seule lecture dans chaque assemblée, le Gouvernement ayant déclaré l'urgence. Avec M. Hoeffel, rapporteur au Sénat, nous avons préparé la commission mixte paritaire. Il m'a alors dit l'impossibilité dans laquelle il se trouvait de faire accepter cette disposition à ses collègues sénateurs.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Et vous avez accepté !
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. L'Assemblée pouvait avoir le dernier mot !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Et vous vous êtes couchés devant le Sénat !
    M. Bernard Derosier. Parce qu'il y avait dans le projet de loi de nombreuses dispositions de très grande importance : la démocratie participative - à partir de 20 000 habitants dans le projet du Gouvernement, 100 000 pour le Sénat, nous avons transigé à 80 000...
    Il y avait l'organisation des services départementaux d'incendie et de secours, le statut des élus - retraite, formation, couverture sociale à la fin du mandat -, l'expérimentation de transferts des compétences, prévue par la loi sans qu'il soit nécessaire de modifier la Constitution. Il nous a semblé important d'obtenir un accord unanime en CMP, même en concédant aux sénateurs quelques occasions de manifester leur conservatisme.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Assumez !
    M. Bernard Derosier. Mais cet accord je l'assume ! Je réponds à un collègue qui prétendait hier que c'était nous qui avions demandé que ça n'y soit pas ! Rétablissons la vérité !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. C'est avec votre accord !
    M. Bernard Derosier. On l'a bien vu à travers les interventions de mes collègues socialistes, nous sommes favorables à la décentralisation (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), mais nous ne pouvons pas vous accompagner dans cette approche aventureuse dans laquelle vous entraînez la France et ses collectivités territoriales.
    Au nom de la préservation des institutions républicaines, d'une égalité synonyme de solidarité et garante de l'unité nationale, nous nous opposons à une révision inopportune et potentiellement dangereuse. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Augustin Bonrepaux.
    M. Augustin Bonrepaux. Monsieur le président, messieur les ministres, chers collègues, cette discussion s'engage à peu près dans les mêmes conditions que les grands débats organisés en 1994 par Charles Pasqua...
    M. Didier Migaud. Quelle référence !
    M. Augustin Bonrepaux. ... pour promouvoir sa fameuse loi d'aménagement du territoire, qui devait dynamiser nos territoires, réduire les inégalités. Qu'en est-il resté ?
    M. Didier Migaud. Rien !
    M. Augustin Bonrepaux. Qu'avez-vous fait pour l'appliquer ? Elle prévoyait, dans son titre VI, 21 articles relatifs aux compétences, à la péréquation et au développement local. Elle vous engageait à réaliser la péréquation avant 1996 et l'actualisation des bases d'imposition avant 1997. Pourquoi Alain Juppé ne l'a-t-il pas appliquée ?
    Vous comprendrez dès lors que nous soyons très sceptiques sur votre volonté de poursuivre une véritable péréquation, qui se traduira par un transfert de charges de l'Etat sur les collectivités locales.
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Cela s'appelle un procès d'intention !
    M. Augustin Bonrepaux. En effet, c'est le seul moyen qui vous reste pour tenir les promesses du candidat Chirac et baisser l'impôt sur le revenu.
    Etait-il besoin d'une réforme de la Constitution pour accroître une décentralisation qui a été engagée et poursuivie avec succès dans le cadre de la Constitution actuelle ?
    M. Bernard Derosier et M. Didier Migaud. Non !
    M. Augustin Bonrepaux. Pour inscrire les villes centres de régions créées depuis plus de quinze ans ? Pour réaliser une répartition de ressources plus juste ?
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Une réforme de la Constitution est la meilleure garantie !
    M. Augustin Bonrepaux. Le principe d'égalité est le fondement de notre Constitution.
    Vous expliquez que cela va permettre de rapprocher les services publics des citoyens. Est-ce pour organiser la « départition » des services publics de l'Etat en zone rurale ? Dès maintenant, vous programmez la disparition de commissariats, à Saint-Gaudens, à Marmande, à Limoux, de gendarmeries, de trésoreries, de succursales de la Banque de France.
    Par contre, vous êtes extrêmement timorés sur toute avancée de la modernité, puisque les intercommunalités, qui ont été développées par les lois de 1992, confortées par celles de 1999, sont omises de ce texte initial et ne sont pas reconnues comme collectivités territoriales.
    M. Hervé Mariton. Heureusement !
    M. Augustin Bonrepaux. Votre résistance s'explique vis-à-vis de l'intercommunalité. Elle éclate même au grand jour. Vous vous étiez déjà opposés farouchement à la loi de 1992...
    M. Didier Migaud. C'est vrai !
    M. Augustin Bonrepaux. ... et, dès cette première loi de finances pour 2003, vous remettez en cause la progression de l'intercommunalité, des communautés de communes à taxe professionnelle unique, en gelant le critère d'intégration fiscale, qui est jutement le meilleur moyen de mesurer la progression de l'intercommunalité.
    Mais il y a plus grave. Si votre projet ne permet aucune avancée, il est par contre extrêmement dangereux pour la souveraineté du peuple, pour la cohésion de la République, pour la fiscalité et le contribuable.
    Mme Ségolène Royal. C'est vrai ! Il a raison !
    M. Augustin Bonrepaux. Il est scandaleux que la souveraineté du peuple soit bafouée.
    M. Didier Migaud. Tout à fait !
    M. Augustin Bonrepaux. Les seuls représentants du peuple sont ici, dans cette Assemblée nationale, élus directement par les citoyens ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Mme Ségolène Royal. Nulle part ailleurs !
    M. Michel Piron. C'est vrai !
    M. Guy Geoffroy. Pourquoi tant de haine ?
    M. Augustin Bonrepaux. Et vous allez, vous, reconnaître au Sénat, à une assemblée élue au second degré...
    M. Didier Migaud. Capitulation ! Soumission !
    M. Augustin Bonrepaux. ... - et dans quelles conditions ! - une priorité d'examen pour certains textes ?
    M. Marc Le Fur. Et que disent les électeurs socialistes ?
    M. Didier Migaud. Comme nous !
    M. Augustin Bonrepaux. Lisez le rapport de M. Méhaignerie...
    M. Didier Migaud. Oui, lisez-le !
    M. Augustin Bonrepaux. ... président de la commission des finances et rapporteur pour avis, avant de parler !
    Je trouve également scandaleux que, sur des questions aussi fondamentales pour la Constitution, le Premier ministre ait refusé à deux reprises de répondre à nos questions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Ce projet est aussi dangereux si l'expérimentation qu'il préconise doit se traduire par un grand bazar, comme le craint le président de l'Assemblée nationale.
    Mme Ségolène Royal. Heureusement qu'il est là !
    M. Augustin Bonrepaux. Mais elle doit être précédée d'une répartition des ressources donnant à l'ensemble des collectivités les mêmes chances d'expérimentation. Sans cette garantie préalable, on s'achemine vers la France à deux vitesses où les collectivités qui en ont les moyens pourront réaliser toutes les expérimentations possibles pour améliorer les services aux citoyens...
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Vous parlez de la situation d'aujourd'hui ? Vous parlez de votre bilan ?
    M. Augustin Bonrepaux. ... alors que d'autres ne pourront rien entreprendre, ce qui aggravera encore l'inégalité des territoires.
    La démission de l'Etat, dont l'un des rôles est de garantir l'égalité et la solidarité entre les citoyens et entre les collectivités locales, est dangereuse pour la cohésion nationale. On nous dit que le meilleur moyen d'assurer l'égalité consiste à inscrire la péréquation des ressources dans la Constitution. Mais le principe d'égalité, qui est une meilleure garantie pour tous, existe déjà. Que faites-vous pour l'appliquer ? Qu'avez-vous fait, quand vous en aviez les moyens, pour appliquer l'article 68 de la loi Pasqua du 5 janvier 1995 qui décidait d'engager une forte péréquation avant 1996 ?
    Monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre délégué aux libertés locales, si vous n'écoutez pas, vous ne pourrez pas me répondre tout à l'heure ?
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Ils vous écoutent !
    M. Augustin Bonrepaux. Il serait préférable que vos actes confirment vos intentions. Or, c'est l'inverse. Je vous rappelle - et vous pourrez le répéter au président de la commission des finances, qui a tendance à dire le contraire et devrait lire les rapports de sa commission -...
    M. Pierre-Louis Fagniez. Assez de leçons !
    M. Augustin Bonrepaux. ... que la péréquation de la DGF est passée de 8,69 % en 1996 à 14,23 % en 2001.
    M. Didier Migaud. Encore un recul !
    M. Augustin Bonrepaux. Dès cette année, vous vous êtes engagés dans la voie opposée. Pour la première fois depuis cinq ans, monsieur le ministre délégué aux libertés locales, vous refusez la modulation de la DCTP. Autrement dit, vous réduisez autant les moyens des collectivités locales pauvres que ceux des plus riches. Est-ce cela, votre conception de la péréquation, prendre autant aux pauvres qu'aux riches ? Monsieur Devedjian, vous nous avez expliqué, au comité des finances locales, qu'il n'était pas possible de faire cette modulation parce que cela reviendrait à trop réduire la DCTP des communes les plus aisées et qu'il fallait que toutes soient soumises au même régime. Si telle est votre conception de la péréquation, on ne peut qu'être inquiet. Vous ne faites progresser la DSU et la DSR que de 2,5 % et, encore, par un tour de passe-passe qui consiste à leur prendre 1 % sur l'année 2002, pour présenter, en 2003, une progression de 2,5 %. Mais, quand on compte bien, monsieur Devedjian, 2,5 % moins 1 %, cela ne représente qu'une progression de 1,5 %.
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Où est le projet de loi constitutionnelle ?
    M. Augustin Bonrepaux. Si vous ne savez pas compter, achetez une machine à calculer ! Ce n'est d'ailleurs même pas 1,5 %, puisqu'il y a une réduction de 5 % de la DCTP.
    Enfin, des fonds de péréquation sont en réduction et l'intercommunalité est remise en cause. Vous parlez de péréquation. Comment allez-vous la faire ? Monsieur Devedjian nous explique que l'on ne peut pas prendre aux communes aisées pour donner aux autres.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Je n'ai pas dit cela !
    M. Augustin Bonrepaux. Vous l'avez dit et vous le faites ! Et M. le président de la commission des finances nous explique que la péréquation doit se faire à enveloppe constante. Et, tous, vous nous dites que les dépenses ne doivent pas augmenter. C'est la quadrature du cercle, et j'attends vos explications.
    Le troisième danger n'est pas le moindre puisqu'il s'agit tout simplement du transfert de fiscalité sur les collectivités locales. L'article 6 confirme tout à fait mes craintes. Tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales s'accompagne d'attributions de ressources égales à celles qui étaient consacrées à leur exercice.

    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Quel progrès !
    M. Augustin Bonrepaux. Ecoutez-bien : « étaient », ce n'est pas « sont » ou « seront ».
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Comme il est difficile d'inventer l'avenir !
    M. Augustin Bonrepaux. Quelques exemples confirment ces craintes : on sait que les effectifs d'agents d'entretien des lycées et collèges sont insuffisants en 2002. Cette année, par exemple, dans un collège de l'Ariège, deux agents sont en grève : comme ils ne sont que sept en tout, les repas ne peuvent pas être servis.
    En 2002, les moyens ne sont déjà pas suffisants...
    M. Guy Geoffroy. Quel culot !
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Vous étiez au Gouvernement jusqu'en juin !
    M. Augustin Bonrepaux. ... mais, en 2003, vous supprimez les ATOS et les crédits.
    M. Arnaud Montebourg. Il a raison !
    M. Augustin Bonrepaux. Que ferez-vous en 2004 ? Je n'en sais rien. En tout cas, quand vous réaliserez la décentralisation et le transfert, il faudra que les collectivités locales fasse l'appoint et augmentent leurs impôts locaux.
    Mme Ségolène Royal. C'est vrai !
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Là, vous devriez parler de la prestation d'autonomie !
    M. Augustin Bonrepaux. Un autre exemple : pour préparer la décentralisation des routes nationales, vous supprimez 700 postes d'agent dans les services de l'équipement...
    Mme Ségolène Royal. C'est vrai !
    M. Augustin Bonrepaux. ... alors qu'ils n'ont déjà pas les moyens d'assurer correctement leurs missions.
    Mme Ségolène Royal. C'est vrai !
    M. Augustin Bonrepaux. Ainsi, la route nationale n° 20, grand axe européen qui conduit en Catalogne et en Andorre, ne peut pas être déneigée entre vingt et une heures et six heures du matin, faute de moyens humains.
    M. Arnaud Montebourg. Ils s'en foutent !
    M. Marc Le Fur. Justement, décentralisons !
    M. Augustin Bonrepaux. Et, cette année, vous réduisez les moyens. Ne me dites pas que, quand vous transférerez cela aux collectivités locales, il n'y aura pas d'augmentations. Mes chers collègues, je vois que vous souriez, mais, dans quelque temps, il vous faudra expliquer tout cela !
    Mme Ségolène Royal. Ils ont prévu de supprimer la neige !
    M. Augustin Bonrepaux. Il en sera de même pour d'autres domaines, comme la culture. Il y a bien là un risque certain de transfert de charges de fiscalité sur les contribuables locaux, ce qui constitue aussi une aggravation des inégalités. Pour tenir les promesses du candidat Chirac et réduire l'impôt sur le revenu, qui est le plus juste, vous allez le transférer sur une fiscalité locale obsolète, particulièrement injuste. C'est toujours la même chose avec vous : ce sont les contribuables locaux les plus modestes qui font les frais de votre réforme.
    Enfin, vous n'avez aucune proposition sur la modernisation de la fiscalité locale, alors que la loi d'aménagement du territoire de 1995 comportait beaucoup de promesses. Il est vrai que c'était à la veille des élections. Vous vous étiez engagés à réviser les bases des valeurs locatives en 1997. Vous n'avez rien fait. Mais rien dans votre texte ne prévoit que la fiscalité locale doit tenir compte de la capacité contributive de chaque citoyen.
    Etes-vous favorable au remplacement de la taxe d'habitation par une imposition également répartie entre les citoyens en fonction de leurs facultés contributives ? C'est la Constitution.
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. La taxe d'habitation n'est pas la loi constitutionnelle !
    M. Michel Piron. Tout est dans tout, et réciproquement !
    M. Augustin Bonrepaux. L'UDF paraît s'être ralliée à cette idée en proposant la base de la CSG. Ce serait effectivement une forme de justice.
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Que ne l'avez-vous fait ! Vous avez été au pouvoir jusqu'en juin dernier !
    M. Augustin Bonrepaux. Quelle est votre position ? Voilà des questions fondamentales que le Premier ministre s'est d'ailleurs bien gardé d'aborder à cette tribune.
    Pour l'instant, vous nous indiquez que cette réforme est un point de départ. Il vaudrait mieux nous dire où vous voulez aller. Mais le savez-vous seulement ?
    En tout cas, vous n'avez pas encore expliqué clairement comment vous ferez cette décentralisation sans alourdir les impôts locaux qui frapperont les plus modestes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Quel procès d'intention !
    M. le président. La parole est à M. Gilles Bourdouleix.
    M. Gilles Bourdouleix. Monsieur le président, madame la ministre de l'outre-mer, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour un élu local qui entre cette année dans cet hémicycle, c'est une grande chance que de pouvoir participer à ce débat sur la loi constitutionnelle qui va donner un nouveau souffle à la décentralisation, bâtir une architecture encore plus forte grâce aux grands progrès que sont la reconnaissance de la région, de nouveaux transferts de compétences, l'affirmation de principes d'expérimentation, de subsidiarité, d'autonomie financière.
    Je voudrais pourtant exprimer un petit regret : pourquoi n'ouvre-t-on pas un débat plus vaste sur l'organisation territoriale et l'accumulation des niveaux administratifs qui rend bien souvent illisible pour le citoyen, voire pour l'élu local, le fonctionnement de nos institutions ? Je suis en effet de ceux qui considèrent que l'on pourrait réfléchir à la pertinence du niveau départemental dans nos collectivités territoriales, mais le débat n'est pas encore à l'ordre du jour.
    M. Pierre Hellier. Il est brûlant !
    M. Gilles Bourdouleix. Toutefois, je regrette profondément que l'on n'ait pas assuré la reconnaissance de ce qui, du point de vue de l'organisation territoriale, me paraît le phénomène majeur de ces dernières années, c'est-à-dire l'intercommunalité.
    M. Didier Migaud. Eh oui !
    M. Gilles Bourdouleix. Cette intercommunalité, fondée sur les communautés urbaines, les communautés d'agglomération, les communautés de communes, qui dénote une véritable volonté d'intégration, qui transfère des compétences de la commune à l'intercommunalité, qui vit sur une fiscalité propre, est, je crois, l'un des grands progrès de la décentralisation et de l'organisation du territoire au cours des dernières années.
    M. Didier Migaud. Tout à fait !
    M. Gilles Bourdouleix. C'est aussi la création sans doute la plus intelligente de la part des communes qui ont compris que, seules, elles perdent ou éparpillent des moyens humains et financiers, alors qu'en se regroupant autour de grandes compétences elles peuvent être plus fortes.
    M. Hervé Mariton. C'est ça, la subsidiarité !
    M. Gilles Bourdouleix. Cette non-reconnaissance dans le projet de loi constitutionnelle ouvre un vide juridique pour des aspects tels que le droit de pétition ou le référendum, ces grands progrès de la démocratie de proximité, qui seront interdits pour toutes les compétences transférées des communes à l'intercommunalité, puisque la loi interdit qu'une commune exerce une compétence qu'elle a déléguée à sa communauté urbaine, à sa communauté d'agglomération ou à sa communauté de communes.
    Cela signifie que des compétences importantes, de plus en plus nombreuses, des compétences entières, essentielles pour la vie de nos concitoyens, ne pourront pas être touchées par ces progrès de la démocratie locale. J'espère que l'on n'attendra pas, comme pour la région, vingt ans pour que soit reconnue constitutionnellement cette structure essentielle du développement des communes.
    J'espère aussi que l'on ne freine pas la France provinciale, où l'intercommunalité est beaucoup plus en avance qu'en Ile-de-France, et que l'on ne freine pas l'ensemble de la France à cause du retard de certaines régions. En reconnaissant cette intercommunalité-là, nous aurions fait un grand progrès.
    M. Arnaud Montebourg. M. le député de l'UMP est déçu, et il n'est pas le seul !
    M. Gilles Bourdouleix. Mon cher collègue, on peut exprimer une légère déception tout en ayant la grande joie...
    M. Arnaud Montebourg. Ça va mieux !
    M. Gilles Bourdouleix. ... de constater que la majorité à laquelle on appartient avance d'une manière forte et courageuse dans la décentralisation...
    M. Arnaud Montebourg. Les godillots couinent !
    M. Gilles Bourdouleix. ... indispensable pour l'avenir de notre République.
    En tout cas, mes chers collègues, soyez persuadés que, au-delà de la déception, je suis parfaitement heureux de pouvoir participer à cette construction de la décentralisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Arnaud Montebourg. Ce sont des regrets joyeux !
    M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg.
    Pour une fois, monsieur Montebourg, vous allez prendre la parole après que je vous l'aurai donnée. (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Mes chers collègues, écoutez M. Montebourg.
    M. Arnaud Montebourg. Oh, je n'en demande pas tant !
    Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame et monsieur les ministres, mes chers collègues, le texte présenté par le Gouvernement, en l'absence, ce soir, du Premier ministre (« Oh ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle)...
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Trois ministres sont là ! C'est de la mauvaise foi !
    M. Arnaud Montebourg. ... comporte 56 paragraphes pour l'amendement d'un texte - le texte constitutionnel suprême - qui compte 89 articles. Cinquante-six paragraphes pour modifier 89 articles ! C'est le symptôme d'une certaine démesure, vous en conviendrez, car l'amendement au pacte suprême ne peut que s'inspirer de l'écriture cristalline et lapidaire - j'insiste sur ce mot - d'un Portalis, faisant tenir tout l'esprit, donc toute la force, d'une transformation en quelques lignes et jamais davantage.
    Cela, Michel Debré, père fondateur de la Constitution du 4 octobre 1958, l'avait compris. Mais on ne peut pas reprocher à son actuel successeur, M. Raffarin, dont la culture politique est sans aucun rapport avec la dimension du père de notre président de l'Assemblée nationale...
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Bien aimé !
    M. Arnaud Montebourg. ... de ne rien entendre à l'exigence historique, politique, voire, disons-le, esthétique, d'une remise en question du pacte fondamental et suprême.
    M. Michel Piron. En matière d'esthétique, on fait mieux !
    M. Arnaud Montebourg. Votre projet est comme un mauvais cahier de brouillon où l'on aurait griffonné à la hâte quelques idées pour habiller maladroitement le véritable dessein qui ne dit pas son nom,...
    M. Michel Piron. C'est une autocritique ?
    M. Arnaud Montebourg. ... qui est à l'oeuvre dans toutes les lignes de votre texte, à savoir la théorie du dépérissement secret de l'Etat, le démantèlement sournois, insidieux, de l'Etat égalitaire et solidaire en France.
    J'ai envie d'aller plus loin en vous disant que c'est peut-être là aussi le signe d'une probable lâcheté politique. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Pourquoi ne pas affirmer haut et fort que, à la place d'un Etat point de ralliement et de construction de la nation française, lieu symbolique de l'échange et de la délibération, de construction du contrat social et républicain, ce dépérissement qui ne veut pas dire son nom, cette destruction que vous entreprenez en 56 paragraphes pour un texte de 89 articles...
    M. Hervé Mariton. Ça va, on a compris !
    M. Arnaud Montebourg. ... que vous allez faire voter à la sauvette, va établir une réforme de l'Etat que vous n'assumez pas et dont vous refusez de dévoiler le vrai visage ?
    Mme Ségolène Royal. Avouez-le !
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Quel tissu de mensonges !
    M. Arnaud Montebourg. Grâce à ce texte, les régions, les départements et les territoires vont pouvoir engager et entamer des courses de lévriers. Les plus rapides et les mieux pourvus décrocheront le pompon, comme à la fête à Neu-Neu ou à la foire du Trône.
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. C'est le cas aujourd'hui !
    M. Arnaud Montebourg. Les autres dépériront, et seront - que les députés des zones rurales sans moyens se méfient - livrés à eux-mêmes. (Exclamations sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Ça, c'est la situation actuelle !
    M. Arnaud Montebourg. Pourtant, si, derrière ce démantèlement, se levaient de saines et justes perspectives de construire autre chose qu'une restauration de barons, de ducs, de féodaux, de petits seigneurs,...
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Le carnet du jour, par exemple !
    M. Arnaud Montebourg. ... utilisant les mannes publiques à des fins clientélistes, nous aurions pu regarder votre dossier avec respect. Vous transmettez des compétences, des pouvoirs supplémentaires, des moyens publics considérables à des milliers d'élus ; soit. Mais où sont passés les comptes rendus de mandat remis aux citoyens qui pourraient contrôler la politique menée, comme c'est le cas, par exemple, à Paris ? Les Grecs du Ve siècle avant Jésus-Christ ont inventé la reddition des comptes. Je ne vois pas que le grand projet audacieux ait réinstallé, alors qu'il s'agit d'une création d'il y a plus de deux mille ans, la reddition des comptes, le compte rendu de mandat qui aurait pu équilibrer la nouvelle répartition des compétences.
    Où sont - je commence là une énumération qui ne sera pas longue, monsieur le ministre, rassurez-vous - les droits de l'opposition, quelle qu'elle soit, qui permettraient de faire vivre la délibération, d'améliorer la fonction de contrôle, en un mot de faire exister de véritables contre-pouvoirs, qui sont toujours nécessaires ? Ceux qui existent sont trop maigres à nos yeux. Qu'en est-il, et je rappelle les regrets exprimés par l'orateur qui m'a précédé à cette tribune, du fameux droit de pétition qui devait être placé entre les mains des citoyens ?
    Finalement ces référendums restent, à la suite des amendements du Sénat et avec le soutien du Gouvernement, à la discrétion des élus. Les citoyens pétitionneront seulement si les élus le veulent bien.
    M. Marc Le Fur. Vous en avez fait combien de référendums ?
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ? Vous aviez le pouvoir jusqu'en juin dernier !
    M. Arnaud Montebourg. A ce propos, que sont donc devenus les contre-pouvoirs qui devaient voir le jour à la suite des lois de décentralisation de 1982 ? Aujourd'hui on ne peut que constater les faits : un préfet est devenu une sorte de petit moineau juché sur la carapace d'un président de conseil général devenu, lui, rhinocéros.
    M. Marc Le Fur. Quel mépris !
    M. Hervé Mariton. Supprimez les moineaux !
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission. C'est vraiment déplacé et insultant ! Le corps préfectoral mérite un peu de respect ! Il y a un préfet qui l'a payé de sa vie ! C'est scandaleux d'entendre cela à l'Assemblée nationale !
    M. Arnaud Montebourg. Il tremble pour sa carrière, mes chers collègues, face au second qui pèse d'un budget de plusieurs milliards et s'alourdit encore de la faculté de cumuler les mandats, ce qui lui donne - certains d'entre vous sont des professionnels en la matière - des perspectives de puissance et d'influence à Paris suffisantes pour se débarrasser d'un préfet gêneur, qui aurait le malheur de se contenter de faire son travail.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Qu'en avez-vous fait des préfets : l'un est en prison, un autre a été tué !
    M. Arnaud Montebourg. Le premier est révocable ad nutum s'il venait à déplaire en faisant son travail, par exemple en exerçant le contrôle de légalité, et voilà comment l'ordre républicain est finalement inversé.
    Et qu'on ne vienne pas nous dire, comme le fit benoîtement M. le président Méhaignerie, non sans un certain art de l'hypocrisie - mais j'ai pour lui le plus grand respect - que cette organisation nouvelle de la République devrait favoriser la maîtrise des prélèvements obligatoires. Car on sait ce que produit une décentralisation qui ne fait pas leur place aux nécessaires contre-pouvoirs : insuffisance des mécanismes de contrôle des chambres régionales des comptes, faiblesse des oppositions politiques, impossibilité, pour les contribuables eux-mêmes, du moins ceux qui sont attentifs à l'utilisation des fonds publics, de contrôler leur usage. Il suffit pour s'en convaincre d'examiner d'un oeil exercé la statistique des affaires politico-financières, qui ont touché environ un tiers des conseils généraux et un quart des conseils régionaux dans les dix dernières années.
    M. Marc Le Fur. Vos amis le savent !
    M. Arnaud Montebourg. On est en droit, monsieur le président de la commission des finances - je salue son siège vide - d'exploser de rire lorsque vous nous parlez de dépenses publiques qui seront maîtrisées grâce à la décentralisation. Le gaspillage des fonds publics n'épargne pas les grandes collectivités locales, qui évoluent dans l'irresponsabilité parce que leurs institutions sont calquées sur le modèle monarchique national que vous ne voulez pas combattre. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    En bref, la décentralisation aurait pu servir la citoyenneté, si elle s'était appuyée sur les citoyens, au lieu de n'être qu'une affaire d'élus, faite pour la satisfaction de cette puissante corporation et organisée par leurs seuls soins. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Mme Maryse Joissains-Masini. Qui ?
    M. Yves Simon. Qu'est-ce que c'est ?
    M. Arnaud Montebourg. Le même symptôme se révèle dans ce droit de priorité donné au Sénat.
    Il faut dire un mot de cette assemblée. Parce que le Sénat, quand même, qu'est-ce que c'est ? C'est - mais je crains de susciter vos réactions en le disant - une assemblée sans électeurs.
    M. Didier Migaud. En tout cas très peu.
    M. Marc Le Fur. Comment peut-on dire une bêtise pareille ?
    M. Hervé Mariton. Allons, Montebourg, il ne faut pas exagérer !
    M. Arnaud Montebourg. Peut-on rappeler un instant comment on élit un sénateur ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle).
    M. Marc Le Fur. Vous remettez en cause notre démocratie ?
    M. Arnaud Montebourg. Une fois tous les neuf ans, par un jour de brouillard, on réunit quelques grands électeurs du département désignés quasiment par tirage au sort...
    M. Jean-Marie Geveaux. Vous exagérez !
    M. Arnaud Montebourg. ... puisque les conseils municipaux qui les désignent ne contrôlent que rarement, surtout en milieu rural, les opinions politiques, que les grands électeurs vont défendre.
    M. Jean-Luc Warsmann. Vous voulez contrôler l'opinion politique des électeurs ?
    M. Arnaud Montebourg. Ce sont ces maires de communes rurales - que je respecte par ailleurs - qui me font toujours sourire quand ils me disent à tout instant : vous savez, monsieur le député, moi je ne fais pas de politique. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)

    M. Marc Le Fur. Quel mépris des élus !
    M. Arnaud Montebourg. Et j'ai pour habitude de répondre : ça tombe bien, monsieur le maire, moi non plus ! (Sourires.)
    Souvent les grands électeurs votent ainsi, - en ne faisant pas de politique paraît-il -, c'est-à-dire le plus souvent à droite.
    M. Franck Gilard. Ils ont le front bas ?
    M. Hervé Mariton. Est-ce possible ? (Sourires.)
    M. Arnaud Montebourg. Pis, ces grands électeurs disparaissent dans le brouillard comme des clandestins au sortir de la préfecture, aussitôt après avoir mis leur bulletin dans l'urne. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    De sorte qu'aujourd'hui les sénateurs sont des parlementaires sans électeurs qui ne rendent de compte à personne.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Quel grand orateur !
    M. Marc Le Fur. Vous oubliez les banquets républicains !
    M. Arnaud Montebourg. Ils n'ont pas de comptes à rendre de leur présence ou de leur absence, ni du contenu de leur vote, ni des orientations politiques qu'ils doivent défendre, devant un corps électoral qui a disparu (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle) passant de l'état solide à l'état gazeux en l'espace de vingt-quatre heures. Et tout cela pour neuf ans !
    Mme Maryse Joissains-Masini. N'importe quoi !
    Mme Ségolène Royal. Ils n'ont même pas de permanence !
    M. Arnaud Montebourg. Dans mon département, qui est aussi le vôtre, cher garde des sceaux, l'un de nos trois sénateurs ne s'est pas signalé, j'ai vérifié l'affaire, par une quelconque présence au Sénat depuis plusieurs années !
    Mme Maryse Joissains-Masini. Un peu de pudeur !
    M. Arnaud Montebourg. Qui lui en a demandé compte ? Qui sait même s'il est absent. Et qui s'en soucie d'ailleurs...
    M. Hervé Mariton. Jaloux !
    M. Jean-Marie Geveaux. Vous serez peut-être le premier à vouloir en faire partie !
    M. Arnaud Montebourg. ... à part nous autres qui défendons les citoyens ?
    Lorsque le Premier ministre, lui-même ancien sénateur, toujours battu au suffrage universel direct (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle)...
    M. Hervé Mariton. Quelle élégance, Montebourg !
    M. Didier Migaud. C'est vrai !
    M. Arnaud Montebourg. ... et qui n'a pu se présenter qu'au Sénat parce qu'il lui était beaucoup plus facile de s'y faire élire (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle) lorsqu'il se rend devant cette haute et noble assemblée, les sénateurs eux ne se déplacent même pas.
    M. Guy Geoffroy. C'est ignoble.
    M. Marc Le Fur. C'est Guignol !
    M. Arnaud Montebourg. Ce qui nous permet de comprendre enfin que, faute d'électeurs pour les sénateurs, il n'y a le plus souvent plus de sénateurs du tout.
    M. Jean-Luc Warsmann. Attaquer un parlementaire malade, c'est une honte ! cela ne vous grandit pas.
    M. Augustin Bonrepaux. C'est une réalité ! Vous la contestez ?
    M. Arnaud Montebourg. On démissionne quand on ne peut pas assumer son mandat. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Luc Warsmann. C'est une honte. Salir un malade ! Présentez vos excuses !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Attaquer les mourants, c'est l'humanité de la gauche !
    M. Arnaud Montebourg. Le scandale de ce mandat de neuf ans fait de cette chambre, aux yeux des plus indulgents, une chambre illégitime parce que antidémocratique (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle)...
    M. Jean-Luc Warsmann. C'est scandaleux. S'en prendre à quelqu'un de malade est honteux. Vous devriez présenter des excuses.
    M. Arnaud Montebourg. ... dont une réforme profonde est pour un grand nombre d'entre nous un objectif politique.
    Lionel Jospin avait raison de dire qu'il s'agissait d'une anomalie. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Guy Geoffroy. C'est une honte !
    M. Arnaud Montebourg. Pierre Mauroy avait raison d'ajouter qu'il s'agissait d'une chambre indigne.
    M. Marc Le Fur. Qu'il aille se coucher !
    M. Guy Geoffroy. Nous ne sommes pas ici dans un prétoire.
    M. Arnaud Montebourg. Il est temps de dire qu'il s'agit d'une provocation institutionnelle. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Mme Maryse Joissains-Masini. Au lit ! Pourquoi on le laisse parler ?
    M. le président. Laissez M. Montebourg terminer.
    M. Arnaud Montebourg. Vous devriez décompter les interruptions de mon temps de parole, monsieur le président. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Laissez terminer votre collègue ! Vous devriez être habitués.
    M. Arnaud Montebourg. Mais oui. Vous serez bientôt soulagés.
    M. le président. Poursuivez, monsieur Montebourg.
    M. Arnaud Montebourg. L'atteinte à la souveraineté populaire par ce droit de priorité accordé au Senat, que nous sommes d'ailleurs les seuls à dénoncer dans cette assemblée, est caractérisée.
    Le groupe socialiste a déposé un amendement qui propose la suppression de cette mesure. Je vous suggère de l'adopter : vous apaiserez ainsi ceux qui s'inquiètent d'un retour à cette démocratie censitaire, qui relève davantage de la monarchie de Juillet que d'une République vivante appartenant, paraît-il, à tous les citoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. Francis Delattre.
    M. Francis Delattre. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en montant à cette tribune, membre de l'UMP et fier de l'être...
    Mme Maryse Joissains-Masini. Bravo !
    M. Francis Delattre. ... je me dis qu'il y a ceux qui croient au ciel et ceux qui y croient un peu moins. Si nous posions la question du fond de notre débat...
    Plusieurs députés sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. M. Montebourg s'en va déjà !
    M. Hervé Mariton. Un peu de courage, Montebourg !
    M. Francis Delattre. ... aux habitants de nos communes qui nous font confiance, ils nous diraient qu'ils attendent de nous que nous débattions de la confusion des responsabilités, due à cet empilement des collectivités où ils ont du mal à démêler les véritables responsabilités. Mais nous autres, élus, n'attendons somme toute que le deuxième volet de la décentralisation de 1982, c'est-à-dire le volet financier.
    Aussi, hormis les dispositions qui concernent l'outre-mer et qui me paraissent utiles, je me serais satisfait pour ma part du seul article 6.
    Que la région soit reconnue par la Constitution comme une collectivité de plein exercice - ce qu'elle est dans les faits -, pourquoi pas ? Mais était-il opportun, messieurs les ministres, d'introduire un certain nombre de concepts assez éloignés d'une décentralisation juridiquement bien maîtrisée ?
    Sur l'article 6, qui traite des ressources, je ferai simplement une petite observation en m'appuyant sur mon expérience d'élu de la région parisienne. Je suis toujours frappé par l'attitude de mes collègues de province, aux yeux desquels je suis le parisien uniquement soucieux de défendre les intérêts de sa région prétendument riche.
    En réalité la région Ile-de-France a aussi ses inégalités, elle aussi a besoin d'une politique d'aménagement, elle aussi a besoin de décentralisation, notamment en matière de transports en commun, dont on a beaucoup parlé à l'occasion du débat autour de la décentralisation. En région parisienne, nous en sommes très loin : le syndicat qui met en oeuvre les transports collectifs en région parisienne est présidé par le préfet de région, et animé en fait par une technostructure, situation que vous connaissez bien. Ce qui fait que les élus de la région parisienne et de la banlieue n'ont que peu de maîtrise sur un secteur aussi essentiel que leurs transports en commun.
    M. Paul Giacobbi. L'Etat les finance tout de même à 70 % !
    M. Francis Delattre. Résultat ? Pour ce qui concerne l'organisation de ces transports on continue imperturbablement à conduire des liaisons nouvelles à partir du coeur de Paris ; en revanche, toute tentative d'établir les liaisons - comme les liaisons interbanlieues - qui seraient nécessaires à l'aménagement et au rééquilibrage de la région parisienne, est battue en brèche. La volonté politique est là, mais la technostructure ne suit jamais, et vous pouvez le constater tous les jours, chers collègues qui utilisez les transports en commun de la région parisienne.
    D'où la nécessité d'une décentralisation maîtrisée.
    Mais très franchement, était-il opportun, sans vouloir être excessif, d'introduire l'article 3 ?
    M. Didier Migaud. Non ! Sûrement pas !
    M. Francis Delattre. Je ne dirai pas à ce propos priorité et légitimité, monsieur le ministre,...
    M. Augustin Bonrepaux. Vous avez raison !
    M. Francis Delattre. Je dirai priorité et rigidité. Est-il opportun que le Gouvernement renonce au droit qu'il a aujourd'hui de choisir de présenter ces textes devant l'une ou l'autre chambre en priorité ?
    Moi qui ai suivi les événements de Nouvelle-Calédonie, je n'imagine pas comment les accords de Matignon, qui ont suivi des élections, présidentielle et législatives, auraient pu ne pas être débattus à l'Assemblée nationale en tout premier lieu ?
    M. Didier Migaud. L'exemple est tout à fait pertinent !
    M. Francis Delattre. Il faut veiller à ce que les citoyens puissent voir, dans les semaines, dans les mois qui suivent leur vote, son application concrète. C'est ça aussi l'esprit de mai.
    Il est vrai que notre collègue Pierre Méhaignerie a proposé un amendement, parce que tel qu'il était revenu du Sénat l'article 3 était inconcevable.
    M. Didier Migaud. Il le reste !
    M. Francis Delattre. Le voter en l'état reviendrait en effet a nous dessaisir de facto de tout l'aspect financier, 50 % au moins des ressources des collectivités locales provenant du budget de l'Etat. Alors admettre que ces ressources soient débattues prioritairement au Sénat revient à renoncer nous-mêmes à examiner la loi de finances en priorité, ce qui est quand même un bouleversement !
    Ce qu'il faut aujourd'hui c'est de la clarté. Nous présentons, monsieur le ministre, trois amendements qui essaient de rendre les choses plus acceptables par tout le monde, celui du président de la commission des lois, celui du rapporteur et celui du président de la commission des finances. J'espère que ce type de négociation débouchera sur un texte à la hauteur de la Constitution.
    M. Augustin Bonrepaux. Non !
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bien sûr que non !
    M. Didier Migaud. C'est un article de convenance !
    M. Francis Delattre. Non ! je ne dirai pas de convenance, je dirai qu'il introduit une rigidité inutile.
    Mme Ségolène Royal. Voilà !
    M. Francis Delattre. L'article 4 pose aussi quelques problèmes, mes chers collègues, si vous voulez un humble avis provenant du fin fond de la banlieue parisienne. Est-il utile, est-il même prudent d'inscrire dans la Constitution le principe même de subsidiarité, même si idéologiquement nous sommes d'accord là-dessus ?
    Nous reconnaissons que « les collectivités territoriales ont vocation à exercer l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon. » La seule question est...
    Mme Ségolène Royal. Qui va payer ?
    M. Francis Delattre. ... de savoir qui va décider desdites compétences : seront-elles déterminées par l'autosaisine, toutes les collectivités...
    M. Didier Migaud. Bonne question !
    M. Francis Delattre. ... estimant, souvent à juste titre, qu'elles sont les mieux à même ? Et qui va trancher ?
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bonne question !
    M. Didier Migaud. Ils ne répondent rien !
    M. Francis Delattre. Mes chers collègues, il faut que ce soit le Parlement qui tranche...
    M. Didier Migaud. Bien sûr !
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C'est clair !
    M. Francis Delattre. Car dans l'état actuel de votre texte, c'est à terme le juge...
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bien sûr !
    M. Francis Delattre. ... qui tranchera la question de savoir quelles sont les compétences les mieux à même de s'exercer au niveau local, et avec quelles ressources.
    Mme Ségolène Royal. Bonjour le contentieux !
    M. Francis Delattre. J'ai rarement vu, fût-ce à cette heure, une assemblée se résigner à une telle diminution de ses prérogatives.
    Et puis pensez aux conflits d'intérêts, aux problèmes d'interprétation que va soulever un article aussi mal rédigé, dans un français aussi approximatif.
    Mme Ségolène Royal. Une raffarinade !
    M. Francis Delattre. Comparé au style de la Constitution, c'est du charabia.
    M. Didier Migaud et M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Très bien !
    Mme Ségolène Royal. Charabiarinade !
    M. Francis Delattre. Il faut revenir sur cette piteuse rédaction, car si on ne met pas de garde-fou, cela signifie que le Parlement se dessaisit du pouvoir de décider quelles seront les compétences les mieux exercées et à quel niveau.
    M. Didier Migaud. Lâcheté !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Mais non !
    M. Francis Delattre. Eh bien !, vous m'expliquerez le contraire !
    Il faudrait donc retenir au moins l'amendement qui précise que le dernier mot reviendra au Parlement ; sinon, on va vers des situations conflictuelles, et des contentieux sans fin. Surtout on mettra en danger un principe que nous soutenons, mais dont les modalités juridiques, telles qu'elles nous sont aujourd'hui présentées, auront un effet dévastateur. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Auguste Bonrepaux. Bravo !
    Mme Ségolène Royal. Voilà un homme courageux !
    M. Didier Migaud. Mais isolé.
    M. Francis Delattre. Ce n'est pas grave.
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Très bien !
    M. Didier Migaud. Il a dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas !
    Mme Ségolène Royal. Les mesures de rétorsion ne vont sans doute pas tarder !
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Mais à l'Assemblée la parole est libre !
    Mme Ségolène Royal. C'est un bonheur l'Assemblée, monsieur Delattre !
    M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel.
    M. Victorin Lurel. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, chers collègues, vous me permettrez, avant d'aborder notre sujet, d'avoir un mot pour la Guadeloupe.
    Nous avons tous été meurtris par l'image qui en a été donnée et par le tam-tam médiatique qui a été prodigué généreusement à ce département. Je veux vous dire, mes chers collègues, de venir en Guadeloupe, vous y serez bien accueillis, vous ne serez pas agressés. D'ailleurs, j'exhorte les collègues de l'intergroupe DOM-TOM, on l'a vu ce matin avec le président Debré, à tenir une conférence de presse ou à proposer une motion que nous signerions tous, pour revaloriser, non seulement la Guadeloupe, mais la destination des départements français d'Amérique dans son ensemble. C'est une belle destination, et on y est en France.
    L'outre-mer attendait avec quelque impatience que la République acceptât de réformer son organisation administrative. Vous savez que l'outre-mer a payé un lourd tribut à l'intégrime juridique, en particulier celui du Conseil constitutionnel. Vous vous rappelez en effet que notre collègue Emmanuelli, mon camarade, avait voulu rationaliser l'organisation administrative des départementss d'outre-mer. Sans succès, hélas ! Sous prétexte qu'il fallait, par mimétisme administratif et juridique, créer, sur un même territoire, deux collectivités. Cela a donné ce que vous savez : les aberrations des régions mono-départementales. Aujourd'hui, nous avons bien du mal à dépenser comme il faut l'argent public, et parfois même à moins nous entendre sur des questions subalternes.
    Il faut poursuivre la décentralisation. Vous prenez le relais : c'est l'alternance. Je rappelle à celles et ceux qui l'auraient oublié, que c'est en 1988 que notre collègue Le Pensec, dans le gouvernement de M. Rocard, avait initié et presque inventé le concept d'évolution différenciée, de statut à la carte. Je crois d'ailleurs que vous reprenez ce terme excellent. N'oublions pas la loi d'orientation pour l'outre-mer, la LOOM, enfin, qui avait compris que l'outre-mer n'a pas seulement un problème institutionnel, mais qu'elle doit marcher sur ses deux jambes, à savoir qu'il fallait favoriser le développement économique et social et, bien entendu, faire sauter ce que d'aucuns appelaient les verrous institutionnels. Nous sommes sur ce chapitre.
    Votre loi est donc nécessaire, et les socialistes ne l'ont jamais contestée dans son principe. Ce que nous constestons, c'est sa philosophie et son contenu.
    Elle est nécessaire parce qu'elle poursuit le mouvement de décentralisation ; parce que l'Etat doit se réformer, mais pas, comme vous voulez le faire, en débudgétisant, voire en décentralisant les déficits ; alors qu'il faut, au contraire, décider au plus près des populations.
    La question reste ouverte de savoir s'il faut intégrer ou non dans la Constitution cette fameuse subsidiarité, concept de droit épiscopal romain, que l'Europe a repris et qu'on veut appliquer aujourd'hui à la France.
    Enfin, elle est nécessaire parce qu'en la matière la France est en retard par rapport à l'Europe.
    Un spectre hante cette assemblée, un tabou, pour ne pas dire un refoulé, c'est le fédéralisme, vu comme l'éclatement de la République. Vous comprendrez que venant de l'outre-mer, d'un territoire situé à 8 000 kilomètres d'ici, ma sensibilité et nécessairement mon point de vue soient quelque peu différents.
    Sur les vingt régions que compte l'Italie, république unitaire, cinq - et je ne parle même pas de Trente et Bolzano - disposent d'un véritable pouvoir d'initiative législative. La loi fondamentale italienne n'est pas pour autant bousculée ou violée, que je sache. De même, les dix-sept communautés du royaume espagnol bénéficient d'une grande autonomie. Cela signifie que même si cette réforme est adoptée, la France ne sera pas encore au standard européen. Sans même parler des deux autres Etats fédéraux, l'Allemagne et le Royaume de Belgique, ni de ce royaume multinational qu'est le Royaume-Uni.
    Et voilà que j'entends dire ici que la République serait en danger.
    Chers collègues, il n'est pas iconoclaste d'affirmer que cette réforme est nécessaire pour réduire - même si cette dialectique n'appartient pas à ma famille politique - l'écart entre le pays légal et le pays réel. Disons-le très clairement : nous ne prenons pas suffisamment en compte les différences. M. Blessig a dit qu'il fallait parler de diversité. Oui, il faut en parler sans pour autant faire sauter l'unité de la République.
    Comment faire cohabiter l'unité et la différence, l'identité et l'altérité ? Comment faire vivre l'universalité et, terme qui fait flores en Caraïbes, « la diversalité » ?
    La République n'en souffrira pas. Il n'est pas vrai que nous serions subitement devenus des communautaristes ou les adeptes de je ne sais quelle discrimination positive. Non, nous ne demandons pas à sombrer dans le différencialisme. Evoquer devant vous ces questions peut blesser. Mais l'outre-mer a une autre vision.
    Acceptons de regarder la France telle qu'elle est. Elle est multicolore, elle est « black, blanc, beur ». Elle est multi-ethnique, multiconfessionnelle. Même si la laïcité, qui est un formidable instrument d'armistice social, a réglé le problème entre les confessions, nous n'y sommes pas encore parvenus entre les territoires et entre les citoyens, en tout cas pas suffisamment pour celles et ceux qui vivent leurs différences.
    C'était l'occasion, solennelle et unique de le prendre en compte. Or ce texte ne le fait pas. A l'article 1er, qui forge l'identité de la République, nous restons quelque peu immobiles, pour ne pas dire fixistes. Je tenais à cette petite musique discordante qui, à mon sens, est une dialectique qui peut se marier avec l'unité et avec l'égalité.
    Pourquoi ne pas en parler dans cette enceinte ? M. Sarkozy a évoqué en Corse certains problèmes. Des camarades socialistes se sont exprimés sur ce sujet dans l'hebdomadaire Marianne. Mais jamais ici, comme si nous avions peur, tétanisés à l'idée de lever des tabous. Ce ne serait pas remettre en cause le bloc de constitutionnalité ni l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme selon lequel nous naissons et demeurons libres et égaux en droit que d'insérer dans l'article 1er, aux côtés du principe d'égalité, la notion de diversité.
    Si nous comprenons la nécessité de légiférer et de réformer la Constitution, nous ne partageons pas du tout la philosophie de votre texte. Mes camarades ont exprimé avec beaucoup de brio et d'excellence ce qu'il faut en penser.
    C'est une réforme marquée au coin d'une philosophie que je comprends mais que je n'approuve pas : le libéralisme. Elle risque de se révéler, à terme, inégalitaire. On ne sait même pas ce que sera l'architecture administrative et territoriale de la France d'ici à vingt, trente ou quarante ans, parce que chacun ira faire des emplettes dans le bazar, ou plutôt dans la besace de l'Etat parce que ceux qui auront les moyens de mener ces expérimentations les auront faites. J'entends bien qu'on reviendra après à l'uniformité ; mais, pour l'instant, il y a véritablement imprévisibilité des configurations institutionnelles, un peu comme les ensembles flous en mathématiques. On aime bien les jardins à la française ce n'est pas encore tout à fait le cas.
    Nous ne pouvons pas nous faire une idée exacte parce que nous n'avons pas non plus les lois organiques qui permettraient une certaine lisibilité à moyen terme.
    Enfin, cette loi constitutionnelle nous inquiète par son contenu. On a dénoncé la prééminence donnée au Sénat. Il est anormal, dans un pays démocratique, qu'il n'y ait pas eu d'alternance depuis si longtemps dans une telle assemblée. Ce n'est pas par incapacité des gens qui se réclament de la gauche que nous n'y sommes pas majoritaires. Même si je respecte mes collègues sénateurs, je considère que c'est un problème.
    Des pouvoirs exorbitants seront donnés aux juges constitutionnels, de par l'imprécision des textes, des termes et des concepts juridiques employés.
    M. Philippe Vuilque. Exactement !
    M. Victorin Lurel. On l'a vu, en outre-mer, pour la fameuse adaptation.
    Vous me permettrez d'insister, chers collègues, sur les insuffisances du texte. Celui-ci ne donne pas assez de pouvoirs aux citoyens. Certes, il y a le droit de pétition, mais pas ce qu'on aurait souhaité : un référendum abrogatif.
    On a l'impression que le dispositif ne parle pas suffisamment aux citoyens, que c'est un peu compliqué, que c'est une sorte d'usine à gaz. Dans l'outre-mer, nous connaissons les habilitations, les dérogations, les expérimentations avec la fameuse ordonnance de 1960 sur l'organisation administrative adaptée de nos collectivités. Mais cela n'a rien donné. Une demande d'habilitation nous renvoyait aux calendes grecques, pire encore : aux calendes guadeloupéennes ou martiniquaises. (Sourires.)
    Je dénoncerai, pour finir, deux ambiguïtés.
    L'inscription nominative des dix collectivités dans la Constitution est très opportune. Vous rassurez ainsi une frange importante de l'outre-mer. Mais il ne faut pas faire mentir l'histoire, il ne faut pas la verrouiller. Ne préemptez pas l'avenir.
    On lit dans le journal Le Monde : « Le garde des sceaux déclare que le projet de loi sur la décentralisation vise à contrer les velléités indépendantistes. » Mais ce n'est sincèrement pas la question, en tout cas en Guadeloupe, ni en Martinique. Faire un texte pour contrer des gens, avec lesquels nous savons par ailleurs que vos amis ont passé alliance en Guadeloupe (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), c'est grave !
    J'appelle votre attention sur l'alinéa 2 du Préambule de la Constitution, qui concerne la libre détermination reconnue aux peuples de l'outre-mer. Or depuis le 4 mai 2000, selon, une « jurisprudence Mayotte » sur la loi d'orientation, les peuples de l'outre-mer sont englobés dans un concept géographique. Cela veut dire qu'aujourd'hui les DOM auraient la libre détermination. Il faut y faire attention !
    Je rappelle aux collègues qui ne s'intéressent pas suffisamment à l'outre-mer qu'il y avait deux peuples : le peuple français, dans l'Hexagone, la Corse et les DOM ; puis, les peuples de l'outre-mer. Depuis la jurisprudence sur la LOOM, il y a maintenant un concept géographique. Comme on organise le va-et-vient entre l'article 73 et l'article 74, on va passer de peuple à population, de population à peuple. Il y a là une jurisprudence à harmoniser.
    Ensuite, vous verrouillez l'avenir et vous écrivez, comme M. Francis Fukuyama, la fin de l'histoire. A l'instar de ce que certains demandent dans d'autres départements d'outre-mer, les générations à venir ne pourront plus décider. Le dialogue étant verrouillé, les bombes et les nuits bleues reparleront dans mon petit pays, comme cela s'est passé en 1983 et en 1987.
    La plus belle définition de la nation, c'est celle que vous avez mise au point à propos de l'Alsace-Lorraine. Les Alsaciens demandaient à être français, mais en allemand. Et M. Renan, qui était un raciste acoquiné avec M. Gobineau..., a trouvé une très belle formule, celle du « vouloir vivre ensemble ». C'est le plébiscite de tous les jours. Alors, pourquoi ne pas faire confiance à l'affection ? Comme dirait Fustel de Coulanges répondant à Mommsen, « la patrie, c'est ceux que l'on aime ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. Ne dites pas de mal de Renan !
    La parole est à Mme Huguette Bello.
    Mme Huguette Bello. Madame la ministre, messieurs les ministres, chers collègues, pour sortir la France de son jacobinisme, un processus de large décentralisation a été lancé, il y a vingt ans. Pour lui permettre d'affronter les défis de l'élargissement de l'Union européenne et ceux de la mondialisation, une nouvelle étape nous est proposée.
    A cette occasion, le Gouvernement a souhaité apporter une réponse actualisée à un débat historique qui se pose dans les départements d'outre-mer : comment affirmer l'appartenance de ces départements à la République et, en même temps, souligner leurs spécificités ?
    Dans le projet gouvernemental, la réécriture des articles 72 et 73 autorisait des évolutions, mais dans le cadre de la République et en respectant certaines obligations. Ainsi, contrairement à ce que d'aucuns ont pu déclarer, la réforme ne permet pas à la Réunion d'accéder à l'indépendance et son ancrage dans la République est consolidé.
    S'inscrivant dans le mouvement général de décentralisation pour toutes les collectivités territoriales de la République, le projet gouvernemental permettait aux départements et régions d'outre-mer de fixer eux-mêmes les adaptations sur leur territoire, y compris dans certaines matières relevant du domaine de la loi, mais uniquement en cas d'habilitation par le législateur.
    Pour les départements d'outre-mer, le projet de réforme visait à adapter la Constitution à une réalité qui a évolué et à permettre à leurs collectivités de jouer un rôle plus affirmé dans le contexte de la mondialisation.
    A la Réunion, des représentants politiques se sont mis à jouer sur les peurs et les fantasmes et à faire revivre la crainte du « largage ». Ils rejettent toute idée d'évolution. Pire, ils n'envisagent aucune possibilité d'adaptation. Ils préconisent l'application stricte du droit commun, alors même que nous savons tous que la prise en compte de nos réalités passe nécessairement par la faculté d'adapter certains textes.
    L'essentiel de cette prise de position a été consignée dans un amendement voté par le Sénat. Soucieux de préserver la cohérence du texte gouvernemental, le président de notre commission des lois a fait voter un amendement supprimant cette disposition.
    M. René Dosière. Il a eu raison !
    Mme Huguette Bello. Mais, dans un communiqué diffusé ces jours-ci, le président du conseil général de la Réunion a fait part d'un entretien qu'il venait d'avoir avec la ministre de l'outre-mer et le président de la commission des lois, et au cours duquel il avait obtenu de M. Clément le retrait de son amendement de suppression.
    M. René Dosière. Honteux !
    Mme Huguette Bello. Cette décision a été interprétée par ceux qui l'ont souhaitée comme un premier recul du Gouvernement et de notre assemblée. Ils en espèrent d'autres.
    M. René Dosière. C'est scandaleux !
    Mme Ségolène Royal. En plus, c'est contraire au droit !
    Mme Huguette Bello. Le fait qu'un élu local, fût-il le président du conseil général, non seulement obtienne le retrait d'un amendement, mais encore en fasse la publicité avant même que notre assemblée, en soit informée est lourd de signification.
    Si la décision du président de la commission des lois était confirmée, la cohérence du texte gouvernemental serait largement remise en cause. Notre assemblée s'apprêterait en somme à accepter le « plus » et à refuser le « moins », c'est-à-dire à accepter le passage éventuel d'une collectivité à une autre, mais à refuser à la Réunion des possibilités d'adaptation dans le strict cadre de la loi.
    Mme Ségolène Royal. C'est scandaleux !
    Mme Huguette Bello. C'est la cohérence même de la réforme qui est mise à mal. C'est l'histoire qu'on insulte. C'est l'avenir qu'on fige.
    Et lorsque les difficultés apparaîtront pour adapter des dispositions législatives aux réalités locales, il n'y aura pas d'autre alternative qu'une évolution statutaire. Est-ce le but recherché ?
    Ceux qui ne veulent rien changer font preuve d'un manque de confiance dans la capacité de nos concitoyens à juger et à prendre leurs responsabilités. L'histoire se répète. Au moment de l'abolition de l'esclavage, des forces se sont opposées au prétexte que la réforme allait faire périr la colonie. Plus tard, l'accession de la Réunion au statut de département a été vivement attaquée et combattue par un camp qui estimait ses intérêts menacés. Parmi les opposants d'aujourd'hui au projet constitutionnel se retrouvent les héritiers de ces mouvements. Ceux qui n'ont que le mot de départementalisation à la bouche sont ceux-là mêmes qui, depuis 1947, ont combattu tous les efforts de la République pour donner tout son contenu à ce principe.
    La polémique autour de la révision constitutionnelle est un leurre. Elle intervient pour détourner la population des vraies questions qui la préoccupent.
    Prenons les emplois-jeunes. Des milliers de jeunes Réunionnais sont inquiets pour leur avenir. Malgré les engagements et les initiatives, celles et ceux dont les contrats arrivent à expiration nourrissent de réelles craintes. En l'état actuel des choses, rien ne permet de dire qu'ils ne resteront pas au bord du chemin. C'est à l'avenir de ces jeunes que nous devons consacrer nos énergies.
    Prenons la filière canne-sucre. Avec l'élargissement de l'Union européenne et la mondialisation, les menaces s'accumulent. Et les échéances se rapprochent. Nous ne pouvons laisser les 5 000 derniers livreurs de canne de l'île et, avec eux, toute la profession, totalement désarmés.
    Prenons les journaliers communaux. La relance de la décentralisation donnera plus de compétences aux communes. Comment pourront-elles innover si on ne les aide pas à régler la question des journaliers communaux et celle de tous les contrats précaires ? Les 11 000 journaliers communaux de la Réunion méritent mieux que ce statut illégal et hors norme.
    Prenons la crise aiguë du logement. La pression démographique sur la construction et la réhabilitation de logements sera de plus en plus forte. Tous les voyants sont déjà au rouge. Nous sommes pratiquement dans une impasse. Pouvons-nous raisonnablement attendre sans réagir ?
    Le véritable enjeu est celui du développement économique et de l'emploi. La décentralisation peut être un levier. C'est la raison pour laquelle nous devons aborder cette réforme constitutionnelle de manière responsable. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle, du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton.
    M. Hervé Mariton. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, les Français demandaient-ils une révision de la Constitution ? (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Non. La réforme qui nous est présentée est-elle indispensable ? (« Non ! » sur les mêmes bancs.) Oui,...
    Mme Ségolène Royal. Pas de cette façon !
    M. Hervé Mariton. ... parce qu'elle exprime une vision, qu'elle requiert une pédagogie. Vision et pédagogie qui, au fond, sont au coeur de notre mission.
    Cette révision permettra de donner une dimension politique à un débat trop souvent kidnappé ces dernières années, soit par une compréhension administrative déterministe de ce que devrait être l'organisation territoriale de notre pays ; soit par une approche trop prisonnière de l'analyse des syndicats d'élus, auxquels nous participons les uns et les autres, mais qui ne doivent pas pour autant cantonner la vision de la décentralisation dans une vision globale de notre pays, inscrite demain dans la Constitution.
    M. René Dosière. Ce n'est pas gentil pour le Sénat !
    M. Hervé Mariton. Cette vision n'aura de sens que si des principes clairs sont proclamés. Et ces principes ont naturellement leur place dans une Constitution, qui ne doit pas entrer dans le détail ni dans la technique, mais qui doit dire où nous allons. Il sera alors essentiel que ces principes soient bien compris, bien respectés par la loi organique et par les lois postérieures aux lois organiques. Car c'est là que nous mesurerons pleinement cette nouvelle vision.
    M. André Chassaigne. Eh oui, les conséquences ne sont pas connues !
    M. Hervé Mariton. Le Premier ministre évoquait cet après-midi quelques principes sur lesquels je reviens volontiers.
    La subsidiarité : voilà un principe clair et fort. Je regrette que le mot lui-même ne soit pas repris dans le projet qui nous est présenté.
    M. René André. Heureusement !
    M. Hervé Mariton. Il faut pleinement tirer profit de ce que subsidiarité signifie, aujourd'hui dans la Constitution, demain dans la loi organique, après-demain dans les lois subséquentes : proximité d'abord, proximité toujours.
    Deuxième principe : l'expérimentation. Il y a là une rupture forte, probablement la plus évidente qui résulte de ce texte, puisqu'elle autorise dans notre pays des différences de construction juridique ou de pratique lorsqu'elles sont indispensables. Il est heureux que, demain, la Constitution permette ces expérimentations.
    Troisième principe : l'autonomie financière, qui conduit à la responsabilité et doit conduire aussi à la sagesse dans le prélèvement, dans la gestion et dans la dépense. Le président Méhaignerie l'a rappelé, la décentralisation parée de toutes les vertus constitutionnelles ne réussira que si nous savons en maîtriser les coûts et si nos compatriotes n'y voient pas une augmentation de l'impôt. Nous aurons la sagesse de répondre à ces exigences.
    Puis-je ajouter enfin un principe qui va de soi, mais qui est au coeur de l'attente de nos concitoyens, celui de la simplicité ? Nous aurons demain, avec l'ajout de ces quelques dispositions fortes dans la Constitution, une vision plus politique de la décentralisation et de nos institutions. C'est un bon gage d'une plus grande simplicité.
    Napoléon considérait qu'une bonne constitution était nécessairement longue et confuse. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Paul Giacobbi. Non, « courte et obscure » !
    M. Hervé Mariton. Nous sommes à une autre époque, où une bonne constitution doit plutôt s'ancrer sur quelques principes clairs, simples et forts. La loi organique devra, dans les mois qui viennent, affirmer cette vision pour l'avenir de notre pays. Nous faisons aujourd'hui une oeuvre utile, une oeuvre de pédagogie, une oeuvre de dessin de l'avenir, qui n'est sans doute pas la réponse à l'urgence première telle que nos concitoyens la perçoivent, mais qui sera certainement appréciée dans les mois qui viennent, car elle représente pour demain et après-demain notre contribution à une meilleure prise en compte de la sagesse de gestion, de la proximité, et aussi des différences territoriales. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    (M. Marc-Philippe Daubresse remplace M. Jean-Louis Debré au fauteuil présidentiel.)

PRÉSIDENCE
DE M. MARC-PHILIPPE DAUBRESSE,
vice-président

    M. le président. La parole est à Mme Christiane Taubira.
    Mme Christiane Taubira. Monsieur le garde des sceaux, madame et messieurs les ministres, sur la foi de ce que j'entends ici depuis hier, j'ai plaisir à penser que, sur tous les bancs de cette assemblée, nous sommes convaincus que la réforme de la Constitution est un acte grave, solennel, qui ne devrait s'accomplir qu'après mille prudences : celle qui exige que la Constitution demeure le socle du contrat social, celle qui intime d'inscrire dans la durée toute nouvelle intervention sur ce texte fondateur, celle qu'appelle le souci d'assurer un progrès qui ne soit ni catégoriel, ni corporatiste, ni sectoriel, ni géographique, en tout cas qui ne le soit pas en finalité, même s'il peut l'être en conséquence. Le progrès visé est général, au sens du bien commun.
    Or la fréquence des révisions de la Constitution, ces dix dernières années, suggère un essoufflement de cette charte fondamentale.
    Conçue pour lier la totalité de la communauté nationale - de la France et de l'outre-mer - autour des principes de liberté, d'égalité et de fraternité, sur le refus de distinctions fondées sur l'origine, la race ou la religion et sur le respect de toutes les croyances, la Constitution fonde une république laïque. Mais nous vivons une époque où il n'est pas indifférent de rappeler que la République n'est pas toujours laïque au sens de la loi de 1905 sur l'intégralité du territoire, puisqu'il y a des ministres du culte qui sont de hauts fonctionnaires d'Etat.
    M. René Dosière. En Alsace-Moselle.
    Mme Christiane Taubira. Et en Guyane.
    De même, la République n'est pas toujours laïque au sens où les institutions publiques doivent échapper à toute confiscation partisane, corporatiste, ploutocratique, puisque les périodes d'alternance politique, comme celle que nous vivons en ce moment, rendent évidentes des pratiques de verrouillage, d'influence et d'instrumentalisation.
    Mais nous allons nous interroger sur les raisons qui peuvent pousser à une révision constitutionnelle.
    Que n'avons-nous entendu à propos du message lancé par les Français le soir du 21 avril ! Ce message codé, provenant, rappelons-le, de 17 % du corps électoral, constitue l'alpha et l'oméga de l'action gouvernementale depuis juillet 2002. C'est lui qui inspire les politiques et les lois de sécurité intérieure, de justice, de défense, et manifestement les réductions budgétaires sur l'éducation, la culture, la communication, la recherche, et j'en passe...
    Mais on s'est beaucoup moins interrogé sur le message lancé par les abstentionnistes, nombreux, qui ont cessé de croire aux institutions publiques, donc à la démocratie, parce qu'entre deux échéances électorales ils ne trouvent aucun espace pour s'exprimer, pour intervenir sur les affaires communes, pour se faire entendre de ceux qui président à leur destinée, qui façonnent leur quotidien, qui moulent leur avenir, bref qui régentent leur vie.
    Quelles sont donc les raisons qui dictent l'audace d'une révision constitutionnelle ?
    Est-ce l'urgence de consigner les nouvelles exigences civiques ?
    Est-ce le défi lucide d'enrichir la charte républicaine de dispositions qui structurent et respectent une réelle démocratie participative ?
    Est-ce la nécessité de graver dans la Constitution la nouvelle architecture institutionnelle issue des premières lois de décentralisation et des lois suivantes sur l'aménagement du territoire et les regroupements communaux ?
    Est-ce la volonté d'y inscrire solennellement les engagements européens et les traités internationaux souscrits ces quarante dernières années, avec leurs conséquences sur les libertés publiques et les libertés individuelles ?
    Est-ce le besoin de définir, d'édicter les modalités de répartition des compétences entre l'Etat, l'Union européenne et les collectivités locales ?
    Est-ce le souci de prendre en considération la demande de territoires à forte identité, comme les départements d'outre-mer, concernant la reconnaissance de leurs singularités ainsi que des langues régionales ?
    Est-ce un sens très élevé de la démocratie qui doit se traduire par une stricte séparation des pouvoirs entre le législatif et l'exécutif ?
    Sont-ce des scrupules honorables pour veiller à ce que l'initiative d'Etat ne s'enlise pas dans le marais de la cohabitation ?
    Ces raisons auraient justifié non seulement une modification constitutionnelle, mais éventuellement une nouvelle Constitution, parce que cela signifierait que l'heure de la VIe République a sonné. Mais au lieu de cela, le texte soumis à notre droit d'amendement - figure de style totalement démentie par nos travaux en commission -...
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. La commission a adopté de nombreux amendements !
    Mme Christiane Taubira. ... plus exactement donc, le texte soumis à notre vote trahit les incertitudes d'un gouvernement désorienté, coincé entre une volonté présidentielle cryptée et l'indécision de la majorité parlementaire.
    M. André Schneider. Pas du tout !
    M. René André. Tout cela mériterait d'être nuancé !
    Mme Christiane Taubira. Nous en avons eu de multiples démonstrations.
    M. le président. Madame Taubira, il va falloir conclure.
    Mme Christiane Taubira. Je serai donc la première oratrice à subir une rigueur extrême. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Vous avez déjà dépassé de 20 % votre temps de parole.
    Mme Christiane Taubira. Quelle précision !
    M. René Dosière. Comptabilité de notaire !
    M. André Chassaigne. Et ceux qui l'ont doublé, monsieur le président ?
    Mme Christiane Taubira. Nous avons entre les mains un texte empreint de la modestie d'un Etat qui doute de lui-même quand il devrait avoir la fierté d'être le garant de l'unité, de la solidarité, de la cohésion nationale.
    M. René Dosière. Très bien !
    Mme Christiane Taubira. Un Etat tellement modeste qu'il envisage subrepticement de se réformer lui-même, camouflé dernière le tohu-bohu qu'il crée autour des collectivités.
    Nous avons devant nous un texte de complaisance envers les féodalités locales constituées, un texte de connivence avec le Sénat, mais je n'y insiste pas parce que l'article 3 a surexposé le Sénat en la matière.
    Voilà la vraie nature du texte que nous sommes appelés non pas à amender - nous en avons fait l'expérience en commission - mais simplement à voter.
    Concernant l'outre-mer, les apparentes ouvertures telles que la faculté d'adaptation réglementaire ou l'habilitation législative sont aussitôt obstruées par l'annonce que le Parlement ne serait pas tenu de légiférer en cas de résultat positif d'un référendum local.
    M. René Dosière. Et la souveraineté nationale ?
    Mme Christiane Taubira. Le texte est également verrouillé par la limitation du droit de pétition, qui aurait pourtant permis aux citoyens d'obtenir que les collectivités se saisissent de sujets qui les préoccupent.
    Alors, nous allons utiliser notre droit d'expression. Nous le ferons avec des amendements à titre principal, dans l'espoir de corriger le texte en lui donnant la dimension politique que mérite la qualité de cette réforme. Nous le ferons aussi avec des amendements à titre subsidiaire, pour tenter au moins d'en limiter les effets pervers. Nous le ferons avec un optimisme imputrescible, en espérant sortir le Gouvernement et la majorité de l'obsession du vote conforme au texte du Sénat,...
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Vous n'avez pas le droit de dire cela ! La commission des lois a approuvé plus de dix amendements !
    Mme Christiane Taubira. ... en les faisant accéder à une vision plus grandiose dictée par l'importance de l'enjeu, en les conduisant à accepter que la loi, et singulièrement la loi fondamentale, soit de portée générale, qu'elle soit une construction collective et que la contribution de l'opposition témoigne de la vigueur de la démocratie, au moins dans notre assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur divers bancs.)
    M. le président. La parole est à M. René-Paul Victoria.
    M. René-Paul Victoria. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, notre Assemblée vit aujourd'hui un moment historique : il s'agit pour elle et pour nous, députés de la nation, de réécrire une partie de la Constitution. L'exercice est délicat, mais combien exaltant, dans la mesure où, dans l'ensemble du pays, il vise à donner plus de responsabilités aux décideurs locaux, acteurs de proximité, pour une plus grande décentralisation.
    L'outre-mer est aussi concerné par cette modification de la Constitution, mais uniquement dans ce cadre. Car permettez-moi, à cette tribune, de laisser parler mon coeur et de vous dire solennellement que les 140 000 Dionysiennes et Dionysiens de ma circonscription et les 750 000 Réunionnaises et Réunionnais sont toutes et tous fiers d'appartenir à la République française. Ils comptent rester pour longtemps, très longtemps, pour toujours et à jamais, je l'espère, département français, région française et région ultrapériphérique de l'Europe !
    A plusieurs reprises, la population locale a eu à dire « non ».
    Non, en 1982, à l'assemblée unique, véritable boulevard vers un pouvoir législatif local avec toutes les dérives qui risquaient d'en découler, notamment l'autonomie. Les Réunionnais n'en ont jamais voulu !
    Non, en 2000, à la « bidép » et au congrès pour la Réunion, proposés dans le rapport Lise-Tamaya.
    Et le Conseil constitutionnel, par deux fois, a donné raison aux Réunionnais !
    Aujourd'hui, plus que jamais, la Réunion souhaite être ancrée plus solidement encore à la République et à l'Europe, pour assurer son développement économique. C'est à cela que nous travaillons tous, et je vous demande, mes chers collègues, d'aider les Réunionnais à y parvenir. Accompagnez les élus de l'île dans cette démarche qui vise essentiellement à assurer la promotion de leurs concitoyens.
    Monsieur le garde des sceaux, le texte qui nous est proposé se veut sécurisant sur le plan institutionnel.
    Il maintient la Réunion comme département et région française : j'en suis satisfait.
    Il dispose qu'aucune évolution institutionnelle ne sera possible sans l'avis des populations concernées et sans une loi organique. C'est l'expression même du respect de la démocratie. Les Réunionnais ne veulent pas passer de l'article 73 à l'article 74 de la Constitution !
    Il envisage la possibilité d'instaurer une assemblée unique. Mais nous, Réunionnais, nous n'en voulons pas !
    Il prévoit enfin la possibilité d'adapter des lois dans les domaines autorisés par le Parlement. Le Sénat, à une très large majorité et dans sa très grande sagesse, a jugé nécessaire d'exclure la Réunion de cette disposition. Les Réunionnais, prudents, préfèrent en effet s'en tenir au cadre général tendant à l'assimilation législative, avec les adaptations particulières prévues à l'article 73 de la Constitution. C'est pourquoi, monsieur le vice-président de la commission des lois, je vous serais reconnaissant de me confirmer le retrait de l'amendement Clément et, au nom de tous les Réunionnais, je vous en remercie.
    M. René Dosière. Ce n'est pas l'amendement Clément, c'est l'amendement de la commission !
    M. René-Paul Victoria. Si la situation apparaît simple pour les uns, complexe pour les autres, ma fierté est de vous dire que je serai de tous les combats contre ce qui porterait atteinte à la Réunion département français, à la Réunion région française, à la Réunion région ultrapériphérique de l'Europe.
    Pour conclure, je vous rappellerai qu'après l'exécution de Louis XVI, le 21 janvier 1793, il était impensable que l'on appelât encore île Bourbon cette terre lointaine de l'océan Indien. Au mois de mars de la même année, il avait été envisagé de l'appeler Jemmapes, du nom de la victoire récente de Dumouriez. C'est alors que le célèbre physicien et mathématicien Monge, membre de la Convention, proposa de donner à notre île le nom de la Réunion, précisant même qu'à l'avenir porter atteinte à cette possession française serait porter atteinte à l'intégrité territoriale de la République française.
    Telle n'est pas l'intention du Gouvernement, je l'ai bien compris. Toutefois, la volonté des Réunionnais, sans exception, de rester liés de manière indéfectible à la mère patrie doit être acceptée et défendue par nous tous.
    M. Jacques Myard. Bravo !
    M. René-Paul Victoria. C'est pourquoi, au nom de mes collègues André Thien Ah Koon, Bertho Audifax, Gérard Grignon et Didier Quentin, je défendrai un amendement au texte constitutionnel afin d'intégrer à jamais les populations d'outre-mer dans le peuple français.
    M. Bernard Accoyer et M. Jacques Myard. Très bien !
    M. René-Paul Victoria. Car il n'existe qu'un seul peuple français et je suis fier de dire à cette tribune que les Réunionnais sont heureux d'être créoles et fiers d'être français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Au moment du vote, monsieur le garde des sceaux, vous aurez ma voix. (Même mouvement.)
    Mme la présidente. La parole est à M. Paul Giacobbi.
    M. Paul Giacobbi. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, M. Montebourg ayant comparé les présidents de conseils généraux à des rhinocéros, ce que je prends pour un compliment, j'essaierai d'être rapide sans cependant être léger. (Sourires.)
    Nous voici enfin à l'heure de la décentralisation constitutionnelle. Cette révolution de la décentralisation a déjà eu lieu en Europe au cours des dernières années, notamment en Espagne, en Italie et au Royaume-Uni. Je sais bien que quand on cite « l'étranger », comme on dit encore à propos de l'Europe, on a l'impression d'être incongru. Pourtant vis-à-vis de pays avec lesquels nous partageons déjà la monnaie, et demain une constitution, la comparaison n'est pas nécessairement malvenue.
    Tous ceux qui agitent le spectre inquiétant d'une France divisée et d'une République désunie devraient se rassurer en constatant, d'abord, que ces expériences européennes sont toutes plus audacieuses que celle que nous mettons en chantier.
    M. René André. Ces pays-là ne s'en félicitent pas !
    M. Paul Giacobbi. C'est ce que vous dites, mais vous feriez mieux d'y aller voir !
    M. René André. J'y suis allé !
    M. Paul Giacobbi. En constatant ensuite que ces expériences ont renforcé et non affaibli les nations et les Etats dans lesquelles elles ont été menées.
    En constatant enfin que, à ma connaissance, aucun de nos voisins ne songe à revenir en arrière.
    La nécessité d'une décentralisation constitutionnelle est clairement apparue à propos de la Corse. En effet, le débat relatif à la Corse a soulevé des tempêtes, mais il a aussi permis à l'ensemble des Français, comme le dit fort justement le président et rapporteur de la commission des lois, de toucher du doigt la rigidité de notre constitution, qui bloquait des revendications aussi simples que la réunification de deux départements et d'une région dans une seule collectivité, dont la population totale n'atteint même pas celle de certains arrondissements de la ville de Paris - et pas des plus grands.
    Vous me voyez véritablement heureux de constater aujourd'hui que l'autorisation faite aux collectivités de modifier la loi ou de fusionner pour des motifs de simplification administrative n'est plus considérée comme un crime de lèse-République mais comme une évolution justifiée.
    M. René Dosière. C'est l'avantage du fait majoritaire.
    M. Paul Giacobbi. Républicain dans l'âme, descendant d'une lignée de républicains, représentant la quatrième génération à siéger sur ces bancs, j'ai souffert plus que d'autres de l'injure qui traitait d'ennemis de la République les partisans d'une évolution naturelle de nos régions vers une décentralisation constitutionnelle.
    M. Jacques Myard. Nous ne sommes pas ici pour faire de la généalogie !
    M. Paul Giacobbi. Je le dis sans colère, messieurs les ministres, même si je n'ai pas accepté avec autant de sérénité l'injure qui vous a été faite l'autre jour à Ajaccio : on vous accusait ni plus ni moins de n'être présents et de ne proposer des réformes que sous la pression ou la contrainte d'une organisation clandestine. Je n'imagine personne, ici, agir de la sorte.
    M. René Dosière. Sur la Corse, la droite a changé d'avis.
    M. Paul Giacobbi. Cependant le texte qui nous est proposé, s'il va dans le bon sens, ne peut me satisfaire entièrement, tel qu'il est, car il sacrifie sa cohérence interne à l'esprit de compromis, élude ou remet au lendemain les questions essentielles de la réforme de l'Etat et de l'équilibre de nos finances, et oublie des questions constitutionnelles fondamentales telles que la place des langues régionales ou la nécessité d'une discrimination positive pour assurer entre nos territoires une égalité réelle.
    La cohérence est sacrifiée au compromis lorsque l'on condamne une expérimentation probante dans une collectivité donnée soit à être généralisée à toutes les collectivités de France, même si elle ne se justifiait que dans celle où elle a été expérimentée, soit à l'abandon là où elle a été réussie.
    Sur le plan financier, ne feignons plus de croire qu'il suffirait de calculer équitablement les transferts de recettes de l'Etat aux collectivités locales, alors même que notre incapacité à financer les politiques publiques est globale et va s'accroître dramatiquement au cours des prochaines années, même si la conjoncture s'améliore.
    La décentralisation n'est pas la panacée. Si elle se borne à transférer des politiques publiques avec leurs déficits financiers et leurs réformes avortées, elle déplacera les problèmes sans leur trouver de solution.
    Quant aux langues régionales, oubliées dans ce débat, elles sont parfois ravalées au rang de manifestations folkloriques.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Mais c'est ce qu'elles sont !
    M. Paul Giacobbi. C'est méconnaître la dimension culturelle de nos régions. J'aurais souhaité que l'on puisse aborder ce sujet, puisque le chef de l'Etat avait lui-même réclamé la ratification de la charte européenne des langues minoritaires, et dans la mesure où la problème constitutionnel a été posé.
    Mon temps de parole est épuisé, et comme je n'ai pas le talent de mon excellente collègue Christiane Taubira...
    Mme Ségolène Royal. Vous en avez le charme, cher ami !
    M. Paul Giacobbi. ... pour revendiquer, avec quel à-propos, une prolongation (Sourires), je conclus un peu prématurément, rappelant que, pour obtenir une vraie égalité, la loi doit opérer des distinctions, pas seulement pour tenir compte de la différence des conditions, mais surtout pour en corriger les effets.
    La tonalité des interventions de ce soir ne le laisse sans doute pas assez paraître : nous entamons un débat fondateur, non seulement pour notre organisation territoriale, mais aussi pour notre droit, qui doit trouver une voie nouvelle d'efficacité, d'égalité et de justice pour les territoires de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.
    M. Guy Geoffroy. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, comme vient de le rappeler l'orateur précédent - et le temps était venu de le dire - ce débat est véritablement fondateur, et son importance n'échappera à personne, même si certaines interventions ont pu laisser croire le contraire.
    Nous nous situons en effet, et à juste titre, dans une problématique véritablement constitutionnelle.
    Certains ont glosé sur l'idée que toucher à la Constitution pour parler de l'organisation décentralisée de notre pays était plus qu'inutile : probablement dangereux. Mais je pose la question : n'est-il pas plus dangereux, pour notre pays et pour le fonctionnement normal de ses institutions, de signer un traité, comme on l'a fait il y a une dizaine d'années, avant de s'apercevoir qu'il ne pouvait pas s'appliquer sans que notre constitution fût modifiée ?
    M. Jacques Myard. Justement, ils le savaient ! C'était une forfaiture !
    M. Guy Geoffroy. N'est-il pas au contraire préférable, lorsque l'on veut franchir une étape nouvelle et décisive dans l'évolution de nos institutions et l'organisation de notre pays, d'agir dans le bon ordre ? Or nous travaillons dans le bon ordre : ce débat, nous le savons, sera suivi par d'autres débats, à l'occasion de lois organiques puis de lois ordinaires.
    J'ajoute que certains de nos collègues, plutôt situés sur la gauche de notre hémicycle, devraient arrêter une bonne fois pour toutes de prétendre que la République a débuté le soir du 10 mai 1981 (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle)...
    M. René Dosière. Qui a dit cela ?
    M. Guy Geoffroy. ... et que le mouvement de décentralisation est né dans l'esprit de ceux qui nous gouvernaient à l'époque.
    M. Philippe Vuilque. C'est ridicule !
    M. Didier Migaud. N'est-ce pas plutôt M. Raffarin qui l'a dit ?
    M. Guy Geoffroy. N'en déplaise à certains, je suis contraint d'aborder un petit point d'histoire.
    M. Bernard Accoyer. Bonne idée !
    M. Guy Geoffroy. Qui fut le premier dans notre pays, malgré l'opposition farouche - et combien singulière, vue d'aujourd'hui - des socialistes et du Sénat...
    M. René Dosière. Et de la droite libérale !
    M. Guy Geoffroy. ... à affirmer qu'une fois révolue la période de l'après-guerre, la République devait se construire, à travers le plan et son ardente obligation, une nouvelle et forte identité unitaire ?
    Mme Ségolène Royal. Charlemagne ?
    M. Guy Geoffroy. Qui, le premier, nous avertit qu'il faudrait mettre un frein aux pesanteurs nées de la centralisation en engageant cette vaste, belle et grande réforme de la régionalisation ? C'est le général de Gaulle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Mme Ségolène Royal. On a vu ce que vous en avez fait !
    M. René Dosière. Ce sont les amis de Raffarin qui l'ont trahi et l'ont fait partir !
    M. Guy Geoffroy. Et quand vous avez fort opportunément repris cette idée, vous n'avez fait que vous inscrire dans une logique écrite depuis déjà plusieurs années, et qu'il s'agit maintenant de poursuivre à nouveau tous ensemble.
    Agir dans le bon ordre, c'est inscrire au coeur de nos institutions, et donc de notre constitution, la nature des transferts de compétences et leur encadrement, mais aussi une question qui aujourd'hui est loin d'être réglée, vous l'affirmez vous-même sans toutefois reconnaître la responsabilité pourtant écrasante qui vous incombe à ce sujet : la question de l'égalité et du transfert des ressources.
    On a parlé de l'APA, je n'y reviendrai donc pas. On a aussi évoqué, d'une manière très lapidaire, l'histoire des collèges et des lycées.
    M. René Dosière. Ils fonctionnent bien mieux qu'avant !
    M. Guy Geoffroy. Vous devriez peut-être attendre la fin de mes propos...
    M. Jacques Myard. In cauda venenum !
    Mme Ségolène Royal. Parlez-nous plutôt de l'avenir !
    M. Guy Geoffroy. C'est vous qui ne pensez qu'à votre passé, et pas à notre avenir commun. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Mme Ségolène Royal. Nous avons fait des propositions !
    M. Guy Geoffroy. Dans les années 1980, j'étais en poste dans un établissement scolaire, et je me souviens très bien...
    M. René Dosière. Vous avez vu la différence !
    M. Guy Geoffroy. ... qu'en 1983, 1984 et 1985, l'Etat n'avait pas modifié d'un seul centime les dotations de fonctionnement attribuées aux lycées et collèges.
    M. André Schneider. Tout à fait !
    M. Guy Geoffroy. Pourquoi ? Afin qu'au début de 1986, date du transfert de compétences, les collectivités départementales et régionales disposent du minimum de ressources possible. A l'époque nous avons dû vivre dans des collèges et des lycées fonctionnant avec des budgets constants, ce qui semblerait aujourd'hui un véritable scandale et suffirait à mettre parents, élèves et enseignants dans les rues.
    M. René Dosière. Vous avez fait la même chose !
    M. Guy Geoffroy. Eh bien l'objectif de cette révision constitutionnelle, c'est d'affirmer : « Plus jamais ça ! ».
    M. René Dosière. Vous ne l'avez pas lue !
    M. Guy Geoffroy. Bien sûr ce ne sera pas facile. Il faudrait que le Gouvernement et ses partenaires se montrent loyaux...
    Mme Ségolène Royal. On en est loin !
    M. Guy Geoffroy. ... à l'égard de cette évolution courageuse. Mais il était important de l'inscrire.
    De même qu'il faut inscrire au coeur de nos institutions la notion d'expérimentation qui, jusqu'à aujourd'hui, n'a fait l'objet que d'un faux débat.
    L'expérimentation existe déjà dans la pratique. Elle est le fruit des initiatives qui sont prises par les régions, les départements, les communes et les groupements de communes et qui sont, pour la plupart, tout à fait heureuses. Ne mérite-t-elle pas d'être mieux organisée, mieux encadrée et mieux utilisée pour ses vertus et dans ses réussites ? Tel est l'objectif de cette révision constitutionnelle.
    J'aimerais maintenant aborder, mes chers collègues, ce que j'appelle sans hésiter la mauvaise querelle du Sénat.
    M. René Dosière. Parlons-en !
    M. Guy Geoffroy. Je suis tout simplement atterré en écoutant les propos de certains. Je me pose la question : pourquoi tant de haine ? (« Pas du tout ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Ségolène Royal. Ce n'est pas de la haine.
    M. André Chassaigne. Et ce n'est plus un discours, c'est du délire !
    M. Guy Geoffroy. Pourquoi, tout à coup, dénier au Sénat, la deuxième chambre,...
    M. Didier Migaud. Oui ! La deuxième !
    M. Guy Geoffroy. ... présente dans nos institutions depuis le début de la République, le droit d'être ce qu'il est ? Pourquoi le lui reprocher ?
    M. Didier Migaud. Nous ne le lui reprochons pas !
    M. Guy Geoffroy. Ne l'avez-vous pas voulu ainsi, puisque vous n'avez rien modifié ?
    Le Sénat est une assemblée démocratique...
    Mme Ségolène Royal. Et l'absence d'alternance ?
    M. Guy Geoffroy. ... élue au second degré, comme les structures intercommunales que vous vantez tant, et qui ont leur mérite. Que reproche-t-on au Sénat aujourd'hui ? D'avoir hébergé en ses murs, après sa défaite de 1958, le sénateur François Mitterrand ? (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) D'héberger actuellement des personnalités riches de sagesse et de vertu, comme Pierre Mauroy, qui a présidé à l'une des étapes de la décentralisation, ou Robert Badinter, à qui la République doit tant ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Didier Migaud. Et alors ?
    M. Philippe Vuilque. Il n'est pas interdit aux socialistes d'être sénateurs !
    M. Guy Geoffroy. Je l'ai dit en commission, il s'agit d'un faux débat. Le Gouvernement peut déjà saisir le Sénat en premier. Il sera simplement un peu plus contraint...
    M. Didier Migaud. Totalement contraint.
    M. René Dosière. Pourquoi tout rigidifier ?
    M. Guy Geoffroy. ... dans un domaine que la commission a d'ailleurs veillé à réduire à l'essentiel. Ce dont il est question, ce n'est pas de lui donner une fois pour toutes la primeur dans la saisine et dans la décision, vous le savez bien. Prétendre le contraire, c'est de la pure hypocrisie. Avoir en premier le texte en main ne signifie pas qu'on a le dernier mot.
    M. Didier Migaud. C'est vous qui êtes hypocrite !
    M. René Dosière. Allez donc siéger au Sénat, si vous l'aimez tant !
    M. Guy Geoffroy. Je voudrais conclure en abordant l'avenir, parce que c'est pour en parler que nous sommes ici. Avec ce projet de loi constitutionnelle, nous effectuons un retour aux sources, à ce que le général de Gaulle voulut, pour la France et les Français : la participation.
    M. Didier Migaud. Il se retourne dans sa tombe, avec les dispositions de l'article 3 !
    M. Guy Geoffroy. De quoi s'agit-il, au travers d'une nouvelle étape de la décentralisation que nous déclinerons dans les lois organiques et ordinaires, si ce n'est de donner partout, et le plus efficacement possible, la parole à nos concitoyens ?
    Pour toutes ces raisons, sans hésiter, au terme de ce débat utile et démocratique, nous voterons avec une joie mêlée d'ambition cette réforme constitutionnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Simon Renucci.
    M. Simon Renucci. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame et monsieur les ministres, vingt ans après que la gauche de François Mitterrand et Gaston Defferre a engagé le grand mouvement de décentralisation, il nous est proposé de lui donner un prolongement.
    Depuis 1982, la loi a conféré aux collectivités territoriales des pouvoirs de plein exercice, confié le pouvoir exécutif aux présidents des assemblées délibérantes, transféré de nouvelles compétences aux collectivités territoriales. C'est donc bien à la gauche qu'il revient d'avoir obstinément porté et accompli, parfois contre l'avis de votre famille politique, une transformation de l'architecture institutionnelle de notre république.
    C'était encore le cas sous la législature précédente avec quatre grandes lois : sur l'aménagement du territoire, l'intercommunalité, la solidarité et le renouvellement urbain et la démocratie de proximité.
    Votre projet de loi constitutionnelle vient, en quelque sorte - souffrez que ce soit ma lecture - poursuivre et approfondir ce mouvement.
    Cela ne peut que nous satisfaire alors que nous avons éprouvé, en Corse, lors des discussions de Matignon, puis lors du débat relatif à la loi du 22 janvier 2002, censurée par le Conseil constitutionnel, les limites de la voie législative. Le gouvernement de Lionel Jospin avait d'ailleurs envisagé pour la Corse une réforme constitutionnelle en 2004.
    M. Paul Giacobbi. Très bien !
    M. René Dosière. Une démarche très critiquée par certains...
    M. Paul Giacobbi. ... mais approuvée par d'autres...
    M. René Dosière. Certains ont changé d'avis depuis.
    M. Guy Geoffroy. Divergences sur les bancs du groupe socialiste !
    M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Renucci.
    M. Simon Renucci. L'initiative gouvernementale tient compte à la fois des innovations apparues dans le cadre du processus de Matignon pour la Corse et des dispositions de la loi du 22 janvier 2002 qui en sont directement inspirées. En ce qui nous concerne, parce que nous étions, avec d'autres, au coeur de ce processus, et fidèles à nos engagements, nous approuvons cette orientation.
    M. Paul Giacobbi. Très bien !
    M. Simon Renucci. Si je souscris à l'inscription, à l'article 1er, du caractère décentralisé de l'organisation de la République, j'aurais néanmoins souhaité que, dans sa rédaction, le principe figurât au même rang que ceux d'indivisibilité et d'égalité devant la loi. Une telle formulation en aurait accru la force dans les conflits qui pourraient survenir entre ces concepts.
    Par ailleurs, il m'apparaît essentiel de rechercher l'équité entre des régions dont les niveaux de développement et les moyens financiers sont inégaux. Les lois organiques devront impérativement préciser les dispositifs financiers de péréquation à mettre en oeuvre. Il s'agirait ainsi d'ajouter la solidarité au triptyque fondateur de la République : liberté, égalité, fraternité.
    En Corse, la collectivité territoriale aura le choix entre un pouvoir réglementaire d'application, un pouvoir réglementaire d'adaptation octroyé par la loi du 22 janvier 2002 et un pouvoir réglementaire d'expérimentation. Il est donc indispensable qu'au cours des débats devant l'Assemblée nationale, le Gouvernement précise les modalités de la mise en oeuvre de l'expérimentation, mais surtout celles de son éventuelle généralisation, de sa pérennisation ou de son interruption.
    Des dispositifs d'évaluation des politiques publiques, à la légitimité incontestable, devront rapidement être mis en place en utilisant les compétences de formation du Centre national de la fonction publique territoriale.
    Enfin, j'ai la conviction profonde que l'aménagement du territoire passe aussi par un approfondissement de l'intercommunalité. Au cours de ces dernières années, son développement apparaît d'ailleurs comme le trait le plus marquant de l'évolution de la décentralisation. L'intercommunalité porte donc une part importante de l'identité et de l'avenir de notre territoire en permettant à la fois de lutter contre l'émiettement institutionnel, de renforcer la proximité et donc d'améliorer le contrat démocratique passé entre les élus et leurs concitoyens.
    La possibilité pour les groupements de communes de recourir au droit à l'expérimentation trouve là toute sa légitimité. La rédaction de l'article 72 aurait dû et aurait pu marquer davantage cette évolution nécessaire.
    M. Hervé Mariton. Non !
    M. Simon Renucci. Les pas que vous empruntez méritent notre attention et notre intérêt. Mais il me semble que cette politique ne sera entendue et comprise que si elle s'accompagne conjointement d'une dimension, malheureusement absente de votre texte, relative à l'équilibre et à l'exercice même du pouvoir à l'échelon local. A cet égard, la confusion et l'inquiétude demeurent. Si chacun convient que la décentralisation a besoin d'une nouvelle étape, aux yeux de la population, malheureusement, ce projet ne prend de valeur que sous l'angle de l'intérêt des élus locaux, parfois suspectés de se montrer uniquement soucieux d'obtenir de nouvelles compétences pour exercer de nouveaux pouvoirs. C'est donc bien la notion même de décentralisation qu'il importe aussi aujourd'hui de revisiter si l'on veut rendre lisible, j'allais dire populaire, une réforme constitutionnelle appréhendée, commentée, considérée seulement par les spécialistes et les élus.
    Il faut donc s'accorder sur les enjeux, car derrière les mots - subsidiarité, péréquation, transferts de compétences -, votre projet oublie la double question fondamentale de la simplification de l'organisation territoriale et de la séparation des pouvoirs à l'échelon local.
    M. Philippe Vuilque. Très juste !
    M. le président. Il vous faut conclure, cher collègue.
    M. Simon Renucci. Je vous demande une minute, monsieur le président, je n'ai pas le débit de M. Giacobbi. (Rires.)
    Depuis des années, tous les spécialistes de l'organisation administrative et de l'aménagement du territoire savent que l'empilement des structures administratives, ce que l'on a appelé le mille-feuille français, nuit à la clarté et à l'efficacité des politiques publiques.
    L'absence de distinction entre les exécutifs et les organes délibérants des collectivités territoriales est également relevée. Sur ce dernier point, l'équilibre institutionnel de l'Assemblée de Corse peut se révéler fécond pour notre République.
    M. Paul Giacobbi. Très juste !
    M. Simon Renucci. La loi du 2 mars 1982 a créé l'Assemblée de Corse. Je me permets de souligner que, dès cette époque, la Corse devient pionnière, puisque les réformes liées aux lois de décentralisation y sont immédiatement appliquées. Consolidée par le statut Joxe de 1991, son fonctionnement est pré-parlementaire : avec le vote dit de « défiance constructive », l'Assemblée de Corse peut ainsi renverser l'exécutif collégial issu de ses rangs, à condition d'en proposer un nouveau qui recueille la majorité.
    La collectivité territoriale de Corse, caractérisée par cette distinction entre conseil exécutif et assemblée délibérante, repose donc sur des institutions qui permettent une responsabilité effective des élus locaux, à une condition qui n'est pas encore suffisamment remplie en Corse, et qui tient au pouvoir réel de contrôle de l'organe délibérant sur la fonction exécutive.
    M. René Dosière. Eh oui !
    M. Simon Renucci. Bien sûr, beaucoup reste encore à améliorer, mais vous comprendrez que, élu de la Corse, je puisse tirer satisfaction et fierté du fait que, dans ce domaine, notre région, un jour peut-être, inspire la représentation nationale.
    La France des collectivités apparaît, en effet, trop comme un système féodal, par empilement de fiefs où le pouvoir s'exerce sans contre-pouvoir.
    M. le président. Monsieur Renucci, vous avez largement dépassé votre temps de parole. Concluez, s'il vous plaît.
    M. Simon Renucci. Elaborer et voter une loi de décentralisation consiste pourtant bien à reduire l'écart entre les institutions de la République et la démocratie. Or à la lecture du projet de loi, force est de constater que vous vous cantonnez finalement au cadre de référence classique de la Ve République, pour octroyer ce que vous considérez, à juste titre, comme des avancées, sans pour autant les accompagner des conditions démocratiques de leur réussite. Ce faisant, vous prenez le risque de transférer au plan local l'esprit jacobin que vous prétendez combattre.
    Monsieur le ministre, lors des élections, les Français se trouvent chaque fois plus nombreux à se réfugier, au mieux dans l'abstention, au pire dans le vote extrême. Vous dites que votre loi doit réconcilier nos concitoyens avec leur République. Nos populations sont effectivement impatientes. Alors, au-delà des discours et des textes de principe, ils attendent des actes, de la cohérence. C'est bien sur ce bilan que vous serez jugé. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. André Thien Ah Koon.
    M. André Thien Ah Koon. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, notre Président de la République a offert, lors de la récente campagne présidentielle, aux populations d'outre-mer, une possibilité d'évolution statutaire et d'adaptation conforme à leur volonté.
    Le projet de loi relatif à la révision constitutionnelle nous confronte à une échéance capitale. Il est vrai que la France a besoin d'une décentralisation plus moderne, donc plus poussée et conforme aux enjeux auxquels sont confrontés les régions et les départements. Je soutiens naturellement ce contrat qu'a conclu notre Président Jacques Chirac avec la France métropolitaine et avec l'outre-mer afin de faciliter une gestion devenue empirique et inefficace, compliquée, souvent contestée par les usagers, par les communes, au profit d'une société plus moderne et, surtout, plus à l'écoute de nos compatriotes, dans le but de mieux faire vivre et respirer la démocratie.
    Toutefois j'ai également et surtout été élu pour défendre l'idée d'une intégration toujours plus forte de notre île de la Réunion dans la France. Je continue en cela la mission de mes prédécesseurs qui, depuis trois cents ans, ont servi cette cause que les Réunionnais portent dans leurs âmes et dans leurs coeurs.
    Michel Debré, père de notre Constitution, s'est battu pendant vingt-cinq ans pour nous sortir de notre pauvreté intellectuelle, culturelle et sociale, en un mot, pour notre émancipation d'hommes, de femmes et d'enfants dans la France. Son combat contre le séparatisme, et les nôtres aussi, ont été exemplaires, qu'il se soit agi d'autonomie, d'assemblée unique, de congrès, en opposant à nos adversaires continuité territoriale, assimilation administrative, intégration française et européenne. Pour le drapeau de notre pays, c'est un combat de plus de trois cents années qui continue, au nom du respect et de la mémoire des luttes des Réunionnais et, aujourd'hui, au nom de notre population et des maires des communes qui font partie de notre département.
    Je m'adresse donc à vous, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, en vous priant de bien vouloir faire abstraction du poids du juridisme dont nous refusons la logique et d'apporter votre soutien aux deux aménagements que je défends.
    Le premier est de refuser le transfert de compétences élargies pour les assemblées territoriales en ce qui concerne le vote des lois et règlements à la Réunion, car nous ne voulons pas de « parlement-pays » et de faiseurs de « lois pays ». La disposition introduite par l'amendement de M. Virapoullé et de Mme Anne-Marie Payet, adopté au Sénat, doit être maintenue. L'amendement de suppression présenté par notre collègue Pascal Clément doit être refusé ou retiré.
    M. René Dosière. Il a été adopté en commission, monsieur Thien Ah Koon !
    M. André Thien Ah Koon. Le second vise à empêcher la Réunion d'évoluer du statut de département d'outre-mer vers celui de territoire d'outre-mer ou de collectivité d'outre-mer. Il faut pour cela adopter l'amendement que j'ai déposé contre le texte proposé pour l'article 72-4 de la Constitution, même si cet article ne concerne pas la Réunion. En effet, nous ne voulons relever que de l'article 73.
    Nous refusons toutes dérive institutionnelle et toute perspective de changement de statut. Nous refusons l'autonomie, l'assemblée unique, l'indépendance. Nous voulons être égaux en droits et en devoirs. Nous voulons rester Français, définitivement Français. (Applaudissements sur de nombreux bancs de l'Union pour la majorité présidentielle.) Nous voulons rester Français comme les Alsaciens, les Auvergnats, même si cela peut paraître paradoxal.
    M. René Dosière. Comme les Corses !
    Mme Christiane Taubira. N'oubliez pas les intérêts de la jeunesse !
    M. Jacques Myard. Qu'est-ce que vous en savez des intérêts de la jeunesse ?
    Mme Christiane Taubira. Ils ne s'intéressent pas seulement à la musique, voyez-vous !
    M. Jacques Myard. Quel impérialisme idéologique !
    Mme Christiane Taubira. Vous êtes sans doute plus proche d'eux !
    M. Jacques Myard. C'est le volupté de la décadence !
    M. André Thien Ah Koon. Je ne défends pas ici certains programmes de la droite ; je reste fidèle à mon engagement en m'adressant ainsi à l'Assemblée. Cela étant je renvoie nos collègues de gauche aux bêtises qu'ils ont commises en la matière. Le fait qu'ils ont mis la France aussi bas devrait les inciter à ne plus provoquer les autres.
    Nous voulons, corrélativement, devenir la vingt-troisième région française, parce que, dans l'océan Indien, avec l'île de la Réunion se trouvent aussi Mayotte et les terres antarctiques françaises. Faire de cet ensemble une véritable région n'est pas utopique.
    Nous avons aussi choisi l'assimilation législative, parce qu'elle est conforme à notre histoire.
    Madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, il vous appartient d'affirmer la primauté du politique sur le juridique. Vous le pouvez si vous le voulez. Nous serons alors, comme vous, des Français et des Européens, parce que nous avons choisi de l'être. Faites donc que l'on ne puisse pas dire plus tard que notre message n'a pas été entendu.
    Je vous répète que les Réunionnais sont tous profondément Français. Justement, parce qu'ils veulent faire entendre leur désir d'assimiliation dans la République, ils ont manifesté hier en fermant les dix-neuf mairies de droite. Ce message doit être entendu parce qu'il s'agit non d'une manifestation de mauvaise humeur, mais d'un acte responsable. Ces maires de droite ont voulu appeler l'attention sur leur volonté de rester dans la France, de demeurer un vrai département français. C'est une revendication profonde, après tout ce que notre île a vécu, dans le passé, en termes d'esclavage et de colonialisme.
    Mes chers collègues, mesdames, messieurs les ministres, par le vote des amendements que nous vous proposerons, vous nous aiderez à mettre un terme définitif à l'ère coloniale, que nous ne méritons plus. Vive la France, vive la Réunion ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. René André.
    M. René Dosière. Enfin une voix gaulliste, contre le Sénat !
    M. Francis Delattre. Provocateur !
    M. René André. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, chacun d'entre nous a bien conscience qu'il existe un risque réel de rupture entre les citoyens et les élus, notamment lorsque les instances où se prennent les décisions importantes peuvent sembler leur échapper.
    Chacun a d'ailleurs souligné, sur l'ensemble de ces bancs, la nécessité de rapprocher les gouvernants des gouvernés, l'enjeu étant de démocratiser la République. Le texte qui nous est soumis tend incontestablement à rapprocher les institutions des citoyens en établissant une nouvelle architecture des responsabilités au sein de la République.
    Comment ne pas y souscrire si, comme vous nous le dites, madame, messieurs les ministres, ce projet doit libérer les énergies, rendre les régions plus dynamiques et prospères, rendre la République et ses élus plus proches des citoyens ; si ce projet doit avoir pour conséquence, lorsqu'il sera mis en oeuvre, de réaffirmer et de développer la libre administration des collectivités locales en mettant fin, notamment, à la recentralisation des finances locales insidieusement instaurée par le précédent gouvernement ; si ce projet, comme l'a rappelé M. le Premier ministre, doit conjuguer cohérence et proximité ?
    Comment dès lors ne pas être satisfait quand, dans le même temps, vous nous assurez que les nouveaux transferts de compétences seront compensés intégralement et que, par ailleurs, l'égalité entre les territoires sera assurée par une péréquation rigoureuse, consacrée par la Constitution ?
    Ce texte peut donc être la marque d'une véritable réforme de l'Etat, attendue par tous, même si tous ne la conçoivent pas de la même façon.
    Votre majorité, monsieur le garde des sceaux, madame, messieurs les ministres, est riche de sa diversité. Sa force est même accrue par le fait que ses convictions sont différentes. Pour ma part, comme beaucoup d'entre nous sur l'ensemble de ces bancs, je crois aux valeurs d'un Etat fort, recentré sans doute sur ses compétences régaliennes, mais qui veille sur l'unité et l'indivisibilité de la République, et qui assure l'égalité entre toutes ses composantes, citoyens ou territoires.
    Vous partagez bien sûr ces valeurs. Comme vous, monsieur le garde des sceaux, je sais - vous l'avez souligné, en évoquant Voltaire - que la France des TGV ne peut plus être organisée comme l'était la France des diligences.
    M. Bernard Accoyer. Très bien !
    M. René André. Des évolutions, des adaptations sont donc nécessaires. Cette loi peut les mettre en oeuvre.
    Me permettez-vous cependant de vous poser quelques questions ?
    Vous avez, à différentes reprises et à juste titre, rappelé la nécessité de respecter l'unité ainsi que l'indivisibilité de la République et de garantir l'autorité républicaine. Ne pensez-vous pas, dès lors, qu'il eût été opportun, après avoir précisé que l'organisation de la France est décentralisée, d'indiquer qu'elle est aussi déconcentrée ? Je sais que l'on peut se poser la question de savoir si la déconcentration est un principe constitutionnel, mais je pense que cela permettrait de préciser heureusement l'article 72 de notre Constitution qui ne donne pas clairement autorité au préfet sur les services déconcentrés de l'Etat dans son département.
    Cela permettrait aussi de réaffirmer et de garantir l'autorité de la Républiique, d'en assurer la cohérence ainsi que l'égalité des citoyens sur l'ensemble de son territoire.
    Pourquoi, alors que nos concitoyens déplorent la multiplication, l'empilement des structures administratives et des collectivités, donner l'impression - et je veux croire qu'il ne s'agit que d'une impression - de ne pas vouloir ouvrir des perspectives plus claires sur cette question ? J'admets parfaitement que ce qui est souhaitable n'est pas toujours possible, du moins immédiatement. N'eut-il pas été possible, cependant, en l'inscrivant dans le temps, de jeter clairement les prémisses de cette nécessaire simplification que nos concitoyens attendent ?
    M. Jean-Marie Geveaux. Très bien !
    M. René André. L'article 3 (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.) tel qu'il est rédigé...
    M. René Dosière. Quel est votre point de vue ?
    M. René André. ... n'est pas sans poser quelque problème à certains d'entre nous. M. le Premier ministre l'a d'ailleurs admis cet après-midi, puisqu'il a dit s'en rapporter à la sagesse de notre assemblée.
    Mme Ségolène Royal. C'est intéressant !
    M. René André. Je suis de ceux qui estiment que cet article 3 ne se situe pas dans la droite ligne de l'esprit de la Ve République...
    M. René Dosière. Très juste !
    M. Didier Migaud. Absolument !
    M. René André. ... du moins tel que le conçoivent certains d'entre nous qui ont encore à l'esprit le dernier référendum organisé par le général de Gaulle sur la régionalisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. René Dosière. Cela, c'est de l'histoire !
    M. René André. Notre assemblée, qui doit déjà conjuguer, concilier ses compétences avec les conséquences de la décentralisation et celles de la construction européenne, doit-elle aussi accepter de les voir limitées sur le sujet des collectivités locales qui touchent nos concitoyens au plus proche de leur vie quotidienne ? Devrions-nous, en quelque sorte, admettre de n'avoir sur ce sujet qu'une sorte de compétence déléguée, réduite, en quelque sorte retenue...
    M. René Dosière. Bien sûr que non !
    M. René André. ... alors que nous sommes directement élus par nos concitoyens...
    M. Jean-Marc Ayrault. Excellent !
    M. René Dosière. Très bien !
    M. René André. ... qui, ne l'oublions pas, sont les premiers intéressés par le sujet des collectivités locales...
    M. Didier Migaud. Bien sûr !
    Mme Ségolène Royal. Il a raison !
    M. René André. ... avant les responsables de celles-ci, fussent-ils de grands électeurs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

    Vous m'inquiétez, mes chers collègues ! Franchement, je ne crois pas cela possible.
    Enfin, permettez-moi, et je terminerai par cela, de regretter que le texte qui nous est proposé ne fasse aucunement mention de l'intercommunalité. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le Premier ministre a certes répondu en partie, cet après-midi, à cette interrogation. Néanmoins, je souhaite que notre débat lève les ambiguïtés qui pourraient encore demeurer d'autant qu'il fait partie des travaux préparatoires qui, dans l'avenir, seront susceptibles d'éclairer les décisions du Conseil constitutionnel. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle, du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. André Chassaigne. Ça change des béni-oui-oui !
    M. Didier Migaud. Ce n'est pas un godillot !
    M. le président. La parole est à M. Bertho Audifax.
    M. Bertho Audifax. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République revêt une importance majeure pour notre pays.
    Pour nos régions d'outre-mer et tout particulièrement pour la Réunion, toute évolution du paysage institutionnel provoque angoisses, interrogations et craintes.
    Je rappelle brièvement que la Réunion devenue département français en 1946 a dû attendre la Constitution de 1958 et son article 73 et surtout M. Michel Debré pour en recueillir les premiers bénéfices. Pendant les années dites de décolonisation, les Réunionnais ont dû se battre contre l'autonomie. A partir de 1981, ils ont dû à nouveau se mobiliser contre l'assemblée unique et les risques de dérive institutionnelle. Récemment encore, le projet de bidépartementalisation et de congrès les a divisés.
    Vous comprendrez donc aisément la sensibilité particulière de mes compatriotes. Dans leur très grande majorité, ceux-ci sont décidés à rester des Français à part entière tant au niveau des droits que des devoirs.
    Le texte actuel de la Constitution opère une distinction claire entre les DOM, sont régis par l'article 73, et les TOM par l'article 74. La jurisprudence du Conseil constitutionnel a confirmé la rigoureuse distinction entre ces deux statuts.
    Votre projet de loi améliore la rédaction de l'article 73 en prenant en compte l'esprit de l'article 299-2 du traité d'Amsterdam qui confirme le double principe de l'assimilation législative et réglementaire, d'une part, et la possible adaptation de la législation et de la réglementation applicables sur l'ensemble du territoire de la République aux spécificités des départements et régions d'outre-mer, d'autre part.
    A l'alinéa 2, vous introduisez une réelle novation juridique en permettant aux collectivités territoriales des départements et régions d'outre-mer de décider elles-mêmes de ces adaptations dans le champ de leurs compétences ou si elles y sont autorisées par la loi. Il faut bien ici mesurer les risques de dérive, occultés par certains, entre les adaptations aujourd'hui décidées par le législateur pour tenir compte de situations particulières et les dérogations qui pourront demain être décidées par les assujettis eux-mêmes.
    Certes, la loi organique devrait apaiser les inquiétudes des Réunionnais sur ce point. Et nous y veillerons.
    Cependant, la ligne de partage entre le statut de département ou région d'outre-mer relevant de l'article 73 et celui de collectivité d'outre-mer relevant de l'article 74 semble moins nette.
    Cette inquiétude est accrue par le troisième alinéa du texte proposé par l'article 73 car les départements et régions d'outre-mer deviendraient des décideurs en réglementation locale par dérogation aux lois et règlement de la République.
    Nous craignons que le fossé ne s'estompe entre les statuts de département ou région d'outre-mer et celui de TOM ou de collectivité d'outre-mer et que, parallèlement, il s'élargisse entre le statut des collectivités métropolitaines et celui de l'outre-mer. C'est cette inquiétude que veut lever l'amendement déposé au Sénat par M. Jean-Paul Virapoullé au nom de tous les parlementaires de la majorité au Sénat.
    Cet amendement répond à l'angoisse de nos concitoyens. Il ne fait que mettre en application les déclarations du Président de la République. Celui-ci n'a-t-il pas déclaré : « l'heure des statuts uniformes est passée, il n'y a plus aujourd'hui de formules uniques qui répondent efficacement aux attentes variées des différentes collectivités d'outre-mer. » et encore : « A cet égard la Réunion a choisi de rester dans son statut départemental actuel et ce choix doit être respecté. » ?
    M. Guy Geoffroy. Très bien !
    M. Bertho Audifax Cet amendement pare pour la Réunion au risque de dérive vers la spécialité législative et constitutionnalise l'existence du département et de la région de la Réunion. Vous comprendrez donc que, en aucun cas, nous ne puissions accepter, au nom des Réunionnais, que cet amendement soit supprimé.
    Car de deux choses l'une : ou bien un département ou une région d'outre-mer souhaite rester dans le statut de l'article 73, et alors il est soumis, sous réserve des adaptations nécessitées par sa spécificité et autorisées par les règles communautaires, au droit commun des départements et régions métropolitains - l'accentuation de la décentralisation au profit de ces derniers renforcera les possibilités de démocratie locale et d'adaptation des règles communes, notamment à travers le mécanisme d'expérimentation -, ou bien le département ou la région d'outre-mer souhaite bénéficier d'une faculté d'auto-organisation et d'un statut particulier, et alors il lui appartiendra d'opter pour le régime de l'article 74, ce qui se traduira notamment par la règle de spécialité législative et réglementaire.
    Je sais pour ma part, et je pense que vous pouvez tous en être persuadés, que les Réunionnais préféreront toujours l'assimilation adaptée à la spécialité législative. Car mes compatriotes savent dans leur sagesse que le développement économique ne peut se construire que sur la stabilité institutionnelle d'un département et d'une région d'outre-mer.
    Dimanche dernier, comme beaucoup d'entre nous, j'ai apprécié à leur juste valeur les mots qui ont été employés de respect de l'autre, d'humilité, d'écoute. Prenons garde de vouloir faire le bien de nos compatriotes contre leur gré...
    M. Jacques Myard. Très bien !
    M. Bertho Audifax. ... au risque d'être comme sous la précédente législature, insensibles au bon sens et à la conscience populaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Jacques Myard, pour cinq minutes.
    M. Jacques Myard. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, les maux d'une France mal administrée ont été maintes fois dénoncés. La centralisation en serait la raison essentielle et l'antidote, la décentralisation. C'est sans doute partiellement vrai, mais je vous rappellerai ces mots de Paracelse, monsieur le ministre, « tout est poison, rien n'est poison, tout est question de dose ».
    A ce stade de mon propos, qu'il me soit permis de souligner que le mal français réside davantage dans la dérive du champ de l'action publique, quelle qu'elle soit, et son extension permanente que dans son niveau, son échelon d'intervention ou son mode d'organisation. La sagesse populaire le sait : « Qui trop embrasse mal étreint. »
    Plus encore que de décentraliser, il est impératif de simplifier les procédures, et de mettre un terme à l'inflation des normes, qui sont un facteur de rigidité et de lenteur. La réalité aujourd'hui est simple : Sainte Procédure, paralysez-nous ! Sainte Norme protégez-nous pour que le ciel ne nous tombe pas sur la tête !
    M. André Thien Ah Koon. Très bien !
    M. René André. La République est laïque, monsieur Myard ! (Sourires.)
    M. Jacques Myard. Au demeurant, le prurit harmonisateur de la Commission de Bruxelles est également une source de lourdeur et de complexité accrue pour tout le monde, bien que certains feignent de l'ignorer. Il faudra bien un jour, au nom de la démocratie nationale, remettre l'Europe à sa place - toute sa place mais rien que sa place.
    Mais, aujourd'hui, monsieur le ministre, il s'agit de décentralisation. C'est un thème prometteur et porteur, j'en conviens.
    Il est exact que notre pays a largement bénéficié du talent libéré des élus des collectivités territoriales dont le travail concourt à la modernisation de notre territoire et à son dynamisme. Dans de très nombreux domaines, leur action a fait disparaître, selon la prédiction d'André Malraux dans son discours d'Amiens, « le mot hideux de province ».
    Vous nous proposez de donner un nouveau souffle à la décentralisation au motif que cela répondrait à une forte aspiration de nos concitoyens. Mais, en réalité, nos concitoyens souhaitent à l'évidence deux choses : une action publique efficace et une meilleure gestion de la dépense publique, c'est-à-dire des économies pour payer moins d'impôts.
    Ces deux objectifs peuvent se recouper, se concilier avec la décentralisation, mais ce n'est pas toujours le cas, et s'il est de bon goût - pour faire « tendance », comme disent les « bobos » - de dénoncer les gabegies de l'Etat, nous ne devons pas oublier les faillites retentissantes de quelques collectivités territoriales. La lecture des rapports de la Cour des comptes est toujours instructive à cet égard.
    Votre projet de réviser la Constitution vise trois objectifs : d'abord, accroître l'efficacité publique par la proximité et, corrélativement, le droit à l'expérimentation pour s'adapter aux situations locales : ensuite, assurer aux collectivités la maîtrise de leurs ressources fiscales : enfin, développer la démocratie locale.
    Je rappellerai tout d'abord que l'on ne doit toucher qu'avec prudence à la loi fondamentale et surtout que l'on ne doit pas surcharger son texte par des précisions inutiles. « On ne peut changer les lois que d'une main tremblante », disait Montesquieu. En d'autres termes, la Constitution ne doit comporter que des principes énoncés brièvement et clairement. Il appartient à la loi organique de préciser leur mise en oeuvre.
    Chacun de vos objectifs est louable. Il est juste de vouloir rapprocher de nos concitoyens et du terrain la prise de décision et de dévoluer aux collectivités, en conséquence, des compétences. Il est nécessaire que les collectivités territoriales maîtrisent leurs ressources et ne dépendent pas de la manne étatique, sous réserve de la nécessaire solidarité nationale. Il est enfin souhaitable et légitime que les élus locaux soient à l'écoute de leurs concitoyens.
    A ce propos, je vous rappellerai ce qu'un précédent président de l'Assemblée nationale avait coutume de dire : « La démocratie est une bonne fille mais, pour qu'elle soit fidèle, il faut faire l'amour avec elle tous les jours. » Ces mots sont d'Edouard Herriot. (Sourires.)
    M. Michel Hunault. Beau programme !
    M. Jacques Myard. On voit cependant les limites de l'exercice et les dérives qu'il peut entraîner.
    A l'évidence, vous voulez privilégier la région, monsieur le ministre, comme véhicule de la décentralisation. Je vous le dis tout de go, c'est une faute. Ne vous laissez pas circonvenir par les eurolâtres ! La France, c'est les départements. Ils ont une existence sociologique, ils sont viables, ils ont des moyens et ils sont proches des citoyens. Donnez-leur la possibilité de s'associer sur des projets déterminés. Moi, je dis : vive le département ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Il serait d'ailleurs dangereux de contourner l'Etat en asseyant une Europe des régions. L'Etat unitaire, donnée constitutive de notre pays, ne doit pas laisser place à une Europe des régions. On voit bien quels périls celle-ci ferait courir à la nation.
    M. Guy Geoffroy. Très bien !
    M. Jacques Myard. Le droit à l'expérimentation, s'il ne peut être condamné par principe, doit être clairement encadré afin d'éviter toute surenchère.
    Quant à la liberté fiscale, si l'on connaît bien la liberté des taux encadrés par la loi, je suis plus que sceptique sur les avantages recueillis par les collectivités du fait de pouvoir fixer l'assiette des impôts : le risque est évident de créer des inégalités entre collectivités territoriales. Les riches pourront réduire l'assiette tandis que les pauvres l'élargiront, chassant ainsi, par exemple, les entreprises. Ce n'est pas acceptable.
    Il est d'ailleurs curieux que vous vouliez accorder la liberté de fixer l'assiette de l'impôt aux collectivités territoriales alors que l'Etat lui-même l'a de moins en moins du fait du carcan des directives européennes.
    Quant au droit de pétition, vous prenez un risque majeur si vous l'écrivez de la manière que vous le proposez. Vous allez déstabiliser la démocratie représentative des collectivités territoriales qui risquent d'être assaillies de pétitions. Je ne pense pas, monsieur le ministre, que vous souhaitiez le retour des tricoteuses et autres agitateurs professionnels !
    Si les élus des collectivités territoriales doivent être à l'écoute, si ils ont aussi besoin de stabilité et de sérénité pour travailler.
    M. le président. Monsieur Myard, il faut vous approcher de votre conclusion maintenant !
    M. Jacques Myard. J'y viens, monsieur le président ! Vous avez, monsieur le ministre, de bonnes intentions, j'en conviens, mais vous devez aller au-delà pour éviter des risques sérieux de dérive.
    La Constitution de la Ve République a fait ses preuves, elle permet d'ailleurs beaucoup par la simple loi. Je ne vous cache pas mon scepticisme sur votre texte. Je ne suis pas certain qu'il faille une révision constitutionnelle pour réaliser une décentralisation équilibrée, efficace et proche de nos concitoyens. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Bernard Accoyer. Il a dit plus qu'il ne voudrait !
    M. le président. La parole est à M. Michel Buillard pour cinq minutes.
    M. Michel Buillard. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle soumis à notre examen renouvelle profondément la triple relation qui existe entre la République et l'outre-mer, entre la République et la Polynésie française, et entre la République et le concept d'autonomie.
    La relation entre la République et l'outre-mer a consacré une histoire particulière à l'outre-mer les deux siècles passés, faite de décisions souvent unilatérales et émanant du centre. Cette relation a trop souvent consisté à opposer les grands principes républicains aux spécificités ultramarines, traduisant une opposition de culture politique. Le texte proposé renouvelle la relation et dépasse ce clivage par la méthode du dialogue et en remettant les populations d'outre-mer au coeur de la relation.
    Indépendamment de tout intérêt stratégique ou idéologique, il tient compte des intérêts propres de chacune d'elles au sein de la République. Désormais, il s'agit bien de satisfaire en premier lieu les aspirations de ces populations d'outre-mer. Voici une nouvelle donne qui constitue une chance historique. C'est ainsi que la Constitution va notamment reconnaître que des mesures justifiées par les nécessités locales pourront intervenir pour protéger l'emploi local ou l'accès à la propriété foncière.
    Pour faire pièce à une certaine culture républicaine, qui n'a pas reconnu toutes les virtualités du concept de « peuples d'outre-mer » consacré par les Constitutions de 1946 et 1958, il convient de rappeler que, dans cette relation si particulière qu'entretient l'outre-mer avec la République, spécificité prime uniformité.
    Le projet de loi renouvelle et renforce également les relations entre la République et la Polynésie française.
    Les Polynésiens ont choisi le maintien au sein de la République plutôt que l'indépendance. Or, pour la première fois, le nom de la Polynésie française est inscrit dans le corpus de la Constitution. Ce rattachement solennel à la République constitue un signe fort, à l'adresse de la communauté internationale, de la volonté des Polynésiens de demeurer français. C'est aussi un gage de stabilité et de pérennité à l'adresse des investisseurs.
    Il est à souligner que le fameux « sens de l'histoire » n'a pas toujours de sens, puisque celui majoritairement choisi par les Polynésiens n'est pas l'indépendance. Certes, ce sens ne nous appartient pas et il incombera à nos enfants d'en décider pour l'avenir mais, aujourd'hui, notre choix est bien l'ancrage dans la République. Le présent projet de loi constitutionnelle l'exprime fidèlement.
    Le projet de loi renouvelle enfin les relations entre la République et l'autonomie.
    L'option politique de l'autonomie a été abusivement assimilée au séparatisme, voire à une forme de nationalisme exacerbé, ce qu'elle n'est pas. Avant que ce mouvement soit compris et soit reconnu par les lois statutaires de 1984 puis de 1996, que de joutes a-t-il fallu !
    Le présent projet de loi constitutionnelle traduit l'aboutissement d'un long processus : la reconnaissance suprême de l'autonomie par l'Etat. L'autonomie interne, jadis internée, est désormais constitutionnalisée.
    A mon sens, la réussite de l'autonomie repose sur trois piliers : il faut d'abord un statut flexible et adapté aux méthodes de gouvernement des élus, ensuite, une équipe gouvernementale soudée et compétente, et, enfin et surtout, un bon leader. C'est grâce à l'esprit visionnaire de notre président sénateur que l'autonomie permet à la Polynésie française de remporter le pari de la reconversion économique de l'après-CEP, l'après-Centre d'expérimentation du Pacifique.
    Bien sûr, ces succès ont été rendus possibles grâce au soutien de l'Etat, notamment par le biais du FREP, le fonds de la reconversion économique de la Polynésie française, et je tiens à ce titre à exprimer publiquement notre plus sincère reconnaissance au Président de la République, au Premier ministre, aux ministres, ainsi qu'à Mme la ministre de l'outre-mer : vous avez ramené la paix dans nos coeurs.
    Mais ils sont aussi rendus possibles par le principe directeur gouvernant l'autonomie, à savoir le principe de responsabilité : responsabilité des élus, qui utilisent à bon escient les deniers publics, respectent les libertés publiques, solutionnent par anticipation la rupture de la continuité territoriale et créent la couverture maladie universelle avant la métropole ; responsabilité des Polynésiens aussi, qui, préservés des 35 heures, du RMI, des allocations chômage, se prennent en main et accèdent à l'emploi et au logement par des mesures publiques d'accompagnement.
    Même si nous sommes conscients de la fragilité de ces succès, nous voyons dans l'autonomie une variante de la décentralisation qui pourrait servir d'expérimentation. Le renforcement de l'autonomie par la protection des compétences de la Polynésie, sa participation prévue aux missions de l'Etat dans le cadre d'un partenariat nouveau et éclairé, et la consécration constitutionnelle des droits de la population polynésienne ne peuvent qu'emporter la pleine approbation du projet de loi par les députés de la Polynésie française, Mme Vernaudon et moi-même. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Camille de Rocca Serra.
    M. Camille de Rocca Serra. Il y a, dans l'histoire de la France, des années qui comptent plus que d'autres. L'année 2002 sera, sans aucun doute, l'une d'elles.
    Durant des siècles, notre pays a forgé son unité, sa force et sa grandeur dans le creuset d'une organisation institutionnelle centralisée que même la grande Révolution n'a pas ébranlée.
    A la fin des années 60, alors que l'Europe commençait à se construire, et que la société française venait d'être secouée par un véritable séisme culturel et social, le grand visionnaire qu'était Charles de Gaulle avait compris que le centralisme d'un Etat omnipotent ne correspondait plus aux réalités modernes.
    Il avait eu raison trop tôt. La France n'était pas prête.
    Elle ne l'était pas davantage en 1982 lorsque, à la faveur d'un bouleversement politique, était engagée la réforme de décentralisation voulue par Gaston Defferre. Pire encore, l'Etat n'était pas préparé à vivre de tels changements. Ainsi, la réforme, aussi audacieuse qu'elle ait été, n'alla jamais jusqu'à son terme ; elle resta au milieu du gué.
    Il eût été dangereux pour notre pays, pour son unité, pour sa puissance dans le concert des nations, d'en rester là. C'est l'honneur de Jacques Chirac que d'avoir voulu, avec force, aller plus loin, moderniser la France, et donner plus de vigueur à la démocratie, en engageant une réforme capitale qui restera dans l'histoire comme un tournant décisif.
    A la différence de ses lointains prédécesseurs, Jean-Pierre Raffarin, homme de terrain et fin connaisseur des réalités auxquelles sont confrontées les collectivités territoriales, a voulu, avec force et conviction, que cette réforme soit conduite selon une méthode répondant pleinement aux objectifs poursuivis.
    Ainsi, ce n'est plus l'Etat tout puissant qui impose ses vues. C'est dans le terreau local que plongent les fondations du grand édifice nouveau qu'ensemble nous sommes appelés à bâtir.
    Le Gouvernement a voulu entendre, dans toute la France, tous ceux pour qui la réforme est faite, qu'ils soient élus ou simples citoyens. Nous sommes ici pour relayer les idées, les espérances et les craintes qui se sont alors exprimées.
    L'espérance, c'est celle de l'instauration d'un vrai pouvoir local, partenaire de l'Etat et pleinement responsable de l'avenir des collectivités qu'il administre librement.
    C'est celle d'un Etat allégé dans ses tâches et renforcé dans ses missions essentielles qui garantisse à tous les citoyens l'égalité, la solidarité, la sécurité, la liberté et le développement durable de l'ensemble du pays.
    La crainte, c'est celle d'une décentralisation en trompe-l'oeil, avec des compétences transférées partiellement ou a minima, des moyens octroyés avec parcimonie ou rapidement repris par la main qui ne les a pas donnés.
    La Corse a déjà vécu ces mêmes espérances et ces mêmes craintes. Elle a connu les conséquences de réformes qui se voulaient politiquement audacieuses, mais qui, en réalité, se sont révélées imparfaites et frileuses quant aux compétences et surtout quant aux moyens transférés. Je pourrais, à ce sujet, multiplier les exemples et parler notamment de recettes aléatoires tirées de taxes portant sur des produits dont, par ailleurs, on veut limiter la consommation, ou bien que le Gouvernement supprime unilatéralement sans que la compensation soit suffisante. Je pourrais également parler de ces compétences que l'Etat a transférées dans des domaines d'où il s'était financièrement désengagé et où, pourtant, les besoins à satisfaire étaient considérables.
    La Corse a aussi vécu, avec une certaine appréhension, le risque d'une expérimentation que d'aucuns n'hésitaient pas à lui faire prendre, alors qu'aujourd'hui ils la refusent aux autres régions.
    Oui, nous avons connu des expérimentations : la fameuse jurisprudence Schrameck qui, dans le cadre d'une loi ordinaire, accordait des pouvoirs que la Constitution ne pouvait pas tolérer. C'est pourquoi, aujourd'hui, effectivement, dans sa sagesse et sa volonté de bâtir une France plus moderne, plus grande, plus juste, plus solidaire, le Gouvernement s'est engagé à réformer ce qui est nécessaire, grâce au présent projet, pour libérer les énergies, assurer la solidarité indispensable à l'ensemble de nos territoires et renouer avec les citoyens ce contrat de confiance qui fonde notre République, pour faire en sorte qu'Alfred Sauvy n'ait plus raison : que Paris et le désert français, ce soit du passé !
    M. René Dosière. Pour faire en Corse ce que voulait Jospin !
    Plusieurs députés de l'Union pour la majorité présidentielle. C'est qui, Jospin ?
    M. Camille de Rocca Serra. Vous avez entrepris beaucoup de réformes, restées inachevées, faute de leur avoir apporté la sécurité juridique nécessaire. C'était l'aventure ! Aujourd'hui, nous avons, au contraire, la possibilité d'engager la France dans une construction plus moderne, sur des bases plus saines. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Veuillez conclure, monsieur de Rocca Serra.
    M. Camille de Rocca Serra. Réussir le pari de changer la France, c'est aller au bout de la démarche engagée, c'est avoir le courage de réformer l'Etat, c'est avoir la pugnacité nécessaire pour réformer en profondeur la fiscalité locale et nationale ; c'est, en un mot, voir plus grand, voir plus loin.
    Dans une France modernisée, dans une République refondée, la Corse ne pourra que bien se sentir, retrouver sa place et tenir son rang.
    La Corse a une vieille expérience des institutions faites par le peuple et pour le peuple.
    Que de sang versé, que de larmes, que de dégâts, que de temps perdu, que de gâchis auraient pu être évités si notre pays, que les Corses ont contribué à bâtir depuis plus de deux cents ans, avait su, plus tôt, donner à l'organisation des pouvoirs la forme moderne qu'une nouvelle civilisation, une nouvelle société rendaient indispensable.
    Aujourd'hui, les Corses n'aspirent qu'à vivre et travailler dans la sérénité. Ils ne veulent plus craindre pour leur avenir au sein de la République. A cet égard, cette réforme constitutionnelle leur donne assurément plus de garanties.
    Mais cette garantie aurait été plus grande encore...
    M. le président. M. Camille de Rocca Serra, concluez s'il vous plaît.
    M. Camille de Rocca Serra. Je revendique la jurisprudence Taubira, si j'ose dire, monsieur le président. (Rires.)
    M. le président. Vous avez largement dépassé votre temps de parole, et j'ai accordé la même tolérance à tout le monde.
    M. Camille de Rocca Serra. Je vais conclure. Je veux espérer que certaines questions qui restent malgré tout posées trouveront réponse dans les lois organiques et ordinaires qui préciseront la réforme, si le Gouvernement, dans sa sagesse, le juge utile. Ainsi la grande majorité des Corse qui, trop souvent, ont vu leur destin dépendre de lois ordinaires, aux dispositions parfois aventureuses, retrouveront l'espoir et la confiance et, enfin, la sérénité au sein de la République.
    J'exprime ma confiance au Gouvernement et à cette assemblée pour que mon appel soit entendu. C'est celui d'un des représentants d'hommes et de femmes blessés, lassés, inquiets, mais qui ont encore confiance dans leur patrie, la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Michel Hunault.
    M. Michel Hunault. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, l'examen du projet de loi constitutionnelle adopté par le Sénat, relatif à l'organisation décentralisée de la République, est la concrétisation d'un engagement fort du Président de la République, celui de rendre plus efficace l'action publique au service de nos concitoyens.
    M. Jean-Marie Geveaux. Très bien !
    M. Michel Hunault. Dans son discours devant le conseil régional de Bretagne, à Rennes, et pendant la campagne présidentielle, à Rouen, le chef de l'Etat avait souhaité que nos structures et nos procédures soient adaptées, en vue d'un nouvel équilibre institutionnel entre l'Etat et les collectivités territoriales. Voter ce texte, ce n'est pas s'attaquer au principe de l'indivisibilité de la République auquel nous aussi, nous sommes attachés. C'est, au contraire, vouloir réhabiliter l'autorité de l'Etat, afin qu'il se consacre à ses missions régaliennes et qu'il laisse aux collectivités territoriales plus de liberté, pour plus d'efficacité.
    Nous avons tous regretté, et même condamné, la lourdeur des processus de décision, l'empilement des structures, l'impuissance de l'Etat. Comment, dès lors, contester ce projet de loi constitutionnelle, lorsque l'on sait qu'il s'inspire très directement des travaux du Parlement qu'il s'agisse du rapport des sénateurs Mauroy et Delevoye, ou de la proposition de loi constitutionnelle du président Méhaignerie, visant à reconnaître aux collectivités territoriales un véritable droit à l'expérimentation. Cette dernière proposition de loi avait d'ailleurs été adoptée en janvier 2001 par le groupe socialiste, l'UDF et le RPR.
    Comment ne pas relever aujourd'hui l'incohérence de nos collègues de gauche sur ce texte qui ne vise pas à démanteler l'Etat mais, au contraire, à accroître l'efficacité en accordant des compétences accrues aux collectivités territoriales ?
    Lorsqu'on vient donner des leçons sur l'indivisibilité de la République et l'autorité de l'Etat, on ne combat pas, comme la gauche l'a fait, les lois de programmation en faveur de la justice, de la sécurité intérieure ou des armées, d'autant qu'il me semble que la loi sur le statut de la Corse n'était pas l'exemple même de ce qui garantit l'égalité et l'indivisibilité de la République. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Bernard Accoyer. Très bien !
    M. Michel Hunault. Monsieur le ministre, il est normal que des inquiétudes se manifestent. C'est au Parlement, comme l'a rappelé le président de la commission des lois, rapporteur du projet, de recadrer le contenu même de ce projet de loi. Ce texte est une étape constitutionnelle indispensable pour transférer demain, par des lois organiques, des compétences qui seront mieux assumées par les collectivités territoriales.
    Faut-il rappeler que l'expérimentation n'est pas une nouveauté ? Des expérimentations ont été menées, et d'ailleurs fort bien réussies. Je citerai l'exemple du transfert aux régions de la compétence des transports ferroviaires.
    Voter ce projet de loi constitutionnelle est l'occasion d'entamer une nouvelle étape de la décentralisation pour un meilleur fonctionnement de notre organisation territoriale. Encore faudrait-il que la décentralisation soit aussi l'occasion d'une clarification des compétences entre l'Etat et chacune des collectivités territoriales.
    A l'opposé de la caricature et des critiques de certains, je veux saluer la démarche du Gouvernement qui, par l'organisation des assises des libertés locales, a suscité à travers le pays un réel débat. Chaque jour, des propositions concrètes remontent des différents échelons territoriaux, la région, les départements, l'intercommunalité, réclamant plus de compétences dans des secteurs aussi divers que la formation professionnelle, la solidarité, les équipements.
    Enfin, si la décentralisation doit s'accompagner d'une déconcentration et d'une clarification des compétences, elle doit être aussi, monsieur le ministre, l'occasion d'une réforme de la fiscalité locale. Comment, en effet, parler d'autonomie quand les deux tiers des ressources des collectivités territoriales dépendent des dotations allouées par l'Etat ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Oui, nous avons besoin d'une nouvelle phase de décentralisation. Ce n'est pas le démantèlement de l'Etat. C'est au contraire la libération des capacités d'initiative et des énergies locales. Ce texte permettra de susciter un nouveau dynamisme territorial qui se traduira par plus de responsabilité et donc plus d'efficacité.
    Je pense que la grande force de ce projet de loi c'est que l'Etat et le Gouvernement pourront compter demain sur les collectivités locales, à l'image de ce qui se passe dans certaines régions de France qui ont fait des propositions ambitieuses.
    Ce projet est indispensable pour franchir une nouvelle étape de la décentralisation, façonner une France que nous voulons plus responsable et redonner toute sa force au pacte républicain. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Bruno Bourg-Broc.
    M. Bruno Bourg-Broc. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, à la lecture du texte qui nous est présenté, et après avoir entendu les déclarations du Gouvernement, hier, ici, la semaine dernière au Sénat, la première chose que j'ai envie de dire aujourd'hui à cette tribune, c'est : enfin ! Enfin, un gouvernement qui fait de la décentralisation une priorité de son action. Enfin, un texte qui affiche la volonté de changement que nous attendions depuis si longtemps.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, rapporteur pour avis. Eh oui !
    M. Bruno Bourg-Broc. Après les innombrables colloques auxquels nous avons assisté ou participé les uns et les autres, après les très nombreux ouvrages, rapports et articles publiés sur le sujet, personne ne doutait plus, et depuis bien longtemps, que l'organisation institutionnelle de notre pays appelait une réforme de fond.
    Depuis dix ans, au moins, les maux sont connus : multiplication et opacité des niveaux de décision et de financement ; fiscalité locale et dotations publiques injustes et déséquilibrées ; mécanismes de solidarité territoriale largement insuffisants ; appareil d'Etat inadapté.
    A droite comme à gauche, personne ne songe plus à remettre en cause ce qui est considéré par les Français comme un acquis fondamental et irréversible.
    Trois convictions font ici l'unanimité : celle, d'abord, que la décentralisation victime de son succès, s'est aujourd'hui éloignée des objectifs d'efficacité, de transparence et de proximité qui l'ont fondée ; celle, ensuite, qu'il existe dans le pays une demande pressante de participation et de responsabilité ; la conviction, enfin, que la proximité est, dans bien des domaines, une garantie de meilleur gouvernement, de « meilleure gouvernance ».
    Ces dernières années, nous avons donc espéré une réforme. Nous n'avons eu que des retouches. Il manquait sans doute la volonté, et peut-être aussi le courage d'ouvrir le chantier.
    En s'engageant sur cette voie, notre gouvernement démontre à l'évidence qu'il dispose de l'une et de l'autre. Nous ne pouvons que nous en réjouir. L'objectif est clair : relancer une décentralisation en panne. Mais pour ce faire, encore fallait-il fixer clairement la direction.
    Nous avons trop souffert en la matière de décisions contradictoires et de mesures incohérentes, pour ne pas nous féliciter que le Gouvernement ait choisi de procéder méthodiquement, en fixant les grands principes avant d'entrer dans le détail.
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. C'est logique, en effet !
    M. Bruno Bourg-Broc. Modifier, d'abord, la Constitution pour y inscrire les principes fondateurs me paraît être une démarche de bon sens.
    Sur le fond, ni surprise ni révolution. Les principes qui sont désormais établis et qui auront demain force obligatoire pour le législateur répondent aux attentes de la très large majorité des acteurs de la décentralisation : affirmation de l'autonomie fiscale, péréquation, reconnaissance de la région, participation accrue des citoyens à la vie locale, transfert de ressources correspondant au transfert de charges. Il s'agit là, tout simplement, de ce que, toutes tendances confondues, nous demandions depuis bien longtemps.
    Quant au droit à l'expérimentation, c'est, là encore, une réponse de bon sens à la diversité de notre territoire. Les élus, qui ne cessent de dénoncer le caractère unilatéral des décisions prises à Paris ou à Bruxelles sans considération pour les réalités et les spécificités locales, devraient trouver là l'instrument dont ils ont besoin. Si le cadre est tracé, si la loi donne la direction, je n'y vois, pour ma part, aucun danger pour l'unité républicaine.
    A ce stade de nos débats, je veux attirer votre attention sur cinq préoccupations qui me semblent essentielles pour que la démarche engagée trouve le succès qu'on lui souhaite.
    Ma première préoccupation concerne le rôle et la place de la commune. Celle-ci est la cellule de base de la démocratie française, le premier maillon de l'architecture institutionnelle, le premier échelon de proximité. Il est primordial qu'elle le reste et, pour cela, qu'elle ait toute la place qui lui revient dans la mise en oeuvre de cette nouvelle étape de la décentralisation.
    Prenons garde donc de ne pas l'exclure de la distribution à venir de compétences nouvelles ni du bénéfice du droit à l'expérimentation. Prenons garde également que le renforcement des régions ne se fasse pas à ses dépens, notamment par l'instauration, entre collectivités, d'une tutelle de fait.
    Au demeurant, la commune n'exclut pas l'intercommunalité et je suis de ceux qui regrettent que cette dernière ne figure pas dans ce texte, une intercommunalité naturellement fondée sur une coopération librement consentie.
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission. Elle est citée par le Gouvernement !
    M. Bruno Bourg-Broc. Ma deuxième préoccupation concerne les inégalités de ressources et de charges qui caractérisent la situation de nos collectivités. Chacun s'accordera à reconnaître que l'amplitude actuelle des disparités n'est pas acceptable. Si nous voulons qu'un citoyen, quel que soit son lieu de résidence, soit d'abord français avant d'être champenois ou breton, il faut que l'Etat engage un effort sans précédent de solidarité territoriale.
    M. Jacques Myard. Très bien !
    M. Bruno Bourg-Broc. La décentralisation, ce n'est pas le « chacun pour soi ».
    Ma troisième préoccupation concerne l'équilibre territorial. Cet équilibre, à la fois précaire et fragile, ne peut résulter que de la volonté publique. Volonté de lutter contre la concentration des services publics dans les grandes agglomérations, de poursuivre l'effort de désenclavement, enfin, de conduire une politique d'aménagement du territoire à la fois ambitieuse et volontaire. Le problème de la péréquation n'est pas seulement d'ordre financier.
    Ma quatrième préoccupation concerne l'organisation institutionnelle.
    Les processus de décision et de financement public ont atteint un niveau de complexité qui les rend incompréhensibles. Nous devons avoir pour objectif de rationaliser les procédures, de clarifier et de simplifier l'exercice quotidien du pouvoir décentralisé.
    Ma cinquième préoccupation tient à la forme de l'Etat dans une France décentralisée.
    La décentralisation ne sera vraiment achevée - le sera-t-elle jamais au demeurant ? - que lorsque l'Etat aura lui-même conduit sa transformation. Il y a encore beaucoup à faire.
    Un point, par exemple, tient à coeur aux maires de France, mais il faut attendre la révision de la Constitution, c'est de faciliter le passage de la fonction publique d'Etat à la fonction publique territoriale. Que de changements on pourrait en attendre !
    Voilà l'essentiel des préoccupations dont je voulais vous faire part, mais, avant de conclure, je voudrais ajouter que je suis de ceux qui considèrent que l'article 3 (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste), dans sa rédaction actuelle, ne correspond pas à l'esprit de la Constitution. (« Très bien ! » sur divers bancs.) C'est l'Assemblée nationale qui est élue au suffrage universel direct. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) C'est elle qui vote en dernier lieu la loi.
    M. Didier Migaud. C'est tout de même fou d'avoir à rappeler ça !
    M. Bruno Bourg-Broc. Loin de moi l'idée de remettre en cause le bicamérisme,...
    M. Didier Migaud. Personne ne le remet en cause !
    M. Bruno Bourg-Broc. ... mais l'équilibre voulu par le constituant n'est pas le fait du hasard. Alors gardons-nous de le remettre en cause. (« Très bien ! » sur divers bancs.)
    Mes chers collègues, voilà une réforme attendue, nécessaire et bien engagée, mais, au-delà des principes fondateurs dont nous sommes saisis aujourd'hui, et auxquels nous souscrivons, il faudra demain se pencher sur la technique, sur la mise en oeuvre. Le plus dur, je crois, est à venir. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jacques Myard. Ca, c'est vrai.
    M. le président. La parole est à M. Jean-François Mancel, dernier orateur inscrit.
    M. Jean-François Mancel. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis sera le socle fondateur de la nouvelle phase de décentralisation qu'a souhaitée le Président de la République et que le Premier ministre a pris activement en charge, comme il nous l'a d'ailleurs parfaitement bien montré cet après-midi.
    C'est de la part du Gouvernement une attitude courageuse pour préparer l'avenir, car chacun sait qu'en la matière les résultats positifs ne se feront sentir pour nos concitoyens que dans le long terme, alors que les interrogations, les doutes, les craintes, les criailleries parfois peupleront le court terme, l'univers politique et médiatique.
    Cette réforme est indispensable. Ce n'est pas un joujou pour experts, élus nationaux et surtout locaux, mais le moyen d'améliorer le service public pour le citoyen en allégeant la charge pour le contribuable. C'est ça la décentralisation !
    M. André Chassaigne. On verra le résultat !
    M. Jean-François Mancel. C'est pour ça qu'il faut voter le texte.
    En réalité, elle se confond totalement avec la réforme de l'Etat, et doit s'appuyer sur deux principes fondamentaux : plus d'efficacité, plus de démocratie.
    Dans cette perspective et pour nourrir nos réflexions communes sur ce texte et sur ceux qui viendront au printemps 2003, je voudrais évoquer très rapidement quelques pistes.
    D'abord ayons dans l'esprit d'apporter une réponse simple et claire à la double question : qui fait quoi, qui paie quoi ?
    Pour emprunter une formule au président de notre assemblée, je dirai que le bazar n'est sans doute pas pour demain, mais c'est aujourd'hui : imbrication des compétences, confusion des responsabilités, croisement des financements font aujourd'hui en permanence le nid de l'inefficacité, de l'irresponsabilité et du manque de démocratie.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, rapporteur pour avis. Tout à fait !
    M. Jean-François Mancel. Le Premier ministre l'a dit avec beaucoup de courage, les contrats de plan qui partaient d'une bonne idée initiale sont devenus le terrible exemple des financement croisés et de tous ces maux que je viens à l'instant de dénoncer.
    M. Jean-Luc Warsmann. Absolument !
    M. Jean-François Mancel. Ce n'est pas facile, mais il faut absolument donner à chaque type de collectivité, à chaque niveau d'administration territoriale, les moyens d'assumer ses propres compétences, quelle que soit sa richesse, ou, hélas ! son niveau de pauvreté.
    Ensuite, le projet de loi constitutionnelle l'annonce, il va nous falloir régler avec beaucoup de courage les problèmes de financement. Le système fiscal local est inégal et injuste. Nous le savons mais, jusqu'à maintenant - on peut le dire entre nous -,...
    M. Didier Migaud. On est tout à fait entre nous ; il n'y a que le Journal officiel...
    M. Jean-François Mancel. ... quels que soient les courants politiques ici représentés, nous ne sommes jamais arrivés à véritablement le réformer. Pire, tout à l'heure, Pierre Méhaignerie le soulignait très justement, les systèmes de compensation qui ont été mis en place aggravent les inégalités, et les dotations de l'Etat comme l'illisibilité de l'impôt pour le citoyen contribuable poussent automatiquement à l'augmentation de la fiscalité locale.
    Si la décentralisation aboutissait à la hausse systématique de la fiscalité locale, elle y perdrait toute crédibilité. Or, si nous voulons que les élus locaux aient à coeur de tenir leur fiscalité, il faudrait penser un peu plus à récompenser ceux qui maîtrisent leurs dépenses plutôt qu'encourager ceux qui les augmentent, car c'est ainsi que cela se passe, quand on regarde les textes existants,...
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission de finances, rapporteur pour avis. Il a raison.
    M. Jean-François Mancel. ... à moins, évidemment, que des lois mal conçues ou même scélérates - il y a eu quelques exemples au cours des cinq dernières années -, ne conduisent les élus locaux à augmenter les impôts parce qu'ils ne peuvent pas faire autrement...
    M. André Chassaigne. Il dit n'importe quoi !
    M. Jean-François Mancel. Enfin, soyons convaincus qu'il n'y aura ni réforme de l'Etat ni décentralisation réussie, et c'est un sujet qui a été peu abordé dans ce débat, si nous n'avons pas aussi la volonté de réformer les fonctions publiques.
    M. Alain Gest. Très bien !
    M. Jean-François Mancel. C'est un point essentiel. Il y a des problèmes de moyens, mais il y a aussi le problème des hommes. Il faut accomplir cette réforme de la fonction publique avec les fonctionnaires, et certainement pas contre eux, mais la crainte des résistances inévitables que nous rencontrerons ne doit pas nous conduire à l'inaction. Les statuts sont dépassés, les grilles indiciaires totalement obsolètes, l'hermétisme des corps totalement inadapté, nous avons en plus deux fonctions publiques, ce qui bloque de plus en plus toute possibilité pour les fonctionnaires d'aller de l'une vers l'autre et vice-versa. C'est un handicap majeur dans la réforme de l'Etat et dans la décentralisation. Ayons le courage de commencer à y réfléchir et d'engager enfin la réforme.
    Le Gouvernement s'est engagé courageusement dans la voie de la réforme. Il nous trouvera fidèlement à ses côtés pour l'approuver mais aussi pour faire des propositions. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La discussion générale est close.
    La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, cette discussion générale a été l'occasion d'engager un vrai débat, un large débat. Certaines déclarations préliminaires avaient laissé entendre qu'il n'y avait pas de débat sur le sujet constitutionnel. Il me semble, après ces quelques heures passées ensemble, que cette crainte n'était pas fondée.
    M. Didier Migaud. Si vous n'en tenez pas compte...
    M. le garde des sceaux. Plusieurs d'entre vous ont noté un changement de méthode par rapport à la décentralisation de 1982 et de 1983 - la loi Defferre. Je ne veux pas critiquer, les conditions historiques étaient sans doute différentes, mais il faut reconnaître l'ensemble des caractéristiques de ces différentes réformes.
    Un grand nombre d'orateurs de la majorité ont regretté que l'opposition de l'époque n'ait pas participé aux réformes Defferre. La majorité d'aujourd'hui a aussi le droit de souligner que la réforme Defferre n'était pas franchement un modèle de concertation et de dialogue avec les collectivités territoriales alors que les assises des libertés locales, organisées en particulier par Patrick Devedjian, mettent en place, comme l'a relevé M. Bignon, un vrai débat dans les régions.
    M. Didier Migaud. Ce sont des promesses !
    M. le garde des sceaux. Cela permet à ceux qui le veulent d'exprimer leurs souhaits et d'apporter leur contribution à ce débat essentiel pour l'avenir de notre pays et de nos territoires. Contrairement à ce qu'a affirmé M. Derosier, il n'y a pas de parodie de concertation mais une vraie concertation, celles et ceux qui ont déjà participé à ces différentes réunions le savent bien.
    Deuxième point extrêmement important, je l'ai dit dans mon discours en présentant le projet mais je veux le rappeler très clairement après plusieurs d'entre vous, il n'y a pas de remise en cause de la place de l'Etat et de l'unité de la République, bien au contraire, et M. Albertini l'a très justement souligné. Il a analysé le souci du Gouvernement, et je ne partage pas à cet égard le point de vue de M. Balligand, que j'ai trouvé caricatural.
    Cette réforme, beaucoup d'entre vous l'ont souligné, doit être le levier de la réforme de l'Etat. Vous savez mon attachement à cet aspect de nos efforts à réaliser. Je suis convaincu, pour avoir travaillé sur ce sujet, que la décentralisation qui sera engagée au cours de l'année 2003 sera aussi l'occasion de réformer l'Etat, ce que nous n'avons pas pu, ou pas su suffisamment faire ni les uns ni les autres. Nous aurons l'occasion, j'imagine, d'y revenir au fil de l'analyse des articles, en particulier à propos de l'article 2. Ce souci, je le crois, est partagé par un grand nombre d'entre vous. M. Gest l'a souligné, ainsi que René André tout à l'heure.
    Troisième remarque transversale, la libération des énergies. Le Premier ministre a rappelé cet aspect tout à l'heure, M. Daubresse l'a souligné avec beaucoup de force, Mme Comparini aussi, en indiquant l'intérêt de la souplesse que pourrait introduire une telle réforme.
    M. Bourdouleix a souligné l'importance de l'intercommunalité.
    Si le Gouvernement n'a pas souhaité confirmer la place des établissements publics intercommunaux dans la Constitution, au même titre que la commune, le département et nouvellement la région, il y a une raison toute simple : c'est que ces structures, qui s'appellent d'ailleurs « établissements publics », ne sont pas aujourd'hui stabilisées. Nous aurons l'occasion, j'imagine, d'en parler au moment de l'examen des articles. Nous avons accepté bien volontiers, sur la sugestion du Sénat, d'introduire l'intercommunalité dans les structures susceptibles de porter l'expérimentation, ce qui est une façon de reconnaître leur existence, mais les structures intercommunales, vous en conviendrez, ne sont à l'évidence pas stabilisées d'une manière suffisante pour entrer dans le système constitutionnel au même titre que la région, le département et la commune.
    M. Dord a parlé à juste titre de la nécessité de décentraliser. C'est en effet essentiel.
    J'ai entendu bien sûr l'intervention de M. Bonrepaux, j'ai même entendu les propos caricaturaux de M. Montebourg. Je salue sa place vide, comme il a salué tout à l'heure la place vide d'un président de commission, comme quoi il ne faut jamais insulter l'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Ayant quelques années de plus que lui, je lui dis avec le sourire - je ne dirai pas avec amitié bien que notre proximité géographique nous permette de nous rencontrer souvent - qu'il faut parfois être plus tempéré, peut-être plus modéré dans son expression. C'est en quelque sorte un conseil que je lui donne.
    M. René Dosière. Un conseil d'ami !
    M. le garde des sceaux. Plusieurs d'entre vous ont insisté sur l'autonomie financière. C'est évidemment un point extrêmement important, un point-clé du projet de réforme constitutionnelle qui vous est proposé.
    Je remercie M. Carrez d'avoir souligné la nécessité de réaliser de façon concomitante une réforme de la fiscalité. D'autres l'ont dit après lui. Bien sûr - et je parle sous le contrôle du ministre délégué aux libertés locales, qui aura en charge une partie de ce projet difficile, la réforme de la fiscalité locale -, nous savons bien les uns et les autres, en particulier ceux qui ont une petite expérience de la gestion locale, que notre système de fiscalité locale est périmé, qu'il a vieilli, qu'il n'a plus la souplesse économique et financière indispensable à une bonne fiscalité et que, s'il restait ce qu'il est aujourd'hui, il serait décalé face à cet appétit de décentralisation que nous exprimons à travers ce projet.
    Il faudra donc que l'Etat ait suffisamment d'imagination, le Parlement également, pour trouver des contributions fiscales d'une autre nature et d'une autre modernité que celles dont bénéficient les collectivités territoriales.
    Je partage également la préoccupation de M. Blessig et de M. Geoffroy que les transferts de compétences que beaucoup appellent de leurs voeux s'accompagnent des moyens financiers nécessaires. Nous analyserons, monsieur d'Aubert, les conditions pratiques de ces transferts dans les lois organiques et les lois ordinaires à venir, car tout, évidemment, ne relève pas de la Constitution, j'y reviendrai tout à l'heure. Nous veillerons, comme l'a souhaité M. Mariton, à éviter toute dérive financière.
    Au total, je crois que ces différentes interventions soulignent bien l'importance de la suite des travaux qui nous occuperont dans les mois à venir.
    On a aussi évoqué, bien sûr, les dispositions concernant l'outre-mer. M. Victoria et M. Thien Ah Koon ont rappelé tout spécialement l'attachement de la Réunion à la France, leur attachement aussi à un certain nombre de dispositions, de garanties et de souplesses. Mme Girardin aura l'occasion de développer ces différents points lors de la discussion des articles, mais je veux d'ores et déjà apporter quelques éléments de réponse.
    Monsieur Victoria, vous avez eu raison de rappeler l'attachement quasi viscéral de la Réunion à la République. Je crois pouvoir vous dire en toute sincérité - et vous savez combien je suis personnellement attaché à l'outre-mer français, que j'ai appris à connaître et à aimer - que notre projet vous apporte la sécurité et un ancrage sans précédent à la France. Vous avez raison de souligner que les populations d'outre-mer font partie du peuple français. C'est tout le sens que nous donnons à notre démarche, conformément, vous le savez mieux que personne, aux engagements du Président de la République.
    Monsieur Thien Ah Koon, je veux vous dire avec la même force et la même sincérité que notre projet sécurise le statut départemental de la Réunion puisque, contrairement, m'a-t-il semblé, à la façon dont vous comprenez l'article 72-4, il ne sera désormais plus possible de changer le statut de la Réunion par une simple loi ordinaire. Jusqu'à présent, il y avait un risque, il ne sera plus possible désormais de changer ce statut sans recueillir le consentement de la population. Si nous supprimons l'article 72-4, vous n'auriez plus aucune protection contre un tel changement. Il faut que nous nous comprenions bien sur ce point, qui me paraît fondamental. Au fond, ce projet vous donne la clé de votre avenir. C'est le sens profond de la démarche constitutionnelle et cela va dans le sens de votre attachement profond à la République.
    M. Geoffroy a eu raison de dire que, avec l'affaire du Sénat, la gauche entretient une fausse querelle. Nous aurons l'occasion d'en reparler car je crois deviner que l'article 3 sera l'occasion de débats importants. En tout cas, une réforme constitutionnelle qui doit être adoptée par les deux chambres est l'occasion d'un travail approfondi. Depuis que l'Assemblée nationale est saisie du projet, il m'a semblé que les deux commissions - celle des lois et celle des finances - avaient particulièrement réfléchi à la relation Assemblée-Sénat, à cette question de droit de priorité pour l'examen des textes. Divers amendements ont été déposés, et nous aurons l'occasion d'en discuter. Mais j'ai la conviction que nous parviendrons à un dispositif adéquat qui, à la fois, permettra au Sénat, de donner son avis en temps utile sur certains textes spécifiques et respectera l'équilibre du bicamérisme de la Constitution de 1958, que le Gouvernement n'a pas l'intention de modifier.
    M. Renucci a exprimé la sensibilité d'un élu corse et son inquiétude face à certaines évolutions possibles. Il a, en particulier, souligné à juste titre l'intérêt d'un éventuel statut particulier.
    J'ai omis de citer, mais je le fais bien volontiers en répondant à M. Thien Ah Koon et à M. Victoria, la conviction avec laquelle M. Audifax a exprimé son attachement à la République.
    Monsieur René André, nous partageons la même conception de l'Etat et de son rôle dans la République. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire au Sénat, si ce projet ne correspondait pas à la vision que je me fais de la République et du rôle de l'Etat, je ne serais pas à cette tribune pour le défendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Cet argument, monsieur André, n'est peut-être pas suffisant en lui-même, mais je voudrais vous dire combien, dans les circonstances historiques d'aujourd'hui, au moment où nous construisons l'Europe et où se construit aussi, que nous le voulions ou non, une économie internationale, il est important que l'Etat soit en mesure d'assumer ses responsabilités, en particulier régaliennes. Mais quelle démonstration ce Gouvernement a-t-il donné pendant ces six premiers mois, sinon celle de sa volonté de renforcer la capacité de l'Etat à assumer ses fonctions régaliennes ? S'il y a un reproche que l'on peut adresser à la gauche, et à sa gestion de ces dernières années, c'est précisément d'avoir laissé les fonctions régaliennes de l'Etat péricliter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Mme Ségolène Royal. Vous leur donnez le coup de grâce !
    M. le garde des sceaux. Je dirai donc volontiers que ce projet de décentralisation n'aurait pas la même signification s'il n'y avait pas eu, pendant les six premiers mois du gouvernement Raffarin, cette action au bénéfice de l'Etat régalien.
    M. Augustin Bonrepaux. Et surtout au bénéfice des plus riches !
    Mme Ségolène Royal. Comme dans l'éducation nationale !
    M. Guy Geoffroy. Ridicule !
    M. Alain Néri. Cela vous embête !
    M. le garde des sceaux. Je souhaiterais que vous partagiez avec moi cette conviction.
    Monsieur André, vous avez aussi évoqué l'intercommunalité. J'ai été, avant Jean-Pierre Chevènement, mais à propos d'un texte quasi identique à celui qu'il défendit, un ministre convaincu de l'intérêt de l'intercommunalité. Comme j'ai eu l'occasion de le dire au Sénat - et nous en parlerons à l'occasion de l'examen des articles -, je suis convaincu que l'intercommunalité aura, à moyen terme, un effet de transformation profonde de notre organisation territoriale. Je voudrais d'ailleurs dire à ce propos, cher René André, que, y compris dans la version Chevènement, l'intercommunalité est l'illustration de l'intérêt de la méthode expérimentale, parce que, dans les communautés d'agglomération ou les communautés de communes, les communes ont la capacité de définir pour une part substantielle le périmètre et les compétences.
    M. Augustin Bonrepaux. Pas besoin de modifier la Constitution pour cela !
    M. le garde des sceaux. Mais si, car il y a les compétences obligatoires et les compétences facultatives. Nous avons là l'exemple d'un langage un peu excessif : j'ai été dans l'opposition, je peux comprendre qu'on soit parfois amené à y tenir des propos sommaires.
    M. Augustin Bonrepaux. Mais non, nous ne sommes pas excessifs !
    M. le garde des sceaux. Michel Buillard, je voudrais saluer la force avec laquelle vous avez exprimé l'attachement de la Polynésie à la République et l'idée du renouvellement du concept d'autonomie qui est contenu dans ce projet. Cette autonomie correspond concrètement, j'en suis convaincu, à la situation de la Polynésie française.
    M. René Dosière. Surtout quand les finances viennent des contribuables métropolitains !
    M. le garde des sceaux. M. de Rocca Serra, après M. Giacobbi, a évoqué la situation particulière de la Corse et a regretté de ne pas voir l'île bénéficier d'un statut particulier. Je voudrais cependant vous rappeler, monsieur de Rocca Serra, que le nouvel article 72 permettra précisément à toutes les collectivités, si elles le souhaitent, d'adopter un statut particulier, et que la Corse aura elle aussi la possibilité de faire ou de confirmer ce choix. Il appartiendra à la loi de faire éventuellement évoluer ce statut, étant précisé, comme vous l'avez, semble-t-il, souhaité dans votre intervention, que le référendum ne sera pas absent du dispositif puisqu'il est prévu par le projet de réforme constitutionnelle. Certes, il est consultatif, mais il me semble qu'il ne peut pas en être autrement. Le Gouvernement et le Parlement en tiendront, c'est évident, le plus grand compte.
    Il me semble donc que les préoccupations que vous avez exprimées trouvent un écho significatif dans la réforme constitutionnelle, étant entendu que la loi organique et les lois ordinaires pourront y apporter des réponses plus précises.
    Michel Hunault a souligné combien ce projet constitutionnel entend mobiliser les énergies.
    Je voudrais dire à Bruno Bourg-Broc combien je partage son idée de l'importance de la péréquation dans le dispositif. Et je suis d'accord avec lui pour dire que la décentralisation, ce n'est pas chacun pour soi.
    M. René André. Très bien !
    M. le garde des sceaux. Il s'agit au contraire d'assurer une gestion plus proche, plus efficace des territoires et des services publics. La péréquation est donc une nécessité, au même titre que la réforme de l'Etat, dont j'ai parlé tout à l'heure et que M. Bourg-Broc a également évoquée.
    Jean-François Mancel a également parlé de la péréquation. Je voudrais retenir l'idée qu'il a émise, qui sera sans doute mieux développée dans la loi organique ou dans la loi ordinaire, et qui veut que la péréquation soit fondée sur des choix vertueux, qu'elle prenne en compte les inégalités objectives, mais incite également à la bonne gestion et, en particulier, à la modération fiscale.
    Telles sont, mesdames, messieurs les députés, les réponses que je souhaitais vous apporter de façon aussi précise que possible, dans la limite du temps que nous pouvons raisonnablement nous accorder.
    Je voudrais, d'un mot, conclure en avançant deux idées. D'une part, notre réforme constitutionnelle, pour la part qui nous préoccupe aujourd'hui, est fondée sur une vision pragmatique et concrète des choses. D'autre part, j'espère que c'est une évidence pour chacun, elle s'inscrit dans un calendrier. Nous commençons aujourd'hui par la réforme constitutionnelle. Elle s'accompagnera d'un débat dans les régions et débouchera sur une loi organique et une loi ordinaire qui concrétiseront l'extension des champs du possible que la réforme constitutionnelle aura apportée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

DÉPÔT D'UN PROJET DE LOI

    M. le président. J'ai reçu, le 20 novembre 2002, de M. le Premier ministre un projet de loi de finances rectificative pour 2002.
    Ce projet de loi, n° 382, est renvoyé à la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, en application de l'article 83 du règlement.

3

DÉPÔT DE RAPPORTS

    M. le président. J'ai reçu, le 20 novembre 2002, de M. Guy Teissier un rapport, n° 383, fait au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008 (n° 187).
    J'ai reçu, le 20 novembre 2002, de M. Dominique Dord un rapport, n° 386, fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, sur le projet de loi relatif à la négociation collective sur les restructurations ayant des incidences sur l'emploi (n° 375).
    J'ai reçu, le 20 novembre 2002, de Mme Hélène Tanguy un rapport, n° 387, fait au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, sur la proposition de résolution de M. Didier Quentin, rapporteur de la délégation pour l'Union européenne, sur la réforme de la politique commune de la pêche (documents n°s E 2039 à E 2041, E 2044 à E 2046 et E 2075) (n° 345).

4

DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION

    M. le président. J'ai reçu, le 20 novembre 2002, de M. Christian Philip un rapport d'information, n° 388, déposé par la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne sur le deuxième paquet ferroviaire.

5

DÉPÔT D'AVIS

    M. le président. J'ai reçu, le 20 novembre 2002, de M. Pierre Lellouche un avis, n° 384, présenté au nom de la commission des affaires étrangères, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008 (n° 187).
    J'ai reçu, le 20 novembre 2002, de M. François d'Aubert un avis, n° 385, présenté au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008 (n° 187).

6

ORDRE DU JOUR
DES PROCHAINES SÉANCES

    M. le président. Aujourd'hui, à neuf heures, première séance publique :
    Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par le Sénat, n° 369, relatif à l'organisation décentralisée de la République :
    M. Pascal Clément, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 376) ;
    M. Pierre Méhaignerie, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (avis n° 377).
    A quinze heures, deuxième séance publique :
    Suite de l'ordre du jour de la première séance.
    A vingt et une heures, troisième séance publique :
    Suite de l'ordre du jour de la première séance.
    La séance est levée.
    (La séance est levée, le jeudi 21 novembre 2002, à zéro heure trente.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT
TEXTE SOUMIS EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4
DE LA CONSTITUTION

Transmissions

    M. le Premier ministre a transmis, en application de l'article 88-4 de la Constitution, à M. le président de l'Assemblée nationale les textes suivants :

Communications du 19 novembre 2002

N° E 2133. - Proposition de décision du Parlement européen et du Conseil concernant la mobilisation du Fonds de solidarité de l'Union européenne, en application du point 3 de l'accord interinstitutionnel du 7 novembre 2002 entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission sur le financement du Fonds de solidarité de l'Union européenne, complétant l'accord interinstitutionnel du 6 mai 1999 sur la discipline budgétaire et l'amélioration de la procédure budgétaire.
N° E 2134. - Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion d'un protocole d'adaptation des aspects commerciaux de l'accord européen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la Roumanie, d'autre part, pour tenir compte des résultats des négociations entre les parties concernant l'établissement de nouvelles concessions agricoles réciproques (COM [2002] 553 final).
N° E 2135. - Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion d'un protocole d'adaptation des aspects commerciaux de l'accord européen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la République d'Estonie, d'autre part, pour tenir compte des résultats des négociations entre les parties concernant l'établissement de nouvelles concessions agricoles réciproques (COM 572 final).

ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE
CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA FORÊT, DES PRODUITS FORESTIERS
ET DE LA TRANSFORMATION DU BOIS
(2 postes à pourvoir)

    La commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire a désigné MM. Jean Charroppin et Philippe Dubourg comme candidats.
    Les candidatures sont affichées et les nominations prennent effet dès la publication au Journal officiel du jeudi 21 novembre 2002.