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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU VENDREDI 22 NOVEMBRE 2002

COMPTE RENDU INTÉGRAL
1re séance du jeudi 21 novembre 2002


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE Mme PAULETTE
GUINCHARD-KUNSTLER

1.  Rappels au règlement «...».
MM. Augustin Bonrepaux, Jean-Luc Warsmann, René Dosière.
2.  Organisation décentralisée de la République. - Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle adopté par le Sénat «...».

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION «...»

Motion de renvoi en commission de M. Jean-Marc Ayrault : MM. Jean-Jack Queyranne, Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales ; Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur ; Emile Blessig, André Chassaigne, Charles de Courson, Augustin Bonrepaux. - Rejet par scrutin.

Rappels au règlement «...»

M. le rapporteur, Mme Ségolène Royal, MM. Jean-Pierre Brard, Charles de Courson, Mme Maryse Joissains-Masini.

DISCUSSION DES ARTICLES «...»
Article 1er «...»

Mme Ségolène Royal, MM. François Goulard, Victorin Lurel, Philippe Vuilque, Jean-Pierre Balligand, René Dosière, Augustin Bonrepaux, Emile Zuccarelli, Arnaud Montebourg, Paul Giacobbi, André Chassaigne, Charles de Courson, Hervé Mariton.
Amendements de suppression n°s 30 de M. Zuccarelli, 58 de Mme Royal et 171 de M. Brunhes : M. Emile Zuccarelli, Mme Ségolène Royal, MM. André Chassaigne, le rapporteur, le ministre, Jean-Jack Queyranne. - Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
3.  Ordre du jour des prochaines séances «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE Mme PAULETTE
GUINCHARD-KUNSTLER,
vice-présidente

    Mme la présidente. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à neuf heures.)

1

RAPPELS AU RÈGLEMENT

    M. Augustin Bonrepaux. Je demande la parole pour un rappel au règlement, madame la présidente.
    Mme la présidente. La parole est à M. Augustin Bonrepaux, pour un rappel au règlement.
    M. Augustin Bonrepaux. Hier soir, M. le garde des sceaux s'est félicité du débat qui s'est tenu dans cet hémicycle. Il est vrai qu'il y a eu des interventions intéressantes sur tous les bancs. Cependant, nous ne pouvons pas nous satisfaire d'un débat entre députés si nous n'avons pas de réponse du Gouvernement ! Or, d'une part, nous avons constaté que les réponses de M. le garde des sceaux étaient sélectives, puisqu'il n'a répondu qu'à ceux qui étaient favorables à son projet. Même ceux qui, sur les bancs de l'UMP, se sont élevés contre cet article 3 qui leur inspire des craintes comme à nous-mêmes n'ont pas obtenu de réponse !
    M. Jean-Luc Warsmann. Moi, j'ai entendu une réponse !
    M. Augustin Bonrepaux. D'autre part, madame la présidente, nous ne pouvons pas aborder la discussion des articles sans avoir des réponses précises aux questions précises que nous avons posées.
    Il y avait hier soir trois ministres au banc du Gouvernement : deux sont restés muets. C'est ainsi que nous n'avons même pas entendu la voix de Mme la ministre de l'outre-mer ! Alors qu'il y a eu beaucoup d'interventions importantes et intéressantes, beaucoup de questions,...
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Auxquelles j'ai répondu, monsieur Bonrepaux, et de façon très précise !
    M. Augustin Bonrepaux. ... nous n'avons pas entendu sa voix !
    M. Jean-Luc Warsmann. C'est inexact !
    M. Augustin Bonrepaux. Vous ne pouvez pas dire, monsieur le garde des sceaux, que vous avez répondu de façon très précise à mes questions, que j'ai posées directement à M. Devedjian.
    Je rappelle, par exemple, une question importante que j'ai posée. Vous voulez inscrire dans ce projet de loi constitutionnelle le principe de la péréquation, mais nous ne savons pas de quoi il s'agit dans votre esprit.
    M. Philippe Vuilque. Il ne le sait pas non plus !
    M. Augustin Bonrepaux. J'ai interrogé le Premier ministre : il n'a pas répondu. J'ai interrogé M. Devedjian, de façon précise, en citant M. le président de la commission des finances : pas de réponse. Avant d'inscrire un mot dans la Constitution, il faudrait quand même savoir ce qu'il veut dire et quelle traduction concrète vous entendez lui donner !
    Vous n'avez pas davantage répondu aux questions pertinentes de mon collège Dosière, pas plus qu'à celles de mon collègue Balligand, pas plus qu'à celles de mon collègue Derosier. Et si vous avez répondu à M. Montebourg, c'était plutôt pour vous moquer de son intervention très pertinente.
    M. Jean-Luc Warsmann. Très déplacée, vous voulez dire ! Scandaleuse ! Elle méritait des excuses !
    M. Augustin Bonrepaux. Vraiment, madame la présidente, je ne sais pas comment nous pouvons continuer ce débat sans avoir des réponses précises à nos questions.
    Autre exemple : comment va se faire le transfert de compétences ?
    M. le garde des sceaux. Vous parlez de quoi ? C'est un rappel au règlement ?
    M. Augustin Bonrepaux. J'ai insisté, monsieur le ministre, sur un mot : à l'article 6, on peut lire que tout transfert de compétences s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui « étaient consacrées » à leur exercice. Etaient consacrées ! Quelle va être l'interprétation du Conseil constitutionnel ? Etaient consacrées à quelle date ?
    M. le garde des sceaux. Quelle est la nature de cette intervention, madame la présidente ?
    M. Jean-Luc Warsmann. Ce qui est sûr, c'est qu'elle n'a rien à voir avec un rappel au règlement !
    M. Didier Migaud. Si ! Elle concerne le déroulement de la séance !
    M. Augustin Bonrepaux. Mon intervention vise à améliorer le déroulement du débat, à faire en sorte que les parlementaires soient mieux informés, que le débat puisse se poursuivre dans la sérénité, ce qui implique que tous les arguments des uns et des autres soient exprimés. Or, pour l'instant, nous n'avons aucun argument du Gouvernement.
    M. Jean-Jack Queyranne. Très bien !
    Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Warsmann.
    M. Jean-Luc Warsmann. Madame la présidente, je m'étonne de cette intervention qui n'a rien d'un rappel au règlement.
    Cela dit, je rappelle que nous avons travaillé très longuement en commission. Nous avons commencé par auditionner les ministres, après quoi nous avons débattu de manière approfondie, par exemple sur les questions qui ont été posées au sujet de la péréquation.
    M. Augustin Bonrepaux. C'est faux !
    M. Jean-Luc Warsmann. La discussion générale a eu lieu hier. Le ministre a ensuite répondu aux orateurs. Nous allons pouvoir aborder ce matin la discussion des articles. J'ai d'ailleurs noté que M. Bonrepaux était inscrit sur un certain nombre d'articles : il pourra donc à nouveau s'exprimer.
    Pour le reste, on peut disserter pendant des heures. Nous sommes en train de discuter d'une révision constitutionnelle qui tend à poser un certain nombre de principes. On ne peut pas inscrire dans la Constitution tout ce qui relève de la loi ordinaire ou de la loi organique. Pour l'instant, c'est d'un débat d'ordre constitutionnel qu'il s'agit. Nous allons le mener à terme. Ensuite aura lieu une concertation dans le cadre des assises locales. Et comme l'a expliqué le Premier ministre, le Gouvernement, tirant les conséquences de la concertation nationale, nous présentera des projets de loi organique et des projets de loi ordinaire. C'est ainsi que nous pourrons prolonger le débat. Chaque chose en son temps. Pour l'instant, madame la présidente, nous débattons du projet de loi constitutionnelle d'une manière tout à fait normale, et je serais très heureux que nous puissions enfin débuter les travaux prévus à l'ordre du jour de ce matin.
    M. Philippe Vuilque. Il faut répondre aux questions !
    M. René Dosière. Madame la présidente, je demande la parole pour un rappel au règlement.
    Mme la présidente. Au titre de quel article, monsieur Dosière ?
    M. René Dosière. Au titre de l'article 58, madame la présidente.
    Mme la présidente. La parole est à M. René Dosière, pour un rappel au règlement.
    M. René Dosière. Rassurez-vous, madame la présidente, je serai très bref. Je voudrais simplement faire observer que dans cette assemblée il n'y a pas deux catégories de parlementaires, ceux auxquels les ministres répondent, ou dont ils évoquent les interventions, et ceux dont ils négligent complètement les interventions.
    M. le garde des sceaux. Mais vous vous exprimez, et je m'en réjouis ! Où est le problème ? Je m'en souviendrai.
    M. René Dosière. J'ai le regret d'avoir à dire au garde des sceaux qu'un certain nombre d'interventions de nos collègues - dont celles de Philippe Vuilque, de Victorin Lurel, de moi-même -...
    M. Philippe Vuilque. Excellentes interventions !
    M. René Dosière. ... sont restées sans réponse. La question qui se pose est donc la suivante : dans cette assemblée, l'opposition est-elle prise au sérieux par le Gouvernement, oui ou non ?
    M. Philippe Vuilque. Très bien !
    Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Warsmann.
    M. Jean-Luc Warsmann. Voilà encore un mauvais procès. Le ministre, en commission comme en séance publique, a répondu à tout le monde. En outre, je voudrais souligner publiquement la discourtoisie avec laquelle se comporte actuellement l'opposition. Hier soir, elle a demandé à ce que la séance soit levée plus tôt que prévu parce que M. Queyranne souhaitait défendre ce matin sa motion de renvoi en commission. Et voilà que, ce matin, elle se livre à des manoeuvres dilatoires ! C'est vraiment d'une discourtoisie extrême !

2

ORGANISATION DÉCENTRALISÉE
DE LA RÉPUBLIQUE

Suite de la discussion d'un projet
de loi constitutionnelle adoptée par le Sénat

    Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par le Sénat, relatif à l'organisation décentralisée de la République (n°s 369 et 376).

Motion de renvoi en commission

    Mme la présidente. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.
    La parole est à M. Jean-Jack Queyranne.
    M. Jean-Jack Queyranne. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, au terme de la discussion générale, un constat s'impose : la décentralisation méritait mieux.
    Elle méritait mieux qu'un débat engagé dans la précipitation et la confusion, et déjà bâclé dans son déroulement.
    Quand le Premier ministre a exprimé son intention de faire de la décentralisation un axe fort de son action gouvernementale, nous avons manifesté un réel intérêt pour sa démarche. Son expression, « la République des proximités », pouvait paraître une habileté de communication, mais du moins l'intention nous paraissait-elle sincère.
    Au cours de ce débat, nous avons entendu un concert d'éloges et d'hommages aux lois Mauroy-Defferre. C'est qu'en effet, tout le monde en convient maintenant dans cet hémicycle, ces lois ont engagé dès 1982 une révolution tranquille de nos institutions et fait passer nos collectivités locales à l'âge adulte. Cette grande réforme du premier septennat de François Mitterrand a représenté une nouvelle donne, en rupture avec deux siècles de centralisation politique et administrative. En vingt ans, que de chemin parcouru ! Le principe de libre administration des collectivités locales n'est plus contesté, la décentralisation s'est imposée.
    La question n'est donc plus désormais de savoir si l'on est favorable ou opposé à la décentralisation, puisqu'elle a été tranchée en 1982. Il s'agit d'examiner de quelle manière il nous est possible d'engager une nouvelle étape, de passer à la vitesse supérieure, tout en restant fidèles aux principes de la décentralisation républicaine : le maintien de l'unité de la République, le renforcement de l'autonomie des collectivités, la garantie de l'égalité entre les citoyens, la solidarité des territoires.
    Avec ce projet de révision constitutionnelle, monsieur le ministre, nous sommes loin du compte.
    Et d'abord, fallait-il une révision de la Constitution ? Rien ne l'imposait vraiment. Je vous rappelle que la commission pour « l'avenir de la décentralisation », dont la présidence avait été confiée par le Premier ministre Lionel Jospin à Pierre Mauroy n'avait pas conclu à son impérieuse nécessité. Les 154 propositions formulées pouvaient trouver une simple traduction législative. Un certain nombre d'entre elles ont d'ailleurs inspiré la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité. La commission Mauroy avait considéré que la souplesse du cadre juridique français permettait une nouvelle étape, en prenant appui sur le principe de libre administration des collectivités territoriales qui figure à l'article 72 de la Constitution. Mais il est vrai que celui qui était à l'époque le président de la région Poitou-Charentes, M. Raffarin, était parti avant la fin des travaux pour éviter d'avoir à participer aux conclusions.
    Cela dit, admettons l'idée d'une révision de la Constitution. Réformer la loi fondamentale de la République n'est pas une mince affaire. C'est une haute ambition. Pourquoi mener une telle réforme au pas de charge ?
    Les arbitrages, nous rapporte la presse, ont été rendus à Matignon au coeur de l'été, entre ministres concernés, en présence des dirigeants du parti majoritaire et des présidents des commissions des deux assemblées. Pourquoi ne pas avoir recueilli officiellement les avis d'un panel de juristes compétents, à l'instar de la commission Vedel en 1992 ? Pourquoi ne pas avoir fait appel officiellement aux représentants des différentes collectivités locales ?
    Vous auriez pu, monsieur le ministre, allier ainsi le pluralisme des avis, le sérieux des réflexions et la transparence des propositions. Encore une commission ! diriez-vous. Mais après tout, n'est-ce pas une commission, encore une, qui doit remettre d'ici à la fin de l'année des propositions sur la question de la responsabilité pénale du chef de l'Etat, question qui est pourtant déjà largement débattue depuis plusieurs années ?
    Vous nous objecterez que vous avez lancé une grande consultation dans le pays avec l'organisation des assises pour les libertés locales. Mais celles-ci n'ont été convoquées qu'après la présentation du projet de loi constitutionnelle en conseil des ministres. Elles doivent, selon vous, servir à préparer la phase suivante, celle des lois organiques et des lois ordinaires. Mais vous vous gardez bien de mettre en débat le projet de loi constitutionnelle, alors que celui-ci devrait être l'aboutissement du processus et non le préalable imposé. En fait, il s'agit d'assemblées préfectoralisées, dont l'organisation est soigneusement encadrée et dont la mise en scène vise d'abord à les faire servir de faire-valoir aux ministres présents. Celle qui est convoquée pour le 10 décembre dans ma région, en Rhône-Alpes, n'échappe pas à cette règle. Personne ne s'y trompe d'ailleurs. Dans son édition du 17 novembre, le quotidien régional Le Progrès la présentait dans un article intitulé « Méthodes jacobines », lequel se terminait par les mots : « Vivement la décentralisation ! ».
    Votre précipitation concerne aussi les conditions de saisine du Parlement.
    Aucun gouvernement de gauche n'aurait osé proposer d'aussi brefs délais d'examen pour modifier la Constitution. Et d'ailleurs, aucune majorité sénatoriale ne les aurait acceptés.
    Vous avez voulu faire un geste envers le Sénat en y engageant le débat, ce qui, je dois le souligner, est une première en matière constitutionnelle depuis 1958. Peut-être est-ce pour assurer le billet de retour du Premier ministre ? En tout cas, votre bienveillance a été mal payée, puisque vous avez dû brusquer les sénateurs pour qu'ils adoptent le texte et retirent leurs amendements, en particulier ceux de la commission des lois, et ce pour respecter votre calendrier parlementaite. En fait, quand la gauche est au pouvoir - j'en parle d'expérience, en tant qu'ancien ministre des relations avec le Parlement -, la lenteur sénatoriale est toujours présentée comme un gage de sagesse face aux réformes sociales. Elle n'a plus été qu'une source d'irritation quand vous avez voulu modifier la Constitution.
    Fallait-il que le Gouvernement se précipite, quand le Président de la République lui-même déclare que « cette réforme mettra beaucoup de temps à porter ses fruits, car elle ne parle pas directement aux Français ». Vous auriez dû méditer ce bon adage : « Il faut donner du temps au temps. » Et il aurait dû vous inspirer.
    M. Philippe Vuilque. Tout à fait !
    M. Jean-Jack Queyranne. Je dois souligner que vous traitez la réforme de la Constitution moins bien qu'une loi organique. Pour ces dernières, la Constitution laisse un délai d'examen minimal de quinze jours. Pour cette réforme, la commission des lois du Sénat n'aura disposé que de treize jours entre l'adoption du texte en conseil des ministres et sa discussion en séance publique. Ces délais réduits ont paru si indécents que la commission des lois du Sénat a adopté un amendement imposant un délai minimal de trente jours pour l'examen d'une réforme constitutionnelle, amendement qui a été abandonné en séance pour ne pas désavouer le rythme de travail imposé par le Gouvernement.
    Tout cela n'est donc pas de la « bonne gouvernance », comme dirait le Premier ministre. Ce n'est pas non plus respecter le Parlement que de ne pas lui soumettre, avant la discussion, au moins l'avant-projet de loi organique que le Gouvernement prépare. Cela aurait permis à la représentation nationale d'apprécier la portée de vos intentions et de vos propositions.
    M. Philippe Vuilque. Eh oui ! Nous ne savons pas à quoi nous nous engageons !
    M. Jean-Jack Queyranne. A cet égard, je crois utile de rappeler un précédent. En 1999, quand nous avons discuté de la réforme relative à l'indépendance de la justice, la transmission préalable du projet de loi organique avait été présentée par l'opposition comme une condition de son soutien à la révision constitutionnelle. Celle-ci n'a finalement pas été adoptée, comme on sait, après un volte-face de l'opposition, qui a désavoué le chef de l'Etat. Mais il reste qu'à cette occasion, le Gouvernement n'avait fait aucune difficulté pour dévoiler ses intentions et rendre public les avant-projets de loi organique sur la justice.
    M. Devedjian a déclaré au début de notre débat que ces avant-projets n'étaient pas prêts. Le Gouvernement navigue donc à vue. Il a fallu attendre que le Premier ministre vienne, il y a une semaine, en présenter les grandes lignes devant le groupe UMP, pour apprendre par le président de ce groupe, M. Barrot, que ces lois organiques seraient préparées avec les parlementaires de la majorité. « Nous arrêterons ensemble la liste des expérimentations », aurait même insisté M. Raffarin. Voilà des informations que tous les parlementaires voudraient partager. Car, il faut bien le dire, l'intervention un peu grandiloquente que le Premier ministre a faite devant nous hier après-midi ne nous a rien appris à cet égard.
    Mme Ségolène Royal et M. Philippe Vuilque. Absolument rien !
    M. Jean-Jack Queyranne. Faute d'éclairage sur les futurs projets de loi, nous devons donc nous situer au niveau des principes constitutionnels. Et, sur ce plan, force est de constater qu'à la précipitation s'ajoute la confusion.
    Dans une démocratie, la Constitution a une double fonction : d'une part, exposer les valeurs et les principes qui fondent le contrat politique et social entre les citoyens et, d'autre part, organiser la dévolution des pouvoirs au sein de la République et de ses territoires.
    Pour l'essentiel, le projet de révision ne se situe pas dans ce cadre. En fait, ce texte relève plus de la loi organique que des principes constitutionnels. Il énonce, dans le flou juridique, des concepts vagues, des voeux pieux, et comporte des rédactions ambiguës. Il apparaît surtout comme une opération de communication, d'ailleurs non réussie, en direction des élus locaux.
    Pire, sur de nombreux sujets, il semble n'être qu'un médiocre compromis entre l'ardeur girondine du Premier ministre et la tradition jacobine de la droite gaulliste, qu'a rappelée avec force le président de l'Assemblée nationale, M. Jean-Louis Debré.
    Ce projet, marqué du sceau de l'amateurisme, a encouru les foudres du Conseil d'Etat. M. Raffarin n'a pas voulu en tenir compte et M. Devedjian a même déclaré que « le Gouvernement ne serait pas arrêté par des observations qui n'ont pas un caractère juridique déterminant » !
    Compte tenu des débats en cours, je crois pourtant que l'éclairage apporté par le Conseil d'Etat ne manque pas de pertinence.
    M. René Dosière. Tout à fait !
    M. Jean-Jack Queyranne. Le Conseil d'Etat a d'abord contesté que la République française doive être « décentralisée », comme le Gouvernement propose de l'inscrire à l'article 1er de notre Constitution, qui précise que la République française est « indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Il a estimé que l'adjectif « décentralisée », qui fait référence à une modalité d'organisation, n'est pas une caractéristique du même ordre que les principes énoncés dans cet article. Pourtant, aux yeux de M. Devedjian, le ministre délégué aux libertés locales, il ne s'agit là que d'une « considération esthétique » de la part du Conseil d'Etat !
    M. René Dosière. C'est un peu léger !
    M. Jean-Jack Queyranne. En effet, sur le plan juridique, cela me paraît un peu léger.
    Je n'approuve pas, bien sûr, son point de vue. L'article 1er de la Constitution contient une formule extrêmement forte qui engage l'ensemble des Françaises et des Français, c'est l'élément du pacte, du contrat social et politique qui nous lie dans la République française. C'est pourquoi nous pensons que les modalités d'organisation territoriale de la République doivent trouver leur place à l'article 72 de la Constitution.
    M. René Dosière. Exactement !
    M. Jean-Jack Queyranne. La rédaction proposée est, de plus, symbolique de la confusion entretenue. L'article 1er stipule que la République est unitaire, parce qu'indivisible. Les pouvoirs publics ne peuvent donc être décentralisés : ni le Parlement, ni le pouvoir exécutif ne sont décentralisés. L'organisation administrative de l'Etat ne peut être décentralisée ; elle est déconcentrée. Seules les collectivités territoriales peuvent être organisées selon un principe de décentralisation territoriale. A la rigueur, vous auriez pu proposer de compléter l'article 1er de la Constitution par la phrase suivante : « Son organisation territoriale - il s'agit de celle de la République - est décentralisée. » En tout cas, il n'est pas possible de s'en tenir à celle du projet de loi - « Son organisation est décentralisée » - qui constitue un non-sens. (« Bien sûr ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Philippe Vuilque. Bien sûr ! Il faut améliorer le texte !
    Mme Ségolène Royal. De toute façon, cela n'a rien à faire dans l'article 1er !
    M. René Dosière. C'est quoi, un Président de la République décentralisé ? (Sourires.)
    M. Michel Hunault. En tout cas, votre candidat n'a même pas été qualifié pour le second tour !
    M. Jean-Jack Queyranne. Sur l'expérimentation, le Conseil d'Etat a proposé de faire référence à l'application du principe d'égalité.
    Il a critiqué aussi la priorité accordée au Sénat pour l'examen des textes « ayant pour principal objet la libre administration des collectivités territoriales », estimant non seulement qu'elle est contraire à la tradition républicaine, qui réserve le premier rôle à l'Assemblée nationale mais aussi qu'elle serait très difficilement applicable et qu'elle susciterait des annulations de dispositions par le Conseil constitutionnel. Quant aux tentatives de M. Clément et de M. Méhaignerie de limiter la portée de cet article elles ont créé, s'agissant de cette priorité, d'autres difficultés.
    Le Conseil d'Etat a émis également des doutes sur l'affirmation constitutionnelle du principe de subsidiarité, en se demandant comment il sera possible de juger, concrètement, des « compétences qui peuvent le mieux être mis en oeuvre » à l'échelon de telle ou telle collectivité.
    Ce principe de subsidiarité, qui figure à l'article 4 du projet de loi constitutionnelle, c'est-à-dire au deuxième alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution, est d'essence fédéraliste : la norme est le pouvoir local, l'exception relève de la compétence nationale de l'Etat, donc du Parlement national. Présenté comme un principe technique, voire consensuel de mise en oeuvre des politiques publiques, ce principe porte en germe le risque d'abandon de l'application des politiques nationales par les administrations d'Etat au profit des collectivités locales.
    Comme celles-ci disposent d'une clause de compétences générales - selon l'article L. 1111-2 du code général des collectivités locales, les communes, les départements et les régions règlent par leurs délibérations les affaires de leur compétence - , on pourrait désormais, en fonction de ce principe de subsidiarité, lire l'article 34 de la Constitution, qui fixe le champ du domaine législatif, comme une énumération limitative des compétences de mise en oeuvre non seulement du législateur, mais aussi de l'Etat. Le débat n'est pas théorique : certains au sein de la majorité songent en effet à transférer, en vertu du principe de subsidiarité, la mise en oeuvre des politiques publiques nationales du logement ou de l'éducation.
    S'agit-il d'une logique fédéraliste non avouée, mais pernicieuse ?
    En tout cas, des précisions s'imposent. Elles ont été réclamées, en vain, par la commission des lois du Sénat, dans son rapport, dont je cite quelques extraits : « la mise en oeuvre de ce principe risque de s'avérer délicate » ; « il sera difficile de déterminer quelle sera la collectivité territoriale la mieux à même d'exercer les compétences transférées » ; « cette complexité d'appréciation du niveau idoine [...] risque d'aboutir à des solutions très aléatoires et de susciter un important contentieux. »
    Le Conseil d'Etat a aussi jugé inapplicable l'article relatif au seuil « déterminant » des ressources propres des collectivités locales en estimant qu'une obligation dont le respect dépendait des décisions de chaque collectivité locale n'avait juridiquement aucun sens.
    Voilà donc des critiques fortes portées sur chacun des articles du projet de loi constitutionnelle.
    Dans ce bric-à-brac constitutionnel (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française),...
    M. Alain Néri. Le bazar, comme dirait Debré !
    M. Philippe Vuilque. C'est exactement le mot qui convient.
    Mme la présidente. Laissez parler l'orateur !
    M. Jean-Jack Queyranne. ... je citerai un dernier exemple de l'improvisation juridique : la disposition qui fait du représentant de l'Etat dans les collectivités territoriales « celui de chacun des membres du Gouvernement ». Or il ne l'est pas, tout au moins vis-à-vis des services de la justice. Si cette mention était maintenue, le préfet pourrait être, demain, l'ordonnateur secondaire des dépenses des juridictions judiciaires, ce qui est clairement incompatible avec le principe de l'indépendance de la justice.
    Non, le préfet n'est pas le représentant de chacun des membres du Gouvernement. En tout cas, au moins, il n'est pas votre représentant, monsieur le garde des sceaux.
    M. le garde des sceaux. Bien sûr que si !
    M. Jean-Jack Queyranne. C'est le principe de l'indépendance de la justice. Nous aurons cette discussion, mais permettez-moi de porter une appréciation différente.
    M. le garde des sceaux. Vous vous trompez !
    M. Jean-Jack Queyranne. Toutes ces rédactions incertaines peuvent donc être sources de conflits alors que la Constitution appelle la rigueur. Ce projet, avec ses dispositions dépourvues de toute portée normative, voire de sens, contribue à banaliser notre loi fondamentale et à fragiliser l'Etat de droit.
    Devant l'avalanche des critiques, votre gouvernement a choisi de presser le pas. Il n'est plus question pour M. Raffarin d'engager sa responsabilité sur ce texte, pourtant présenté comme « la mère des réformes », la grande réforme de son Gouvernement ! Il vaut mieux faire vite, faire taire les débats au sein de la majorité, dissiper cette « ambiance de malaise » que dénonçait le sénateur Paul Girod.
    M. Alain Néri. Il faut voter conforme, pour aller plus vite !
    M. Michel Hunault. Où est le malaise ?
    M. Jean-Jack Queyranne. Après la charge du président Debré et les inquiétudes exprimées par nombre d'élus de l'UMP, le Parlement est appelé à tourner rapidement la page d'une réforme écrite à la va-vite.
    Au sein de notre assemblée, le rapporteur, M. Clément, président de la commission des lois, a lui-même fixé les limites de l'exercice en précisant : « il faut amender à la marge. »
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur. C'est vrai !
    M. Jean-Jack Queyranne. L'objectif est donc bien d'adopter un texte compatible avec celui du Sénat,...
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Et voilà !
    M. Alain Néri. Et la messe sera dite !
    M. Jean-Jack Queyranne. ... pour que celui-ci émette un vote conforme en deuxième lecture, privant ainsi l'Assemblée nationale...
    Mme Ségolène Royal. De son droit d'amendement !
    M. Jean-Jack Queyranne. ... d'une navette. Tel est donc l'objectif de notre discussion.
    M. René Dosière. Après ce sera ite missa est !
    Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous en prie !
    M. Jean-Jack Queyranne. Les institutions de la Ve République sont souvent présentés comme l'expression du parlementarisme rationalisé. Vous pratiquez en fait le « parlementarisme caporalisé ». (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Ce débat, ouvert dans la précipitation et l'improvisation, bâclé au niveau parlementaire, est bien éloigné des préoccupations des Français, mais aussi des voeux des élus locaux. Je vous renvoie à ce sujet aux inquiétudes qu'expriment la majorité des maires en ce moment même au congrès de l'Association des maires de France et que traduit bien le président de cette association, le sénateur Hoeffel - homme modéré, s'il en est (Sourires) -, quand il évoque la grande crainte des maires à voir l'expérimentation contribuer à creuser l'écart entre les régions.
    Monsieur le ministre, on ne révise pas la Constitution comme on écrit une circulaire aux préfets !
    M. Alain Néri. Très juste !
    M. Jean-Jack Queyranne. Voilà déjà de bonnes raisons pour remettre l'ouvrage sur le métier et pour justifier la motion de renvoi en commission.
    La méthode employée éclaire souvent le fond. Votre texte est, là encore, source de déceptions. Il risque d'être un rendez-vous manqué sur ces quatre points essentiels qui auraient permis d'approfondir la décentralisation : le premier concerne le renforcement et la clarification des compétences des collectivités locales ; le deuxième est relatif à la réforme des finances locales, condition nécesssaire d'une avancée décentralisatrice ; le troisième a trait à la prise en compte de la crise de la représentation politique ; le quatrième porte sur les évolutions souhaitées de l'outre-mer.
    La demande d'une plus grande décentralisation porte d'abord sur l'attribution des compétences. Par leur capacité d'innovation et d'adaptation à la demande sociale, par leur faculté à développer de nouveaux services et de nouvelles prestations, par l'importance grandissante prise par les services publics locaux, les collectivités territoriales ont considérablement enrichi l'offre aux citoyens au cours de ces vingt dernières années. Toutefois, l'élargissement de leur champ d'intervention a pu brouiller la perception du paysage institutionnel local. Le citoyen a du mal à se retrouver dans la superposition des bureaux, des administrations et des politiques publiques. D'où les interrogations : qui fait quoi ? Qui paie quoi ? A qui ? Pour quoi faire ?
    A cette complexité doit succéder un paysage clarifié, simplifié, fondé sur une plus étroite et plus exclusive spécialisation des missions et des compétences respectives de chacun des niveaux d'administration territoriale. C'est ce que préconisent tant le rapport Mauroy que le rapport Delevoye - dont l'auteur est maintenant membre du Gouvernement - « pour une République territoriale », remis au Sénat en juin 2000. Tous deux se prononcent pour un retour au principe de blocs de compétences à l'origine des lois Defferre, principe que l'empilement des textes, comme la pratique des contrats de toute nature, a rendu pour partie inopérant.
    Cette clarification repose simplement sur la loi. La répartition des compétences n'est pas figée, le cadre législatif et réglementaire peut être modifié sans qu'il soit fait appel à une révision constitutionnelle.
    De même, la notion de chef de file, qui figurait à l'origine dans le projet de loi, avait peu de sens. La rédaction issue du Sénat, qui vise à définir une autorité organisatrice, paraît plus pertinente. Mais n'est-ce pas là confirmer ce qui existe déjà dans la loi, notamment pour les transports en secteurs urbains ?
    De nouveaux transferts de compétences de l'Etat et des administrations centrales sont indispensables. Il faut notamment fortifier les régions, qui ne revendiquent pas des responsabilités à l'essai mais des blocs cohérents de transferts en bonne et due forme. Pourquoi ? Tout simplement parce que l'expérience montre que l'échelon régional permettra d'assurer au mieux l'efficacité de l'action publique pour ce qui est des lycées, des constructions universitaires pour tous les publics, de la formation professionnelle et continue, des transports régionaux, de l'aménagement du territoire, des fonds européens, des équipements structurants, du développement économique, des aides aux PME-PMI, du tourisme ou de la valorisation de la recherche. Voilà le socle nécessaire des compétences qui devraient être légitimement confiées aux régions. Mais, là encore, nous devrons attendre les futures lois pour en juger.
    En fait, votre révision constitutionnelle vise à permettre l'expérimentation de nouvelles compétences. Cette méthode n'est pas nouvelle. En effet, la loi peut autoriser ce type d'expérimentation, qui apporte une valeur ajoutée comme nous avons pu le constater avec la régionalisation des transports ferroviaires. La loi Vaillant du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a d'ailleurs prévu des expérimentations en matière de protection du patrimoine, de développement des ports maritimes, de gestion des aérodromes.
    Modifier la Constitution pour permettre aux collectivités de faire ce qu'elles peuvent déjà faire, sans autorisation du constituant, est une bien curieuse méthode de réforme !
    Quel est le véritable objectif que vous poursuivez ?
    La rédaction des articles 2 et 4 entretient la confusion. Dans la même phrase, à l'article 4, il est fait référence à deux notions pourtant bien différentes : l'expérimentation et la dérogation.
    Expérimenter, c'est préparer la réforme ; déroger, c'est autoriser des exceptions : il ne s'agit pas là d'une simple distinction sémantique. Selon le constitutionnaliste Dominique Chagnollaud, la dérogation « ouvrirait la porte à une sorte de fédéralisme à la carte, assez anarchique, dont le moteur serait cette fois les inégalités économiques mais aussi politiques entre les collectivités territoriales et d'abord des régions ».
    M. René Dosière. Le risque est réel !
    M. Jean-Jack Queyranne. Le Gouvernement doit donc clarifier sa position car, en ouvrant un champ très vaste à l'expérimentation, il fait peser une très grande incertitude sur les compétences des collectivités locales. En effet, plus on expérimentera, moins on clarifiera la répartition des compétences. Avec la mise aux enchères des compétences, on risque de favoriser une décentralisation à la carte, susceptible de remettre en cause les principes d'égalité et de solidarité.
    M. Philippe Vuilque. Tout à fait.
    M. Jean-Jack Queyranne. M. Clément ne déclarait-il pas, mardi, qu'inscrire l'expérimentation dans la Constitution permettrait d'éviter qu'elle ne se heurte à une interprétation trop stricte du principe d'égalité des citoyens devant la loi ?
    Voilà donc bien l'objectif de l'expérimentation : rompre avec l'égalité, et en particulier l'égalité devant les services publics.
    Mme Ségolène Royal. C'est clair !
    M. Jean-Jack Queyranne. Les présidents socialistes de huit régions avaient déclaré que « à ces libertés en trompe-l'oeil, ils préfèreraient le courage d'une loi commune qui ne confonde pas l'unité à l'uniformité, mais soit solidement garante du principe d'égalité et évite toute aventure institutionnelle ». Le président UMP de la région Lorraine, Gérard Longuet, qui préside aussi l'Association des régions de France, leur a d'ailleurs fait écho en souhaitant que la réforme obéisse à ce précepte : « expérimenter peu, transférer beaucoup ». C'est apparemment cette voie que le Gouvernement envisage d'emprunter maintenant, mais, là encore, nous devons en attendre confirmation.
    J'aborderai à présent, ce sera la deuxième partie de mon intervention, l'aspect financier.
    Les compétences élargies auxquelles les collectivités territoriales sont candidates ne vaudraient rien si elles n'étaient pas accompagnées de moyens pour les exercer. C'est la condition nécessaire d'une avancée décentralisatrice.
    Preuve supplémentaire de l'impréparation du débat, des hésitations du Gouvernement, du conflit entre celui-ci et sa majorité au Sénat : l'article 6 relatif aux aspects financiers a dû être entièrement réécrit en plein débat. On trouvera peu de précédents dans les révisions constitutionnelles.
    L'article 6 propose de constitutionaliser le principe de compensation contenu dans la loi de 1982 : « tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice ». Mais vingt ans d'expérience montrent que le respect de ce principe ne suffit pas à éviter le transfert de charges, donc l'augmentation des impôts locaux. La construction et l'entretien des collèges et des lycées en sont de bons exemples : les départements et les régions y ont consacré beaucoup plus de crédits que les compensations attribuées à l'origine.
    Tous les élus locaux expriment la crainte que l'Etat, engagé dans un mouvement de débudgétisation des politiques publiques, ne les contraigne à augmenter les impôts locaux pour faire face aux nouvelles charges. Faire payer aux contribuables locaux les allégements d'impôts promis de manière démagogique dans la campagne présidentielle au profit des plus fortunés : voilà le tour de passe-passe financier dont les élus s'attendent à être les ordonnateurs et les contribuables les victimes. C'est la décentralisation du déficit sur les budgets locaux.
    Mme Ségolène Royal et M. Philippe Vuilque. Tout à fait !
    M. Jean-Jack Queyranne. Cette crainte d'une augmentation forcée et explosive des impôts locaux ne sera levée que si les collectivités territoriales obtiennent, dans la Constitution, la garantie qu'elles disposent pour chaque compétence transférée des ressources nécessaires à leur exercice.
    Cela suppose, au départ, un audit impartial et une ré-évaluation des dotations de compensations pour tenir compte de l'évolution des besoins. Nous sommes bien loin de la première déclaration de M. Devedjian devant le Comité des finances locales, le 9 juillet, qui promettait que l'Etat paierait de moins en moins. Voilà donc la philosophie qui sous-tend ce texte.
    M. Augustin Bonrepaux. C'est bien de le rappeler !
    M. Jean-Jack Queyranne. En fait, pour faire passer la pilule, le Gouvernement a prévu que l'autonomie financière des collectivités locales ait les honneurs de la Constitution.
    Mais, contrairement à ce que suppose le projet, l'autonomie financière ne se réduit pas à l'autonomie fiscale et à l'assurance de disposer d'une « part déterminante » des ressources. Ce qualificatif de « déterminant » - issu, d'ailleurs, de longues tractations avec la majorité sénatoriale qui lui préférait celui de « prépondérant » - n'a pas, en soi, de valeur juridique précise, puisqu'il s'appréciera par catégorie. Mais comment faire correspondre par exemple une moyenne communale avec la situation de 36 000 communes aux ressources très différentes ?
    En fait, la libre administration, tout comme « l'autonomie fiscale » n'existe pas pour des catégories de collectivités. Seule existe la libre administration de chaque commune, de chaque département ou de chaque région. Le fait de constater qu'en moyenne plus de la moitié des ressources des communes sont constituées de recettes fiscales propres ne signifiera pas pour autant que les communes s'administrent librement. L'autonomie n'est, en réalité, qu'un leurre qui favorise l'égoïsme des territoires.
    M. Philippe Vuilque. Bien sûr !
    M. Jean-Jack Queyranne. Plutôt que de s'aventurer sur des chemins bien incertains, il serait préférable de s'en tenir à deux principes simples.
    D'abord, celui du transfert effectif des ressources. Les mécanismes de la fiscalité locale ont été corrigés par ajustements successifs, dont le dernier, le plus important, concerne la suppression de la part salaires de la taxe professionnelle. J'ai, à cet égard, été surpris que des parlementaires de la majorité déplorent ces exonérations, dont nous connaissons tous les effets bénéfiques sur l'emploi dans nos régions.
    Il faut maintenant assurer les collectivités territoriales, et notamment les régions, de l'affectation d'une partie d'un impôt national dynamique. Le Premier ministre a évoqué le transfert d'une partie de la taxe intérieure sur les produits pétroliers. Pourquoi pas, même si on mesure bien les résistances qu'opposera à cette idée l'administration des finances. Mais est-ce un engagement précis ? Nous souhaiterions le savoir au moment de ce débat constitutionnel.
    Ce transfert n'impliquerait pas la localisation de la perception de la ressource, ce qui n'est pas, en soi, un obstacle, comme on le voit bien à l'étranger. Ainsi, on ne saurait contester l'autonomie des Länder allemands, qui financent moins de 30 % de leurs budgets sur leurs ressources propres, contre 45 % pour les collectivités françaises.
    La redistribution de ressources nationales appelle un second principe : celui de la solidarité afin de compenser les inégalités entre les collectivités.
    L'article 6 du projet de loi introduit la notion de péréquation, mais en renvoyant à des lois ultérieures. Si nous votions cet article en l'état, nous donnerions ainsi un blanc-seing au Gouvernement et spéculerions sur ses bonnes intentions. Cela me semble inacceptable, comme mon collègue, M. Bonrepaux, l'a démontré hier.
    Au fil du temps, les mécanismes de péréquation sont devenus trop complexes et trop faiblement correcteurs, malgré la création par la gauche des dotations de solidarité urbaine et de solidarité rurale. Celles-ci sont en outre réduites dans le projet de loi de finances pour 2003.
    C'est pourquoi à l'expression « péréquation », qui signifie redistribution de ressources entre les collectivités, par exemple entre les régions, nous préférons celle de solidarité, qui intègre les recettes nationales et tient compte des besoins réels. La première notion est strictement financière, la seconde traduit une volonté de préserver la cohésion nationale, en luttant contre les fractures sociales et territoriales.
    Enfin, à propos du volet financier, nous devons vous faire part de notre inquiétude concernant la possibilité qui serait offerte, par la loi, aux collectivités locales de déterminer elles-mêmes, sans limites, l'assiette de l'impôt qu'elles perçoivent. Le projet ouvre les perspectives d'un vaste mouvement de substitution fiscale, qui peut être à l'origine d'un véritable imbroglio puisque les impôts locaux ne sont pas spécialisés par collectivités. Comment, par exemple, fixer l'assiette de la taxe d'habitation, celle-ci étant également prélevée par les départements ? Il s'agit là d'une source de conflits évidente.
    La réforme des finances locales constitue donc, à nos yeux, le préalable absolument nécessaire à toute nouvelle étape de la décentralisation. Sinon, les Français seront fondés à penser que c'est sciemment que la décentralisation aura contribué à l'augmentation des impôts locaux. C'est pourquoi nous proposerons un amendement qui précise que ce projet de révision n'entrera dans les faits qu'après l'adoption d'une réforme des finances locales qui garantisse plus de justice et d'égalité.
    « La République est loin des citoyens », déclarait hier le Premier ministre, M. Raffarin. J'en viens ainsi à la troisième raison qui justifierait votre réforme : la crise de la représentation politique.
    On pouvait s'attendre dans ce domaine à des propositions audacieuses. Or votre projet baigne dans un profond conservatisme : vous sanctuarisez la carte administrative française, vous faites la part belle au Sénat, vous restez méfiants vis-à-vis de l'expression des citoyens. A la République des proximités, vous préférez la République des notables.
    Après le harcèlement exercé par des sénateurs de tous bords, l'intercommunalité a trouvé place dans la révision, mais uniquement à travers le droit à l'expérimentation. C'est une reconnaissance par la petite porte de l'idée la plus novatrice et la plus réussie de ces dernières années en matière de décentralisation.
    Les trois quarts des 36 000 communes sont aujourd'hui regroupées dans des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Ceux-ci disposent de compétences étendues et de moyens considérables. Ils jouent un rôle majeur dans l'aménagement du territoire et la vie de nos concitoyens. N'est-ce donc pas l'occasion de les reconnaître à travers l'article 72 ?
    Les ériger en collectivités territoriales conduirait, dites-vous, à admettre le principe de leur élection au suffrage universel direct. Cette question est régulièrement posée mais - je le rappellerai à M. Devedjian - la majorité sénatoriale n'a pas voulu la résoudre lors de la réunion de la commission mixte paritaire sur la loi relative à la démocratie de proximité en février dernier. Fallait-il faire échouer la CMP, uniquement sur cette question ? Fallait-il, alors que nous étions à la fin de la législature, condamner une loi qui avait été largement débattue ici et au Sénat ? Nous ne l'avons pas voulu mais la révision d'aujourd'hui est peut-être précisément l'occasion de franchir le pas, d'autant que ces établissements publics intercommunaux à fiscalité propre ont de plus en plus de ressources.
    En fait, votre timidité en matière d'intercommunalité rejoint celle que vous affichez à l'encontre des pays. Nous ne demandons pas qu'ils figurent dans la Constitution, bien sûr. Mais comment ne pas constater qu'au même moment vous vous préparez à donner un coup d'arrêt à ces associations de communes lancées par la loi sur l'aménagement du territoire de M Pasqua et développées par celles de Mme Voynet, parce qu'elles feraient concurrence aux départements alors qu'elles étaient justement conçues pour dépasser les périmètres rigides des collectivités territoriales et faire naître de nouveaux regroupements autour de projets ?
    M. René Dosière. Pasqua n'est plus en odeur de sainteté !
    M. Jean-Jack Queyranne. Nous respectons les institutions locales qui s'enracinent dans l'histoire de notre pays. Mais il faut aussi savoir reconnaître les nouvelles solidarités qui esquissent et qui dépassent l'exception française liée à l'éparpillement communal. C'est le voeu qu'exprimait le président de l'Assemblée des communautés de France, M. Marc Censi, membre de l'UMP lui aussi, et qui déclarait : « Allons-nous mener la plus grande réforme de ces vingt dernières années relatives à l'organisation politique et administrative de notre pays comme si le temps des territoires était suspendu depuis 1982 ? » C'est pourtant ce qui est en train de se produire.
    Votre décentralisation est aussi tournée vers la France du passé. Elle ne prépare pas l'avenir. Elle renforce le rôle du Sénat, sans en modifier ni la durée du mandat, ni le mode d'élection. En fait, la proposition de donner au Sénat la priorité dans l'examen des textes relatifs aux collectivités locales modifie l'équilibre constitutionnel entre les deux assemblées. D'ailleurs, nombre de membres de votre majorité s'en sont émus.
    Les rapporteurs, M. Clément et M. Méhaignerie, le reconnaissent mais ils ne veulent pas revenir complètement sur cette disposition. Ils proposent simplement d'en limiter la portée en retirant du champ de cette priorité les projets relatifs aux compétences et aux ressources des collectivités territoriales. Ce texte, s'il était adopté ainsi, ferait naître de nouvelles sources de conflits à soumettre au juge constitutionnel, qui devrait s'assurer de l'objet principal de chaque projet.
    Pourquoi ne pas en rester au principe de la Constitution de 1958 qui laisse au Gouvernement la liberté de choisir l'assemblée qui doit procéder à la première lecture d'un projet de loi ? C'est la base même de notre Constitution. Il n'y a pas lieu d'y revenir.
    M. Philippe Vuilque. Bien sûr !
    M. Jean-Jack Queyranne. Cette contrainte, à mon avis, n'aurait de sens que dans un Etat fédéral, comme en Allemagne, où la chambre haute - le Bundesrat - représente les Etats de la fédération et a donc une légitimité concurrente à celle de l'assemblée élue au suffrage universel.
    Depuis 1958, le Sénat, on le sait, cherche à grappiller des pouvoirs et à s'arroger un véritable droit de veto dans de multiples domaines - on l'a vu avec les lois organiques. Il veut s'ériger en chambre des collectivités locales. Mais ne commettons pas de contresens : le Sénat n'est pas la chambre des collectivités territoriales !
    M. Philippe Vuilque. Très bien !
    M. Jean-Jack Queyranne. L'article 24 de la Constitution doit être lu comme une simple règle de droit électoral précisant la façon dont les sénateurs doivent être élus.
    M. René Dosière. Mal élus, d'ailleurs.
    M. Jean-Jack Queyranne. En effet. Il ne définit pas la fonction institutionnelle du Sénat.
    M. Philippe Vuilque. Très bien.
    M. Jean-Jack Queyranne. Le Sénat n'est pas la chambre de la décentralisation des pouvoirs locaux. Il n'est pas non plus la chambre des libertés locales. D'ailleurs, l'histoire récente le prouve puisque le Sénat a été le premier foyer de résistance au mouvement de décentralisation, en 1981 et 1982. Je rappellerai également aux membres de la majorité qu'en 1980 et 1981, sous le septennat de M. Giscard d'Estaing, la réforme Bonnet a été littéralement enlisée par dix-huit mois de débats et de procédures interminables, au point de ne pas pouvoir être adoptée avant l'élection présidentielle de 1981. C'est justement pour ne pas subir le même sort que le gouvernement Mauroy et Gaston Defferre, ministre de l'intérieur, ont voulu aller vite.
    M. Claude Goasguen. C'est de l'histoire, monsieur Queyranne.
    M. Philippe Vuilque. C'est bien de la rappeler.
    M. Jean-Jack Queyranne. Concernant le Sénat, je m'étonne d'ailleurs que le Premier ministre,...
    M. René Dosière. Un ancien sénateur...
    M. Jean-Jack Queyranne. ... qui s'est exprimé hier, n'ait pas rappelé que dans son ouvrage Pour une nouvelle gouvernance, il se prononçait pour la réduction du mandat des sénateurs à six ans, en contrepartie d'une réforme en matière de compétence législative.
    M. Claude Goasguen. Ce n'est pas incompatible !
    M. Jean-Jack Queyranne. Apparemment, il n'en est plus question.
    De même, il semble que le Gouvernement ait l'intention de revenir sur l'élection à la proportionnelle à partir de trois sénateurs, alors que c'est un gage de la représentation pluraliste des départements.
    Le projet détourne par ailleurs la demande de démocratie participative. Droit de pétition et référendum sont conçus comme des instruments au service des élus, non comme des moyens d'expression au niveau local de la démocratie participative.
    L'encadrement du droit de pétition par le Sénat a bien montré l'hostilité des élus locaux de la majorité à l'égard des consultations populaires. On est loin, là encore, des envolées lyriques du Premier ministre qui, dans son ouvrage Pour une nouvelle gouvernance, prônait une intervention régulière des citoyens dans le débat public. Je le cite : « A l'échelon local, le référendum d'initiative populaire et la communication interactive doivent accompagner des élus qui ne pourront plus ainsi se replier sur la légitimité de leur seule élection. »
    Maintenant, vous en avez peur.
    M. Claude Goasguen. Avez-vous donné ce pouvoir au peuple ? Vous le lui avez refusé dans votre loi relative à la démocratie de proximité !
    M. Jean-Jack Queyranne. Vous verrez, monsieur Goasguen, qu'à travers les amendements que nous proposons nous permettons de développer l'initiative locale.
    En ce qui concerne le référendum d'initiative locale, nous précisons que, si la moitié des électeurs inscrits ont participé au scrutin, la délibération sera directement adoptée. Nous proposerons des amendements sur ce point, qui permettront d'aller vers une plus grande expression de la démocratie participative.
    M. Claude Goasguen. Il fallait le faire avant !
    M. Jean-Jack Queyranne. J'en viens pour terminer aux réformes concernant l'outre-mer. J'y retrouve les grandes lignes des évolutions que le gouvernement de la gauche a engagées sous les législatures précédentes. Il faut dire qu'avant les élections du printemps 2002, la droite a entretenu beaucoup d'ambiguïtés et de confusions sur ses intentions, flattant ici les indépendantistes, attisant ailleurs les peurs des ultras.
    Certains points restent à préciser, en particulier en ce qui concerne le département de la Réunion.
    Les Réunionnais souhaitent bien sûr rester dans le cadre de l'article 73 de la Constitution, qui établit le principe de l'assimilation législative. Dans ces conditions, je ne comprends pas l'intérêt de la rédaction introduite par amendement au Sénat et que M. Clément propose, au nom de la commission des lois, de supprimer, ce qui me semble de bon sens.
    M. René Dosière. La commission a voté la suppression !
    M. Jean-Jack Queyranne. Effectivement !
    Je ne vois pas pourquoi les Réunionnais seraient privés des dispositions qui leur donnent la capacité de recevoir une habilitation législative pour tenir compte de la spécificité de leur île. La politique du logement, par exemple, ne peut être décidée uniquement sur le plan national : elle doit prendre en compte, dans son application, les réalités locales.
    M. René Dosière. A la Réunion, on ne se chauffe pas comme en Alsace !
    M. Jean-Jack Queyranne. Si l'on maintenait le texte du Sénat, on introduirait à la Réunion une rigidité excessive sur le plan constitutionnel.
    Cela dit, je relève dans le projet de loi deux omissions graves.
    La première concerne la démarche institutionnelle dans les départements d'outre-mer. Le chantier a été ouvert par la loi d'orientation du 13 décembre 2000. Celle-ci refusait de céder à la tentation de solutions toutes faites et donnait la parole aux élus. L'évolution institutionnelle devait intervenir à l'initiative des collectivités et pouvait conduire à un statut différencié, à un statut « à la carte ».
    Dans chaque département français d'Amérique, la loi a permis la création d'un congrès des élus départementaux et régionaux. Les congrès se sont réunis et ils ont formulé des propositions statutaires. Partout, la procédure a été transparente et démocratique. Or il n'y est plus fait référence.
    Mais il n'y a pas que les élus locaux qui soient dépossédés d'un processus qui était pourtant engagé : le texte proposé pour le dernier alinéa de l'article 73 limite la consultation des citoyens à la création d'une collectivité nouvelle ou d'une assemblée unique. En fait, les citoyens d'outre-mer perdront la possibilité de s'exprimer sur la définition, sur l'étendue des pouvoirs et les compétences dont cette assemblée, ou la collectivité nouvelle, pourrait être dotée.
    Lors du référendum sur l'avenir de Mayotte en 2000, les Mahorais se sont prononcés sur un accord politique et sur un projet de loi détaillé. Aujourd'hui, nulle part n'est précisée la base sur laquelle le Gouvernement et le Président de la République prendront l'initiative de lancer la consultation de la population. C'est dommage car on dépossède ainsi nos compatriotes d'outre-mer de la possiblité de décider de l'évolution de leurs structures administratives et de leurs compétences.
    M. Victorin Lurel. Absolument !
    M. Jean-Jack Queyranne. La seconde omission concerne la reprise du projet de révision constitutionnelle, qui avait été voté à la quasi-unanimité par nos deux assemblées mais qui n'avait pu aboutir faute de convocation du Congrès à Versailles en janvier 2000, à la suite du différend sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature.
    La Polynésie française trouve son compte dans votre révision avec trois ans de retard. Je n'en dirai pas autant de la Nouvelle-Calédonie, puisque la précision qui devait être apportée sur la composition du corps électoral appelé à se prononcer aux termes des accords de Nouméa n'est pas retenue.
    Mme Girardin, ministre de l'outre-mer, nous a expliqué en commission qu'il n'y avait pas urgence et qu'il fallait attendre la décision de la Cour européenne saisie de ce contentieux.
    M. Christian Paul. Quelle erreur !
    M. René Dosière. Elle renie la parole de la France !
    M. Jean-Jack Queyranne. Je ne partage pas le point de vue de la ministre.
    Les recours ont été introduits dès 1998 et le gouvernement précédent avait, avec l'accord du Président de la République, engagé la révision constitutionnelle. C'est donc le respect de la parole donnée par les autorités de la République qui est en cause.
    M. Christian Paul. Cette parole est reniée !
    M. Jean-Jack Queyranne. Je rappelle que l'accord de Nouméa, auquel, en tant que secrétaire d'Etat à l'outre-mer, j'avais contribué, repose sur un équilibre fragile. Il constitue un acte de foi en l'avenir et je crains que, en Nouvelle-Calédonie, cette omission ne soit vécue comme un recul grave et comme facteur de déséquilibre niant la volonté d'unir les communautés de la Nouvelle-Calédonie dans un projet commun. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    Ce projet de révision constitutionnelle, monsieur le ministre, est très largement insatisfaisant. Les vrais décentralisateurs ne peuvent s'y reconnaître. Trop d'ambiguïtés demeurent.
    Je reprendrai l'interrogation du professeur Yves Mény : après qu'on eut dénoncé les « lois bavardes », y aurait-il des « constitutions bavardes » ? Derrière des concepts flous empruntés à la rhétorique libérale, s'agit-il d'orchestrer une cacophonie propice à la loi des plus forts et au zèle des plus obéissants ? S'agit-il d'affaiblir l'Etat et les services publics ? S'agit-il de mettre le territoire sens dessus dessous avec des régions à géométrie variable ? Ou s'agit-il plus simplement d'une opération de communication qui s'éteint à petit feu ?
    Les interrogations ne sont pas seulement à gauche : le trouble est dans votre majorité, beaucoup l'ont fait savoir hier, même si leur expression est corsetée par la discipline majoritaire ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Comme vous y allez !
    M. Jean-Jack Queyranne. La décentralisation est le patrimoine commun de tous les républicains. Elle mériterait bien mieux.
    Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, le renvoi en commission me paraît justifié et je vous invite à le voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué aux libertés locales.
    M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Monsieur Queyranne, comme je n'ai pas, et je vous prie de m'en excuser, entendu la totalité de votre intervention, je n'y répondrai qu'en partie. J'en profiterai cependant pour revenir sur plusieurs points évoqués hier mais qui, en dépit de la richesse du débat, n'ont pas été réellement abordés. Dans ce débat, nous sommes les uns et les autres souvent conduits à nous répéter, soit dans nos critiques, soit dans nos explications, mais il arrive que certains points échappent aux explications.
    Je commencerai par les questions financières, évoquées à l'instant par vous-même, et hier soir par M. Bonrepaux. Je sais bien que la loi de finances ne concerne pas directement notre débat, mais le Gouvernement a été accusé de ne pas vouloir favoriser la péréquation et de le démontrer par des insuffisances dans cette loi. Qu'en est-il exactement ?
    D'abord, le Gouvernement a maintenu pour 2003, en dépit d'un contexte économique très défavorable, la poursuite du contrat de croissance et de solidarité. C'est pourquoi l'enveloppe normée qui contient l'ensemble des dotations augmente de 567 millions d'euros. Il est donc faux d'affirmer que les crédits baissent : ils augmentent. La DSU augmente de 3 %, comme vous le savez, monsieur Bonrepaux,...
    M. Augustin Bonrepaux. Non, de 2,5 % !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. ... grâce à l'abondement de 100 millions d'euros au titre de la régulation de la DGF et un abondement budgétaire de 39 millions d'euros, soit 139 millions d'euros.
    Quant à la DSR, elle augmente de 1,5 %, ce qui, comme elle résulte d'une année assez difficile, revient à la maintenir au niveau de l'inflation.
    M. Augustin Bonrepaux. Cela fait à peu près zéro !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Là non plus, il n'y a pas de régression.
    S'agissant de la péréquation elle-même, elle porte globalement sur 15 % de la DGF. Cela dit, monsieur Bonrepaux, nous n'avons pas sur ce sujet de leçons à recevoir.
    M. Augustin Bonrepaux. Oh ! Tout de même !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. J'ai entendu M. Dosière nous en faire...
    M. René Dosière. Vous n'avez peut-être pas de leçons à recevoir, mais enfin...
    M. Augustin Bonrepaux. Qu'avez-vous fait jusqu'à présent ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Je vais vous le dire.
    En ce qui concerne la péréquation, la gauche a fait une partie du chemin, j'en conviens bien volontiers, et la droite en a fait une autre. C'est, par exemple, le gouvernement d'Edouard Balladur qui a réformé et forfaitisé la DGF en décembre 1993, améliorant ainsi la péréquation.
    M. René Dosière. Exact !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. C'est la loi Pasqua de février 1995 qui a créé le fonds national de péréquation pour la taxe professionnelle.
    M. Augustin Bonrepaux. C'est son seul résultat !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. C'est le gouvernement d'Alain Juppé qui, en 1996, a modernisé la DSU et institué le fonds de solidarité des communes pour la région Ile-de-France. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

    M. René Dosière. Non !
    M. Augustin Bonrepaux. Ne vous attribuez pas nos mérites !
    Mme la présidente. Monsieur Bonrepaux, je vous en prie !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Telle est la réalité.
    M. René Dosière. Vous l'avez légèrement corrigée !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Que peut-on retenir de tout cela ? Que la DGF est un produit de l'histoire et que sa répartition est finalement - je suppose que vous en serez d'accord - très inégalitaire.
    Pour illustrer l'étendue de ces inégalités, je citerai deux communes comparables en populations et en difficultés structurelles : à Douvrin dans le Pas-de-Calais, il s'agit de 4,16 euros par habitant ; à Saint-Bon-Tarentaise, dans la Savoie, de 522 euros par habitant. Il n'est point besoin d'aller voir ce qui se passe à Neuilly ou ailleurs...
    M. René Dosière. Neuilly, ce n'est pas mal quand même ! (Sourires.)
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Soit !
    M. René Dosière. Le chiffre y est supérieur à celui d'Antony !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Entre 4 euros et 522 euros, la différence est considérable.
    Que l'on inscrive, comme le propose le Gouvernement l'obligation de péréquation dans la Constitution ne pourra qu'améliorer les choses.
    M. René Dosière. On verra ce que vous proposerez dans votre texte sur la DGF !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Merci de nous faire confiance, monsieur Dosière ! (Sourires.)
    Je dirai juste un petit mot sur l'expérimentation pour purger, si je puis dire, tout ce qu'il a été dit.
    Il est évidemment faux de soutenir que l'expérimentation sera un mécanisme « à la carte » et qu'il sera totalement incontrôlé.
    Quelles seront ses conditions ?
    Elle aura lieu en principe sur un espace limité, pour une durée limitée et pour un objet limité, elle donnera lieu au volontariat, elle devra être réversible et évaluable, elle sera autorisée par le Parlement et finalisée par lui. Cela fait huit conditions...
    M. René Dosière. Quelle rigidité !
    M. André Chassaigne. Il s'agira donc bien d'une expérimentation « à la carte ».
    M. le ministre délégué aux libertés locales. L'encadrement sera extrêmement rigoureux.
    Le débat sur les EPCI est récurrent. A ce sujet, bien que l'on ait à peu près tout dit, je rappellerai la position du Gouvernement.
    Le Gouvernement a une attitude de loyauté. Le processus d'intercommunalité est en plein développement et nous en sommes tous très heureux sur tous les bancs de cette assemblée.
    M. René Dosière. Cela marche bien !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. En effet ! Nous pensons qu'il est inéquitable de changer en cours de processus la règle du jeu, tant pour le vote que pour l'abondement financier, car il y a aussi des tentations de ce côté-là.
    Actuellement, 28 000 communes sur 36 000 sont en intercommunalité et, le 1er janvier, on constatera sans doute un bond important. Attendons que le processus soit arrivé à son terme pour délibérer sur une nouvelle règle du jeu !
    La loyauté veut que tout le monde bénéficie des mêmes conditions jusqu'à l'achèvement d'un processus qui, au surplus, fonctionne bien.
    A changer la règle du jeu en cours de processus, on ne peut arriver qu'à une seule chose : le faire échouer.
    Quant à la fameuse question de l'élection des conseils de communauté au suffrage universel, monsieur Queyranne, vous nous avez dit à l'instant que, lors de la commission mixte paritaire, c'était pour ne pas rompre l'équilibre qui avait été trouvé avec le Sénat que la majorité de l'Assemblée avait finalement renoncé à son projet.
    M. René Dosière. C'est exact, j'y étais !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Je ne veux pas démentir vos propos, mais je n'en tirerai pas les mêmes conclusions que vous car en l'occurrence vous aviez accepté l'autorité du Sénat.
    M. Jean-Jack Queyranne. Il fallait bien que la loi soit votée !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Vous ne cessez de répéter que l'Assemblée nationale a une légitimité supérieure au Sénat et qu'elle doit s'imposer à lui. Or, dans le cas que je viens de citer, vous avez fait preuve de réalisme.
    M. Jean-Pierre Balligand. C'était contractuel, monsieur le ministre !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Vous avez fait preuve de réalisme et, à mon avis, de raison.
    M. Jean-Jack Queyranne. Il le fallait pour faire adopter la loi !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Vous avez donc parfaitement accepté l'équilibre avec le Sénat. Or ce qui est envisagé aujourd'hui et qui va peut-être déboucher sur un nouvel équilibre ne changera rien au fond des choses.
    Votre animosité à l'égard du Sénat, récurrente (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste),...
    M. Guy Geoffroy. Et aggravée !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. ... est amusante. Vous êtes remonté à 1969 pour illustrer les relations entre les gaullistes et le Sénat. Moi, je remonterai un peu plus loin que vous. Il fut un temps, de 1958 à 1969, où vous trouviez le Sénat très bien : c'était alors le bastion de l'opposition au général de Gaulle !
    M. Guy Geoffroy. Absolument !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Vous voyez, monsieur Queyranne, que le Sénat n'a pas toujours soutenu la droite !
    Mme Ségolène Royal. Aujourd'hui, c'est son bastion !
    M. André Chassaigne. Ce n'est pas le fond du débat, monsieur le ministre !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Il s'opposait très fortement, et avec quelle violence, à la politique du général de Gaulle. A cette époque, les socialistes trouvaient que le Sénat, c'était très bien ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes républicains.)
    M. Guy Geoffroy. Absolument !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Mais maintenant que le Sénat ne vote plus selon les voeux du parti socialiste,...
    Mme Ségolène Royal. Il ne l'a jamais fait !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. ... il est devenu pestiféré.
    M. Christian Paul. Il est surtout devenu conservateur !
    M. René Dosière. Le Sénat n'a jamais été socialiste !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Tout cela n'est pas très raisonnable.
    J'ajouterai, monsieur Queyranne, que la gauche a elle-même saisi à plusieurs reprises le Sénat en premier lieu.
    M. Jean-Jack Queyranne. Bien sûr !
    Mme Ségolène Royal. Nous respectons les institutions !
    M. Philippe Vuilque. Les institutions le permettent ! Pourquoi nous en serions-nous privés ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Le fait de prévoir en premier lieu la saisine du Sénat pour un certain nombre de dispositions n'est finalement qu'une mise en cohérence avec l'article 24 de la Constitution qui fait du Sénat le représentant des collectivités territoriales.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Non !
    M. André Chassaigne. L'explication est laborieuse !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Nous tirons tout simplement la conséquence logique de l'article 24. La disposition que nous proposons est de cohérence...
    M. André Chassaigne. L'explication est vraiment laborieuse !
    M. René Dosière. Vous introduisez de la rigidité là où il y avait de la souplesse !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Enfin, il est très largement exagéré de prétendre que cette disposition de cohérence bouleverse l'équilibre institutionnel. Vous confondez tout bonnement le premier mot avec le dernier.
    M. Guy Geoffroy. Absolument !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Ce qui fait l'équilibre institutionnel, c'est que l'Assemblée ait le dernier mot. Or elle le conserve ! Il est par conséquent tout à fait outrancier de pousser des cris d'orfraie sous prétexte que le Sénat sera quelquefois saisi avant l'Assemblée nationale, d'autant plus que c'est d'ores et déjà le cas...
    M. René Dosière. Avec votre texte, ce sera toujours le cas !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Uniquement pour les textes relatifs aux collectivités locales,...
    M. Philippe Vuilque. C'est tellement vaste ! Cela veut dire : pour un oui, pour un non !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. ... ce qui sera relativement marginal.
    M. André Chassaigne. Alors, à quoi servira votre texte ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. De toute façon, même dans ce cas-là, l'Assemblée nationale aura le dernier mot.
    M. René Dosière. Encore heureux !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Par conséquent, l'équilibre institutionnel sera pleinement conservé.
    M. Guy Geoffroy. Absolument !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Monsieur Queyranne, vous avez cru devoir vous moquer un peu du fait que notre majorité s'exprimait avec liberté.
    M. Charles de Courson. C'est pourtant très bien !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Eh oui ! Mais vous n'en avez peut-être pas l'habitude. Quant à nous, nous sommes des hommes libres. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Nos formations politiques, tant l'UDF que l'UMP, ne sont pas des casernes.
    M. René Dosière. Oh !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. ... chacun peut y exprimer sa sensibilité et faire valoir sa différence dans le débat. C'est une richesse pour nous tous. Mais, comme vous avez pu le constater, cette majorité se retrouve profondément unie au moment de voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Charles de Courson et M. Jean Lassalle. Très bien !
    M. Jean-Jack Queyranne. Elle rentre dans le rang !
    Mme Ségolène Royal. On a vu au Sénat combien elle est unie !
    Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Quelques mots à mon tour, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour répondre à M. Queyranne. Des deux motions de procédure que nous avons entendues avant la discussion générale, l'une nous expliquait - ce qui ne manquait pas de sel - que le projet était inconstitutionnel, alors qu'il s'agit de réformer la Constitution : la deuxième, - et cela ne manquait pas de sel non plus, mais c'était moins épicé - tendait à nous démontrer qu'il n'y avait pas lieu à délibérer. Je suppose que celle-ci s'adresse à ceux qui n'étaient pas présents en commission et qui souhaiteraient une session de rattrapage.
    Toutes les objections que vous avez élevées l'ont été trop rapidement sans doute ; je sais que c'est de tradition dans cette commission, dont les travaux ont toujours eu le même rythme, mais quand il faut approfondir, on le fait.
    M. Jean-Jack Queyranne. Sur une certain nombre de points - notamment sur l'article 4 qui traite de l'expérimentation - je ne me souviens pas que l'on ait cherché à gagner du temps. Nous avons essayé au contraire d'approfondir au mieux la question.
    M. René Dosière. Il n'y a pas eu beaucoup d'auditions !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Vous parliez tout à l'heure de mépris du Gouvernement vis-à-vis de l'opposition. Ce n'est pas ici la réponse du berger à la bergère, mais j'ai encore sur le coeur, pour parler en termes populaires, le comportement de Mme Guigou vis-à-vis de l'opposition quand elle était au banc du gouvernement - vous en souvenez-vous ? Ainsi, combien de fois ne l'avons-nous pas interrogée sans obtenir de sa part un commencement de réponse, ni même un regard.
    M. Charles de Courson. Elle lisait des romans !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Elle lisait en effet tout à fait autre chose.
    M. René Dosière. Si c'est condamnable, pourquoi ne répondez-vous pas ?
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Justement, nous ne le faisons pas, la preuve, je vous réponds ! Faites-nous donc l'amitié de ne pas nous intenter ce procès, nous avons été suffisamment humiliés par certains membres du précédent gouvernement.
    Je veux donner quelques éléments de réponse car je ne peux vous laisser faire croire aux Français ce que vous semblez avancer. Je ne suis pas certain d'ailleurs que vous êtes vous-même bien convaincu de ce que vous dites,...
    M. Charles de Courson. Non !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ... et c'est vraiment dommage. Je ne veux pas ici faire de leçon de morale, pour ne pas donner dans cette grande tradition socialiste, mais le rôle de l'opposition est évident et utile : c'est de construire. Or il n'y avait rien de constructif dans les trois motions défendues par le groupe socialiste ou le groupe communiste. Je n'y ai vu qu'une négation, la négation même de l'évidence.
    Je répondrai aux points qui me tiennent à coeur, et d'abord à ce qui concerne l'unité de la République. Que vous y soyez attachés, tout le monde s'en réjouit, parce que tout le monde y est attaché. Nous avons respecté ce principe : la France sera un Etat unitaire organisé de façon décentralisée. L'exemple de l'Italie prouve que c'est tout à fait possible, puisque sa Constitution développe le principe de l'Etat unitaire et de son organisation décentralisée.
    M. Jean-Jack Queyranne. Il s'agit d'une organisation territoriale !
    M. René Dosière. Notre histoire n'est pas la même, monsieur Clément !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Ce n'est plus l'histoire, c'est l'avenir qui compte dorénavant.
    M. René Dosière. Nous avons des racines, tout de même !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Au sein de l'Union européenne, nous sommes déjà un pays atypique en étant unitaire. Si nous refusons une organisation décentralisée, nous serons à des années-lumière, et à de nombreux égards, des autres pays d'Europe, et cela d'autant plus au moment où nous allons devenir vingt-cinq.
    Je voudrais de nouveau insister là-dessus, mesdames, messieurs de l'opposition, même si de ce côté-ci de l'hémicycle il n'y a aucun doute là-dessus : la France reste un pays unitaire, avec une organisation décentralisée, autrement dit moderne. Tout autre affirmation n'est qu'un procès d'intention, je suis convaincu que vous le savez. Ne faites donc pas croire autre chose aux Français. Quand nous en viendrons à la question de la prétendue subsidiarité, je vous expliquerai pourquoi il ne s'agit pas de cela, parce que ce principe signe précisément le système fédéral.
    M. Jean-Jack Queyranne. Bien sûr ! Nous ne parlons pas de cela! Mais c'est ce qu'a dit le Premier ministre hier.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je tenterai, quand nous débattrons de l'article 2, de vous en faire la démonstration.
    M. André Chassaigne. Ça va être laborieux !
    M. Alain Néri. Il vous sera difficile à la fois de nous l'expliquer et de vous entendre avec le Premier ministre !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Il n'y a là aucune espèce de problème.
    M. le ministre délégué aux libertés locales en a dit un mot, mais je voudrais revenir sur la distinction purement sémantique que vous établissez entre péréquation et solidarité.
    M. Jean-Jack Queyranne. Elle n'a rien de sémantique !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Lorsque nous employons le terme de péréquation, c'est bien évidemment avec la volonté de mettre en oeuvre une solidarité entre les territoires. Mais en deçà, comme le rappelait M. le ministre, toutes les dotations des communes décidées au moment de la loi de finances sont fondées sur des critères de solidarité. Les deux communes citées en exemple par le ministre - l'une pauvre, dans le Pas-de-Calais, l'autre, fort riche, en Savoie -, n'ont évidemment ni la même dotation globale de fonctionnement, ni la même dotation générale de décentralisation, ni la même dotation globale d'équipement, et ainsi de suite.
    La solidarité s'exerce donc bien en amont, monsieur Queyranne, et dans le cadre d'une organisation décentralisée on affirme en plus le principe de péréquation.
    Comme l'a rappelé hier le Premier ministre, le concept de péréquation a été créé par M. Rocard au moment des contrats de plan, dont l'objectif initial était, en accord avec les régions et l'Etat, d'accorder aux régions ou aux collectivités territoriales en aval une priorité sur certains domaines relevant de leur compétence.
    Or nous avons observé depuis quelques années une dérive qui a atteint son point extrême lors du dernier contrat de plan. Dans un département comme le mien, que M. Queyranne connaît bien, puisque nous sommes voisins, j'ai calculé que 97,5 % du contrat de plan relevait de la compétence des collectivités territoriales, et deux points et demi de la compétence de l'Etat. Autrement dit c'est un transfert de charges, brut, massif, insensé, et en plus ce contrat a été approuvé.
    M. René Dosière. Accepté par les collectivités.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Du moins signé par la région, et financé par les autres, qui n'ont même pas signé. C'est mon cas.
    M. René Dosière. Vous voyez combien l'Etat est astucieux !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Si vraiment vous vouliez tuer les contrats de plan, c'est réussi - je vous remercie, j'en rêvais ! Le transfert de charge, à ce niveau-là, c'est impossible. En plus vous nous faites la leçon, en nous disant que ça va coûter cher !
    Vous vous êtes félicité, monsieur Queyranne, de ce que la loi Chevènement sur l'intercommunalité marchait très bien.
    M. François Goulard. Non ! Je m'inscris en faux ! Elle ne marche pas !
    M. René Dosière. Le ministre vient de le dire !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Elle marche bien - c'est d'ailleurs ce qu'a expliqué très justement le Premier ministre hier - dans la mesure où elle joue un rôle de cohérence et de proximité, qui est la problématique permanente des lois de décentralisation.
    Mais en matière de recrutement de personnel, par exemple, on observe les distorsions les plus grandes. Ainsi, la communauté de communes que je préside emploie une personne et demie. La communauté voisine, qui regroupe trois communes de plus et a les mêmes compétences que la nôtre, en emploie quarante-deux : il y a un truc. On voit tout et son contraire !
    M. René Dosière. C'est la libre administration.
    M. Pascal Clément, président de la commision des lois, rapporteur. Vous avez raison, le principe de libre administration est le fondement constitutionnel de tels écarts. On peut dire aussi - et là je m'adresse au ministre - qu'il faut dès le départ expliquer clairement ce que l'on veut. Même si la mesure proposée par l'amendement de M. de Courson ne pourra pas être acceptée dans le texte constitutionnel, je souhaite la voir dans la loi organique : car oublier la question du transfert des personnels serait répéter l'erreur de 1982, où, les syndicats de fonctionnaires ayant refusé de bouger de leur position, les collectivités territoriales ont encore rajouté une couche de fonctionnaires, donc une couche d'impôt.
    M. Jean Lassalle. Tout à fait !
    M. René Dosière. Ils ont quand même bougé un peu.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Vous qui dites depuis des semaines que notre loi de décentralisation va créer de nouveaux impôts, vous ne pourrez pas voter contre les mesures de la loi organique qui traiteront de cet éternel problème, oublié, tant par la loi sur l'intercommunalité, que par les lois de décentralisation de 1982. Je souhaite qu'on ne retombe pas dans les mêmes errements.
    Enfin un mot sur le Sénat. Je suis bien obligé d'y revenir puisque vous avez décidé de ramener le débat à la partie qui franchement est à mes yeux, et sans que le mot doive être pris dans une autre acception que philosophique, la partie la plus accessoire du texte.
    M. René Dosière et M. Philippe Vuilque. Le Sénat n'est pas accessoire ! On ne peut pas laisser dire cela !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Au sens philosophique du terme, par distinction avec l'essentiel. Vous avez fait au Premier ministre un procès quelque peu indigne...
    M. Alain Néri. Ce qui était indigne, c'est qu'il ne réponde pas à l'opposition !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ... puisque ce n'est pas lui qui en a lancé l'idée. Je rappelle que le projet de loi constitutionnelle s'est fondé sur une proposition de loi du président Poncelet et de ses collègues présidents de groupe de l'opposition nationale de l'époque, et que c'est dans cette proposition de loi que se trouvait un alinéa constitutionnel précisant la priorité de lecture. Le Gouvernement n'a jamais fait que reprendre la proposition du président Poncelet et des présidents de groupe.
    M. René Dosière. Il ne l'a pas reprise intégralement, et heureusement ! Elle était affreuse !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Alors pas de procès d'intention vis-à-vis du Premier ministre, surtout que, comme le sait l'ancien ministre chargé des relations avec le Parlement, il est de tradition de déposer d'abord ce type de textes de lois sur le bureau du Sénat.
    M. Philippe Vuilque. Et alors ?
    M. René Dosière. Mais pourquoi constitutionnaliser ce principe ?
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Eh bien justement, il y a deux interprétations possibles, comme je l'ai dit en commission. Mais comme tout le monde n'a pas pu y être, je voudrais le rappeler. (Brouhaha sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Pierre Brard. La première, et la deuxième !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je suis navré de ne pouvoir m'adresser qu'à la majorité. Vous seriez gentils de faire silence. (Protestations sur quelques bancs de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Vous ne parlez qu'à eux ! Parlez-nous à nous aussi !
    Mme la présidente. Mesdames, messieurs les députés, écoutez le président de la commission !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. J'essaie de répondre à M. Queyranne.
    M. Philippe Vuilque. Ils sont jaloux ! Et ils ne sont pas d'accord avec vous. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Pierre Brard. Ils contestent !
    M. François Goulard. Vous n'avez pas fini ! M. Queyranne a eu cinq ans pour agir !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Monsieur Goulard, vous venez d'arriver ; vous ne pouvez pas être fatigué !
    M. Jean-Pierre Brard. Quelle perfidie !
    Mme la présidente. Monsieur Clément, continuez !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Monsieur Queyranne, il y a deux approches possibles s'agissant de la question du mode de scrutin des sénateurs.
    Soit vous considérez que ce n'est qu'une deuxième chambre élue différemment, soit que, élue différemment elle a un rôle différent. Dans ce dernier cas, il n'est absolument pas illogique que la Constitution consacre précisément la spécificité de cette deuxième chambre.
    M. Philippe Vuilque. Non, justement ! C'est ce que vous allez faire !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Personne ne veut, en France, deux assemblées nationales. Et j'espère, et je m'adresse en particulier à M. Montebourg, que vous n'êtes pas de ceux qui veulent un système monocaméral.
    M. Arnaud Montebourg. On veut un Sénat démocratique !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Vous me rassurez ! Car jusqu'à preuve du contraire, le système monocaméral n'est pas dans l'histoire la garantie de la plus grande démocratie. On le sait bien, les foucades des majorités du moment...
    M. André Chassaigne. Personne n'a parlé de cela !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ... et Dieu sait que vous en avez donné la preuve, nécessitant à l'évidence une « chambre de réflexion », formule traditionnelle des constitutionnalistes.
    M. Jean-Pierre Brard. A l'âge qu'ils ont !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Et si nous sommes d'accord pour garder le bicaméralisme, alors nous sommes d'accord sur l'essentiel.
    Enfin, j'en termine, pour ne lasser personne. Puisque nous sommes d'accord sur l'essentiel,...
    M. Alain Néri. Ça, c'est vous qui le dites !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ... pourquoi observer une attitude strictement négative, alors que la contribution de l'opposition sur un sujet aussi important pourrait être majeure ?
    Puisque vous avez fait référence, monsieur Queyranne, au statut de la magistrature, je vous rappelle que nous l'avons voté, et j'appelle l'opposition à avoir le comportement responsable que nous avons eu sur des sujets aussi importants.
    M. Jean-Jack Queyranne. C'était un engagement du Président de la République !
    Mme Ségolène Royal. Et l'indépendance de la justice ?
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Pour la Nouvelle-Calédonie, nous avons même fait voter oui au référendum. Alors, je vous demande d'avoir la même attitude. Nous aussi, nous avons été dans l'opposition.
    M. Jean-Pierre Brard. Vous y retournerez !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Pour les problèmes importants, nous avons été constructifs et, parfois, nous avons même adhéré à vos propositions. Honnêtement, sur un sujet qui fut le vôtre il y a vingt ans, je ne comprends pas votre attitude. Soyez constructifs - tout le monde y gagnerait. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Emile Blessig.
    M. Emile Blessig. Nous sommes tous d'accord sur le principe de la décentralisation, et nous conviendrons tous qu'en vingt ans, le monde, l'Europe et notre pays a changé.
    M. Jean-Pierre Brard. Ont changé !
    M. Emile Blessig. Ont changé, merci de cette rectification. J'y vois une contribution positive, qui me rend très confiant dans votre attitude pour la suite du débat. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Il est apparu très clairement au printemps dernier que notre pays se trouve dans une situation difficile. C'est pourquoi, sur un thème qui préoccupe l'ensemble de la représentation nationale, nous devons apporter au pays une réponse à la hauteur de ses attentes.
    Dans ces conditions, monsieur Queyranne, il s'agit de savoir si la motion de renvoi en commission que vous venez de défendre répond à cet objectif. La réponse du groupe UDF... (Rires sur le bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jean-Pierre Brard. Vous, vous avez besoin d'une cure psychanalytique !
    M. Emile Blessig. Il ne s'agit pas de renier ses origines, mais de s'adapter à des évolutions attendues par le pays, sur le plan politique comme ailleurs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Alors aujourd'hui que j'ai l'honneur de faire cette explication de vote au nom du groupe de l'UMP (Sourires), je souhaiterais préciser qu'il importe que nous puissions nous donner des outils adaptés et renouvelés. Le Gouvernement et sa majorité proposent une nouvelle démarche globale, dont ce texte n'est qu'une étape. Monsieur Queyranne, vous avez voulu introduire la confusion...
    M. Jean-Pierre Brard. Vous vous y connaissez en confusion, entre l'UMP et l'UDF !
    Mme la présidente. Monsieur Brard, s'il vous plaît !
    M. Emile Blessig. ... en nous disant que l'ordre d'examen des textes n'était pas bon. Mais si nous avions suivi l'ordre inverse, et commencé par les dispositions locales, vous vous seriez vraisemblablement écrié qu'il fallait d'abord définir le cadre et à partir de là décliner les principes d'application.
    M. Marc Le Fur. Qu'est-ce qu'on aurait entendu !
    M. Jean-Pierre Brard. Picasso faisait d'abord son oeuvre, et faisait le cadre après !
    M. Emile Blessig. Nous avons choisi, précisément, d'apporter au cadre des modifications, qui consistent à établir un nouvel équilibre constitutionnel autour des concepts d'unité, d'égalité et de libertés locales. La décentralisation suppose, en effet, les concepts de proximité entre les décideurs et le citoyen, de libre administration, mais aussi de responsabilité.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. C'est logique ! C'est le bon sens !
    M. Emile Blessig. Il est légitime de craindre des dérives, notamment fiscales ; mais que faites-vous, d'une part, de la responsabilité des élus locaux, d'autre part, du contrôle démocratique de leurs engagements et de leurs modes de gestion ? Tout se passe comme si vous vouliez implicitement laisser les élus locaux sous tutelle. Eh bien nous disons nous que le moment est venu de libérer les énergies,...
    M. François Goulard. Très bien !
    M. Emile Blessig. ... mais aussi de mettre chacun face à ses responsabilités, notamment les élus, responsables devant le peuple.
    Il s'agit donc d'une réforme indispensable, et urgente, car le pays attend et s'impatiente.
    M. Jean-Pierre Brard Tu parles !
    M. Emile Blessig. En dernière analyse, monsieur Queyranne, l'autre possibilité est d'élargir le champ du texte qui nous est proposé. Vous venez d'en exposer les effets, à notre tour d'en tirer toutes les conséquences, non seulement dans le cadre d'une loi organique et d'une loi ordinaire qui préciseront les transferts de compétences, mais aussi dans celui de la réforme de l'Etat et des collectivités locales. Car il s'agit d'un tout, dont nous aurons l'occasion de débattre. Du reste, je suis convaincu que la discussion de la présente réforme de la Constitution contribuera à enrichir ce débat.
    Pour toutes ces raisons, le groupe de l'Union pour la majorité présidentielle ne votera pas...
    M. Jean-Pierre Brard. Avec une équipe de godillots comme celle-là. Voilà qui m'aurait étonné ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Mme la présidente. Monsieur Brard !
    M. Yves Bur. Et c'est un communiste qui dit ça ! (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Emile Blessig. Monsieur Brard, si vous m'interrompez, vous risquez de ne pas entendre la position de notre groupe : il ne votera pas la motion de renvoi en commission ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. André Chassaigne. Madame la présidente, chers collègues, nous pensons qu'il est absolument indispensable de renvoyer le texte en commission, et je vais expliquer pourquoi en quelques mots.
    Tout d'abord, quant aux différentes interventions qui ont eu lieu hier - je ne parle pas, bien entendu, de la litanie de ceux que j'appellerai les « béni-oui-oui », qui avec des effets de manche, sans aucun contenu, se sont alignés, le petit doigt sur la couture du pantalon (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Bernard Schreiner Un stalinien dire cela ! Quelle amnésie !
    M. André Chassaigne. Non, je veux parler des interventions de fond qui ont montré à quel point ce texte n'était pas un texte bénin puisqu'il mettait à bas l'architecture de la République. Même dans vos rangs d'ailleurs certains l'ont compris, et l'on doit saluer la dignité de certaines interventions qui ont montré que ce texte était dangereux et que le voter en l'état serait tirer un trait sur la démocratie ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Arnaud Montebourg et M. Alain Néri. Très bien !
    M. André Chassaigne. Sur un texte très important, qui porte sur la Constitution, on assiste à une véritable marche forcée. Sera-t-elle de cent ou de cent cinquante jours ? En tout cas, elle conduira au Waterloo de la démocratie ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    On ne revient pas sur la Constitution sans avoir largement consulté la population, saisi les conseils municipaux, les conseils généraux, les conseils régionaux. On ne saurait se satisfaire de quelques messes dont certaines, d'ailleurs, comme ces assises des libertés locales, ne seront dites qu'après. C'est avant qu'il faut discuter !
    Il faut soumettre le problème au peuple de France et que cela aboutisse à un référendum. Or, ce référendum, vous n'en voulez pas !
    M. Alain Gest. Le peuple a voté il y a six mois, et cela ne s'est pas bien passé pour vous...
    M. André Chassaigne. Votre approche de la démocratie, c'est : surtout, faites ce que je dis, mais pas ce que je fais. Vous avez le local, la proximité, la démocratie à la bouche, mais vous refusez de porter le débat devant le peuple.
    Vous étudiez ce texte à la va-vite. En termes de méthode, votre façon de faire est lamentable ! (Vives protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Guy Geoffroy. Le fond maintenant !
    M. André Chassaigne. Sur le fond (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle) vous avez eu, semble-t-il, quelques explications. Vous vous considérez comme des initiés, parce que le Premier ministre vous a donné quelques pistes, vous a expliqué ce que serait le contenu des lois qui viendront...
    M. Alain Gest. Vous n'avez même pas lu le texte !
    M. André Chassaigne. En fait, vous nous demandez aujourd'hui de voter un texte sans qu'on en connaisse les conséquences.
    On a une expression, en Auvergne, qui illustre bien votre façon de faire. On dit : « On n'achète pas un âne dans un sac. » Eh bien, aujourd'hui, vous voulez nous faire acheter un âne dans un sac. (Rires et exclamations.) Vous êtes d'ailleurs incapables de nous expliquer quelles seront les conséquences de notre vote, ce que cela signifiera pour les collectivités territoriales. La preuve : vos réponses sont bourrées de contradictions.
    Quand certains, y compris dans vos rangs, s'inquiètent à propos du contenu de l'article 3, un ministre leur répond : ce n'est pas très grave, parce que les collectivités territoriales, c'est marginal !
    M. Dominique Richard. Ce n'est pas cela !
    M. André Chassaigne. D'après vous, ce texte va accroître le rôle des collectivités territoriales. Mais puisque « c'est marginal », on peut bien concevoir que le Sénat discute en premier de toute ce qui les concerne...
    Des arguments pour le renvoi en commission, on pourrait en jeter des brassées. En tout cas, le débat est incontournable. On ne peut pas voter une loi « à la hussarde », comme vous voulez le faire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe UDF.
    M. Jean-Pierre Brard. Vous faites du recrutement ?
    Mme la présidente. Monsieur Brard, laissez M. de Courson s'exprimer !
    M. Jean-Pierre Brard. De Courson, canal historique !
    M. Charles de Courson. La gauche fait, en 2002, ce que ceux qui étaient alors dans l'opposition ont fait en 1982, c'est-à-dire une grave erreur : celle de s'opposer et de se montrer hostiles à un mouvement de décentralisation, alors que la majorité de nos collègues socialistes y est favorable.
    M. Bernard Accoyer. Il a raison !
    M. Charles de Courson. On perd un temps fou avec des procès d'intention sans aucun fondement et cela ne grandit pas la discussion parlementaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Je vais vous en donner trois exemples, mes chers collègues.
    Première illustration : selon vous, l'actuelle majorité voudrait supprimer la République une et indivisible.
    Si j'étais un peu méchant, ce que je ne suis pas, je vous rappellerais votre vote sur la Corse. Un seul parmi vous, Emile Zuccarelli, a eu une attitude respectable ; il n'était pas d'accord, il est parti.
    Plusieurs députés sur les bancs du groupe socialiste. Mais non, il est là !
    M. le président de la commission des lois, rapporteur. Il n'est pas parti, il a été viré !
    M. Charles de Courson. Et pourtant, vous étiez nombreux à n'être pas d'accord... Alors évitez de faire un procès d'intention à l'actuelle majorité. Nous pourrions en faire de même à votre égard. Arrêtons donc de nous envoyer ce genre de choses à la tête.
    Deuxième illustration : la péréquation. Aurai-je la crutauté de vous demander ce que vous avez fait en matière de péréquation depuis cinq ans ?
    M. Augustin Bonrepaux. La DSU !
    M. Charles de Courson. La DSU ne date pas des cinq dernières années. Non, tout ce que vous avez fait se résume à trois caramels. Même le président Bonrepaux, qui adore en rajouter un peu, reconnaît - plutôt en commission qu'en séance publique - que tout le monde est au fond d'accord sur le diagnostic : la péréquation est extrêmement faible par rapport à la masse des 300 milliards de dotations, compensations et autres.
    M. Jean-Pierre Brard. Ce qui compte, ce n'est pas le diagnostic, c'est la prescription !
    M. Charles de Courson. Tout le monde le reconnaît !
    M. Augustin Bonrepaux. Nous avons tout fait ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Charles de Courson. Mais oui, vous avez tout fait, président Bonrepaux, bien sûr...
    Mme la présidente. Monsieur Bonrepaux, écoutez M. de Courson !
    M. Charles de Courson. Ces excès de langage n'honorent pas la représentation nationale. La décentralisation a besoin des élus locaux de tous bords qui la font fonctionner. Ce genre de politique politicienne ne rapporte rien et accroît le sentiment selon lequel les débats, dans cet hémicycle, ne sont pas les vrais débats.
    M. Jean-Pierre Brard. Ça, c'est vrai !
    M. Charles de Courson. Dernière illustration : la fixation que vous faites sur le Sénat. Suivez la position de la commission des finances, qui est pleine de sagesse, en votant l'amendement Méhaignerie qui répond à toutes les objections que vous avez pu soulever. Nous en reparlerons tout à l'heure à propos de l'article 3.
    Vous ne vous étonnerez donc pas mes chers collègues, que le groupe UDF votera contre le renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Mme la présidente. La parole est à M. Augustin Bonrepaux.
    M. Augustin Bonrepaux. Cher ministre, chers collègues, je ne sais pas si vous vous rendez compte que nous votons une modification de la Constitution ? (« Et alors ? » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Il me semble qu'il faudrait rester serein (« Ah ça oui ! » sur les mêmes bancs) et y regarder à chaque mot.
    Je regrette que certains s'enflamment, comme M. le rapporteur, qui n'a pas répondu aux véritables questions. Quant à M. de Courson, il ne peut pas trop parler aujourd'hui, parce qu'il n'était pas là hier et qu'il n'a donc pas tout entendu.
    M. Jean-Pierre Brard. Il est comme Jeanne d'Arc !
    M. Charles de Courson. A une heure du matin, vous n'étiez pas là ; moi, j'y étais.
    M. Augustin Bonrepaux. Pourquoi demandons-nous que ce texte revienne en commission ? Pour des raisons simples et précises. Pour que chaque mot puisse être pesé et apprécié. Vous savez bien qu'ensuite, si nous en laissons l'appréciation au Conseil constitutionnel, nous allons au devant de réelles difficultés.
    Nous insistons d'abord sur l'article 3. Le rapporteur de la commission des finances, M. Méhaignerie, a fait un excellent rapport que je vous invite à lire. La commission saisie au fond aurait pu en discuter et examiner tous les risques que comporte cet article 3.
    Le premier de ces risques est de déposséder notre assemblée d'un certain nombre d'amendements et d'initiatives.
    M. Jean-Pierre Brard. Eh oui !
    M. Augustin Bonrepaux. Accepterez-vous qu'une proposition de loi que vous avez formulée soit débattue en priorité au Sénat ? Chacun de nous, sur ces bancs, doit s'interroger sur la portée effective de l'article 3. Il faut en étudier tous les risques et chercher à les évacuer. Et s'il n'en reste pas, pourquoi maintenir cet article ? Vous nous dites bien qu'il faut simplifier...
    M. Jean-Pierre Brard. Evidemment !
    M. Augustin Bonrepaux. En outre, nous aimerions avoir des explications précises sur certaines notions, qui mériteraient peut-être d'être reformulées. J'ai déjà posé la question, et on ne m'a pas répondu.
    On nous explique que les moyens transférés seront ceux « qui étaient consacrés à leur exercice ».
    M. François Goulard. On connaît ça par coeur : vous l'avez déjà dit dix fois ! C'est une obsession !
    M. Augustin Bonrepaux. Or M. Méhaignerie souligne que le code général des collectivités locales évoque le transfert aux communes, aux départements et aux régions des ressources « nécessaires à l'exercice normal de leurs compétences ». N'y a-t-il pas une différence ? Vous laissez le Conseil constitutionnel apprécier. A quel moment, à quel niveau ? Ne valait-il pas mieux conserver l'expression « ressources nécessaires à l'exercice de leurs compétences » ? (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Cela mérite bien que la commission des finances y réfléchisse.
    Au cours d'une précédente séance, un des orateurs de la majorité nous a expliqué que sur l'article 3 il y avait trois amendements, dont l'un de la commission des finances et un autre de la commission saisie au fond. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Toujours la même chose !
    M. Marc Le Fur. Madame la présidente, notre collègue a dépassé son temps de parole !
    M. Alain Gest. Il l'a déjà dit vingt fois !
    M. Bernard Accoyer. Il répète toujours la même chose !
    Mme la présidente. Monsieur Accoyer !
    M. Augustin Bonrepaux. On peut parler dans cet hémicycle, ou pas ? Etes-vous capable d'entendre des choses raisonnables ? (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. François Goulard. Mais laissez-le, il a une idée, pour une fois !
    Mme la présidente. Monsieur Bonrepaux, continuez !
    M. Augustin Bonrepaux. Madame la présidente, tout à l'heure, notre collègue communiste est intervenu, alors qu'il n'y avait personne au banc de la commission.
    M. Jean-Pierre Brard. Laquelle, maintenant, n'écoute pas...
    M. Augustin Bonrepaux. La séance ne peut pas se tenir en l'absence d'un représentant de la commission.
    Mme la présidente. Monsieur Bonrepaux, vous avez épuisé votre temps de parole !
    De nombreux députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Très bien, madame la présidente !
    M. Augustin Bonrepaux. Maintenant, ni le ministre ni le rapporteur n'écoutent. Madame la présidente, je ne continuerai mon intervention que quand ils voudront bien m'écouter.
    Mme la présidente. Monsieur Bonrepaux, vous avez épuisé le temps de parole pour une explication de vote !
    M. Alain Néri. Mais la commission n'écoute toujours pas ! Il faut une deuxième lecture pour M. Clément ?
    M. Augustin Bonrepaux. Je n'ai pas terminé ! J'avais encore une question à poser : le mot « déterminante » à l'article 6, est-il quantifiable ? Si oui, comment ? Laisserez-vous au Conseil constitutionnel le soin de l'apprécier. Comme le fait, encore une fois, remarquer le président de la commission des finances, il faut tout de même, quand on met un mot dans la Constitution - qui va être notre règle commune - que ce soit constituable.
    M. Jean-Pierre Brard. Du calme !
    M. Augustin Bonrepaux. Enfin, vous parlez beaucoup de péréquation. Mais pourquoi le terme n'est-il pas davantage précisé, comme le fait la Constitution italienne...
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Faites-le taire !
    M. Guy Geoffroy. Ce n'est pas une explication de vote, ça !
    M. Augustin Bonrepaux. ... ou la loi d'aménagement du territoire de M. Pasqua, que vous aviez votée ? Vous auriez pu écrire : péréquation en fonction d'un indice synthétique. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) permettant de mesurer...
    M. Bernard Accoyer. Ce n'est pas le débat !
    Mme la présidente. Monsieur Bonrepaux, je vous demande de terminer !
    M. Augustin Bonrepaux. Madame la présidente, tout cela justifie que l'on revienne en commission. Evitons de faire un texte bâclé qui aura par la suite des conséquences très graves pour le fonctionnement de l'Assemblée. Et vous serez peut-être les premiers à en subir les conséquences, messieurs de la majorité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Mme la présidente. Je suis saisie de deux demandes de rappel au règlement. Ils auront lieu après le vote sur la motion de renvoi en commission. Le groupe socialiste a déposé une demande de scrutin public.
    Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
    Mes chers collègues, il serait vraiment très bien si les téléphones portables étaient débranchés ! Plusieurs fois dans la matinée, des sonneries ont retenti dans l'hémicycle...
    M. Jean-Pierre Brard. Ils attendent les consignes ! (Sourires.)
    Mme la présidente. Je vous demande, comme dans les salles de spectacle (Exclamations sur tous les bancs), de ne brancher vos téléphones qu'à la sortie de l'hémicycle. Maintenant nous attendons quelques instants avant d'ouvrir le scrutin.
    M. Arnaud Montebourg. On attend quoi ?
    M. Jean-Pierre Balligand. Godot !
    Mme la présidente. Le temps réglementaire, monsieur Montebourg...
    Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.
    Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été couplés à cet effet.
    Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.
    Le scrutin est ouvert.
    Mme la présidente. Le scrutin est clos.
    Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants   117
Nombre de suffrages exprimés   116
Majorité absolue   59
Pour l'adoption   31
Contre   85

    L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

Rappels au règlement

    Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois, rapporteur, pour un rappel au règlement.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Un rappel très bref, madame la présidente.
    Monsieur Bonrepaux, je voudrais que vous et vos collègues, n'attaquiez pas...
    M. Augustin Bonrepaux. Les vôtres s'en vont, monsieur le président de la commission !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Ce n'est pas dans le règlement...
    M. François Loncle. Ah bon, si ce n'est pas dans le règlement, ce n'est pas un rappel !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Vous venez d'arriver...
    M. François Loncle. Ce n'est pas un rappel au règlement !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Vous voulez bien attendre la fin de ma phrase ? Vous jugerez après.
    M. François Loncle. Ce n'est pas rappel au règlement !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Si...
    M. François Loncle. Fondé sur quel article ? Je connais vos méthodes !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Monsieur Loncle, vous venez d'arriver et vous êtes déjà énervé !
    Mme la présidente. Le président de la commission a la parole de droit dans le débat.
    M. François Loncle. Mais ce n'est pas un rappel au règlement !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Pourrais-je m'exprimer ?
    M. François Loncle. Ce n'est pas un rappel au règlement !
    M. Jean-Pierre Brard. Mais rasseyez-vous, messieurs de la majorité !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Ma présence au banc de la commission s'explique précisément par le règlement. Voilà pourquoi je prends la parole, malgré certaines personnes qui n'étaient pas là jusqu'à présent et qui viennent troubler le déroulement de la séance. Merci, qu'ils se taisent ! (Applaudissement sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. François Loncle. C'est faux !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Monsieur Bonrepaux, nous faisons le maximum pour être présents au banc.
    M. Augustin Bonrepaux. Il n'y avait personne...
    Mme la présidente. Monsieur Bonrepaux, s'il vous plaît.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je vous ai parfaitement écouté. Mais il se peut qu'à certains moments des obligations techniques m'amènent à m'absenter quelques secondes. Rassurez-vous néanmoins, le « Waterloo de la démocratie » de notre collègue communiste ne m'a pas échappé et je pense avoir compris l'essentiel de son propos.
    La différence ente vous et moi, monsieur Bonrepaux, c'est que j'aurais pu employer ce type d'argument à propos du renvoi en commission. Est-ce que vous comprenez ce que je veux dire ?
    M. Jean-Pierre Brard. Non !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je ne l'ai pas fait. Ayez donc la courtoisie de mettre le débat au même niveau que celui auquel j'essaie de le mettre. Voilà le rappel au règlement que je voulais faire !
    M. Jean-Pierre Brard. Il est pour le moins elliptique !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Quant à ceux qui viennent donner des leçons alors qu'ils n'ont participé à rien - ni au travail en commission, ni au travail à l'Assemblée -, soit ils rentrent chez eux, soit ils ont la courtoisie d'écouter les autres. Merci ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Augustin Bonrepaux. Ils ne comprennent rien, mais ils applaudissent ! (Protestations sur les mêmes bancs.)
    Mme la présidente. La parole est à Mme Ségolène Royal, pour un rappel au règlement.
    Mme Ségolène Royal. Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons commencer bientôt la discussion des articles. Nous sommes ensemble pour un certain nombre d'heures, de jour comme de nuit. Autant joindre l'utile à l'agréable. (Approbations sur divers bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Ma question et mon rappel au règlement vont justement porter sur le déroulement de nos débats.
    Les députés socialistes, contrairement à ce qui a été dit tout à l'heure au cours des explications de vote, ont l'intention d'exercer leurs responsabilités et ce pourquoi ils sont rémunérés par les contribuables, à savoir leur droit d'amendement.
    Nous avons cru percevoir hier une sorte de contradiction entre ce qui nous a été dit en commission des lois par le président et néanmoins rapporteur de ce texte, et par le Premier ministre à la tribune de cette assemblée,...
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. C'est ennuyeux...
    Mme Ségolène Royal. Le Premier ministre a d'ailleurs eu le tort de se fâcher à la tribune. En effet, nous sommes là pour débattre, parfois avec vivacité, pour échanger des arguments...
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Avec bonne foi, ce serait mieux !
    Mme Ségolène Royal. ... sur notre loi fondamentale. Or ce qui n'est pas rien, vous en conviendrez, monsieur le ministre et monsieur le président de la commission des lois.
    M. Clément, qui a beaucoup de qualités, dont celle de dire très directement ce qu'il a l'intention de faire, ce qui a au moins le mérite de la franchise, nous a déclaré en commission que tous les amendements étaient malvenus, y compris ceux de la majorité, que nous n'étions pas là pour tergiverser - c'est écrit dans le compte rendu de la commission -...
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je ne l'ai pas dit comme cela.
    M. François Loncle. C'était l'esprit.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Mais pas la lettre.
    Mme Ségolène Royal. ... ce qui est déjà plus étonnant s'agissant du législateur constitutionnel, et il a ajouté que l'objectif était d'aboutir à un texte voté conforme par le Sénat.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Ça, c'est sûr !
    Mme Ségolène Royal. C'est sûr, sauf qu'il existe une procédure parlementaire, en particulier la navette. Puisque vous venez de prendre la défense du Sénat en raison même de la navette, monsieur le ministre, vous souffrirez que l'Assemblée nationale souhaite elle aussi, éventuellement, faire une seconde lecture.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. C'est garanti !
    Mme Ségolène Royal. Ma question est donc simple. Est-ce que vous ferez comme au Sénat, est-ce que vous demanderez, y compris à vos amis politiques, de retirer leurs amendements ? Même s'il y a une certaine contradiction à prendre la défense du Sénat tout en lui demandant de se taire.
    M. Guy Geoffroy. Ce n'est pas un rappel au règlement !
    Mme Ségolène Royal. Est-ce que vous allez au contraire respecter le droit d'amendement de l'Assemblée, et en particulier du groupe socialiste ? En effet, contrairement à l'opposition de 1982, nous n'avons pas une attitude d'opposition systématique. Nous proposons simplement de réécrire quelques articles et, sur ces propositions, un certain nombre de républicains peuvent se retrouver. Certaines d'ailleurs - je pense par exemple à la déconcentration - ont déjà été présentées par vos amis au Sénat, même si le Gouvernement a demandé et obtenu le retrait des amendements en cause.
    Je le répète, monsieur le ministre, ma question est simple.
    M. Guy Geoffroy. Une question n'est pas un rappel au règlement !
    M. François Goulard. Surtout si elle s'adresse au ministre !
    Mme la présidente. Je vous rappelle, mes chers collègues, que ce rappel au règlement est fondé sur l'article 58.
    M. François Goulard. Le ministre n'est pas responsable du déroulement de nos débats.
    Mme Ségolène Royal. Est-ce que nous entamons nos débats sous les auspices annoncés par le président de la commission des lois, c'est-à-dire sans droit d'amendement ? Est-ce que vous allez nous dire dès le départ que tous les amendements seront refusés ? Y a-t-il un partage des rôles avec le Premier ministre ou bien pouvons-nous croire ce que le Premier ministre a dit, à savoir que les débats doivent se dérouler normalement ? Si tel est le cas, pouvez-vous nous assurer qu'il y aura une seconde lecture à l'Assemblée nationale ? Car, je vous mets en garde contre le sectarisme qui consisterait à refuser tous les amendements de l'opposition. Contrairement à ce que vous avez dit, monsieur de Courson, nous avons déposé des amendements. Nous souhaitons donc obtenir des éclaircissements. Le Gouvernement est-il prêt, oui ou non, à accepter les amendements des parlementaires, de la majorité comme de l'opposition ? (Très bien ! sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je ne veux pas, madame la présidente, alimenter la polémique, mais j'aimerais répondre en deux mots.
    Chère madame Royal, voici le compte rendu n° 11 de la commission. Si vous y trouvez les propos qui me sont prêtés, je présenterai mes excuses à l'Assemblée nationale, mais vous ne les trouverez pas.
    M. Charles de Courson. Elle invente !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Jamais je n'ai dit qu'il ne fallait pas amender et que je n'accepterais aucun amendement. Bien sûr que non ! La déclaration à laquelle vous faites référence existe. Je l'ai faite à un journal national, en amont de la discussion, en rappelant une vérité qui est pour moi une lapalissade, à savoir qu'une loi constitutionnelle doit être concise, qu'elle demande une grande exactitude de termes et que, par rapport à une loi simple, elle oblige le Parlement à moins amender. La Constitution ne saurait pas être bavarde et doit être d'une extraordinaire précision. (Applaudissement sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Quant au reste, ce que vous dites n'est pas tout à fait exact. Je conviens que peu d'amendements, quelle que soit leur origine, ont été acceptés par la commission pour la raison de principe que j'ai rappelée dans ce grand quotidien. Mais il est bien évident que cela ne met pas en cause le droit d'amendement de l'Assemblée nationale, et heureusement ! Sinon, je ne vois pas ce que je ferais à la place que j'occupe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour un rappel au règlement.
    M. René André. Sur quel article ?
    M. Jean-Pierre Brard. Je comprends qu'un député novice pose la question, mon cher collègue, mais elle est tout à fait déplacée. Mme la présidente, qui connaît parfaitement son travail, n'a même pas eu besoin de me demander le numéro de l'article parce qu'elle le connaît déjà. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Mme la présidente. Poursuivez, monsieur Brard !
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le ministre, nous discutons un texte fondamental que vous voulez faire passer à l'esbroufe. C'est pourquoi nous sommes obligés, accomplissant notre devoir, réalisant notre mandat, d'utiliser toutes les ressoures de la procédure. Votre projet est gravissime et vous le présentez comme un texte banal. Augustin Bonrepaux s'est exprimé très clairement à ce sujet et nous y reviendrons à propos de l'article 3 en particulier.
    Il ne suffit pas de s'exprimer avec le coeur, comme l'a dit le Premier ministre hier, justifiant le fait qu'il n'avait rien préparé. Il faut surtout s'exprimer avec sincérité. Vous n'êtiez pas à la commission des finances, monsieur Clément,...
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Et pour cause ! J'espère qu'on ne va pas me faire ce reproche !
    M. Jean-Pierre Brard. Non, puisque vous étiez à la commission des lois. Mais vous reprochez à l'envi aux uns et aux autres de ne pas être ici ou là, comme si vous-même aviez le don d'ubiquité, voire de « triquité ».
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Restez correct ! (Sourires.)
    M. Jean-Pierre Brard. En commission, qu'a dit notre rapporteur général ? « Ah ! cet article 3, si on avait pu s'en passer ! ». Et qu'a dit M. Méhaignerie, ou plutôt qu'a-t-il fait avec son habileté habituelle, car vous savez que le président de la commission des finances est un homme fort habile ?
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Cessez de personnaliser !
    M. Jean-Pierre Brard. S'il avait été Vénitien du temps des doges, il aurait été, à la sortie du pont des Soupirs, ce clerc qui attendait les condamnés pour leur glisser à l'oreille qu'évidemment ils n'étaient pas coupables mais qu'il leur fallait bien se soumettre et que, grâce aux derniers sacrements qu'il allait leur administrer, ils passeraient confortablement dans l'au-delà.
    M. François Goulard. On est plutôt dans le vocabulaire des purges !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. En effet !
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur Goulard, je suis sûr que vous êtes d'accord avec moi pour tracer de cette façon amicale le profil de M. Méhaignerie. (Sourires.)
    Mme la présidente. Revenons au règlement, monsieur Brard.
    M. Jean-Pierre Brard. Qu'êtes-vous en train de faire, monsieur le ministre ? Un 18 brumaire sans les uniformes ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Notre rôle, à nous, c'est d'éclairer l'opinion en allant jusqu'au fond du débat et en vous empêchant de faire adopter ce texte à l'esbroufe.
    Mais je vois que Mme Joissains-Masini, dont la culture est encyclopédique, demande à son voisin ce qu'est le 18 brumaire. (Rires sur divers bancs.)
    Mme la présidente. Monsieur Brard...
    Mme Maryse Joissains-Masini. Moi, j'ai fait mes preuves !
    M. Guy Geoffroy. Mufle !
    Mme Maryse Joissains-Masini. Mufle, c'est le mot !
    M. Jean-Pierre Brard. Nous, nous ne voulons pas d'adoption à l'esbroufe. Vous, vous voulez que l'Assemblée aille vite et que le Sénat vote conforme, au moment où vous vous apprêtez à changer l'équilibre des pouvoirs, parce que vous avez peur de l'expression populaire.
    Que le Sénat soit toujours à droite, cela ne vous suffit pas.
    M. Guy Geoffroy. Avec vous, il ne risque pas d'être à gauche !
    M. Jean-Pierre Brard. Vous voulez lui donner un droit de veto sur l'Assemblée nationale. Et le fait que le Président de la République n'ait toujours pas dit si ce texte serait soumis au référendum ou serait adopté par le Congrès en dit long sur la réalité de votre engagement démocratique.
    Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson, pour un rappel au règlement.
    M. Charles de Courson. Monsieur Brard, certains rient de vos propos concernant Pierre Méhaignerie, mais je ne crois pas que la qualité du débat gagne à ce genre d'allégation.
    Mme Ségolène Royal. Pas vous !
    M. Charles de Courson. Et la même remarque vaut pour Mme Royal, quand elle fait état de propos que ni le président de la commission des lois ni moi-même n'avons jamais tenus. Je n'ai jamais prétendu que le parti socialiste n'aurait déposé aucun amendement. Ce qui est triste avec Mme Royal, c'est qu'elle prend ses obsessions pour la réalité.
    Mme Ségolène Royal. Vous cherchez le fait personnel ?...
    M. Charles de Courson. Alors, mes chers collègues, venons-en au fond et renoncez à ces procédés qui dégradent la démocratie et font croire au pays que le Parlement ne sert plus à grand-chose.
    M. Jean-Pierre Brard. Avec votre texte, il ne servira plus à rien !
    Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Joissains-Masini.
    Pour un rappel au règlement, je suppose ?...
    M. Augustin Bonrepaux. Pour expliquer qu'elle a compris !
    Mme Maryse Joissains-Masini. Madame le président...
    M. Jean-Pierre Brard. Madame la présidente !
    Mme Maryse Joissains-Masini. Madame le président : je m'exprime comme je veux !
    M. Jean-Pierre Brard. Il n'est pas interdit de s'exprimer correctement !
    Mme Maryse Joissains-Masini. Je n'ai pas à vous suivre !
    Mme la présidente. Venez-en au fait, madame Joissains-Masini.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Madame le président, vous n'êtes pas du tout objective...
    Mme la présidente. Si, j'ai donné la parole à tous ceux qui souhaitaient faire un rappel au règlement.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Je suis désolée, mais je suis prise à partie par un très grossier personnage qui m'interpelle chaque fois que j'interviens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Arnaud Montebourg. Il faut vous y habituer !
    Mme Maryse Joissains-Masini. Je répondrai à ce très grossier personnage que je suis d'une génération où les messieurs ont un certain respect pour les dames.
    Mme la présidente. Vous visez M. Brard ?...
    Mme Maryse Joissains-Masini. Oui, vous l'avez très bien reconnu et vous savez donc qui est le grossier personnage.
    Je n'ai pas l'habitude d'être interpellée comme cela. Si ma culture n'est pas encyclopédique, je rappelle à ce monsieur que j'ai fait avancer le droit de la responsabilité dans ce pays, contre son gouvernement, sur le sang contaminé ; contre son gouvernement, sur les problèmes de l'amiante. Je n'ai peut-être pas de lettres, je n'ai peut-être pas vraiment de connaissances en matière littéraire, mais je connais parfaitement et mon boulot d'avocat, et mon boulot de maire. Je le fais toujours dans le respect des autres et ici, monsieur Brard, à l'Assemblée nationale, j'attendais un autre comportement des élus de la nation. Vous êtes un grossier personnage : je le dis, je le répète et je veux que tout le monde, dans cet hémicycle, en ait la conviction profonde. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Pierre Brard. Merci pour votre autocritique, je la considère comme l'hommage du vice à la vertu !

Discussion des articles

    Mme la présidente. J'appelle maintenant les articles du projet de loi constitutionnelle dans le texte du Sénat.

Article 1er

    Mme la présidente. « Art. 1er. - L'article 1er de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :
    « Son organisation est décentralisée. »
    Sur cet article, plusieurs orateurs sont inscrits.
    La parole est à Mme Ségolène Royal.
    Mme Ségolène Royal. Nous abordons dans un esprit serein (Sourires) la discussion des articles.
    L'article 1er de la Constitution, rappelons-le, est le pilier du consensus républicain. Il reflète, monsieur le ministre, notre tradition identificatrice : liberté, rigueur, vertu. Y toucher suppose donc un consensus républicain, un vote unanime de l'Assemblée nationale.
    Or déjà, au Sénat, vous avez été confronté à un très rude désaccord, puisque la commission des lois de la Haute assemblée avait renvoyé la formulation proposée par le Gouvernement à l'article 72 de la Constitution.
    Vous avez également été rappelé à l'ordre par l'assemblée générale du Conseil d'Etat, qui a disjoint l'article 1er du projet tendant à inscrire à l'article 1er de la Constitution le principe selon lequel l'organisation de la République est décentralisée. Cet élément central de notre loi fondamentale est traité avec une certaine désinvolture. En effet, si cette disposition était adoptée, la décentralisation serait mise sur le même plan que les grands principes de la Constitution, c'est-à-dire l'égalité, la laïcité, la démocratie ou l'indivisibilité de la République. Ce n'est pas acceptable, car cela pourrait conduire le Conseil constitutionnel à autoriser que le principe de décentralisation prévale sur les autres principes de l'article 1er. S'il s'agit simplement d'évoquer la libre administration des collectivités locales, le Conseil d'Etat vous a rappelé que ce principe figure déjà aux articles 34 et 72 de la Constitution. S'il s'agit d'opposer un Etat unitaire décentralisé à l'Etat fédéral, le Conseil a estimé que le silence du texte constitutionnel convient sans doute mieux à la situation actuelle de certaines collectivités d'outre-mer, dont les prérogatives vont au-delà de celles d'une collectivité décentralisée.
    Nous voulons que vous nous répondiez sur ces points fondamentaux, au sujet desquels nous proposons bien sûr d'autres rédactions, puisque nous sommes, vous le savez, décentralisateurs. Nous avons été éclairés par les débats du Sénat, où il a été suggéré d'ajouter le mot « territoriale » au mot « organisation », ce qui serait déjà plus conforme à l'objectif recherché. Mais s'il s'agit de l'organisation territoriale, cette formule n'a plus sa place à l'article 1er, article fondateur de notre République. Par conséquent, nous souhaitons que des réponses de fond soient apportées à ces objections, puisqu'il s'agit d'une mutation très importante de notre loi fondamentale. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme la présidente. La parole est à M. François Goulard.
    M. François Goulard. C'est en effet le principe même de la décentralisation qui est en cause à l'article 1er du projet de loi. Et contrairement aux déclarations que nous avons entendues hier et ce matin, je ne pense pas que l'opposition socialiste, et encore moins communiste, soit réellement décentralisatrice. Je crois, mes chers collègues de gauche, que votre passion de l'uniformité vous empêche d'accepter vraiment que l'organisation de la République laisse la place à l'initiative et à la liberté locales.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Certainement !
    M. Philippe Vuilque. Caricature !
    M. François Goulard. Mais sans doute êtes-vous déchirés parce qu'en tant qu'élus locaux, vous êtes comme nous tous confrontés aux absurdités de la centralisation, à cet état d'infantilisation dans lequel nous avons quelquefois le sentiment d'être maintenus du fait d'une tutelle encore prééminente et certainement trop lourde. Certains sentiments nous sont donc communs mais, sur le fond, vos idées vous éloignent de la République décentralisée que nous voulons.
    Le débat que nous abordons est fondamental pour l'avenir de nos institutions. Il est parfaitement légitime d'inscrire dans la loi fondamentale quelle est la forme de notre République et quelle est la modalité de l'organisation des pouvoirs publics. Cette modalité, c'est la décentralisation.
    Au moment où commence la phase, sans doute longue, de l'examen des articles, je tiens à vous dire, monsieur le ministre, quel prix consirérable nous attachons aux réformes en cours. Si l'accroissement des pouvoirs locaux est notre préoccupation commune, il a son pendant nécessaire : il faut corrélativement réduire les services de l'Etat et diminuer les pouvoirs de ses fonctionnaires dans nombre de domaines. Il est essentiel que la réforme de l'Etat accompagne la réforme de la décentralisation.
    Sur un point particulier qui me tient à coeur - et je ne suis pas le seul de ce côté de l'hémicycle - j'estime indispensable que des évolutions concrètes nous montrent que l'on fait vraiment confiance aux collectivités locales pour gérer certaines matières. Pour résumer, la décentralisation de 1982-1983 a surtout permis aux collectivités de dépenser, mais nettement moins de décider. Ainsi, la formation professionnelle est une compétence reconnue des régions mais, dans le même temps, l'Etat conserve ses services extérieurs et maintient une réglementation extraordinairement vétilleuse, au point que les régions, plus qu'un pouvoir de décision, ont un pouvoir de dépenser, ce qui est utile, mais ce qui n'est pas tout.
    La conception du contrôle de légalité me semble un autre point essentiel. Les uns et les autres, en tant que responsables de collectivités locales, nous sommes assez souvent agacés par la manière dont ce contrôle est exercé par les services de l'Etat. Il y a là un formidable gaspillage d'énergie. Dans chaque département, des dizaines de fonctionnaires, généralement de haut niveau, se consacrent à examiner tous les actes des collectivités locales, tandis que, dans nos collectivités, nous passons beaucoup de temps et dépensons beaucoup d'énergie à répondre à des observations qui sont, pour l'essentiel, d'une importance très subalterne.
    Monsieur le ministre, faute d'évolution sensible dans la manière dont l'Etat se comporte à l'égard des collectivités locales, en maintenant une tutelle prétendument abolie depuis une vingtaine d'années, il n'y aura pas, dans la réalité, une véritable décentralisation telle que nous la concevons. Notre attente ne concerne pas exclusivement les compétences des collectivités territoriales, elle est au moins aussi forte sur la réforme de l'Etat et de son comportement à l'égard des collectivités. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Mme la présidente. La parole est à M. Victorien Lurel.
    M. Victorin Lurel. Cet article 1er forge l'identité de la République. Elle est indivisible. Elle est égalitaire. Elle est unitaire. Cela ne se discute pas, mais il me semble qu'une dialectique peut être trouvée entre l'unité, l'égalité et la diversité.
    Regardez-moi : je suis Français et je me sens Français ; je vis la culture française. J'ai été élevé dans l'universalité avec tout ce que cela implique comme valeurs. Pourtant il y a des différences.
    J'ai l'impression qu'il ne faut pas laisser aux seules instances décentralisées le soin de défendre la diversité. La loi fondamentale, la norme suprême devrait pouvoir intégrer cette dimension. Or tel n'est pas le cas actuellement. J'ai déjà souligné, dans la discussion générale que si la France était un pays d'égalité, un pays d'unité, sa population était néanmoins composite. J'aimerais que cela apparaisse dans l'article 1er.
    Nombre de collègues avec lesquels j'ai eu l'occasion de discuter reconnaissent que la République est unitaire et diverse. Pour autant nous ne sommes pas pour une unité qui sombrerait dans l'uniformité. Bien au contraire nous voudrions que cette dimension soit mieux respectée tant au niveau suprême qu'au niveau décentralisé.
    Au même titre que l'on a trouvé, il y a longtemps, le moyen de faire cohabiter dans la cohérence les religions et cette arme qu'est la laïcité, on doit pouvoir établir un équilibre optimal entre l'unité et la différence, entre l'identité et l'altérité, entre l'universalité et la diversité. C'est la raison pour laquelle je tiens absolument à ce que nous en discutions à la faveur de ce débat.
    En effet, s'il fleurit souvent dans la presse je peux vous assurer - pour avoir suivi vos débats avant d'être élu ici - que l'Assemblée nationale n'évoque presque jamais ces questions parce qu'on en a peur. Il semble que ce spectre du fédéralisme ou de la sociologie américaine, affirmative action, les discriminations positives, les quotas et autres contingents nous effraient. Or je suis persuadé que la République peut soutenir ce débat. Trouvez donc un bon équilibre entre l'égalité et la diversité.
    Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Vuilque.
    M. Philippe Vuilque. Monsieur le garde des sceaux, cet article 1er est l'un des plus importants, voire l'article essentiel de votre projet de loi constitutionnel puisqu'il traduit votre volonté politique d'introduire le principe de la décentralisation dans la Constitution.
    Vous n'avez pas choisi d'introduire ce principe n'importe où puisque vous voulez l'inscrire dans l'article 1er de notre loi fondamentale, texte dont tous les termes sont extrêmement importants. Je le rappelle : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »
    La rédaction de cet article est le fruit de toute notre histoire politique. Elle trouve sa source dans l'universalisme des Lumières, dans la Révolution de 1789 et dans celle de 1848, dans la Commune, dans la Libération avec les principes réaffirmés par les constituants de 1946. Il est le produit du mouvement de l'histoire qui a consacré la liberté, la laïcité et qui a fondé notre citoyenneté. Il s'agit d'un texte fort, qui a une grandeur, une noblesse, une solennité républicaine.
    Votre intention d'inscrire la décentralisation dans la Constitution est louable, mais vous auriez pu faire attention à la manière dont vous l'introduisez. Je vous fais d'ailleurs remarquer qu'elle figure déjà aux articles 34 et 72 de la Constitution, en tant que principe de libre administration des collectivités locales, ce qu'a rappelé Ségolène Royal, et ce qui a été utilement souligné par le Conseil d'Etat.
    Ensuite, si la décentralisation est un principe relatif à l'organisation de notre pays, vous conviendrez qu'il n'est pas de même portée solennelle et historique que ceux que je viens de rappeler et qui figurent déjà dans l'article 1er.
    Elever au rang de ce principe d'organisation ceux d'indivisibilité, de laïcité, de démocratie et d'égalité, c'est dévaloriser nos principes fondamentaux, c'est aussi introduire une incertitude juridique dangereuse. En effet, cette rédaction pourrait conduire le Conseil constitutionnel à accepter que le principe de décentralisation prévale sur les autres principes affirmés à l'article 1er. C'est un danger réel et il ne serait pas acceptable que l'organisation décentralisée se fasse, notamment, au détriment du principe d'égalité.
    Imaginez demain qu'une décision remette en cause la laïcité et le principe de neutralité et d'égalité en matière d'enseignement, par exemple. Mme Royale en a parlé lors de la défense de l'exception d'irrecevabilité en faisant référence à la loi Falloux sur l'enseignement privé. Quels principes privilégiera le Conseil constitutionnel ? Ceux de laïcité et d'égalité ou celui de décentralisation protégeant la libre administration des collectivités locales ?
    Le risque n'est pas nul, car on ne sait jamais ce qui peut se passer. Cette rédaction est donc pour le moins hasardeuse puisque le juge constitutionnel va devoir hiérarchiser les principes constitutionnels.
    Ensuite cet article est mal rédigé parce qu'il est impossible de considérer que l'organisation de la République doit être dans sa totalité, décentralisée. En effet le Gouvernement, le Parlement, l'organisation judiciaire, le Président de la République, qui font tous partie de la République, ne sont pas décentralisés pour autant. Il en va de même pour l'Etat, dont l'organisation territoriale procède de la déconcentration et non de la décentralisation.
    Par ailleurs, le terme « décentraliser » implique une action. Si on l'inscrit dans la Constitution, cela signifie que l'on doit en permanence décentraliser. Cette rédaction n'est pas correcte et doit donc être revue entièrement.
    Si l'on souhaite consacrer pleinement l'organisation territoriale, décentraliser donc notre République, alors il faut rappeler que la décentralisation doit aller de pair avec l'égalité des citoyens devant le service public et l'indivisibilité de notre République. C'est le sens et le contenu de l'amendement que nous proposerons et que nous défendrons. Vous seriez bien inspiré, monsieur le ministre, de l'accepter, parce que l'on ne peut pas jouer, comme vous le faites, avec les principes fondamentaux de notre Constitution.
    La rédaction maladroite de cet article, comme l'a excellemment souligné Jean-Jack Queyranne, banalise la réforme constitutionnelle et fragilise notre Etat de droit. Je vous prends au mot, monsieur Clément, puisque vous avez souligné que, pour réformer la Constitution, il fallait une grande précision de termes. Eh bien, nous sommes d'accord avec vous : acceptez notre amendement parce que je crois qu'il bonifie ce texte constitutionnel.
    M. Jean-Jack Queyranne. Très bien !
    Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Balligand.
    M. Jean-Pierre Balligand. Je ne reprendrai pas les propos de Philippe Vuilque, ni ce que plusieurs collègues et moi-même avons dit hier à propos de l'article 1er. Votre attention a été appelée sur le risque de télescopage de normes que provoquera l'introduction, dans la Constitution, du principe selon lequel l'organisation de la République est décentralisée. Si la seule affirmation de ce principe ne pose pas de problème, son inscription au même rang que l'indivisibilité de la République, la laïcité et l'égalité est dangeureuse.
    L'histoire constitutionnelle est une évolution, comme la décentralisation elle-même, comme toute vie juridique et politique. Ainsi, à tout moment peut se produire un risque de télescopage entre les normes, nécessitant alors une interprétation, voire une hiérarchisation entre elles.
    Il faut donc faire très attention de ne pas diluer à l'excès le corpus même des valeurs fondamentales de notre République.
    Parler de son organisation est une autre chose, et je voudrais aborder brièvement ce sujet, puisque l'occasion ne s'en présentera plus lors de l'examen des autres articles.
    Après vingt ans de décentralisation, on peut constater que les élus locaux sont plus libres puisque le contrôle a priori a disparu. Cela ne signifie pas que le contrôle a posteriori soit toujours un cadeau, mais il est clair que la liberté doit avoir comme contrepoids un contrôle financier et un contrôle a posteriori. Je suis en effet de ceux qui pensent que, malgré les inconvénients, il est bon qu'il y ait des contrôles, contreparties indispensables à la liberté.
    Tel est donc le premier avantage dont ont bénéficié toutes les collectivités, d'abord les communes. Un bref regard en arrière montre d'ailleurs que ces dernières n'ont de réels pouvoirs qu'en matière d'urbanisme, et encore à condition d'avoir élaboré un plan d'occupation des sols.
    La décentralisation a vingt ans. Le débat à son sujet, en 1979 et 1980, lors de la préparation des textes, opposait, au sein du parti socialiste, les régionalistes - Gaston Defferre et Pierre Mauroy notamment - et les départementalistes,...
    M. Charles de Courson. François Mitterrand !
    M. Jean-Pierre Balligand. ... Louis Mermaz, mais aussi celui qui allait devenir le président de la République : François Mitterrand. Ces derniers ayant pu faire prévaloir leurs thèses, les départements ont été privilégiés. Il est donc vite apparu, après dix ans de décentralisation - et cela est encore plus clair maintenant - que le grand vainqueur de la décentralisation de 1982-1983 en matière de transfert de compétences a été le conseil général. J'y reviendrai en abordant ultérieurement la notion de pouvoir.
    Au contraire, je le rappelle, la région n'était encore qu'un établissement public dans les lois de 1982. Elle n'avait pas été élevée au rang de collectivité territoriale. Cela ne sera le cas qu'à partir de la loi de 1985. Elle n'avait donc reçu que peu de pouvoirs : les lycées, l'aménagement du territoire et la définition de quelques normes. A son niveau il n'y a donc pas eu d'avancées réelles en termes de décentralisation. (Exclamations sur divers bancs.)
    Mme la présidente. J'ai déjà demandé que les portables soient coupés ! C'est la moindre des choses pour le respect de l'Assemblée !
    M. Jean-Pierre Balligand. Aujourd'hui, on veut rapprocher les citoyens de la décision. A cet égard, il reste encore un long chemin à parcourir en matière de décentralisation. Si nos collègues ne se préoccupent pas de leur seul pouvoir, mais des citoyens, ils pourront se joindre à moi pour lancer un appel à la refondation dans notre pays, car, compte tenu des dernières élections, notamment des résultats du premier tour de la présidentielle, nous ferions bien de nous interroger, quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons, sur la citoyenneté.
    M. Charles de Courson. Eh oui !
    M. Jean-Pierre Balligand. Dans cette optique, la seule ligne de conduite que nous devons suivre est celle de la « lisibilité citoyenne » afin que les citoyens comprennent qui fait quoi.
    Mme la présidente. Monsieur Balligand, concluez.
    M. Jean-Pierre Balligand Tout ce qui aboutit à complexifier, et non pas à clarifier les compétences des collectivités est absolument catastrophique. Or je crains que ce texte ne soit porteur d'ambiguïté et de confusion au lieu de clarifier les compétences.
    Telles sont les observations que je voulais formuler sur l'article 1er qui pose un problème grave. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme la présidente. Je réitère ma demande ! Eteignez vos téléphones portables !
    La parole est à M. René Dosière.
    M. René Dosière. Monsieur le ministre, vous voudrez bien excuser le caractère quelque peu répétitif de certaines observations, mais c'est un peu la loi du genre. Au demeurant, chacun le fait avec son style et ses formulations. Cela contredit d'ailleurs l'accusation de voix unique que vous avez semblé adresser au parti socialiste.
    La lecture attentive tant des rapports du Sénat et de l'Assemblée que des débats du Sénat me conduit à penser que vous devez préciser votre position quant au contenu de cet article 1er, en particulier lorsque nous examinerons les amendements que nous avons déposés sur ce texte.
    En effet, proposer d'inscrire dans l'article 1er de la Constitution, dont on a rappelé le contenu actuel, que l'organisation de la République est décentralisée me paraît ambigu et dangereux. En effet, la manière dont cela est écrit renvoie à la République dans son ensemble. Or font partie de la République le Président de la République, le Parlement, l'organisation judiciaire. Quelqu'un peut-il m'expliquer ce qu'est l'organisation décentralisée de la Cour de cassation ?
    M. Arnaud Montebourg. Absolument !
    M. René Dosière. Qu'est-ce qu'un Président de la République décentralisé ? Qu'est-ce qu'un Parlement décentralisé ?
    M. Augustin Bonrepaux. Voilà !
    M. Jean-Pierre Balligand. Eh, oui ! C'est le bon sens !
    M. René Dosière. On peut être, comme je le suis, comme nous le sommes au parti socialiste, partisans de la décentralisation sans pour autant vouloir que toute l'organisation de la République soit décentralisée.
    En réalité - je pense que vous le savez - cela vise l'organisation territoriale de la République. La commission des lois du Sénat l'avait d'ailleurs compris aussi puisqu'elle avait adopté un amendement qui ajoutait le mot « territoriale ». Malheureusement elle l'a retiré, sans doute devant la volonté du Gouvernement qui ne voulait pas mettre en cause une expression qui paraît plus symbolique qu'autre chose.
    Dans ces conditions - et si c'est vraiment l'organisation territoriale qui est décentralisée - cette formule doit figurer non pas dans l'article 1er mais dans le titre XIII de la Constitution relatif aux collectivités territoriales. En effet, le maintien de cette formule à l'article 1er serait dangereux car cela donnerait au Conseil constitutionnel un pouvoir d'interprétation souverain, faute pour le Parlement d'avoir clarifié sa position. Or ce dernier n'a pas à se dessaisir de son pouvoir au profit d'une institution respectable mais tout de même éminemment politique, comme on l'a vu à propos de la Nouvelle-Calédonie. Nous en reparlerons.
    Dans une République une et indivisible, fondée sur le principe d'égalité - c'est le texte de la Constitution - que signifie « organisation décentralisée de la République » ? S'agit-il d'une mesure d'organisation administrative, comme le Gouvernement l'indique dans l'exposé des motifs et comme le proposait l'amendement de la commission des lois du Sénat en parlant « d'organisation territoriale » ? Ou bien, s'agit-il, d'un principe général comme l'expliquent d'ailleurs dans leurs rapports tant le président de la commission des lois du Sénat que celui de l'Assemblée, M. Clément, qui écrit que : « sur le plan juridique, l'inscription de ce principe ne devrait pas rester sans effet sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel...
    M. Jean-Pierre Balligand. Bien sûr !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. C'est bien pour cela qu'on le fait !
    M. René Dosière. ... qui devra le prendre en compte au même titre que l'indivisibilité de la République et l'égalité des citoyens devant la loi. » ?
    Le président du Sénat a parlé d'assouplir la jurisprudence. Or cela n'a pas le même sens selon que l'on considère que c'est un principe d'organisation administrative ou que l'on veut confier au Conseil constitutionnel le soin de juger de l'organisation décentralisée au même titre que de l'indivisibilité de la République et de l'égalité des citoyens. Ce sujet est suffisamment grave pour que nous connaissions exactement le sens de ce que nous allons voter.
    Comme il existe une certaine contradiction entre ce que le Gouvernement dit dans son exposé des motifs et ce que le président de la commission des lois écrit dans son rapport, il est important, au moins pour que le juge constitutionnel puisse mieux fonder une éventuelle décision, que nous sachions exactement ce que le Gouvernement a en vue, compte tenu de la rédaction proposée. Nous avons de fortes craintes, et, monsieur le ministre, j'espère que vous serez sensible aux amendements que nous avons déposés afin d'améliorer ce texte et d'éviter toute ambiguïté. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme la présidente. La parole est à M. Augustin Bonrepaux.
    M. Augustin Bonrepaux. René Dosière vient de souligner toute l'attention que nous devons apporter à la rédaction de ce texte, et je regrette que les arguments qui nous ont été opposés n'aient pas été plus sérieux.
    Nous sommes favorables à la décentralisation, mais pas à n'importe quelle décentralisation. Quand on modifie la Constitution, il faut en mesurer les conséquences et éviter de se dessaisir du pouvoir : si tel était le cas, c'est le pouvoir du peuple que nous abandonnerions. Et nous le laisserions entre les mains des juges ! Ce n'est pas, me semble-t-il, ce que vous voulez !
    Il nous faut donc être très attentifs à la rédaction du texte. Comme nous sommes décentralisateurs, nous proposons des améliorations, des précisions, pour que chaque mot corresponde à une chose précise et ne puisse faire l'objet d'une appréciation du Conseil constitutionnel. J'ai souligné les risques qu'introduisaient un certain nombre de mots trop peu précis. Malheureusement, je n'ai pour l'instant pas eu de réponse à ce sujet !
    Nous n'avons pas entendu le président de la commission saisie au fond et il est encore absent en ce moment !... Franchement, on peut se poser des questions sur les conditions dans lesquelles se déroule ce débat !
    Le rapporteur de la commission des finances a fait, je le répète, un excellent rapport. Eh bien, inspirez vous-en ! Organisez une rencontre entre la commission des finances et la commission saisie au fond, pour mesurer exactement la portée du texte, car nous allons au-devant de nombreux déboires. Non seulement vous dessaisissez l'Assemblée nationale au profit du Sénat, mais vous allez donner au juge constitutionnel un pouvoir d'interprétation sur tout ce qu'elle fera. Nous ne pouvons l'accepter. Il faudra donc préciser le sens de chaque mot.
    Nous nous demandons également pour quelles raisons, alors que vous vous déclarez favorables à l'intercommunalité, vous ne voulez pas l'inscrire dans cette loi. Je reviendrai à cet égard, monsieur le ministre, sur ce que vous avez dit de la péréquation. Quand le Gouvernement cite des choses, il faut qu'elles soient exactes. Il ne faut pas les déformer. Quand je dis qu'il y a un recul sur la péréquation aujourd'hui, je sais de quoi je parle, et les chiffres et les faits me donnent raison. Vous ne pouvez pas vous dire favorables à l'intercommunalité et laisser la majorité de cette assemblée réduire la progression de celle-ci.
    Comme il y a des mots très importants, il y a également des articles très importants sur lesquels nous insisterons, parce que nous voulons, nous, que la Constitution exprime exactement ce que nous souhaitons en fait de décentralisation.
    Mme la présidente. La parole et à M. Emile Zuccarelli.
    M. Emile Zuccarelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est une affaire entendue, tout le monde ici est partisan de la décentralisation, aussi bien ceux qui ont soutenu dès l'origine la démarche de Pierre Mauroy et de Gaston Defferre que ceux qui, au fil des vingt années écoulées se sont progressivement convaincus de sa pertinence. Certains affichent même, je dirai, la foi et l'ardeur du néophyte. Et j'ai vu des doigts pointer dans la direction de l'opposition pour l'accuser d'une certaine tiédeur alors qu'il ne s'agit pour elle que de discuter et d'examiner avec le sérieux qui convient un texte constitutionnel.
    Une deuxième étape de la décentralisation était nécessaire et attendue. Permettez-moi à ce sujet une parenthèse : il serait injuste de dire, comme je l'ai entendu, que dans l'intervalle rien n'a été fait. Il me suffira, pour s'en convaincre, de citer les lois sur l'intercommunalité de MM. Joxe et Marchand et les lois Chevènement sur les communautés d'agglomération ou de communes. De plus, la Corse, à titre expérimental ou de précurseur, a vu sa collectivité territoriale hériter de compétences nombreuses et importantes, transférées de l'Etat dans le cadre de la Constitution actuelle. Et si le juge constitutionnel, en application de la Constitution actuelle, a censuré certaines dispositions, il n'y a pas dans les cas d'espèce, lieu de le regretter. En tout cas, pour ce qui me concerne, je ne le regrette pas.
    Mais vous avez choisi, monsieur le ministre, d'inscrire cette deuxième étape dans une réforme de la Constitution pour lui donner plus de solennité, plus de souffle et, selon vous, plus de cohérence. Je respecte votre choix d'autant plus qu'il est assorti dans les discours de présentation, d'affirmations qui se veulent rassurantes de fidélité aux principes républicains : unité de la Nation, laïcité, égalité des citoyens devant la loi, solidarité et péréquation notamment.
    Au surplus, le texte qui nous est présenté ne fait pas un sort particulier à la Corse, comme nous pouvions le redouter au regard de certains discours passés et mêmes récents.
    Je devrais donc me tenir pour content. Mais - car il y a un mais ! - nous traitons de la Constitution, de notre loi fondamentale. Et j'ai la faiblesse de penser que ce n'est pas se poser en adversaire de la décentralisation que de considérer qu'un examen attentif s'impose pour éviter qu'au détour d'une phrase des éléments ne s'introduisent qui contredisent les principes proclamés plus haut ou, par leur imprécision ne préparent une dispersion des situations contraire à l'objectif de cohérence auquel, le Premier ministre a dit hier, du haut de la tribune de notre assemblée, tenir autant qu'à celui de proximité.
    Ce risque, nous aurons, au fil de l'examen des articles et des amendements, l'occasion de l'illustrer.
    Mais voilà que, dès l'article 1er, le caractère imprécis du texte apparaît.
    La rédaction actuelle de l'article 1er de la Constitution est la suivante : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » Voilà un énoncé de principes clairs, forts et, si j'ose dire, éternels.
    Vous proposez d'y ajouter : « Son organisation est décentralisée. » Cette phrase n'est pas du même niveau. Nombre de nos collègues ont déjà relevé cette hétérogénéité et mis en garde contre les conflits de normes qui risquent d'en découler.
    Je vais ouvrir une nouvelle parenthèse. A plusieurs reprises, monsieur le ministre - et le rapporteur a abondé dans votre sens -, vous avez déclaré incohérente la demande faite par l'opposition de connaître avant de se prononcer les projets de loi organique et les projets de loi. Vous aviez raison mais c'est de votre faute puisque vous mettez dans la Constitution une considération qui relève de lois organiques ou de lois ordinaires ! Votre texte non seulement est « bavard », mais surtout, il est hétérogène.
    Vous voulez afficher votre volonté de promouvoir la décentralisation. Je le comprends d'autant plus que cette volonté, nous la partageons. Mais cet affichage de volonté a un caractère conjoncturel et le fait de l'inscrire dans la Constitution risque de remettre en cause la pérennité de celle-ci.
    Et, pour faire bonne mesure, vous introduisez un adjectif, « décentralisé », dont le sens n'est pas juridiquement défini.
    Mme la présidente. Je vous demanderai de bien vouloir conclure, monsieur Zuccarelli.
    M. Emile Zuccarelli. Madame la présidente, j'ai presque terminé. Depuis le début du débat, je n'ai pas abusé de mon temps de parole.
    Mme la présidente. Je le reconnais bien volontiers, mais il est de ma responsabilité de faire respecter les temps de parole, monsieur Zuccarelli.
    M. Emile Zuccarelli. Vous devez faire respecter l'organisation du débat par groupe, organisation qui, elle, n'est pas inscrite dans la Constitution, que je sache, et je ne pense pas qu'un député non inscrit soit moins représentatif que les députés membres d'un groupe.
    M. Francis Delattre. Tout à fait !
    M. Emile Zuccarelli. Je vous demanderai donc de bien vouloir m'accorder un peu de temps pour conclure.
    Clemenceau disait un jour à un jeune journaliste : « Si je vois un adjectif dans votre texte, je barre, si je vois un adverbe, je vous retourne le tout. » Monsieur le ministre, n'introduisez pas d'adjectifs dans la Constitution sans nécessité. Ils sont toujours sources d'imprécision et facteurs de divergences ultérieures. Et n'oublions pas qu'il s'agit de notre charte commune et consensuelle.
    Vous rencontrerez plus loin dans votre texte des difficultés similaires. Ainsi, à l'article 6, nous aurons à nous prononcer afin de savoir si les recettes doivent représenter une part « prépondérante », « déterminante », ou « principale », des ressources des collectivités. Vous êtes conscients des difficultés que certaines licences sémantiques peuvent introduire dans un texte fondamental. Je vous souhaite bien du plaisir et vous laisse apprécier la stabilité future de l'appréciation de ces termes par les juges, qu'ils soient de l'ordre judiciaire, administratif ou constitutionnel.
    Pour toutes ces raisons, l'article 1er me semble devoir être supprimé.
    Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Montebourg.
    M. Arnaud Montebourg. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous discutons d'une question fondamentale, à savoir de la hiérarchie qui existe entre des principes fondamentaux, socles du consensus politique républicain, du contrat républicain, et un mode d'organisation. Lorsqu'on met à égalité les deux, non seulement on élève au rang de principe un mode d'organisation - qui n'en est pas un par sa nature même - mais encore on affaiblit lesdits principes.
    En réponse à Augustin Bonrepaux, le président de la commission des lois a déclaré que cette décision était parfaitement volontaire. Il a dit, en toute sincérité, que cela était fait pour permettre au juge constitutionnel d'inverser les valeurs et de considérer que, parfois, le principe d'égalité peut céder devant le principe d'organisation décentralisée de la nouvelle République.
    Si l'ensemble des institutions de la République peuvent être décentralisées, on peut, comme l'a fait René Dosière, par extrapolation et en poussant le raisonnement jusqu'à l'absurde envisager que le Président de la République soit lui-même décentralisé. D'ailleurs, Jean-Pierre Balligand, qui fut président de conseil général comme l'est actuellement le président de la commission des lois, a fait remarquer que le président de la République décentralisé est le président du conseil général.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Nous quittons la sphère du bon sens.
    M. Arnaud Montebourg. Par cette remarque humoristique...
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je suis heureux d'entendre qu'il s'agit d'humour !
    M. Arnaud Montebourg. Bien sûr, Jean-Pierre Balligand a beaucoup d'humour et il est parfois utile de le reconnaître.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Lui n'a pas dit que c'était de l'humour ! Ça me rassure de vous l'entendre dire !
    M. Arnaud Montebourg. Par cette remarque humoristique, René Dosière voulait montrer que certaines institutions qui relèvent de la Constitution pouvaient faire l'objet d'un émiettement, d'un éclatement. En suivant le même raisonnement, on en vient, puisqu'il sera possible en quelque sorte de construire des parlements locaux - à partir de nos actuels conseils régionaux ou conseils généraux, par exemple - à aborder la question de la loi locale.
    Cette organisation fédérale de type embryonnaire me fait un peu penser à ce que déclarait tout à l'heure notre honorable collègue de la majorité, François Goulard. Selon lui, il faut interpréter cette exigence constitutionnelle des constituants que nous sommes comme l'expression du désir que nous avons depuis longtemps de satisfaire un peu moins les exigences de la tutelle et un peu plus les choix politiques des collectivités décentralisées. Cela signifie en fait l'affaiblissement de la loi nationale, discutée et votée dans un lieu unique, celui de la délibération nationale, et ne souffrant aucun émiettement. Elle devrait finalement céder le pas devant des désirs et des expressions politiques, qui, quoique légitimes, et démocratiquement sanctionnés, n'en sont pas moins locaux.
    Ce choix est fondamental. Il n'est d'ailleurs pas assumé sur le plan politique de façon tout à fait nette. Il est au contraire très ambigu et sournois.
    M. Jean-Pierre Balligand. Tout le texte est ambigu.
    M. Arnaud Montebourg. D'ailleurs, les sénateurs eux-mêmes, alors qu'ils sont de même sensibilité que vous, ont fait la même observation. Par conséquent, il est important puisque le Conseil constitutionnel se référera aux travaux préparatoires qui auront conduit au vote de la loi, de bien préciser qu'il n'y a pas de consensus politique sur cette question. Il y a même une opposition radicale de la part des députés socialistes. Il n'est pas possible d'accepter que soient mis sur le même pied d'égalité un principe et un mode d'organisation. De là découlera une autre manière de concevoir les décisions locales ! De là naîtra finalement de manière implicite et sournoise une sorte de parlementarisme local. Je prends cet exemple. Mais je pourrais en trouver beaucoup d'autres. Cela affectera tous les domaines.
    Il est assez paradoxal de votre part d'ailleurs - je vous prie de me pardonner de terminer par ce trait un peu ironique - de vouloir tant donner au Sénat et de ne pas prendre en compte ses analyses, qui concordent avec les nôtres.
    M. Jean-Pierre Balligand. Très bien !
    Mme la présidente. La parole est à M. Paul Giacobbi.
    M. Paul Giacobbi. Je suis satisfait de constater que nous entrons enfin dans un débat juridique. J'étais, jusqu'à présent, très gêné par la légèreté du débat, dont le ton n'avait pas jusqu'ici été ce qu'il aurait dû être.
    M. Charles de Courson. Très bien !
    M. Paul Giacobbi. On a évoqué beaucoup de concepts, sans toujours les connaître. On a parlé de fédéralisme, mais je crois qu'il faudrait approfondir la question. Nous avons attendu longtemps avant que l'on commence à avancer des notions du droit constitutionnel moderne, et je remercie M. Lurel d'avoir parlé de la discrimination positive. Ce n'est pas un épouvantail. Cette notion est prise en compte dans un certain nombre de nos juridictions, y compris le Conseil constitutionnel.
    On a dit qu'en cent jours on ne faisait pas une constitution. J'ai le regret de m'élever en faux contre cette affirmation. L'Acte additionnel aux Constitutions de l'Empire, qui est la première constitution avec laquelle nous pourrions trouver une filiation, a été rédigé en cent jours. Il est vrai qu'il l'a été par Benjamin Constant de Rebecque, ce qui, sur le plan littéraire et sur le plan juridique, nous élève un peu. (Sourires.)
    Quant à la rédaction de l'article 1er, je dois dire que le sens va peu à peu se perdre et se détériorer. Au lieu de dire que c'est la France qui est décentralisée, on commence, par un petit glissement sémantique, par dire que c'est son organisation qui est décentralisée. Mais, à la fin, quand on aura voté cette révision, et quel que soit le sort que nous ferons à l'article 1er, qu'il soit supprimé, ou qu'on lui ajoute des excroissances, les commentateurs diront que, maintenant la France est une République unitaire et décentralisée. Un point c'est tout ! Que l'on précise « organisation territoriale », ne change pas grand-chose. Quant à la notion d'organisation déconcentrée, cela reviendrait à introduire dans la Constitution non plus des dispositions de caractère législatif ou constitutionnel, mais réglementaire. En effet, le fait pour un ministre de déléguer des pouvoirs à un préfet n'est pas, que je sache, constitutionnel ! Bonté divine, il faudrait quand même revenir à des concepts de base.
    M. Charles de Courson. Ce n'est même pas législatif.
    M. Paul Giacobbi. Ce n'est même pas législatif ! Alors, de grâce, ne le mettons pas dans la Constitution, d'autant plus que c'est parfaitement antidémocratique. Conférer à une institution, fût-elle citée dans la Constitution, telle que le préfet, un pouvoir de nature constitutionnelle, et donc échappant au contrôle du Parlement, me paraît extrêmement choquant.
    Mes chers collègues, de deux choses l'une : ou bien c'est un principe fondateur que l'on met en avant aujourd'hui, et alors, il faut insérer dans la Constitution que la République est décentralisée, ou bien on est incapable de se mettre d'accord sur la portée de ce que l'on veut, et alors, là, franchement, mieux vaut ne rien écrire !
    M. Jean-Jack Queyranne. C'est vraiment le cas !
    M. Paul Giacobbi. Et cela semble vraiment être le cas.
    M. Arnaud Montebourg. D'autant que tout a déjà été écrit ailleurs !
    M. Paul Giacobbi. Ce qu'il faut éviter à tout prix, c'est - je vous prie d'excuser l'expression - « la bouillie pour les chats ». Sinon, à la fin, personne ne comprendra rien et les tribunaux non plus. Le Conseil constitutionnel n'en fera alors qu'à sa tête, et nous aurons finalement perdu notre temps. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Jack Queyranne. C'est sûr ! C'est ça le risque !
    M. Guy Geoffroy. Qu'est-ce que tout ça veut dire ?
    Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.
    M. André Chassaigne. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, l'appréciation que je vais donner vaut, bien entendu, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains. Cette affaire est d'une extrême gravité, dans la mesure où l'on touche aux valeurs fondamentales de la République. Et quand on sait que cet ajout a été décidé très rapidement, à la sortie, je crois, d'un conseil des ministres, on se demande si le Gouvernement est conscient de ce que représente l'article 1er de la Constitution.
    Cet article 1er, qui énumère les principes fondateurs de la République, j'en rappelle les termes, même si d'autres intervenants l'ont fait avant moi, parce que je crois qu'il est d'une extrême importance : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »
    Si cet article est fondamental, c'est parce qu'il édicte les grands principes politiques et philosophiques qui fondent l'identité de la nation française. Y ajouter, comme vous le faites, une qualification concernant son « organisation décentralisée » paraît de toute évidence, et pour le moins, déplacé. La décentralisation est un principe d'organisation administrative, parfaitement légitime à nos yeux, mais qui ne peut revêtir la même valeur, la même force que les principes fondamentaux de la République, qui fondent le contrat politique et social entre les citoyens.
    M. Arnaud Montebourg. Très bien !
    M. André Chassaigne. D'ailleurs, vous le savez tous, le Conseil d'Etat,...
    M. Charles de Courson. Très centralisateur !
    M. André Chassaigne. ... dans l'avis qu'il a rendu concernant ce projet de loi constitutionnelle - avis qui n'a pas reçu toute la publicité qu'il méritait d'avoir -, a clairement indiqué qu'en tant que processus d'évolution de l'organisation administrative d'un Etat, la décentralisation n'avait pas sa place dès le premier article du texte constitutionnel, et qu'en tant que principe de libre administration des collectivités locales, elle figurait déjà aux articles 34 et 72 de la Constitution.
    Cette analyse a également été très largement exprimée lors des auditions organisées sur ce texte par la commission des lois du Sénat. Beaucoup de juristes éminents, comme Robert Badinter, ont proposé de renvoyer le débat sur la décentralisation à l'article 72 de la Constitution.
    M. Jean-Jack Queyranne. Absolument !
    M. André Chassaigne. D'ailleurs, la commission des lois du Sénat, cela a été rappelé, a déposé un amendement tendant à supprimer cet ajout à l'article 1er, mais cet amendement, comme bien d'autres adoptés par la même commission, a été précipitamment retiré, sans doute sur les conseils du Gouvernement, sans que les commissaires en soient informés, ce qui est un procédé inédit, inouï et bien éloigné de la sagesse de cette assemblée...
    Monsieur le ministre, nous nous interrogeons sur l'obstination du Gouvernement à maintenir sa position, et cela d'autant plus que le principe d'organisation décentralisée de la République, tel qu'il est conçu dans ce texte, nous paraît porteur de risques graves pour le caractère unitaire et solidaire de la République.
    D'ailleurs, il suffit d'écouter, je ne dirai pas la litanie, mais la répétition des formules toutes faites de M. le rapporteur, qui, en commission des lois, nous a redit moultes fois que cet ajout allait ouvrir le champ du possible. C'est dire qu'en introduisant cette notion dans l'article 1er, vous avez la volonté d'instrumentaliser la Constitution, d'oublier les grandes valeurs dont elle est porteuse, pour en faire, en fait, un outil de votre politique.
    Lors de leurs interventions, les orateurs de mon groupe ont clairement expliqué les dangers qui sont liés aux notions d'expérimentation et de subsidiarité contenues dans ce texte. De même, ils ont affirmé que le nécessaire approfondissement de la décentralisation ne devrait en aucun cas signifier une remise en cause de la conception républicaine de l'Etat français. Je n'y reviens pas. C'est pour cette raison que nous avons déposé un amendement tendant purement et simplement à supprimer cet article.
    M. Philippe Vuilque. Très bien !
    Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.
    M. Charles de Courson. Mes chers collègues, au nom du groupe UDF, je voudrais vous dire que cette discussion est intéressante, parce qu'elle renvoie, au fond, à deux philosophies de l'organisation politique. Il y a, dans l'histoire des idées, deux grands courants. Celui auquel appartient l'UDF considère qu'il faut organiser les Républiques, les Etats, d'une façon générale, en faisant confiance à la base, et diffuser le pouvoir au plus bas niveau en ne faisant remonter certaines compétences à un niveau supérieur que lorsque le niveau inférieur n'arrive plus à les assurer. C'est toute notre philosophie, y compris en matière européenne. C'est pour cette raison que nous soutenons l'insertion dans la Constitution, et dès l'article 1er, de ces mots : « Son organisation est décentralisée ».
    Aujourd'hui, mes chers collègues, ce principe n'est absolument pas constitutionnel. Un début de jurisprudence a fait émerger - de façon récente, d'ailleurs - le concept d'autonomie locale, mais il n'est pas encore intégré dans la Constitution. L'inscrire dès l'article 1er, et pas dans l'article 2, ni a fortiori dans l'article 72, nous paraît satisfaisant.
    Certains nous disent que l'on ne peut pas mettre sur le même plan les concepts d'unité et d'indivisibilité de la République...
    M. André Chassaigne. On ne doit pas ! Ce n'est pas la même chose !
    M. Charles de Courson. ... et le concept de décentralisation. Puis-je me permettre de leur citer l'article 5 de la Constitution italienne ? « La République, une et indivisible, reconnaît et favorise les autonomies locales ; réalise dans les services qui dépendent de l'Etat la plus large décentralisation administrative ; adapte les principes et les méthodes de sa législation aux exigences de l'autonomie et de la décentralisation. »
    Mme Ségolène Royal. Nous ne sommes pas en Italie !
    M. Arnaud Montebourg. Les Italiens sortent à peine de la monarchie ! Au xixe siècle, dans ce qui n'était pas encore un pays unifié, il y avait une quinzaine de royaumes !
    M. André Chassaigne. Ce ne sont pas les mêmes valeurs !
    M. Charles de Courson. Je vais y venir. Il reste que c'est bien dans le même article que la Constitution italienne affirme les principes d'unité et d'indivisibilité de la République, d'une part, et le principe de décentralisation, d'autre part.
    M. Arnaud Montebourg. Vous comparez ce qui n'est pas comparable !
    M. Charles de Courson. Je le répète, il y a, dans les questions touchant à l'organisation de la société, deux philosophies politiques bien différentes.
    M. André Chassaigne. Oui, il y a la républicaine et la fédéraliste !
    M. Charles de Courson. Et d'ailleurs, contrairement à ce que pourraient faire croire nos collègues de gauche, le clivage ne passe pas entre la majorité et l'opposition. Il y a des gens à gauche qui partagent la conception à laquelle adhère l'UDF ; la grande majorité de l'UMP la partage ; quelques membres de l'UMP ne la partagent pas.
    M. Jean-Jack Queyranne. Ce n'est pas ce que dit M. Debré !
    M. Charles de Courson. Je n'en fais pas une question de personnes. La question n'est pas là.
    M. Jean-Jack Queyranne. Si, quand même.
    M. Charles de Courson. Mon propos vise à souligner que le débat sur la question de savoir s'il faut inscrire le principe de la décentralisation dans l'article 1er, dans l'article 2 ou dans l'article 72 est très important. Nous pensons quant à nous qu'il faut tenir bon et le maintenir là où le projet propose de le faire apparaître : dans l'article 1er.
    Si l'on envisage maintenant la question d'un point de vue européen, en comparant les quinze Etats de l'Union européenne, que constate-t-on ? On constate que, contrairement à ce que croient ceux qui n'ont pas examiné le problème de près, il n'y a pas deux catégories d'Etats : les Etats fédéraux et les Etats unitaires. La réalité est autre.
    Trois Etats sur quinze sont effectivement des Etats fédéraux : l'Allemagne, l'Autriche et la Belgique, depuis peu d'ailleurs. Mais cela ne signifie pas que les douze autres soient des Etats unitaires au sens traditionnel du terme.
    M. Paul Giacobbi. Très juste !
    M. Charles de Courson. En fait, parmi ces douze Etats, on peut distinguer deux catégories.
    Dans la première, il y a les Etats régionalisés, au nombre desquels on peut ranger l'Espagne, l'Italie et peut-être le Royaume-Uni, que l'on peut considérer, à un certain point de vue, comme un Etat régionalisé - si l'on songe au statut de l'Ecosse et de l'Irlande du Nord -,...
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Et du Pays de Galles.
    M. Charles de Courson. ... mais qui, à un autre point de vue, n'en est pas un - si l'on envisage le reste de son territoire, y compris le Pays de Galles, qui n'a pas de pouvoir législatif.
    La deuxième catégorie, ce sont les Etats unitaires, dont la France fait partie.
    Mais si l'on pousse plus loin l'analyse concernant les Etats unitaires, on aperçoit au fond trois sous-catégories. Il y a un groupe de trois Etats qui sont unitaires mais fortement décentralisés : la Suède, le Danemark et la Norvège. Il y a un groupe de cinq Etats moyennement décentralisés - c'est le groupe auquel nous appartenons. Il y a enfin deux cas atypiques : le Royaume-Uni, du moins pour une partie de son territoire - les Anglais sont toujours atypiques (Sourires) - et l'Irlande, qui est restée un Etat unitaire presque pas décentralisé.
    Tout l'enjeu de notre débat est de savoir si nous pouvons, tout en restant dans la catégorie des Etats unitaires, passer progressivement d'un statut d'Etat moyennement décentralisé, à un statut d'Etat fortement décentralisé.
    On peut défendre toutes les thèses, car toutes sont respectables. On voit même, à la lumière de l'exemple britannique, que plusieurs formes d'organisation peuvent exister à l'intérieur d'un même Etat. Et ne disons pas que les Etats qui ont des structures différentes de la nôtre ne sont pas des Etats démocratiques.
    M. René Dosière. Nous n'avons pas dit cela !
    M. André Chassaigne. Personne ne l'a dit !
    M. Charles de Courson. Leur organisation actuelle est le fruit de leur histoire. Et nous avons, nous aussi, notre héritage historique. Cela dit, mes chers collègues, l'histoire, elle peut évoluer. Et à cet égard, le Gouvernement a très bien fait d'inscrire dans l'article 1er de notre Constitution le principe selon lequel notre pays est une République décentralisée. Cela signifie que, tout en restant un Etat unitaire, la France deviendra progressivement un Etat fortement décentralisé, ce qui n'est pas le cas actuellement. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Guy Geoffroy. Très bien !
    Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Mariton, dernier orateur inscrit sur l'article.
    M. Hervé Mariton. La France change, et l'article 1er l'exprime bien en inscrivant dans notre Constitution le principe d'une organisation décentralisée. Nous entrons ainsi dans une nouvelle logique, dont il nous faudra tirer toutes les conséquences dans les mois et les années qui viennent. La Constitution ne fonde pas, ou ne fonde plus, un Etat tout-puissant. C'est ainsi. C'est la réalité du monde d'aujourd'hui, c'est aussi ce que nos concitoyens souhaitent. Ils veulent un Etat efficace. Et pour être efficace, un Etat doit être fort, ce qui n'implique pas qu'il soit tout-puissant, et ce qui n'implique pas non plus qu'il agisse dans tous les domaines, et seul.
    Le principe de la décentralisation de notre République exprime bien le fait que des collectivités de droit public de nature différente coexistent : l'Etat, les collectivités territoriales. Dans ce mot de décentralisation, nous devons voir également l'idée qu'il n'y a pas de hiérarchie entre les collectivités locales : car s'il faut décentraliser l'Etat vers les collectivités locales, ce principe vaut aussi pour les collectivités locales entre elles. Comme vient de le dire M. de Courson, ce mot porte déjà en lui-même le principe de subsidiarité. Cette dernière notion n'apparaît malheureusement pas en toutes lettres dans le texte, mais il est clair que si l'on veut donner à l'expression « organisation décentralisée », c'est bien de cela qu'il s'agit.
    L'article 1er de votre projet, monsieur le ministre, vous permet de placer le débat à son bon niveau. Car c'est bien d'un projet de loi constitutionnelle qu'il s'agit. On peut sans doute regretter que d'autres dispositions du texte soient un peu techniques, et peut-être pas tout à fait d'ordre constitutionnel, mais là, nous sommes bien au bon niveau.
    Lorsque l'on aura écrit dans la loi fondamentale que l'organisation de l'Etat, de la République est décentralisée, alors il faudra éviter des faux débats et des faux balancements. Par exemple, il faudra éviter le balancement entre décentralisation et déconcentration. Je comprends bien que ce balancement puisse paraître esthétique, géométrique et fasse plaisir à certains, mais il n'a pas beaucoup de sens, il ne correspond pas à une réalité pratique, et surtout il met dangereusement en parallèle deux principes de nature totalement différente : un principe qui sera demain constitutionnel, celui de la décentralisation, et un principe d'organisation interne de l'Etat, celui de la déconcentration. D'ailleurs, on peut très bien imaginer qu'une région ou un département soient aussi déconcentrés dans leur organisation. Il faut être très attentif sur ce point.
    Puis-je rappeler, monsieur le ministre, combien il sera important, demain, que le Gouvernement, le Parlement et le juge constitutionnel veillent au strict respect de ce principe de décentralisation ? Cela voudra dire qu'il faudra être cohérent dans ce qu'on va inscrire dans la Constitution, dans les heures qui viennent.
    Que veut dire, dans une République décentralisée, dans un Etat d'organisation décentralisée, le contrôle administratif ? Chacun le sait, aujourd'hui, le contrôle administratif, c'est de la fausse monnaie. Car l'Etat n'a pas les moyens de l'assurer. Il donne des assurances qui, en réalité, n'existent pas. Y a-t-il encore un sens, après quelques décennies d'une décentralisation pratique - qui sera constitutionnelle demain -, à ce que l'Etat maintienne une tutelle qui, dans la Constitution, continuerait de s'énoncer comme étant un « contrôle administratif » ? Il y a là, me semble-t-il, une contradiction évidente avec le principe de l'organisation décentralisée de l'Etat, une contradiction qu'il convient de lever.
    Je proposerai, à l'occasion d'un autre article, la disparition de la fonction de préfet. Charles de Courson vient de faire une comparaison avec d'autres Etats européens qui, sans être des Etats fédéraux, ne sont pas pour autant des Etats centralisés, comme l'est la France depuis deux siècles. Où la fonction de préfet existe-t-elle ? En France et dans un autre des quinze pays européens. C'est tout.
    M. Charles de Courson. En Espagne.
    M. Hervé Mariton. Faudra-t-il continuer d'assurer, dans une République décentralisée, la représentation emblématique d'un Etat qui aurait toujours la fonction de contrôle administratif ? Voilà qui me semble contraire à l'organisation réellement décentralisée de l'Etat. Mais nous aurons l'occasion d'en reparler.
    Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques. L'amendement n° 30 est présenté par M. Zuccarelli ; l'amendement n° 58 par Mme Royal et les membres du groupe socialiste ; l'amendement n° 171 par MM. Brunhes, Chassaigne, Gerin et les membres du groupe des député-e-s communistes et républicains.
    Ces amendements sont ainsi rédigés :
    « Supprimer l'article 1er. »
    La parole est à M. Émile Zuccarelli, pour soutenir l'amendement n° 30.
    M. Emile Zuccarelli. J'ai déjà très largement défendu cet amendement dans mon intervention sur l'article. J'ajoute simplement que ne pas vouloir inscrire le mot « décentralisée » dans l'article 1er ne veut pas dire qu'on soit moins décentralisateur. Cela veut simplement dire qu'on lui donne une autre signification.
    M. Philippe Vuilque. Bien sûr !
    M. Emile Zuccarelli. Ce terme n'a pas une signification estampillée.
    Si nous ne définissons pas ce mot, nous allons aboutir à une Constitution confuse, avec, à l'avenir, des conflits d'interprétation, d'autant plus que, comme cela a été souligné, cette notion de décentralisation vient télescoper des principes que je pense, personnellement, plus fondateurs de la République.
    Après, il y a les modalités d'organisation. L'Etat peut être un peu plus, ou un peu moins décentralisé. A quel moment, dans la Constitution, apparaît-il que notre République est centralisée ? Ce n'est écrit nulle part. C'est simplement la conséquence de certaines dispositions de la Constitution et d'une pratique.
    Je pense que l'affichage de la volonté de décentralisation doit apparaître dans d'autres articles de la Constitution. C'est la raison pour laquelle je propose la suppression de l'article 1er.
    Mme la présidente. La parole est à Mme Ségolène Royal, pour soutenir l'amendement n° 58.
    Mme Ségolène Royal. Je précise d'abord que cet amendement de suppression de l'article 1er n'est pas le seul que nous ayons déposé. Nous défendrons d'autres amendements - si celui-ci n'est pas adopté -, qui proposent une autre rédaction de cet article 1er, et ce afin qu'il n'y ait aucun malentendu sur notre volonté décentralisatrice.
    Nous venons d'avoir un débat de qualité, un débat au fond, un débat de valeur, mais je voudrais rappeler que derrière ce débat se profilent des choses extrêmement concrètes. Et il me plaît de rappeler que, si nous sommes ici à travailler ardemment ce matin, cet après-midi, cette nuit, la nuit prochaine, et sans doute au-delà, c'est d'abord pour servir nos concitoyens. Et que veulent-ils ? Ils veulent que ça marche, que les services publics fonctionnent. Et si ce débat de fond est aussi important, si nous tenons à une hiérarchie des valeurs entre, d'une part, un principe de décentralisation et, d'autre part, un principe d'égalité et d'efficacité des services publics qui, selon nous, doit lui être supérieur, c'est parce que les Français veulent - et nous le voulons tous ici en tant que citoyens et usagers du service public - que tous ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir, qu'il s'agisse des élus, des fonctionnaires, des associations détenant une prérogative de puissance publique, ou des entreprises bénéficiant de fonds publics, soient, chacun à sa place, efficaces, honnêtes, au service du public, en se tenant au plus près des préoccupations des citoyens. Et je crois que, sur ce point, nous pouvons nous rassembler.
    C'est la raison pour laquelle, même si nous comprenons que le Premier ministre ait voulu produire un effet d'affichage dans cet article 1er, nous insistons sur le fait que cet effet d'affichage n'est pas sans inconvénient. Il ne faut pas qu'il ait des conséquences négatives pour les Français. Il faut éviter, comme cela vient d'être excellemment dit, que le juge constitutionnel puisse faire prévaloir le principe de décentralisation, car celui-ci est seulement un principe d'organisation, qui n'est pas la préoccupation première des Français. Le problème n'est pas de savoir qui construit les routes et qui ne les construit pas. Le problème, c'est qu'il y ait des routes en bon état et sécurisées, et cela sur la totalité du territoire, c'est-à-dire en veillant toujours à préserver l'égalité devant le service public. Alors, je sais bien que cette égalité est théorique,...
    M. Jean-Luc Warsmann. Eh oui !
    Mme Ségolène Royal. ... et que le territoire connaît déjà de nombreuses inégalités. Mais c'est une raison de plus pour ne pas inscrire dans la Constitution quelque chose qui pourrait, justement, aggraver les inégalités territoriales devant les services publics.
    A plusieurs reprises, monsieur Devedjian, et bien que les déclarations soient parfois contradictoires, vous avez dit, au nom du Gouvernement, que nous avions satisfaction et que l'égalité devant le service public n'était pas remise en cause. Or, nous venons de démontrer que ce n'était pas le cas, car, si le principe de décentralisation est mis sur le même plan que ceux d'égalité, d'indivisibilité et de laïcité, il pourra l'emporter sur eux.
    Si tant est que l'affichage de la décentralisation doive figurer dans l'article 1er de la Constitution, ce que nous sommes prêts à accepter bien qu'il nous semble que l'article 72 serait une place plus judicieuse, au moins conviendrait-il de préciser qu'il s'agit du principe d'organisation territoriale décentralisée et que ce principe ne peut en aucun cas l'emporter sur celui de l'indivisibilité de la République. Cela, soit dit en passant, ferait plaisir au président de notre assemblée, qui vous a mis en garde contre une « République en morceaux ».
    Il devrait également être affirmé, dans cet article 1er, que la République garantit l'égal accès à des services publics de qualité. Au moins les choses seraient-elles claires, monsieur le ministre. Pourquoi vous opposeriez-vous à une telle demande, qui correspond aussi à la volonté de nos concitoyens ?
    Nous avons été très attentifs à ce qu'ont déclaré les maires de France, réunis actuellement en congrès : au-delà des clivages politiques, tous, notamment l'ensemble des maires ruraux, farouchement attachés au service public, ont évoqué leurs inquiétudes quant aux inégalités devant le service public. Car si, demain, le principe de décentralisation l'emporte sur celui d'égalité devant le service public, qui paiera ? Et que se passera-t-il là où une collectivité ne pourra pas payer ? Quelles inégalités entre les territoires en résulteront ?
    Puisque vous convenez que la décentralisation a d'abord pour objectif l'amélioration du fonctionnement des services publics, eh bien, rappelons quelques grands principes.
    D'abord, tout le monde doit avoir accès à des services publics de qualité, ce qui signifie que les services publics doivent, eux aussi, se réformer pour être plus efficaces.
    Ensuite, l'organisation territoriale décentralisée doit être réalisée dans le respect de l'indivisibilité de la République. Puisque vous avez répété à plusieurs reprises que l'indivisibilité de la République n'était pas en cause, que vous en coûterait-il d'accepter d'inscrire cela dans l'article 1er de la Constitution ?
    Enfin, cette réforme oublie - et cela a été dit tout à l'heure - que, pour être efficace, il ne s'agit pas seulement de décentraliser, mais aussi de déconcentrer. Le grand oublié de votre réforme, c'est l'Etat. Lui aussi doit se déconcentrer car les Français ne veulent pas que l'Etat disparaisse. Ils ne veulent pas d'un Etat mou, mal assuré dans ses compétences et dans ses responsabilités. Ils veulent un Etat qui soit, lui aussi, plus efficace.
    M. François Goulard. Que de temps perdu !
    Mme Ségolène Royal. Il manque donc un troisième volet à la mutation administrative de notre pays : la déconcentration des pouvoirs de l'Etat. C'est pourquoi nous vous proposerons ultérieurement de compléter l'article 1er afin de préciser que la République met en oeuvre le principe de déconcentration des pouvoirs de l'Etat.
    De la sorte, nous aurions un dispositif complet, qui, tout en tenant compte de votre souci d'afficher le caractère décentralisé de la République dans l'article 1er de la Constitution, lèverait un certain nombre d'ambiguïtés et dissiperait des inquiétudes - partagées d'ailleurs par des élus de toutes sensibilités, - quant à l'exigence absolue de l'égalité d'accès à des services publics de qualité sur l'ensemble du territoire de la République. Il laisserait aussi toute sa place à l'Etat, tout en l'invitant à se réformer, lui aussi, par le biais de la déconcentration de ses pouvoirs.
    Monsieur le ministre, avez-vous un mandat du Premier ministre pour accepter un certain nombre de nos amendements, ou avez-vous l'intention, tout au long de ce débat, d'opposer à ceux-ci un avis défavorable, ce qui biaiserait, vous en conviendrez, notre discussion ? Nous voulons savoir dans quel état d'esprit s'ouvre cette discussion, car nous voulons contribuer, en tant que législateurs, à l'amélioration de ce texte. Du reste, nous avons pris en considération certaines de vos préoccupations : alors que nous estimions que la décentralisation ne devait pas figurer à l'article 1er de la Constitution, nous avons fait un effort en proposant une rédaction, mais à l'article 72, qui n'est pas en contradiction avec vos différentes déclarations politiques. Oui ou non, monsieur le ministre, le Gouvernement est-il prêt à accepter un certain nombre de nos amendements, qui rejoignent d'ailleurs nombre d'observations formulées par des députés tant de l'opposition que de la majorité ?
    Enfin, je rappelle que les maires de France, qui sont actuellement réunis en congrès, souhaitent, eux aussi, une clarification du texte qui nous est proposé.
    M. Philippe Vuilque. Très bien !
    Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l'amendement n° 171.
    M. André Chassaigne. Cet amendement tend à supprimer l'article 1er du projet de loi. En effet, ainsi que je l'ai expliqué tout à l'heure, cet article a été élaboré dans la précipitation ; il est donc approximatif, comme cela a été démontré par nombre d'intervenants. De surcroît, il est hautement symbolique de l'attitude du Gouvernement, lequel souhaite remettre en cause la définition actuelle de la République, qui veut que celle-ci soit une et indivisible et qui reconnaît la libre administration des collectivités territoriales comme moyen d'efficacité démocratique et sociale.
    La situation actuelle des collectivités territoriales n'est, certes, pas satisfaisante, puisque les communes, les départements et les régions n'ont pas les moyens d'assumer leurs compétences. Mais la réforme qui s'impose, et que nous exigeons, est en priorité de nature fiscale. Les maires de communes rurales qui siègent sur ces bancs savent que ce qu'il leur faut avant tout, ce sont des moyens leur permettant de répondre aux besoins de la population.
    Les difficultés croissantes que les collectivités rencontrent ne peuvent servir d'alibi à une poussée vers un fédéralisme - car, en dépit des dénégations, c'est bien de cela qu'il s'agit -, vecteur de libéralisme.
    M. René André. Il ne faut pas caricaturer !
    M. André Chassaigne. Quoi qu'il en soit, nous craignons cette dérive fédérale, nous craignons d'assister à une décentralisation différenciée selon les régions, les départements et les communes. D'ailleurs, en décembre 2001, le ministre de l'intérieur lui-même, en présentant ses voeux, avait exprimé d'une telle crainte.
    Le principe même d'organisation décentralisée nous paraît porteur d'un émiettement national. Or cet émiettement est contraire à ce qui fait la spécificité et l'originalité de notre pays, l'unicité de la République, et il met en danger la cohésion sociale.
    Enfin, prôner l'organisation décentralisée de la République dès l'article 1er nous semble incongru et indécent. Cet article fondamental, produit de notre histoire, édicte les grands principes politiques et philosophiques qui fondent la République : indivisibilité, laïcité, démocratie et égalité. La décentralisation ne peut être élevée au rang de tels principes supérieurs. Cet acharnement à le faire dans l'article 1er est révélateur d'un objectif politique sous-jacent.
    M. René André. C'est de votre côté que se trouve l'acharnement !
    M. André Chassaigne. Sinon, pourquoi ne pas avoir porté le débat sur la décentralisation à l'article 72 de la Constitution, qui concerne directement les collectivités territoriales ? En quoi consiste la manoeuvre s'il ne s'agit pas, sans le dire tout à fait mais en le disant un peu, d'orienter la France vers une République fédérale et de la mettre en harmonie avec l'Europe des régions ?
    M. Jacques Myard. Il ne faut pas exagérer tout de même !
    M. André Chassaigne. C'est pourtant une réalité du texte !
    Compte tenu de ces remarques, vous aurez compris, mes chers collègues, que les députés du groupe des député-e-s communistes et républicains demandent la suppression de l'article 1er du projet de loi et qu'ils ne s'associeront pas à des amendements qui viseraient à affaiblir les grandes valeurs de la République contenues dans l'article 1er de la Constitution. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission sur ces amendements de suppression ?
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. D'abord, je voudrais faire observer que, jusqu'à la réforme constitutionnelle de 1995, l'article 1er et l'article 2 de la Constitution n'en faisaient qu'un. Ce rappel historique permet de régler un problème qui s'est longuement posé au Sénat et qui consiste à savoir s'il faut rattacher la modification proposée à l'article 1er ou à l'article 2.
    Je ne ferai pas reproche à ceux qui sont intervenus sur l'organisation décentralisée de l'avoir fait longuement, car c'est, de loin, l'aspect le plus important du texte.
    Cela dit, il y a deux catégories de parlementaires : ceux qui comme M. Zuccarelli et M. Montebourg sont totalement cohérents avec eux-mêmes - et qui, sur ce texte, gardent la même opinion que celle qu'ils avaient sur celui relatif au statut de la Corse -, et les autres.
    Je rends hommage aux premiers. Quant à l'attitude adoptée par les seconds, elle me stupéfait et ne peut manquer de faire retourner Gaston Defferre dans sa tombe. S'il était encore en vie, il leur dirait que ce qu'ils demandent est le contraire de ce qu'il avait espéré faire en 1982 - pour l'avoir entendu des heures dans cet hémicycle, je suis convaincu que c'était son désir car c'était un vrai décentralisateur -, mais qu'il n'avait pas pu mettre en place car la France n'était pas encore prête à voir son territoire organisé de façon décentralisée.
    Ce qui différencie 1982 et aujourd'hui, ce sont vingt ans de pratique de la décentralisation. A l'époque - et je dis cela à l'intention de M. Le Garrec, qui me fait l'honneur de m'écouter -, je m'étais, avec d'autres, opposé d'une manière frontale aux projets de décentralisation qui nous étaient présentés en utilisant exactement les mêmes raisonnements et les mêmes termes que ceux que vous utilisez, en exprimant les mêmes craintes et les mêmes angoisses que celles que l'opposition exprime aujourd'hui. Comme je l'ai précisé hier, je suis de ceux qui ont regretté par la suite cette opposition frontale, mais, à l'époque, nous avions une excuse : nous ne savions pas ce qu'il allait advenir de la décentralisation.
    Vous, vous ne pouvez pas invoquer cette excuse aujourd'hui. Les arguments qui furent les nôtres il y a vingt ans n'ont plus lieu d'être lorsque l'on voit le dynamisme de nos territoires, renforcé d'ailleurs par les lois Chevènement. Personne ne peut disconvenir que les communautés de communes, par la cohérence et la proximité qu'elles ont instaurées, ont permis un développement économique et social de grande qualité dans de larges parties du territoire.
    Bref, la France a merveilleusement évolué depuis vingt ans, et ce sont ces lois de décentralisation qui nous ont conduits là où nous sommes aujourd'hui.
    Dès lors, revenir au débat jacobins-décentralisateurs est incompréhensible, sauf lorsqu'il s'agit des deux collègues que j'ai cités précédemment, qui restent fidèles à leur position et qui pensent que la France sortira entamée de cette révision constitutionnelle. Une telle opinion de leur part est tout à fait respectable. Pour autant, si nous n'étions pas convaincus du contraire, nous ne voterions pas ce texte.
    M. André Chassaigne. Cela reste à voir !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Pour notre part, nous prétendons que la France s'enrichira de la mise en place de cette organisation décentralisée, laquelle ne méconnaîtra pas le principe d'indivisibilité de la République, principe auquel, par définition, nous sommes tous attachés ici, sinon nous ne serions pas députés.
    Il m'a été reproché d'avoir écrit dans mon rapport - heureux reproche qui me permet de préciser ma position - que la disposition proposée en matière d'organisation permettrait d'aller contre le principe d'égalité, tel qu'il est strictement appliqué par le Conseil constitutionnel. Mais c'est justement une des raisons - et ce n'est pas la moindre - pour lesquelles une révision constitutionnelle est proposée, madame Royal.
    Dois-je vous rappeler que certaines dispositions du texte du gouvernement Jospin sur la Corse - collectivité qui dispose d'un statut particulier depuis 1982, date à laquelle M. Defferre a tenu une promesse de M. Mitterrand - ont été censurées par le Conseil constitutionnel car elles prévoyaient une délégation et une capacité d'adaptation dans le domaine législatif ? Le Conseil constitutionnel a estimé que ce n'était pas possible. Que faisons-nous, sinon de donner une base constitutionnelle à votre projet ? Que vous nous le reprochiez, les bras de l'intelligence m'en tombent ! (Sourires.)
    M. Françis Delattre. Que les bras ! (Sourires.)
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Voilà la démonstration que je tenais à faire.
    M. Marc Le Fur. Belle démonstration !
    M. André Chassaigne. Cela n'a rien à voir avec l'article 1er !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Bref, ceux qui étaient favorables au projet Jospin sur la Corse ne peuvent nous reprocher cette modification, qui, si elle avait existé à l'époque, aurait justement donné une base constitutionnelle à ce texte !
    M. Marc Le Fur. C'est lumineux !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Cette démonstration fait tomber tous les arguments de ceux qui sont opposés à la modification proposée.
    Charles de Courson a rappelé, en lisant un passage d'un texte qui se trouve dans les annexes de mon rapport, comment l'Italie a réglé ce problème.
    On m'a aussi beaucoup reproché de ne pas parler de la déconcentration. Mais décentralisation et déconcentration sont deux concepts qui n'ont pas la même valeur juridique. L'organisation de l'Etat, qui peut être plus ou moins déconcentrée,...
    M. François Goulard. Le discours également !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ... ne relève pas du domaine de la loi, a fortiori de la loi constitutionnelle,...
    M. Charles de Courson. C'est réglementaire !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ... mais du domaine réglementaire ! Si l'on veut multiplier les directions départementales représentant les sous-directions d'un ministère, nul besoin de révision constitutionnelle. On m'explique sans rire qu'il faut faire figurer la déconcentration sur le même plan que la décentralisation dans la Constitution. Ce serait créer un méli-mélo juridique entre les articles 34 et 37 de la Constitution qui n'a pas lieu d'être.
    Le projet de loi vise à déléguer le pouvoir législatif aux collectivités locales dans des délais et pour un objet précis. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)

    Mme la présidente. Je ne sais comment interpréter ces applaudissements, monsieur Clément. Est-ce une invitation à vous arrêter ou à poursuivre ?
    M. René Dosière. Monsieur Clément, je crois que vos amis vous trouvent un peu long !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. J'essaie d'argumenter en me plaçant sur le plan de la raison.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. C'est très bien !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Comprenne qui voudra !
    M. René André. Qui pourra !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. J'essaie d'expliquer toute la problématique des articles 2 et 4 du projet de loi : le premier porte sur l'expérimentation émanant de l'Etat, tandis que le second concerne l'expérimentation qui a pour origine les collectivités territoriales.
    On nous reproche également de ne pas assez tenir compte de l'avis du Conseil d'Etat. Soit. En revanche, c'est sur de nombreuses décisions du Conseil constitutionnel concernant des expérimentations faites par l'Etat, c'est sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu'est calé ce projet.
    M. Francis Delattre. Il fallait le dire !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Ce projet est donc calé sur le plan juridique, sur le plan intellectuel et, bien sûr, sur le plan politique. Il vise à adapter la vie de nos territoires au sein d'une République qui demeurera évidemment indivisible et laïque.
    Mme la présidente. Et quel est l'avis de la commission sur les amendements ? (Sourires.)
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Défavorable, bien sûr. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Francis Delattre. Il fallait le dire !
    M. Charles de Courson. Il l'a dit !
    Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Madame la présidente, mesdames, messieurs, je voudrais répondre à quelques observations faites par les auteurs des trois amendements de suppression et par les orateurs inscrits sur l'article.
    D'abord, comme vient de le dire M. Clément, l'article 1er est certainement sacré, merveilleux, emblématique. D'ailleurs, monsieur Chassaigne, je vous remercie de l'hommage très appuyé que vous rendez à la droite : la rédaction de cet article datant du 4 août 1995, c'est la droite qui en est responsable. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Malgré tout, l'hommage qui lui est fait me paraît un peu excessif et, comme nous l'avons modifié en 1995, je crois que nous avons la légitimité pour le modifier également en 2002.
    M. René Dosière. Attention, une vieille loi peut être une bonne loi.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Ensuite, certains craignent que l'indivisibilité de la République soit menacée par l'adjonction de la phrase « son organisation est décentralisée ». Bien au contraire, c'est bien parce que nous pensons que les principes d'indivisibilité et de décentralisation doivent être mis côte à côte, à égalité - pour que, précisément, aucune des deux ne puisse prendre le pas sur l'autre -, que nous avons voulu introduire cet ajout à l'article 1er. Nous recherchons l'équilibre. L'indivisibilité, je me permets de le dire à M. Dosière, c'est, comme le caractère décentralisé, un principe d'organisation. Quand la Constitution dit que la République est indivisible ou que son unité doit être garantie, elle énonce un principe d'organisation.
    M. Jean-Jack Queyranne et M. André Chassaigne. Mais non !
    M. René Dosière. Avec tout le respect que j'ai pour vous, monsieur le ministre, je reste dubitatif.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Vous avancez un argument un peu singulier, monsieur Dosière, en soulignant que la Cour de cassation ne peut pas se décentraliser.
    M. René Dosière. C'était une question !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Je suis d'accord avec vous, mais ce n'est pas ce qui est écrit dans le texte du Gouvernement. C'est l'organisation de la République dans son ensemble qui doit être conçue de manière décentralisée, et non chacun des organes. Sinon, cela n'aurait pas de sens. Faites-nous le crédit d'une pensée cohérente.
    D'autres orateurs, notamment M. Balligand, Mme Royal, ont avancé l'idée que c'était finalement l'organisation « territoriale » qui devrait être visée par la décentralisation. Mais dans ce cas, si c'était l'organisation territoriale qui était décentralisée, il n'y aurait plus d'Etat central sur les territoires.
    M. Jean-Jack Queyranne. Mais non !
    Mme Ségolène Royal. C'est pour ça qu'il faut parler de déconcentration.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Cette rédaction aurait conduit à la suppression des préfets. C'est donc tout à fait consciemment que nous n'avons pas introduit cette mention. Précisément parce que, par ailleurs, on le verra dans la suite de la discussion et je réponds ainsi à l'argument sur la déconcentration, nous souhaitons revaloriser le rôle du préfet car nous pensons que, parallèlement à la décentralisation, l'Etat, lui aussi, doit se réorganiser pour être plus efficace dans son action.
    M. René André. Très bien !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Il ne s'agit surtout pas d'affaiblir l'Etat, il faut au contraire lui permettre d'être plus efficace.
    L'article 1er énonce un principe politique, qui doit être conjugué à égalité avec les autres principes. Tout simplement ! Il appartiendra aux législateurs de conjuguer équitablement l'ensemble des principes qui figurent, à égalité, à l'article 1er, sous le contrôle du Conseil constitutionnel.
    M. René Dosière. C'est bien là le risque.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. C'est là notre volonté de réforme. C'est la différence avec le projet de Gaston Defferre. Nous ne voulons pas que, par une tentation à laquelle tous les gouvernements ont dû mal à résister dans une démocratie vieillissante, l'Etat puisse recentraliser subrepticement au fur et à mesure du temps ce qui aura été décentralisé.
    M. René Dosière. Oui, on l'a compris.
    M. François Goulard. C'est ce qui était fait depuis cinq ans.
    Mme Ségolène Royal. Mettons la déconcentration dans la Constitution alors !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Parce que chaque fois que l'Etat a recentralisé, c'était au nom de l'égalité. (Approbations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    C'est pour éviter cet écueil que nous inscrivons le principe de décentralisation à égalité avec les autres principes cités par l'article 1er.
    Enfin, si je comptais le nombre de fois où les orateurs de gauche ont dit qu'ils étaient pour la décentralisation, je pense que nous atteindrions, à la fin du débat, un record absolu.
    M. Augustin Bonrepaux. C'est nous qui l'avons faite. C'est normal.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. En fait, vous l'affirmez tellement...
    M. René Dosière. Surtout, on l'a fait.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Vous l'affirmez tellement que vous justifiez nos doutes quant à votre attitude. Cela me rappelle le débat sur l'Europe. Nous avons entendu beaucoup de personnes déclarer avec vigueur qu'elles étaient pour l'Europe. C'était généralement les souverainistes.
    M. Augustin Bonrepaux. Regardez de votre côté plutôt !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. J'ai le sentiment que la proclamation de tels principes traduit plutôt la conscience de ne pas être en conformité avec ce qu'on pense. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jack Queyranne.
    M. Jean-Jack Queyranne. Monsieur le ministre, votre ferveur décentralisatrice vous fait commettre de nombreux contresens dangereux sur le plan juridique.
    Contresens d'abord sur l'écriture même de votre texte. C'est, dit-on, le Premier ministre qui aurait rédigé cette fraction de phrase qui doit être ajoutée à l'article 1er. Et vous venez de nous dire, monsieur le ministre, que le principe d'indivisibilité, qui est un principe fondamental, général, qui a justement ses garanties constitutionnelles dans l'article 1er, pouvait être mis sur le même pied qu'un principe d'organisation. Mais l'indivisibilité de la République, l'unité de la République, cela ne définit pas seulement son organisation. C'est un principe de cohésion nationale. C'est un principe de reconnaissance de l'ensemble de nos concitoyens dans le contrat social et politique qui fonde nos institutions.
    Dire dans le même temps que l'organisation est décentralisée est donc un contresens par rapport à l'organisation de l'ensemble des pouvoirs publics.
    En écrivant que l'organisation de la République est décentralisée vous laissez supposer, de nombreux collègues l'ont relevé, que, demain, l'ensemble des pouvoirs publics pourrait être fragmenté, éclaté au niveau du territoire. M. Dosière a tout à l'heure poussé le raisonnement jusqu'à l'absurde en prenant le cas du président de la République : peut-on décentraliser le Président de la République ? Ça n'a aucun sens.
    Pourtant, M. de Courson a indiqué tout à l'heure qu'il voulait aller plus loin.
    M. Charles de Courson. Et le groupe UDF.
    M. Jean-Jack Queyranne. M. Mariton, pour le groupe UDF, s'est exprimé dans le même sens. Leur conception est celle d'une République éclatée, une République dans laquelle les régions se verraient reconnaître des pouvoirs quasi équivalents à ceux de l'Etat.
    En ce qui nous concerne, nous estimons que la norme d'organisation supérieure est celle de l'Etat. Ensuite en découlent des principes qui doivent figurer non pas à l'article 1er mais ou bien à l'article 2, comme la commission des lois du Sénat l'avait proposé - même si cette suggestion ne nous paraît pas la meilleure, elle constitue tout de même le signe d'une réflexion - ou bien, comme le disait mon collègue Zuccarelli, à l'article 72, relatif aux modalités de l'administration territoriale de la République.
    Sur ce plan-là, monsieur le ministre, vous ne nous avez pas convaincus. Nous proposons par conséquent la suppression de cet article 1er pour introduire le principe de décentralisation plus loin dans la Constitution. Le Premier ministre semble s'attacher à ce que cette disposition figure dans l'article 1er, je pense que c'est une erreur.
    M. Richard Cazenave. J'ai déjà entendu ça quelque part !
    M. Jean-Jack Queyranne. J'attire votre attention, monsieur le ministre, sur la nécessité de préserver la cohérence de l'écriture de notre Constitution, en évitant de créer une confusion qui me paraît grave eu égard à ce qu'est la République, et en gardant à l'esprit notre souhait commun de faire progresser la décentralisation et non pas de l'inscrire dans un système de pouvoir qui irait à l'encontre du principe auquel nous sommes attachés. Une nouvelle rédaction nous paraît indispensable pour garantir le respect de nos institutions. Nous soutenons donc la suppression de l'article 1er.
    Mme la présidente. La parole est à M. Emile Zuccarelli.
    M. Emile Zuccarelli. M. le rapporteur m'a crédité, et je l'en remercie car c'est un propos flatteur, d'une certaine constance dans mes positions.
    M. Jacques Myard. C'est vrai, il faut le reconnaître. C'est une grande qualité !
    M. Emile Zuccarelli. Je note simplement, s'agissant de la décentralisation, une certaine constance des positions de ce côté de l'hémicycle, qui contraste quelque peu avec l'évolution qui s'est produite de l'autre côté de l'hémicycle. Pourtant, alors que nous sommes sur un exercice constitutionnel, donc sérieux, fondateur, inscrit dans la durée, chaque fois que nous disons que ce texte pourrait être utilement précisé, on nous rétorque que nous ne sommes pas assez décentralisateurs. C'est extraordinaire !
    M. Jacques Myard. Il a raison.
    M. Emile Zuccarelli. Lorsque nous demandons, à juste titre, si la mention « Son organisation est décentralisée » a sa place à l'article 1er de la Constitution, le rapporteur M. Clément nous répond en vantant les mérites de la décentralisation, sur lesquels nous sommes forcément d'accord. Mais l'exercice auquel nous nous livrons est celui du législateur, qui ne doit jamais oublier que les mots ont leur sens, et leur valeur. A cet égard, la présence du mot « décentralisée » dans l'article 1er me paraît particulièrement malencontreuse, car ce mot n'a pas de signification estampillée, pas plus que la centralisation n'était estampillée, d'ailleurs elle n'était inscrite nulle part dans notre Constitution. La décentralisation, c'est peut-être un mouvement, une dynamique, ce n'est pas une valeur fondatrice.
    M. Richard Cazenave. Et la république sociale, c'est fondateur ?
    M. Emile Zuccarelli. Oui.
    M. Richard Cazenave. Cela ne veut rien dire !
    Mme la présidente. Je mets aux voix par un seul vote les amendements n°s 30, 58 et 171.
    (Ces amendements ne sont pas adoptés.)
    Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

3

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

    Mme la présidente. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :
    Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par le Sénat, n° 369, relatif à l'organisation décentralisée de la République :
    M. Pascal Clément, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 376) ;
    M. Pierre Méhaignerie, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (avis n° 377).
    A vingt et une heures, troisième séance publique :
    Suite de l'ordre du jour de la première séance.
    La séance est levée.
    (La séance est levée à douze heures cinquante.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT
annexe au procès-verbal
de la 1re séance
du jeudi 21 novembre 2002
SCRUTIN (n° 42)


sur la motion de renvoi en commission, présentée par M. Ayrault, du projet de loi constitutionnelle, adopté par le Sénat, relatif à l'organisation décentralisée de la République.

Nombre de votants

117


Nombre de suffrages exprimés

116


Majorité absolue

59


Pour l'adoption

31


Contre

85

    L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN

Groupe Union pour la majorité présidentielle (364) :
    Contre : 80 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
    Non-votant : M. Jean-Louis Debré (président de l'Assemblée nationale).
Groupe socialiste (148) :
    Pour : 28 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
    Abstention : 1. - M. Paul Giacobbi.
    Non-votant :  Mme Paulette Guinchard-Kunstler (président de séance)
Groupe Union pour la démocratie française (28) :
    Contre : 4 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
Groupe communistes et républicains (22) :
    Pour : 2 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
Non-inscrits (13).
    Pour : 1. - M. Emile Zuccarelli.
    Contre : 1. - M. Alfred Marie-Jeanne.