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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU VENDREDI 29 NOVEMBRE 2002

COMPTE RENDU INTÉGRAL
1re séance du jeudi 28 novembre 2002


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES

1.  Rappel au règlement «...».
MM. Jean-Marc Ayrault, le président.

Suspension et reprise de la séance «...»

2.  Protection des étrangers contre les mesures d'éloignement du territoire. - Discussion d'une proposition de loi «...».
M. Christophe Caresche, rapporteur de la commission des lois.
M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement.

DISCUSSION GÉNÉRALE «...»

MM.
Alain Vidalies,
Jean Leonetti,
Michel Vaxès,
Philippe Folliot,
Manuel Valls,
Etienne Pinte,
Mme
Martine Billard,
MM.
Jean-Pierre Grand,
Thierry Mariani,
Guy Geoffroy.
Clôture de la discussion générale.
M. Pascal Clément, président de la commission des lois.
MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat.

VOTE SUR LE PASSAGE
À LA DISCUSSION DES ARTICLES «...»

MM.
Etienne Blanc,
Michel Vaxès,
Philippe Folliot,
Jean-Marc Ayrault.
L'Asssemblée, consultée, décide, par scrutin, de ne pas passer à la discussion des articles ; la proposition de loi n'est pas adoptée.
3.  Ordre du jour des prochaines séances «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES,
vice-président

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à neuf heures.)

1

RAPPEL AU RÈGLEMENT

    M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour un rappel au règlement.
    M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, je constate que le Gouvernement est représenté par M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, que le ministre de l'intérieur n'est pas là, non plus que le ministre de la justice. Je peux comprendre qu'ils soient indisponibles pour des raisons d'emploi du temps, mais j'y vois un signe politique qui pose un problème de principe.
    La question de la double peine est au coeur de l'actualité. Le ministre de l'intérieur a pris une position, que je salue d'ailleurs, et s'est engagé à traiter la question dans les six mois. Quant au ministre de la justice, qui est compétent pour cette réforme, il s'est peu exprimé sur le sujet.
    Nous souhaitons évoluer ensemble en la matière dans un esprit de dialogue et de consensus. Nous saluons les initiatives de M. Pinte et sommes prêts à en discuter avec lui. Si nous débattons dès maintenant, à l'Assemblée, de cette proposition de loi, il sera sans doute possible d'élaborer un texte qui fasse consensus d'ici à six mois, comme le souhaite M. le ministre de l'intérieur. Cela nous paraît réaliste.
    Je regrette que ni le ministre de l'intérieur ni le garde des sceaux ne viennent parler avec nous. Cela pose un vrai problème. Nous ne souhaitons pas polémiquer, mais je tenais à le dire, car ce sujet difficile doit être traité dans un esprit de dialogue et de respect. Il y va de la cohésion nationale, monsieur le président, je vous demande donc une suspension de séance de quelques instants pour me concerter avec les membres de mon groupe.
    M. le président. Monsieur Ayrault, je vais vous accorder cette suspension, même si elle ne me paraît guère opportune en tout début de séance. Je vous rappelle néanmoins que M. Copé est chargé des relations avec le Parlement, qui de plus est porte-parole du Gouvernement. Il représente le Gouvernement tout entier, conformément à la tradition. Cela dit, je suspends la séance pour cinq minutes.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à neuf heures cinq, est reprise à neuf heures dix.)
    M. le président. La séance est reprise.

2

PROTECTION DES ÉTRANGERS CONTRE
LES MESURES D'ÉLOIGNEMENT
DU TERRITOIRE

Discussion d'une proposition de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues visant à protéger certaines catégories d'étrangers des mesures d'éloignement du territoire (n°s 380, 395).
    La parole est à M. Christophe Caresche, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    M. Christophe Caresche, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement, chers collègues, la proposition de loi que nous soumettons aujourd'hui à la discussion de notre assemblée vise à protéger certaines catégories d'étrangers des mesures d'éloignement du territoire, en raison de leurs liens familiaux et privés avec la France.
    C'est un sujet douloureux et controversé. En effet, comment ne pas être sensible à la situation de ces étrangers qui, ayant purgé leur peine, sont séparés de leur famille, expulsés vers des pays avec lesquels ils n'ont plus aucune attache et qui ont perdu bien souvent jusqu'au souvenir de leur langue maternelle ? Mais comment éprouver de la compassion, diront certains, - je l'ai entendu lors de la discussion en commission des lois - pour des personnes qui ont commis des actes de délinquance parfois d'une grande gravité ? Au-delà de la perception humaine et morale, c'est en faisant appel au droit et à une certaine conception de la place des étrangers dans notre république que je voudrais aborder cette question.
    Pour ce qui est du droit, selon l'article VIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Ce principe de proportionnalité est-il respecté lorsqu'un étranger ayant des liens forts avec notre pays se voit infliger une forme de bannissement ? On comprend que, dans ce cas, l'on puisse parler de « double peine », l'expulsion étant perçue, à juste titre, comme une peine qui ajoute à la peine principale l'éloignement et la séparation.
    Quant à la place des étrangers dans notre République, peut-on considérer sur un même plan l'étranger arrivé depuis peu dans notre pays et celui qui y fait souche, souvent depuis de longues années ? Ce dernier doit, selon nous, bénéficier de la même perspective de réinsertion et de réintégration dans notre société que le Français condamné pour les mêmes faits. Ou alors, il faudrait considérer que le risque de récidive est inhérent à la nationalité.
    Voilà, au-delà de l'émotion, de la protestation et de l'incompréhension, ce qui motive notre proposition de loi. Nous la soumettons au débat dans un état d'esprit constructif, avec pour seule préoccupation la volonté d'aboutir à changer une législation inadaptée. Sans doute cette réforme aurait-elle dû être mise en oeuvre plus tôt. La gauche peut regretter de ne pas l'avoir engagée sous la précédente législature. Elle s'inscrit néanmoins dans le prolongement des avancées consacrées par la loi de 1998 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et à la circulaire du 17 novembre 1997 prise par le garde des sceaux de l'époque, Mme Elisabeth Guigou, à la suite du rapport de Mme Chanet qu'elle avait commandé. Ces deux textes se sont traduits dans les faits par une amélioration indéniable, c'est-à-dire par une baisse significative des mesures d'éloignement prononcées durant cette période. La réforme que nous proposons aujourd'hui correspond aussi aux engagements que nous avions pris lors des dernières élections présidentielles et législatives.
    Ce qui est nouveau, c'est la position de certains parlementaires de la majorité, et plus encore les déclarations du ministre de l'intérieur qui ouvrent, semble-t-il, une perspective positive. A cet égard, comme le président du groupe socialiste, Jean-Marc Ayrault, je regrette que le ministre de l'intérieur, qui s'est beaucoup exprimé en la matière et nous a dit mettre en place un groupe de travail sur la question, ne soit pas ici ce matin pour en discuter avec nous. C'est au Parlement qu'il appartient de modifier la loi.
    Quant aux parlementaires de l'actuelle majorité, opposition d'hier, ils s'étaient montrés fermés à toute évolution dans ce domaine. Je n'ai pas entendu, durant la dernière campagne électorale, la moindre déclaration ni des responsables de la majorité actuelle ni du Président de la République laissant entendre qu'ils reviendraient sur la double peine. Je vous rappelle que le régime de l'interdiction du territoire français est issu, pour l'essentiel, des lois Pasqua de 1993 qui remettaient en cause les mesures de protection des étrangers contre l'éloignement adoptées par la gauche en 1991 dans un texte de M. Sapin. Il est d'ailleurs paradoxal de nous reprocher de ne pas avoir modifié des dispositions que la majorité d'aujourd'hui a votées. Mais les choses changent, semble-t-il, et nous nous en félicitons.
    M. Etienne Pinte appelait récemment à débattre de cette question de la double peine de façon « dépassionnée, au-delà des clivages politiques ». Eh bien, pour notre part, nous y sommes prêts. C'est le sens de notre démarche. Nous pensions même qu'il était possible, avec notre proposition de loi et d'autres - je pense notamment à celle de M. Pinte dont on parle dans la presse, mais qui n'est pas encore déposée officiellement à l'Assemblée nationale - d'engager dès aujourd'hui un processus de révision de la loi et de se mettre au travail. Le ministre et la majorité ont apparemment choisi une autre méthode, en repoussant la discussion des articles de cette proposition de loi et en annonçant la constitution d'un groupe de travail interministériel. Nous verrons si cette méthode aboutira.
    Sur le fond, notre proposition de loi vise à instaurer une protection absolue contre les mesures d'éloigement du territoire concernant certaines catégories d'étrangers qui ont un lien fort et particulier avec la France. Il ne s'agit pas de remettre en cause le principe même de l'éloignement. L'interdiction du territoire et l'expulsion ont leur justification, mais ces décisions nous paraissent contestables lorsqu'elles concernent des milliers d'étrangers qui ont tissé des liens importants et souvent de longue date avec notre pays. Les mesures d'éloignement prononcées à leur égard contreviennent manifestement au principe de proportionnalité de la peine et au respect de la vie privée et familiale consacré par la Convention européenne des droits de l'homme. La proportionnalité implique en effet que l'Etat respecte un juste équilibre entre les intérêts en présence : d'une part, le droit de l'étranger au respect de sa vie familiale et privée dans le pays d'accueil ; d'autre part, la protection de l'ordre public et la prévention des infractions pénales.
    Manifestement, cet équilibre n'est pas suffisamment respecté dans la législation actuelle. La France a déjà été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme pour n'avoir pas respecté ces principes. Ainsi, dans le dossier Méhémi, jugé le 26 septembre 1997, la Cour a estimé qu'« eu égard à l'absence d'attaches du requérant en Algérie, à l'intensité de ses liens avec la France et surtout au fait que la mesure d'interdiction définitive du territoire prise à son encontre a pour effet de le séparer de ses enfants mineurs et de son épouse, ladite mesure n'était pas proportionnée aux buts poursuivis ». Si notre législation prévoit une protection pour les étrangers qui ont un lien fort avec la France, celle-ci se révèle toute relative pour ce qui concerne tant la voie administrative, c'est-à-dire l'expulsion proprement dite, que la voie judiciaire, c'est-à-dire l'interdiction du territoire français.
    S'agissant de l'expulsion, l'article 25 de l'ordonnance de 1945 énumère un certain nombre de catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'un arrêté d'expulsion. Mais l'article 26 dispose que l'expulsion peut être prononcée par dérogation à l'article 25 lorsqu'elle constitue une nécessité impérieuse pour « la sûreté de l'Etat » ou « la sécurité publique », deux notions floues et ambiguës. Cette disposition, même si elle est appliquée avec discernement, permet dans les faits de contourner le principe de protection de certaines catégories, qui plus est dans une forme d'arbitraire. C'est bien d'ailleurs ce qui se passe aujourd'hui lorsque le ministre décide de revenir sur un arrêté d'expulsion pour tel ou tel étranger. Pourquoi lui et pas un autre ? C'est ce qui nous conduit à vous proposer de modifier cet article afin de limiter les possibilités d'expulsion des étrangers protégés aux seuls cas d'espionnage et de terrorisme, et donc de supprimer la référence à l'ordre public.
    Quant à l'interdiction du territoire français, la loi prévoit qu'une « motivation spéciale » sera exigée du tribunal lorsque l'étranger appartient à certaines catégories - il y en a six qui figurent dans la loi actuelle. Mais, dans les faits, cette motivation est bien souvent, comme l'a rappelé la commission Chanet, une « motivation alibi ». C'est pourquoi nous vous proposons également d'instaurer, pour ces catégories, non plus une protection relative mais une protection absolue en faisant là encore une exception pour les actes de terrorisme et d'espionnage. Seraient donc protégés de manière absolue contre toute mesure d'éloignement, à l'exception des actes de terrorisme et d'espionnage, les étrangers qui ont un lien ancien ou un lien familial avec notre pays.
    Telles sont, mes chers collègues, les évolutions législatives que nous proposons à la discussion. Nous sommes, pour notre part, disposés dès aujourd'hui à contribuer à mettre fin à des situations humaines dramatiques qui choquent nombre de nos concitoyens. C'est dans cet état d'esprit que nous vous soumettons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)     M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement.
    M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je voudrais en premier lieu vous prier d'excuser l'absence du garde des sceaux, Dominique Perben, qui participe, autour du Premier ministre et avec l'ensemble des membres du Gouvernement, au séminaire prévu de longue date sur le développement durable.
    Il n'est pas d'usage, monsieur le président Ayrault, d'échanger systématiquement des amabilités entre l'opposition et le Gouvernement. J'en conviens. Mais il n'est pas obligatoire non plus d'être désobligeant. Je regrette votre attitude de départ, du moins à mon égard, dans la mesure où, comme vous le savez, en tant que porte-parole du Gouvernement, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, je m'exprime au nom de l'ensemble du Gouvernement. Je vous demande donc de bien comprendre que la position que je défendrai aujourd'hui sera celle du Gouvernement dans son ensemble. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Guy Geoffroy. Vous ne devriez même pas avoir à le rappeler !
    M. Jean-Louis Idiart. Ce n'est pas à un ancien parlementaire qu'on peut faire le coup ! On sait très bien ce que cela veut dire...
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. J'ajoute que votre empressement à vouloir faire adopter cette proposition de loi maintenant que vous êtes dans l'opposition, alors que vous avez été pendant cinq ans au pouvoir, a de quoi choquer. Mais j'aurai l'occasion de vous en reparler...
    Le débat sur ce qu'il est convenu d'appeler communément la « double peine » est un débat ancien, particulièrement sensible. Il touche à la fois à des questions humaines parfois douloureuses et à des questions juridiques très complexes, comme le rapporteur l'a rappelé tout à l'heure.
    Cette question s'inscrit dans une double problématique : celle de la gestion des flux migratoires et, plus globalement, de la réponse à apporter aux actes de délinquance commis par des étrangers. Une question de cette importance doit être traitée avec sérénité, sans passion ni arrière-pensée.
    Le groupe socialiste soumet aujourd'hui à l'Assemblée nationale une proposition de loi destinée à réformer les conditions dans lesquelles les délinquants de nationalité étrangère peuvent faire l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire national soit dans le cadre de la procédure judiciaire des interdictions du territoire français, soit dans le cadre d'une procédure d'expulsion.
    Avant de donner l'avis du Gouvernement sur ce texte, je souhaiterais brièvement rappeler les enjeux soulevés par cette question. Deux attitudes sont possibles : l'une consiste à légiférer de façon définitive et brutale ; l'autre, qui a notre préférence, cherche à ouvrir le débat et à permettre le dialogue. J'y reviendrai dans quelques instants.
    Qu'est-ce que la double peine ? Cette faculté ouverte aux Etats d'éloigner les ressortissants étrangers qui méconnaissent leurs lois les plus essentielles, puisqu'il s'agit de celles qui sont inscrites dans le code pénal, existe depuis fort longtemps en ce qui concerne la procédure d'expulsion. Il s'agit d'une prérogative régalienne qui ne fait guère l'objet d'une contestation de principe. Cette mesure de police n'est pas subordonnée en droit à la commission d'infractions pénales. Elle n'en est pas moins liée généralement à la constatation d'actes de délinquance, soit qu'il s'agisse d'actes graves, soit qu'il s'agisse d'actes réitérés. Elle a, par ailleurs, les mêmes conséquences pratiques que les mesures d'interdiction du territoire, ce qui fait que les problématiques sont en réalité communes.
    La possibilité, pour les juridictions pénales, de prononcer des peines complémentaires d'interdiction temporaire ou définitive du territoire français, en plus des peines principales, est en revanche plus récente puisqu'elle a été introduite dans notre droit en 1970. Cela concernait au départ les personnes coupables d'infractions à la législation sur les stupéfiants. Depuis cette date, ce mécanisme de peine complémentaire, désormais communément appelée « double peine », n'a cessé de s'étendre. Il concerne aujourd'hui près de 200 infractions pénales. Faut-il préciser, monsieur le rapporteur, que la gauche a participé, elle aussi, à cette extension ?
    M. Guy Geoffroy. Absolument !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Cette extension régulière du mécanisme de « double peine » s'est accompagnée de la prise de conscience des problèmes que cela soulevait. Quand, par exemple, cette double peine s'applique à des personnes ayant créé dans notre pays des liens privés et familiaux intenses, voire une famille.
    Sur cette question délicate, aux conséquences humaines lourdes, la proposition de loi qui vous est aujourd'hui soumise nous semble inadaptée et prématurée. Le Gouvernement a préféré, pour sa part, suivre une démarche pragmatique, fondée sur la concertation et le dialogue. Nous estimons qu'il faut d'abord ouvrir un débat sans complexe et sans outrance.
    M. François Loncle. Cela fait longtemps qu'il est ouvert !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Les partisans d'une réforme de la « double peine » ont le droit d'être entendus. Ceux qui souhaitent le statu quo également.
    D'un côté, on ne peut pas nier les conséquences pratiques de la « double peine », qui posent dans certains cas de véritables problèmes humains. Mais, d'un autre côté, il est tout aussi vrai que le principe de l'éloignement des étrangers délinquants repose sur une logique légitime, une logique d'intégration, une logique qui n'est rien d'autre que du bon sens et qui rappelle que le respect des lois est sans doute le premier signe d'attachement des étrangers à la communauté nationale. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) D'ailleurs, toutes les juridictions suprêmes, en particulier le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme, admettent le principe de la « double peine ». Elles demandent seulement que l'approche soit circonstanciée et proportionnée. En termes moins juridiques, qu'elle soit humaine.
    Ces deux points de vue, ceux des partisans et ceux des opposants, doivent être pris en compte. Et, autant qu'il est possible, ils doivent être conciliés. Toutes les opinions seront donc entendues dans le cadre d'une concertation sereine, sans a priori idéologique.
    Le ministère de l'intérieur, en étroite liaison avec le ministère de la justice, a engagé cette concertation depuis quelques jours. Il a notamment reçu Bertrand Tavernier, cinéaste, et Bertrand Bolze, responsable de la campagne nationale contre la « double peine ».
    Un groupe de travail interministériel, réunissant les ministères de l'intérieur et de la justice, a été constitué. Il s'est réuni pour la première fois avant-hier et se retrouvera tous les quinze jours. Il s'est donné quatre mois pour procéder à un examen d'ensemble de la question et proposer, si nécessaire, des pistes de réforme.
    Sur un plan technique, il faudra profiter de ce débat pour se livrer à un examen attentif des voies de réformes envisageables afin de bien en mesurer toute la portée.
    Plusieurs points devront en particulier être examinés : la définition des catégories d'étrangers à protéger ; la définition des infractions les plus graves devant faire exception à toute forme de protection.
    Mais je m'empresse d'ajouter qu'il y a une contrepartie à tout cela. Car si nous devons adopter une attitude humaine et réaliste pour les cas les plus délicats, l'attachement qui est le nôtre à protéger l'ordre public nous recommande la fermeté dans les autres cas.
    M. Jean Leonetti. Très bien !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Nous devons aussi nous donner les moyens d'éloigner avec beaucoup plus d'efficacité les étrangers de passage qui troublent l'ordre public français.
    Toutes catégories d'étrangers confondues, les mesures d'expulsion, soumises à une procédure lourde et à des conditions restrictives, ne sont exécutées aujourd'hui qu'à hauteur de 60 %. Les interdictions judiciaires du territoire sont, quant à elles, exécutées à hauteur des deux tiers. La proportion tombe à un tiers pour les interdictions de territoire prononcées en raison de l'irrégularité du séjour.
    Ces insuffisances, mesdames et messieurs les députés, ont deux graves conséquences : elles jettent le discrédit sur la sanction pénale et elles suscitent un appel d'air qui fragilise notre politique de maîtrise des flux migratoires et sont à l'origine d'un sentiment d'impunité.
    Une réponse devra être apportée à ces questions. La réflexion que le Gouvernement vient de lancer s'y attachera tout autant. C'est essentiel si nous voulons mettre un terme à ce sentiment d'impunité qui, depuis des années, fragilise notre cohésion nationale et réussir notre politique d'intégration.
    Mesdames et messieurs les députés, vous le savez, le Gouvernement est attaché à conduire une politique à la fois ferme et humaine.
    La « double peine » soulève de vraies questions qui méritent mieux que des indignations sélectives ou des pétitions de principe. Mais notre conviction, c'est que le texte proposé apporte une réponse précipitée et inadaptée à cette question. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    Précipitée - et je le dis sans polémique - car la suppression de la « double peine » faisait déjà partie des 110 propositions de François Mitterrand.
    Après quinze ans de gouvernements socialistes, on ne peut pas dire que le dossier ait avancé, même si, à chaque alternance, la gauche une fois dans l'opposition se rédécouvre une passion soudaine pour le sujet.
    Mais ce texte est surtout inadapté. Car l'attachement qui est le nôtre à des notions telles que la confiance, le dialogue, le respect, la concertation, s'accommode mal de cette réponse brutale,...
    M. François Loncle. Brutale ?
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. ... définitive, tombée d'en-haut, que l'opposition socialiste propose à travers ce texte.
    Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, nous préférons adopter une méthode plus pragmatique et ouverte. Nous préférons réunir ceux qui sont favorables au statu quo et ceux qui s'y opposent, pour confronter les points de vue.
    M. François Loncle. C'est un enterrement de première classe !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. C'est ce qui a été engagé, sous les auspices de Nicolas Sarkozy et de Dominique Perben. Avec, toujours, le souci de concilier la préservation de l'ordre public et le respect de l'homme.
    Voilà pourquoi le Gouvernement estime qu'il n'y a pas lieu de délibérer de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

Discussion générale

    M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Alain Vidalies.
    M. Alain Vidalies. Ainsi, monsieur le secrétaire d'Etat, notre proposition de loi serait inadaptée et prématurée ? Je dois dire que la manière dont vous avez justifié votre refus devant notre proposition de dialogue m'a beaucoup inquiété.
    Inadaptée, avez-vous dit ? La presse de ce matin nous en donne probablement l'explication : nous aurions finalement été timorés et insuffisamment hardis ! C'est un peu surprenant. J'en veux pour preuve le ton que vous avez donné, dès ce matin, à notre débat. Il faudra bien que la majorité s'en explique...
    Qui plus est, la seule proposition que nous connaissions à ce jour, qui émane de vos rangs et qui sert de cache-misère à la réalité est celle de M. Pinte. On nous dit qu'elle serait beaucoup plus large que la nôtre. La majorité - du moins à travers cette seule proposition connue - serait favorable au droit au retour et à une application rétroactive. Elle exclurait totalement, contrairement à ce que vous venez de dire, l'ensemble des infractions - notamment les actes de terrorisme - du champ de l'interdiction du territoire.
    Si telle est la position de la majorité, nous ne l'avions pas comprise ainsi. Mais chiche ! Parlons sur ces bases-là, nous sommes disponibles. La proposition de loi du groupe socialiste n'est pas à prendre ou à laisser. Vous voulez un débat ? Vous appelez à la discussion ? Mais à quoi sert le Parlement dans une démocratie, si ce n'est justement à organiser le débat ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Où, ailleurs qu'au Parlement, devrait se dérouler un débat sur cette question, dont on nous dit aujourd'hui qu'elle pourrait rassembler tous les courants de pensée en France, compte tenu des positions récentes du ministre de l'intérieur ?
    L'histoire ne s'arrête pas à treize heures aujourd'hui. Nous n'en sommes qu'à la première lecture d'une proposition de loi. Vous nous dites que vous avez besoin de quatre mois ? Or, pendant ces quatre mois, rien n'empêche de mener parallèlement les discussions, d'associer les associations, puisque c'est ce que vous souhaitez, à l'élaboration de la loi. Une telle démarche serait exemplaire.
    En réalité, il est bien difficile, dans vos propos, de trouver l'ébauche d'une solution favorable à cette question douloureuse. Ceux qui y ont été attentifs s'inquiéteront probablement. J'appelle plus particulièrement l'attention de M. Pinte.
    Vous avez eu, en effet, monsieur le secrétaire d'Etat, des propos - auxquels vous avez sûrement apporté tous vos soins - très inquiétants pour les promoteurs de cette modification du texte : vous avez déclaré qu'une période de réflexion et de concertation était indispensable pour déterminer si des propositions de réforme étaient, ou non, nécessaires.
    M. Guy Geoffroy. Eh oui ! Il faut écouter !
    M. Alain Vidalies. Ce qui revient à dire qu'à ce stade vous n'êtes pas encore convaincu qu'il faille modifier la loi.
    M. Manuel Valls. C'est un enterrement de première classe !
    M. Alain Vidalies. Il nous faut donc faire le grand écart entre une proposition isolée qui n'est pas déposée et sert à occuper l'espace médiatique, mais sur laquelle nous voulons bien discuter, malgré les difficultés prévisibles, au vu de la liste des orateurs inscrits pour le débat...
    M. Guy Geoffroy. Nous ne sommes pas des idéologues, nous !
    M. Alain Vidalies. ... et les déclarations timorées d'un gouvernement qui nous dit que nous allons parler, mais sans savoir exactement pour quoi faire et que nous verrons plus tard.
    M. Guy Geoffroy. C'est cela, la concertation !
    M. Alain Vidalies. Lorsqu'il commet un crime ou un délit, l'étranger qui réside en France peut être renvoyé dans son pays d'origine soit par une décision du juge judiciaire appliquant des dispositions relatives à l'interdiction du territoire français, soit par une décision de l'autorité administrative. Ces deux procédures sont communément confondues sous l'appellation de « double peine », qui stigmatise le fait d'ajouter à la condamnation pénale cette sanction particulière qui ne vise, par définition, que les étrangers et dont les conséquences sur le plan humain sont trop souvent inqualifiables.
    Le principe même de l'interdiction du territoire est apparu dans notre code pénal en 1970, au titre des dispositions particulières destinées à lutter contre le trafic de drogue. Depuis cette date, son champ d'application n'a cessé de s'élargir au point d'inclure aujourd'hui, potentiellement, plus de deux cents crimes et délits. Il est d'ailleurs assez remarquable que les délits financiers les plus sophistiqués échappent au risque d'application de l'interdiction du territoire français. Cet oubli collectif du législateur a manifestement toute sa place dans notre réflexion de ce jour.
    La proposition de loi du groupe socialiste n'a pas pour objet de supprimer purement et simplement l'interdiction du territoire français ou l'expulsion administrative, mais de tenter d'éviter que ne se renouvellent des situations que les associations dénoncent à juste titre depuis trop longtemps.
    Le législateur a déjà reconnu que tous les étrangers ayant commis un délit ne peuvent être traités de manière identique, en raison des liens particuliers que certains d'entre eux ont avec la France. En effet, notre droit positif distingue déjà la situation des étrangers qui, soit sont parents d'un enfant français résidant en France, soit sont mariés depuis au moins un an avec une personne de nationalité française, soit résident habituellement en France depuis l'âge de dix ans ou depuis plus de quinze ans, soit nécessitent une prise en charge médicale qui ne peut leur être assurée dans leur pays d'origine, soit sont titulaires d'une rente d'accident du travail avec un taux d'incapacité égal ou supérieur à 20 %.
    En matière d'expulsion, la protection existe également, en apparence, pour les catégories d'étrangers énumérées à l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Dans la réalité, et à l'exception des mineurs de dix-huit ans, la dérogation prévue à l'article 26 rend la protection très aléatoire. En effet, la loi permet à l'autorité administrative de prononcer l'expulsion lorsque celle-ci constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique. Or la notion de sécurité publique n'a jamais fait l'objet d'une définition législative et, même à ce jour, la jurisprudence n'a pu en définir les contours pour garantir le justiciable contre des mesures arbitraires, discriminatoires, voir incompréhensibles.
    La même difficulté apparaît s'agissant de l'application par le juge pénal de l'interdiction du territoire français, la protection dont bénéficient certaines catégories d'étrangers peut être contournée par une motivation spéciale. Les décisions prononcées révèlent malheureusement que ce qui était l'exception dans l'esprit du législateur est trop souvent devenu la règle. En outre, il est quasiment impossible de dégager une cohérence permettant de s'appuyer sur une jurisprudence établie.
    A ce flou juridique concernant le concept de sécurité juridique ou les règles dérogatoires prévues par le code pénal s'ajoute une confusion permanente dans l'intervention respective du juge judiciaire et de l'autorité administrative. Ainsi, très régulièrement, même lorsque le juge n'a pas estimé nécessaire de prononcer l'interdiction du territoire français, l'autorité administrative, sur la base des mêmes faits, s'autorise à prononcer une expulsion. L'expression « double peine » prend alors toute sa dimension.
    Ces incertitudes juridiques aboutissent à des situations dénoncées à juste titre, car elles sont intolérables sur le plan humain, notamment lorsque l'application de la loi conduit, après l'exécution de la peine, à renvoyer un étranger dans un pays dont, parfois, il ne connaît même pas la langue.
    Nous avons déjà débattu la question de l'intégration, il y a quarante-huit heures, lors de l'examen de notre proposition de loi relative au droit de vote des étrangers aux élections locales. Or la double peine entretient dans l'opinion publique une confusion perverse entre le délit commis et le défaut d'intégration. Par définition, les étrangers concernés sont, à l'origine, en situation régulière, c'est-à-dire qu'un titre de séjour leur a été accordé en raison de critères objectifs liés à l'intérêt particulier que ces personnes portaient à notre pays dans lequel elles avaient décidé de vivre.
    M. Guy Geoffroy. Et cela leur donnerait le droit de violer la loi ? C'est incroyable !
    M. Alain Vidalies. Nous ne proposons pas de supprimer l'interdiction du territoire lorsque ces liens sont trop récents ou ne justifient pas une protection particulière. Par contre, lorsqu'il s'agit d'étrangers ayant des liens particuliers avec la France, nous proposons de passer d'une protection relative à une protection absolue. A quoi sert de distinguer dans la loi des étrangers méritant une protection particulière, si c'est pour vider immédiatement cette protection de toute substance au moyen de dispositifs dérogatoires dont la rédaction ou l'interprétation par le juge ou l'autorité administrative révèle l'absence de toute politique pénale ou administrative identifiable ?
    Nous ne proposons pas, à l'exception de la prise en compte du PACS, de modifier la liste des étrangers justifiant de cette protection particulière. Nous proposons seulement que la loi, après les avoir identifiés, leur accorde un vrai droit au maintien de leur choix de vivre en France. J'observe d'ailleurs que c'était la solution retenue à l'origine, en 1992, avant qu'elle ne soit abrogée par la loi du 24 août 1993.
    La seule exception qui subsisterait concernerait l'atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, c'est-à-dire l'espionnage ou le terrorisme, formule qui serait commune aux dispositions du code pénal et à celles de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
    Cette modification de la loi est d'abord nécessaire au regard des engagements internationaux de la France, et notamment de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui accorde à quiconque réside sur le territoire de l'Union le droit à une vie privée et familiale normale. La France a d'ailleurs déjà été condamnée pour le non-respect de ces dispositions. Le rapport de M. Caresche cite également à juste titre l'article 12-4 du Pacte international sur les droits civils et politiques.
    La deuxième raison tient aux conséquences de la double peine pour les enfants, le conjoint, la famille du condamné. Ils sont de fait condamnés par ricochet à être privés, soit de vivre avec la personne de leur choix, soit de la présence d'un père ou d'une mère, alors que ces enfants ou ce conjoint ont, eux, pratiquement toujours la nationalité française.
    L'étranger, renvoyé dans un pays avec lequel il n'a plus de lien réel, ou privé du droit de vivre avec sa famille, n'a alors de cesse qu'il ne revienne en France, où ne s'ouvre plus à lui qu'une vie d'inquiétude, rythmée par les aléas de la clandestinité et les difficultés matérielles. Ainsi, il semble que 80 % des étrangers normalement protégés, mais néanmoins expulsés, reviennent ensuite vivre sur notre territoire.
    Ces insuffisances juridiques ont été mises en exergue par les conclusions du rapport Chanet, réalisé à la demande de Mme Guigou, alors garde des sceaux. La circulaire qu'elle a ensuite rédigée n'a pas changé fondamentalement les pratiques dénoncées, même si une diminution du nombre des expulsions d'étrangers protégés s'est immédiatement produite. A l'évidence, il faut changer la loi, et nous avons eu tort de ne pas le faire auparavant.
    M. Manuel Valls. Très bien !
    M. Alain Vidalies. La raison évidente de ce recul tenait à la crainte que l'opinion publique n'interprète une modification législative comme une faiblesse dans la lutte contre l'insécurité. Il faut dire que la droite, alors dans l'opposition, n'avait pas chaque jour de mots assez durs pour nous stigmatiser, ce qui renforçait notre conviction que toute initiative en ce sens rencontrerait l'incompréhension de l'opinion publique.
    M. Jean-Louis Idiart. Eh oui !
    M. Jean Leonetti. Comme si vous nous écoutiez à l'époque !
    M. Lionnel Luca. On vous a fait peur ?
    M. Alain Vidalies. Nous avons eu tort.
    M. Guy Geoffroy. Oui ! Il faut le redire !
    M. Alain Vidalies. Mais chacun voudra bien admettre que les responsabilités sont partagées.
    M. Guy Geoffroy. Ah non ! Nous assumons les nôtres, assumez les vôtres !
    M. Alain Vidalies. Voilà pourquoi nous vous proposons aujourd'hui de partager l'élaboration de la solution.
    M. Lionnel Luca. C'est l'obsession du partage !
    M. Alain Vidalies. Vous ne pouvez pas vous en tenir au refus d'examiner toutes nos propositions, au seul motif que nous avions la possibilité de légiférer quand nous étions majoritaires. Cette réponse systématiquement négative serait contraire à l'esprit de nos institutions, et notamment au règlement de cette assemblée. L'initiative parlementaire est un droit que nous avons conquis et voté ensemble. Il serait irresponsable de le vider de toute portée réelle.
    Or, aujourd'hui, les conditions d'une réponse consensuelle semblent - ou du moins semblaient - réunies.
    M. le président. Veuillez conclure, monsieur Vidalies.
    M. Alain Vidalies. En effet, à notre grande surprise, le ministre de l'intérieur lui-même a reconnu la nécessité de modifier la loi. Le moment est venu de passer aux actes.
    Bien entendu, notre proposition peut être améliorée par les amendements que vous souhaiterez proposer. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean Leonetti. Vous êtes grand seigneur !
    M. Guy Geoffroy. La majorité a le droit d'amender un texte de l'opposition : c'est magnifique !
    M. Alain Vidalies. Mais ce n'est pas au ministre de l'intérieur et à lui seul, sur la base de ses propres critères, de décider qui pourra continuer à vivre sur notre territoire et qui sera expulsé.
    J'ajoute que la confusion est à son comble lorsque, après une décision de justice prononçant une peine d'interdiction du territoire, l'autorité administrative s'y oppose par une assignation à résidence avec autorisation de travailler. Le respect de la séparation des pouvoirs y trouve difficilement son compte.
    M. le président. Il vous faut abréger !
    M. Alain Vidalies. Je conclus, monsieur le président.
    Nous avons bien compris, monsieur le secrétaire d'Etat, que la majorité et le Gouvernement refusent l'examen au fond de notre proposition. Les déclarations de M. Pinte sur la double peine n'auront pas plus de succès auprès de l'UMP que celles de M. Jego sur le droit de vote des étrangers.
    M. Manuel Valls. Eh oui !
    M. Lionnel Luca. Une hirondelle ne fait pas le printemps !
    M. Alain Vidalies. Il est vrai que le message de l'UMP est clair, dès lors que son porte-parole, mardi matin, était M. Mariani...
    M. Guy Geoffroy. Excellent collègue : un rempart contre le Front national !
    M. Alain Vidalies. ... et que vous avez réservé un triomphe aux propos extrémistes de M. de Villiers.
    Aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat, il existe une solution pour sortir de nos contradictions.
    M. le président. Concluez maintenant !
    M. Alain Vidalies. Puisque vous ne voulez pas discuter de cette proposition de loi au motif qu'une concertation de quelques mois est nécessaire, je vous invite à présenter un amendement instaurant un moratoire sur toutes les expulsions et interdictions du territoire,...
    M. Guy Geoffroy. Ce que vous n'avez pas fait !
    M. Alain Vidalies. ... comme vous l'avez prévu pour les licenciements.
    M. Lionnel Luca. Quel rapport entre les licenciements et la délinquance ?
    M. Alain Vidalies. Alors, monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement sera crédible dans sa démarche consensuelle. Nous sommes prêts à vous aider pour la faire fructifier. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Jean Leonetti.
    M. Jean Leonetti. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous sommes conduits à examiner une proposition de loi du groupe socialiste visant à protéger certaines catégories d'étrangers des mesures d'éloignement du territoire.
    Avant d'engager le débat sur le fond, je tiens à souligner combien l'expression communément employée de « double peine » nous paraît abusive. Elle laisse en effet supposer qu'un étranger subirait une peine plus lourde qu'un national, au seul motif qu'il est étranger. Le titre de la proposition de loi permet donc de rappeler que les mesures d'éloignement du territoire ne sont pas, comme l'indique le rapport, « cette anomalie de notre droit pénal qui permet de prononcer deux sanctions à l'encontre d'une personne du seul fait de sa nationalité ». En réalité, il s'agit de mesures complémentaires destinées à protéger la société, et dont il existe d'autres exemples dans notre droit positif, et pas seulement en droit pénal. Ainsi, la confiscation d'un objet, l'inéligibilité, le retrait du permis de conduire peuvent être des mesures d'accompagnement d'une sanction pénale.
    M. Alain Vidalies. Ça commence bien !
    M. Jean Leonetti. Vous dites, messieurs, que seuls les étrangers subissent l'éloignement. Je vous répondrai que seuls les conducteurs subissent le retrait du permis de conduire.
    M. Alain Vidalies. Les associations apprécieront !
    M. Guy Geoffroy. N'en parlez pas trop ! Vous savez ce qu'elles pensent de vous aujourd'hui.
    M. Alain Vidalies. De vous, elles ne pensent rien !
    M. Jean Leonetti. Ce que votre titre ne dit pas mais qu'il convient de rappeler également, même si cela paraît évident, c'est qu'il s'agit de délinquants. On pourrait croire, en effet, en lisant votre texte, que tous les étrangers seraient menacés d'expulsion, alors que ceux qui sont en situation régulière et respectent nos lois ne courent aucun risque.
    Comme vous l'avez rappelé, la législation a fait l'objet de modifications successives que je résumerai à l'essentiel. Ces mesures d'accompagnement, introduites en 1970, s'appliquaient à l'origine au seul trafic de stupéfiants. Leur élargissement à d'autres infractions a eu pour conséquence, probablement dans un souci d'équilibre, l'établissement de la liste des étrangers protégés.
    La situation n'étant pas pour autant jugée satisfaisante, en 1999, Mme Elisabeth Guigou, alors garde des sceaux, donne instruction aux parquets de veiller, dans leurs décisions, au respect de la proportionnalité entre l'atteinte à la vie privée et familiale de l'étranger et la préservation de l'ordre public. On constate donc de toute évidence que la recherche d'un équilibre entre le respect de la personne humaine et la préservation de la société a fondé tous les réajustements effectués dans les trente dernières années.
    La législation est-elle maintenant satisfaisante ? On aurait tendance à répondre par la négative au vu de décisions récentes aboutissant à des situations humainement difficiles, techniquement irréalistes et/ou juridiquement inapplicables, voire contre-productives, puisque la clandestinité pousserait à la récidive. Certaines personnes sont renvoyées dans un pays d'origine avec lequel elles n'ont aucun lien, alors qu'elles vivent depuis longtemps en France et y ont créé une famille. Voilà le vrai débat.
    Vous proposez donc aujourd'hui de revoir la législation, en l'occurrence l'ordonnance du 2 novembre 1945, et, en dehors des cas de terrorisme, d'interdire le prononcé d'une interdiction du territoire français à l'encontre de l'ensemble des étrangers protégés.
    Nous ne pensons pas qu'il soit opportun de légiférer pour plusieurs raisons.
    La première est une raison d'ordre général, mais qui me paraît essentielle. Il est mauvais de légiférer dans l'urgence à partir de cas particuliers, si douloureux soient-ils. La loi est normative et universelle. Elle s'adresse à tous, et pour longtemps. Elle a pour but de défendre la société et de protéger les individus. Il n'est pas bon de la modifier dans un climat conjoncturel ou passionnel et médiatique. Aujourd'hui, quelques drames familiaux touchent la sensibilité d'une partie de la population. Qu'en sera-t-il lorsque nous constaterons, un jour, avec une émotion unanimement partagée, qu'un délinquant étranger maintenu sur le territoire français aura récidivé ? Faudra-t-il revoir la loi en vigueur, dans le même contexte émotionnel, en fonction de la conjoncture et des réactions de la presse ? Que dirons-nous alors aux victimes ?
    Souvenez-vous, mes chers collègues, de la généreuse loi sur la présomption d'innocence. Lorsqu'elle a été appliqué, sa générosité l'a rendue si inactive et impuissante que ses auteurs eux-mêmes ont été contraints de revenir devant le Parlement pour la modifier.
    M. Ghislain Bray. Très juste !
    M. Jean Leonetti. Je crois donc que, lorsqu'on légifère, on doit le faire dans la sérénité et avec la conviction qu'on le fait pour longtemps et qu'on le fait pour tous.
    M. Lionnel Luca. Très bien !
    M. Jean Leonetti. La deuxième raison est que nous pensons que la loi en vigueur est bonne dans son principe. Il nous paraît normal, même si cela choque quelques oreilles virginales, de renvoyer chez eux des étrangers délinquants. Qu'y a-t-il de pénalisant à rentrer chez soi ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jean-Marc Ayrault. Ce qui est bien, c'est que vous dites clairement ce que pense l'UMP. Le voile de l'hypocrisie tombe !
    M. le président. Monsieur Ayrault, je vous en prie !
    M. Jean Leonetti. En disant cela, mes chers collègues, je paraphrase à peine les paroles de Daniel Vaillant : « Vous constaterez que, lorsqu'on a été dans la réalité du pouvoir, on a quelquefois des positions moins angéliques. »
    M. Manuel Valls. C'est la première fois que j'entends cela !
    M. Jean Leonetti. N'oublions pas, d'ailleurs, que ce sont les juges qui prennent la décision de reconduite à la frontière neuf fois sur dix. Dans notre société, dans notre droit, je crois que le respect du juge est quelque chose d'important.
    M. Etienne Blanc. Certainement !
    M. Jean Leonetti. Or la proposition que vous faites désiquilibrerait la loi et empêcherait le juge de se prononcer au cas par cas.
    M. Alain Vidalies. Ce n'est pas le juge qui fait la loi, c'est nous !
    M. Jean Leonetti. Mais c'est le juge qui apprécie les faits.
    M. Lionnel Luca. Et c'est lui qui prononce la peine.
    M. Jean Leonetti. Le Parlement élabore un cadre législatif, qui définit les délits, les catégories d'étrangers protégés et les mesures dérogatoires, mais c'est le juge qui, en conscience, applique ou n'applique pas telle disposition légale.
    Reste, bien sûr, la nécessité d'une cohérence de la politique pénale sur l'ensemble du territoire. Nous l'avons suffisamment dit et vous avez suffisamment caricaturé nos propos : nous sommes pour une politique pénale clairement affichée et des instructions générales données aux parquets.
    Sans doute, enfin, l'application de la loi est-elle, dans certains cas, plus sujette à caution que la loi elle-même. En commission des lois, nous avons reconnu, sur tous les bancs, que la loi, finalement, était équilibrée, mais que son application nécessitait parfois que des mesures d'ajustement soient prises. Peut-être n'aurions-nous pas connu les faits dénoncés par les associations et par les médias si les dispositions législatives et les directives données par le garde des sceaux avaient été scrupuleusement appliquées par les juges. Peut-être y a-t-il un travail d'information supplémentaire à effectuer.
    Mais gardons-nous de critiquer la loi elle-même lorsque c'est l'application qui laisse à désirer. Voyez l'ordonnance de 1945 sur la délinquance des mineurs. Tout le monde a souhaité, un jour, la modifier. Mais lorsqu'on la lit, on constate qu'elle souffre surtout d'être mal appliquée.
    M. Guy Geoffroy. C'est exact !
    Mme Hélène Mignon. C'est vous qui dites cela, monsieur Leonetti ?
    M. Jean Leonetti. Pourquoi n'essaierions-nous pas d'abord d'appliquer nos lois dans leur plénitude avant de chercher à les modifier ?
    M. Guy Geoffroy. Absolument !
    M. Jean Leonetti. Evaluer, contrôler, ce n'est pas dans la culture du Parlement. Il y a plus de noblesse, plus de panache, plus de résonance médiatique à faire une loi, éventuellement à lui donner son nom (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)...
    Mme Hélène Mignon. Quand même !
    M. Jean Leonetti. ... qu'à vérifier, réguler, ajuster. Et pourtant, dans notre vieille démocratie, c'est sans doute plus souvent grâce à des réajustements que la loi continue à assurer l'équilibre entre le respect de la personne humaine et la protection de la société.
    M. Guy Geoffroy. Très bien !
    M. Ghislain Bray. C'est le bon sens !
    M. Jean Leonetti. Troisième raison, l'action du Gouvernement est pragmatique et réaliste. Elle est portée par la volonté de fermeté et d'humanité qu'a prônée le Premier ministre.
    Un groupe de travail interministériel, constitué de praticiens et de juristes, a été mis en place et s'est déjà réuni pour évaluer et proposer éventuellement des modifications législatives. Les associations qui ont milité en ce sens sont favorables à cette démarche et participeront à ce travail. Des auditions seront menées, qui associeront bien entendu des parlementaires. Des conclusions seront rendues dans quatre à six mois. C'est ainsi que le ministre de l'intérieur a pu déclarer que le débat était ouvert.
    Mme Hélène Mignon. Alors ne le fermez pas !
    M. Jean Leonetti. Cette méthode nous paraît respectueuse de chacun et réaliste. Elle semble d'ailleurs convenir aux personnes qui militent depuis longtemps sur ce thème et qui, si j'ai bien compris ce que j'ai lu dans la presse, ne sont pas très favorables à la démarche engagée par le parti socialiste aujourd'hui. Faut-il rappeler qu'ils qualifient cette proposition de loi socialiste de « contre-feu hâtif » ?
    M. Guy Geoffroy. C'est le moins qu'on puisse dire !
    M. Jean Leonetti. Ils considèrent également que les socialistes n'ont pas intérêt à faire de cette affaire un usage politicien. Et ils les invitent à ne pas redorer leur blason sur le dos des victimes de la double peine.
    M. Ghislain Bray. Très bien !
    M. Jean-Marc Ayrault. Avec vous, ils vont se faire avoir !
    M. Jean Leonetti. On ne pouvait imaginer réquisitoire plus sévère de la part des défenseurs de la suppression de ce qu'on appelle communément, et abusivement, la double peine.
    Cela étant, mes chers collègues, nous n'éviterons pas, même si le débat est courtois, de constater nos différences. Vous tentez de faire accroire que nous sommes tous d'accord. Mais tel n'est pas le cas. Cette différence, elle est d'abord dans la méthode. Nous avons, quant à nous, ce désir et cette exigence d'aborder tous les problèmes sans tabou ni ostracisme. Nous voulons que l'écoute soit forte et que les choix soient clairement effectués. Nous ne souhaitons pas d'une législation d'affichage, encombrante et inefficace. Mieux vaut une circulaire qui s'applique qu'une grande loi non appliquée. L'enfer est pavé de bonnes intentions !
    M. Guy Geoffroy. Eh oui !
    M. Jean-Marc Ayrault. Il n'y aura donc pas de loi !
    M. Jean Leonetti. Cette différence est aussi dans la conception que nous avons des nationaux et des étrangers. Sans revenir sur un débat qui vient d'avoir lieu sur le vote des étrangers, j'ai noté dans l'exposé des motifs de votre proposition de loi que vous avez créé un lien entre vos deux textes : « A l'heure où nous souhaitons voir reconnue aux étrangers une citoyenneté de résidence, peut-on encore tolérer cette stigmatisation de l'autre, simplement parce qu'il n'a pas la nationalité française ? » Cette phrase pose le véritable problème. Pourquoi y a-t-il des drames humains, aujourd'hui dénoncés par ceux et pour ceux dont vous dites qu'ils sont français de fait ?
    M. Guy Geoffroy. On est français ou on ne l'est pas !
    M. Jean Leonetti. Qu'est-ce qu'un « Français de fait ». Je sais ce que c'est un Français, ce qu'est la nation. Mais, franchement, j'ignore ce qu'est un « Français de fait ». Vous nous avez expliqué, avec Mme Guigou, qu'il y avait une citoyenneté locale participative et une citoyenneté de résidence.
    M. Lionnel Luca. Quel charabia !
    M. Jean Leonetti. Pour nous, la citoyenneté et la nationalité sont liées. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. François Loncle. Non, ce n'est pas la même chose !
    M. Jean Leonetti. En réalité, le véritable problème est non pas qu'ils sont français de fait dans notre pays, mais qu'ils sont étrangers de fait dans le leur.
    M. François Loncle. Valéry Giscard d'Estaing a dit le contraire hier !
    M. Jean Leonetti. Et cela pose, qu'on le veuille ou non, les problèmes de l'intégration, de l'immigration, de la nationalité, et des valeurs républicaines, cette République à laquelle nous souhaitons intégrer les étrangers qui viennent régulièrement sur notre sol.
    Mme Hélène Mignon. Cela pose aussi le problème des rapports Nord-Sud !
    M. Jean Leonetti. Pour nous, être français, c'est une démarche volontaire d'adhésion à des valeurs, c'est des droits et des devoirs, c'est respecter nos lois. Pour vous, c'est résider sur notre territoire. Et les étrangers, même délinquants, devraient, à vous entendre, avoir quasiment les mêmes droits que les Français.
    C'est dire que l'intégration est un problème majeur pour l'avenir de notre pays. Pour prévenir la délinquance des étrangers, il faut, selon nous, d'abord lutter contre l'immigration clandestine et favoriser l'intégration à la France et aux valeurs de la République. C'est pourquoi le contrat d'intégration, rappelant les droits et les devoirs de chacun, peut aider les étrangers à s'insérer dans notre pays, mais aussi leur rappeler les risques qu'ils encourent à ne pas respecter nos lois. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Ghislain Bray. C'est un minimum !
    M. Jean Leonetti. Car aujourd'hui, après avoir fait des enfants d'étrangers des Français sans le savoir ni le vouloir, vous constatez que vous avez fait aussi des étrangers qui ne voulaient pas l'être.
    M. Jean-Marc Ayrault. Vous êtes contre le droit du sol !
    M. Jean Leonetti. Ne caricaturez pas, monsieur Ayrault ! Ne confondez pas tout !
    M. Jean-Marc Ayrault. C'est ce que vous venez de dire !
    M. Jacques-Alain Bénisti. Démagogie !
    M. Jean Leonetti. Vous arrivez dans le débat trop tard ou trop tôt. En tout cas, vous arrivez trop vite, et en déséquilibrant une loi qui a pourtant cherché longtemps son équilibre et qui peut encore le trouver. Nous rejetterons votre texte car, une fois de plus, nous avons et nous aurons mieux à proposer qu'une proposition qui est un mélange de remords et d'excès. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Vous avez le droit, chers amis socialistes, d'avoir des remords mais nous ne sommes pas obligés de les absoudre. Evaluation, dialogue, respect, action : voilà la méthode pour ajuster ou mieux appliquer une loi qui garde, à nos yeux, sa légitimité dans ses principes et dans ses règles d'application.
    M. François Loncle. Donc, il n'y aura rien !
    M. Jean Leonetti. L'idéologie, c'est lorsque les propositions précèdent la réflexion. Nous préférons, quant à nous, réfléchir avant d'agir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès.
    M. Michel Vaxès. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le choix fait par nos collègues du groupe socialiste de déposer, dans le cadre d'un ordre du jour réservé, une proposition de loi visant à protéger certaines catégories d'étrangers des mesures d'éloignement du territoire reçoit le soutien des députés communistes et républicains.
    M. Guy Geoffroy. Grande nouvelle !
    M. Michel Vaxès. Il est, en effet, grand temps que la France revienne sur cette mesure profondément injuste, et dont la mise en oeuvre remonte à 1970.
    Il n'est pas acceptable, dans un pays qui se prévaut d'être de la patrie des droits de l'homme, qu'une personne coupable d'un délit ou d'un crime soit condamnée deux foix : une première fois au titre de sa peine principale, une seconde en raison de sa nationalité.
    Il n'est pas acceptable que la justice d'un pays, qui a ratifié la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, continue de violer plusieurs de ses articles.
    Il n'est pas acceptable que, de nos jours, notre pays pratique encore le bannissement à l'égard d'hommes et de femmes qui vivent en France depuis de nombreuses années et qui y ont toutes leurs attaches.
    Comment justifier, sinon, sur le seul critère de la préférence nationale que, pour un même délit, un Français soit puni d'une peine de prison et qu'un étranger, vivant régulièrement en France, soit puni d'une peine de prison à laquelle s'ajoute ensuite une peine d'expulsion ? A l'évidence, de cette différence de traitement émanent de forts relents de xénophobie.
    Outre son caractère totalement discriminatoire, la double peine viole l'article 4 du protocole n° 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
    M. Jacques-Alain Bénisti. Et la liberté des victimes ? Parlez donc un peu des victimes !
    M. Michel Vaxès. Cet article énonce clairement l'interdiction de la double peine au nom du droit à ne pas être jugé ou puni deux fois pour un même délit.
    Elle viole également l'article 8 de cette convention, celui qui dispose que « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ». En effet, la double peine est totalement contraire au respect de ce droit élementaire. Elle punit l'entourage du prévenu en provoquant angoisse et souffrance pour l'ensemble de la famille et des proches. Il en résulte des vies brisées, des familles éclatées. Elle condamne des enfants, souvent français, à vivre sans leur père, des femmes sans leur conjoint.
    Une enquête de la CIMADE révèle, à cet égard, des chiffres édifiants : la moitié des condamnés à la double peine ont passé plus de la moitié de leur vie en France, et près d'un tiers d'entre eux y sont arrivés avant l'âge de six ans. Et six sur dix ont des enfants.
    Je citerai un exemple concret, celui tiré de l'ouvrage de Michaël Faure. La double peine, un racisme d'Etat. Il relate les propos d'un condamné à la double peine et illustre à quel point cette dernière est injuste et dégradante : « Ma famille, elle est là. Mon père et ma mère sont français. Mon père est ancien combattant, il a la croix de guerre, il a un certificat de bonne conduite de l'armée française. Mon grand-père a fait 39-45. Mon grand frère est français, mes petits frères, mes petites soeurs, tout le monde est français. Il n'y a que moi : je suis arrivé en France à l'âge de dix-huit mois, je suis algérien, et me voilà interdit de territoire français. »
    M. Jean-Pierre Grand. Pourquoi n'a-t-il pas demandé la nationalité française ?
    M. Michel Vaxès. Cette personne, comme tant d'autres au terme de l'exécution de leur peine de droit commun va être arrachée à sa vie en France et expulsée vers une société d'appartenance virtuelle. Nombreux sont ceux qui ne connaissent même pas le pays vers lequel ils sont expulsés, ils ne parlent pas la langue, et n'y ont aucune attache. Ils sont bannis.
    Mais la double peine n'est pas seulement injuste, elle est également inefficace. Aujourd'hui, l'argument principal de ses partisans est celui de la protection de l'ordre public. Or cet argument ne tient pas, il est même proprement mensonger. En effet, dans 80 % des cas, la personne expulsée fera tout pour revenir en France, là où elle a ses enfants, son conjoint, ses parents, ses attaches. Et, une fois en France, elle sera contrainte à une clandestinité qui rendra quasiment impossible son amendement et sa réinsertion.
    La double peine crée une nouvelle catégorie de sans-droits, sans-droit au séjour et sans droit au travail. En fait, c'est cette réalité, vécue comme une injustice par la famille, les proches et les voisins qui menace la cohésion sociale et l'ordre public. Parce qu'elle suscite l'incompréhension et le ressentiment de familles entières à l'égard de la société et de ses institutions. On le voit bien, la double peine est injuste, inefficace et inopérante.
    Cette proposition de loi reçoit d'autant plus notre soutien que nous n'avons jamais cessé de réclamer qu'il soit mis fin à l'injustice de la double peine, tout comme d'ailleurs nous n'avons jamais cessé de demander - en vain hélas ! - l'abrogation des lois Pasqua. Nous l'avons fait à plusieurs reprises en amendant, chaque fois que cela était possible, les projets de loi venant en discussion. Nous l'avons fait lorsque la loi du 11 mai 1998 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France est venue en débat. Nous l'avons fait plus récemment encore, en juillet dernier, en déposant un amendement lors de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice. Malheureusement, nos amendements n'ont jamais été retenus.
    La discussion de cette proposition de loi répond au souci d'une majorité de Français : 68 % d'entre eux se prononçaient en avril dernier pour une remise en cause de la double peine. Elle intervient un mois après que le ministre de l'intérieur eut déclaré qu'il lui semblait « difficile, y compris pour des gens au passé judiciaire chargé, de les mettre dehors quand ils ont créé des liens avec la France. » Nous regrettons évidemment qu'il ait fallu attendre novembre 2002 - c'est-à-dire trente-deux ans ! - pour qu'enfin cette question soit réexaminée avec quelque chance d'évoluer.
    Aujourd'hui, la loi prévoit que la double peine s'applique sans que le juge ait à motiver spécialement sa décision au regard de l'infraction et de la situation personnelle et familiale de la personne condamnée. Il n'est tenu de le faire que dans certains cas précis, lorsque la personne a des liens avec la France parce qu'elle y demeure depuis de nombreuses années ou parce qu'elle y vit depuis son plus jeune âge, ou bien encore parce qu'elle a un enfant français ou qu'elle est mariée avec une personne de nationalité française.
    La proposition de loi de nos collègues prévoit de rendre le recours à la double peine impossible seulement pour ces catégories de personnes protégées. Mais il faut aller résolument plus loin car qu'en sera-t-il pour les autres ? Rien n'est prévu pour empêcher l'interdiction du territoire quand elle s'apparente à une double peine. Ainsi, on peut craindre que ce texte ne nous entraîne à nouveau vers des situations ubuesques.
    Je ne prendrai qu'un seul exemple. Avec cette proposition, si un étranger vivant en France depuis quinze ans est condamné pour un vol de voiture, il ne pourra lui être appliqué la double peine. Mais s'il vit en France depuis quatorze ans, alors, le juge pourra prononcer à son encontre, en plus de sa condamnation principale, une interdiction du territoire français, soit définitive, soit d'une durée de un à dix ans. Comment justifier que dans le premier cas l'interdiction du territoire français ne soit pas possible, et que dans l'autre elle le soit, sans aucune autre forme de procès ? N'allons-nous pas voir se reproduire des situations injustes et injustifiables ?
    Vous l'aurez compris, telle quelle, cette proposition de loi ne s'accorde pas avec notre position de fond. Nous sommes hostiles à toute double peine d'abord parce qu'elle est contraire au principe d'égalité de tous devant la loi, ensuite parce qu'elle est inefficace en termes d'ordre public et qu'elle entraîne de nombreux dégâts collatéraux, familiaux et sociaux.
    Cependant, dans le souci de ne pas écarter l'occasion de voir enfin le droit commun amélioré en la matière, nous avions déposé un amendement tendant à prévoir que, dans tous les cas où le recours à la double peine n'est pas interdit, le juge devrait spécialement motiver sa décision au regard de l'infraction et de la situation personnelle et familiale de l'étranger. Cet amendement permettait de protéger tous les étrangers qui n'entrent pas dans la liste des personnes protégées pour qui le recours à la double peine est particulièrement injuste. Il améliorait cette proposition en lui permettant d'atteindre la hauteur des ambitions qu'elle affiche.
    Hélas, cet amendement ne sera pas discuté aujourd'hui car la commission des lois a décidé, mardi dernier, de ne pas procéder à l'examen des articles. Nous le regrettons et nous voterons tout à l'heure en faveur du passage à la discussion dès aujourd'hui, même si nous avons pris acte des déclarations du ministre de l'intérieur. Bien sûr, nous serons extrêmement vigilants lorsque le projet de loi annoncé sera soumis à la représentation nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot.
    M. Philippe Folliot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà donc au coeur d'un débat attendu par un certain nombre de nos concitoyens et qui paraît important au regard des difficultés liées à l'application des textes de loi en vigueur. La situation actuelle n'est pas satisfaisante. Il y a donc lieu de réfléchir à des modifications législatives. Le problème est de savoir quand et comment.
    Tout d'abord, je me permettrai de faire un constat : les socialistes au pouvoir pendant cinq ans...
    M. Guy Geoffroy. Quinze ans !
    M. Philippe Folliot ... ne se sont guère préoccupés de cette question et n'ont pas été à même de trouver une solution. C'est fort opportunément, au moment où le Gouvernement, par l'intermédiaire du ministre de l'intérieur, fait part d'une volonté d'ouverture sur ce sujet qu'ils profitent d'une niche parlementaire entre l'examen de la loi sur la décentralisation et celui de la loi de programmation militaire pour aborder ce problème. Je ferai simplement remarquer à celles et à ceux qui souvent se cachent derrière une gauche dite morale pour soulever un certain nombre de points...
    Mme Hélène Mignon. Qu'est-ce que la gauche morale ?
    M. Manuel Valls. Mieux vaut une gauche morale qu'une droite immorale !
    M. Philippe Folliot ... que M. Bertrand Tavernier et M. Bernard Bolze ont fait part, il y a quelques jours, de leur indignation devant la volonté du PS d'exploiter de manière politicienne cette question. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. François Loncle. Mais non, vous caricaturez !
    M. Philippe Folliot. Pour se faire pardonner les carences qui ont été les leurs alors qu'ils étaient au pouvoir, les membres de l'opposition essaient aujourd'hui de nous donner des leçons de morale et de bon sens.
    M. Guy Geoffroy. Mais la ficelle est trop grosse !
    Mme Hélène Mignon. Vous ne savez vraiment pas quoi dire, monsieur Folliot !
    M. Philippe Folliot. Sur la forme, un certain nombre de points méritent d'être soulignés dans ce texte. Tout d'abord, la limitation aux intérêts fondamentaux de la nation en termes d'espionnage et de terrorisme pour reconduire à la frontière un étranger est évidemment trop restrictif.
    De la même façon, la prise en considération de la situation matrimoniale des individus pose un problème. Comment le fait pour un étranger d'être marié et d'avoir des enfants pourrait-il justifier, alors qu'il aurait commis un acte relativement grave, d'être plus protégé qu'un étranger célibataire à qui l'on reprocherait un acte moins grave, moins important ?
    M. Maxime Gremetz. Il serait en prison, comme un Français !
    M. Philippe Folliot. Il y a lieu de se poser des questions. En tout état de cause, les réponses apportées par le texte de la proposition de loi qui nous est soumise ne sont pas appropriées.
    La proposition de suppression du dernier alinéa de l'article 222-48 et de la dernière phrase de l'article 442-12 du code pénal, qui permettrait à certains étrangers convaincus de trafic de drogue de ne pas être expulsés, est proprement scandaleuse. On ne peut pas, d'un côté, afficher des positions fermes et fortes en matière de lutte contre la drogue et, de l'autre, protéger certains trafiquants, d'autant que, comme le montrent les statistiques, bon nombre de trafiquants et, notamment les petits, sont d'origine étrangère. Il est important d'en tenir compte.
    M. Alain Vidalies et M. Maxime Gremetz. Oh !
    M. Philippe Folliot. C'est une vérité.
    M. Maxime Gremetz. Vous êtes raciste !
    M. Philippe Folliot. Sur le fond, il me paraît essentiel de rappeler quelques principes.
    Le premier est que, si les étrangers ont des droits, ils ont aussi des devoirs.
    M. Maxime Gremetz. Ce n'est pas nouveau ! Ils ont même droit à la double peine !
    M. Philippe Folliot. En même temps que l'on met en avant les droits légitimes des étrangers, il faut insister de manière tout aussi forte sur les devoirs de celles et ceux qui sont hôtes dans un pays d'accueil. (Applaudissements sur les bancs du de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Maxime Gremetz. Par exemple, sur les devoirs de Messier ! Il a des devoirs, lui aussi !
    M. Philippe Folliot. Si des Français commettaient des actes délictueux dans un pays étranger, il nous paraîtrait tout à fait normal qu'ils soient sanctionnés dans leur pays d'origine. Le fait qu'un Français qui a commis un acte délictueux dans un pays étranger soit renvoyé en France ne pose de problème à personne.
    M. Alain Vidalies. Ce n'est pas la peine, monsieur le secrétaire d'Etat, d'essayer de faire des lois avec des gens pareils ! Mieux vaut finalement en rester là !
    M. Philippe Folliot. Deuxième principe : quand on parle du sort à réserver aux coupables, gardons-nous d'oublier les victimes. A ce sujet, le groupe UDF et apparentés souhaite que soit réaffirmé le principe de fermeté selon lequel tout étranger, comme tout citoyen national, se doit avant toute chose de respecter la loi.
    M. Guy Geoffroy et M. Ghislain Bray. Très bien !
    M. Maxime Gremetz. N'oublions pas non plus de réaffirmer le principe d'une seule justice pour tous !
    M. Philippe Folliot. Et tout étranger doit savoir qu'il risque l'expulsion. C'est un principe qu'il est important de rappeler.
    M. Ghislain Bray. C'est une évidence.
    M. Philippe Folliot. Pour autant, il est essentiel d'asseoir des positions de bon sens et d'humanité.
    Il faut adapter les textes afin qu'une différence soit faite entre un étranger arrivé depuis peu de temps dans notre pays - s'il commet des actes délictueux, il mérite d'être expulsé -, et celles et ceux qui, résidant dans notre pays depuis des décennies, n'ont plus de lien direct avec leur pays d'origine.
    M. Alain Vidalies. C'est déjà dans la loi !
    M. Jacques-Alain Bénisti. Ces derniers ont donc le droit de commettre des délits ! (M. Maxime Gremetz proteste.)
    M. Philippe Folliot. Il y a là matière à débat, mais nous serons tous d'accord, je pense, pour reconnaître qu'il faut essayer de traiter ces questions avec le maximum d'humanité.
    La bonne méthode me semble donc de prendre le temps de la réflexion.
    M. Maxime Gremetz. Vous avez eu le temps de le faire !
    M. Philippe Folliot. Il faut laisser au groupe de travail qui vient d'être constitué et qui réunit le ministère de l'intérieur et celui de la justice, le temps de réfléchir et d'écouter des personnalités morales irréprochables et des spécialistes de ces questions, afin qu'il puisse nous proposer des solutions.
    M. Alain Vidalies. Il va vous falloir du temps, alors !
    M. Philippe Folliot. Il est important de dépassionner le débat afin de pouvoir trouver la juste mesure entre les principes de fermeté et les principes d'humanité.
    L'opposition fait souvent jouer un certain nombre de motions de procédure pour faire durer les débats.
    M. Jean-Marc Ayrault. Mais non !
    M. Maxime Gremetz. Monsieur Goulard, dites à votre jeune collègue que vous n'étiez pas les derniers à le faire quand vous étiez dans l'opposition ! Il ne le sait pas, lui !
    M. Philippe Folliot. Pour bien moins que cela, elle aurait plaidé une motion de renvoi en commission de ce texte.
    Eh bien, mes chers collègues, c'est ce que le groupe UDF et apparentés vous propose. Nous souhaitons renvoyer ce texte en commission pour approfondir le sujet et surtout pour le reprendre sur la base des propositions gouvernementales.
    M. Jean-Marc Ayrault. Pourquoi n'avez-vous pas déposé une motion de renvoi ?
    M. Alain Vidalies. Allez-y, proposez-le ! Nous sommes prêts !
    M. Philippe Folliot. En tout état de cause, c'est en réaffirmant des principes à la fois de fermeté et d'humanité que nous devons aborder ce débat. Celui-ci aura lieu dans un autre cadre, dans quelques mois, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.
    Monsieur le secrétaire d'Etat, le groupe UDF et apparentés s'associera aux démarches du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Manuel Valls.
    M. Manuel Valls. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, mon intervention d'aujourd'hui s'inscrit dans la continuité de celle que j'ai prononcée, ici même, mardi, sur le droit de vote et d'éligibilité des résidents étrangers non communautaires. Notre volonté, à travers ces textes est, au fond, de recréer un socle de confiance dans les rapports entre les étrangers et la République.
    La double peine, qui s'est peu à peu introduite, à partir de 1970, dans notre droit est effectivement une incohérence, qui produit une inégalité, une injustice, qu'il faut définitivement effacer.
    M. Jean Leonetti. Voilà qui est clair !
    M. Manuel Valls. Bien sûr, vous pouvez nous reprocher - et cette fois-ci à juste titre - de présenter aujourd'hui un texte alors que, pendant cinq ans, la gauche était au pouvoir et majoritaire dans cette assemblée.
    M. Eric Raoult. Effectivement !
    M. Manuel Valls. Pourquoi ne l'a-t-on pas fait lors de la précédente législature ?
    M. François Goulard. Bonne question !
    M. Manuel Valls. S'il fallait légiférer sur toutes les promesses non tenues par les candidats à l'élection présidentielle et notamment par l'un d'entre eux, l'ordre du jour de l'Assemblée serait encombré pendant plusieurs législatures ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Eric Raoult. C'est hors sujet !
    Mme Christine Boutin. Et c'est petit !
    M. Manuel Valls. Non, c'est vrai !
    Pour le droit de vote et d'éligibilité, nous étions, nous le savions, bloqués par le Sénat, dont l'avis est, dès lors que l'on touche à la Constitution, incontournable.
    Là, je reconnais que nous ne sommes pas allés au bout de notre logique, au bout de nos valeurs.
    M. Guy Geoffroy. Il fallait avoir le courage de déposer un texte !
    M. François Goulard. Lors de l'examen des textes sur la justice, vous auriez pu aborder le problème !
    M. Manuel Valls. Cependant, la loi RESEDA du 11 mai 1998 a corrigé l'esprit de la loi 1993, en renforçant les garanties de protection des étrangers en fonction de leurs liens avec la France. La circulaire du 17 novembre 1999, se fondant sur l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, a pour sa part, considérablement atténué le champ d'application de la double peine puisque consigne a été donnée au parquet de considérer les attaches des étrangers à notre pays.
    Le candidat socialiste, Lionel Jospin (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), sentant que nous n'étions pas allés assez loin sur cette question, avait annoncé, lors de sa campagne, sa volonté une fois élu, de faire supprimer la double peine.
    M. Guy Geoffroy. Mais il n'a pas été élu ! D'ailleurs, c'est peut-être en partie pour cela qu'il a été battu.
    M. Manuel Valls. Ce que nous proposons aujourd'hui dans l'opposition, nous l'aurions fait dans la majorité. L'honneur en revient au groupe socialiste et à M. Caresche d'avoir déposé cette proposition de loi.
    Notre souci est de garantir la dignité de tous ceux qui se trouvent sur notre territoire et de redonner du sens à la vie ensemble. Il est, je le répète, de faire aimer notre pays aussi bien par nos concitoyens que par les étrangers qui y vivent. En somme, il est de réussir le défi de l'intégration.
    Dans ce cadre, nous considérons que la fin de la double peine, dont le poids symbolique a déjà été rappelé, est indispensable. Nul ne peut nier ici qu'elle crée des situations terribles et déchire des familles.
    Cela ne veut pas dire, je tiens à le souligner, que nous faisons preuve de laxisme.
    M. Guy Geoffroy. Non ! D'irresponsabilité !
    M. Manuel Valls. Ce reproche est inacceptable. Il faudrait plutôt l'adresser à M. Sarkozy ou à M. Pinte.
    M. Guy Geoffroy. Certainement pas !
    M. Manuel Valls. Il s'agit, bien au contraire de garantir que la fermeté dans l'application de la loi et de la sanction est la même pour tous. Le travail de la justice ne doit pas être le paramètre de l'accueil et du séjour des étrangers sur notre territoire. Le principe de la double peine est terrible, parce qu'il crée un sous-droit pour des sous-résidents.
    Outre son caractère inhumain, la mesure d'éloignement est, le plus souvent, inefficace, inopérante et, surtout, contre-productive. Qui peut, en effet, empêcher des parents de tenter par tous les moyens de revenir en France pour vivre avec leurs enfants ? Qui peut empêcher un jeune de vouloir revenir vivre avec sa famille, alors qu'il a été expulsé vers un pays qu'il ne connaît même pas ?
    M. Jacques-Alain Bénisti. S'ils respectent la loi, il n'y a pas de problème.
    M. Guy Geoffroy. Il n'ont qu'à respecter la loi !
    M. Manuel Valls. Des interdictions du territoire ont été prononcées à l'encontre de jeunes entrés en France dès leur plus jeune âge, pour des peines de prison ferme d'un an. Ces jeunes n'ont de cesse de revenir clandestinement en France et sont contraints à une vie illégale, propice à un retour à la délinquance. Ainsi, cette pratique fabrique des bannis.
    M. Guy Geoffroy. Non ! Seuls les nationaux peuvent être bannis !
    M. Manuel Valls. Au coeur du nouvel élan que les politiques d'intégration doivent générer, il y a bien sûr, nous le disions il y a deux jours, la restauration de l'ascenseur social, mais aussi l'ouverture de la fonction publique, une discrimination positive fondée sur des bases territoriales, une lutte ferme contre les discriminations et le droit de vote pour tous les résidents.
    Il faut aussi, je le répète, parce que le geste a une grande portée symbolique, supprimer la double peine. Cela restaurera la confiance entre la France et les étrangers qui y vivent, et contribuera à établir les nouveaux rapports que tous - les Français comme les étrangers - ont besoin de voir émerger.
    Pour que nos concitoyens et tous ceux qui habitent dans notre pays retrouvent le sens du vivre ensemble, il faut que nous refusions - c'est un préalable - les statuts de seconde zone, quels qu'ils soient.
    Et voilà que l'on nous présente une nouvelle théorie : le Gouvernement et la droite feraient leurs des thèmes considérés jusqu'à présent comme ceux de la gauche, (« Eh oui ! C'est nouveau ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Celle-ci aurait été trop timorée (« Eh oui ! » sur les mêmes bancs). Il est vrai, et nous l'avons reconnu, que, sur certains sujets, nous l'avons été. Et voilà donc qu'apparaîtrait une nouvelle droite, ferme, mais généreuse. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle).
    M. Jean Leonetti. Cela vous ennuie, mais c'est comme ça !
    M. Guy Geoffroy. La droite, surtout, est claire et responsable !
    M. Manuel Valls. Certains s'y laissent prendre et la gauche se verrait ainsi interdite de toute initiative. (« Non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Guy Geoffroy. Qu'est-ce que vous faites en ce moment ?
    M. Manuel Valls. Or, alors que des décisions rapides s'imposaient au vu de quelques dossiers révélateurs de l'absurdité de la double peine et alors que nous savons, aujourd'hui, ce qu'il faut faire, il faudrait maintenant nous concerter, attendre et gagner du temps !
    Tout a été dit, tout a été écrit, le rapport de M. Caresche le rappelle fort justement.
    M. Jacques-Alain Bénisti. Au lieu de rester dans votre bureau, cher collègue, il faudrait aller un peu plus dans les cités en difficulté !
    M. Manuel Valls. Comme pour le droit de vote des résidents non communautaires, l'opinion est aujourd'hui prête à entendre ce message de justice. Cela ne fait pas de doute. C'est donc maintenant, mes chers collègues, qu'il faut faire passer cette loi. Si nous attendons les consultations et les concertations annoncées, je crains que vos discours ne fassent changer l'opinion et que celle-ci ne soit plus, demain, prête à accepter une loi fondée sur des principes parfois difficiles à admettre.
    M. Guy Geoffroy. Vous voulez la faire passer en force !
    M. Manuel Valls. Je crains, compte tenu de nos débats, que la démarche de M. Pinte ne connaisse le même sort que celle de M. Jego. Je crains que la droite la plus dure ne l'emporte. Du reste au fond, elle l'a déjà emporté, comme l'ont démontré, ce matin, les interventions des orateurs de l'UMP et de l'UDF. Je crains que certains, en dehors de cet hémicycle, ne se fassent encore des illusions. Un texte de loi, présenté dans quelques mois, sera détruit par votre majorité, monsieur le secrétaire d'Etat ! Ils ont oublié, ceux qui se faisaient des illusions, que la droite est la droite et que ce combat juste est d'abord celui de la gauche. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations et rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean Leonetti. Voilà qui n'est pas caricatural, au moins !
    M. Christine Boutin. Vous avez une chasse réservée, monsieur Valls !
    M. Eric Raoult. La gauche ne serait-elle pas un peu idéologue ?
    M. Jean Leonetti. Un peu de manichéisme, d'idéologie et de langue de bois ! Nous sommes assurés, la gauche n'a pas changé !
    Mme Christine Boutin. C'est quand même incroyable de conclure sur de tels mots !
    M. le président. La parole est à M. Etienne Pinte.
    M. Etienne Pinte. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après avoir choisi, pour un sujet aussi important que le droit de vote des étrangers, une procédure inadéquate, voilà que le groupe socialiste récidive sur le dossier - ô combien délicat - de la double peine.
    M. Eric Raoult. Tout à fait !
    M. Etienne Pinte. Pourquoi cette précipitation ? Pourquoi avoir attendu d'être dans l'opposition pour vous intéresser à la question ?
    M. Christophe Caresche, rapporteur. C'est faux !
    M. Etienne Pinte. Qu'avez-vous fait pendant cinq ans ?
    M. Christophe Caresche, rapporteur. Je vais vous le dire !
    M. Etienne Pinte. Rien !
    M. François Loncle. C'est faux !
    M. Etienne Pinte. Excusez-moi... J'allais oublier les milliers d'hommes que vous avez renvoyés dans leurs pays d'origine,...
    M. Guy Geoffroy. Bien sûr !
    M. Étienne Pinte ... sans distinguer entre ceux qui pouvaient constituer une menace pour l'ordre public et les autres.
    M. Éric Raoult. Tout à fait !
    M. Etienne Pinte. Vous avez brisé des familles, détruit des couples, condamné des milliers de femmes et d'enfants à devenir ce que j'appelle des « veuves et des orphelins sociaux ».
    M. François Loncle. Qu'attendez-vous, alors ?
    M. Jean-Marc Ayrault. On ne vous a pas beaucoup entendu sur le sujet à l'époque !
    M. Etienne Pinte. Alors, pourquoi ce revirement aujourd'hui ? Pourquoi cette hâte ? Pourquoi cette proposition de loi déposée à la va-vite, rédigée sans même avoir consulté préalablement toutes les associations qui travaillent sur ces sujets depuis des années ? Très incomplète et bien loin de couvrir le sujet dans son ensemble, elle reflète votre ignorance du sujet sur le fond. Vous découvrez en fait tout à coup l'étendue des dégâts humains provoqués par la double peine. Vous vous apercevez enfin que la responsabilité politique ne souffre aucun non-dit, aucun sujet tabou, aucune attitude politiquement correcte.
    C'est tout à l'honneur de notre majorité d'avoir eu le courage d'ouvrir le dossier.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Très bien ! Bravo !
    M. Etienne Pinte. C'est grâce aux associations, à la CIMADE en particulier, au cinéaste Bertrand Tavernier, qui a réalisé un film bouleversant sur toutes ces vies brisées,...
    M. Jean-Marc Ayrault. Arrêtez votre cinéma !
    M. Etienne Pinte. ... que nous nous sommes sentis interpellés.
    Nous saluons l'intelligence du ministre de l'intérieur qui a permis la rencontre vendredi dernier avec les responsables de la CIMADE. Je suis, pour ma part, heureux de lui avoir apporté mon concours et mon aide pour ouvrir enfin le dialogue sur ce problème de société.
    La double peine consiste à ajouter à une condamnation pénale une expulsion et une interdiction du territoire national quelle que soit l'infraction commise et quelle que soit l'histoire personnelle ou familiale de l'étranger vivant dans notre pays.
    A ce sujet, je suis profondément choqué d'avoir entendu M. Vaillant estimer que la double peine ne serait qu'une peine supplémentaire,...
    M. Christophe Caresche, rapporteur. C'est ce qu'a dit M. Leonetti !
    M. Jean Leonetti. Pour une fois que je suis d'accord avec vous !
    M. Etienne Pinte. ... ou d'autres orateurs la comparer à une suspension de permis de conduire.
    M. Alain Vidalies. Ça, c'est l'UDF !
    M. Etienne Pinte. De grâce, mes chers collègues, de telles réflexions ne sont pas dignes quand il s'agit de l'exil de certains hommes !
    M. François Loncle. Dites cela à vos amis !
    M. Etienne Pinte. Depuis la médiatisation d'un cas particulier, celui de Chérif Bouchelaleg, d'origine algérienne, ayant rejoint son père à l'âge de onze ans, marié à une française, père de six enfants français, je reçois de très nombreux témoignages des quatre coins du pays, et même de l'étranger, à propos d'hommes sur le point d'être expulsés, ou qui l'ont déjà été, pour des motifs qui ne relèvent ni du terrorisme, ni d'atteinte à la défense nationale, ni d'espionnage, ni de crime contre l'humanité.
    M. Alain Vidalies. C'est exactement ce qu'on dit dans notre proposition !
    M. Etienne Pinte. Ces membres de la communauté nationale n'ont-ils pas droit, au même titre que tout citoyen français ayant commis les mêmes fautes, au pardon ?
    Ils sont algériens, espagnols, tunisiens, portugais, marocains, turcs et j'en passe. Ils sont nés en France ou arrivés en France à l'âge d'un an, quatre ans, sept, huit ou neuf ans. Ils sont pour la plupart mariés à une Française, ils ont des enfants français, ils ont toute leur famille en France. La majorité d'entre eux n'ont souvent plus aucune attache culturelle ou familiale dans leur pays d'origine et ne maîtrisent pas ou peu la langue, en particulier ceux qui sont nés ou arrivés très tôt sur notre territoire.
    Certes, ils ont commis des délits. Ils ont été condamnés, ils accomplissent ou ont accompli leur peine. Ils ont payé, comme on dit, leur dette à la société. Faut-il en rajouter, au prétexte qu'ils sont de nationalité étrangère, alors que toute leur vie est depuis très longtemps en France ?
    Faut-il nous retrouver un jour face à tous ces enfants qui nous jetteront à la figure : qu'avez-vous fait de nos pères ? Faut-il rendre la vie impossible à toutes ces femmes, à toutes ces mères que l'on aura privées de leur mari ? A toutes ces questions, ma réponse est non.
    Le ministre de l'intérieur a déjà pris des décisions : mise en place d'un groupe de travail, organisation de la concertation avec les associations concernées, étude au cas par cas des dossiers qui lui sont soumis. J'en profite pour le remercier publiquement d'avoir accordé l'assignation à résidence à M. Bouchelaleg et à d'autres personnes se trouvant dans des situations analogues...
    M. Christophe Caresche, rapporteur. Fait du prince !
    M. Etienne Pinte. ... alors que M. Vaillant m'avait refusé la même mesure pour M. Abidi.
    M. Eric Raoult. Eh oui !
    M. Guy Geoffroy. Ça fait mal !
    M. Etienne Pinte. Mais il ne suffit pas de défendre des cas particuliers. Il faut aussi que j'apporte ma contribution à la réflexion commune. Je vais donc vous présenter mes propositions...
    Mme Christine Boutin. Très bien !
    M. Etienne Pinte. ... et je compte déposer à la fin de mon intervention mon propre texte de loi sur ce sujet.
    M. Christophe Caresche, rapporteur. Il fallait le déposer avant, on en aurait discuté aujourd'hui !
    M. Etienne Pinte. Je n'avais pas du tout envie de mêler ma proposition de loi à la vôtre, qui est de circonstance et incomplète. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    L'objet de cette proposition de loi est de supprimer le principe dit de la double peine pour les étrangers qui ont de fortes attaches avec la France. Aujourd'hui, ces personnes, une fois leurs années de prison purgées, sont menacées d'une seconde peine : une peine d'interdiction du territoire français prononcée par le juge judiciaire pour plusieurs années, et même quelquefois pour la vie, ce qui correspond à mes yeux à un bannissement, et une peine d'expulsion prononcée par l'autorité administrative.
    L'une des spécificités du système français réside dans la coexistence, inhabituelle, de mesures administratives d'éloignement et d'une mesure de nature judiciaire. Un étranger peut ainsi faire tout à la fois l'objet d'une interdiction du territoire français et d'un arrêté d'expulsion, la première sanctionnant les infractions que l'on pourrait qualifier de droit commun, le second cherchant à prévenir la menace à l'ordre public que lesdites infractions ont révélée.
    Au titre de la police des étrangers, l'autorité administrative peut en effet décider de l'éloignement du territoire français des ressortissants étrangers. La reconduite à la frontière comme l'expulsion n'ont pas pour objet de réprimer une infraction, mais bien de prévenir un trouble à l'ordre public. C'est ainsi qu'elles ne constituent pas des sanctions administratives, mais des mesures de police.
    L'interdiction du territoire français a été, c'est vrai, introduite dans le droit positif par la loi du 31 décembre 1970. Elle visait alors exclusivement les étrangers condamnés pour certaines infractions graves à la législation des stupéfiants. Elle a été progressivement étendue. Le nouveau code pénal résultant des lois des 22 juillet 1992 et 16 décembre 1992, adoptées par la majorité de gauche à l'époque, prévoit en effet que cette peine peut être prononcée pour plus de deux cents infractions en matière d'atteinte aux personnes, d'atteinte aux biens et d'atteinte à la nation, à l'Etat et à la paix publique.
    Certes, la loi prévoyait de protéger certaines catégories d'étrangers. Toutefois, ce principe de protection a été fortement remis en cause par l'évolution de la loi et par l'interprétation qu'en ont faite les juges. En théorie, le tribunal ne peut prononcer une interdiction du territoire français à l'égard de ces personnes que par une décision spécialement motivée, prenant en compte la gravité de l'infraction et la situation personnelle et familiale de l'étranger. Dans les faits, la plupart des étrangers, qu'elle qu'ait été la nature de leurs délits et quelle que soit leur situation familiale et personnelle, sont condamnés, quasiment automatiquement, à une interdiction du territoire français. L'expulsion peut être prononcée en cas d'urgence absolue et en cas de nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique. Certains d'entre eux le sont même alors qu'ils ont commis des infractions très légères, qu'ils ont déjà accompli avec succès leur réinsertion et qu'ils vivent en France depuis leur enfance.
    La pratique révèle enfin un paradoxe. Dans le contentieux relatif aux infractions à la législation sur les étrangers et au vol et recel aggravé, dès lors que l'infraction est déférée au parquet, l'interdiction du territoire est presque systématiquement prononcée alors que la mesure est facultative et la plupart du temps sans portée pratique.
    Le rapport Chanet de 1998 sur l'interdiction du territoire français faisait remarquer que cette application mécanique n'était pas prévue par les textes et risquait de donner l'impression d'un pouvoir arbitraire dévolu aux juges. Elle conduit à utiliser l'interdiction du territoire, peine complémentaire, comme s'il s'agissait d'une peine accessoire. Cette dérive contrevient à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales, lequel dispose que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale.
    Enfin, le droit communautaire et la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes s'opposent clairement à ce qu'une mesure d'éloignement soit décidée comme conséquence automatique d'une condamnation pénale.
    M. Jacques-Alain Bénisti. Exactement !
    M. Etienne Pinte. La procédure de relèvement d'une interdiction du territoire français prévue par les articles 701, 702-1 et 703 du code de procédure pénale est enfermée dans des conditions de recevabilité très restrictives, aboutissant parfois à une sorte de perversion du système. Le relèvement n'est possible que si l'interdiction du territoire française a été prononcée à titre de peine complémentaire. Cette disposition exclut donc de tout bénéfice d'un éventuel relèvement tous ceux qui se sont vu infliger une peine d'interdiction du territoire français à titre de peine principale, autrement dit ceux que précisément le tribunal n'a pas souhaité sanctionner très sévèrement, le prononcé d'une peine complémentaire à titre de peine principale s'analysant comme une peine de substitution à l'emprisonnement, c'est-à-dire une mesure de clémence.
    L'article 28 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 décide qu'il ne peut être fait droit à une demande de relèvement de l'interdiction du territoire français afférant à une condamnation définitive que si le ressortissant étranger réside hors de France, s'il subit en France une peine privative de liberté ou s'il fait l'objet d'une assignation à résidence.
    M. le président. Veuillez conclure, monsieur Pinte.
    M. Etienne Pinte. On constate dans les faits que les étrangers, une fois l'interdiction échue, rencontrent les plus grandes difficultés à obtenir un visa pour revenir.
    Je propose donc de modifier l'article 131-30 du code pénal relatif à l'interdiction du territoire français. Cette modification rendrait impossible l'interdiction du territoire français d'un étranger entrant dans la catégorie des personnes protégées. Elle ouvrirait un droit au retour aux personnes ayant déjà fait l'objet d'une interdiction du territoire français. Naturellement seraient exclus les étrangers condamnés pour crime contre l'humanité, terrorisme, espionnage, atteinte à la défense nationale. De telles infractions donnent à penser en effet que ces personnes n'ont pas un désir profond de vivre en France et d'y construire leur vie, qu'ils ne respectent pas nos valeurs et nos libertés.
    La modification des articles 25 et 26 de l'ordonnance de 1945 rendrait également impossible l'expulsion de ces personnes, à l'exception de celles condamnées pour des infractions relatives au crime contre l'humanité, au terrorisme, à l'espionnage, aux atteintes à la défense nationale.
    La modification de l'article 28 permettrait d'assouplir les conditions d'assignation à résidence, en limitant celles-ci dans le temps et en accordant à la personne assignée le droit au travail.
    La suppression de l'article 28 bis ferait disparaître l'obligation d'être hors de France pour demander un relèvement de l'interdiction du territoire français.
    Enfin, la modification de l'article 702-1 du code de procédure pénale ouvrirait le relèvement aux personnes condamnées à interdiction du territoire français à titre de peine principale.
    En conclusion, mes chers collègues, je suis très heureux que le ministre de l'intérieur nous ait promis de nous faire part du résultat de ses réflexions d'ici peu de temps. Quel que soit l'état d'esprit des uns ou des autres sur ce problème, je souhaite que tous les parlementaires soient parfaitement informés avant de légiférer le moment venu. C'est la raison pour laquelle je demande au président de l'Assemblée nationale de bien vouloir organiser des projections du film de Bertrand Tavernier. (Murmures sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Lionnel Luca. Cinéma !
    M. Etienne Pinte. Je forme enfin le voeu que tous ceux qui détiennent entre leurs mains le destin d'hommes, de femmes ou d'enfants n'oublient jamais le message que nous adresse dans l'un de ses films Claude Chabrol : « Ayez pitié des enfants dont nous condamnons les parents. » (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. François Loncle. Ils n'applaudissent pas tous !
    M. Manuel Valls. Vous êtes bien seul, monsieur Pinte !
    M. Etienne Pinte. C'est mon honneur.
    M. Eric Raoult. Non, il n'est pas seul !
    M. Guy Geoffroy. Cela veut dire que nous sommes gens de débat !
    M. Eric Raoult. Exactement !
    M. Manuel Valls. On verra !
    M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.
    Mme Martine Billard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous avons été nombreux ces derniers temps à être choqués par les annonces récurrentes de prononcés d'expulsion de résidents étrangers conduisant à des séparations, des époux de leur femme ou des pères de leurs enfants.
    M. Thierry Mariani. Auparavant, cela ne vous avait pas choquée !
    Mme Martine Billard. Des expulsions sont décidées, faisant fi des attaches personnelles en France des condamnés, qui parfois se sont nouées depuis de nombreuses années, et de leur absence de tout lien avec le pays où ils sont renvoyés et dont ils portent la nationalité. Comment ne pas y voir un mépris de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lequel pose le droit de mener une vie familiale normale et le respect de la vie privée et familiale ?
    M. Lionnel Luca. Et le respect de la loi ?
    M. Jacques-Alain Bénisti. Allez dire cela aux victimes !
    Mme Martine Billard. Lorsque l'expulsion concerne un père ou une mère de famille, comment ne pas y voir l'injustice flagrante faite aux enfants ?
    Les mesures dernièrement expérimentées d'assignation à résidence pour surseoir à des expulsions représentent certes un petit progrès, mais ce ne sont que des solutions à court terme, car elles ne résolvent en rien le problème lié à l'absence d'échéance et au caractère limitatif de l'aire géographique d'application, comme d'ailleurs l'a si bien démontré le précédent orateur. Cela permet certes aux intéressés de rester en France, mais dans une situation de précarité totale, notamment sur le plan de l'emploi.
    La tenue de ce débat aujourd'hui démontre que la classe politique ne peut plus ignorer les souffrances humaines vécues par des milliers de familles ; c'est l'intérêt même du texte qui nous est proposé.
     M. Guy Geoffroy. Et les victimes ?
    Mme Martine Billard. Je regrette toutefois avec amertume que la loi n'ait pas été modifiée sous le gouvernement précédent. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Thierry Mariani. Dites-le à Mme Voynet !
    M. Eric Raoult. Merci, madame Voynet !
    M. Guy Geoffroy. Décidément, on comprend pourquoi ils ont été battus !
    Mme Martine Billard. La proposition de loi que nous discutons aujourd'hui intervient six mois après le changement de gouvernement et s'apparente à une course de vitesse pour rattraper le temps perdu. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Thierry Mariani. Très juste !
    M. Jacques-Alain Bénisti. Pas de précipitation, vous avez raison !
    Mme Martine Billard. A se précipiter sans concertation, ce que nous regrettons, les rédacteurs et signataires de cette proposition de loi ont abouti à un texte malheureusement incomplet qui laisse encore sur le carreau de nombreuses vies brisées...
    M. Jacques-Alain Bénisti. Commencez par vous mettre d'accord !
    M. Thierry Mariani. Décidément, ça gratte !
    Mme Martine Billard. ... et ne permet pas un réel débat sur les attendus de l'interdiction du territoire français.
    Les modifications à apporter à la loi doivent être plus finement étudiées, notamment avec les associations spécialisées qui ont suivi les drames de la double peine. Il est clair que la loi ne sera pas modifiée deux fois sur cette question pendant la mandature. Les députés Verts s'abstiendront sur cette proposition de loi (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle)...
    M. Jacques-Alain Bénisti. Très bien !
    M. Guy Geoffroy. Et voilà !
    M. Thierry Mariani. Et en plus, ils sont ingrats ! A quoi a-t-il servi aux socialistes de leur donner l'investiture ?
    Mme Martine Billard. ... parce que nous ne souhaitons pas voter un texte incomplet et non parce que nous sommes contre ce texte.
    Mais si nous sommes insatisfaits par cette proposition, ce qui explique notre vote d'abstention, je ne peux qu'être inquiète par ce que je viens d'entendre sur les bancs de la majorité parlementaire. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la clarté n'y règne pas, chers collègues. Certaines d'entre vous se gargarisent de l'expression « étranger délinquant ». Mais sitôt qu'une personne ayant commis un délit a purgé sa peine, qu'elle soit française ou étrangère, elle n'est plus délinquante. Ou est-ce à dire qu'un étranger serait délinquant à vie ? Certains de vos propos mériteraient pour le moins d'être éclaircis.
    M. Jacques-Alain Bénisti. Vous n'êtes décidément pas au courant de ce qui se passe !
    Mme Martine Billard. Il nous a été dit que la loi était équilibrée et qu'il s'agissait uniquement d'un problème d'application de directive. Mais le fait précisément que cette fameuse directive n'arrive pas à être appliquée depuis deux décennies montre bien qu'il y a un problème et qu'il est temps de modifier la loi.
    Quoique présentée juridiquement comme un complément de peine, la double peine est parfaitement contradictoire avec un des fondements du droit français qui dispose que nul ne peut être condamné deux fois pour le même délit. Certains font le parallèle avec la suspension du permis de conduire. Comment peut-on la comparer avec l'impossibilité de vivre en famille ? Franchement, un peu de pudeur, tout de même !
    M. Jacques-Alain Bénisti. De la pudeur ? Mais les peines ne servent à rien !
    M. Jean Leonetti. Ce ne sont pas les mêmes fautes !
    Mme Martine Billard. Dans les faits, l'expulsion est imprescriptible, parce qu'il est très difficile d'obtenir l'abrogation d'un arrêté ministériel d'expulsion et le relèvement d'une interdiction du territoire français. Les fautes ne sont certes pas les mêmes, mon cher collègue, mais un permis de conduire peut être retiré à la suite d'un accident ayant provoqué la mort d'autrui. C'est une responsabilité tout aussi grave, et il ne s'agit que d'un permis de conduire.
    M. Jean Leonetti. Et la sanction pénale associée ?
    Mme Martine Billard. La proposition de loi comporte des insuffisances. Si elle interdit de prononcer une interdiction du territoire français pour une personne mariée ou signataire d'un pacte civil de solidarité avec un ressortissant français, et nous ne pouvons que saluer cette avancée, elle fait fi des autres attaches familiales, privées et personnelles, hors mariage, ou dans le cadre d'un mariage entre deux résidents étrangers séjournant en France depuis très longtemps, pour la plupart depuis leur enfance.
    A en croire le texte, les résidents étrangers célibataires, ou dont le conjoint marié ou pacsé n'est pas français, entrés sur le territoire après l'âge de dix ans, mais n'ayant pas encore leurs quinze ans d'ancienneté, pourraient encore se faire expulser vers un pays de fait inconnu. C'est en cela que ce texte est à nos yeux incomplet. Un jeune de vingt ans, arrivé en France à onze ans, et qui commettrait un délit, continuerait à être passible de la double peine.
    M. le président. Je vous prie de conclure, madame Billard.
    Mme Martine Billard. Là est l'insuffisance, et la raison pour laquelle nous nous abstiendrons. Cela ne signifie par pour autant que nous ne serons pas attentifs à la suite de ce débat, tant dans la société que dans l'hémicycle, que nous attendons avec impatience.
    M. Jean Leonetti. Nous aussi !
    Mme Martine Billard. Le nouveau texte proposé par notre collègue Pinte doit être présenté de toute urgence devant la représentation nationale, et répondre à toutes les questions liées à la double peine qu'il faut abroger, hors les cas évidemment d'étrangers venus commettre sur le territoire national des actes de terrorisme ou se livrer au trafic de drogue. Ce n'est évidemment pas à cette catégorie-là que nous nous intéressons aujourd'hui, mais à toutes ces personnes qui, faute d'avoir fait ou su faire la démarche nécessaire à un moment donné...
    M. Thierry Mariani. Comme les socialistes !
    M. le président. Je vous en prie, madame Billard, concluez !
    Mme Martine Billard. ... pour cause de restrictions d'ordre administratif, n'ont pu demander la nationalité française et se retrouvent aujourd'hui frappés d'une double peine que nous récusons.
    M. Thierry Mariani. La double peine, ce serait de vous couper le micro !
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand .
    M. Jean-Pierre Grand. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'état, mes chers collègues, nous examinions mardi une proposition de loi socialiste sur le droit de vote des étrangers. Aujourd'hui, nous examinons une nouvelle proposition de loi socialiste, pudiquement appelée « proposition de loi tendant à protéger certaines catégories d'étrangers des mesures d'éloignement du territoire », qui vise en fait à abolir toute possibilité d'expulsion de ressortissants étrangers ayant commis de graves délits sur notre territoire.
    Vous déposez aujourd'hui des propositions de loi qui ont peu de chances d'aboutir, par le fait que vous êtes désormais minoritaires dans notre assemblée, alors que vous avez disposé pendant quinze ans d'une majorité qui vous permettait de gouverner. Que n'avez-vous trouvé durant tout ce temps les moyens ou la volonté d'intégrer ces mesures dans votre politique ! Ne soyez donc pas étonnés si les électeurs ne vous prennent plus au sérieux.
    A cet égard, il est intéressant d'observer que L'Humanité - vous voyez que nous avons des références -,...
    M. Ghislain Bray. Saine lecture !
    M. Jean-Pierre Grand. ... tout en rendant hommage au Gouvernement qui a ouvert le débat, met en place des commissions, le ministre vient de le confirmer, publie une déclaration de M. Tavernier, que je ne résiste pas au plaisir de citer tant c'est succulent. Celui-ci se dit choqué par votre proposition de loi : « C'est un contre-feu hâtif pour avoir l'air de faire les malins ». (Rires et approbations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    J'en reviens à la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, plus communément appelée « proposition tendant à abolir la double peine ». Il s'agit en fait de supprimer une sanction complémentaire, en l'occurrence l'expulsion du territoire français que vous considérez, pour des raisons idéologiques et politiques, comme une double peine. L'émoi suscité, l'an passé, par l'affaire de ce ressortissant algérien, trafiquant de drogue - détail que l'on avait oublié de mentionner...
    Mme Martine Billard. Il a purgé sa peine !
    M. Jacques-Alain Bénisti. Ça sert à rien. La vraie peine, c'est la sanction d'expulsion !
    M. Jean-Pierre Grand. Madame, on ne peut pas tout à la fois défendre la famille et accepter que les trafiquants de drogue restent sur notre territoire. C'est incompatible. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)

    L'émoi suscité par le sort de ce trafiquant de drogue, qui devait être renvoyé dans son pays d'origine à l'issue de sa peine de prison, a remis ce débat en lumière. Doit-on abolir cette sanction complémentaire de reconduite à la frontière d'un ressortissant étranger, hors Communauté européenne, ayant commis dans notre pays un grave délit ? Ma réponse est résolument non. S'agit-il en l'occurrence d'une double peine ? Ma réponse est résolument non.
    Nul ne peut ignorer les conséquences qui s'imposent à tous dès lors qu'une condamnation est prononcée.
    L'automobiliste qui commet une faute de conduite, voire un accident, peut être condamné à une amende, au retrait de son permis de conduire, et même à une peine de prison ferme ou avec sursis.
    L'élu, mes chers collègues, qui commet un délit peut être également condamné à une amende, à une peine de prison ferme ou avec sursis ; il encourt même une inéligibilité, ce qui n'est pas sans conséquences.
    M. Michel Hunault. Comme M. Gremetz, par exemple !
    M. Jean-Pierre Grand. Il ne viendrait à l'esprit de personne de parler de double, voire triple peine et de s'en émouvoir !
    M. Jean-Marc Ayrault. Là, vous n'êtes pas d'accord avec M. Pinte !
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Et ne citez pas M. Tavernier, puisqu'il dit le contraire !
    M. Jean-Pierre Grand. M. Pinte dit ce qu'il dit, et moi je dis ce que je veux !
    Mes chers collègues, est-il juste de hurler au bannissement ou à l'atteinte aux droits de l'homme dès lors que l'on expulse du territoire un étranger ayant commis sur notre sol de graves délits ?
    Dans un rapport remis à Mme Guigou, alors ministre de la justice, et qui ne fait nullement mention de la suppression de la double peine, il est clairement indiqué qu'environ 75 % des interdictions de territoire concernaient des situations irrégulières. Les 25 % restants englobent principalement des délinquants ayant commis des infractions à la législation sur les stupéfiants et des vols et recels aggravés. Cette réalité ne s'accommode d'aucun angélisme.
    Malgré cela, pour combattre toute expulsion, deux raisons sont généralement avancées. D'autre part, ces étrangers ont une famille, ils sont intégrés. D'une part, ils résident en France depuis de nombreuses années et n'ont plus de liens avec leur pays d'origine. Mes chers collègues, quand on a la chance d'avoir une famille, quand on souhaite la protéger, ne pas mettre en péril son équilibre, on ne verse pas dans le grand banditisme. On ne commet pas de hold-up, on ne fait pas de trafic de drogue.
    M. Eric Raoult. Très bien !
    M. Jean-Pierre Grand. Quant au second argument, il inspire à chacun une question de bon sens : pourquoi un étranger résidant depuis de nombreuses années sur notre territoire n'a-t-il pas pendant tout ce temps, sollicité sa naturalisation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Pierre Grand. Dans le cas des trafiquants de drogue, poser la question, c'est y répondre.
    M. Jean Glavany. Une bonne droite de derrière les fagots !
    M. Jean-Pierre Grand. Je ne peux conclure mon intervention sans rappeler que l'article 131-30 du code pénal permet aux magistrats d'apprécier l'opportunité d'une interdiction du territoire français au regard de la gravité des faits reprochés et des situations personnelles.
    Mes chers collègues, voter cette proposition de la loi socialiste équivaudrait à rendre quasiment impossible toute expulsion d'étrangers coupables de graves délits sur notre territoire, par exemple de trafic de drogue. Nous n'avons pas été élus pour cela. Aussi comprendrez-vous que je rejetterai par mon vote cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Et celle de M. Pinte, qu'allez-vous en faire ?
    M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani.
    M. Thierry Mariani. Mardi dernier, un ami m'a cité un proverbe africain : « Quand, dans la forêt, tu passes deux fois devant le même arbre, c'est que tu es perdu. » (Sourires.)
    M. Jean Glavany. Ce n'est pas un circuit organisé ?
    M. Manuel Valls. Et quand le sage montre la lune, Mariani regarde le doigt !
    M. Thierry Mariani. Messieurs, vous devez être vraiment perdus pour déposer, dans la même semaine, une proposition de loi pour le droit de vote des immigrés et une proposition de loi pour l'abolition de la double peine. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Eric Raoult. Il n'y a qu'à les voir, d'ailleurs !
    M. Thierry Mariani. Car comment croire que vous vouliez, avec ces deux propositions de loi purement médiatiques et politiciennes, essayer de régler quelque problème que ce soit ? Et comment expliquer que vous vouliez à la fois légiférer sur l'interdiction du territoire français, peine complémentaire prononcée à l'issue d'une procédure pénale, et sur l'expulsion, mesure administrative d'éloignement d'étrangers dont la présence constitue une grave menace pour l'ordre public ? Nous le savons, mes chers collègues, il s'agit là de deux sujets distincts, nécessitant chacun un débat.
    Puisque, dans la presse, vous ne parlez que de la « double peine », je ferai de même dans ce débat. Souvent, la vérité vient de ses propres amis. Je ne répéterai pas les citations qu'a faites mon ami Jean-Pierre Grand, mais je lisais moi aussi, il y a quatre jours, dans cet intéressant quotidien, Libération, un article où l'on parlait de « précipitation opportuniste » et où Bertrand Tavernier avertissait de « l'inconvenance à se redorer le blason sur le dos des victimes de la double peine ». « Ce serait déshonorant pour le PS », disait-il.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Eh oui !
    M. Thierry Mariani. Ce n'est pas nous qui disons cela, c'est, je crois, quelqu'un qui est plutôt l'un de vos amis. Quant à Bernard Bolze, qui, si ma mémoire est bonne, est responsable de la CIMADE et dont je ne pense pas qu'il ait encore adhéré à l'UMP,...
    M. Guy Geoffroy. Ça peut venir !
    M. Thierry Mariani. ... il appelait les socialistes « à ne pas faire de cette affaire-là un usage politicien ». C'est pourtant bien ce que vous faites aujourd'hui, à propos de l'article 130-30 du code pénal, instituant la peine d'interdiction du territoire à titre définitif ou temporaire.
    Je vous rappelle que c'est une mesure d'éloignement du territoire prononcée par un tribunal correctionnel ou une cour d'assises à la suite d'une déclaration de culpabilité. Nous parlons donc d'étrangers délinquants ou criminels qui ont été jugés, que la justice de la République a reconnus coupables de faits graves.
    Je vais citer des chiffres qui, chaque fois, font lever les bras, mais qui m'ont été donnés, en réponse à une question écrite, par un ministre issu de vos rangs, Mme Guigou : 23,4 % des personnes incarcérées en France en 2001 étaient de nationalité étrangère, alors que les étrangers représentent moins de 7 % de l'ensemble de la population résidant sur notre territoire. Le sujet dont nous discutons aujourd'hui à la hâte est donc loin d'être marginal, puisqu'il est susceptible de concerner près du quart de la population carcérale française.
    Vous considérez cette peine comme double, pas nous. Un étranger coupable, pour reprendre l'expression de votre exposé des motifs d'un « simple trafic de cannabis »...
    M. Guy Geoffroy. « Simple trafic » !
    M. Thierry Mariani. ... a commis le délit de trafic de stupéfiants, puni, je le rappelle, de dix ans d'emprisonnement et de 7,5 millions d'euros d'amende par l'article 222-37 du code pénal.
    M. Guy Geoffroy. Une broutille !
    M. Thierry Mariani. Trouvez-vous « simple » un trafic international de stupéfiants en bande organisée, puni de trente ans de réclusion criminelle et de 7,5 millions d'euros d'amende par l'alinéa 2 de l'article 222-36 du code pénal ?
    Revenons à notre propos. L'étranger reconnu coupable d'un crime ou d'un délit a, de plus, trahi notre confiance. C'est pour cela qu'une peine d'interdiction du territoire français a été prononcée. L'étranger n'a pas respecté les obligations qui lui incombent, comme elles incombent à tous les citoyens français.
    Certes, aujourd'hui, ces obligations ne sont pas écrites, comme elles le seront dans le contrat d'intégration. Il n'empêche qu'elles existent. En venant s'installer en France, un étranger doit savoir qu'il s'engage à respecter les lois de la République française et l'ordre public. S'il viole l'ordre public, s'il commet des infractions et ne veut pas accepter nos lois, alors il s'expose à de justes sanctions.
    Cette peine justifiée, qui n'est pas double, a été créée par la loi du 31 décembre 1970 qui aggrave la répression du trafic de stupéfiants. D'autres lois postérieures ont étendu son application à d'autres délits, notamment en matière de travail au noir. Mais c'est la loi du 29 octobre 1981 - monsieur Ayrault, c'était après le 10 mai - qui a étendu l'application de cette peine aux cas de récidive d'infraction aux règles d'entrée et de séjour en France. En octobre 1981, le Gouvernement était, je vous le rappelle, issu de vos rangs.
    En 1991, la loi Sapin décide d'empêcher le prononcé de cette peine pour certains étrangers en raison de leurs liens étroits avec la France : parents d'enfants français, longue résidence, etc. Le 1er mars 1994, date de son entrée en vigueur, le nouveau code pénal porte le nombre des infractions punies par cette « double peine » à plus de deux cents. Faut-il vous rappeler que c'est votre majorité qui est à l'origine du nouveau code pénal, avec les lois du 22 juillet 1992 ? Vous avez mis dix ans à vous rendre compte des conséquences de vos actes.
    M. Christophe Caresche, rapporteur. Mais il s'agit des lois Pasqua de 1993 !
    M. Thierry Mariani. Non, monsieur Caresche. Ce sont les lois du 22 juillet 1992. A l'époque, hélas, nous n'étions pas au pouvoir !
    M. Alain Vidalies. Vous réécrivez l'histoire, monsieur Mariani !
    M. Thierry Mariani. En août 1993, la droite décide d'introduire un peu de pragmatisme dans la législation. Désormais, le juge peut prononcer une interdiction du territoire français contre un étranger protégé, s'il la motive spécialement. Enfin, revenus aux affaires en 1997, que faites-vous ? En 1998, vous étendez un peu plus le champ de l'interdiction du territoire. M. Jospin et Mme Guigou commandent deux rapports - c'était une habitude à l'époque.
    M. Alain Vidalies. Et vous, que proposez-vous ?
    M. Thierry Mariani. Le premier conduit à la loi du 11 mai 1998 qui crée deux nouvelles catégories d'étrangers protégés. Le second rapport, celui de la commission Chanet, vous conduit à adopter une circulaire. Quelle efficacité !
    Bref, une fois de plus, vous vous êtes moqués des étrangers et les avez exploités dans un débat purement politicien. Vous avez fait des effets d'annonce. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Manuel Valls. C'est insupportable !
    M. Thierry Mariani. Monsieur Valls, aujourd'hui, vous criez mais vous aviez cinq ans pour modifier la loi.
    M. Alain Vidalies. Donneur de leçons !
    M. Thierry Mariani. Pour notre part, nous préférons éviter les effets d'annonce. Le ministre de l'intérieur...
    M. Alain Vidalies. C'est insupportable !
    M. Eric Raoult. La vérité vous fait mal !
    M. Thierry Mariani. Ce qu'a fait le ministre de l'intérieur vous gêne ?
    M. Eric Raoult. Ça les gêne !
    M. Alain Vidalies. Arrêtez de rabâcher !
    M. Thierry Mariani. Si vous ne me supportez pas, vous pouvez sortir, monsieur. J'ai été élu comme vous.
    Le ministre de l'intérieur a décidé de s'entourer d'experts.
    M. Manuel Valls. Faites-nous part de vos convictions, ne vous abritez pas derrière des citations !
    M. le président. Poursuivez votre propos, monsieur Mariani.
    M. Thierry Mariani. Je laisse brailler...
    M. Manuel Valls. Répondez à M. Pinte, ne nous parlez pas à nous !
    M. Thierry Mariani. Le ministre de l'intérieur, lui, a décidé d'accomplir un travail sérieux, ce que vous n'avez pas fait pendant cinq ans. Il s'est entouré d'experts. Avec la chancellerie, il a constitué un groupe de travail composé de juges et de praticiens.
    M. Alain Vidalies. Quel donneur de leçon, quelle arrogance permanente !
    M. Manuel Valls. A Bagdad, vous étiez sérieux peut-être !
    M. le président. Monsieur Vidalies, monsieur Valls ! C'est M. Mariani qui a la parole. Laissez-le conclure.
    M. Thierry Mariani. A Bagdad, j'avais la même chambre que M. Chevènement qui était là quelques semaines plus tôt. Mais, lui, ça ne vous gênait pas, monsieur Valls. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean Besson. Exactement !
    M. Thierry Mariani. Bref, le ministre de l'intérieur a choisi de réfléchir avant d'agir et il agira intelligemment, avec pragmatisme.
    M. Alain Vidalies. Bon courage, monsieur Copé !
    M. Thierry Mariani. Le pragmatisme, voilà une notion qui permet d'aborder le détail de votre proposition. Des 200 infractions et plus de votre nouveau code pénal, vous décidez de ne garder que les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation ou les actes de terrorisme. Bref, autant dire que vous voulez purement et simplement - mais, au moins, c'est clair - abolir l'interdiction du territoire français.
    En conclusion, sachez que je suis contre, résolument contre, le principe de l'abolition de la double peine,...
    M. Manuel Valls. Voilà, c'est clair !
    M. Thierry Mariani. ... mais pour une application humaine de cette sanction. Je suis cohérent avec moi-même. Lors de la précédente législature, j'ai déposé, et je redéposerai, une proposition de loi visant à rendre automatique l'expulsion des étrangers condamnés pour crimes et trafics de stupéfiants. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Pierre Grand. Bravo !
    M. Thierry Mariani. On ne peut pas expliquer qu'on veut lutter efficacement contre le trafic de drogue, qui est une plaie pour notre jeunesse, et garder sur notre territoire les personnes qui s'y livrent, alors qu'on a les moyens de les expulser.
    M. Jean-Pierre Grand. Il fallait le dire !
    M. Alain Vidalies. Le débat est clos !
    M. Thierry Mariani. Face à votre manoeuvre politique, je me félicite sincèrement de la démarche constructive et apaisante du ministère de l'intérieur...
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Qui aboutira à quoi ?
    M. Thierry Mariani. ... et j'attends que nous fassions ainsi respecter l'ordre républicain avec humanité. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. François Loncle. Facho on est, facho on reste !
    Un député du groupe socialiste. Tavernier, réveille-toi !
    M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.
    M. Guy Geoffroy. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'interviens le dernier et tout ou presque a été dit. Je voudrais demander à chacun d'accepter les excuses de quelqu'un qui répétera fatalement certains propos déjà tenus.
    S'il est un mérite que l'on peut reconnaître à cette proposition de loi, c'est d'avoir répondu à une question que tout le monde se posait lorsqu'elle a été déposée, et qui a trait à la sincérité de ses auteurs.
    M. Eric Raoult. Eh oui !
    M. Guy Geoffroy. On peut en effet se demander s'ils sont sincères quand on sait que leurs auteurs, pouvant s'appuyer sur une des 110 propositions de 1981, ont eu quinze ans pour réaliser l'objectif qu'ils s'étaient fixé - quinze ans, soit trois législatures complètes : la première après l'élection présidentielle de 1981 et la dissolution, première alternance majeure de la Ve République ; la deuxième, en 1988, après la réélection du Président sortant et une autre dissolution ; la troisième, en 1997, après une nouvelle dissolution qui a conduit, on le sait, à une situation très originale dans nos institutions. Après avoir eu tout ce temps, nos collègues socialistes décrètent aujourd'hui qu'il est d'une urgence absolue de légiférer sur cette question : c'est pour le moins suspect.
    On peut encore s'interroger sur leur sincérité lorsqu'on entend un « Chiche ! Allons-y », en commission, et que l'on constate que le rapporteur, qui n'est pas seulement rapporteur de la proposition de loi devant la commission, mais aussi rapporteur des travaux de la commission devant notre assemblée, n'a pas eu un seul mot pour évoquer à cette tribune ce qui s'est dit en commission, et les propos qu'ont tenus des orateurs de la majorité qui ne partagaient pas, c'est le moins qu'on puisse dire, l'ambition de cette proposition.
    M. Eric Raoult. Il a failli !
    M. Guy Geoffroy. On peut douter de cette sincérité lorsque l'on entend un des orateurs du groupe socialiste nous dire, aujourd'hui, avec un aplomb tellement étonnant qu'il faudra relire le texte pour être sûr qu'on n'a pas rêvé, qu'en démocratie, quand on veut aboutir à quelque chose, il vaut mieux le faire tout de suite,...
    M. Jean Glavany. Cela veut dire quoi, « tout de suite », dans l'histoire ?
    M. Guy Geoffroy. ... que si l'on ouvrait le débat, qu'il se déroule en toute transparence et conduise à des conclusions différentes de celles auxquelles on aspire, le but ne serait pas atteint.
    Nous connaissions ce fameux mot d'un hiérarque de la république socialiste naissante en 1981 : « Vous avez juridiquement tort, parce que vous êtes politiquement minoritaires. » A partir d'aujourd'hui, une nouvelle formule fera florès : « Nous avons raison parce que nous sommes socialistes, même si nous sommes minoritaires. » (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Alain Vidalies. C'est assez pitoyable !
    M. Guy Geoffroy. Oh, vous en avez fait d'autres !
    M. Alain Vidalies. Et si on parlait du fond ?
    M. Guy Geoffroy. De tout cela, nous pouvons déduire en effet que la sincérité des auteurs ne se trouve pas véritablement établie.
    M. Alain Vidalies. Si vous parliez un peu du fond ?
    M. Guy Geoffroy. Ils ont d'ailleurs reconnu eux-mêmes, en commission et en séance, que tout ceci relevait du coup politique : ils ont besoin de se refaire une santé, probablement à l'interne, si ce n'est à l'externe, dans la foulée du dépôt de la proposition de loi récurrente sur le droit de vote attribué aux étrangers.
    M. Alain Vidalies. Arrêtez d'être politicien ! Parlez du fond !
    M. Guy Geoffroy. Pour conclure, je dirai que, dans cette affaire, il y a deux méthodes.
    M. Alain Vidalies. Enfin !
    M. Guy Geoffroy. La première méthode, c'est le passage en force pour le motif que j'ai évoqué tout à l'heure. Cela conduit à quelque chose de pitoyable, qui consiste à demander à d'autres de faire ce que l'on n'a pas eu le courage de faire soi-même, malgré les promesses. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Cette méthode n'est pas celle du Gouvernement, qui privilégie, sans varier, l'équilibre entre les obligations de respect de la loi et les obligations de respect de la dignité de la personne humaine.
    Moi aussi, je vais y aller de ma citation de votre ami Bertrand Tavernier, pour donner une dernière touche à cette affaire. En sortant de son entrevue avec le ministre de l'intérieur, il a déclaré : « Tout ce que nous a dit Sarkozy, c'est ce que j'aurais voulu entendre de la part du gouvernement Jospin. » (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Hissez les couleurs, pourrais-je me permettre de dire !
    Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans cette affaire, il faut donner du temps à la réflexion et à l'échange. Il ne faut pas avoir peur du débat, y compris du débat interne. Je voudrais dire à mes collègues plus anciens que moi dans cette Assemblée et qui viennent d'apporter une contribution courageuse, intelligente, profonde, à ce qui sera un véritable débat de fond, qu'il faut aller dans cette direction.
    La véritable question a été évoquée par le collègue de l'UMP qui est intervenu avant moi. Il nous faut régler, une bonne fois pour toutes, le problème du « zapping » de nationalité. Pourquoi avoir peur ? Pourquoi avoir honte, quand on est installé en France, pays des droits de l'homme, d'en acquérir la nationalité qui seule donne la véritable égalité des droits et des devoirs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Pourquoi vouloir rester le national d'un pays qui n'est plus le sien, avec lequel les liens se sont peu à peu relâchés, et refuser de devenir le national du pays qui est vraiment le sien ?
    M. Alain Vidalies. Voilà qui est clair !
    M. Guy Geoffroy. Monsieur le secrétaire d'Etat, l'UMP tout entière, dans sa diversité qui fait sa richesse, saluera, en s'opposant à la poursuite de l'examen de cette proposition de loi, le travail courageux, pragmatique, intelligent et moderne engagé au nom du Gouvernement par le ministre de l'intérieur. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La discussion générale est close. La parole est à M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez au président de la commission des lois de dire quelques mots, non point pour ajouter aux arguments des uns et des autres, mais pour montrer le clivage qui nous oppose dans ce débat, comme dans celui qui a eu lieu mardi dernier sur le droit de vote des étrangers.
    Personne ne conteste l'existence de problèmes humains derrière ce qu'à tort nous appelons la double peine, alors qu'il s'agit d'une peine accessoire, décidée soit par le juge, soit par l'autorité administrative.
    Plusieurs cas ont été médiatisés ces derniers temps et une émotion a gagné une partie des Français, de façon relativement transversale, je crois. C'est l'aspect politique, au sens le plus banal de l'adjectif.
    En vérité, vous n'êtes pas tombé dans le piège, monsieur le rapporteur et je vous rends hommage pour cela - vous n'êtes pas passé d'un extrême à l'autre. Vous avez stipulé, dans votre proposition de loi, qu'il était indispensable de créer des exceptions - et c'est pourquoi a été créée l'interdiction du territoire français - justifiées, dans certains cas extrêmement graves, par des impératifs de sécurité publique. Sous ce rapport, vous avez donc voulu nuancer votre proposition de loi.
    Mais au-delà de la question de savoir où l'on place le curseur - et nous pouvons toujours, les uns et les autres, passer notre vie à débattre pour savoir si on le place plus ou moins loin -, il est un aspect fondamental qui nous distingue sur le plan philosophique, et c'est d'ailleurs pour cela que j'ai souhaité intervenir.
    S'agissant du droit de vote des étrangers, qui était l'objet de la proposition de loi dont nous avons discuté avant-hier, vous avez la volonté politique de rapprocher le plus possible le statut des étrangers de celui des nationaux, au point qu'il n'y aurait pratiquement plus de différence en termes de droit, à l'exception de la nationalité.
    M. Pierre Cardo. Eh oui ! C'est l'internationalisme !
    M. Pascal Clément, président de la commission. De ce côté-ci de l'hémicycle, nous sommes très attentifs au fait que la nationalité est sinon le seul, du moins le meilleur facteur réel d'intégration.
    M. Jean Leonetti. Très bien !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Sinon, c'est la porte ouverte à l'expression des communautarismes ici et là sur le territoire.
    M. Bernard Carayon. Bien sûr !
    M. Pascal Clément, président de la commission. S'agissant maintenant du débat de ce matin, quelle est la différence de fond qui nous sépare de vous ? Elle ne réside pas dans le fait que les uns seraient généreux et auraient le coeur ouvert, alors que les autres seraient totalement indifférents à ces questions qui, loin d'être contingentes, sont profondément essentielles pour telle ou telle famille. Cette différence se situe sur un autre plan. En effet, vous avez été influencé, monsieur le rapporteur - c'est un constat, ce n'est pas une critique -, par le rapport qui avait été commandé par l'ancien ministre de la justice à Mme Chanet, magistrat à la Cour de cassation. Ce rapport évoque le cas de ceux qui sont devenus « sociologiquement, humainement, culturellement français, sans pour autant le devenir juridiquement ». Ce sont les « Français de fait » dont vous avez parlé en commission, monsieur le rapporteur. Vous avez donc la même approche philosophique sur ce sujet que sur celui du vote des étrangers que nous avons abordé mardi : vous voulez rapprocher les deux statuts.
    M. Guy Geoffroy. Ce n'est pas un hasard !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Absolument, c'est cohérent.
    En effet, vous nous expliquez aujourd'hui qu'il y a des « Français de fait », ...
    M. Guy Geoffroy. Qui auraient plus de droits que les Français de droit !
    M. Pascal Clément, président de la commission. ... et que, même s'ils sont étrangers, et ils ne doivent pas être traités différemment des « Français de droit » en raison du casier judiciaire qu'ils pourraient malheureusement mériter, sauf - je l'ai dit tout à l'heure - dans les cas les plus graves, pour lesquels vous avez eu la sagesse de nuancer votre proposition.
    Eh bien, c'est fondamentalement cela qui nous sépare - et non pas une question de générosité ou d'approche humaniste. Pour nous, il n'y a pas de « Français de fait ». Il y a des étrangers qui viennent sur notre territoire, qui doivent se conformer aux règles et aux lois de la République, et que nous espérons voir s'intégrer au point de devenir français. Pour vous, il est normal - je ne dirai pas souhaitable, je ne vous fais pas de procès d'intention - que des étrangers puissent s'installer en France pour des durées extrêmement longues, sans pour autant aller jusqu'au désir de devenir français, qu'ils puissent cohabiter avec des nationaux tout en se retrouvant plus facilement et plus aisément avec des étrangers de la même origine qu'eux et que, par conséquent, ils finissent par constituer, comme c'est inévitable, des communautés, petites ou grandes.
    M. Jean Le Garrec. Et voilà, ça recommence !
    M. Pascal Clément, président de la commission. C'est ainsi que naîtrait une France qui n'est pas celle de la tradition de la République.
    M. Guy Geoffroy. Absolument !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Car la grande tradition républicaine,...
    M. Guy Geoffroy. La seule !
    M. Pascal Clément, président de la commission. ... la seule, en effet, c'est celle de l'intégration.
    M. Bernard Carayon. L'assimilation !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Encore une fois, ce qui distingue la gauche et la droite dans cette affaire, ce n'est pas une question d'humanisme ou de générosité, c'est que nous avons des conceptions différentes, qui ne peuvent pas plus se rejoindre que deux droites parallèles.
    M. François Loncle. Il n'y aura donc jamais de réforme !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Cela dit, il n'y a pas de quoi en faire toute une histoire. Heureusement qu'il y a une différence entre nous ! Sinon, on ne voit pas pourquoi nous aurions fait campagne les uns contre les autres. Et si, aujourd'hui, nous sommes majoritaires, c'est parce que, semble-t-il, la majorité des Français pensent comme nous. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
    M. Christophe Caresche, rapporteur. Monsieur le président, mes chers collègues, je voudrais préciser les choses sur quelques-uns des points qui ont été évoqués.
    J'évoquerai d'abord la question de la chronologie des lois qui ont été votées concernant le régime de l'éloignement du territoire, ce qui permettra peut-être de clarifier les responsabilités des uns et des autres. Parce que, voyez-vous, j'ai l'impression que sévit depuis quelques temps une espèce d'amnésie.
    M. Thierry Mariani. Parlez pour vous !
    M. Christophe Caresche, rapporteur. Certains ont l'air de croire que seule la gauche a gouverné notre pays depuis quinze ans, depuis vingt ans, depuis vingt-cinq ans ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Guy Geoffroy. Trois fois cinq ans, cela fait combien ?
    M. François Goulard. Ce qui est sûr, c'est que cela nous a paru très long !
    M. Christophe Caresche, rapporteur. Il n'est question de rien d'autre, ce matin, que des lois Pasqua, qui, en 1993, ont fortement assoupli le régime de protection d'un certain nombre d'étrangers à l'égard des mesures d'éloignement. Ces lois revenaient sur celle de 1991, qui avait été adoptée à l'initiative de M. Sapin, membre d'un gouvernement de gauche, en effet, sous la présidence d'un certain François Mitterrand. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean Besson. Tiens, c'est marrant, les socialistes se rappellent que François Mitterrand a existé !
    M. Christophe Caresche, rapporteur. Pour ce qui est des mesures d'éloignement, cette loi de 1991 instaurait un régime de protection absolue pour certaines catégories d'étrangers. Et nous ne proposons rien d'autre que de revenir à l'esprit de la loi de 1991, que les lois Pasqua, votées par votre majorité, ont remise en question. (Approbations sur les bancs du groupe socialiste.) Je vous rappelle, monsieur Pinte, que vous aviez voté ces lois Pasqua en 1993.
    M. Manuel Valls. C'est un rappel utile !
    M. Christophe Caresche, rapporteur. Qu'avons-nous fait depuis ? (« Rien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) En 1998, Mme Guigou, ministre de la justice, s'est emparée de cette question, comme le fait d'ailleurs l'actuel ministre de l'intérieur. Elle a demandé à une haute personnalité, Mme Chanet, de rédiger un rapport, abondamment cité ce matin, notamment par M. Pinte. Ce rapport rigoureux fait un point très précis sur l'application des lois Pasqua. Et c'est au vu de ce rapport...
    M. Eric Raoult. Que M. Vaillant n'a rien fait !
    M. Christophe Caresche, rapporteur. ... qu'il est apparu que les lois Pasqua n'étaient pas toujours intégralement appliquées. Par exemple, pour certaines catégories d'étrangers, une motivation spéciale était obligatoire pour que les juridictions puissent prononcer une mesure d'interdiction du territoire français. Dans les faits, cette disposition n'était pas respectée.
    Le rapport a formulé un certain nombre de recommandations, qui ont été suivies d'effet, puisque Mme Guigou a pris une circulaire. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Guy Geoffroy. Pourquoi une circulaire et pas une loi ? Il fallait la faire à ce moment-là, cette loi !
    M. Manuel Valls. Mais écoutez donc, c'est intéressant !
    M. Christophe Caresche, rapporteur. Cette circulaire, il faut avoir l'honnêteté intellectuelle de le dire, a été appliquée par les juridictions, les procureurs et les parquets, et s'est traduite, dans les faits, par une baisse très sensible du nombre d'interdictions du territoire français. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Il est donc faux de dire que rien n'a été fait.
    M. Guy Geoffroy. Ce qui est vrai, c'est que vous n'avez pas assumé vos promesses !
    M. Christophe Caresche, rapporteur. Durant les cinq dernières années, en effet, le nombre d'expulsions, que ce soit par voie administrative ou par voie judiciaire, a sensiblement baissé...
    M. Bernard Carayon. Eh bien c'est scandaleux !
    M. Thierry Mariani. La délinquance, elle, a explosé !
    M. Bernard Carayon. La délinquance n'a pas cessé d'augmenter durant cette période !
    M. Christophe Caresche, rapporteur. ... même si je reconnais volontiers qu'on aurait pu aller plus loin, comme cela a été dit ce matin. C'est vrai que, depuis cette circulaire, on constate qu'un certain nombre de cas ne sont pas réglés...
    M. Guy Geoffroy. Il vous a fallu cinq ans pour vous en rendre compte !
    M. Bernard Carayon. On ne règle pas un problème par une circulaire !
    M. Christophe Caresche, rapporteur. ... et que l'application de la loi continue à poser un certain nombre de problèmes. C'est pourquoi, aujourd'hui, il est nécessaire de légiférer, afin que ces cas puissent être réglés.
    Et c'est bien aussi pourquoi le ministre de l'intérieur, comme son prédécesseur d'ailleurs, est contraint de se saisir de cette question.
    M. Jean Leonetti. Contraint par vous ?
    M. Christophe Caresche, rapporteur. Car il y a un certain nombre de gens qui sont expulsés soit par la voie administrative, soit par la voie d'une peine d'interdiction du territoire français, alors que le législateur souhaitait qu'ils soient protégés.
    M. Eric Raoult. Vous n'avez jamais rien fait à cet égard !
    M. Christophe Caresche, rapporteur. Nous n'avons pas modifié la loi, en effet, parce que c'est son application qui a posé problème : l'intention du législateur n'a pas été respectée.
    M. Guy Geoffroy. C'est au bout de cinq ans que vous vous en apercevez ?
    M. Manuel Valls. Vous ne vous en étiez pas aperçus non plus !
    M. Christophe Caresche, rapporteur. Il faut donc maintenant modifier la loi. Il faut le faire rapidement, parce que la situation actuelle n'est pas satisfaisante. Lorsqu'un étranger est frappé d'une peine d'expulsion manifestement disproportionnée - parce qu'il a des attaches familiales dans notre pays, ou parce qu'il est parent d'enfants français -, il est légitime qu'une incompréhension, une émotion se manifestent, comme M. Pinte l'a fort justement dit. Dans ce cas, soit le ministre de l'intérieur revient sur la mesure d'expulsion, soit il prend une mesure d'assignation à résidence.
    Mais cette méthode, même si elle marque un progrès, même si elle manifeste un certain discernement, n'est pas satisfaisante. M. Vidalies a eu raison d'insister sur le fait qu'elle correspond quand même à une certaine forme d'arbitraire.
    M. Manuel Valls. Eh oui !
    M. Guy Geoffroy. Et l'arbitraire envers les victimes ?
    M. Jacques-Alain Bénisti. Oh, les victimes, on s'en occupera après !
    M. Christophe Caresche, rapporteur. En effet, l'étranger dont la situation est connue sur le plan médiatique bénéficiera d'une mesure de report de l'expulsion, alors que la mesure sera maintenue pour l'étranger qui est dans l'anonymat. C'est pourquoi il est temps, aujourd'hui, de changer la loi.
    Vous nous avez dit que ce débat était prématuré. Au fond, on a le sentiment que l'on peut discuter de cette question partout, sauf ici. Je pense pour ma part que s'il y a un lieu où nous devons avoir ce débat, c'est bien ici, au contraire. Je rejoins la proposition de M. Pinte de prévoir qu'une projection du film de Bertrand Tavernier soit organisée à l'Assemblée. C'est une bonne initiative.
    M. Jean Leonetti. Ça va nourrir votre cinéma !
    M. Christophe Caresche, rapporteur. Et j'en suggère une autre : c'est que la commission des lois - puisque nous savons que les articles de notre proposition de loi ne seront pas examinés ce matin - crée en son sein un groupe de travail sur cette question. Cela permettrait, conformément à l'intention manifestée par les uns et les autres, de poursuivre cette discussion.
    J'ai essayé de montrer...
    M. Lionnel Luca. Vous n'avez pas réussi !
    M. Christophe Caresche, rapporteur. ... que tous les éléments de cette question sont sur la table. Il y a eu le rapport Chanet, il y a des propositions qui ont été faites par des associations. Je pense que le débat peut maintenant avoir lieu.
    La vérité, c'est que sur cette question il existe un désaccord profond au sein de la majorité,...
    M. Eric Raoult. Pas du tout !
    M. Guy Geoffroy. Il y a une réflexion profonde !
    M. Christophe Caresche, rapporteur. ... et le débat de ce matin l'a montré de façon éloquente.
    M. Manuel Valls. Eclatante, même !
    M. Christophe Caresche, rapporteur. Entre le discours de M. Leonetti, qui conteste jusqu'au terme de « double peine », ...
    M. Jean Leonetti. Je le maintiens : juridiquement, il n'y a pas de double peine.
    M. Guy Geoffroy. Tout à fait !
    M. Christophe Caresche, rapporteur. ... et le discours de M. Pinte, il y a un gouffre ! Autrement dit, il faut du temps, non pas pour élaborer un texte qui serait prématuré, mais pour que vous puissiez vous mettre d'accord entre vous !
    M. Jacques-Alain Bénisti. Chez nous, le débat est lancé !
    M. Guy Geoffroy. Nous avons le courage d'affronter le débat !
    M. Christophe Caresche, rapporteur. Pour ce qui nous concerne, nous continuerons à être disponibles pour faire en sorte que sur cette question, il y ait une avancée concrète. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
    M. Jean Glavany. Attention, ne dérapez pas comme mardi !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, à l'issue de ce débat, je voudrais vous soumettre les quelques réflexions que m'ont inspirées les propos des différents orateurs.
    Je commencerai par ce qui a été dit par le président de la commission des lois, qui a eu le mérite d'expliquer clairement où était la différence profonde entre la majorité et l'opposition dans ce débat difficile, comme d'ailleurs dans celui de mardi dernier. Il a rappelé combien le critère de nationalité était un élément essentiel pour la majorité de votre assemblée. Ce n'est pas un critère parmi d'autres mais bien celui qui correspond à l'objectif d'intégration réussie. De ce point de vue il y a, à l'évidence, une différence philosophique majeure entre les uns et les autres, une différence que j'ai retrouvée en écoutant les différents orateurs. Sur ce débat difficile, je voudrais apporter également mon sentiment au nom du Gouvernement.
    Monsieur Vidalies, j'ai pu mesurer, en vous écoutant, les différences de méthode et d'approche qu'il y a entre nous.
    Sur la méthode, vous avez indiqué que vous trouveriez légitime que l'on puisse à la fois conduire un groupe de travail, de concertation et discuter d'un texte à l'Assemblée. Cela m'a beaucoup surpris, parce que nous, nous n'imaginons pas du tout que la concertation puisse se faire dans cet esprit.
    M. Alain Vidalies. Il y a plusieurs textes, dont celui de M. Pinte.
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. En vous entendant faire cette proposition, j'ai compris pourquoi, dans d'autres domaines et en d'autres temps, le dialogue social avait eu autant de mal à fonctionner.
    M. Jean Glavany. Très drôle ! Alors que maintenant, tout va bien, n'est-ce pas ?
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Pour notre part, il nous semble indispensable de commencer par écouter, à l'extérieur de cet hémicycle, ce que pensent les uns et les autres avant de soumettre, le cas échéant, un texte de loi à la représentation nationale. Cette différence est très importante : nous considérons, nous, qu'il est essentiel de consacrer d'abord tout le temps nécessaire à l'écoute, à la discussion, au débat, avant de venir devant la représentation nationale pour évoquer la question.
    M. Guy Geoffroy. Très bien !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Nous avons aussi sur le fond, incontestablement, une différence d'approche. Nous, nous pensons qu'il faut adopter, sur un sujet aussi compliqué, aussi difficile que celui-ci, une approche pragmatique et non pas une approche systématique. Il nous semble que les réflexions à conduire dans ce domaine doivent être ouvertes, bien sûr, et dans tous les sens du terme, mais en aucun cas se référer à des a priori idéologiques.
    M. Jacques-Alain Bénisti. Très bien !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Sinon, on se trompe de débat, et on retombe dans des errements qui, pour l'essentiel, opposent de façon trop virulente les uns et les autres. Du coup le débat perd en sérénité et, je crois, en qualité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Monsieur Leonetti, je pense comme vous qu'il n'est pas bon de légiférer dans l'urgence et c'est une des objections majeures, parmi d'autres, que nous formulons à cette proposition de loi. Vous avez tout à fait raison de souligner qu'il ne saurait être question, dans cette affaire, de travailler à la va-vite, qu'il nous faut évidemment adopter une attitude humaine et réaliste pour les cas les plus délicats, mais en même temps ne pas oublier de manifester la plus grande fermeté pour les autres cas, au nom de la protection de l'ordre public. Car les Français y sont pleinement attachés et nous avons, je le répète, le devoir de bien entendre ce que les uns et les autres pensent de ce sujet. A l'évidence, la réflexion doit précéder la décision, et non pas se confondre avec elle.
    Monsieur Vaxès, votre intervention montre que ce dossier est complexe et, à certains égards, mal connu. Vous avez dit que l'interdiction du territoire pouvait être prononcée à l'occasion d'un vol de véhicule. Or les articles du code pénal réprimant le vol simple et le vol avec dégradation ne prévoient pas la possibilité de prononcer cette interdiction. Elle n'est encourue que pour des vols avec violence. Ce simple exemple suffit à montrer combien le sujet est complexe, combien on a tendance à faire des amalgames très forts dans ce domaine, alors même que les dispositions législatives et réglementaires en vigueur dans ce domaine ne sont pas aussi tranchées que vous sembliez l'indiquer.
    Là encore, même remarque : il y a une différence de méthode puisque nous pensons qu'il faut passer le temps nécessaire à écouter les uns et les autres, et il y a une différence d'approche - la nôtre n'est pas systématique, elle est pragmatique. Sur ce point, il faut que chacun entende bien que la volonté du Gouvernement est de prendre le temps nécessaire pour évoquer cette question.
    M. Jérôme Lambert. A la saint-glinglin !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. La saint-glinglin ? Croyez-vous vraiment que vous êtes bien placés pour parler de saint-glinglin, avec toutes les années qui se sont écoulées depuis la campagne présidentielle de 1981, où votre proposition figurait dans le programme du candidat François Mitterrand ?
    M. Guy Geoffroy. Ils ne manquent pas de culot.
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Monsieur Folliot, votre exposé était de grande qualité, je l'ai écouté avec beaucoup d'attention et d'intérêt. Vous avez raison, cette proposition de loi est inadaptée par son caractère excessif et systématique. Il nous faut effectivement réaffirmer le principe du respect de l'autorité publique pour tous. C'est très important, car la démarche du Gouvernement ne peut se comprendre qu'à la lumière de sa détermination à lutter contre l'insécurité sous toutes ses formes et à réaffirmer le principe de l'autorité publique. Trop longtemps nous avons entendu nos concitoyens nous parler d'impuissance et d'impunité.
    M. Jacques-Alain Bénisti. Exactement !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Trop longtemps, à Paris, on est resté sourd à ce discours de désespérance.
    M. Ghislain Bray. Tout à fait !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Ne pas faire une priorité de ce principe discréditerait toutes les actions que nous conduirions dans ce domaine.
    M. Guy Geoffroy. C'est juste !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Pour nous, c'est le préalable, et c'est parce que ce préalable est clairement respecté depuis l'entrée en fonctions du nouveau gouvernement que nous pouvons ouvrir un débat d'une telle importance, sereinement, sans complexes et sans a priori idéologique.
    M. Eric Raoult et M. Guy Geoffroy. Très bien !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Je vous rejoins également bien volontiers pour reconnaître que l'on ne peut pas mettre sur un pied d'égalité un étranger récemment arrivé, pour lequel la reconduite peut s'imposer en cas de délit, et celui qui est installé de très longue date et n'a aucun lien avec son pays d'origine. Il faut trouver la juste mesure.
    M. Eric Raoult. Très bien !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Je vous rejoins également bien volontiers pour reconnaître que l'on ne peut mettre sur un pied d'égalité un étranger récemment arrivé, pour lequel la reconduite peut s'imposer en cas de délit, et celui qui est installé de très longue date et n'a aucun lien avec son pays d'origine. Il faut trouver la juste mesure.
    M. Eric Raoult. Très bien !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. C'est tout l'objet de notre concertation. Voilà pourquoi il faut prendre le temps nécessaire.
    M. Patrice Martin-Lalande. Très bien !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Monsieur Valls, j'ai aussi écouté votre exposé avec beaucoup d'attention.
    M. Alain Vidalies. Remarquable exposé !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Qui peut penser que la suppression pure et simple de la double peine, comme vous l'avez prétendu, rétablirait un socle de confiance avec les étrangers résidant sur notre sol ? C'est exactement l'inverse. En réalité, ce qu'attendent tous ceux qui résident sur notre sol, qu'ils soient de nationalité française ou non, c'est que la République applique des règles claires en matière de droits et de devoirs, et surtout qu'elle les applique effectivement, une fois celles-ci clairement affichées. L'ambiguïté, dans ce domaine, est mauvaise conseillère et nuit beaucoup à la solidité du socle républicain.
    Mais vous avez fait une remarque que je crois très sincère à propos de votre famille politique : vous avez reconnu que le précédent gouvernement n'était pas allé au bout de sa logique.
    M. Jean Glavany. Cinq ans, ce n'est pas toute la vie !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. C'est un acte de contrition louable, en cette période que je sais difficile pour votre famille politique...
    M. Jean Glavany. Vous, c'est sûr, vous n'êtes jamais envahi par le doute !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Ne croyez pas cela, monsieur Glavany.
    M. Jean Glavany. De votre bouche, on n'a jamais entendu que des certitudes !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Nous avons nous aussi connu les alternances politiques défavorables. Moi-même, comme beaucoup de ceux qui avaient perdu les élections de 1997, à cause d'une triangulaire avec un candidat du Front national réalisant un score important, j'ai pris conscience qu'il fallait tout reprendre à zéro, et, depuis lors, je n'avance plus qu'accompagné de doutes et d'interrogations. Contrairement à ce que vous pensez, j'ai mis de côté toutes les certitudes qui, en d'autres temps, nous ont fait tant de mal.
    M. Jean Glavany. Ce n'est pas l'impression que vous donnez !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Je me permets de vous dire tout à fait respectueusement, monsieur Glavany, que, si le démon des certitudes ne nous a pas pris de court, il en est d'autres à qui c'est arrivé. C'est sans doute pourquoi, de manière un peu polémique mais très sincère, nous avons parlé, à votre propos, de « dépôt de bilan »... (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Claude Goasguen. Très bien !
    M. Pierre Cardo. Voilà enfin quelqu'un qui a le courage de dire la vérité en face !
    M. Eric Raoult. Tout le monde ne peut pas faire gagner son candidat !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Un vieux proverbe affirme que « quand on se cherche, on se trouve toujours », monsieur Glavany.
    Mais je voudrais revenir à votre intervention, monsieur Valls. Car, derrière cette contrition, derrière ces regrets, vous avez exprimé des doutes plus profonds. Je pense fondamentalement que, pendant cinq années, vous avez été victimes d'une forme de « ni-ni ».
    M. François Loncle. Oh !
    M. Guy Geoffroy. Ce sont bien les enfants de Mitterrand !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Finalement, à propos de la sécurité comme de l'immigration ou de la législation sur les étrangers, la défunte gauche plurielle était saisie de doutes quant aux choix à accomplir, et, du coup, dans de très nombreux domaines, elle n'a pris de décisions ni dans un sens, ni dans l'autre. C'était la logique infernale de la gauche plurielle, ballottée au gré des conflits internes.
    M. Alain Vidalies. Méfiez-vous de la droite plurielle !
    M. Jean Leonetti. C'est la pluralité dans l'union !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Le seul reproche que l'on puisse légitimement vous faire - car, dans ce domaine, sur le fond, chaque point de vue est respectable -, c'est que ces conflits étaient purement idéologiques.
    M. Gabriel Biancheri et M. Eric Raoult. Eh oui !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Voyez-vous, ce qui nous distingue de vous, c'est que nous avons mis de côté les a priori idéologiques, car nous avons fait l'analyse qu'aucune des idéologies du xxe siècle ne correspondait aux problèmes d'aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Nous sommes donc dans une démarche d'écoute à la fois pragmatique et méthodique, une démarche qui consiste à enregistrer ce que nous disent les uns et les autres, sans se demander quelle est leur famille partisane, quels fondements politiques et philosophiques les motivent. Il s'agit vraiment de savoir ce qui correspond le mieux à l'intérêt de la France d'aujourd'hui et de demain, pour nos enfants. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Guy Geoffroy et M. Eric Raoult. Très bien !
    M. Ghislain Bray. Quel changement !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Monsieur Pinte, vous avez exprimé avec beaucoup de sincérité les convictions qui sont les vôtres et souligné combien il était nécessaire de faire un examen au cas par cas. Nous connaissons votre combat et nous considérons qu'il est éminemment respectable. Votre propos renforce, s'il en était besoin, la conviction du Gouvernement que, tout en fixant un cadre, bien entendu, il faut ouvrir ce débat sans complexes et, je le répète, sans a priori d'aucune sorte.
    M. Dominique Dord. Très bien !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Il faut écouter et c'est bien dans cet esprit que le ministre de l'intérieur et le garde des sceaux ont engagé leur démarche. Le garde des sceaux vous y a même invités, je crois, dans le courrier qu'il vous a adressé. Nous démontrons ainsi, tous les jours, notre détermination à lutter sans faille contre toutes les formes d'insécurité - Dieu sait si c'est difficile - et c'est ce qui nous confère la légitimité requise pour ouvrir ce débat, avec pragmatisme, avant de prendre les décisions qui en découleront.
    Madame Billard, vous avez exprimé, avec une sincérité troublante, voire touchante, un point de vue très critique à l'égard de la gauche plurielle,...
    M. Eric Raoult. Ingrate ! (Rires sur divers bancs.)
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. ... sans toutefois crever les abcès idéologiques. Cela conforte mon analyse de l'exposé de M. Valls. Les périodes d'opposition, nous en avons connues et nous ne les oublions pas. Elles sont difficiles et je ne résiste pas au plaisir de me remémorer l'excellente formule de Jean-Pierre Raffarin : « La route est longue mais la pente est forte. » (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jean Glavany. C'est d'une puissance ! Nous sommes impressionnés !
    Mme Martine Billard. On vous attend en bas de la pente !
    M. Jean Glavany. Ça fait réfléchir dans les cités !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Absolument, monsieur Glavany. Pour une fois, nous sommes d'accord.
    Monsieur Grand, vous avez évoqué les prises de position sévères de M. Tavernier et M. Bolze, qui ne m'avaient pas non plus échappé. Ces critiques à l'encontre de la proposition de loi tardive du groupe socialiste sont éloquentes. Sur le fond, vous avez réaffirmé votre attachement à la lutte contre l'insécurité tout en approuvant la création d'un groupe de travail, approuvant ainsi notre démarche.
    Monsieur Mariani, quant à vous, avec beaucoup de talent,...
    M. Manuel Valls. Et quelle finesse !
    M. Alain Vidalies. Lui, ce n'est pas un idéologue !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. ... vous avez rappelé que ces questions ne pouvaient être abordées dans la précipitation. S'il est vrai que nous avons été élus pour rétablir l'autorité publique, là où elle était bafouée, là où elle n'existait plus, c'est aussi dans cet esprit que nous pouvons envisager des mesures d'équité, car un Etat est d'autant plus fort qu'il se comporte justement.
    M. Guy Geoffroy et M. Eric Raoult. Très bien !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Il est évident qu'il nous faut travailler de manière moderne, intelligente et pondérée. Vous avez, de ce point de vue, souligné que la gauche n'avait pas fini de surmonter ses paradoxes, en rappelant quelques étapes historiques. Que de chemin parcouru, y compris dans le non-dit ou dans le non-fait, depuis les 110 propositions de François Mitterrand jusqu'à cette proposition de loi, en passant par l'extension du champ d'interdiction du territoire par certains gouvernements socialistes, le combat de Bertrand Tavernier et les propos de Daniel Vaillant ! Mais le sujet est certes très complexe et explique peut-être la tentation du zigzag...
    Le débat est ouvert, dans les conditions que j'ai rappelées, et nous créons ce groupe de travail commun au ministère de l'intérieur et au ministère de la justice avec le souci, je le répète, de préserver l'ordre public tout en respectant l'homme.
    M. Claude Goasguen et M. Jean Leonetti. Très bien !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Guy Geoffroy, vous avez rappelé, avec sagesse, que le défi le plus noble et le plus difficile est la réussite de l'intégration. Je sais que, dans ce domaine, sur le terrain, vous conduisez une action remarquable. Le pragmatisme s'impose en effet et le courage politique est sans nul doute la première vertu de l'engagement qui doit être le nôtre, sur tous ces bancs. C'est une question suffisamment grave pour l'exiger.
    Enfin, monsieur Caresche, vous avez émis le souhait de revenir à la situation antérieure à 1993. Pardon d'être cruel, mais que ne l'avez-vous demandé plus tôt, lorsque vous étiez dans la majorité ? Vous avez d'ailleurs partiellement reconnu cette contradiction.
    M. Jacques-Alain Bénisti. Très bien !
    M. Eric Raoult. Il était pourtant bien placé. C'est un élu du 18e arrondissement...
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Mesdames, messieurs les députés, le débat ne va pas tarder à s'achever. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Claude Lemoine. Et c'est très bien !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Trois heures, même denses, c'est trop court pour un sujet aussi difficile.
    M. Manuel Valls. Nous pouvons continuer.
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Le problème ne peut évidemment pas être réglé à la faveur de cette proposition de loi présentée à la va-vite, dans les conditions que chacun connaît et sur lesquelles nous avons eu l'occasion de revenir tout au long de la matinée.
    M. Guy Geoffroy. A la niche, les socialistes !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Il faut attacher autant d'importance au fond qu'à la méthode. Voilà pourquoi nous proposons, à l'initiative du Premier ministre, du ministre de l'intérieur et du ministre de la justice, cette démarche d'écoute, de respect et de dialogue avec toutes celles et ceux qui s'engagent. Nous devons en effet recueillir l'adhésion de l'ensemble du pays, car la difficile question de la nationalité, je le répète, touche non seulement au respect de l'autorité publique, mais aussi à celui des droits de l'homme, et elle se situe au coeur de nos réflexions et de notre combat.
    M. Guy Geoffroy. Très bien !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Ce combat va dans le sens de l'intérêt général et de la défense du pacte républicain qui nous unit. Cela exige que nous agissions dans le sens du progrès pour le pays, mais aussi en respectant les grandes valeurs de la République, sans lesquelles ne peut exister une nation cohérente et unie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

Vote sur le passage à la discussion des articles

    M. le président. La commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République n'ayant pas présenté de conclusions, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 3, du règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi.
    Conformément aux dispositions du même article du règlement, si l'Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.
    Je suis saisi de plusieurs demandes d'explication de vote.
    La parole est à M. Etienne Blanc, pour le groupe UMP.
    M. Etienne Blanc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce texte - nous l'avons maintenant bien compris - vise en fait à instaurer une protection absolue pour les étrangers qui vivent sur notre sol, à réduire considérablement les possibilités offertes aux magistrats, tant de l'ordre judiciaire que de l'ordre administratif, pour prononcer des expulsions à leur encontre.
    Le groupe UMP, bien évidemment, est hostile à ce texte et votera contre, considérant tout d'abord que la ficelle employée par le groupe socialiste est un peu grosse...
    M. Charles Cova. C'est une haussière !
    M. Guy Geoffroy. Un câble !
    M. Michel Voisin. Une corde !
    M. Etienne Blanc. Examinez l'évolution de notre législation depuis 1981 et vous conviendrez que les occasions n'ont pas manqué de modifier le dispositif mis en place en 1970, autorisant l'expulsion en cas de délit ou de crime. Il a en effet été examiné à plusieurs reprises devant l'Assemblée nationale, en 1981, en 1985, en 1991, en 1993 et en 1998, époques où vous aviez la majorité, et jamais vous n'avez envisagé de le modifier en profondeur,...
    M. Christophe Caresche, rapporteur. Mais si !
    M. Etienne Blanc. ... notamment pour interdire purement et simplement les expulsions, comme vous nous le proposez aujourd'hui.
    La ficelle est si grosse que M. Tavernier - j'hésite à le citer une nouvelle fois - n'a cessé, depuis quelques semaines, de le dénoncer : il estime que le PS, sur cette question, a fait preuve pendant cinq ans d'une « incroyable lâcheté » et que « la gauche se déhonorerait en voulant redorer son blason ». Quant à M. Bolze, il y a quelques jours, il déclarait que « la démarche de la gauche est inconvenante ».
    Oui, cette démarche est inconvenante, notamment eu égard à la procédure que vous avez choisie pour amener devant l'Assemblée une discussion aussi importante : une niche parlementaire, un débat sans préparation, négligeant le nécessaire examen préalable par le menu de toutes les conséquences juridiques d'un texte qui modifie le coeur de notre droit.
    Par ailleurs, les questions juridiques soulevées sont multiples et ce débat n'a pas permis de les régler. S'agit-il réellement d'une double peine ? Nous pensons que non et que la remise en cause de l'expulsion, sur la base de ce principe, nous obligerait à réexaminer tout le droit pénal pour en expurger les mesures complémentaires, comme les interdictions dont sont assorties les sanctions financières ou d'emprisonnement, les obligations de soins, l'interdiction de conduire, ainsi que les interdictions administratives diverses prévues dans le code pénal.
    M. Jean-Marc Ayrault. C'est faux !
    M. Manuel Valls. M. Pinte dit le contraire !
    M. Etienne Blanc. Une deuxième question fondamentale se posera : celle du PACS. Vous avez souhaité que les personnes pacsées, comme les époux, bénéficient d'un système de protection spécifique. Mais, vous le savez aussi bien que moi, le système du PACS, en application des dispositions des articles 515 et suivants du code civil, est purement déclaratif, et empêche tout contrôle sur la réalité de la vie commune, sur la réalité du lien réel existant entre les deux personnes contractantes.
    Mme Martine Billard. Comme le mariage !
    M. Etienne Blanc. Cette question juridique fondamentale mérite d'être examinée.
    Je passe sur les notions de « Français de fait » ou de « citoyenneté de résidence », qui remettent elles aussi en cause tout notre système juridique.
    J'insiste sur un autre problème essentiel, celui du flou que vous entretenez. Vous souhaitez substituer à la notion d'ordre public celle d'« intérêt fondamental de la nation ». Mais l'ordre public n'est-il pas un des intérêts fondamentaux de la nation ? Un tel flou juridique ne peut être admis.
    Ce débat, enfin, aurait mérité une bonne discussion de droit international comparé. Comment se comportent nos principaux partenaires ? Comment se comportent les autres Etats européens ? Comment se comportent aussi les pays dont sont originaires un grand nombre d'immigrés vivant sur notre sol ? Nous ne pouvons échapper à cette discussion. Je ne citerai qu'un exemple, celui de la Grande-Bretagne. Ce pays, qui pratique l'habeas corpus et a toujours été, de ce fait, très attaché à la conception anglo-saxonne des libertés individuelles, applique le même système que la France, ni plus ni moins.
    En France, je vous le rappelle, l'initiative de l'expulsion appartient au juge pénal, qui peut la recommander au ministre de l'intérieur, et, lorsque le juge pénal n'y procède pas, l'administration dépendant du ministère de l'intérieur peut le faire elle-même.
    M. le président. Veuillez conclure, monsieur le député.
    M. Etienne Blanc. Mes chers collègues, le groupe UMP refusera le passage à la discussion de ce texte, qui a manifestement surtout des visées politiques, voire politiciennes. En revanche, il soutiendra fermement les initiatives prises par, M. le ministre de l'intérieur et M. le garde des sceaux, sous l'autorité de M. le Premier ministre, visant à dialoguer, à comprendre et surtout à légiférer de manière très pragmatique sur ce sujet, qui touche aux valeurs de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. Michel Vaxès. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, je ne reviendrai pas sur le fond du débat car je me suis déjà exprimé dans la discussion générale. Encore que je pourrais peut-être demander à M. Sarkozy et à ses services pourquoi les vols de voiture avec violence sont de plus en plus nombreux.
    Comme vous le précisiez en début de séance, vous êtes chargé des relations avec le Parlement et porte-parole du Gouvernement, des responsabilités qui s'exercent dans les deux sens.
    J'ai entendu votre message en début de séance : vous demandez que les articles de la proposition ne soient pas discutés au motif que ce texte mériterait davantage de concertation et de préparation. Entendez donc celui du groupe des député-e-s communistes et républicains ! Nous vous proposons, monsieur le secrétaire d'Etat, de reprendre point par point les arguments que vous nous avez servis pour que le Premier ministre organise une véritable concertation, voire un référendum, sur un texte qui bouleverse l'organisation de la République. Vous l'avez compris, je veux parler du projet de loi sur la décentralisation qui ne mérite pas la précipitation que lui impose le Premier ministre et qui aurait dû faire l'objet d'une meilleure préparation. Vous ne pouvez pas, monsieur le secrétaire d'Etat, vous prévaloir de principes à géométrie variable. Vous ne pouvez pas invoquer le temps nécessaire à l'indispensable concertation préalable pour justifier le renvoi de l'examen de ce texte et simultanément refuser d'accorder ce temps pour d'autres textes très importants.
    M. Maxime Gremetz. Monsieur le président, le ministre n'écoute pas !
    Mme Christine Boutin. Mais si, il écoute !
    M. Michel Vaxès. Je m'interroge aussi sur la sincérité de la posture gouvernementale. En vérité, la méthode du Gouvernement est, elle aussi, à géométrie variable. Ses arguments sont autant de prétextes pour reprendre la main sur une évolution législative dont la paternité initiale lui revient pourtant. En effet, dans les années 70, comme en 1993 avec les lois Pasqua, ce sont bien vos amis politiques qui étaient au pouvoir et qui ont ouvert la voie aux dérives que nous connaissons aujourd'hui. Toutes ces raisons nous conduiront, monsieur le secrétaire d'Etat, à voter pour le passage à la discussion des articles. Ce sera aussi une façon de manifester notre rejet des mauvais prétextes que vous avez jusqu'ici avancés pour en justifier le renvoi.
    M. Maxime Gremetz. Très bien !
    M. le président. Sur le passage à la discussion des articles, je suis saisi, par le groupe socialiste, d'une demande de scrutin public.
    Avant de donner la parole aux deux derniers orateurs inscrits pour les explications de vote, je vais, d'ores et déjà, faire annoncer le scrutin de manière à permettre à nos collègues de regagner l'hémicycle.
    Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
    La parole est à M. Philippe Folliot, pour le groupe UDF.
    M. Philippe Folliot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cela fait trois heures que nous débattons sur ce sujet. Cette proposition de loi visant à protéger certaines catégories d'étrangers des mesures d'éloignement du territoire a eu le mérite de permettre à la représentation nationale de commencer à aborder ce problème. Néanmoins, comme l'a fort justement dit M. le secrétaire d'Etat, même si le débat a été de qualité, ce n'est assurément pas suffisant pour trouver la bonne réponse à une question qui se pose depuis fort longtemps. Si vous me le permettez, mes chers collègues, j'userai d'une métaphore « rugbystique ». Alors que, pendant cinq ans, la majorité avait la balle en main, elle n'a pas su constituer le groupé pénétrant qui lui aurait permis d'aller à l'essai et de transformer la loi en la matière. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Manuel Valls. Vous bottez en touche !
    M. Philippe Folliot. Aujourd'hui, alors que le ministre de l'intérieur, poussé par l'équipe gouvernementale et soutenu par la majorité, avance balle en main, avec la dynamique et la fougue qu'on lui connaît...
    M. Manuel Valls. Mariani le plaque ! (Sourires.)
    M. Philippe Folliot. ... pour aller vers l'essai, vous êtes coupables d'une manoeuvre dilatoire, car vous essayez d'écrouler le pack gouvernemental.
    M. Manuel Valls. Vous êtes hors jeu !
    M. Philippe Folliot. Vous serez doublement sanctionnés : d'abord par la représentation nationale, qui va assurément refuser cette proposition de loi, ensuite par une partie de vos supporteurs qui applaudissent l'initiative du ministre de l'intérieur en la matière, parce qu'elle va dans le bon sens.
    Pour en revenir au fond, il est essentiel de réaffirmer certains principes, et d'abord le principe de fermeté...
    M. Maxime Gremetz. Fermeté ? Il faut arrêter ! Fermeté pour les pauvres, oui !
    M. Philippe Folliot. ... car, quand on est hôte d'un pays, on se doit d'en respecter les lois. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Maxime Gremetz. Il faut que les patrons les respectent, et ce n'est pas le cas !
    M. Philippe Folliot. Le second principe à respecter est le principe d'humanité.
    M. Maxime Gremetz. Avec des cagoules et des matraques !
    M. Charles Cova. Arrête ton cirque, Maxime !
    M. Philippe Folliot. Comme j'ai eu l'occasion de le dire tout à l'heure, et comme François Bayrou l'a répété à de multiples reprises, on ne peut assurément pas mettre sur un pied d'égalité un étranger qui est arrivé depuis quelques mois seulement dans notre pays et un autre qui n'a plus de liens avec son pays d'origine. Il faudra donc prendre le temps nécessaire pour réformer notre législation en tenant compte de ce principe d'humanité, pour que la justice puisse tenir compte des situations qui, humainement, ne sont pas tolérables.
    Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe UDF votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste.
    M. Jean-Marc Ayrault. Je note que le représentant du goupe UDF a dit que celui-ci voterait contre la proposition de loi, alors que c'est le passage à la discussion des articles qui va être soumis au vote. C'est révélateur du fond de sa pensée, c'est-à-dire qu'il n'est pas favorable à ce que l'on réforme vraiment la double peine ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Manuel Valls. Très bien !
    M. Jean-Marc Ayrault. D'ailleurs, le ton de votre propos, cher collègue, tant à la tribune que maintenant, montre à l'évidence que, comme beaucoup d'autres ici, vous avez préféré dégager en touche.
    M. Maxime Gremetz. Botter en touche !
    M. Jean-Marc Ayrault. Je regrette beaucoup le ton polémique...
    Mme Christine Boutin. De vos amis !
    M. Jean-Marc Ayrault. ... de nombreuses interventions de la majorité. Nous avons quant à nous saisi une opportunité qui nous était donnée d'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale une proposition de loi.
    M. Claude Goasguen. Vous avez eu vingt ans pour cela !
    M. Eric Raoult. Et vous n'avez rien fait !
    M. Jean-Marc Ayrault. Nous pouvons le faire deux fois par an. C'est très peu ! Pour 2002, c'est la dernière. Nous avons donc saisi cette opportunité pour que le débat se déroule sereinement et permette d'apporter des solutions à ce douloureux problème de la double peine. Nous l'avons fait dans un esprit de consensus.
    M. Claude Goasguen. Un peu tard !
    M. Jean-Marc Ayrault. J'ai salué, au début de cette séance, les déclarations de telle ou telle personnalité de la majorité, notamment celles du ministre de l'intérieur qui a fait preuve d'un esprit d'ouverture sur cette difficile question.
    M. Claude Goasguen. Très bien !
    M. Thierry Mariani. Continuez !
    M. Jean-Marc Ayrault. J'ai salué les déclarations et les prises de position de M. Pinte.
    M. Claude Goasguen. Et celles de M. Vaillant !
    M. Jean-Marc Ayrault. Nous aurions souhaité que le débat aille à bon terme, et cela aurait été logique, mais vous avez refusé qu'il en soit ainsi en commission et vous persistez ici. Notre proposition de loi n'est pas à prendre ou à laisser.
    M. Lionnel Luca. Elle le sera !
    M. Jean-Marc Ayrault. Il ne s'agit pas de décider dans l'urgence. Il y aurait des navettes. Six mois au moins seraient nécessaires à l'adoption de ce texte et la logique aurait été - cela aurait été aussi une preuve de sincérité - que nous en examinions aujourd'hui les articles et que vous l'amendiez, ce que vous vous refusez à faire. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Nous étions prêts à adopter une proposition de consensus.
    M. Claude Goasguen. Il fallait le faire avant !
    M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur Pinte, vous êtes, comme beaucoup d'entre nous, un homme sincère.
    M. Guy Geoffroy. Vous n'avez pas le monopole de la sincérité !
    M. Jean-Marc Ayrault. Je ne doute pas de la sincérité de vos positions,...
    M. Jean Leonetti. On est sincère quand on est d'accord avec vous !
    M. Jean-Marc Ayrault. ... que je tiens à saluer, mais comme nous, vous avez évolué sur cette question. Vous n'avez pas toujours défendu ce point de vue. Il y quelques années, vous avez voté les lois Pasqua que nous avons été obligé de corriger, en 1998. Il est normal que, sur des questions aussi difficiles, nous prenions la mesure des choses et que nous écoutions ce que nous dit la société.
    M. Claude Goasguen. Vingt ans ! Vous avez eu vingt ans !
    M. Jean-Marc Ayrault. Je salue le combat et le travail des associations et de certaines personnalités, mais je ne voudrais pas que leur engagement soit déçu et qu'en renvoyant...
    M. Christian Bataille. Aux calendes grecques !
    M. Jean-Marc Ayrault. ... à des groupes de travail, à des commissions, comme le Gouvernement vient de l'annoncer par la voix de M. Copé, voire à des projections de films le soin de régler le problème, on finisse par oublier l'essentiel, à savoir l'abandon de ce système injuste de la double peine dans notre législation. Je disais que nous avions évolué. Il est vrai que nous avons tenté d'autres voies. En 1998, la circulaire de Mme Guigou s'inscrivait dans le prolongement des réformes que nous avions votées : droit des étrangers en France et réforme du code de la nationalité, notamment, qui a restauré le droit du sol supprimé par les lois Pasqua.
    M. Thierry Mariani. Méhaignerie, pas Pasqua !
    M. Jean-Marc Ayrault. Mais cette voie n'était pas suffisante, nous le reconnaissons aujourd'hui. Il faut donc aller plus loin et réformer la législation sur la double peine.
    M. Claude Goasguen. Réfléchissez encore !
    M. Jean-Marc Ayrault. Il faut le faire sans tarder. Le débat doit avoir lieu à l'Assemblée nationale, siège de la représentation nationale, mais le dialogue doit se poursuivre avec tous ceux qui se battent à l'extérieur de cet hémicycle, dans les associations. Cela dit, le vrai risque est politique. Cette semaine, nous avons déposé deux propositions de loi, l'une sur le droit de vote des étrangers aux élections locales, l'autre sur la suppression de la double peine.
    M. Lionnel Luca. Quel activisme !
    M. Jean-Marc Ayrault. Or, les orateurs de la majorité - je pense notamment à M. Mariani, à M. Goasguen - se sont exprimés mardi, et encore aujourd'hui, avec la même tonalité qu'en 1997-1998...
    M. Manuel Valls. Oui ! Absolument !
    M. Jean-Marc Ayrault. ... lorsque nous avons voulu réformer le code de la nationalité. Vous aviez combattu ce projet...
    M. Claude Goasguen et M. Thierry Mariani. Bien sûr !
    M. Jean-Marc Ayrault. ... parce que vous continuiez à exploiter le thème de l'insécurité lié à celui de l'immigration, et sur ce point vous n'avez pas changé. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Il y a un vrai risque que l'UMP, qui est très à droite, pour ne pas dire très réactionnaire, ne conduise la majorité à ne rien faire ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Claude Goasguen. Comme vous !
    M. Jean-Marc Ayrault. C'est la raison pour laquelle nous avons saisi l'occasion de formuler cette proposition de loi qui devait permettre de clarifier les choses. Mais vous avez refusé le débat au fond et vous avez préféré polémiquer, pour ne pas avoir à nous exposer vos positions.
    M. Claude Goasguen. Gardez ça pour le congrès du PS !
    M. Jean-Marc Ayrault. Alors, nous prenons date car, mes chers collègues, vous ne nous empêcherez jamais de déposer les propositions de loi que nous voulons. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Prenons rendez-vous : si, d'ici à la prochaine occasion qu'auront les socialistes de déposer une proposition de loi, c'est-à-dire d'ici au mois de mai prochain seulement, vous n'avez rien fait, nous recommencerons ! (Vives protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Nous prendrons l'opinion publique à témoin et exposerons ce que nous voulons faire. En effet, nous avons réfléchi, nous avons changé et, comme nous l'avons dit mardi, nous voulons réussir l'intégration républicaine. Or, le droit de vote des étrangers aux élections locales et la suppression de la double peine peuvent contribuer à créer concrètement un climat propice à l'intégration républicaine. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Il s'agit ici du respect non seulement des devoirs des étrangers qui vivent en France, mais également de leurs droits, c'est-à-dire des devoirs qui sont ceux de la République de lutter contre toutes les formes de discrimination, notamment en matière d'emploi et de logement, que subissent aujourd'hui non seulement les étrangers, mais aussi ceux qui ont la nationalité française et qui auraient espéré plus de générosité de la part de la République.
    M. Claude Goasguen. Débranchez-le ! Il est comme le perroquet acheté par la mairie de Paris !
    M. Jean-Marc Ayrault. A ceux-là, nous avons le devoir de dire que nous voulons agir pour faire vivre concrètement l'intégration républicaine.
    M. Claude Goasguen. Quelle logorrhée !
    M. Jean-Marc Ayrault. Je le dis au Gouvernement : la communication, c'est bien, mais les actes, c'est mieux ! Alors : aux actes, Raffarin ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)

    M. le président. Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir regagner vos places.
    Je vais maintenant mettre aux voix le passage à la discussion des articles de la proposition de loi.
    Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été couplés à cet effet.
    Le scrutin est ouvert.
    M. le président. Le scrutin est clos.
    Voici le résultat du scrutin sur le passage à la discussion des articles :

Nombre de votants   128
Nombre de suffrages exprimés   126
Majorité absolue   64
Pour l'adoption   39
Contre   87

    L'Assemblée nationale n'a pas adopté.
    L'Assemblée ayant décidé de ne pas passer à la discussion des articles, la proposition de loi n'est pas adoptée.

3

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

    M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :
    Discussion du projet de loi, n° 187, relatif à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008 :
    M. Guy Teissier, rapporteur au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées (rapport n° 383) ;
    M. Pierre Lellouche, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires étrangères (avis n° 384) ;
    M. François d'Aubert, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (avis n° 385).
    A vingt et une heures, troisième séance publique :
    Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.
    La séance est levée.
    (La séance est levée à douze heures quinze.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT
annexe au procès-verbal
de la 1re séance
du jeudi 28 novembre 2002
SCRUTIN (n° 89)


sur le passage à la discussion des articles de la proposition de loi visant à protéger certaines catégories d'étrangers des mesures d'éloignement du territoire.

Nombre de votants

128


Nombre de suffrages exprimés

126


Majorité absolue

64


Pour l'adoption

39


Contre

87

    L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN

Groupe Union pour la majorité présidentielle (362) :
    Contre : 85 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
    Non-votant : M. Jean-Louis Debré (président de l'Assemblée nationale).
Groupe socialiste (147) :
    Pour : 35 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
Groupe Union pour la démocratie française (29) :
    Contre : 2 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
    Non-votant : M. Rudy Salles (président de séance).
Groupe communistes et républicains (22) :
    Pour : 4 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
Non-inscrits (13) :
    Abstentions : 2. - Mme Martine Billard et M. Noël Mamère.