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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU MERCREDI 15 JANVIER 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
2e séance du mardi 14 janvier 2003


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président.
1.  Questions au Gouvernement «...».

IRAK «...»

MM. Jean-Marc Ayrault, Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre.

DÉBAT PARLEMENTAIRE SUR L'IRAK «...»

MM. Jacques Barrot, Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre.

ACTES ANTISÉMITES «...»

MM. Rudy Salles, Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice.

IRAK «...»

MM. Jacques Brunhes, Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères.

PROFESSIONNELS DE SANTÉ «...»

MM. Jean-Marie Rolland, Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

CONSÉQUENCES DE LA MARÉE NOIRE EN GIRONDE «...»

M. Jean-François Régère, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable.

CHOIX BUDGÉTAIRES POUR 2003 «...»

MM. Didier Migaud, Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

POLITIQUE DE SÉCURITÉ «...»

MM. Ghislain Bray, Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

SITUATION EN CÔTE D'IVOIRE «...»

MM. Loïc Bouvard, Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères.

AVENIR DES RETRAITES «...»

MM. Alain Néri, Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL
DANS LES HÔPITAUX «...»

Mme Maryvonne Briot, M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

SITUATION DE L'EMPLOI
DANS LE BASSIN DE LONGWY «...»

MM. Edouard Jacque, François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

Suspension et reprise de la séance «...»

2.  Sécurité intérieure. - Discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat après déclaration d'urgence «...».
M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

PRÉSIDENCE
DE Mme PAULETTE GUINCHARD-KUNSTLER

M. Christian Estrosi, rapporteur de la commission des lois.
Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation aux droits des femmes, rapporteure.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ «...»

Exception d'irrecevabilité de M. Jean-Marc Ayrault : MM. Bruno Le Roux, le ministre.

Rappel au règlement «...»

MM. Bruno Le Roux, le ministre.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
3.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

    M. le président. La séance est ouverte.
    (la séance est ouverte à quinze heures.)
    M. le président. Mes chers collègues, j'adresse à chacune et à chacun d'entre vous mes meilleurs voeux et j'adresse au Premier ministre et au Gouvernement les meilleurs voeux de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

    M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
    Nous commençons par une question du groupe socialiste.

IRAK

    M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.
    M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, vous avez aujourd'hui un devoir de vérité.
    La crise irakienne approche peut-être de son dénouement. Alors que vous ne cessez de dire que la guerre ne doit être que la dernière extrémité, le Président de la République semble s'y résigner en demandant à nos forces armées de se tenir prêtes à faire face à toute éventualité. Comment ne pas ressentir cette déclaration comme une mobilisation qui n'ose pas dire son nom ? Comment ne pas y voir une préparation des esprits à un engagement militaire de la France, évolution d'autant plus surprenante que la France préside le Conseil de sécurité de l'ONU et qu'à ce jour aucune preuve d'un réarmement de l'Irak n'a été apportée ? Il y a tout lieu de craindre que vos appels réitérés à une décision de l'ONU ne soient qu'un paravent légal pour un ralliement à l'équipée de M. Bush.
    Insoutenable contradiction qu'il vous appartient, monsieur le Premier ministre, de dissiper !
    Le pire frappe à la porte. L'armée américaine est massée aux frontières de l'Irak. La nôtre se prépare. Vous devez clarifier vos intentions.
    Qu'attendez-vous pour annoncer que la France opposera son veto à tout recours à la force et refusera d'y prêter son concours militaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Monsieur le Premier ministre, vous avez dit, dans une de vos formules inimitables : « Nous restons déterminés pour être opposés à la guerre. » Je voudrais croire à votre sincérité mais, comme tous les Français, j'en demande des preuves. C'est pourquoi nous voulons que le débat parlementaire auquel vous vous êtes engagé se tienne après la remise du rapport des inspecteurs de l'ONU au Conseil de sécurité et que nous demandons que votre gouvernement engage, à l'issue de ce débat, sa responsabilité afin que le Parlement se prononce sur une base claire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Si vous refusez la guerre, la représentation nationale sera tout entière avec vous. Mais si, par malheur, vous faites le choix de la guerre, sachez qu'il n'y aura pas d'union sacrée et qu'une écrasante majorité du pays se détournera de vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jacques Desallangre. Tout à fait !
    M. François Goulard. Ces propos sont totalement déplacés !
    M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
    M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président, je vous remercie de vos bons voeux à l'adresse du Gouvernement. Permettez-moi, au nom de l'ensemble du Gouvernement, de présenter à mon tour à chacune et à chacun des membres de l'Assemblée des voeux très sincères pour l'année 2003.
    Monsieur Ayrault, la question que vous avez posée est importante et, par vos propos, vous rejoignez le souhait du Président de la République qu'un débat se tienne au Parlement sur la crise irakienne. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Avec un vote !
    M. le Premier ministre. Il est en effet essentiel que, le moment venu, le Parlement soit informé. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Nous sommes très attentifs (Nouvelles exclamations sur les mêmes bancs)...
    M. André Gerin. Décidez !
    M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie !
    M. le Premier ministre. Je souhaiterais que l'on puisse, sur ce sujet, s'exprimer dans la sérénité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. André Gerin. Il faut décider !
    M. le Premier ministre. Très sincèrement, je me dois de vous dire que le Gouvernement est particulièrement attentif à ce que peut penser et dire le Parlement dans cette situation particulièrement difficile.
    Mme Martine David. Encore heureux !
    M. le Premier ministre. La position de la France n'a pas changé, et le Président de la République l'a exprimée a plusieurs reprises.
    D'abord, nous souhaitons bien évidemment assurer le désarmement de l'Irak. Nous voulons le faire au niveau du droit, par le droit. Et, pour nous, le droit est construit par la communauté internationale au sein du Conseil de sécurité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Par conséquent, s'il doit y avoir recours à la force, il faudra une autre résolution que la résolution 1441, car c'est à l'ONU et au Conseil de sécurité que se trouve la source du droit international, ce qui est pour nous essentiel dans cette démarche.
    M. Robert Pandraud. Très bien !
    M. le Premier ministre. La position de la France n'a donc pas changé.
    Les inspecteurs de la commission de contrôle de l'ONU conduisent actuellement leurs travaux dans des conditions difficiles, qui font l'objet de notre particulière attention. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Nous avons relevé, comme vous tous, de nombreuses zones d'ombre dans les déclarations remises par l'Irak le 7 décembre dernier. C'est pourquoi, en accord avec le Président de la République, nous avons demandé au ministre des affaires étrangères, qui assure actuellement la présidence du Conseil de sécurité, de faire en sorte que tous les membres du Conseil puissent remettre aux inspecteurs les informations susceptibles d'éclairer leur jugement. M. de Villepin a donc écrit à l'ensemble des membres du Conseil de sécurité, qui est actuellement, je le répète, sous présidence française, afin que nous puissions disposer, notamment lors des prochaines réunions du Conseil de sécurité, de toutes les informations nécessaires permettant d'éclaircir une situation qui, comme je l'ai dit,...
    M. Alain Néri. Vous n'avez encore rien dit !
    M. le Premier ministre. ... comporte trop de zones d'ombre.
    Dans ce contexte, nous sommes les uns et les autres très attentifs à ce que la résolution 1441 qui a été, ne l'oublions jamais, adoptée à l'unanimité, puisse en toutes circonstances s'imposer. Cela signifie que nous devrions organiser, ce que nous ferons volontiers, un débat dès lors qu'une autre délibération serait soumise au Conseil de sécurité et que celle-ci conduirait à engager une politique qui ne serait pas celle que nous avons approuvée.
    M. Christian Bataille. Quelle est votre réponse ?
    M. le Premier ministre. Notre réponse est particulièrement claire : nous sommes contre la guerre. Nous savons que la guerre est la dernière des extrémités, qu'il faut tout tenter contre la guerre et qu'il faut lutter contre elle non avec des slogans ou des utopies (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), mais avec une diplomatie efficace, comme celle que nous développons actuellement au Conseil de sécurité.
    A l'issue de la présidence française du Conseil de sécurité, c'est-à-dire à la fin du mois de janvier, nous serons en possession de toutes les informations permettant ensemble de fixer la date pertinente du débat au Parlement comme l'a souhaité le Président de la République et comme vous-même le souhaitez. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

DÉBAT PARLEMENTAIRE SUR L'IRAK

    M. le président. La parole est à M. Jacques Barrot, pour le groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.
    M. Jacques Barrot. Monsieur le Premier ministre, je vous remercie des informations que vous venez de nous donner.
    M. Gilbert Biessy. Vous avez appris quelque chose, vous ?
    M. Jacques Barrot. Il est vrai que le groupe UMP vous a sollicité pour obtenir un débat solennel. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous avons été, depuis le début, tenus au courant des difficultés concernant l'Irak, mais la crise irakienne suscite une demande croissante et justifiée d'informations. Nous souhaitons donc que ce débat ait lieu au moment opportun, et vous venez de préciser que telle était bien votre intention.
    Cela dit, nous souhaiterions que vous nous apportiez quelques précisions sur les modalités de ce débat, lesquelles devraient permettre à chacun d'entre nous de prendre ses responsabilités aux côtés du Gouvernement de la France.
    Je voudrais souligner combien nous sommes fiers de la manière dont le Gouvernement de la France et le Président de la République ont su, dans cette affaire, adopter une position claire, ferme et appréciée par toute la communauté internationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    L'objectif est clair : éviter la prolifération des armes de destruction massive. Mais cette action doit être encadrée par les Nations unies afin d'entraîner la communauté internationale. L'Irak doit apporter son concours au travail des inspecteurs.
    Il est vrai qu'actuellement nous recueillons des informations contradictoires sur l'attitude des autorités irakiennes. Or nous avons besoin d'informations aussi objectives que possible. Car il ne s'agit pas de préjuger ces résultats des inspections, mais de pouvoir juger objectivement de la coopération ou de la résistance des autorités irakiennes.
    C'est pourquoi, après que votre ministre des affaires étrangères eut donné des informations très utiles à la commission des affaires étrangères, nous avons souhaité, et M. Ayrault s'est aussi fait l'écho de cette préoccupation, obtenir quelques précisions supplémentaires. Vous venez de les apporter. Aussi vous demanderai-je, monsieur le Premier ministre, de bien vouloir nous confirmer que vous ouvrirez le débat avec toute la solennité qui s'impose devant notre assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - « Avec un vote ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. )
    M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
    M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président Barrot, je vous le confirme. (« Ah ! » sur divers bancs.) J'ajoute même, pour vous, cher président Barrot, un message supplémentaire : la France entend rester libre de ses décisions et, comme l'a dit le Président de la République, elle assumera toutes ses responsabilités en son âme et conscience.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Ça ne veut rien dire !
    M. le Premier ministre. Nous ne nous laisserons soumettre à aucune pression.
    Vous l'avez rappelé, les inspecteurs travaillent dans des conditions relativement satisfaisantes. Mais ne pas leur faire obstacle est une chose et obtenir toutes les informations nécessaires en est une autre. C'est pourquoi Dominique de Villepin s'est adressé à tous les membres du Conseil de sécurité afin que l'on rassemble toutes les informations et que chacun dise ce qu'il a pu obtenir, dans le but d'éclairer notre décision,...
    Un député du groupe socialiste. Bla-bla-bla !
    M. le Premier ministre. ... et de faire en sorte que, à la fin de la présidence française, nous disposions de tous les éléments nécessaires et que nous puissions engager au Parlement le débat que vous attendez. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Avec un vote !
    M. le président. Laissez le Premier ministre s'exprimer !
    M. le Premier ministre. Monsieur le président Barrot, je tiens à vous dire que nos échanges, à l'occasion de ce débat, se feront en toute responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

ACTES ANTISÉMITES

    M. le président. La parole est à M. Rudy Salles, pour le groupe Union pour la démocratie française.
    M. Rudy Salles. Monsieur le Premier ministre, permettez-moi d'exprimer ici mon indignation devant la motion adoptée le 16 décembre dernier par le conseil d'administration de l'université Paris-VI, qui s'est prononcé pour le non-renouvellement de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël, spécialement en matière de recherche.
    Cette motion, que ses auteurs justifient par une critique de la politique actuelle du Gouvernement israélien, s'apparente à un véritable appel au boycott économique et scientifique d'Israël et ne peut donc qu'encourager l'intolérance, la violence et le fanatisme. (« Très juste ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Nombre de nos concitoyens ont été particulièrement choqués que des institutions universitaires, pourtant lieux privilégiés de liberté, de tolérance et de circulation des idées, préconisent l'arme détestable et de sinistre mémoire du boycott, alors qu'elles devraient au contraire encourager le développement des échanges intellectuels pour favoriser la compréhension entre les hommes et contribuer ainsi à la recherche de la paix.
    Dans le même temps, on assiste en France à une montée de l'antisémitisme allant jusqu'à des actes d'agression à l'encontre de représentants de la communauté juive, et l'on perçoit une volonté de transposer ici le conflit du Proche-Orient.
    Savez-vous, monsieur le Premier ministre, que certains professeurs d'histoire n'osent même plus aborder le problème de la shoah dans leurs cours, question pourtant inscrite dans le devoir de mémoire auquel nous sommes tous très attachés ?
    Face à l'indignation de nos concitoyens et aux inquiétudes de nos amis de la communauté juive de France, je vous remercie de nous indiquer quelles actions le Gouvernement entend entreprendre pour mettre un terme à ces dérapages. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, vous avez raison de vous émouvoir de telles prises de position.
    Si nous voulons que cesse cette remontée du racisme et de l'antisémitisme ; il appartient d'abord à l'ensemble de celles et ceux qui occupent des postes de responsabilité dans la société de faire en sorte qu'il en soit ainsi, qu'il s'agisse du pouvoir intellectuel ou des responsables économiques, sociaux et, bien sûr, politiques. C'est l'ensemble de la société qui doit lutter, chacune et chacun avec ses armes, contre cette remontée de l'intolérance, de l'antisémitisme et du racisme. (« Très juste ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Pour ce qui le concerne, le pouvoir politique doit lui aussi, je le répète, assumer ses responsabilités. C'est la raison pour laquelle vous avez, avec l'accord du Gouvernement, adopté une proposition de loi déposée par Pierre Lellouche qui va dans ce sens et qu'en tant que garde des sceaux j'ai totalement approuvée.
    C'est également dans cet esprit que j'ai rappelé aux parquets la nécessité de poursuivre, chaque fois que cela est nécessaire, les actes qui participent de l'antisémitisme et du racisme. Je leur ai demandé de suivre de manière très précise, en liaison avec les autorités préfectorales et les responsables des différentes communautés concernées, l'évolution de la situation sur le terrain.
    C'est encore dans cet esprit que nous réfléchissons aux moyens d'éviter que certaines nouveaux vecteurs de communication, comme Internet, ne soient porteurs de messages inadmissibles en termes de racisme et d'antisémitisme.
    Telles sont les orientations que nous entendons suivre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

IRAK

    M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. Jacques Brunhes. Les Etats-Unis accélèrent les préparatifs de guerre en Irak,...
    M. François Goulard. Et que disiez-vous quand il s'agissait autrefois de l'Afghanistan ?
    M. Jacques Brunhes. ... comme en témoigne l'envoi de près de 120 000 militaires dans la région, qui ne sont pas là, pour reprendre l'expression réaliste du président de notre assemblée, ce matin, sur les ondes, « pour cultiver des fraises ».
    M. Guy Teissier. Parlez-nous plutôt de la Corée du Nord !
    M. Jacques Brunhes. L'inquiétude grandit alors même que l'opinion publique en France, en Europe et ailleurs est massivement hostile à une guerre dont les conséquences seraient incalculables pour l'Irak, déjà exsangue, mais aussi pour la région et pour le monde.
    M. François Goulard. Allez donc en Corée du Nord !
    M. Jacques Brunhes. Jusqu'à présent, la France a été active dans la recherche d'une solution conforme au droit international.
    Or, mardi dernier, lors des voeux aux armées, le Président de la République a laissé entendre que le conflit serait inévitable et suggéré que la France pourrait s'y associer. Un quotidien écrit même ce matin que « l'état-major se prépare doucement à attendre les directives à l'éventualité d'une guerre en Irak ». Le ministre des affaires étrangères a indiqué ce matin en commission : « Le recours à la force peut être utile dans certains cas. »
    Les ambiguïtés persistent donc, ce qui ne permet pas d'apaiser nos craintes. Il ne suffit pas, monsieur le Premier ministre, de retarder la guerre, il faut l'empêcher. La mission des inspecteurs, qui se déroule sans entrave et n'a trouvé aucune trace d'armes de destruction massive, doit se prolonger, comme le préconise M. El-Baradei.
    Mais, chacun le sait, les Etats-Unis, contrairement à toutes les règles internationales, visent non seulement à déloger le dictateur Hussein, mais aussi et surtout à contrôler les richesses pétrolières de ce pays. Dans cette logique, tout leur sera prétexte pour intervenir, y compris sous le couvert d'une prétendue légitimité juridique.
    Dans ce contexte, monsieur le Premier ministre, nous demandons que la France dise clairement : un, qu'elle est opposée à la guerre ; deux, qu'elle le confirme à travers un débat parlementaire suivi d'un vote pour ou contre la guerre (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste) ; trois, qu'elle s'engage à exercer son droit de veto à l'ONU si les Etats-Unis persistent dans leur volonté de recourir à la force. Y êtes-vous prêt, monsieur le Premier ministre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
    M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, face à la crise et au désordre du monde, trois qualités sont indispensables pour conduire une diplomatie : la première est le sang-froid, la deuxième la détermination et la troisième l'action. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Paul Bacquet. Et la modestie ?
    M. le ministre des affaires étrangères. La France est engagée depuis de longs mois dans un combat difficile. Inscrivant son action dans le cadre de la sécurité collective, elle a obtenu le vote à l'unanimité de la résolution 1441. Elle agit selon des principes simples, des principes forts, partagés par toute la communauté internationale.
    C'est la légitimité, la responsabilité et l'efficacité de l'action internationale qui sont en cause. Nous avons fait le choix d'un régime d'inspection renforcé. Jour après jour, ces inspections se déroulent dans de bonnes conditions, avec un objectif simple, là encore : obtenir le désarmement de l'Irak. Nous agissons, vous le voyez, dans un esprit d'initiative, et nous voulons faire aboutir ce processus de façon pacifique. Il n'y a pas de fatalité : ici et là, je vois trop de résignation. La guerre n'est pas écrite ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    A nous de l'empêcher. C'est ce que nous faisons, jour après jour, sur la scène internationale. Nous appelons l'Irak à une coopération active car nous avons besoin, pour permettre un bon désarmement, qu'il joue tout son rôle. Nous devons soutenir les inspections, qu'elles soient menées par la CCVINU, la Commission de contrôle, de vérification et d'inspection des Nations unies, ou parl'Agence internationale de l'énergie atomique. Ainsi, afin de les rendre plus efficaces, nous avons saisi le Conseil de sécurité pour que chacun des Etats qui disposent d'informations puissent les faire connaître. De même, j'ai reçu hier M. El-Baradei, et nous recevrons vendredi M. Hans Blix. La France assumera donc toutes ses responsabilités, mais elle gardera sa liberté d'action, car nous voulons aller jusqu'au bout de nos efforts de paix. C'est la contrepartie de notre statut de puissance et de l'exigence de cohérence.
    Vous le voyez, les crises ouvertes sont nombreuses à travers le monde : l'Irak, la Corée du Nord, le terrorisme... Il faut s'adapter, se battre et se mobiliser. Nous comptons sur l'appui de la représentation nationale, comme sur celui de la nation tout entière. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

PROFESSIONNELS DE SANTÉ

    M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Rolland, pour le groupe UMP.
    M. Jean-Marie Rolland. Monsieur le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, vous vous êtes efforcé depuis le printemps dernier de renouer le dialogue avec les professionnels de santé, qui se trouvaient dans l'état de démoralisation que vous connaissez. Vous avez permis qu'un accord soit signé entre les caisses et les médecins généralistes, prévoyant notamment le passage du prix de la consultation à 20 euros.
    Depuis maintenant près de huit ans, les médecins spécialistes n'ont pas connu de revalorisation de la consultation spécialisée cotée CS. Leur exaspération légitime a encore été aggravée par l'augmentation récente, notamment pour les chirurgiens et les gynécologues obstétriciens, des primes d'assurance.
    Vous avez déploré l'absence d'accord lors de la négociation conventionnelle du 11 décembre dernier. Chacun se souvient que vous avez alors fermement invité les deux parties à presser le pas. Récemment, les syndicats médicaux et la caisse nationale d'assurance maladie semblent y être parvenus.
    Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous nous fassiez part de votre sentiment sur cet accord qui, nous l'espérons, permettra de sortir de l'impasse dans laquelle près de la moitié des médecins de France ont été enfermés ces dernières années. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
    M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Monsieur le député, il est vrai que l'accord du 5 juin nous a permis de renouer le dialogue avec le monde de la santé. Nous avons souhaité une confiance partagée.
    Depuis six mois, des négociations difficiles ont été menées. Le dialogue a été parfois rugueux, il y a eu des épisodes difficiles. Mais je vous confirme qu'un accord a été conclu la semaine dernière à la satisfaction générale. Je vous rappelle très brièvement, puisque vous me le demandez, quels en étaient les deux enjeux.
    Le premier concernait naturellement la revalorisation des honoraires, dont certains n'avaient pas été revus depuis sept ou huit ans. Nous sommes tombés d'accord sur une augmentation échelonnée dans le temps.
    Le deuxième enjeu, beaucoup plus important, a trait à la réorganisation qui est désormais envisagée à la fois par les caisses et par les médecins. C'est la première fois que les médecins s'engagent à lier la prochaine augmentation de leurs honoraires à un contrôle sur le volume des actes. Nous nous sommes en outre engagés sur le principe d'une rémunération complémentaire accordée aux médecins qui assureront la permanence des soins, iront d'installer dans des zones difficiles - communes rurales ou banlieues en difficulté -, se rapprocheront de la démarche de cabinet de groupe ou se tourneront vers des spécialités plus difficiles.
    Enfin, cet accord règle pour 2003 le problème de la responsabilité civile médicale, en attendant que se reconstruise un véritable marché concurrentiel dans ce domaine.
    J'ajoute que des accords de bons usages, comme celui concernant les visites, vont également permettre d'impliquer la responsabilité des patients, qui sont partie prenante.
    Je crois vraiment qu'une ère nouvelle s'engage et que nous allons enfin pouvoir, dans la paix retrouvée, reconstruire notre système de santé ambulatoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

CONSÉQUENCES DE LA MARÉE NOIRE EN GIRONDE

    M. le président. La parole est à M. Jean-François Régère, pour le groupe UMP.
    M. Jean-François Régère. Ma question s'adresse à madame le ministre de l'écologie et du développement durable. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    La marée noire qui fait suite au naufrage du Prestige vient de toucher de plein fouet les côtes du département de la Gironde. La circonscription du Médoc, que je représente à l'Assemblée, riche de son environnement et de ses traditions, compte près de cent kilomètres de côtes sur la façade atlantique, mais aussi un grand nombre de communes dans l'estuaire de la Gironde, où les boulettes de fioul risquent malheureusement d'arriver bientôt.
    L'ensemble des maires du Médoc se sent aujourd'hui démuni face à l'ampleur des conséquences de cette catastrophe écologique, économique et humaine.
    Je voudrais remercier le Gouvernement d'avoir réagi avec vigueur et détermination, comme l'ont bien démontré les visites de M. le Premier ministre, de Mme la ministre de l'écologie par deux fois et de M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.
    Cependant, la gestion de la crise va devoir s'étaler dans le temps. Au-delà des mesures déjà prises pour répondre à l'urgence et des 50 millions d'euros déjà débloqués, je me permets de me faire le porte-parole des acteurs de terrain, qui s'interrogent avec inquiétude sur les modalités financières, techniques et humaines que compte retenir le Gouvernement dans un avenir proche.
    Un consensus semble apparaître sur la nécessité de mécaniser le nettoyage des plages. Mais il ne faut pas faire supporter aux communes et aux contribuables le coût de cette catastrophe, alors que l'Etat est juridiquement responsable du domaine maritime. Madame la ministre, comment comptez-vous procéder pour que les communes n'aient pas à supporter les frais des marchés d'appels d'offres, sachant que ces entreprises vont probablement devoir travailler sur le long terme ?
    De plus, quelle position la France défendra devant les instances européennes compétentes pour mettre un terme définitif aux fuites de pétrole ? Nous ne pouvons pas continuer à vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable.
    Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable. Monsieur Régère, vous avez bien fait d'insister sur le caractère inédit de cette pollution maritime. Nous ne sommes plus en effet devant une pollution massive et brutale, mais devant une pollution diffuse dont le traitement sera éprouvant et particulièrement coûteux.
    C'est la raison pour laquelle, avec M. le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, nous avons demandé à Mmes et MM. les préfets de la zone côtière de prendre des mesures volontaristes et adaptées. La presse s'est largement fait l'écho de ces mesures mais je voudrais insister sur quelques-unes d'entre elles.
    Nous souhaitons d'abord que les préfets de zone bénéficient d'une large coordination financière pour réaliser une véritable économie de moyens. Nous voulons aussi que les moyens mécaniques soient privilégiés car - comme vous l'avez dit -, à l'évidence, ceux-ci sont les mieux adaptés à ce type de pollution. Bien entendu, en fonction de l'état écologique, nous jugerons, au cas par cas, de l'opportunité d'avoir recours à des moyens manuels.
    De plus, si, par malheur, la pollution se révélait plus importante, nous avons prépositionné, en plus des 1 000 personnels militaires et de la sécurité civile, 800 personnes supplémentaires susceptibles d'être très rapidement actives. Par ailleurs, j'ai dépêché un comptable auprès du préfet de Gironde (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste), afin que les factures soient traitées au plus vite dans le cadre du plan Polmar.
    J'ajoute que, grâce aux meilleures conditions météorologiques, les moyens en mer sont à nouveau actifs. Nous avons ainsi repêché 164 tonnes de fioul depuis samedi dernier. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Je veux enfin saluer l'action de l'IFREMER qui, grâce à l'intervention du Nautile, a déjà en partie colmaté les brèches du pétrolier.
    Les autorités espagnoles ont procédé à un appel d'offres auprès d'entreprises off-shore pour tenter de stopper définitivement la pollution. Nous suivons bien sûr avec intérêt leurs efforts. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

CHOIX BUDGÉTAIRES POUR 2003

    M. le président. La parole est à M. Didier Migaud, pour le groupe socialiste.
    M. Didier Migaud. Avant toute chose, permettez-moi de dire que nous souhaitons non seulement un débat de l'Assemblée nationale sur l'Irak, mais aussi un vote. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Monsieur le Premier ministre, je voudrais vous interroger sur le budget, qui a été voté en décembre et est dépassé avant même d'avoir été exécuté, tout le monde en convient, du président du MEDEF à la Commission européenne.
    M. Richard Mallié. Vous n'avez pas de leçons à nous donner sur ce point !
    M. Didier Migaud. Le Conseil constitutionnel lui-même a émis des réserves sur sa sincérité. Le décalage entre votre discours et la réalité est flagrant. Vous continuez à ne pas dire la vérité aux Français, vous continuez de tout promettre en pensant qu'une bonne communication peut suffire à les tromper. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Georges Tron. Votre déficit était de 300 milliards, il faut le rappeler !
    M. le président. Monsieur Tron, laissez parler M. Migaud !
    M. Didier Migaud. Pourtant, pour la grande majorité des Français, la réalité n'est pas une baisse de l'impôt, car celle-ci est ciblée sur le revenu et sur une petite minorité de foyers, mais des rafales d'augmentations des prélèvements et des impôts indirects : hausse de la fiscalité sur les carburants et le fioul domestique, hausse massive du prix des cigarettes, hausse des tarifs publics, SNCF, RATP, bientôt prix du timbre et sans doute de l'électricité, hausse des cotisations chômage...
    M. Georges Tron. Vous souvenez-vous de votre pourcentage de prélèvements ?
    M. Didier Migaud. En frappant le plus grand nombre au bénéfice d'un petit nombre, vous avez pris le risque de briser la consommation, moteur principal de la croissance. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jacques Le Guen. Et l'effet des 35 heures ?
    M. Didier Migaud. Ces augmentations sont d'autant moins acceptables qu'elles sont accompagnées d'un recul du service public et de l'Etat.
    M. Georges Tron. C'est vous !
    M. Yves Fromion. Irresponsables !
    M. Yves Nicolin. Baratin !
    M. Didier Migaud. La réalité, c'est aussi la suppression progressive des emplois jeunes, et de deux tiers des contrats emploi solidarité. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Mes chers collègues, s'il vous plaît !
    M. Didier Migaud. La réalité, c'est aussi des budgets civils sacrifiés : l'éducation nationale, la recherche. Et, à cet égard, la régulation massive que vous préparez nous fait craindre le pire.
    M. Georges Tron. Vous oubliez vos propres échecs  !
    M. Jacques Desallangre. Vous criez parce que ça fait mal !
    M. Didier Migaud. Il faut que cesse cette hypocrisie (Exclamations et rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle) dont a parlé Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, qui en un autre temps d'ailleurs a parlé de mensonge d'Etat. Ces termes s'appliquent bien à la présente situation. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Laissez parler M. Migaud !
    M. Didier Migaud. Ma question est double. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Monsieur Migaud, posez-la !
    M. Didier Migaud. Je constate que la vérité fait réagir. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Monsieur le Premier ministre, vous-même nous parlez beaucoup de vérité. Quand allez-vous enfin la dire aux Français ?
    M. Georges Tron et M. Yves Fromion. Pas vous !
    M. le président. Monsieur Tron, monsieur Fromion, s'il vous plaît : ne commençons pas l'année comme cela !
    M. Didier Migaud. Quand présenterez-vous au Parlement une loi de finances rectificative ? Il ne sert à rien de parler d'héritage : vous avez aggravé la situation avec les mesures que vous avez prises. (Vives protestations et claquements de pupitres sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Soyez un peu tolérants : laissez parler M. Migaud !
    M. Didier Migaud. Merci, monsieur le président.
    Quand allez-vous, je le répète, pour dire enfin la vérité aux Français, présenter au Parlement une loi de finances rectificative ? Face à l'envolée du prix de pétrole et à ses conséquences sur celui des carburants et du fioul domestique, quand allez-vous réactiver la TIPP flottante ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    De nombreux députés du groupe socialiste. Le Premier ministre !
    M. le président. S'il vous plaît, ne faites pas ce que vous reprochiez aux autres il y a trente secondes ! Ecoutez M. Mer.
    Vous avez la parole, monsieur le ministre.
    M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Cher monsieur Migaud (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste), un excès de critique tue la critique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jean-Claude Lefort. Et un excès d'harmonie tue l'harmonie !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous avons terminé l'année 2002 en ayant augmenté le pouvoir d'achat des Français de 3 %. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - « Ah bon ? » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Et l'année 2003 sera une année que nous gérerons avec prudence et sagesse, en commençant par quelque chose qui a toujours existé mais que nous ferons plus intelligemment : la mise en réserve de certains crédits (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste)...
    M. Bernard Roman. Lesquels ?
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... afin de créer les conditions permettant par exemple à Mme Roselyne Bachelot d'avoir un peu d'argent supplémentaire à dépenser pour la protection de nos côtes, ou éventuellement à M. Dominique de Villepin pour conserver une capacité d'intervention dans le domaine militaire si, comme nous le craignons, cela ne peut être évité. (Huées sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Vous l'avez dit !
    M. le président. S'il vous plaît, écoutez la réponse !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous pouvons donc gérer notre politique de manière intelligente. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. Il ne sert à rien de crier, mes chers collègues !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je me permets de vous rappeler, messieurs les députés, que nous menons actuellement un certain nombre d'opérations militaires en Côte-d'Ivoire, dans l'intérêt de ce pays et des Français qui y résident. Or ces dépenses doivent être financées. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) La politique du Gouvernement sera prudente et sage. Elle consiste à regarder en face le monde incertain dans lequel nous sommes et à agir avec la prudence nécessaire pour que les décisions que vous avez entérinées à travers la loi de finances soient respectées. Elles le seront. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Huées sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Bernard Roman. Ce n'est pas une réponse !
    M. le président. Je vous en prie, soyez un peu dignes !

POLITIQUE DE SÉCURITÉ

    M. le président. La parole est à M. Ghislain Bray, pour le groupe UMP.
    M. Ghislain Bray. Monsieur le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, pendant de trop longues années, vos prédécesseurs ont traité par le défaitisme et le mépris les questions liées à l'augmentation de la délinquance. Pendant de trop longues années, ils ont cherché à nous expliquer que la société était par essence violente, que l'on n'y pouvait pas grand-chose et que, après tout, les Français exagéraient et se complaisaient dans ce qu'ils avaient baptisé le « sentiment d'insécurité ». Aujourd'hui, les résultats que vous commencez à obtenir prouvent de manière incontestable que les socialistes avaient tort !
    M. Richard Mallié. Eh oui !
    M. Ghislain Bray. En effet, grâce à la politique résolue que nous avons menée ensemble, le nombre des crimes et délits n'a augmenté l'an passé que de 1,28 %, contre 7,7 % en 2001.
    Plus significatif encore est le contraste que l'on peut observer entre la période de janvier à avril, de gestion socialiste (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), où la délinquance a augmenté de 4,8 %, et celle d'avril à décembre, où elle a baissé de 0,74 %. Monsieur le ministre, après ces résultats encourageants, que comptez-vous faire pour maintenir le cap ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le député, la première chose à faire, c'est que l'ensemble de la représentation nationale remercie les policiers et les gendarmes pour le travail remarquable qu'ils ont engagé durant l'année 2002. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Cela fait longtemps qu'elle ne l'a pas fait !
    Ensuite, dans vingt minutes, je vous proposerai, au nom du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, un texte de loi sur la sécurité intérieure qui nous permettra de rendre nos policiers et nos gendarmes plus efficaces pour rétablir la tranquillité publique. Si j'en juge par le ridicule de la manifestation de samedi dernier, il est temps de nous mettre au travail sérieusement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Rien que sur les bancs de cette assemblée, nous sommes plus nombreux que ceux qui protestaient en vain samedi dernier, ce qui est déjà une bonne nouvelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Nous en aurons ainsi terminé avec le volet « répression », mais n'oublions pas qu'il ne suffit pas de voter des lois, il faut encore les appliquer ! (« Très bien ! » et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Puis nous engagerons trois actions. Avec Dominique Perben, nous mènerons une action résolue en matière de prévention, que nous a confiée le Premier ministre. La prévention doit faire l'objet de priorités. Elle doit être hiérarchisée. On ne cesse d'en parler sans jamais la définir.
    M. Claude Goasguen. Très juste !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. De surcroît, la politique de prévention doit être évaluée, car elle est financée par l'argent des contribuables et il est temps de leur rendre des comptes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) L'évaluation n'est pas un gros mot !
    Quant à l'immigration, nous travaillons avec Dominique de Villepin pour qu'enfin la France se dote d'une politique de l'immigration éloignée de tous les extrémismes : celui des professionnels de la générosité, qui conduit à l'irresponsabilité, et celui des professionnels de la fermeture, qui oublient que la France est et doit rester un pays ouvert et généreux.
    Enfin, avec François Fillon, nous travaillerons sur un autre mot qui a été oublié ces dernières années, l'« intégration ». C'est notamment tout ce que nous faisons avec nos compatriotes musulmans, qui ont bien besoin de notre solidarité en ce moment. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

SITUATION EN CÔTE D'IVOIRE

    M. le président. La parole est à M. Loïc Bouvard, pour le groupe UMP.
    M. Loïc Bouvard. Monsieur le ministre des affaires étrangères, la situation internationale est à l'évidence très tendue et préoccupe les Français. Vous en êtes bien conscient, vous qui êtes sur tous les fronts et tous les continents. Vous savez combien nous sommes fiers de votre action. Précisément, à côté du Moyen-Orient - l'Irak, le conflit entre Israël et les Palestiniens - et de l'Asie, avec la Corée du Nord, la guerre civile en Côte d'Ivoire a déjà largement perturbé le continent africain. Vous vous êtes rendu dans ce pays à plusieurs reprises et vous êtes parvenu, semble-t-il, à faire que les armes se taisent pour un temps, appuyé dans votre action diplomatique par le déploiement d'un fort contingent de troupes françaises d'interposition. Le gouvernement français a préconisé l'organisation d'une conférence entre toutes les parties au conflit, conférence qui doit s'ouvrir demain même à Paris.
    Nous nous félicitons que votre action ait pu pour le moment faire prévaloir le dialogue sur l'affrontement armé. Mais qu'en est-il au juste sur le terrain ? Par ailleurs, que pouvons-nous attendre d'une telle conférence ? Pouvez-vous nous indiquer de quelle façon la France pourra, avec tous les intéressés, promouvoir une solution pacifique à la crise dans ce pays qui fut longtemps l'exemple de la paix civile et du développement, au coeur d'une partie du continent où nous avons légué tant de nous-mêmes, notre langue, nos institutions et nos idéaux de démocratie, sous l'égide du président Léopold Senghor ? (Applaudissements sur les bancs de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
    M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, depuis quatre mois, la Côte d'Ivoire connaît une crise terrible, une crise ouverte. Depuis quatre mois, nous sommes mobilisés pour essayer d'avancer dans la recherche de la paix et d'une solution politique. Aujourd'hui, je crois que les conditions sont réunies pour que nous puissions reprendre l'initiative, avancer vers la recherche de cette solution.
    Première condition indispensable, aujourd'hui réunie : le cessez-le-feu. Il est observé par tous les partis au Nord et, depuis hier, à l'Ouest, puisqu'il a été signé à Lomé. Nous avons, dans ce contexte, pris de façon déterminée l'initiative en deux temps. A partir de demain une table ronde réunira, à Paris, l'ensemble des forces politiques de la Côte d'Ivoire, non seulement l'ensemble des partis, mais aussi l'ensemble des mouvements rebelles. Puis, au terme de cette table ronde, nous souhaitons réunir, les 25 et 26 janvier, l'ensemble des chefs d'Etat concernés de la région pour clore et garantir le processus qui aura été mené à bien dans ce cadre.
    Notre objectif est clair, même s'il est ambitieux : c'est la paix, la réconciliation, la reconstruction de la Côte d'Ivoire. Pour réussir, il faut délibérément s'attaquer aux problèmes de fond qui minent ce pays depuis tant d'années, depuis la mort du président Houphouët-Boigny : problèmes de l'ivoirité, de l'identité, de la loi foncière et du statut des étrangers en Côte d'Ivoire. Pour cela, il faut rassembler l'ensemble des énergies et des forces ivoiriennes. Pour cela, il faut une garantie collective que seuls les pays de la région et la communauté internationale peuvent apporter. Pour cela, il faut aussi mobiliser les bailleurs de fonds, qui doivent résolument s'engager à ce que la Côte d'Ivoire redevienne ce qu'elle a été pendant longtemps, quand on parlait de « miracle ivoirien ».
    Nous en appelons à la responsabilité de toutes les parties, car nous devons réussir pour le peuple ivoirien, peuple meurtri par les exactions, les violences, les ingérences et les interférences. Nous devons réussir pour la région, car tous les pays souffrent aujourd'hui de l'instabilité ivoirienne. Nous devons réussir pour l'Afrique, qui doit montrer sa capacité à reprendre en main son destin. Cela participe de la nouvelle politique africaine de la France : mobiliser, garantir, être au service de l'Afrique et agir en concertation avec l'ensemble de ces pays amis et partenaires, avec l'ensemble des organisations internationales, la communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest, l'Union africaine et les Nations unies, puisque le secrétaire général des Nations unies sera présent. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

AVENIR DES RETRAITES

    M. le président. La parole est à M. Alain Néri, pour le groupe socialiste.
    M. Alain Néri. Monsieur le président, je voudrais d'abord dénoncer les propos bellicistes de M. Mer, qui représentent plus qu'un aveu et sont inacceptables ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Posez votre question, monsieur Néri !
    M. Alain Néri. Ma question s'adresse justement au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Monsieur le ministre, malgré le rejet par les salariés d'EDF-GDF de l'accord sur la réforme du financement des retraites à l'issue d'une consultation démocratique, vous persistez et vous voulez passer en force.
    M. Lucien Degauchy. Il a bien raison !
    M. Alain Néri. Où est la concertation ? Où est la négociation sur la réforme des retraites ? En quelques semaines, c'est la deuxième fois que le Gouvernement prend une décision unilatérale sur cette question. Rappelez-vous : il y a d'abord eu la suppression du congé de fin d'activité pour les fonctionnaires, il y a maintenant le passage en force à EDF-GDF. Monsieur le ministre, vous revendiquez le lien entre la réforme des retraites et le changement de statut de l'entreprise. Les salariés l'ont bien compris, d'ailleurs.
    M. Edouard Landrain. Lesquels ?
    M. Alain Néri. Ils vous ont dit non !
    Ma question est claire et simple, elle appelle une réponse claire et simple. Sur le dossier des retraites, n'y a-t-il pas contradiction entre le discours du Président de la République, qui se veut rassurant, et la méthode brutale du Gouvernement, qui veut imposer à l'opinion la remise en cause de la retraite par répartition (Vives protestations et claquements de pupitres sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française) et de la retraite à soixante ans, et qui veut imposer à chacun de cotiser davantage et plus longtemps ?
    Mme Sylvia Bassot. Menteur !
    M. Alain Néri. Monsieur le ministre, nous attendons vos explications. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
    M. Jean-Claude Lefort. Le champion de la boulette !
    M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le député, je suis un peu étonné par votre présentation des faits...
    M. Jean-Pierre Blazy. Envoyez l'armée contre les retraités !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... car, au cas où vous ne le sauriez pas, l'exercice auquel se sont livrés la fédération des industries énergétiques et 150 entreprises, dont EDF et GDF, avait un objectif : créer les conditions pour que le bilan de ces entreprises en 2007 ne fasse pas apparaître une nécessaire provision - qui s'élèverait, en ce qui concerne EDF GDF, à 66 milliards d'euros,...
    M. Jean-Marc Ayrault. Pour la privatisation !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... ce qui mettrait automatiquement ces entreprises en danger.
    M. Christian Bataille. Vous justifiez la privatisation !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il s'agissait de reconnaître que les retraites d'EDF, de GDF et de 150 autres entreprises n'ont pas été inscrites dans le bilan de ces entreprises depuis cinquante ans.
    M. Edouard Landrain. Hélas !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il est clair qu'une telle opération aurait déstabilisé complètement ces entreprises, remis en cause la perspective, pour les retraités, de continuer à bénéficier de leur retraite et, pour les salariés, d'espérer toucher cette retraite. La négociation a été menée conformément aux règles françaises applicables en la matière. A partir du moment où trois syndicats...
    M. Jacques Desallangre. Minoritaires !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... ont signé un accord, ces mêmes règles amènent le Gouvernement à déclarer que cet accord est valable. Mais l'objectif de celui-ci était, fondamentalement, de créer les conditions permettant aux salariés et aux retraités actuels d'être certains que leur retraite continuerait à être payée. Il n'y a eu aucune discussion sur une éventuelle modification du régime de retraite. Nous sommes tous censés le savoir mais je préfère le répéter puisque certains procèdent à un savant amalgame.
    M. Edouard Landrain. C'est fait exprès !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Grâce à une négociation menée correctement et de manière responsable par les représentants des employeurs et des salariés, nous avons donc réussi à créer les conditions pour que, moyennant un acte législatif qui viendra en temps voulu, les retraites actuelles des salariés de ces entreprises puissent continuer à être payées. Je persiste à penser que c'est un très bon accord et je n'ai aucune difficulté à dire qu'il doit être entériné par la loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL DANS LES HÔPITAUX

    M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Briot, pour le groupe UMP.
    Mme Maryvonne Briot. Monsieur le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, ma question concerne l'application des 35 heures à l'hôpital. La réduction du temps de travail a été mise en place selon un calendrier irréaliste et sans que l'impact de cette réforme ait été clairement identifié. Elle a eu des conséquences catastrophiques pour l'hôpital : désorganisation des services, démotivation des équipes, charge de travail de plus en plus lourde, généralisation des soins en série, impossibilité de recrutement due à la pénurie de personnel et sentiment d'insécurité des malades.
    Malgré tout, les hôpitaux français continuent à fonctionner grâce à la bonne volonté et à la conscience professionnelle de tous. Dernièrement, vous avez signé avec les organisations syndicales deux accords sur l'application de la réduction du temps de travail à l'hôpital : la semaine dernière pour la fonction publique hospitalière et hier pour les praticiens hospitaliers. Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, dans quelle mesure ces accords sont de nature à répondre au désarroi des personnels hospitaliers et à l'inquiétude des citoyens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
    M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Pénurie de personnel soignant préoccupante, application brutale des 35 heures à l'hôpital au 1er janvier 2002 sans anticipation et sans véritable accompagnement, application au 1er janvier 2003 de la directive européenne intégrant le temps de garde dans le temps de travail : voilà les éléments de déstabilisation de nos équipes hospitalières. Et, malgré cela - vous avez eu raison de le dire, madame la députée -, ce personnel reste dévoué, compétent et disponible. C'est grâce à lui que nos hôpitaux fonctionnent. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Au début de l'été, j'ai demandé à M. Piquemal un rapport sur l'application de la réduction du temps de travail. Il me l'a remis à la rentrée. Je l'ai immédiatement communiqué aux partenaires sociaux et nous avons commencé, dès le mois de novembre, une concertation et une négociation. Je suis heureux aujourd'hui de vous dire que, la semaine dernière, avec six organisations syndicales sur huit, nous sommes parvenus à un accord sur le compte épargne-temps rénové, sur les heures supplémentaires, notamment la nuit, et sur le rachat de jours ciblés lorsque les contraintes de service l'exigent. Nous y avons ajouté un important volet emploi-formation pour valider les acquis de l'expérience et la formation professionnelle. Hier soir, quatre syndicats de praticiens hospitaliers sur quatre ont signé un accord à peu près semblable.
    Ces accords sont bons, crédibles, responsables, mais, dans notre esprit à tous, ce n'est qu'une étape, car tout reste à faire. C'est le but du programme Hôpital 2007. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

SITUATION DE L'EMPLOI DANS LE BASSIN DE LONGWY

    M. le président. La parole est à M. Edouard Jacque, pour le groupe UMP.
    M. Edouard Jacque. Monsieur le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, permettez-moi d'attirer votre attention sur la menace qui pèse à nouveau sur le bassin de Longwy, et plus précisément sur les quelque 800 salariés des usines Daewoo, notamment à Mont-Saint-Martin. C'est grâce à l'engagement de Jacques Chirac, alors Premier ministre, et au soutien de la DATAR pour assurer la reconversion industrielle de la Lorraine, qu'une relation s'était établie avec le groupe coréen Daewoo. Ainsi, 1 200 emplois ont été créés en sept ans. Hélas, le naufrage du système bancaire coréen en 1997 a placé le groupe Daewoo sous le contrôle indirect de l'Etat coréen. Malheureusement, à ce jour, les démarches de l'Etat français auprès de l'Etat coréen pour garantir les banques françaises sont restées vaines, conduisant les créanciers à réclamer le dépôt de bilan et la liquidation judiciaire. Les premières victimes sont les salariés.
    M. Jacques Desallangre. Comme d'habitude !
    M. Edouard Jacque. Monsieur le ministre, quelles mesures d'accompagnement social pour les salariés concernés est-il envisageable de mettre en place afin que la solidarité nationale joue en faveur de ce site, de ce territoire si durement touché par les restructurations successives ? Que compte faire le Gouvernement en faveur du bassin d'emploi de Longwy afin de rassurer et d'aider les nombreuses familles plongées à nouveau dans l'inquiétude et le doute ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le député, le groupeDaewoo est frappé par la crise mondiale qui secoue l'ensemble du secteur électronique. S'agissant de ses trois établissements français, l'un a d'ores et déjà fermé en décembre et son plan social a été négocié. Le deuxième est confronté à une annonce de fermeture, et un plan social est en cours de négociation. Quant au troisième, que vous venez d'évoquer, celui de Mont-Saint-Martin, il vient de faire l'objet d'une décision de redressement judiciaire, le 9 janvier dernier, et a été placé en période d'observation jusqu'au 6 février. A l'heure où nous parlons, la position du groupe sud-coréen sur l'avenir de ce site n'est pas connue. La priorité actuelle du Gouvernement, et notamment du ministre de l'industrie, est de faire pression sur les responsables du groupe Daewoo pour qu'ils fassent connaître leur position. Pour notre part, nous ne pouvons nous résoudre à la fermeture de ce site.
    Au-delà, le Gouvernement a décidé de mettre en place tous les instruments de la revitalisation du bassin du Pays-Haut. Au plan local, sous l'autorité du préfet de région, une cellule de réindustrialisation vient d'être créée. Je peux vous annoncer que, le 17 janvier prochain, se tiendra à Matignon, sous l'autorité du Premier ministre, une réunion qui permettra à l'ensemble des services de l'Etat de mettre en oeuvre un plan d'urgence pour votre région. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze.)
    M. le président. La séance est reprise.

2

SÉCURITÉ INTÉRIEURE

Discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat
après déclaration d'urgence

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, pour la sécurité intérieure (n°s 381, 508).
    La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je présente devant vous aujourd'hui le projet de loi sur la sécurité intérieure, adopté par le Sénat le 19 novembre dernier, à l'issue de débats souvent passionnés. Ceux-ci ont montré que tous les élus, sans exception, étaient concernés par les questions de sécurité. Je ne doute pas qu'il en sera de même dans votre assemblée.
    Le Gouvernement vient à ce débat dans cette enceinte avec la volonté d'agir, de réussir et d'associer le plus grand nombre à l'action de redressement de la sécurité dans notre pays. Nous devons dépasser les postures politiques puisque ce dont nous allons parler touche à la vie et à l'intégrité des personnes.
    Cet enjeu est suffisamment important pour que nous prenions le temps de nous écouter, de débattre utilement et, finalement, de prendre les meilleures décisions. Le Gouvernement sait qu'il a le soutien massif des Français sur ce sujet. C'est pourquoi il est décidé à faire preuve d'ouverture. Le refus de la discussion est toujours une preuve de faiblesse.
    Plusieurs dizaines d'amendements ont été adoptés au Sénat, dont certains émanaient de l'opposition. Ils ont prouvé, s'il en était besoin, le sérieux avec lequel les élus de terrain abordent ces questions. Ce souci de la réalité, c'est celui du Gouvernement. Or qui dit réalité dit équilibre, tous ceux qui vivent au plus près des Français le savent. C'est votre cas, mesdames, messieurs les députés, car vous les représentez.
    Quelle est cette réalité ? Est-ce celle de l'insécurité ou celle du sentiment d'insécurité ? Voilà un débat qui resurgit sans cesse, qui occulte les vrais problèmes et qu'il convient de purger une fois pour toutes.
    M. Bernard Deflesselles. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'est pourquoi je souhaite aller au fond de ce débat...
    M. Jean-Yves Chamard. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... alors que nous connaissons tous, depuis hier, les chiffres de la délinquance pour 2002.
    Je voudrais pouvoir me réjouir que les faits constatés aient diminué de près de 1 % entre les mois de mai et de décembre. Certes, je me réjouis que la délinquance de voie publique, celle à laquelle tous les Français sont confrontés, ait diminué de 4,5 %, et que les faits élucidés aient progressé de 8,3 % pendant la même période, c'est-à-dire depuis l'arrivée du nouveau gouvernement. Mais comment pourrais-je me satisfaire que l'année 2002 se termine avec plus de 4 100 000 crimes et délits constatés ? Même si cette progression est due aux premiers mois de l'année - c'est une réalité -, même si nous avons inversé la tendance depuis huit mois,...
    M. Jacques Myard. Tiens ! Il n'y a personne sur les bancs du groupe socialiste !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... comment le Gouvernement pourrait-il se résigner à un tel bilan annuel ? Ces simples chiffres, ces seuls chiffres doivent suffire à clore le faux débat sur le sentiment d'insécurité. La délinquance, hélas, existe, et elle persistera si nous ne luttons pas résolument contre elle.
    C'est dans une lutte déterminée, acharnée, pied à pied, contre la délinquance que le Gouvernement s'est engagé, et il n'y a pas d'autre voie possible pour obtenir des résultats. Oui, mesdames, messieurs les députés, depuis trop d'années, on a laissé faire et nous en payons le prix aujourd'hui. La tâche du Gouvernement est plus difficile car l'action de l'Etat est tardive. Nous sommes décidés à ne plus rien laisser passer, à reprendre chaque centimètre qui a été abandonné par l'Etat de droit. Nous sommes déterminés à faire des victimes, de leur sort et du soutien qu'on leur doit notre absolue priorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Pour donner la mesure de la délinquance, je veux à ce stade de mon propos évoquer une question qui revient souvent, celle des statistiques de la délinquance et de leur crédibilité comme reflet de la réalité. Cette question a notamment été traitée il y a un an par M. Caresche et M. Pandraud. Je vous avais promis d'y réfléchir et de décider. A cet égard, je formulerai trois observations.
    L'honnêteté voudrait d'abord que chacun reconnaisse que notre dispositif statistique est certainement le plus précis et le plus perfectionné des pays européens. Il repose sur une nomenclature de 107 rubriques et permet des comparaisons depuis 1972. Il comporte non seulement des chiffres correspondant aux infractions qui ont fait l'objet de plaintes, mais aussi des indicateurs d'activité des services de police et de gendarmerie.
    La deuxième remarque est que, même si des erreurs ponctuelles sont possibles, nos statistiques sont sincères et transparentes. Elles ont été établies par les services avec honnêteté et scrupule, quel que soit le gouvernement en place.
    Enfin, les statistiques ne rendent évidemment compte que de ce pour quoi elles ont été conçues, c'est-à-dire « tous les faits présumés crimes ou délits qui sont portés pour la première fois à la connaissance des services de police ou de gendarmerie et consignés dans une procédure transmise à l'autorité judiciaire ». A ce titre, elles ne rendent pas compte de tout ce qui constitue une infraction à la loi. Elles ne rendent pas compte par exemple d'infractions qui sont qualifiées de contraventions, de la violence routière, ni des infractions fiscales. Elles ne comportent rien non plus sur l'ensemble de la chaîne pénale, qui va du recueil de la plainte jusqu'à la décision judiciaire.
    J'ai été sensible aux préoccupations que certains d'entre vous ont exprimées et je pense que le temps est venu d'avancer dans ce domaine, dans les conditions que j'ai dites, c'est-à-dire en recherchant un large consensus. En effet, comprenez-moi bien, le Gouvernement n'a pas l'intention de modifier un instrument fiable pour se faire accuser ensuite de casser le thermomètre, ou de priver les Français d'un instrument qui permet de leur rendre des comptes sur l'action des services de police et de gendarmerie.
    Néanmoins, je suis prêt à envisager que les contraventions de cinquième classe fassent partie de la statistique mensuelle, car cela serait utile. Je suis prêt à publier chaque année, en complément de l'état 4001, tout ce qui est connu sur les infractions à la loi dans les différents champs de la réglementation.
    Je suis prêt à développer des enquêtes de victimation, ce qui permettrait une connaissance plus fine de la réalité de la délinquance, et à mesurer régulièrement l'évolution du sentiment d'insécurité, les attentes de nos concitoyens, ou encore le coût de la délinquance et de la lutte contre la délinquance. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Pour ce faire, je propose qu'un observatoire de la délinquance soit créé au sein de l'Institut des hautes études de la sécurité intérieure, l'IHESI, qui va devenir un établissement public.
    Tous ces travaux seront animés par un conseil scientifique composé de parlementaires, d'universitaires, de chercheurs, de magistrats, de fonctionnaires, d'experts et de personnalités qui pourront nous apporter leur compétence, leur bonne foi, leur sérieux et leur honnêteté. J'ai d'ores et déjà demandé au nouveau directeur de l'IHESI de me faire dans les trois mois des propositions en ce sens, et je vous annonce la création d'un conseil scientifique provisoire pour l'assister rapidement dans ses propositions. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    L'important, pour moi, est que les Français puissent connaître la vérité sur la délinquance. Ainsi, il ne sera plus possible de dissimuler la réalité, de la minimiser, de la nier. Que de votes en faveur des extrêmes auraient été évités si l'on avait agi ainsi dans le passé ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Ce qui compte pour moi, c'est que, demain, aucun gouvernement, quelle que soit sa couleur politique, ne pourra revenir sur la tradition que nous avons créée de publier les chiffres tous les mois. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Ce qui compte pour le Gouvernement, c'est que, demain, personne ne pourra contester les chiffres, puisqu'ils émaneront d'un conseil scientifique où chacun pourra, en toute transparence, faire valoir sa vérité.
    Si l'insécurité est une préoccupation pour les Français, nous devons d'abord y répondre avec la volonté de dire toute la vérité, rien que la vérité, afin que, pour une fois, les élus et les responsables politiques rendent compte aux Français de la réalité qu'ils vivent et non pas de celle qui est représentée.
    Le deuxième débat que je veux aborder est celui de la répression. On utilise souvent ce mot pour faire peur, pour caricaturer, pour empêcher, pour immobiliser l'Etat. Une petite camarilla de spécialistes s'en est fait une petite spécialité, je veux dire un fonds de commerce. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Il y a des victimes, il y a des agressions, mais, lorsque l'on parle de répression, le débat se porte non pas sur les victimes mais sur la répression, sur l'idée que l'on s'en fait et sur les conséquences que l'on en tire. Trop longtemps tétanisés par ce véritable terrorisme intellectuel, un grand nombre de responsables politiques n'ont pas osé aller de l'avant. Sur le thème « les élites parlent aux élites », ils ont réussi, pendant des années, à endormir ceux qui se sont condamnés à l'inaction. Pendant ce temps, les Français les plus modestes, les plus humbles, les moins favorisés, ont été abandonnés, délaissés, parce qu'ils n'intéressaient plus personne, ne faisant pas partie des élites. Celles-ci refusaient de penser aux Français et d'apporter une réponse à leurs problèmes. Voilà ce qui s'est passé dans notre pays depuis trop d'années. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Même si cela gêne, est venu maintenant le temps d'abattre les tabous et de dire clairement devant le tribunal de l'opinion publique ce que les uns et les autres nous sommes prêts à faire, quelles sont nos convictions et les réponses que nous allons apporter.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Mesdames, messieurs les députés, la sanction, la répression, la punition ne sont pas des mots qui doivent faire peur. Il est du devoir de l'Etat d'en faire usage chaque fois que cela est nécessaire. Si la reprise en main est si difficile, je le répète, c'est parce que, depuis trop d'années, on n'a pas eu le courage d'employer ces mots et, par-dessus tout, de mettre au service de ces mots la volonté d'agir.
    Eh bien, je n'ai pas peur de ces idées. La façon dont je conçois mon devoir, c'est de les mettre au service des plus faibles, des plus petits, des plus fragiles, de tous ceux qui ne peuvent compter que sur l'Etat pour les défendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Mesdames, messieurs les députés, si vous et nous nous avons peur, nous faillissons et nous n'exerçons pas nos responsabilités, pensez que, à l'autre bout de la chaîne, ceux qui sont sur le terrain et qui vivent tous les jours l'inacceptable n'auront plus personne pour les défendre. Et ce ne sera pas la peine de verser des larmes de crocodile en se demandant, à force d'études sociologiques et intellectuelles, pourquoi ils votent pour les extrêmes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Ils votent pour les extrêmes parce que nous les avons abandonnés. Voilà la réalité qu'il convenait de souligner aujourd'hui. (Mêmes mouvements.)
    Oui, l'Etat est fort quand il met sa force au service des plus faibles.
    M. Jacques Myard. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Par contre, l'Etat est faible quand il se révèle incapable de défendre ceux qui n'ont que lui pour assurer une existence digne, libre et sereine.
    M. Jacques Myard. Ça leur fait mal d'entendre ça !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Et je dis avec la même force qu'aucune dérive n'est ni ne sera tolérée dans l'action des forces de l'ordre. J'ai sanctionné des fonctionnaires du commissariat de Bayonne parce qu'ils le méritaient. Mon soutien est acquis à chaque policier et à chaque gendarme, mais il n'est pas sans conditions. Nous parlons de la police républicaine et de la gendarmerie nationale. Nul ne doit dévier des valeurs de la République ou entacher par son comportement l'image de la France.
    Cela étant, je tiens tout de même à rappeler que le danger vient des délinquants, pas des forces de l'ordre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Or, en entendant certains, je me demande si tout le monde a compris cette réalité !
    Mme Sylvia Bassot. A mon avis, non !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je n'ai pas davantage d'hésitation à revendiquer un grand changement dans la politique de sécurité de la France depuis huit mois, car, que les choses soient claires et que le message soit entendu, elle est désormais au service prioritaire des victimes. On a trop parlé des délinquants et pas assez des victimes. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Les victimes ont des droits et je suis frappé de l'ignorance et de l'indifférence manifestées depuis tant d'années à l'égard des victimes. Pourquoi cette attitude ? Est-ce par impuissance ?
    Mme Maryse Joissains-Masini. Oui !
    M. Alain Marsaud. C'est moins chic !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Est-ce par mauvaise conscience ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Paul Garraud. Les deux !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Est-ce par volonté de regarder une réalité transfigurée lorsque la vraie réalité nous dérange dans notre petit confort fait de certitudes et construit artificiellement ?
    Eh bien, j'entends mettre un terme à cette façon de faire. Dès mon arrivée au ministère, j'ai demandé la mise en place d'un accueil personnalisé et suivi des victimes par les forces de sécurité, car c'est bien le moins que l'Etat leur doive dans leur malheur. Je veux maintenant que, pour elles, on puisse donner à la police et à la gendarmerie les moyens normaux d'agir. C'est pour cela que va être mis en place, au début de cette année, le fameux système SALVAC, système d'analyse des liens de la violence associée aux crimes, qui va enfin permettre les rapprochements entre les crimes commis en série. C'est aussi pour les victimes que le projet de loi que nous allons examiner prévoit d'étendre les informations contenues dans les fichiers.
    Au nom de quelle idéologie peut-on ignorer le sort des victimes pour ne s'intéresser, encore et toujours, qu'aux délinquants, objets d'études, d'explication, d'excuses sociologiques ou sociales et même de compassion ? Nous voyons se manifester depuis quelques jours, à nouveau, bruyamment, tous ceux, heureusement apparemment peu nombreux, qui se sont spécialisés dans cet exercice, et qui ne reculent devant aucune caricature. A nouveau, ils invoquent le fantasme de l'insécurité, sans doute parce qu'ils ont le privilège de ne pas figurer dans les plus de quatre millions de victimes de l'année passée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    La caricature est souvent une arme en politique, mais, sur un sujet comme la sécurité, qui met en jeu tant d'aspects de la vie des personnes, j'ai pour ma part du mal à l'accepter.
    Il est un autre débat récurrent qu'il va bien falloir purger un jour ou l'autre : celui des racines du mal. J'entends à nouveau parler d'absence de prise en compte des causes de la délinquance.
    M. André Gerin. Tout à fait !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. On nous dit qu'on ne s'attaquerait pas aux racines du phénomène, mais quelles sont-elles, ces racines ? Personne n'ose le dire ; on préfère invoquer la précarité, la société de consommation, la démission des parents, les erreurs de l'urbanisme, la violence à la télévision, ce qui est le moyen le plus commode d'expliquer que, décidément, on ne peut rien faire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Cela nous renvoie encore à un faux débat, celui de l'amalgame. On nous parle de guerre contre la pauvreté, lorsque nous voulons lutter contre la mendicité agressive, celle qui s'exerce par la menace. Veut-on insinuer que la pauvreté est synonyme de mendicité agressive ? Veut-on signifier par là, sans oser le dire, que c'est la pauvreté qui explique la délinquance ? Oublie-t-on que la délinquance est le fait des riches comme des pauvres ? Sous-entend-on que la pauvreté justifie la délinquance ? Eh bien, je vous le dis : c'est une injure faite à l'immense majorité des gens modestes qui vivent honnêtement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)     Oublie-t-on que les victimes sont en majorité des personnes qui ne sont pas favorisées ?
    Cela revient à considérer que les victimes sont soumises à la fatalité et que c'est en quelque sorte tant pis pour elles. N'auraient-elles pas mieux fait d'être des délinquants ? Sans doute, puisqu'alors elles auraient eu le soutien moral de tous ceux qui crient de manière scandaleuse à la guerre contre la pauvreté, alors que nous voulons protéger, justement, les plus modestes de nos concitoyens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Martine David. Vous caricaturez !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Mesdames, messieurs les députés, il est temps de dire à notre pays qu'on ne devient pas délinquant parce que l'on habite dans une HLM,...
    M. Noël Mamère. Et la politique de la ville ?
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... ou que l'on est au chômage. Là encore, c'est une insulte faite à tous ceux qui souffrent de situations sociales extrêmement précaires et qui vivent dans l'honnêteté et le courage le plus scrupuleux.
    En revanche, on peut être incité à devenir délinquant lorsqu'on a la conviction qu'on a toutes les chances de ne pas être pris, et que l'on vit dans une société où l'on peut gagner davantage en vendant de la drogue qu'en se levant tôt le matin pour aller au travail ; voilà ce qui explique une grande partie de la délinquance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Il est temps, mesdames, messieurs les députés, de nous réapproprier ces idées justes et fortes, celles de l'immense majorité de nos concitoyens, qui travaillent dur et ne demandent rien d'autre que de pouvoir vivre dans la paix. Le Gouvernement assume résolument une politique volontariste en matière de sécurité, et ce volontarisme est l'ennemi de tous les extrêmes : la naïveté comme la brutalité.
    Le gouvernement précédent s'en remettait à la croissance économique pour faire reculer la délinquance, ce qui est, de mon point de vue, une bien curieuse profession de foi ultra-libérale ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Ce n'est pas notre cas. Nous considérons quant à nous que la croissance ne résoudra pas à elle seule le drame de la violence et de l'insécurité, dont les causes sont multiples et vont bien au-delà du chômage, pour toucher à l'identité même de l'être humain.
    Ce n'est pas au marché que nous faisons confiance pour résoudre cette question de la sécurité, qui est profondément sociale. A cet égard, il me plaît de donner ces leçons à ceux qui ont oublié depuis si longtemps que l'Etat avait un rôle et une responsabilité en ce domaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Nous aborderons donc cette question sous les deux aspects indissociables de la sanction et de la prévention.
    M. Jean-Pierre Blazy. Caricature !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. La sanction est indispensable, car sans répression il ne peut y avoir de prévention efficace. S'il est plus facile de vendre de la drogue que d'aller à l'école, aucune prévention ne sera suffisante pour enrayer le phénomène. Mais il serait tout à fait vain de vouloir réduire la politique de sécurité au seul volet répressif. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Martine David. Enfin !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je tiens donc à indiquer comment le Gouvernement veut construire l'autre volet de la politique de sécurité, celui d'une politique nouvelle et ambitieuse de prévention de la délinquance.
    Mme Martine David. Cela n'apparaît pas dans le texte !
    M. Jean-Pierre Blazy. On a supprimé des postes de surveillants dans les établissements scolaires !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. A la fin de l'année passée, alors que nous avions enregistré les premiers résultats positifs dans le recul des crimes et délits, le Premier ministre m'a demandé, en collaboration avec le garde des sceaux pour ce qui le concerne, de définir et d'animer une politique ambitieuse de prévention de la violence qui associera tous les ministres concernés.
    Notre objectif est de mener une politique de sécurité efficace. Or elle ne pourra l'être que si une prévention active et permanente est menée sur le terrain. La répression est nécessaire pour dissuader la violence. La prévention est nécessaire pour détourner de la violence.
    Quel est le constat ? Des actions de terrain, parfois réussies, toujours méritoires, mais qui doivent être fédérées dans un véritable élan collectif au service de la prévention pour devenir réellement efficaces. Car, malgré toutes les bonnes intentions, force est de constater que la prévention engagée depuis des années dans notre pays n'a en rien pu freiner la montée de la délinquance. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Il est évident que la multiplicité des acteurs est un facteur de complexité. Elle explique la difficulté à dépasser et à transcender des stratégies de prévention souvent très - sinon trop - cloisonnées, la méfiance que ressentent les acteurs de la prévention les uns vis-à-vis des autres - et vous la ressentez sur le terrain mieux que personne -, l'absence d'objectifs et surtout de calendrier. Si l'on emploie volontiers le mot « prévention », jamais on n'y associe un calendrier, des objectifs et une évaluation. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    La France dépense beaucoup d'argent dans la prévention.
    Mme Sylvia Bassot. Sans résultat !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Notre devoir est de nous poser la question, la seule qui compte : pourquoi cela n'a-t-il pas marché malgré l'extraordinaire bonne volonté du mouvement associatif, des éducateurs et de tous les acteurs de terrain ? Pourquoi, malgré tous ces efforts, nous trouvons-nous confrontés à cette désolante réalité d'une prévention tout à la fois si coûteuse et si peu efficace ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    L'action de l'Etat doit aujourd'hui s'exercer dans deux directions.
    Premièrement, il faut mettre en place la coordination, ce qui n'est pas facile étant donné la différence des cultures entre les forces de sécurité, les élus, les associations, les bailleurs sociaux, les éducateurs. C'est pour cela que nous avons créé dès l'été 2002 l'outil de terrain indispensable que représente le conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance. Indispensable, car il est présidé par le maire, et c'est bien le maire qui est le mieux à même de connaître les réalités de sa ville.
    M. Jean-Pierre Blazy. Ça fait cinq ans que nous l'avons mis en place !
    M. Noël Mamère. C'est la gauche qui l'a fait !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Indispensable aussi parce que nous avons prévu qu'y soient représentés tous les acteurs de la sécurité.
    M. Christophe Caresche. Il découvre la prévention !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Cette coordination au plus près du terrain doit permettre d'échapper aux travers anciens des politiques nationales concurrentes, qu'il s'agisse du logement, de la ville, de l'école et de la culture.
    Le rôle de l'Etat doit être aussi de se fixer des objectifs, en cessant de confondre politique sociale et politique de prévention. L'action sociale destinée à soutenir des compatriotes en situation de détresse absolue n'est pas de même nature que l'action de prévention de la violence et de la délinquance. En mélangeant et en confondant les deux, on se condamne à l'inefficacité. La prévention est une question suffisamment importante pour être dissociée, quant à ses objectifs, ses moyens, ses opérateurs et son calendrier, de la politique sociale. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Le RMI relève de la politique sociale. Peut-on m'expliquer en quoi il permet d'éviter à certains de sombrer dans la violence et la délinquance ? Cela n'a rien à voir. Il était temps de le dire et plus encore de le montrer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. René Couanau. Très bien vu !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Il doit y avoir une politique de prévention de la violence et de la délinquance, spécifiquement orientée pour les faire reculer, en menant des actions publiques ciblées, à l'exemple de celle qui fut mise en place en 1995 pour réhabiliter les cités, en leur donnant la dimension nécessaire, mais aussi en s'intéressant à ce qui se passe dans la société.
    Je prendrai trois exemples. En matière d'intégration, la volonté d'organiser l'expression du culte musulman en France est tout sauf une ingérence dans les questions religieuses. Cette organisation de la deuxième religion de France doit nous permettre de dépasser les fanatismes autant que les préjugés. Elle doit être un puissant levier d'intégration, qui naturellement est un facteur de prévention.
    Mme Martine Billard. Quel rapport avec la délinquance ?
    M. Noël Mamère. Je ne comprends pas !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Car l'exclusion sociale, bien au-delà de la pauvreté, est toujours une cause objective de violence.
    Je crois aussi que l'Etat ne sortira pas de son rôle en cherchant à faire en sorte que l'éducation soit plus efficace encore dans la prévention de la délinquance. Et quand je dis éducation, je pense à celle qui est dispensée à l'école, mais aussi à celle qui est donnée à la maison. Comment ne pas comprendre que beaucoup de parents, dévalorisés par leur place sociale, parfois déracinés de leur culture, aient du mal à assurer l'autorité parentale alors que leurs enfants sont mieux insérés qu'eux-mêmes dans la société et sont ainsi exposés à toutes les facilités de la délinquance ? Autant je crois qu'il faut sanctionner une complicité des parents avec des enfants délinquants, autant je crois qu'il faut aider les parents de bonne volonté à retrouver leur rôle naturel d'éducateurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Mme Christine Boutin. Très bien !
    M. Jacques Masdeu-Arus. Tout à fait !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Le rôle des parents au demeurant est irremplaçable et les enseignants ne peuvent se substituer à eux.
    M. Jacques Masdeu-Arus. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Car s'ils ont une responsabilité particulière, ce n'est pas celle des parents ; elle est complémentaire.
    Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente et rapporteur de la délégation aux droits des femmes. Tout à fait !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je crois également que l'Etat ne sortira pas de son rôle en développant un urbanisme qui favorise la qualité de la vie, et encore moins en fédérant des initiatives comme l'embauche de jeunes en difficulté par des entreprises. La prévention n'est pas l'affaire d'un noyau de spécialistes, elle est devenue notre responsabilité collective, elle doit accompagner toutes les étapes de la vie. Je ne nie pas, ce serait ridicule, les efforts réalisés ces dernières années dans ce domaine,...
    M. Jean-Pierre Blazy. Ah ! Enfin !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... mais j'annonce une volonté nouvelle de faire bouger les choses collectivement. C'est pourquoi je proposerai dans les toutes prochaines semaines des objectifs, des moyens, un calendrier et, surtout, un système d'évaluation : l'évaluation doit devenir la règle pour toutes les politiques publiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Non, la violence n'est pas une fatalité. L'Etat a une responsabilité majeure vis-à-vis de tous ceux qui doivent pouvoir choisir le chemin d'une vie non violente, positive, de respect des autres et de soi-même, d'une vie qui ne gâche pas celle des autres. C'est aussi cela, la liberté.
    C'est dans ce contexte que je vous présente ce texte. La commission des lois, sous l'autorité de son président, Pascal Clément, et grâce à son rapporteur, Christian Estrosi, qui a effectué un travail particulièrement approfondi, y a apporté beaucoup d'amendements très constructifs. Ses cinquante-sept articles regroupés en six titres forment autant de blocs cohérents, chaque titre essayant d'apporter une réponse à un problème concret.
    Premier titre : comment améliorer l'efficacité de l'action de la police et de la gendarmerie ?
    Deuxième titre : comment éviter que des armes ne soient détenues par des déséquilibrés ?
    Troisième titre : comment donner aux polices municipales des pouvoirs correspondant aux compétences des maires ?
    Quatrième titre : comment assainir et rendre plus transparent le monde de la sécurité privée ?
    Cinquième titre : comment mieux défendre nos policiers et nos gendarmes contre les agressions dont ils sont victimes ?
    Le sixième et dernier titre vise à adapter les cinq premiers à l'outre-mer.
    Les premiers articles sont destinés à combler des failles dans l'organisation. Pour commencer, il faut un patron dans les départements pour organiser la police et la gendarmerie : c'est le prolongement logique du rassemblement au sein du ministère de l'intérieur des commandements de la police et de la gendarmerie. Désormais, ce sera le préfet qui conduira les opérations.
    Dans le même souci de cohérence, la zone de compétence des officiers de police judiciaire devra être étendue au département et, chaque fois que ce sera nécessaire, à la zone de défense. Les délinquants se moquent de nos subtilités administratives. (« Très bien ! » sur bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    C'est aussi la raison pour laquelle j'ai voulu étendre les pouvoirs des policiers municipaux. Ils dressent des contraventions mais, curieusement, n'ont pas le droit de consulter le fichier des véhicules volés. Le projet de loi leur permettra d'exercer pleinement leurs missions en leur donnant accès aux informations nécessaires pour identifier le propriétaire ou tout simplement pouvoir mettre en fourrière un véhicule sans devoir appeler, ce qui est tout à la fois une humiliation et un gaspillage de temps, un policier national pour les assister dans une tâche qui ne mérite pas de mobiliser tant de moyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Nous voulons également améliorer les moyens d'action de la police et de la gendarmerie en leur donnant accès à la modernité, par exemple en cessant de considérer qu'un coffre de voiture est un domicile. Qui a jamais eu l'idée d'habiter dans le coffre de sa voiture ! (Rires et applaudissements sur les bancs de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Charles Cova. M. Vaillant !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Qui peut soutenir que le fait de devoir ouvrir le coffre de sa voiture soit attentatoire aux droits de l'homme ? Faut-il avoir peu de respect des droits de l'homme, être si ignorant de l'histoire de l'humanité et si indifférent à la misère de ceux qui vivent dans des dictatures pour prétendre en France que ce serait attenter aux droits de l'homme d'autoriser la police et la gendarmerie à ouvrir le coffre d'un véhicule alors même que les douaniers en ont le droit ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Il faut aussi, et le texte le fait, poser la question de l'utilisation des fichiers. Nos fichiers actuels sont pour une part inopérants face à la délinquance et ce n'est pas acceptable. Pensez qu'un individu interdit de stade par la justice pour y avoir déjà commis des actes violents n'a aucun mal à y retourner : même s'il est contrôlé, la police ne peut avoir connaissance de la décision prise. Est-il normal qu'un interdit de stade ne figure pas sur un fichier qui permette à la police de le savoir lorsqu'elle contrôle l'entrée d'un stade ? Qui peut le soutenir ? Cette situation est parfois proprement scandaleuse. Ainsi le prochain match de football PSG-OM nous obligera à mobiliser deux mille fonctionnaires qui seraient bien utiles ailleurs !
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Scandaleux !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ce n'est pas cette image du football que nous voulons dans notre pays. Et nous nous retrouvons, je le répète, avec un fichier qui ne nous permet même pas de contrôler les individus interdits de stade !
    M. Jean-Pierre Brard. Qu'ont fait les ministres de l'intérieur précédents ?
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je souhaite également que les fichiers deviennent accessibles pour des recherches de police administrative, pour les enquêtes les plus sensibles, concernant par exemple les installations prioritaires de la défense et l'accès aux emplois relevant de la sécurité ou de la défense. Le texte prévoit que ces fichiers pourront être consultés, ce qui est bien normal, avant de délivrer un titre de séjour ou la nationalité française.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Bravo !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Avant de donner la nationalité française ou de délivrer un titre de séjour, il est quand même normal de savoir à qui on a affaire et, si l'on a affaire à des gens qui ont été condamnés, de leur refuser une nationalité qu'ils ne méritent pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Richard Mallié. C'est la moindre des choses !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Sait-on que l'on ne peut même pas aujourd'hui connaître le profil d'un candidat au poste d'agent de sécurité d'une centrale nucléaire ? Qu'en serait-il en cas d'acte terroriste ? Je pose la question à tous les membres de l'Assemblée : croyez-vous qu'une telle défaillance serait pardonnée à l'Etat ? Je ne le crois pas.
    Dans le même esprit, je vous proposerai d'étendre les informations contenues dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques pour y inclure les personnes condamnées ou objectivement soupçonnées des actes les plus graves, comme les délits de violence contre les personnes ou mettant en danger l'ordre public. Là encore, ces dispositions ne sont pas l'annonce d'un Etat policier, mais la fin d'un Etat aveugle.
    M. Jacques Myard. Et paralytique !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Le fichier des empreintes génétiques est au xxie siècle ce que le fichier des empreintes digitales était au siècle précédent. A quoi peut-il servir ? Il y a ici des élus de la région Picardie et du département de la Somme. Je ne rappellerai pas ce qui s'y est passé. Comme nombre d'entre vous, j'ai été bouleversé par la douleur des familles et par toutes ces petites victimes. L'un des auteurs ou des présumés auteurs est sorti en mai de prison alors qu'il avait purgé treize ans de peine, et l'une des trois petites de la Somme a été violée, torturée et assassinée au mois de juillet ! Cela ne nous pose-t-il pas à tous une question terrible sur notre responsabilité, sur celle de l'Etat à l'égard de ces victimes que nous avons laissées vivre aux côtés de monstres tout en sachant parfaitement que les risques de récidive étaient immenses ?
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Evidemment !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Notre devoir est de prévenir les victimes de demain sans tenir compte des criailleries d'aujourd'hui, des protestations de ceux qui pensent que c'est porter atteinte aux droits de l'homme que d'inscrire sur un fichier tous les condamnés à plus de trois ans d'emprisonnement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Ne pas agir, c'est être faible. Nous devons une réponse à toutes les familles de France sur ce sujet. La Grande-Bretagne, berceau de la démocratie parlementaire, est-elle devenue une dictature depuis qu'elle a mis 1,7 million de noms sur son fichier d'empreintes génétiques ? Ces 1,7 million de noms ont été interrogés, tenez-vous bien, à 60 000 reprises l'an passé. De quoi avons-nous l'air, en France, avec un fichier d'à peine 1 200 noms ? Voilà la réalité, une réalité inacceptable.
    M. Hervé Novelli et M. Alain Marsaud. C'est scandaleux !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Qui plus est, le fichier des empreintes génétiques peut servir à charge et à décharge. Dans l'affaire Caroline Dickinson, cette petite fille qui a été violée, c'est grâce au fichier des empreintes génétiques qu'un innocent a échappé à une peine très lourde. Réfléchissons tous avant de prendre des postures qui sont totalement irresponsables devant la gravité de la situation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Le projet de loi veut aussi adapter le droit aux nouveaux risques et aux nouvelles formes de délinquance.
    Le premier risque est évident : il concerne le terrorisme. Je vous propose la prorogation des dispositions présentées en la matière par Daniel Vaillant. Qui peut croire que le risque de terrorisme ait diminué cette année ou diminue l'an prochain ? Il serait irresponsable de ne pas proroger les dispositions prises par mon prédécesseur.
    Le second risque est celui de la détention d'armes. Nous avons le devoir de trouver une réponse rapide pour mettre un terme au réel danger que représente l'acquisition d'armes par des personnes dont l'équilibre psychologique n'est pas compatible avec leur détention. Là encore, que les choses soient claires : exiger un certificat médical des détenteurs d'armes, c'est une mesure de bon sens. Figurez-vous qu'on l'exige déjà aujourd'hui, mais après l'acquisition de l'arme !
    Mme Maryse Joissains-Masini. Ils font tout à l'envers !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Seuls les honnêtes gens viennent le présenter ! Je souhaite qu'il soit demandé avant l'acquisition de l'arme et non après. En Espagne, en Grèce, au Portugal et bientôt en Belgique, ce certificat médical est exigé pour toute détention d'arme. Pourquoi ne serait-ce pas le cas en France ? J'ai entendu tout récemment un ancien ministre socialiste protester : « Il y a une mesure extrêmement grave dans le projet du Gouvernement, disait-il : qu'un praticien s'aperçoive qu'un de ses patients présentant des troubles psychologiques et du comportement graves détient une arme, va-t-on le contraindre à lever le secret médical ? »
    M. Alain Marsaud. Il vaut mieux laisser le malade acheter un fusil !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Or la question n'est pas là. Le secret médical n'a pas été inventé pour faire courir des risques, il n'est pas contraire à la nécessité de préserver la vie d'autrui. Les médecins, dès lors qu'ils apprennent qu'un de leurs patients victime de troubles psychiatriques est armé, doivent pouvoir le signaler à l'autorité préfectorale. Et le leur demander est une mesure de bon sens. Qui peut imaginer que l'Etat tenterait par ce biais d'aller fouiller dans le dossier médical de soixante millions de Français ? Quant au chantier de la classification des armes, nous l'engagerons prochainement avec les professionnels.
    Il vous est également proposé de mieux encadrer juridiquement le développement des activités de sécurité privée. Savez-vous qu'il existe en France autant d'agents de sécurité privée que de policiers ? C'est un marché libre, en plein essor, qui touche des secteurs très sensibles.
    M. Noël Mamère. Eh oui, c'est un marché !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Aussi le projet de loi définit-il précisément les tâches de ces sociétés, renforce leur professionnalisation et les conditions d'agrément et d'autorisation.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Devons-nous attendre un drame pour prendre une telle mesure ?
    Enfin, nous comblons une lacune du droit. Rien n'obligeait jusqu'à présent les opérateurs de téléphone à bloquer les téléphones portables volés. Or les solutions techniques existent. Désormais, tout téléphone volé sera bloqué par l'opérateur. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Gilbert Meyer. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Nous éviterons ainsi des agressions à l'arraché dans la rue qui, pour des petites sommes, le prix d'un portable, traumatisent lourdement les victimes, souvent des femmes ou des personnes faibles, agressées précisément parce qu'elles sont faibles. Eh bien, ce sera terminé, puisqu'il n'y aura plus d'objet au délit.
    Quant aux nouvelles formes de la délinquance, ce sont sans doute celles qui ont le plus fait parler. Qu'il me soit permis de les évoquer franchement.
    Commençons par la question de la prostitution, extrêmement sensible et difficile. La prostitution, ce n'est pas un sujet de plaisanterie ou de gaudriole. La prostitution, ce n'est pas le plus vieux métier du monde. Ce n'est pas un métier du tout et je m'inscris en faux contre ceux qui prétendent que c'en serait un.
    Mme Christine Boutin. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Imaginons un instant que la prostitution soit considérée comme un métier. Accepteriez-vous demain qu'il y ait des filières, avec des certificats de capacité professionnelle...
    M. Alain Marsaud. Des syndicats !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... et des tarifs en fonction de la qualité du service ? Il est inadmissible de parler ainsi de la détresse de femmes et d'hommes réduits à l'esclavage...
    M. Alain Marsaud. Tout à fait !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... le plus honteux et le plus brutal. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Mais si le proxénète s'enrichit, c'est parce que, depuis trop d'années, nous nous sommes condamnés à l'immobilisme...
    M. Daniel Vaillant. Même M. Debré !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... et parce que nous laissons les prostituées sur le trottoir exercer leur activité sans obstacle et sans contrôle.
    Au cours des dix dernières années, la prostitution a explosé dans notre pays. Les deux tiers des prostituées sont aujourd'hui étrangères, avec un certain nombre de filières : celles de l'Est, notamment l'Albanie, la Bulgarie et la Russie, de l'Afrique et, pour les travestis, de l'Amérique du Sud.
    Sur ces sujets douloureux, cessons d'être hypocrites, car l'hypocrisie règne. Les prostituées sont des victimes, dit-on. Certes, mais n'oublions pas les autres victimes : les personnes qui habitent dans les quartiers où la vie est devenue impossible...
    Mme Maryse Joissains-Masini. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... parce que la prostitution y règne en maîtresse absolue, avec tout ce qui s'ensuit : les proxénètes...
    Mme Maryse Joissains-Masini. La drogue !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... et une faune qu'aucune famille ne souhaite rencontrer en rentrant dans son immeuble, pour ne pas être l'objet de provocations et d'attitudes déplaisantes.
    Que les victimes soient défendues en priorité, oui ! Mais qu'on n'oublie pas les habitants de ces quartiers. Or les maires, de droite ou de gauche, sont interrogés pareillement par des gens qui n'en peuvent plus : « Pouvons-nous laisser rentrer nos enfants entre deux haies de prostituées, de proxénètes et de voyeurs ? » Ces maires n'ont d'autre solution que de signer un arrêté pour éloigner le problème afin de protéger au moins un quartier.
    M. Dino Cinieri. C'est vrai !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. On me dit qu'il faut éloigner la prostitution des écoles. Fort bien ! Mais les enfants ne seraient-ils que dans les écoles ? A ma connaissance, ils n'y habitent pas, et ce n'est pas parce que les quartiers concernés sont en général situés à la périphérie des villes qu'il ne faut pas entendre le cri de détresse de ceux qui y habitent.
    Quant aux prostituées, j'espère que nous pourrons avoir un débat utile et serein. Prenez l'exemple de la prostituée albanaise. Où est-elle le plus en danger d'après vous ? Dans sa ville d'origine, près de sa famille, là où elle parle sa langue, où elle a des racines et des repères ? Ou en France, où elle ne parle pas un mot de notre langue, où elle est enfermée dans un hôtel, soumise à la violence de proxénètes sans scrupules, et jetée sur le trottoir où nous la regardons en passant en voiture, nous apitoyant - « Les pauvres ! » - mais les oubliant deux minutes plus tard ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Que me propose-t-on ? D'attendre encore pour que, dans dix ans, la prostitution ait doublé, voire triplé ? Je ne prétends pas que ce que propose le Gouvernement soit la panacée, je ne promets pas de résoudre tous les problèmes. Ce que je sais, c'est que l'immobilisme n'est plus possible. Toutes les prostituées étrangères en situation de détresse, nous les raccompagnerons chez elle. En quoi serait-il contraire aux droits de l'homme de ramener un Albanais en Albanie, un Bulgare en Bulgarie, un Roumain en Roumanie ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) C'est tout de même bien dans leur pays que toutes ces victimes peuvent retrouver un avenir. Nous les y ramènerons et nous les confierons à une plate-forme ONG dont nous assurerons le financement. Ainsi, nous les sortirons des réseaux qui les tiennent prisonnières sur nos trottoirs, et nous ne serons plus complices par notre immobilisme et parce que nous gardons les yeux fermés.
    M. Jean-Pierre Brard. Et les proxénètes ?
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. J'y viens.
    Quant aux prostituées étrangères qui accepteront de nous aider à lutter contre leurs proxénètes, nous leur donnerons des papiers et nous les protégerons.
    M. Noël Mamère. Combien de temps ?
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. A ceux que choque cette procédure, je fais observer qu'il est beaucoup plus difficile qu'on ne le croit de débusquer le proxénète : si la victime - la prostituée -, ne dit pas qu'il l'exploite, la frappe et utilise l'argent qu'elle gagne, le proxénétisme n'est pas qualifié.
    M. Alain Marsaud. Absolument !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Celles qui nous aideront, nous les protégerons autant de temps qu'il le faudra.
    M. Jean-Pierre Brard. On les connaît, les proxénètes, dans les Alpes-Maritimes ! Ils investissent dans l'immobilier ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Alain Marsaud. Si vous les connaissez, donnez-nous des noms !
    M. Charles Cova. Et à Montreuil ?
    M. le président. Monsieur Brard, ne faites pas état de vos connaissances !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Le sujet est suffisamment douloureux et difficile pour que nous l'examinions sous tous ses aspects. Ainsi, il serait inadmissible d'omettre la question des clients. C'est pourquoi je souhaite d'abord que le délit d'exhibition soit de nouveau sanctionné par la police, car il est anormal que certains spectacles soient infligés aux habitants des quartiers concernés. Je souhaite également que les clients qui utilisent les services de prostituées en état de particulière faiblesse - je pense à celles qui sont enceintes, ou handicapées, comme dans ce réseau exploitant des sourdes et muettes - soient condamnés, tout comme je souhaite une sévérité accrue à l'endroit des clients de prostituées mineures.
    Mme Maryse Joissains-Masini Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Nous ne devons rien tolérer en la matière, et ce qui se passe sur certaines places de notre capitale ne fait honneur à personne ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

    J'ajoute qu'on peut se demander à quoi sert la mobilisation - nécessaire - de tous, y compris sur tous les bancs de l'Assemblée, contre cette terrible maladie qu'est le sida si nous fermons les yeux sur ce qui se passe dans le bois de Boulogne et dans le bois de Vincennes, où l'épidémie fait des ravages chez les malheureux travestis ou prostituées. Est-ce parce qu'ils se trouvent dans un bois que nous n'en parlons pas, que nous n'osons pas regarder cette douloureuse réalité en face ?
    La prudence aurait voulu que je ne parle pas de cela parce que, dans un pays comme le nôtre, habitué depuis si longtemps à fermer les yeux, il est plus facile de ne rien faire ! Pour ma part, j'attends du débat à l'Assemblée nationale que nous tentions, ensemble, de progresser. Je veux aussi soumettre mes propositions à votre évaluation, mesdames, messieurs les députés : au moins, essayons, pour soulager des misères, d'apporter des réponses ! Sans avoir la prétention de régler, d'un seul coup d'un seul, la question de la prostitution, tentons au moins d'en réduire les effets et de sortir une partie de ces prostituées de leur situation de prisonnières.
    Par ailleurs, je vous annonce que j'ai décidé de doubler les effectifs de lutte contre les grands réseaux de proxénétisme car, là encore, nous ne devons faire preuve d'aucune faiblesse. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Le problème des gens du voyage a lui aussi fait l'objet de nombreuses polémiques. Je sais qu'un certain nombre d'entre eux sont inquiets. Là encore, il faut regarder les choses en face. Qui pouvait penser que le Gouvernement se présenterait devant votre assemblée sans évoquer cette question ? Je tiens à votre disposition les innombrables lettres de maires communistes, socialistes, UMP ou centristes appelant au secours le ministre de l'intérieur que je suis pour faire dégager des terrains occupés illégalement par des campements de dizaines de caravanes qui, pendant les six mois du printemps et de l'été, rendent la vie impossible dans leur ville. Voilà la vérité ! Les maires, qu'ils soient socialistes ou UMP, sont confrontés aux mêmes difficultés !
    M. Jean-Pierre Blazy. Evidemment !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Et les électeurs leur demandent la même chose : « Comment se fait-il que, si je dépasse de quelques minutes le stationnement autorisé par un parcmètre, j'aie une contravention alors que vous, monsieur le maire, vous tolérez que, sur un terrain occupé illégalement, on puisse pendant des semaines se brancher tout aussi illégalement sur les réseaux d'eau ou d'électricité (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française) et que l'Etat et vous ne faites rien ? »
    Laisser les élus locaux seuls face à cette situation, c'est tout simplement une démission de la part des autorités gouvernementales ! Il est temps d'y mettre un terme.
    M. Noël Mamère. Il faut appliquer la loi Besson !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ce que nous proposons est assez simple. Les nomades, gens du voyage, Tziganes, Roms - peu importe le nom utilisé -, ne doivent être victimes d'aucun amalgame. Ce serait scandaleux parce que leur mode de vie correspond à une liberté qui est traditionnelle, j'allais dire séculaire, en Europe. Le Gouvernement n'a nullement l'intention de la réfréner et de les condamner ou même de les désigner.
    Mme Martine Billard. Eh bien ! Qu'est-ce que ce serait s'il le voulait !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'est une liberté très enracinée dans la culture de l'Europe, et qui ne peut que s'accroître avec l'élargissement de l'Union.
    Le problème aujourd'hui, c'est que l'occupation illégale relève d'une procédure civile. Quand on s'installe sur un terrain, qu'on le saccage, qu'on y fait n'importe quoi,...
    Mme Maryse Joissains-Masini. Eh oui !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... le maire doit prendre un avocat et, pour certaines petites communes, ce n'est pas si simple ; il engage une procédure de référé, obtient une décision, appel est formé. Bref, plusieurs semaines passent et quand, enfin, une décision est obtenue, il se tourne vers le préfet, qui doit mobiliser une compagnie de CRS ou un escadron de gendarmerie mobile.
    M. Jean Besson. Nous ne le faisons d'ailleurs pas !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Dans le meilleur des cas, il se passe donc quatre ou cinq mois avant l'exécution d'une décision.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Mais non !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Dans ce laps de temps, que s'est-il passé ? Les occupants illégaux ont levé le camp et la commune reste avec les dégâts, la facture de la procédure et surtout l'amertume que laisse l'impression d'une justice à deux vitesses.
    Je vous propose donc de pénaliser l'occupation illégale des terrains.
    M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Car en la pénalisant, on autorise la police à mettre en garde à vue, à interpeller et à faire cesser le trouble. Ce n'est plus alors qu'une question d'heures ou de jours, et non plus de semaines, voire de mois. C'est la seule solution possible.
    M. Claude Leteurtre. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. J'ajoute, parce que la mesure a fait parler, mais je la revendique, que, quand on s'apercevra qu'il y a des véhicules de forte valeur dans un campement où, officiellement, personne ne travaille, on pourra poser des questions pour savoir comment ce véhicule a été financé et, au besoin, quand les justificatifs ne seront pas suffisants, on pourra les saisir et les confisquer. Qui pourrait nous le reprocher ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jacques Myard. Surtout quand on touche le RMI et qu'on bénéficie de la CMU !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. La loi est la même pour tous !
    Et je veux terminer sur cette question en rendant hommage à un homme, un socialiste, M. Besson, inventeur de la loi relative à l'installation d'équipements pour les nomades. Il a dit que le projet de loi permettrait d'augmenter le nombre de ces équipements parce que la procédure pénale serait réservée aux seules collectivités territoriales qui auraient respecté leurs obligations au regard de la loi.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Eh oui !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ceux qui font leur devoir auront droit à la procédure pénale, pas ceux qui ne le feront pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Qui peut, après cela, prétendre qu'il y ait le moindre amalgame ?
    Le troisième nouveau délit a trait à l'occupation des halls d'immeuble.
    Et d'abord, je ne comprends pas pourquoi l'on parle à ce propos des « jeunes ». L'amalgame est inacceptable : quand on occupe un hall d'immeuble, qu'on empêche les gens de rentrer chez eux après une longue journée de travail pour dormir, on n'est pas un jeune, on est un voyou (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), quel que soit son âge, quelle que soit sa couleur de peau, quelle que soit son apparence. N'appelez pas « jeunes » ceux qui sont des voyous !
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Il est temps d'employer le bon terme !
    On me demande pourquoi j'en fais un délit. Mon prédécesseur, M. Vaillant, avait compris le problème (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle) ; il l'avait analysé. (Exclamations sur les mêmes bancs.) Hélas : il n'en avait pas tiré les conclusions. (Mêmes mouvements.)
    M. André Gerin. Cette attaque est insupportable !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Il avait dit : le problème existe, il est important ; j'en conclus qu'il ne faut pas prévoir de sanctions...
    M. Alain Marsaud. A coeur vaillant, rien d'impossible !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Pourquoi n'ai-je pas prévu une contravention mais un délit ? Cela aussi, il faut l'expliquer devant la représentation nationale. Si l'occupation est une simple contravention, la police ou la gendarmerie, saisies par un voisin excédé, auraient comme seul pouvoir de dresser un procès-verbal ; quand on voit l'attitude de certains, on peut supposer qu'ils seraient impressionnés ! (Sourires.) Elles devraient en effet laisser le contrevenant sur place, car une contravention ne permet pas de faire dégager les lieux.
    M. Jean-Pierre Blazy. Encore faut-il que les policiers se déplacent !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. J'ai donc prévu un délit parce que celui-ci permet l'interpellation et, si besoin, la garde à vue pour faire cesser le trouble. Je veux le dire devant la représentation nationale : au nom de quoi ceux de nos compatriotes qui se lèvent tôt le matin, qui travaillent durement, devraient-ils baisser la tête pour entrer dans leur immeuble ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Qui peut se satisfaire de cela ? Qui peut l'accepter ? Là encore, pourquoi parler des droits de l'homme et omettre ceux des voisins qui n'empoisonnent pas les autres et qui sont en droit d'exiger que certaines activités qui se déroulent dans le hall de leur immeuble ne leur rendent pas la vie impossible jusqu'à cinq heures du matin ?
    Si je ne cherchais pas à apporter une réponse à ce problème, alors, ce texte serait un texte comme les autres, qui viendrait s'ajouter à la pile de toutes les lois qui ont été votées et n'ont jamais été appliquées ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Voilà la réalité à laquelle il convient de mettre un terme.
    Un dernier mot sur les mendiants. A aucun moment, en aucune façon, nous ne songeons, si peu que ce soit, à gêner ou sanctionner des gens qui n'ont comme seule solution que de tendre la main. En revanche, au nom de quoi devions-nous tolérer que certains amènent des mendiants mineurs ou handicapés sur des lieux publics pour s'approprier la recette de la journée ? Ceux-là, nous les poursuivrons et nous les punirons. Tout comme ceux qui pratiquent la mendicité agressive ; tous les élus qui ont dans leur ville des voies piétonnes savent parfaitement qu'un certain nombre de « routards » viennent en bandes, accompagnés de chiens, pour faire pression non pas sur le plus jeune, le plus costaud, celui qui sait se défendre, mais, bien sûr, sur ceux qui ne le peuvent pas.
    M. Alain Marsaud. Tout à fait !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Au nom de quoi devrions-nous tolérer ce qui est intolérable ? La mendicité agressive sera condamnée et, au lieu de rester les bras croisés, les patrouilles de police devront sévir, interpeller et permettre aux gens de se promener tranquillement.
    Enfin, pour redonner un sens aux valeurs de la République, je voudrais rappeler que l'une de ces valeurs, fondamentale, est que le respect de la loi ne se négocie pas. La loi se respecte. On ne dialogue pas avant d'appliquer la loi : on l'applique et ensuite on dialogue.
    C'est pourquoi je considère que celui qui jouit de l'hospitalité d'un pays a pour premier devoir d'en respecter les lois (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle) et que, s'il ne le fait pas, c'est le signe évident qu'il n'a pas l'intention de respecter ses valeurs.
    Or il est actuellement impossible d'expulser les personnes étrangères munies d'une carte ou d'un titre de séjour inférieur à un an, pour des faits tels que le racolage, le proxénétisme ou l'exploitation de la mendicité.
    Mme Maryse Joissains-Masini. C'est honteux !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Le texte propose donc de compléter le droit existant, en nous permettant de mettre un terme au droit au séjour des personnes qui auront commis ces délits. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Dans le même esprit, nous ne pourrons faire respecter les lois qu'en affichant clairement notre volonté de ne tolérer aucune atteinte aux représentants de la loi. Savez-vous que, pendant les dix dernières années, les agressions contre les policiers et les gendarmes ont augmenté de 135 % ? Je ne resterai pas passif face à ces faits, qui ne relèvent ni de jeux d'enfants, ni des risques du métier.
    Ils signifient simplement que des bandes considèrent l'Etat si faible et si peu crédible qu'on peut, en toute impunité, intimider ses représentants.
    Le texte du Gouvernement renforce la protection des représentants de l'Etat. Il supprime l'exigence d'une menace « réitérée ou matérialisée », dont la preuve ne pouvait d'ailleurs que très rarement être apportée. En outre, nous étendons cette protection à de nouvelles catégories, en particulier à celles et ceux qui exercent une mission de service public, je pense par exemple aux conducteurs d'autobus et de métro.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Bien sûr !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Car à quoi sert de parler de la qualité du service public et de l'honneur des fonctionnaires, si on les laisse au quotidien se faire insulter, injurier, voire attaquer et blesser ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Les fonctionnaires savent très bien qui les défend. Ils veulent moins de discours, moins de mots, mais des actes. Quand on exerce un métier difficile rémunéré par un petit salaire, le moins que l'on puisse attendre de son employeur, en l'occurrence l'Etat, c'est qu'il vous défende dans tous les aspects de votre vie quotidienne et de votre travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    C'est un message adressé à tous les fonctionnaires de France. Nous n'avons nullement l'intention de laisser les chauffeurs d'autobus, les conducteurs de rames de métro, les enseignants ou tous les autres continuer à être au front tout seuls, sans que personne ne les défende. Il faut savoir que, quand on touchera à un représentant du service public ou de l'autorité publique, ça coûtera plus cher !
    M. Jacques Myard. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Quand on se fait blesser ou injurier au service de l'Etat, c'est parce qu'on a une responsabilité professionnelle. C'est à l'Etat de vous défendre. Là aussi, mesdames, messieurs les députés, le laxisme a fait son temps !
    Vous l'avez compris, la volonté du Gouvernement n'est pas d'établir un ordre moral - qui d'ailleurs pourrait y penser ? -...
    M. André Gerin. Oh !
    M. Jacques Myard. L'ordre moral, on vous le laisse, mesdames, messieurs de l'opposition !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... mais de garantir l'ordre public.
    Rester passif devant les ravages de la délinquance, ce serait persévérer dans une faute à l'égard de la France. Considérer qu'on a réussi simplement parce qu'on a provisoirement inversé la tendance, ce serait une faute pour nous.
    M. Jean-Pierre Blazy. C'est vrai !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ce qu'attendent nos concitoyens, c'est de ne plus avoir peur, parce que la peur, ça vous bouffe la vie...
    Mme Sylvia Bassot. Tout à fait !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... et qu'il n'y a aucune raison de se dire dans un Etat de droit lorsqu'on a peur de prendre le métro, d'aller à son travail, ou quand ses enfants vont à l'école. Ce que nos concitoyens attendent, c'est de vivre tranquillement, c'est un véritable retournement des valeurs, un retour au réalisme.
    Le jour où les délinquants comprendront que leurs agissements seront punis, parce que l'Etat aura la volonté et les moyens de le faire, ce sera un immense soulagement dans notre pays. Ce sera un engagement tenu vis-à-vis de nos concitoyens. Et ce sera par-dessus tout le triomphe des valeurs républicaines, qui auront permis de lutter contre la peur et contre l'extrémisme, dans le strict et exigeant respect des droits de l'homme, de tous les droits de l'homme.
    Oui, mesdames, messieurs les députés, nous aurons réussi lorsque, enfin, régnera en France un sentiment de sécurité. Tel est mon objectif. Je vous demande de lui apporter votre soutien car ce soutien sera déterminant. (Mmes et MM. les députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française se lèvent et applaudissent longuement.)
    (Mme Paulette Guinchard-Kunstler remplace M. Jean-Louis Debré au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE
DE Mme PAULETTE GUINCHARD-KUNSTLER,
vice-présidente

    Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    M. Christian Estrosi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est avec une profonde satisfaction, partagée par beaucoup sur ces bancs, que nous abordons aujourd'hui ce débat qui fait suite à l'adoption de la loi de programmation et d'orientation sur la sécurité intérieure que j'ai déjà eu l'honneur de rapporter au mois de juillet dernier.
    Voyez-vous, mes chers collègues, ce qui me paraît le plus beau, le plus grand et le plus noble dans l'action politique, c'est d'abord le respect des engagements. Que n'avons-nous entendu, au mois de juillet dernier, du côté des membres de l'opposition, selon lesquels il ne s'agissait que de vagues orientations qui ne trouveraient jamais leur traduction dans la loi et ne seraient pas appliquées avant très longtemps ! Eh bien, monsieur le ministre, il n'aura fallu que quelques mois pour que vous reveniez devant nous avec un texte normatif qui respecte à la lettre et à la virgule les orientations et la programmation que nous avions votées au mois de juillet. C'est une immense satisfaction pour un grand nombre d'entre nous.
    Le budget pour 2003 a été lui aussi le prolongement de la loi de programmation. Vous vous engagiez sur cinq ans à créer notamment 6 500 postes de policiers de plus et 7 500 postes de gendarmes de plus. Dès le budget pour 2003, près de 20 % des moyens nécessaires ont été inscrits.
    Nous achevons par ce texte la mise en place de la nouvelle architecture institutionnelle et législative de lutte contre l'insécurité voulue par le Président de la République et le Gouvernement.
    Cette architecture marque une véritable rupture avec les pratiques passées.
    Trop longtemps, en effet, hélas, le précédent gouvernement a hésité entre une justification sociale de la délinquance et la mise en oeuvre de mesures timides de lutte contre l'insécurité.
    Ce débat idéologique, nourri par une vision selon laquelle il serait plus opportun de s'attaquer aux causes supposées de la délinquance qu'à ses manifestations, a conduit à la résignation et à l'échec.
    Ce projet de loi démontre que ces temps sont heureusement révolus. L'heure n'est plus à la recherche d'une explication sociale de la délinquance mais à l'action.
    Sous l'impulsion du ministre de l'intérieur, une politique résolue de rétablissement de l'autorité de l'Etat et du droit de chaque citoyen à vivre en paix a été lancée. Cette politique se caractérise avant tout par le souci permanent de l'équilibre entre humanisme et répression.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Bravo !
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Camus disait : « Si l'homme échoue à concilier justice et liberté, alors il échoue en tout. »
    La clé de la réussite pour retrouver une société apaisée repose dans ce juste équilibre auquel, je crois, nous sommes parvenus avec ce texte.
    Permettez-moi tout d'abord une remarque préliminaire avant d'entrer plus avant dans la présentation du projet.
    Avec le soutien du président de la commission des lois, Pascal Clément, j'ai souhaité associer l'ensemble de la représentation nationale à l'élaboration de ce rapport, quels que soient nos bancs, dans un esprit d'ouverture et de transparence. Chacun a ainsi pu assister aux quelque cinquante auditions que nous avons conduites depuis l'adoption de ce texte en première lecture par le Sénat au mois de novembre dernier.
    Je tiens donc à remercier l'ensemble des parlementaires qui ont participé à ces auditions. Nous avons reçu les syndicats de police, de magistrats, d'avocats et les associations, la Ligue des droits de l'homme, SOS-Racisme, le MRAP, les associations de défense des gens du voyage, les associations représentatives des prostituées, que sais-je encore ! jusqu'à l'abbé Pierre, auquel nous avons rendu visite, sans compter les nombreux déplacements sur le terrain, que ce soit à la frontière de Menton-Vintimille, celle où les flux migratoires sont les plus importants dans notre pays, dans la zone internationale aéroportuaire de Roissy, ou encore à Lyon-Ecully, à la sous-direction de la police technique et scientifique.
    Je crois que nous aurons rencontré tous les acteurs concernés par ce texte. Qu'ils y soient favorables ou défavorables, nous avons souhaité les entendre tous et dialoguer avec tout le monde.
    Près de 400 amendements ont été déposés devant la commission des lois. Vous aviez exprimé le désir, monsieur le ministre, lorsque vous êtes venu devant la commission des lois, que le texte tel que vous l'avez présenté, avec son parfait équilibre, puisse être discuté, amendé, que le Parlement puisse y apporter sa contribution la plus large possible après le travail effectuée par le Sénat. Je pense que l'ensemble des députés membres de la commission des lois n'auront, à cet égard, pas démérité.
    Ce projet de loi se situe loin des clichés et des carcans dans lesquels on voudrait un peu trop rapidement l'enfermer. Il affronte avec courage et sans faux-fuyants chacun des maux qui nuisent à la cohésion nationale. Il repose sur le fondement simple que chacun doit jouir d'une complète sécurité et liberté quant à sa personne et à ses biens.
    A l'opposé de ce qui a pu être affirmé ici ou là, ce projet n'entend pas criminaliser la pauvreté. Bien au contraire, il vise tout entier à protéger les plus démunis et à leur offrir la possibilité de vivre en sécurité.
    Il n'a pas pour objet de stigmatiser ceux qui vivent dans des quartiers difficiles mais ceux qui leur rendent la vie difficile.
    Vous nous avez exposé vos mesures en ce qui concerne l'occupation des halls d'immeubles, monsieur le ministre. Nous avons souhaité là aussi apporter une contribution pour trouver le meilleur équilibre possible. Lorsque nous voyons des bandes organisées à l'intérieur des halls d'immeubles ou dans les cages d'escaliers, qui font quelquefois subir la pire des détresses à ceux qui rentrent chez eux tard le soir, nous savons bien que l'objectif n'est pas d'imposer une peine de prison, lourde. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité en commission des lois proposer la création d'une peine de deux mois d'emprisonnement. L'objectif est d'abord de permettre aux policiers d'interpeller ces individus et de les placer au moins quarante-huit heures en garde à vue.
    Ce texte va également dans le sens des personnes opprimées, et nous nous sommes félicités que le Sénat ait introduit un chapitre important relatif à la traite des êtres humains.
    Il ne s'attaque pas aux prostituées mais à ceux qui les prostituent. La commission, pour compléter votre dispositif, a essayé d'avoir vision la plus équilibrée possible. Cette même peine de prison de deux mois que nous proposions pour ceux qui occupent les halls d'immeubles et menacent, nous avons souhaité l'appliquer aux prostituées. Il est important de donner aux forces de l'ordre les moyens de les interpeller, de les placer pendant quarante-huit heures en garde à vue, et de leur proposer de donner, en échange d'un titre de séjour, des informations importantes sur leurs réseaux, sur leurs proxénètes. L'objectif est bien là : démanteler tous ceux qui les mettent en situation d'esclavagisme et gangrènent notre société. Au-delà des réseaux de prostitution, nous savons que ceux qui sont à leur tête ont bien souvent d'autres filières, et cela passe par le blanchiment d'argent sale...
    M. Jean-Pierre Brard. Ils investissent dans l'arrière-pays niçois !
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Ils investissent, je suis d'accord avec vous, monsieur Brard, dans des opérations immobilières douteuses.
    M. Jean-Pierre Brard. Que faites-vous ?
    M. Lionnel Luca. Qu'avez-vous fait, vous ?
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Ils exploitent la mendicité agressive, organisent le trafic d'armes. C'est à toutes ces branches de la grande criminalité qu'il nous faut porter atteinte. Et les mesures que nous proposons pour lutter contre le proxénétisme peuvent nous permettre de pénétrer à l'intérieur de ces réseaux. Pour protéger celles et ceux qui apporteraient leur contribution et nous permettre d'atteindre ces réseaux, nous avons proposé que l'on puisse donner des autorisations de travail, en vue de faciliter leur intégration, aux prostituées étrangères qui accepteraient d'apporter leur collaboration.
    Le Gouvernement et sa majorité veulent en effet réprimer les réseaux de proxénétisme, et non pas leurs victimes, auxquelles il faut offrir une chance réelle d'insertion.
    Ce texte ne s'attaque pas aux mendiants, mais à ceux qui les exploitent. C'est ainsi que l'exploitation de la mendicité sera plus sévèrement réprimée, de trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende, jusqu'à dix ans d'emprisonnement et 1,5 million d'euros d'amende s'il s'agit de mendicité agressive en bande organisée.
    Ce texte ne s'attaque pas aux squatters, mais à ceux qui profitent de leur misère pour leur fournir un logement en toute illégalité.
    Il y a tant de malheureux aujourd'hui qui cherchent un toit et la société a un véritable devoir d'apporter une réponse en prévoyant le traitement social nécessaire.
    M. Lionnel Luca. Cinq ans de socialisme, on voit le résultat.
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Il ne s'agit pas pour nous de réprimer, de nous attaquer aux squatters, mais face à tous ces marchands de sommeil qui profitent du fait qu'il y a des appartements provisoirement libres dans un certain nombre de cités, nous devons mener un combat sans merci. C'est la raison pour laquelle, en accord avec l'abbé Pierre, la commission vous proposera d'adopter un amendement instituant un délit de mise à disposition d'un tiers d'un bien immobilier appartenant à autrui. Il ne s'agira pas de sanctionner le squatter, qui est ici une victime et à qui on proposera une aide dans sa recherche d'un logement, mais bel et bien le marchand de sommeil.
    M. Richard Mallié. Tout à fait !
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Les tenants d'un droit au logement absolu devraient donc être satisfait d'un tel dispositif.
    Ce texte ne s'attaque pas non plus aux gens du voyage, mais à tous ceux qui occupent illégalement un terrain ne leur appartenant pas. L'article 19 est emblématique de l'équilibre permanent que nous avons souhaité entre les droits et devoirs de chacun. Il conforte les droits des gens du voyage à disposer d'aires d'accueil, conformément à la loi Besson. En revanche, les mesures proposées leur imposent de se conformer aux prescriptions des schémas départementaux sous peine de sanctions pénales. En contrepartie, lorsque les communes de plus de 5 000 habitants n'auront pas appliqué les schémas départementaux, ou s'il n'y a pas de schéma, ce dispositif pénal ne pourra être activé.
    En tout état de cause, nos concitoyens ne peuvent plus accepter de voir s'installer sans droit ni titre sur la propriété d'autrui, qu'elle soit privée ou publique, des gens qui se branchent sur les réseaux d'adduction d'eau potable, sur les réverbères pour se fournir en électricité, sans payer la moindre redevance, là où nos concitoyens paient de lourdes redevances, des gens qui polluent quelquefois les nappes phréatiques sans prendre la moindre mesure sanitaire.
    Lorsque leur véhicule sera saisi, nous avons proposé à la commission des lois qu'ils aient à fournir, avant que celui-ci leur soit restitué, les éléments prouvant qu'ils avaient les ressources nécessaires pour en faire l'acquisition.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Evidemment !
    M. Christian Estrosi, rapporteur. L'ensemble des citoyens français rendent des comptes à la société, à l'inspection du fisc, à l'inspection du travail. Il est normal que les gens du voyage aient aussi des comptes à rendre à la société.
    M. Richard Mallié. C'est un minimum !
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Vous le voyez, pour chacune des infractions, un travail de fond a été effectué pour arriver à un équilibre harmonieux entre prévention et répression, entre humanisme et répression.
    Cet équilibre se retrouve également dans le renforcement des moyens de la police et de la gendarmerie.
    Dans ce sens, les compétences des préfets sont redéfinies pour prendre en compte les changements intervenus depuis six mois avec la mise en place d'une nouvelle architecture institutionnelle. Par ailleurs, les critères sur le fondement desquels peuvent avoir lieu des contrôles d'identité sont modifiés par une substitution de la notion de « raisons plausibles de soupçonner » à celle d'« indices ».
    De même, dans des conditions strictement définies, la « visite de véhicule » trouve enfin un cadre légal. Il s'agit ici de dispositions essentielles pour conforter l'efficacité des investigations, dans un contexte marqué par la vigueur de la menace terroriste et de la grande criminalité.
    D'autres dispositions renforcent le rôle des forces de l'ordre dans la lutte contre les réseaux, notamment par le développement d'outils juridiques adaptés.
    D'abord, le fichier national des empreintes génétiques. Nos voisins européens ont bien compris l'intérêt de tels fichiers. L'Angleterre, pays de l'habeas corpus,...
    M. Jean-Pierre Brard. Et de la mort de Bobby Sands !
    M. Christian Estrosi, rapporteur. ... établit et conserve depuis 1995 les empreintes génétiques pour tout délinquant susceptible d'être emprisonné, soit 1,5 million de personnes, et toute la population carcérale britannique va être enregistrée dans des documents confidentiels et parfaitement standardisés pour une recherche informatique rapide. En Hollande, ces fichiers existent depuis 1994, tandis qu'en Belgique, la découverte d'une douzaine de meurtres avec abus sexuels sur des enfants au cours de l'été 1996 a décidé de son établissement en vingt-quatre heures.
    En France, le cadre législatif qui réglemente aujourd'hui le fonctionnement d'un tel fichier est parfaitement inadapté.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Tout à fait !
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Les affaires Guy Georges et Dickinson ont montré du doigt ses insuffisances. Ne peuvent être conservées dans le fichier que les empreintes de personnes définitivement condamnées, et donc incarcérées. Un suspect qui refuse de se soumettre à un prélèvement à des fins de rapprochement avec les données incluses dans le fichier n'est passible d'aucune sanction. Un problème du même ordre se pose d'ailleurs avec le fichier automatisé des empreintes digitales.
    Le dispositif prévu par le projet de loi tend à procéder à un double élargissement du FNAEG.
    D'une part, les auteurs de délits de violence contre les biens et les personnes ou mettant en danger l'ordre public figureront désormais dans ce fichier aux côtés des « délinquants sexuels » et d'un certain nombre de criminels auteurs d'infractions particulièrement graves comme les atteintes volontaires à la vie des personnes, les tortures et les actes de barbarie. La commission des lois vous proposera un élargissement du fichier à certains crimes et délits tels que la traite des êtres humains, le recours à la prostitution des mineurs ou de personnes vulnérables, la mise en péril de mineurs, l'exploitation de la mendicité et la fabrication de fausse monnaie.
    D'autre part, figureront également dans ce fichier les suspects des infractions relevant du FNAEG, et non plus les seules personnes définitivement condamnées, comme c'est le cas actuellement.
    Enfin, le fait de refuser de se soumettre au prélèvement sera passible d'une peine de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende.
    La commission vous proposera également, en ce qui concerne le STIC, un renforcement du rôle de la CNIL - nous avons auditionné ses représentants lors de la préparation du rapport - et un renforcement des droits des personnes dont les données figurent dans les traitements informatisés mis en oeuvre par la police et la gendarmerie. Pour ce qui est du fichier des personnes recherchées, il vous sera proposé une augmentation du nombre de catégories des décisions judiciaires devant donner lieu à une inscription.
    La commission vous proposera aussi plusieurs amendements fondamentaux et novateurs pour permettre aux forces de l'ordre de faire face aux nouvelles formes de criminalité.
    Ainsi, il vous sera proposé d'insérer dans le code de procédure pénale un titre XVIII bis consacré aux livraisons surveillées et aux infiltrations dans le cadre de la poursuite et de l'instruction en matière de criminalité organisée. Ces nouvelles dispositions ont pour objet, conformément à la loi d'orientation du 29 août 2002, d'étendre à de nouvelles infractions relevant de la criminalité organisée le champ d'application des livraisons surveillées et des infiltrations, lesquelles ne peuvent aujourd'hui être pratiquées qu'en matière de trafic de stupéfiants. Pourquoi ne pas augmenter la liste des trafics pouvant donner lieu à des livraisons surveillées et à des infiltrations ? Je pense à la pédophilie, au trafic d'armes, à la prostitution et au blanchiment d'argent.
    En ce qui concerne la cybercriminalité et les perquisitions informatiques, trois amendements importants vous seront proposés pour lutter contre les formes de criminalité utilisant les nouvelles technologies de l'information et de la communication, afin de faire face à la volatilité des données informatiques. Il s'agit d'adapter le cadre juridique existant pour les perquisitions liées à ces nouvelles technologies. Ainsi, il vous est proposé d'autoriser les officiers de police judiciaire à procéder à des perquisitions informatiques et à étendre celles-ci aux données et aux systèmes accessibles depuis le système initial. Il vous est également proposé de permettre aux officiers de police, agissant sur réquisition ou autorisation d'un magistrat du siège, d'obtenir dans des délais rapides des informations contenues dans des systèmes informatiques et de prendre toutes dispositions utiles pour la préservation de ces données ; ce dispositif est toutefois assorti de garanties visant à exclure de son champ d'application les organismes dont les activités relèvent de la presse, du syndicalisme ou de la vie politique ou religieuse.
    Je prendrai un seul exemple, celui de cette jeune femme enlevée il y a quelques mois à Marseille et enfermée dans le coffre d'une voiture. Cette personne a appelé la police au secours depuis son portable, mais celle-ci n'a pu obtenir immédiatement de l'opérateur les informations permettant de la localiser, et quelques heures ou quelques jours plus tard ces données avaient été effacées.
    Nous allons donc donner à la police des moyens qui lui permettront de sauver des vies humaines et de mener des investigations plus efficaces.
    De même, en matière de cybercriminalité - je pense au blanchiment d'argent sale et aux trafics en tout genre, notamment à la pédophilie -, alors que, actuellement, il n'est possible de procéder à une perquisition que chez une personne, même si elle appartient à un réseau organisé et est branchée sur vingt-cinq sites, cette perquisition vaudra maintenant pour l'ensemble des sites.
    Voilà donc les moyens que nous allons introduire dans notre droit grâce aux amendements déposés par la commission des lois et adoptés par elle. Ils permettront de donner beaucoup plus d'efficacité à l'action de la police et de la police judiciaire.
    Ce projet de loi traduit une modernisation totale des moyens de lutte contre la délinquance. C'est un texte moderne et novateur.
    D'autres dispositions concernent la clarification du régime juridique des armes, l'assainissement des activités de sécurité privée, l'extension des compétences des polices municipales.
    Enfin, ce projet de loi renforce la protection dont bénéficient les agents publics intervenant dans le domaine de la sécurité intérieure et les membres de leur famille. Cette disposition me paraît essentielle pour préserver ceux qui, dans l'exercice de leur mission, sont détenteurs d'une partie de l'autorité de l'Etat.
    Ce texte apporte aux forces de l'ordre et à tous ceux qui exercent leur mission dans des conditions de sécurité précaires la considération qu'ils méritent. Nous devons ici leur rendre hommage pour leur action, pour leur détermination, pour leur engagement au service de la protection des personnes et des biens. Ils ont fait un choix de vie pour servir l'intérêt général et l'intérêt public il est de notre devoir de leur apporter, à eux et à leur famille, la protection nécessaire.
    Restaurer l'autorité de l'Etat impose d'abord que ceux qui sont chargés de la faire respecter soient eux-mêmes protégés.
    M. Lionnel Luca. Très bien !
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Le respect des engagements de la loi d'orientation, l'équilibre entre humanisme et répression, la modernisation des moyens de lutte contre la délinquance et la protection de tous ceux qui sont chargés de faire appliquer la loi républicaine constituent donc les principales facettes de ce texte qui fera date dans la lutte contre l'insécurité dans la mesure où il s'associe à une détermination totale du Gouvernement et à des moyens budgétaires élevés.
    Monsieur le ministre, l'introduction d'un volet supplémentaire visant à améliorer la procédure pénale en abrogeant certaines des dispositions les plus contestables de la loi sur la procédure pénale était souhaitée par une majorité des membres de la commission des lois et par moi-même. La commission s'en est tenue à la suppression de la notification du droit au silence, qui nous paraissait constituer, pour les forces de l'ordre et pour les officiers de police judiciaire, une véritable humiliation. Avoir en face de soi le violeur d'un petit enfant et devoir lui notifier qu'il a le droit de se taire était insupportable pour un certain nombre d'hommes et de femmes qui mènent une action au service de la sécurité publique.
    M. Lionnel Luca. C'était une véritable provocation !
    M. Marc Le Fur. En effet !
    M. André Gerin. Démagogie !
    M. Richard Maillié. C'est vous qui faites de la démagogie !
    M. Lionnel Luca. Allez le dire à vos électeurs, monsieur Gerin !
    Mme Maryse Joissains-Masini. Il faut aller dans les quartiers populaires !
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Cependant, pour certains articles de la loi relative à la présomption d'innocence, nous avons reçu l'assurance qu'ils seraient traités dans un texte ultérieur concernant la justice. Nous y veillerons, car il est essentiel que l'efficacité de la chaîne pénale soit renforcée pour que la politique déterminée du ministre de l'intérieur puisse donner sa pleine mesure en termes de résultats.
    Monsieur le ministre, les statistiques de la délinquance qui ont été publiées hier marquent pour la première fois depuis de nombreuses années une inversion des courbes. Ce résultat, c'est à vous que nous le devons.
    M. Jean-Pierre Brard. Oh ! Comme c'est beau !
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Alors que vous disposiez en 2002 de moyens budgétaires et législatifs constants, vous avez réhabilité la force de la volonté politique au service de l'action.
    Le Parlement se doit aujourd'hui de vous aider à mettre en place le cadre législatif qui va permettre réellement d'accélérer la mécanique de la spirale vertueuse de la baisse de la délinquance que vous avez enclenchée en 2002.
    Monsieur le ministre, merci de nous avoir redonné confiance dans la force du pacte républicain ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, rapporteure.
    Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, rapporteure. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la délégation aux droits des femmes est directement concernée par certaines dispositions du projet de loi sur la sécurité intérieure. Il s'agit notamment de celles qui sont relatives à la prostitution. Au-delà des seuls aspects juridiques, les articles qui y sont consacrés abordent en effet des problèmes de société fondamentaux.
    La prostitution est une atteinte à l'essence même des relations entre hommes et femmes, car elle bannit toute notion de respect humain. Bien souvent, la prostitution s'organise dans un climat de contrainte et de violence. Prisonnières entre deux mondes - d'un côté les proxénètes, de l'autre les clients -, les prostituées ont été trop longtemps stigmatisées alors qu'au contraire elles sont avant tout les victimes d'un système qui les exploite.
    M. Gérard Hamel. C'est exact !
    Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation, rapporteure. Au cours des dernières années, le contexte de la prostitution a été profondément modifé par l'arrivée massive de prostituées étrangères dont l'exploitation correspond à un véritable esclavage. L'opinion commence à s'en émouvoir et le Parlement le dénonce déjà depuis plusieurs années : au Sénat, par le remarquable rapport de notre regrettée collègue Dinah Derycke, alors présidente de la délégation aux droit des femmes ; à l'Assemblée nationale, par de nombreuses propositions de loi et questions de nos collègues, ainsi que par les travaux de la mission d'information commune sur les diverses formes de l'esclavage moderne et par la proposition de loi qui en résulte.
    La saisine de notre délégation était donc amplement justifiée. Au terme de ses travaux, après de nombreuses auditions, nous avons formulé un certain nombre de recommandations dont je voudrais exposer les grandes lignes.
    Première recommandation : la délégation estime que la lutte contre les réseaux mafieux doit être une priorité absolue. Monsieur le ministre, je vous remercie d'en avoir fait une de vos priorités. L'arrivée massive de prostituées venues principalement de l'Est et d'Afrique est le fait de réseaux internationaux extrêmement bien organisés et violents. Ces jeunes femmes, souvent mineures, sont recrutées et vendues comme de la marchandise. Elles alimentent un marché très lucratif qui est à l'origine de nombreuses autres activités criminelles, comme le trafic de stupéfiants ou même celui des armes.
    Sur les 15 000 à 18 000 prostituées environ qui seraient en activité en France, la part des étrangères est en augmentation constante et représente près de 60 % de la prostitution de voie publique. Ce pourcentage est même de 70 % à Paris et plus encore à Strasbourg et à Nice.
    Ces prostituées étrangères sont souvent maltraitées. Ne disposant que de l'indispensable pour survivre, elles sont surveillées et parfois même droguées. Il est donc urgent d'intervenir contre les réseaux.
    Aussi la délégation s'est-elle félicitée de l'introduction dans notre code pénal d'une nouvelle incrimination de traite des êtres humains, conformément au protocole additionnel à la convention de Palerme signé par la France. La traite sera passible de lourdes peines, renforcées encore par la confiscation des biens des personnes reconnues coupables de ces infractions.
    Pour être efficaces, ces dispositions devront s'accompagner d'une coopération policière et judiciaire accrue avec les pays de l'Union européenne. La convention-cadre de l'Union relative à la lutte contre la traite des être humains du 19 juillet 2002 ainsi que le projet de loi constitutionnelle relatif au mandat d'arrêt européen récemment adopté par l'Assemblée constituent des avancées à cet égard.
    La deuxième recommandation concerne les nuisances entraînées par l'exercice de la prostitution dans certains quartiers des villes, nuisances qui ont été stigmatisées. Notre délégation a recueilli de nombreux témoignages d'élus et de responsables locaux à ce sujet. Des riverains, excédés par le spectacle offert à leurs enfants, par le tapage nocturne et la pollution, ont protesté avec vigueur, ainsi que vous l'avez très justement souligné, monsieur le ministre.
    Des arrêtés municipaux ont été pris par certaines collectivités locales, mais ils ne font au mieux que déplacer le problème sans apporter de véritables solutions, contrairement à votre projet. Il devenait urgent de donner un signal fort, et c'est pourquoi des mesures dissuasives à l'encontre du racolage sont proposées dans ce texte.
    A ce sujet, la délégation souhaite présenter deux remarques.
    D'une part, elle regrette que l'un des moyens envisagés pour lutter contre les réseaux mafieux consiste à recourir à des peines d'emprisonnement visant les personnes prostituées. Ces peines, ainsi que les fortes amendes prévues - même si elles ne sont que de principe - paraissent particulièrement lourdes vis-à-vis de personnes qui sont précisément les victimes des réseaux.
    La garde à vue, qui en est le corollaire recherché, permettra-t-elle à la police d'obtenir les informations qu'elle attend de ces personnes ? Nous n'en sommes pas tout à fait sûrs, monsieur le ministre, et nous souhaiterions que vous nous rassuriez sur cette question.
    D'autre part, la délégation considère que le champ de la nouvelle définition du racolage, à la fois actif et passif, est très large. La délégation a donc souhaité que des précautions soient prises afin d'éviter des mesures ou une application arbitraires. Un cadre déontologique devrait notamment être assigné aux fonctionnaires de police, et, bien entendu, il faudra veiller à ce qu'il soit rigoureusement observé.
    J'en viens à la troisième recommandation. La délégation s'est préoccupée de la situation faite aux personnes prostituées de nationalité étrangère qui acceptent de porter plainte ou de témoigner contre leurs proxénètes. Ces personnes peuvent se voir délivrer une autorisation provisoire de séjour et une carte de résident lorsque la procédure aboutit à une condamnation du proxénète. A cet égard, nous soutenons activement l'amendement adopté par la commission des lois, qui tend à permettre aux personnes ayant bénéficié d'une autorisation provisoire de séjour d'exercer une activité professionnelle, dans la perspective de se voir ainsi offrir une réelle chance d'insertion.
    M. Bernard Roman. Très bien !
    Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation, rapporteure. La délégation souligne aussi qu'il faudra organiser et assurer la protection physique de ces personnes. C'est absolument capital si l'on veut encourager les dénonciations qui serviront de base au travail d'investigation de la police.
    M. Gérard Léonard. Très bien !
    Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation, rapporteure. Leur sécurité devra être assurée pendant la procédure et à l'issue de celle-ci. Un hébergement sécurisé et adapté devra pouvoir les accueillir, à l'image de ce qui se fait en Belgique ou en Italie.
    La délégation s'est interrogée sur le sort des personnes qui ont témoigné, lorsque la procédure pénale n'a pu aboutir à une condamnation. Elle estime que, dans ce cas, la possibilité de délivrance d'une carte de résident pourrait être élargie, sous certaines conditions, afin d'éviter un retour risqué dans le pays d'origine.
    Quatrième recommandation : les dispositions pénales relatives à la prostitution devront aussi être complétées par des mesures d'accompagnement social. Il est indispensable que l'Etat s'engage réellement dans une politique de prévention, d'accueil et surtout de réinsertion. Ces missions ont été trop longtemps négligées et confiées aux seules associations, qui agissent, certes, avec le plus grand dévouement, mais avec trop peu de moyens.
    M. André Gerin. C'est vrai !
    Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation, rapporteure. Dans cette logique, il serait tout particulièrement souhaitable que les personnes qui abandonnent la prostitution bénéficient de la part des services fiscaux d'un traitement compréhensif, notamment d'un abandon des poursuites.
    J'aborde maintenant la cinquième recommandation. Le débat qui s'est ouvert a aussi attiré l'attention des pouvoirs publics sur le client. Des moyens juridiques existent déjà depuis le vote de la loi du 4 mars 2002 et ils permettent de punir sévèrement le client en cas de recours à la prostitution d'un mineur. Cela étant, le projet de loi propose une nouvelle pénalisation du client lorsque la personne prostituée est particulièrement vulnérable, en raison d'une maladie, d'une déficience physique ou psychologique, ou d'un état de grossesse. Plus que de lourdes pénalités systématiques, qui risquent de ne pas être appliquées, la mise en oeuvre rigoureuse des textes existants et surtout des nouvelles dispositions devrait donc constituer une dissuasion efficace à l'encontre de ces dérives.
    J'en arrive enfin à la sixième recommandation. Il est indéniable que, en tout état de cause, notre société demeure mal informée des problèmes de la prostitution. Des campagnes de sensibilisation du grand public ainsi qu'une information dans le cadre scolaire devront donc être menées par les pouvoirs publics sur la réalité de la prostitution, sur l'atteinte qu'elle porte aux droits des femmes et des hommes et à leur dignité.
    En conclusion, monsieur le ministre, je voudrais exprimer deux souhaits.
    Mon premier souhait est que les financements soient rapidement débloqués pour mettre en oeuvre les programmes d'assistance et surtout d'accompagnement social portant sur la protection, l'accueil et la réinsertion des personnes prostituées.
    Mon second voeu est qu'une vaste réflexion soit engagée sur la prostitution en France, sur la place et sur les droits sociaux de la personne prostituée ainsi que sur le soutien indispensable à la sortie de la prostitution, auquel certaines associations travaillent avec beaucoup de courage. Je voudrais, monsieur le ministre, que ces associations soient également soutenues financièrement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française ainsi que sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Exception d'irrecevabilité

    Mme la présidente. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est à M. Bruno Le Roux.
    M. Bruno Le Roux. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en examinant en première lecture dans notre assemblée le projet de loi pour la sécurité intérieure, nous avons l'occasion de débattre sérieusement d'une question essentielle pour tous nos concitoyens : leur sécurité.
    M. Gérard Hamel. Enfin !
    M. Bruno Le Roux. Certes, monsieur le ministre, et j'y reviendrai, votre projet est bien moins ambitieux que cela et il ne correspond que très partiellement aux attentes exprimées. Ce débat doit néanmoins être l'occasion de confronter nos points de vue, de discuter des actions à entreprendre et d'évaluer vos propositions.
    Nous souhaitons un débat sérieux, évitant les caricatures, un débat qui s'ancre dans la réalité vécue au quotidien par ceux qui souffrent de l'insécurité. Il ne s'agit pas d'empêcher, ce qui est d'ailleurs difficile ici, ou de condamner par avance et, surtout, par principe le projet de loi pour la sécurité intérieure. Mais nous ne perdons pas notre temps en engageant un débat tel que celui-ci devant la représentation nationale car il s'agit d'un texte qui aura des répercussions importantes pour tous nos concitoyens, et elles ne seront pas forcément celles que vous leur avez annoncées.
    Nous nous interrogeons sur l'utilité de vos mesures, sur leur efficacité et sur leurs conséquences...
    M. Gérard Hamel. Elles ont fait leurs preuves !
    M. Bruno Le Roux. ... car prendre en considération la sécurité publique ne signifie pas le « tout sécuritaire » à tout prix et par n'importe quel moyen.
    M. Gérard Hamel. Voilà la caricature !
    M. Gérard Léonard. Eh oui ! C'est reparti !
    M. Bruno Le Roux. Pour caricature, je pourrais revenir sur ce qu'a dit M. le ministre tout à l'heure...
    M. Guy Geoffroy. Ça commence bien !
    M. Bruno Le Roux. Je ne lui ai fait aucun procès de ce point de vue. Je l'ai écouté, tout comme il m'écoute en ce moment.
    L'insécurité concerne toutes les catégories sociales et professionnelles. Elle mérite des réponses sérieuses qui mobilisent notre société et conduisent à une inversion durable de la violence et des faits d'insécurité constatés.
    La sécurité des personnes et des biens, qui correspond à un objectif de valeur constitutionnelle et constitue un droit fondamental, lui-même condition de l'exercice des libertés et des réductions des inégalités, est un devoir pour l'Etat, ainsi que l'a expressément affirmé le législateur dans la loi du 15 novembre 2001, dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur devant l'Assemblée, en en faisant l'objectif premier de la politique de sécurité. Ce devoir est d'autant plus impératif que nos concitoyens sont de plus en plus attentifs au sort réservé aux victimes et que la sécurité des personnes est de plus en plus invoquée par ceux qui ont la charge de l'assurer sur le terrain : sapeurs-pompiers, policiers, gendarmes, transporteurs de fonds, agents de surveillance municipaux ou privés, auxquels nous devons rendre hommage à l'ouverture de notre débat pour le travail qu'ils accomplissent au jour le jour afin d'assurer la sécurité de nos concitoyens.
    Monsieur le ministre, nous allons partager dans ce débat un objectif commun : doter notre pays d'une politique ambitieuse en matière de sécurité. Par là même, nous débattrons aussi des libertés publiques car la sécurité ne s'oppose pas aux libertés, au respect de la dignité humaine, à la liberté d'aller et venir, pas plus qu'elle ne s'oppose aux droits de la défense. Sans ces libertés, sans ces droits, il n'y a pas de véritable sécurité.
    Avant même d'en venir à la défense de notre exception d'irrecevabilité qui, comme vous le constaterez, se justifie tout particulièrement au regard du texte que vous nous soumettez aujourd'hui, je souhaite évoquer, sans même faire allusion aux problèmes constitutionnels que posent les amendements défendus par la majorité, le contexte dans lequel a lieu notre débat.
    La situation internationale est tendue, le risque de guerre en Irak est grand, la position de la France est ambiguë. Tout cela peut nourrir des risques particuliers, dont la menace terroriste qui pèse déjà depuis plusieurs mois et reste malheureusement d'une grande actualité. Cela vous oblige à prendre des mesures de précaution. Cela nous oblige tous à la plus grande responsabilité.
    Mais cela ne peut pas pour autant nous conduire à décalquer en matière de sécurité publique les procédures exceptionnelles justifiées par le risque terroriste. Les moyens mis au service de la lutte anti-terroriste, pour une durée que chacun de nous ici espère la plus limitée possible, ne peuvent être confondus avec une politique de fond contre la violence.
    J'ai souhaité ne pas oublier cette dimension dans notre débat et en fixer dès à présent les limites.
    Je voudrais aussi, avant d'examiner votre texte, rappeler combien cette question de la sécurité est importante pour la gauche. L'insécurité est l'une, pour ne pas dire, dans beaucoup d'endroits, la première des préoccupations des Français. Le développement des actes de violence atteint un niveau insupportable dans notre pays, ce que confirment les chiffres que vous avez rendus publics hier. Ce niveau exaspère légitimement celles et ceux qui en sont directement victimes et suscite une angoisse collective dans toute la société. Il est porteur de nombreux dangers : ségrégation des populations, repli sur soi, peur de la jeunesse, dislocation sociale. Nos concitoyens attendent donc des réponses concrètes et efficaces, et c'est là que semble résider l'origine d'une première divergence de fond entre les approches que nous pouvons défendre.
    Les déclarations fracassantes, les mesures peu cohérentes et désordonnées ne trompent personne. L'idéologie du « tout répressif », la fuite en avant vers une logique d'enfermement et de développement des services de sécurité privés conduisent inéluctablement à l'échec mais aussi au développement des inégalités en permettant de surprotéger des réserves de puissants quand une partie de la population est abandonnée à la violence et au désordre, condamnée à l'assistance.
    Cette gestion à court terme aboutira à un certain ordre social où les uns seront toujours en République, libres de leurs libertés préservées, tandis que les autres seront toujours pauvres, condamnés au repli et livrés à l'amalgame entretenu depuis des années entre insécurité, pauvreté, jeunesse et immigration.
    Nous ne nous résignons pas à la perspective d'une France coupée en deux. Pour nous, l'insécurité n'est pas une fatalité à laquelle chacun devrait adapter son mode de vie. Un combat efficace contre l'insécurité ne se conçoit pas sans être adossé à un projet de transformation sociale et de plein-emploi. N'avez-vous pas l'impression qu'il manque quelque chose d'important dans l'action du Gouvernement, à quoi vous pourriez adosser votre volonté ?
    La violence dans notre société est la résultante de l'augmentation des inégalités, des effets durables d'une crise que la reprise économique n'a pas effacée, de la perte des repères républicains, mais aussi de la violence faite aux individus par les ravages d'une société de consommation exacerbée et débridée. Vous avez tort de nier les effets qu'a produits notre système en matière de violence ; ils sont incontestables et nous devons aujourd'hui lutter pour y remédier.
    Face à cette situation, rien ne peut être simple et la sécurité ne peut relever que d'une priorité nationale. Pour notre part, nous pensons que celle-ci exige une mobilisation générale et qu'il convient aujourd'hui d'agir selon une double nécessité.
    Il convient, d'abord, de combattre les comportements violents, que rien ne peut excuser ni justifier. D'ailleurs, ceux-ci sont très souvent porteurs de tout ce que nous combattons : l'argent sale, le profit maximum, la loi du plus fort. Il importe, ensuite de combattre les causes sociales de la violence et tout ce qui constitue le terreau favorable à l'entrée dans la délinquance.
    Depuis 1997, une politique nouvelle et ambitieuse, fondée sur un bouleversement conceptuel de la politique de sécurité, a été mise en place.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. On en a vu le résultat !
    M. Bruno Le Roux. Vous avez d'ailleurs placé vos premiers pas dans ce sillon. S'agissant, par exemple, de la police nationale, sur laquelle je reviendrai tout à l'heure, les moyens que vous lui accordez représentent une rupture, mais vous vous inscrivez dans la continuité de la réforme impulsée en 1997. Je ne vous reproche pas de vous placer dans le sillon qui a été tracé depuis 1997 : je fais simplement la constatation.
    M. Michel Terrot. N'insultez pas le ministre !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Il va certainement voter le texte, puisque je suis dans le sillon ! (Sourires.)
    M. Bruno Le Roux. J'en voterai au moins quelques articles. Mais il serait étonnant que je vote le texte dans son ensemble, à moins que vous n'acceptiez des amendements importants.
    Cette politique repose sur une approche globale mobilisant toutes les formes de réponse aux actes de délinquance, sur une démarche partenariale associant l'Etat à l'ensemble des acteurs et des partenaires de la politique de sécurité et, enfin, sur une démarche de proximité pour agir au plus près des attentes de nos concitoyens.
    Les contrats locaux de sécurité, la police et la justice de proximité...
    M. Guy Geoffroy. Vous n'en vouliez pas !
    M. Bruno Le Roux. ... ont traduit cette volonté en actes. Des moyens financiers et humains nouveaux ont été mobilisés, dont nous avons constaté les effets réels mais aussi, malheureusement, les limites.
    Aujourd'hui, il faut continuer, persévérer dans l'action. Or, avec votre projet, vous ne préparez pas notre pays à cette mobilisation générale contre l'insécurité.
    Il ne s'agit pas d'inventer de nouveaux dispositifs se superposant à l'existant, mais de mettre en place les moyens opérationnels nécessaires pour gagner la bataille de la lutte contre la violence.
    M. Manuel Valls. Très juste !
    M. Bruno Le Roux. Avec votre projet de loi, vous ne contribuez pas à redonner un sens à la République,...
    M. Manuel Valls. C'est évident !
    M. Bruno Leroux. ... aux droits et aux devoirs qu'elle impose à tous, au respect des règles et au civisme qui permettent de vivre tous ensemble.
    Trois principes devraient guider une puissance publique volontaire et ambitieuse dans son combat contre l'insécurité et ses causes.
    D'abord, la précocité : agir le plus tôt possible, à la première alerte, en apportant tout de suite une réponse.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Nous avons un nouveau Julien Dray !
    M. Bruno Le Roux. Ensuite, l'intensité : mobiliser tous les moyens en même temps.
    Enfin, la continuité : agir dans la durée.
    C'est dans cet esprit que nous voulons répondre aux interpellations de nos concitoyens. C'est en utilisant cette méthode qu'il apparaît possible de traiter les problèmes qui se posent aujourd'hui à notre société et de prévenir ceux qu'elle est susceptible de connaître demain.
    Quant à vous, monsieur le ministre, vous semblez avoir une autre philosophie.
    M. Ghislain Bray. Elle est réaliste !
    M. Bruno Le Roux. Après une campagne électorale fondée uniquement sur la question de la sécurité, qu'elle est aujourd'hui votre mission au sein du Gouvernement ?
    M. Ghislain Bray. Remettre de l'ordre !
    M. Bruno Le Roux. Remettre de l'ordre au Gouvernement ? Cela viendra en son temps, vous verrez. Pour l'instant, je crois que cette mission est tout autre.
    Comme vous nous l'avez dit en commission, monsieur le ministre, vous croyez aux discours compréhensibles par le plus grand nombre. Cela semble vous autoriser beaucoup de caricatures - nous en avons entendu tout à l'heure -,...
    M. Guy Geoffroy. Vous êtes expert en la matière !
    M. Bruno Le Roux. ... beaucoup d'approximations et de simplifications. Vous entendez incarner à vous seul la politique de sécurité du Gouvernement.
    M. Bruno Le Roux. Là réside le principal problème.
    M. Guy Geoffroy. Pas du tout !
    M. Bruno Le Roux. Là réside le princuipal problème. Vous considérez la police, la gendarmerie et les sociétés de sécurité comme pouvant apporter une réponse globale à l'insécurité, alors que ces hommes et ces femmes, dont le travail est nécessaire et reconnu dans une chaîne globale, n'assurent, et c'est d'ailleurs ce qu'on leur demande, qu'une infime partie de la chaîne de la lutte contre la violence. Pensez-vous donc réellement que l'éducation, la ville, l'emploi, le logement, la culture et le sport - j'en oublie certainement - n'ont aucun rôle à jouer pour que baisse le niveau de violence de notre société et pour que recule l'insécurité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Manuel Valls. Très bonne question !
    M. Michel Terrot. Quel angélisme !
    M. Bruno Le Roux. Je pense que vous le savez bien, mais vous êtes dans le rôle de celui qui doit incarner la lutte contre l'insécurité au sein d'un gouvernement qui n'a pas fait le choix de la lutte contre la violence dans notre société...
    Mme Nadine Morano. Et vous, qu'avez-vous fait ?
    M. Bruno Le Roux. ... pas plus qu'il n'a fait le choix, ce qu'il n'avait d'ailleurs pas promis de faire, de la lutte contre les inégalités.
    Mme Nadine Morano. On connaît vos résultats !
    M. Bruno Le Roux. Voilà pourquoi vous devez incarner la sécurité, avec l'espoir que votre volonté et votre activisme feront illusion le plus longtemps possible, surtout grâce à cet enchaînement médiatique qui semble vous inquiéter vous-même car, si j'en crois la presse de la semaine dernière, vous avez déclaré : « En 2003, si je ne m'agite pas autant qu'en 2002, on va croire que je ne fais plus rien. »
    Monsieur le ministre, il faut quelquefois savoir prendre le temps de poser les problèmes, pour leur apporter des réponses cohérentes, globales, mobilisant tout un gouvernement, et pas simplement la police, le gendarmerie ou les sociétés de sécurité.
    Vous avez décidé d'axer tous les efforts sur une visible reprise en main de la rue, en faisant croire qu'on s'attaque là à l'insécurité la plus grave. En réalité, votre projet de loi vise ni plus ni moins à éliminer ceux qui peuvent gêner en renvoyant une image jugée déplaisante de notre société : prostituées, mendiants, gens du voyage, étrangers délinquants, groupes de jeunes dans les halls d'immeuble ou vendeurs d'aliments à emporter. Cet inventaire classe, répertorie, distingue les bons citoyens des mauvais.
    M. Guy Geoffroy. Oh la la !
    M. Michel Terrot. Qu'est-ce qu'il raconte ?
    M. Bruno Le Roux. Aujourd'hui, en renforçant considérablement les pouvoirs des policiers en matière de contrôle d'identité, en pénalisant la prostitution, certaines formes de mendicité, le stationnement des gens du voyage, les regroupements dans les halls d'immeuble, les fast food, croyez-vous vraiment répondre à la peur d'une partie de la population et pensez-vous réellement défendre ses droits dans la durée ?
    Vous souhaitez, vous promettez de nouvelles lois pour la tranquillité publique alors même que l'inflation des règles encadrant l'exercice des libertés publiques et parfois même la vie privée des individus suscite l'inquiétude de notre société démocratique, comme l'avait déjà analysé en 1991 le Conseil d'Etat dans son rapport annuel.
    Même quand il n'y a pas d'infraction, la police peut intervenir si certains comportements troublent la tranquillité publique. Alors, pourquoi toute cette agitation ? Pourquoi toutes ces nouvelles incriminations, si ce n'est pour brandir devant l'opinion publique la politique mise en oeuvre, dont je pense qu'elle ne pourra atteindre l'objectif que vous lui fixez ?
    Monsieur le ministre, un Etat fort a rarement besoin de montrer sa force et de l'utiliser : les citoyens comprennent qu'il tire sa légitimité de sa capacité à faire respecter les droits de tous et à établir un juste équilibre entre ces droits et les nécessités de l'ordre. Un Etat fort sait mobiliser toutes les ressources de la puissance publique pour assurer cet équilibre. Par contre, un Etat faible ne parvient pas à trouver cet équilibre. Il lui faut donc se doter de moyens nouveaux pour prouver qu'il veut protéger tous les citoyens.
    Aujourd'hui, votre démarche s'accompagne de plus d'une médiatisation intense. Fait-elle illusion ? Peut-être, pour l'instant. Mais tous les observateurs de la vie publique savent que vos nouvelles mesures ne parviendront pas à rétablir la paix sociale.
    Vous évoquez les populations les plus défavorisées. Mais je peux vous assurer que leur véritable protection consiste à tout mettre en oeuvre pour que des faits de délinquance quotidienne ne se produisent pas. Il ne s'agit pas simplement de la prévention, malheureusement tant caricaturée : il s'agit aussi de la politique de la ville, de la lutte contre les communautarismes, l'illettrisme et la pauvreté. Il s'agit encore d'une politique de l'habitat et de l'emploi permettant à tous d'avoir accès aux droits affirmés dans nos textes.
    M. Michel Terrot. Que ne l'avez-vous fait ?
    M. Bruno Le Roux. Bref, il s'agit d'une politique de longue haleine. Il faut l'entreprendre. La gesticulation actuelle tourne le dos à cette démarche. Elle satisfait les policiers, elle se veut rassurante envers les victimes défavorisées, mais elle ne peut avoir d'autres résultats que ceux d'une vaste opération « coup de poing » difficilement pérennisable.
    L'orientation de votre projet, monsieur le ministre, constitue en elle-même une régression par rapport à l'accumulation d'expériences concernant la lutte contre l'insécurité.
    Les policiers affirment régulièrement qu'ils n'ont pas assez de pouvoirs. Il se trouve toujours une opinion publique pour réclamer plus de répression et une partie de la magistrature pour aller dans le même sens. Or, si les magistrats sont conscients qu'il faut protéger les victimes, ils savent aussi que la pénalisation outrancière n'a jamais constitué une solution satisfaisante.
    D'ailleurs, toute l'évolution du droit pénal et de la procédure pénale consiste à diversifier et à civiliser les peines, précisément afin d'éviter l'enfermement. Contrecarrer cette évolution marque incontestablement une régression.
    Augmenter les pouvoirs de la police, c'est rompre le fragile équilibre entre les parties, entre les pouvoirs de la partie poursuivante et les droits de la personne poursuivie. C'est renforcer les pouvoirs de l'Etat alors que les textes actuels suffisent amplement à poursuivre les fauteurs de troubles.
    A chaque fois que, à propos d'un article de votre projet, vous nous donnerez des exemples de l'impossibilité d'agir, nous vous montrerons, en nous fondant sur le code pénal et le code de procédure pénale, comment on peut agir aujourd'hui.
    Il est vrai que, souvent, ce qui manque dans le code de procédure pénale et dans le code pénal, ce sont les moyens donnés à la police. Mais vous préférez changer les droits de la police plutôt que de lui donner des moyens. Cela ne nous semble pas juste.
    M. Guy Geoffroy. Et la LOPSI ?
    M. Ghislain Bray. Il ne l'a pas lue !
    M. Bruno Le Roux. Dans votre texte, vous ne trouvez pas l'équilibre. Il prévoit un recours abusif à la force, dans un conditionnement médiatique où vous faites constamment l'amalgame entre lutte contre le terrorisme, délinquance de voie publique et sentiment d'insécurité - ou plutôt sentiment réel d'insécurité. A cet égard, je ne reviendrai pas sur ce que vous avez dit tout à l'heure et qui me semble très juste, car il s'agit d'une dimension qui a souvent servi de paravent alors qu'elle reflète une vraie peur de nos populations.
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Quel reniement !
    M. Bruno Le Roux. Vous ne trouverez chez moi aucun reniement, mais je pourrais quant à moi, en me référant à plusieurs textes de la précédente législature, mettre en évidence plusieurs de vos reniements à vous.
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Je citerai le Journal officiel !
    M. Bruno Le Roux. Je ne pensais pas à un journal, mais à un livre que vous avez récemment écrit.
    La philosophie de ce projet de loi, sous prétexte de garantir la tranquillité des citoyens, est en réalité de promouvoir un ordre moral et répressif comme, en son temps, la loi sécurité et liberté de 1980, censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 12 janvier 1981.
    Votre loi ne laisse aucune place à la dimension préventive du traitement de la délinquance. Ses cibles sont bien identifiées. Il s'agit essentiellement de s'attaquer à ce qui est visible, quitte à négliger les phénomènes souterrains plus dangereux.
    La méthode du ministre de l'intérieur semble nouvelle ? C'est celle de tous ses prédécesseurs de droite :...
    M. Ghislain Bray. Ah oui ?
    M. Bruno Le Roux. ... la présomption de culpabilité, le cumul des interdictions administratives et pénales, la justification des pouvoirs de police par le maintien de l'ordre public, notion dont on connaît le caractère subjectif. Déjà, le nombre des détentions provisoires s'accroît, de même - et j'en suis préoccupé, comme vous sans doute, monsieur le ministre - que le nombre de suicides en prison. Vos projets de construction de prisons suffiront-ils après le vote d'une telle loi et compte tenu du nombre d'incriminations que vous préparez ?
    Je souhaite, dans une deuxième partie, vous prouver que les nouvelles incriminations que vous souhaitez créer, et qui se fondent sur une intention que nous pourrions partager, ne s'accompagnent pas d'une protection suffisante des droits de la défense et remettent en cause des pans entiers des libertés individuelles sans que l'on puisse pourtant espérer des améliorations pérennes en matière de sécurité. Je survolerai le texte de façon générale, sans entrer dans les raisons de son inconstitutionnalité, que je développerai dans une dernière partie.
    Concernant le titre Ier, relatif aux forces de sécurité intérieure et à la protection des personnes et des biens, les articles 1er et 2 renforçant les pouvoirs des préfets et élargissant la compétence des officiers de police judiciaire sont les symboles d'une volonté d'exercice des pleins pouvoirs de la part du ministère de l'intérieur. Je pense, monsieur le ministre, qu'ils sont à cet égard critiquables. D'abord, ils tendent à confisquer au seul profit des préfets le pouvoir de direction de fonctionnaires habilités en matière judiciaire, sans contrepartie en matière d'efficacité. Ensuite, ils entraînent une diminution drastique des pouvoirs de direction, de surveillance et de contrôle de la police judiciaire par l'autorité judiciaire. Enfin, ils risquent de développer une concurrence stérile, voire une désorganisation des enquêtes en raison de l'assouplissement des zones d'intervention.
    Rien n'est prévu quant au renforcement des pouvoirs des procureurs généraux et des procureurs de la République afin que l'efficacité que vous recherchez, à juste titre d'ailleurs, en ce qui concerne le maintien de l'ordre public ne se fasse pas au détriment des résultats en matière de police judiciaire.
    S'agissant des articles relatifs aux fouilles de véhicules, vous pérennisez et banalisez, en les étendant au vol et au recel, les dispositions que la loi sur la sécurité quotidienne limitait, à titre temporaire, aux infractions liées au terrorisme, au trafic d'armes et à certains trafics de stupéfiants.
    La Commission nationale consultative des droits de l'homme avait estimé, le 29 octobre 2001, que la durée d'application de ces mesures, prises pour un temps déterminé lié aux circonstances, était déjà trop longue. Aujourd'hui, vous les prolongez sans que nous ayons été saisis d'un rapport d'évaluation nous permettant de nous prononcer sur le bien-fondé du maintien ou de l'éventuelle modification du dispositif.
    Nous pensons que le champ d'action des procédures dérogatoires au droit commun doit être strictement circonscrit à la lutte contre le terrorisme et que celles-ci, si elles sont pérennisées, doivent être encadrées. Votre article 6, autorisant la visite de véhicules par la police judiciaire en cas de crimes et délits flagrants, ne respecte pas l'encadrement exigé par le Conseil constitutionnel ou par la jurisprudence de la chambre criminelle ; je reviendrai sur ce point dans ma dernière partie.
    Rien ne semble pourtant s'opposer à encadrer plus rigoureusement la visite des véhicules, en précisant les modalités qui doivent être respectées afin de garantir les droits de la défense et le secret professionnel, même lorsque l'agent de sécurité agit dans le cadre d'un flagrant délit.
    Nous ne comprenons pas, monsieur le ministre, pourquoi vous refusez d'aller jusqu'au bout de la logique en oeuvre derrière la création de ces incriminations, et de faire en sorte qu'elles correspondent à de véritables droits pour ceux qui sont en situation de se les voir opposer, afin de garantir les droits de la défense.
    L'article 7 prévoit de donner aux officiers de police judiciaire la possibilité de réaliser une visite de véhicule pour prévenir « une atteinte grave à la sécurité des personnes et des biens ». Nous pensons qu'il s'agit là - mais vous nous le confirmerez, monsieur le ministre - d'une notion se rapprochant de celle d'atteinte grave à l'ordre public, visée par le code pénal pour définir les actes de terrorisme. Des actes d'investigation et de contrainte deviennent possibles en police administrative, dans un cadre dérogatoire, pour justifier la visite de véhicules, par parallélisme avec les contrôles d'identité.
    Cette visite de véhicule, nous pensons qu'elle doit être précisée et encadrée, notamment en la replaçant dans le livre du code de procédure pénale traitant « de quelques procédures particulières ». Cela entraînera automatiquement l'obligation de respecter un minimum de formalités afin que cette visite ne porte atteinte, de façon injustifiable, ni aux droits de la défense, ni au secret professionnel, ni aux libertés individuelles. Là encore, il faudra sanctionner par la nullité tout détournement de procédure.
    Ce point est peut-être technique, mes chers collègues, mais il montre notre volonté de discuter le projet et de ne pas repousser ses dispositions sans essayer de les amender, afin que, tout en gardant leur efficacité, elles soient accompagnées d'une vraie protection des libertés et des droits de la défense.
    Venons-en au STIC et aux dispositions relatives aux fichiers. Le projet de loi traite de plusieurs fichiers, dont il étend systématiquement le champ des informations qu'ils contiennent. Quelle que soit sa nature d'origine, chaque fichier tend à devenir un fichier de police destiné à recevoir de plus en plus de données hétérogènes. De façon générale, sans nier l'intérêt des fichiers en matière de lutte contre la délinquance, et tout en souhaitant conserver leur efficacité, nous pensons qu'il est nécessaire de réintroduire un contrôle des informations stockées ainsi que des personnes habilitées à accéder aux données, de même que nous souhaitons qu'il soit fait référence à la loi de 1978 dite « Informatique et libertés ».
    Sur ce dossier, un nouveau déséquilibre résulte de votre projet. La loi définit les conditions d'entrée dans les fichiers mais renvoie à un décret pour ce qui concerne le retrait d'une information nominative. Dans un domaine touchant aux libertés publiques et individuelles, il apparaît nécessaire que la loi traite de l'ensemble de ces aspects.
    Nous rejoignons là encore l'avis de la commission consultative des droits de l'homme, qui demande, en conformité avec l'article 66 de la Constitution, que la loi soumette au contrôle du juge, et plus particulièrement du juge des libertés et de la détention, l'autorisation d'inscription des données fournissant des informations, sans limitation d'âge, sur les personnes à l'encontre desquelles sont réunies, lors de l'enquête préliminaire, de l'enquête de flagrance ou sur commission rogatoire, des indices ou des éléments graves et concordants attestant ou faisant présumer leur participation à la commission des faits objets de l'enquête. Compte tenu de l'importance de ce fichier et de son accès, un contrôle judiciaire constitue une garantie fondamentale.
    Il est également nécessaire de réintroduire dans votre texte les garanties préconisées par la CNIL dans ses décisions de 1998 et 2000, et que le décret actuellement en vigueur respecte, comme le traitement séparé des fonctions policières et statistiques, ou les régimes distincts des données selon qu'elles concernent ou non des victimes.
    Concernant les victimes, d'ailleurs, puisque le recueil d'informations nominatives est justifé dans ce cas par une détection plus facile des criminels en série, pourquoi ne pas le limiter à certains types d'affaires particulièrement graves ?
    Il est aussi nécessaire de reconnaître expressément un droit d'accès et de rectification à toute personne qui désire savoir si des renseignements la concernant figurent dans les fichiers de police informatisés, conformément aux articles 35 et 39 de la loi de 1978, tout comme il est important de clarifier les règles de purge de ces fichiers.
    Je pense, que l'effacement du nom des personnes mises en cause est nécessaire chaque fois qu'une décision définitive sur le fond est intervenue, exception faite, peut-être - et nous pourrons en discuter le moment venu -, des hypothèses où l'insuffisance de preuves motive un non-lieu ou un classement.
    Quant à l'accès au STIC, protégeons-le avec une sécurisation renforcée des informations, allant au-delà de l'obligation générale prévue par l'article 29 de la loi de 1978, et réservons-le aux officiers de police judiciaire doublement habilités par le procureur général, d'une part à exercer effectivement les fonctions et les attributions attachées à cette qualité, d'autre part à accéder aux données du STIC.
    L'article 13 autorise l'utilisation des fichiers dans le cadre d'enquêtes administratives. Il faut le supprimer car il contredit une préconisation solennelle de la CNIL, fondée sur le refus de la banalisation d'un fichier dont l'existence est justifiée par son utilité en police judiciaire et qui autorise les personnels administratifs à utiliser et à croiser des fichiers nominatifs.
    Je ne peux citer, faute de temps, tous les graves problèmes que peut entraîner ce fichier.
    M. Dino Cinieri. Quand on n'a rien à se reprocher, quand on a la conscience tranquille, on ne craint pas de figurer sur un fichier !
    M. Bruno Le Roux. On peut être fiché très jeune, dans le cas d'enquêtes administratives, pour des faits relativement bénins (« Mais non ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle) qui seront ainsi conservés tout au long de la vie.
    Nous vous donnerons des exemples. L'actualité de ces derniers jours a fait état de ce que l'on peut qualifier de bavures. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Attention : Mme Guigou s'est déjà risquée sur ce terrain !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ces accusations sont inacceptables ! Mme Guigou a pourtant déjà reçu une leçon ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Bruno Le Roux. Je n'accuse personne. J'affirme simplement que, quand on met un avocat en détention, ou bien quand on incarcère quelqu'un pendant plusieurs jours, qu'on le livre à l'opinion publique...
    M. André Gerin. Tout à fait !
    M. Bruno Le Roux. ... avant de l'innocenter quelques jours plus tard, certaines questions doivent être posées.(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Ces questions, nous les évoquerons en prenant des exemples qui iront à l'encontre de ceux que vous nous avez donnés.
    M. André Gerin. Absolument !
    M. Gérard Léonard. Ce n'est pas très glorieux !
    M. Guy Geoffroy. C'est le juge qui décide de l'incarcération, il ne faut pas l'oublier !
    M. André Gerin. La majorité n'apprécie pas !
    M. Bruno Le Roux. Concernant le fichier national des empreintes génétiques, il est là encore nécessaire de préciser un projet écrit sans précautions, afin de tenir compte du caractère intime des éléments conservés, fortement ressenti par nos concitoyens. En conséquence, il faut renforcer les précautions en s'inspirant de celles prévues pour le fichier informatisé des empreintes digitales ; placer le fichier des empreintes sous l'autorité du ministre de la justice ; s'assurer que le procureur de la République est à même d'exercer le contrôle qui lui revient sur la conservation des empreintes ; exiger de l'officier de police judiciaire qu'il mentionne dans un procès-verbal les motifs qui justifient le prélèvement biologique destiné à permettre l'analyse d'identification des personnes contrôlées ; prévoir une procédure d'effacement automatique des empreintes en cas d'erreur ; lier la durée de conservation des données génétiques aux délais de forclusion de l'action pénale ; enfin, limiter le recueil de données aux infractions graves et très graves - votre projet en donne au contraire une liste très large - pour éviter au FNAEG de faire double emploi avec des fichiers de police de type STIC, et le rendre le plus rapidement possible opérationnel.
    L'article 16 autorise les prélèvements externes en vue de vérification par un officier de police judiciaire. Là encore, des mesures d'encadrement doivent être prévues, que nous détaillerons au moment de la discussion de l'article. Sans abuser des considérations techniques, notons d'emblée que ces mesures devront se différencier selon le cadre de l'enquête dans lequel le prélèvement s'effectue : flagrance, enquête préliminaire hors flagrance ou exécution d'une commission rogatoire. On ne peut en effet pas imaginer que la procédure de prélèvement soit la même dans ces trois situations.
    J'en viens au chapitre consacré à la lutte contre la traite des êtres humains et le proxénétisme. Les dispositions qu'il regroupe sont la reprise quasiment intégrale par le Sénat du texte de la proposition de loi Lazerges-Vidalies, votée à l'unanimité en première lecture le 24 janvier 2002. Nous voterons en faveur de ces dispositions importantes, fruit d'un travail effectué pendant de nombreux mois sur le terrain. Nous pensons en effet qu'elles vont dans le bon sens.
    Seul manque l'article 2 de la proposition de loi Lazerges-Vidalies, sur la délivrance des cartes de séjour, dont une partie seulement a été reprise aux articles 29 et 39 bis de ce projet de loi. Nous souhaitons pour notre part, pour la cohérence du chapitre relatif à la traite des êtres humains, y placer l'intégralité de l'article 2 de la proposition de loi.
    J'en viens au chapitre consacré à la tranquillité et à la sécurité publique. Concernant la prostitution, monsieur le ministre, on ne protège pas les victimes en les mettant en prison. La prostitution doit faire l'objet d'une réflexion particulièrement approfondie de la part de notre société, à laquelle, d'ailleurs, notre assemblée travaille déjà. Après avoir entendu, il y a quelques minutes, la responsable de la délégation aux droits des femmes, et ayant, ces dernières semaines, pris connaissance du travail de notre assemblée sur cette question, je crois que nous aurions intérêt à la laisser travailler, afin d'élaborer un texte de loi susceptible de résoudre la question, de lutter contre le proxénétisme et de permettre aux prostituées de sortir du système. Telle qu'elle est rédigée aujourd'hui, votre loi ne peut être que la source de profondes inégalités et génératrice de clandestinité.
    M. Gabriel Biancheri. Mais non, vous rêvez !
    M. Dino Cinieri. Ils ne vont pas sur le terrain, ces députés-là !
    M. Bruno Le Roux. Mes chers collègues, c'est ce qu'affirment tous ceux qui travaillent sur cette question. Bien sûr, et le ministre a raison sur ce point, nos concitoyens qui vivent cette prostitution en bas de leurs immeubles ne le perçoivent pas ainsi. On comprend leur souffance, ne serait-ce que par l'image renvoyée à leurs enfants. Mais nous pensons qu'il vaudrait peut-être mieux, le travail étant déjà bien engagé, proposer un texte de loi véritablement réfléchi plutôt que d'évacuer le problème par une mesure qui chassera la prostitution d'un certain nombre de sites mais la renverra à la clandestinité, aux réseaux, à tout ce qui est souterrain, rendant peut-être le travail plus difficile à ceux qui travaillent au quotidien auprès des prostituées et connaissent les souffrances qu'elles endurent. Alors qu'elles attendent beaucoup de la réflexion menée au sein des assemblées parlementaires sur cette question, les associations vont voir leur travail compliqué par l'adoption de votre texte.
    J'en arrive à l'interdiction d'installation sans autorisation sur un espace privé ou public. Elle vise quasiment exclusivement les gens du voyage et les pénalise tout particulièrement dans la mesure où la sanction, six mois d'emprisonnement et 3 750 euros d'amende, peut être assortie d'une confiscation du véhicule, c'est-à-dire du lieu d'habitation, ou du retrait du permis de conduire le véhicule qui permet de tracter l'habitation. Face à cette rigueur, le non-respect des obligations légales par les communes n'est susceptible, lui, que de sanctions légères. L'absence fréquente d'aire de stationnement spécifique dans les communes ou la suroccupation des aires aménagées semblent souvent à l'origine des occupations indues de propriétés publiques ou privées. Monsieur le ministre, nous pouvons travailler ensemble sur ce chapitre et essayer d'avancer. Ce que vous avez dit tout à l'heure n'a d'ailleurs pas soulevé l'enthousiasme sur les bancs de votre majorité...
    M. Gérard Léonard. Mais si !
    M. Bruno Le Roux. ... car vous avez rappelé que les mesures ne pourraient s'appliquer que pour les communes qui ont rempli leurs obligations.
    M. Guy Geoffroy. C'est l'équilibre élémentaire !
    M. Bruno Le Roux. De votre place, monsieur Geoffroy, vous ne pouvez pas voir les membres de votre groupe, mais nous, nous les regardions tout à l'heure quand le ministre a parlé.
    Sur cette base, pour que les communes qui ont rempli leurs obligations puissent éviter de voir leurs terrains envahis, de même que les propriétés privées, nous pouvons essayer de travailler à compléter la loi Besson, en respectant l'intégrité des gens du voyage et leurs traditions, que vous avez fort justement rappelées tout à l'heure. Nous y sommes prêts, quant à nous.
    S'agissant de la protection des cages d'escalier et de la création d'un véritable délit d'entrave, la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne avait visé l'efficacité plutôt que la répression affichée, et inséré en conséquence ces dispositions dans le code de la construction et de l'habitat. Je pense que ce texte avait en outre l'avantage d'inciter les propriétaires à remplir leurs obligations en matière d'aménagement et de gestion des immeubles et de les dissuader de faire appel aux forces de sécurité pour s'affranchir de ces obligations.

    La façon dont vous réagissez à cette question, monsieur le ministre, pose un véritable problème. Nous avont déjà eu ce débat il y a quelques mois : doit-on demander à la police d'intervenir chaque fois qu'il y a un problème d'occupation dû à une mauvaise gestion de l'espace public ? Pourquoi l'intervention de la police et l'application des peines que vous proposez ne seraient-elles pas limitées aux endroits où les bailleurs ont respecté leurs obligations ? Aujourd'hui, il suffit de se promener dans beaucoup de nos villes pour voir des attroupements ou pour constater des faits plus graves, mais certains immeubles ne sont plus gérés. Ils sont laissés à l'abandon, sans personnel et sans gardiens. Nous sommes prêts à travailler sur ce sujet, parce que l'occupation des halls n'est pas une gestion normale de l'espace public ! Il faut y réfléchir, mais il n'est pas bon de créer une incrimination aussi générale. Nous avons déjà eu ce débat ici à l'initiative de Jean-Pierre Blazy, il y a un an.
    S'agissant de la création du délit d'exploitation de la mendicité, rappelons que celle-ci a été dépénalisée par le nouveau code pénal entré en vigueur en 1994, qui ne punit plus que la provocation d'un mineur à la mendicité. Par souci de cohérence avec l'introduction de dispositions relatives à l'exploitation de la mendicité dans le chapitre relatif à l'esclavage moderne, il conviendra de supprimer cet article. De même, nous devons supprimer l'infraction lorsque la personne qui mendie est en état de nécessité et énoncer le principe que nul ne peut être poursuivi pour avoir mendié ou cherché un abri.
    Je viens de faire un tour d'horizon des mesures suscitant le plus d'observations de notre part. Pour le reste, dans certains cas, nous réfuterons vos arguments parce qu'il ne nous semblent pas correspondre à la réalité ; dans beaucoup d'autres cas, nous essayerons de confronter nos discours et d'encadrer les textes que vous nous proposez, parce qu'ils nous semblent déséquilibrés, et nous vous demanderons aussi d'engager une réflexion plus profonde au sein de notre assemblée pour élaborer des textes plus performants. Votre discours de tout à l'heure a un peu modifié l'idée que vous aviez donnée de votre point de vue ces dernières semaines. Nous avions en effet l'impression jusqu'à présent que vous considériez la police comme le remède à tous les maux de notre société, notamment à toutes les questions d'insécurité.
    M. Guy Geoffroy. Mais non !
    M. Gérard Léonard. C'est un faux procès ! C'est trop facile !
    M. Bruno Le Roux. J'ai pris quelques précautions avant de dire cela, monsieur Léonard. Nous serons attentifs à ces questions qui touchent à la prévention et à la mobilisation du Gouvernement en matière de lutte contre la violence. Pour l'instant vous n'avez donné aucun signe concret allant dans cette direction.
    Pour vous donner des idées, monsieur le ministre, je vous rappelle que d'autres propositions sont possibles. Après avoir caractérisé la philosophie générale de votre texte et avant de développer plus longuement les différentes sources d'inconstitutionnalité qu'il recèle, il m'apparaît nécessaire de formuler quelques propositions qui traduisent bien les différences que nous pouvons avoir quant à la vision globale de la lutte contre l'insécurité. Mon cadre sera plus large que votre texte. J'aborderai les différentes facettes de la lutte contre la violence, en y joignant des propositions.
    Mais commençons par le commencement : l'école. Les instituteurs et de nombreux professionnels disent repérer très tôt chez les enfants des troubles ou des souffrances qui risquent de se transformer plus tard en violences. Il faut agir dès ce moment.
    M. Guy Geoffroy. Que ne l'avez-vous fait !
    M. Bruno Le Roux. Les moyens ont déjà été augmentés dans les écoles, mais c'est encore insuffisant et il faut poursuivre dans cette voie.
    M. Guy Geoffroy. Ce n'est pas un problème de moyens !
    M. Bruno Le Roux. Il est nécessaire de mettre en place un dépistage systématique des troubles du comportement des enfants ainsi que des difficultés familiales et sociales dès l'école primaire, avec la création de cellules sociales intervenant dans chaque école. Ces cellules seraient chargées non seulement de repérer les enfants en difficulté, mais aussi d'effectuer le suivi de préconisations comme des soins médicaux et psychologiques, l'intervention auprès de la famille ou le tutorat par un adulte référent. L'école n'est plus simplement la cible de violences venues de l'extérieur. Le vandalisme, les agressions, le racket se produisent désormais entre élèves, dans l'enceinte même des établissements. Le renforcement de l'encadrement adulte, qui ne semble d'ailleurs pas être aujourd'hui la priorité du ministre de l'éducation nationale,...
    M. Guy Geoffroy. Mais si !
    M. Bruno Le Roux. ... la stabilisation des équipes pédagogiques, les actions de prévention des violences scolaires ont fait évoluer la prise en compte de ces situations. Il serait, là encore, nécessaire de renforcer ces actions par une politique ambitieuse d'ouverture d'internats pédagogiques renforcés à partir du CM2 et du collège pour les élèves en situation de rupture, de mise en place de tutorats à travers un système de bourses permettant à des adultes référents, enseignants ou éducateurs retraités notamment, de prendre en charge le suivi scolaire des enfants en difficulté, ou encore par la poursuite du développement des classes-relais et la lutte contre la déscolarisation des moins de seize ans et l'absentéisme, en repérant les situations de rupture éducative précoce et en proposant les réponses individualisées indispensables. Voilà pour l'école.
    J'en viens à la famille. Elle s'est profondément transformée ces vingt dernières années. La stabilité et la taille des cellules familiales, le rapport à l'autorité ont été bouleversés. Les effets du chômage ont amplifié les conséquences sur le plan des rapports éducatifs. Face à cette évolution lourde de la société, l'enjeu est bien d'identifier sur qui reposent les responsabilités parentales à l'égard des enfants et de veiller à leur exercice concret. Plutôt que de montrer du doigt les parents défaillants, qui peuvent déjà être sanctionnés en cas de manquement grave à leur rôle, il faut reconnaître que les parents sont souvent désemparés et leur donner des points d'appui leur permettant de retrouver l'initiative dans l'éducation de leurs enfants. Des modifications législatives importantes ont déjà permis de clarifier et de faire partager l'exercice de la responsabilité parentale. Il s'agit à présent de se donner les moyens d'aider les parents à investir pleinement leur mission éducative. Pour cela, une nouvelle politique familiale doit permettre, au-delà des allocations versées aux parents, de soutenir les associations et les villes, de développer les services collectifs d'aide aux familles du type « école des parents », pour citer le plus connu.
    Après la famille, le quartier. Une « socialisation délinquante » s'est installée dans de nombreux quartiers. L'initiation commence dans la rue, les cages d'escaliers et les caves, où les enfants et les adolescents sont livrés à eux-mêmes. La forte augmentation de la délinquance juvénile a parfois conduit les esprits à transformer notre jeunesse en nouvel ennemi de l'intérieur. Une société qui a peur de ses enfants est une société qui va mal. Il nous faut bâtir collectivement pour la jeunesse autre chose qu'une condamnation passive au caïdat. Nous voulons rétablir autour de ces jeunes une présence adulte structurante qui les éduque, s'oppose à eux, les considère et les respecte de la même façon que nous attendons de nos enfants qu'ils respectent les règles élémentaires de la vie en société.
    Il nous faut réinventer une politique de la jeunesse ambitieuse, facilitant l'insertion de chacun, préventive et éducative, capable de transformer l'énergie, les talents, la révolte dont notre jeunesse est porteuse en démarche positive. Nous y réfléchissons pour vous faire des propositions. Il n'est d'ailleurs pas forcément nécessaire de légiférer. Cela doit passer par le développement des moyens d'éducation populaire, par la création de véritables maisons des jeunes du xxie siècle. Depuis Malraux, la gauche comme la droite n'ont pas su prendre des initiatives pour mobiliser la jeunesse et lui donner des structures lui permettant d'affronter son avenir, de développer l'apprentissage de la vie collective. A l'aube de ce nouveau siècle, avec les nouvelles technologies, les nouveaux besoins de la jeunesse, il est nécessaire de réfléchir à cette question.
    A cela s'ajoutent les effets d'une triple ségrégation, territoriale, sociale et quasi ethnique, qui ont abouti à installer de nombreux quartiers d'habitat social dans une logique de ghettos qui génère violence et délinquance. Des outils législatifs et des objectifs de renouvellement urbain ambitieux ont été définis par le précédent gouvernement. Casser les ghettos et mettre sur pied un développement harmonieux du logement social doivent rester des priorités qu'il convient de doter de moyens opérationnels adéquats. Il faut aussi poursuivre la redistribution des richesses entre les villes.
    Nous n'avons aucune difficulté à parler de la sanction. Depuis plusieurs années, elle est au coeur des interventions des députés de la majorité et des ministres de l'intérieur successifs. Bien entendu, il faut réfléchir à la sanction, car sans réponse ou sanction immédiate, les jeunes délinquants reçoivent le message qu'ils peuvent agir en toute impunité, les victimes sont délaissées et livrées à elles-mêmes, les parents ne se sentent pas soutenus. Nous avons affirmé une volonté claire : apporter une réponse proportionnée et effective dès le premier passage à l'acte, afin de responsabiliser son auteur et de prévenir la récidive. Le développement de la justice de proximité vise à atteindre cet objectif.
    M. Guy Geoffroy. Vous n'en vouliez pas !
    M. Bruno Le Roux. Des moyens nouveaux doivent être mobilisés pour compléter les nouvelles procédures judiciaires. Une échelle de sanctions claire et lisible, proportionnée à la gravité des actes de délinquance, doit être affirmée et appliquée. Il faut une sanction ou une mesure adaptée à chaque situation. Pour les incriminations que vous créez, ce n'est pas le cas. Ensuite, il faut veiller à ce que l'auteur de violences répare le préjudice subi par la victime ou par la collectivité en créant notamment - on peut y réfléchir -, un service chargé de la réparation dans chaque parquet autour d'un magistrat affecté à temps plein à l'organisation de l'exécution des mesures de réparation. Il ne faut pas non plus oublier les mesures d'éloignement qui permettent une mise à l'écart du délinquant et une rupture temporaire avec son quartier d'origine. Enfin, l'enfermement peut être nécessaire, à condition que le passage en prison retrouve tout son sens et permette une reconstruction individuelle.
    Permettez-moi de profiter de l'occastion pour dire quelques mots sur les prisons. Une nouvelle prise de conscience, notamment grâce au travail de notre assemblée et du Sénat, s'est fait jour autour des réalités de l'univers carcéral et de l'état de délabrement dans lequel se trouvent les prisons françaises. Nos prisons sont devenues criminogènes. Les dégâts sont énormes : récidive, état de hargne des détenus, violences, caïds endurcis. Nous voulons reconstruire un système pénitentiaire digne du pays des droits de l'homme. Nous étions tous d'accord pour le faire. Il y a quelques mois, un programme a été engagé par le prédécesseur de M. Perben. Malheureusement, il est aujourd'hui bloqué. Cela ne va pas dans le bon sens, monsieur le ministre. Les recommandations de cette assemblée, que nous avions adoptées à l'unanimité, ont l'air tout à fait oubliées aujourd'hui. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Michel Terrot. Et il dit cela sans honte !
    M. Bruno Le Roux. J'évoquerai maintenant brièvement l'argent de la drogue. Une économie mafieuse, alimentée par les trafics en tous genres, et en premier lieu celui de la drogue, gangrène la vie des cités. Autour de ce business les caïds font la loi, règlent leurs comptes, souvent avec des armes,...
    M. Michel Terrot. Eh oui !
    M. Bruno Le Roux. ... flirtent avec le grand banditisme, tiennent les populations sous leur coupe, attaquent toute présence « étrangère » sur « leur » territoire. Ils se présentent en modèles pour les plus jeunes, les enrôlent dans leurs trafics. Il faut se débarrasser de cette économie parallèle qui nourrit la violence et mine l'Etat de droit. Pour cela, il faut avant tout mettre l'accent sur le développement de la police judiciaire pour démanteler les trafics et lutter plus efficacement contre la naissance d'un nouveau grand banditisme. Monsieur le ministre, agir de la sorte, c'est tout sauf du « saute-dessus » ou des opérations conjointes police-médias. Peut-être ferez-vous un jour le bilan des opérations lourdes qui se sont déroulées ces derniers mois et des faibles résultats qu'elles ont eus. Comment expliquez-vous que la mobilisation de plusieurs centaines de policiers ait seulement permis de trouver quelques armes et quelques barrettes de shit, alors que le travail de fond de la police judiciaire mené pendant plusieurs semaines dans certains quartiers est parvenu à démanteler des réseaux entiers et à assainir ces quartiers ? Une prime est donc donnée au travail sérieux, à un vrai travail de police judiciaire, pas au « saute-dessus » ni aux opérations coup de poing. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Il faut accorder aux policiers un peu de temps - pas trop pour que les gens ne s'impatientent pas - pour qu'ils puissent faire de bonnes enquêtes, réussir de bonnes opérations.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Il ne fallait pas vous gêner pour le faire vous-mêmes !
    M. Bruno Le Roux. Les actions que vous avez engagées ces derniers mois ont porté peu de fruits, malgré le grand renfort de médiatisation dont vous les avez entourées. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jean-Louis Léonard. C'est faux, vous le savez bien !
    M. Guy Geoffroy. C'est une affirmation gratuite !
    M. Bruno Le Roux. Vous soutenez votre ministre, c'est votre travail !
    Quelques mots sur la police. Les policiers exercent un métier difficile. Ils sont particulièrement exposés au danger et aux violences urbaines. Le travail effectué par les fonctionnaires du service public de la police nationale et de la gendarmerie mérite la considération et le respect de l'ensemble de la société. La police de proximité a été une évolution majeure. Nous sommes passés d'une police conçue pour maintenir l'ordre et protéger les institutions à une police au service de la sécurité des citoyens. Ce mouvement de transformation profond est engagé... mais il reste fragile en raison des conditions dans lesquelles s'est mise en place la police de proximité : nombreux départs à la retraite, absence de redéploiement des effectifs, absence de déconcentration hiérarchique. La police de proximité a vocation non seulement à faire de l'îlotage, mais à élucider les faits de délinquance qui empoisonnent la vie de nos quartiers. Elle a besoin de moyens que vous ne semblez pas décidé à lui apporter, monsieur le ministre. Nous sommes inquiets de constater qu'à l'évolution des moyens donnés à la police nationale entre 1997 et 2002 ne succède pas une évolution de même nature pour le plan que vous avez annoncé, même si ces moyens ne régressent pas. Vous n'envisagez qu'une évolution des pouvoirs de la police nationale, à laquelle il est certes bon de réfléchir - et nous le ferons durant ce débat -, mais il faut aussi envisager un renforcement de ses moyens d'action.
    J'en viens aux victimes. Vous avez dit que personne n'en avait parlé, qu'elles avaient été les « grandes oubliées ». Je ne vous renverrai pas aux premiers textes les concernant et aux interventions de Robert Badinter, déjà anciennes, mais je vous rappelle que c'est sous la précédente législature qu'a été créé le Conseil national d'aide aux victimes qui fait aujourd'hui, avec les associations, un travail intéressant, performant, certes peu médiatisé, mais qui vise à remettre la victime au coeur de toutes nos problématiques et de nos réflexions en matière de sécurité. Derrière les chiffres et les statistiques de la délinquance, il y a avant tout celles et ceux qui ont été blessés dans leur chair ou dans leurs biens et qui, parfois, se sentent doublement victimes : victime des faits qu'ils ont subis et victime de la non-reconnaissance de leur préjudice par les institutions. L'idée que « , de toute façon, ça ne sert à rien de porter plainte » s'est ainsi peu à peu installée et, avec elle, une loi du silence qui entretient l'impunité des délinquants. La considération et la réparation dues aux victimes sont essentielles. Elle le sont d'autant plus que des violences subies qui n'ont pas été dites ou réparées peuvent se transformer en souffrances qui engendrent à leur tour la violence.
    Vous le voyez, monsieur le ministre, mon tour d'horizon des propositions a été rapide, compte tenu du temps limité de cette intervention (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), mais il montre bien que la question de la lutte contre la violence est complexe. Il montre aussi que celle-ci ne peut plus être différée. Aujourd'hui, nous vous enjoignons de faire de la lutte contre l'insécurité la priorité du Gouvernement,...
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ah !
    M. Bruno Le Roux. ... de convaincre le ministre de l'éducation nationale, le ministre de l'emploi, le ministre de la ville (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle !), le Premier ministre, qu'une véritable mobilisation nationale est nécessaire sur cette question. Nous avons l'impression que vous êtes là pour conduire un casting. J'ai dit parfois que vous étiez une étoile qui brille dans un gouvernement bien terne. Nous souhaitons que vous soyez capable de dire à vos collègues ministres que, tout seul, vous ne pourrez rien faire, et qu'il faut mobiliser les moyens de l'Etat pour assurer votre réussite. Nous sommes tous ici attachés au renforcement de la sécurité de nos concitoyens (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle)...
    M. Jean Charroppin. Nous sommes contents de vous l'entendre dire !
    M. Bruno Le Roux. ... et nous pourrons d'ailleurs certainement vous appuyer sur certains points. Nous vous écouterons en tout cas le moment venu.
    J'en viens, pour conclure, aux arguments sur l'inconstitutionnalité. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Guy Geoffroy. Il serait temps !
    M. Bruno Le Roux. Cela dit, je peux continuer, si vous le souhaitez ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Mme Martine David. Nous trouvons, quant à nous, que vous parlez très bien, monsieur Le Roux !
    M. Bruno Le Roux. Venons-en donc maintenant, mes chers collègues, aux arguments qui, j'en suis sûr, détermineront dans quelques minutes votre vote en faveur de cette exception d'irrecevabilité.
    Monsieur le ministre, c'est sur des dispositions que vous annoncez comme fondamentales que l'inconstitutionnalité saute aux yeux, ou tout au moins que le risque constitutionnel est très fort. Vous-même, lors du débat au Sénat, m'avez semblé évoquer la fragilité de votre texte de ce point de vue. Le rapporteur de la Haute Assemblée, M. Courtois, et notre rapporteur, M. Estrosi, se sont cru, quant à eux, obligés de développer en défense préventive toute une argumentation. Nombre de précautions ont donc été prises mais, dans les faits, elles constituent des leurres juridiques sans efficacité suffisante. L'imperfection de votre texte révèle la précipitation, mais également un mépris certain des principes constitutionnels et, accessoirement, un manque d'esprit pratique. Sur un sujet aussi important que la sécurité, on aurait pu attendre un texte mieux conçu, quitte à faire attendre un peu les médias (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Les citoyens, notamment les plus modestes, auraient ainsi bénéficié d'un travail bien fait.
    L'assise de notre argumentation sera l'exercice et la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis : droit à ne pas être arrêté ni détenu arbitrairement, liberté d'aller et venir, liberté corporelle, droit à disposer librement de son corps, inviolabilité du domicile, droits et libertés dont le contenu s'élargit au fil des décisions du Conseil constitutionnel, et ce depuis la décision du 12 janvier 1977 sur les fouilles de véhicules.
    Comme le Conseil constitutionnel, nous admettons bien évidemment des aménagements raisonnables et des limitations à ces droits et libertés (« Ah ! Tout de même ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle) pour tenir compte des objectifs à valeur constitutionnelle que sont la défense de l'ordre public et le respect de la liberté d'autrui. Mais, monsieur le ministre, du point de vue constitutionnel - et ce n'est pas le seul -, votre texte n'est pas clair, ou plutôt votre loi n'est pas intelligible, ce qui entraînera une forme inacceptable d'insécurité juridique. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    En effet, la valeur constitutionnelle de l'objectif d'intelligibilité de la loi est reconnue par le Conseil constitutionnel, par exemple dans sa décision du 19 décembre 2000 concernant une loi de financement de la sécurité sociale. Le Conseil distingue, d'une part, intelligibilité et complexité, laquelle peut être un élément d'inintelligibilité, mais n'est pas en soi suffisante, et, d'autre part, l'inintelligibilité et la sincérité, cette dernière notion restant plus particulièrement applicable aux lois de finances ou de financement.
    La clarté de votre projet de loi n'est pas en l'état suffisante et, au nombre des points dangereusement imprécis, j'en soulignerai certains.
    Je veux d'abord revenir sur les modalités d'un contrôle effectif par les procureurs de la police judiciaire suite à l'élargissement des zones. Plus les pouvoirs des policiers sont larges, plus les moyens dont les procureurs disposent doivent être précisés. Or on constate que le système en place, valable pour des zones plus étroites, reste inchangé.
    Sont donc insuffisants, les arguments selon lesquels le procureur général de la cour d'appel de rattachement reste compétent pour exercer un contrôle ou qu'un même procureur de la République continue à avoir la charge de la notation de fonctionnaires qui peuvent agir loin de sa zone de compétence. Sans renforcement particulier de votre texte, sans précision quant à l'organisation des contrôles hiérarchiques par un magistrat, et spécialement sans prévision de leur articulation sur le terrain, le contrôle constitutionnellement nécessaire de l'officier de police judiciaire risque de s'avérer théorique, alors qu'il doit pouvoir être effectif. Le fait que ce type d'organisation relève de la compétence du garde des sceaux n'est pas recevable mais prouve, s'il en était besoin, l'empiètement de votre texte sur ses compétences.
    A cet égard, je pourrais évoquer un autre critère constitutionnel : la lutte contre l'arbitraire et l'obligation de mettre sous tutelle effective de la justice la police judiciaire, en vertu de la décision du 18 janvier 1995 sur la LOPS.
    Je veux ensuite revenir sur le fait qu'il y a dans votre texte une confusion certaine entre fichiers et finalités administratives et judiciaires. La liberté individuelle est un principe fondamental garanti par les lois de la République, réaffirmé par l'article 66 de la Constitution, qui en confie la garde à l'autorité judiciaire.
    M. Michel Terrot. Le masque tombe ! Les socialistes ne veulent pas de fichiers !
    M. Bruno Le Roux. C'est sur le fondement de ces libertés essentielles que, dans une décision du 12 janvier 1977, le Conseil constitutionnel a censuré une loi qui, entre autres, donnait des pouvoirs étendus aux officiers de police judiciaire sans en préciser la nature, de police judiciaire ou de police administrative.
    Votre projet de loi permet, bien au-delà de l'acceptable, la consultation de fichiers de police judiciaire à des fins administratives ou pour l'exercice de missions ou d'interventions de sécurité qui n'ont pas de rapport direct avec la lutte contre le terrorisme.
    L'autorité administrative, qui n'est bien évidemment pas placée sous le contrôle de l'autorité judiciaire, est autorisée par la loi à prendre connaissance de fichiers de police judiciaire au contenu très large, puisqu'ils accumulent les renseignements sur les suspects. Ce type de disposition qui pourraient être considérées comme conférant à l'autorité préfectorale un pouvoir trop large, générateur d'arbitraire, a été condamné par la CNIL au nom de principes également défendus par le Conseil constitutionnel, puisque le contrôle des renseignements recueillis et de l'usage qui en sera fait n'est pas possible en pratique.
    En effet, la raison de l'interrogation par fichier est l'appréciation de la moralité d'une personne, ce qui implique un accès extrêmement large à des données parfois anciennes. Ainsi, la condition de « limitation nécessaire à la recherche » - décision du 29 juillet 1998 relative à la loi contre les exclusions - par les agents, fussent-ils habilités, n'est pas réaliste, le préfet restant dans l'incapacité de veiller à l'interprétation des renseignements recueillis et l'intéressé dans celle de se défendre, compte tenu de la façon dont sont conçus les fichiers de police du type STIC.
    Je veux par ailleurs souligner que votre texte pose un véritable problème de définition du suspect. La loi sur la présomption d'innocence rectifiée utilise une définition spécifique pour la mise en garde à vue d'un suspect à l'encontre duquel « il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner » qu'il a commis une infraction. Le projet de loi banalise l'expression en l'utilisant pour justifier le contrôle judiciaire ou la fouille de véhicules, par référence non plus à « des indices faisant présumer que », mais à « des raisons plausibles de soupçonner ».
    M. Bernard Roman. C'est une dénaturation !
    M. Bruno Le Roux. Concernant l'utilisation du fichier des empreintes génétiques, les deux notions sont utilisées : la notion classique, dont les vertus objectives ont été redécouvertes au Sénat pour justifier l'inscription des empreintes génétiques, et la notion par opposition plus subjective qui est utilisée par exemple pour justifier un rapprochement.
    M. Michel Terrot. Quel sophisme !
    M. Bruno Le Roux. De tels raffinements dans les distinctions juridiques ne sont pas de nature à conforter la sécurité juridique nécessaire à tous, citoyens justiciables ou professionnels. Ainsi l'existence de cette double définition du suspect en procédure pénale, qui se veut très certainement protectrice des libertés individuelles, devient-elle sans plus d'explications une source de confusion. Or les tribunaux devront donner de ces deux expressions des interprétations qui justifieront leur coexistence, sans que le législateur s'en soit expliqué comme c'est son devoir.
    Enfin, on peut aussi évoquer l'article 23 concernant l'extorsion de fonds, qui est punie de sept ans de prison sur le fondement des articles 312-1 et suivants du code pénal, et de six mois sur le fondement du nouvel article 312-12-1 du même code, sans que les différences de traitement se justifient par le jeu de circonstances atténuantes. Lorsque des faits identiques peuvent être sanctionnés de façon aussi différente, il faut s'interroger sur les risques d'inégalités devant la justice et d'arbitraire.
    Mais, monsieur le ministre, votre texte n'est pas seulement imprécis : il est aussi très clairement déséquilibré. Le Conseil constitutionnel ne manque jamais de rappeler que « la prévention d'atteintes à l'ordre public, notamment d'atteintes à la sécurité des personnes et des biens, et la recherche des auteurs d'infractions sont nécessaires à la sauvegarde de principes et droits à valeur constitutionnelle, et qu'il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre ces objectifs de valeur constitutionnelle et l'exercice des libertés publiques constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figurent la liberté individuelle, la liberté d'aller et venir, ainsi que l'inviolabilité du domicile, » et que, enfin, « la méconnaissance du droit au respect de la vie privée peut être de nature à porter atteinte à la liberté individuelle ».
    Dans le même ordre d'idée, il rappelle que le législateur assure la nécessaire conciliation entre le respect des libertés publiques et les moyens donnés à l'autorité judiciaire. Il exerce un contrôle effectif sur le respect des conditions de forme et de fond par lesquelles le législateur a entendu assurer cette conciliation. L'équilibre rechercé doit ainsi satisfaire à plusieurs impératifs : le respect des libertés publiques, la protection des personnes et des biens, qui constitue l'un des motifs précis permettant de les limiter, et enfin le contrôle effectif du judiciaire sur le policier, garantie incontournable des libertés publiques.
    S'agissant des fouilles de véhicules, le Conseil constitutionnel n'admet de restrictions aux libertés individuelles que pour des raisons précises et exceptionnelles. Le 12 janvier 1977, il a ainsi invalidé les dispositions autorisant des fouilles de véhicules insuffisamment encadrées hors flagrance et sans autorisation préalable d'un magistrat. Certes, le texte que vous nous proposez tient compte de cette jurisprudence, dans la mesure où il reprend des dispositions de la loi du 15 novembre 2001 prévoyant une autorisation de l'officier de police judiciaire par le procureur par voie de réquisition écrite. En revanche, en étendant la liste des infractions pouvant justifier les fouilles de véhicules au vol et au recel, qui sont des infractions plus banales, moins graves que celles prévues initialement, qui caractérisaient la criminalité organisée et le terrorisme, et, somme toute, très générales, le projet de loi procède à un glissement inexpliqué, d'autant plus difficile à admettre qu'est maintenue une validation de la procédure en cas de découverte d'infractions incidentes. Pratiquement, le simple soupçon de vol ou de recel permettra la fouille d'un véhicule de façon passablement arbitraire, voire le cas échéant la prise de connaissance de son contenu, même si l'infraction n'est pas encore prouvée. Le risque pour les libertés est dès lors évidemment excessif par rapport à l'enjeu. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Bien sûr !
    M. Michel Terrot. Les masques tombent à nouveau ! Les socialistes ne veulent pas qu'on fouille les véhicules ! Et la délinquance continuera à augmenter !
    M. Bruno Le Roux. Le Conseil constitutionnel, que nous saisirons sur ces questions,...
    M. Guy Geoffroy. Quelle surprise !
    M. Bruno Le Roux. ... jugera. Aujourd'hui, les libertés publiques ne nous semblent pas préservées. Je le dis d'autant plus librement que j'ai déjà indiqué au ministre que nous étions prêts à réfléchir aux différentes améliorations qui pouvaient être apportées à ce texte.
    Quant aux dispositions proposées pour éviter la fouille de véhicules servant de domicile, elles se révèlent insuffisantes à l'examen. Deux questions restent en suspens. Comment savoir avant la fouille si le véhicule sert ou non de résidence effective ? Et si à la fouille il apparaît que le véhicule est un domicile, quelles sont les conséquences ? Si une nullité explicite de la procédure n'est pas édictée, l'effet de cette précaution est réduit à néant.
    Le fichier STIC pose lui aussi des problèmes dans la mesure où de plus en plus de données peuvent y figurer sans qu'on puisse avoir une appréciation précise de leur exploitation. Cette lacune est d'autant plus inadmissible que la conservation des données ne fait pas l'objet d'une limitation dans le temps. Surtout, les informations qui y sont contenues, et qui peuvent concerner des mineurs de moins de dix ans, peuvent être utilisées dans le cadre, très large, d'enquêtes administratives de moralité.
    La CNIL s'y oppose mais seul le Conseil constitutionnel pourra annuler une telle disposition. Il n'y a pas de précédent, semble-t-il, mais l'idée selon laquelle l'administration va accéder à des données et à des informations inconnues de l'intéressé mais qui ont pour lui de grandes conséquences pourrait être considérée comme représentant une forme d'atteinte aux droits de la défense.
    S'agissant du fichier national automatisé des empreintes génétiques, celui-ci, tel qu'il a été conçu dans votre projet, va beaucoup plus loin que le fichier automatisé des empreintes digitales créé le 8 avril 1987, qui prévoit l'enregistrement des « empreintes relevées dans le cadre d'une enquête pour crime ou délit flagrant, d'une enquête préliminaire, d'une commission rogatoire ou de l'exécution d'un ordre de recherche délivré par une autorité judiciaire, lorsqu'elles concernent des personnes contre lesquelles des indices graves et concordants, de nature à motiver leur inculpation, auront été réunis, ou des personnes mises en cause dans la procédure pénale dont l'identification certaine s'avère nécessaire. »
    Pour reprendre les observations du Conseil constitutionnel, c'est précisément parce qu'il est plus étendu que le fichier des empreintes digitales que le FNAEG pose aujourd'hui un problème. Mais nous pourrons très certainement le résoudre ensemble grâce aux amendements que nous avons déposés. Il faut revenir sur la nature des infractions à l'occasion desquelles un prélèvement peut être effectué. Rappelons en outre que, pour les personnes non condamnées, les empreintes des témoins assistés pourront être relevées alors même qu'aucune interrogation ne pèse sur leur identité. Or l'assimilation du témoin assisté et du mis en examen dans un fichier de suspects constitue à tout le moins une régression portant atteinte à la présomption d'innocence.
    Il faut s'étonner de surcroît qu'un officier de police judiciaire puisse, de sa propre initiative, décider l'inscription d'une personne au FNAEG, lorsque celle-ci est facultative. En raison des conséquences possibles de cette inscription, la moindre des choses aurait été de confier l'affaire à un magistrat et de mettre l'intéressé en mesure de s'expliquer. Mais tel n'est pas le cas, et le fonctionnement nouveau de ce fichier des empreintes génétiques entraîne, je le répète, une atteinte grave à la présomption d'innocence et aux droits de la défense.
    En autorisant la conservation des empreintes génétiques de personnes non condamnées, le projet de loi ouvre une voie d'autant plus dangereuse que la procédure d'effacement est laissée à l'appréciation du procureur, dont la décision sera guidée non pas par la prise en compte des conséquences éventuelles pour la personne présumée innocente mais par la finalité du fichier dont on a déjà évoqué la nature sinon équivoque, du moins restant à préciser.
    Il faut enfin s'interroger sur la durée de conservation des informations génétiques, apparemment sans autre limite que le bon vouloir du parquet et quant à la procédure d'effacement. En laissant au Conseil d'Etat le soin de régler une question aussi essentielle, le législateur adopte une attitude particulièrement légère, d'autant qu'aucun encadrement du décret n'est prévu.
    Par ailleurs, le projet de loi vise à élargir la notion de racolage et à correctionnaliser la peine encourue. Le racolage actuellement punissable suppose soit une tenue vestimentaire soit un geste ou une parole de nature à inciter à des relations sexuelles. Le seul fait d'aller et venir sur le trottoir n'est pas en soi suffisant. Il devrait le devenir avec la loi nouvelle, dont les tenants se défendent de vouloir pour autant pénaliser la prostitution. Monsieur le ministre, nous vous demanderons d'apporter un certain nombre de précisions sur cet article 18 et sur le racolage passif. Cette qualification pourra-t-elle aussi viser par exemple le client ? L'incrimination que vous créez aujourd'hui ne vaudra-t-elle que pour certaines prostituées, celles que vous voulez faire sortir des réseaux ? J'ai entendu en effet le rapporteur expliquer que la loi serait appliquée avec discernement et ne concernerait que les prostituées d'origine étrangère, victimes de réseaux de proxénétisme.
    M. Gérard Léonard. Le rapporteur n'a jamais dit cela !
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Quand l'aurais-je dit ?
    M. Bruno Le Roux. Dans un reportage sur une chaîne de télévision cryptée !
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Elle devait être mal décryptée !
    M. Bruno Le Roux. En tout cas, je vous ai entendu exprimer ce point de vue, monsieur le rapporteur. Or il n'est pas raisonnable de prévoir une loi pour une catégorie de prostituées. En outre, la question de savoir si la pénalisation du client peut être introduite avec l'article 18 devra être clairement posée.
    Dès lors qu'une attitude « même passive » peut être constitutive de racolage et punie d'une peine d'emprisonnement, il faut s'inquiéter. Il ne paraît pas en effet que les éléments constitutifs de l'infraction soient suffisamment clairs. Ils souffrent au contraire d'une dangereuse imprécision et, dès lors que le principe de la légalité des délits et des peines n'est pas respecté, le texte proposé sera source d'arbitraire.
    S'agissant du retrait de la carte de séjour, le Conseil constitutionnel a rappelé, dans sa décision du 13 août 1993, que « si le législateur peut prendre à l'égard des étrangers des dispositions spécifiques, il lui appartient de respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République ; que, s'ils doivent être conciliés avec la sauvegarde de l'ordre public, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle, figurent, parmi ces droits et libertés, la liberté individuelle et la sûreté, notamment la liberté d'aller et venir, la liberté du mariage, le droit de mener une vie familiale normale [...] ».
    Dès lors, il faut s'interroger sur la validité d'une disposition qui prévoit la possibilité de retirer la carte de séjour à un étranger qui a commis des faits susceptibles de poursuites pénales graves avant même qu'il ait été poursuivi, ou simplement si son comportement a constitué une menace pour l'ordre public, sans autre précision.
    Le retrait de la carte de séjour temporaire, comme il constitue une sanction, ne peut être « infligé qu'à la condition que soient respectés le principe de l'égalité des délits et des peines, le principe de nécessité des peines, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale d'incrimination plus sévère ainsi que les droits de la défense. En effet, ces exigences ne concernent pas simplement les peines prononcées par des juridictions répressives, elles s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle ». C'est ce que précise le Conseil constitutionnel.
    Si cette précaution a été prise pour le retrait du titre de séjour aux personnes qui ont commis des fautes graves, tel n'est pas le cas pour ceux et celles auxquels peut être reproché une conduite troublant, même un peu seulement, l'ordre public ; il y a là un risque d'arbitraire certain.
    Du reste, la même décision de 1993 intervenant sur le problème, très proche, de la reconduite à la frontière assortie d'une interdiction de territoire a considéré que toute décision prise « sans égard à la gravité du comportement ayant motivé cet arrêté, sans possibilité d'en dispenser l'intéressé ni même d'en faire varier la durée » ne répondait pas « aux exigences de l'article 8 de la déclaration de 1789 ».
    Nous aurons l'occasion de développer à nouveau ces arguments d'inconstitutionnalité dans le débat, lors de l'examen de chaque article, d'abord pour vous présenter des propositions et ensuite pour faire en sorte que nous n'ayons pas à saisir le Conseil constitutionnel sur ces articles, parce que nos amendements préciseront leur sens et définiront bien les droits attachés aux incriminations et aux mesures proposées.
    Nous voulons, dans ce débat, certes, montrer que nos divergences sont profondes...
    M. Michel Terrot. Heureusement !
    M. Bruno Le Roux. ... mais aussi souligner que nous visons le même objectif que vous : améliorer la sécurité de nos concitoyens.
    Pour nous, vous le savez, lutter contre la délinquance, c'est le contraire d'exclure, de réprimer, de toujours incarcérer.
    M. Nicolas Perruchot. Ça a tellement bien marché !
    M. Bruno Le Roux. Pour nous, si la sanction est indispensable, elle ne suffit pas : elle doit être accompagnée d'actions de nature à empêcher l'entrée dans la délinquance, c'est-à-dire d'actions de prévention et d'éducation.
    Nous sommes favorables, monsieur le ministre, à toute mesure susceptible de rendre la lutte contre la délinquance plus efficace, qu'il s'agisse du renforcement des moyens en effectifs tant de la police nationale et de la gendarmerie, que de la justice, du renforcement des moyens matériels affectés à la sécurité quotidienne de nos concitoyens ou des actions susceptibles d'améliorer le fonctionnement de la justice, notamment afin de la rendre plus rapide.
    En revanche, nous ne pouvons accepter que, sous couvert de renforcer la sécurité de nos concitoyens, vous adoptiez des mesures conduisant de fait à stigmatiser certains plutôt que d'autres, surtout les plus pauvres, surtout les plus fragiles, surtout ceux qui vivent d'ores et déjà souvent en marge de notre société. (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Aujourd'hui, nos concitoyens expriment une demande très forte de lutte contre l'insécurité.
    M. Gabriel Biancheri. Eh oui !
    M. Bruno Le Roux. Je ne suis pas sûr que, à cet égard, ils trouvent des raisons de se réjouir dans votre projet. Certes, il est facile de dire que vous travaillez pour leur sécurité et que tout le contenu de ce texte est bon. Toutefois, il nous appartient de leur montrer que votre projet n'apportera pas grand-chose pour améliorer la sécurité dans nos quartiers. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. André Gerin. Ce texte est même dangereux !
    M. Bruno Le Roux. Vous oubliez en effet des pans entiers de l'indispensable politique à mener dans ce domaine. Ils sont pourtant évoqués aussi par nos concitoyens qui, s'ils souhaitent davantage de répression, veulent également plus d'éducation, de formation, d'emploi, de moyens pour restructurer les endroits les plus difficiles.
    M. Ghislain Bray. Pourquoi ne leur avez-vous pas donné tout ça ?
    M. Bruno Le Roux. Monsieur le ministre, votre projet de loi contient beaucoup de mesures soit inefficaces, soit inconstitutionnelles. C'est pourquoi je demande à l'Assemblée de voter l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur Le Roux, vous avez incontestablement atteint votre premier objectif, je vous en donne acte ; vous aviez choisi de faire long : pari gagné ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Alain Néri. Mme Boutin a fait mieux !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je ne répondrai pas à tous vos propos, monsieur Le Roux. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Mme la présidente. Laissez M. le ministre s'exprimer !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Pendant une heure et demie, je n'ai pas été couvert de compliments, c'est le moins qu'on puisse dire, et pourtant je n'ai pas protesté. Souffrez donc que je fasse un seul commentaire : ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément.
J'avoue ne pas avoir compris sur quoi reposait vraiment votre argumentation d'inconstitutionnalité. Nous pourrons cependant continuer la discussion sur ce sujet. En revanche, politiquement, votre intervention a été formidable. En effet, je ne sais pas si cela a été provoqué par la nécessité de tenir une heure et demie ou par la difficulté politique à choisir, mais dans votre discours, vous avez utilisé successivement les arguments avec un sens parfait de la contradiction.
    Dans un premier temps, vous avez ainsi soutenu que je ne serais qu'un pâle copieur. Le jugement est cruel, mais vous avez le droit de me reprocher cela. Je suivrais donc M. Vaillant ; je ne ferais que copier ce qui a déjà été engagé. Tel a été le premier temps de l'argumentation. Cela ne me plaît pas car c'est sévère à mon égard, mais c'est votre droit de le dire.
    Puis, dans un deuxième temps, de façon surprenante, ce projet, qui n'était que la simple copie de ce que vous avez fait ou de ce que vous auriez voulu faire sans avoir le temps de le réaliser, est devenu gravement attentatoire aux libertés. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) De copieur, je deviens dangereux, liberticide, j'attente aux valeurs de la République, je suis menacé des sanctions et des foudres du Conseil constitutionnel. A cet égard, monsieur Le Roux, je vous ai trouvé formidable dans votre défense et illustration du Conseil constitutionnel. Voilà, pour les socialistes, une conversion à laquelle nous ne nous attendions pas, après ce que nous avons entendu pendant cinq ans.
    Je me souviens en effet encore des commentaires de votre majorité, et même de certains ministres, à l'encontre du Conseil constitutionnel, qui avait eu le malheur de censurer une mesure instaurant une taxe sur la pollution. Alors que vous le considériez illégitime hier, quand vous étiez au pouvoir, aujourd'hui, pendant quarante-cinq minutes, vous avez souligné combien il était heureux qu'il existe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Monsieur Le Roux, à mon tour de vous dire : « Pas vous ! Pas ça ! Pas maintenant ! » (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Enfin dans un troisième temps, vous avez prétendu, avec une virtuosité intellectuelle extraordinaire, après avoir soutenu qu'il était une copie, puis qu'il était liberticide, que ce texte était vide de sens, qu'il n'avait aucune utilité et ne servirait à rien !
    Telles sont les trois séries d'arguments qui ont été présentés.
    Néanmoins, dans certaines parties de votre discours, vous avez dit que vous vouliez discuter. Je vous prends au mot : j'accepterai bien sûr la discussion, mais aussi les amendements chaque fois qu'ils seront...
    M. Alain Néri. C'est la moindre des choses !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je suis désolé : je ne suis pas obligé de les accepter.
    M. Alain Néri. Les amendements non, mais la discussion oui !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. J'accepterai donc les amendements chaque fois qu'ils seront constructifs.
    Monsieur Le Roux, vous avez indiqué que vous pourriez me suivre pour les nomades, pour peu que j'accepte certaines modifications. Vous avez dit que vous pourriez me suivre en ce qui concerne la prostitution, pour peu, là encore, que j'accepte certaines modifications. Vous avez aussi précisé que vous pourriez me suivre sur la disposition relative aux halls d'immeubles, sous réserve de certaines modifications. Fort bien ! Mais, samedi dernier, quand le parti socialiste appelait à manifester contre ce texte « liberticide », avez-vous indiqué à vos partenaires de la manifestation que vous vous exprimeriez ainsi trois jours plus tard, en vous déclarant prêt à discuter ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Avez-vous dit à ceux qui ont signé la motion exposant qu'il n'y avait rien de bon dans le projet que je présente aujourd'hui, que vous étiez prêt à le voter, à quelques modifications près ?
    Prenons par exemple le cas des halls d'immeubles. A ce propos, vous avez souligné à juste titre que si tant de jeunes y stationnaient, cela tenait peut-être au fait qu'il n'y avait pas assez de salles et qu'il faudrait conditionner la mesure à l'existence de salles réalisées par les bailleurs sociaux, par les mairies. Je suis prêt à vous prendre au mot, car j'estime qu'une telle mesure est intelligente, d'autant qu'elle est exactement inspirée de ce que je propose pour les nomades.
    N'hésitez donc pas à le dire aux autres signataires de l'appel à manifester, parce que cela est extrêmement intéressant.
    Par ailleurs, monsieur Le Roux, vous m'avez reproché de faire des déclarations fracassantes. Ayant du respect pour vous car nous avons l'habitude de travailler ensemble, même si nous ne partageons pas les mêmes convictions, je voudrais savoir quelles sont les déclarations fracassantes qu'on pourrait me reprocher, où, quand !
    Mme Martine David. Tous les jours !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je suis ministre de l'intérieur depuis huit mois et demi et j'aimerais que vous me citiez un mot, une phrase, une expression qui aurait été à vos yeux, monsieur Le Roux - et je ne mets pas en cause votre bonne foi -, contraire aux valeurs de notre République, une attitude, un discours, une proposition, un mot qui, si peu que ce soit, aurait été contraire aux valeurs républicaines. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Bernard Roman. « Fracassantes », ce n'est pas cela !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Est-ce quand j'ai parlé de la double peine ? Est-ce quand j'ai évoqué le problème des sans papiers ? Est-ce quand j'ai débattu avec Jean-Marie Le Pen ? Est-ce que, à un moment ou à un autre, j'ai donné le sentiment à des membres de la représentation nationale, de ne pas maîtriser les responsabilités et les devoirs de ma charge ?
    M. Bernard Roman. Cela n'a rien à voir !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Par ailleurs, vous savez, monsieur Le Roux, que nous sommes regardés, écoutés par les policiers et par les gendarmes. Or, depuis des semaines, j'entends le mot « bavure » ; depuis des mois, on essaie de me « coller », avec quelque gourmandise, la première bavure.
    M. Jean-Christophe Lagarde. A Bondy, par exemple ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Gilbert Meyer. Laissez le ministre répondre !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. A la télévision, devant six millions de téléspectateurs, un ancien ministre socialiste, de surcroît ancien garde des sceaux, qui devrait donc avoir une connaissance du respect des droits de l'homme plus scrupuleuse (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), a accusé un fonctionnaire de police de vingt-huit ans, du commissariat de Bondy, d'avoir eu un comportement parfaitement contradictoire avec la déontologie de la police républicaine. M'étant rendu sur place, j'ai constaté que tous les syndicats, quel que soit leur engagement par ailleurs, ont stigmatisé ce comportement totalement odieux.
    Vous avez prétendu, du haut de la tribune de l'Assemblée nationale, qu'il y avait eu des bavures. Je vous demande donc solennellement, monsieur Le Roux, de me dire où, quand et comment. Je déclencherai alors des enquêtes et nous porterons les résultats sur la place publique.
    M. Guy Geoffroy. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Il ne suffit pas de calomnier. S'il y eu bavure, elle sera sanctionnée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Mais je ne laisserai pas insulter ainsi sans raison les fonctionnaires de police ou les militaires de la gendarmerie nationale dans ce petit jeu qui consiste à faire croire qu'il suffit de crier « bavure » pour qu'il y ait une bavure. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Christophe Lagarde. Très bien !
    Mme Martine David. Qui calomnie ?
    M. Bruno Le Roux. Me permettez-vous de vous répondre, monsieur le ministre ?
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ah non ! Je viens de vous écouter pendant une heure et demie. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Bruno Le Roux. Laissez-moi vous répondre maintenant ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Non, monsieur Le Roux !
    Mme la présidente. Monsieur Le Roux, c'est moi qui donne la parole, pas M. le ministre.
    M. Bruno Le Roux. Mais M. le ministre m'a interpellé !
    Mme la présidente. Monsieur Le Roux, laissez M. le ministre s'exprimer.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur Le Roux, vous avez parlé pendant une heure et demie. Vous voudrez donc bien m'écouter pendant les quelques minutes qui viennent.
    M. Bruno Le Roux. Mais je veux vous répondre ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Guy Geoffroy. C'est trop facile !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur Le Roux, je vais terminer.
    Je constate simplement que mes propos vous font mal et que vous vous rendez compte que vous avez commis une imprudence.
    M. Guy Geoffroy. Absolument !
    M. Bruno Le Roux. Alors, ne dites pas : « expliquez-vous » !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Dans la police existe une inspection générale des services, qui est saisie de toutes les affaires, quelles qu'elles soient. Je ne tolérerai aucun dysfonctionnement, je n'accepterai aucun débordement par rapport aux valeurs déontologiques.
    Mais, quand un parlementaire, de surcroît orateur du groupe socialiste, monte à la tribune de l'Assemblée nationale et dit au ministre de l'intérieur qu'il y a des bavures qui seraient encouragées par la politique du Gouvernement, je ne l'accepte pas parce que cela bafoue l'honneur de fonctionnaires qui méritent mieux que cela. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Marie-Françoise Clergeau. Ne recommencez pas !
    Mme Martine David. C'est minable !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Enfin, monsieur Le Roux, vous me dites - et je partage cet avis - que la violence est le résultat de la montée des inégalités.
    M. Guy Geoffroy. Absolument !
    Mme Martine David. Entre autres, a précisé notre collègue !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Si tel est le cas, comment expliquez-vous l'explosion de la délinquance au cours des cinq années de gouvernement socialiste ? (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Dois-je considérer, en suivant votre raisonnement, que, si la violence a augmenté pendant ces cinq ans, c'est aussi parce que les inégalités se sont aggravées sous le gouvernement socialiste ? (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Martine David. Pas du tout !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Si la violence est toujours le produit des inégalités sous le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, cela tient donc au fait que la délinquance a explosé sous le gouvernement de M. Jospin parce qu'il n'a rien fait pour réduire les inégalités ! (Mêmes mouvements.)
    M. Jean-Pierre Blazy. Le débat manque de sérénité !
    Mme Martine David. Si c'est ça, le débat, bonjour !
    M. Gilbert Meyer. Laissez parler M. le ministre !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. M. Le Roux m'a également dit que je devrais savoir prendre le temps. Voilà sans doute un vrai désaccord entre nous. Personnellement, en effet, je pense que nous n'avons pas de temps à perdre, et même que le temps travaille contre les responsables politiques républicains, parce que nous n'avons pas la même interprétation de l'exaspération de nos concitoyens. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Or celui qui me demande de prendre mon temps est le même qui a été, au sein du parti socialiste, l'un des premiers - et je lui en donne acte - à appeler l'attention de ses propres camarades sur la sous-estimation de la gravité de l'insécurité. Ce temps, vous l'avez eu, monsieur Le Roux, et M. Jospin a même dit aux Français avec beaucoup d'honnêteté, à la télévision pendant la campagne électorale qu'il s'était trompé, qu'il avait été naïf. Cela signifiait qu'il n'avait pas utilisé les cinq ans de pouvoir que lui avaient donnés les Français pour se préoccuper d'eux.
    M. Guy Geoffroy. Voilà !
    M. Dino Cinieri. Eh oui !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Pourquoi voudriez-vous, monsieur Le Roux, que nous commettions, à propos du temps à prendre, la même erreur que vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Croyez-vous une minute que les Français seraient plus indulgents avec nous qu'ils ne l'ont été avec vous ? Les Français auraient alors le même jugement à notre égard ! Si nous perdions du temps, si nous ne faisions rien, si nous restions immobiles, nous subirions la même sanction que vous : nous serions battus !
    M. Dino Cinieri. Exactement !
    Mme Martine David. Et en allant trop vite ?
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. On peut me reprocher tout ce qu'on veut mais pas d'aller vite ! En effet, j'essaie de caler l'action du Gouvernement sur l'exaspération de nos concitoyens.
    M. Dino Cinieri. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Vous m'avez encore reproché - c'est assez extraordinaire - de donner de nouveaux pouvoirs à la police et à la gendarmerie, sous-entendant que c'était trop de pouvoirs et qu'il ne fallait pas en donner tant à ses corps, car, avec eux, ça allait mal se passer.
    Mme Martine David. Ça, c'est vous qui le dites !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Dans le même temps, vous déclarez qu'ils ont besoin non pas de pouvoirs juridiques, mais de moyens financiers, et que nous leur donnons pas ! Venant d'un parlementaire qui a refusé de voter la LOPSI il y a quatre mois, c'est invraisemblable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Dino Cinieri. Enfin un vrai ministre de l'intérieur !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Vous me reprochez en effet de ne pas donner assez de moyens aux policiers et aux gendarmes alors que vous avez fait le choix de refuser la loi d'orientation et de programmation dont c'était l'objet ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    En revanche, car je dois être honnête avec vous (« Non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.), je dois vous donner un bon point.
    M. Patrick Braouezec. On n'est pas à l'école !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Vous avez en effet eu le courage de reconnaître que l'expression « sentiment d'insécurité » avait pu blesser un certain nombre de nos concitoyens, et que vous aviez collectivement regretté de l'avoir employée. Si j'ai pu vous convaincre au moins de cela, cet après-midi n'aura pas été totalement inutile.
    Vous avez également prétendu que nous nous apprêtions à violer les droits de la défense. Lesquels, mon Dieu ! Qui va se sentir menacé par les mesures que nous avons proposées ?
    A propos des suicides en prison, je me demandais, en vous écoutant, depuis combien de temps nous étions nous-mêmes au pouvoir. Votre constat sur les prisons, je le fais mien : la situation dans les prisons est à bien des égards inhumaine. Une mission de cette assemblée, avec Mme Boutin et des députés de tous les groupes, a travaillé sur cette question.
    Cependant, monsieur Le Roux, quand j'entends déclarer par quelqu'un qui, avec beaucoup de loyauté, a soutenu le précédent gouvernement pendant cinq ans, qu'on se suicide en prison et que les droits de l'homme ne sont pas respectés en prison, je suis en droit de demander pourquoi il n'a pas fait les mêmes remarques pendant les cinq années qui ont précédé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Bernard Roman. Les choses changent !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ce n'est pas vous faire injure, monsieur Le Roux, que de vous dire cela. Je ne vous condamne pas en ce qui concerne le bilan car il nous est arrivé aussi de perdre des élections. En général, on les perd quand on s'est trompé. Tout de même, ayez un peu de pudeur en la matière car il est un peu tôt pour nous demander pourquoi nous n'avons pas fait en huit mois ce que vous vous êtes révélés incapables de faire en cinq ans !
    M. Dino Cinieri. Absolument !
    M. Jean-Pierre Blazy. C'est vraiment petit, comme argument !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. En ce qui concerne les nomades et la prostitution, je serai très attentif à vos propositions comme à celle de tous les groupes, car l'essentiel est d'essayer de trouver des solutions pour résoudre les problèmes. D'où que viennent les bonnes idées, elles seront les bienvenues. La situation est si difficile qu'il n'y a pas de raison de décider qu'un groupe plutôt qu'un autre détient la vérité révélée.
    Je vous remercie d'avoir eu l'honnêteté de me donner acte de ce que nous faisons pour la prévention. J'ai entendu vos conseils sur le développement de la police judiciaire, d'autant plus volontiers que je suis de ceux qui pensent qu'elle a été privée de beaucoup de moyens dans les années passées. C'est même le grand problème de la police de proximité.
    M. Gérard Léonard. Très bien ! C'est très important !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. La police de proximité est une bonne idée, mais à condition qu'elle ne soit pas développée au détriment de la police d'investigation et d'interpellation.
    M. Gérard Léonard. Absolument !
    M. Jean-Pierre Blazy. Actuellement, c'est l'inverse !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Vous souhaitez que j'accorde la priorité au développement de la police judiciaire et je pense, comme bien d'autres sur les bancs de cette assemblée - n'est-ce pas, monsieur Léonard ? - que vous avez raison. La priorité doit être donnée à la police qui interpelle les délinquants.
    Je respecte votre jugement sur les GIR, même si je le trouve extrêmement sévère. On ne peut pas dire, après tout le travail qu'ils ont fait, que les GIR ne servent à rien. Tout au contraire : grâce aux GIR, des administrations françaises trop cloisonnées, vous le savez bien, monsieur Le Roux, ont enfin pris l'habitude de travailler ensemble. C'est une véritable chance pour la gendarmerie, la police, le fisc, la douane, la direction de la concurrence et des fraudes. Vous la leur refusez ? Je me demande vraiment pourquoi, alors que le cloisonnement des administrations est un problème typiquement français.
    En guise de synthèse de votre intervention, vous m'appelez à lutter contre la violence. Merci du conseil : j'accepte l'encouragement et je ne vous décevrai pas. Vous m'appelez à lutter contre l'insécurité ; c'est ce que j'essaie de faire. Mais il y a dans votre discours des expressions que je n'ai pas comprises. Le droit à disposer librement de son corps, par exemple. Qu'est-ce que cela veut dire ? Qui visez-vous ?
    M. Bernard Roman. C'est une décision du Conseil constitutionnel !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. J'ai cru comprendre, mais peut-être me trompé-je, auquel cas je retirerai ce propos, que cela visait une école de pensée qui défend notamment l'idée que la prostitution serait un métier.
    M. Bernard Roman. Qui a dit cela ?
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je ne dis pas que c'est vous. Je veux seulement contester, et de toutes mes forces, l'idée que la prostitution pourrait être une liberté, celle de disposer de son corps, ou encore un métier.
    M. Bernard Roman et Mme Marie-Françoise Clergeau. Personne n'a dit cela !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Certes. Mais je profite de l'occasion pour lever toute ambiguïté.
    M. Bernard Roman. Voilà au moins un point sur lequel nous serons d'accord !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je ne fais aucun procès à M. Le Roux sur ce point. Mais tous ces débats doivent également servir à préciser les choses : on n'est jamais libre lorsqu'on doit se prostituer sur le trottoir de nos villes ou dans nos campagnes. Ce n'est pas un métier que la prostitution. A quoi bon parler de parité, d'égalité des sexes, de droits des femmes, si c'est pour en condamner certaines à une activité avilissante et sordide,...
    Mme Martine David. La parité, c'est nous, et certains sur vos bancs étaient contre !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... qui n'est que la réminiscence d'un esclavage. Des temps modernes ? Même pas.
    J'aborde, vous le voyez, ce débat avec la même force que vous. Je comprends qu'il soit douloureux pour vous, car vous avez sur ce sujet le sentiment d'avoir, d'une certaine façon, échoué. Suis-je certain que nous allons réussir ? Loin de là. Mais il est une chose dont je suis sûr, c'est qu'il ne faut pas emprunter le chemin que vous avez choisi hier, car ce chemin-là n'est rien d'autre qu'une impasse. Et nous n'avons pas envie que conduise à cette impasse une nouvelle jeunesse pour l'extrémisme, pour le Front national et pour tous ceux qui ne partagent pas les engagements républicains défendus sur tous les bancs de cette assemblée. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

Rappel au règlement

    Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour un rappel au règlement.
    M. Bruno Le Roux. Mon intervention porte sur le déroulement de la séance. Je ne cherche pas à répondre au ministre ; je veux seulement lui dire que l'on ne peut pas aller d'amalgame en amalgame. Lorsqu'on cite des cas d'une importance capitale, lorsqu'on fait état d'éléments connus de tous,...
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Ce n'est pas un rappel au règlement !
    M. Bruno Le Roux. ... à l'exemple de ce que j'ai pu dénoncer à la tribune à propos de cet avocat, ou encore de ce bagagiste, qui représentent des cas bien concrets (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle)...
    M. Michel Terrot. C'est inouï !
    Mme Sylvia Bassot. Incroyable !
    M. Dino Cinieri. Honteux !
    Mme la présidente. Monsieur Le Roux, revenez-en à votre rappel au règlement.
    M. Christian Vanneste. Fondé sur quel article ?
    M. Bruno Le Roux. ... on ne peut pas répondre qu'il s'agit de calomnies, monsieur le ministre. Nous aurons l'occasion de parler des forces de sécurité, et ce que font la police et la gendarmerie et de la considération qu'on leur doit. Mais souffrez tout de même que l'on puisse s'inquiéter, à un moment donné, de certains faits. Je ne veux pas aller plus loin, même si, membre de la commission nationale de déontologie de la sécurité, j'ai vu ces derniers jours des dossiers qui posent question.
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Ce n'est pas un rappel au règlement !
    M. Bruno Le Roux. Je défends le travail de la police nationale comme celui de la gendarmerie, mais il doit être possible de mettre en avant des exemples concrets sans être pour autant taxé de calomnie à leur égard.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Ce n'est pas un rappel au règlement !
    M. Bruno Le Roux. C'est pourquoi nous vous demandons, monsieur le ministre, pour le bon déroulement de la séance, de ne pas laisser dévoyer dans vos propos les intentions des uns et des autres. En tout cas, nous ne l'accepterons pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je ne veux pas prolonger le débat, mais c'est un point très important. Vous m'avez exhorté à ne pas faire d'amalgame, monsieur Le Roux, et vous avez raison. Mais je vous le demande également. En ce qui concerne l'affaire du bagagiste, je veux rendre hommage aux services de police et aux magistrats qui ont conduit une enquête extrêmement difficile et ont permis de faire apparaître la vérité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Quinze jours de prison pour un innocent, c'est beaucoup trop c'est effectivement une éternité, mais vous ne pouvez pas assimiler l'attitude des forces de police en l'occurrence à une bavure : c'est insultant.
    M. Bruno Le Roux. L'ai-je fait ?
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'est ce que vous venez de dire. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Bruno Le Roux. Non !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Vous venez de le dire...
    Mme Martine David. Jamais !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... en le citant comme un exemple de dysfonctionnement alors même que les forces de policeont fait un travail remarquable.
    M. Bruno Le Roux. Vous dites n'importe quoi ! Est-ce que le mot a été prononcé ?
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Quant à l'avocat,...
    M. Bruno Le Roux. Le mot a-t-il été dit ?
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Oui, parfaitement. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Décidément, chaque fois que je vous prends les doigts dans le pot de confiture, vous hurlez !
    M. Jean-Paul Bacquet. C'est incroyable !
    M. André Gerin. C'est insupportable !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Quant à l'avocat, parlons-en. Car ces affaires, figurez-vous, je les suis une par une, et au jour le jour.
    J'ai déclenché une enquête. Tant que l'enquête n'a pas abouti, je dénie à quiconque, à moi comme aux autres, le droit de dire qu'il s'agit d'une bavure ou d'un dysfonctionnement. Attendons qu'elle se soit déroulée. Ce n'est pas parce qu'un article est paru dans un journal que l'on doit condamner quelqu'un.
    M. Gilbert Meyer. Ce serait lui faire injure !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Vous m'appelez à la prudence à propos de l'affaire du bagagiste. Je vous appelle à la même prudence à propos des autres.
    Je veux enfin vous dire, monsieur Le Roux, et avec la plus grande force, que les droits de l'homme valent aussi pour les policiers, qui font un métier difficile (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française) et qui ne doivent pas être victimes du moindre amalgame.
    M. Dino Cinieri. Bravo !
    Mme Martine David. C'est ce qu'on dit !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je ne laisserai rien passer à cet égard, car ces hommes et ces femmes ont eux aussi le droit d'être respectés. Et le devoir de leur ministre est de les défendre chaque fois qu'ils sont mis en cause. J'ai estimé qu'ils l'avaient été de façon abusive par votre première intervention mais également par la seconde. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

3

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

    Mme la présidente. Ce soir, à vingt et une heures quinze, troisième séance publique :
    Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, n° 381, pour la sécurité intérieure :
    M. Christian Estrosi, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. (rapport n° 508) ;
    Mme Marie-Jo Zimmermann, rapporteure au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (rapport d'information n° 459).
    La séance est levée.
    (La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT