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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU JEUDI 16 JANVIER 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
1re séance du mercredi 15 janvier 2003


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

1.  Questions au Gouvernement «...».

POLITIQUE EUROPÉENNE «...»

M. Jacques Floch, Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes.
2.  Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire étrangère «...».
3.  Questions au Gouvernement (suite) «...».

PRÉSIDENCE DE L'UNION EUROPÉENNE «...»

MM. François Bayrou, Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre.

ACCORD GÉNÉRAL SUR LE COMMERCE DES SERVICES «...»

MM. Jacques Desallangre, François Loos, ministre délégué au commerce extérieur.

SÉCURITÉ DU TRANSPORT MARITIME «...»

M. Pierre Lequiller, Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes.

AVENIR DE LA PÊCHE «...»

Mme Hélène Tanguy, M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

EMBOUTEILLAGE SUR L'AUTOROUTE A 10 «...»

Mme Geneviève Colot, M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

COUVERTURE MALADIE «...»

MM. Claude Evin, Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

DIFFUSION DE RFO AU CANADA «...»

MM. Gérard Grignon, Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication.

DATE DE FERMETURE DE LA CHASSE AU GIBIER D'EAU «...»

M. Joël Hart, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable.

POLITIQUE ÉCONOMIQUE DU GOUVERNEMENT «...»

MM. Michel Françaix, Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation.

CLONAGE HUMAIN «...»

MM. Alain Gest, Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

SÉCURITÉ ROUTIÈRE «...»

MM. Jean-Michel Bertrand, Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

Suspension et reprise de la séance «...»
PRÉSIDENCE DE M. JEAN LE GARREC

4.  Sécurité intérieure. - Suite de la discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat après déclaration d'urgence «...».

DISCUSSION GÉNÉRALE «...»

MM.
Patrick Braouezec,
Gérard Léonard,
Jean-Pierre Blazy,
Jean-Christophe Lagarde,
Guy Teissier,
Mme
Martine David,
MM.
Nicolas Perruchot,
Emile Zuccarelli,
Marc Le Fur,
Arnaud Montebourg, Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

Rappel au règlement «...»

MM.
Bruno Le Roux, le président.

Suspension et reprise de la séance «...»

M.
Thierry Mariani,
Mme
Marylise Lebranchu,
MM.
Jean Leonetti,
Michel Pajon,
Georges Fenech,
Julien Dray,
Mmes
Christine Boutin,
Danielle Bousquet.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
5.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

    M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
    Je vous rappelle, mes chers collègues, qu'il a été convenu que, le premier mercredi de chaque mois, les quatre premières questions seraient réservées aux questions européennes.
    Nous commençons par une question du groupe socialiste.

POLITIQUE EUROPÉENNE

    M. le président. La parole est à M. Jacques Floch.
    M. Jacques Floch. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
    C'est par la presse que l'Assemblée nationale apprend que la France a ou aurait des propositions précises sur les institutions européennes. Où et quand la représentation nationale a-t-elle été consultée ?
    Si les institutions futures de l'Europe sont un sujet particulièrement intéressant, beaucoup plus importante, est, pour nos concitoyens, la politique qui sera conduite par les responsables de l'Europe et de la France en matière d'action sociale, de protection de l'environnement et de vie économique, en ce qui concerne le rôle et la forme des services publics, le rôle des collectivités territoriales et la consultation permanente des partenaires sociaux.
    Si le gouvernement français n'est pas toujours muet, il est trop souvent en contradiction avec lui-même. Par exemple, le ministre des affaires étrangères et son homologue allemand ont déposé une contribution sur la gouvernance économique, dans laquelle ils revendiquent une meilleure coordination des politiques économiques et le renforcement des procédures de surveillance budgétaire des Etats membres de l'Union européenne, mais on constate, après le débat budgétaire, que le gouvernement français continue à faire comme si l'Europe n'existait pas, reniant par là même ses engagements.
    Quand le Gouvernement décidera-t-il de présenter ses propositions sur les sujets que j'ai énumérés, entre autres l'affirmation et le renforcement du modèle social européen, afin que les Françaises et les Français sachent qui, dans notre pays, est responsable de la politique européenne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée aux affaires européennes.
    Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes. Monsieur le président, permettez-moi tout d'abord de saluer votre initiative.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Très bonne initiative !
    Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. J'ai le privilège de lancer cette procédure inédite dans notre histoire parlementaire en répondant à la première question d'actualité européenne, posée par M. Floch.
    Je dois vous dire tout de suite, monsieur le député, que je ne fais pas la même lecture que vous de l'opposition entre Paris et Bruxelles.
    Vous avez évoqué les questions économiques. Nous avons déposé une contribution sur la gouvernance économique, dans laquelle nous proposons de renforcer les pouvoirs de la Commission en matière de discipline budgétaire, et nous avons parallèlement contenu le déficit budgétaire de ce pays.
    Vous évoquez d'autres contributions très importantes, comme celle de l'Europe sociale. C'est la France qui a obtenu, après beaucoup d'insistance, il faut le dire, la création d'un groupe de travail spécialisé sur l'Europe sociale.
    M. Jacques Desallangre. Rien !
    Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Hier soir même, puisque je réunis régulièrement les conventionnels français, notamment les parlementaires, nous évoquions un certain nombre de propositions. La coordination entre les politiques économiques et les lignes directrices pour l'emploi sont l'un des axes forts de ces propositions.
    Soyez rassuré, monsieur le député, nous serons à l'avant-garde des propositions nationales pour ce qui est du modèle social européen, un modèle auquel nous sommes tous attachés. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    Mme Hélène Mignon. Nous ne sommes pas rassurés !

2

SOUHAITS DE BIENVENUE
À UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE
ÉTRANGÈRE

    M. le président. Je suis heureux de souhaiter, en votre nom, la bienvenue à une délégation parlementaire conduite par Mme Katalin Szili, présidente du Parlement de Hongrie. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

3

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT
(suite)

    M. le président. Nous reprenons les questions au Gouvernement.

PRÉSIDENCE DE L'UNION EUROPÉENNE

    M. le président. La parole est à M. François Bayrou, pour le groupe UDF.
    M. François Bayrou. Monsieur le Premier ministre, je voudrais vous interroger sur l'accord intervenu hier soir entre les dirigeants français et les dirigeants allemands sur une proposition de réforme des institutions européennes.
    Nous sommes nombreux à défendre depuis longtemps l'idée qu'il faut un président à l'Europe et, après avoir été longtemps discutée, cette idée a fait son chemin. Aujourd'hui, vous avez décidé de donner à l'Europe deux présidents : un président du Conseil, qui serait élu par les gouvernements, et un président de la Commission, qui serait élu par le Parlement européen.
    Cette idée nous paraît des plus dangereuses parce que, s'il y a deux présidents, il y aura deux légitimités et il y aura concurrence et affrontement entre les deux présidents et les deux légitimités. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)
    Nous avons fait en France, depuis des années, l'expérience funeste de ce que la cohabitation peut apporter comme dégâts dans un pays.
    Plusieurs députés du groupe Union pour la démocratie française. C'est vrai.
    M. François Bayrou. Pourtant, la France est un pays unitaire depuis des siècles. Imaginez ce que serait une telle cohabitation entre deux présidents dans une Europe à vingt-cinq, avec, de surcroît, des pays non européens comme la Turquie, puisque vous en avez décidé ainsi.
    Plusieurs députés du groupe Union pour la démocratie française. Absolument !
    M. François Bayrou. Renoncez à une idée aussi funeste.
    Plusieurs députés du groupe Union pour la démocratie française. Très bien !
    M. François Bayrou. On le voit à propos de l'Irak. Ce que scrutent les télévisions et les radios, c'est le moindre froncement de sourcils du Président Bush. Nous sommes nombreux à rêver qu'un jour un président européen soit aussi influent pour les affaires qui concernent l'avenir de l'Europe à la surface de la planète. Nous avons besoin d'une Europe lisible par ses citoyens et audibles par les puissances extérieures. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
    M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Je note une légère inexactitude dans votre propos, monsieur le député. « Vous avez décidé », dites-vous. Non : la France et l'Allemagne proposent une contribution à la Convention. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    M. Bernard Derosier. Qui gouverne ?
    M. le Premier ministre. C'est très important, car on a trop souvent donné le sentiment que la France était arrogante (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle) ou voulait décider pour les autres. (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)
    M. Bernard Roman. Parler de la France, c'est parler du Président de la République !
    M. le Premier ministre. L'Histoire a montré que l'Europe avance quand il y a un accord franco-allemand.
    M. Philippe de Villiers. Ce sont les Allemands qui décident !
    M. le Premier ministre. Ce qui nous paraît très important, c'est qu'il puisse y avoir une contribution commune de la France et de l'Allemagne. Bref, il ne s'agit pas d'une décision mais d'une contribution. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Ce dossier a été évoqué à plusieurs reprises par quelqu'un que vous et moi connaissons bien, M. Giscard d'Estaing.
    L'Europe a une double culture des Etats-nations, représentés par le Conseil, et celle des peuples, représentés par le Parlement, la Commission étant le garant de l'intérêt général européen. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Nous ne voulons pas que l'on mésestime la culture des Etats-nations (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), et nous voulons respecter la culture des peuples exprimée par le Parlement.
    Vous avez été parlementaire européen, je l'ai été aussi, nous savons bien qu'il y a deux tendances, un courant plus intégrationniste et Les partisans des concepts de fédération d'Etats-nations. Les Allemands, dans leur histoire, ont toujours poussé dans le sens d'une plus forte intégration, qui fait de la Commission la pièce centrale. Nous, nous avons toujours pensé qu'il fallait faire attention aux dérives technocratiques et bureaucratiques d'une Europe lointaine, distante, ne respectant pas forcément les préoccupations quotidiennes du citoyen (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), et n'intégrant pas ce qu'il y a de charnel dans le concept d'Etat-nation.
    Plutôt que de laisser l'Europe débattre sans avoir reçu un message clair franco-allemand, le Chancelier et le Président de la République ont décidé d'adresser à M. Giscard d'Estaing une contribution commune. Chacun a fait un pas. Dans notre histoire, d'ailleurs, qu'il s'agisse du Général de Gaulle et d'Adenauer, de Valéry Giscard d'Estaing et d'Helmut Schmidt, de François Mitterrand et d'Helmut Kohl, ou, aujourd'hui, de Jacques Chirac et de M. Schröder, on parvient à des accords quand chacun fait un pas vers l'autre.
    Nous avons fait un pas vers les Allemands : nous acceptons que le président de la Commission soit élu à la majorité qualifiée par le Parlement européen, avec une ratification par le Conseil. En retour, nous obtenons que le président du Conseil, représentant les Etats-nations, dispose de la durée et de la stabilité. Il sera, en effet élu par ses pairs pour cinq ans, ou pour deux ans et demi renouvelables. Nous savons tous l'importance de la durée et de la continuité dans une relations institutionnelle de cette nature.
    Les Allemands ont fait un pas, les Français aussi : c'est cela la construction européenne ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Nous voulons soumettre cette contribution à l'Europe, à tous les pays qui sont aujourd'hui rassemblés dans la Convention, et essayer de les convaincre. Cette nouvelle Europe que nous sommes en train de construire - et c'est avec émotion que je salue la présidente du Parlement de la Hongrie (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe socialiste), qui va appartenir à cette Europe nouvelle - définit une nouvelle géographie, mais il lui faudra aussi de nouvelles institutions qui, pour être durables, devront être celles de toute l'Union européenne, et inspirées naturellement par l'entente franco-allemande. (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)

ACCORD GÉNÉRAL SUR LE COMMERCE DES SERVICES

    M. le président. La parole est à M. Jacques Desallangre, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. Jacques Desallangre. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
    Monsieur le Premier ministre, vous allez présenter la liste des services publics que vous souhaitez offrir à la concurrence et privatiser dans le cadre des négociations de l'AGCS, au sein de l'Organisation mondiale du commerce.
    Le commissaire européen Pascal Lamy, qui négocie pour l'Europe, ce qui engage la France, nous invite à prendre nos responsabilités politiques et à ne pas nous défausser de celles-ci sur Bruxelles ou l'OMC. Sur ce point, comme il a raison ! L'Europe pourrait en effet, au lieu de collaborer à une libéralisation débridée, recueillir l'adhésion d'une large majorité de citoyens si, en son sein, la France faisait preuve d'une réelle volonté politique, par exemple en exportant son modèle de service public qui, seul, assure l'égalité d'accès de tous.
    Mais M. Lamy se trompe à double titre lorsqu'il affirme que l'AGCS est élaboré de façon transparente et ne menace pas nos services publics. En effet, cet accord qui, astucieusement, tire les leçons du projet d'AMI que nous avons combattu avec succès sur ces bancs, s'élabore en dehors de tout contrôle démocratique. Qui connaît précisément la liste des services publics que la France soumettra au marché ? Les transports, l'énergie, l'enseignement, la santé, la poste ? Le vote des députés UMP hier, à Strasbourg, en faveur d'une libéralisation totale du rail, n'incite guère à l'optimisme.
    Le colloque organisé par notre collègue Jean-Claude Lefort a certes permis de lever le voile sur cet abandon de souveraineté sans contrôle démocratique, mais personne n'est informé du contenu de cette liste, je le répète.
    Le courage politique d'assumer vos décisions vous manquerait-il, monsieur le Premier ministre, dès lors que vous savez que celles-ci ne recueillent pas l'adhésion de ce peuple que vous qualifiez avec condescendance de « France d'en bas » ?
    M. Dominique Dord. Arrêtez !
    M. Jacques Desallangre. L'AGCS a pour objet de libéraliser tous les services et de réduire l'Etat. Demain, la poste, EDF-GDF, la SNCF, les écoles, les hôpitaux, les mutuelles, les assurances sociales (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle)...
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. La question !
    M. Jacques Desallangre. ... seront sacrifiés au marché, bradés aux entreprises privés chargées d'extraire pour leurs actionnaires le maximum de bénéfices plutôt que d'assurer à tous le meilleur service à un prix raisonnable.
    M. le président. Posez votre question !
    Mme Sylvia Bassot. Faites-le taire !
    M. Jacques Desallangre. Monsieur le Premier ministre, êtes-vous décidé à exiger pour la France un moratoire sur ces négociations tant que nous n'aurons pas obtenu des garanties juridiques précises sur la sauvegarde de l'ensemble de nos services publics ?
    M. le président. Monsieur Desallangre, venez-en à votre question.
    M. Jacques Desallangre. La France ne sera pas arrogante, elle défendra simplement un héritage intéressant et précieux.
    M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au commerce extérieur.
    M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur. Si vous parlez de transparence en ce domaine, monsieur le député, je peux tout de suite vous répondre oui. Notre position fera l'objet d'une concertation avec les ONG et les parlementaires, tout simplement parce que ce sera la position de notre pays.
    Par contre, si vous voulez dire que la négociation sur le commerce des services n'a pas d'importance, vous vous trompez.
    M. Jacques Desallangre. C'est scandaleux !
    M. le ministre délégué au commerce extérieur. Elle est, en effet, fondamentale ! Savez-vous que l'Union européenne est le premier commerçant de services dans le monde et la France le troisième ? Savez-vous que le commerce extérieur de services représente 10 % de l'emploi en France ? Nous avons donc une action à la fois offensive et défensive à mener.
    Il est bien évident que la banque, les services de l'environnement - eau, traitement des déchets - et les assurances sont des domaines importants, pour lesquels nous avons des demandes à formuler aux autres pays, et nous le faisons.
    Sur ce plan défensif, depuis 1999, nous avons donné pour mandat à l'Union européenne de sanctuariser tous les biens culturels et l'audiovisuel. En outre, en juin 2002, ce gouvernement a déclaré dans le cadre de l'Union européenne qu'il ne devrait jamais y avoir de libéralisation concernant la santé et l'éducation.
    Concernant les autres sujets, ce sont des fantasmes que d'imaginer que les autres pays nous demandent de libéraliser comme vous le décrivez ! En réalité, il n'y a presque pas de demande en ce sens, si ce n'est de la Suisse, qui demande une libéralisation des services de l'énergie, ou du Japon, qui demande de petites modifications techniques.
    Je vous invite donc à prendre connaissance précisément de ces questions.
    M. Jacques Desallangre. Je n'ai pas de leçon à recevoir !
    M. le ministre délégué au commerce extérieur. Vous pouvez être sûr que nous ne voulons pas, avec Jean-Pierre Raffarin, subir. Nous avons au contraire décidé de construire la mondialisation en partenariat avec tous ceux qui ont quelque chose à nous apporter. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)

SÉCURITÉ DU TRANSPORT MARITIME

    M. le président. La parole est à M. Pierre Lequiller, pour le groupe UMP.
    M. Pierre Lequiller. Monsieur le Premier ministre, je voudrais tout d'abord saluer l'accord franco-allemand, intervenu hier soir sur les institutions européennes, compromis trouvé à partir de positions au départ différentes. Au sein de la convention, tout le monde attendait une proposition commune franco-allemande.
    Mais ma question portera sur la sécurité maritime. L'opinion a été traumatisée par le naufrage du Prestige, au point d'en faire sa préoccupation première. Les Français se félicitent des réactions très fermes du Président de la République, de vous-même, monsieur le Premier ministre, et de votre gouvernement à la suite de cette catastrophe. La Commission européenne proposera un certain nombre de mesures, qui consisteront notamment à limiter le transit dans la zone économique exclusive des 200 milles des pétroliers à simple coque transportant du fioul lourd, comme la France et l'Espagne l'ont déjà fait en application de l'accord de Malaga.
    Il m'apparaît donc essentiel que l'Europe promeuve également une réforme d'envergure du droit maritime international, pour mettre en place un régime de responsabilité civile et pénale. Il faut empêcher les voyous des mers de polluer en toute impunité.
    Quel est le régime de sanction à l'égard de l'armateur, de l'affréteur, du capitaine de navire, des sociétés qui autorisent ces bateaux-poubelles ? Comment passer, monsieur le Premier ministre, de l'impunité à la tolérance zéro ? Pouvez-vous faire le point des mesures envisagées par le Gouvernement sur ce qu'on peut qualifier de crime contre l'environnement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée aux affaires européennes.
    Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes. Monsieur le président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, la catastrophe du Prestige n'est certainement pas une fatalité. Déjà, vous le savez, grâce à l'action de la France en lien avec l'Espagne, nous avons pu éloigner de nos côtes les navires dangereux, et ce avant même de faire reprendre cette mesure par l'Europe tout entière. Déjà, grâce à l'insistance du Président de la République, nous avons pu faire adopter par le Conseil européen le principe d'une réforme du régime des responsabilités et des sanctions des pollueurs de la mer.
    Maintenant, il faut agir pour que ce régime de responsabilité soit effectivement modifié et l'Europe doit jouer un rôle moteur pour que la communauté internationale prenne enfin ses responsabilités.
    Deux points sont essentiels. Premièrement, il conviendrait de relever nettement les plafonds d'indemnisation, qui sont à l'évidence inadaptés. Et deuxièmement, il faut responsabiliser, non seulement les propriétaires des navires, mais l'ensemble des opérateurs, y compris, vous l'avez souligné, les affréteurs.
    Mes collègues Roselyne Bachelot et Dominique Bussereau agissent au quotidien pour que la communauté internationale fasse enfin évoluer les responsabilités et les sanctions. Moi-même, je m'efforce de faire que l'Europe en soit le moteur. Vous avez eu raison de le souligner, monsieur le député, il ne saurait y avoir de droit de la mer, c'est-à-dire de liberté de circulation, sans véritable responsabilité, c'est-à-dire sans qu'il soit mis un terme à l'impunité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Nous en avons terminé avec les questions spécialement relatives à l'Europe.

AVENIR DE LA PÊCHE

    M. le président. La parole est à Mme Hélène Tanguy, pour le groupe UMP.
    Mme Hélène Tanguy. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
    Monsieur le ministre, le vendredi 20 décembre au soir, les territoires qui vivent de la pêche ont recommencé à respirer. (« Allô ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Face aux menaces du commissaire Fischler, leur souffle était suspendu aux résultats des laborieuses négociations de la politique commune de la pêche. Par votre détermination inébranlable et l'habileté de vos alliances au sein des amis de la pêche, vous avez réussi à sauvegarder l'avenir de la pêche française au sein de l'Union.
    Fort du soutien personnel du Président de la République lors du sommet de Copenhague, vous avez notamment obtenu le maintien des aides à la modernisation et au renouvellement de la flottille. L'Europe avait annoncé leur suppression. La perspective de navires neufs ou rénovés va permettre d'accroître la sécurité des hommes en mer, de conforter l'attractivité d'un métier boudé par les jeunes et de miser sur une confiance nouvelle dans l'avenir de la filière halieutique.
    Monsieur le ministre, si les dossiers de demandes d'aides doivent être déposés avant le 31 décembre 2004, de combien de temps disposeront les patrons pêcheurs artisans et les sociétés d'armement spécialisées dans le chalutage hauturier pour construire leurs navires ? La construction d'un bateau de pêche nécessite du temps et du recul pour choisir les plans et les options d'une efficacité optimale. Aujourd'hui, le délai de mise en service ne doit pas excéder deux ans après l'obtention du PME, le permis de mise en exploitation. Serait-il possible d'allonger ce délai et d'accorder une souplesse plus grande pour la mise à l'eau de bateaux neufs ?
    La circonscription que j'ai l'honneur de représenter ici « pèse » près de 20 % de la pêche française. Vous comprendrez combien je suis attachée à cette bouffée d'oxygène obtenue par la France à Bruxelles.
    M. le président. Merci de poser votre question, ma chère collègue.
    Mme Hélène Tanguy. Je compte aujourd'hui sur le partenariat des services de l'Etat pour la mise en route de ce plan de relance tant espéré. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
    M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Madame la députée Hélène Tanguy, c'est vrai que cette négociation sur la pêche était difficile, et d'abord parce qu'elle était idéologique : certains voulaient artificiellement opposer les amis de la pêche à ceux du poisson. Nous avons su faire des contre-propositions pragmatiques. Nous avons su, surtout, consolider cette alliance qui a permis d'obtenir un accord équilibré.
    Je rappelle que la Commission voulait supprimer les aides à la modernisation et au renouvellement de la flotte, diminuer les quotas de pêche pour 2003 de 50 % à 75 %, selon les espèces, et, enfin, fermer complètement la pêche dans un certain nombre de zones et pour certaines espèces.
    Nous avons donc obtenu, d'abord, des quotas justes pour 2003, c'est-à-dire des quotas qui permettent d'assurer à la fois le maintien de l'activité de nos flottilles et le renouvellement indispensable des espèces. Nous avons ensuite obtenu que la zone Manche Est soit exclue de la fermeture liée au cabillaud dans la zone de la mer du Nord, ce qui est très important pour une grande partie de notre littoral. Enfin, nous avons obtenu le maintien des aides au renouvellement et à la modernisation de la flotte.
    Pour répondre précisément à votre question, madame la députée, les engagements de dépenses devront être pris au 31 décembre 2004, les factures seront acceptées jusqu'au 31 décembre 2006 et les paiements et les liquidations s'effectueront au cours de l'année 2007. Cela nous laisse donc du temps pour mettre en place ce plan de renouvellement et de modernisation de la flotte. En effet, pour ce qui est des PME, les permis de mise en exploitation, rassurez-vous, toutes les souplesses nécessaires seront mises en oeuvre. Car c'est bien de l'avenir de notre flotte de pêche qu'il s'agit. Je souhaite qu'avec les services de l'Etat, les collectivités locales, les régions, les conseils généraux, nous puissions ensemble mettre en place ce plan que le monde de la pêche attend. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

EMBOUTEILLAGE SUR L'AUTOROUTE A 10

    M. le président. La parole est à Mme Geneviève Colot, pour le groupe UMP.
    Mme Geneviève Colot. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, et je souhaite y associer mes collègues Christine Boutin et Pierre Lellouche.
    Nuit du 4 au 5 janvier 2003, autoroute A 10 :...
    M. Alain Néri. Bouchée !
    Mme Geneviève Colot. ... 15 000 personnes naufragées de la route à quarante kilomètres de Paris, 15 000 personnes coincées dans leur voiture, prises au piège de l'autoroute, sans information, sans renseignement sur l'importance du bouchon, isolées de tout.
    Un député du groupe socialiste. Que faisait Sarkozy ?
    Mme Geneviève Colot. Il faut avant tout remercier les pompiers, la Croix-Rouge, les bénévoles qui, inlassablement, sont intervenus durant toute la nuit auprès des automobilistes. Toute la nuit, ils ont réchauffé, nourri, réconforté ces galériens de l'autoroute. Ces heures ont été très dures pour les personnes âgées et les bébés.
    M. François Brottes. Qu'a fait le Gouvernement ?
    M. Jacques Floch. Quelle honte !
    Mme Geneviève Colot. Grâce à eux, monsieur le ministre, aucune victime n'est à déplorer.
    Dès le lendemain, M. le Premier ministre et vous-même avez demandé qu'une enquête soit diligentée, non seulement pour pointer du doigt les graves dysfonctionnements qui ont engendré cette situation, mais surtout afin de prendre les mesures nécessaires pour qu'une telle situation ne se reproduise pas.
    M. le président. Chère madame, pouvez-vous poser votre question, maintenant, s'il vous plaît ?
    Mme Geneviève Colot. Bien sûr, monsieur le président.
    Vous avez également reçu de nombreux sinistrés, monsieur le ministre. Aussi, pouvez-vous indiquer (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)...
    M. le président. Mme Colot va poser sa question. Alors taisez-vous une seconde !
    Mme Geneviève Colot. ... à la représentation nationale les conclusions de cette commission et le contenu des mesures que vous pensez prendre pour pallier ces dysfonctionnements ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.
    M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Madame la députée, vous avez parfaitement décrit la situation dans la nuit du 4 au 5 janvier 2003, avec des dizaines de milliers de personnes bloquées sur l'autoroute, des personnes quelquefois âgées ou des mamans avec des enfants, une situation inextricable et surtout extrêmement douloureuse. Je voudrais tout d'abord souligner, après vous, l'extraordinaire mouvement de solidarité qui s'est développé entre des automobilistes pris dans une situation inacceptable.
    Les faits, c'est la conjonction d'une météorologie tout à fait exceptionnelle et de certaines lacunes, probables, que nous devons dénoncer. C'est pour cela que, dès le dimanche, en accord avec le Premier ministre, j'ai diligenté une mission d'enquête. Le mardi, j'ai reçu les acteurs, les sociétés d'autoroute et un certain nombre de représentants des services publics. Le mercredi, j'ai reçu une délégation de victimes. Enfin, avant-hier, j'ai reçu le rapport d'enquête de M. l'ingénieur général Lépingle, qui retrace à grands traits les faits qui se sont déroulés et qui surtout propose des mesures.
    D'abord, il faut reconnaître, mesdames, messieurs les députés, que les pouvoirs publics ne sont pas exempts de tout reproche. (Approbations sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) C'est pourquoi Nicolas Sarkozy et moi-même avons souhaité une enquête complémentaire, pour connaître quelles ont été les éventuelles lacunes des pouvoirs publics, des lacunes que nous n'avons pas du tout l'intention de cacher s'il se révélait qu'elles ont été réelles.
    En ce qui concerne le rôle de la société concessionnaire Cofiroute, il est évident, et ce sont les termes mêmes de l'enquête, qu'il y a eu un aveuglement manifeste devant la situation et un manque d'information épouvantable.
    C'est pourquoi, non pas seulement pour pointer du doigt les déficiences de tel ou tel acteur, nous devons, au-delà de la recherche des responsabilités, prendre des mesures. Cette semaine, j'adresserai le rapport d'enquête au président de Cofiroute. Je vais lui demander de me préciser rapidement les mesures que la société entend prendre. D'ores et déjà, les mesures proposées dans le rapport d'enquête doivent être mises en oeuvre rapidement.
    M. le président. Monsieur le ministre,...
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. C'est le cas des mesures qui concernent l'information des usagers, les panneaux à messages variables, l'utilisation des radios autoroutières, des caméras de surveillance dans les endroits sensibles, comme le fameux PK 7, ou encore l'équipement des zones sensibles en stations de giclage.
    Enfin, les sociétés concessionnaires devront établir une charte de bon usage et de respect des usagers, que nous mettrons en oeuvre, madame la députée, dans les meilleurs délais. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)

COUVERTURE MALADIE

    M. le président. La parole est à M. Claude Evin, pour le groupe socialiste.
    M. Claude Evin. Monsieur le Premier ministre, deux mesures adoptées par votre majorité à la fin du mois de décembre se sont ajoutées à la liste des nombreuses régressions sociales que votre gouvernement a mises en oeuvre depuis juin dernier (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française), je veux parler du report de l'ouverture des droits des bénéficiaires de la CMU et de l'instauration d'un ticket modérateur pour les bénéficiaires de l'aide médicale d'Etat. Ces mesures auront des effets économiques très discutables, en fait, mais surtout elles sont inconséquentes sur le plan social et elles sont absurdes en termes de santé publique.
    Qui peut en effet imaginer que reporter le début des soins pour des personnes relevant de la CMU fera diminuer le coût global de ces soins pour la collectivité ?
    Qui peut imaginer qu'une personne en situation irrégulière décide de se faire soigner sans en avoir un grave besoin, puisque, en s'adressant au système de santé, elle prend un grand risque au regard de sa situation administrative ?
    De plus, ces mesures vont à l'encontre d'une politique de santé publique efficace, car lorsqu'il s'agit de personnes fragiles en situation de précarité, tout obstacle dans l'accès aux soins se traduit le plus souvent par un abandon de la démarche. Dans un premier temps, les personnes concernées se priveront de soins, puis elles consulteront trop tard, avec toutes les conséquences que cela peut engendrer pour elles-mêmes, ainsi que pour leurs proches en cas de pathologie contagieuse.
    Au regard des conséquences négatives que ces mesures ne manqueront pas d'avoir sur le plan social et en termes de santé publique, ne pensez-vous, monsieur le Premier ministre, qu'il serait nécessaire de les annuler ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
    M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Monsieur le député, vous avez raison de profiter de votre situation d'opposant pour souligner les défauts de la couverture maladie universelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Paul Bacquet. C'est trop facile !
    M. le ministre de santé, de la famille et des personnes handicapées. En effet, la réforme qui a institué la CMU est bonne, mais elle souffre de défauts notoires et je vais vous expliquer ce que le Gouvernement a fait et va faire pour lutter contre ces anomalies.
    Tout d'abord, vous avez créé un effet de seuil,...
    M. Claude Evin. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. ... et j'aurais bien aimé vous entendre parler d'inconséquence à propos de cela. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Vous avez exclu de la CMU tous ceux qui étaient bénéficiaires de l'allocation adulte handicapé. Vous avez exclu de la CMU ceux qui avaient le minimum vieillesse. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Alors nous, qu'avons-nous fait ?
    M. Patrick Labanne. Tout !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. L'assurance maladie prend désormais en charge les gens jusqu'à 10 % au-dessus du seuil, ce qui leur permet d'accéder à une couverture complémentaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Bernard Roman. Ce n'est pas la question !
    Mme Elisabeth Guigou. Incroyable !
    M. le président. Madame Guigou, calmez-vous !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Deuxièmement, avant la fin de l'année, une réforme de la CMU lissera définitivement l'effet du seuil. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous voulons améliorer le système.
    Deuxième anomalie, vous n'aviez pas modifié, depuis le début, le montant du forfait de déduction des organismes complémentaires, montant que vous aviez sous-estimé à 223 euros.
    M. Claude Evin. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Nous avons procédé à un réajustement qui a permis de sauvegarder la CMU. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Claude Evin. Ce n'est pas la question !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Enfin, troisième inconvénient, votre système était généreux, mais il n'était pas responsable. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous nous sommes désormais dotés des moyens de contrôle. Et je vous précise que la durée sera toujours d'un an et que la prise en charge sera immédiate en cas d'urgence.
    M. Paul Quilès. Répondez à la question !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Enfin, s'agissant de l'aide médicale d'Etat, il était important de se pencher sur l'utilisation de ces 500 millions, et j'ai le sentiment que nous avons amélioré le système.
    M. le président. Monsieur le ministre, il faut que vous terminiez !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Je termine.
    Pendant trois ans, les gens ne pouvaient pas consulter les médecins en ville et devaient aller à l'hôpital. Désormais, ils pourront consulter les médecins de ville. Et pour répondre à votre souci, monsieur le député, le décret concernant le ticket modérateur sera pris après consultation avec les associations. Oui, l'aide médicale d'Etat sera généreuse, mais désormais responsable. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

DIFFUSION DE RFO AU CANADA

    M. le président. La parole est à M. Gérard Grignon, pour le groupe UMP.
    M. Gérard Grignon. Ma question s'adresse à M. le ministre de la culture et de la communication.
    L'outre-mer, c'est la France dans le monde, c'est le rayonnement de la technologie, de la langue et de la culture françaises dans le monde.
    Un exemple concret, monsieur le ministre : depuis novembre 1999, les émissions télévisées de RFO Saint-Pierre-et-Miquelon et RFO SAT, avec l'autorisation de l'instance de régulation canadienne, le CRTC, homologue de notre CSA, sont reprises et diffusées par câble et satellite sur le territoire canadien.
    C'est la langue et la culture française à portée immédiate du continent nord-américain de Saint-Jean-de-Terre-Neuve à Vancouver. C'est aussi la promotion de l'ensemble de l'outre-mer français - et en particulier de la Guyane et des Antilles - qui est concernée. Or, instruction est donnée à TDF de mettre un grillage, une cage de Faraday devant l'émetteur local pour empêcher cette diffusion.
    Les Américains font l'inverse, installent eux-mêmes des émetteurs à la frontière canadienne, partant du principe que, pour vendre, il faut d'abord diffuser pour promouvoir et convaincre.
    Alors que nous sommes envahis par des émissions américaines de qualité souvent douteuse, il ne s'agit rien de moins que d'une automutilation linguistique et culturelle.
    La langue et la culture françaises sont mises en cage. Le rôle, la vocation et l'identité de l'outre-mer sont enterrés.
    Rien ne justifie une telle décision. En effet, ces retransmissions ne coûtent rien, ni à RFO ni à l'Etat !
    Quant aux ayants droit, ils peuvent, à condition de le demander, et comme cela se fait ailleurs et comme le font leurs homologues américains en situation identique, recevoir leur dû de la société compétente.
    Si, néanmoins, des problèmes insurmontables apparaissaient avec les ayants droit, pourquoi ne pas permettre à l'archipel d'utiliser la possibilité offerte par la législation canadienne sur le débord hertzien pour créer un canal de télévision spécifique programmant des émissions propres à RFO et des émissions libres de droits destinées à l'ensemble du public francophone nord-américain ?
    Quelle est, monsieur le ministre, votre position sur ce dossier et, surtout, quelles dispositions comptez-vous prendre afin que l'image, la langue et la culture françaises ne soient pas bâillonnées à Saint-Pierre-et-Miquelon, alors que les portes du continent nord-américain sont largement et officiellement ouvertes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.
    M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le député de Saint-Pierre-et-Miquelon, vous le savez, la France est attachée à la diffusion dans le monde de sa culture, de sa langue, de ses programmes audiovisuels et de ses valeurs.
    Il est vrai que, depuis un certain nombre d'années, les programmes de RFO - Saint-Pierre-et-Miquelon étaient diffusés sur le territoire canadien : par voie hertzienne sur les côtes du continent et par le câble sur le reste du continent. Cette situation était flatteuse, mais elle était illégale, dans la mesure où RFO n'acquérait de droits que pour la diffusion de ses programmes dans les territoires ultramarins, et pas sur le reste du continent nord-américain, pour lequel l'acquisition des droits est extrêmement onéreuse.
    La présidence de Radio France Internationale a pris la décision d'interrompre cette diffusion en installant une cage de Faraday. Je ne peux, hélas, monsieur le député, qu'approuver cette décision dans la mesure où il m'est difficile d'accepter la continuation de la diffusion d'une émission non conforme au droit.
    J'observe par ailleurs que les programmes francophones, notamment ceux émanant des télévisions françaises de service public mais aussi des chaînes privées, sont largement diffusées par TV 5, qui a vocation à être la grande chaîne francophone internationale.
    M. René Couanau. Il faut envoyer une canonnière ! (Sourires.)
    M. le ministre de la culture et de la communication. Enfin, monsieur le député, les programmes de RFO libres de droits sont diffusés par l'intermédiaire de RFO Satellite.
    Toutefois, je comprends votre préoccupation et je vous assure que, au cours des prochains jours, je prendrai attache avec le président de RFO, afin que nous puissions voir de quelle façon il est possible de répondre à votre voeu, dont j'approuve le principe mais dont je ne peux pas, bien entendu, accepter les modalités d'application. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

DATE DE FERMETURE DE LA CHASSE AU GIBIER D'EAU

    M. le président. La parole est à M. Joël Hart, pour le groupe UMP.
    M. Joël Hart. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable et porte sur un sujet qui, je crois, nous préoccupe tous sur ces bancs, je veux parler de la chasse. (Exclamations sur divers bancs.)
    Pour respecter un arrêt du Conseil d'Etat, vous avez, madame la ministre, pris un arrêté fixant la fermeture de la chasse aux gibiers d'eau au 31 janvier, c'est-à-dire dans quinze jours.
    M. Yves Fromion. C'est à cause de Mamère !
    M. Joël Hart. Je ne pense pas être le seul ici à vous prier instamment de demander à Bruxelles une dérogation pour qu'il soit possible de chasser au moins l'oie cendrée, voire certaines espèces de canard, en petite quantité, comme le dit la dérogation, dans les régions de France où leur présence est plus qu'évidente en février. (Murmures sur divers bancs.)
    Je croyais que la chasse intéressait tout le monde.
    M. le président. Continuez, monsieur Hart.
    M. Joël Hart. En vous appuyant, madame le ministre, sur des données scientifiques, certes, mais également réalistes, telles que les carnets de prélèvement des chasseurs de gibiers d'eau, en invoquant l'article 9 de la directive 79/409, vous avez en main des arguments solides pour demander à Bruxelles cette dérogation.
    L'Espagne, l'Angleterre, l'Irlande obtiennent des dérogations chaque année. Pourquoi la France, qui n'a rien réclamé les années précédentes, ne demanderait-elle pas cette année une dérogation, en faisant valoir qu'il s'agit chez nous probablement de la plus grande tradition européenne de chasse au gibier d'eau ? Bien sûr, cette dérogation vaudrait aussi pour le mercredi. (Rires.) Voilà ce que nous attendons de vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle, du groupe Union pour la Démocratie française et sur quelques bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable.
    Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable. Monsieur le député, je veux d'abord réaffirmer ici mon attachement vigoureux à une chasse rigoureuse et démocratique. (Exclamations sur divers bancs.)
    M. Yves Fromion. Très bien !
    Mme la ministre de l'écologie et du développement durable. Je ne peux que regretter les récentes décisions du Conseil d'Etat. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).
    M. Jean Glavany. Scandaleux !
    M. le président. Monsieur Glavany !
    Mme la ministre de l'écologie et du développement durable. Néanmoins, ces décisions comportent des avancées, et c'est la raison pour laquelle je souhaite les respecter.
    D'abord, le Conseil d'Etat a réaffirmé clairement la responsabilité de l'Etat national dans la fixation des dates de la chasse, ce qui est une avancée. De plus, il a validé mon arrêté sur les mustélidés.
    Néanmoins, pour prendre ses décisions, le Conseil d'Etat s'est appuyé sur des travaux largement dépassés, et je regrette qu'il n'ait pas suivi les avis du comité d'experts, ce qui nous aurait permis de publier des arrêtés mieux adaptés à la réalité de la faune sauvage.
    M. Yves Fromion. Eh oui !
    Mme la ministre de l'écologie et du développement durable. C'est la raison pour laquelle la création de l'Observatoire de la faune sauvage, que nous avons décidée avec le Premier ministre, me paraît un élément de première importance.
    Vous m'avez posé deux questions précises. La première concerne la possibilité que Bruxelles accorde une dérogation. Le directeur de mon cabinet ainsi que le conseiller chasse du ministère que j'ai dépêchés auprès de la Commission se sont vu répondre qu'aucune dérogation n'était possible et que toute demande de dérogation serait repoussée. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean Glavany. Vous avez tellement dit le contraire !
    Mme la ministre de l'écologie et du développement durable. Ensuite, pour ce qui concerne les dates de la chasse,...
    M. Jean Glavany. Vous avez menti aux chasseurs !
    Mme la ministre de l'écologie et du développement durable. ... je présenterai dans quelques semaines au conseil des ministres le calendrier des mesures législatives et réglementaires que je compte prendre dans ce domaine. Je peux vous dire, monsieur le député, que, sur cette question des jours de chasse, j'apporterai des réponses qui vous donneront satisfaction. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

POLITIQUE ÉCONOMIQUE DU GOUVERNEMENT

    M. le président. La parole est à M. Michel Françaix, pour le groupe socialiste.
    M. Michel Françaix. Monsieur le Premier ministre, vous vous êtes rendu à l'assemblée générale du MEDEF, ce qui, après tout, n'est pas en soi choquant (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle),...
    M. Lucien Degauchy. Enfin une bonne nouvelle !
    M. Michel Françaix. ... si vous ne faites pas du patronat un partenaire privilégié.
    Vous avez dit aux patrons : « J'ai déjà suspendu la loi de la modernisation sociale, j'ai déjà baissé les taux les plus élevés de l'impôt sur le revenu. » Vous avez même parlé d'une adaptation de notre fiscalité du patrimoine, et il ne faut pas être grand clerc pour deviner que vous pensez ouvertement à la suppression de l'impôt sur la fortune.
    M. Jean Auclair. M. Raffarin a raison !
    M. Michel Françaix. Vous leur avez dit : « Je vous ai compris. »
    M. Lucien Degauchy. Très bien !
    M. Michel Françaix. Tout cela est contraire à mes convictions mais correspond sans doute aux vôtres et ne m'a donc, hélas, guère surpris. Après tout, c'est peut-être votre façon de souhaiter une bonne année aux vôtres.
    Mais lorsque vous semblez acquiescer aux propos du président du MEDEF, qui demande « de siffler la fin de la récréation et de remettre les Français au travail »,...
    M. Jean Auclair. Et alors ?
    M. Lucien Degauchy. Il a bien fait !
    M. Michel Françaix. ... cela ternit, je vous l'assure, cette image humaniste à laquelle vous semblez tant tenir. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Monsieur le Premier ministre, que vous vous moquiez des socialistes dans vos voeux, c'est de bonne guerre. Et cela peut même, peut-être, d'une certaine façon, nous faire du bien : enfin, un spécialiste en communication qui nous fait de la pub ! (Sourires.)
    Mais, plus sérieusement, pouvez-vous nous rassurer sur votre rôle d'arbitre, sur votre sollicitude pour l'ensemble des salariés de ce pays ?
    M. Jean Auclair. Ils votent pour nous, les salariés !
    M. Michel Françaix. En un mot, pouvez-vous nous rassurer sur le fait que vous ne cultivez pas le privilège pour la France d'en haut ? Sinon, je connais un Président de la République qui pourrait vous reprocher de recréer la fracture sociale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. Monsieur le député, notre politique économique est facile à décrire...
    M. François Hollande. Les Français ne la voient pas !
    M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. ... et je crois que les Français la comprennent :...
    M. François Hollande. Où est la croissance ?
    M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. ... elle consiste en une politique de croissance active. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Certes, durant les cinq dernières années, la France a connu la croissance, mais c'était une croissance passive, et les pouvoirs publics n'y ont pas apporté leur pierre. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Nous, nous voulons faire de la croissance la mobilisation de tous les acteurs de notre société.
    M. André Vallini. Le chômage augmente !
    M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. Ce n'est pas en traitant comme des pestiférés les 2 400 000 commerçants,...
    M. Christian Paul. Changez de logiciel !
    M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. ... artisans et patrons de PME, qui créent de la richesse dans notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française),...
    M. Christian Paul. Si ce n'est pas le MEDEF, ça !
    M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. ... que l'on arrivera, monsieur le député, à soutenir l'investissement. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Notre politique est une politique de soutien à l'investissement. Et lorsque des mesures fiscales sont nécessaires pour stimuler l'investissement, pour transformer l'argent dormant en argent actif, en argent qui crée de l'emploi, de l'innovation, de la richesse, nous modifions la fiscalité parce que cela répond à l'intérêt du pays.
    M. Dominique Dord. Voilà !
    M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. Monsieur le député, laissons de côté les tabous politiques et les vieilles lunes. Essayons d'avoir une politique de rassemblement et de dynamisation de notre économie. C'est l'intérêt de tous et c'est la seule chose qui nous inspire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

CLONAGE HUMAIN

    M. le président. La parole est à M. Alain Gest, pour le groupe UMP.
    M. Alain Gest. Monsieur le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, le 27 décembre dernier, devant un parterre de journalistes ébahis, la présidente d'une société appelée Clonaid annonçait la naissance du premier bébé cloné, c'est-à-dire du premier bébé conçu sans intervention de la sexualité. (Murmures sur divers bancs.) Depuis, aucune confirmation n'a été apportée par cette société dont vous savez qu'elle est l'émanation d'un groupement appelé Raël, considéré comme une secte par les services de police, selon un rapport parlementaire de 1995.
    La crédibilité de cet effet d'annonce, qui pourrait n'être qu'un effet de pub, est bien entendu à rapprocher de celle du récit de M. Claude Vorilhon, alias Raël, de son voyage dans l'espace avec ses amis extraterrestres !
    Quoi qu'il en soit, je crois, monsieur le ministre, qu'il faut tirer les conséquences de cette annonce. La première, c'est qu'il ne faut pas relâcher la vigilance qui s'exerce vis-à-vis des mouvements sectaires. Notre assemblée et les deux gouvernements précédents ont joué un rôle fondamental et prépondérant dans cette action. A cet égard, je me réjouis que M. le Premier ministre réactive la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les sectes.
    Deuxièmement, cette annonce de Clonaid va ouvrir un débat virtigineux sur le clonage reproductif et sur les problèmes qu'il pose aux plans humain, médical et psychologique. Selon les spécialistes, la faisabilité même du clonage humain est particulièrement douteuse. De plus, cette pratique fait appel à des méthodes quasi-industrielles qui peuvent mettre en danger la santé des femmes et peut éventuellement être considérée comme une atteinte à la dignité humaine. Au reste, les Français sont massivement scandalisés par cette pratique, puisque, selon un récent sondage, 77 % d'entre eux sont contre.
    M. le président. Monsieur Gest, posez votre question.
    M. Alain Gest. Afin de protéger les naïfs qui croient à la vie éternelle et les couples qui ont du mal à avoir des enfants, pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, quels sont actuellement les risques que l'on ait recours à une telle pratique dans notre pays et surtout quelles sont les mesures que nous pouvons prendre pour éviter ce genre de dérive ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle, du groupe pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
    M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Monsieur le député, je sais qu'en posant cette question, vous poursuivez la lutte contre les sectes, lutte qui a été engagée sur tous les bancs de cette assemblée au cours des législatures précédentes et qui va continuer au cours de celle-ci.
    Oui, le clonage reproductif rencontre la condamnation unanime de notre société !
    Comme vous, je ne suis pas du tout convaincu de la réalité des annonces faites. Toutefois, malgré les difficultés techniques qui peuvent être avancées, un raisonnement biologique extrêmement simple suffit à démontrer que ce qui a été possible sur une brebis et sur d'autres espèces mammifères doit pouvoir être réalisable aussi chez l'homme, puisque l'homme est aussi un mammifère. Par conséquent, nous ne devons pas relâcher notre vigilance.
    C'est la raison pour laquelle, au mois de janvier dernier, l'Assemblée a voté en première lecture à l'unanimité un article condamnant le clonage reproductif. Mais nous voulons aller plus loin. Aussi, avec l'appui du Premier ministre et du garde des sceaux, Dominique Perben, nous proposerons, à la fin du mois de janvier, au Sénat, en première lecture, un texte créant l'incrimination de crime contre la dignité humaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Cette incrimination devrait pouvoir devenir internationale, car la France - et vous savez le rôle qu'a joué le Président de la République dans l'initiative franco-allemande - a vocation à défendre les droits de l'homme et les idéaux humanistes qui nous habitent. (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.)

SÉCURITÉ ROUTIÈRE

    M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Bertrand, pour le groupe UMP.
    M. Jean-Michel Bertrand. Monsieur le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, en faisant de la sécurité routière l'un des grands chantiers de son quinquennat, le Président de la République a décidé de mettre fin à l'inacceptable. Lors des états généraux de la sécurité routière en septembre dernier, tous les acteurs ont clairement exprimé leur volonté de faire respecter les règles existantes et de sanctionner plus fermement les comportements dangereux.
    Au terme du comité interministériel de sécurité routière du 18 décembre 2002, le Premier ministre a annoncé un plan ambitieux et des mesures cohérentes destinées, en responsabilisant les conducteurs par un contrôle et un encadrement efficaces de l'ensemble des usagers de la route, à faire cesser ce scandale national : 116 745 accidents corporels ont provoqué la mort de 7 720 personnes en 2001 !
    Enfin, aux côtés du Président de la République et du Gouvernement, les élus locaux s'engagent, mais aussi les parlementaires s'engagent, en particulier par la constitution d'un groupe de travail sur la sécurité routière et l'organisation des journées parlementaires de la sécurité routière du 30 janvier prochain.
    Ma question a pour objet d'obtenir davantage de précisions sur la politique menée par le Gouvernement, de connaître éventuellement les premiers résultats obtenus et, enfin, d'apprendre les orientations à donner à tous les acteurs publics, privés et associatifs, dans le cadre de la mobilisation nationale contre ce fléau meurtrier, exception française à laquelle nous voulons tous mettre fin. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.
    M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Monsieur le député, je détaillerai d'abord le calendrier avant de vous donner les résultats que vous m'avez demandés.
    La calendrier d'abord : en juin 2002 a eu lieu un débat sur l'amnistie, celle-ci ayant été pour la première fois très restrictive ; le 14 juillet 2002, le Président de la République a demandé de faire de la sécurité routière un grand chantier du quinquennat ; en septembre 2002, se sont tenus les états généraux de la sécurité routière ; le 18 décembre 2002, M. le Premier ministre a présidé le comité interministériel de la sécurité routière ; en février 2003, j'aurai l'honneur, avec Dominique Perben, de présenter à la représentation nationale un projet de loi reprenant les mesures annoncées par le comité interministériel ; enfin, en attendant, ont été pris des textes réglementaires visant à alourdir certaines peines pour les contraventions ou les délits touchant à la sécurité routière.
    S'agissant des résultats, ensuite, voilà le bilan provisoire de l'année 2002 : par rapport à 2001, le nombre des vies sauvées s'élève à 490, ce qui représente une baisse de 6,3 % ; le premier semestre marque une légère augmentation, mais le second semestre traduit, lui, une nette diminution dans la mesure où 552 vies ont été sauvées et 8 641 personnes de moins ont été blessées dans les accidents de la route ; et au seul mois de décembre, par rapport au mois de décembre 2001, 217 vies ont été sauvées et l'on a compté 1 735 blessés de moins.
    Je ne crois pas utile de commenter ces chiffres, monsieur le député, ils parlent d'eux-mêmes. Mais j'appelle tout le monde à poursuivre cette grande mobilisation. Il n'y a pas lieu de faire de l'autosatisfaction mais une vraie espérance est aujourd'hui permise. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Jean Le Garrec.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN LE GARREC,
vice-président

    M. le président. La séance est reprise.

4

SÉCURITÉ INTÉRIEURE

Suite de la discussion d'un projet de loi
adopté par le Sénat après déclaration d'urgence

    M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, pour la sécurité intérieure (n°s 381, 508).

Discussion générale

    M. le président. Nous abordons la discussion générale.
    Je demande à chacun de respecter le temps de parole qui lui a été attribué car cette discussion générale, et c'est normal, est fort longue.
    La parole est à M. Patrick Braouezec.
    M. Patrick Braouezec. Monsieur le président, monsieur le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, mes chers collègues, j'ai en effet le redoutable privilège d'entamer la discussion générale de ce projet de loi sur la sécurité intérieure. Après la loi de programmation consacrée aux moyens, ce projet de loi précise les objectifs et la manière de les atteindre.
    Cette nuit, en réponse à la question préalable de M. Gerin, vous nous avez demandé, monsieur le ministre, de ne pas entrer dans de vaines polémiques, comme si tout le monde devait inévitablement entrer dans le moule ou plutôt la logique que vous nous proposez. Permettez-moi de défendre, sans anathème ni provocation mais avec conviction, ce en quoi je crois.
    Première remarque, ce projet choisit délibérément d'instrumentaliser l'insécurité comme une arme dans le débat politique. Vous laissez entendre que ceux qui s'opposent aux mesures de restriction des libertés, d'aggravation des discriminations et des stigmatisations seraient en fait indulgents ou inactifs face à la délinquance. En clair, vous insinuez que s'opposer à ce texte déséquilibré, fortement répressif et sécuritaire, c'est être indifférent à l'insécurité, voire complice de celle-ci.
    Notre opposition à ce projet se fonde sur des principes et des réalités que nous sommes bien placés pour connaître ; nous les vivons en tant qu'élus de circonscriptions populaires. Nous refusons que la présentation du problème soit réduite à deux visions : l'une, la vôtre, supposée réaliste, ferme et républicaine, et l'autre, la nôtre, caricaturée comme droits-de-l'hommiste, naïve et laxiste. Nous n'acceptons pas cette alternative. Sur ce terrain comme sur tout ceux qui touchent aux droits de la personne humaine, notre position est de ne jamais renoncer à certaines idées et valeurs essentielles.
    De même, nous refusons le stérile et sempiternel débat qui oppose prévention et répression, l'une n'allant pas sans l'autre. La prévention comporte d'ailleurs également des sanctions, qui peuvent être négatives ou positives. Une véritable police de proximité n'est pas qu'une force de répression, elle participe aussi à la prévention des délits.
    Enfin, les sanctions, y compris pénales, doivent être notamment conçues comme préventives, à moins de considérer les auteurs comme irrécupérables, ou de voir dans la récidive une fatalité.
    Nous affirmons que tous les moyens n'ont pas été donnés à l'éducation et à la prévention et que les lois existantes suffiraient à faire reculer l'insécurité et la violence si la police et la justice avaient la capacité de les appliquer et si ces lois s'accompagnaient d'un recul des injustices et des inégalités.
    La prévention n'a pas échoué. Partout où elle est véritablement mise en oeuvre, elle donne des résultats. C'est à cause du manque de moyens que ceux-ci ne sont pas meilleurs. A titre d'exemple, concernant les mineurs, l'équipe éducative de Saint-Denis couvre une population plus de deux fois supérieure à la population moyenne des secteurs calculée au niveau national. En Seine-Saint-Denis, plus de quatre cents mesures éducatives sont en attente, faute d'éducateurs. En 1998, c'était près de 80 % de l'activité de la protection judiciaire de la jeunesse dans notre département qui était concentré sur le pénal et l'urgence, au détriment de l'intervention en amont et du signalement des enfants en danger.
    La tendance observée à l'incarcération des mineurs illustre les risques désastreux de fuite en avant répressive qui se manifestent dès que le maillon éducatif est insuffisamment pourvu. Il n'est pas rare de voir des mineurs primo-délinquants déférés et incarcérés, alors que la prison ne devrait être que l'ultime recours.
    A Saint-Denis, de 1990 à 1997, les moyens de la protection judiciaire de la jeunesse ont diminué. De 1980 à 1997, le nombre de mineurs interpellés en France est passé de 104 000 à plus de 154 000, alors que le nombre des postes d'éducateur n'a été augmenté que de 317.
    Dans la presse, on pouvait lire ce matin que votre ambition était de faire reculer non pas l'insécurité mais le sentiment d'insécurité. Cela vient corroborer mon impression initiale : le Gouvernement n'a pas pour objectif de combattre véritablement la violence mais de mettre en scène une illusion destinée à l'opinion publique.
    Le Gouvernement n'est pas non plus, contrairement à ce qu'il le prétend, aux côtés des victimes. A cet égard, je me bornerai à une seule des nombreuses illustrations que j'aurais pu citer : vous avez choisi de supprimer des milliers d'emplois de surveillant dans les collèges et les lycées et de mettre fin aux contrats emplois-jeunes. Au total, ce sont des dizaines de milliers d'adultes qui vont disparaître des cours de récréation, des couloirs et des salles de permanence. Il s'agit là d'un gigantesque plan de licenciement et, dans la perspective qui nous réunit aujourd'hui, d'un abandon des adolescents. Les études du ministère de l'éducation nationale indiquent d'ailleurs que les élèves représentent 86 % des victimes d'agressions physiques.
    Le Gouvernement s'affirme d'autre part volontariste. Le projet de loi témoigne au contraire de l'impuissance de l'Etat. La fameuse « impuissance publique » réside dans l'inapplication des lois. Au lieu de mettre en oeuvre les textes existants, vous créez de nouveaux délits à la faveur d'une escalade répressive.
    La création du délit d'entrave à la libre circulation dans les halls d'immeuble, passible de deux mois de prison ferme, est significative. La disposition qui permet de verbaliser et de disperser les personnes provoquant des nuisances existe...
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Non !
    M. Patrick Braouezec. Si ! Elle relève de la réglementation sur les troubles de jouissance auxquels les forces de police ou de gendarmerie peuvent légitimement mettre un terme.
    Les six mois d'emprisonnement prévus en cas de stationnement illégal sur un terrain, qui visent particulièrement les gens du voyage, témoignent eux aussi de cette impuissance, et notamment de celle à imposer aux communes la réalisation des aires de stationnement nécessaires. Là encore, la véritable fin de l'impuissance publique suppose d'appliquer la législation et non d'ajouter, toujours de façon spectaculaire, de nouvelles dispositions qui ne seront pas plus appliquées que les précédentes.
    Autre formule choc qui motive le projet de loi : « L'Etat doit être fort pour protéger les faibles. » Je pense qu'avant d'être fort l'Etat doit être juste. C'est la condition préalable à la reconnaissance de son autorité naturelle. Toute manifestation de force ou tout recours abusif à la force appellent d'autres violences en retour.
    Cette conception d'un Etat fort se limite d'ailleurs à la seule répression. Votre Etat est des plus faibles quand il s'agit de protection sociale ou d'encadrement du pouvoir économique et financier. En clair, il est dur pour les faibles et faible face aux puissants. Il s'agit d'une logique libérale et sécuritaire que nous avons déjà dénoncée lors de la discussion du budget de 2003.
    Plus d'Etat pour la police, l'armée et les prisons, mais moins d'Etat pour les écoles, le logement, l'emploi, le contrôle des licenciements ou la santé.
    Ce système est bien connu : c'est celui qui prévaut aux Etats-Unis. Dans ce pays, le système carcéral, public et privé, est le troisième employeur. Car il faut bien contenir et réprimer les effets de l'aggravation des inégalités, de la ségrégation ou de la dérégulation du marché du travail. Aux Etats-Unis, plus de deux millions de personnes sont en prison. A l'échelle de la France, un tel taux d'incarcération se traduirait par 400 000 personnes incarcérées, et non plus 50 000 comme actuellement. Si les dispositions du projet de loi sont appliquées, le programme de construction de 11 000 places de prisons supplémentaires se révélera rapidement insuffisant. Mais est-ce cela que nous voulons ?
    Au nom de quoi - pour reprendre l'une de vos expressions favorites, monsieur le ministre - allons-nous nous opposer à ce projet ? Au nom du fait qu'il met à mal la devise de notre société - « liberté, égalité, fraternité » - et son contrat social.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Grotesque !
    M. Nicolas Perruchot. C'est tout le contraire !
    M. Patrick Braouezec. Ce n'est pas vous que j'essaierai de convaincre, mais l'opinion publique.
    Il s'agit d'un projet contre la liberté.
    M. Gérard Léonard. C'est l'inverse !
    M. Patrick Braouezec. Le fichage policier est élargi avec la consultation du fichier STIC - le système de traitement des infractions constatées - qui englobe les coupables mais aussi les suspects, les témoins et les victimes, mineurs ou majeurs, soit 5 millions de personnes, pour l'accès à certains emplois ou à la naturalisation. Les fouilles et les palpations par les vigiles privés deviennent légales. La majorité parlementaire propose d'étendre la consultation des fichiers aux policiers municipaux. La protection des libertés individuelles exige pourtant de limiter strictement l'utilisation de tels fichiers, en lecture et en écriture, aux seules fins de police ou de sécurité.
    L'an passé, la Commission nationale de l'informatique et des libertés a fait procéder dans 25 % des cas à des mises à jour, à la suppression de signalements erronés ou manifestement non justifiés. En clair, dans un cas sur quatre, le fichier comportait une erreur qui, avec le vote de votre texte, pourrait se traduire, certes pas dans tous les cas, par le refus d'une embauche, d'une naturalisation, de l'inscription à un concours, d'un titre de séjour ou d'une autre démarche administrative. Le projet n'apporte aucune garantie concernant le droit des individus à faire rectifier des erreurs ou d'accéder aux données qui les concernent.
    Il s'agit aussi d'un texte contre l'égalité puisqu'il divise les citoyens en catégories. Il désigne non pas des actes condamnables, mais des catégories de personnes - gens du voyage, jeunes, prostitués, SDF. A partir de situations sociales telles que la mendicité ou le racolage, il crée des délits, et il en renforce d'autres, comme le squat. C'est d'autant plus grave que, dans le même temps, le Gouvernement ne fait rien pour apporter des réponses à ces situations sociales extrêmes.
    Monsieur le ministre de l'intérieur, vous qui affirmez que la peur doit changer de camp, ne croyez-vous pas que les prostitués, les mendiants, les gens du voyage, les squatteurs de logements ou de halls d'immeubles ont, pour beaucoup, déjà peur, eux qui vivent le plus souvent dans la précarité et la violence et qui ressentent ne serait-ce que la peur du lendemain ?
    Le projet aggrave également les discriminations à l'encontre des étrangers. Loin d'amorcer la réforme annoncée de la double peine, il crée de nouveaux cas. Ainsi, il prévoit de nouveaux motifs de retrait des titres de séjour.
    Le texte ne s'attaque qu'à la petite délinquance, visible dans l'espace public. Il dresse un catalogue des nuisances, qui semble parfois tiré de la rubrique des faits divers d'un journal racoleur. La grande délinquance, qui déstructure profondément notre société, mais qui en apparence du moins ne gêne pas au quotidien, peut quant à elle dormir tranquille. La délinquance en col blanc, les paradis fiscaux, les réseaux de trafic d'armes, de fausses factures ou de drogue n'ont rien à craindre de votre projet ni de l'action du Gouvernement ou de sa logique répressive.
    Votre texte est également lourd d'inégalités territoriales selon les lieux de vie et de travail. D'ores et déjà, les interpellations et les condamnations liées à la pénalisation de l'usage simple de cannabis ne s'appliquent réellement que dans les quartiers populaires.
    Monsieur le ministre, c'est vous qui avez reconnu - et l'on peut s'étonner du besoin d'une telle précision - que ce n'est pas parce qu'on habite une HLM que l'on est délinquant.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Est-ce vrai ou faux ?
    M. Patrick Braouezec. Au nom de quoi, alors que vous affirmez ne pas pratiquer d'amalgame, les interventions de centaines de membres des forces de l'ordre - trois cents policiers et gendarmes à Nanterre en juillet dernier - sont-elles conduites dans les seuls quartiers populaires ? Je ne pense pas que vous auriez toléré pareille opération à Neuilly, dont vous êtes le maire, ni que vous l'ayez jamais envisagée. Les zones de non-droit, que vous stigmatisez, sont aussi des zones de non-droit du fait du traitement d'exception que vous leur réservez.
    Votre texte traite de personnes, de populations et de quartiers ciblés par une législation d'exception, comme hors du droit commun. Le non-droit, ce n'est pas tel ou tel endroit, mais c'est une politique inégale selon les conditions sociales des uns et des autres et les quartiers dans lesquels ils vivent.
    Pourquoi ne pas limiter ce texte à des mesures opérationnelles - André Gerin en a proposé une dizaine hier soir - dont l'effet serait réel sur la réduction des délits ? Notre collègue a notamment évoqué la création, tant attendue, d'un fichier commun des opérateurs de téléphones portables afin de neutraliser les appareils volés.
    Enfin, votre projet de loi nuit à la fraternité.
    Les ruptures d'égalité auront de graves conséquences dans la vie de tous les jours. Le risque de voir se défaire toujours davantage le lien social et de voir s'opposer entre elles des populations qui subissent à des titres divers les conséquences de vos politiques sociales est grand. C'est la notion de vivre-ensemble, dont beaucoup sur ces bancs se réclament pourtant, qui est mise à mal dans votre projet.
    Pour notre part, nous refusons tous les amalgames. On remarquera d'ailleurs que, dans le débat public sur l'insécurité, la recherche systématique de boucs émissaires connaît pas mal de variantes et de déboires : tantôt on désigne un urbanisme et une architecture considérés comme criminogènes, tantôt on stigmatise en bloc une « jeunesse violente », puis c'est au tour de l'immigration d'être montrée du doigt. Toujours les autres, bien sûr ! Sans oublier, et votre texte ne les oublie pas, les pauvres, les gens du voyage et les prostitués, qu'il suffirait de déplacer, d'enfermer ou de cacher.
    Toutes ces explications, avancées chaque fois avec beaucoup de certitude, créent des tensions, provoquent des humiliations et ne mènent à aucune issue. Cela me conduit à affirmer une autre conviction, fondatrice de la gauche française et d'une tradition humaniste que celle-ci ne devrait jamais lâcher : on ne combat efficacement toutes les formes d'insécurité que si l'on s'attaque aux causes profondes qui les génèrent. Il est vrai qu'il est plus facile de faire croire que l'on va régler les problèmes de violence et de sécurité en flattant une opinion publique particulièrement bien préparée...
    M. Guy Teissier. C'est vous qui l'avez préparée !
    M. Patrick Braouezec. ... que de traiter les vraies causes du mal profond de notre société.
    Nous sommes en présence d'un médecin qui, au lieu de rechercher les causes d'une maladie et d'agir sur elles, n'en traiterait que les symptômes.
    Ce qui est recherché et proposé dans ce texte de loi comme dans l'action générale du Gouvernement, ce n'est pas de s'attaquer aux insécurités premières, primaires, que constituent le chômage, la précarité de l'emploi, les bas salaires qui empêchent de vivre dignement, le manque de plus en plus grand de logements, laissant des dizaines de milliers de personnes sans toit ou les livrant aux marchands de sommeil, ce n'est pas de s'attaquer aux inégalités de traitement ou d'accès aux services publics selon l'endroit où l'on vit ni aux discriminations s'exerçant à l'embauche, dans le logement ou dans les loisirs.
    Cette énumération, n'en déplaise à M. Clément, qui n'est pas parmi nous cet après-midi...
    M. Jean-Pierre Blazy. Ce n'est pas un mal !
    M. Gérard Léonard. On assume !
    M. Patrick Braouezec. ... ne relève pas de concepts ou d'une vaine philosophie.
    Ce qui est proposé pour les millions de personnes qui subissent ces insécurités, c'est de choisir entre la résignation, la mise à la marge de plus en plus grande ou l'enfermement.
    A travers ces propos, il ne s'agit ni de faire du déterminisme sociologique ni de justifier par des explications sociales des actes qui méritent d'être sanctionnés et que la simple application des lois actuelles permet de réprimer : il s'agit de bien faire comprendre aux citoyens qu'il est vain, illusoire et dangereux de croire que le projet de loi pourra guérir les vraies maladies que connaît notre société.
    Je le répète, je ne pratique pas le discours victimaire ou l'absolution sociologique.
    M. Nicolas Perruchot. Heureusement !
    M. Patrick Braouezec. Rejeter le déterminisme social est une chose ; c'en est une autre de présenter le problème ex nihilo et de ne pas remettre en cause la machine à exclure qui est aujourd'hui à l'oeuvre.
    Il n'y a aucune fatalité sociologique à la délinquance. Rien ne serait pire que de figer une personne dans un statut de victime ou de coupable car ce serait nier son individualité. Les choses ne sont pas figées, et les maires le savent bien : le sauvageon d'hier est souvent le demandeur de logement d'aujourd'hui et le papa demandeur d'une place en crèche de demain.
    M. Guy Teissier. Et d'une place en maison de retraite après-demain !
    M. Patrick Braouezec. Le vrai laxisme, c'est la déresponsabilisation, l'enfermement dès le plus jeune âge dans le rôle de délinquant, que les mesures strictement répressives proposées aujourd'hui risquent de développer et de favoriser.
    Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse et d'émettre une opinion dans le débat que vous avez suscité hier soir.
    Je considère que la gauche n'a pas perdu du fait de son incapacité à agir sur les questions de l'insécurité,...
    M. Gérard Léonard. C'est tout de même vrai en partie !
    M. Patrick Braouezec. ... mais bien à cause de la timidité avec laquelle elle s'est attaquée aux insécurités primaires que j'ai citées. Il arrivera d'ailleurs un moment où les mesures spectaculaires et sécuritaires ne seront plus suffisantes pour masquer cette réalité. Car une politique qui espère venir à bout des phénomènes d'insécurité mais qui, dans le même temps, en aggrave les origines de fond en acceptant des plans massifs de licenciement, en s'attaquant à la sécurité sociale, en réduisant les crédits de l'école publique,...
    M. Guy Teissier. C'est faux !
    M. Patrick Braouezec. ... en ne reconnaissant plus dans les faits de droit d'asile, en n'offrant pas la moindre lueur d'espoir à la jeunesse, est vouée à l'échec.
    Hier soir, vous avez tenté d'enfermer, si je puis dire, le débat dans une sorte d'inventaire - j'allais dire : à la Prévert, mais je ne suis pas certain que Prévert m'aurait vraiment approuvé.
    M. Guy Teissier. Il ne l'aurait sûrement pas fait !
    M. Patrick Braouezec. Vous avez tenté, disais-je, d'enfermer le débat dans une sorte d'inventaire de faits que personne ne nie, mais qui ne reflète pas l'exacte réalité des lieux et des personnes que vous montrez du doigt. Cette réalité est moins manichéenne.
    Quand je vous entendais hier soir, et cela est peut-être encore plus vrai quand j'écoutais M. Estrosi, énumérer jusqu'à la carricature des situations - et c'est là que réside la force de votre supercherie - que chacun a pu un jour ou l'autre connaître dans sa vie...
    M. Guy Teissier. Dans ces conditions, vous ne pouvez pas parler de « caricature » !
    M. Patrick Braouezec. ... je ne pouvais pas m'empêcher de penser à la ville dans laquelle je vis depuis trente-trois ans.
    Saint-Denis n'est pas, c'est le moins que l'on puisse dire, à l'abri des violences et des insécurités. J'y ai enseigné pendant vingt ans avant d'en être le maire, mes enfants y ont été scolarisés et le plus jeune étudie encore dans un de ces collèges auxquels on accole souvent les termes de « sensible », « difficile » ou « à problèmes ». Mais je ne me reconnais pas et je ne reconnais pas dans votre description ces centaines, ces milliers de personnes qui vivent, travaillent et étudient à Saint-Denis.
    Votre but n'est pas de décrire le réel, mais de justifier une ligne politique choisie par avance. Vos fragments de réel, mis bout à bout, donnent, comme un grand nombre de documentaires ou de films habilement montés, une image d'une réalité beaucoup moins caricaturale. Et ce n'est pas faire de la philosophie que de dénoncer ce processus de construction idéologique, dont je ne vous attribue pas la paternité et qui a abouti à ce que, dans les lieux les plus paisibles de nos campagnes, le vote d'extrême droite ait été aussi fort le 21 avril dernier.
    Mme Christine Boutin. C'est incroyable !
    M. Robert Pandraud. N'importe quoi !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Le PC a fait 3 % !
    M. Patrick Braouezec. Monsieur le ministre, votre texte de loi ressortit à un projet de société qui tourne le dos à nos valeurs, à nos principes républicains, qui se calque sur le modèle américain et qui aurait à terme les mêmes résultats : abandon des politiques sociales et des principes de solidarité, politique de plus en plus répressive en direction de ceux qui sont les plus fragilisés et les plus pauvres.
    Je préférerais - dois-je vous l'avouer ? - me tromper, mais je souhaite prendre date et acte car je crains malheureusement que ce texte ne soit le premier d'une longue liste qui continuera de mettre à mal les principes de notre république.
    Mme Christine Boutin. N'importe quoi !
    M. Guy Teissier. Le goulag !
    M. Patrick Braouezec. Il sous-tend une société d'exclusions et de ségrégations accentuées à laquelle nous continuerons d'opposer une société de liberté et de responsabilité, dont l'idée d'un projet commun partagé par des gens divers par leurs conditions, leurs origines et leur âge, resterait la base fondatrice.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. La prochaine fois, vous ne ferez pas 3 % !
    M. Patrick Braouezec. Je dirai que c'est sans doute ce type de projet qui a fait défaut en avril et en mai dernier pour faire écho au débat que vous nous avez proposé d'engager hier soir dans cette assemblée.
    Chacun l'aura compris, le groupe communiste votera résolument contre le projet de loi pour la sécurité intérieure, qui porte atteinte aux libertés, renforce les inégalités devant la loi, criminalise les situations sociales les plus difficiles et qui, dans sa mise en oeuvre, n'améliorera pas la sécurité des biens et des personnes. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    M. Robert Pandraud. Il est meilleur, d'habitude !
    Mme Christine Boutin. Ils sont mal partis !
    M. André Gerin. Nous allons vous surprendre !
    M. Guy Teissier. Par vos turpitudes !
    M. le président. La parole est à M. Gérard Léonard.
    M. Gérard Léonard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs, le défi majeur auquel notre pays est confronté, et ce sentiment semble aujourd'hui largement partagé, est bien celui de l'insécurité.
    Cette introduction pourrait paraître bien banale, mais lorsqu'on se souvient qu'il y a quelques années encore le fait d'aborder le sujet nous valait d'être immédiatement taxés de fantasmes sécuritaires et que le fait de décrire la réalité nous faisait pratiquement traduire devant un tribunal populaire car on voulait considérer que les délits n'étaient que des actes d'incivilité, ce rappel me paraît très utile.
    M. Claude Gaillard. En effet !
    M. Jean-Pierre Blazy. Depuis, il y a eu une évolution !
    M. Gérard Léonard. Ce défi est majeur par son ampleur et le caractère très douloureux des réalités qu'il recouvre. Il l'est aussi, monsieur Braouezec, parce qu'il met en cause les fondements mêmes de notre pacte républicain.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Il est parti !
    M. Gérard Léonard. Il est parti, c'est dommage ! Cela prouve bien qu'en fait le débat ne l'intéresse pas. Ce qui l'intéresse, ce n'est pas le débat républicain, mais de débiter sa litanie, aujourd'hui largement éculée. Je ne dis pas cela pour M. Gerin, qui est présent.
    M. le président. N'engagez pas un débat avec M. Braouezec, il n'est pas là.
    M. Gérard Léonard. C'est bien dommage, mais je vous remercie de le souligner, monsieur le président.
    Les statistiques officielles, qui n'appréhendent pourtant, vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, qu'une partie du phénomène considéré, sont accablantes. A cet égard, il faut se réjouir de la démarche que vous avez engagée, et consistant à moderniser l'outil de mesure de la réalité et d'en publier régulièrement les résultats. Il s'agit d'un acte de courage républicain qu'il convient de saluer.
    La véritable dérive que ces statistiques enregistrent régulièrement est devenue proprement insupportable pour nos concitoyens, victimes accablées ou parfois témoins révoltés d'une déliquance dont la montée semble inexorable. Les chiffres sont éloquents. Il ne faut pas se lasser de les rappeler, même si cela irrite parfois ceux qui refusent de voir les choses en face ou tentent de masquer la lourde responsabilité qu'ils portent dans ce déplorable état de fait. Il faut les rappeler sans esprit polémique mais avec gravité, ne serait-ce que pour bien apprécier l'importance et la nature des moyens à mettre en oeuvre pour remédier à la situation fort dégradée qu'ils révèlent. La lucidité, mes chers collègues, est une condition essentielle de l'efficacité et donc de l'utilité de l'action publique ; alors que l'aveuglement idéologique, la surdité dogmatique,...
    M. Jean-Pierre Blazy. C'est affreux !
    M. Manuel Valls. De qui parlez-vous ?
    M. Gérard Léonard. ... voire le cynisme partisan - le tout n'étant d'ailleurs pas totalement incompatible -, sont porteurs d'échec et de trahison de l'idéal proclamé. Je vais m'expliquer, et vous comprendrez vite de qui je parle. Lorsqu'on prétend défendre le peuple, et surtout les plus faibles, les plus démunis en son sein, la moindre des choses, mes chers collègues, est de prendre en considération ce que ces personnes vivent quotidiennement...
    Mme Christine Boutin. Bien sûr !
    M. Gérard Léonard. ... et non de les assommer d'incantations sociétales, moralisatrices, voire culpabilisatrices. Qu'il soit conscient ou inconscient, mes chers collègues, cela s'appelle du mépris. Et le mépris finit toujours par être sanctionné. Ce qui s'est produit au printemps dernier, avec le désaveu cinglant infligé par le peuple de France à une politique qui négligeait de façon outrancière ses préoccupations, en est le témoignage. Mais s'il convient de se réjouir, bien entendu, de cette alternance, salutaire pour notre pays, il ne faut surtout jamais oublier l'exaspération et souvent le désespoir exprimés à cette occasion par un grand nombre de nos concitoyens, et qui les ont conduits à se réfugier dans l'abstention ou dans le vote extrême.
    M. Claude Gaillard. C'est vrai !
    M. Gérard Léonard. Cela donne, mes chers collègues, toute la mesure de la responsabilité historique qui est la nôtre. Notre majorité, nous tous ici, les représentants de la nation, mais également, au-delà de nous, tous ceux qui exercent une fonction politique, ont une responsabilité historique au regard de l'avenir des valeurs républicaines qui fondent nos institutions.
    Cette responsabilité oblige à considérer le phénomène de l'insécurité dans toutes ses dimensions, pour y apporter les réponses adaptées. Car la réalité, c'est une véritable explosion de la criminalité et de la délinquance, avec une augmentation globale de plus de 40 % en vingt ans, et une accélération du phénomène au cours des cinq dernières années, le nombre des crimes et délits ayant progressé de près de 16 %. J'indique tout de même au passage, à l'intention de ceux qui, considérant cette évolution comme une fatalité, douteraient de la capacité des gouvernants, quels qu'ils soient, de la juguler, que la tendance a été nettement inversée entre 1986 et 1988, puis entre 1994 et 1997.
    M. Guy Geoffroy. Eh oui !
    M. Gérard Léonard. Malheureusement, l'arrivée aux affaires des socialistes a ruiné à chaque fois les efforts déployés, et je pense en particulier à la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité de 1995, dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur.
    Les résultats désastreux de l'abandon de la politique volontariste que nous avions engagée, de surcroît - faut-il le rappeler ? - dans un contexte économique et budgétaire particulièrement difficile, n'ont pas tardé à se produire.
    Mais au-delà de l'approche quantitative, alarmante et déjà en elle-même justificatrice de l'action, le plus inquiétant réside dans la nature de cette délinquance et dans les formes de son évolution sur la période récente.
    Le premier sujet de préoccupation est le volume croissant des atteintes volontaires contre les personnes, qui ont augmenté de 90 % en dix ans, et de 10 % pour la seule année 2001. Très longtemps acquisitive, la délinquance a ainsi de plus en plus cédé le pas devant les coups et blessures, les atteintes aux moeurs, les menaces et les viols.
    Plus préoccupante encore est la forte progression de la délinquance des mineurs : plus de 80 % en dix ans. Leur part dans l'ensemble des personnes mises en cause, qui était inférieure à 12 % dans les années 1970, a atteint plus de 21 % en 2001. Et s'agissant de la délinquance de voie publique, cette part est de 36 %. On rappellera que les 13-18 ans représentent moins de 8 % de la population française.
    La troisième caractéristique de l'évolution récente de la criminalité et de la délinquance est le développement des réseaux mafieux, de mieux en mieux organisés, avec une dimension internationale de plus en plus affirmée.
    Autre grande tendance de la délinquance, sa mobilité croissante et sa diffusion sur l'ensemble du territoire. Les statistiques enregistrées en zone gendarmerie en témoignent de façon criante.
    Une activité criminelle et délictueuse en constante et très forte progression, de plus en plus violente, de plus en plus juvénile, de mieux en mieux organisée et de plus en plus mobile, tels sont les grands traits du fléau auquel notre pays est confronté et qu'il est du devoir impérieux des pouvoirs publics de réprimer durablement.
    J'utilise à dessein ce terme « réprimer », car je suis d'accord avec vous, monsieur le ministre, il doit être réhabilité dans la réalité de sa signification et de sa portée.
    M. Georges Fenech et M. Dino Cinieri. Bravo !
    M. Gérard Léonard. Face à cette situation très dégradée, sous l'impulsion du Président de la République et conformément aux engagements pris devant les Français, la lutte contre l'insécurité est enfin devenue une grande priorité nationale.
    Avec une vigueur exceptionnelle, une nouvelle politique a été engagée, rompant avec les atermoiements et la timidité des actions du gouvernement précédent.
    M. Jean-Pierre Blazy. Mais c'est faux, cela !
    M. Claude Gaillard. Non, c'est vrai !
    M. Gérard Léonard. Une politique audacieuse, marquée par la ferme volonté de restaurer une autorité de l'Etat trop longtemps bafouée et de donner enfin à celui-ci les moyens de sa mission constitutionnelle de protection des personnes et des biens. C'est ainsi que, dès l'été, le Parlement a été appelé à adopter deux grandes lois d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure et pour la justice, qui engagent des moyens d'une ampleur inégalée pour les cinq années à venir. Elles prévoient en effet, il faut le rappeler, la mobilisation de 9,25 milliards d'euros et la création de 23 600 emplois. 5,6 milliards d'euros seront affectés à la gendarmerie et à la police, et 13 500 postes seront créés. Fait sans précédent, dès le budget pour 2003, ce sont 40 % de cette enveloppe qui ont été engagés. 30 % des emplois nouveaux prévus pour la police et 17 % pour la gendarmerie feront l'objet de créations d'emplois pour cette année.
    Dans le même temps, sous votre autorité efficace, monsieur le ministre, une réorganisation des services de sécurité a été entreprise, visant une plus grande cohérence et une meilleure synergie des interventions menées. Le placement sous un commandement opérationnel unique de la police et de la gendarmerie, la création des groupes d'intervention régionaux, la réorganisation des compagnies républicaines de sécurité et des escadrons de gendarmerie mobile vers la lutte contre l'insécurité quotidienne, le redéploiement des zones de police et de gendarmerie sont autant de réformes d'envergure, engagées avec courage, vigueur et talent, en un temps record.
    La coopération internationale et européenne méritait d'être relancée. Vous l'avez fait, monsieur le ministre, avec la mise en place des nouveaux centres de coopération policière et douanière, le règlement franco-anglais de Sangatte et la relance avec les polices des différents pays européens d'une coopération renforcée. Cette détermination nouvelle, une présence active sur le terrain, une talentueuse pédagogie n'ont pas tardé à produire leurs premiers effets, dont le moindre - j'insiste sur ce point, parce que c'est un élément très fort pour la suite de notre action - n'est pas la remotivation et la remobilisation des fonctionnaires de la police et des militaires de la gendarmerie. Les premiers résultats de cette nouvelle politique sont mis en évidence par les statistiques. Après une progression forte et rapide, nous enregistrons aujourd'hui une stabilisation, voire les prémices, d'une inversion de tendance.
    M. Jean-Pierre Blazy. Nous verrons, nous verrons.
    M. Gérard Léonard. S'il convient de vous en féliciter chaleureusement, monsieur le ministre, je sais, connaissant votre caractère exigeant - et vous l'avez d'ailleurs solennellement rappelé au début de notre débat -, que vous n'allez pas vous reposer sur ces premiers lauriers. Nous savons que l'effort sera poursuivi, et amplifié, pour vaincre durablement l'insécurité.
    M. Jean-Pierre Blazy. Oh ! Bravo !
    M. Gérard Léonard. Et ce projet de loi soumis à notre examen, mes chers collègues, conformément aux engagements consacrés dans la LOPSI, en est l'éloquente illustration. Il est en effet évident que la réorganisation des services, les dotations nouvelles considérables en moyens humains et matériels, la coopération internationale renforcée, ne porteront tous leurs effets que si les acteurs de sécurité disposent des moyens juridiques adaptés à la réalité de la délinquance d'aujourd'hui et de demain. C'est l'objet de ce texte que de leur donner ces outils, tout en assurant une meilleure protection des victimes, dont on s'occupe enfin, et en tirant le meilleur parti des techniques modernes d'investigation déjà très largement utilisées dans d'autres pays.
    Dans son rapport d'une remarquable qualité et dans sa brillante intervention d'hier, notre rapporteur, après vous, monsieur le ministre, a bien mis en évidence les avancées marquantes de cet ensemble de mesures, tout en évoquant les principaux enrichissements que notre commission des lois, dans sa grande sagesse et sa légendaire perspicacité, a souhaité y apporter. Il est d'ailleurs dommage que son président, M. Clément, ne soit pas là pour entendre ces compliments !
    M. Robert Pandraud. Il a en tout cas un très bon rapporteur !
    M. Gérard Léonard. Le rapporteur est aussi excellent que le président est remarquable ! (Sourires.)
    Approuvant entièrement le propos du rapporteur, je n'y reviendrai pas dans le détail, me contentant de souligner la portée de quelques-unes des dispositions majeures de ce texte. Je salue au préalable l'excellent travail fourni par nos collègues du Sénat, en particulier avec l'adjonction du très important chapitre relatif à la lutte contre la traite des êtres humains et le proxénétisme.
    Le premier atout majeur de ce dispositif est, je le répète, de donner aux forces de police et de gendarmerie les moyens juridiques de leur action - je pense en particulier à la fouille des véhicules - et cela, soulignons-le fortement, contrairement à ce qui a été dit hier par M. Le Roux, dans un respect scrupuleux de nos règles constitutionnelles et, bien entendu, en tirant le meilleur parti des nouvelles techniques d'investigation.
    Par ailleurs, l'élargissement du territoire d'intervention des OPJ tient compte de la mobilité croissante de la délinquance et répond donc à une évidente nécessité.
    Mais le plus important est sans doute le champ nouveau donné à l'exploitation du traitement automatisé des informations et à l'extension du fichier des empreintes génétiques. De fait, la plus grande insuffisance de notre système de lutte contre l'insécurité est sans conteste la faiblesse du taux d'élucidation des affaires incriminées, qui n'a cessé de se dégrader depuis une vingtaine d'années. Alors que ce taux était supérieur à 50 % dans les années 70, il est aujourd'hui tombé à 22 % pour la police et à 32 % pour la gendarmerie.
    Comme je l'ai souligné dans mon rapport pour avis sur le budget de votre ministère pour 2003, une telle dérive a été aggravée par la mobilisation en faveur de la police de proximité, qui serait légitime, monsieur le ministre, si elle ne s'était faite au détriment de la police d'investigation.
    Comme je l'ai dit à cette tribune, on a déshabillé Pierre, l'enquêteur, pour mal habiller Paul, l'îlotier. C'est cela la réalité que nous sommes en train de vivre aujourd'hui.
    M. Claude Gaillard. Voilà !
    M. Jean-Pierre Blazy. Il faut les deux !
    M. Gérard Léonard. Je sais, monsieur le ministre, que les services d'investigation, seront prioritairement renforcés. De nouveaux moyens d'identification des auteurs des crimes et délits leur seront prochainement donnés, car c'est la moindre des missions à remplir pour les forces de police et de gendarmerie et, bien entendu, de la justice.
    A ceux qui s'émeuvent d'un recours accru à ces fichiers, rappelons - vous l'avez fait mais les vérités ont quelquefois du mal à entrer dans les esprits et il faut donc les asséner - que notre FNAEG, le fichier national automatisé des empreintes génétiques, comporte actuellement moins de 2 000 empreintes alors qu'en Grande-Bretagne - terre d'élection du fascisme comme tout le monde le sait ! - il en comporte près de 2 millions. Personne dans ce pays ne hurle à l'atteinte aux libertés fondamentales. La Grande-Bretagne n'est-elle pas pourtant le berceau de la démocratie, à laquelle elle est attachée autant que nous ?
    Autres aspects majeurs de ce texte : la meilleure protection assurée aux agents des forces de sécurité et à leurs familles, et la prise en considération des victimes des réseaux esclavagistes. Ces derniers, dans le domaine de la prostitution notamment, sont en effet de plus en plus nombreux à s'installer dans notre pays.
    Un des grands mérites du dispositif proposé réside dans la prise en compte des nouvelles formes de délinquance devant lesquelles les pouvoirs publics restent aujourd'hui très largement désarmés, qu'il s'agisse de la mendicité agressive - qui s'apparente très souvent à un véritable racket -, du vol des téléphones portables, souvent assorti de violences physiques, des attroupements portant atteinte à la libre circulation des personnes dans les parties communes des immeubles d'habitation - la libre circulation n'est-elle pas un principe fondamental inscrit dans les textes de notre constitution ? - ou de l'occupation sauvage de terrains privés et communaux. Tous ces comportements, qui portent atteinte à la liberté et à la tranquillité de nos concitoyens, doivent être fermement réprimés, ce qui n'est aujourd'hui pratiquement pas possible. Cela le sera heureusement demain, avec les nouvelles incriminations que nous ne manquerons pas d'adopter.
    Bien entendu, ces mesures, dictées par le souci pour l'Etat d'assumer ses responsabilités de garant de la tranquillité et de la sécurité publique, n'ont pas manqué de soulever l'indignation des habituelles ligues et collectifs, avec leurs rituelles pétitions. Ayant acquis leurs lettres de noblesse dans de nombreux et vieux combats historiques sous les emblèmes de Staline, de Mao Tsé-Toung, de Fidel Castro, notamment, force est de reconnaître que leurs discours ont pris un sacré coup de vieux et que la faiblesse de leur audience n'est guère encourageante pour eux. Violation des libertés, chasse aux pauvres, stigmatisation de la jeunesse, tout y passe. Les procès les plus sommaires et les plus grossiers sont instruits, comme au bon vieux temps de la guerre froide.
    Vous avez fait aisément justice, monsieur le ministre, de ces faux procès, nourris par l'amalgame et la caricature.
    M. Jean-Pierre Blazy. Des procès de Moscou ?
    M. Gérard Léonard. Non, mais ils en ont le côté sommaire !
    Je n'y reviendrai pas, sinon pour noter au passage que ces solennelles protestations témoignent d'une bien piètre opinion des catégories que ces gens prétendent défendre. Considérer tous les pauvres comme des délinquants potentiels, en oubliant qu'ils sont très souvent les victimes de cette délinquance, laisser entendre que c'est toute la jeunesse qui est menacée par la lutte contre les activités répréhensibles d'une petite minorité d'entre eux sont des comportements très révélateurs à mes yeux du mépris que ces prétendues élites intellectuelles, morales et politiques d'avant-garde éprouvent en fait pour ceux qu'ils feignent de vouloir protéger, un mépris que j'évoquais au début de mon propos et qui a été démocratiquement sanctionné au printemps dernier.
    Avec le retour au simple bon sens et le respect de l'élémentaire bonne foi, je suis certain que nous pourrions tous ici nous entendre pour dire qu'une lutte efficacement durable contre l'insécurité passe naturellement par une généreuse politique de prévention, mais que celle-ci ne pourra durablement porter ses fruits que si la paix publique a été préalablement rétablie. Chacun se souvient du discours de M. Rocard à cette tribune, qui nous expliquait que, pour lutter contre l'insécurité, il fallait réhabiliter les cages d'escalier des HLM.
    M. Manuel Valls. Il le faut aussi !
    M. Gérard Léonard. Je n'ai jamais ironisé sur ce projet.
    M. Manuel Valls. C'est un grand homme !
    M. Gérard Léonard. Seulement, monsieur Valls, le seul problème, c'est que quand on a réhabilité les cages d'escalier, elles sont à nouveau saccagées le lendemain. Ainsi, non seulement on a gaspillé l'argent de la République, celui des contribuables, mais en plus, on a encouragé une délinquance dont nous connaissons aujourd'hui les effets ravageurs. C'est la réalité. Il n'y a pas de prévention efficace sans qu'au préalable et en même temps s'exerce une répression sans faille et sans faiblesse. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Pierre Blazy. Il faut les deux !
    M. Manuel Valls. Un rocardien de plus !
    M. Gérard Léonard. Tous ici, nous pouvons nous accorder, et vous en premier, monsieur le ministre de l'intérieur, pour dire que l'action de vos services, complétée par celle de la justice, ne s'inscrira dans la durée...
    M. le président. Monsieur Léonard, veuillez conclure !
    M. Gérard Léonard. Mon prédécesseur a parlé cinq minutes de plus !
    M. le président. Non !
    M. Gérard Léonard et M. Dino Cinieri. Si !
    M. le président. Non, monsieur Léonard, vous n'avez pas le droit de dire cela ! et votre temps de parole est déjà dépassé de trente secondes.
    M. Robert Pandraud. On veut l'entendre !
    M. Gérard Hamel. Il dit des choses intéressantes !
    M. Guy Geoffroy. Il y a du fond, au moins !
    M. Gérard Léonard. Soit, je vais conclure.
    M. Manuel Valls. S'il dit du bien de Rocard, il a le droit de continuer ! (Sourires.)
    M. Gérard Léonard. Nous pouvons tous nous accorder pour dire ici que si on veut que la politique engagée porte des effets durables, il faudra s'attaquer, bien entendu, aux racines du mal. Or ces racines, nous les connaissons : ce sont les faillites du système éducatif.
    L'éducation nationale n'est pas seule en cause, mais tout ce qui concourt au système éducatif. Ce sont les méfaits de l'urbanisme concentrationnaire, l'échec de l'intégration des populations exogènes déracinées ou endogènes, de fait exclues de notre modèle social. Autant de graves problèmes à résoudre pour restaurer la cohésion sociale dans notre pays et préserver la paix publique.
    Certains ne savent que dire : « prévention, prévention, prévention ». Comme à l'époque du général de Gaulle, où d'autres, comme des cabris, sautaient sur leur chaise en disant : « l'Europe, l'Europe ! »...
    Plusieurs députés du groupe socialiste. On connaît !
    M. Gérard Léonard. Mais quels résultats heureux ont-ils obtenus de leur politique de prévention ? L'éducation nationale ? Des dizaines de milliers de jeunes, chaque année, sortent du système en situation d'échec ! La politique de la ville ? Des milliards sont engloutis dans une gestion bureaucratique et dispendieuse, sans effets réellement tangibles, comme l'a dénoncé la Cour des comptes. La politique d'intégration ? Au-delà des discours pleurnichards, on assiste au développement alarmant, au regard de l'unité nationale, des communautarismes de tout poil.
    Messieurs, avant de nous donner des leçons, balayez devant votre porte et tirez les leçons de votre échec. Ce serait tout à votre honneur. En tous les cas, ce serait dans l'intérêt du pays.
    M. Gérard Hamel. Très bien !
    M. Gérard Léonard. Dans ce combat, monsieur le ministre, vous êtes en première ligne. Vous avez évoqué la mise en oeuvre d'une politique de prévention coordonnée sous votre responsabilité à l'échelon ministériel. Il convient de s'en réjouir. Les élus de base que nous sommes y sont conviés. Dans un esprit concret, libérés de toute vision dogmatique, nous y apporterons notre contribution.
    M. André Gerin. Vive le libéralisme !
    M. Gérard Léonard. Mes chers collègues, si j'avais un voeu à formuler, en ce début d'année, ce serait de voir se dégager un large consensus autour de ce projet - amendé, bien sûr, autant qu'il convient. Mais après avoir écouté les orateurs des procédures préalables, je m'aperçois que ce n'était qu'un rêve. Pour autant, je sais que le peuple français, dans sa très grande majorité, y adhère, et c'est l'essentiel. (Applaudissements sur les bancs de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Mes chers collègues, je souhaite que chaque intervenant respecte son temps de parole, même s'il est normal de lui accorder une petite marge de tolérance. Maintenant, pour que les choses soient claires, je précise que M. Braouezec avait parlé vingt et une minutes et que vous-même, monsieur Léonard, avez parlé vingt-quatre minutes.
    M. Gérard Léonard. J'en suis navré...
    M. le président. C'étaient mes voeux de bonne année...
    La parole est à M. Jean-Pierre Blazy, pour dix minutes.
    M. Jean-Pierre Blazy. Monsieur le ministre, en présentant ce texte sur la sécurité intérieure, vous prétendez avant tout être efficace dans votre action contre l'insécurité. Vous considérez que votre projet de loi est éloigné de toute idéologie et qu'il s'agit avant tout de répondre aux attentes de ceux de nos concitoyens les plus défavorisés, qui sont aussi les plus touchés par l'insécurité.
    M. Gérard Hamel. Exact !
    M. Jean-Pierre Blazy. Je vous ai attentivement écouté. Je vous ai trouvé parfois excessif, notamment lorsque vous avez répondu à Bruno Le Roux, en essayant de faire croire que la gauche, quand elle parle de déontologie, est hostile aux policiers et aux gendarmes. Puis-je vous rappeler, ainsi qu'à l'ensemble de la majorité, que nous avons donné à la police, entre 1997 et 2002, des moyens que vous lui aviez refusés entre 1993 et 1997 ? (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Manuel Valls. Très bien !
    M. Jean-Pierre Blazy. J'ai préféré, monsieur le ministre, la réponse que vous avez faite à André Gerin...
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Il faut dire qu'il était meilleur !
    M. Jean-Christophe Lagarde. Bien meilleur !
    M. Jean-Pierre Blazy. ... et votre interrogation, qui est aussi la nôtre, sur le décrochage des couches populaires, qui se sont éloignées de la République.
    Le rapporteur, il y a un peu plus d'un an, lors de la discussion de la loi sur la sécurité quotidienne - je vous cite, monsieur Estrosi - nous assénait que la France était « à feu et à sang », qu'il n'y avait plus un de nos concitoyens qui ne craigne pour ses proches,...
    M. Christian Estrosi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. C'est vrai ! Je maintiens !
    M. Jean-Pierre Blazy. ... pour ses enfants quand ils se rendent à l'école, pour les anciens, obligés de se barricader chez eux.
    M. Gérard Hamel. Eh oui ! C'est une réalité !
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Je maintiens mes propos !
    M. Jean-Pierre Blazy. Le recul de l'insécurité, qu'il croit avoir décelé précisément depuis mai dernier, serait dû au vote des lois d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure et la justice, au redéploiement de zones de police et de gendarmerie, au vote du budget 2003 et à la remobilisation des forces de police et de gendarmerie.
    M. Gérard Hamel. Eh oui !
    M. Jean-Pierre Blazy. S'agissant du projet de loi que nous examinons aujourd'hui, M. Estrosi considère que celui-ci est fidèle à la LOPSI, nécessaire donc efficace, sans porter atteinte aux libertés individuelles.
    M. Jean Leonetti. Exactement !
    M. Jean-Pierre Blazy. Bruno Le Roux a eu l'occasion d'intervenir sur la question essentielle du respect des libertés individuelles et constitutionnelles. Puisque, pour l'heure, selon un sondage, 63 % des Français déclarent approuver ce projet de loi, je voudrais l'examiner sous l'angle de son efficacité présumée. En effet, une fois la loi adoptée, il faut pouvoir l'appliquer.
    M. Eric Raoult. N'ayez crainte !
    M. Jean-Pierre Blazy. En premier lieu, vous voulez renforcer les pouvoirs propres des forces de sécurité intérieure. Vous proposez d'aller plus loin que ce que nous avions fait nous-mêmes avec la loi du 15 novembre 2001 ; suite aux attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, nous avions soutenu le gouvernement précédent dans sa volonté de disposer des moyens nécessaires à la lutte contre le terrorisme. En effet, on sait que les trafics de stupéfiants et d'armes alimentent le terrorisme. Nous ne pensons pas aujourd'hui que la pérennisation et la banalisation des fouilles de véhicules que vous proposez pour lutter contre l'économie souterraine et la délinquance urbaine sera efficace, en raison d'un encadrement juridique qui nous paraît insuffisant et donc risqué à plus d'un titre.
    En second lieu, vous proposez l'extension du champ des infractions contenues dans plusieurs fichiers, fichiers de police de type STIC ou encore fichier national automatisé des empreintes génétiques. Vous élargissez les possibilités offertes par la loi LSQ en la matière. Là encore, l'efficacité juridique nécessite des dispositions plus rigoureuses et des garanties au titre des droits et des libertés individuelles, garanties qui me semblent faire défaut dans le texte proposé.
    J'en viens aux propositions visant à la tranquillité et à la sécurité publique. Il s'agit de la sécurité au quotidien, et l'attente de nos concitoyens qui subissent ce que l'on appelle les incivilités est toujours aussi forte.
    L'article 21 crée une nouvelle incrimination pour réprimer le groupement abusif des personnes dans les parties communes d'immeubles.
    La loi LSQ avait tenté voilà un peu plus d'un an d'apporter une réponse équilibrée dans le cadre de la coproduction de la sécurité qui, si j'ai bien compris, n'est pas remise en cause aujourd'hui. C'est dire que le maire et la police municipale, la police et la gendarmerie, mais aussi le bailleur social ou la copropriété se doivent d'agir et d'intervenir. Il est vrai que la voie civile est peu utilisée pour lutter contre l'occupation intempestive d'un hall d'immeuble, parce que les bailleurs répugnent à engager des contentieux, ou que les locataires victimes ont peur de le faire. Mais monsieur le ministre, vous allez au devant d'une grande désillusion. Vous allez créer un délit puni de deux mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende. Les forces de sécurité seront-elles réellement plus motivées pour intervenir ?
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Oui !
    M. Jean-Pierre Blazy. J'en doute, ne serait-ce qu'en raison des effectifs indispensables pour assurer ces missions de nuit.
    M. Jean-Christophe Lagarde. Les forces de sécurité sont prêtes ! Croyez bien qu'elles n'attendent que cela !
    M. Jean-Pierre Blazy. Aujourd'hui, outre la loi LSQ, la base juridique existe : la loi « bruit », pour la répression des nuisances sonores ou encore, en cas de refus d'obtempérer, le délit de rébellion à agent de la force publique. Votre proposition n'aura qu'un effet d'affichage et sera inefficace. Ira-t-on jusqu'à mettre en prison des jeunes, même réitérants, parce que leur crime aura été d'occuper abusivement des halls d'immeuble ?
    Il en est de même des articles 24 et 25, qui prétendent lutter contre les nuisances générées par l'activité des établissements de vente à emporter. C'est au maire, et non au préfet ou au préfet de police, qu'il conviendrait de confier la responsabilité de la sanction, si l'on veut être efficace.
    J'en profite, monsieur le ministre, pour aborder une question non négligeable pour nos concitoyens : celle des véhicules à moteur à deux roues. Nous attendons toujours la publication du décret d'application de l'article 19 de la loi LSQ.
    M. Jean Leonetti. Votée sous le précédent gouvernement !
    M. Jean-Pierre Blazy. Monsieur le ministre, il ne suffit pas de faire une nouvelle loi sur la sécurité intérieure, il faut appliquer les bonnes dispositions de la loi LSQ adoptée sous la précédente législature.
    M. Robert Pandraud. Pourquoi n'avez-vous pas pris ce décret ?
    M. Jean-Pierre Blazy. Il n'a pas été pris, monsieur Pandraud, c'est vrai. Il faut donc le faire maintenant. (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Quel aveu !
    M. Jean-Christophe Lagarde. Heureusement que nous sommes arrivés !
    M. Jean-Pierre Blazy. Je le rappelle parce que c'est un problème. J'essaie d'être constructif sur un sujet essentiel et je sais que ce n'est pas une chose facile.
    M. Guy Teissier. Constructif, mais à retardement...
    M. Jean-Pierre Blazy. Sur la question de la lutte contre les vols des portables, nous sommes d'autant plus d'accord avec vous, monsieur le ministre,...
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ah !
    M. Jean-Pierre Blazy. ... que la concertation entre les pouvoirs publics et les opérateurs vous a largement précédé. Si, aujourd'hui, vous pouvez proposer les articles 26 et 27,...
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'est grâce à M. Vaillant ?
    M. Jean-Pierre Blazy. ... vous le devez à l'efficacité de votre prédécesseur ! (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Enfin, l'article 19, qui propose de créer une sanction pénale pour l'installation illicite sur un terrain appartenant à autrui et qui vise les gens du voyage, me laisse interrogatif quant à son application concrète. Il faut nous expliquer, monsieur le ministre, comment la police et la gendarmerie pourront réellement et concrètement interpeller des contrevenants toujours nombreux et procéder, éventuellement, à la confiscation des véhicules. Que deviendront les caravanes qui, étant juridiquement des domiciles, ne peuvent être saisies ? Les habitants, les entreprises et les élus ne se paieront pas de mots sur ce sujet.
    Monsieur le ministre, nous pouvons être d'accord avec certaines dispositions de votre texte : celles relatives aux armes et munitions, dans la continuité de ce que nous avons déjà proposé ; celles relatives aux polices municipales ou aux autorités de sécurité privée.
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Vous êtes pour la municipalisation de la police ?
    M. Jean-Pierre Blazy. Mais nous savons qu'un texte de loi sur la sécurité intérieure s'apprécie, aussi, sous l'angle de l'efficacité qui en est attendue. Vous entendez « réarmer » l'Etat répressif. Face à l'augmentation réelle de la délinquance violente, qui a commencé bien avant 1997, il est indispensable que l'Etat, qui a montré ses faiblesses sur le terrain économique et social, n'échoue pas sur celui de la sécurité. Contrairement à ce que la majorité prétend, la gauche l'a compris et a mis en oeuvre pendant cinq ans une politique globale de sécurité. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Mme Sylvia Bassot. Les Français ne s'en sont pas rendu compte !
    M. Jean-Louis Léonard. Comment auraient-ils pu ?
    M. Jean-Pierre Blazy. Il faut la durée. Nous l'avons eue. Vous l'avez aujourd'hui. Les Français vous jugeront aux actes.
    Mme Sylvia Bassot. Ils vous ont déjà jugés...
    M. Jean-Pierre Blazy. Contrairement à vos espérances, les premiers résultats ne sont pas vraiment au rendez-vous. Je demeure perplexe sur le « miracle » que vous semblez avoir accompli. La délinquance a augmenté de 1,28 % en 2002 par rapport à 2001. A qui fera-t-on croire qu'à partir de mai, tout est allé pour le mieux dans le meilleur des mondes ? (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jean Leonetti. Cela a au moins cessé d'empirer !
    M. Jean-Pierre Blazy. Il y aurait eu une baisse de 0,74 %, contre une hausse de 4,8 % entre janvier et avril 2002. Je reconnais que 2001 a connu un pic élevé de la délinquance. Mais 1999, année où la gauche gouvernait, avait connu une augmentation de 0,07 %.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Et en 2000 ?
    M. Jean-Pierre Blazy. Vous avez annoncé hier, monsieur le ministre, la création d'un Observatoire national de la délinquance, dans le cadre de l'IHESI. Or vous le savez, l'instrument de mesure est vicié, comme l'a montré le rapport de MM. Caresche et Pandraud, qui propose justement la création d'un tel observatoire, dont il faut garantir l'indépendance pour qu'il soit incontestable. En effet, les chiffres de l'Etat 4001 n'intègrent pas les relevés de main courante. Plusieurs équipes soulignent cet écart, les élus le savent, et ils partagent l'incompréhension des Français face à cette réalité. Nous connaissons tous des exemples où les commissariats préfèrent les mains courantes aux dépôts de plaintes, s'agissant en particulier des délits dits de voie publique.
    Les chiffres officiels de la délinquance sont, en outre, bien loin de la réalité, puisque, d'après une étude réalisée par l'IHESI, une personne victime d'une dégradation volontaire de son véhicule ne porte plainte qu'une fois sur six, une victime de cambriolage une fois n'aboutira pas.
    M. Gérard Hamel. C'est dire l'importance du problème !
    M. Jean-Pierre Blazy. Monsieur le ministre, les faits de délinquance occupent toujours, depuis mai dernier, une bonne place dans les médias. Vous étiez vous-même, hier, à Evry. Vous auriez pu être au lycée La Tournelle, à La Garenne-Colombes, où une enseignante a été poignardéee en classe par une de ses élèves. Vous auriez pu être également dans le Val-d'Oise,...
    M. Manuel Valls. Attention, il va venir !
    M. Jean-Pierre Blazy. ... dans ce département de la grande couronne parisienne dont le taux de criminalité a augmenté en 2002 plus que la moyenne nationale. Il faut y déplorer, tout récemment, l'incendie du tribunal de grande instance de Pontoise, fait sans précédent, ou encore l'agression d'un lycéen à la sortie des cours, à Gonesse, ville dont je suis le maire. De même, les voitures brûlent toujours autant.
    M. le président. Monsieur Blazy, veuillez conclure !
    M. Jean-Pierre Blazy. Monsieur le ministre, l'opinion se rendra compte très vite des faiblesses de l'action du Gouvernement, qui prétend pourtant être efficace.
    Faiblesses parce qu'il y a, ce texte en est l'illustration même, confusion entre ordre et sécurité. Vous abandonnez sans le dire la police de proximité. Il n'y a qu'à voir la situation de ses effectifs dans le Val-d'Oise, notamment dans la circonscription de police de Gonesse. Les habitants des quartiers sensibles me disent qu'ils voient de moins en moins de policiers de proximité. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Il faut conclure, monsieur Blazy !
    M. Jean-Pierre Blazy. Faiblesses parce qu'il n'y a plus de projet social dans l'action gouvernementale. Il faut répondre à la situation inacceptable de nombreux quartiers fragilisés, à l'inquiétude et la colère de nombreux habitants, qui vivent mal l'insécurité, comme ils vivent mal l'exclusion sociale. En dépit du discours nouveau que vous avez tenu hier sur la prévention, votre texte ne prend pas suffisamment en compte cette nécessité. Nous n'avions pas besoin d'une loi proposant de nouvelles incriminations ; on aurait pu, d'abord, tenter de bien appliquer les dispositions récentes de la loi LSQ. On a surtout besoin, sur le terrain, de la présence effective des forces de sécurité, non pas pour des opérations coup de poing télégéniques, mais pour engager, au quotidien, dans la durée, des actions de prévention et de dissuasion autant que de répression.
    C'est dans cet esprit, monsieur le ministre, que les députés socialistes proposeront et défendront leurs amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Gérard Léonard. Nous voilà rassurés !
    M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.
    M. Jean-Christophe Lagarde. J'avoue être de plus en plus surpris par la tournure qu'ont prise nos débats depuis hier soir. M. Blazy vient de nous expliquer, comme d'autres auparavant, que tout ce qui est mis en oeuvre aujourd'hui est dû à M. Vaillant. Monsieur le ministre, je vous propose d'installer, place Beauvau, une statue à la gloire de M. Vaillant et de demander aux socialistes de venir la fleurir.
    M. Jean-Christophe Cambadélis. Il ne nous laisse plus entrer place Beauvau !
    M. Jean-Christophe Lagarde. On se demande bien pourquoi, malgré tout ce travail, la délinquance n'a cessé de croître. Et pourquoi, comme vient de l'expliquer mon prédécesseur, certaines mesures - par exemple celles qui concernent les deux-roues - n'ont pu être mises en oeuvre. La surcharge de travail, le génie malin ?
    M. Jean-Pierre Blazy. Nous n'avons pas eu le temps !
    M. Jean-Christophe Lagarde. Si j'ai bonne mémoire, lors du débat sur la LOPSI et sur le budget, vous pointiez du doigt, et vous n'aviez pas tort, le ministre de l'intérieur en lui disant : « Attention, vous faites beaucoup de discours, vous faites beaucoup d'images, vous dites beaucoup de choses, mais nous verrons vos chiffres ! » Or, aujourd'hui, vous dites en substance : « Finalement, ce ne sont peut-être pas tout à fait vos chiffres, ce sont peut-être juste ceux du mois de mai. »
    Je ne sais pas si, depuis mai, on voit moins de policiers chez vous. Je constate que la majeure partie des Français ont l'impression que les policiers travaillent plus, que les méthodes d'organisation réformées permettent une meilleure présence et qu'effectivement la délinquance s'en trouve réduite ou, en tout cas, sa progression ralentie.
    Je me souviens, monsieur le ministre, de vous avoir entendu dire, et j'espère que vous continuerez sur ce chemin, qu'il n'est pas satisfaisant de la voir augmenter, fût-ce, maintenant, de 1,6 % : elle doit reculer.
    Voici enfin le projet de loi du Gouvernement sur la sécurité intérieure. Enfin car il est rare qu'un texte soit aussi attendu par les Français. Monsieur le ministre, les milieux parisiens vous ont fait entendre de tout ces derniers mois. Je vous invite à vous en extraire quelques instants, en vous livrant une petite anecdote : depuis le mois d'octobre, dans ma commune, dans un quartier HLM difficile, une femme de condition modeste, la seule à travailler dans sa famille avec un salaire à peine supérieur au SMIC, qui a voté pour le parti communiste pendant trente-cinq ans - elle en était une militante fidèle -, qui exècre l'extrême droite et ne se satisferait pas de simplisme ou de rejet de l'autre, qui préside une association de locataires depuis dix ans avec beaucoup de dévouement, n'a qu'un seul mot à la bouche quand elle me rencontre : « Alors, la loi sur les squats des halls d'immeubles, quand entrera-t-elle en vigueur ? »
    Monsieur le ministre, cette femme illustre à mes yeux beaucoup plus que les longs discours qu'on vous fera, que les théories que ces milieux bien-pensants vous jettent sans arrêt au visage. Elle démontre la duperie scandaleuse du discours qui dénonce, à travers le texte, une guerre contre les pauvres. Ceux qui font ces raisonnements, ces motions, ces tribunes, ces manifestations prétendument généreuses ne sont pas pauvres et vivent rarement dans les quartiers en question. Elle, elle l'est. Elle ne supporte plus que ces gens-là parlent en son nom parce que, comme ses voisins, elle exige de l'Etat - c'est-à-dire aujourd'hui de vous, monsieur le ministre - de pouvoir mener à nouveau une vie normale dans la sérénité, la sécurité et la dignité, sans avoir besoin de recourir aux excès.
    Le groupe UDF considère que ce projet de loi est positif, car il est pragmatique.
    M. Maurice Leroy. Très bien !
    M. Jean-Christophe Lagarde. D'autres se contentaient de grandes déclarations de principe et de discours rassurants, culpabilisant même ceux qui ressentaient, d'après eux, un simple sentiment d'insécurité. Vous avez refusé de céder à la tentation des grands principes et vous vous êtes limité à une ambition plus modeste, celle de répondre au cas par cas aux difficultés rencontrées sur le terrain par les acteurs de la sécurité, comme vous l'avez expliqué devant la commission des lois.
    Citons quelques exemples.
    Les halls d'immeuble sont squattés par des groupes agressifs qui portent atteinte au moins autant à la sécurité qu'à la dignité des personnes qui habitent ces ensembles. Par ce texte, vous permettez désormais aux forces de l'ordre d'intervenir et d'évacuer ceux qui n'ont rien à y faire et qui font régner la loi du plus fort, au besoin en les interpellant. Bien évidemment, les jeunes en question ne seront vraisemblablement pas condamnés à deux mois de prison, ce qui serait excessif pour une occupation de halls d'immeuble. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Pierre Blazy. Alors pourquoi le prévoir ?
    M. Jean-Christophe Lagarde. Mais c'est le seul moyen...
    M. Bruno Le Roux. Il y en a d'autres !
    M. Jean-Christophe Lagarde. ... de rendre efficace le texte de M. Vaillant dont vous vous prévalez.
    M. Christian Estrosi. Très juste !
    M. Jean-Pierre Blazy. Mais non, il suffit de l'appliquer !
    M. Jean-Christophe Lagarde. Aujourd'hui, les policiers ont seulement la possibilité de constater la présence de regroupements dans les halls d'immeuble. Ils n'ont rien le droit de dire et se font humilier par les jeunes en question à tel point qu'ils sont parfois obligés d'aller chercher l'outrage pour pouvoir intervenir et procéder à des interpellations. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) La seule chose nécessaire, c'est justement de permettre l'interpellation, parce que les habitants n'ont pas à subir ce type de désagrément. Voilà une réponse concrète.
    Cela choque de beaux esprits qui veulent flatter quelques bandes de voyous ?
    M. Yves Fromion. Eh oui !
    M. Jean-Christophe Lagarde. Nous, nous préférons prendre la défense de ceux qui en sont les victimes. Les milieux parisiens vous en ont fait voir de toutes les couleurs ces derniers temps. Or j'observe des changements chez quelques personnalités de gauche, connues pour ne pas être très tendres à l'égard des ministres de l'intérieur. Ainsi lors de la dernière émission de M. Ardisson, un grand acteur français,...
    M. Manuel Valls. Qui ?
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Arditi !
    M. Jean-Christophe Lagarde. ... M. Arditi, a déclaré : « Vous savez, je ne changerai pas de chapelle, je reste fidèle à M. Lionel Jospin » - tout en disant qu'il pensait qu'il ne reviendrait pas sur la scène politique -, « mais je préfère franchement voir un ministre de l'intérieur faire le sale boulot et je ne dirai rien contre lui ». Vous le voyez, même ceux qui ne subissent pas réellement l'insécurité finissent par comprendre.
    La loi Besson, chers collègues, n'est pas applicable, d'une part, parce que les communes ne s'y sont pas conformées et, d'autre part, parce que les procédures d'expulsion sont trop longues. Résultat : sur le terrain, chaque commissariat, chaque gendarmerie en est réduit à négocier l'envahissement du terrain dans une circonscription voisine pour se débarrasser du problème.
    M. Jean Leonetti. C'est exact !
    M. Yves Fromion. Même quand il y a des terrains aménagés !
    M. Jean-Christophe Lagarde. C'est indigne pour les forces de l'ordre, indigne pour les communes qui ne respectent pas la loi. Je le dis d'autant plus volontiers que le maire que je suis a respecté la loi.
    Monsieur le ministre, vous donnez les moyens d'appliquer cette loi dans un esprit d'équilibre qui caractérise l'ensemble de votre projet, d'une part, en obligeant les communes à s'y conformer, ce qui est la moindre des choses, d'autre part, en mettant un terme à l'impunité d'une partie des populations nomades qui se croient tout permis, allant jusqu'aux injures et aux violences à l'encontre des forces de l'ordre - j'en étais le témoin il n'y a pas si longtemps, j'ai déjà eu l'occasion de le dire.
    Les agressions contre les agents publics du seul fait de leur appartenance au service public sont en constante augmentation. Voilà qui devrait vous émouvoir, mesdames, messieurs de la gauche !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'est vrai !
    M. Jean-Christophe Lagarde. Quand il ne s'agissait que des policiers et des gendarmes, personne ne s'y intéressait. On a commencé à s'en émouvoir quand les pompiers ont été touchés. Puis est venu le tour des agents des transports, des agents d'accueil, des agents des services sociaux...
    Un député du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Sans oublier les enseignants !
    M. Nicolas Perruchot. Et les médecins !
    M. Yves Fromion. Et les syndicalistes !
    M. Jean-Christophe Lagarde. Et aujourd'hui, dans ma commune, ce sont les balayeurs qui sont pris pour cible, sous le seul prétexte qu'ils portent au revers de leur uniforme le nom de la ville.
    Ce sont toutes les institutions qui sont touchées, sans oublier les gardiens d'immeuble évidemment.
    Dans cette situation il me paraît logique, pragmatique et de bon sens que votre projet cherche à « sanctuariser » ceux dont le métier est de servir les autres et à faire en sorte que chacun sache dans ce pays qu'on n'accepte plus désormais qu'un seul agent public soit insulté, agressé, violenté à cause des fonctions que la société lui a confiées.
    Alors, c'est sans doute ce pragmatisme qui dérange une gauche en panne d'idées comme de résultats. Elle a donc choisi de vous instruire le faux procès d'une prétendue « guerre aux pauvres » et je m'insurge contre cette escroquerie politique. Nous lui répondons que ce sont les pauvres qui attendent le plus de nous, qui ont le plus besoin d'être protégés et que l'impuissance publique aboutit toujours à l'oppression du plus faible par la loi du plus fort.
    Aujourd'hui la vraie question n'est pas de savoir si le Gouvernement veut protéger les riches contre les méchants pauvres, comme vous voulez le faire croire,...
    M. Jean Leonetti. Caricature !
    M. Jean-Christophe Lagarde. ... mais bien si l'habitant d'un quartier HLM a le droit à la même sécurité que ceux qui habitent dans des résidences surveillées dans des quartiers protégés. Notre réponse est oui, et c'est pourquoi, monsieur le ministre, nous voterons ce texte efficace et pragmatique.
    J'ouvre une parenthèse pour répondre aux propos de M. Braouezec. Dire qu'on ne lutte pas contre la grande criminalité en luttant contre les petits trafics est un non-sens. Aujourd'hui, chacun sait que, comme les mafias d'antan tenaient non seulement les grands trafics mais aussi les petites frappes de quartier, cette grande criminalité s'alimente aussi des trafics des petits voyous et que lutter contre l'un, c'est couper l'herbe sous le pied aux autres.
    Dans un même esprit de pragmatisme, monsieur le ministre, le groupe UDF a déposé une trentaine d'amendements pour répondre à de nouvelles formes de troubles à l'ordre public et donner aux maires davantage de pouvoirs et de moyens pour mener à bien la lutte contre l'insécurité.
    Sur le rôle du maire dans la politique de sécurité, nous avions eu un désaccord lors du débat sur la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure. Aujourd'hui, les maires ont le droit d'écouter les doléances, parfois de subir la sanction électorale, mais ils n'ont aucun ou presque aucun pouvoir entre les mains : c'est à nos yeux un dysfonctionnement de notre démocratie. Mais au-delà de ce désaccord, monsieur le ministre, nous sommes parvenus, en travaillant avec vous, à cheminer ensemble pour aboutir à une plus grande implication des maires dans ce domaine, et c'est de votre part une avancée significative.
    Certaines dispositions existaient déjà dans votre projet : nous proposons que les maires aient également une garantie d'information sur les moyens mis en oeuvre et les résultats obtenus. Nous souhaitons qu'ils puissent faire intervenir les polices municipales contre l'occupation des halls d'immeuble ou pour l'enlèvement des épaves, qui se multiplient dans nos villes plus vite que les petits pains. Nous souhaitons aussi qu'ils puissent obtenir l'expulsion des nomades qui ne respectent pas la loi et prononcer des fermetures administratives de commerces qui troublent l'ordre public dans leur commune, là où les représentants de l'Etat sont parfois trop lents à réagir.
    Nous faisons également des propositions pour de nouveaux types de délinquances. Nous proposons la confiscation de l'objet qui a servi à commettre des délits : voiture ayant servi à un trafic d'armes ou de drogue, véhicule conduit par une personne sans permis ou motocyclette pétaradant toute la nuit en empêchant des centaines d'habitants de dormir, par exemple.
    Nous proposons par ailleurs que les violences commises dans les avions soient pénalisées en raison de leur dangerosité et de la multiplication de ce type d'actes au cours des dernières années qui a inquiété jusqu'à l'organisation de l'aviation civile internationale.
    Nous voulons étendre aux plaignants la protection aujourd'hui accordée aux témoins pour mettre un terme à une situation inacceptable où les victimes renoncent à faire appel à l'Etat par peur des représailles.
    Enfin, pour pénaliser ceux qui profitent des difficultés des sans-logement en en faisant un trafic, nous nous rallierons à l'amendement de notre rapporteur.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Très bien !
    M. Jean-Christophe Lagarde. Pour 2003, monsieur le ministre, nous souhaiterions que chacun abandonne ses postures. Ah ! Si tous les ministres présentaient à la représentation nationale des projets de loi aussi concrets, ancrés dans la réalité que vivent les Français plutôt que dans les souhaits de leur haute administration, notre pays s'en sortirait mieux.
    Nous voterons ce projet qui va dans le bon sens. Nous attendons avec impatience que la politique en matière de justice accompagne votre démarche. Car, sans une justice efficace, adaptée, dotée de moyens suffisants, tous vos efforts, tous nos efforts resteront vains. Et ils ne doivent pas le rester, mes chers collègues, car les Français ne supportent plus que ceux qui ne respectent pas nos règles de vie en commun s'en sortent mieux que ceux qui les respectent. C'est d'abord cela le message du 21 avril. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Guy Teissier.
    M. Guy Teissier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mon tour de regretter l'absence de M. Braouezec, qui nous parlait tout à l'heure de chimères. Je lui aurais conseillé la lecture d'un quotidien du soir qui montre que ces « chimères » sont en fait de tristes réalités. Après l'agression d'un des leurs, les professeurs d'un lycée de La Garenne-Colombes y racontent la violence au quotidien.
    Ambitieux, inventif, musclé, votre projet de loi, monsieur le ministre, s'inscrit dans une perspective volontariste de lutte contre la délinquance, cette délinquance à laquelle nos concitoyens sont confrontés quotidiennement et que nous, élus, ne connaissons que trop bien. Il ne se passe pas une journée sans que l'un de nos administrés ne nous alerte sur une agression dont il a été victime ou sur des faits délictueux qui se sont produits à proximité de son domicile ou sur son lieu de travail.
    M. Jean-Pierre Blazy. Seulement depuis le mois de mai ?
    M. Guy Teissier. Elus de proximité par définition, nous devenons le réceptacle de toutes les craintes, de toutes les peurs, de tous les mécontentements, souvent attisés par une médiatisation à outrance.
    Les maires, et nous en sommes un certain nombre dans cet hémicycle, sont trop souvent impuissants face aux récriminations légitimes de leurs concitoyens confrontés à la progression de la délinquance. Nous savons tous que les politiques sociales de prévention et d'accompagnement ne suffisent plus à apporter une réponse suffisante et adaptée à l'ampleur de la situation. Certains délinquants, nous le savons, refusent les mains que les institutions leur tendent pour préférer s'installer, sans doute par facilité, dans l'oisiveté la plus complète, s'accommodant sans complexe d'une vie en marge des lois de notre République.
    Contrairement à ce qu'a dit hier soir M. André Gerin, ceux-là sont souvent de jeunes individus qui s'insèrent dans des micro-sociétés à l'échelle de la cité ou du quartier et qui se définissent un rôle dans une économie souterraine et illégale. Par la force des choses, ils s'excluent peu à peu de notre société plus que la société ne les rejette réellement.
    Certes, notre société souffre d'une fracture profonde du lien social : familles éclatées, recomposées, marginalisées, violence et maltraitance, échec scolaire, formation précaire, chômage de longue durée, urbanisme inadapté, crise des valeurs, rejet de la citoyenneté, héritage des gouvernements socialo-communistes successifs.
    M. André Gerin. Et de droite !
    M. Guy Teissier. Bien souvent, ces jeunes gens portent le lourd héritage de deux ou trois générations qui malheureusement n'ont pas eu de statut ou de travail. Mais est-ce une raison pour ne rien faire ou pour tout excuser ?
    Certains nous expliqueront sans doute que, dans cet environnement complexe et destructeur, les personnes les plus fragilisées rencontrent de nouveaux modèles, asociaux ceux-là, qui occupent en quelque sorte le vide laissé par la disparition des repères traditionnels : famille, éducation, autorité, liberté et responsabilité. Ils nous expliqueront encore que ces délinquants font la découverte de l'acte délictuel comme une affirmation d'autonomie, une affirmation de soi, en un mot, qu'ils découvrent la liberté. Mais est-ce cela la liberté ?
    La liberté n'est pas d'empêcher l'honnête citoyen de vivre tranquillement et de dormir sereinement. La liberté n'est pas d'agresser les vieilles dames pour leur dérober leur porte-monnaie. La liberté n'est pas de brûler les voitures, d'agresser les pompiers ou de « caillasser » les forces de l'ordre. La liberté n'est pas de racketter les enfants à la sortie de l'école ou d'agresser les enseignants au sein même des établissements scolaires. Bien sûr que non !
    Argument suprême, certains expliquent que les délinquants seraient les victimes de la société, de cette société où il n'y a pas d'égalité entre les riches et les pauvres, les vieux et les jeunes, les nationaux et les autres. Ce discours de l'égalisation absolue qui refuse toute forme de dissymétrie, hiérarchie, d'autorité dans la famille ou à l'école, nous le connaissons bien : nous le subissons depuis bientôt vingt ans.
    Mais à tous ceux-là j'aimerais dire que ni Jaurès, ni Péguy, ni Condorcet,...
    M. Pascal Clément, président de la commission. Eh bien ! On en sait des choses à Marseille !
    Mme Martine David. Il étale sa culture !
    M. Guy Teissier. ... dont ils s'approprient par ailleurs l'héritage intellectuel, ne parlait ainsi.
    Parce qu'il n'y a pas de fatalité en quelque domaine que ce soit, vous avez décidé, monsieur le ministre, d'agir et de déployer votre énergie pour que les Français, tous les Français et en particulier ceux qui sont les premiers touchés par la délinquance, c'est-à-dire les plus humbles, puissent retrouver confiance et sérénité. Il faut dire que la tâche à laquelle vous vous attelez est immense tant le travail qu'il reste à accomplir est imposant : redonner confiance aux Français, disais-je à l'instant, remobiliser les forces de police, rétablir l'autorité de l'Etat.
    Aussi, votre activisme, si vous me permettez ce mot, n'en a-t-il que plus de mérite. Il témoigne de votre volonté d'agir avec méthode mais dans le dialogue, avec fermeté mais discernement, avec rigueur mais aussi avec justice.
    A la théorie de l'excuse, vous préférez la théorie de la responsabilité. A la théorie des incantations, vous préférez la théorie de l'action. A la théorie de l'impuissance, vous préférez la théorie de l'efficacité.
    Incontestablement, vous avez décidé de vous attaquer aux racines du mal et vous avez raison.
    Nous nous en réjouissons et les Français vous soutiennent dans cette démarche courageuse et audacieuse, mais après tout normale pour un ministre de l'intérieur.
    Votre projet de loi montre combien vous êtes conscient de la situation et à quel point vous connaissez le quotidien et les attentes de nos compatriotes.
    Toutes les nouvelles dispositions contenues dans ce texte s'attaquent à des problèmes réels, à des situations concrètes. Elles constituent une réponse pour améliorer le fonctionnement et la coopération de nos forces de sécurité mais aussi pour mieux adapter l'arsenal juridique à la protection des personnes et des biens.
    Je n'en citerai que quelques-unes mais ô ! combien symboliques.
    Vous avez décidé de vous attaquer à la prostitution pour libérer les prostituées de cette nouvelle forme d'esclavage et pour faire cesser le trouble à l'ordre public que constitue leur accumulation sur la voie publique. Dans certains quartiers de Marseille, qui n'échappe pas à ce phénomène, la vie de mes concitoyens est rendue impossible par ces pratiques nocturnes. Le spectacle d'ailleurs en est souvent déplorable. Avec humanité mais aussi avec fermeté, vous apportez une réponse concrète à un problème réel.
    Vous avez décidé de lutter contre les occupations intempestives de halls d'immeuble. Toutes celles et tous ceux qui ont des cités dans leur circonscription savent combien la présence quotidienne et pressante de groupes d'individus dans les entrées d'immeubles génère exaspération et crainte. Ces regroupements de personnes, souvent jeunes, donnent lieu à des agressions verbales ou physiques et à des trafics en tout genre, à l'abri des regards des forces de l'ordre. La menace d'une interpellation devrait suffire à faire cesser ces troubles particulièrement gênants pour l'honnête citoyen qui, après une journée de travail, n'aspire qu'à pouvoir rentrer chez lui en sécurité. Voilà encore une réponse concrète.
    Vous avez décidé de donner la possibilité de saisir les véhicules de délinquants et de les affecter aux forces de police. Certains délinquants s'affichent dans des véhicules haut de gamme alors qu'ils ne déclarent aucun revenu, quand ils ne narguent pas les forces de police ou de gendarmerie avec. La loi permettra, lorsqu'un véhicule aura été saisi par un juge d'instruction, de le mettre à la disposition d'un service d'enquête. Je trouve cette disposition normale pour ne pas dire tout à fait juste.
    Vous avez décidé de punir sévèrement les délinquants qui s'attaquent aux forces de l'ordre et aux dépositaires de l'autorité publique, en partant du constat très simple qu'aujourd'hui les violences et les menaces à l'encontre des représentants de l'autorité publique sont sanctionnées de manière trop restreinte. Le texte permettra un élargissement à d'autres professions telles que les pompiers, souvent cibles d'agressions, ou les conducteurs des transports en commun, et aux membres de la famille des professionnels de l'autorité.
    A cet égard, monsieur le ministre, j'ai déposé un amendement à l'article 45 concernant les surveillants de prison. Je sais que le Gouvernement lui donnera un avis favorable, et je tiens à l'en remercier. J'espère que notre assemblée l'adoptera car il ne serait pas normal que cette catégorie soit oubliée.
    Vous l'avez compris, monsieur le ministre, j'adhère comme l'ensemble de nos compatriotes aux orientations contenues dans ce projet de loi. Je crois sincèrement que ces dispositions sont justes, de bon sens, et profondément humaines. Elles replacent l'homme au centre de nos préoccupations. Elles réaffirment les limites de ce que notre société peut accepter et autoriser et a contrario de ce qu'elle ne peut ni accepter ni autoriser, au nom de nos valeurs républicaines, de notre éducation, de notre histoire aussi.
    Vous avez voulu prendre en considération l'appel lancé le 21 avril dernier par tous ces braves gens, ces victimes anonymes, ces Français moyens, qui en ont assez tout simplement d'être oubliés, écrasés, humiliés, qui en ont assez de devoir se contenter d'être les rebuts d'une société trop fière sans doute et quelquefois trop arrogante. Pour eux, vous avez raison de n'écouter que votre coeur et votre conviction. Vous avez raison d'ignorer tous ces bien-pensants qui ont toujours réponse à tout, prompts à s'indigner à la moindre situation de détresse, pour peu qu'elle donne un sens à leur réflexion philosophique (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle),...
    Mme Sylvia Bassot. Bravo !
    M. Guy Teissier. ... mais qui pour rien au monde ne voudraient échanger leur place confortable et douillette contre celle d'un RMiste ou d'un smicard vivant dans une HLM bruyante et malheureusement peu sûre.
    M. André Gerin. Vive le libéralisme ! Les privilégiés sont contents !
    M. Guy Teissier. Vive l'humanisme !
    Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, je voterai sans état d'âme en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à Mme Martine David.
    Mme Martine David. Monsieur le ministre, mes chers collègues, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose en son article II que la propriété et la sûreté sont, au même titre que la liberté, des « droits imprescriptibles ». (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Plus que jamais, tous ces droits doivent être garantis par la puissance publique. En effet, l'insécurité et l'angoisse qui pèsent sur nos concitoyens, et au premier rang les plus modestes d'entre eux, sont intolérables et nul ne peut accepter que ces problèmes, bien réels, et vécus quotidiennement, ne soient pas pris en compte. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    En tant que responsable politique, en tant qu'élue d'une circonscription urbaine, située au coeur d'une grande agglomération, subissant durement la délinquance, malgré l'annonce de statistiques en baisse, j'estime qu'il est de ma responsabilité de notre responsabilité de représentants de la nation, d'oeuvrer pour la tranquillité publique et la protection de nos concitoyens.
    M. Michel Hunault. Il faut voter le texte !
    Mme Martine David. Cette préoccupation fait d'ailleurs partie depuis longtemps, contrairement à ce que j'ai entendu dans la caricature qui nous a été brossée hier, des priorités des responsables politiques successifs. Je rappelle ainsi que la majorité et le gouvernement précédents se sont engagés avec détermination dans le traitement de ces problèmes.
    Mme Sylvia Bassot. On ne s'en est pas rendu compte !
    Mme Martine David. Je ne reviendrai pas sur toutes les mesures que nous avons prises, elles ont été déjà évoquées pour un grand nombre d'entre elles. Je me contente de rappeler la création de la police de proximité et de la justice de proximité, qui a nécessité l'engagement de moyens budgétaires auxquels, je le rappelle, l'ancienne opposition s'est toujours elle aussi opposée. Nous avons créé, le ministre ne pourra pas nous contredire sur ce point, des postes de gardiens de la paix et de personnels administratifs et techniques, dont nous avions bien besoin.
    Nous avons engagé un certain nombre de moyens budgétaires pour les locaux et pour le matériel.
    M. Christian Cabal. Et les 35 heures !
    Mme Martine David. Je pense que, sauf à tomber dans la caricature, il ne faut pas renier cela. C'est dans tous les actes de cette assemblée.
    M. Yves Fromion. C'était insuffisant !
    Mme Sylvia Bassot et M. Michel Hunault. C'est vous la caricature !
    Mme Martine David. Restez correct à mon égard, je le suis au vôtre !
    M. Yves Fromion. Le problème c'est que les résultats n'étaient pas au rendez-vous !
    Mme Martine David. J'y viendrai, mais j'aurai du mal si vous m'interrompez sans cesse !
    M. le président. Ne vous laissez pas interrompre, madame David !
    Mme Martine David. Nous avons d'ailleurs également, je le dis parce que c'est la réalité là aussi, adopté une loi relative au régime des armes et d'autres réprimant les infractions sexuelles protégeant plus vigoureusement les mineurs, et assurant un peu mieux la sécurité des convoyeurs de fonds. Nous avons enfin voté, il y a un peu plus d'un an, la loi sur la sécurité quotidienne. Celle-ci a tracé de nouvelles pistes tout en respectant les libertés publiques. Et nous avons aussi - puisqu'il en a été question et que le procès qui nous a été fait n'était pas juste - mis en oeuvre un véritable accompagnement des victimes, avec l'ouverture de lieux d'accueil, lieux publics dotés d'un personnel compétent.
    Aujourd'hui, monsieur le ministre, vous souhaitez mener cette lutte contre la délinquance d'une autre manière, et je ne vous en conteste pas le droit. (« Ah » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Pour autant, vous comprendrez que nous soyons en désaccord avec la philosophie générale de ce texte. Par exemple, nous ne pouvons vous suivre quand vous affaiblissez l'autorité judiciaire, quand vous stigmatisez la misère ou quand vous ouvrez la voie au fichage, tous azimuts, si j'ose dire. (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Gérard Léonard. Caricature !
    M. André Gerin. Non, c'est la vérité !
    Mme Martine David. Nous avions des réponses et une méthode différentes. Il fallait évidemment les approfondir, les amplifier, voire les corriger, parce que, en effet, je suis d'accord avec vous, sur un certain nombre de points, nous n'avons pas obtenu des résultats à la hauteur des problèmes. Il faut avoir une juste appréciation des choses.
    M. Yves Fromion. Bravo ! On pourrait même vous applaudir !
    Mme Martine David. Merci !
    C'est d'ailleurs sur cette base que nous fondons aujourd'hui un certain nombre de propositions d'amendements, parce que nous considérons qu'une simple opposition, même confortable intellectuellement, ne serait pas responsable et ne nous mettrait pas non plus en mesure de répondre aux préoccupations des Français. La sécurité de chacun est une affaire trop grave qui ne saurait être sacrifiée aux besoins d'une stratégie politicienne.
    Certes, monsieur le ministre, vous repérez de réels problèmes, et vous abordez des questions intéressantes dans ce texte : législation sur les armes, amélioration de l'arsenal anti-terroristes, etc. Hélas, je crains que ce projet de loi n'apporte pas de solution efficiente à ces problèmes. Il me semble en effet être un catalogue trop incomplet de mesures pour certaines inefficaces, pour d'autres contre-productives, voire pour certaines autres dangereuses.
    Au-delà de la désignation un peu facile de boucs émissaires, je remarque surtout, et je voudrais insister là-dessus, son caractère parcellaire et déséquilibré. Parcellaire car je suis étonné que, dans un texte sur la sécurité intérieure, vous n'abordiez pas la criminalité liée à l'utilisation d'Internet, qui nous préoccupe tous. Je pense qu'il serait bon que nous nous y attachions, ainsi qu'à la délinquance économique et financière, qui est au moins aussi dangereuse et coûteuse pour notre pays que des délits plus visibles. Déséquilibré car il fait disparaître notre justice de l'oeuvre de sécurité collective, au seul profit de la police. Or, une société fondée exclusivement sur la répression, et non plus sur le triptyque prévention-sanction-répression, tend dangereusement vers l'autoritarisme.
    Plusieurs articles me préoccupent, notamment les articles 6, 7 et 9, qui créent un renforcement sensible des pouvoirs, des compétences et des prérogatives des forces de l'ordre, sans s'accompagner des nécessaires garanties des libertés publiques. Ce texte minimise, voire ignore la responsabilité du procureur et le rôle du juge dans les processus de lutte contre la délinquance. Ainsi, l'équilibre déjà précaire entre magistrats de l'instruction, encadrés par le droit de la procédure pénale, d'une part, et forces de l'ordre, d'autre part, se trouve bouleversé. Nous ne faisons pas preuve là, comme il a été dit hier soir, de défiance à l'égard des forces de sécurité. Mais leur efficacité n'a aucune raison d'être incompatible avec des contre-pouvoirs, normaux dans un Etat de droit. Les Français ne demandent pas une police toute puissante et incontrôlable, ils veulent simplement que justice soit faite. Monsieur le ministre, une police omnisciente, à quoi s'ajoutent la multiplication et l'aggravation des peines, ne constituent pas la panacée, et comportent, de surcroît, des risques graves.
    Je m'inquiète aussi d'articles qui me semblent porter atteinte, ou risquer de porter atteinte, aux libertés individuelles. Je pense notamment à ceux relatifs aux fichiers. Je m'appuie pour cela sur l'avis de la CNIL, que vous avez apparemment ignoré. Ce n'est pas la pertinence ou l'existence de tels fichiers que nous contestons, mais plutôt la manière dont ils devraient être mis en place et utilisés. Il est impératif de préciser la nature des infractions qui peuvent déboucher sur l'inscription dans ce fichier, l'âge à partir duquel un individu peut y figurer, et sous quel contrôle l'OPJ peut décider d'y intégrer des données personnelles. Je m'inquiète notamment de l'arbitraire que peut permettre le terme « clauses plausibles ». Je pense qu'on y reviendra dans le débat, mais c'est une notion qui m'ennuie beaucoup, de même que l'absence de contrôle d'un juge.
    L'utilisation de ces fichiers doit également faire l'objet d'une mise au point. Il est nécessaire d'indiquer quels utilisateurs ont accès à ces fichiers, dans quelle mesure ces derniers peuvent être croisés, et pour quelle durée les individus y sont inscrits.
    M. Christian Cabal. Cela figure dans le texte !
    Mme Martine David. Non, pas tout à fait, justement ! Nous réclamons des garanties sur ce point.
    Enfin, certains articles répondent de façon tout à fait inadaptée à des problèmes fondamentaux qui mériteraient, à mon sens, un autre traitement que quelques lignes au milieu d'un projet de loi. Je pense notamment aux articles 17 et 24, et au débat nécessaire sur la prostitution et sur l'esclavage moderne. Le terme de « racolage passif » a fait couler beaucoup d'encre. Au-delà de son caractère dangereux et arbitraire, cet élément montre surtout la légèreté du texte. En effet, comment imaginer que la question de la prostitution puisse être résolue en deux articles d'une loi sur la sécurité intérieure, alors que la dramatique réalité, que vous avez d'ailleurs plusieurs fois décrite et que nous ne contestons évidemment pas, appelle un large débat, comme l'ont déjà souligné les orateurs qui m'ont précédée à cette tribune ?
    Il en va de même, me semble-t-il, pour la mendicité forcée, qui fait appel à la délicate question de l'exploitation humaine.
    Je vous en prie, monsieur le ministre, ne faites pas croire à l'opinion publique que nous pouvons traiter ces deux questions si graves d'une façon aussi expéditive.
    En conclusion, j'insisterai sur le fait que nous nous efforcerons dans ce débat d'être constructifs car nous refusons l'instrumentalisation de ce thème à des fins politiques.
    M. Christian Cabal. Chiche !
    Mme Martine David. Notre seule volonté est de promouvoir des réponses efficaces et opératoires aux angoisses de nos concitoyens. Car, nous aussi, élus de gauche, sommes confrontés à la délinquance, bien évidemment. Toutefois, à la différence de ce que nous avons entendu hier, nous plaçons sur un même plan la lutte pour la sécurité des personnes et des biens et celle pour l'emploi, la croissance et la réduction des inégalités.
    M. Gérard Léonard. C'est ce que nous faisons aussi !
    Mme Martine David. Il ne nous paraît pas que donner la priorité aveugle à la sécurité puisse être efficace si vous délaissez par ailleurs le dynamisme économique et la lutte contre l'exclusion.
    M. Christian Cabal. Il n'en est pas question !
    Mme Sylvia Bassot. Amalgame !
    M. André Gerin. Martine David a raison !
    Mme Martine David. Finalement, j'en appelle à tous ceux qui, comme moi, sont bouleversés par chaque agression et par chaque acte de violence gratuite, et je sais que c'est votre cas, monsieur le ministre. L'enjeu me semble être aujourd'hui de concilier les exigences du combat pour la dignité et pour la responsabilité. C'est en tout cas sur ces valeurs que je fonderai mon action pendant ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Christian Cabal. Très bien ! Alors, votez le texte !
    M. le président. La parole est à M. Nicolas Perruchot.
    M. Nicolas Perruchot. Je vous remercie, monsieur le ministre, de proposer des solutions pragmatiques et humaines aux problèmes quotidiens de sécurité que nous rencontrons dans nos circonscriptions, qu'elles soient rurales ou urbaines.
    L'ambition de ce texte est grande. Il s'agit de garantir, enfin, leurs droits les plus élémentaires à nos concitoyens les plus modestes qui vivent dans des quartiers déshérités où pas un d'entre nous ne souhaiterait vivre. Ce droit premier, pour toute communauté politique, c'est le droit à la sécurité, car, sans sécurité, il ne peut y avoir de vie libre et encore moins heureuse.
    Comment s'étonner que les banlieues dangereuses soient devenues des foyers de l'extrême droite ?
    Ce que nous essayons de faire aujourd'hui, c'est de répondre efficacement, humainement et de manière républicaine et démocratique à l'inquiétude qui est à l'origine du vote du 21 avril 2002. J'espère donc que l'opposition s'associera à cette démarche car le Gouvernement ne propose pas autre chose que de supprimer la première des inégalités de notre société, à savoir l'insécurité.
    Je le vois tous les jours dans ma circonscription, ce sont les plus pauvres qui, habitant dans des quartiers sensibles, sont les premiers touchés par les menaces et les agressions quotidiennes.
    Et que l'on ne nous accuse pas de porter atteinte aux droits de l'homme. Le premier d'entre eux celui qui fonde tous les autres, c'est la sécurité. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen énonce, dans son article II : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression. »
    M. Yves Durand. Ah ! la résistance à l'oppression !
    M. Nicolas Perruchot. Dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, les premiers droits énoncés sont le droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. A force de penser que l'Etat était la première menace contre les individus, certains ont oublié que des individus non dotés de la force de la puissance publique pouvaient constituer une menace pour d'autres. Ce n'est que dans une société où la violence entre les individus aurait disparu que l'Etat, ce monstre froid, pourrait constituer la seule menace. Nous ne vivons pas dans un tel monde. Il est temps d'ouvrir les yeux et de considérer que ce texte s'inscrit dans une actualité, celle de la recrudescence de certaines formes de violence, de la déliquescence du lien social dans certains espaces urbains, bref, d'une crise politique à laquelle il veut et doit répondre.
    Nous approuvons les trois axes de ce projet de loi : adaptation de la législation aux nouvelles formes de délinquance et de criminalité, rénovation des procédures existantes et amélioration de l'efficacité des forces de sécurité.
    Tout d'abord, les nouvelles qualifications prévues par ce texte donneront les moyens aux policiers de lutter contre les nouvelles formes de délinquance et de criminalité. Il fallait, en effet, réagir face aux entraves à la circulation et aux menaces dans les immeubles qui pourrissent la vie de nos concitoyens. Nous souhaitons d'ailleurs élargir le champ de l'article qui traite aux bâtiments publics et aux commerces. Il fallait pouvoir sanctionner l'occupation illégale de terrains communaux ou privés et nous voulons donner tout son sens à cette mesure en accordant la possibilité aux petites communes de transférer le coût de la procédure judiciaire sur la collectivité nationale, en saisissant le préfet.
    Il fallait enfin réagir face à l'explosion de la prostitution et au développement d'une forme extrêmement violente du proxénétisme. Nous soutenons la pénalisation de la prostitution en dépit de ses effets immédiats douloureux sur les prostituées, car elle seule peut permettre de lutter efficacement contre les réseaux mafieux en donnant, enfin, aux policiers les moyens d'enquêter. En contrepartie, nous attendons un renforcement de la politique de réinsertion des prostituées. Nous présenterons un amendement dans ce sens. A titre personnel, je souhaiterais que l'on se penche également sur le problème des mariages blancs qui font aujourd'hui l'objet d'un véritable trafic.
    Surtout, nous proposerons un renforcement des pouvoirs du maire pour les délits et les troubles à l'ordre public relevant de la police de proximité, car le maire est l'interlocuteur privilégié de chaque citoyen. Jean-Christophe Lagarde l'a évoqué tout à l'heure à cette tribune. En tant qu'élu local, je tiens à dire ma satisfaction que le maire, souvent la cinquième roue du carrosse en ce qui concerne la politique de sécurité, soit enfin reconnu pour ce qu'il est : l'interlocuteur privilégié de nos concitoyens et un acteur central en tant que chef de sa police municipale.
    Enfin, le renforcement de l'efficacité de la politique de sécurité dépendra en grande partie de la rénovation des procédures judiciaires : recentrage du juge sur les affaires prioritaires pour désengorger les tribunaux, amélioration de la protection des victimes sur le modèle du témoignage anonyme, ou encore diminution du coût d'accès à la justice, notamment pour les petites communes.
    Monsieur le ministre, ce texte va dans le bon sens. L'UDF apportera, bien entendu, sa pierre à l'édifice, en espérant que sa voix sera entendue. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Emile Zuccarelli.
    M. Emile Zuccarelli. Monsieur le ministre, mes chers collègues, en cinq minutes, je ne vais pas pouvoir faire une analyse exhaustive du texte. Je voudrais simplement vous livrer un sentiment général et insister sur deux points particuliers.
    Mon sentiment général, c'est que le droit à la sécurité pour tous doit en permanence être affirmé, tant il est vrai que ce sont, comme par hasard, nos contitoyens les moins privilégiés qui subissent l'insécurité au quotidien. Et ce sentiment est ici, je le sais, très largement partagé.
    La criminalité et la délinquance augmentent inexorablement depuis des lustres. Il faut inverser la tendance. C'est un impératif. Le dire ne signifie pas que l'on néglige la réflexion et l'action tendant à traiter un certain nombre de problèmes sociaux générateurs de délinquance. Mais il faut sortir de l'opposition, surréaliste, entre prévention et répression car il est évident pour moi qu'il ne peut y avoir de politique de prévention qu'adossée à une politique de répression, crédibilisée par une politique de sanction.
    M. Gérard Léonard. C'est bien de le dire !
    M. Emile Zuccarelli. Je le dis tranquillement à cette tribune, parce que je crois que nous sommes assez d'accord là-dessus, depuis quelques années déjà au moins, et il me paraît injuste de laisser croire que rien n'a été fait dans un passé récent. Sous la précédente législature, le Gouvernement a effectivement pris un certain nombre de dispositions, en particulier sur les effectifs des forces de l'ordre et la police de proximité, dispositions qui vont dans le bon sens et ne sauraient être niées.
    Je souhaite sincèrement, monsieur le ministre, que vous réussissiez à faire reculer l'insécurité, mais certains de ceux qui vous soutiennent dans cet hémicycle gagneraient à attendre la confirmation des premiers résultats avant de s'adonner au triomphalisme, de délivrer des leçons cinglantes et de dénoncer la caricature pour y sombrer eux-mêmes aussitôt.
    Si, ce qui est indispensable, l'action publique peut être efficace grâce à des initiatives législatives, je ne veux pas m'y opposer.
    Bien sûr, cela doit s'accompagner de garanties pour le citoyen en termes de protection des libertés individuelles, droit de la défense et déontologie des forces de l'ordre, mais, l'insécurité étant gravement attentatoire à la liberté, un équilibre doit être respecté. On doit faire preuve dans ce domaine de vigilance, pas de frilosité.
    Je prendrai deux exemples.
    Le premier, c'est la possibilité offerte aux policiers et aux gendarmes de fouiller les coffres de voiture. Une telle mesure, loin de m'apparaître comme liberticide, est au contraire pertinente et nécessaire. Elle est propre à permettre aux forces de l'ordre de lutter efficacement contre le transport par voiture d'armes et d'engins explosifs ou encore de drogue. Je ne peux pas demander à l'Etat de lutter en Corse contre les poseurs de bombes et refuser une telle mesure. Il faut être cohérent ! (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Emile Zuccarelli. Quand les choses me conviennent, je le dis. Quand elles ne me conviennent pas, je le dis également. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs de groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Gérard Léonard. Très honnête !
    M. Emile Zuccarelli. J'ajoute qu'elle contribuera sans doute à la « désanctuarisation » de l'automobile. Le caractère inviolable de la voiture n'est pas, c'est le moins que l'on puisse dire, l'une des caractéristiques les plus souhaitables de notre droit. Au contraire, cela a créé un rapport psychologique dangereux, rapprochant le statut de l'automobile de celui du domicile particulier. Cet amalgame est sans doute à l'origine de comportements insupportables de très nombreux automobilistes et des piètres, catastrophiques performances de la France en matière de sécurité routière.
    M. Jean Leonetti. Tout à fait !
    M. Emile Zuccarelli. J'ai quelques réserves à faire, par contre, à propos de la prostitution.
    J'ai bien cru comprendre qu'il ne s'agissait pas d'interdire la prostitution. Ce serait une attitude satisfaisante peut-être d'un point de vue moral mais marquée par la même hypocrisie qui conduisit jadis les Etats-Unis à la prohibition, pour le plus grand bénéfice des voyous en tout genre.
    En revanche, que les prostitués soient dans leur immense majorité les victimes de la pire exploitation et très souvent des pires violences, oui, il faut le dire et en tirer les conséquences, à savoir mener une lutte impitoyable contre le proxénétisme sous toutes ses formes.
    Or il nous semble, monsieur le ministre, que ce projet de loi, notamment à travers l'incrimination aux contours extrêmement flous de racolage passif, va frapper les victimes, à savoir les prostitués, et leurs clients, qui ne sont pas tous des pervers comme je l'ai entendu dire, mais souvent aussi des victimes sociales de la solitude et du déracinement, et pas assez, c'est un euphémisme, les proxénètes.
    Je sais que vous êtes très attentif au démantèlement des réseaux en provenance de l'étranger. Ils sont redoutables et représentent une part majeure de la prostitution actuelle. Mais tout ne saurait être réduit à ces seuls réseaux.
    Par ailleurs, aurez-vous réellement les moyens de protéger les prostitués acceptant de témoigner contre ceux qui voudraient les en punir ? Il conviendra au moins, au-delà de la protection immédiate, de renforcer considérablement les peines à l'encontre de ceux ayant tenté d'empêcher le témoignage ou exercé des violences à titre de représailles.
    J'ai terminé, et je crois, monsieur le président, avoir respecté mon temps de parole.
    M. le président. Tout à fait, monsieur Zuccarelli. Je ne vous ai rien dit, d'ailleurs.
    M. Emile Zuccarelli. Telles sont les quelques réflexions que je souhaitais exprimer à l'orée d'un débat où il conviendra, je le répète, de débattre sans triomphalisme excessif et sans intolérance. Le problème de la sécurité gagnera à faire l'objet de la cohésion nationale, mais aussi politique, plutôt qu'à devenir une arme politienne. (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean Leonetti. C'est un discours républicain.
    M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur.
    M. Marc Le Fur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais aborder deux sujets : le fichier des empreintes génétiques et l'observatoire de la délinquance.
    Deux éléments ont caractérisé la délinquance des cinq dernières années : son accroissement, le phénomène est bien connu, mais aussi une baisse très réelle du taux d'élucidation. En 1991, 36 % des affaires étaient élucidées ; en 2001, 24 %. Il y a dix ans, plus du tiers des affaires étaient élucidées ; il y a deux ans, moins d'un quart. C'est un vrai sujet.
    C'est lié, bien sûr, à la montée de la délinquance. C'est lié aussi au découragement des policiers,...
    M. François Goulard. C'est vrai !
    M. Marc Le Fur. ... qui, il faut qu'on le dise et le répète, font un travail extrêmement dur et doivent sentir l'opinion avec eux.
    M. François Goulard. Bonne analyse !
    M. Marc Le Fur. C'est dû également à l'alourdissement de la procédure pénale et, là, la tâche est encore devant nous. C'est dû enfin à l'insuffisance des moyens de la police.
    Je voudrais évoquer l'un d'entre eux, la police scientifique.
    Ce sujet pourrait nous rassembler. Pierre Joxe, en son temps, en fut l'un des pionniers avant Pasqua, et vous-même aujourd'hui.
    M. Gérard Léonard. Jean-Louis Debré aussi !
    M. Marc Le Fur. C'est dire si l'on peut faire des choses au-delà des différentes sensibilités.
    Sur 4 millions de crimes et délits, 250 000 donnent lieu à un transport des forces de police ou de gendarmes sur place, c'est-à-dire seulement une fois sur seize. C'est objectivement très peu, pour l'efficacité, et pour le respect dû à la victime. Celle-ci a le sentiment que tout s'arrête une fois qu'elle a déposé sa plainte. Il faut qu'elle sente qu'il y a quelque chose après.
    M. François Goulard. Très juste.
    M. Marc Le Fur. Ce qui est affligeant également, c'est que nous n'utilisons pas suffisamment les ressources que nous offre la science. La science doit être considérée comme un auxiliaire de justice, et je voudrais évoquer le fichier national des empreintes génétiques.
    La commission des finances m'a demandé d'examiner ce point, en ma qualité de rapporteur du budget de la sécurité, de la police et de la gendarmerie. Je me suis rendu à Ecully. J'ai constaté la détermination des policiers. Comme vous le souligniez vous-même hier, monsieur le ministre, à peine 2 000 personnes figurent aujourd'hui dans ce fameux fichier alors que les Anglais ont dépassé 1,5 million d'inscrits et atteignent 1,7 million.
    C'est d'autant plus affligeant que c'est un moyen très efficace en matière policière, M. Cabal l'a démontré dans son rapport en son temps.
    A partir d'une simple trace de salive sur une cigarette, on peut désormais identifier quelqu'un. On peut agir vite également, dans les limites de la garde à vue. Nous disposons d'un outil. Encore faut-il que nous nous donnions les moyens de l'utiliser.
    Pourquoi cette réticence ? « Fichier » et « génétique » sont des mots chargés de peur et de fantasmes et, pour cette raison, le politiquement correct a prévalu au détriment de la justice, de la vérité et des moyens de la police.
    M. Christian Cabal. Tout à fait !
    M. François Goulard. Et au détriment de la victime !
    M. Marc Le Fur. Il a fallu attendre les initiatives de MM. Marsaud, Léonard et Estrosi pour que l'on réfléchisse enfin à cette question et que des propositions de lois soient déposées. Il a fallu attendre la loi du 17 juin 1998 pour qu'on esquisse un fichier national, mais beaucoup trop restreint puisqu'on l'a limité aux crimes sexuels, sans aucune raison logique. Il faut viser d'autres types de délinquance. On l'a aussi limité aux personnes condamnées, c'est-à-dire qu'il ne peut servir à identifier que des récidivistes. La loi du 15 novembre 2001, dite de sécurité quotidienne, a un petit peu ouvert la brèche dans la mesure où elle a étendu le fichier à un certain nombre de crimes, et encore même pas à tous. Il faut aller beaucoup plus loin. Votre texte, monsieur le ministre, le permet aujourd'hui.
    Votre idée, nous la partageons, c'est d'étendre ce fichier à l'ensemble des crimes et, non pas l'ensemble des délits, ce qui ne serait pas possible, même matériellement, mais aux délits associés à des actes de violence. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que, souvent, en matière policière, une information recueillie à l'occasion d'une affaire extrêmement modeste peut être extrêmement utile à la manifestation de la vérité pour une grosse affaire. Kalkhal, par exemple, a été identifié en 1995 parce qu'on a trouvé des empreintes digitales dans le TGV et qu'on a fait le rapprochement avec des empreintes concernant un simple vol de voiture, pour lequel les policiers avaient fait leur travail très correctement. Comme quoi le rapprochement systématique peut être utile !
    Autre intérêt de ce texte, c'est que nous étendons le fichier non seulement aux personnes condamnées, mais aussi à celles qui font l'objet d'une procédure. C'est très important car les procédures sont longues. Associer des faits qui concernent des affaires distinctes, dans des endroits éloignés les uns des autres, affaires suivies par des polices distinctes, qui relèvent de juridictions différentes, peut permettre la manifestation de la vérité.
    Des gens se plaignent, s'inquiètent, les éternels pétitionnaires se manifestent. Que dire pour les rassurer ? On peut prendre le cas de la Grande-Bretagne. On peut leur expliquer aussi que la génétique peut être utilisée pour disculper quelqu'un, à décharge.
    M. Yves Fromion. Tout à fait !
    M. Marc Le Fur. Vous aviez cité l'affaire Dickinson. Voilà une affaire caractéristique. Il y avait sur place un suspect idéal : il avouait, c'était un ancien auteur de délit sexuel, mais la trace génétique a contribué à le disculper et à confondre le vrai coupable. Voilà des éléments qui devraient rassurer, en particulier Mme David. Seront sortis systématiquement du fichier les gens qui n'auront pas fait l'objet d'une condamnation au terme des procédures, et une traçabilité sera instaurée, qui existe déjà, permettant d'identifier parfaitement qui demande la consultation, pourquoi et pour qui, tout cela sous le contrôle des magistrats.
    Bref, ne nous privons pas de l'apport de la science.
    Deuxième sujet, et je serai plus bref, l'observatoire de la délinquance.
    J'ai bien noté votre annonce, monsieur le ministre, elle est importante. J'y souscris entièrement. J'avais d'ailleurs déposé un amendement dans ce sens lors de notre débat en juillet. La mesure de contrôle de l'activité de la police doit être un peu distincte de la police, non pas sans lien avec elle, mais malgré tout distincte. Il faut donc la confier à un organisme extérieur mais qui connaît la police. L'IHESI réunit, selon moi, toutes les caractéristiques pour servir d'observatoire. Pour aller dans le sens des rapports Caresche et Pandraud, il faut que les parlementaires soient associés à cet observatoire. Il est légitime qu'au titre du contrôle de l'activité gouvernementale, nous puissions mesurer aussi l'efficacité de l'action policière.
    Une suggestion, monsieur le ministre : je souhaite que cet observatoire non seulement constate les faits et les mesures, et j'ai bien noté que les chiffres tomberont désormais régulièrement tous les mois, mais puisse aller un petit peu plus loin en matière de délinquance. Nous devons mesurer aussi l'efficacité policière, le taux d'élucidation, et aussi, osons le dire, le taux de jugement en quelque sorte. Rien n'est plus irritant pour les policiers et pour les victimes que de constater qu'une affaire est élucidée et donne lieu à un classement sans suite. Il y a là des pertes en ligne extrêmement importantes. Dernier élément de mesure, bon nombre d'affaires sont élucidées et jugées, mais la sanction n'est pas appliquée. Vous-même, madame Lebranchu, avouiez il y a quelques mois que plus du tiers des affaires ne connaissaient même pas un début d'application de la sanction.
    Beaucoup de choses sont encore à entreprendre, monsieur le ministre, mais vous avez eu l'immense mérite de faire avancer les choses et de sortir le débat de l'impasse.
    Il y a encore quelques mois, nous étions tous engoncés dans le fatalisme des politiques, dans le sentiment d'abandon dont souffraient policiers et gendarmes, et dans le sentiment de désespérance qui gagnait peu à peu l'opinion dans son ensemble. Merci pour cette leçon de volontarisme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Merci beaucoup, monsieur Le Fur, d'avoir respecté rigoureusement votre temps de parole.
    La parole est à M. Arnaud Montebourg.
    M. Arnaud Montebourg. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la République est un peu comme nos anciennes institutrices : elle peut être sévère, elle peut être ferme, si, et seulement si, elle est juste.
    La justice, c'est le sentiment que chacun dans notre société peut être entendu et respecté, dispose de sa place et a droit à une chance. La justice, c'est ce contrat invisible qui unit les citoyens appartenant à une même société dans laquelle chacun d'entre eux aura le sentiment d'être traité équitablement.
    De ce point de vue, monsieur le ministre, lorsque vous réclamez l'application de la loi, toute la loi, rien que la loi, nul ne peut vous en faire le reproche. Si la loi ne trouve pas à s'appliquer, c'est le contrat républicain qui est dévalorisé, la délibération commune qui perd de sa force, le respect de l'autorité librement consentie qui disparaît.
    J'ai, comme d'autres, afin de protéger précisément le sentiment que nous devons tous être traités de façon égalitaire et équitable, demandé à de nombreuses reprises que la loi puisse s'appliquer, et je l'ai demandé à l'égard d'illustres délinquants en col blanc pour lesquels le système judiciaire ménageait une curieuse mansuétude.
    Vous me permettrez, sans esprit polémique (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle),...
    M. Yves Fromion. Ce n'est pas votre genre !
    M. Arnaud Montebourg. Non, pas aujourd'hui !
    M. Eric Raoult. C'est son fonds de commerce !
    M. Arnaud Montebourg. ... de citer l'appel des juges européens, signé il y a quelques années dans une forme tout à fait solennelle notamment par M. Van Ruymbeke, Mme Joly, M. Baltasar Garzon et les juges milanais à l'origine de l'opération Mani pulite : « Des circuits occultes empruntés par des organisations délinquantes et criminelles se développent en même temps qu'explosent les échanges financiers internationaux pour recycler l'argent de la drogue, du terrorisme, des sectes, de la corruption et des activités mafieuses. Certaines personnalités et certains partis politiques eux-mêmes ont à diverses occasions profité de ces circuits. Par ailleurs, les autorités politiques, tous pays confondus, se révèlent incapables de s'attaquer clairement et efficacement à cette Europe de l'ombre. »
    De ces questions, monsieur le ministre, votre texte ne dit mot. Cette nécessité d'améliorer la répression transnationale de réseaux qui collectent, recyclent cet argent sale ou criminel et en jouissent, votre texte de l'aborde pas.
    Il accroît la répression contre certaines catégories sociales : les prostituées, les gens du voyage, les occupants occasionnels de halls d'immeuble, et même les mendiants au point de faire sursauter l'abbé Pierre lui-même. Mais que prévoit-il à l'encontre de la grande délinquance d'affaires internationale, utilisant les caisses noires ? Qu'organise-t-il contre la corruption du monde économique ou, malheureusement, politique ?
    Nous touchons là, vous me permettrez de le dire de façon synthétique, à la profonde signification de ce texte, car le contrat républicain, c'est l'assurance que, si la sévérité s'exerce en un point de ce contrat, comme vous prétendez le faire, elle ne peut s'exercer qu'en tous les points du même contrat. Réclamer l'impunité zéro est efficace dans les esprits et dans les coeurs si, et seulement si, on se l'applique à soi-même, et notamment au sommet de l'Etat.
    Le profil de ce que dessine peu à peu, pierre après pierre, déclaration après déclaration, votre politique fait penser parfois à ce qu'il y a de plus détestable dans Silvio Berlusconi : amnistie pour l'argent sale placé hors d'Italie, reprise en main des juges pour empêcher la progression des affaires ; affairiste au sommet, violemment autoritaire en bas. C'est ainsi que l'on brise et détruit un contrat républicain, alors que l'on croyait le rétablir.
    Je vois M. le président de la commission des lois sourire, non pas d'acquiescement, mais peut-être d'incertitude. (Murmures.)
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Pour les héritiers de Mitterrand, quel jugement !
    M. Arnaud Montebourg. Croyez-vous que ceux à qui on ne passera pas le moindre petit écart, ne se diront pas en leur for intérieur, après les débats qu'ils ont pu entendre, qu'on a passé beaucoup de choses à d'autres beaucoup plus puissants qui, eux, savent s'exonérer du respect de la loi.
    M. Jean Leonetti. Surtout depuis 1981 !
    M. Arnaud Montebourg. Vous avez donc décidé d'accroître, soit, les moyens de la répression en créant de nouvelles infractions pénales, de nouvelles règles relatives à la procédure pénale. A chaque fois que le législateur accroît les pouvoirs d'action de la police, il est toujours nécessaire de se poser la question des contrepoids, toujours ! Là où l'on accroît la force de l'autorité, on doit permettre d'organiser la défense. Là où l'on accroît le pouvoir, il est nécessaire d'organiser le contre-pouvoir. C'est la recherche de l'équilibre, c'est le moyen d'assurer la justice. Voilà ce que les bien modestes députés de l'opposition sont venus vous dire.
    Je me souviens que des députés de l'opposition, MM. Devedjian, Houillon, Blessig, Albertini, tous députés ou ministres dans la majorité actuelle, exprimaient il y a quelques années à peine leur regret qu'un avocat ne soit pas présent en permanence pendant la garde à vue, celui-ci étant « la meilleure garantie contre certaines pratiques qui se déroulent dans des conditions indignes ».

    M. Devedjian rappelait même que la France avait été trop souvent condamnée - je le cite encore : « 246 constats de violation des droits de l'homme par la Cour européenne des droits de l'homme ». Il se plaignait déjà avec force et grandiloquence de ces écarts et de ces abus, qui ont pourtant été commis dans un Etat de droit beaucoup plus protecteur que celui dont vous êtes en train d'accoucher.
    M. Yves Fromion. Vous ne pensez pas aux victimes !
    M. Arnaud Montebourg. Hier soir, monsieur le ministre, vous disiez à notre adresse - je vous écoutais attentivement - que quand l'opposition évoque les risques d'arbitraire elle insulte la police ou la gendarmerie. Permettez-moi de vous dire que c'est un ministre qui siège aujourd'hui à vos côtés au Conseil des ministres qui a évoqué les risques d'arbitraire ici même, à la tribune de l'Assemblée nationale : je ne vous ai guère entendu le réprimander.
    La question de l'équilibre entre l'objectif de répression pénale et l'application de la loi - objectif fort légitime, et que nous défendons tous ici - et les contrepoids nécessaires pour éviter le risque d'arbitraire doit être la préoccupation permanente du législateur. Il n'y a nulle insulte à déclarer que tout homme disposant de tous les pouvoirs est toujours porté à en abuser. C'est la leçon, finalement, des pères fondateurs de notre République, avec laquelle nous vivons encore. Relisons d'ailleurs les philosophes des Lumières, dont les bustes trônent dans les couloirs de cette maison, des bustes que nul ne songerait à enlever, du moins encore pour un temps, je l'espère. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Votre texte, vous le savez, ne garantit pas suffisamment les citoyens contre les excès. Nous pouvons savoir qu'en matière d'enquête de police, de garde à vue, le contrôle de l'avocat est en voie de disparition ; en matière de perquisition domiciliaire, le contrôle du juge d'instruction, qui instruit, dans l'indépendance, à charge et à décharge, tend à disparaître : les policiers auront les mains libres, sous la direction, il est vrai, du procureur, mais un procureur sur lequel vous avez repris la haute main politique.
    M. Yves Fromion. Quelle caricature !
    M. Arnaud Montebourg. Où sont les contre-pouvoirs ? Où sont les garanties ? Où est l'équilibre ?
    Et on ne peut pas écarter d'un revers de main l'exigence constitutionnelle relative au contrôle de la sincérité des preuves. Car la loi n'est pas faite pour châtier des innocents : elle est faite pour sanctionner des coupables après que des mécanismes de procédure pénale auront permis sérieusement de distinguer les coupables des innocents.
    M. Bruno Le Roux. Très bien !
    M. Jean Leonetti. Il faudrait que M. Montebourg descende dans la rue, qu'il sorte de son cabinet d'avocat de riches !
    M. Arnaud Montebourg. Nous apprécions, monsieur le ministre, que vous ayez cherché à équilibrer votre discours, en déclarant hier, lorsque vous nous présentiez ce projet de loi, que vous suiviez un à un chacun des dysfonctionnements, ou des éventuelles bavures que vous verriez appraître afin que celles-ci soient sanctionnées. Ces quelques mois devraient vous donner du travail. Car je voudrais vous lire le communiqué du syndicat CFDT-Air France du 7 janvier à propos du décès d'un passager expulsé de notre territoire à bord d'un avion Air France.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'est inadmissible ! C'est insultant à l'égard des policiers !
    M. Arnaud Montebourg. C'est un communiqué syndical ! C'est un communiqué syndical. Je le cite in extenso, monsieur le ministre. Vous rendrez justice. « M. Barrientos, de nationalité argentine, a été embarqué de manière musclée puis maintenu fermement plié en avant par les deux policiers de son escorte. C'est à ce moment qu'il est décédé. »
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Cette manière de procéder est inadmissible, monsieur Montebourg !
    M. Arnaud Montebourg. « Son corps a été traîné au sol jusqu'à l'avant de l'appareil où le décès a été constaté par le SAMU. La CFDT-groupe Air France dénonce la brutalité des membres des forces de l'ordre, rappelle que les faits de brutalité sont fréquents à bord de nos appareils dans de tels cas et qu'il s'agit là du troisième cas connu de décès à bord en Europe à la suite d'embarquement de force de passagers reconduits aux frontières. »
    M. Yves Fromion. En Europe !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'est inadmissible !
    M. Arnaud Montebourg. Je voudrais aussi vous lire certains passages de la lettre de Me Daniel François, avocat à la Cour, ancien secrétaire de la Conférence, dont la moralité et la dignité sont incontestables.
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Pas si incontestables que vous le dites !
    M. Arnaud Montebourg. Sa lettre est adressée au bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris, ce 3 janvier dernier. Cet avocat, expérimenté, de surcroît, et dont la sagesse ne fait aucun doute parmi ses confrères, je vous le confirme, a déclaré être arrivé au commissariat d'Aulnay-sous-Bois à zéro heure trente, la nuit de la Saint-Sylvestre, où il est resté s'entretenir avec son client une vingtaine de minutes, heure à laquelle il a fait part à l'agent de service de son intention de rédiger une note au sujet des violences dont son client avait été victime.
    M. Marc Le Fur. Vous insultez les policiers !
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Un avocat ne vaut pas plus qu'un policier, monsieur Montebourg.
    M. Eric Raoult. C'est du Guigou !
    M. Arnaud Montebourg. Je tiens à votre disposition le certificat médical et la note manuscrite de Me François, note qu'il n'est pas parvenu à déposer au dossier de la police. C'est précisément parce qu'il essayait de faire inscrire dans le dossier - ce qui est normal, c'est son rôle, selon la loi - la mention de ces violences pendant la garde à vue qu'il s'est vu notifier l'ouverture d'une procédure d'outrage à agent de la force publique puis placé, dans l'exercice de ses fonctions, en garde à vue. Je cite l'avocat : « Je suis immédiatement conduit dans une cellule, défait de mes objets, y compris ma sacoche professionnelle, mis en demeure de me déshabiller avec retirement de mes lacets, ce qui ne sera pas exigé du groupe des autres gardés à vue. Je dois aussi baisser mon slip pour tousser. A chaque fois, je m'exécute. »
    M. Yves Fromion. Mais où on est, là ?
    M. Eric Raoult. C'est pitoyable, monsieur Montebourg !
    M. Arnaud Montebourg. Vous noterez, monsieur le ministre, que le parquet de Bobigny a refusé de poursuivre l'avocat pour outrage, reconnaissant quelques doutes sur la réalité de cette accusation.
    M. Marc Le Fur. Tout cela est lamentable, monsieur Montebourg !
    M. Arnaud Montebourg. Et en ce qui me concerne, puisque vous n'avez pas réagi en saisissant vos services, j'ai pris la décision, comme parlementaire, de saisir la Commission nationale de déontologie de la sécurité, présidée par M. Truche.
    En l'espace de quelques jours, voici quelques dossiers sur lesquels il va falloir que vous vous penchiez avec attention. Nous vous en remercions par avance, sans aucune ironie, monsieur le ministre.
    Hier soir, monsieur le ministre, vous avez mis au défi la plupart d'entre nous de citer un mot, une déclaration contenant un excès...
    M. Yves Fromion. Pour cela, vous êtes bon !
    M. Arnaud Montebourg. ... ou une phrase en infraction avec les valeurs républicaines que vous défendez. J'en ai trouvé une, que vous me permettrez de soumettre à votre méditation. Interrogé sur la politique à mener en matière de prostitution, vous avez prononcé la phrase suivante : « Tous les droits-de-l'hommistes de la création passent devant la porte de Saint-Ouen en disant : "Mon Dieu, les pauvres ! puis s'en vont pour aller dîner en ville. »
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'est juste !
    M. Arnaud Montebourg. Cette phrase péjorative et dégradante, qui s'en prend en les ridiculisant aux « droits-de-l'hommistes », nouvelle catégorie sociale, est inacceptable. Je vais vous dire pourquoi, en un mot.
    Vous savez que dans notre pays, certains sont morts pour défendre ce que nous appelons en effet les droits de l'homme,...
    M. Yves Fromion. C'est leur sacrifice qui vous permet de dire n'importe quoi aujourd'hui !
    M. Arnaud Montebourg. ... parmi lesquels figurent autant la sûreté, que ce texte prétend défendre et soutenir, que la résistance à l'arbitraire.
    M. Gérard Léonard. C'est une argutie scandaleuse !
    M. Marc Le Fur. Guigouguiste !
    M. Arnaud Montebourg. Or l'arbitraire est autant dans l'injustice d'une agression contre une personne innocente, atteinte dans ses biens ou dans son intégrité corporelle - et à cet égard, je souscris à votre discours, monsieur le ministre - que dans l'injustice faite, car il s'en commet dans les institutions aussi, à une autre personne innocente victime d'un arbitraire, fût-il policier ou judiciaire.
    M. Gérard Léonard. Malhonnêteté intellectuelle avérée !
    M. Arnaud Montebourg. L'arbitraire est dans la société. Il peut être aussi dans l'institution. Et c'est de ces deux dangers que vous devez nous protéger. Les « droits-de-l'hommistes » que vous insultez, monsieur le ministre, ce sont aussi vos ancêtres politiques, car le gaullisme des origines et de la Résistance,...
    M. Gérard Léonard. Ah non, pitié ! Pas ça !
    M. Arnaud Montebourg. ... est-ce que ce n'était pas la restauration des droits de l'homme contre l'idéologie vichyste, aujourd'hui, c'est vrai, portée et réhabilitée par le lepénisme ? La dernière fois que j'ai vu vilipender les droits-de-l'hommistes, c'était dans les éditoriaux des journaux du Front national,...
    M. Yves Fromion. Lamentable !
    M. Georges Siffredi. Vous avez tout fait pour aider Le Pen !
    M. Arnaud Montebourg. ... ce n'était pas dans les grands principes rappelés par le Conseil national de la Résistance, dont nous avons toujours usage et avantage à relire les attendus et les considérants, monsieur le ministre. (Applaudissements sur divers bancs du groupe socialiste.)
    M. Eric Raoult. Eh bien, ils vont rester longtemps dans l'opposition !
    M. Gérard Léonard. Eh oui ! Merci, monsieur Montebourg !
    M. le président. Eh bien, cela vous satisfait ! La parole est à...
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Pourrais-je dire un mot, monsieur le président ?
    M. le président. Je vous en prie, monsieur le ministre.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. N'étant pas persuadé que M. Montebourg sera encore là au moment où je répondrai aux orateurs, puisqu'il ne nous a pas habitués à nous honorer en permanence de sa présence dans l'hémicycle - il préfère s'exprimer beaucoup à l'extérieur...
    M. Eric Raoult. Dans les salons !
    M. Pierre Cardo. On ne l'a pas souvent vu en banlieue, en effet !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... et assez peu à l'extérieur de cette enceinte -, je vais m'autoriser à lui servir ma réponse tout de suite.
    Monsieur Montebourg, il est arrivé une mésaventure à votre collègue, Mme Guigou, à la télévision. Elle aussi a utilisé le même procédé,...
    M. Eric Raoult. Exactement !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... particulièrement odieux,...
    M. Jean Leonetti. Indigne !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... qui consiste, dans une affaire qui n'a pas été tranchée, à présenter un témoignage qui n'est pas vérifié comme un élément de vérité, afin de désigner à la vindicte populaire des fonctionnaires qui n'ont pas le droit de répondre.
    M. Christian Cabal. C'est vrai !
    M. Eric Raoult. Tout à fait !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ceux-ci, à qui il est ainsi gravement porté atteinte, sont victimes de comportements de responsables politiques qui aiment, comme vous, se faire de la publicité sur le dos de gens qui travaillent tous les jours et qui ne peuvent pas se défendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    S'agissant du document de la CFDT-transports, permettez-moi de vous dire, monsieur Montebourg, que je suis avocat autant que vous, et peut-être parfois mieux que vous, parce que je donne moins de leçons, ce qui me permet d'en recevoir moins.
    M. Arnaud Montebourg. L'Histoire le dira !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Et vous allez en recevoir une belle, monsieur Montebourg : quand on brandit un document qui n'a été vérifié par personne - vous n'y étiez pas, je n'y étais pas - et qu'on porte atteinte à l'honneur d'hommes et de femmes qui, avec des petits salaires, font leur travail, cela veut dire qu'on en fait des otages de querelles politiques.
    Monsieur Montebourg, si c'était là un exemple de défense des droits de l'homme, permettez-moi de vous dire que c'était un bien mauvais exemple et votre attitude, celle qui consiste à prendre à partie des gens qui ne peuvent pas se défendre, est exactement le contraire de l'image que nous devrions donner, les uns et les autres.
    M. Christian Cabal. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ils sont nombreux à penser cela de vous, dans votre famille politique.
    M. Yves Durand. Cela ne vous regarde pas !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Permettez-moi de vous dire que, si ceux qui vous connaissent pensent cela, moi qui vous connaissais peu, je le pense comme eux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Gérard Léonard. Il devrait avoir honte !

Rappel au règlement

    M. Bruno Le Roux. Je demande la parole pour un rappel au règlement, monsieur le président.
    M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour un rappel au règlement.
    M. Bruno Le Roux. Même s'il est d'usage que le ministre réponde après que tous les orateurs se sont exprimés,...
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Là, j'ai été pris à partie !
    M. Jean Leonetti. Eh oui, quand même !
    M. Bruno Le Roux. ... je reconnais qu'il peut prendre la parole à n'importe quel moment. Cela dit, je considère que M. le ministre n'a pas répondu, sur le fond, aux arguments avancés par M. Montebourg. Il s'est livré à une mise en cause, et à une mise en cause qui est grave (Vives protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle)...
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Cela n'est pas un rappel au règlement, monsieur le président !
    M. Bruno Le Roux. ... dans la mesure où elle revient à ne pas reconnaître le rôle qui est celui de chacun d'entre nous, et la faculté que nous avons tous d'exercer librement notre droit de parole à la tribune.
    Monsieur le président, je vous demande une suspension de séance afin que nous puissions réfléchir à tout cela avant de reprendre le débat sur les bases plus sereines. (Exclamations sur des bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Monsieur Le Roux, d'abord, le ministre peut intervenir quant il le demande. C'est ce qu'il a fait. Ensuite, vous avez fait un rappel au règlement en donnant votre opinion sur l'intervention du ministre. L'incident est clos.
    Cela dit, la suspension de séance est de droit.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue pour cinq minutes.
    (La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.)
    M. le président. La séance est reprise.
    Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Thierry Mariani.
    M. Thierry Mariani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « la sécurité est l'un des droits les plus fondamentaux de nos concitoyens » : cette simple phrase a été prononcée des centaines de fois par les leaders de tous nos partis politiques, y compris ceux de l'actuelle opposition. Brandie par ces derniers pendant la campagne présidentielle, elle n'a pas leurré leurs électeurs, et ce pour une simple raison : il existe, nous le savons tous, une différence profonde entre énoncer un principe et le mettre en oeuvre. En effet, mes chers collègues socialistes, il ne suffit pas de poser le droit à la sécurité dans un programme électoral pour l'oublier ensuite. Il ne suffit pas d'affirmer qu'on a compris les préoccupations des Français pour pouvoir s'arroger ensuite le droit de ne rien faire pour endiguer l'insécurité. Et j'ajouterai, après avoir entendu notre collègue Montebourg, qu'il ne suffit pas de parler de la délinquance internationale pour oublier ensuite d'agir au quotidien, comme il ne suffit pas de parler de prétendues « brutalités policières » pour avoir le droit d'oublier le quotidien vécu par les Français, lesquels ces cinq dernières années, ont attendu en vain l'action de ces fameux contre-pouvoirs, ceux que la loi doit justement opposer à certains voyous.
    Les Français vous ont sanctionnés le 21 avril. Il était alors indispensable de mettre un terme à la naïveté coupable qui a prévalu pendant ces cinq dernières années et qui a révolté un bon nombre de nos concitoyens. Ils n'ont d'ailleurs pas manqué de vous le rappeler quelques semaines après, à l'occasion des élections législatives.
    A la différence de la gauche plurielle, l'actuel gouvernement a énoncé un programme, s'est engagé à le tenir, et, grâce à vous, monsieur le ministre, il le réalise !
    En juillet dernier, nous étions déjà au travail. Nous avons voté, quelques semaines après l'installation de la nouvelle assemblée, une loi de programmation et d'orientation sur la sécurité intérieure qui donnait de nouveaux moyens à la gendarmerie et à la police. Des recrutements massifs ont été prévus pour donner enfin aux forces de sécurité intérieure les moyens humains nécessaires pour leur permettre d'agir, mais aussi pour compenser - on serait tenté de dire une fois de plus - les fameux effets des 35 heures.
    Lors du débat du mois de juillet dernier, la gauche nous affirmait que le texte était trop général, qu'il n'était que l'affirmation de grands principes, que ce n'était qu'une loi de programme de cinq ans et se demandait où étaient les mesures concrètes.
    A la différence de l'ancienne majorité, nous tenons à la fois le cap et nos promesses. En effet, après avoir énoncé les principes, nous les avons appliqués. Nous avons donc commencé avec le vote du budget en augmentant sensiblement les moyens matériels et humains. Mais nous avons également compris que se contenter d'effectifs ou de moyens matériels et financiers supplémentaires ne suffirait pas à enrayer le processus de délinquance croissante dans lequel notre pays s'était, hélas ! engouffré depuis plusieurs années.
    Qu'on le veuille ou non, les effets de cette nouvelle politique se voient déjà : les chiffres les plus récents sur la délinquance montrent l'inversion des tendances, laquelle devra, bien sûr, être confirmée. Cependant, l'inversion est là ! La hausse n'est plus inéluctable. L'insécurité n'est donc plus un mal contre lequel personne ne peut rien.
    Afin de continuer la mise en oeuvre des principes énoncés cet été, vous nous demandez aujourd'hui, monsieur le ministre, d'adopter les mesures qui permettront de mettre enfin en place les instruments juridiques nécessaires à la conduite d'une politique efficace. Je soutiens sans réserve les orientations de ce projet de loi équilibré qui permettront d'appréhender plus efficacement la délinquance et certaines formes de criminalité, mais aussi et surtout de restaurer enfin l'autorité de l'Etat et de protéger les citoyens.
    En préalable, je remarque que les mesures qui nous sont aujourd'hui proposées ne répondent qu'à un seul critère : celui du réalisme. C'est effectivement à l'aune de ce principe de gouvernement que le ministre de l'intérieur mais aussi le rapporteur de ce projet de loi, Christian Estrosi, ont choisi de travailler. L'un comme l'autre, ils ont su multiplier les auditions, prendre des avis, aller sur le terrain. Ils ont travaillé sans relâche et la qualité du texte qui nous est aujourd'hui proposé le prouve.
    Ce principe de réalisme nous invite à en finir avec la culture de l'excuse. Depuis vingt ans, la gauche plurielle rêve d'un modèle préventif permettant d'éviter toute répression. La grande habileté du diable, c'est de faire croire qu'il n'existe pas, que l'individu ne doit pas être puni et que ce sont les autres, la société, qui sont responsables de tout ! On mesure aujourd'hui, tardivement, les dégâts qu'a provoqués cette utopie dont la France a été victime depuis près de vingt ans.
    Il faut, sans plus tarder, donner aux forces de sécurité intérieure les moyens de protéger notre population contre les crimes et délits commis par des voyous qui ont été trop longtemps protégés par cette culture de l'excuse. Cette culture qui a régné pendant des années n'a eu pour résultat que de terroriser l'ensemble de la société, de paralyser la police, la gendarmerie et la justice, de désespérer les victimes, dont beaucoup n'osaient même plus porter plainte. Bref, elle a été le terreau de ces réseaux parallèles dominés par de petits caïds - parfois d'ailleurs lieutenants de grands caïds -, que l'on doit enfin cesser de couvrir et briser sans pitié.
    Ce texte va nous permettre d'améliorer l'efficacité des forces de sécurité intérieure dans la recherche des auteurs de crimes et de délits, de moderniser notre droit afin de mieux appréhender certaines formes de délinquance et, enfin, de renforcer l'autorité et la capacité des agents publics concourant à la restauration de la sécurité.
    Il ne saurait être question, dans le cadre de la discussion générale, de développer une appréciation détaillée de chacun des aspects importants du projet de loi, mais j'insisterai sur deux points : la lutte contre l'insécurité et la lutte contre les occupations illicites de terrains par les « gens du voyage ».
    En ce qui concerne l'insécurité, le maire que je suis connait bien, comme la plupart d'entre vous, les atteintes de nature diverses, nombreuses et réitérées qui menacent, jour après jour, la sécurité et, partant de là, la liberté de ceux qui résident dans nos communes, perturbant la tranquillité de leur vie quotidienne, entravant l'éducation de leurs enfants, leur vie professionnelle, l'épanouissement de leur vie conjugale et familiale, leurs loisirs et leur retraite.
    L'accroissement considérable de la délinquance, qui a été constaté dans nos villes d'abord et maintenant dans nos campagnes, vient bouleverser la vie de chacun. Cette délinquance va de la simple agression verbale ou physique jusqu'à l'homicide, en passant par la menace, le vol ou le racket, n'épargnant ni les domiciles, ni les écoles, ni les commerces, ni même, depuis peu, les services des urgences des hôpitaux, et j'en oublie !
    Les maires, commes les présidents d'agglomération ou de communauté, ont assisté non seulement à une progression inquiétante de la délinquance, que traduit l'augmentation statistique des crimes et délits, mais aussi au développement et à l'aggravation d'agissements portant atteinte à la tranquillité et à la sécurité publiques, agissements qui font l'objet des dispositions du chapitre VI du présent projet de loi.
    Dans ma circonscription du Haut Vaucluse, je suis régulièrement interpellé par des associations qui m'expliquent que de nombreuses personnes, notamment les plus âgées, vivent dans un sentiment d'insécurité et n'osent plus sortir de chez elles par peur d'être agressées. Cette situation dramatique, nous le savons tous, favorise leur isolement.
    Bien sûr, certains de mes collègues de l'opposition vont disserter sur la différence entre l'insécurité et le sentiment d'insécurité.
    M. Manuel Valls. Mais non !
    M. Thierry Mariani. Aujourd'hui peut-être, mais c'est ce que vous avez fait pendant des années, monsieur Valls !
    M. Manuel Valls. Vous datez !
    M. Thierry Mariani. Il est vrai que pour ceux de la gauche mondaine que vous représentez,...
    M. Manuel Valls. Je vous en prie !
    M. Thierry Mariani. ... l'insécurité n'est qu'un sentiment d'autant plus diffus,...
    M. Manuel Valls. Ça suffit, monsieur Mariani ! Moi, je ne fais pas de mondanités en Irak !
    M. le président. Monsieur Valls, laissez M. Mariani poursuivre son intervention.
    M. Thierry Mariani. Je disais à M. Valls que, pour certains, l'insécurité est un sentiment d'autant plus diffus qu'ils vivent éloignés de nos citoyens qui la subissent au quotidien. Pour notre part, il ne nous semble pas inutile de lutter contre les phénomènes ne paraissant anodins qu'à ceux qui, coupés du réel, ne les vivent pas au quotidien.
    Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir dépassé le débat stérile, et choisi d'avoir une action portant à la fois sur l'insécurité et sur le sentiment d'insécurité. Que la peur de l'agression soit réelle ou imaginaire, il n'est pas admissible que la liberté d'aller et de venir d'une partie de nos concitoyens soit entravée par l'explosion de la délinquance, en particulier de voie publique.
    Pour ce qui est des gens du voyage, je prendrai un exemple dans ma circonscription.
    En avril 2001, j'ai interpellé M. Daniel Vaillant, alors ministre de l'intérieur, sur les légitimes préoccupations des responsables de la foire de la principale ville de ma circonscription. En effet, chaque année, malgré l'existence à proximité d'une aire d'accueil mise à la disposition des gens du voyage, une cinquantaine de caravanes s'installaient en toute illégalité sur l'aire du parc des expositions de la foire. En juillet 2001, Daniel Vaillant a eu l'amabilité de me répondre et m'a expliqué par courrier que, cette commune ayant rempli ses obligations, il revenait au maire de prendre un arrêté interdisant les stationnements en dehors des aires d'accueil et que, cet arrêté pris, le maire pouvait, en cas de stationnement illicite, saisir le tribunal de grande instance aux fins de faire ordonner l'évacuation forcée des résidences mobiles. Or il s'agit d'une procédure civile particulièrement longue et peu efficace, même si l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 permet d'agir en la forme des référés.
    Et, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, le plus long reste alors à faire : obtenir du préfet les moyens humains permettant d'exécuter la décision de justice, c'est-à-dire une compagnie de CRS ou une brigade de gendarmerie mobile, et ce avant que les occupants ne soient repartis saccager plus loin un nouveau terrain.
    Les maires n'acceptent plus, tout comme les propriétaires privés de terrains, souvent travailleurs de la terre, l'invasion de leur propriété par des personnes qui détruisent leurs plantations et leurs clôtures, se branchent sur leurs compteurs électriques ou leurs arrivées d'eau, salissent, ravagent, puis repartent avec leurs caravanes et leurs véhicules - parfois rutilants d'ailleurs - pour revenir quelques mois après, quand tout a été réparé.
    Cet été, lors de l'examen de la loi de programmation et d'orientation pour la sécurité intérieure, vous nous aviez promis, monsieur le ministre, des mesures concrètes et normatives destinées à régler cette question, notamment l'octroi aux forces de l'ordre de nouveaux moyens juridiques. Je constate avec une grande satisfaction que vous tenez cette promesse et comblez de la sorte une lacune juridique. Aussi étonnant que cela puisse paraître, il n'existe pas dans le code pénal d'incrimination délictuelle pour les faits consistant à s'installer de force sur un terrain appartenant à autrui, c'est-à-dire sans autorisation du propriétaire, en vue d'y établir une habitation.
    Grâce à l'article 19 du projet de loi, il est enfin créé un délit spécifique qui permettra de sanctionner d'une peine de six mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende, ainsi que de la saisie du véhicule, toute occupation non autorisée d'un terrain appartenant à autrui.
    Certes, les opposants à votre projet, monsieur le ministre - les mêmes d'ailleurs qui n'ont pas su gérer ce problème par le passé -, tentent aujourd'hui de faire croire que ce texte a pour but de stigmatiser une partie de la population. Si ce texte stigmatise quelqu'un, ce n'est pas les gens du voyage dans leur ensemble mais la proportion d'entre eux qui trouvent plus confortable de s'installer où bon leur semble, de violer la propriété privée ou publique alors que les communes font des efforts pour leur aménager des aires d'accueil. Ce texte ne vise en aucun cas à empêcher ceux qu'on appelle les « gens du voyage » à vivre comme ils l'ont désiré. Il ne tend qu'à préserver la propriété de certains abus constatés sur le terrain.
    Le projet de loi prévoit également deux peines complémentaires : la suspension du permis de conduire pour une durée de trois ans au plus et, le cas échéant, la confiscation du véhicule ayant servi à commettre l'infraction.
    Vous le savez, monsieur le ministre, les élus locaux, et plus particulièrement les maires, sont très sensibles au renforcement des sanctions applicables aux gens du voyage qui stationnent illégalement sur les propriétés publiques ou privées,...
    M. Jean Leonetti. Tout à fait !
    M. Thierry Mariani. ... notamment à la possibilité de saisie des véhicules.
    Néanmoins, je me permets de vous faire remarquer que l'interdiction de confisquer les véhicules destinés à l'habitation comporte des risques. En effet, il est possible que, face à cette disposition introduite par le Sénat, certaines personnes préfèrent tout simplement acheter des camping-cars et renoncer aux caravanes. J'y reviendrai à l'occasion de l'examen des amendements.
    Pour conclure, je tiens une nouvelle fois, monsieur le ministre, à vous remercier de la qualité de ce projet de loi et à souligner la rapidité avec laquelle il est venu en discussion. Vous aurez tout notre soutien car ce texte est un acte majeur de restauration de l'autorité républicaine et constitue le signal tant attendu par une grande partie de la population d'une remise en ordre qui rassurera les Français et inquiétera, comme il se doit, les délinquants. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à Mme MaryliseLebranchu.
    Mme Marylise Lebranchu. Monsieur le ministre, vous nous avez appelés hier soir à abandonner certaines postures, à tenter de nous écouter les uns les autres, à partager les mêmes soucis et à en discuter, même si les réponses que nous souhaitons apporter aux problèmes qui se posent ne sont pas les mêmes. Or le ton des interventions de cet après-midi, comme de celles d'hier, me choque.
    M. Jean Leonetti. Vous avez été choquée par celui de l'intervention de M. Montebourg !
    Mme Marylise Lebranchu. Je n'ai pas l'impression que vous ayez été entendu par tous les membres de la majorité. Et, pour ma part, j'ai même été un peu choquée par votre intervention. Cela dit, elle relève de votre responsabilité et vous assumez celle-ci.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Merci !
    M. Jean Leonetti. Nous ne sommes pas choqués par les mêmes choses, Madame Lebranchu !
    Mme Marylise Lebranchu. Je n'ai pas trouvé juste qu'on nous accuse de n'avoir rien fait, non par incompétence - même si cela a parfois été suggéré - mais par choix. Selon certains, nous aurions été volontairement laxistes, nous serions restés volontairement immobiles,...
    M. Pierre Cardo. Vous n'avez rien fait par idéalisme !
    Mme Marylise Lebranchu. ... comme si, parmi le personnel politique qui constituait la majorité précédente, il y aurait eu des gens aimant la délinquance, considérant la prostitution comme un merveilleux métier ou trouvant formidable la multiplication des zones de non-droit dans certains quartiers. Je ne comprends pas une telle attitude.
    J'admets que vous puissiez critiquer ce que nous avons fait ou mal fait.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'est heureux !
    Mme Marylise Lebranchu. Toutefois, je n'admets pas que vous puissiez penser à notre place et que vous nous disiez que, au nom d'un droit de l'hommisme passé, nous aurions choisi une société de violence, de délinquance, de désordre et que nous aurions aimé cela. Ce n'est absolument pas la vérité, et vous le savez. C'est regrettable car ce grand débat démocratique que vous appeliez hier soir de vos voeux, monsieur le ministre, mérite mieux que ces procès d'intention.
    M. Manuel Valls. Très bien !
    Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Quelle naïveté !
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Qui a commencé à se livrer à de tels procès ?
    Mme Marylise Lebranchu. Que nous n'ayons pas réussi, c'est peut-être le cas. Je n'ai jamais dit le contraire. Mais de là à prétendre que nous ayons de la non-sanction une sorte de religion laïque, sûrement pas ! Je fais partie de celles et de ceux qui, dans l'opposition d'aujourd'hui comme dans la majorité d'hier, disent que la sanction est la seule façon pour une personne - qu'elle soit jeune ou moins jeune - qui a « cassé » la loi d'être reconnue digne de la République, digne d'une réinsertion.
    M. Jean Leonetti. Très bien !
    Mme Marylise Lebranchu. En effet, ne pas infliger une sanction revient à dire à une personne qu'elle n'est même pas en capacité de comprendre la loi et l'équilibre qui caractérise une démocratie, et donc qu'elle est indigne de vivre dans celle-ci.
    M. André Gerin. Tout à fait !
    Mme Marylise Lebranchu. Je trouve cela absolument inadmissible. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean Leonetti et M. Yves Fromion. Très bien !
    Mme Marylise Lebranchu. Je crois donc à la sanction. Et, parce que je crois à la sanction, je considère qu'elle doit être proportionnée aux faits qui l'ont déclenchée.
    M. André Gerin. Nous ne parlons pas de la même chose !
    Mme Marylise Lebranchu. J'en viens au projet et je vais expliquer pourquoi nous ne sommes pas d'accord avec celui-ci.
    D'abord, je dirai quelques mots sur le fichier des empreintes génétiques. J'ai eu l'honneur d'être ministre de la justice durant quelques mois et d'avoir contribué, avec d'autres, à la mise en place - ô combien difficile - de ce fichier. Je me souviens d'ailleurs que, pour une fois, la Chancellerie était en avance sur le ministère de l'intérieur pour ce qui est des dispositifs informatiques de croisement de données. (Sourires.)
    Je fais partie de ceux et celles qui pensent que le progrès technologique est essentiel et qu'il faut recourir aux empreintes génétiques chaque fois que c'est nécessaire, même si j'ai trouvé que, dans le cas de la destruction de champs de maïs génétiquement modifié, il avait été excessif de relever les empreintes génétiques de tous ceux qui y avaient participé, contribuant ainsi à banaliser cette procédure, du reste, je l'avais dit à l'époque. J'estime que l'empreinte génétique est une solution qui permet de conduire une enquête scientifique et que l'on doit donner tous les moyens à la police.
    Toutefois, ainsi que Bruno Le Roux l'a souligné en commission, le problème que pose le fichier des empreintes génétiques est que, contrairement à celui des empreintes digitales, nous n'y sommes pas tous soumis : dès lors, il est discriminant. Et à partir du moment où il est discriminant, il doit être contrôlé.
    Nous aurions intérêt à avoir un vrai débat sur ce sujet. Cela serait préférable à une action trop rapide, sachant qu'un tel fichier peut être utilisé à toutes sortes de fins. C'est du reste un des soucis des services du ministère de l'intérieur. L'utilisation du fichier des empreintes génétiques doit être encadrée, d'autant que nous sommes incapables de croiser rapidement un certain nombre d'empreintes.
    N'oublions pas non plus que ce fichier servira surtout pour les crimes en série. Or pour l'auteur de crimes en série - ces barbaries terribles dont nous avons tous parlé -, qui a purgé sa peine mais qui se retrouve dans un état de déraison, l'existence même du fichier ne constituera pas une barrière. Dans un tel cas, il faudrait plutôt travailler pour que le ministre de la justice et le ministre de la santé puissent obtenir des moyens en psychiatrie pour que la récidive ne soit pas ce qu'elle est aujourd'hui.
    Bref, s'agissant de ce fichier, le débat républicain doit avoir lieu. Mais ne tombons pas dans la facilité en s'abandonnant à la mauvaise caricature. Et, surtout, n'oublions pas le contrôle.
    S'agissant de la prostitution, je suis farouchement partisane de la lutte contre les réseaux de prostitution. A cet égard, j'ai d'ailleurs eu l'honneur de signer une convention avec la ministre de la justice roumaine.
    Cela dit, je suis certaine que s'attaquer seulement à la prostituée, qui a subi - comme on l'a vu ce matin à Saint-Ouen - des barbaries avant de se retrouver dans une telle situation, ne suffira pas. En effet, la prostituée a beaucoup plus peur de son proxénète, de ce qui risque d'arriver à sa famille si elle parle, qu'elle n'a peur du policier. Sa seule garde à vue ne permettra pas de briser les réseaux, mais constituera, j'en suis certaine, un acte discriminant à son égard, un acte difficile à vivre. Pour les prostituées, comme pour les gens du voyage, l'amalgame est dangeureux.
    Pour ce qui est des gens du voyage, il m'est arrivé à moi aussi de devoir demander le déménagement de 350 caravanes. Mais si les voitures avaient été confisquées, je me demande comment cela aurait été possible. (Sourires.)
    Cela dit, dans ces rassemblements, il y a des gens qui n'ont jamais eu et qui n'auront jamais l'intention d'avoir un comportement délinquant.
    Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Quelle naïveté !
    Mme Marylise Lebranchu. Or, vous allez être, monsieur le ministre, avec cette majorité, le premier à inscrire nommément une catégorie de personnes dans un texte.
    Pour ma part, je considère que l'apaisement de la société et la lutte contre la violence passent plutôt par la reconnaissance de la dignité. Cela passe certes aussi par le droit à la sanction, parce que c'est important pour les victimes, pour la société et pour les délinquants, mais cela passe surtout par la volonté farouche, dans une démocratie, d'adopter toujours un langage empreint de dignité envers ceux à qui on s'adresse - y compris lorsqu'il s'agit de nous, monsieur le ministre.
    Nous n'avons sûrement pas été parfaits, mais nous ne sommes pas les porteurs de la délinquance. Nous appartenons, pour certains d'entre nous, avec fierté, à la Ligue des droits de l'homme, et nous y resterons, parce que les droits de l'homme, c'est la sécurité, c'est une répression encadrée, mais c'est aussi l'avenir pour une démocratie qui s'en veut le berceau.
    Merci de nous avoir entendus, et merci à ceux qui parleront d'éviter les amalgames dangereux à l'encontre d'une opposition qui se comporte de manière responsable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Je suis sensible à l'effort fait par chacun des intervenants pour rester, à peu de chose près, dans les limites de son temps de parole. Mme Lebranchu vient encore de démontrer que c'était possible.
    La parole est M. Jean Leonetti.
    M. Jean Leonetti. Ne m'incitez pas, monsieur le président, à dépasser mon temps de parole avant même que je ne commence ! (Sourires.)
    Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le premier point que je voudrais évoquer ici, c'est la satisfaction du maire que je suis. En effet, j'ai vu dans ma ville, pourtant une station chic de la Côte d'Azur, des enfants exploités, que l'on obligeait à mendier. Or, quand j'ai pris un arrêté pour empêcher ces enfants d'errer dans la nuit, j'ai été taxé d'« anti-jeune ».
    Certes, madame Lebranchu, j'ai été sensible à la modération de vos propos, mais, quand j'ai pris cet arrêté, les propos outranciers venaient de la gauche qui m'accusait de stigmatiser les enfants, alors qu'il s'agissait seulement de les protéger.
    Le maire que je suis a vu également les gens du voyage envahir sa ville. Celle-ci est dotée d'une aire de stationnement en parfait état, mais elle n'est jamais respectée. Et j'ai dû aller négocier le départ de ceux qui s'installaient, avec des policiers humiliés de ne pouvoir intervenir.
    J'ai également connu, comme chaque maire, les bandes qui se regroupent au bas des immeubles et les gens qui venaient m'interpeller - parce que vous le savez, monsieur le ministre, c'est le maire qu'on vient voir dans ces cas-là - et me demandaient : « Mais que faites-vous ? Pourquoi ne peut-on pas rentrer chez nous le soir ? Nous avons peur pour nos enfants. Nous avons reçu des menaces. » J'éprouvais alors un sentiment d'impuissance, voire de culpabilité, et l'impression que j'avais des responsabilités sans être pourvu des moyens permettant de les exercer.
    Comme les autres maires, je savais bien aussi que ces gens qui me reprochaient de ne pas agir étaient ceux qui allaient basculer dans les votes extrêmes.
    Les maires sont aujourd'hui apaisés grâce au projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre.
    L'échec, madame Lebranchu, est un échec collectif, qui remonte à vingt ans.
    M. André Gerin. A trente ans !
    M. Jean Leonetti. En effet, en choisissant pendant vingt ans de retenir des solutions qui ne s'attaquaient pas aux causes, mais qui tentaient seulement d'en atténuer les effets, en choisissant de parler philosophie sans s'attaquer aux vrais problèmes, nous avons produit cet échec collectif dont nous sommes tous responsables. Mais reconnaissons tout de même que l'augmentation, voire l'explosion de la délinquance s'est produite dans les dernières années, sous le précédent gouvernement.
    Julien Dray a reconnu que les socialistes avaient un problème avec la sanction. Vous avez dit aujourd'hui que ce n'était pas le cas. Peut-être y avait-il alors dans vos rangs des gens qui avaient en effet quelques problèmes avec la sanction.
    Cela dit, il faut constater que, aujourd'hui, la délinquance baisse.
    Pour conduire une politique efficace, il faut généralement réunir trois éléments : des moyens - ils ont fait l'objet de la loi d'orientation -, une bonne loi adaptée à la situation - c'est la loi que nous examinons aujourd'hui et que nous allons voter - et une volonté politique.
    Monsieur le ministre, vous n'avez aujourd'hui ni les moyens, puisque la LOPSI n'a pas encore produit ses effets, ni la législation, puisque cette loi n'est pas encore votée. Pourtant, la délinquance baisse. Ce serait, d'après la presse, « l'effet Sarkozy ». Je ne sais pas. Je constate simplement un retour de la confiance chez les policiers et les gendarmes, alors que les forces de l'ordre républicain étaient si souvent vilipendées, démotivées - Montebourg ne disait-il pas, à une certaine période, qu'il fallait « percer les secrets et les tortures dans les arrière-boutiques des commissariats » ?
    Je constate également un élan de confiance de la part de l'ensemble de la population envers la République, et ce n'est pas une mince affaire.
    M. Yves Fromion. Très bien !
    M. Jean Leonetti. Deuxième élément, la méthode. Elle consiste d'abord à analyser les choses avec lucidité, à appeler un chat un chat, à affirmer tranquillement et sans tabou que les réalités ne sont pas républicaines ou antirépublicaines si les solutions peuvent, elles, être antirépublicaines. Parler d'immigration non contrôlée, d'intégration insuffisante quand La Marseillaise est sifflée, de zones de non-droit, ce n'est pas antirépublicain.
    M. Yves Fromion. Très bien !
    M. Jean Leonetti. Parler d'intégrisme religieux dans certaines banlieues, ce n'est pas non plus antirépublicain. En revanche, pour répondre à ces phénomènes, il faut trouver des solutions qui soient humanistes, républicaines et équilibrées.
    Le projet de loi est équilibré entre la fermeté nécessaire pour redonner confiance et l'humanité qui doit absolument guider notre grande démocratie, qui doit respecter plus que les autres les droits de l'homme.
    Christian Estrosi, qui a fait un important effort d'écoute et de dialogue avec de nombreuses personnes,...
    M. Jacques Remiller. Très bien !
    M. Jean Leonetti. ... a montré combien cette majorité était ouverte aux propositions, à condition qu'elles s'inscrivent dans une démarche d'efficacité.
    Cela m'amène au dernier élément, l'efficacité. L'efficacité suppose l'engagement de tous les acteurs, c'est une tâche immense. Nous devons rapidement obtenir des résultats mais en même temps nous devons chercher un équilibre entre l'aval et l'amont. En aval, il faut s'occuper des familles, régler des situations dramatiques, prendre en charge des enfants à la dérive, mettre en place une prévention efficace. En amont, il faut accepter de remettre en cause ce qui ne marche pas. Comment se fait-il que l'on consacre depuis des années des milliards d'euros à une prévention qui se révèle aussi inefficace aujourd'hui ? Toute politique doit être évaluée, et certaines missions doivent être abandonnées si besoin est.
    Mme Lebranchu soulignait à l'instant que ne pas sanctionner revenait à ne pas reconnaître la dignité. Eh bien, je considère que poser deux paniers de basket dans un coin, couper un ruban tricolore et prendre une photo pour la publier dans le journal, c'est indigne des jeunes qui vivent dans ces banlieues. Ces jeunes ont droit à un travail, ils ont droit à la dignité, ils ont droit à l'égalité des chances. Il ne peut être question de leur demander de rester tranquilles et de jouer au basket pendant que les citoyens normaux vivent tranquilles dans les villes normales.
    M. Manuel Valls. Mettez un seul panier...
    M. Jean-Pierre Blazy. C'est un peu caricatural.
    M. Jean Leonetti. Je ne pense pas. En tout cas, j'ai entendu M. Montebourg tenir des propos autrement plus caricaturaux que ceux-là !
    M. Jacques Remiller. C'est vrai.
    M. Jean Leonetti. D'ailleurs, mesdames et messieurs de l'opposition, si nous ne réussissons pas, vous pourrez toujours dans cinq ans, et je sais que vous serez les premiers à le faire, nous montrer les chiffres de la délinquance et de l'insécurité. Mais j'ai bien compris que vous hésitiez entre la provocation, la réflexion et l'aveu que nous réalisons ce que vous n'avez pas réussi à faire en cinq ans. Et, dans le même temps, vous nous accusez de toucher aux droits de l'homme.
    M. le président. Monsieur Leonetti, veuillez conclure.
    M. Jean Leonetti. Je conclus, monsieur le président.
    Il y aurait atteinte aux droits de l'homme quand M. Sarkozy propose d'ouvrir les coffres de voiture ou de faire diminuer la violence qui règne dans les halls d'immeuble mais il n'y en avait pas quand M. Vaillant reconnaissait lui-même qu'il y avait des problèmes et prenait des mesures ? Soyons sérieux, et pragmatiques.
    Je terminerai par une anecdote significative. Vous avez probablement tous vu à la télévision cette femme interrogée après un incendie de plusieurs voitures, un de ceux qui ont ponctué les festivités dans certaines villes. Au journaliste qui lui demandait : « Mais que voulez-vous, madame ? », cette femme exprimait son désarroi et sa colère et, à la fin, elle s'est exclamée : « Je veux vivre normalement ! »
    M. le président. Monsieur Leonetti, je vous prie de conclure.
    M. Jean Leonetti. Monsieur le ministre, cette loi est une loi normale pour que les Français normaux puissent vivre normalement dans une France normale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Michel Pajon.
    M. Michel Pajon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, premier texte à être examiné par notre assemblée en 2003, le projet de loi relatif à la sécurité intérieure constitue un moment important de cette session. Pour le Gouvernement d'abord, qui, dès juin 2002, affirmait que la lutte contre l'insécurité était sa principale priorité. Pour les Français ensuite, qui attendent de leurs responsables politiques une réponse à leurs inquiétudes et à leurs craintes en cette matière. Pour l'opposition enfin, dont les positions ont trop souvent été caricaturées. Le mois de janvier étant traditionnellement le mois des voeux, permettez-moi de former celui que nous ne soyons pas dans cette enceinte, une fois encore, relégués dans la catégorie des idéologues ou des laxistes. Bref, j'espère que les débats qui vont se dérouler dans cet hémicycle permettront à chacun d'entre nous d'affirmer ses convictions dans un climat serein et dépassionné.
    D'ailleurs, je reprendrai vos propres propos, monsieur le ministre, du 13 novembre dernier devant nos collègues sénateurs : « Les dispositions que je vais vous proposer ont pour objet d'améliorer l'efficacité des forces de l'ordre et d'apporter une réponse pénale à des comportements que l'état actuel de notre droit ne permet pas de prendre en compte » et qu'elles doivent « concourir à renforcer l'autorité et la capacité des agents publics à restaurer la sécurité publique ». Maire de Noisy-le-Grand, ville de 60 000 habitants située en Seine-Saint-Denis qui connaît, comme d'autres, des faits de délinquance et de criminalité, je partage largement ces objectifs, qui me semblent tout à fait louables et responsables. Cette position montre, s'il en était besoin, l'esprit constructif avec lequel nous abordons ces débats, en dehors de tout sectarisme et de tout dogmatisme.
    Néanmoins, force est de constater que le fossé qui sépare les principes que vous énoncez et la réalité des mesures que vous proposez peut s'avérer profond. Mes chers collègues, j'aimerais, en effet, pour prendre un exemple, que l'on explique à la France des oubliés, dont vous vous êtes fait le héraut, monsieur le ministre, en quoi la réécriture de mesures déjà existantes et déjà punies par la loi va renforcer la sécurité de nos concitoyens. La « demande de fonds sous contrainte », sanction pénale créée par l'article 23 de votre projet de loi, n'est en effet rien d'autre, me semble-t-il, que la pâle copie du délit d'extorsion de fonds, bien évidemment inscrit dans notre code pénal depuis de très nombreuses années.
    Lutter contre l'insécurité est une chose, et je pense que chacun d'entre nous ici souhaite s'y associer pleinement, accréditer l'idée que des faits répréhensibles s'apparentant à des actes aussi graves que le racket n'étaient pas sanctionnés pénalement auparavant en est une autre, qui n'est pas acceptable.
    Il me semble, en outre, illusoire de penser qu'en créant de fausses nouvelles infractions, nous parviendrons à répondre aux préoccupations légitimes de nos concitoyens en matière de sécurité. Ceux-ci attendent, et ils en ont le droit, davantage de sincérité, d'honnêteté et de respect de la part de leurs responsables politiques. Mais peut-être ne s'agit-il là, finalement, que d'une simple opération de marketing politique ? Cet exemple nous fournit, en tout cas, matière à réflexion.
    Monsieur le ministre, l'article 23 symbolise parfaitement l'esprit qui anime votre politique et qui, loin de traduire en actes l'équilibre dont vous vous prévalez entre sévérité et générosité, tend, pour l'essentiel, à renforcer les pouvoirs de la police au détriment de ceux des magistrats. C'est d'ailleurs l'un des risques majeurs de ce texte que de déconnecter progressivement la police judiciaire du pouvoir judiciaire, notamment en concentrant dans les seules mains du préfet le pouvoir de direction des officiers de police habilités.
    Cette crainte me paraît d'autant plus légitime qu'il n'y aura aucune contrepartie en termes d'efficacité, la loi donnant déjà à ces fonctionnaires la possibilité de sortir de leur zone de compétence lorsqu'ils agissent, par exemple, en flagrant délit. Ce texte a, en effet, l'inconvénient notable de restreindre, en fait, de manière drastique, les pouvoirs de diriger, de surveiller et de contrôler les fonctionnaires habilités, qui incombaient jusque-là à l'autorité judiciaire. Quid, alors, de la notation des officiers par les procureurs, du fait de l'extension de leur compétence territoriale ? Quid, également, de la coordination entre les procureurs et les préfets ?
    Finalement, mes chers collègues, ne soyons pas dupes : les quelques avancées que propose ce texte pèsent peu face aux inquiétudes qu'il soulève du fait de la voie dans laquelle il s'engage et s'enferme. Cette voie est, d'abord, marquée par une répression peu encadrée juridiquement. Elle aboutira également à un affaiblissement inquiétant du rôle du pouvoir judiciaire dans le contrôle des procédures policières. Elle ne permettra, enfin, certainement pas de concilier une réduction significative et durable de l'insécurité et le respect des libertés individuelles et publiques.
    Derrière un objectif de lutte contre l'insécurité, à juste titre fédérateur, se cache un projet de loi aux intentions moins avouables, qui sacrifie sur l'autel du tout-répressif une approche partenariale, équilibrée et juste des problèmes de délinquance et de criminalité que connaissent nos concitoyens. Or, c'est cette approche qu'il faut encourager.
    Monsieur le ministre, nous ne sommes pas opposés à l'action, nous sommes opposés aux modes d'action que vous proposez, qui, globalement, ne nous paraissent pas acceptables. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. Georges Fenech.
    M. Georges Fenech. Je voudrais commencer par exprimer mon étonnement à certains propos : je n'ai pas vu, dans ce projet de loi, d'atteinte à l'autorité judiciaire, ni - bien au contraire ! - d'affaiblissement du rôle du procureur, ni même de hiatus entre les forces de l'ordre et l'autorité judiciaire. Il me semble, en revanche, naturel qu'un gouvernement nouvellement élu puisse combler un vide législatif.
    Notre droit souffrait bien d'un manque, qui sera comblé à l'issue de nos débats. Je rappelle à cet égard qu'au cours de la législature précédente cette assemblée a voté, à la quasi-unanimité je crois, la création du délit de sujétion psychologique commis par des groupements sectaires. Il s'agissait de permettre de faire avancer la loi. Je croyais pouvoir retrouver le même état d'esprit aujourd'hui. Or ce n'est malheureusement pas le cas. C'est mon premier étonnement.
    Je m'étonne ensuite, monsieur le ministre, d'entendre dire que votre projet s'inscrit dans le sillage de 1997. Quelles étaient les dispositions du projet de loi de sécurité intérieure que rappelait Mme David tout à l'heure, présenté à l'époque par M. Vaillant ?
    M. Jean-Pierre Blazy. C'est bien de les rappeler !
    M. Georges Fenech. Elles consistaient, je parle de mémoire, à améliorer les contrôles dans l'Eurostar et la lutte contre les escroqueries aux cartes bancaires et à prévoir l'euthanasie des pitt-bulls.
    M. Jean-Pierre Blazy. Très bien !
    M. Georges Fenech. Telles étaient les trois grandes mesures qui devaient régler la question de la sécurité dans notre pays.
    M. Jean-Pierre Blazy. Mais non ! C'est réducteur !
    M. Georges Fenech. Je ne vois donc pas en quoi la réforme dont nous débattons aujourd'hui s'inscrit dans le sillage de celle de 1997.
    M. Jean-Pierre Blazy. Relisez le texte !
    M. Georges Fenech. Je n'ai pas besoin de le relire, je m'en souviens très bien : j'ai eu à l'appliquer en son temps.
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Cette loi n'a pas été votée en 1997 mais en 1999.
    M. Georges Fenech. En effet, elle a été adoptée juste avant les élections municipales. Il s'agissait donc d'une loi à connotation électoraliste, qui n'a produit aucun effet sur la délinquance.
    M. Jean-Pierre Blazy. Et la loi de 2001 ?
    M. Georges Fenech. Les moyens juridiques nouveaux étaient attendus ; nous les aurons.
    Faut-il rappeler également - et ce n'est pas un fantasme - que, sous la précédente législature, nous avons vu, pour la première fois dans notre pays, défiler dans la rue policiers, gendarmes et magistrats. Ce n'est tout de même pas un hasard si toutes les forces de police et de gendarmerie, si les autorités judiciaires ont lancé un tel cri d'alarme à propos du manque de moyens juridiques et matériels que nous sommes en train de combler.
    Je m'étonne en outre qu'au cours de ces débats resurgisse la vieille opposition entre prévention et répression. J'ai d'ailleurs été agréablement surpris d'entendre M. Zuccarelli reconnaître avec beaucoup d'honnêteté qu'une politique pénale s'appuie sur deux piliers : la prévention et la répression. A ce propos, puisqu'on a souvent cité la Grande-Bretagne, qui est effectivement un exemple de démocratie, souvenons-nous que Tony Blair avait déclaré, bien avant nous, qu'il fallait faire preuvre de dureté avec le crime, et avec le criminel, mais aussi avec les causes du crime. Nous n'oublions pas, nous non plus, la prévention : celle-ci fera l'objet, M. le ministre l'a annoncé, d'un projet qui nous sera soumis ultérieurement.
    Il était important de mettre un terme à l'explosion de la délinquance. Je rappelle qu'en 1960, 500 000 crimes et délits étaient commis dans notre pays, en 1970 le chiffre s'élevait à un million, en 1980 à deux millions, en 1990 à trois millions et en 2001 à quatre millions. Fallait-il attendre encore pour prendre de véritables mesures ?
    Je m'étonne enfin que l'on explique, de manière récurrente, que la cause du crime serait principalement le chômage. C'est une contrevérité, et nous le savons, car nous constatons que c'est au contraire la croissance économique qui génère de la délinquance et que, en période de chômage, la délinquance baisse. On pourrait même dire que la délinquance produit du chômage, puisque, dans les quartiers défavorisés soumis à des actes de délinquance, les commerçants finissent par tirer leur rideau.
    Je n'ai pas vu non plus dans votre projet, monsieur le ministre, ce qui est l'objet de la critique principale, à savoir des atteintes aux libertés individuelles. Vous avez, au contraire, pris soin d'encadrer chacune des mesures proposées de moyens de sauvegarde. Le fichier des empreintes génétiques, par exemple, est clairement placé sous le contrôle des autorités judiciaires, qui pourront ordonner l'effacement d'un signalement. De même, vous nous proposez d'étendre les fouilles de véhicules, mais vous précisez aussitôt que ces fouilles ne peuvent intervenir que sur réquisition du parquet, en cas d'infraction flagrante ou de risque de trouble à l'ordre public, ce qui est conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
    Enfin, prétendre que ce projet s'attaque aux plus démunis constitue un autre faux procès. En réalité, les mendiants, les prostitués, toutes ces personnes défavorisées doivent être considérées, pensons-nous, à la fois comme des délinquants et comme des victimes.
    M. Bernard Carayon. Très bien !
    M. Georges Fenech. Et c'est cette double qualité que vous avez prise en compte, ce qui n'est d'ailleurs pas nouveau dans notre droit. Je prendrai l'exemple des toxicomanes. L'usage de stupéfiants étant contraire à la loi, ils commettent une infraction, ils sont donc considérés comme des délinquants.
    M. André Gerin. Scandaleux !
    M. Georges Fenech. Mais ils sont également traités comme des malades pour lesquels sont prévues des injonctions thérapeutiques qui peuvent donner lieu à l'abandon des poursuites.
    Le projet de loi appréhende ces populations vulnérables à la fois comme des auteurs d'infractions, ce qu'elles sont, et comme des victimes.
    En ce qui concerne la prostitution, vous correctionnalisez le racolage, mais, en même temps, vous prévoyez des mesures de protection et d'aide au séjour.
    M. le président. Monsieur Fenech, pouvez-vous conclure, s'il vous plaît ?
    M. Georges Fenech. Je termine, monsieur le président.
    Monsieur le ministre, je n'aurai donc pas de scrupules, bien au contraire, à voter ce texte qui est très attendu par notre pays et qui propose un subtil équilibre entre la lutte contre la criminalité et le respect des libertés individuelles. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Julien Dray.
    M. Julien Dray. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, vous êtes-vous déjà demandé comment Gérard Depardieu pouvait tourner autant de films ? C'est une des questions auxquelles répond Michel Blanc dans son film Grosse fatigue. Il y révèle le secret de cet acteur incontournable : Gérard Depardieu aurait en fait un sosie qui le remplacerait sur les tournages.
    M. Pierre Cardo. Il a un clone !
    M. Julien Dray. C'est ainsi qu'il pourrait être en même temps à l'affiche à Hollywood et à Paris, devenant le champion permanent du box-office.
    Vous voyez aisément où je veux en venir, monsieur le ministre : je ne sais pas si vous avez un clone, en tout cas on ne peut que vous reconnaître une activité débordante, un sens de la communication efficace, et un savoir-faire incontestable. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Pierre Blazy. Attendez la suite !
    M. Pierre Cardo. Ça ne va pas durer ?
    M. Julien Dray. Il faut toujours être prudent !
    M. le président. Ces applaudissements seront décomptés de votre temps, monsieur Dray ! (Sourires.)
    M. Julien Dray. A en croire les chroniqueurs politiques, il y aurait donc un « effet Sarkozy ».
    Mais cette réussite appelle quelques interrogations. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. André Gerin. On a eu peur !
    M. Julien Dray. Cet effet est-il éphémère, ou continuera-t-il sur la durée ? Quel regard pourrez-vous porter dans quelques années sur votre bilan de ministre de l'intérieur ? Aurez-vous fait baisser durablement la délinquance ? Serez-vous parvenu à réformer efficacement votre ministère ?
    M. Pierre Cardo. C'est plein d'espoirs, tout ça !
    M. Julien Dray. Bref, marchez-vous dans les pas de M. Chevènement ou de M. Joxe ?
    Si je prends ces exemples, c'est pour saluer Daniel Vaillant mais aussi le président de notre assemblée, qui ont dû fournir, dans l'exercice de leurs fonctions ministérielles, des efforts considérables pour rattraper la gestion purement rhétorique de leurs prédécesseurs.
    Le projet de loi que vous nous soumettez aujourd'hui est un élément de réponse à ces questions. Vous y proposez vos solutions pour lutter contre la prostitution, la mendicité agressive, les rassemblements dans les cages d'escalier et même les friteries, dont l'activité causerait un trouble à l'ordre public. Mais je n'y vois rien qui concerne le trafic de stupéfiants. Ce n'est pourtant pas une question mineure car le trafic de stupéfiants n'est rien de moins que la clé de voûte de l'économie souterraine qui gangrène nos cités,...
    M. André Gerin. Tout à fait !
    M. Julien Dray. ... mises ainsi en coupe réglée par des noyaux délinquants qui le contrôlent.
    L'accélération du processus de structuration de l'économie parallèle va de pair avec un développement des affrontements violents entre réseaux rivaux. D'où la montée des homicides et des violences contre les personnes. Comme vous le savez, les besoins du trafic conduisent à une dérive criminelle car, dans les circuits illicites, les litiges se règlent rarement devant les tribunaux.
    Malheureusement, ces violences visibles par tous, qui frappent tant l'opinion, ne constituent que des éruptions sporadiques d'un mal dont la racine est plus profonde : un quartier apparemment calme n'est pas pour autant un quartier pacifié.
    M. Jacques Remiller. C'est vrai !
    M. Julien Dray. Ce calme peut bien souvent reposer sur ce qui est appelé le « business ». Sous l'eau qui dort, la cité est entrée dans le giron de l'économie parallèle. Les activités lucratives illicites ont en effet besoin d'une tranquillité relative.
    Si les forces de l'ordre sont sans cesse appelées dans une cité pour réprimer vandalismes et émeutes, dealers, guetteurs et convoyeurs ne peuvent plus travailler en toute quiétude et les « affaires » sont désorganisées. Les apparences sont donc trompeuses et baisse des statistiques ne signifie pas toujours recul de la délinquance réelle.
    M. André Gerin. Tout à fait !
    M. Julien Dray. La solution de facilité consisterait à s'accommoder de cette « paix » d'un type bien particulier. D'ailleurs, les réseaux qui règnent sur ces cités sont loin d'être stupides : chaque signe des pouvoirs publics est interprété selon sa juste signification. Si on les laisse tranquilles, s'ils peuvent mener leurs affaires tant qu'ils ne sont pas trop voyants, ils savent en tirer les conséquences et feront tout pour que perdure cette « paix des lâches ».
    Un tel modus vivendi ne ferait qu'avaliser et renforcer la logique du ghetto dans laquelle sont déjà tombées de trop nombreuses cités de banlieue. Selon cette logique, chacun est maître chez soi. Là-bas, les fortes têtes font la loi dans les cités. Ici, dans les beaux quartiers, on se débarrasse des formes les plus visibles de la misère et on y concentre l'essentiel des forces de l'ordre. Le triomphe de cette logique serait une lourde défaite pour la République et ses valeurs.
    Si je vous dis cela, monsieur le ministre, c'est que, vu de la banlieue, l'« effet Sarkozy » reste encore relatif. Nous avons plutôt l'impression que rien ne change pour nous, et ce constat est d'autant plus amer que l'on observe dans les centres-villes, à s'y promener ou à regarder les images qu'en diffuse la télévision, une présence plus marquée des forces de police, fruit des efforts budgétaires qui ont été engagés par le précédent gouvernement et même, que vous avez d'ailleurs prolongés et même, je le reconnais, amplifiés.
    Je saisis d'ailleurs l'occasion pour vous demander si vous envisagez de fournir à la représentation nationale un premier bilan de l'action des fameux GIR. Quels sont les moyens déployés ? Quelle est leur efficacité, notamment en termes de démantèlements de réseaux ?
    Les seules améliorations sensibles dont j'ai pu être le témoin dans ma circonscription ne peuvent qu'être mises au crédit de la police de proximité. J'ai pu notamment observer une bien meilleure coordination entre la police et les maires, que vous avez d'ailleurs vous-même constatée en venant à plusieurs reprises dans mon département. Nous commençons donc à récolter les fruits concrets de cette grande réforme.
    Ces quelques améliorations remarquables soulignent encore plus cruellement le retard qui a été pris, et que j'assume, dans l'achèvement de cette réforme. La police de proximité constitue pourtant un outil essentiel dans la reconquête des zones de non-droit. Mais elle n'est pleinement efficace que si elle est adossée à une police d'investigation renforcée. Car notre police peut encore faire des progrès en ce qui concerne la réunion des preuves qui permettent de donner une suite judiciaire, aux actes de délinquance constatés lorsqu'un suspect est arrêté. Il est essentiel de développer les moyens d'enquête, et donc, principalement, ceux de la police judiciaire pour améliorer l'élucidation des affaires et démanteler les trafics. On a besoin de moyens techniques nouveaux, modernes pour être efficace.
    Mais tout cela passe aussi par un recrutement substantiel d'officiers de police judiciaire ayant suivi une formation conséquente. En effet, nous avons non seulement besoin d'un plus grand nombre d'officiers de police judiciaire, mais aussi et surtout d'officiers de police judiciaire hautement qualifiés et capables de se déployer dans les sites que j'ai évoqués.
    La priorité immédiate est donc celle d'un saut qualitatif. Malheureusement, le choix a été fait de limiter encore le corps des officiers de police judiciaire. Les écoles de police dans leur ensemble auront la lourde tâche de former davantage de policiers avec, et je le regrette, moins de moyens.
    Non seulement ces choix ne répondent pas aux besoins les plus pressants de la police, mais ils peuvent être à l'origine de quelques dérapages.
    En effet, le discours du ministre de l'intérieur, qui se doit d'être un discours de fermeté et de solidarité face à la situation dans laquelle nous nous trouvons, est une chose. Mais la façon dont ce discours est perçu par les agents de police en est une autre.
    Un certain nombre de jeunes policiers peuvent, du fait de leur absence de formation ou d'expérience, conduire des actions trop zélées et dans des cités à des résultats regrettables. Nous avons parfois vécu ce genre de situation. La vigilance s'impose donc.
    Comme cela a donné lieu à quelques polémiques, je voudrais que l'on me comprenne bien : il ne s'agit pas, monsieur le ministre, de vous attendre au coin du bois et, à la première bavure, de « faire la fête à Sarko ». C'est tout le contraire car, si nous faisions cela, ce serait une défaite non pas individuelle mais collective.
    M. Bruno Le Roux. Ce serait irresponsable !
    M. Julien Dray. Je veux seulement vous demander d'être vigilant, ce que vous êtes d'ailleurs. Mais comme nous avons de nouvelles générations de policiers, très jeunes, confrontés à des situations très difficiles, nous devons redoubler de précautions vis-à-vis de ce métier qui est un métier à risques et qui mérite toute notre considération.
    M. Robert Lamy. Très juste !
    M. Julien Dray. Car la fermeté revendiquée a aussi parfois ses thuriféraires, comme le récent verdict du tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse en témoigne.
    Ce tribunal a condamné une mère célibataire à un mois de prison avec sursis et à trois ans de mise à l'épreuve parce que deux de ses fils avaient été retrouvés ivres et étaient soupçonnés d'avoir participé à des dégradations.
    Qu'ajouter aux déclarations de cette mère de famille : « J'ai l'impression d'être utilisée comme un symbole pour faire passer une politique plus répressive. Il vaudrait mieux qu'on m'aide plutôt qu'on me sanctionne. » Cette femme se retrouve toute seule et continue de rentrer chez elle le soir à vingt et une heures.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'est la décision d'un magistrat !
    M. Bruno Le Roux. Cela concerne Dominique Perben !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Non !
    M. Julien Dray. Monsieur le ministre, permettez-moi de vous faire remarquer que vous avez une place très importante dans le Gouvernement et qu'ainsi vous avez un rapport direct avec le garde des sceaux.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Le magistrat qui a pris la décision est un magistrat du siège !
    M. Gérard Léonard. Eh oui !
    M. Julien Dray. J'ai pris cet exemple pour montrer les débuts de débordement auxquels peuvent donner lieu certaines situations.
    J'ai cherché à joindre, comme d'autres parlementaires auraient pu le faire, le procureur de la République, qui est malheureusement absent cette semaine, car il me semble qu'un dialogue est nécessaire avec la magistrature. Son interview parue mardi matin dans le Parisien est pour le moins surprenante car elle me semble aller, mais je ne dispose pas de tous les éléments, à l'encontre de ce que nous voulons.
    Il s'agit d'une mère de famille qui part très tôt le matin et qui rentre très tard le soir. Elle a trois enfants - elle en a mis un « à la plonge » - qui ont fait des bêtises, ce qui arrive évidemment dans ce genre de situation. Est-ce le rôle de la justice de lui mettre la tête sous l'eau plutôt que de l'aider ? Le rôle du magistrat n'est-il pas de prendre en considération cette situation, donc d'aider cette mère de famille ?
    M. Pierre Cardo. Il existe des aides !
    M. Julien Dray. Telle est la nouvelle prévention qu'il faut mettre en place au lieu de brandir des mesures autoritaires qui enfonceront la mère de famille concernée...
    M. Pierre Cardo. Vous savez très bien que, pour ce genre de famille, des aides existent et que ce n'est pas de ces parents-là que nous parlons !
    M. Julien Dray. Monsieur Cardo, j'ai pris cet exemple pour montrer comment une politique peut être appliquée.
    M. Pierre Cardo. Ce n'était pas un bon exemple !
    M. le président. Monsieur Cardo, je vous en prie !
    M. Julien Dray. Et ne pensez pas qu'en faisant cela je ne fais que de l'agitation. Je n'ai pas évoqué cette affaire dans la presse, mais je l'évoque dans cet hémicycle, et à l'heure qu'il est. J'ai pris la précaution d'essayer de dialoguer avec le procureur de la République, ce qu'auraient dû faire d'autres parlementaires car la décision prise va à l'encontre de ce que vous voulez faire.
    Tout ce que j'ai voulu faire, c'est montrer le décalage qui peut exister entre un certain type de discours et la manière dont un certain nombre de fonctionnaires peuvent l'interpréter, ce qui peut provoquer des dérapages qui sont autant de problèmes que vous aurez, que nous aurons à gérer sur le terrain. D'ailleurs, en tant que maire, il vous est certainement arrivé d'être présent dans une cité, après une intervention qui avait été trop violente et trop rapide, pour gérer les dégâts qui en résultaient.
    M. Pierre Cardo. On a plus souvent à gérer les dégâts des jeunes que ceux des policiers !
    M. Julien Dray. Et ne me dites pas que cela n'existe pas. Je reconnais cependant que ce n'est pas le cas le plus fréquent et c'est heureux. Nous devons donc être vigilants, surtout quand vous brandissez l'arme de la répression comme vous la brandissez en ce moment, même quand cela s'applique à des situations où il faut remettre de l'ordre.
    Lutter contre l'économie parallèle, rattraper le retard pris dans la mise en place de la police de proximité, s'appuyer donc sur cette police d'investigation renforcée dans ses moyens, telles sont les priorités pour lutter contre la délinquance.
    M. le président. Je vous prie de conclure, monsieur Dray.
    M. Julien Dray. Je dirai en conclusion, monsieur le président, que les problème qui sont évoqués sont réels : personne ne peut dire qu'il n'y a pas de problème de prostitution ou de mendicité agressive. La véritable question est celle de savoir si la solution aux problèmes auxquels nous sommes confrontés et qui résultent ni plus ni moins que de la remise en place de réseaux d'esclavage, passe par des dispositions juridiques, ce dont, pour une bonne part, je doute, notamment pour ce qui concerne la prostitution, ou par des moyens supplémentaires.
    A cet égard, la question de la prostitution me semble révélatrice. Nous sommes confrontés à des réseaux et le plus grand nombre des proxénètes ne sont pas en France.
    M. Christian Estrosi, rapporteur. En effet !
    M. Julien Dray. Les titres de séjour sont de six mois...
    M. Christian Estrosi, rapporteur. De trois mois !
    M. Julien Dray. Ces proxénètes communiquent en dialecte à l'aide de téléphones portables.
    Les brigades de lutte contre la prostitution doivent disposer des moyens techniques nécessaires et de policiers formés afin d'avoir les informations qui leur permettront à un moment donné d'intervenir et de casser les réseaux.
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Cela ne suffit pas !
    M. Julien Dray. Sinon, ces réseaux continueront de prospérer et ce n'est pas parce que l'on déplacera les situations que l'on pourra réellement s'attaquer au problème.
    Le dispositif que vous proposez, en mélangeant prostitution, mendicité agressive et occupation de halls d'immeubles, qui sont des formes très différentes de délinquance, crée, que vous le vouliez ou non, une forme de stigmatisation de certaines catégories. Nous ne sommes donc pas sûrs que ce dispositif ne crée, à l'arrivée, plus de problèmes qu'il ne veut en résoudre.
    Quoi qu'il en soit, monsieur le ministre, j'espère que vous entendrez les remarques qui vous sont adressées et que vous ne serez pas saisi comme moi d'une « grosse fatigue ». (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à Mme Christine Boutin.
    Mme Christine Boutin. Monsieur le ministre, nous avons tous eu connaissance des considérations, des analyses et des critiques qui ont précédé ce débat.
    L'insécurité est-elle en recul dans notre pays ? Le projet de loi, qualifié par certains de liberticide, sera-t-il à la hauteur de ses ambitions ? Sommes-nous devant un effet d'annonce politique ? Je laisse aux esprits chagrins le soin de répondre à ces interrogations car la question de fond n'est pas là. Il me semble en effet que l'intérêt majeur du texte qui nous est soumis réside dans la rupture que vous proposez avec d'anciennes pratiques ainsi que dans son ouverture au respect de la dignité humaine en se préoccupant des plus faibles.
    De quelle rupture s'agit-il ? Au-delà des nouvelles pratiques de gestion des ressources humaines et matérielles, la rupture se réalise dans votre texte sur le plan symbolique : il s'agit en fait de rompre avec la culture de l'excuse, qui a trop longtemps prévalu,...
    M. Jean-Pierre Blazy. Oh ! la la !
    Mme Christine Boutin. ... parfois pour des raisons d'idéologie ou de conviction, parfois parce qu'on estimait ne pas pouvoir faire autrement.
    M. Jacques Remiller. Très juste !
    Mme Christine Boutin. Le message fort qu'adresse le projet de loi rompt avec cette culture de la victimisation des coupables. Il rappelle que, dans une démocratie plus encore que partout ailleurs, tous les choix individuels ne sont pas respectables au motif qu'ils sont un choix. Il rappelle que la sécurité publique, c'est-à-dire le bien-être de toute autre personne que chacun, commence par le respect de la loi telle qu'elle est édictée. C'est l'ensemble des services de l'Etat qui doit prendre en charge l'efficacité de ce respect et rien ne peut justifier que celui-ci renonce à cette mission.
    Rompre avec la culture de l'excuse, c'est d'abord affirmer la priorité du droit sur la volonté personnelle. C'est aussi rappeler à chacun que si, comme leur nom l'indique, les circonstances atténuantes peuvent atténuer la culpabilité, elles ne peuvent supprimer la responsabilité. En s'attachant à « faire reculer l'insécurité durablement et sous toutes ses formes », comme l'écrit notre rapporteur, Christian Estrosi, on s'attaque à toutes les catégories de délinquants, sans en oublier une seule, ce qui permet de ne pas stigmatiser l'une ou l'autre en particulier.
    Cette dimension donne à votre texte, monsieur le ministre, un caractère particulier d'équilibre dans ses objectifs, qui ne peut nous laisser indifférents.
    Le second aspect fondamental du projet de loi touche à la dignité des personnes et à la préocupation du plus fragile.
    Bien sûr, j'ai entendu comme tout le monde voler des noms d'oiseau : on a qualifié ce texte de « liberticide », de « sécuritaire » ou d'« anti-jeunes », par exemple. Certes, on ne rétablit pas un ordre public bafoué dans bien des endroits et de bien des manières sans prendre le risque, çà et là, de quelques abus dont les victimes doivent, dans ces cas-là aussi, obtenir réparation. Mais je reconnais votre volonté, monsieur le ministre, de punir ces abus et je ne doute pas de votre engagement à poursuivre dans cette voie.
    La sanction d'un acte coupable est sans conteste l'une des manières les plus adaptées de marquer son respect pour la dignité d'autrui, pour la responsabilité personnelle et pour la capacité d'autodétermination de chacun. Avant même de réparer un dommage, la sanction replace le coupable face à sa liberté personnelle. Elle le replace face aux exigences de sa dignité personnelle.
    Cependant, monsieur le ministre, ce texte appelle des compléments, dont beaucoup, il est vrai, ne sont pas directement de votre ressort.
    Le projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui doit trouver son achèvement dans d'autres dispositions qui se trouvent dans la gestion a posteriori des sanctions qu'il crée.
    Nous devons tout faire pour permettre au délinquant de comprendre le sens de la sanction qu'il purge et pour lui donner toutes facilités afin de lui éviter de retomber dans la récidive. Mais il faut également que le corps social tout entier comprenne le sens de cette sanction et l'intérêt de tous à faciliter la réinsertion du coupable.
    Ces compléments, monsieur le ministre, sont nécessaires pour donner à votre projet de loi toute sa dimension, une dimension pleinement humaine que le ministre de l'intérieur, principalement occupé à maintenir l'ordre, ne peut jamais atteindre que par surcroît.
    Parce que je souhaite une pleine réussite à votre entreprise, notamment au nom des plus fragiles, des femmes, des pauvres, mais aussi des maires que j'ai consultés sur la difficile question des gens du voyage, j'appelle de mes voeux ces compléments-là. Et parce que je suis confiante dans leur avènement, je soutiendrai votre texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Pascal Clément, président de la commission. Très bien !
    M. le président. La parole est à Mme Danielle Bousquet.
    Mme Danielle Bousquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous tous ici avons la volonté de débattre au fond de la question de la sécurité, comme nous avons tous la volonté d'apporter des réponses efficaces au besoin légitime de sécurité qu'expriment nos concitoyens.
    Cela dit, cette demande légitime est concomitante de celle, tout aussi légitime, de respect des libertés, des libertés individuelles et collectives et de respect de la personne humaine.
    Cette volonté de sécurité, nous l'affirmons parce que la première des libertés, et beaucoup l'ont dit avant moi, est celle de vivre en sécurité. Mais nous affirmons aussi la nécessaire conjugaison de cette volonté avec le respect de la dignité humaine, le respect de la dignité des personnes, au risque d'atteindre la liberté elle-même et de privilégier le sécuritaire contre la sécurité.
    En effet, le risque majeur que fait courir votre projet de loi à tout citoyen est de se trouver livré à l'arbitraire.
    Je voudrais plus particulièrement aborder les nouvelles incriminations envisagées en direction de certaines catégories de la population que l'on désigne du doigt telles des délinquants, tels les prostituées.
    Les prostituées sont les victimes de la traite des êtres humains et elles doivent à ce titre être protégées et assistées et non désignées comme coupables et coresponsables de la violence urbaine.
    S'il existe une violence, c'est bien celle qui est exercée sur ces personnes que votre texte, monsieur le ministre, vise à criminaliser alors qu'il s'agit pour elles d'esclavage, de santé publique et d'exclusion sociale.
    En ratifiant, en 1960, la Convention internationale pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui, la France a affirmé que la prostitution et la traite des êtres humains à des fins de prostitution étaient incompatibles avec la dignité de la personne humaine.
    Il faut aujourd'hui, pour tenir ces engagements et maîtriser l'augmentation exponentielle de la prostitution, définir une politique cohérente et globale, agissant sur le long terme et visant l'ensemble du système prostitutionnel. Nous devons, à cette fin, travailler dans quatre directions complémentaires : la lutte accrue contre le proxénétisme ; le renforcement des actions de réinsertion ; un travail de prévention et d'éducation, qui manque totalement à votre texte, monsieur le ministre - car il ne faut pas nous dissimuler le fait que c'est notre société qui fabrique le client - ;...
    M. Christian Cabal. Mais pas du tout ! Nous ne sommes plus au xixe siècle !
    Mme Danielle Bousquet. ... enfin la responsabilisation de ce client, qui achète le corps d'un autre, et le plus souvent le corps d'une autre.
    Or, la réponse que vous apportez est celle de la répression de la personne prostituée, ce qui conduira bien évidemment à une clandestinité accrue. Certes, l'ordre public sera sans doute préservé, car les réseaux vont quitter les trottoirs pour les routes, les forêts, les zones industrielles, les bars à hôtesses et autres lieux discrets. Mais cette réponse à court terme ne résout aucun problème.
    On nous dit que le fait de pénaliser le racolage permettrait à la police de nouer des liens avec les prostituées, de manière à les inciter à dénoncer proxénètes et réseaux. C'est gravement méconnaître la réalité maffieuse et terriblement dangereuse des gangs concernés, pour lesquels ces femmes ne sont que du bétail. Si une prostituée tombe dans les mains de la police, on lui fait courir de graves risques, sauf à prévoir de manière extrêmement précise le moyen de la protéger, elle et sa famille.
    Ce n'est donc pas en punissant celles qui sont déjà les victimes de ces réseaux qu'on fera régresser la prostitution.
    M. Yves Fromion. Alors comment ?
    Mme Danielle Bousquet. Cette grave question mérite une vaste réflexion, un vrai débat, une véritable politique...
    M. Yves Fromion. On y réfléchit depuis des dizaines d'années, madame !
    Mme Danielle Bousquet. ... et non deux ou trois articles de répression au détour d'une loi. Je conclurai par une question, relative à la préoccupation de la sécurité que vous avancez, monsieur le ministre, et que je partage. En quoi le fait de traiter les prostituées comme des délinquantes permettra d'améliorer la sécurité intérieure ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

5

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

    M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, deuxième séance publique :
    Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, n° 381, pour la sécurité intérieure :
    M. Christian Estrosi, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 508) ;
    Mme Marie-Jo Zimmermann, rapporteure au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (rapport d'information n° 459).
    La séance est levée.
    (La séance est levée à dix-neuf heures quarante.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT