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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU VENDREDI 17 JANVIER 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
1re séance du jeudi 16 janvier 2003


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT

1.  Accord Communautés européennes-Croatie. - Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi «...».
M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
M. Loïc Bouvard, rapporteur de la commission des affaires étrangères.

Article unique. - Adoption «...»

2.  Accord Communautés européennes-Macédoine. - Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi «...».
M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
M. Loïc Bouvard, rapporteur de la commission des affaires étrangères.

DISCUSSION GÉNÉRALE «...»

M. Henri Sicre.
Clôture de la discussion générale.

Article unique. - Adoption «...»

3.  Prévention des risques biotechnologiques. - Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi «...».
M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur de la commission des affaires étrangères.

DISCUSSION GÉNÉRALE «...»

M.
Jean-Pierre Brard,
Mme
Nathalie Kosciusko-Morizet,
M.
Henri Sicre.
Clôture de la discussion générale.

Article unique. - Adoption «...»

4.  Accord Communautés européennes-Egypte. - Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi «...».
M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
M. Jean-Claude Guibal, rapporteur de la commission des affaires étrangères.

DISCUSSION GÉNÉRALE «...»

M. Henri Sicre.
Clôture de la discussion générale.

Article unique. - Adoption «...»

5.  Convention France-Suisse réseau ferré. - Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi adopté par le Sénat «...».
M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
M. Marc Reymann, suppléant M. Bernard Schreiner, rapporteur de la commission des affaires européennes.
M. le ministre.

Article unique. - Adoption «...»

6.  Convention France-Allemagne doubles impositions. - Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi «...».

Article unique. - Adoption «...»

7.  Accord France-Russie responsabilité civile dommages nucléaires. - Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi adopté par le Sénat «...».

Article unique. - Adoption «...»

8.  Accord France-Andorre coopération administrative. - Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi adopté par le Sénat «...».

Article unique. - Adoption «...»
Suspension et reprise de la séance «...»

9.  Sécurité intérieure. - Suite de la discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat après déclaration d'urgence «...».

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION «...»

Motion de renvoi en commission de M. Jean-Marc Ayrault : MM. Manuel Valls, Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales ; Christian Estrosi, rapporteur de la commission des lois ; Gérard Léonard, Michel Liebgott, André Gerin, Jean-Christophe Lagarde. - Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
10.  Ordre du jour des prochaines séances «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,
vice-président

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à neuf heures.)

1

ACCORDS COMMUNAUTÉS
EUROPÉENNES-CROATIE

Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée,
d'un projet de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification de l'accord de stabilisation et d'association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la République de Croatie, d'autre part (ensemble huit annexes et six protocoles) (n°s 251, 373).
    Je rappelle que ce texte fait l'objet d'une procédure d'examen simplifiée, dans les conditions prévues à l'article 106 du règlement.
    La parole est à M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
    M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur le président, monsieur le rapporteur de la commission des affaires étrangères, mesdames, messieurs les députés, l'Union européenne, en entreprenant, en juin 1999, le processus de stabilisation et d'association en faveur des cinq pays des Balkans occidentaux - Albanie, ancienne République yougoslave de Macédoine, Bosnie-Herzégovine, Croatie, République fédérale de Yougoslavie - partait d'une triple constatation :
    Ces pays, épuisés par des années de guerre et de troubles civils ne pouvaient être traités comme les pays méditerranéens, par le biais d'accords d'association classiques ;
    Il fallait qu'ils bénéficient des « dividendes de la paix » établis par les accords de Dayton en disposant d'une perspective crédible d'adhésion potentielle à l'Union européenne ;
    Les pays balkaniques devaient normaliser leurs relations politiques et économiques dans la perspective d'une intégration régionale, tout en restructurant leurs institutions et leurs tissus économiques pour les adapter aux normes européennes.
    L'ancienne République yougoslave de Macédoine, le 9 avril 2001, et la Croatie, le 29 octobre 2001, ont été les deux premiers Etats à signer ce nouveau type d'accord et, si vous le permettez, monsieur le président, mon intervention portera sur ces deux accords.
    Le processus de stabilisation et d'association représente un engagement à long terme de l'Union européenne vis-à-vis de cette région, tant sur le plan des efforts politiques que sur celui des ressources économiques et humaines.
    Dès le préambule de ces accords, une « clause évolutive », inspirée des conclusions des Conseils européens de Cologne et de Feira, confirme aux deux pays leur qualité de candidats potentiels à l'adhésion. A ce titre, il est prévu un renforcement du dialogue politique, destiné à promouvoir le rapprochement entre ces pays balkaniques et l'Union européenne, la sécurité et la stabilité en Europe, ainsi que la coopération régionale. Il se déroulera au niveau ministériel, au sein du conseil de stabilisation et d'association, et au niveau parlementaire, au sein de la commission parlementaire de stabilisation et d'association.
    La coopération régionale est une spécificité de ces accords. Conformément aux conclusions du sommet de Zagreb du 24 novembre 2000, où les pays balkaniques s'étaient engagés à progresser sur la voie de l'intégration régionale, les accords de Luxembourg portent obligation de conclure des conventions de coopération régionale avec les autres pays de la région qui seront liés par un accord de stabilisation et d'association avec l'Union européenne. La volonté de ces pays de conclure une telle convention constituera l'un des facteurs déterminants du développement de leurs relations futures avec l'Union européenne. L'accord offre également la possibilité de conclure de telles conventions avec d'autres pays candidats à l'Union européenne.
    Ces accords de stabilisation et d'association représentent donc un nouveau type de relations contractuelles, pierre angulaire du processus d'adhésion et étape fondamentale dans sa réalisation.
    M. Loïc Bouvard, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Tout à fait !
    M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie. La conclusion de ces accords marque ainsi l'engagement des signataires de parvenir, au terme d'une période de transition, à une pleine association avec l'Union européenne, l'accent étant mis sur le respect des principes démocratiques essentiels et sur la reprise des éléments fondamentaux de l'acquis communautaire.
    En matière économique, l'établissement progressif d'une zone de libre-échange, pendant une période transitoire maximale de dix ans, devrait permettre de renforcer les relations entre ces pays et l'Union européenne. Cette zone de libre-échange se caractérise par certaines dispositions spécifiques pour les produits agricoles et de la pêche, dont des clauses de sauvegarde. Des dispositions spécifiques sont également prévues pour l'acier et les textiles.
    Afin de favoriser cette transition, les deux pays bénéficieront de préférences commerciales asymétriques exceptionnelles destinées à favoriser leur accès au marché communautaire des produits industriels et agricoles, de façon à contribuer au redémarrage de leurs économies par une stimulation de leurs exportations.
    En outre, un nouveau programme unique d'assistance à la région, le programme CARDS, est créé et doté d'un montant de 4,65 milliards d'euros pour la période 2000-2006. Il vise à accompagner et conforter le processus de réformes démocratiques économiques et institutionnelles dans les pays de la région.
    L'ouverture progressive de ces deux marchés aux produits communautaires et le rapprochement de leur législation avec celle de la Communauté, en particulier dans les domaines clés du marché intérieur, sont naturellement susceptibles d'avoir des effets positifs pour les entreprises françaises travaillant avec cette région. Les coopérations administratives, qui iront au-delà de ce qui est prévu dans le cadre du programme d'assistance CARDS, devraient également être favorables aux experts français et à notre expertise administrative. Cette ouverture sera facilitée par les dispositions prévues relatives à la libre circulation des travailleurs, la prestation des services et la libre circulation des capitaux.
    Afin de préparer une éventuelle adhésion de ces deux pays, un rapprochement de leur législation dans plusieurs domaines clés de l'acquis communautaire est prévu, notamment concernant les quatre libertés de circulation du marché intérieur - marchandises, personnes, services et capitaux -, puis s'étendra, après un délai de cinq ans, au reste de l'acquis.
    Une coopération plus étroite dans le domaine de la justice et des affaires intérieures est prévue. Elle se traduira par le renforcement des institutions et de l'Etat de droit, une coopération en matière de visas, un contrôle des frontières accru, une réforme du droit d'asile et de migration, le renforcement de la prévention et du contrôle de l'immigration clandestine, des accords de réadmission, la lutte contre le blanchiment des capitaux, la prévention et la lutte contre la criminalité et autres activités illégales et, bien entendu, une coopération accrue en matière de lutte contre les drogues illicites. Les accords traitent également de coopération dans de nombreux autres domaines que je n'énumérerai pas, pour ne pas allonger mon propos.
    Deux accords intérimaires sont, dès à présent, entrés en vigueur afin de faire bénéficier les pays balkaniques des dispositions relatives à la libre circulation des marchandises. Les accords de Luxembourg, pour leur part, entreront en vigueur lorsque toutes les parties auront déposé leurs instruments de ratification, ce qui est présentement le cas pour l'ancienne République de Macédoine et sept Etats membres de l'Union, ainsi que pour la Croatie et cinq Etats membres.
    Telles sont les principales observations qu'appellent les accords de stabilisation et d'association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, l'ancienne République yougoslave de Macédoine et la Croatie, qui font l'objet des projets de loi aujourd'hui proposés à votre approbation.
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires étangères.
    M. Loïc Bouvard, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est en juin 1999 que l'Union européenne a lancé le processus de stabilisation et d'association pour les Balkans occidentaux, à savoir, comme vous venez de le préciser, monsieur le ministre, l'Albanie, l'ancienne République yougoslave de Macédoine, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la République fédérale de Yougoslavie. Ce processus qui s'inscrit plus largement dans le cadre du pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est.
    Le processus de stabilisation et d'association repose sur l'idée que la perspective d'intégration, à terme, dans l'Union européenne - perspective ouverte lors des conseils européens de Cologne en 1999 et de Feira en 2000 qui avaient reconnu à ces pays la qualité de « candidats potentiels à l'adhésion » - constitue le principal levier pour inciter ces pays à réaliser les réformes nécessaires et que l'établissement entre eux de relations normales contribuera à la stabilité politique et économique de la région.
    Ce processus s'appuie sur un instrument financier - le programme CARDS - et sur l'Agence européenne pour la reconstruction, créée en 1999, qui gère les aides projets mises en oeuvre dans le cadre de ce programme CARDS. Il se traduit concrètement par la négociation et la conclusion d'accords de stabilisation et d'association : ASA. Ce sont précisément les deux premiers accords signés avec la Macédoine et la Croatie qui sont soumis aujourd'hui à notre approbation.
    Bien que l'ancienne République yougoslave de Macédoine soit historiquement le premier pays de la zone à avoir signé un tel accord, le 9 avril 2001, la Croatie, qui l'a signé le 29 octobre 2001, est le pays le plus avancé sur la voie du processus de stabilisation et d'association. En effet, si les autorités croates disposent de six années pour mettre en oeuvre l'accord, elles ont déjà fait savoir qu'il ne leur faudrait que trois ans et comptent déposer une demande dès cette année pour adhérer à l'Union européenne au 1er janvier 2007, en même temps que la Roumanie et la Bulgarie.
    Je ne reviendrai pas sur le contenu de ces accords que j'ai déjà présenté lors de l'examen en commission des affaires étrangères et que vous pouvez d'ailleurs retrouver en détail dans mon rapport. Je préfère insister sur l'importance que revêt la signature de ces accords pour l'avenir des Balkans occidentaux. En effet, la perspective d'adhérer, à plus ou moins long terme, à l'Union européenne constitue un puissant stimulant pour tous les Etats de l'Europe du Sud-Est, qu'ils soient partie ou non au processus actuel d'élargissement. L'empreinte des conflits qui ont embrasé la région au xxe siècle est encore très marquée aujourd'hui. Les dictatures et les guerres se sont succédé dans l'ex-Yougoslavie, si bien que ces pays hésitent encore entre deux logiques contradictoires, l'une consistant à procéder à une stabilisation suivie d'une reconstruction, l'autre consistant en une désintégration suivie d'une recomposition, notamment ethnique.
    Le défi actuel que l'Union européenne doit relever est d'associer intégration et démocratisation. Seul le projet européen permettra à ces pays de surmonter les haines ancestrales issues du nationalisme ethnique. Seule l'Union européenne est capable de mettre à profit l'élan démocratique qui est né en 2000 dans cette région. Non seulement elle permettra de stabiliser, puis de reconstruire ces pays, mais également elle les aidera à changer de mentalité dans la mesure où ils s'inspireront de ses valeurs démocratiques.
    Ces pays ont d'ailleurs eux-mêmes pris conscience des méfaits de cette logique du nationalisme ethnique et du retard qu'elle a provoqué par rapport aux pays d'Europe centrale et orientale que l'Europe accueille cette année. Ainsi, ils ont bien compris tout l'enjeu d'une politique de coopération régionale dont l'objectif est non pas la reconstitution de l'ex-Yougoslavie, mais l'instauration d'un dialogue interétatique et l'intégration d'Etats distincts au sein de l'Union européenne. Cette coopération régionale est une des conditions sine qua non pour pouvoir bénéficier du pacte de sécurité pour l'Europe du Sud-Est. Elle constitue également l'une des conditions des accords de stabilisation et d'association.
    C'est le titre III de ces accords qui aborde de façon spécifique la question de la coopération régionale. Concrètement, les pays signataires s'engagent à entamer des négociations en ce sens dès la signature de l'accord et doivent conclure une convention de coopération régionale dans les deux ans suivant l'entrée en vigueur de cet accord, dont la mise en oeuvre conditionnera le développement ultérieur des relations avec l'Union européenne.
    Pour finir, je soulignerai qu'avec le processus de stabilisation et d'association, l'Union européenne s'est enfin dotée d'une politique globale dans la région, comme vous venez de le dire, monsieur le ministre. Jusqu'à présent par exemple, en matière de politique commerciale et d'assistance économique, elle parait au plus pressé en injectant des aides ponctuelles avec les programmes PHARE et OBNOVA. Dorénavant, avec les accords de stabilisation et d'association et les mesures commerciales fondées sur une libéralisation asymétrique des échanges que ceux-ci permettent, elle se donne réellement les moyens d'une politique économique et commerciale dans la région.
    En conclusion, au regard des difficultés que ces pays ont connues - je pense à l'éclatement de l'ex-Yougoslavie ou encore à la gestion de la période postcommuniste - ou de celles qu'ils connaissent actuellement - je pense à la mise en place progressive d'un Etat de droit et d'institutions démocratiques, ce qui ne va pas de soi dans des pays qui ont connu pendant si longtemps le communisme ...
    M. Jean-Pierre Brard. Vous avez une certaine nostalgie, monsieur Bouvard ?
    M. le président. Veuillez continuer, monsieur Bouvard ?
    M. Jean-Pierre Brard. On sent comme un petit regret !
    M. Loïc Bouvard, rapporteur. Non, je pense à l'avenir, qui sera meilleur pour ces pays qui ont connu tant de méfaits dans le passé ! Chers collègues, je vous recommande vivement d'adopter ces deux projets de loi.

Article unique

    M. le président. « Article unique. - Est autorisée la ratification de l'accord de stabilisation et d'association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la République de Croatie, d'autre part (ensemble huit annexes et six protocoles), signé à Luxembourg le 29 octobre 2001, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
    Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
    (L'article unique du projet de loi est adopté.)

2

ACCORD COMMUNAUTÉS
EUROPÉENNES-MACÉDOINE

Discussion d'un projet de loi
selon la procédure d'examen simplifiée

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification de l'accord de stabilisation et d'association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et l'ancienne République yougoslave de Macédoine, d'autre part (ensemble sept annexes et cinq protocoles) (n°s 252, 273).
    Je rappelle que ce texte fait l'objet d'une procédure d'examen simplifiée, dans les conditions prévues à l'article 106 du règlement.
    Monsieur le ministre délégué à la coopération et à la francophonie, vous vous êtes déjà exprimé je crois.
    M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. En effet, monsieur le président.
    M. le président. Vous aussi, monsieur le rapporteur de la commission des affaires étrangères.
    M. Loïc Bouvard, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Oui, monsieur le président.
    M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Henri Sicre.
    M. Henri Sicre. Monsieur le président, j'interviendrai en lieu et place de François Loncle, qui a suivi personnellement ce dossier, mais qui a été retardé ce matin.
    Le groupe socialiste se félicite, bien évidemment, que soient ratifiés aujourd'hui les accords de stabilisation et d'association entre la Communauté européenne et leurs Etats membres, la République de Croatie et l'ancienne République yougoslave de Macédoine.
    Notre vote favorable est un vote d'espoir, à l'image de la créativité institutionnelle et linguistique de Bruxelles, trop souvent brocardée. Il sanctionne le travail remarquable effectué par les Quinze, par la France, afin de donner un horizon de paix à ces pays et préparer leur retour dans la famille européenne.
    Le 11 mai 2000, en tant que président de la commission des affaires étrangères, François Loncle avait reçu le Président croate. Ce dernier avait salué de façon particulièrement chaleureuse l'engagement français : « En politique comme en amour, il n'y a pas de hasard ». Ce n'est pas par hasard qu'il avait choisi d'effectuer sa première visite en France.
    Mes chers collègues, 1991, 1992 ne sont pas si loin. Les Etats qui formaient alors - avant de la défaire - la fédération yougoslave inquiétaient l'Europe. Sarajevo, lieu de mémoire symbolique et tragique, avait renoué avec un passé de haines fractricides et de déchirures continentales. Les dominos étaient tombés les uns après les autres, sans que personne soit en mesure de contenir leur chute et la catastrophe humaine qui l'a accompagnée. Bosnie, Croatie, Macédoine, Kosovo : autant de noms qui faisaient tragiquement la une de l'actualité. Cette dérive a forcé la communauté internationale à engager un bras de fer armé avec la Serbie et à mobiliser les Nations unies, l'Union européenne, l'OSCE.
    La logique de guerre a été, espérons-le, définitivement brisée. La France y a pris sa part : sa diplomatie et ses armées sont toujours présentes et actives, comme nous avons pu le constater à chaud, en visitant les différents pays de cette région d'Europe traversée de redoutables failles culturelles et historiques. Je saisis l'occasion qui m'est offerte pour saluer le travail accompli, que poursuivent encore aujourd'hui nos soldats et nos diplomates, qui remplissent de façon exemplaire une tâche qui porte aujourd'hui ses fruits, mais qui est injustement ignorée.
    Le rétablissement de la paix était un préalable. Il a été heureusement suivi, en 1999, d'une démarche européenne ouvrant des perspectives de coopération pour ces pays. A l'occasion de la conférence qui s'est tenue à Zagreb, le 9 novembre 2000, pour tourner la page des souffrances et des divisions, ouvrir celles de lendemains démocratiques et coopératifs, le ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine, avait fixé le cap de nos rapports avec la Croatie, la Macédoine et leurs voisins : « Ce sommet va être un moment très important pour la démocratisation de toute la région, très important pour la coopération qui devient enfin possible, très important pour le rapprochement de chacun de ces pays avec l'Union européenne. »
    Ce processus de stabilisation et d'association, nous devons, bien entendu, l'approuver en votant ce matin les deux traités soumis à notre appréciation.
    Pour conclure, je vous ferai part d'une proposition de François Loncle, qui se demande s'il ne serait pas souhaitable d'assurer enfin le suivi parlementaire de ces traités par une coopération plus effective avec les élus de Croatie et de Macédoine. Cette démarche ne pourrait que renforcer la légitimité de leurs institutions représentatives. Par ailleurs, vis-à-vis de ces Etats, les actions européennes qui les concernent, menées, c'est notre souhait, avec le concours de la France, y gagneraient en lisibilité.

Article unique

    M. le président. « Article unique. - Est autorisée la ratification de l'accord de stabilisation et d'association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et l'ancienne République yougoslave de Macédoine, d'autre part (ensemble sept annexes et cinq protocoles), signé à Luxembourg le 9 avril 2001, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
    Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
    (L'article unique du projet de loi est adopté.)

3

CONVENTION SUR LA DIVERSITÉ BIOLOGIQUE

Discussion d'un projet de loi
selon la procédure d'examen simplifiée

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation du protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques relatifs à la convention sur la diversité biologique (n°s 228, 505).
    Je rappelle que ce texte fait l'objet d'une procédure d'examen simplifiée dans les conditions prévues à l'article 106 du règlement.
    La parole est à M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
    M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, négocié en application de la convention sur la diversité biologique, adoptée le 22 mai 1992 par le sommet de Rio de Janeiro sur l'environnement et le développement, le protocole de Carthagène a pour objectif principal de renforcer la sécurité des échanges internationaux d'organismes vivants modifiés, les OVM, en vue de protéger l'environnement, grâce à une évaluation des risques qu'ils peuvent présenter pour la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique et, conformément au principe de précaution, pour la santé humaine.
    Entreprises en juillet 1996 à Aarhus, les négociations se sont achevées à Montréal le 29 janvier 2000 par une adoption à l'unanimité, et le protocole a été signé par 103 Etats.
    Le protocole de Carthagène prévoit deux types de procédures : en premier lieu, une procédure dite d'accord préalable en connaissance de cause, l'importation d'un OVM destiné à être disséminé intentionnellement dans l'environnement, par exemple des semences, est subordonnée au consentement préalable de l'Etat importateur ; en second lieu, une procédure dite d'information précoce applicable aux OVM destinés à être utilisés directement pour l'alimentation humaine ou animale ou à être transformés, par exemple des céréales.
    Dès qu'une partie a pris la décision d'utiliser un OVM sur son propre territoire, elle doit en informer les autres parties, leur permettant ainsi de se préparer à une demande éventuelle d'importation, en application de sa législation nationale.
    Toujours fondées sur une évaluation préalable des risques potentiels, ces deux procédures donnent ainsi à une partie la possibilité de soumettre à des conditions, voire d'interdire, un mouvement transfrontière intentionnel d'un OVM dont elle est destinataire. Ces décisions sont révisables, dans des délais déterminés, au gré de l'amélioration des connaissances scientifiques.
    Ces procédures permettent également le recours à l'approche de précaution, en cas d'incertitude scientifique avérée. Ce dispositif est complété par un mécanisme d'alerte, d'une partie vers l'Etat intéressé, concernant les mouvements transfrontières non intentionnels dangereux, c'est-à-dire les accidents.
    L'efficacité du système reposera largement sur le partage et l'échange d'informations entre les parties, d'où le rôle essentiel que le centre d'échange d'informations sera amené à jouer. Cette base mondiale de données sur les OGM se trouve actuellement en phase pilote. Appuyée sur un réseau d'autorités nationales, elle permettra de renforcer l'autonomie des pays en développement en leur donnant la capacité de disposer rapidement des résultats des évaluations de risques déjà effectuées par d'autres parties, tout en permettant d'anticiper des difficultés potentielles liées à des demandes éventuelles d'importation. Elle contribuera également à une meilleure transparence.
    Etant donné la nature du dispositif, l'identification des OVM par le biais d'une documentation obligatoire revêt une réelle importance pour le fonctionnement optimal du système ; la mise en oeuvre de l'indicateur unique des OVM par l'OCDE facilitera cette démarche.
    En mettant en place des règles internationales harmonisées, fondées sur des principes similaires à ceux de la législation européenne, le protocole de Carthagène conforte la réglementation communautaire en matière d'OVM, ce qui constitue un atout non négligeable dans la perspective d'un contentieux commercial éventuel avec les Etats-Unis.
    Grâce aux financements du Fonds pour l'environnement mondial, qui pourront être mobilisés par les pays en développement et en transition afin de se doter des moyens nécessaires à l'application du protocole de Carthagène, un grand nombre d'Etats pourront acquérir une capacité réelle de décision en matière d'OVM. Ce rééquilibrage des rapports entre Etats producteurs et Etats consommateurs d'OVM constituera un progrès décisif, dont des événements récents, tel le refus de la Zambie face à la proposition d'aide alimentaire américaine contenant des OVM, soulignent toute l'importance.
    Le protocole devrait pouvoir entrer en vigueur cette année, trente-neuf ratifications ayant été enregistrées à ce jour, dont celle de la Communauté européenne et de six Etats membres, sur les cinquante nécessaires. Toutefois, le fait que les Etats-Unis d'Amérique, premier producteur mondial d'OGM, n'aient pas décidé de ratifier le protocole, constitue un handicap certain, que les ratifications prévues du Canada et de la Chine ne compenseront que partiellement.
    Lorsque le protocole de Carthagène entrera en vigueur, l'Union européenne sera en mesure de l'appliquer dans la mesure où elle dispose déjà de la directive 2001/18 qui satisfait aux exigences du protocole en matière d'importation d'OGM dans l'Union européenne et où elle devrait promulguer prochainement un réglement clarifiant les obligations du protocole en ce qui concerne les exportations d'OVM.
    Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, les principales dispositions du protocole de Carthagène qui fait l'objet du présent projet de loi.
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires étrangères.
    M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qu'il nous est proposé d'adopter aujourd'hui est important, en soi comme de par ses conséquences.
    En soi, tout d'abord. Vous l'avez souligné, monsieur le ministre, il est l'un des premiers - avec le protocole de Kyoto sur le changement climatique et le gaz à effet de serre - à mettre concrètement en oeuvre le principe de précaution. Il s'inscrit ainsi dans l'ensemble des dispositions prises en 1992 lors du premier sommet de la terre de Rio de Janeiro et réaffirmées récemment à Johannesburg. Les négociations entreprises en juillet 1996 à Aarhus se sont achevées à Carthagène, cette vieille ville colombienne d'où partaient les galions espagnols du nouveau monde, ce qui nous place d'emblée dans le cadre de la mondialisation de l'économie. C'est peut-être pour cela que les négociateurs avaient choisi cette très belle ville.
    M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas la plus positive !
    M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. Le protocole a été signé le 24 mai 2000 à Nairobi, siège du programme des Nations unies pour l'environnement, ce qui est tout aussi significatif. Le dispositif qu'il contient réglemente les échanges internationaux d'organes vivants modifiés. Il établit des procédures de traçabilité. Il crée une institution chargée de centraliser et de diffuser l'information sur ces produits.
    Il est important également par ses conséquences. En justifiant la limitation des importations de produits génétiquement modifiés, en les encadrant, il va à l'encontre des engagements de libéralisation des échanges dans le cadre de l'OMC. Il constitue une première source de conflits commerciaux inévitables, ce qui ne peut être cependant considéré comme négatif, dans la mesure où il peut contribuer à réduire les risques d'une mondialisation incontrôlée des échanges et où il impose désormais une articulation entre droit international commercial et environnemental.
    Il répond à un besoin urgent. L'évolution de la science et des techniques est rapide dans le domaine de l'ingénierie génétique, qui permet la manipulation directe du matériel génétique. L'introduction des premiers plants génétiquement modifiés date des années 80. Alors qu'elles occupaient 0,5 % de la zone agricole mondiale en 1996, les récoltes transgéniques en occupent actuellement 5 % : 58 % pour le soja, 23 % pour le maïs pour l'année 2000. Les Etats-Unis comptent pour deux tiers de ces récoltes totales, l'Argentine venant derrière avec 23 %, le Canada 7 %, la Chine 3 %, l'Australie et l'Afrique du Sud un peu moins de 1 %, avec une petite progression en Inde et dans les pays d'Europe centrale et orientale, pour des raisons compréhensibles. Il s'agit d'un sujet auquel l'opinion est sensible et qui fait l'objet de nombreuses campagnes d'hostilité.
    Les attitudes des différents pays sont très variables.
    L'Union européenne, tout d'abord, se dote actuellement d'un dispositif pleinement compatible, vous l'avez souligné, monsieur le ministre, avec les principes fixés par le protocole de Carthagène. Un moratoire de fait avait été imposé en 1998 sur l'autorisation de nouvelles mises sur le marché et des normes strictes ont été émises dans la directive ayant pris effet le 14 février 2001, l'étiquetage étant sévèrement réglementé. Sept pays de l'Union, dont la France, avaient instauré un moratoire sur les cultures d'OGM en 1999.
    La Commission a récemment accepté un compromis. Le 29 novembre dernier, les ministres de l'agriculture ont ainsi prévu des seuils d'étiquetage des aliments destinés aux humains et aux animaux, au-delà de 0,9 % de composés transgéniques, et les ministres de l'environnement ont décidé, le 9 décembre, d'obliger les opérateurs concernés à fournir une liste de « tous les OGM utilisés pour constituer le mélange » transporté par les vraquiers. Une clause de révision a été adjointe pour faire le point sur l'efficacité de la nouvelle réglementation, au plus tard dans les deux ans suivant son entrée en vigueur.
    Même souci de précaution dans des pays comme l'Australie ou la Nouvelle-Zélande, mais aussi, contrairement aux idées reçues, dans certains pays en développement. C'est le cas du Brésil avec des mesures restrictives sur l'importation : c'est le cas du Sri-Lanka avec une interdiction totale. La justification en est l'absence de certitude scientifique sur l'innocuité des produits et l'impact sur l'environnement.
    En revanche, les procédures sont simples et rapides aux Etats-Unis. L'US Food and Drug Administration exige l'étiquetage des produits OGM seulement si la nourriture transgénique est substantiellement différente de son équivalent naturel. Le protocole n'a pas été adopté sous la seule impulsion de pays riches, en particulier européens. Certains pays en développement le soutiennent car ils craignent que leurs territoires puissent être utilisés pour des expérimentations de mises en culture de produits OGM.
    Notons enfin le cas de la Zambie qui, au grand dam des Etats-Unis, a refusé récemment l'aide alimentaire de l'US Aid par crainte de l'origine transgénique de celle-ci. Les Etats-Unis ont, d'ailleurs, à cette occasion, soupçonné des pressions de l'Union européenne.
    Nous sommes bien ici devant l'une des manifestations de la confrontation entre Etats-Unis et Union européenne : d'un côté, la confiance dans le marché, la liberté sans entrave du commerce mondial et la régulation naturelle issue de l'évolution de la technologie - c'est la thèse américaine ; de l'autre, la volonté de précaution et de sûreté de la connaissance scientifique, volonté largement provoquée en Europe par la crise de la vache folle. Il est significatif que le protocole stipule que le manque de preuves scientifiques concernant des effets nuisibles potentiels des OGM sur la biodiversité, y compris les risques liés à la santé humaine, ne peut empêcher un pays signataire de restreindre ses importations d'un tel organisme.
    Je ne reviens pas sur le détail des mesures fixées par le protocole exposées par le ministre : échanges transfrontières, qui sont importants ; création d'un cadre permettant d'assurer la transparence des échanges ; fait que le protocole renvoie aux Etats parties le soin de prendre les mesures appropriées en matière de gestion des risques et en cas de mouvements transfrontières non intentionnels ; création d'un centre d'échanges, particulièrement important pour prévenir les risques, centre auquel auront accès tous les opérateurs économiques qui pourront ainsi obtenir des informations sur les réglementations nationales. Les autorités nationales pourront, pour leur part, échanger des informations, et les pays pauvres disposeront ainsi d'une information qu'ils n'auraient pu acquérir par eux-mêmes.
    Enfin, le protocole encourage l'éducation et la sensibilisation du public sur les risques que présentent les organismes vivants modifiés et l'impact socioéconomique de leur importation.
    L'intérêt majeur du protocole est donc d'imposer le principe de précaution dans le droit international, y compris commercial. Même s'il n'est pas excessivement exigeant sur l'information des consommateurs sur les risques que présentent certains produits comportant des produits génétiquement modifiés, il dépasse de loin la position des principaux pays exportateurs d'OGM - en particulier les Etats-Unis - et donne aux Etats une large liberté d'appréciation.
    En l'état actuel des choses, le protocole doit être ratifié par cinquante pays. A ce jour, il a été signé par 103 Etats, et ratifié par 37 d'entre eux, dont 6 membres de l'Union européenne : l'Autriche, le Danemark, l'Espagne, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suède. A ce stade, les quatre principaux pays producteurs d'OGM - Etats-Unis, Argentine, Canada et Chine - n'ont pas encore ratifié le protocole, les Etats-Unis n'en étant pas même signataires. Compte tenu de l'opposition des principaux pays producteurs d'OGM à une réglementation fondée sur le principe de précaution, le protocole a prévu un cadre de coopération avec les Etats non parties, en même temps qu'il règle le cas des mouvements transfrontières illicites.
    De plus, l'Union européenne elle-même a ratifié le protocole sur la base d'une décision adoptée à l'unanimité par le Conseil. La Cour de justice des Communautés européennes a en effet considéré, dans son avis du 6 décembre 2000, que le protocole concerne une compétence partagée des Etats membres et de l'Union, puisqu'il vise à définir des règles générales dans le but de protéger l'environnement.
    Avec le protocole de Carthagène, on entre dans la problématique d'une future organisation mondiale de l'environnement, idée promue par le Président de la République lui-même lors du sommet de Johannesburg. Les accords multilatéraux en matière d'environnement qui en constituent l'embryon ne sont pas subordonnés aux accords de l'OMC. Rien n'exclut cependant qu'une mesure prise par un Etat en application du protocole soit attaquée par un autre devant l'organe de règlement des différends de l'OMC. Aussi le nouveau cycle de négociations multilatérales lancé par l'OMC s'est-il saisi de la compatibilité des accords multilatéraux en matière d'environnement avec les règles du commerce international. Toutefois, les débats qui se sont déroulés au sein du comité du commerce et de l'environnement n'ont pas débouché pour l'instant sur une position commune.
    Cette situation souligne la difficulté constante d'articulation entre le droit international environnemental et le droit international commercial. Les sanctions que peut prononcer l'organe arbitral de l'OMC font naturellement pencher la balance en faveur du droit commercial. Pour cette raison, il apparaît indispensable que l'OMC intègre certains principes, tel le principe de précaution, dans son corpus de règles, afin que le commerce des organismes vivants modifiés soit encadré et transparent, conformément aux stipulations du protocole de Carthagène.
    Le protocole, qui s'inscrit dans la logique de développement durable défendue à Johannesburg, consacre une avancée notable dans la mise en oeuvre du principe de précaution. Il constitue ainsi un signal fort adressé aux pays réticents à l'égard de ce principe, ne serait-ce qu'en exprimant une volonté de transparence et d'information du consommateur.
    Surtout, son existence même oblige à articuler les règles de l'OMC avec le droit international environnemental. Ses conséquences ne peuvent donc être que positives, sachant que, quelles que soient les évolutions futures - notons à ce sujet les avis récents des trois académies, sciences, médecine et pharmacie, sur le caractère non dangereux des OGM pour la santé humaine -, la transparence est impérativement due aux consommateurs et l'information aux Etats. C'est dans ce contexte que la commission des affaires étrangères vous invite à adopter le présent projet de loi.

Discussion générale

    M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Brard.
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le rapporteur, les propos que vous venez de tenir sont fort intéressants, car ils illustrent à merveille le principe de la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine. Quant à votre éloge des galions espagnols, il me rappelle la relation que Las Casas écrivit à l'intention de Charles Quint, où il montre que la conquête espagnole fut très peu morale et laissait déjà apparaître les stigmates d'un futur peu sympathique. Fort heureusement, l'histoire, dans ce pays, a pris un cours différent, mais je m'éloigne de notre sujet et je voudrais y revenir.
    En évoquant le risque d'une mondialisation incontrôlée, vous prêchez un converti, si j'ose dire, et je suis content que vous partagiez cette opinion. Cela prouve que certaines convictions peuvent transcender les clivages de cette assemblée.
    « Dame nature est un peu dépassée par les trouvailles de l'homme moderne. Mais en manipulant la matière vivante, les chercheurs ne jouent-ils pas aux apprentis sorciers ? Quels seront les bénéficiaires de cette inquiétante loterie où se joue, à coup de millions de dollars, l'avenir de notre agriculture, de notre alimentation, de notre santé et de notre environnement ? Beaucoup de question et peu de réponses fiables, si ce n'est l'urgente nécessité d'imposer le principe de précaution. » Tel est le diagnostic établi par Greenpeace sur son site Internet.
    Comme bon nombre d'organisations politiques, syndicales et associatives, je considère que, dans l'état actuel des connaissances et des rapports de forces qui s'instaurent entre les industriels, d'une part, les agriculteurs et les consommateurs, d'autre part, il est prudent de ne pas autoriser la dissémination commerciale des organismes vivants modifiés.
    Le protocole sur la prévention des risques biotechnologiques que l'on nous propose de ratifier aujourd'hui devrait, nous dit-on, contribuer à assurer un degré adéquat de protection de l'environnement et de la santé humaine. Pour cela, il prévoit de réglementer les échanges internationaux d'organismes vivants modifiés et de sécuriser les mouvements transfrontières en établissant des procédures et des règles transparentes et responsables.
    Le dernier Conseil des ministres de l'environnement des Etats membres de l'Union européene s'est satisfait d'avancées réglementaires portant sur l'étiquetage et la traçabilité ainsi que d'une réouverture « probable » du marché européen aux OGM - là, nous sommes dans le registre de la langue d'Esope - alors que des vides juridiques subsistent sur ce dossier. Il convient de rappeler que l'Union européenne ne s'est toujours pas donné les moyens permettant d'établir les responsabilités en cas de contaminations génétiques. Si on se contente de dénoncer ces risques sans prendre les moyens de les combattre, à quoi cela sert-il, sinon à se donner bonne conscience ?
    Il est inacceptable qu'une technologie nouvelle n'ayant pas encore été testée de manière sérieuse dans la durée, comme le sont les OGM, soit libérée et disséminée dans l'environnement et dans la chaîne alimentaire alors qu'aucune règle de détermination des responsabilités n'est à ce jour établie.
    Au-delà des aspects scientifiques et techniques, les enjeux économiques des OGM sont - chacun le sait - importants. La mise au point et la commercialisation des semences sont le fait de nouveaux acteurs : les multinationales du secteur agrochimique. La bataille entre les firmes pour l'obtention et la commercialisation des OGM vise des objectifs purement économiques, sans considération pour les questions de santé publique.
    La prise en compte des souhaits, des interrogations et des craintes des consommateurs, des citoyens, est déterminante et doit être notre priorité. Favorables à la thérapie génique, les consommateurs sont beaucoup plus réservés face à l'utilisation du génie génétique en matière d'alimentation. Ils ont des liens affectifs forts avec leur alimentation, qu'ils souhaitent de qualité, et répondre à leurs exigences est pour nous un impératif.
    L'essor des biotechnologies crée un nouveau mode de relations entre science, politique et société. Le Conseil économique et social constate que les consommateurs sont sensibles à des craintes liées à des considérations psychologiques et culturelles et expriment des attentes vis-à-vis de leur alimentation.
    La France, dont les produits agroalimentaires sont présents sur le marchés mondiaux, doit s'appuyer sur l'image, la richesse de ses produits et sur les atouts de sa tradition culinaire. Elle doit privilégier les axes de recherche visant à améliorer la qualité des aliments et profiter de l'intérêt persistant pour la gastronomie et la saveur des produits.
    Notre pays doit permettre aux consommateurs européens de profiter des potentialités de la transgenèse, tout en leur donnant des garanties quant à l'innocuité, la provenance et la nature des denrées alimentaires, ce que nous ne sommes visiblement pas en mesure de faire à ce stade.
    La France doit également se donner le moyens de maîtriser les techniques nouvelles offertes par la transgenèse. Elle doit permettre aux acteurs des filières agricoles et agroalimentaires ainsi qu'aux consommateurs d'en profiter pleinement, tout en les protégeant des risques techniques ou économiques.
    Les organismes génétiquement modifiés concernent une multitude d'acteurs. Pouvoirs publics, entreprises, agriculteurs et consommateurs doivent être responsabilisés dans les domaines les concernant. Pour cela, le principe de précaution doit prévaloir. C'est ce que demandent nos concitoyens.
    Le principe de prévention, quant à lui, conduit à mettre en oeuvre les mesures visant à assurer la protection du citoyen lorsqu'un risque est avéré ou fortement soupçonné. Les innovations technologiques, dont les organismes génétiquement modifiés, sont susceptibles d'entraîner des risques directs ou indirects. Il faut y être attentif.
    Il est donc du devoir de la France de rappeler constamment ces exigences et leurs conséquences concrètes. Il est indispensable de consacrer des moyens financiers suffisants aux recherches sur les applications et l'innocuité des biotechnologies qui intéressent particulièrement le monde en développement, notamment en matière de lutte contre les grandes endémies comme le paludisme.
    En évoquant ce sujet, je sors du champ du protocole de Carthagène, je le reconnais, mais il ne faudrait pas que l'adoption de ce texte soit un prétexte pour emboîter le pas aux Américains. J'ai du reste bien entendu notre rapporteur qui, de ce point de vue, a la fibre éthique, écologique et nationale à la fois. (Sourires.) J'espère que cela se manifestera prochainement sur d'autres sujets internationaux.
    Je disais en introduction, monsieur Guillet, que vous nous présentiez une bouteille à moitié vide ou à moitié pleine. On comprend bien les contraintes du Gouvernement et il est naturel que vous ayez rapporté en faveur de ce protocole. Mais comme il comporte, d'un côté, l'amélioration de la traçabilité et de l'étiquetage, mesures fort positives, et, de l'autre, l'annonce d'évolutions bien inquiétantes, vous permettrez au Normand que je suis de rester un peu dubitatif et de s'en tenir à une prudente abstention. N'y voyez, bien entendu, qu'un encouragement à aller encore plus loin pour que cette abstention positive devienne une position positive tout court, une approbation sans réserve, dans un futur que j'espère proche.
    M. le président. La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet.
    Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le protocole de Carthagène marque une avancée considérable dans la construction du droit international de l'environnement.
    Ce n'est pourtant pas la première fois que les logiques de l'environnement et du commerce international se confrontent. Confrontation d'une extrême actualité, comme en témoignent la catastrophe du Prestige et la difficulté à réglementer strictement le transport maritime international.
    Ce n'est pas la première fois non plus qu'un accord est trouvé pour renforcer, au profit de la sécurité, les règles du commerce international. Ainsi, le transport international des substances chimiques et des déchets dangereux est déjà réglementé par des accords spécifiques.
    C'est en revanche la première fois que, dans un domaine comme celui des OGM où la dangerosité n'est pas prouvée, une restriction est imposée au commerce international. Le principe de précaution prend ici le pas sur celui de la liberté des échanges. Il trouve, dans le protocole de Carthagène, sa première application véritablement opératoire.
    Bien sûr, les négociations du protocole ont été difficiles et le texte qui nous est soumis souffre de certaines ambiguïtés, en particulier dans son articulation avec les accords commerciaux préexistants. Mais enfin, dans son équilibre compliqué, le protocole de Carthagène ouvre un espace de liberté pour les pays éventuellement importateurs d'OGM. Et c'est bien là l'essentiel. Il consacre en effet l'obligation, pour un exportateur, d'obtenir de la partie importatrice un « consentement préalable en connaissance de cause ». Il donne ainsi au pays importateur un droit, celui de choisir : accepter ou refuser les OGM. Et le droit de s'informer, de demander des compléments d'information, sans date limite couperet.
    Le protocole de Carthagène restaure la possibilité pour les pays du Sud, dont les moyens de détection et d'expertise ne sont pas toujours adaptés, de faire le choix du non-OGM. Même si le chantage à l'aide alimentaire n'est pas exclu, c'est là un progrès considérable. Ces pays abritent la plus grande part de la diversité biologique mondiale. Il est nécessaire qu'ils puissent, par prudence, refuser par exemple les OGM dérivés d'espèces dont ils constituent les régions d'origine. Ainsi du maïs, au Mexique.
    Le protocole de Carthagène constitue le maillon indispensable du dispositif qui se met en place en Europe pour assurer un étiquetage fiable des produits. Comment étiqueter, en effet, si les vraquiers peuvent déverser dans les ports, indifféremment, céréales OGM et non-OGM ? La dernière directive européenne sur les OGM et ses règlements d'application n'ont de sens qu'avec ce maillon-là.
    Maillon indispensable, il n'est pourtant pas tout à fait suffisant. Ainsi, le distinguo établi entre OVM, organismes vivants modifiés, et OGM, organismes génétiquement modifiés - le protocole couvrant les premiers et non les seconds -, ne permet pas de couvrir tout le champ du problème. Par ailleurs, l'étiquetage requis pour les OVM destinés à l'alimentation et à la transformation est encore insuffisant.
    Mais enfin, ce texte est une pierre - et certainement une pierre d'angle - apportée à l'édifice juridique qui se construit en Europe pour garantir la traçabilité et l'étiquetage des OGM. Il est ici question de choix. Encore une fois, c'est un espace de liberté pour le consommateur.
    Ce texte est aussi une pierre qui contribue à la construction du droit international de l'environnement, un droit équilibré dans sa relation avec les accords commerciaux.
    Pour ces deux raisons majeures, je voterai ce texte et j'invite mes collègues à en faire autant.
    Mme Cécile Gallez. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. Henri Sicre.
    M. Henri Sicre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste a souhaité donner un caractère public à son approbation du protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques relatif à la convention sur la diversité biologique.
    Je ne vais pas reprendre l'argumentaire détaillé présenté par notre rapporteur, Jean-Jacques Guillet, pour démontrer la nécessité et l'urgence de ce traité. Mon propos ne se veut pas technique ; je souhaite, à l'occasion de ce débat, vous faire part de quelques réflexions sur la marche du monde et les valeurs fondatrices de nos sociétés.
    A l'heure où certains apprentis sorciers annoncent la création d'humains sur catalogue, clonés selon la loi de l'offre et de la demande, il convient de rappeler certaines vérités morales élémentaires.
    Ma première remarque concerne l'évolution du progrès scientifique et celle des échanges économiques, qui suivent des logiques différentes et souvent divergentes. L'une est fondée sur la liberté de savoir, l'autre sur le profit et le pouvoir. Leur frottement est d'autant plus difficile à maîtriser que nous sommes en territoire nouveau, nouveau scientifiquement, nouveau sur le plan du vocabulaire. Des mots comme « biosécurité » ou « principe de précaution », que nous ne cessons d'utiliser ce matin, ne facilitent pas la compréhension des enjeux par le citoyen. Ce débat fondamental pour l'avenir nécessite pourtant l'approche la plus large et la plus démocratique.
    Il convenait d'organiser les rapports de la science et du commerce dans le domaine des organismes vivants modifiés, domaine encore mal connu et présentant des risques potentiels pour la santé humaine et la diversité biologique.
    Le traité que nous allons ratifier a pour objet d'organiser le transfert et la manipulation des organismes vivants modifiés dans un cadre de sécurité maximale. Cet accord international prolonge, dans le domaine de la biotechnologie, la convention-cadre adoptée en 1992 par la conférence sur l'environnement et le développement organisée par les Nations unies et popularisée sous le nom de « sommet de Rio ». Cet instrument confirme la volonté d'encadrer le progrès scientifique. Comme le déclarait récemment notre collègue Alain Claeys, rapporteur du projet de loi sur la bioéthique, les politiques doivent dire jusqu'où il est possible d'aller et empêcher que le vivant ne devienne l'objet de transactions et de négoce. Pour cette seule raison, le protocole de Carthagène mérite notre approbation. Il indique une direction, mais ne doit pas être considéré comme une fin en soi.
    D'où ma deuxième remarque. A Rio, en 1992, le Président de la République, François Mitterrand, avait souligné qu'un premier élan avait déjà été donné, rappelant que la France, le 11 mars 1989, lors de la conférence des chefs d'Etat et de gouvernement sur l'environnement réunie à La Haye, avait proposé la création d'une Haute Autorité mondiale de l'environnement et du développement durable. Les propos qu'il avait tenus ce jour-là doivent continuer, mes chers collègues, monsieur le ministre, de guider notre action et nos engagements. « Les conditions, avait-il déclaré, nous semblent réunies pour que chacun accepte l'idée d'une autorité mondiale car, devant les enjeux, s'inclineront, je l'espère, les dogmatismes et les égoïsmes. »
    Ce sentier est toujours ouvert devant nous ; l'élan dont nous parlait le Président François Mitterrand doit nous aider à nous mobiliser pour convaincre les pays qui s'y refusent de signer les conventions de protection de l'environnement, de se rallier au protocole de Carthagène et à celui de Kyoto : je pense tout particulièrement aux Etats-Unis qui, en ce domaine comme en d'autres, ont une conception de plus en plus égoïste et unilatérale du droit.
    Les idées que j'émets ici doivent évidemment être défendues la semaine prochaine à Porto Alegre. Et je voulais initialement conclure mon intervention en faisant appel à vous, monsieur le président, dans la mesure où notre groupe devait être écarté de la délégation de l'Assemblée nationale à ce sommet. Mais j'apprends à l'instant que, devant cette situation inacceptable, nous venons d'obtenir, à l'arraché, que la délégation soit modifiée. Un membre du groupe socialiste pourra accompagner nos autres collègues à Porto Alegre pour y faire connaître notre volonté de rester très vigilants et mobilisés sur la protection de l'environnement et l'éthique de la science, qui concernent notre avenir à tous.
    Puisque la séance de ce matin est consacrée à des projets concernant la commission des affaires étrangères, je voudrais souligner, sous forme de protestation, que ce n'est pas la première fois que nous constatons ce type d'incident. Il y a quelques semaines, pour répondre à l'invitation du Parlement italien de venir évoquer, en Sardaigne, les problèmes de l'ensemble du pourtour méditerranéen, il n'avait été constitué qu'une délégation réduite, dont nous ne faisions pas partie. Ce n'est pas conforme aux usages en matière de représentation de la commission des affaires étrangères et je souhaite que de telles erreurs ne se produisent plus à l'avenir.
    M. Jean-Pierre Brard. C'est M. Balladur qui décide ?
    M. le président. Monsieur Sicre, comme vous le savez, le bureau de l'Assemblée nationale se réunit en ce moment même. Le problème de la composition de la délégation se rendant à Porto Alegre a été abordé lors de la dernière réunion et je suis persuadé que les représentants de votre groupe au sein du bureau et de la commission des affaires étrangères ont eu l'occasion de défendre leur position. Compte tenu de la compréhension dont fait preuve habituellement le président Jean-Louis Debré, une suite favorable va vraisemblablement être donnée à votre demande. En tout état de cause, et comme vous l'avez souligné, il s'agit simplement d'un usage. N'en faites pas un incident !
    M. Henri Sicre. Reconnaissez que cette décision a été obtenue à l'arraché !
    M. Jean-Pierre Brard. C'est le propre des grands sportifs !
    M. le président. Il y a plusieurs conceptions de l'arraché, monsieur Sicre !
    La discussion générale est close.

Article unique

    M. le président. « Article unique. - Est autorisée l'approbation du protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques relatif à la convention sur la diversité biologique, adopté à Montréal le 29 janvier 2000, signé à Nairobi le 24 mai 2000, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
    Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
    (L'article unique du projet de loi est adopté.)

4

ACCORD COMMUNAUTÉS
EUROPÉENNES-EGYPTE

Discussion d'un projet de loi
selon la procédure d'examen simplifiée

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification de l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la République arabe d'Egypte, d'autre part (n°s 239, 506).
    Je rappelle que ce texte fait l'objet d'une procédure d'examen simplifiée dans les conditions prévues à l'article 106 du règlement.
    La parole est à M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
    M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, l'accord d'association entre la Communauté européenne et l'Egypte s'inscrit dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen, rassemblant les quinze Etats membres de l'Union européenne, à ce jour, et douze pays de la Méditerranée, décidé lors de la Conférence de Barcelone en novembre 1995.
    Dans le contexte de « l'après 11 septembre 2001 », cette politique de coopération et de dialogue doit, plus que jamais, constituer une priorité de l'action extérieure de l'Union. La conclusion des accords d'association avec les partenaires de la rive sud de la Méditerranée procède directement de cet esprit et de sa mise en oeuvre.
    L'accord du 25 juin 2001 a pour objectif principal l'adaptation des relations contractuelles euro-méditerranéennes à l'évolution des règles commerciales multilatérales en vigueur depuis le cycle de l'Uruguay, c'est-à-dire l'obligation de réciprocité des concessions et de prise en compte du secteur des services, notamment.
    Par ailleurs, l'entrée en vigueur du traité de Maastricht a fait ressortir la nécessité d'inclure les questions politiques dans les nouveaux accords, en particulier la référence au respect des droits de l'homme, considérée comme un « élément essentiel » de chaque accord.
    Du côté égyptien, la décision de signer cet accord résulte d'un arbitrage politique émanant du président Moubarak. Il témoigne d'une volonté clairement exprimée d'équilibrer les relations de l'Egypte entre les Etats-Unis et l'Union européenne.
    L'accord signé avec l'Egypte est similaire aux accords euro-méditerranéens déjà conclus avec d'autres Etats comme la Tunisie, le Maroc et Israël. Il précise que la violation des principes démocratiques et des droits de l'homme peut entraîner la suspension de l'accord.
    Cet accord s'articule autour de huit titres qui correspondent aux principaux objectifs suivants.
    Un dialogue politique régulier est établi entre les parties sur tous les sujets présentant un intérêt commun et, plus particulièrement, sur les conditions propres à garantir la paix, la sécurité, le respect des droits de l'homme et le développement régional.
    L'accord fixe aussi les conditions de la libéralisation progressive des échanges de marchandises, avec pour objectif d'établir une zone de libre-échange sur une période de transition de douze ans au maximum après l'entrée en vigueur de l'accord, tout cela en conformité avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce - OMC.
    Les modalités du droit d'établissement et la libéralisation des prestations de services - dans un délai de cinq ans pour le droit d'établissement des sociétés, par exemple - sont prévues par l'accord.
    L'établissement de règles relatives à la circulation des capitaux s'inspire des règles de concurrence qui sont en vigueur dans la Communauté. Les parties s'engagent également à protéger, de manière effective, les droits de propriété intellectuelle conformément aux normes internationales en vigueur. Enfin, elles conviennent de libéraliser progressivement les marchés publics.
    Un important volet de coopération économique est prévu afin d'accompagner la libéralisation des échanges et, en particulier, la mise en place d'un libre-échange industriel avec la Communauté.
    Cette coopération favorisera le rapprochement des économies, le développement des secteurs créateurs d'emplois et l'intégration régionale, tout en tenant compte de la nécessité de préserver l'environnement. Une vaste gamme de domaines de coopération est couverte par cet accord. Je tiens en particulier à attirer votre attention, mesdames et messieurs les députés, sur l'article 59, qui établit une coopération dans la lutte contre le terrorisme. Celle-ci consiste, pour l'essentiel, en des échanges d'informations sur les moyens et les méthodes employés par chacune des parties dans ce domaine.
    L'institution d'un dialogue et d'une coopération en matière sociale portant sur les questions sociales est prévue. Ce dialogue portera sur les conditions de vie et de travail des travailleurs employés légalement, les migrations et l'immigration clandestine, ainsi que l'égalité de traitement entre ressortissants égyptiens et communautaires.
    La coopération financière, quant à elle, sera menée grâce à l'enveloppe globale arrêtée par le Conseil européen pour la Méditerranée, qui se monte à 5,35 milliards d'euros pour la période 2000-2006.
    Les domaines d'application prioritaires de cette coopération financière seront la modernisation de l'économie et des infrastructures, la promotion de l'investissement privé et des activités créatrices d'emplois, l'accompagnement des politiques sociales et la prise en compte des conséquences du libre-échange sur l'économie égyptienne.
    Enfin, l'accord inclut des dispositions institutionnelles permettant sa mise en oeuvre : un conseil d'association se réunit annuellement au niveau ministériel ; un comité d'association est chargé de la gestion de l'accord au niveau des fonctionnaires.
    Pour notre pays, cet accord revêt une importance primordiale : il permettra d'ouvrir progressivement le marché égyptien aux exportations européennes et de renforcer les relations euro-égyptiennes, non seulement en aidant à la modernisation du pays et à sa mise à niveau économique, mais également en favorisant son ouverture politique et en ouvrant la voie à la coopération régionale au Proche-Orient.
    Enfin, en raison de son poids politique, culturel, démographique et économique ainsi que de son rôle incontournable dans une région à hauts risques, l'Egypte est un partenaire essentiel à la réussite du processus euro-méditerranéen.
    Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, les principales observations qu'appelle l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre les communautés européennes et leurs états membres, d'une part, et la République arabe d'Egypte, d'autre part, qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation.
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires étrangères.
    M. Jean-Claude Guibal, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons ce matin à nous prononcer sur le projet de loi autorisant la ratification de l'accord euro-méditerranéen, qui établira une association entre l'Union européenne et les Etats qui la composent, d'une part, et la République arabe d'Egypte, d'autre part.
    Comme vient de le dire M. le ministre, cet accord s'inscrit dans le cadre de la politique méditerranéenne de l'Union, laquelle vise à construire une zone de stabilité politique et de prospérité économique entre l'Europe et ses voisins de la Méditerranée.
    Depuis toujours, mais plus encore depuis son élargissement, l'Union européenne doit porter attention au bassin méditerranéen. Il est le berceau de sa civilisation : ses religions, ses valeurs morales, sa culture, ses principes politiques y ont trouvé leurs sources. Il est l'épicentre des tensions qui peuvent menacer sa sécurité ou au contraire nourrir et féconder le dialogue des cultures auquel nous aspirons.
    Sa rive sud sera lourde, dans vingt ans, d'une population de 344 millions d'habitants. Demain, la Méditerranée sera jeune et peuplée tandis que l'Europe sera plus vieille qu'elle n'a jamais été. Si nous ne voulons pas avoir, à une heure d'avion de nos côtes, des peuples désespérés et des pays déstabilisés, si nous ne voulons pas être confrontés à des flux migratoires massifs, notre devoir, mais aussi notre intérêt, nous dicte de contribuer au développement économique, à la création d'emplois et au renforcement des équillibres politiques sur la rive sud de la Méditerranée.
    L'enjeu, du reste, va bien au-delà. En fait, c'est l'équilibre même de l'Union européenne et donc sa pérennité qui sont aussi en cause. Du fait de son élargissement aux pays d'Europe centrale, l'Union européenne va voir son centre de gravité se déplacer vers le nord. Portée par la résurgence des identités que suscite l'unification de l'espace économique, la sociologie clanique des régions méridionales pourrait alimenter des forces centrifuges qui remettraient en cause la patiente construction de l'Union.
    Par ailleurs, n'est-ce pas aussi l'intérêt bien compris de la France que soit maintenu en Europe l'équilibre entre le Nord et le Sud ? Si notre pays a, tout au long de son histoire, joué un rôle si important en Europe, n'est-ce pas parce qu'il était le lieu d'équilibre entre ses composantes méridionales et septentrionales, latines et germaniques ?
    Bref, l'intérêt de la France est que se constitue, fortement arrimé à l'Europe par des accords d'association, mais dans le respect de leurs identités respectives, un pôle des nations méditerranéennes, dont certaines sont par aillers francophones. Notre pays doit être à l'avant-garde de ce mouvement qui n'est pas sans rappeler le processus de construction de l'Union européenne elle-même.
    La politique méditerranéenne de l'Union s'appuie sur deux piliers complémentaires : le premier concerne le renouvellement et l'approfondissement des accords bilatéraux de coopération conclus au cours des années soixante-dix avec la plupart des pays du Maghreb et du Machrek.
    Le second consiste en un partenariat global défini à la conférence de Barcelone en novembre 1995. Il engageait, d'une part, l'Union et chacun des quinze pays qui la composaient et, d'autre part, douze pays de la rive sud de la Méditerranée : le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, l'Egypte, l'Autorité palestinienne, Israël, la Jordanie, le Liban, la Syrie, Malte, la Turquie et Chypre.
    Tous ces pays, à l'exception de la Syrie, ont désormais conclu un accord d'association avec l'Union européenne, mais six à peine de ces accords sont entrés en vigueur du fait de la lenteur des processus de ratification.
    Dernier rappel enfin, les projets de coopération inscrits dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen sont, pour l'essentiel, financés par les programmes MEDA et la Banque européenne d'investissement à hauteur de 13 milliards d'euros pour la période 2000-2006.
    Dans ce contexte, trop rapidement évoqué, quel pays allons-nous décider d'associer à l'Union européenne en adoptant le projet de loi qui nous est soumis ?
    L'Egypte est un pays d'un million de kilomètres carrés et de 69 millions d'habitants. C'est le pays le plus peuplé du monde arabe ; son potentiel de développement est considérable. C'est un pays aux frontières immuables depuis son origine ; un pays familier de l'éternité et qui, tout au long d'une histoire de plus de 6 000 ans, a vécu au rythme régulier et quasi intemporel du fleuve qui l'a créé ; un pays qui a été la matrice de notre civilisation et de notre patrimoine spirituel ; un pays pacifique où s'enseigne, à la mosquée Al Azhar, un islam traditionnel, ouvert et modéré, véritable rempart contre les dérives terroristes d'une religion instrumentalisée ; un pays enfin qui occupe une position stratégique à la charnière de trois mondes : l'Afrique, le Moyen-Orient et la Méditerranée.
    L'Egypte est aussi un pays qui a fait de l'Union européenne son premier partenaire commercial et qui s'affirme comme l'un des principaux clients de la France dans la région. L'enjeu majeur qu'elle représente en Méditerranée nécessite que nous intensifiions nos échanges avec elle.
    L'accord d'association avec l'Egypte a été paraphé le 26 janvier 2001 à Bruxelles au terme de longues hésitations du côté égyptien, du fait notamment des conséquences prévisibles du démantèlement tarifaire, du volet agricole et de certaines dispositions sociales concernant en particulier la réadmission des personnes et les droits des travailleurs.
    Sa signature, intervenue le 25 juin 2001 à Luxembourg, six mois après le paraphe, résulte d'un arbitrage politique du Président Moubarak lui-même qui a voulu ainsi, comme M. le ministre l'a souligné, clairement exprimer sa volonté d'équilibrer les relations de l'Egypte entre les Etats-Unis et l'Union européenne et réaffirmer dans le même temps sa détermination à insérer son pays dans le commerce mondial.
    Il est néanmoins possible que la ratification de l'accord par le Parlement égyptien, qui devrait en débattre en février prochain, fasse ressurgir certaines réticences.
    Quant à son contenu, l'accord avec l'Egypte correspond dans ses grandes lignes au modèle d'accords déjà conclus par l'Union avec ses autres partenaires méditerranéens. Survolons ses principales dispositions.
    Dans son volet économique, l'accord pose le principe de l'établissement progressif d'une zone de libre-échange, au cours d'une phase de transition de douze ans, conforme aux règles de l'Organisation mondiale du commerce.
    Il met en place une libéralisation asymétrique des échanges industriels, immédiate pour l'Union et étalée pour l'Egypte sur trois, neuf, douze et quinze ans selon les produits, tout en prévoyant une clause de sauvegarde qui permet à l'Egypte de rétablir ou de majorer des droits de douane pour une durée limitée.
    Cette évolution vers le libre-échange s'accompagnera d'un volet de coopération économique, de la libéralisation des paiements relatifs aux transactions courantes et de la libre circulation des capitaux engagés dans des investissements directs.
    S'agissant des produits agricoles, enfin, l'accord prévoit l'ouverture de négociations trois ans après son entrée en vigueur en vue de permettre aux parties de prendre des mesures de libéralisation de leurs échanges.
    Face à ces perspectives de libre-échange, comment se présente l'économie égyptienne ?
    A la fin des années 80, l'Egypte a fait le choix d'une réforme de grande ampleur de sa politique économique en s'engageant dans un programme d'ajustement et de libéralisation soutenu par le FMI. Si les mesures de stabilisation ont été couronnées de succès au début des années 90, la politique de libéralisation économique rencontre des résistances internes et ne progresse qu'à pas comptés. L'attachement des autorités à la stabilité sociale et politique a freiné certaines réformes structurelles indispensables pour que l'Egypte connaisse l'essor d'autres pays émergents.
    La situation sociale, quant à elle, ne s'est pas, c'est le moins qu'on puisse dire, améliorée de façon significative. En même temps que se sont réalisés des progrès spectaculaires, comme l'augmentation de l'espérance de vie, les inégalités se creusent, l'analphabétisme dépasse 44 %, et la situation des plus pauvres se détériore.
    Par ailleurs, la croissance démographique reste forte et devrait amener la population de l'Egypte à dépasser 90 millions d'habitants en 2030. Pour l'instant, 700 000 personnes environ arrivent chaque année sur le marché du travail, alors que l'économie égyptienne ne parvient à créer que 400 000 emplois, dont une grande partie dans le secteur public. Il en résulte une hausse constante du chômage, dont le taux est de 8 % officiellement, mais d'au moins 20 % selon d'autres sources.
    Dans son volet politique, l'accord instaure un dialogue régulier qui pourra porter sur tous les sujets d'intérêt commun, notamment la paix, la sécurité, la démocratie et le développement régional.
    Il rappelle, par ailleurs, que les relations entre les parties se fondent sur le respect des droits de l'homme et des principes démocratiques, lesquels constituent un élément essentiel de l'accord. L'Union pourrait, du reste, suspendre l'application de ce dernier en cas de violation grave des droits de l'homme par la partie égyptienne.
    Le bilan de l'Egypte en matière de droits de l'homme est aujourd'hui mitigé, pour des raisons d'ailleurs compréhensibles. La lutte antiterroriste, la crainte de nouveaux attentats désastreux pour le tourisme, et donc pour l'économie nationale, l'activité des associations islamistes conduisent ce pays, malgré sa tradition juridique de grande qualité et l'indépendance réelle de son pouvoir judiciaire, à donner actuellement la priorité à la sécurité. L'attentat de Louxor avait contraint le gouvernement à contrôler et réprimer les mouvements liés à l'islamisme violent. La situation internationale depuis le 11 septembre oblige à maintenir cette vigilance.
    La ratification de l'accord d'association entre l'Egypte et l'Union européenne s'impose à nous. Refuser d'appliquer les dispositions du processus de Barcelone au pays le plus peuplé et stratégiquement le plus important du sud de la Méditerranée serait renoncer à la politique méditerranéenne de l'Union européenne. Or, quoi qu'en pensent nos partenaires septentrionaux, la politique méditerranéenne de l'Union est essentielle à sa sécurité et doit donc, ne serait-ce que pour cela, être renforcée.
    Il convient tout d'abord d'accélérer les processus de ratification. Ceux-ci nécessitent en moyenne trois à quatre ans, ce qui est beaucoup trop long, et reporte de deux ans, soit en 2020, l'instauration du libre-échange avec les pays de la Méditerranée.
    Il faut aussi accroître de façon significative l'effort financier en faveur des investissements directs qui y sont réalisés. Pour prendre la mesure de l'enjeu, 20 à 22 milliards d'euros par an, au lieu de 13 sur sept ans, seraient nécessaires pour avoir une incidence économique susceptible de stabiliser l'émigration à son niveau actuel.
    Le développement d'une assistance technique destinée à aider les bénéficiaires du programme MEDA à préparer et présenter leurs projets serait également souhaitable, de même qu'une augmentation significative des fonds affectés au développement de la coopération régionale.
    Vous l'avez compris, mes chers collègues, en vous demandant d'adopter le projet de loi autorisant la ratification de l'accord euro-méditerranéen avec l'Egypte, je vous invite aussi à relancer vigoureusement et à renouveler la politique méditerranéenne de l'Union, y compris au-delà de ces quelques ajustements.
    M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Henri Sicre.
    M. Henri Sicre. Monsieur le président, monsieur le ministre à la coopération et à la francophonie, mes chers collègues, le groupe socialiste votera, à l'issue de ce débat, l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre l'Union européenne et l'Egypte.
    Ce vote est de bon sens. L'intérêt bien compris de l'Europe, comme celui de la France, nous le commande. L'Europe a deux frontières ouvertes, qu'elle se doit de consolider et de stabiliser de la façon la plus sage qui soit : en coopérant, tant avec les pays et les peuples qui se trouvent à l'Est qu'avec ceux qui se trouvent au Sud.
    Certains voudraient caricaturer ces propos pour laisser entendre que les uns et les autres voudraient tirer dans des sens opposés. Les Quinze ont avec raison décidé d'avancer de façon constructive dans les deux azimuts.
    Beaucoup de choses ont été dites - et avec une passion que je ne comprends pas bien - à propos de la Turquie, à cheval sur l'Est et sur le Sud. Beaucoup de choses ont été dites aussi sur l'identité de l'Europe et ses limites géographiques supposées. Laissons l'imagination institutionnelle, qui n'a jamais fait défaut aux pères fondateurs de la Communauté et à leurs héritiers de l'Union européenne, rendre à Charlemagne ce qui lui revient.
    Pour ma part, je constate que jusqu'ici les articulations proposées au fil des ans sous la forme de cercles concentriques et complémentaires répondent à ce qui doit être : négociations d'adhésion avec certains, accords d'association avec d'autres, processus de stabilisation pour les Etats des Balkans. Sous une forme ou sous une autre, ainsi que le constatait pour s'en féliciter notre collègue et ancien ministre Dominique Strauss-Kahn, il y a quelques jours, l'Europe reconstitue les liens historiques qui furent les siens autour de la Méditerranée.
    Cette satisfaction n'interdit cependant pas les regrets. L'ambition méditerranéenne de l'Europe a pris, en 1995, à Barcelone, une dimension exigeante. Elle avait en effet pour objectif avoué de monter en puissance avec les accords de paix signés à Madrid, quelque temps auparavant, entre Israël et les Palestiniens. Tous les traités signés ont été, à cet effet, assortis d'un article faisant référence aux valeurs démocratiques et d'un titre consacré au dialogue politique. L'accord avec l'Egypte qui est soumis à notre approbation ce matin ne fait pas exception.
    Au fil des ans, l'Europe a tissé des liens contractuels avec la rive sud de la Méditerranée. Pourtant, ces traités restent imparfaits pour une raison que nous connaissons tous ici. Les engagements négociés à Oslo et signés à Madrid ont été tenus très partiellement les premières années. Ils ne sont plus respectés aujourd'hui. Chacun doit assumer sa part de responsabilité. L'Europe, principal donateur, devrait et pourrait rappeler à l'Autorité palestinienne que les bombes visant des civils ne servent pas leur cause. L'Europe devrait et pourrait rappeler au gouvernement israélien que la poursuite de la colonisation et une répression affectant des populations civiles alimentent les haines. La paix est toujours difficile. Elle suppose des compromis douloureux.
    Si le dialogue politique prévu par les traités euro-méditerranéens a un sens et une portée effective, l'Europe devrait avoir le courage d'utiliser l'arme des traités. J'ajouterai que celle-ci est à double détente. En effet, j'ai feuilleté les rubriques « Egypte » et « France » du dernier rapport sur les droits de l'homme publié par Amnesty international. Chacun des deux Etats pourrait trouver matière à critiquer l'autre en s'appuyant sur les articles 2 et suivants de l'accord qui nous est soumis ce matin. Sauf à considérer - c'est une question que je vous pose pour conclure, monsieur le ministre -, que ces articles n'ont qu'une portée virtuelle.
    M. François Loncle. Très bien !
    M. le président. La discussion générale est close.

Article unique

    M. le président. « Article unique. - Est autorisée la ratification de l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la République arabe d'Egypte, d'autre part, signé à Luxembourg le 25 juin 2001, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
    Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
    (L'article unique du projet de loi est adopté.)

5

CONVENTION FRANCE-SUISSE RÉSEAU FERRÉ

Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée,
d'un projet de loi adopté par le Sénat

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relative au raccordement de la Suisse au réseau ferré français, notamment aux liaisons à grande vitesse (ensemble une annexe) (n°s 271 et 457).
    Je rappelle que ce texte sera examiné selon la procédure d'examen simplifiée en application de l'article 106 du réglement.
    La parole est à M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
    M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, la France et la Suisse ont signé le 5 novembre 1999 à Genève un accord concernant le raccordement du territoire helvétique au réseau ferré français afin d'améliorer les liaisons entre les deux pays.
    Les autorités et les citoyens de la Confédération helvétique ont depuis longtemps pris la mesure des enjeux du transport ferroviaire pour le franchissement des Alpes et du Jura, enjeux d'autant plus forts que la Suisse est par sa géographie, à l'instar de la France, un des grands pays pour le transit européen des voyageurs et des marchandises. Ainsi, la mise en valeur des liaisons entre Berne, Lausanne et Dijon, l'amélioration de la liaison de Genève vers Paris par Bellegarde et Bourg-en-Bresse et celle de Bâle vers Paris font partie du projet global de raccordement de la Suisse au réseau ferroviaire européen à grande vitesse.
    L'accord du 5 novembre 1999 se place dans le cadre des décisions du Conseil fédéral suisse d'affecter une partie des investissements prévus par le programme suisse de construction de lignes ferroviaires à travers les Alpes à l'amélioration du raccordement de la Suisse au réseau européen à grande vitesse. Ce principe, approuvé par les chambres fédérales suisses en avril 1998, a été adopté par référendum du peuple suisse en novembre 1998.
    En conséquence, l'accord a pour objectif de rechercher une amélioration des liaisons ferroviaires par des mesures d'exploitation et des investissements sur le réseau ferré national français. Il privilégie quatre axes majeurs de transport : Paris-Genève, Paris-Lausanne, Paris-Neufchâtel-Berne et Paris-Bâle.
    Il est prévu que les Etats français et suisse apportent les contributions financières nécessaires à la réalisation des travaux d'infrastructures prévus. Une répartition de ces contributions a été recherchée en tenant compte des intérêts respectifs des deux Etats. A ce titre, les autorités suisses ont, d'ores et déjà, accepté de financer un peu moins de 50 % du montant du projet de réouverture de la ligne entre Bourg-en-Bresse et Bellegarde et du projet de modernisation de la ligne entre Dijon et Neufchâtel-Berne sur le territoire français. Pour partie, ce projet figure également dans les contrats de plan Etat-région concernés.
    Je tiens à souligner l'intérêt de cet accord puisque ce financement suisse porte sur des projets qui sont intégralement situés sur le territoire français et que le Conseil fédéral suisse envisage également une participation financière au projet de ligne à grande vitesse Rhin-Rhône. Les discussions se poursuivent à cet effet.
    Afin de veiller à la concrétisation rapide des objectifs de cet accord, un comité de pilotage se réunit à intervalles réguliers depuis la date de sa signature. Les entreprises gestionnaires des infrastructures et les exploitants ferroviaires des deux pays participent, en tant que de besoin, aux travaux de ce comité de pilotage.
    Ces différents éléments m'amènent à souligner tout l'intérêt de cet accord. En effet, la Suisse apprécie la qualité de nos infrastructures ferroviaires, le maillage TGV de notre territoire national et son insertion européenne. Soucieuse du coût de réalisation important de ces infrastructures, elle a souhaité s'associer au financement de ces améliorations afin d'accélérer la desserte de grandes villes suisses par notre réseau national.
    Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, les principales dispositions de l'accord qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation.
    M. le président. La parole est à M. Marc Reymann, suppléant M. Bernard Schreiner, rapporteur de la commission des affaires étrangères.
    M. Marc Reymann, suppléant M. Bernard Schreiner, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, force est de constater qu'aujourd'hui les principales villes de la Confédération helvétique ne bénéficient pas de relations ferroviaires suffisantes avec notre pays alors même que les autorités suisses ont engagé de leur côté un ambitieux programme de développement du transport ferroviaire.
    Les trois axes principaux d'accès à la Suisse depuis la France desservent Genève, Berne, Lausanne et Bâle, et les temps de parcours sont compris entre trois heures trente pour Genève et quatre heures cinquante pour Bâle dont la ligne n'est même pas électrifiée. Il existe, par ailleurs, des liaisons de caractère secondaire dont certaines ont été désaffectées.
    Des améliorations sont donc nécessaires, d'autant que la Suisse s'est engagée dans une politique de modernisation de ses transports ferroviaires, dont les orientations ont été approuvées par une votation en date du 29 novembre 1998. La Confédération helvétique a, d'ores et déjà, conclu des conventions avec l'Allemagne et l'Italie portant sur le trafic ferroviaire transalpin.
    La convention signée à Genève le 5 novembre 1999 détermine des objectifs communs aux deux pays en matière de politique ferroviaire. Elle ne définit toutefois pas de délais pour sa mise en oeuvre, chaque pays demeurant maître du calendrier de réalisation des infrastructures.
    La convention pose par ailleurs le principe du cofinancement des projets d'intérêt commun, ce qui permet de faire participer la Suisse au financement de certains des travaux envisagés sur notre territoire. La mise en oeuvre de la convention devra également « assurer la cohérence avec les besoins exprimés au niveau régional ». Par ailleurs, les infrastructures nouvelles devraient également permettre de développer le fret et le transport combiné rail-route, du fait de la libération de capacités sur les lignes existantes, en raison de la création de lignes nouvelles. La convention définit enfin une procédure de concertation technique et stratégique entre la France et la Suisse.
    Grâce à cette convention, la liaison Paris-Genève doit faire l'objet d'importantes améliorations d'ici à 2006 : la ligne ferroviaire de Bourg-en-Bresse à Bellegarde - soixante-cinq kilomètres -, fermée à tout trafic depuis 1990, doit être réhabilitée et électrifiée, ce qui permettra de gagner trente minutes en diminuant le parcours de quarante-sept kilomètres. Dans une étape ultérieure, la desserte de Genève devrait en outre être améliorée par la réalisation des branches ouest et sud du TGV Rhin-Rhône. Le temps de parcours serait ainsi ramené à deux heures trente contre trois heures trente-cinq aujourd'hui. Le coût total des améliorations de la liaison est estimé à 250 millions d'euros, les autorités suisses ayant annoncé le 18 janvier dernier leur participation pour 110 millions d'euros.
    La liaison transjurassienne doit également faire l'objet de travaux de modernisation, notamment en matière d'alimentation électrique.
    La liaison Paris-Bâle, enfin, devrait également bénéficier de la réalisation du TGV Rhin-Rhône, puisque celui-ci ouvrirait la possibilité de parcourir le trajet de Paris et Mulhouse grâce à une ligne à grande vitesse, ramenant ainsi le trajet de quatre heures cinquante à deux heures trente. Dans l'attente de la réalisation de cette infrastructure, le TGV Est devrait pour sa part permettre de rallier Bâle par Strasbourg, de manière plus rapide que par l'actuelle ligne en trois heures trente minutes contre quatre heures cinquante minutes.
    L'amélioration de cette liaison est donc suspendue aux résultats de l'audit sur les projets de liaisons ferroviaires routières et fluviales qui a été annoncé le 7 août dernier. La commission des affaires étrangères, et son rapporteur, M. Bernard Schreiner, que je supplée aujourd'hui, ont donc souhaité obtenir des précisions du Gouvernement en séance publique sur la date de remise des conclusions de l'audit et sur l'organisation d'un éventuel débat au Parlement sur ces questions d'aménagement du territoire très importantes pour l'amélioration des relations franco-suisses mais aussi pour l'Est de la France. Aussi, souhaiterais-je que le Gouvernement puisse éclairer la représentation nationale sur les choix opérés pour la réalisation du TGV Est européen et du TGV Rhin-Rhône, dont la mise en service était respectivement prévue en 2007 et 2010.
    En conclusion, j'indiquerai que cette convention constitue un instrument utile pour l'amélioration des relations entre la France et la Suisse en promouvant un mode de transport non polluant et économe en énergie. La commission des affaires étrangères vous propose donc d'autoriser son approbation en adoptant le présent projet de loi.
    M. le président. Aucun orateur n'est inscrit dans la discussion générale.
    La parole est à M. le ministre.
    M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Si vous le permettez, monsieur le président, j'aimerais répondre aux questions posées par M. le rapporteur suppléant.
    Les conclusions de l'audit devaient être remises à la fin de l'année 2002 mais, du fait d'un petit décalage, la date a été repoussée à la fin du mois de janvier.
    Quant au débat parlementaire, il est prévu qu'il soit organisé au printemps prochain dans les limites des possibilités de votre assemblée.

Article unique

    M. le président. « Article unique. - Est autorisée l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relative au raccordement de la Suisse au réseau ferré français, notamment aux liaisons à grande vitesse (ensemble une annexe), signée à Genève le 5 novembre 1999, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
    Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
    (L'article unique du projet de loi est adopté.)

6

CONVENTION FRANCE-ALLEMAGNE
DOUBLES IMPOSITIONS

Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée,
d'un projet de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre la République française et la République fédérale d'Allemagne en vue d'éviter les doubles impositions et d'établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, ainsi qu'en matière de contributions des patentes et de contributions foncières, du 21 juillet 1959, modifiée par l'avenant du 9 juin 1969 et par l'avenant du 28 septembre 1989, signé à Paris le 20 décembre 2001 (n°s 337, 522).
    Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce texte serait examiné selon la procédure d'examen simplifiée.
    Conformément à l'article 107 du règlement, je mettrai directement aux voix l'article unique du projet de loi.
    J'appelle maintenant l'article unique du projet de loi dans le texte du Sénat.

Article unique

    M. le président. « Article unique. - Est autorisée l'approbation de l'avenant à la convention entre la République française et la République fédérale d'Allemagne en vue d'éviter les doubles impositions et d'établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, ainsi qu'en matière de contributions des patentes et de contributions foncières, du 21 juillet 1959, modifiée par l'avenant du 9 juin 1969 et par l'avenant du 28 septembre 1989, signé à Paris le 20 décembre 2001, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
    Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
    (L'article unique du projet de loi est adopté.)

7

ACCORD FRANCE-RUSSIE
RESPONSABILITÉ CIVILE
DOMMAGES NUCLÉAIRES

Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée,
d'un projet de loi adopté par le Sénat

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif à la responsabilité civile au titre des dommages nucléaires du fait de fournitures en provenance de la République française destinées à des installations nucléaires en Fédération de Russie (n°s 273, 523).
    Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce texte serait examiné selon la procédure d'examen simplifiée.
    Conformément à l'article 107 du règlement, je mettrai directement aux voix l'article unique du projet de loi.
    J'appelle maintenant l'article unique du projet de loi dans le texte du Sénat.

Article unique

    M. le président. « Article unique. - Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif à la responsabilité civile au titre des dommages nucléaires du fait de fournitures en provenance de la République française destinées à des installations nucléaires en Fédération de Russie, signé à Paris le 20 juin 2000, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
    Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
    (L'article unique du projet de loi est adopté.)

8

CONVENTION FRANCE-ANDORRE
COOPÉRATION ADMINISTRATIVE

Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée,
d'un projet de loi adopté par le Sénat

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre relative à la coopération administrative (n°s 269, 524).
    Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce texte serait examiné selon la procédure d'examen simplifiée.
    Conformément à l'article 107 du règlement, je mettrai directement aux voix l'article unique du projet de loi.
    J'appelle maintenant l'article unique du projet de loi dans le texte du Sénat.

Article unique

    M. le président. « Article unique. - Est autorisée l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre relative à la coopération administrative, signée à Andorre-la-Vieille le 14 février 2001, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
    Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
    (L'article unique du projet de loi est adopté.)

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à dix heures quarante, est reprise à dix heures cinquante.)
    M. le président. La séance est reprise.

9

SÉCURITÉ INTÉRIEURE

Suite de la discussion d'un projet de loi
adopté par le Sénat après déclaration d'urgence

    M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, pour la sécurité intérieure (n°s 381, 508).

Motion de renvoi en commission

    M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.
    La parole est à M. Manuel Valls, pour une durée qui ne peut excéder une heure trente.
    M. Manuel Valls. Monsieur le président, monsieur le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, chers collègues, conformément aux dispositions du sixième alinéa de l'article 91 de notre assemblée, je suis amené au nom du groupe socialiste à présenter une motion de renvoi en commission. L'examen du texte du Gouvernement ne peut, en effet, à notre sens, se faire sans qu'une réflexion plus approfondie ait été entreprise par la représentation nationale sur cette question.
    L'attente de nos concitoyens sur ce sujet est immense, leur angoisse réelle. La demande de sécurité est légitime. Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas, économiser notre temps et notre énergie pour mieux faire vivre le droit à la sécurité.
    L'équilibre à trouver entre prévention et répression, entre encadrement et liberté, mérite un débat approfondi, une réflexion associant davantage les parlementaires à la définition des évolutions de la politique de sécurité.
    Légiférer, agir  - c'est votre obsession, monsieur le ministre, on ne peut pas vous le reprocher -, donner des moyens à la sécurité, communiquer, pour convaincre sur le terrain - et j'ai apprécié votre présence à Evry mardi matin - c'est donner une réponse politique à la crise révélée - et on sait avec quelle force ! - par le 21 avril 2002. C'est une réponse évidente - qui peut le nier ? - mais partielle. Pourtant, à entendre les partisans de la majorité, c'est « la » réponse à la fois suprême, ultime et unique, et donc suffisante.
    Le problème du Gouvernement, d'une partie de la droite, et même de certains secteurs de la gauche, est, à mon sens - et je ne vous fais pas ce reproche, monsieur le ministre - de ne pas avoir vu le 21 avril tel qu'il est, c'est-à-dire comme un cataclysme, un avertissement terrible adressé aux politiques et, plus largement, aux élites de ce pays. Ce n'est pas un accident, qui a conduit à un heureux dénouement pour le candidat Jacques Chirac grâce aux effets conjugués de la division à gauche et de l'effort d'union à droite. Ce n'est pas l'aboutissement logique de l'alternance, phénomène habituel et cyclique dans tout pays démocratique, même si, chez nous - et c'est l'un des symptômes de cette crise - elle est à répétition.
    Le mandat que le Président de la République a reçu des Français le 5 mai, grâce au sursaut républicain de nos concitoyens, devrait être un mandat pour sortir notre pays de la crise de confiance qu'il traverse.
    Le message des électeurs, et plus largement de nos concitoyens, dont beaucoup ne sont pas allés voter, est complexe. Il porte des attentes contradictoires, des envies, des espoirs, des émotions, des dégoûts, des frustrations. Il exprime brutalement, le rejet des forces qui ont gouverné notre pays depuis vingt-cinq ans et de pratiques politiques et institutionnelles décalées.
    Nous devons tenir compte de la composition hétérogène de ce vote. Nous ne pouvons pas la sous-estimer et croire qu'il est possible d'y répondre par un seul et unique biais. Or la sécurité semble être devenue l'unique thématique d'action forte de la droite, un précieux sacerdoce en ces temps de disette et de faiblesse de l'action politique gouvernementale.
    La politique du gouvernement de M. Raffarin est en effet caractérisée par un manque cruel de vision et par une absence de souffle. J'en veux pour preuve les balbutiements sur la décentralisation, réforme-symbole du quinquennat. Son esprit et ses modalités d'application sont rectifiés au gré des interventions des uns et des autres. Critiquée par de hauts personnages de la République, elle rompt l'égalité des citoyens sur le territoire, ne répond pas aux attentes de nos concitoyens et ne participe pas à la nécessaire clarification des champs de compétence des différents degrés administratifs. Créatrice de nouvelles féodalités, l'acte 2 de la décentralisation est, dans son esprit, un échec.
    La politique du gouvernement de M. Raffarin signe aussi la mort des politiques actives pour l'emploi. Les dispositifs pour l'emploi - 35 heures, emplois-jeunes, TRACE, CES -, qui ont pourtant fait leurs preuves, sont aujourd'hui condamnés. 900 000 chômeurs de moins en cinq ans ! Aucun gouvernement de la Ve République n'avait fait baisser ainsi le nombre de chômeurs avant celui de Lionel Jospin.
    M. Pierre Cardo. Si c'était le Gouvernement qui avait fait baisser le chômage, ça se saurait !
    M. Manuel Valls. La longue liste des plans sociaux, qui sont souvent, mais pas seulement, ce que l'on appelle des licenciements boursiers, c'est-à-dire la fermeture d'unités générant des profits jugés insuffisants, aurait dû renforcer l'activisme de notre pays en faveur de l'emploi et non amener à la suppression de la loi de modernisation sociale.
    L'hiver social est rude. Le « Monsieur Plans sociaux » du Gouvernement, nommé par M. Fillon, substitut « marketing » à une loi efficace, ne va pas, lui, manquer d'activité !
    Le dispositif des contrats-jeunes en entreprise créés par la loi d'août 2002 ne contient aucune obligation de formation et se borne à une exonération de charges sans contrepartie : il montrera les limites d'une conception passéiste de ce qui constitue la valeur du travail.
    M. Jean-Michel Ferrand. La vôtre est archéo-socialiste !
    M. Manuel Valls. L'accusation faite à la fiscalité française de bloquer les initiatives est simpliste. Les actifs français ne sont pas trop « chers » Les décisions d'investir en France, et plus largement dans tout pays industrialisé, tiennent beaucoup plus à la compétitivité qualité-qualification, au niveau des infrastructures proposées sur les territoires, qu'à une quelconque compétitivité sur le prix. Le meilleur moyen de lutter contre le chômage dans notre pays est donc d'accroître toujours plus la qualification des actifs et de travailler, par un développement de la formation, à la réinsertion des chômeurs de longue durée.
    Les choix macroéconomiques du nouveau gouvernement sont, eux aussi, sources d'inquiétude.
    M. Pierre Cardo. Les emplois-jeunes Raffarin sont de longue durée !
    M. Manuel Valls. Ces choix peuvent être stériles. C'est le cas de la baisse de l'impôt sur le revenu, qui ne stimule pas la croissance à une moment où il est pourtant nécessaire de la relancer. Outre qu'elle est injuste, elle nuit aux capacités d'action de l'Etat dans notre pays. Les baisses d'impôt profitent surtout aux 5 % de ménages les plus favorisés.
    M. Jérôme Rivière. Ils paient des impôts !
    M. Manuel Valls. Elles accroissent la capacité d'épargne de ces derniers, ce qui présente peu d'intérêt à un moment où les taux d'intérêt sont historiquement bas.
    La réforme de la taxe d'habitation, et donc sa réduction, aurait, elle, été bénéfique car elle aurait touché une grande partie des ménages. Les baisses d'impôt auraient été consacrées à la consommation et auraient stimulé la croissance.
    Mais les choix économiques du Gouvernement ne sont pas seulement stériles, ils sont aussi dangereux. Les hypothèses de croissance irréalistes retenues pour bâtir le projet de loi de finances pour 2003 constituent une erreur lourde qui sonne comme le retour du laxisme budgétaire. Revenir sur la dynamique engagée par le gouvernement de Lionel Jospin est une erreur. Elle affaiblit la voix de notre pays en Europe, elle nous décrédibilise. En outre, pour les générations futures, elle crée une dette qui réduira les marges de manoeuvre de l'action publique. Qu'il s'agisse de réforme, d'emploi, ou d'économie, notre pays est sur la mauvaise voie.
    Les choix du Gouvernement synthétisés dans la loi de finances de 2003 ne sont pas sans nous inquiéter quant à la qualité de la réponse apportée à la crise politique et de confiance que traverse notre pays. Nous sommes bien au coeur du débat d'aujourd'hui.
    Avec le nouveau gouvernement, l'éducation a cessé d'être une priorité : fin des aides-éducateurs, oraison funèbre pour le plan pluriannuel du précédent gouvernement, un plan qui prévoyait la création de 185 000 postes d'enseignants, correspondant aux besoins en personnel notamment dans les quartiers populaires et pour pallier les départs en retraite. Le ministre-philosophe, transformé en combattant de la lutte contre l'illettrisme, sert de paravent ; il masque l'absence d'ambition du Gouvernement pour l'éducation.
    L'école - et nous savons que la tâche des enseignants est de plus en plus difficile - est pourtant l'institution républicaine la plus traditionnellement productrice d'égalité. Les nouvelles annonces de ce matin, à quelques jours d'une grève nationale, ne trompent personne. Elles sont par ailleurs contradictoires avec ce que Luc Ferry nous a dit sur le fond et, encore une fois, avec les dispositions de la loi de finances 2003.
    L'égalité et la justice sociale sont absentes du discours du Gouvernement. La justice sociale est passée aux oubliettes. Le diagnostic de la fracture sociale, formidable argument de campagne en son temps, une fracture que le gouvernement Jospin voulait combler avec la couverture maladie universelle, la loi contre l'exclusion, la prime pour l'emploi, l'allocation personnalisée d'autonomie, demeure pertinent.
    M. Pierre Cardo. Ne sortez-vous pas un peu du sujet ?
    M. Manuel Valls. Aujourd'hui, rien n'est véritablement entrepris pour restaurer l'ascenseur social et pour créer des repères régénérant l'espoir. C'est essentiel pourtant.
    M. Jean-Michel Ferrand. Il ne croit pas à ce qu'il dit !
     Manuel Valls. Recréer l'espoir, justement, passe par la reconstruction des quartiers populaires.
    M. Jean-Michel Ferrand. Vous y avez fait du beau travail, vous !
    M. Manuel Valls. Or, celle-ci, malgré l'activisme du ministre délégué à la ville, M. Borloo, n'est pas pour demain. Alors que depuis des années l'Etat met à la disposition du ministère de la ville des moyens supplémentaires - sans doute insuffisants par rapport à la gravité de la situation ...
    M. Pierre Cardo. Ça fait vingt ans que vous avez mené une politique de la ville ! Pour quels résultats ?
    M. Manuel Valls. ... mais tout de même significatifs par des hausses sensibles de son budget, ce qui a notamment permis de lancer le dispositif des grands projets urbains, puis des grands projets de ville, le budget de la ville est cette année en stagnation.
    L'écart est grand entre les belles intentions de M. Borloo, véritable VRP du Gouvernement, et les moyens accordés à sa politique. Cet écart, comme la baisse des crédits pour le logement social, sera à la hauteur des désillusions qui assailliront les habitants de ces quartiers et les élus locaux, toujours heureux d'accueillir le ministre aux promesses si généreuses. Mais - je parlais de désillusion - M. Jean-Louis Borloo, on ne l'entend plus !
    M. Pierre Cardo. Ils sont surtout heureux en ce moment de revoir la police dans les quartiers de leur ville !
    M. Manuel Valls. Cet état de la politique du Gouvernement, ce bilan sur le chemin parcouru sont inquiétants. Le Gouvernement tourne le dos aux priorités sociales constitutives de l'avenir des Français. Alors, il lui reste M. Nicolas Sarkozy et la lutte contre l'insécurité.
    L'insécurité fut, à dire vrai, votre seul thème de campagne notamment depuis le 14 juillet 2001.
    M. Pierre Cardo. C'est quand même un de vos gros échec !
    M. Manuel Valls. Pourtant, je pense que nous sommes nombreux sur tous ces bancs à le comprendre, à l'entendre, le message que les électeurs nous ont adressé va plus loin que la seule lutte contre la délinquance quotidienne, si indispensable soit-elle.
    M. Jean-Michel Ferrand. Et que vous n'avez pas réalisée !
    M. Manuel Valls. Lionel Jospin avait reconnu, avec une modestie qui lui fait honneur, mais qui lui fut terriblement reprochée et encore par vous, monsieur le ministre, il y a quarante-huit heures, qu'il avait fait une erreur.
    M. Pierre Cardo. Qui vous a laissé sans voix !
    M. Jean-Michel Ferrand. C'est le cas de le dire ! (Sourires.)
    M. Manuel Valls. Il avait cru que la seule baisse du chômage, qui depuis vingt-cinq ans laminait notre pacte social, pouvait résoudre une partie des problèmes de notre pays et apporter des réponses à la crise de confiance que nous traversons.
    Cela ne l'a pourtant pas empêché de faire de la sécurité la deuxième priorité de son action dès 1997.
    M. Jean-Michel Ferrand. On ne s'en est pas aperçu !
    M. Manuel Valls. Vous, mesdames, messieurs de la majorité, présentez de façon péremptoire la sécurité comme remède social absolu, oubliant le reste.
    M. Pierre Cardo. Cela n'a jamais été le cas, il faut lire les textes !
    M. Manuel Valls. Mais essayons de nous mettre d'accord. Avec la croissance, les progrès de la justice sociale, la baisse du chômage, l'insécurité ne baisse pas, en tout cas pas automatiquement.
    M. Pierre Cardo. C'est bien évident !
    M. Manuel Valls. Mais sans le progrès social, l'insécurité progresse fatalement. Toute action qui n'en tiendrait pas compte, aussi forte soit-elle, est à moyen et long terme stérile. C'est une vérité empirique.
    M. Jean-Marie Le Guen. Très bien !
    M. Manuel Valls. Aussi, prenez garde à l'effet boomerang.
    M. Jean-Paul Garraud. Vous en savez quelque chose !
    M. Manuel Valls. Vous avez attisé les peurs en 2001 et en 2002, année de parution du sinistre Tolérance zéro de M. Fenech, alors magistrat, et qui a, depuis, intégré nos bancs. Les zélateurs du mythe de la sécurité absolue, les moralisateurs qui blâmaient le précédent gouvernement et qui, dans leur grande modestie, clamaient « nous avons la solution », se retrouvent aujourd'hui face à leur responsabilité.
    M. Christian Estrosi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Mais oui !
    M. Manuel Valls. Ils la prennent de bien mauvaise manière.
    M. Pierre Cardo. Ils essaient de faire mieux que les précédents !
    M. Manuel Valls. La route est à droite, bien sûr, mais la pente demeure très forte. Car les idéologues du pragmatisme absolu, ceux qui défendaient la conception de l'Etat-gendarme pour libérer les initiatives, les pourfendeurs en même temps de l'intervention de l'Etat dans les rapports marchands, tous ces hommes de la majorité vont découvrir que le système qu'ils préconisent est stérile, que la sanction ne vaut rien sans la prévention,...
    M. Jean-Michel Ferrand. Vous n'avez fait ni l'un ni l'autre : ni prévenu ni guéri !
    M. Pierre Cardo. Dans quel état avez-vous laissé le système préventif ?
    M. Manuel Valls. ... que sans espoir de progrès social, la délinquance augmentera.
    L'utilisation des peurs, leur instrumentalisation politicienne dans des documents de campagne, en 2001 notamment, agrémentés de graphiques truqués, tronqués...
    M. Jean-Michel Ferrand. C'est vous qui les avez truqués ! Ce n'est pas possible de déverser des inepties pareilles !
    M. le président. Monsieur Ferrand !
    M. Manuel Valls. ... ont amplifié chez nombre de nos concitoyens un sentiment puissant, le sentiment de peur qui repose évidemment sur la réalité. L'attente de nos concitoyens est à la hauteur du slogan. « Impunité zéro », disiez-vous. Les attentes risquent de se retourner contre ceux qui l'ont créé. Les apprentis sorciers d'hier ont mis en jeu la République entière dans le combat contre l'insécurité.
    M. Bruno Le Roux. Il a raison !
    M. Jean-Marie Le Guen. Très bien !
    M. Jean-Michel Ferrand. Mais il n'y a que lui pour y croire !
    M. Manuel Valls. Votre tâche, votre mission, monsieur le ministre, est donc bien lourde. Votre responsabilité est immense et je souhaite votre réussite, car votre échec serait lourd de conséquences.
    M. Jean-Michel Ferrand. Enfin, une parole intelligente !
    M. Jean-Paul Garraud. Votez le texte !
    M. Manuel Valls. Oui, la lutte contre l'insécurité est une nécessité absolue. Elle devrait transcender les clivages politiques.
    M. Pierre Cardo. Ça n'en prend pas le chemin !
    M. Manuel Valls. Oui, la sécurité est d'abord une demande sociale. A partir des assises de Villepinte d'octobre 1997, moment clé dans l'histoire des rapports entre la gauche et la sécurité, préparé dans l'opposition par Daniel Vaillant et Bruno Le Roux, nous avons porté des réformes, conscients qu'un travail fort sur la sécurité est un impératif social, car effectivement l'insécurité concerne les plus modestes, les plus fragiles.
    M. Pierre Cardo. C'est sûr !
    M. Jean-Michel Ferrand. Il commence à comprendre !
    M. Manuel Valls. Nous pouvons tous décrire nos expériences. Tous les jours, comme vous nous sommes révoltés par le témoignage des victimes de l'insécurité...
    M. Jean-Michel Ferrand. Et alors, qu'avez-vous fait ?
    M. Manuel Valls. ... les jeunes lycéens rackettés, les salariés smicards qui voient leur voiture partir en fumée.
    M. Jean-Michel Ferrand. Il est un peu tard pour vous en apercevoir !
    M. Manuel Valls. Nous n'avons aucune leçon à recevoir de vous ! Le grand reproche que de nombreux parlementaires de la majorité adressent à la gauche est de n'avoir rien fait sur la sécurité. C'est absurde et caricatural.
    M. Jean-Michel Ferrand. C'est la vérité !
    M. Manuel Valls. Notre méthode, celle du Gouvernement Jospin a été d'aborder le problème de la sécurité avec réalisme...
    M. Pierre Cardo. La Realpolitik ?
    M. Manuel Valls. ... de l'aborder avec la volonté d'y apporter des solutions concrètes, au fond, comme vous, monsieur le ministre !
    M. Jean-Michel Ferrand. Vous êtes un humoriste !
    M. Manuel Valls. Avec la conviction que la sûreté - c'est le terme employé par la Déclaration des droits de l'homme de 1789 - constitue le socle nécessaire à l'exercice de toutes les libertés, nous avons agi contre l'insécurité.
    M. Jean-Michel Ferrand. Ah bon ?
    M. Manuel Valls. C'est pourquoi, nous avons porté des réformes ambitieuses, notamment avec Daniel Vaillant.
    La première d'entre elles, et vous ne la remettez pas en cause, les contrats locaux de sécurité en faisant la promotion des actions transversales pour lutter contre l'insécurité, en associant à l'action de l'Etat, celle des collectivités locales, des acteurs de terrain, des professionnels de la prévention, de la justice, de l'éducation, sont une avancée décisive. Les CLS fournissent un cadre clair et opérationnel de gestion des partenariats. Ils s'intéressent aux territoires et à l'emploi optimal des moyens disponibles.
    M. Pierre Cardo. On a réuni une armée sans chef !
    M. Manuel Valls. L'établissement d'un diagnostic permet de définir les priorités d'action, qu'il s'agisse de prévention de la délinquance, d'apprentissage de la citoyenneté, de solidarité de voisinage, de prévention des toxicomanies, de violences urbaines, des phénomènes de bandes, de reconquête des espaces publics, mais aussi d'aide aux familles et aux jeunes en difficulté, d'aide aux victimes, de médiation pénale, de sécurité en milieu scolaire, d'aide aux adultes par l'appui et le soutien de leur autorité, de prise en compte des problématiques de sécurité en matière d'urbanisme et enfin de coordination des actions des forces de sécurité, notamment dans l'accueil et l'enregistrement des plaintes.
    M. Pierre Cardo. Pour quels résultats ? Il faudrait poser des questions sur ce que vous avez fait, pas sur ce que nous allons faire ?
    M. Manuel Valls. Les contrats locaux de sécurité sont donc un dispositif qui, à partir de l'analyse de la situation locale, conduit à la définition de priorités d'action en coordonnant les moyens de chacun.
    M. Pierre Cardo. Si vous aviez bien analysé, vous n'en seriez pas là !
    M. Manuel Valls. Les maires sont au coeur de ce dispositif. Vous avez, monsieur le ministre, renforcé leur rôle, ce qui est une bonne chose. Je l'avais demandé en son temps. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Six cents CLS étaient signés au 1er mai 2002.
    M. Pierre Cardo. C'est énorme !
    M. Manuel Valls. Leur contribution au dispositif national de sécurité est important et leur existence reste de nature à créer les conditions d'une baisse de l'insécurité dans notre pays. Maire d'une ville - l'une des premières - bénéficiant d'un contrat local de sécurité intercommunal, je peux constater les bienfaits d'un dispositif permettant de solliciter toutes les institutions : mairie, école, police, justice, bailleurs sociaux, transporteurs, commerçants.
    M. Pierre Cardo et M. Jean-Michel Ferrand. En 2002 !
    M. Manuel Valls. La définition des priorités d'action permet de fixer des objectifs vers lesquels nous convergeons, à Evry - et d'ailleurs la délinquance y a baissé de 8 %. Les contrats locaux de sécurité sont ambitieux car ils ont permis de mettre en oeuvre des plans d'action s'inscrivant dans la durée. C'est une action à long terme qui est payante.
    Mais soyons prudents sur les statistiques, y compris celles concernant ma ville ou ma circonscription. Ce qui compte, c'est d'abord la réalité que vivent nos concitoyens.
    La vertu des CLS, pivots de la loi relative à la sécurité quotidienne de 2002, est de détacher l'action de la lecture simpliste des statistiques. Nous le savons tous, la statistique de l'Etat « 4001 », qui permet aux forces nationales de sécurité, police et gendarmerie, de comptabiliser les faits constatés, était tout à la fois partielle et partiale, comme l'avait mis en évidence le rapport parlementaire de nos collègues Christophe Caresche et Robert Pandraud, maintes fois cité pendant nos débats.
    Monsieur le ministre, vous considérez les statistiques publiées régulièrement comme le juge de votre action. Je me félicite donc - comment ne pas le faire ? - de l'annonce - habile, certes, le jour même de l'ouverture de notre discussion - de la création d'un observatoire de la délinquance au sein de l'institut des hautes études de la sécurité intérieure, à condition, nous sommes d'accord sur ce point, je crois, qu'il soit vraiment indépendant.
    Au-delà des contrats locaux de sécurité, qui ont réorienté la politique de sécurité dans notre pays, le gouvernement précédent a aussi innové en définissant et en lançant la police de proximité.
    M. Pierre Cardo. Ce n'est pas ce qu'en dit la police judiciaire !
    M. Manuel Valls. La police de proximité est une rupture : la conception traditionnelle d'une police chargée de maintenir l'ordre et de protéger les institutions est remplacée par une approche en phase avec les exigences du terrain ; la police de proximité se caractérise par sa capacité à répondre à l'insécurité urbaine quotidienne.
    M. Pierre Cardo. Non ! Pas dans les conditions où elle a été mise en oeuvre !
    M. Manuel Valls. J'en ai vu les résultats sur le terrain, avec l'instauration d'un nouveau rapport entre les citoyens et nos policiers. C'est indispensable, en particulier pour les jeunes qui subissent de nombreuses discriminations, car si personne ne peut contester l'action de la police sur le terrain, j'attire votre attention sur la question des discriminations et des contrôles au faciès, qui risquent de créer une rupture avec une partie de notre jeunesse. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Christian Vanneste. Procès d'intention !
    M. Bruno Le Roux. Cela existe ! Vous le savez bien !
    M. Manuel Valls. Enfin, le dispositif emplois-jeunes, comme dans tous les domaines de l'action publique, a permis à notre pays d'améliorer la qualité du service public de sécurité. Les agents locaux de médiation sociale, à condition qu'ils soient bien recrutés et bien formés, pris en charge à 80 % par l'Etat dans leurs missions de prévention, de présence et de proximité, ont sécurisé des lieux qui devenaient dangereux - je pense notamment à tous les espaces constituant le réseau de transports publics. Ils ont contribué aussi au recentrage des activités des policiers en les suppléant dans leurs tâches administratives. Enfin, ils effectuent des missions d'îlotage précieuses, parfois périlleuses, sur le terrain.
    En somme, des moyens humains et financiers ont été mobilisés. La sécurité était bien une priorité du gouvernement précédent.
    M. Jean-Paul Garraud. Ah bon ?
    M. Pierre Hellier. C'est une découverte !
    M. Pierre Cardo. Cela ne coûte pas cher de le dire !
    M. Manuel Valls. En 2000, 157 bureaux de police ont été ouverts ; 410 en 2001. De 1997 à 2002, le nombre de policiers et de gendarmes a été accru de 6 200 et 25 000 départs à la retraite ont été comblés, alors même que, de 1993 à 1997, la majorité n'avait pas procédé à ces remplacements.
    M. Pierre Cardo. Evidemment ! Il fallait mettre en place le plan Chevènement ! Vous avez bénéficié de la loi de programmation !
    M. Manuel Valls. Les budgets ont augmenté de 2,9 % en 1999, de 3 % en 2000, de 6,8 % en 2001. Monsieur le ministre, vous avez amplifié ces efforts, comme nous l'aurions fait,...
    M. Maurice Giro. Pourquoi cela n'a-t-il pas marché ?
    M. Manuel Valls. ... et c'est la raison pour laquelle nous avons voté l'article 2 de votre loi examinée l'été dernier.
    Je voudrais aussi insister sur le fait que la priorité à la lutte contre l'insécurité ne s'est pas cantonnée au niveau de l'Etat. Toutes les expériences menées, par exemple au conseil régional d'Ile-de-France, pour la protection des lycées, le financement de moyens de lutte contre la délinquance dans les transports - je pense à la police des transports - pour la construction de commissariats ou de gendarmeries, pour le soutien à la mise en place de vidéosurveillance dans les centres commerciaux, la mise à la disposition des lycéens victimes du racket, de la violence, surtout les jeunes filles, d'un numéro de téléphone, ont marqué la priorité donnée à ce qui reste la première préoccupation des Franciliens.
    Jean-Paul Huchon l'a fait, j'étais son premier vice-président. Julien Dray, également. Nous n'avons donc pas de leçon à recevoir sur la manière de mettre en oeuvre la lutte contre la délinquance.
    M. Pierre Cardo. La seule leçon que vous ayez reçu, c'est celle des électeurs et des statistiques !
    M. Manuel Valls. On est loin des caricatures dans lesquelles vous vous complaisez sur le laxisme de la gauche.
    M. Pierre Hellier. Evidemment, la gauche est généreuse et naïve !
    M. le président. Monsieur Hellier !
    M. Manuel Valls. Cependant, force est de constater que nous n'avons pas su nous faire entendre,...
    M. Pierre Cardo. Voilà : vous n'avez qu'un problème de communication !
    M. Manuel Valls. ... que nous avons brouillé notre propre message, que les moyens n'ont pas toujours été au rendez-vous. Seule, la durée permet des résultats. Cela valait pour nous, cela vaut aussi pour vous. La hausse continue de la violence sur les personnes est un échec qui, nous le savons, nous a coûté cher.
    Aussi, méfiez-vous des berceuses, des discours qui vous portent au zénith de l'action et de la pensée. Les mêmes journaux, monsieur le ministre, soulignaient, il y a cinq ans, que la gauche s'emparait des thèmes de la droite - sécurité, famille - et les traitait avec pragmatisme. Vous n'aviez plus d'espace pour respirer. Ce rappel doit amener chacun d'entre nous à prendre le parti de la modestie, de la prudence et du temps.
    Notre désir commun à gauche était de poursuivre l'effort entamé. Ce n'est un secret pour personne, le travail de notre collègue Julien Dray « Mieux prévenir, mieux punir » en 2001, à l'occasion d'un colloque qui s'est tenu dans ma ville...
    M. Pierre Cardo. Vous avez eu vingt ans pour agir !
    M. Manuel Valls. ... constituait à mon sens, et je vais y revenir longuement, monsieur Cardo, pour vous convaincre, le socle sur lequel la gauche espérait pouvoir construire les avancées du quinquennat en matière de sécurité. Nous nous retrouvons toujours dans la pertinence de l'analyse et l'intelligence des propositions de cette contribution.
    M. Pierre Cardo. Julien Dray n'a jamais été ministre de l'intérieur !
    M. Manuel Valls. En effet, n'en déplaise aux apprentis sorciers des campagnes électorales, l'insécurité dans notre pays n'a pas toujours suivi le chemin qu'on lui prête. Mais, si la délinquance générale est plutôt stable, ce sont les actes portant atteinte aux personnes qui, eux, n'ont cessé de croître de façon significative et continue, d'année en année, depuis 1987 et non depuis 1997 !
    C'est la raison pour laquelle, avec plus de quatre millions de délits, on ne peut pas se contenter de parler d'un simple sentiment d'insécurité. Ce sont des millions de familles qui ont été touchées, qui ont réellement vécu cette délinquance.
    M. Pierre Cardo. Hélas !
    M. Manuel Valls. Lionel Jospin et son gouvernement ont été les premiers à agir pour contrer la tendance.
    M. Christian Vanneste. Si cela vous fait plaisir de le dire !
    M. Pierre Cardo. On voit le résultat !
    M. Manuel Valls. Nous nous retrouvions dans une affirmation de fermeté : chaque délit doit être sanctionné. Nous souhaitions être volontaires et accroître encore l'effort de l'Etat...
    M. Pierre Cardo. Oh la, arrêtez d'agir, la prochaine fois !
    M. Manuel Valls. ... aussi bien pour la sécurité que pour la justice.
    M. Pierre Cardo. Heureusement que vous avez arrêté d'agir !
    M. Manuel Valls. Pour moi, pour nous, les mots « punir », « ordre », « normes », « règles » ne sont pas tabous. Oui, notre société a besoin d'ordre, de règles, de normes.
    M. Christian Vanneste. C'est le chemin de Damas ! Une apparition cette nuit !
    M. Manuel Valls. Toute société a le droit et le devoir de se donner les moyens de punir ceux qui transgressent la loi républicaine, Marylise Lebranchu l'a expliqué avec force, hier.
    Nous ne pensons pas que les délinquants soient d'abord des victimes. Une telle affirmation démotiverait terriblement tous ceux qui veulent s'en sortir honnêtement et constituerait une insulte pour les véritables victimes des délinquants. Nous croyons en la responsabilité individuelle. Les éléments d'explication de la délinquance, ces analyses sociologiques que vous dénonciez, monsieur le ministre, nous ne les avons pas transformés en éléments de justification, comme voudraient le faire croire certains orateurs de droite. Nous sommes lucides, notre lucidité a été mise au service de la France et nous souhaitions poursuivre notre démarche.
    Une méthode avait été définie. Elle s'articulait  - elle s'articule toujours - autour de trois axes essentiels que Bruno Le Roux a rappelés mardi : la précocité, l'intensité, la continuité.
    Précocité, d'abord. Notre projet s'assignait pour mission de prévenir les comportements violents par la mise en place d'une nouvelle politique de prévention à la française. Un système de détection aurait alors vu le jour. Nous pensons qu'il est indispensable d'apporter une réponse, une sanction dès la première alerte. Une approche de ce type renforce l'autorité de l'Etat, lui confère une crédibilité et permet d'accompagner les parents dans leur mission d'éducation. Cette action en amont avait en outre pour but d'éviter que ne se développe chez les plus jeunes une glorification de la délinquance, incitant souvent à un passage à l'acte de plus en plus violent, sans aucune retenue.
    M. Pierre Cardo. Dommage que vous ne l'ayez pas compris plus tôt !
    M. Manuel Valls. Intensité, ensuite. L'idée du projet était d'étendre le principe des CLS à la politique de sécurité dans son ensemble, d'en faire le « principe-coeur » de son organisation, de rassembler les acteurs, de mutualiser les moyens, d'échanger pour évaluer les solutions apportées et améliorer leur efficacité. Nous en convenons, l'action et les résultats des GIR s'inscriront dans la durée, et leur efficacité dépendra parfois aussi de la discrétion.
    M. Pierre Hellier. Le groupe socialiste va finir par voter le texte !
    M. Bruno Le Roux. Nous avons déjà dit que nous voterions quelques articles !
    M. Manuel Valls. Continuité, enfin. Notre volonté est d'agir dans la durée, je l'ai dit. La volonté d'éviter échec et récidive doit amener à considérer avec attention l'évolution de chacun et d'adapter les réponses à cette évolution.
    Notre projet avait et a toujours pour but de créer une chaîne pénale permettant de modifier l'approche, les objectifs de la politique de sécurité en intégrant tous les modes d'action de l'Etat, du tenant à l'aboutissant...
    M. Pierre Hellier. Vous avez compris !
    M. Manuel Valls... en associant tous les acteurs, en liant enfin prévention et punition.
    M. Pierre Cardo. La sanction fait partie de l'éducation !
    M. Manuel Valls. Lier vraiment sanction et répression aurait été en France une innovation, tant la tradition intellectuelle veut que ces deux volets de la politique de sécurité soient opposé.
    Chers collègues, la loi qui nous est présentée aujourd'hui est...
    M. Claude Gaillard. Bonne !
    M. Manuel Valls. ... le volet législatif, juridique et organisationnel de la loi de programmation pour la sécurité intérieure du 29 août 2002.
    Parce que cette loi est censée répondre à la demande de sécurité de nos concitoyens, notre assemblée ne peut se prononcer que sur une approche plus complète des problématiques...
    M. Pierre Hellier. Il faut encore cinq ans !
    M. Manuel Valls. ... et c'est pourquoi je présente, au nom de mon groupe, une motion de renvoi en commission.
    Chers collègues, la loi qui nous est proposée a vocation à aborder « tout simplement, des problèmes qui concernent directement les Français, de façon claire afin d'être compris du plus grand nombre » - ce sont les paroles mêmes du ministre.
    Si nous partageons cet objectif - qui peut ne pas le partager ? -, nous estimons que les solutions proposées ne sont toujours pas adéquates. Je ne rentrerai pas dans le détail, disposition par disposition, la discussion générale ayant déjà largement abordé des articles qui seront de plus étudiés, amendés, dans les heures et les jours qui viennent. Je me contenterai de vous faire part de mes impressions relatives à son contenu.
    La loi donne beaucoup de pouvoirs à la police sans définir de contre-pouvoirs, ce qui est dangereux pour les libertés individuelles et les droits de la défense de chacun. La protection de ces droits et de ces libertés n'est pourtant pas incompatible avec l'efficacité des forces de sécurité.
    La loi propose des solutions policières à des problèmes plus larges, souvent réels et que nous connaissons - prostitution, gens du voyage, délinquance des mineurs -, qui auraient nécessité, pour cette raison, l'intervention d'autres ministères, notamment celui de la justice, bien absent de tous nos débats.
    M. Jean-Paul Garraud. Ça vient !
    M. Manuel Valls. La loi privilégie les solutions purement pénales, qui sont, dans l'esprit du Gouvernement, préventives autant que répressives.
    Au fond, cette loi est avant tout une opération de promotion du Gouvernement, dans la mesure où elle réécrit parfois des mesures déjà existantes ou substitue des solutions rigides à d'autres, efficaces mais plus fines, votées dans la loi sur la sécurité quotidienne. C'est ce qui se produit avec la gestion des halls d'immeubles.
    Les dispositions de la loi sont techniquement critiquables, parce que floues et, pour cette raison, dangereuses quant à leur interprétation et à leur application.
    Le flou de la rédaction de l'article relatif à la mendicité agressive laisse une liberté de lecture et une responsabilité beaucoup trop grandes à celles et ceux qui sont chargés de faire respecter la loi. Ce n'est pas le texte du Gouvernement qui leur permettra de démanteler les nouveaux réseaux mafieux organisant la mendicité, car la loi le permet déjà.
    Pour ce qui est de la mendicité, nous devons collectivement constater notre échec. Comment expliquer notre incapacité à éradiquer les situations de précarité et d'exclusion extrêmes dans un pays aussi riche ? La réponse à ces situations de détresse ne doit pas être uniquement sécuritaire. Les mendiants, celles et ceux qui se sont vus attacher le sigle SDF au cours des années 90, ne méritent pas que l'attention du législateur à leur égard se manifeste par un quelconque rejet. Aborder la mendicité par le biais de l'agression dont se rendraient coupables une infime minorité d'entre eux est, convenons-en, réducteur et dangereux.
    Les dispositions relatives à la mendicité ne sont, en fait, qu'une justification légale des arrêtés pris en période estivale par des maires - de gauche et de droite - désireux de garantir la propreté et la prospérité de leurs centres-villes. Loin d'être une mesure pragmatique, la législation des arrêts anti-mendicité - est-ce, au fond, autre chose ? - va donner lieu à une lecture rigide dans les centres-villes, et à une autre, beaucoup plus souple, en périphérie.
    La partie relative à la prostitution ouvre un vrai débat difficile et complexe. Vous avez, certes, le mérite de vous soucier du devenir de ces femmes et de ces hommes qui font de leur corps leur outil de travail, dans des conditions d'exploitation révoltantes. Ce sujet mérite un débat public poussé, qui n'occulte pas les aspects sanitaires, éducatifs, financiers, sociaux posés par ce problème. L'abandon de la prostitution ne se décrète pas, et une prohibition doit s'accompagner d'un dispositif de formation professionnelle, notamment pour les prostituées désireuses de sortir du système dans lequel elles se trouvent enfermées. La lutte contre la traite - qui pourrait s'appuyer, notamment, sur le travail réalisé par Christine Lazerges et Alain Vidalies lors de la législature précédente -, est, évidemment, prioritaire.
    Cela vaut aussi pour les gens du voyage. Vous voulez faire vivre les lois Besson, et nous l'attendons en effet, nous l'avons dit mardi matin à Evry. Il ne suffit pas de donner des moyens d'intervention supplémentaires aux élus, à la police et à la gendarmerie : il faut aussi que l'Etat puisse prévoir, par exemple en Ile-de-France, de vastes aires de stationnement au moment des grandes transhumances des gens du voyage.
    Oui, vos propositions concernant le fichier national des empreintes génétiques vont incontestablement dans le sens que nous souhaitons tous, tant nous sommes révoltés par ces crimes terribles. Pour autant, une autorité indépendante doit contrôler ce fichier.
    Oui, nous sommes évidemment tous préoccupés par la question complexe des squats. Nous sommes placés face à une contradiction : garantir à la fois le droit au logement et la tranquilité de nos concitoyens. On peut comprendre, d'une certaine manière, la révolte de personnes sans logement qui occupent les bureaux parisiens de grandes sociétés. Mais, comme beaucoup d'entre vous, je ne peux pas admettre que des occupations illégales aient lieu dans les quartiers les plus populaires, les plus en difficulté. C'est la raison pour laquelle je me bats souvent contre des associations, contre les squats sauvages, très souvent mis en place par des réseaux mafieux. Hier, de nombreux orateurs ont parlé de leur expérience. Dans ce domaine-là non plus, mesdames et messieurs de la majorité, nous n'avons pas de leçons à recevoir sur l'action que nous menons les uns et les autres sur le terrain.
    M. Pierre Hellier. C'est une vraie révolution !
    M. Manuel Valls. Il est aussi des éléments manquants, incomplets, dans la politique gouvernementale, qui nécessite le renvoi du projet de loi en commission.
    Le premier problème que je vais évoquer est loin d'être mineur. Les partisans du pragmatisme total - et il y en a évidemment dans vos rangs - seront sensibles à cet argument, comme l'est, je le sais, le président de la commission des lois, Pascal Clément.
    M. Gérard Léonard. Excellent président !
    M. Manuel Valls. En novembre, ici-même, lors de l'examen des crédits de la justice prévus dans la loi de finances pour 2003, M. Clément déclarait que les mesures prises pour limiter la surpopulation carcérale sont indispensables et que les nouvelles sanctions prévues par le projet de loi de Nicolas Sarkozy risquent d'engendrer une surpopulation.
    M. Pierre Cardo. Aux Etats-Unis, le nombre des détenus a baissé grâce à la tolérance zéro !
    M. Manuel Valls. Il convient d'ajouter à cette remarque pleine de bon sens les propos tenus par M. Dominique Barella, président de l'union syndicale des magistrats, reçu par le garde des sceaux, M. Dominique Perben : « Dans le seul domaine pénal, nous sommes saisis de 5,3 millions de procédures par an, pour des capacités de traitement qui sont d'environ 500 000 dossiers. »
    M. Pierre Cardo. Ces statistiques datent du gouvernement Jospin !
    M. Manuel Valls. A lui seul, le problème de la continuité entre la politique de sécurité et la capacité de traitement des affaires par la justice justifie le renvoi du projet de loi en commission.
    Il est nécessaire que nous ayons, dans ce pays, un grand débat sur les prisons, et le Parlement s'en est déjà saisi. Les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires sont terribles : surpeuplement, nombre insuffisant de surveillants et d'éducateurs, drame du suicide.
    M. Pierre Cardo. C'est fou tout ce que vous n'avez pas eu le temps de faire en cinq ans !
    M. Manuel Valls. Le préalable à tout renforcement des politiques pénales et à la définition de nouveaux délits est d'assurer la continuité de la République, que, des tenants aux aboutissants, l'Etat soit en mesure d'appliquer la loi.
    L'urgence est donc de doter les prisons de nouveaux moyens, de nouveaux personnels, et d'en faire de véritables lieux d'insertion sociale. La peine, c'est la privation de la liberté, pas la détention dans des conditions détestables, sans autre issue qu'une retombée dans la délinquance et dans les réseaux de l'économie parallèle.
    Comment concevoir qu'une loi qui crée de nouveaux délits, durcit les peines et qui, par conséquent, contribue à l'augmentation du nombre et de la durée des incarcérations...
    M. Pierre Cardo. Ce n'est pas certain !
    M. Manuel Valls. ... comment concevoir qu'une telle loi ne soit pas accompagnée d'un volet « justice » ?
    C'est là une limite de cette loi sur la sécurité intérieure. Un examen budgétaire des conséquences de l'application de la loi serait lui aussi nécessaire.
    Par ailleurs, certains aspects de l'action entreprise par le Gouvernement pour lutter contre la délinquance des mineurs ne laissent pas d'être inquiétants. Rappelons que, si la délinquance des mineurs représente plus de 20 % des crimes et délits commis en France, en 1980, ces actes dépassaient déjà les 15 %. C'est, en tout cas, ce que montrent les statistiques, dont - c'est vrai - il faut parfois se méfier. Quoi qu'il en soit, on est loin de cette terrible explosion dénoncée ici ou là et dont les responsables seraient, pêle-mêle, socialistes laxistes, gauchistes régressifs et odieux « droits-de-l'hommistes ».
    La délinquance des mineurs, de plus en plus violente, n'en est évidemment pas moins insupportable. Quel échec pour notre société ! Il est donc nécessaire d'agir pour faire cesser cette anomalie, mais sans stigmatiser indistinctement, je le répète une fois de plus, l'ensemble de la jeunesse, notamment celle issue des milieux populaires et de l'immigration : ce serait une faute terrible, c'est le maire d'une des villes les plus jeunes de France, où l'âge moyen des habitants est de vingt-six ans, qui vous le dit.
    L'instauration des centres fermés, sous la tutelle du ministre de la justice, n'est certainement pas la réponse idéale à ce problème, loin de là, en tout cas surtout pas dans la forme sous laquelle on nous la propose.
    Le Président de la République et l'ancien Premier ministre Lionel Jospin avaient tous deux pris en compte, dans leur projet de campagne, le besoin impérieux qu'il y avait à traiter cette délinquance juvénile. Les centres fermés, sans doute utiles, sans doute indispensables, doivent aussi avoir une vocation éducative. L'espoir des familles de ces jeunes, désocialisés, parfois violents, voire très violents - et je pense notamment aux phénomènes de bandes - requièrent une action forte de réappropriation par la société de ces enfants sans repères. J'ai la faiblesse de penser que ces centres éducatifs fermés doivent être une deuxième chance pour ces jeunes. Un investissement fort y est nécessaire pour y développer la formation et permettre que la sortie de la prison pour mineurs ne soit pas un bon d'entrée, à court ou moyen terme, pour une prison de majeurs.
    Les nécessaires soutien et appui à apporter à l'autorité parentale constituent une autre piste de réflexion pour l'avenir. Il nous faut repenser la place des parents dans l'éducation. Ils sont en effet de plus en plus contestés dans leur mission de socialisation, par la télévision, notamment, qui fixe souvent les repères pour la jeune génération.
    L'appui à apporter aux parents, l'assistance à l'autorité sont des missions nouvelles assignées à l'action publique. Les collectivités locales, les associations seront amenées à s'en saisir pour appuyer les démarches éducatives et prévenir les problèmes.
    Pour sa part, l'école doit être - qui peut le contester ? - de plus en plus impliquée dans le processus de socialisation et devra connaître une mutation qui l'amènera à s'ouvrir à d'autres fonctions que l'apprentissage indispensable des savoirs fondamentaux que sont la lecture, l'écriture, le calcul et la transmission des connaissances.
    M. Pierre Cardo. Ce n'est pas le futur qu'il faut employer, mais le passé ! « L'école devait le faire », mais vous ne l'avez pas fait !
    M. Manuel Valls. Le suivi judiciaire et la délinquance des mineurs sont deux points qui attirent notre attention et qui, en considération de leur importance, requièrent une étude plus approfondie des éléments contribuant à faire baisser l'insécurité dans notre pays.
    La prise en compte des victimes doit, elle aussi, faire l'objet d'une attention forte du législateur, nous sommes là aussi d'accord. Un service d'aide aux victimes a été créé dans la commune dont je suis maire - avant de l'être à Valenciennes, contrairement à ce qui a été dit dans la presse -, ce qui a contribué à améliorer le dispositif de sécurité de la commune.
    M. Pierre Cardo. Ça ne réduit pas le nombre des victimes !
    M. Manuel Valls. La victime a été trop souvent la grande oubliée des politiques de sécurité.
    Le vécu de la violence, son traitement ne doivent plus être négligés. La généralisation des lieux d'écoute et d'orientation, ayant pour mission d'apporter une aide matérielle et psychologique à des personnes ayant subi une agression et désorientées par les lourdes démarches administratives à effectuer, est une nécessité absolue.
    L'existence de tels lieux est de nature à recréer un lien de confiance entre les victimes et la République. Nous devons avoir cela en tête : la déshumanisation du rapport entre les autorités administratives, quelles qu'elles soient, et les citoyens est au coeur de la crise de notre pacte républicain.
    M. Pierre Cardo. Même pour les discours, ils font du développement durable, à gauche !
    M. Manuel Valls. Monsieur Cardo, soyez respectueux de vos collègues quand ils s'expriment.
    M. Gérard Léonard. C'est l'hôpital qui se moque de la charité !
    M. Manuel Valls. Je vous trouve bien péremptoire !
    M. Pierre Cardo. Pas plus que vous, mon cher collègue !
    M. Manuel Valls. Enfin, dans le cadre de la lutte contre l'insécurité, il est un pan entier de la délinquance qui est négligé. Pourtant, la lutte contre ce type de délinquance est une attente forte de nos concitoyens. La délinquance financière et le blanchiment d'argent sale sont au coeur du réseau de délinquance - Arnaud Montebourg l'a rappelé avec force - et sont pourtant absents de ce texte.
    Notre collègue, Arnaud Montebourg, auteur avec Vincent Peillon d'un rapport précieux sur le sujet, a déjà abordé cette question. Nos concitoyens sont particulièrement désireux de ne plus avoir le sentiment de vivre dans un pays où la justice est aveugle pour les uns et impitoyable pour les autres.
    M. Alain Vidalies. Très bien !
    M. Manuel Valls. Les délinquants en col blanc, attirés par les paradis fiscaux, par le secret bancaire, par les produits financiers obscurs ne doivent pas être oubliés. Un combat acharné contre cette haute délinquance est nécessaire. Les propositions de la mission pour renforcer la lutte contre le blanchiment doivent trouver leur place dans un texte sur la sécurité.
    En traitant la délinquance financière dans cette loi, le Gouvernement pourrait marquer sa volonté de s'attaquer avec force à toutes les catégories de délinquance. Le livre de Denis Robert, Révélation, sur les sociétés de clearing, souligne l'opacité qui régit les transactions de la haute finance. Les liens entre certains financiers, d'une part, et les mafieux, les terroristes, d'autre part, rendent nécessaires un geste fort du législateur pour manifester la volonté de l'Etat de mettre fin au blanchiment et de casser, pardonnez-moi l'expression, « la délinquance d'en haut ».
    M. Pierre Cardo. Vous avez découvert cela ces derniers jours ?
    M. Manuel Valls. Cette délinquance, parce qu'elle étend son influence jusqu'au petit receleur, parce qu'elle est à la base de la chaîne délinquante...
    M. Alain Vidalies. C'est évident !
    M. Manuel Valls. ... parce que la combattre, c'est casser le réseau complexe et tortueux de ses ramifications, oui, cette délinquance doit, elle aussi, être combattue avec la plus grande fermeté. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Pierre Cardo. Quelle découverte !
    M. Manuel Valls. A chaque acte délictuel doit correspondre, je le répète, une sanction adaptée, pour mettre un terme au sentiment d'impunité, source de récidive. C'est vrai nationalement mais aussi localement. A chacun son expérience.
    C'est ainsi que nous amplifions, dans ma commune d'Evry, notre dispositif de prévention-sécurité. La police municipale, qui existe depuis vingt ans - alors que, selon l'un de nos collègues de la majorité, nous viendrions de découvrir les vertus de la police municipale, la belle affaire !...
    M. Alain Vidalies. C'est nous qui l'avons créée !
    M. Bruno Le Roux. C'est nous qui avons légiféré sur le polices municipales !
    M. Manuel Valls. La police municipale, donc, qui a doublé ses effectifs, nos correspondants de nuit, les agents locaux de médiation sociale et de service de victimologie renforcent naturellement le travail de la police nationale, de la justice et des services de l'Etat.
    L'intégration de toutes ces forces constitue un ensemble cohérent qui doit contribuer à améliorer la situation sur le terrain. C'est vrai en particulier pour soutenir la lutte contre l'économie souterraine.
    Je suis fier, par exemple, du lancement progressif dans ma ville des correspondants de nuit, en partenariat, c'est indispensable, avec les bailleurs sociaux. Ils parcourent la ville, les quartiers difficiles, y détectent les problèmes et les préviennent. Ils interviennent dans les halls d'immeuble et permettent de rendre plus efficace le travail de chaque intervenant, y compris celui de la police, tout en étant un élément rassurant pour les habitants.
    M. Gérard Léonard. Quelle modestie !
    M. Pierre Cardo. Beaucoup d'autres villes font cela aussi !
    M. Manuel Valls. Mais hier, j'ai cru écouter un maître.
    La police, les CRS et la BAC ne peuvent intervenir en toute occasion dans nos quartiers. Ils ont besoin de la présence, notamment pour régler les problèmes d'occupation des halls d'immeuble, de ces médiateurs qui sont en lien avec les gardiens d'immeuble.
    M. Pierre Cardo. Nous sommes bien d'accord !
    M. Manuel Valls. Sans eux, nous connaîtrions des incidents graves dans nos quartiers.
    Mme Marylise Lebranchu. C'est vrai !
    M. Manuel Valls. Je suis particulièrement attentif dans ma ville à la sécurité. Ma présence sur le terrain forge mes convictions, comme vous tous, et influe fortement sur mon expression en tant que membre de la représentation nationale.
    Comme vous, je vis dans ma circonscription. Comme vous, j'ai des enfants qui fréquentent l'école publique et parfois des collèges difficiles. Comme vous, j'ai une femme qui travaille dans un quartier difficile, dans une école où il n'est pas tous les jours facile d'exercer son travail. Comme vous, je reçois tous les jours dans ma permanence des gens qui souffrent. Ici, il n'y a pas les députés qui auraient tout compris et ceux qui n'auraient rien compris. Nous sommes tous des élus de la représentation nationale. Très souvent, les élus de gauche sont les représentants de ces quartiers populaires, ils en connaissent les difficultés.
    M. Pierre Cardo. Il doit y avoir une mauvaise communication alors !
    M. Manuel Valls. Nous n'avons donc pas, monsieur Cardo, de leçon à recevoir de vous ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Pierre Cardo. Je ne donne pas de leçon ! Je m'efforce de travailler !
    M. le président. S'il vous plaît, mes chers collègues, écoutez M. Valls !
    M. Manuel Valls. C'est justement cette expérience de terrain, tout aussi valable que la vôtre, qui m'amène à m'opposer à la politique du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin.
    Je crois, et j'ai essayé de l'expliquer, que cette politique est dangereuse pour notre pays.
    Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, l'objet de cette motion de renvoi en commission - vous allez sourire - n'est pas de permettre à l'opposition de se servir de notre assemblée comme d'une tribune dans le but stérile de s'opposer pour s'opposer. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Gérard Léonard. Quel culot !
    M. Pierre Cardo. Qui oserait dire cela ?
    M. Manuel Valls. Un peu d'humour, monsieur Cardo, vous en manquez !
    Pour nous, soumettre ce projet au vote d'une motion de renvoi en commission n'est pas un réflexe pavlovien, c'est un acte réfléchi. J'espère que vous l'aurez compris. (Sourires.)
    Nous voulons appeler votre attention sur le décalage entre la réponse du Gouvernement à la crise de notre pacte républicain, qui est une réponse partielle, et la profondeur du message adressé par les Français au printemps dernier.
    Soyons clairs, sortons de la langue de bois et des slogans, votre loi, monsieur Sarkozy, n'est pas liberticide. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je vous en donne acte !
    M. Manuel Valls. En revanche, les dispositions que vous proposez sont incohérentes, incomplètes ou ambiguës. Il est de notre devoir de le dire, c'est aussi le rôle du législateur de le corriger, comme Bruno Le Roux le rappelait avec force devant la commission des lois il y a quelques jours.
    Agir pour la sécurité, répétons-le, est une nécessité impérieuse. L'insécurité est inacceptable, parce qu'elle remet en cause la force du lien social, parce qu'elle représente une atteinte au triptyque républicain. Nos principes républicains sont violés par les actes délictueux ou criminels. Dans ce cadre, il faut rendre hommage à la qualité et au courage des fonctionnaires qui agissent et qui s'adaptent à des contextes souvent difficiles, alors qu'ils sont eux-mêmes souvent très jeunes. La valorisation de leur mission, l'amélioration de l'image de celle-ci est un combat à mener car défendre les lois de la République est une fonction noble, qui mérite le respect de tous les citoyens.
    Mais, plus largement, le problème qui nourrit très sincèrement mon inquiétude est que la réponse générale du Gouvernement à la crise de notre pacte républicain me semble bien faible.
    Au coeur de notre désaccord - cela a d'ailleurs été abordé par les orateurs dans le débat général de très bonne qualité qui s'est déroulé hier, sur tous les bancs, je tiens à le dire, même si je ne suis pas là pour porter de jugement -, au coeur de notre désaccord se trouve l'interprétation à donner au 21 avril.
    Avec près de 20 % des électeurs votant pour l'extrême droite, 30 % d'abstentionnistes, le rejet des candidats des partis de gouvernement - 19 % pour le président sortant, 16 % pour le Premier ministre sortant - le « 21 avril » incarne la défaite d'une certaine idée de la France, l'épuisement d'un système et d'une configuration politique, la fin d'un cycle et, au fond, la révélation du délitement avancé de notre lien social.
    M. Pierre Cardo. Oui.
    M. Pierre Hellier. Qui est responsable ?
    M. Manuel Valls. Ce cataclysme a mis en avant la nécessité de repenser, aujourd'hui, sur tous ces bancs et au-delà, le sens de notre lien civique, le rapport à la citoyenneté et la notion même de la « République ». La crise de la France est une crise politique. La crise de la France est une crise sociale. La crise de la France est une crise d'identité.
    La crise politique à laquelle nous sommes confrontés demande que l'individu soit replacé au coeur du processus décisionnel de la cité. Pour ce faire, il faut redonner du sens aux concepts de démocratie et de citoyenneté, combler le fossé qui se creuse entre chacun de nos concitoyens.
    M. Pierre Cardo. Combler la fracture sociale ?
    M. Manuel Valls. Nos concitoyens ne comprennent plus ce que nous entendons par « République », ils ne croient plus en la capacité du politique d'apporter des réponses à leurs problèmes.
    J'ai d'ailleurs apprécié, monsieur le ministre, vos propos sur le rôle du politique, hier soir, en réponse aux intervenants, et je rends hommage à cet aspect de votre activisme.
    Nos concitoyens ne détectent plus le sens du vivre ensemble et doutent ainsi de la pertinence de notre contrat social.
    Répondre à la crise sociale, c'est, nous l'avons dit, agir pour la sécurité. Mais ce n'est pas suffisant. Donner la priorité à l'éducation, à la rénovation de l'habitat, à la justice sociale, aux services publics est tout aussi nécessaire. Cela suppose que l'Etat porte une ambition claire et connue de tous pour restaurer l'ascenseur social, pour recréer l'espoir.
    La crise de notre pays, enfin, est une crise d'identité. La France vit mal la double mutation de son environnement extérieur. La construction européenne, dont nos concitoyens ne comprennent souvent pas la finalité, faute d'explications et de pédagogie, et surtout la mondialisation, qui fragilise nos repères sociaux, économiques et culturels, contribuent à la persistance du malaise.
    La lutte contre l'insécurité, parce qu'elle ne traite que les effets de la crise de notre pays et qu'elle n'en soigne pas les causes, la lutte contre l'insécurité pour ces raisons ne peut pas suffire à sortir notre pays de la crise du pacte républicain.
    C'est là le problème du Gouvernement et, avec lui, celui de la France.
    S'il veut que la situation change, le Gouvernement doit être offensif et avoir une volonté d'action forte, une volonté d'action globale.
    M. Pierre Cardo. Il l'a !
    M. Manuel Valls. Il en est jusqu'à présent dépourvu.
    M. Pierre Cardo. Mais non !
    M. Manuel Valls. Il faut agir sur les causes de la crise de notre modèle et non se contenter de poser des sparadraps comme on le fait depuis trente ans, monsieur Cardo !
    M. Pierre Cardo. Depuis quand faites-vous cette analyse, monsieur Valls ?
    M. Manuel Valls. Permettez-moi d'avoir des analyses, y compris au vu de ce qui s'est passé le 21 avril, et ne m'interdisez pas de changer d'avis.
    M. Christian Vanneste. Le 21 avril, c'est la sanction de votre politique.
    M. Manuel Valls. Vous aussi, un jour, vous changerez peut-être d'avis et sortirez de vos certitudes.
    M. Pierre Cardo. Bien sûr, cela m'arrive de changer d'avis, mais ce sont les citoyens qui me font changer d'avis, pas les politiques !
    M. le président. Monsieur Cardo, monsieur Vanneste !
    M. Manuel Valls. La réponse par la sécurité semble vraiment être la seule réponse forte que soit aujourd'hui capable de délivrer le Gouvernement.
    C'est le ministre de l'intérieur, et lui seul, qui annonce les actions de prévention qu'il compte mener avecM. Perben.
    C'est le ministre de l'intérieur, et lui seul, qui annonce les mesures touchant à l'immigration qu'il va prendre avec M. de Villepin.
    C'est le ministre de l'intérieur, et lui seul, qui annonce la mise en oeuvre de nouveaux dispositifs d'intégration avec M. François Fillon.
    La sécurité, qui a aimanté toutes les peurs de nos concitoyens, représente une attente forte de leur part. Ce sont des droits qu'ils veulent voir respecter. Pourtant, la réponse unique à leur demande par le biais de la sécurité est un choix, je le dis avec force, de facilité pour le Gouvernement.
    M. Pierre Cardo. C'est une facilité dont vous vous êtes privés !
    M. Manuel Valls. Personne ne peut se targuer d'avoir vraiment perçu le séisme qui s'annonçait le 21 avril.
    M. André Gerin. Eh oui !
    M. Manuel Valls. Cette crise, nul ne l'a sentie venir. Ni à gauche, ni à droite. Pas de texte annonciateur, pas de « La France s'ennuie ».
    Pour répondre à cette crise, il nous faut partager une ambition pour la France, redonner du sens à notre pacte républicain.
    Redonner du sens à notre pacte républicain, c'est agir d'abord pour l'habitat en cassant les ghettos sociaux, en cassant la terrible ségrégation sociale, territoriale, ethnique qui déstructure notre société.
    M. Pierre Cardo. Eh oui !
    M. Manuel Valls. La mixité sociale, l'équilibre des territoires doivent revenir au premier plan et être une préoccupation centrale et permanente du Gouvernement, ce ne pas être l'apanage du seul ministre de la ville.
    Faisant l'autre jour le tour des écoles de ma circonscription - je suis sûr que cela intéresse le ministre de l'intérieur - je constatais l'arrivée, depuis plusieurs semaines, de nouvelles familles en difficulté dans nos quartiers qui connaissent déjà le plus de difficultés.
    M. Pierre Cardo. Eh oui !
    M. Manuel Valls. Souvent, il s'agit de primo-arrivants, qui déstabilisent les quartiers, les écoles et les cages d'escalier.
    M. Pierre Cardo. La faute à la loi Chevènement.
    M. Manuel Valls. Très souvent, les enseignants, les animateurs et les ATSEM qui travaillent dans ces écoles forment un rempart mais cette digue que constitue l'école, aujourd'hui, se lézarde sous la pression de la misère sociale.
    Le rôle de l'Etat, des bailleurs sociaux, du 1 %, des propriétaires privés, des élus est de ce point de vue fondamental pour ces quartiers, si nous voulons lutter contre la ségrégation sociale, contre l'apartheid ethnique, contre les phénomènes de communautarisme. Souvenez-vous des chroniques lourdes de sens qu'a suscitées, notamment dans ma ville, l'installation d'une supérette qui voulait s'adresser uniquement à une partie de la population.
    Redonner du sens à notre pacte républicain, c'est redonner la priorité à l'éducation. L'école devrait être le premier producteur d'égalité sociale. Elle doit, elle aussi, reprendre sa place d'objectif central de l'action publique.
    Redonner du sens à notre pacte républicain, c'est, et vous avez eu là-dessus des mots forts, monsieur le ministre, réussir le défi de l'intégration.
    M. Pierre Cardo. Heureusement que nous sommes là pour le faire !
    M. Manuel Valls. Notre modèle n'assimile plus, il n'intègre pas. Fixer les droits et les devoirs de chacun apparaît donc indispensable pour faire aimer l'idée France de ceux qui la découvrent et qui veulent y adhérer.
    Le respect de notre hymne national, de notre drapeau, de nos symboles, pour le naturalisé, pour le fils d'immigré que je suis, est également important. Il n'y a pas ceux qui, de ce côté, aimeraient la France et ceux qui n'auraient rien compris. Là aussi, mesdames et messieurs de la droite, nous n'avons pas de leçon à recevoir de votre part. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Christian Vanneste. Et nous, nous n'avons pas à en recevoir de vous !
    M. Pierre Cardo. Quelle véhémence !
    M. le président. S'il vous plaît ! La parole est à M. Manuel Valls.
    M. Manuel Valls. Redonner du sens à notre pacte républicain, c'est garantir l'exercice des solidarités, lutter en faveur de la justice sociale, agir contre le chômage, qui brise le pacte social. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. André Gerin. Excellent !
    M. Christian Vanneste. Quel aveu !
    M. Pierre Cardo. C'est le résultat de votre action !
    M. Manuel Valls. Redonner du sens à notre pacte républicain, c'est défendre les services publics.
    Redonner du sens à notre pacte républicain, c'est donner aussi une cohérence à la voix de la France à l'étranger. La France doit porter la voix de la justice et de la paix dans le monde en travaillant notamment à la définition de champs de régulation internationaux aussi bien pour l'environnement - vous voyez, on y vient, monsieur Cardo ! - que pour les échanges économiques, les questions militaires, la définition de normes sociales.
    Le rôle de l'Etat est de fixer les règles, de créer des repères, de transformer en actes les ambitions collectives d'un peuple ! L'urgence est justement à la création de nouveaux repères.
    M. Christian Vanneste. Tout ce que vous n'avez pas fait !
    M. Manuel Valls. Tout ce qui n'a pas été fait depuis vingt-cinq ou trente ans !
    M. Christian Vanneste. C'est un acte de contrition, votre intervention !
    M. le président. Monsieur Vanneste, ...
    M. Christian Vanneste. Merci de nous rendre hommage !
    M. Manuel Valls. Et si vous êtes fiers du score de Jacques Chirac au premier tour, c'est que vous n'avez rien compris à ce qui s'est passé le 21 avril.
    M. Pierre Hellier. Et le score de Jospin ?
    M. Manuel Valls. Mais je n'en suis pas fier !
    M. Pierre Hellier. Ah !
    M. Manuel Valls. Evidemment ! Mais c'est bien là le coeur de la crise !
    M. Christian Vanneste. Cessez de battre votre coulpe sur la poitrine des autres !
    M. Manuel Valls. Et si nous continuons à nous renvoyer les responsabilités, c'est que nous n'avons rien compris à ce qui s'est passé voici quelques mois dans notre pays.
    Notre pays a précisément besoin d'un volontarisme politique, d'un élan nouveau et puissant pour redonner du sens à notre pacte républicain, au « vivre ensemble ».
    La lutte contre l'insécurité, monsieur le ministre, contribue bien sûr à créer ces nouveaux repères. Pour autant, en faire l'unique levier d'action publique n'a pas de sens. La lutte contre l'insécurité s'intègre dans un projet global. Or, malheureusement, ce projet est inexistant.
    M. Christian Vanneste. Il faut bien commencer par un projet global. Alors votez ce texte !
    M. Manuel Valls. Comme un projet nous a manqué, à nous aussi, avant le 21 avril 2002, soyons lucides. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Christian Vanneste. Je vous retournerai le compliment !
    M. le président. Monsieur Vanneste,...
    M. Manuel Valls. C'est vrai. C'est la raison pour laquelle j'ai été très heureux de battre nettement l'un de vos amis dans ma ville et sur la circonscription...
    M. Jean-Paul Garraud. Si on fait le bilan...
    M. Manuel Valls. Ses conceptions montraient bien que lui non plus n'avait pas compris ce qui s'était passé quelques semaines plus tôt.
    M. Jean-Pierre Gorges. Qu'est-ce que ça a à voir avec le projet ?
    M. Manuel Valls. Vous me parlez de moi, je vous parle de vous !
    Pour finir, je veux vous dire très franchement, certains d'entre vous l'ont souligné, notamment le ministre, avec une certaine gourmandise, que la question de la sécurité provoque des débats au sein de la gauche, comme dans toute la société. Il y a dans nos rangs des nuances, des désaccords - que vous exploitez avec talent, monsieur le ministre, en opposant les déclarations des uns à celles des autres, et je pense que ce n'est pas fini. Mais c'est également le cas dans votre camp.
    M. Pierre Hellier. Un peu moins !
    M. Manuel Valls. Vous-même, monsieur le ministre, vous jouez souvent le rôle d'une digue par rapport à certaines propositions, ainsi que nous avons pu le constater à l'occasion du débat sur nos propositions de loi concernant le droit de vote des immigrés et la double peine. Aujourd'hui, vous essayez, d'une certaine manière, de vous placer au centre, entre nous, et par rapport à un certain nombre d'analyses mêmes de la société. Vous avez affirmé que vous ne vouliez pas instaurer un projet de loi moral, moralisateur. Mais la vision de la société et les réponses proposées par M. Aeschlimann par exemple dans son intervention hier m'ont parues très éloignées de ce message fort, voire plus éloignées que ne le sont parfois les nôtres.
    Pour retrouver la confiance des Français qui vivent mal, qui ont peur, qui subissent l'insécurité, il nous faut être clairs.
    M. Pierre Hellier. Alors, votez le texte !
    M. Manuel Valls. Il ne faut pas nous laisser impressionner par quelques manifestants dont le principal but n'est pas de vous combattre, monsieur le ministre, mais de nous combattre.
    C'est un débat difficile, pour vous comme pour nous, parce qu'il faut à la fois répondre à l'attente de nos concitoyens par des mesures précises, concrètes et efficaces et intégrer cette lutte contre la délinquance dans une vision plus générale.
    M. Pierre Cardo. Ce sont des conseils précieux !
    M. Manuel Valls. C'est pour nous un enjeu énorme, je le répète, car vous êtes attendus au tournant sur vos résultats. Votre échec, que je ne souhaite pas, ouvrirait les vannes à l'extrême droite.
    M. Pierre Hellier. C'est vrai !
    M. Jean-Pierre Gorges. Votez le texte alors.
    M. Manuel Valls. C'est pourquoi vous devez aussi nous écouter, et intégrer nos propositions. La lutte contre l'insécurité mérite que tous soient associés à la définition des axes de combat contre les délinquances, qu'un équilibre soit trouvé.
    Nous ne pourrons pas sortir de la crise de notre pacte républicain, nous ne pourrons pas retisser un lien social fort, nous ne pourrons pas « réenchanter » le lien des Français avec la politique et l'action publique, sans travailler à la définition d'un nouveau contrat social, d'une nouvelle alliance avec les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Vous ne m'en voudrez pas, monsieur Valls, de ne pas vous répondre longuement. Nous avons déjà eu de nombreux débats, et je ne voudrais pas lasser la patience de l'Assemblée, qui souhaite sans doute entamer l'examen des articles. Je tiens malgré tout à vous dire que j'ai apprécié une grande partie de vos analyses, l'honnêteté de votre constat, même si je ne veux pas l'exploiter parce que j'ai bien conscience, comme toute la majorité me semble-t-il, que pour avancer il faut absolument que nous dégagions des marges de consensus.
    M. Pierre Cardo. Eh oui !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Les sujets sont si sensibles que si nous nous contentons de rassemblements partisans ou sectaires, nous n'arriverons à rien. Donc, j'apprécie à leur juste valeur l'analyse et le courage dont vous faites preuve lorsque vous déclarez - et pourquoi ne pas vous croire ? - que vous souhaitez avancer sur la route d'une action commune au profit de l'efficacité. Vous avez même dit, et c'est, là encore, à votre honneur, que vous ne souhaitiez pas notre échec, ce dont je vous remercie, comme nous, nous ne pouvons pas souhaiter le vôtre. Nous sommes en effet tous concernés.
    Un certain nombre de mesures vous apparaissent raisonnables. Vous avez des désaccords - quoi de plus normal ? - mais finalement le vrai désaccord que nous ayons, monsieur Valls, le seul, quand on y réfléchit, ne serait-il pas le fait que vous défendiez au nom du groupe socialiste, une motion de renvoi en commission ? Avec tout le talent qui est le vôtre, vous dites : « Il y a urgence », puis vous concluez au renvoi en commission !
    M. Pierre Hellier. Eh oui !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'est là le coeur d'une contradiction dont il n'est pas aisé pour vous de sortir, je le sais bien, car, nous aussi, nous en avons connu des contradictions dont nous avons dû sortir. Vous concluez votre discours intéressant, honnête, sincère en disant qu'il faut renvoyer le texte en commission pour prendre le temps de l'examiner, de réfléchir, de débattre et de commander des rapports, alors que nous, majorité et Gouvernement, sommes opposés à ce renvoi parce que nous avons déjà perdu trop de temps et qu'il y a urgence. D'ailleurs, lorsque je me tourne vers Manuel Valls, non pas le parlementaire mais l'élu local, le maire d'Evry, il me dit : « Allez-y, monsieur Sarkozy, on n'a pas de temps à perdre ! » Commençons donc l'examen de ce texte dès maintenant, car le renvoyer en commission ce serait perdre du temps ! Monsieur Valls, je préfère l'homme de terrain convaincu au parlementaire en service commandé, même s'il est talentueux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie fançaise.)
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    M. Christian Estrosi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur Valls, je suis un peu malheureux que vous demandiez le renvoi en commission, comme si la commission des lois n'avait pas bien travaillé, n'avait pas correctement préparé le rapport et n'avait pas pris le temps d'étudier comme il le fallait l'ensemble des dispositions de ce texte. Bien que l'urgence ait été déclarée, je vous rappelle que le débat au Sénat a eu lieu il y a près de deux mois de cela et que les députés que nous sommes l'ont suivi avec intérêt. Ensuite, la commission s'est mise au travail. Nous avons organisé près de cinquante auditions - je salue d'ailleurs certains de nos collègues qui se sont montrés particulièrement assidus - qui nous ont amenés à rencontrer quasiment tous les acteurs concernés par ce texte dans ses aspects répressif, préventif, social ou sociétal. Mais je dois vous dire, monsieur Valls, que je n'ai quasiment jamais vu le moindre député issu de vos bancs venir participer à ces auditions.
    M. Christian Vanneste. Tout à fait !
    M. Christian Estrosi, rapporteur. La commission a examiné environ 400 amendements, dont près de 160 le 19 décembre dernier, au lendemain de l'audition du ministre. Nous avons pris une journée entière pour examiner ces amendements un par un. Vous n'en aviez alors déposé aucun.
    M. Gérard Léonard. C'est exact !
    M. André Gerin. Ce n'est pas correct de dire cela !
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Ce n'est qu'après la publication du rapport que vous vous êtes décidés à en déposer certains, dans l'urgence,...
    M. Bruno Le Roux. Selon la procédure normale !
    M. Christian Estrosi, rapporteur. ... et nous les avons examinés, selon la procédure de l'article 88 de notre règlement, mardi après-midi et mercredi matin. En ma qualité de rapporteur, je considère donc que rien ne justifie aujourd'hui un renvoi en commission.
    Cela dit, monsieur Valls, je me suis retrouvé dans certains de vos propos, de vos analyses pragmatiques sur l'insécurité dans notre pays. Vous m'avez fait penser au jeune député que j'étais moi-même en 1988, alors benjamin de cette assemblée. Je venais d'un territoire où hélas ! le problème de l'insécurité se posait déjà avec acuité, alors qu'ailleurs on ignorait quasiment ce phénomène. J'étais placé, comme un vilain garnement,...
    M. Pierre Cardo. Un extraterrestre !
    M. Christian Estrosi, rapporteur. ... au fond de la salle, sur un strapontin, et je n'étais pas toujours respecté par les miens. Il m'a fallu attendre des années avant d'être entendu. Lorsque chacun a mesuré, partout en France, que ce soit dans l'Hexagone ou en outre-mer, dans les zones urbaines ou rurales, à quel point notre pacte républicain commençait à être gangrené par cette montée de la violence et de la délinquance, alors le pragramatisme et le réalisme ont fini par l'emporter. C'était il y a près d'une décennie. Vous, il vous aura fallu cinq ans passés à défendre avec conviction et de toutes vos forces la politique de M. Jospin - vous y avez fait souvent référence à cette tribune - pour vous rendre compte enfin de la nécessité de faire du combat contre l'insécurité la première des priorités. Ce sont là vos propos. Vous avez même affirmé que vous aviez reçu mandat pour sortir de la crise de confiance que traverse notre pays dans le domaine de l'insécurité.
    Mais en même temps, vous avez affiché une contradiction formidable en vilipendant la droite au motif que la sécurité constituait son unique souci. Et vous vous êtes mis à égrener tout ce que vous aviez fait en matière de politique de la ville, d'action sociale, de lutte contre la précarité, de lutte contre le chômage - les emplois-jeunes, les trente-cinq heures, l'équilibre entre politique économique et sociale. Vous avez parlé de la création de richesses en France, de notre développement économique au cours des années écoulées et de la politique menée par le gouvernement actuel, qui concentrerait son unique effort sur la sécurité et affaiblirait notre pays. S'agissant d'affaiblissement, permettez-moi simplement de vous rappeler que la politique que vous avez soutenue pendant cinq années, entre 1997 et 2002, aura fait passer la France de la cinquième à la douzième position en matière de développement économique, de création de richesses et de croissance. Voilà la réalité de votre politique !
    M. Jean-Pierre Blazy. Vous savez que c'est faux !
    M. Bruno Le Roux. Si vous continuez, nous allons demander l'audition du ministre des finances !
    M. Christian Estrosi. rapporteur. Et s'il est vrai que le texte présenté par le ministre de l'intérieur répond aux préoccupations exprimées par les Françaises et les Français au printemps dernier, cela n'empêche pas - le ministre l'a rappelé à de nombreuses reprises - que notre volonté est de conduire la politique transversale que vous n'avez pas menée.
    Vous avez parlé d'éducation nationale, mais excusez-moi ! Comment pouvez-vous parler d'équité, monsieur Valls ? Si vous aviez conduit une politique équitable en matière d'éducation nationale, nous ne verrions pas des gamins de douze ans mettre aujourd'hui en coupe réglée des quartiers et des cités ? Ces jeunes avaient sept ans en 1997 et si vous aviez mené une politique d'éducation nationale équitable, ils n'en seraient pas là aujourd'hui et nous ne serions pas obligés de légiférer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Mais voilà : nous, nous faisons le constat ! Les chiffres montrent que 80 % des mineurs délinquants ne savent ni lire ni écrire. Et ce n'est pas notre échec, c'est le vôtre ! (« Bravo ! Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Si le ministre de l'éducation nationale s'est attaqué prioritairement à la lutte contre l'illettrisme, c'est pour éviter que des gamins de trois, quatre ou sept ans se retrouvent délinquants dans cinq ans et pour que nous ne connaissions pas à nouveau la situation que vous nous avez laissée au printemps dernier.
    Enfin, vous avez parlé de ghettos. C'est extraordinaire de vous entendre parler de politique de communautarisme et de politique de ghettos ! Mais qui a géré la politique de la ville ces dernières années ?
    M. Manuel Valls. C'est M. Cardo !
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Qui a géré la politique d'attribution de logements ? Vous le savez bien, les règles sont telles dans les commissions d'attribution de logements de tous nos organismes de logements sociaux et d'offices publics d'HLM que, même si nous souhaitons la mixité sociale, les préfets, représentants du Gouvernement, imposent leur volonté aux élus locaux en la matière.
    M. François Loncle. Vous savez bien que c'est faux !
    M. Christian Estrosi, rapporteur. C'est ainsi que nous nous sommes retrouvés avec, dans les cités, la tour des Tunisiens, celle des Algériens, celle des Capverdiens.
    M. Jérôme Rivière. Exactement !
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Alors que nous avions besoin d'une véritable politique de mixité sociale, vous avez fait une véritable politique de ghettos, contre laquelle d'ailleurs vous vous élevez aujourd'hui, monsieur Valls. Vous nous demandez de ralentir nos travaux en renvoyant ce texte devant la commission, mais vous, vous ne manquez pas d'aller vite en paroles dans votre ville d'Evry, lorsqu'il s'agit de transformer un supermarché en établissement de marchandises halal.
    M. Jean-Pierre Blazy. Il a raison !
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Vous n'acceptez pas cette politique de communautarisme et de ghettos. Je partage à 100 % votre vision des choses, mais, ce qui vous arrive à Evry aujourd'hui, c'est simplement le fruit de la politique que vous avez conduite pendant cinq ans et qui vous retombe sur la figure !
    M. Jean Le Garrec. Mais non !
    M. Jean-Pierre Blazy. C'est beaucoup plus compliqué que cela ! La réalité est plus complexe !
    M. Bruno Le Roux. Encore un dérapage !
    M. Christian Estrosi, rapporteur. Parce que nous voulons apporter rapidement des réponses à tout cela, nous n'avons plus une seconde à perdre. Il n'est donc pas question de retourner en commission. Voilà pourquoi je vous appelle, mes chers collègues, à voter contre cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Gérard Léonard, pour le groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.
    M. Gérard Léonard. Comme l'a rappelé M. le ministre, tout a été dit. Nous venons de d'assister à un rituel que nous connaissons bien. Question préalable, exception d'irrecevabilité et motion de renvoi en commission ne sont que des prétextes pour se livrer à de longs discours qui trouveraient plus naturellement leur place dans la discussion générale. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) M. Valls n'a pas failli à la tradition, mais c'est de bonne guerre ! Nous ne pouvons pas le lui reprocher, puisque nous ne manquions pas d'user des mêmes artifices lorsque nous étions dans l'opposition.
    M. Jean Le Garrec. Assurément !
    M. Jean-Pierre Blazy. Ce ne sont pas des artifices ! Ce sont les droits du Parlement !
    M. Gérard Léonard. C'est l'honnêteté intellectuelle qui me conduit à le dire.
    J'ai bien écouté le discours de M. Valls et je ne me souviens pas qu'il ait vraiment demandé le renvoi en commission.
    M. André Gerin. Vous étiez distrait !
    M. Manuel Valls. C'était pourtant au coeur de mon intervention !
    M. Gérard Léonard. A moins qu'il ne l'ait fait au détour d'une phrase, mais peu importe ! Dans son propos, on a pu distinguer trois parties. Dans la première, il s'est livré à une attaque en règle contre la politique du gouvernement Raffarin,...
    M. André Gerin. Tout à fait !
    M. Gérard Léonard. ... dans tous les domaines, si bien que l'on peut se demander si ce n'était pas un débat de politique générale. Tout y est passé : l'économique, le social, l'éducation, la décentralisation. Je ne ferai pas plus de commentaires sur ce point, mais je ne suis pas sûr que cela corresponde à la nature de notre débat.
    Dans une deuxième partie, et là c'était très émouvant, M. Valls a prononcé un éloge funèbre de la politique menée par le gouvernement précédent.
    M. Pierre Hellier. Eh oui !
    M. Gérard Léonard. Il a dit que beaucoup de choses avaient été faites, que la sécurité était une grande priorité, que l'on y avait consacré de l'argent, des moyens, mais que cela n'avait pas marché comme prévu.
    M. Pierre Hellier. Rien n'a marché !
    M. Gérard Léonard. Et il a alors prononcé une phrase extraordinaire que j'ai retenue : « Les Français ne nous ont pas compris, parce que le message était brouillé. » Mais, je suis navré, les Français ont parfaitement compris que cette politique avait échoué !
    M. André Gerin. Ce n'est pas sûr !
    M. Gérard Léonard. Il est écrit dans l'Evangile que l'on juge un arbre à ses fruits. En l'occurrence, les fruits sont amers puisque l'on assiste à une véritable explosion de la délinquance qui a progressé de 16 % en cinq ans, avec une accélération au fil des années. Voilà la réalité.
    Dans une troisième partie, vous avez enfin abordé le sujet qui nous préoccupe, monsieur Valls. C'était d'ailleurs très intéressant, car on a pu ressentir une sorte de malaise de votre part et j'ai remarqué que vous aviez plutôt épargné le ministre tout en tapant très fort sur sa majorité. Il est pourtant aisé de comprendre que nous ne faisons qu'un, si je puis dire, et que nous approuvons pleinement la démarche engagée par Nicolas Sarkozy dans toutes ses dimensions.
    Ensuite, vous avez fait un aveu intéressant en reconnaissant que l'insécurité était un problème national justifiant une action prioritaire. Même si la conversion est tardive, elle mérite d'être saluée. Je regrette néanmoins que vous n'ayez pas poussé la logique jusqu'au bout, car à partir du moment où l'on reconnaît qu'il s'agit d'un grave problème pour le pays et qu'il comporte des risques pour le pacte républicain, il faut se donner les moyens d'agir. Et vous nous avez fait un faux procès en disant que notre réponse était uniquement sécuritaire. Mais vous savez bien que c'est faux.
    En matière de prévention, vous estimez que nous n'avons pas de leçon à vous donner, mais vous non plus ! Quant à l'éducation, c'est plutôt une faillite. Les chiffres que M. le rapporteur a rappelés sont éloquents de ce point de vue. En effet, dans les quartiers difficiles, plus de la moitié des jeunes en âge d'être scolarisés ne fréquentent pas l'école. Des dizaines de milliers de jeunes sont en situation d'échec scolaire, ce qui est à l'origine d'autres dérives, y compris en matière de sécurité. En matière de politique de la ville, vous prétendez avoir fait des choses extraordinaires, mais je regrette : vous avez englouti des moyens énormes, mais cela a été un vaste gaspillage qui a d'ailleurs été dénoncé par la Cour des comptes. En matière d'intégration, Christian Estrosi a clairement dit les choses. Là aussi c'est un véritable échec sur lequel je ne reviendrai pas à l'occasion d'une explication de vote.
    Néanmoins, je suis d'accord avec vous sur un point : ces échecs nous devons les assumer collectivement et nous avons le devoir de travailler ensemble à la recherche de solutions susceptibles de faire l'objet d'un consensus. Nous pouvons d'ailleurs parfaitement adhérer à certaines propositions qui ont été faites par les orateurs socialistes, par M. Le Roux notamment. Je pense, par exemple, au repérage des jeunes en difficulté très tôt, dès le primaire, et à leur prise en charge individualisée qui nous épargneraient beaucoup de difficultés par la suite. Vous ne l'avez pas fait pendant les cinq ans durant lesquels vous étiez au pouvoir, mais si nous pouvons le faire ensemble demain, ce sera parfait.
    Pour conclure, je rappellerai, comme l'a fait M. le rapporteur, que lors de la première réunion de la commission, M. Le Roux a dit que le groupe socialiste ne déposerait pas d'amendements. D'ailleurs, cela figure dans le compte rendu de nos travaux, à la page 41 du rapport de Christian Estrosi.
    M. Bruno Le Roux. Lisez la suite !
    M. Gérard Léonard. La suite, je la connais. Vous avez dit que vous ne déposeriez pas d'amendements parce que vous attendiez de connaître les nôtres pour vous exprimer.
    M. Bruno Le Roux. Non !
    M. Gérard Léonard. C'est un faux prétexte. Cela nous a permis d'entendre un discours qui n'était pas du tout inintéressant, mais qui est révélateur du long chemin que vous avez à parcourir pour vous attaquer enfin au défi national que vous reconnaissez. Par conséquent, le groupe UMP s'oppose, bien entendu, à ce renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Michel Liebgott, pour le groupe socialiste.
    M. Michel Liebgott. Nous voterons le renvoi en commission parce que nous souhaitons à la fois être efficaces et aller au fond du débat, mais cela n'exclut pas des réponses précises aux déclarations surprenantes de certains députés de la majorité, et pas seulement de M. le ministre. On peut en effet s'étonner d'avoir entendu, durant ce débat, qu'avant tout allait mal, que c'était l'enfer, mais qu'aujourd'hui tout va bien et que c'est le paradis. En tant que parlementaire et élu local, je vous ferai remarquer que les gendarmes, les policiers, les forces de sécurité intervenaient déjà avec efficacité dans le passé. J'en ai des preuves très concrètes dans ma commune. Nous avons bénéficié d'opérations de police judiciaire avec des moyens importants. Nous avons démantelé des réseaux de trafiquants, installé des systèmes de vidéosurveillance.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Vous étiez contre !
    M. Michel Liebgott. Nous avons financé, sur le budget communal, un Eurolaser pour la gendarmerie. Ces résultats ne doivent pas être occultés. A vous écouter, on a l'impression que les policiers et les gendarmes ont commencé à travailler depuis quelques mois seulement (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), mais ils faisaient déjà leur travail avant et ils avaient des moyens conséquents pour cela.
    M. Pierre Hellier. Alors, pourquoi cela n'allait-il pas ?
    M. Michel Liebgott. Je voudrais simplement savoir à ce stade de la discussion, alors que vous avez adopté 300 amendements en quarante-cinq minutes en commission, comment vous allez financer les augmentations d'effectifs de policiers et de gendarmes que vous annoncez.
    On peut avoir quelques doutes devant la façon dont le ministre de l'économie nous a présenté les recettes budgétaires. J'ai davantage entendu parler de guerre que de redéploiement de forces de police, et de gendarmerie, de moyens complémentaires permettant d'anticiper sur l'insécurité et d'agir après que les délinquants aient purgé leur peine et soient revenus dans leur quartier.
    Alors, mesdames et messieurs de la majorité, un peu d'humilité. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) La politique, c'est aussi avoir le sens de l'équilibre. En 1997, qu'avons-nous fait ? Nous avons d'abord défini comme priorité nationale la lutte contre le chômage, en particulier celui des jeunes. Nous avons rétabli une situation, qui est d'ailleurs en train de se dégrader de façon dramatique, mais dont on ne parle pas. Or, vous le savez bien, ces jeunes-là sont le terreau des actes de délinquance de demain.
    M. Pierre Cardo. Tous les chômeurs ne sont pas des délinquants !
    M. Michel Liebgott. Nous avons créé - et non supprimé - des postes de policiers et de gendarmes, ainsi que des postes de magistrats, à la suite de l'héritage que vous nous aviez laissé. J'en veux pour preuve ma situation personnelle : j'ai été élu en 1997 contre le Front national, tout simplement parce que, de 1993 à 1997, les actions de la police et de la gendarmerie avaient été insuffisantes. Or, que je sache, la gauche n'était pas laxiste : elle n'était pas au pouvoir ! Cinq ans plus tard, le gouvernement Jospin étant passé par là, j'ai été élu avec plaisir contre l'un de vos candidats de la droite républicaine. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Ce qui signifie, très concrètement, que le Front national a reculé.
    Alors que nous avions fait, à Villepinte, de la sécurité notre deuxième priorité, nous n'avons pas supprimé de postes de policiers, de gendarmes ou de magistrats. Mais vous, qui faites de la sécurité une priorité absolue, vous supprimez des postes dans le domaine de la prévention et de la politique de la ville. Vous nous préparez un avenir dramatique, dans des domaines très précis. Si vous n'avez pas le monopole de la lutte contre l'insécurité, je crois que nous avons, malheureusement, une sorte de monopole de la prévention de l'insécurité et du traitement post-répressif. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle).
    Mme Marie-Jo Zimmermann. Les résultats ?
    M. Michel Liebgott. Bien entendu, vous pourrez nous dire qu'il suffit de taper, de sanctionner. Bien entendu, qu'il faut sanctionner ! C'est le sens même de la loi et du pacte républicain. Mais il faut aussi, localement, donner des moyens aux élus. Quels sont ces moyens, et que veulent les élus dans leurs cités ? Ils veulent plus de sécurité. Or cela passe par l'emploi qui, comme je l'ai dit tout à l'heure, n'est plus une priorité gouvernementale - ce qui ne manquera pas d'avoir un effet boomerang. Ils veulent des logements. Vous nous disiez que nous n'avions qu'à les construire. Eh bien, nous avions justement fait adopter la loi SRU, qui devait imposer à tous les élus, sans exception, de créer du logement social. Or cette loi, vous êtes en train de la casser !
    M. Jérôme Rivière. C'était une connerie !
    M. Michel Liebgott. Alors, ne vous étonnez pas si, demain, nous recréons des ghettos,...
    M. Pierre Cardo. Pas besoin de les créer, ils existent !
    M. Michel Liebgott... et si nous avons besoin de plus de policiers et de gendarmes pour y intervenir. Ces ghettos grandiront, tandis que les villes tranquilles continueront de prospérer. Les récentes statistiques le démontrent. Bien entendu, dans quelques centres-villes, avec une mobilisation massive de policiers, on arrive à contrer l'insécurité et à rassurer les populations.
    M. Jérôme Rivière. C'est une révélation !
    M. Michel Liebgott. Mais en milieu rural, mesdames et messieurs, tout est parfait ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Ne constatez-vous pas, peu à peu, que même les élus de droite, vos proches, font aujourd'hui le constat que les choses ne s'améliorent pas ? Dans mon département - le même, d'ailleurs, que celui de Mme Zimmermann -, le conseil général lui-même, dont le président est UMP, a compris qu'il lui fallait mettre en place une politique en direction de la jeunesse, qui aille au-delà de la prévention spécialisée. Il a compris que les actions de renforcement de la répression, à elles seules, si nécessaires qu'elles soient, ne suffisaient pas.
    Il nous faut donc continuer à réfléchir ensemble. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Un renvoi en commission ne veut pas dire qu'il ne faut pas avancer et voter des textes. Et ce n'est pas parce que nous affirmons, par la voix de Manuel Valls, que cette loi n'est pas forcément liberticide, que vous avez pour autant le droit de nous traiter de laxistes ou de « droits-de-l'hommistes » - parce que cela, c'est une insulte !
    Au début de mon mandat de maire, en 1989, j'ai réussi à interrompre un viol, derrrière la mairie. J'ai également habité dans certains lieux dits « difficiles ». J'ai ramassé des excréments le matin. J'ai effectivement côtoyé le pire.
    M. Jérôme Rivière. Bravo !
    M. Michel Liebgott. Eh bien, je vous le dis : nous ne voulons pas dire que cette loi est absolument horrible, nous voulons rétablir un équilibre entre la répression et la prévention. L'avenir sera peut-être plus serein si, sur ces bancs, nous savons nous respecter, et si le ministre de l'intérieur ne se trouve pas débordé sur sa droite. Car dans ce pays, un seul parti croit vraiment que tout est facile dans ce domaine et que l'on peut casser l'insécurité. Il l'a dit et affirmé : c'est le Front national. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Christian Vanneste. Cela faisait longtemps ! Il vous manque ?
    M. Michel Liebgott. Je souhaite que, dans cette enceinte, nous ayons un débat républicain, et non extrémiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. André Gerin, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. André Gerin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons voter la motion de renvoi en commission, et je vais vous expliquer pourquoi.
    M. Yves Jego. Ce n'est pas la peine !
    M. André Gerin. Contrairement à tout ce qu'on a entendu, la droite n'a pas le monopole de la lutte contre l'insécurité.
    M. Jean-Pierre Blazy. Très bien !
    M. Christian Vanneste. Pour l'instant, si !
    M. André Gerin. Le discours du Gouvernement s'apparente à un « poker menteur », car il donne le sentiment de confisquer le débat public. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, cette démarche a pour but d'escamoter les questions de fond afin de justifier la mise en oeuvre d'une politique libérale. Que vous le vouliez ou non, vous allez amplifier la criminalisation de la misère.
    J'ai été rapporteur, sous la précédente législature, du budget du ministère de la justice, qui comprend celui des prisons ; je ne l'ai d'ailleurs pas voté, considérant que les moyens étaient insuffisants. Je connais donc bien la situation des prisons. Or, compte tenu des populations qui sont incarcérées, les mesures pénales que vous annoncez vont amplifier la criminalisation de la misère. Cette situation est caractéristique d'une évolution vers une conception à l'américaine des prisons qui, soumises au marché, sont devenues un secteur lucratif.
    Autre remarque : vous êtes gênés quand on vous dit que votre projet est partiel et partial. Mais où sont les actions proposées pour lutter contre les violences sociales généralisées, dans les domaines économique, financier, sanitaire, judiciaire ? La question des grands trafics est la grande absente de ce projet de loi, puisque l'on nous annonce que la grande criminalité sera traitée un peu plus tard. Pourquoi ne pas l'avoir intégrée ?
    Vous prétendez vouloir rétablir l'autorité de l'Etat et, grosso modo, nous sommes tous d'accord avec cet objectif.
    M. Yves Jego. Ah !
    M. André Gerin. Mais l'autorité de l'Etat est mise en cause par l'abandon des grandes missions régaliennes de solidarité, auquel votre projet de loi contribue.
    Je prendrai, en guise de conclusion, un exemple lié à ce que vient de dire notre rapporteur au sujet de la législature précédente. Malgré les efforts de ces cinq, voire de ces vingt dernières années, la priorité nationale que constituait la politique du logement social a été abandonnée et n'a jamais été rétablie depuis. Monsieur Estrosi, la loi Barre-Barrot de 1977 avait fait beaucoup de mal. Or l'abandon du logement social dans ce pays est un élément fondamental de l'aggravation des inégalités et des injustices.
    M. Yves Jego. C'est faux !
    M. André Gerin. Je ne dis pas que la gauche est limpide sur cette question. (« On a bien entendu ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Reste que nous sommes opposés à l'idéologie libérale qui sous-tend votre projet de loi.
    Nous refusons, monsieur le ministre, l'union sacrée que vous nous proposez. Nous ne voulons pas d'un « blairisme » à la française. Ce qu'il faut à la France, c'est un débat politique concret, avec des propositions. Les député-e-s communistes et républicains, d'ailleurs, ne se contentent pas de discours généraux : ils ont des réponses concrètes sur les sujets concrets. J'admets qu'on n'est pas obligé de les partager. Car, dans ce pays, il y a des réponses de gauche et des réponses de droite. Et ce n'est pas la même chose ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour le groupe Union pour la démocratie française.
    M. Jean-Christophe Lagarde. Mes chers collègues, la politique est un exercice bien difficile ! J'avoue avoir particulièrement apprécié l'intervention de Manuel Valls, au point d'avoir eu envie d'applaudir certains passages qui me paraissaient frappés au coin du bon sens.
    M. Jean-Pierre Blazy. Il ne fallait pas vous retenir !
    M. Jean-Christophe Lagarde. Je ne me retiens jamais, pas même de le dire ! Ainsi, cela figurera au procès-verbal, ce qui n'aurait pas été le cas, peut-être, de simples applaudissements. J'ai eu la possibilité, dans d'autres assemblées, de voir évoluer M. Valls, ainsi que d'autres socialistes, notamment Julien Dray...
    En revanche, je n'ai pas regretté de ne pas avoir applaudi quand j'ai entendu l'explication de vote socialiste. On sent bien, comme ce fut déjà le cas cet été sur la LOPSI, qu'il y a des points de vue divergents au parti socialiste. Heureusement...
    Monsieur Valls, cet été, la presse s'est fait l'écho de ces divergences, et vous rangeait plutôt au nombre de ceux qui avaient beaucoup évolué sur les sujets que nous évoquons. Malheureusement, d'autres n'évoluent pas...
    M. André Gerin. On fait ce qu'on peut !
    M. Jean-Christophe Lagarde. Je ne suis pas sûr que vous n'ayez pas beaucoup évolué, monsieur Gerin !
    Le ministre nous invite à un travail en commun. Vous avez d'ailleurs cru devoir noter, à un moment donné, une plus grande proximité entre vous et le ministre, qu'entre le ministre et une partie de sa majorité : c'est simplement que vous vous êtes beaucoup rapproché du ministre. Nous ne pouvons que nous en féliciter. Souhaitons que l'ensemble du parti socialiste fasse de même.
    M. Jean-Pierre Blazy. Occupez-vous plutôt des problèmes de l'UDF !
    M. Manuel Valls. C'est là que ça va devenir compliqué !
    M. Jean-Christophe Lagarde. De la même façon je vous ai entendu avec émotion parler de nos symboles nationaux, notamment du drapeau, de La Marseillaise, qui sont à l'évidence essentiels. Là encore on peut envisager un rapprochement fécond : vous verrez que Rudy Salles propose que nous fassions évoluer la législation dans ce domaine.
    Quel dommage, après que La Marseillaise eut été sifflée devant le Président de la République et le Premier ministre, au Stade de France, il y a quelques mois, que le gouvernement de la France de l'époque n'ait pas pris l'initiative de montrer que le drapeau national et l'hymne national devaient être respectés !
    J'ai noté quelques passages de votre intervention, monsieur Valls. Vous expliquez que « le seul manque de moyens pour appliquer votre politique justifie à nos yeux le renvoi ». Mais la politique, c'est de l'histoire en marche. C'est-à-dire que la loi de programmation que nous avons votée apportera progressivement aux forces de l'ordre et à la justice les moyens qui leur sont nécessaires.
    Je n'ai pas apprécié votre propos sur la stigmatisation des jeunes issus de l'immigration. Très sincèrement, je ne pense pas que dans votre ville, ou dans la mienne, ou dans les nôtres, lorsqu'on parle de jeunes voyous, l'immense majorité d'entre eux se sentent concernés. Comme s'ils étaient plus responsables que d'autres des problèmes d'insécurité ! En revanche, et je suis d'accord, il faut casser les ghettos dans lesquels on enferme certains groupes de population, quelle que soit d'ailleurs leur origine.
    C'est vrai qu'on a besoin de lieux d'écoute généralisés et de correspondants de nuit. Mais j'ai le sentiment, à force d'entendre les mêmes discours, que vous demandez au ministre de l'intérieur d'embrasser toute la politique du Gouvernement. A la longue, on a l'impression que vous aspirez à voir Nicolas Sarkozy jouer le rôle du Premier ministre et agir à la fois pour le logement, l'intérieur, la prévention, la justice, le développement économique, et j'en passe.
    M. André Gerin. Il y a transfert !
    M. Jean-Christophe Lagarde. Le ministre de l'intérieur propose un projet de loi qui se limite au domaine qui le concerne. Je ne vois pas pourquoi on le lui reprocherait - même si j'ai eu l'occasion de dire au moment du débat budgétaire que nous souhaitions que les moyens consacrés à la prévention progressent.
    Concernant la délinquance en col blanc, tout montre aujourd'hui que les grands trafics financiers, les mafias et les terrorismes se nourrissent de la petite délinquance qui destructure nos quartiers.
    M. André Gerin. Ce sont eux qui la nourrissent, dans la mesure où ils s'en servent !
    M. Jean-Christophe Lagarde. Si certains se sont retrouvés dans des camps en Afghanistan, c'est aussi parce que nos quartiers sont destructurés par cette petite délinquance. Lutter contre celle-ci n'est donc pas contradictoire avec le fait de lutter contre les grands réseaux.
    M. André Gerin. Bien entendu !
    M. Jean-Christophe Lagarde. Je me réjouis que l'on fasse l'un et je fais confiance au Gouvernement pour faire l'autre, ce qui devrait prochainement être le cas avec le projet de loi que doit présenter bientôt M. Dominique Perben.
    M. André Gerin. A voir !
    M. Jean-Christophe Lagarde. Je ne comprendrais donc pas pourquoi on renverrait ce texte en commission. Ce n'est pas l'alpha et l'omega de la politique du Gouvernement en matière de sécurité qui est présenté ici : c'est simplement le moyen d'avancer.
    Enfin, on ne peut pas dire - comme vient de le faire M. Liebgott - que la motion de renvoi en commission n'est pas destinée à bloquer la discussion. Car ce ne fut pas la seule motion de procédure à être présentée. Dans l'exception d'irrecevabilité, on nous a expliqué que nous étions sécuritaires, liberticides, anticonstitutionnels, et j'en passe.
    M. Bruno Le Roux. Non, ces termes n'ont jamais été employés !
    M. Jean-Christophe Lagarde. Cette motion de renvoi en commission n'était donc pas destinée à travailler. Ce fut un prétexte à tribune politique. Nous voterons donc contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Personne ne demande plus la parole ?
    Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.
    (La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)
    M. le président. Chers collègues, il est un peu tard pour penser à l'examen des articles.
    La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

10

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

    M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :
    Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, n° 381, pour la sécurité intérieure :
    M. Christian Estrosi, rapporteur, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 508) ;
    Mme Marie-Jo Zimmermann, rapporteure, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (rapport d'information n° 459).
    A vingt et une heures, troisième séance publique :
    Suite de l'ordre du jour de la première séance.
    La séance est levée.
    (La séance est levée à douze heures quarante.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT