Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus intégraux (session ordinaire 2002-2003)

 

ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU JEUDI 22 MAI 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
1re séance du mercredi 21 mai 2003


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

1.  Questions au Gouvernement «...».

DÉFENSE DE L'EXCEPTION CULTURELLE «...»

MM. Pierre-Christophe Baguet, Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication.

SERVICES D'URGENCE
DANS LES HÔPITAUX D'ÎLE-DE-FRANCE «...»

Mme Jacqueline Fraysse, M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

RÉFORME DES RETRAITES «...»

MM. Céleste Lett, Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire.

GRÈVE DES ENSEIGNANTS «...»

Mme Françoise Imbert, M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.

ENFANTS DISPARUS «...»

MM. Michel Diefenbacher, Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice.

GRÈVE DES MÉDECINS URGENTISTES «...»

MM. Didier Julia, Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

MALAISE DANS L'ÉDUCATION NATIONALE «...»

MM. Christophe Caresche, Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire.

BOYCOTT DES PRODUITS FRANÇAIS PAR LES ÉTATS-UNIS «...»

MM. Victor Brial, Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

CANDIDATURE DE PARIS AUX JEUX OLYMPIQUES DE 2012 «...»

Mme Françoise de Panafieu, M. Jean-François Lamour, ministre des sports.

INDEMNISATION DES VICTIMES
DE LA POLLUTION DU PÉTROLIER PRESTIGE «...»

MM. Jean-Pierre Dufau, Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.

CLASSES D'INTÉGRATION «...»

MM. Jean-Marie Geveaux, Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire.

INDEMNISATION DE LA POLLUTION DES CÔTES
PAR LES HYDROCARBURES «...»

MM. Jean-Pierre Giran, Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.

Suspension et reprise de la séance «...»
PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS BAROIN,
vice-président

2.  Adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité «...».
Discussion d'un projet de loi «...».
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois.
M. François d'Aubert, rapporteur pour avis de la commission des finances.
M. Pascal Clément, président de la commission des lois.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ «...»

Exception d'irrecevabilité de M. Jean-Marc Ayrault : MM. André Vallini, le garde des sceaux, le rapporteur, Gérard Léonard, Michel Vaxès. - Rejet.

Suspension et reprise de la séance «...»
QUESTION PRÉALABLE «...»

Question préalable de M. Jean-Marc Ayrault, MM. Jean-Yves Le Bouillonnec, le rapporteur. - Rejet.

DISCUSSION GÉNÉRALE «...»

MM.
Michel Vaxès,
Gérard Léonard.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
3.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

    M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
    Nous commençons par une question du groupe Union pour la démocratie française.

DÉFENSE DE L'EXCEPTION CULTURELLE

    M. le président. La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet.
    M. Pierre-Christophe Baguet. Ma question s'adresse à M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication.
    Pendant que notre pays se prépare à des réformes importantes et nécessaires, l'Europe continue à avancer. Loin de se désintéresser de la situation nationale, bien au contraire, l'UDF tient néanmoins à appeler l'attention de la représentation nationale et du Gouvernement sur les enjeux culturels actuellement en négociation à Bruxelles.
    Monsieur le ministre, suite aux travaux de la Convention de l'Europe, vous venez de réaffirmer par deux fois votre volonté de défendre le principe de l'exception culturelle et donc de préserver le maintien de la règle de l'unanimité en ce qui concerne la politique commerciale extérieure commune pour les services audiovisuels et culturels. En cela, vous faites écho aux propos du Président de la République, Jacques Chirac, qui a récemment déclaré que la culture ne devait pas plier devant le marché.
    Le groupe UDF se félicite de cette position. Nous sommes, en effet, particulièrement attachés à la notion de diversité culturelle et à cet acquis européen, depuis les négociations du GATT, en 1994. Pour l'UDF, la culture et les images ne sauraient en aucun cas être considérées comme des marchandises comme les autres.
    Il serait dangereux et incohérent que, sans débat ni réflexion préalables, les décisions relatives à la culture soient désormais prises à la majorité qualifiée. On arriverait, en effet, à ce paradoxe qu'à l'intérieur de l'Europe, la culture relèverait des compétences nationales et serait donc soumise à la règle de l'unanimité, tandis qu'à l'extérieur, elle serait, dans le cadre des discussions OMC, soumise à la règle de la majorité qualifiée.
    Si le groupe UDF approuve votre décision, il craint fortement que celle-ci ne soit pas partagée au sein du Gouvernement, en particulier à Bercy. Y aurait-il un décalage entre les mots et les actes ?
    Monsieur le ministre, les déclarations succèdent aux déclarations mais, concrètement, qu'allez-vous faire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.
    M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le député, d'abord, je vous remercie pour votre question, à laquelle je vais m'efforcer de répondre.
    Vous le savez, la contribution à la Convention, déposée en décembre 2002 par le gouvernement français, demandait notamment que soit inscrite dans les objectifs de l'Union la défense de la diversité culturelle dans toutes les politiques de l'Union, ainsi que dans ses relations extérieures.
    En février dernier, la France a vivement réagi à la proposition du présidium, l'organe qui rédige le projet de futur traité. Cette proposition accorde, en effet, une place résiduelle et décevante à la culture, qui ne serait qu'une compétence d'appui de l'Union. En outre, elle prévoit, ce qui est extrêmement grave à nos yeux, le passage à la majorité qualifiée pour les décisions commerciales extérieures dans le domaine des services culturels et audiovisuels.
    La France est farouchement attachée au maintien du principe de l'unanimité, seul à même de protéger les intérêts de nos industries culturelles et audiovisuelles.
    Aujourd'hui, les pressions commerciales émanant notamment des Etats-Unis d'Amérique sont fortes et un certain nombre de pays de l'Union sont sensibles. Le Président de la République française a écrit à M. Giscard d'Estaing pour lui rappeler la priorité que la France accorde au maintien de la règle de l'unanimité.
    La semaine dernière, j'ai obtenu d'une quinzaine de ministres de la culture de l'Union européenne et de pays entrants, réunis à Cannes à l'occasion du Festival, qu'ils signent une déclaration en faveur de la règle de l'unanimité. Cette déclaration a été approuvée par M. Michel Rocard, président de la commission culture du Parlement européen et a naturellement reçu l'appui de Mme Reding, commissaire à la culture.
    La position de la France a reçu, par ailleurs, de nombreux soutiens, puisque quarante-sept amendements ont été déposés par divers conventionnels.
    Enfin, monsieur le député, je note que le ministre des affaires étrangères, M. de Villepin, s'est exprimé dans ce sens la semaine dernière au cours de la séance plénière de la Convention. Il n'y a donc aucune raison d'être pessimiste. Si nous nous battons, nous obtiendrons gain de cause. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

SERVICES D'URGENCE DANS LES HÔPITAUX
D'ILE-DE-FRANCE

    M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    Mme Jacqueline Fraysse. Monsieur le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, les hôpitaux sont de nouveau en effervescence. (« Les 35 heures ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Les personnels s'inquiètent à juste titre des projets de votre gouvernement sur la retraite. Ces craintes s'ajoutent à celles qui persistent en ce qui concerne les effectifs. Mais sur ce vaste sujet de la situation des hôpitaux, je voudrais parler plus particulièrement aujourd'hui de la situation des services d'urgence d'Ile-de-France, qui sont actuellement en grève.
    En effet, par manque de moyens, de médecins et de personnels, il devient de plus en plus difficile d'assurer ce service particulièrement indispensable. Les médecins effectuent souvent plus de soixante-dix heures hebdomadaires, au lieu des quarante-huit prévues par les textes. Comment pourraient-ils dans ces conditions s'occuper comme il le faut des patients, qui attendent parfois des heures aux urgences, vous le savez sans doute ?
    A cela s'ajoutent les problèmes pour trouver un lit d'hospitalisation lorsque c'est nécessaire, du fait des restructurations qui conduisent à en diminuer sans cesse le nombre.
    Les médecins urgentistes, avec les chefs de service, évaluent entre 500 et 1 000 le nombre des postes qu'il faudrait créer rien que pour l'Ile-de-France. Mais comme nous avons affaire à des personnels réalistes et responsables, qui connaissent bien l'insuffisance du nombre de médecins sortant de formation, l'Association des médecins urgentistes hospitaliers de France, l'AMUHF, syndicat d'urgentistes, demande la création immédiate de 150 postes pour la région parisienne, où les problèmes sont les plus criants.
    Allez-vous les entendre, monsieur le ministre, ou prendrez-vous le risque que la situation se dégrade encore cet été ? Je vous donne acte que vous avez légèrement relevé le numerus clausus des médecins... (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)... Mais vous voyez bien que nous sommes très loin du compte. Il y a donc urgence à ouvrir beaucoup plus largement les voies de formation des médecins et de l'ensemble des personnels soignants. Y êtes-vous prêt ?
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
    M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Madame la députée,...
    Un député du groupe socialiste. Tout reste à faire ! (Sourires.)

    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. ... le problème des urgences est d'abord un problème humain : treize millions de passages par an, onze millions d'appels au SAMU, avec une augmentation régulière de 5 % à 6 % par an, et cela, c'est vrai, dans des conditions de pénibilité et de contraintes qui expliquent les mécontentements et les revendications.
    C'est vrai, il y a une pénurie de personnels, médicaux et soignants ; c'est vrai, il y a un désengagement de la médecine de villes dans la permanence des soins. (Il y a des raisons ! sur les bancs du groupe socialiste.) Mais il est vrai aussi que la réduction du temps de travail n'a pas facilité les choses ! (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Maxime Gremetz. C'est trop facile !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Je ne m'en tiendrai pas là, monsieur Gremetz ! Je rappellerai que le protocole qui a été signé par le précédent gouvernement, le 22 octobre 2001, laissait deux mois pour que le dispositif des 35 heures prenne effet, au 1er janvier 2002, et laissait un an pour que la directive européenne intégrant les gardes dans le temps de travail soit opérationnelle au 1er janvier 2003. Cela représente 20 % de travail en moins à l'hôpital en quelques mois ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.).
    L'hôpital a été maltraité ! Et les urgences sont les premières à en souffrir !
    M. Richard Mallié. Eh oui !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. J'en viens donc aux mesures qui ont été prises ou qui sont à prendre.
    M. Alain Néri. Là, ça va moins bien !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. J'ai signé le protocole d'accord avec les quatre syndicats de personnels hospitaliers au mois de janvier. L'arrêté garantissant le paiement des gardes et des plages additionnelles a été publié le 30 avril.
    S'agissant plus spécifiquement des urgences, je me suis engagé sur la création d'une spécialité d'urgentiste au 1er septembre 2004 et sur l'augmentation des filières de spécialités impliquées : réanimateurs, pédiatres, chirurgiens, obstétriciens, en premier lieu. Je rappelle enfin, les mille postes créés en 2002, publiés en mars 2003, et les mille postes créés pour 2003 dans la même liste.
    Nous avons tenu nos promesses.
    M. Alain Néri et M. Christian Bataille. C'est faux !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Les deux mille postes sont créés et ils sont attribués ; 30 % iront aux urgences. Maintenant, il faut les attribuer : c'est le travail des ARH ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

RÉFORME DES RETRAITES

    M. le président. La parole est à M. Céleste Lett, pour le groupe UMP.
    M. Céleste Lett. Ma question s'adresse à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire.
    M. Maxime Gremetz. Du déménagement, plutôt !
    M. Céleste Lett. Monsieur le ministre, nous attendons beaucoup de la réforme des retraites. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Chacun y va de sa vérité. On dit tout et son contraire. Nos concitoyens s'y perdent.
    M. Manuel Valls. A qui la faute ?
    M. Céleste Lett. La rumeur est lancinante et persistante. Dans la fonction publique, notamment, le doute s'installe. (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Il est un vecteur de crispation, d'incompréhension et d'angoisse pour celles et ceux qui oeuvrent pour le service public. (Mêmes mouvements.)
    Tout le monde le reconnaît ici, de la droite à la gauche de l'hémicycle : il faut d'urgence sauver le système par répartition. C'est ce que votre collègue François Fillon et vous-même, vous vous employez à faire depuis de nombreuses semaines. (« Non ! Non ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Pourtant, sur le terrain, à la télévision, à la radio, dans les journaux, nous entendons des enseignants - mais aussi des policiers et d'autres - nous dire que cette réforme va leur faire perdre 30 % de leur pension (« Oui ! » sur de nombreux bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - « C'est faux ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), et qu'ils seront dans l'obligation de faire classe jusqu'à soixante-dix ans, voire jusqu'à un âge plus avancé.
    Face à ces rumeurs - oserais-je dire face à cette désinformation ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) - amplement nourries depuis le week-end dernier par certains qui, immobilistes hier, se font donneurs de leçons aujourd'hui... (Mêmes mouvements.)
    M. Manuel Valls. Quand poserez-vous votre question ?
    M. le président. Monsieur Lett, auriez-vous l'amabilité de poser votre question ?
    M. Céleste Lett. ... la représentation nationale et l'ensemble de nos concitoyens ont besoin d'une explication franche et rassurante. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire.
    M. Christian Bataille. Rassurez-le, monsieur le ministre !
    M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Vous avez raison, monsieur le député, de dire qu'il est de notre responsabilité politique d'avoir des débats sur nos objectifs et sur les conséquences individuelles des choix que nous proposons - je dirais même que c'est la grandeur du politique. Mais je condamne ceux qui répandent de faux arguments pour mieux camoufler la faiblesse de leur propre position. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Qui peut avoir peur de la vérité ? Notre contrat avec les fonctionnaires est clair : en travaillant une ou deux années de plus, vous préservez votre pension, et même vous l'améliorez.
    Plusieurs députés du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. Non ! Ce n'est pas vrai !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Je suis prêt à tous les débats, chiffres en main. Un gardien de la paix âgé de 50 ans prendra sa retraite à 53 ans avec une pension de 1 771 euros ; avec deux années de plus, il l'améliore de 122 euros. Il est faux de dire qu'il perdra 30 % !
    Un professeur certifié de 57 ans qui prendra sa retraite à 60 ans partira avec une pension de 2 127 euros ; s'il travaille deux ans de plus, celle-ci s'élèvera à 2 206 euros.
    M. Edouard Landrain. C'est vrai !
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour le mouvement populaire. Alors ! (Huées sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés-e-s communistes et républicains.)
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Il est faux de dire qu'il va devoir travailler jusqu'à 70 ans ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    De plus, vous confondez la durée d'assurance et la durée de travail. Le rachat des années d'études permettrait d'ouvrir trois ans de droits. La bonification pour enfants permettra d'obtenir également trois ans... (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.)
    M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie, donnez une autre image de l'Assemblée !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Notre contrat est clair. L'arme des justes, c'est la vérité, telle est ma conviction ! L'arme des faibles, c'est le mensonge ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

GRÈVE DES ENSEIGNANTS

    M. le président. La parole est à Mme Françoise Imbert, pour le groupe socialiste.
    Mme Françoise Imbert. Monsieur le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, une fois de plus, vous avez confondu la véritable négociation que les organisations enseignantes vous demandent avec une aimable discussion de salon ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Tous les enseignants et les parents veulent retrouver, enfin, les moyens de travailler dans la sérénité. Ce sont ces moyens que vous leur retirez par vos réductions budgétaires, par la suppression des postes, par l'abandon du plan annuel de recrutement.
    De plus, par votre décision de transférer 110 000 agents aux collectivités territoriales, vous traitez ces personnels comme des pions que vous déplacez (Mêmes mouvements) dans un objectif de restrictions budgétaires.
    Nous ne voulons pas de votre décentralisation-prétexte, monsieur le ministre ! N'utilisez pas les très rares excès, que d'ailleurs nous condamnons avec l'ensemble des responsables enseignants, pour dresser les Français contre les personnels de l'éducation (« La voilà la vérité ! » sur les bancs du groupe socialiste.) qui, en ce moment, défendent l'école et l'avenir des enfants. Vous provoqueriez une explosion de colère dont vous porteriez, seul, la responsabilité. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Monsieur le ministre, le Gouvernement oublie les valeurs républicaines. Allez-vous enfin écouter tous ceux qui défendent l'école, entendre les organisations syndicales et les parents d'élèves qui demandent d'autres choix, politiques et budgétaires, et retirer votre projet ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. (Sur les bancs du groupe socialiste, « Démission ! »).

    M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Madame la députée, il convient peut-être de vous expliquer la procédure que nous mettons en place.
    Nous avons reçu, Xavier Darcos et moi-même, hier soir et ce matin, les organisations syndicales...
    M. Alain Néri. Avec quel succès !
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. ... pour préparer le comité interministériel qui se tiendra le 27 mai prochain sous la présidence du Premier ministre à Matignon, c'est-à-dire dès son retour du Canada. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Les consultations se déroulent dans une atmosphère que je qualifierai de constructive. Nous présenterons au Premier ministre les résultats de ces consultations et il arrêtera lui-même les décisions qui nous permettront de reprendre, dès le lendemain du 27 mai, les négociations avec les organisations syndicales.
    Tout cela se passe normalement : c'est ce qu'il faut faire en cas de conflit social. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicain.) Or nous avons bien aujourd'hui un conflit social.
    J'ajouterai deux choses cependant.
    D'abord, il est inacceptable que, dans ce conflit, les élèves soient pris en otage et nous ne l'accepterons pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Les parents d'élèves peuvent compter sur nous pour cela. Les autorités académiques de ce pays, qui sont très compétentes,...
    M. Jean Glavany. Ce n'est pas la question !
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. ... ont reçu, hier, de notre part, des instructions claires pour que les examens se déroulent normalement, et je rends hommage - sur ce point au moins nous sommes d'accord - aux enseignants qui, même en grève, assument leurs responsabilités et ont parfaitement compris que l'opinion publique n'accepterait pas qu'on prenne les élèves en otage. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jean-Claude Lefort. Comment ? « En otage ? » Mais ce ne sont pas des terroristes !
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Si nous sommes aujourd'hui en difficulté (« Ah bon ? » sur les bancs du groupe socialiste), si le malaise enseignant est réel,...
    M. Alain Néri. C'est votre faute !
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. ... c'est parce que, pendant des années, on n'a pas eu le courage de dire les vérités qui dérangent (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française), et on n'a pas eu le courage de faire les réformes qu'il fallait faire.
    Ne pas réformer aujourd'hui, cela ne serait pas simplement une erreur, ce serait une faute, et même une faute grave. Ne comptez pas sur nous pour la commettre (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. C'est nul !
    M. Jean-Claude Lefort. Jules, reviens ! (Rires.)

ENFANTS DISPARUS

    M. le président. La parole est à M. Michel Diefenbacher, pour le groupe UMP.
    M. Michel Diefenbacher. Ma question s'adresse à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
    Monsieur le ministre, personne en France n'a oublié la petite Marion. Depuis six ans, Marion a disparu et, en dépit du travail des enquêteurs, du relais des médias et de la mobilisation des associations, aucun indice n'a pu être trouvé. Mais Marion n'est pas seule. L'an dernier, 500 disparitions d'enfants ont été constatées, dont la plupart ne résultent pas ou ne semblent pas résulter d'une fugue. Par ailleurs, 50 000 fugues ont été signalées à la direction centrale de la sécurité publique. Ces chiffres sont en augmentation, tout comme les enlèvements parentaux : 469 en 2001, 620 en 2002.
    Ces évolutions sont évidemment alarmantes. Dimanche prochain, le 25 mai, la fête des mères sera aussi, pour la première fois, la Journée internationale des enfants disparus. Les associations qui se mobilisent pour diffuser les photos des enfants et soutenir les familles proposeront à cette occasion une petite fleur symbolique contre l'oubli, un myosotis.
    Au-delà de la mobilisation des Français, il y a, bien sûr, l'action des pouvoirs publics. Avec Christian Jacob, vous avez reçu les associations ce matin. Pouvez-vous dire à la représentation nationale ce qui est fait pour prévenir de telles dérives, secourir les enfants menacés et renforcer les moyens de lutte contre un fléau abominable, auquel nous ne pouvons bien sûr pas nous résigner ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, je voudrais d'abord, comme vous, avoir une pensée particulière pour les familles qui ont vécu le même drame que la famille de Marion dans votre département. Dans la perspective de la journée du 25 mai, qui sera la Journée internationale des enfants disparus, nous avons ce matin, avec Christian Jacob, reçu un certain nombre d'associations qui accompagnent ces familles.
    Vous me demandez ce que font les pouvoirs publics ? Eh bien, nous voulons justement travailler en étroite liaison avec les associations, qui nous sensibilisent, nous donnent des informations et nous permettent de mieux définir nos actions. Par ailleurs, je veux bien sûr rendre hommage aux services d'enquête qui, sous l'autorité du ministre de l'intérieur, mènent avec acharnement les enquêtes indispensables pour retrouver ces enfants.
    Le 9 septembre dernier, la loi d'orientation sur la justice a permis aux procureurs de la République d'ouvrir des enquêtes sans soupçon de caractère pénal, ce qui a permis d'ouvrir depuis le mois de septembre vingt-quatre enquêtes destinées à rechercher des enfants disparus en l'absence de soupçon de quelque nature que ce soit.
    Dans le texte dont la discussion va commencer cet après-midi, je propose deux éléments de réponse complémentaires : le renforcement des sanctions contre les réseaux de trafic d'êtres humains, le renforcement des moyens de procédure qui seront à la disposition des procureurs et des services d'enquête dans ce type de cas.
    Enfin, nous devons améliorer, texte après texte, l'information des victimes. Ce sera le cas dans le texte dont la discussion commence cet après-midi. J'ai par ailleurs désigné, au sein de la direction des affaires criminelles du ministère de la justice, un magistrat qui coordonnera l'ensemble des enquêtes concernant des mineurs en fugue. Avec Christian Jacob, dans la perspective de la conférence de la famille de l'année prochaine, qui se préoccupera de l'adolescence, nous mettons en place un groupe de travail entre nos deux administrations pour réfléchir non seulement à l'aspect pénal, mais aussi à l'aspect préventif de ce phénomène, 50 000 mineurs par an - heureusement retrouvés pour la plupart - faisant une fugue en partant soit de leur famille, soit d'un établissement d'accueil. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

GRÈVE DES MÉDECINS URGENTISTES

    M. le président. La parole est à M. Didier Julia, pour le groupe UMP.
    M. Didier Julia. Monsieur le ministre de la santé, je voudrais revenir sur la grève des médecins urgentistes qui a affecté hier les SMUR et les SAMU.
    Vous connaissez le dévouement illimité des médecins urgentistes qui interviennent, de jour comme de nuit, dans les situations les plus périlleuses et les plus difficiles, pour tous les drames humains, qu'il s'agisse des accidents de la route, des accidents industriels, des accidents personnels, des problèmes de sécurité ou d'agression. S'ils ont décidé de faire grève, c'est qu'il y a un problème réel qu'il vous appartient maintenant de régler.
    D'abord, il manque 3 000 médecins urgentistes en France. Dans quel délai les services pourront-ils être pourvus en personnels pour répondre à la demande ? De plus, il s'agit souvent de médecins à temps partiel, dont le statut est précaire et qui, en cas d'arrêt maladie par exemple, ne sont pas repris dans le service.
    Par ailleurs, leur temps de travail est limité à 48 heures, mais il est souvent bien supérieur. Or, depuis le 1er janvier, les heures supplémentaires n'ont toujours pas été payées. Pouvez-vous nous préciser dans quel délai elles le seront ?
    Monsieur le ministre, nous vous faisons confiance, mais nous avons besoin de réponses claires et précises sur ces différents points. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
    M. Jean-Jacques Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Depuis quinze jours, en effet, monsieur le député, les médecins urgentistes manifestent leur mécontentement.
    Je vous répète que j'honore les engagements du précédent gouvernement et les nôtres : 2 000 postes ont été ouverts au mois de mars, dont 35 % pour les seules urgences, ce qui représente 700 postes, mais je ne suis pas certain que nous ayons les 700 médecins compétents pour les occuper en une seule fois en totalité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Cela dit, et vous avez raison d'insister, l'Ile-de-France connaît effectivement un retard dans l'attribution des postes, et ce n'est pas normal. Lundi soir, avec l'Assistance publique des hôpitaux de Paris et les responsables de l'agence régionale, j'ai reçu les organisations syndicales. Nous nous sommes mis d'accord sur un calendrier resserré pour la répartition des 300 postes créés en Ile-de-France.
    Quant aux situations précaires, trop nombreuses dans cette spécialité, et plus spécifiquement en Ile-de-France, une solution au cas par cas sera proposée à chacun avant le 30 juin pour sortir de la précarité. En outre, je confirme que les temps additionnels seront payés comme nous nous sommes engagés à le faire.
    Enfin, pour la première fois, l'Ile-de-France et l'Assistance publique vont organiser ensemble les urgences dans l'ensemble du territoire francilien et de Paris.
    Le problème est difficile et douloureux. Nous faisons tout notre possible pour le régler en respectant les uns et les autres, et je suis sûr que nous allons y parvenir. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

MALAISE DANS L'ÉDUCATION NATIONALE

    M. le président. La parole est à M. Christophe Caresche, pour le groupe socialiste.
    M. Christophe Caresche. Ma question s'adresse au ministre de l'éducation nationale. (« Ah ! » sur divers bancs.)
    Monsieur le ministre, vous n'avez pas répondu à la question de ma collègue, Mme Imbert (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.),...
    M. François Grosdidier. Vous êtes sourd !
    M. Christophe Caresche. ... de même que vous n'avez pas répondu hier à la colère et aux préoccupations des enseignants et de leurs organisations syndicales. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Alors que l'éducation nationale s'enfonce chaque jour dans une crise majeure, vous avez été incapable de renouer le dialogue,
    M. Pierre Micaux. Démago !
    M. Christophe Caresche. ... vous avez été incapable de proposer ne serait-ce que l'amorce d'une discussion sur les réformes qui légitimement inquiètent et heurtent le monde de l'éducation.
    Croyez-vous que c'est par la réquisition et la sanction...
    M. Edouard Landrain. Hélas oui !
    M. Christophe Caresche. ... que vous allez dénouer la crise ? (« Oui ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Croyez-vous que c'est en stigmatisant les enseignants, en affichant un peu plus chaque jour votre mépris à leur égard, que vous allez leur redonner une perspective ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Ecoutez M. Juppé qui, dans ce domaine, est un expert, et qui vous suggère de retirer le projet sur la décentralisation des personnels de l'éducation nationale ! (« C'est faux ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire).
    M. Alain Juppé. Je n'ai jamais dit ça !
    M. Christophe Caresche. Retirez vos projets qui heurtent les personnels et les enseignants ! L'heure n'est plus aux considérations sur le métier d'enseignant ! L'heure n'est plus aux dissertations sur la pensée de 68 ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Vous prenez, par votre comportement, le risque de pousser à la radicalisation un mouvement qui aspire au respect et au dialogue !
    Monsieur le ministre, beaucoup se demandent aujourd'hui...
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. La question !
    M. Christophe Caresche. ... si vous n'allez pas démissionner de vos responsabilités. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Ma question est simple : Quand allez-vous enfin les assumer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire. Monsieur le député, vous ne pouvez sans vous contredire nous proposer de dialoguer avec les personnels enseignants et nous reprocher de le faire (Exclamations sur les bancs des groupe socialiste.) Depuis hier, avec Luc Ferry, nous avons entamé un dialogue avec les fédérations syndicales. Ces fédérations, qui sont au moins aussi habilitées que vous à parler des professeurs, ont accepté ce dialogue et sont venues discuter avec nous, repérer les points de blocage. Nous allons continuer demain, et, mardi, au cours d'un conseil interministériel, nous aborderons les points de blocage et nous verrons comment les choses peuvent évoluer.
    Quant à considérer qu'un journal du soir soit le porte-parole de l'UMP, vous me permettrez de vous en laisser la responsabilité. Personne, que je sache, n'a pour l'instant évoqué le retrait d'un texte (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - Plusieurs députés du groupe socialiste brandissent Le Monde.) Nous voulons simplement en discuter.
    Je souhaiterais que la représentation nationale soit aussi digne que les fédérations syndicales le sont aujourd'hui. Elles ne jettent pas de l'huile sur le feu ! Elles disent comme nous que les examens doivent avoir lieu et que les élèves ne doivent pas être otages de ces querelles !
    M. Jean Glavany. Ce n'est pas la question !
    M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. Elles disent comme nous qu'il faut dialoguer, négocier et sortir de la crise ! Tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, cherchent à entretenir la crise pour que nous n'en sortions pas, non seulement font un mauvais calcul, mais ne rendent pas service à l'éducation nationale, c'est-à-dire à la nation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

BOYCOTT DES PRODUITS FRANÇAIS
PAR LES ÉTATS-UNIS

    M. le président. La parole est à M. Victor Brial, pour le groupe UMP.
    M. Victor Brial. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie et des finances.
    Monsieur le ministre, un emballement médiatique déclenché par des déclarations intempestives laisserait penser que les relations entre la France et les Etats-Unis seraient au plus mal.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Non ?
    M. Jean Glavany. Qui peut raconter des bêtises pareilles ?
    M. Victor Brial Depuis la fin de la guerre en Irak, en effet, la rumeur du boycott des produits français, relayée par les médias, se fait de plus en plus persistante. Les appels aux sanctions contre les vins, les eaux minérales, ou les restaurants français outre-Atlantique font les gros titres de certains journaux. Les french fries, servies à la cafétéria du Congrès américain, ont été rebaptisées.
    Ces faits certes symboliques, n'en échauffent pas moins les esprits face à la rumeur de rétorsions et les principaux fournisseurs français des Etats-Unis commencent à s'en inquiéter.
    Les enjeux sont grands, car la France est le cinquième investisseur outre-Atlantique, et les exportations vers l'Amérique représentent 25 milliards d'euros par an. Pourtant, compte tenu des règles qui régissent les échanges internationaux, il semble difficile d'accréditer ces craintes. Pouvez-vous nous faire part de votre sentiment sur ces rumeurs de sanctions économiques contre la France, et rassurer l'ensemble de nos entrepreneurs, qui auraient beaucoup à perdre si celles-ci se révèlaient exactes ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
    M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le député, j'ai eu l'occasion de discuter de ce sujet important avec mon collègue John Snow. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) A Deauville, il a démontré, en emportant une bouteille, que les Américains ne remettaient absolument pas en cause la qualité des alcools français, en particulier du calva. (Sourires.)
    Plus sérieusement, nous avons constaté ensemble qu'il n'était pas dans l'intention des Etats-Unis, d'avoir ce type de politique que vous craignez. L'Amérique, comme tous les pays qui participent à l'organisation mondiale du commerce, a des règles à respecter. Elle les tourne quelquefois à son avantage, mais elle les respecte.
    Il est donc clair que, si nous ne pouvons pas empêcher les réactions émotives individuelles de certains consommateurs américains par rapport à des produits français, au profit éventuellement de produits analogues venant d'autres pays, nos entreprises n'ont pas à craindre des comportements délibérément suscités par l'administration américaine. La meilleure preuve en est que, dans un domaine particulièrement stratégique, le retraitement des matières nucléaires, l'entreprise Areva, en compétition ouverte avec des entreprises américaines, a réussi à obtenir un contrat significatif d'environ 30 millions de dollars auprès d'une grande entreprise américaine. La démonstration est donc faite que, y compris dans les domaines stratégiques, le commerce entre nos pays, et plus généralement entre l'Europe et les Etats-Unis, continuera à se développer.
    Ce sujet a d'ailleurs été largement évoqué à Deauville dans le cadre de la discussion sur les relations entre le Nord et le Sud, ainsi qu'entre l'Europe, le Japon et les Etats-Unis, chacun a reconnu que nous étions tous interdépendants les uns des autres, et que notre objectif était, par une meilleure coordination de nos politiques économiques, d'augmenter la croissance dans le monde. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

CANDIDATURE DE PARIS
AUX JEUX OLYMPIQUES DE 2012

    M. le président. La parole est à Mme Françoise de Panafieu, pour le groupe UMP.
    Mme Françoise de Panafieu. Ma question s'adresse à M. le ministre des sports.
    Ce matin, monsieur le ministre, a été annoncée officiellement la candidature de Paris pour l'accueil des jeux Olympiques de 2012. Cette démarche recueille l'adhésion de bon nombre de Parisiens, au-delà de tous les amateurs de sport, et de bon nombre de Français. A mon modeste niveau, je suis aussi intéressée en tant que maire du 17e arrondissement de Paris puisque, si, in fine, la candidature de Paris était retenue, c'est probablement là que se situerait le village olympique.
    De quoi s'agit-il aujourd'hui ? De bien jouer tous nos atouts pour voir enfin revenir les Jeux après ceux organisés en 1924. Si notre démarche est passionnante, elle est néanmoins très difficile car Paris, nous le savons, sera en concurrence avec de très grandes villes étrangères.
    Notre candidature requiert une mobilisation de tous les moyens, d'abord ceux de la ville de Paris, bien sûr : mais, seule elle ne pourra pas réussir tant les enjeux sont importants. Ils dépassent la seule dimension parisienne. C'est aussi l'affaire de toutes les collectivités locales d'Ile-de-France. Et, surtout, rien ne se fera sans le soutien actif de l'Etat.
    Quels moyens l'Etat compte-t-il mobiliser et quelle politique comptez-vous mettre en oeuvre pour appuyer cette candidature ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre des sports.
    M. Jean-François Lamour, ministre des sports. Madame la députée, le mouvement sportif a en effet vécu, ce matin, un grand moment, celui de l'annonce officielle de la candidature de Paris à l'organisation des jeux Olympiques. Vous le savez, ce serait une chance pour notre pays et pour son mouvement sportif que de pouvoir remporter cette compétition. Le Président de la République l'avait d'ailleurs réaffirmé il y a quelques mois et il souhaitait que cet événement fantastique puisse un jour être organisé en France.
    Cet accélérateur en matière d'aménagement du territoire, ce booster pour nos équipes de France...
    M. François Hollande. C'est ce qu'il faudrait au Gouvernement ! Mais il est au Canada, le booster ! (Sourires.)

    M. le ministre des sports. ... nous procurerait aussi une grande fierté, cette fierté que j'ai éprouvée en tant que membre de l'équipe olympique.
    Il nous faut maintenant gagner. La Ville de Paris ne le pourra pas seule. Elle a besoin du soutien de la région, de l'Etat et du mouvement sportif. Nous constituerons le dossier ensemble, et nous le défendrons ensemble devant les membres du CIO qui, en juillet 2005, décideront quelle sera la ville organisatrice.
    Ce dossier doit être parfait et vous savez avec quelle attention j'y veillerai. Le village olympique aux Batignolles est une possibilité. Nous devons également nous occuper de la préparation de nos équipes, organiser un aménagement cohérent des équipements, prévoir des moyens de communication entre ces différents équipements.
    Le mouvement est lancé. Il nous faut avancer ensemble. Il nous faut aussi,...
    M. Pascal Terrasse. Des moyens !
    M. le ministre des sports. ... au-delà des critiques qui pourraient être portées devant le maire de Paris, faire en sorte d'avancer dans le consensus. C'est notre seule chance d'organiser un événement majeur, qui sera une fête pour notre jeunesse, pour le sport français et pour notre pays tout entier. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

INDEMNISATION DES VICTIMES DE LA POLLUTION
DU PÉTROLIER PRESTIGE

    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Dufau, pour le groupe socialiste.
    M. Jean-Pierre Dufau. Je sais que le Gouvernement doit faire face actuellement à de nombreux dossiers qui s'accumulent. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Hervé Novelli. Tous ceux que vous n'avez pas traités !
    M. Jean-Pierre Dufau. Pour autant, la pollution du Prestige n'est pas terminée. Des boulettes résiduelles continuent d'arriver sur toute la façade atlantique, alors que le plan POLMAR piétine et que les victimes se sentent progressivement abandonnées.
    Sur le terrain, le dysfonctionnement des services de l'Etat est patent. Ainsi, des hôteliers - restaurateurs attendent depuis février le paiement des factures. Or, le traitement de la dépollution est de la responsabilité de l'Etat. Des crédits supplémentaires et leur mandatement immédiat sont absolument nécessaires. Les acteurs économiques, les élus et la population de l'Ouest atlantique sont véritablement excédés. L'Etat n'a pas pris la mesure de la situation et a désactivé prématurément le dispositif POLMAR.
    M. Jean Marsaudon. C'est scandaleux !
    M. Jean-Pierre Dufau. L'annonce par le FIPOL d'un taux d'indemnisation de 15 % ajoute à la colère et le nouvel accord intervenu à l'OMI, qui prévoit de relever à 950 millions d'euros les fonds du FIPOL, ne changera rien pour les victimes du Prestige : il ne sera pas rétroactif.
    Les Français attendent donc du Gouvernement autre chose que des bonnes paroles, des images choc médiatisées. Ils attendent l'efficacité et la solidarité. M. le premier ministre pourrait-il donner des assurances à la représentation nationale ? L'Etat s'engagera-t-il à honorer sans délai toutes les dépenses liées à la dépollution et qui sont de sa responsabilité ? Le Gouvernement de la France se positionnera-t-il sans réserve et sans préalable en créancier de second rang, comme l'avait fait le gouvernement de Lionel Jospin lors de la catastrophe de l'Erika (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française), pour privilégier l'indemnisation des acteurs économiques et des collectivités ?
    M. le président. Posez votre question, s'il vous plaît !
    M. Jean-Pierre Dufau. Je suis en train de le faire, monsieur le président.
    Le Gouvernement français exercera-t-il enfin une pression sur l'Etat espagnol pour l'amener à adopter la même position ? La France d'en bas de l'Hexagone, celle de l'Ouest et de l'Aquitaine, attend du Gouvernement ce geste de solidarité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.
    M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Monsieur Dufau, je comprends votre colère et votre indignation et celle des Aquitains. Mais, très honnêtement, vous êtes injuste lorsque vous parlez d'abandon. Les choses sont allées beaucoup plus vite pour le Prestige que pour Erika sous le gouvernement précédent. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Edouard Landrain. Eh oui !
    M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Dans le cadre du nouveau développement du plan POLMAR, le préfet d'Aquitaine a disposé de crédits déconcentrés qui ont permis, au jour le jour, de rembourser les communes de tous les frais engagés dans la lutte contre la pollution. S'il y a, monsieur Dufau, quelques dysfonctionnements et des problèmes de remboursement, vous avez raison de les stigmatiser devant l'Assemblée nationale. Ils seront traités et cesseront.
    Je voudrais d'autre part vous dire très honnêtement que le plan Polmar-terre, placé sous l'autorité du préfet d'Aquitaine, M. Frémont, et le plan Polmar-mer, sous l'autorité du préfet maritime, se sont parfaitement déroulés. Une fois encore, je dois d'ailleurs remercier non seulement l'ensemble des services de l'Etat, mais aussi les pêcheurs qui sont sortis en mer pour ramasser les boulettes de fuel et ont ainsi contribué à réduire la pollution.
    Quant à l'affaire du FIPOL, vous avez raison sur le fond. Mme Bachelot, Mme Saïfi et M. de Robien l'ont dit la semaine dernière : il est tout à fait inacceptable que le FIPOL ne rembourse qu'à hauteur de 171 millions d'euros les dommages causés par le Prestige, qui s'élèvent à un milliard d'euros. Dans la décision du FIPOL, je relève un point positif - le préjudice causé par l'Erika est indemnisé à 100 % - et un point négatif - on n'est pas allé encore assez loin.
    La décision qui a été prise, à la demande de l'Europe et du Gouvernement français, de porter le FIPOL à un milliard d'euros nous offrira à l'avenir les moyens nécessaires pour indemniser les victimes éventuelles de catastrophes. Les ministres européens des transports et de la mer ont décidé que si, à la session d'octobre, le FIPOL ne proposait pas une indemnisation supérieure, s'élevant à 250, à 300 millions, voire plus, l'Europe créerait son propre fonds. En cas de défaillance du FIPOL, l'Europe réunirait ainsi les sommes nécessaires pour indemniser toutes les personnes concernées par la pollution du Prestige. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

CLASSES D'INTÉGRATION

    M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Geveaux, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
    M. Jean-Marie Geveaux. Ma question s'adresse à M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Un député du groupe socialiste. Provocateur !
    M. Jean-Marie Geveaux. Monsieur le ministre, je souhaiterais vous interroger sur les classes d'intégration. En effet, tout au long de l'année, de jeunes étrangers arrivent de plus en plus nombreux en France avec leur famille, à Paris comme en province. L'Etat a toujours préconisé la scolarisation de ces jeunes, quel que soit le statut de leurs parents, et ils ont été placés au fur et à mesure de leur arrivée dans des classes dites « d'intégration », pour apprendre au plus vite la langue française et rejoindre par la suite les classes ordinaires.
    Le nombre croissant de ces nouveaux arrivants non francophones pose un problème inquiétant pour les enseignants qui en ont la charge et sont obligés, à chaque nouvelle arrivée, de recommencer leur travail à zéro. Ce système montre donc ses limites dans certains endroits et je souhaiterais, monsieur le ministre, connaître votre analyse de la question ainsi que les mesures que vous comptez mettre en place pour organiser le mieux possible la scolarisation et l'intégration de ces jeunes étrangers.
    M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire.
    M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire. Monsieur le député, je suis très heureux que vous posiez cette question dans un tel contexte.
    M. Bruno Le Roux. Ah oui !
    M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. J'en profite pour rappeler le travail qui se fait au quotidien dans les classes et pour rendre hommage aux professeurs du premier degré et aux professeurs de collège enseignant dans les 1 137 classes d'intégration ou les 762 classes d'adaptation qui existent actuellement et comptent chacune une quinzaine d'élèves. Ces professeurs remplissent une des missions les plus honorables de l'école de la nation puisqu'ils accueillent sans distinction, sans aucune condition, des élèves qui arrivent du Kosovo, d'Afrique, de pays en proie à la violence. On leur apprend le français et on les initie à notre culture. Petit à petit, ils rejoignent le système normal.
    Cet enseignement a un prix. Mais j'estime que l'engagement de la République française vis-à-vis de ces jeunes ne mérite pas que l'on discute les coûts. En l'occurrence, l'augmentation est effectivement très sensible puisque le nombre de jeunes concernés est passé, en une année, de 27 500 à près de 35 000.
    Il faut aussi penser au problème de la formation des maîtres : nous les formons de plus en plus au français langue étrangère et divers documents pédagogiques leur sont communiqués.
    Mais je voudrais ajouter - c'est peut-être le plus important - que ces jeunes qui arrivent de l'étranger, où ils ont vécu des situations familiales, sociales, nationales extrêmement difficiles, se rendent compte, en entrant dans les écoles de France, de la chance qu'ont les petits élèves de notre pays. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Ils découvrent nos équipements, la qualité de nos enseignants, tout ce qui est fait en matière sportive, culturelle, éducative, et ils voient dans l'école une chance d'intégration. Ils se révèlent d'ailleurs souvent très bons élèves et offrent aux autres un modèle de travail et de culture scolaire fort utile.
    Mme Martine David. Bla, bla, bla !
    M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. Ils sont pour ainsi dire le sel de la terre dans nos établissements du premier degré, et nous devons considérer que les accueillir est une chance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

INDEMNISTATION DE LA POLLUTION
DES CÔTES PAR LES HYDROCARBURES

    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Giran, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
    M. Jean-Pierre Giran. Monsieur le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, vous avez déjà répondu à la question que j'envisageais de vous poser, en précisant les modalités de l'engagement de l'Etat pour indemniser les sinistres du Prestige, après la défaillance du FIPOL, le Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures.
    Je voudrais cependant que vous puissiez prolonger cette réponse. Les prédateurs ne sont pas une spécialité de l'Atlantique et nous avons vu, sur les bords de la Méditerranée, notamment dans les Alpes-Maritimes, que des dégazages récents souillaient nos côtes et entraînaient les mêmes difficultés.
    Au-delà de la solution que vous préconisez pour pallier la carence du FIPOL, quelles mesures pérennes envisagez-vous de prendre pour que, à l'avenir, chaque fois qu'une difficulté de ce type se présentera, nous cessions d'attendre que les victimes soient désespérées avant de les indemniser, et pour qu'une procédure plus durable, plus systématique intervienne ?
    M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.
    M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Monsieur Giran, je ne reviendrai pas sur le dispositif du FIPOL, puisque j'ai eu le plaisir de répondre à l'instant à M. Dufau qui, vous l'avez dit, m'interrogeait sur cette question.
    Pour ce qui est des mesures pérennes, je rappellerai le souhait du Président de la République, la décision de Malaga, celle du sommet des chefs d'Etat et de gouvernement à Copenhague, les conseils des ministres européens des transports, qui vont conduire à interdire nos côtes aux pétroliers à simple coque et à tous les pétroliers transportant des matières dangereuses.
    L'Europe agit donc pour éviter ce type de pollution en amont, et les réponses qu'elle apporte sont du même niveau que celles en vigueur aux Etats-Unis d'Amérique.
    J'ajoute que, en ce mois de mai, nous avons renforcé la surveillance et l'inspection des navires dans nos ports.
    M. Jean-Claude Lefort. Où vont les bateaux ? C'est incroyable !
    M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Désormais, plus de 25 % des navires sont contrôlés dans nos ports. Cela veut dire que tous les navires dangereux le sont à 100 %.
    Monsieur le député, en tant qu'élu du Var, vous serez heureux d'apprendre que nous allons mettre en place une zone de protection écologique particulière en Méditerranée...
    M. Albert Facon. A Toulon, évidemment ! Chez Falco !
    M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. ... car, avec l'absence de marée qui la caractérise, la côte méditerranéenne est encore plus fragile que la côte atlantique. Nous allons également mettre en place de nouveaux moyens de remorquage. Mme Alliot-Marie a ainsi commandé, pour la marine nationale, des remorqueurs de haute mer pour l'Atlantique, la Manche et la mer du Nord. Cela nous permettra de transférer en Méditerranée les remorqueurs de haute mer qui étaient actuellement basés sur la côte atlantique et de remplacer le Mérou, qui est actuellement à Toulon et n'était pas à la hauteur de la situation.
    Il y a donc une réponse nationale, une réponse européenne et, comme vous l'avez souhaité, une réponse méditerranéenne.
    M. le président. Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. François Baroin.)

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS BAROIN,
vice-président

    M. le président. La séance est reprise.

2

ADAPTATION DE LA JUSTICE
AUX ÉVOLUTIONS DE LA CRIMINALITÉ

DISCUSSION D'UN PROJET DE LOI

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (n°s 784 et 856).
    La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, mesdames, messieurs les députés, l'objectif majeur du texte que je vous présente est d'adapter notre justice pénale aux formes nouvelles de criminalité.
    Pour commencer, je souhaiterais revenir sur les raisons d'être de ce texte. J'aimerais vous dire quel idéal le porte et à quelle réalité il veut s'attaquer. En effet, il y a l'idéal et il y a la réalité. Ce qui commande l'action politique, vous le savez, c'est l'écart, l'écart entre la réalité et l'idéal.
    En préambule, j'essaierai donc de répondre à la question suivante : quels sont les critères d'une bonne justice pénale ?
    Pour ma part, j'en vois quatre.
    Premier critère : la justice doit être de son temps, elle doit s'adapter aux évolutions de la criminalité. Ainsi, de même que l'on a pu faire disparaître du code pénal certaines incriminations devenues inactuelles, il est parfois nécessaire d'en introduire de nouvelles. Les formes de la délinquance évoluent, les métamorphoses du crime étant elle-même liées à celles de la société et de la technologie. La criminalité est imaginative. nous devons l'être également.
    Deuxième critère : la justice doit avoir des moyens adaptés à ses fins. Cela veut signifier deux choses.
    D'abord, il faut une procédure adaptée à chaque type d'infraction, notamment dans la phase de poursuite et d'information, pour que l'appareil judiciaire ne soit pas en défaut par rapport aux délinquants et aux criminels. L'enjeu, c'est de donner à la justice les moyens de faire jeu égal avec les personnes poursuivies ou mises en examen, pour que jaillise la vérité concernant les infractions qu'ils ont commises.
    Ensuite, au-delà de la procédure, il convient d'avoir des peines adaptées, c'est-à-dire proportionnées. L'enjeu est triple, puisque la peine assure une triple fonction : punitive, corrective et dissuasive.
    Troisième critère : la justice pénale doit être rapide, sans pour autant être expéditive.
    Toutes les parties dans une affaire, tant l'accusation que la défense, ont le même intérêt : l'une comme l'autre ne peuvent que gagner à un procès raisonnablement rapide. D'ailleurs, la Convention européenne des droits de l'homme pose comme condition d'un procès « équitable » que le jugement soit rendu avec un délai « raisonnable ».
    Quatrième et dernier critère : la justice pénale doit avoir, en même temps qu'un objectif de régulation sociale, le souci de la victime.
    Ce serait en effet un non-sens que l'action de la justice pénale oublie la victime. Car si le corps social dans son entier est blessé par le crime, la victime est, bien évidemment, la première à en pâtir.
    Adaptée aux évolutions de la criminalité, dotée de procédures et de peines adéquates aux types d'infractions, rapide, et ayant un souci marqué pour les victimes de la délinquance, telle est la justice pénale que nous voulons.
    Et telle est, comme en témoignent bon nombre d'enquêtes ou tout simplement les doléances que chacun d'entre nous peut recevoir dans sa permanence de circonscription, la justice pénale que veulent les Français : l'idéal qui inspire mon action, c'est, je crois, celui de tous les Français.
    Or, lorsque nous confrontons l'idéal au réel, que constatons-nous ?
    Nous constatons, c'est ce que je voudrais vous montrer avec quelques détails, le développement de formes nouvelles de criminalité, souvent très organisées et recourant à des moyens très sophistiqués.
    Nous constatons également que notre justice pénale est mal armée pour lutter contre ces formes de criminalité.
    Nous constatons aussi, hélas - et ce constat-là n'est pas récent - que notre justice est trop lente.
    Nous constatons enfin que, en dépit de certaines améliorations au fil du temps, la prise en charge des victimes de la délinquance est encore insuffisante.
    Face à un tel constat, mesdames et messieurs les députés, il faut agir. Il y va, je crois, de la crédibilité de l'institution pénale. Trop de Français ont perdu confiance en la justice. Pour les candidats au crime ou au délit, moindre crédibilité signifie moindre dissuasion. Pour les autres - les « honnêtes gens » -, la perte de crédibilité de l'institution pénale nourrit l'angoisse.
    A cet égard, je vous l'ai déjà dit, ma conviction est que l'exaspération des Français face à leur justice est certainement à compter au nombre des causes du 21 avril.
    Il faut donc agir, mais pas en vain. Il faut agir à bon escient, agir sur les bonnes variables.
    Cela passe par l'accroissement des moyens financiers. Par la loi d'orientation et de programmation du 9 septembre, j'ai, dès mon arrivée, avec votre aide, considérablement accru les moyens financiers consacrés à la justice. Cela permettra d'augmenter les effectifs de la justice de quelque 15 % d'ici à 2004.
    Qu'il me soit permis d'ailleurs de rendre hommage à ces hommes et à ces femmes qui font la justice au quotidien : chacun, dans le cadre de ses attributions, avec la même passion, remplit sa mission avec une détermination et un courage admirables. Le travail de ces hommes et de ces femmes est, sauf regrettable exception, au-dessus de toute critique. C'est, je crois, le cadre qui détermine la forme de leur travail et de leur mode de faire qui doit être réformé.
    Cette action passe aussi par la modification de la procédure et du contenu même de la loi pénale. C'est ce que je suis venu vous proposer aujourd'hui.
    Toutefois, tout ne peut pas être fait en la matière. La contrainte n'est pas de nature budgétaire. En effet, la contrainte qui ne doit jamais être perdue de vue, l'exigence primordiale qui délimite strictement l'ensemble des possibles dans une société de droit, c'est le respect des libertés fondamentales. En matière pénale, toute réforme doit avoir le souci de ne pas enfreindre les droits de la défense.
    Les réformes que je vous propose, en voulant rendre la justice pénale mieux apte à remplir ses missions, s'inscrivent dans le cadre de la politique de sécurité du Gouvernement, qui repose sur l'action combinée des services de police et de gendarmerie, d'une part, et de l'institution judiciaire, d'autre part.
    Il faut également oeuvrer pour plus de sécurité, tout en respectant les libertés de chacun. Certes, la voie est étroite. Et redoutable serait le mouvement qui irait de la passivité face à l'insécurité à la répression sans contrôle. J'ai la conviction qu'il est possible de lutter plus efficacement contre les infractions sans pour autant porter atteinte aux libertés individuelles. Telle est, en tout cas, la tâche que je m'assigne.
    C'est à cette tâche que j'ai travaillé, en concertation avec tous les praticiens de la justice. Je leur ai soumis des pistes de réforme et je les ai écoutés. Le texte du projet de loi a été conçu avec eux et il a été tenu compte de leurs avis et de leurs réactions.
    Mesdames et messieurs les députés, je vous ai indiqué les conceptions qui inspirent mon action en matière de justice pénale : elles répondent à quatre critères et au souci permanent du respect des libertés fondamentales. Ces conceptions, j'en suis persuadé, répondent aux aspirations profondes des Français, et ce sont elles qui donnent toute sa cohérence au projet de loi que je suis venu vous présenter.
    Le titre 1er du projet de loi répond aux deux premiers critères d'une bonne justice pénale : il cible un certain nombre de formes modernes de criminalité et veut donner la justice les moyens d'y répondre efficacement.
    Le titre II contient des mesures répondant aux deux autres exigences : une justice raisonnablement rapide et soucieuse des victimes.
    Permettez-moi maintenant d'entrer plus avant dans le contenu du texte que je vous soumets. Je sais qu'une discussion détaillée de ses aspects les plus techniques viendra par la suite, menée par l'excellent rapporteur de ce projet, Jean-Luc Warsmann. Ma présentation ne sera donc pas exhaustive. J'aimerais seulement vous expliquer, en les motivant, quelques-unes des initiatives portées par le texte et dissiper, à propos de certaines mesures, les malentendus qui se sont manifestés dans le débat public.
    Adapter notre justice aux évolutions de la criminalité : tel est, je vous l'ai dit, l'objectif majeur du texte. Il s'agit de répondre à l'émergence de formes nouvelles d'infraction ainsi qu'au développement particulièrement préoccupant de certaines formes de délinquance « traditionnelles ».
    Grâce à la loi d'orientation et de programmation que vous avez adoptée au moins de septembre, nous nous sommes déjà donné les moyens de lutter contre la montée de la petite délinquance. C'est maintenant à la grande criminalité que nous devons nous attaquer. Je crois en particulier qu'il est absolument nécessaire que nous nous donnions les moyens de lutter plus efficacement contre les formes de criminalité qui sont le fait de bandes organisées. Si lutter contre la criminalité organisée est spécialement nécessaire, c'est parce que cette forme de criminalité est spécialement redoutable, délétère et dangereuse pour la société.
    Mais quand on parle de crime organisé, de quoi parle-t-on au juste ? Il s'agit d'individus qui se regroupent dans le but de vivre d'une activité illégale. Leur seul objectif est de faire de l'argent.
    Pour cela, toutes les activités illégales sont bonnes, du moment qu'elles sont profitables : trafic de stupéfiants, proxénétisme ou traite d'êtres humains, trafic d'oeuvres d'art ou jeu clandestin. Toutes ces activités apportent avec elles leur lot de violences : d'où les assassinats en bande organisée, les enlèvements et séquestrations, les tortures ou actes de barbarie en bande organisée.
    Les types d'organisations ne sont pas toujours les mêmes : cela peut aller de la PME, si je puis dire, la simple association de malfaiteurs, à la holding aux activités diversifiées, c'est-à-dire la mafia.
    Dernière caractéristique, ces organisations ont fréquemment des activités transnationales : le crime a de moins en moins de frontières. Nous ne devons pas concevoir le crime organisé comme une lointaine menace, car il est d'ores et déjà présent chez nous, je dirais même qu'il l'est de plus en plus.
    La mesure chiffrée du phénomène de crime organisé est malaisée. Néanmoins, certains chiffres sont éloquents.
    En matière de proxénétisme, on a assisté, entre 1994 et 2001, à une montée régulière du proxénétisme aggravé pour cause de pluralité d'auteurs ou de complices. Le nombre des condamnations a été multiplié par sept. En particulier, on a assisté ces dernières années à un très net développement de filières faisant venir des femmes de l'étranger pour les exploiter à leur arrivée en France.
    S'agissant des délits en matière d'armes commis en bande organisée, l'augmentation du nombre de condamnations a été régulière de 1994 à 2001. Au total, il y a eu plus qu'un doublement sur la période considérée.
    Pour ce qui est de l'ensemble des crimes et des délits ayant été commis avec circonstance aggravante de bande organisée, on a assisté à une augmentation régulière de 1994 à 2001, puisqu'on est passé de 29 condamnations en 1994 à 486 en 2001.
    Bref, il n'est pas besoin d'accumuler les exemples pour saisir, à travers ces chiffres, qu'on assiste à une montée préoccupante de formes organisées de délinquance et de criminalité.
    Pour combattre ce phénomène et stopper la contagion de la violence qui l'accompagne, il nous faut prendre des dispositions spécifiques. Car on ne lutte pas de la même façon contre toutes les formes de criminalité, c'est un principe de bon sens.
    Pour commencer, je propose d'introduire la notion de délinquance et de criminalité organisée dans notre droit pénal. Comprenez-moi bien, il ne s'agit pas d'introduire une nouvelle notion pour le plaisir de complexifier encore le code pénal. L'enjeu est pragmatique : il s'agit de circonscrire un type d'infraction particulier, pour ensuite donner à la justice les moyens de s'y attaquer efficacement.
    Je propose de distinguer deux types d'infractions commises en bande organisée, selon leur degré de gravité. Cela permettra de réserver la mise en oeuvre de certaines des règles de procédure que j'évoquerai dans un instant aux formes les plus graves de criminalité organisée.
    Feront partie de la première catégorie des crimes ou des délits commis à l'encontre de personnes : traite des êtres humains, trafic de stupéfiants, proxénétisme ou assassinat en bande organisée.
    Une seconde catégorie regroupera des infractions de moindre gravité, aggravées par la circonstance d'avoir été commises en bande organisée : entrera dans cette catégorie le vol en bande organisée, par exemple.
    Je propose d'ailleurs d'étendre la liste des infractions pouvant être aggravées par la circonstance de commission en bande organisée. Seront notamment concernés par cette extension les délits de corruption de mineurs, dont le nombre a été multiplié par dix entre 1996 et 2001, ainsi que les délits de diffusion d'images pornographiques - les condamnations pour corruption de mineurs de plus de quinze ans ayant quant à elles été multipliées par neuf entre 1994 et 2001.
    Pour le traitement des affaires de criminalité organisée les plus complexes, je propose de créer des juridictions spécialisées.
    Ces juridictions seront interrégionales. J'ai la conviction en effet que, dans les cas les plus complexes, le traitement des affaires à l'échelon local est inadapté. Lorsque les activités criminelles s'étendent sur l'ensemble du territoire, il existe un réel risque d'alourdir les enquêtes en les traitant au niveau de chaque tribunal de grande instance.
    En 1994, lors de l'opération « Margarita », qui a permis le démantèlement de tout un réseau mafieux colombien en France, l'enquête a commencé dans un petit village de la Creuse. Ensuite, on a découvert l'extension du réseau, lequel était installé à Paris, à Marseille et dans d'autres villes de France. On a aussi découvert que ses activités de trafic de cocaïne s'accompagnaient d'opérations financières complexes visant au blanchiment de l'argent de la drogue.
    Dans ce type d'affaire, la création de juridictions spécialisées interrégionales permettra deux choses : d'une part, d'adapter la géographie des juridictions à celle du crime et d'éviter que plusieurs tribunaux se saisissent d'une même affaire sans le savoir ; d'autre part, de concentrer au niveau d'un petit nombre de plates-formes techniques les moyens logistiques et humains requis pour saisir les affaires de criminalité organisée dans toute leur complexité.
    C'est cette même logique - adapter la géographie de la justice à celle du crime - qui impose, au plan international cette fois, de favoriser autant que possible l'entraide pénale entre Etats. Nombre d'affaires de criminalité organisée, je l'ai dit, présentent un fort caractère transnational. Malheureusement, le crime, lui aussi, se mondialise !
    Aussi, le projet de loi améliore les dispositions relatives à l'entraide internationale en modifiant, par exemple, le code de procédure pénale, de manière à simplifier la transmission et l'exécution de commissions rogatoires internationales.
    Au sein de l'Union européenne, nous nous sommes donné avec Eurojust les moyens de faciliter la coordination des enquêtes et de renforcer la coopération judiciaire entre les Etats de l'Union.
    Le projet de loi introduit dans le code de procédure pénale les dispositions nécessaires à la mise en oeuvre concrète de cette coopération renforcée au sein de l'Union européenne.
    Comme vous le savez, car je vous l'ai déjà indiqué en mars dernier alors que le Parlement était réuni en Congrès pour voter la loi constitutionnelle relative au mandat d'arrêt européen, l'Europe de la justice est une des priorités de mon action. Et je sais que, sur ce point, je suis totalement en phase avec les aspirations des Français.
    Au-delà des innovations juridictionnelles, le projet de loi prévoit, d'une part, des alourdissements de peines et, d'autre part, de façon complémentaire, la mise en oeuvre de règles de procédure spécifiques pour les enquêtes ou les instructions concernant les activités de criminalité organisée.
    Les aggravations de peine concernent notamment toutes les infractions pour lesquelles il est prévu de créer la circonstance de commission en bande organisée. Mais elles concernent aussi d'autres infractions qu'il convenait de sanctionner plus lourdement. Ainsi, je vous propose de porter la peine de prison encourue pour escroquerie en bande organisée de sept à dix ans.
    Pour ce qui est de la procédure, je propose d'étendre certaines règles de procédure qui avaient déjà cours en matière de lutte contre les trafics de stupéfiants ou les actes de terrorisme aux faits de criminalité organisée les plus graves, c'est-à-dire ceux de la première catégorie, les actes contre les personnes.
    Mes propositions concernent essentiellement l'infiltration et les repentis.
    Rappelons tout d'abord qu'en France la méthode de l'infiltration a déjà fait ses preuves en matière de trafic de stupéfiants : c'est en effet par l'infiltration qu'en 1994 on a démantelé les ramifications françaises du cartel de Cali, lors de l'opération « Margarita » déjà mentionnée.
    Infiltrer un réseau implique d'utiliser une identité d'emprunt, de transporter des produits illicites, bref, cela implique de se comporter - jusqu'à un certain point - en criminel, en vue de révéler une infraction et d'en apporter des preuves.
    Le projet de loi offre un cadre pour réglementer les infiltrations, c'est-à-dire pour contrôler les activités de l'officier de police judiciaire infiltré, lui accorder certains moyens d'action et veiller à sa sécurité. Dans un cadre réglementé, l'undercover, comme on dit, sera assuré de ne pas être lui-même poursuivi comme un vulgaire criminel.
    Le projet de loi contient une autre disposition nouvelle concernant les « repentis ».
    La méthode des « repentis » a elle aussi déjà prouvé son efficacité, notamment en Italie, où elle a été utilisée par le juge Falcone pour démanteler Cosa Nostra. De l'expérience italienne, je tire deux enseignements : les témoignages de repentis doivent être encouragés par des modifications de peines : d'autre part, l'utilisation de ces témoignages doit être clairement encadrée.
    Le projet de loi prévoit ainsi que toute personne ayant permis d'éviter la réalisation d'une infraction, de faire cesser une infraction, d'éviter un dommage ou d'identifier ses auteurs pourra bénéficier d'une réduction de peine, voire d'une exemption de peine dans le cas où cette personne aurait simplement tenté de commettre l'infraction avant de coopérer avec les enquêteurs.
    De telles réductions de peines pour les « repentis » étaient déjà applicables dans les affaires de fausse monnaie, de trafic de stupéfiants ou d'actes de terrorisme. Je propose donc d'étendre leur applicabilité aux infractions de délinquance et de criminalité les plus graves.
    Au-delà des réductions de peine, mon projet contient des mesures concernant la protection des personnes « repenties » et de leurs familles. Il est inutile de dire, en effet, que ces personnes risquent gros en coopérant avec la justice. Le projet de loi autorise, en cas de nécessité, d'octroyer au repenti et à sa famille une identité d'emprunt pour assurer leur sécurité.
    Enfin, à la différence de ce qui se passe en Italie - et les avocats, je le sais, sont très attachés à ce point -, il est clairement spécifié dans le texte que les déclarations d'un repenti ne sauraient à elles seules justifier une condamnation, et cela comme garantie fondamentale des droits de la défense.
    Ces dispositions concernant l'infiltration et les repentis sont novatrices, et je sais qu'elles étaient très attendues par les spécialistes de la lutte contre le crime organisé.
    D'autres modifications de procédure viennent les compléter.
    Il est d'abord prévu de porter la durée de l'enquête de flagrance de huit à quinze jours.
    Les dispositions relatives à la garde à vue sont également modifiées.
    La durée standard de la garde à vue est actuellement de quarante-huit heures. Mais bien souvent, en matière de crime organisé, on n'arrête pas une seule personne, mais tout ou partie de l'organisation. Lors de l'opération Margarita par exemple, soixante-dix perquisitions avaient été menées en même temps. Quand le nombre de confrontations est grand et qu'il faut en faire la synthèse au fur et à mesure, quarante-huit heures peuvent ne pas suffire. C'est la raison pour laquelle le projet de loi prévoit qu'il soit possible, à titre exceptionnel, de prolonger la garde à vue de vingt-quatre heures par deux fois.
    Le projet de loi prévoit en outre que la garde à vue, tout comme la pratique de perquisitions de nuit et d'écoutes téléphoniques, puisse être demandée par le procureur de la République et effectuée sur autorisation du juge des libertés et de la détention.
    Mais avant de poursuivre, je ferai quelques remarques sur l'ensemble de ces dispositions de procédure.
    Première remarque : des dispositions de procédures analogues ont déjà été prises dans bon nombre d'autres pays, notamment au sein des pays du G8, dont j'ai récemment rencontré les représentants.
    L'harmonisation de nos procédures avec celles de nos voisins ne pourra que faciliter la coopération pénale : c'est particulièrement vrai dans le cas de personnes infiltrées dans des réseaux criminels transnationaux.
    Deuxième remarque : il y a eu, je le sais, des critiques à l'encontre des nouvelles dispositions de procédure que je propose d'appliquer en matière de lutte contre la criminalité organisée : on donne, disent les uns, les pleins pouvoirs à la police : on donne, disent d'autres, des pouvoirs excessifs aux procureurs.
    La vérité - je me permets de la rappeler -, c'est que la police travaille sous le contrôle du parquet. Et la garantie contre tout abus de procédure par le parquet, c'est que tout recours aux moyens que je viens d'évoquer se fera, je le répète, sur autorisation d'un magistrat du siège.
    On veut, semblent croire certains, dépouiller le juge d'instruction. C'est absurde : on ne lui ôte aucun moyen d'action. L'idée, c'est de recentrer ce magistrat, qui constitue un des pivots essentiels de notre procédure pénale, sur le traitement des affaires qui méritent, en raison de leur complexité, de faire l'objet d'une information. Ce magistrat sera saisi de dossiers déjà bien constitués, après qu'une vision assez large de l'affaire aura été acquise au cours de l'enquête.
    Quant au déroulement de la phase d'information, le projet de loi prévoit de le simplifier. Mais je laisse à la discussion cet aspect très technique du texte.
    Au total donc, grâce aux différentes mesures que je viens d'évoquer, le projet de loi donne à la justice les moyens, notamment avec un arsenal procédural renforcé, de faire face à la délinquance et à la criminalité organisée.
    Qu'en est-il de la défense ?
    En fait, les droits de l'accusé et de la défense seront non seulement sauvegardés, mais encore renforcés.
    Lorsqu'une personne sera placée en garde à vue dans une affaire de criminalité organisée, elle aura évidemment droit de voir un avocat à la première heure, réserve faite de certains cas où la loi prévoit actuellement une intervention différée de l'avocat - affaires de terrorisme ou de trafic de stupéfiants.
    En cas de prolongation de la garde à vue, la personne pourra à nouveau voir son avocat à la quarante-huitième et à la soixante-douzième heure.
    Par ailleurs, il est prévu dans le projet de loi qu'une personne qui a été placée en garde à vue et qui n'a pas fait l'objet de poursuites dans un délai de six mois puisse, si elle en fait la demande, être informée par le procureur sur la suite de la procédure. Si le procureur décide de poursuivre l'enquête, il doit le faire savoir dans un délai de deux mois à la personne qui peut alors faire consulter le dossier de la procédure par son avocat.
    En outre, dans le cas où un procureur déciderait la comparution immédiate après avoir fait usage, lors de l'enquête, des nouvelles règles d'investigation, il est prévu que l'avocat du prévenu puisse intervenir devant le magistrat du parquet pour le convaincre d'ouvrir une instruction en raison de la complexité des faits.
    Si le tribunal est saisi selon la procédure de comparution immédiate, l'avocat du prévenu pourra demander un délai de deux mois, et non de deux semaines, pour préparer sa défense.
    Voilà pour ce qui concerne le crime organisé, les moyens de le prévenir et d'y répondre avec efficacité.
    Mais le projet de loi aborde également d'autres formes de délinquance et de criminalité dont le développement est intolérable et doit être combattu avec force.
    S'agissant de la délinquance en matière économique et financière et en matière de santé publique, le projet de loi prévoit de développer les pôles spécialisés déjà existants, notamment en améliorant le statut des assistants spécialisés chargés d'aider les magistrats.
    En matière de pollution environnementale, le texte prévoit d'augmenter les peines encourues pour les rejets polluants de navires. Il prévoit également d'élargir les compétences des tribunaux spécialisés de Brest, du Havre et de Marseille.
    L'Erika en décembre 1999, le Prestige en novembre dernier : cette série est vivement préoccupante. Je suis déterminé à tout faire en matière de justice pour lutter contre ces actes irresponsables et pour que les victimes des catastrophes écologiques obtiennent réparation.
    A Brest, mercredi dernier, j'ai dans cet esprit rencontré les différents acteurs économiques concernés dans les affaires de pollution pétrolière - armateurs, pétroliers et assureurs - pour évoquer avec eux leurs rôles respectifs dans l'indemnisation des victimes.
    Enfin, mon projet comporte des mesures pour lutter contre les actes de racisme et, plus largement, contre les actes de discrimination. Ce type de comportements est particulièrement intolérable et exige d'être combattu avec la plus grande fermeté.
    D'abord, il est prévu d'étendre la circonstance aggravante de racisme à de nouvelles infractions.
    Je propose par ailleurs d'augmenter les peines pour les délits de discrimination et d'instituer une circonstance aggravante lorsque la discrimination est commise dans le cadre de l'exploitation d'un lieu accueillant du public - il s'agit, pour être clair, du refus du délit de sale gueule à l'entrée des boîtes de nuit.
    Mais je crois que ces deux mesures ne sont pas suffisantes.
    Les messages de discrimination, antisémites, racistes ou xénophobes doivent faire l'objet d'une répression sans faille. Or leur poursuite et leur répression se trouvent parfois entravées par la brièveté du délai de prescription prévu par la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Ce délai est de trois mois. Mais trois mois, c'est très court, c'est trop court, surtout quand les infractions ont été commises dans le cyberespace et qu'il faut retrouver le ou les internautes qui sont les auteurs des messages d'intolérance.
    C'est la raison pour laquelle, après m'être interrogé sur l'opportunité de cette mesure, qui touche au droit de la presse, j'ai décidé de proposer de porter le délai de prescription pour les messages antisémites, racistes ou xénophobes de trois mois à un an.
    Voilà, en substance, comment le projet de loi que je vous soumets cible un certain nombre de formes de criminalité dont l'émergence ou le développement sont particulièrement préoccupants.
    J'en viens maintenant au second ensemble de mesures contenu dans le texte, dont l'objectif principal est de fluidifier le traitement des affaires du contentieux pénal.
    La justice, certes, ne doit pas être expéditive. Mais qu'elle traîne en longueur, voilà qui n'est pas tolérable. L'excès de lenteur ne discrédite pas moins la justice que l'excès de rapidité. Je crois que la justice retrouvera toute sa crédibilité quand les Français auront la certitude qu'elle prend le temps qu'il lui faut pour établir la vérité, mais pas davantage.
    Les dernières données dont nous disposons montrent que le délai moyen de réponse pénale devant les tribunaux correctionnels est de dix mois. Il convient de réduire ce chiffre et de faire en sorte que le délai de réponse pénale soit plus « raisonnable ». Pour ce faire, nous devons être guidés, me semble-t-il, par deux idées.
    D'une part, le recours à l'instruction doit être déterminé par un critère qualitatif. Dans certaines affaires déjà élucidées après enquête et en état d'être jugées, le recours à l'instruction ne servirait qu'à encombrer davantage les bureaux des magistrats instructeurs.
    D'autre part, le procès ne doit pas être la seule réponse possible aux infractions : absence de procès ne signifie pas absence de justice.
    Il existe déjà une mesure alternative aux poursuites : la procédure de composition pénale. Cette procédure permet au ministère public de proposer à l'auteur d'une infraction l'exécution d'une ou plusieurs obligations dites de composition - amende, suspension de permis de conduire, réparation du dommage causé, travail d'intérêt public -, l'exécution de l'obligation ou des obligations pouvant alors mettre fin aux poursuites pénales. Je propose d'étendre le champ d'application de cette procédure à tous les délits punis de cinq ans au plus.
    Il est également envisagé dans le projet de loi de diversifier les « mesures de composition ». Pourront être proposés, par exemple, l'interdiction de paraître dans le lieu où l'infraction a été commise ou encore le suivi d'un stage ou d'une formation.
    Dans les cas où le procureur envisage de poursuivre, on conviendra qu'il n'est pas aberrant de ne pas traiter exactement de la même manière les affaires dans lesquelles la culpabilité est reconnue et celles où elle est contestée. C'est dans cette logique que j'ai proposé de créer une procédure dite de « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ». Cette procédure a suscité quelques réactions et a fait l'objet de certaines critiques. J'aimerais vous montrer que ces critiques sont à mes yeux injustifiées.
    De quoi s'agit-il ?
    C'est une procédure qui ne sera applicable qu'à certains délits, punis de cinq ans d'emprisonnement au plus. Elle sera exclue pour les mineurs, les délits de presse, les délits d'homicide involontaire et les délits faisant l'objet d'une procédure de poursuite spécifique. Elle prévoit que, dans les cas où la culpabilité est reconnue, le procureur de la République puisse lui-même proposer une peine à la personne qui reconnaît être l'auteur du délit. C'est en présence de son avocat, qui aura eu accès au dossier et la possibilité de s'entretenir avec son client, que la personne mise en cause donnera ou non son consentement. La personne pourra bénéficier d'un délai de réflexion de dix jours avant de faire connaître sa réponse. En cas d'acceptation de la peine proposée, la personne comparaîtra devant le président du tribunal de grande instance. En présence de l'avocat, le juge du siège s'assurera de la persistance du consentement et décidera d'homologuer ou non la proposition du procureur. Il est prévu que la personne poursuivie dispose à nouveau d'un délai de dix jours pour faire appel.
    Des dispositions sont prises pour que les peines proposées par le procureur de la République soient inférieures aux peines encourues : des peines plus légères, si elles sont plus rapidement appliquées, seront, je crois, plus exemplaires que des peines plus lourdes.
    Dernier point : ce mode de procédure garantit pleinement les droits de la victime. En effet, celle-ci sera informée de la procédure et elle pourra pour sa demande d'indemnisation soit comparaître avec le prévenu devant le président du tribunal de grande instance, soit demander la tenue ultérieure d'un procès civil.
    A propos de cette nouvelle procédure, on a entendu un certain nombre de critiques. On a dit que c'était là vouloir substituer le procureur au juge. Il n'en est aucunement question. Dans la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, le parquet propose et le juge dispose. Je tiens par ailleurs à rappeler que les magistrats du parquet sont des magistrats, et qu'ils ont non seulement la mission mais le souci permanent de protéger les libertés individuelles. Ce point a été bien établi par deux décisions récentes du Conseil constitutionnel : les procureurs de la République tout autant que les magistrats du siège font partie de l'autorité judiciaire.
    On a comparé cette procédure au « plaider-coupable » et on a parlé d'« américanisation » de la justice.
    Une petite mise au point s'impose.
    Dans un procès aux Etats-Unis, en cas de reconnaissance de culpabilité, il y a systématiquement une véritable négociation de la peine entre la défense et la partie poursuivante, incarnée par l'attorney, qui n'est guère comparable à notre magistrat du parquet. L'issue de leur négociation lie le juge.
    Dans le projet de loi que je vous soumets, le déclenchement de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité est laissé à la discrétion du procureur de la République. Et encore une fois, c'est en définitive le président du tribunal de grande instance qui décide. Certes, on peut parler de « plaider-coupable » par commodité de langage, mais à condition d'avoir bien conscience des énormes différences séparant le système que je propose de la procédure anglo-saxonne.
    C'est la même confusion, me semble-t-il, qui fait dire à certains que le système français glisse vers un système de type accusatoire. L'assimilation de la procédure au plaider-coupable que je propose conduit à l'assimilation entre systèmes judiciaires. Mais s'il est nécessaire de le faire, je réaffirme ici solennellement mon attachement et celui de la France au système de type inquisitoire. Le système inquisitoire français m'apparaît comme étant le mieux à même d'assurer tout à la fois l'égalité de traitement de tous les justiciables et le respect des droits de la société, des victimes et de la défense.
    Certains ont dit que la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité allait permettre d'« enterrer » certaines affaires. C'est faux, puisque la constitution de partie civile impliquera toujours bien évidemment la saisine d'un juge.
    La nouvelle procédure que je propose de mettre en place est donc une réforme qui ne présente aucun risque de dérive.
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Tu parles !
    M. le garde des sceaux. De surcroît, cette réforme permetttrait bien évidemment de dégager de précieux gains de temps dans le traitement des affaires en correctionnel.
    Alors, quand on me parle de conception gestionnaire de l'administration de la justice, je réponds que le justiciable est aussi l'usager d'un service public.
    Avec la composition pénale et la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, on disposerait ainsi de toute une palette de procédures qui permettraient de ne pas mettre en branle toute la mécanique d'un procès dans les cas où il n'apparaît pas nécessaire de le faire.
    Absence de procès ne signifie pas, je le répète, absence de justice. Ce qui compte, en revanche, c'est que la réponse judiciaire soit systématique. Et le projet de loi réaffirme que, lorsque les faits sont constitués et l'auteur clairement identifié, toute affaire communiquée au parquet doit faire l'objet de l'une des réponses judiciaires figurant dans la gamme prévue par la loi.
    Je parlerai pour finir des mesures concernant les victimes. Car si la justice se désintéresse des victimes, elle manque à sa première mission. La loi d'orientation et de programmation leur a déjà accordé de nouveaux droits et de nouveaux moyens. Ce projet de loi améliore encore la prise en compte des victimes et de leurs intérêts.
    Ainsi, les victimes devront être informées au début de l'enquête de la possibilité de classement sans suite si l'affaire n'est pas élucidée. L'avis de classement devra être motivé le cas échéant.
    Pour les crimes et les délits contre les personnes, le projet de loi prévoit la possibilité, au cours de l'instruction, d'accorder des indemnités aux victimes constituées parties civiles.
    En cas de mise en examen ou de placement sous contrôle judiciaire, la victime devra être informée si la personne poursuivie est soumise à l'interdiction d'entrer en relation avec elle.
    Enfin, le texte du projet de loi précise que les décisions de mise en liberté ou de libération conditionnelle doivent être prises avec le souci qu'elles ne soient pas néfastes à la victime.
    Voilà, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi que je vous propose. Ce texte est un texte de responsabilité, un texte pour les Français.
    Au total, l'objectif visé par la réforme que je soumets à votre vote est la paix sociale et le renforcement de la cohésion sociale autour d'une bonne justice pénale.
    « C'est une injustice, disait Cicéron, que de ne pas protéger de l'injustice ceux qui s'en trouvent menacés. »
    L'action est juste, je crois, qui consiste à prendre les mesures qui redonneront à la justice la fermeté résolue qui doit être opposée à toutes les formes graves de délinquance et de criminalité, à oeuvrer pour que les coupables d'infractions soient punis rapidement et à faire en sorte que les victimes obtiennent dans les meilleures conditions réparation de leurs préjudices.
    Je compte sur votre soutien pour donner à la France une meilleure justice pénale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, à ce stade du débat, mon rôle consiste à vous rendre compte du travail effectué sur ce texte au sein de la commission des lois. Nous venons d'y consacrer plusieurs semaines et avons procédé à un grand nombre d'auditions - une quarantaine. Je tiens à remercier l'ensemble de nos collègues de la majorité et de l'opposition qui ont assisté et participé à ces auditions. Nous avons étudié sept cents amendements et nous en avons approuvés environ trois cents, ce qui vous donne une idée du travail effectué.
    Nombreux ont été les témoignages de soutien aux démarches engagées par le Gouvernement dans le cadre de ce projet de loi. Je me souviens de la phrase prononcée par un grand magistrat que nous avons entendu : « A une délinquance spécialisée il faut opposer des magistrats spécialisés. » Sinon, en effet, que risquons-nous ? Que des affaires complexes soient traitées dans des tribunaux encombrés par la délinquance quotidienne, que seuls les hommes de main et les passeurs de drogue arrêtés en flagrant délit avec quelques kilos de marchandise soient sanctionnés. Et que, sans enquêtes approfondies, nous n'arrivions pas à remonter à la tête des réseaux, à ceux qui commandent toutes ces opérations de délinquance organisée, à ceux qui profitent de l'argent sale. Pour lutter contre la criminalité organisée et démanteler ces filières, il faut faire intervenir des magistrats spécialisés.
    Je limiterai mon exposé aux cinq grands objectifs que la commission a retenus comme prioritaires.
    Premièrement, nous avons voulu conforter les nouveaux outils de lutte contre la délinquance organisée mis en place par ce projet de loi. Nous approuvons, monsieur le ministre, la définition des infractions relevant de la délinquance organisée et nous vous proposerons de l'étendre, notamment, aux opérations de blanchiment liées à ces infractions. En effet, enquêter sur le blanchiment permet souvent de découvrir ces infractions. Nous vous proposerons également d'y inclure le jeu, car la délinquance organisée s'accompagne souvent de violations de la réglementation sur les jeux.
    Deuxièmement, nous soutenons votre volonté d'instaurer des juridictions interrégionales. Vous nous avez indiqué, en commission des lois, que le périmètre de compétence de ces juridictions serait calqué sur celui qui vient d'être retenu par le ministère de l'intérieur dans le cadre de la réorganisation de la police judiciaire ; certaines juridictions pourront englober plusieurs périmètres, le tout dans un souci de cohérence. C'est une mesure extrêmement intelligente.
    Troisièmement, nous approuvons votre intention de renforcer les moyens d'enquête. Mes chers collègues, est-il admissible que des policiers ou des gendarmes qui enquêtent dans des affaires si difficiles de délinquance organisée ne disposent pas de plus de moyens que lorsqu'ils enquêtent sur une affaire de vol à la tire ? Evidemment non. A la complexité des affaires, il faut répondre par l'efficacité des moyens d'enquête.
    La garde à vue pourrait être renouvelée jusqu'à quatre jours, sous le contrôle des magistrats. Nous approuvons le principe de cette mesure. Mais nous allons vous proposer de simplifier la procédure. Nous souhaitons qu'à l'issue de l'examen du texte par l'Assemblée nationale nous en restions à trois modes de garde à vue en France. Si nous rendons trop complexe l'ensemble de la garde à vue, nous nous exposons à des difficultés d'application, notamment à des nullités de procédure.
    Des dispositifs destinés à infiltrer des officiers de police judiciaire dans ces réseaux pourraient être créés. C'est utile, voire indispensable pour lutter contre ce type de délinquance. Mais c'est aussi dangereux. Voilà pourquoi nous souhaitons renforcer la protection de l'agent infiltré comme celle de sa famille, qui prend elle aussi des risques. Nous vous proposerons également, jusqu'à l'issue de l'infiltration, d'améliorer le contrôle du dispositif par les magistrats.
    Un amendement adopté par la commission vise à doter le juge d'instruction d'un moyen supplémentaire lors des enquêtes : la sonorisation. Au cours de nos auditions, les acteurs de terrain, les enquêteurs, les magistrats ont été nombreux à témoigner de l'insuffisance actuelle des dispositifs d'écoute, notamment des téléphones portables. En effet, dans ces réseaux de délinquance organisée, on change souvent la puce du téléphone plusieurs fois par jour ! Il nous est apparu utile de doter, uniquement pour lutter contre la délinquance organisée, et uniquement le juge d'instruction, du moyen de sonoriser ou de filmer. On nous a rapporté que la plupart des démocraties disposaient de ce moyen et que la France était souvent sollicitée par des pays voisins qui sonorisaient le véhicule de trafiquants de drogue. Or, lorsque la frontière est passée, il n'est plus légalement possible de faire entrer ces écoutes en procédure.
    Troisièmement, nous avons la volonté de mieux répondre aux nouvelles formes de criminalité. Je vais prendre trois exemples.
    Premier exemple : monsieur le garde des sceaux, vous renforcez les juridictions économiques et financières. La commission des lois vous appuie entièrement.
    Deuxième exemple : vous confortez les juridictions spécialisées dans le domaine de la santé. C'était tout à fait nécessaire. Ce type de contentieux risque de se développer dans les années à venir. La commission a adopté un amendement visant à étendre la compétence de ces juridictions au-delà des affaires strictement sanitaires, à toutes les affaires de santé et - environnement - je pense aux affaires d'empoisonnement, de maladies liées au plomb, au mercure ou à l'amiante.
    Troisième exemple : vous nous proposez la montée en puissance de juridictions spécialisées dans la lutte contre les pollutions maritimes. La commission approuve avec enthousiasme l'article 10 du projet de loi qui permet de durcir les sanctions contre les « voyous » des mers, qui polluent les océans. Une fois ce texte voté, la législation française aura atteint un niveau correct de répression. Reste qu'il nous faudra être très actifs tant au niveau de l'Union européenne qu'au niveau international. Car la répression de ce type d'infraction est freinée par des accords internationaux.
    Au cours d'une audition, il nous a été rapporté qu'en 2002 douze affaires de dégazage avaient été jugées par le tribunal de grande instance de Paris. Sur les douze, une avait abouti à une relaxe ; onze avaient abouti à des condamnations à des amendes, comme cela est prévu par les textes ; mais aucune de ces amendes n'avait été exécutée. Généralement, les capitaines des navires correspondants ne mettent plus les pieds sur le territoire français jusqu'à ce que la peine ne soit plus applicable. Il y a donc un travail important à faire !
    Par ailleurs, la commission souhaite que soit bien posé dans la loi le principe que, pour les affaires extrêmement graves de pollution maritime, à savoir les marées noires, le tribunal de grande instance de Paris est compétent. En effet, ces affaires sont très complexes et, comme on a pu le constater ces dernières décennies, elles masquent des affaires financières, des infractions aux lois, des sociétés écrans, souvent dans des paradis fiscaux. Elles nécessitent des équipes de magistrats, des assistants spécialisés, notamment en matière économique et financière. En âme et conscience, c'est ce qui nous a semblé plus efficace.
    Jusqu'à maintenant, les articles 17 à 19 n'ont pas fait l'objet de longs commentaires. Mais je tiens à vous dire, monsieur le garde des sceaux, que nous soutenons ces articles qui posent le principe de la cohérence de l'action pénale sur l'ensemble du territoire.
    M. Gérard Léonard. Très bien !
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. L'article 20 de la Constitution dispose que le Gouvernement est responsable de la politique de la nation. Il l'est également en matière pénale. Le fait que vous définissiez le rôle du ministre de la justice est extrêmement important. Je crois que nos concitoyens sont extrêmement attachés à votre volonté d'assurer une égalité d'application de la loi pénale sur l'ensemble du territoire français.
    Quatrième objectif : l'institution de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Il s'agit d'un dispositif intéressant. Aujourd'hui, dans de nombreux départements, le traitement de la délinquance est freiné au nombre limité de places disponibles dans les audiences. Imaginez que vous êtes procureur de la République et que la capacité d'absorption des affaires de votre tribunal est de cinquante par semaine ; si vous décidez, durant une semaine, d'en poursuivre cent, vous faites perdre une semaine de retard à votre tribunal ! Il faut trouver des solutions pour remédier à ce problème ; cette nouvelle procédure en est une.
    Je précise que vous avez tenu à ce que les droits de la défense soient scrupuleusement respectés, tout au long de cette procédure, notamment grâce à la présence d'un avocat. Nous avons, pour notre part, souhaité préciser le rôle du président du tribunal. Celui-ci ne devrait pas se contenter de signer l'ordonnance décidant de la sanction, il devrait également vérifier la réalité des faits ainsi que leur qualification juridique. Il ne s'agit pas de copier de mauvaises séries américaines, mais de trouver une solution pragmatique et efficace. Nous ne voulons pas qu'une personne puisse s'accuser d'un acte sans gravité pour protéger le responsable d'un réseau de criminalité, ou pour cacher d'autres actes de délinquance. Pour autant, le texte, tel qu'il est rédigé, est extrêmement clair.
    Enfin, cinquième et dernier grand objectif de la commission des lois : travailler sur le régime de l'application des peines. Nous avons approuvé les dispositions que vous nous avez proposées. Mais nous voulons réaffirmer solennellement que, dans le traitement de la délinquance, le fait d'obtenir un jugement condamnant le délinquant n'est absolument pas suffisant. Le travail n'est fini que lorsque le jugement est appliqué. Le délai d'application des décisions de justice est aujourd'hui scandaleux : entre le moment où un jugement est rendu à une audience et le moment où il est tapé et mis à exécution, il faut compter en moyenne, dans l'ensemble du pays, plus de sept mois !
    Nous avons déposé plusieurs amendements visant à simplifier, à accélérer et à recrédibiliser toutes les sanctions alternatives à la détention. Nous avons l'impression que certaines sanctions pénales ne sont plus utilisées parce que le magistrat n'a plus confiance en elles. Je pense au travail d'intérêt général, dont le prononcé a baissé de 25 % en cinq ans. Résultat : le magistrat monte plus vite et plus haut sur l'échelle des peines. Nous proposons donc des dispositions pour simplifier le prononcé de ces peines, pour les mettre à exécution de manière rapide - en principe dans les trente jours de l'audience - et pour les crédibiliser je pense au travail d'intérêt général et au sursis mise à l'épreuve.
    Enfin, nous avons débattu de l'exécution des courtes peines de prison infligées à des condamnés paraissant libres. Le système actuel aboutit à ce que des personnes condamnés à six ou huit mois de prison n'exécutent leur peine que un, deux ou trois ans après leur jugement. C'est absurde, d'abord parce que ce retard nourrit le sentiment d'impunité ; ensuite parce que, chaque 14 juillet, une peine de prison non exécutée est diminuée de deux mois ; enfin parce que nous arrivons parfois à des situations injustes : des délinquants qui étaient revenus à une vie normale, notamment sur le plan professionnel, voient leurs efforts réduits à néant à cause d'une infraction commise longtemps auparavant.
    Nous souhaitons que soit posé dans la loi le principe de l'exécution rapide des courtes peines de prison, pour éviter ce genre d'inconvénients. Mais nous souhaitons également que soit supprimée la quasi-équivalence qui existe aujourd'hui entre la décision d'une courte peine de prison et son exécution en maison d'arrêt. Nous voudrions en effet que les modalités d'exécution de ces peines soient diversifiées, notamment par le placement sous surveillance électronique ou la semi-liberté. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Autant que faire se peut, les condamnés qui ne sont pas dangereux pour nos concitoyens devraient continuer à travailler ou être remis au travail, parce que le travail est un premier pas vers une réinsertion. C'est en outre le moyen, pour ces auteurs d'infractions, d'indemniser les victimes ou de rembourser les dégâts qu'ils ont commis.
    Tels sont, mes chers collègues, les cinq principaux objectifs que nous avons poursuivis.
    Le règlement de notre Assemblée limitant à quinze minutes l'intervention du rapporteur, je concluerai maintenant. Nombreux sont ceux, dans notre pays, qui espèrent que les dispositions de ce texte, notamment les dispositions de simplification seront rapidement appliquées.
    Les cinq priorités que j'ai définies ne couvrent absolument pas l'intégralité du texte. Celui-ci revient en effet sur un grand nombre de procédures en recherchant cas par cas, du tribunal correctionnel à la cour d'assises, toutes les simplifications possibles pour fluidifier le traitement des affaires judiciaires. Ce sont des mesures extrêmement attendues par les professionnels. Ce texte comporte par ailleurs de grandes avancées en matière de collaboration entre la justice française et les justices étrangères. Il traduit dans notre droit le principe de la transmission directe entre juridictions, au sein de l'Union européenne, des demandes d'entraide judiciaire. C'est une avancée qui était indispensable. Il permet la constitution d'équipes d'enquête communes réunissant des fonctionnaires français et des fonctionnaires de pays étrangers. C'est, là encore, une avancée intéressante. Il permet enfin, pour lutter contre la criminalité organisée, qui nous vient, aujourd'hui, notamment, de pays de l'Est de l'Europe, d'utiliser la procédure de l'infiltration avec des fonctionnaires de police étrangers. Ces nouveaux moyens vont nous permettre de marquer des points dans les mois à venir. La délinquance méconnaît les frontières et connaît, elle aussi, une certaine forme de mondialisation.
    Nous sommes heureux de l'importance du travail qui va s'achever. Jamais depuis le début de la Ve République, jamais depuis 1958, un tel travail d'ensemble n'avait été réalisé en douze mois. (« Si ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste. - « Non ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jean-Pierre Blazy. Il ne faut rien exagérer !
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Jamais n'avaient été votées des textes apportant autant de nouveaux moyens à la police, à la gendarmerie et à la justice. Jamais n'avaient été repensées l'ensemble de nos procédures pénales, pour mieux les adapter aux défis que la délinquance pose à notre société.
    Mes chers collègues, en soutenant ce projet, nous nous montrerons, une fois de plus, fidèles au mandat que nous ont donné nos concitoyens en juin dernier. Lorsqu'il sera voté, nous pourrons, une fois de plus, dire que nos engagements ont été tenus ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, pour dix minutes.
    M. François d'Aubert, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l'efficacité de l'institution judiciaire se mesure à sa capacité à s'adapter aux évolutions internes de la société, mais aussi au contexte international et européen. C'est précisément pour faire face aux nouvelles formes d'organisation de la délinquance et de la criminalité que vous nous proposez, monsieur le garde des sceaux, de moderniser notre justice pénale en renforçant l'efficacité de notre droit, de nos procédures et - c'est essentiel - de nos moyens d'enquête. En effet, les enquêtes pour lutter contre la mafia sont longues, dangereuses, amples et d'une complexité dont on n'a souvent pas idée.
    Notre droit devait être adapté à la menace des mafias, des réseaux mafieux, de la criminalité organisée, menace comparable, par sa dangerosité, à celle du terrorisme. Ne nous faisons pas trop d'illusions : face à des réseaux de plus en plus avides, de plus en plus violents, de plus en plus imaginatifs, il faut sans cesse remettre sur le métier l'ouvrage du droit. La loi que nous allons voter méritera probablement d'être renforcée dans dix ans, peut-être même avant, car les moyens de la criminalité organisée sont eux-mêmes, hélas ! de plus en plus efficaces.
    La criminalité organisée se caractérise, comme vous l'avez rappelé, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, par la multiplication des mafias et l'internationalisation, mais également par une financiarisation croissante et un recours à une violence de plus en plus rude.
    La commission des finances a souhaité se saisir pour avis de l'article 11 du projet de loi, qui contient d'importantes dispositions relatives aux infractions douanières et renforce ainsi le rôle de l'administration des douanes dans la lutte contre la délinquance économique et financière, rôle qui lui est déjà confié depuis longtemps, en liaison avec les services de police et la justice.
    Le nombre des infractions économiques et financières s'est fortement accru au cours des dernières années. La nature de cette délinquance s'est modifiée pour donner naissance à des contentieux de plus en plus complexes, associant des délits spécifiquement économiques et des délits plus généraux. La palette des infractions sanctionnées montre à quel point la délinquance économique et financière présente aujourd'hui un caractère polymorphe.
    En raison des liens qu'ils entretiennent avec la criminalité organisée, le recyclage de l'argent sale et le blanchiment occupent, parmi ces infractions économiques et financières, une place croissante par le volume d'argent concerné, par la sophistication des méthodes utilisées, par la mobilisation d'intermédiaires « multicartes », si l'on ose dire, du recyclage et du blanchiment.
    Quels que soient la ou les « spécialités » criminelles d'un groupe et son champ géographique d'action, il arrivera toujours un moment où il devra entrer en relation avec l'économie officielle, soit pour investir ses profits illicites et décupler son pouvoir, soit pour en jouir par l'achat de biens et de services que la seule économie clandestine, au-delà d'un certain niveau, ne peut suffire à fournir.
    En 2001, Tracfin a estimé que la part de la criminalité organisée représente 40 % de l'ensemble des dossiers qu'il a transmis au parquet.
    Le lien entre blanchiment et criminalité organisée justifie que la procédure pénale exceptionnelle, prévue par l'article 1er du projet de loi, s'applique au blanchiment du produit des infractions relevant de la délinquance et de la criminalité organisées. J'ai souhaité m'associer à l'amendement adopté en ce sens par la commission des lois.
    Les douanes jouent un rôle essentiel dans la lutte contre les grands trafics. Par ses compétences fiscales, cette administration connaît bien les réseaux de trafiquants propres à certaines filières sensibles, comme la production de tabacs ou d'alcools, ainsi que les circuits organisés de fraude à la TVA ou aux règles communautaires. Les douanes ont acquis en matière de détection du blanchiment, de démantèlement du terrorisme et de contrôle de certains produits stratégiques, comme les armes, une compétence incontestable qu'il importe aujourd'hui de mettre davantage encore au service de la procédure judiciaire.
    Les mesures que nous propose le Gouvernement, en renforçant les compétences de la douane judiciaire et en créant à l'attention des douaniers une procédure d'infiltration, les mesures que nous propose le Gouvernement vont naturellement dans le bon sens.
    La commission des finances a estimé qu'il était possible d'aller plus loin, en donnant à la douane judiciaire une compétence propre en matière de trafic d'armes, de vol de biens culturels et de délits de blanchiment. Elle a également souhaité que les douaniers puissent procéder à des infiltrations pour constater des délits de contrefaçon de marque qui, je vais y revenir, constituent aujourd'hui une menace pour des pans entiers de notre économie comme pour la santé des consommateurs.
    Enfin, la commission des finances a amélioré la procédure de déclaration de soupçon, notamment en l'étendant au financement du terrorisme.
    Je terminerai mon intervention en appelant votre attention, monsieur le garde des sceaux, sur la place qu'occupent les jeux et la contrefaçon dans la délinquance organisée. Cette place est apparue à la commission des finances suffisamment inquiétante pour justifier une adaptation de notre arsenal répressif.
    Les jeux de hasard présentent une grande vulnérabilité au blanchiment de capitaux. La masse des liquidités échangées, la vitesse de circulation des espèces, le caractère immatériel des prestations fournies et les possibilités de dissimulation de l'identité du détenteur des fonds sont autant d'atouts pour les « blanchisseurs ».
    La commission des finances a étendu à l'ensemble des opérateurs de jeux l'obligation de déclaration de soupçon qui ne s'applique aujourd'hui qu'aux seuls casinos.
    Bien connues des professionnels, les techniques de blanchiment peuvent, en effet, trouver à s'appliquer à n'importe quel jeu de hasard. Le principe est assez simple : un joueur engage dans le jeu des sommes en espèces issues d'un crime ou d'un délit et blanchit les sommes gagnées, dont il reçoit le paiement par chèque.
    De même, les offres de jeux sur Internet - la cybercriminalité, les casinos virtuels - permettent aux joueurs de créditer un compte joueur au moyen d'une carte bancaire et de demander que les sommes non jouées et les sommes gagnantes soient reversées par l'organisme de jeu sur un autre compte. Tracfin a également identifié la pratique, courante dans le milieu du grand banditisme, de blanchiment par rachat de reçu gagnant : le « blanchisseur » ou un prête-nom rachète au joueur gagnant son reçu et va ensuite se faire payer par chèque le montant du lot gagné.
    La commission des finances a enfin souhaité renforcer l'arsenal pénal prévu pour les délits de contrefaçon.
    La contrefaçon a pris des proportions inquiétantes ; les produits concernés se diversifient, de nouveaux pays producteurs apparaissent et les procédés utilisés concernent de plus en plus la criminalité organisée. D'après l'OCDE, la contrefaçon génère quelque 250 milliards d'euros de revenus illégaux et représente de 5 à 7 % du commerce mondial. Elle est ainsi passée d'une activité presque artisanale à une logique industrielle.
    Les trafics générés par la contrefaçon constituent aujourd'hui une menace sérieuse à plusieurs titres.
    D'abord, ils portent atteinte au chiffre d'affaires et aux parts de marché ou d'investissement des entreprises, ainsi qu'à la valeur ajoutée et à la créativité propres aux pays industrialisés comme la France.
    Ensuite, ils menacent la santé et la sécurité des consommateurs, comme le montrent les affaires de contrefaçon de médicaments, de jouets ou de pièces détachées d'avion ou d'automobile qui, bien souvent, ont entraîné des accidents.
    Enfin, ils représentent un coût économique non négligeable pour les pays victimes, non seulement en termes d'emplois, mais aussi en termes de moins-values fiscales.
    Comme le blanchiment, la contrefaçon est devenue une forme de criminalité organisée. Et les mafias, notamment d'Extrême-Orient, mais aussi des anciens pays de l'Est, s'en sont emparées. Dans un rapport de 1998, la commission économique de l'OTAN a dénoncé l'implication de plusieurs groupes criminels dans des affaires de contrefaçon.
    L'ampleur du phénomène justifie une adaptation des sanctions pénales. Un plan en faveur de la propriété industrielle, en cours d'élaboration, contient plusieurs mesures destinées à renforcer la lutte contre la contrefaçon, ce « soutien majeur de la grande criminalité », pour reprendre l'expression de Mme la ministre de l'industrie. Dans le même esprit, la commission des finances a souhaité aggraver les peines et traiter de manière différenciée les délits commis par des particuliers et ceux commis par des réseaux industriels.
    Telles sont, mes chers collègues, les conclusions auxquelles est parvenue la commission des finances. Au terme de ses travaux, elle a adopté l'article 11 et approuvé, dans son esprit, l'ensemble de ce projet de loi qui répond de façon incontestable, positive et vigoureuse à la montée en régime de la criminalité organisée en France, en Europe et dans le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il y a une dizaine d'années, ceux qui avaient les yeux de Chimène pour la procédure suivie outre-Atlantique dénonçaient péremptoirement l'archaïsme de notre système. Je constaterai seulement que les Etats-Unis ont actuellement plus de deux millions de détenus et que, si nous avions le même ratio de détention, les prisons françaises devraient accueillir près de 200 000 personnes.
    D'autres ont cru possible de suivre l'exemple de l'Italie où, depuis 1989, un parquet indépendant est désormais chargé des enquêtes sous le contrôle d'un magistrat du siège. La justice transalpine est actuellement asphyxiée, la durée des procédures y atteignant une moyenne de dix ans.
    On comprend alors qu'en matière de procédure pénale l'enfer peut être pavé de bonnes intentions. Ces bonnes intentions peuvent être d'autant plus facilement détournées qu'en ce domaine le jeu de corporatismes divers exacerbe les positions en s'appuyant parfois adroitement sur une large méconnaissance des citoyens quant au fonctionnement de leur système judiciaire.
    Ces corporatismes utilisent généralement des concepts juridiques abstraits, mais lourds de sens, pour s'attirer les faveurs de l'opinion.
    Ainsi, la notion d'inculpation, que d'aucuns assimilent sémantiquement à celle de faute démontrée, a été l'un des pivots de la réforme du 4 janvier 1993. On connaît aujourd'hui l'échec patent de la substitution du terme de « mise en examen » à celui d'« inculpation ».
    De même, il est habituel d'opposer abusivement le système « inquisitoire » à la française au système « accusatoire » à l'anglo-saxonne. Plus personne ne sait réellement ce que signifient ces expressions, mais le terme « inquisitoire » reste chargé de relents de l'Ancien Régime, époque où le lieutenant criminel menait ses investigations dans la plus totale opacité, le droit de la défense étant réduit à la portion congrue. Or la procédure française ne peut plus être, aujourd'hui, discréditée au motif qu'elle serait « inquisitoire », en raison de la place de plus en plus importante faite à la défense, notamment au stade de l'instruction préparatoire. La possibilité de demander au juge des actes d'information ou les contrats de durée de procédure sont autant de mesures qui ont rendu notre procédure contradictoire et transparente.
    En matière de procédure pénale, il faut donc se prémunir à la fois de la tentation de copier les systèmes étrangers et de celle de manier, parfois avec des arrière-pensées, de grandes idées plutôt floues. Il faut, avant tout, tenir compte de nos spécificités historiques et culturelles pour chercher, avec pragmatisme, à les adapter aux formes modernes de la délinquance. Dans ce domaine, le législateur doit donc s'imposer la plus grande prudence et faire abstraction de ses présupposés et de ses craintes, pour chercher à élaborer des règles aptes à concilier la nécessaire répression des infractions avec un haut niveau d'exercice des droits de la défense.
    J'en appelle donc au sens de la responsabilité qui doit nous animer, sur l'ensemble de nos bancs, afin de ne pas dénaturer le projet parfaitement équilibré qui nous est présenté par M. le garde des sceaux. En effet, ce texte est caractérisé par le souci permanent d'adapter notre procédure aux nouvelles formes de criminalité sans en bouleverser les équilibres fondamentaux, tout en préservant les droits des personnes poursuivies.
    Nous ne devons pas oublier que la justice est une vertu et qu'elle n'est faite ni pour les juges, ni pour les avocats, ni pour ceux qui auraient un intérêt à la voir affaiblie. Même ceux qui la pratiquent peuvent ne pas être exempts de tout reproche, mais ce n'est pas une raison pour la déstabiliser.
    Dans la même optique, veillons à ne pas nous engager dans la voie d'un trop grand renforcement de la répression, notamment par l'édiction d'incriminations superflues ou par l'augmentation de pénalités prévues pour certaines infractions.
    Prenant conscience de la montée en puissance de la criminalité organisée et de l'insuffisance des outils procéduraux et matériels destinés à la contrer, le projet de loi prévoit, outre la création de juridictions spécialisées interrégionales, la mise en oeuvre de dispositions procédurales spécifiques à ce type de délinquance. Garde à vue de quatre jours, assouplissement des règles de perquisition, extension des pouvoirs d'enquête du parquet, généralisation et modernisation des procédures d'infiltration et création d'un statut du repenti, telles sont les avancées les plus marquantes que viennent d'exposer le garde des sceaux et le rapporteur de la commission des lois. La France va enfin reconnaître la réalité de la criminalité organisée, et disposer des moyens juridiques et matériels ainsi que des règles dérogatoires qui sont, malheureusement, nécessaires à son traitement.
    Au-delà des dispositions franco-françaises qu'il contient, le projet met à niveau nos capacités à appréhender les formes de délinquance les plus graves dans leur dimension internationale, en proposant des mesures qui permettront la mise en oeuvre de la Convention d'entraide judiciaire européenne en matière pénale, du 29 mai 2000, comme la création d'équipes communes d'enquête et la possibilité ouverte aux agents étrangers infiltrés d'opérer sur notre territoire.
    Mais la justice pénale quotidienne n'en est pas pour autant oubliée, puisque ce texte comprend également de nombreuses dispositions de simplification et d'amélioration du traitement pénal des procédures. Ainsi en est-il du renforcement de l'obligation de réponse imposée au parquet lorsque l'auteur d'une infraction aura été identifié, de l'extension du champ de la composition pénale, de la création d'un mandat de recherche, qui répondra aux attentes des professionnels en renforçant la sécurité juridique des procédures de recherche.
    Surtout, le projet contient une innovation majeure : la création d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, qui s'inspire du plea bargaining anglo-saxon sans en être pour autant la transposition. Respectueux des droits de la défense, ce nouveau mécanisme de réponse pénale devrait permettre de désengorger les juridictions de jugement.
    Telle qu'elle est prévue par ce projet, la procédure de « plaider coupable » permettra de tester la pertinence de cette modalité de réponse pénale, ce qui est conforme à la logique d'expérimentation qui prévaut depuis un an. En cas de succès, une réforme future pourra en corriger les dérives éventuelles et en étendre, le cas échéant, le champ d'application.
    Je rends hommage aux travaux réalisés par notre rapporteur, Jean-Luc Warsmann, qui, après avoir auditionné pendant une cinquantaine d'heures, a su affiner et compléter le projet, notamment en complétant le champ des infractions relevant de la criminalité organisée, en légalisant les procédures de sonorisation, en gommant certaines imperfections des règles de procédure d'infiltration, en recherchant une simplification des régimes de garde à vue, en étendant le champ de l'ordonnance pénale et en procurant une base légale à la période de rétention pouvant exister entre la fin d'une mesure de garde à vue et la présentation de la personne devant un magistrat. Cette dernière mesure aura notamment pour effet de légaliser enfin la pratique malheureusement inévitable du dépôt, qui ne dispose actuellement que d'une légitimité jurisprudentielle fragile au regard de la position attendue de la Cour européenne des droits de l'homme.
    Certains esprits chagrins pourront estimer que ce texte ne va pas assez loin : je les invite à méditer sur toutes les erreurs passées, sur ces « chamboule-tout » successifs qui ont plongé la France dans une insécurité sans précédent, avec les conséquences électorales que l'on connaît.
    M. Gérard Léonard. Eh oui !
    M. Pascal Clément, président de la commission. In medio stat virtus : le projet de loi s'inscrit dans le droit-fil de cette maxime, qui est l'expression même d'une prudente sagesse. Je souhaite seulement que M. le garde des sceaux reste attentif à la capacité de notre justice à mettre en oeuvre certaines des règles nouvelles prévues dans le projet de loi, et tout particulièrement celle imposant au parquet l'obligation de donner une réponse à toutes les procédures où l'auteur de l'infraction est identifié.
    J'espère que nos débats nous permettront d'éviter le syndrome de l'ouverture de la boîte de Pandore, qui a généralement caractérisé nos précédents travaux en matière de procédure pénale. Il ne s'agit pas de protéger tel ou tel intérêt, mais de dégager des règles adaptées aux nouvelles formes de criminalité, selon le mandat qui nous a été donné par les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Exception d'irrecevabilité

    M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est à M. André Vallini.
    M. André Vallini. Monsieur le garde des sceaux, votre projet de loi poursuit deux objectifs : d'une part, adapter la justice aux évolutions de la criminalité et, d'autre part, renforcer l'efficacité, la cohérence et l'effectivité du droit pénal, tout en clarifiant et en simplifiant les règles de procédure. Si nous adhérons évidemment à ces objectifs, les moyens que vous proposez pour les atteindre nous laissent sceptiques quant au premier et inquiets quant au second.
    J'ajoute, et c'est le sens de l'exception d'irrecevabilité que je vais défendre, que plusieurs dispositions de votre projet, et non des moindres, posent des problèmes au regard de leur conformité à la Constitution et, plus généralement, à ce que l'on nomme le « bloc de constitutionnalité ».
    Le premier volet du texte a trait aux dispositions relatives à la lutte contre les formes nouvelles de délinquance et de criminalité.
    Pour lutter contre les « nouvelles mafias », selon l'expression consacrée, votre projet instaure d'abord un nouveau régime d'exception pour des infractions relevant de la délinquance et de la criminalité organisées.
    Or, vous le savez, le Conseil constitutionnel, qui contrôle la qualité rédactionnelle des lois, requiert en matière pénale une définition claire et précise des infractions et de leur auteur : d'une part, la détermination de l'infraction doit être certaine et, d'autre part, la détermination des éléments constitutifs de l'infraction doit être claire et précise. Au regard de ces exigences, l'article 1er appelle la critique.
    En effet, n'étant pas juridiquement définie, la notion de « criminalité organisée » relève davantage d'une approche criminologique ou sociologique que d'une définition juridique. Si ce concept s'appuie sur la gravité des faits, la référence à des critères subjectifs revient en fait à instaurer des infractions « à géométrie variable », ce qui serait susceptible de porter atteinte au principe de légalité des délits et des peines fixé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et constituerait donc un facteur important d'insécurité juridique.
    Il en va de même pour la notion de « délit en bande organisée » : faute d'une définition juridique précise, c'est en fait une nouvelle procédure de droit commun que vous allez mettre en place puisque la lecture du futur article 706-99 montre que cette procédure prétendument exceptionnelle s'appliquera en fait chaque fois qu'il y aura apparence de bande organisée, la nullité de la procédure pour mauvaise qualification étant en outre, et c'est très grave, expressément exclue par votre texte, ce qui est totalement inacceptable.
    Il est donc indispensable, à nos yeux, de mieux définir la « bande organisée », qui doit être distinguée en particulier des qualifications de réunion, d'association de malfaiteurs et de complicité, toutes trois déjà visées par le code pénal.
    Pour lutter contre la criminalité organisée, le projet de loi crée des juridictions spécialisées.
    Le traitement des nouvelles incriminations que je viens d'évoquer sera confié à des pôles spécialisés dont la compétence sera déterminée par le degré de complexité de l'affaire.
    Ce critère de « grande complexité » des affaires doit, lui aussi, être plus précisément défini car il introduit à son tour un élément supplémentaire de subjectivité dans notre procédure pénale. Vous n'apportez en outre aucune précision sur les conditions dans lesquelles la compétence territoriale de ces nouvelles juridictions s'appliquera puisque vous renvoyez à un décret d'application.
    Votre réforme va non seulement conduire à l'éclatement des procédures selon l'appréciation de la nature de l'infraction, mais le rôle de la police dans le déclenchement de la procédure exceptionnelle conduira à un affaiblissement des pouvoirs du juge, ce qui est d'autant plus grave que, par ce biais, une grande partie du contentieux pénal de droit commun pourra se fondre, comme par porosité, dans ce nouveau système prétendument dérogatoire. D'où un risque de légalisation des détournements de procédure, avec un parquet maître du jeu et libre de choisir juges et procédures, de surcroît sans risque de sanction puisque, je le répète, il n'y aura pas d'annulation de la procédure pour mauvaise qualification.
    Notre procédure pénale va ainsi devenir encore plus complexe et encore moins lisible, à l'opposé des objectifs de simplification et de clarification que vous affichez. De plus, cette complexification va multiplier les risques de vices de procédure dont pourront bénéficier les « nouveaux mafieux », à l'opposé, là encore, de l'objectif d'efficacité et d'effectivité du droit pénal que vous poursuivez.
    Votre réforme risque ainsi de se révéler contre-productive. A nos yeux, il eût sans doute été plus pertinent d'unifier les régimes dérogatoires existants pour le trafic de stupéfiants et les actes de terrorisme plutôt que d'en créer un troisième.
    En réalité, monsieur le ministre, comme je vous l'ai dit en commission et comme M. d'Aubert vient de l'indiquer, le seul vrai nouveau problème que posent la délinquance et la criminalité organisées, c'est leur internationalisation. De ce point de vue, le chapitre 2 du titre Ier eût sans doute été suffisant.
    J'en viens aux règles de procédure spécifiques que votre projet prévoit en matière de criminalité et de délinquance organisées. A cet égard, le texte instaure un arsenal impressionnant de nouveaux moyens, dessinant un régime tout à fait inquiétant avec l'extension des possibilités d'infiltration des réseaux de délinquants, de surveillance des personnes et des biens, de placement sur écoutes téléphoniques, de perquisitions et de visites domiciliaires, et, enfin, de saisies de pièces à conviction sans l'assentiment de la personne chez laquelle ces saisies ont lieu.
    Commençons par l'infiltration. La généralisation de ce procédé à un très grand nombre de situations, même si cela peut être utile à la police - réalité que nous ne nions pas -, est dangereuse car sa banalisation expose à un risque majeur de corruption morale, à une perte des repères et à un contentieux sans fin sur la valeur des preuves rassemblées par ce moyen.
    Venons-en à la surveillance. Vous prévoyez que les policiers pourront, après information du procureur de la République, procéder à la surveillance de personnes que l'on peut soupçonner de façon plausible d'avoir commis une infraction relevant de la délinquance ou de la criminalité organisée. Il y a là un problème d'inconstitutionnalité car cette disposition méconnaît le rôle de l'autorité judiciaire pour assurer le respect de la liberté individuelle. Le Conseil constitutionnel exige en effet que le magistrat soit à même d'exercer un contrôle réel sur ce type d'opération, décision du 13 août 1993 portant sur la loi relative à la maîtrise de l'immigration ; décision du 16 juillet 1996 concernant la loi tendant à renforcer la répression du terrorisme ; décision du 13 mars 2003 relative à la loi pour la sécurité intérieure.
    Or, en l'espèce, votre projet ne prévoit qu'une information préalable du procureur de la République, ce qui est nettement insuffisant au regard des exigences posées par le juge constitutionnel. Votre disposition méconnaît également le principe de la légalité des peines, puisque, intervenant dans le cadre d'une procédure particulière, sa mise en oeuvre devrait faire l'objet d'une motivation spéciale de l'autorité judiciaire au regard de la gravité de l'infraction - décision du 13 août 1993 précitée. Après l'infiltration et la surveillance, passons aux visites domiciliaires. Là encore, il y a un problème d'inconstitutionnalité, car votre texte ne contient aucune disposition prévoyant une limitation dans le temps de l'accès aux locaux, alors que le Conseil constitutionnel considère que « la possibilité de telles visites, perquisitions et saisies de nuit, pendant une période qui n'est pas déterminée par la loi, [...] est de nature à entraîner des atteintes excessives à la liberté individuelle et doit, par conséquent, être jugée contraire à la Constitution » - décision du 16 juillet 1996 précitée relative à la loi tendant à renforcer la répression du terrorisme.
    A toutes ces nouvelles dispositions, vous ajoutez la création d'un quatrième régime de garde à vue dont la durée maximale sera portée à 96 heures, qui transformera pratiquement la garde à vue en pré détention provisoire alors que, dans le même temps, la seconde visite de l'avocat ne sera autorisée qu'à la 24e heure au lieu de la 20e heure.
    Les motifs justifiant cette prolongation de la garde à vue encourent aussi la critique constitutionnelle puisque la jurisprudence constitutionnelle exige des motifs exceptionnels et un degré particulier de gravité des menaces pour l'ordre public. Or, en l'espèce, le projet de loi prévoit des motifs dont la formulation paraît bien faible : « nécessités de l'enquête ou de l'instruction relatives à une infraction entrant dans le champ d'application de l'article 706-73 » ; prolongation « à titre exceptionnel » sans précision quant au contenu de ce caractère exceptionnel. Reconnaissez que c'est un peu court ! Le juge constitutionnel ne devrait pas laisser passer des formulations aussi vagues et aussi dangereuses pour les libertés.
    En outre, face à une police et un parquet devenus ainsi tout-puissants, le contrôle par le JLD - le juge des libertés et de la détention - s'avérera purement formel, puisque celui-ci n'aura pas suivi l'enquête et ne connaîtra pas le dossier. De réforme en réforme, le JLD, qui a été créé par la loi de juin 2000 et que certains ont beaucoup critiqué, se voit d'ailleurs chargé de nouvelles missions, qu'il ne pourra pas remplir sérieusement, ni correctement sans un accroissement parallèle des moyens, ce qui n'est pas du tout acquis.
    Quant à la défense, et ce n'est pas l'aspect le moins important de mon propos, le seul droit qui lui est conféré, face à ce parquet et à cette police surpuissants, sera de présenter des observations au procureur de la République, au moment où ce dernier décidera des suites à donner à l'enquête et, en cas de comparution immédiate, d'essayer de convaincre le parquet d'ouvrir une instruction en raison de la complexité des faits. Là encore, c'est un peu court.
    J'en viens à présent aux dispositions relatives à la répression de la délinquance et de la criminalité organisées. L'aggravation des peines prévue à l'article 2 de votre projet de loi pose aussi un problème d'inconstitutionnalité, confrontée à la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui fixe le principe de la conception objective de la peine fondée sur la gravité de l'acte et à celui de l'opposition aux sanctions automatiques.
    Votre projet prévoit par ailleurs d'étendre aux infractions relevant de la délinquance et de la criminalité organisée le mécanisme dit du « repenti », actuellement prévu pour le trafic de stupéfiants et les actes de terrorisme. Peu appliqué en pratique, ce procédé consiste à accorder une exemption ou une réduction de peine à la personne qui dénonce ses complices ou co-auteurs et permet d'éviter la réalisation de l'infraction ou de faire cesser les agissements incriminés.
    Ce mécanisme, qui s'apparente à une sorte de prime à la délation et qui est donc choquant en soi, soulève aussi le problème de la protection efficace, durable, et souvent très coûteuse des repentis. Comme cela a été dit en commission des lois, en Italie, l'opinion publique commence à s'interroger sur le mécanisme, qu'elle trouvait initialement intéressant. Vous avez cité le juge Falcone, il est vrai que les premiers grands procès anti-mafia ont pu être montés grâce à des repentis. Mais le système a dérapé et coûte très cher aux contribuables.
    Il pourrait en fait aboutir à dispenser de toute enquête réelle, au risque d'asseoir des condamnations, lourdes parfois, sur la foi de déclarations dont le crédit reste évidemment sujet à caution, comme le prouve l'exemple italien que je viens d'évoquer. Si elle a permis de monter les premiers grands procès anti-mafias, la technique du repenti a montré ses limites lorsque certains « collaborateurs de justice » - comme on les nomme là-bas - se sont mis à dénoncer n'importe qui et n'importe quoi, conduisant les procédures à s'écrouler comme des châteaux de cartes.
    La précision selon laquelle aucune condamnation ne pourra être prononcée sur le seul fondement des déclarations d'un repenti, outre qu'elle contredit le principe de la libre appréciation des preuves par le juge et celui de l'intime conviction, constitue une garantie bien insuffisante.
    L'efficacité de ce procédé reste donc à démontrer, d'autant qu'il pourrait augmenter les risques d'erreur judiciaire suite à des dénonciations sous pression ou à des enquêtes « allégées ».
    J'en viens au deuxième volet de votre texte qui, au-delà de la criminalité et de la délinquance organisée, concerne toute la procédure pénale, et a donc vocation à s'appliquer à l'action publique, aux enquêtes, à l'instruction, au jugement et à l'application des peines.
    Vous envisagez d'abord d'introduire le principe de la réponse judiciaire systématique, qui viendrait, selon vous, « préciser le principe traditionnel de l'opportunité des poursuites ». Or, il nous semble plutôt annoncer l'abandon du principe d'opportunité dans son acception actuelle, au profit du principe de légalité des poursuites, à l'opposé donc de notre tradition juridique, un engorgement encore plus grave des parquets et des tribunaux qui n'en ont pourtant pas besoin !
    Votre texte prévoit également d'étendre la composition pénale aux délits passibles de cinq ans de prison, ce qui est beaucoup, et d'ajouter aux mesures pouvant être proposées des interdictions aussi lourdes que celles de paraître dans le lieu dans lequel l'infraction a été commise, de quitter le territoire national ou encore d'entrer en relation avec les co-auteurs ou complices éventuels, ou avec la victime de l'infraction.
    Ces modifications sont graves puisqu'elles vont conférer à la composition pénale le caractère d'une mesure de sûreté rendant à tout le moins nécessaire l'intervention obligatoire d'un avocat.
    Concernant les enquêtes, votre texte prévoit de réformer le mandat de recherche dans le but explicite de faciliter les placements en garde à vue par l'OPJ du lieu d'arrestation, ce qui est sujet à caution.
    Il prévoit également d'allonger la durée de l'enquête de flagrance, qui passerait de huit à quinze jours, une durée totalement contraire à la notion même de flagrance.
    Vous entendez aussi consacrer et étendre le droit des enquêteurs de délivrer les réquisitions judiciaires, permettant à un OPJ d'accéder à tous documents ou informations intéressant l'enquête, sans que le secret professionnel ne puisse lui être opposé.
    Le champ d'application de cette disposition est pratiquement illimité. Il va permettre en effet une levée sans réserve de tous les secrets protégés par la loi - à l'exception du secret défense - détenus par toute personne, physique ou morale, publique ou privée, y compris - et quoi que vous en disiez - par les avocats. C'est d'ailleurs ce qu'ils pensent.
    M. le garde des sceaux. Mais non !
    M. André Vallini. Ah pardon, monsieur le ministre, j'ai reçu à nouveau les représentants du Conseil national des barreaux la semaine dernière...
    M. le garde des sceaux. Monsieur le président, je souhaiterais répondre à M. Vallini.
    M. André Vallini. Vous pouviez le faire tout à l'heure, monsieur le ministre.
    M. le président. Monsieur Vallini, le Gouvernement peut intervenir à tout moment, et avec votre autorisation, naturellement, je donne la parole à M. le garde des sceaux.
    M. le garde des sceaux. Je ne peux pas, sur ce point, laisser dire une chose inexacte. Ce n'est pas dans le texte, monsieur Vallini. Je vous renvoie au texte même. Ce n'est pas parce que certains lecteurs se trompent qu'il faut les croire. Je tenais à le dire au moment opportun.
    M. Gérard Léonard. Cela figurera au compte rendu !
    M. le président. Vous pouvez poursuivre, monsieur Vallini.
    M. André Vallini. Je maintiens que j'ai rencontré, la semaine dernière, des représentants du Conseil national des barreaux, qui s'étonnent que vous n'ayez pas fait ce qu'ils vous avaient demandé,...
    M. le garde des sceaux. Pas du tout !
    M. Philippe Vuilque. Si, c'est vrai !
    M. André Vallini. Comme vous vous y étiez engagé. Le Conseil national des barreaux est très inquiet des dispositions de votre texte relatives au secret professionnel.
    M. le garde des sceaux. C'est faux.
    M. André Vallini. Outre les avocats, les notaires, les médecins, les professions paramédicales, les banquiers, le Trésor public ne pourront plus, eux non plus, protéger le secret professionnel dont ils sont dépositaires. Votre texte vise même les informations figurant dans les fichiers nominatifs visés par la loi informatique et libertés.
    Le secret professionnel n'est pas tant destiné à protéger les professionnels auxquels il s'impose et pour qui c'est un devoir que leurs clients, pour lesquels il s'agit d'un droit absolu et constamment reconnu par la tradition républicaine française depuis son introduction dans le code pénal de 1810, sous Napoléon Ier, même s'il n'a pas, pour l'heure, valeur constitutionnelle, c'est vrai.
    Or obliger, comme vous voulez le faire, de manière générale et absolue ceux qui en sont dépositaires à révéler les secrets et/ou les confidences de leurs clients relève d'une vision selon laquelle toute atteinte à l'ordre public conjoncturellement qualifiée de grave, et donc nécessairement variable, justifierait, de manière générale et absolue, une atteinte à un droit fondamental. Nous ne pouvons l'accepter.
    Concernant l'instruction, vous entendez instituer un mandat de recherche, délivré par le juge d'instruction, moins formaliste que le mandat d'amener et le mandat d'arrêt et dont le seul but sera en fait de permettre le placement automatique en garde à vue, ce qui est, là encore, totalement inacceptable.
    Votre projet prévoit également de permettre au juge d'instruction de se transporter pour diriger et contrôler l'exécution de la commission rogatoire, sans être assisté d'un greffier ni devoir en dresser procès-verbal, et d'ordonner à cette occasion la prolongation des gardes à vue. Or, on le sait, la présence du greffier est indispensable pour garantir la régularité de cette procédure quand bien même, c'est vrai, je le reconnais, la Cour de cassation a décidé dans un arrêt assez récent que le recours à un greffier n'était pas obligatoire pour l'exécution d'une commission rogatoire.
    Votre texte permettrait en outre aux experts d'ouvrir et de reconstituer des scellés. Outre son caractère choquant, cette disposition est contraire à l'article 97 du code de procédure pénale qui impose une ouverture contradictoire des scellés, c'est-à-dire en présente de la personne mise en examen assistée de son avocat.
    Votre projet prévoit encore qu'en cas d'empêchement le juge des libertés et de la détention sera remplacé par un magistrat du siège désigné par le président du tribunal de grande instance. Cette possibilité est très critiquable et très dangereuse car, compte tenu des pouvoirs importants dont dispose ce juge en matière de détention - il a été créé à cette fin -, il est absolument nécessaire qu'il soit expérimenté. Aussi, conviendrait-il que le magistrat remplaçant soit au moins du même grade ou, à défaut, qu'il dispose d'un minimum d'ancienneté, ce qui n'est pas prévu par le texte.
    Nous nous félicitons en revanche - vous constaterez, monsieur le ministre, que nous sommes objectifs - du renforcement des droits de la victime et des témoins assistés qui s'inscrit d'ailleurs dans la continuité de la loi de juin 2000 sur la présomption d'innocence.
    Venons-en maintenant à la phase du jugement. Si les dispositions relatives à la comparution immédiate et la convocation par procès-verbal paraissent porteuses de progrès, notamment en ce qui concerne l'extension de l'enquête sociale obligatoire, la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité - CRPC - nous laisse en revanche très perplexes.
    « Le plaider coupable » - car c'est de cela qu'il s'agit malgré vos dénégations - est fait pour désengorger les tribunaux en fournissant un mode nouveau de traitement du contentieux de masse. Nous admettons, montrant ainsi une fois encore que nous sommes objectifs, qu'il n'est pas illogique de vouloir traiter différemment ceux qui reconnaissent leur culpabilité de ceux qui la nient, même si ce raisonnement interroge sur le rapport à la loi puisqu'il revient presque à admettre qu'il est possible de la violer et ensuite de négocier la sanction encourue. Mais pour que cette procédure soit acceptable, il faudrait en exclure les peines privatives de liberté. Ce serait d'ailleurs, nous semble-t-il, le seul moyen de rendre le « plaider coupable » conforme à la Constitution.
    En effet, la procédure que vous prévoyez heurte des dispositions de valeur constitutionnelle. Tout d'abord, elle implique que la personne reconnaissant les faits renonce au principe de la présomption d'innocence. Or, aux termes de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, elle ne peut le faire, en dehors de l'hypothèse de l'instruction, que dans le cadre d'un processus contradictoire. Et il est douteux que la loi puisse prévoir la possibilité de renoncer à un procès lorsqu'une peine privative de liberté est en jeu.
    Par ailleurs, la procédure du « plaider coupable » n'instaure-t-elle pas une présomption de culpabilité contraire à l'article 9 susmentionné ? Le Conseil constitutionnel a précisé, en effet, dans une décision du 16 juin 1999, qu'il résulte des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen un principe « selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait ». Or, contrairement à ce principe, le « plaider coupable » peut conduire une personne à être punie pour des faits qu'elle n'a pas commis.
    En effet, ce mécanisme recèle un risque grave de pression qui, en l'absence d'une défense de qualité, pourrait inciter une personne totalement innocente à avouer une infraction qu'elle n'a pas commise, pour échapper au jugement d'un tribunal qu'elle imagine - ou que le procureur pourrait lui faire imaginer - comme plus sévère. Il suffit de voir de ce point de vue ce qui se passe aux Etats-Unis pour imaginer toutes les pressions, tous les marchandages, voire tous les chantages auxquels le « plaider coupable » peut conduire.
    Enfin, votre texte reste également très en deçà des exigences constitutionnelles relatives au pouvoir de contrôle sur le procureur, puisque le président du tribunal de grande instance devra statuer « le jour même » et donc sans être en mesure de connaître le dossier et de prendre sa décision de validation en connaissance de cause.
    Cette procédure réunirait en fait les pouvoirs d'accusation, d'investigation et de jugement entre les mains d'une seule et même personne, le procureur, qui sera chargé d'accuser, d'enquêter et de sanctionner, ce qui est beaucoup pour un seul homme. Le juge ne serait là que pour homologuer dans des conditions qui, je le répète, prêtent à discussion.
    Avec votre réforme, monsieur le ministre, et malgré vos dénégations, le juge d'instruction, dont l'intervention est déjà très marginale, va se voir remiser au magasin des accessoires de la procédure pénale française. Certes, il a longtemps été très critiqué. « Le juge d'instruction est l'homme le plus puissant de France dans son ressort », avait dit Napoléon ou Clemenceau. Il est vrai que pendant très longtemps les pouvoirs du juge d'instruction ont paru exorbitants, notamment au regard de la détention provisoire. Mais la loi Guigou y a remédié en instaurant le JLD, le fameux juge des libertés et de la détention, qui décide maintenant de la privation de liberté. Aujourd'hui, le rôle essentiel du juge d'instruction reste avant tout d'instruire - rappelons-le 7 % seulement des affaires pénales font l'objet d'une instruction. Si on lui reproche souvent d'être plus enquêteur que juge, et d'instruire davantage à charge qu'à décharge, l'actualité récente prouve toutefois à quel point son rôle peut être important. Ainsi, l'affaire de l'assassinat de la petite Caroline Dickinson a montré toute son utilité puisque les investigations du juge, comprenant notamment des tests ADN, ont finalement mis hors de cause un homme qui avait avoué le crime de la petite Caroline Dickinson, à l'issue de quarante-cinq heures de garde à vue.
    L'exemple du bagagiste de Roissy est tout aussi éclairant : dans un système où chacun aurait dû apporter ses propres preuves, et où le juge d'instruction aurait disparu, la justice serait sans doute en voie d'aboutir à la condamnation d'un innocent.
    J'ai bien entendu tout à l'heure, monsieur le ministre, que vous étiez très favorable à la procédure inquisitoire et que vous souhaitiez conserver le juge d'instruction mais la réalité c'est que vous le « désactivez », ce qui va aboutir à sa suppression de fait, sans que cette disparition soit accompagnée des précautions nécessaires.
    Certains pays, comme l'Italie, qu'a évoqués tout à l'heure le président de la commission des lois, ont franchi le pas, c'est vrai, et ont supprimé le juge d'instruction. Mais la réforme italienne, que je n'approuve pas, s'est accompagnée de la reconnaissance de l'indépendance du parquet. Or, telle n'est pas du tout votre intention. Je me souviens d'ailleurs vous avoir entendu sur ce sujet l'année dernière, en pleine période électorale, alors que je rentrais chez moi après une journée harassante passé à courir ma circonscription,...
    M. Patrice Martin-Lalande. C'est notre lot commun !
    M. André Vallini. ... dans une campagne difficile pour les socialistes. (Sourires.)
    M. Gérard Léonard. Et il y en aura d'autres !
    M. André Vallini. Alors que je me restaurais rapidement devant la télévision, vers 23 heures, je me rappelle en effet avoir vu M. Perben, tout récemment nommé ministre de la justice, expliquer sur FR3 qu'il allait rétablir les instructions individuelles, les instructions dans les dossiers individuels...
    M. le garde des sceaux. Absolument !
    M. André Vallini. ... que le gouvernement Jospin avait supprimées.
    M. André Vallini. Cependant, le texte prévoyant cette suppression n'a pas pu aller au terme du processus législatif.
    M. Gérard Léonard. Heureusement !
    M. André Vallini. En effet, le Président de la République n'a pas réuni à Versailles le Congrès - il a même annulé sa convocation - qui devait nous permettre de réviser la Constitution à propos de la composition du CSM. La loi chancellerie-parquet est donc restée en plan, si j'ose dire.
    En tout cas, le Gouvernement Jospin, lui, ne donnait plus d'instructions au procureur pour les dossiers individuels. Vous, non seulement vous en donnez, mais, en plus, vous revendiquez ce droit.
    M. Gérard Léonard. Bien sûr !
    M. André Vallini. Ainsi, vous supprimez le juge d'instruction et réduisez l'indépendance des procureurs, puisque vous les reprenez en main.
    M. Gérard Léonard. Mais non !
    M. Dominique Tian. Désinformation !
    M. André Vallini. J'ajoute que, pour la première fois, le garde des sceaux fera son entrée officielle dans le code de procédure pénale grâce à l'article 17 du projet.
    M. Gérard Léonard. Très bonne disposition !
    M. Dominique Tian. Il était temps !
    M. André Vallini. Cette première ne laisse pas de nous inquiéter.
    M. Gérard Léonard. Quelle vision de la République !
    M. André Vallini. Je pourrais vous parler longuement de ce sujet, monsieur Léonard, puisque j'ai été rapporteur de la loi chancellerie-parquet. Je suis aussi républicain que vous, et je suis également d'accord pour que le ministre de la justice donne des directives de politique pénale à ses procureurs. J'avais même, par voie d'amendement, fait évoluer à cet égard le texte présenté par Mme Guigou, qui prévoyait seulement que le ministre pouvait donner des orientations de politique pénale aux procureurs. J'avais, en effet, obtenu le remplacement du mot « orientations » par « directives ». C'est vous dire si j'ai le sens de l'Etat, de la République, et de l'action publique en matière pénale. Il appartient au ministre de la justice, sous le contrôle du Parlement, de la conduire.
    En revanche, je refuse que l'on permette au ministre de donner, pour des dossiers individuels, des instructions de nature à dévier le cours de la justice. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Gérard Léonard. Ce n'est pas l'esprit de la disposition !
    M. André Vallini. J'en viens à ma conclusion. Monsieur le garde des sceaux, votre projet va réussir le tour de force de combiner les nombreux défauts du système accusatoire - en particulier l'inégalité des armes entre l'accusation et la défense - et ceux du système inquisitoire ; je pense notamment à la religion bien française de l'aveu, qui remonte au lieutenant criminel de l'Ancien régime, à la torture, à la question du Moyen Age. (Murmures sur les bancs de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Dominique Tian. Il ne faut pas exagérer !
    M. André Vallini. Vous marginalisez le juge d'instruction, je le répète, au profit du procureur sous le contrôle, mais très léger, du juge des libertés et de la détention, face à une défense qui sera bien démunie. Parallèlement, vous renforcez l'obsession de l'aveu avec, par exemple, l'allongement de la durée de la garde à vue et, bien sûr, le plaider coupable. En introduisant ainsi des éléments du système accusatoire, vous allez paradoxalement aboutir à aggraver les travers du système inquisitoire.
    Si la loi Guigou avait réformé notre système inquisitoire par le haut, notamment au regard des droits de l'homme et de ceux de la défense, vous vous apprêtez, vous, à modifier la procédure pénale par le bas, si j'ose dire, c'est-à-dire par le répressif.
    M. Jean-Pierre Blazy. C'est vrai.
    M. André Vallini. Votre projet est, en fin de compte, une belle occasion ratée.
    La procédure pénale, vous le savez, monsieur le garde des sceaux, a fait l'objet de plus de treize modifications depuis 1981. Chaque ministre en a apporté au moins une ou deux importantes. Il faut cesser d'adapter ce code et, s'il est nécessaire de le réformer - M. d'Aubert a indiqué qu'il faudrait remettre l'ouvrage sur le métier avant dix ans afin de l'adapter aux évolutions de la criminalité qui ne cesse d'évoluer -, il convient de choisir une bonne fois pour toutes un équilibre et de s'y tenir.
    La vraie solution, monsieur le garde des sceaux, est à rechercher dans une meilleure intégration des droits nationaux afin de créer ce fameux espace judiciaire européen. A cet égard, j'ai déjà indiqué que votre texte allait dans le bon sens et permettrait d'accomplir des progrès dans la coopération judiciaire européenne.
    En tout cas, le moment est venu d'avancer plus vite et plus loin sur cette voie. Les principes sur lesquels il faut fonder cette procédure pénale européenne sont connus et ils sont communs à tous les Etats européens. Sur cette base, il est donc possible de construire une procédure nouvelle, sui generis, comme disent les juristes, qui pourrait d'ailleurs s'inspirer du tribunal international et qui ne serait pas la copie d'un des systèmes anglo-saxon, français ou italien.
    Votre réforme va rater sa cible et provoquer un recul grave des libertés individuelles. Cela s'ajoutera à la régression qu'a constitué votre loi d'orientation et de programmation pour la justice adaptée l'été dernier et qui prévoyait déjà, je le rappelle, l'élargissement de la comparution immédiate qui est devenue applicable pour les délits punis de six mois à dix ans d'emprisonnement, voire vingt ans en cas de récidive, récidive dont vous avez d'ailleurs élargi le champ. Je ne sais pas si vous avez bien mesuré, chers collègues de la majorité, ce que vous avez alors voté. Désormais, on peut prendre vingt ans, comme disent les voyous, en comparution immédiate. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Gérard Léonard. Pas pour les primodélinquants !
    M. André Vallini. C'est un fait juridique : on peut prendre vingt ans en comparution immédiate, monsieur Léonard.
    M. Gérard Léonard. Caricature !
    M. Dominique Tian. Si on les mérite !
    M. André Vallini. Peut-être ! Mais, après qu'aient été assurés un jugement équitable et collégial, ainsi qu'une instruction...
    M. Philippe Vuilque. Très bien !
    M. André Vallini. ... mais pas en comparution immédiate. En effet, chacun connaît la façon dont les tribunaux fonctionnent lorsqu'il s'agit de comparution immédiate.
    M. Philippe Vuilque. C'est de l'abattage !
    M. André Vallini. Assistez un jour, mes chers collègues, à une séance d'un tribunal qui siège en comparution immédiate et vous verrez ! Cela vous fera frissonner car vous pourriez un jour prendre vingt ans, comme tout justiciable. La justice est parfois aveugle, et ne vous croyez pas à l'abri.
    M. Dominique Tian. Sauf que je n'ai rien fait !
    M. André Vallini. Cela peut vous arriver ou cela peut arriver à l'un de vos proches. On ne pense pas suffisamment au fait que la justice s'applique à tout le monde, y compris aux puissants...
    M. Dominique Tian. Encore faut-il avoir fait quelque chose !
    M. André Vallini. ... que nous croyons être parfois bien à tort.
    Monsieur le garde des sceaux, vous prévoyez aussi la réduction des droits du gardé à vue, ainsi que l'obligation, pour le juge, de motiver le refus du placement en détention. Avec vous, la liberté ne se présume plus ! Vous voulez également instaurer le référé-détention qui obligera le juge à maintenir en détention sur ordre du procureur.
    Vous voulez encore abaisser le seuil de cinq ans à trois ans pour la détention provisoire, ce qui explique, entre parenthèses, la surpopulation carcérale actuelle. En effet, je le répète, le nombre de détenus dans les prisons françaises est en augmentation constante depuis 2001. Il sont désormais près de 60 000 pour 47 000 places.
    M. Pascal Clément, président de la commission. Non, 50 000 détenus !
    M. André Vallini. Monsieur Clément, vous êtes mal informé. M. Warsmann vous rappelle d'ailleurs à l'ordre.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Je ne rappelle personne à l'ordre.
    M. André Vallini. Il y a près de 60 000 détenus, monsieur Clément. Sans doute ne connaissez-vous pas ce chiffre car l'évolution est tellement rapide que vos informations sont vite dépassées. De plus, on enregistre actuellement près de 1 000 détenus supplémentaires chaque mois, à la suite des lois ultra répressives que vous avez votées.
    M. Richard Mallié. A vous écouter, ils sont tous innocents !
    M. André Vallini. Si les dispositions que propose notre rapporteur dans certains amendements ne sont pas retenues, nous irons vers l'explosion. Cela risque d'être le cas, même avec ces mesures, ce que personne ne souhaite, lorsque les chaleurs estivales arriveront. Je me demande comment M. Bédier et, surtout, M. Perben pourront gérer une telle situation.
    M. Philippe Vuilque. Ils vont avoir beaucoup de mal !
    M. André Vallini. Monsieur le ministre, en terminant, je tiens à vous rappeler que votre rôle n'est pas d'accompagner systématiquement les réformes de votre collègue de l'intérieur.
    M. Richard Mallié. C'est cela la cohérence gouvernementale !
    M. André Vallini. Face à son obsession sécuritaire, face à ses excès et à ses outrances, en un mot, face à sa démagogie (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)...
    M. Richard Mallié. C'est de la jalousie !
    M. André Vallini. ... vous devriez vous poser en homme de sagesse et de mesure.
    M. Dominique Tian. La ficelle est un peu grosse !
    M. André Vallini. Face aux réformes de M. Sarkozy qui sont inspirées par une vision uniquement et unilatéralement répressive, vous devriez marquer les vôtres d'une vision sereine et équilibrée. Au contraire, votre réforme, est, au sens littéral du mot, d'inspiration policière, puisque, chacun le sait, - la presse l'a rapporté et personne ne l'a démenti - elle a été inspirée par le ministère de l'intérieur. Et quand je dis « inspirée » je suis encore en deçà de la réalité, puisque cette réforme a été initiée, élaborée, voulue par la hiérarchie policière qui entoure M. Sarkozy. C'est la première fois dans l'histoire républicaine que l'on voit ainsi le ministère de l'intérieur dicter sa loi en matière de procédure pénale. Même si vous avez réussi, in extremis, à la reprendre à votre compte, elle porte bel et bien la marque d'origine du ministère de l'intérieur.
    L'action de la justice - dois-je vous le rappeler, monsieur le ministre ? - n'est pas celle de la police ; elle n'a pas vocation à lui emboîter le pas. Même si elle en est souvent la suite chronologique, elle ne saurait en aucun cas en être la continuation. Alors, sans retomber dans les travers d'une rivalité dépassée ou d'une opposition stérile entre ces deux grands ministères régaliens, il convient à tout le moins d'éviter la confusion des genres. Chacun dans son rôle et, si j'ose dire, chacun à sa place.
    M. Philippe Vuilque. Très bien !
    M. André Vallini. De ce point de vue, il est inacceptable de voir la place Vendôme se transformer en annexe de la place Beauvau. La justice doit protéger la société, certes, mais elle doit aussi protéger chacun de ses membres, et cette dernière mission n'est pas moins importante ni moins utile que la première ; la défense des libertés n'est pas moins essentielle que celle de l'ordre.
    Mes chers collègues, au vu des problèmes d'inconstitutionnalité que pose ce projet de loi et que j'ai évoqués au fil de mon intervention, je vous demande de voter cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et Républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Avant le vote sur l'exception d'irrecevabilité, je tiens à corriger les inexactitudes que j'ai relevées dans l'exposé de M. Vallini.
    En ce qui concerne d'abord les repentis, M. Vallini vient d'indiquer que, dans certains cas, des personnes pourraient être poursuivies sur la seule foi de déclarations de repentis et sans qu'aucune enquête soit faite. Or je me permets de rappeler que, dans le texte, il est expressément prévu, au contraire, qu'aucun jugement ne pourra être prononcé sur le seul fondement d'une déclaration d'un repenti. Une telle protection était indispensable. Elle figure dans le texte et le cas de figure évoqué ne pourra pas se produire.
    Pour ce qui est des infiltrations, je dois d'abord souligner qu'elles demeureront rares et qu'elles ne seront réalisées que par des services spécialisés. Cela est bien spécifié dans le texte. Il ne saurait d'ailleurs en être autrement compte tenu des risques que prend un officier de police judiciaire en infiltrant un réseau de criminalité organisée. Cette manière d'opérer peut incontestablement être utile, mais elle restera ponctuelle.
    Par ailleurs, l'orateur a oublié de préciser qu'il y aura toujours le contrôle d'un juge, car une infiltration ne pourra être autorisée que par ordonnance d'un juge, laquelle figurera dans le dossier. Des amendements adoptés par la commission des lois, vont encore plus loin. Ainsi, puisque le projet de loi prévoit, très logiquement, de laisser une période suffisamment longue à la personne infiltrée pour sortir du réseau, car cela ne peut intervenir du jour au lendemain, sauf à faire courir des risques parfois importants aux intéressés, nous avons souhaité que le contrôle du magistrat s'exerce jusqu'à la dernière minute de l'infiltration. Cela signifie qu'il s'agira d'une procédure entièrement contrôlée par un magistrat.
    S'agissant de la possibilité de surveillance, M. Vallini vient de nous expliquer que l'information préalable du parquet était absolument scandaleuse. Or une telle disposition est déjà prévue dans plusieurs articles du code de procédure pénale. Je pense, par exemple, à l'article 54 relatif à la perquisition, dans le cadre de l'enquête de flagrance qui indique en substance que l'officier de police judiciaire a comme obligation d'informer le parquet. L'article 56 ajoute d'ailleurs que, après avoir informé le parquet, l'officier de police judiciaire doit procéder à la perquisition « sans désemparer ».
    Par ailleurs, M. Vallini a estimé qu'il était scandaleux de permettre de prolonger la garde à vue jusqu'à quatre jours. Or il n'est absolument pas question de prolonger toutes les gardes à vue, même en cas de criminalité organisée. Cela ne sera envisageable qu'en cas de nécessité. Je me permets aussi de vous rappeler qu'il faudra obtenir l'autorisation d'un magistrat du parquet pour la première prolongation puis d'un magistrat du siège pour les prolongations suivantes.
    Un magistrat intervient donc toujours en contrepoids, qu'il s'agisse d'une prolongation de garde à vue ou d'une possibilité d'enquête.
    Ainsi que M. le ministre l'a déjà souligné, le secret professionnel des avocats, des journalistes ou des médecins n'est pas touché. Cela est très clairement affirmé dans le texte. Certains pourront toujours affirmer que la terre est plate, elle restera ronde ; de même malgré certaines accusations, le secret professionnel des avocats restera garanti.
    Enfin, à propos du plaider coupable, c'est-à-dire la procédure sur reconnaissance de culpabilité, M. Vallini a exprimé sa crainte que certains prévenus ne soient pas défendus et se retrouvent en situation de faiblesse. C'est oublier que le projet de loi du Gouvernement impose la présence de l'avocat dès le moment où le représentant du parquet propose cette procédure. On ne peut donc pas imaginer de procédure plus protectrice des droits de la défense.
    M. Philippe Vuilque. Cela n'empêchera pas les pressions, monsieur Warsmann !
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. M. Vallini a également instruit un procès selon lequel le plaider coupable va entraîner la condamnation de personnes innocentes, « pour des faits qui n'ont pas été commis ». A cet égard, je répète que l'ordonnance d'homologation de la sanction devra être prise par un juge du siège, qui pourra la refuser. Nous allons d'ailleurs préciser expressément dans le texte que ce juge du siège n'aura pas un simple rôle d'enregistrement : il aura également le devoir de vérifier la réalité des faits et la nature de l'infraction. Ainsi, un juge du siège pourra refuser une ordonnance d'homologation, même quand un prévenu aura avoué, s'il estime que les éléments de preuve sont insuffisants. Il s'agit en fait d'une procédure très traditionnelle.
    En cette matière, comme dans le domaine des perquisitions, la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel a toujours réaffirmé que seul un juge du siège pouvait décider. Ainsi, quand M. Vallini a dit : « Le procureur de la République ne va pas sanctionner ; c'est beaucoup pour un seul homme », il a proféré une contrevérité. En effet, le procureur de la République ne va pas sanctionner ; il va seulement proposer. Le prévenu acceptera ou refusera mais, en cas d'acceptation, seul le juge du siège décidera.
    Pour terminer, je tiens en revanche à saluer l'hommage rendu par M. Vallini au renforcement des droits de la victime dans le texte.
    Cela étant, mes chers collègues, vous avez bien senti que les arguments avancés pour défendre l'exception d'irrecevabilité n'étaient pas convaincants. Je vous demande donc de la rejeter afin que nous puissions continuer le débat et travailler sur le contenu du texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Sur l'exception d'irrecevabilité, j'ai reçu deux demandes d'explications de vote.
    La parole est à M. Gérard Léonard, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
    M. Gérard Léonard. Même si l'expression est un peu familière, je dois dire qu'en écoutant M. Vallini, nous n'avons pas été déçus du voyage ! En effet, il s'est livré à une pratique rituelle, en respectant, à la lettre, les éléments de ce rite, puisque nous avons entendu le même discours lors de l'examen des différents textes adoptés en ce domaine, qu'il s'agisse de la loi de programmation et d'orientation relative à la sécurité intérieure, de la loi d'orientation et de programmation sur la justice, plus récemment de la LSI ou de la loi de sécurité intérieure.
    La démarche consiste à commencer par afficher son scepticisme quant à l'efficacité des mesures proposées, puis à faire part de ses inquiétudes à l'égard du respect des libertés. Au fond cela est de bonne guerre, mais encore ne faut-il pas tomber obligatoirement dans l'outrance et la caricature, comme cela a été le cas, ce qui a amené le garde des sceaux à réagir. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Marylise Lebranchu. Allons !
    M. Gérard Léonard. Si, si ! Il y a de nombreux exemples.
    M. Philippe Vuilque. Elevez le débat !
    M. Gérard Léonard. Il y a eu caricature dans la présentation.
    M. Philippe Vuilque. Cela n'a rien à voir avec de la caricature ! Argumentez !
    M. le président. Je vous en prie !
    M. Gérard Léonard. Relisez attentivement le texte de l'intervention de M. Vallini et vous ne pourrez que reconnaître que son propos a été largement nourri par l'outrance et la caricature. On peut défendre des arguments, tout en restant nuancé !
    Toujours est-il que nous connaissons à la fois la recette et l'issue : on nous menace des foudres du Conseil constitutionnel. Or, bien que saisi des trois textes précédents, ce dernier n'a pas estimé que les normes adoptées recelaient les périls que vous aviez décrits.
    C'est pourquoi l'UMP demande le rejet de cette motion de procédure conventionnelle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. Michel Vaxès. Monsieur le garde des sceaux. J'ai écouté avec beaucoup d'attention la présentation de votre texte et je dois avouer que je partage l'ensemble des objectifs que vous assignez à ce projet.
    Ainsi vous affirmez vouloir adapter l'organisation de la justice à celle du crime. Je suis totalement d'accord avec cette volonté. Je crois d'ailleurs que cet objectif est approuvé sur tous les bancs. Il est en effet indispensable que la justice fasse jeu égal avec les délinquants et avec les criminels, à condition toutefois qu'elle demeure la justice, qu'elle ne soit ni trop lente ni trop expéditive.
    Il faut aussi qu'elle respecte les droits de la défense. Le procureur ne doit pas se transformer en juge. Nous partageons donc complètement votre volonté de mettre en oeuvre une réforme à condition que, comme vous l'avez affirmé, elle ne présente aucun risque de dérive.
    Vous êtes intervenu au cours de la défense de la motion de procédure par notre collègue André Vallini pour donner votre interprétation et je ne doute pas de votre sincérité. Cependant, elle se heurte à une interprétation différente, ce qui prouve que, au moins sur le point en cause, subsistent des risques d'interprétation divergentes par des gens tout aussi compétents les uns que les autres.
    Beaucoup de points évoqués par notre collègue Vallini soulèvent des interrogations et risquent de prêter à des interprétations diverses du fait de leur imprécision juridique.
    C'est la raison pour laquelle, et puisque les objectifs sont si bons, il serait sage de ne pas prendre le risque de la censure du Conseil constitutionnel. (Sourires.)
    M. Gérard Léonard. Rituelle ritournelle !
    M. Michel Vaxès. Voilà pourquoi, après avoir entendu les arguments de M. Vallini, nous voterons l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
    Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.
    (L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)
    M. le président. Je vais suspendre la séance quelques instants.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures quarante.)
    M. le président. La séance est reprise.

Question préalable

    M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, lorsque la justice est tenue en échec, lorsqu'elle n'est pas pour les citoyens l'institution qui protège les libertés, rétablit chacun dans ses droits, applique la règle, sanctionne les manquements, tout en préservant la possibilité de réhabilitation, c'est le contrat social qui se voit altéré, et c'est la cohésion sociale qui est menacée.
    Socle de notre vie collective, la justice se trouve bien évidemment au coeur du rapport social, au centre des conflits de pensées et d'intérêts, puisqu'elle est l'espace du débat, puis des décisions qui s'imposent à tous, sous le sceau de l'autorité que lui confère la Constitution.
    Espace de solutions, d'espoirs, d'attentes, et donc de douloureuses déceptions, elle embrasse toutes les certitudes et tous les doutes.
    Je vous parle de la justice, de toute la justice, mais c'est plus encore dans le domaine pénal que cette dimension prend son ampleur et sa pleine signification.
    Le titre de votre projet de loi, monsieur le garde des sceaux, affiche un objectif légitime, auquel chacun ne peut que souscrire. Adapter la justice aux évolutions de la criminalité est une exigence évidente. C'est même une responsabilité fondamentale du législateur. Garantir la bonne application de la justice est même une si lourde responsabilité que le législateur doit l'assumer dans la concertation avec ceux qui, quotidiennement, en sont les serviteurs compétents, dévoués, inspirés de l'idéal républicain et des valeurs qui l'inspirent.
    Pour procéder aujourd'hui à l'adaptation de la justice, vous prétendez en premier lieu développer les moyens de lutter contre la criminalité dite organisée. Cette priorité est clairement affichée dans l'exposé des motifs lorsque vous y déclarez : « L'objet principal de la loi est de créer dans le code de procédure pénale un titre spécifique relatif à la procédure applicable aux infractions dites de délinquance et de criminalité organisée. »
    Vous affichez en second lieu la volonté de « renforcer la cohérence et l'efficacité des règles applicables » en apportant des modifications de nature générale aux différentes phases de notre procédure pénale.
    Nous estimons que les moyens proposés pour atteindre l'un et l'autre de ces deux objectifs seront non seulement inefficaces, mais également dangereux.
    Vous affirmez avoir écouté les acteurs, mais vous ne les avez pas entendus...
    Plusieurs députés du groupe socialiste. C'est vrai !
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. ... et ils sont nombreux à dire que votre projet de loi, en l'état, conduit le législateur, non pas à adapter la justice, mais à lui faire emprunter des chemins hasardeux parce que complexes, improvisés, et, je vais le démontrer, inefficaces.
    M. Victorin Lurel et M. René Dosière. Exactement !
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Le titre Ier du projet porte essentiellement sur la lutte contre la délinquance et la criminalité organisées.
    Dans son article 1er, il énumère un certain nombre de crimes et de délits auxquels doit s'appliquer, pour l'enquête, la poursuite, l'instruction et le jugement, une procédure dérogatoire du droit commun lorsqu'ils sont commis en « bande organisée ». Ces dispositions sont pour nous un motif d'étonnement et représentent trois sujets de grave inquiétude.
    Notre étonnement tient au fait qu'il existe déjà dans le code pénal de multiples incriminations permettant de poursuivre et de réprimer les infractions commises en réunion et en bande. Certaines infractions sont collectives par nature, comme le complot ou le mouvement insurrectionnel. En dehors de ces infractions spécifiques, le terme générique utilisé jusqu'à présent pour qualifier les actes de délinquance collective est « la bande organisée » dont nous parlons.
    Cette circonstance peut d'abord exister de façon autonome, sous forme de l'association de malfaiteurs. Elle peut en outre s'appliquer comme circonstance aggravante à plusieurs types de criminalité.
    Le délit d'association de malfaiteurs, actuellement prévu par l'article 450-1 du code pénal, était inclus dans le code pénal originel, aux articles 265 et 266. Il est aujourd'hui appliquée contre les délinquants qui ne sont pas encore passés à l'acte et qui envisagent des crimes graves. Parallèlement à ces dispositions visant les associations de malfaiteurs, le code pénal permet de lutter contre la délinquance et la criminalité collectives par le recours à la circonstance aggravante de la bande organisée.
    C'est au nouveau code pénal de 1992 que l'on doit la généralisation de la circonstance aggravante de bande organisée. Jusqu'alors, cette notion n'existait qu'en matière de vol ou de destruction par explosifs. Mais, en 1992, le législateur a souhaité combattre plus efficacement d'autres formes de criminalité organisée en généralisant l'application de circonstances aggravantes à un certain nombre d'infractions limitativement énumérées par le code pénal : le trafic de stupéfiants, l'enlèvement et la séquestration, le proxénétisme, le vol, l'extorsion de fonds, le recel, la destruction par substance explosive, le blanchiment, la fausse monnaie et l'escroquerie. Excusez cette longue liste mais elle est importante pour la démonstration.
    Pour chacune de ces infractions, la circonstance de bande organisée se soldait par une aggravation de la sanction pénale pouvant aller jusqu'à un triplement de la peine de prison.
    Dans cette même logique, la loi du 18 mars 2002 pour la sécurité intérieure a également aggravé la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la mendicité lorsqu'elles étaient commises en bande organisée.
    Au terme de ce rappel peut-être fastidieux mais nécessaire, de l'important arsenal qui vise déjà les différentes formes de délinquance de la criminalité organisée, vous nous permettrez, monsieur le garde des sceaux, de vous poser cette question : est-il vraiment bien utile de rajouter de nouvelles incriminations dans le droit interne ? Bien entendu, non !
    Si de nouvelles exigences de sécurité apparaissent, si des actions criminelles ne paraissent pas être suffisamment et efficacement prises en compte dans la réponse judiciaire, l'usage de cette circonstance aggravante suffit. En créant de nouvelles incriminations et surtout une nouvelle procédure et une nouvelle juridiction, vous complexifiez le dispositif, ce qui ne peut qu'affaiblir son efficacité.
    Nous critiquons l'usage de nouvelles règles de procédure pour résoudre les difficultés. Bientôt, il y aura pour chaque infraction une procédure et une juridiction. Toujours, l'exception tend à devenir la règle.
    A cette interrogation sur l'opportunité de votre dispositif, succède une première et grave inquiétude relative à l'absence de définition précise de la bande organisée. Pour l'heure, l'article 132-71 du code pénal se borne à énoncer que : « Constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'une ou de plusieurs infractions. » Cette définition est largement insuffisante, d'autant que, monsieur le rapporteur, elle est littéralement indentique à la définition de l'association de malfaiteurs donnée par l'article 450-1 du code pénal : « Constitue une association de malfaiteurs, tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un ou plusieurs crimes ou d'un ou plusieurs délits punis de dix ans d'emprisonnement. » Même définition pour la bande organisée et pour l'association de malfaiteurs, d'où les observations que nous avons formulées ce matin en commission.
    Cette imprécision et cette identité de définition pouvaient se comprendre dès lors que la notion de bande organisée constituait simplement une circonstance aggravante laissée à l'appréciation de la juridiction. Elles deviennent beaucoup moins compréhensibles lorsque la notion est présentée comme l'objet principal de la loi. Et elles deviennent franchement inacceptables lorsque cette notion sert de justification à l'engagement d'une procédure dérogatoire au droit commun pour l'enquête, la poursuite, l'instruction et le jugement, qui bouleverse les droits de la défense.
    Un texte de loi n'est pas un article de presse. Il ne suffit pas, pour éclairer l'intention du législateur, de proclamer vouloir « s'attaquer aux formes de criminalité organisée qui par nature portent l'atteinte la plus grave aux intérêts sociaux les plus importants » - objectif affiché dans l'étude d'impact que votre ministère a présentée, monsieur le ministre. Il ne suffit pas non plus d'invoquer « les réseaux criminels agissant généralement à l'échelle internationale » - compte rendu du conseil des ministres du 9 avril - ou « les réseaux mafieux particulièrement violents et dangereux », selon les termes d'un communiqué de presse du 9 avril pour définir et limiter le champ de la notion de bande organisée.
    En l'état, cette notion est tellement vague qu'elle est susceptible de recouvrir un grand nombre de situations, y compris celles qui, à vos yeux, j'en suis convaincu, n'en relèveront pas - je pense par exemple à l'action des associations syndicales. En fait, dès lors qu'un prévenu sera suspecté d'avoir bénéficié de la complicité d'une personne, un procureur aura la possibilité d'utiliser les pouvoirs exorbitants offerts par la procédure dérogatoire mise en place par votre projet de loi.
    Avocats, magistrats, policiers, tous vous ont alerté sur les dangers d'un tel flou juridique et sur la violation du principe constitutionnel de la légalité des peines.
    C'est pourquoi nous proposerons à l'Assemblée d'adopter une définition précise de la bande organisée. Il convient en effet de reconnaître qu'il n'y a pas nécessairement bande organisée lorsqu'il y a plusieurs coauteurs, un auteur et des complices, une réunion, ou même une association de malfaiteurs. Seule une organisation structurée, pérenne et sciemment établie doit justifier la mobilisation exceptionnelle, que nous voulons et encourageons, des policiers et des magistrats de plusieurs juridictions et la mise en oeuvre de procédures exceptionnelles.
    Deuxième et non moins forte inquiétude, c'est le risque de voir se généraliser le recours à une procédure dérogatoire, prévue à l'origine pour rester exceptionnelle. Il ne suffit pas en effet de restreindre le champ de la notion de bande organisée pour en limiter l'usage.
    Le projet de loi prévoit que les changements de qualification sont sans incidence sur la régularité de la procédure antérieure. Il s'agit là d'un sujet qui fâche. Ainsi « le fait qu'à l'issue de l'enquête ou de l'information ou devant la juridiction de jugement la circonstance aggravante de bande organisée ne soit pas retenue ne constitue pas une cause de nullité des actes régulièrement accomplis en application des dispositions dérogatoires alors que cette circonstance paraissait caractérisée ». Dans ces conditions, il sera difficile à l'action publique de résister à l'intérêt d'utiliser, en toute hypothèse, les instruments procéduraux dérogatoires au droit commun et exclusivement prévus contre les bandes organisées.
    Cette normalisation d'une procédure exceptionnelle constituerait un véritable dévoiement de la justice. Ce n'est pas votre intention mais, dans la pratique, cela se présentera, et une telle situation ne peut être acceptée à la lumière des droits individuels des personnes.
    Autant on peut admettre que des moyens particuliers soient mis en oeuvre contre les délinquants et les criminels les plus dangereux, autant l'on peut redouter que leur utilisation contre de simples prévenus ne soit à l'origine de multiples erreurs.
    M. René Dosière. Tout à fait !
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. La prolongation de la garde à vue, par exemple, est à l'évidence un moyen réel de pression susceptible de provoquer des aveux incertains. De même, ce sont les droits et libertés du citoyen qui sont entamés par ces dispositifs exceptionnels, comme la perquisition hors l'assentiment de la personne concernée ou bien la nuit, et les écoutes téléphoniques.
    Que dire de l'usage de cette procédure lorsqu'elle s'achèvera par une exonération de culpabilité ou une relaxe au profit d'un citoyen qui aura connu un traitement d'une extrême rigueur ?
    C'est pourquoi nous proposerons un amendement visant à annuler les actes accomplis dans ce cadre dérogatoire, pour en éviter le recours systématique et la transformation de cette procédure exceptionnelle en instrument généralisé de l'action publique.
    Enfin, la dernière et principale inquiétude tient à l'évidence que les mesures proposées seront inefficaces contre les objectifs allégués.
    Je l'ai souligné au début de mon intervention en citant textuellement plusieurs déclarations justifiant le projet de loi, vous voulez combattre les réseaux mafieux et leurs ramifications internationales, ce qui constitue effectivement une criminalité portant lourdement atteinte au développement économique, social et politique des Etats et donc de nos démocraties.
    Cette inefficacité pèse d'abord sur une mesure emblématique et médiatique de votre projet : le repenti.
    Dans l'article 3 est instituée la possibilité d'exemption ou de réduction de peine pour une personne ayant, avant tout acte de poursuite, averti les autorités et ainsi permis d'éviter la réalisation d'une infraction ou provoqué l'identification des coupables.
    Non seulement cette procédure nouvelle s'accompagne d'un laborieux processus administratif de protection et alourdit en particulier les charges administratives du chef de juridiction - ordonnance, identité d'emprunt -, non seulement cette mesure introduit une prime à la délation, ce qui constitue, selon le Conseil national des droits de l'homme, une conception dégradante de la justice pénale, non seulement cette mesure suppose un coût financier - allocations mensuelles, logement, protection policière -, coût que l'Etat ne sera pas en mesure de payer et que l'opinion publique risque fort de ne pas admettre, mais, en plus, elle sera difficilement mise en oeuvre. A ce titre, je rappelle qu'intégrée dans la loi pour faciliter la lutte contre le trafic de stupéfiants, elle est demeurée pratiquement sans application en France.
    Enfin, lorsqu'il est utilisé, le recours aux repentis a montré ses limites. En Italie, qui est la référence en ce domaine, les premiers succès ont été suivis de graves dérives, à l'origine de nombreuses erreurs judiciaires, intervenues sur la base de dénonciations calomnieuses provoquées par une mafia ayant pris en compte tout l'intérêt qu'elle pouvait en tirer.
    Pourtant, le dispositif italien est bien plus précautionneux que celui que vous proposez et prévoit des garde-fous qu'ignore votre projet de loi. En effet, il ne s'applique qu'au profit de personnes déjà condamnées. Cette prudence écarte ainsi une démarche de repentance destinée à se préserver d'une décision pénale, puisqu'elle ne permet que d'en assurer un aménagement. Par ailleurs, le statut de repenti n'est conféré qu'après décision d'une commission.
    La seule précaution que vous semblez retenir, et je vous en donne acte, c'est le principe : pas de condamnation sur la seule base d'une déclaration d'un repenti. Cela vous avait été demandé notamment, je crois, par les avocats. C'est une garantie, certes, mais elle est insuffisante et va se heurter au problème de la liberté d'appréciation du juge, joyeuseté qui permettra d'abonder les débats.
    Cette inefficacité tient également à la dispersion des juridictions ayant à connaître de faits participant à une même entreprise mafieuse.
    Dans la juridiction spécialisée, les pôles compétents en matière de bande organisée et de délinquance douanière que vous créez sont chacun distants de ceux existant pour les délinquances économiques et financières ainsi que pour les stupéfiants. Qui peut pourtant nier la connexité entre ces phénomènes ?
    Pourquoi n'avoir pas élargi le pôle économique et financier aux infractions douanières et à la criminalité organisée ? Vous auriez évité les problèmes incontournables qui ne vont pas manquer de surgir du fait de la concurrence de compétences et de services. Au surplus, l'efficacité et la cohérence des poursuites seront affaiblies par cette fragmentation des instruments de l'action publique et du jugement, auxquels nous sommes attachés puisque nous sommes attachés à l'efficacité de la démarche.
    Au-delà d'une nécessité de regroupement, nous nous interrogeons bien évidemment sur les conséquences qui vont résulter de l'absence de moyens supplémentaires, ceux pour le fonctionnement des juridictions existantes étant déjà insuffisants. C'est un aspect de nos critiques sur lequel il sera indispensable de revenir tout à l'heure.
    Enfin, une ultime critique d'efficacité résulte de la fondamentale erreur de perspective qui entache votre démarche. Comme je viens de le montrer, l'ensemble du dispositif contenu dans le chapitre Ier n'a guère d'intérêt et souffre d'un mal congénital. Il est - pardonnez l'expression - tombé à côté de la plaque.
    Ce qui fait prospérer les réseaux mafieux aux ramifications internationales, et donc la criminalité organisée, c'est l'hétérogénéité des systèmes judiciaires, la discontinuité, voire la contradiction des enquêtes et des poursuites. Un délit est préparé dans un pays, commis dans un second, son produit frauduleux reçu dans un troisième et blanchi dans un quatrième. Ce mode opératoire est utilisé dans tous les domaines : prostitution, trafic de cigarettes, de voitures, d'armes. La manière d'agir est identique. Seuls peuvent être efficaces les traitements internationaux des problèmes et la prise en compte, dans les législations internes, du caractère international du phénomène.
    M. René Dosière. Très juste !
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous ne le faites pas avec la création d'une procédure dérogatoire et d'une juridiction spéciale, qui ne répondent en rien à cette exigence. Vous ne le faites que trop modestement dans le dispositif d'amélioration de l'entraide judiciaire internationale intra et extra communautaire. La seule transcription en droit interne des accords passés par le précédent gouvernement manque terriblement d'ambition. Elle rejoint votre excessive prudence relative à la désignation d'un procureur européen. Il aurait fallu amplifier la démarche du précédent gouvernement qui, je le rappelle, avait pris la pleine mesure du problème, notamment lorsque, en exerçant la présidence de l'Union, il avait pris l'initiative de la démarche de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires qui a imposé la création du mandat d'arrêt européen.
    C'est dans cette voie qu'il fallait avancer, et seule cette partie de votre projet touche effectivement au coeur de la criminalité organisée et justifiait le projet de loi dans sont titre Ier. Car il est vrai, monsieur le garde des sceaux, que votre texte ne prétend pas seulement offrir les moyens de lutter contre la délinquance et la criminalité organisées. Vous proposez, dans son titre II, de multiples modifications des différentes phases de la procédure pénale de droit commun, pour « renforcer la cohérence et l'effectivité des règles applicables ». A cette fin, vous partez du principe général selon lequel, en accroissant le rôle et les pouvoirs du procureur, le traitement du contentieux sera accéléré et l'efficacité de la justice améliorée.
    Nous estimons là encore que les dispositions prévues seront en premier lieu inutiles. En effet, elles ne ciblent pas l'origine des problèmes rencontrés par la justice pénale dans son fonctionnement quotidien. Une nouvelle fois, pour régler des difficultés d'intendance, vous imaginez pouvoir pallier des insuffisances budgétaires par une réforme du code de procédure pénale. Certes, prolongeant l'effort constant du précédent gouvernement, vous avez encore pu, en octobre 2002, obtenir une augmentation des crédits de votre ministère. C'était la bonne voie, c'était la seule voie, monsieur le garde des sceaux. Il aurait fallu la poursuivre. La justice souffre en fait essentiellement d'un manque de moyens humains, matériels et financiers. Une comparaison est, sur ce point, effrayante : la France compte aujourd'hui autant de magistrats qu'en 1910, alors que les contentieux ont été multipliés par dix.
    Dans ces conditions, il n'est nul besoin de s'interroger longuement sur telle ou telle modification de la procédure pénale pour savoir si elle pourrait permettre, le cas échéant, de désengorger les tribunaux. Il suffit d'avoir le courage de reconnaître que la justice a un coût et qu'il faut l'assumer si l'on veut qu'elle agisse effectivement, dans le respect des principes élémentaires d'un pays démocratique. Hélas, depuis le mois d'octobre 2002, le volontarisme budgétaire de votre Premier ministre s'est effondré dans ce domaine, comme dans tous les autres d'ailleurs. On nous prévient depuis des semaines que la loi de finances pour 2004 aura un taux de croissance zéro en matière de dépenses. Chacun, dans son ministère, est prié d'inventer des rustines pour essayer, tant bien que mal, de colmater les brèches.
    M. René Dosière. C'est vrai !
    M. Richard Mallié. Quel culot !
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Saluons l'imagination de la place Beauvau et de la place Vendôme. En moins d'un an, ce sont près de huit réformes pénales...
    M. Richard Mallié. La majorité travaille !
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. ... qui ont été lancées : loi d'orientation et de programmation pour la sécurité, loi d'orientation et de programmation pour la justice, loi sur les juges de proximité, loi sur la sécurité intérieure, projet de loi sur la violence routière, projet de loi sur le droit d'asile, projet de loi sur l'immigration et, enfin, le présent projet de loi sur la justice.
    En termes de communication, l'effet peut être positif, mais très provisoirement. Car l'opinion publique ne se laissera pas abuser par cette accumulation de réformes artificiellement fragmentées et découvrira bien vite d'amères réalités. Et c'est le justiciable qui en subira les conséquences.
    De même, en termes de qualité de justice, l'effet sera radicalement contre-productif. Sous couvert de la rendre plus efficace, vous allez au contraire compliquer la procédure, accroître les tâches des magistrats et des personnels des tribunaux, déjà soumis à une logique que l'on peut qualifier de productivité. Ce terme est utilisé, même dans les rapports des séances solennelles de rentrée des tribunaux. Pire, les cas de nullité des procédures vont se multiplier, pour le grand bonheur des délinquants avertis, et seulement de ceux-là. Les questions d'application de la loi dans le temps et celles de l'exécution des peines deviendront inextricables. Ultime conséquence : quand les illusions nées de la communication cèderont devant l'épreuve de la réalité et l'échec de vos belles déclarations d'intention, l'opinion publique condamnera solidairement les professionnels de la justice et les responsables politiques et ça, c'est grave. Vous savez, mes chers collègues, à quelle tragique conclusion peuvent aboutir une telle confusion et une telle désapprobation générale.
    Cette réforme du code de procédure pénal en annonce déjà une autre, pour « renforcer la cohérence et l'efficacité des règles applicables », comme vous le précisez dans le présent exposé des motifs : c'est l'antienne de tous les exposés des motifs de toutes les lois qui, depuis des années, ont voulu réformer la procédure pénale. Les modifications que vous apportez aux différentes phases de cette procédure ne sont pas seulement vouées à l'échec : elles sont dangereuses, dans la mesure où elles bouleversent le sens et donc l'équilibre de notre justice pénale. Au coeur du dispositif judiciaire pénal, vous placez désormais le parquet. Dans la phase d'enquête, son rôle et sa place étaient déjà déterminants. Ils sont amplifiés, notamment dans le dispositif dérogatoire relatif à la criminalité organisée. L'action publique, c'est-à-dire les services de police et du parquet que vous placez au coeur de la démarche pénale imposera une empreinte indélébile à la décision judiciaire. Dans la phase de jugement, la création de la comparution sur déclaration préalable de culpabilité accentue davantage encore leur empreinte, en laissant au surplus planer de grandes interrogations sur le respect du principe du droit à un procès équitable.
    Cette procédure, dont l'usage montrera qu'elle est plus complexe que vous ne le prétendez, est actionnée par le procureur qui détient un véritable pouvoir d'appréciation sur la nature et le quantum de la sanction, renvoyant ainsi le juge du siège à une simple compétence d'homologation.
    De quelle manière le débat va-t-il s'instaurer entre le prévenu et le procureur qui détient - faut-il le rappeler ? - la faculté de décider d'autres procédures, plus lourdes, et pouvant apparaître plus aléatoires pour la personne concernée ?

    La conduite du débat, son orientation, ne se feront pas dans une égalité de rapports, et les allusions aux risques d'une procédure plus lourde, d'une peine maximale, d'une potentialité d'incarcération, vont imprégner jusqu'à la sincérité des aveux et de l'accord. Il est vrai que ce « plaider coupable » reste soumis à l'homologation d'un juge. Mais quelle sera la nature de cette homologation ? Le débat que nous aurons sur les amendements devra le préciser. Sans quoi, nous ouvrons la voie à des contentieux plus complexes que la majorité des situations que nous voulions régler.
    Que dire, par ailleurs, de l'extension de la composition pénale qui, du début à la fin, est conduite par le parquet ? Avec cette extension de la composition pénale, un nombre considérable de dossiers échappera totalement aux décisions des juges du siège. Il s'agit, ni plus ni moins, de tous les délits pour lesquels la peine initiale encourue est l'emprisonnement pour une durée inférieure ou égale à cinq ans.
    M. Victorin Lurel. Eh oui !
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. A ce stade, il s'agit déjà d'une délinquance substantielle. Là encore, le procureur détient, avant l'engagement de l'action publique, la possibilité d'initier et de conclure une démarche tendant à sanctionner une infraction pénale. Cette solution est d'autant plus critiquable que le procureur va pouvoir prononcer de nouvelles mesures, comparables au contrôle judiciaire, et constituant de véritables mesures de sûreté. Cette prééminence du parquet dans la conduite et l'aboutissement de la phase de jugement des faits, au-delà de ces premières critiques, induit des effets extrêmement pernicieux sur les fondements et l'organisation de la justice pénale.
    Tout le monde reconnaît que les conditions actuelles de fonctionnement des parquets sont insuffisantes pour répondre à toutes leurs missions. En rajouter, et d'aussi importantes, va conduire à leur asphyxie, comme nous l'avons entendu dire lors des auditions. Et là, la situation sera aggravée et inextricable.
    Et puis, il faut le dire, toutes ces techniques procédurales, donnant au procureur de la République la prééminence au-delà de ses fonctions de responsable de l'action publique, constituent bien une remise en cause des principes fondateurs de la justice pénale.
    Il faut, me semble-t-il, se souvenir que la procédure pénale s'articulait autour de quelques principes simples : l'action publique menée par le parquet, l'instruction conduite dans les affaires plus complexes, à charge et à décharge, par un juge indépendant, et le jugement rendu collégialement par les magistrats du siège. Tels étaient les instruments de la justice pénale.
    Il y a deux cents ans, on a considéré que c'était un progrès. Mais, aujourd'hui, il faut aller vite, cet impératif devient même la seule règle. Pour accélérer le traitement des affaires, vous remettez en cause cette répartition des fonctions, des compétences et des responsabilités au profit du parquet.

    En limitant l'intervention des juges d'instruction et les jugements collégiaux, vous allez dégrader les fondements de la procédure pénale. Juger une personne ayant commis une infraction, ce n'est pas marchander sa peine, c'est prendre en compte les circonstances de la commission de l'acte, la personnalité de la personne impliquée, les finalités de la peine. Avons-nous une seule fois dans cette loi entendu parler des finalités de la peine ? Evoque-t-on le sens de la sanction que l'on s'apprête à faire intervenir dans une justice que l'on peut qualifier d'expéditive ?
    Les finalités de la peine, la sanction, l'exemplarité, la réparation du dommage, la réinsertion : comment tout cela est-il préservé dans la réponse de la société à l'égard des délinquants ? Ces responsabilités-là doivent rester entre les mains des juges du siège. Dans le « plaider coupable » comme dans la composition pénale élargie, le procureur ne pourra pas intégrer pleinement ces éléments. S'il le fait, ce sera nécessairement dans le cadre d'un marchandage qui portera atteinte aussi bien à la sacralité des droits individuels qu'à celle de la sanction. En outre - je tiens à le souligner pour préciser que mes observations ne mettent pas en cause le parquet -, ce n'est pas son rôle. Il représente la société et doit rester dans une fonction légitime et indispensable de l'action publique, qui n'est pas celle de juger. Or, il me semble que la responsabilité du procureur dans l'action publique sera entamée lorsque, au moment de mettre en oeuvre l'action, les enquêtes des services de police, il devra déjà décider s'il envisage un « plaider coupable ». Il amoindrira cette fonction, que la société lui reconnaît indispensable, et qui consiste à conduire l'action publique, et non pas à être placé en lieu et circonstance de juger.
    Le système judiciaire pénal peut-il se passer des juges même dans les dossiers les plus simples ? C'est la question qui se pose aujourd'hui à nous, monsieur le garde des sceaux, avec la loi que vous nous proposez.
    Votre projet de loi ne consacre pas seulement, dans le cadre de la réforme de la procédure pénale ordinaire, la prééminence du parquet sur la magistrature du siège. Il bouleverse également l'équilibre entre l'accusation et la défense.
    La marginalisation du juge d'instruction est en effet un mauvais premier coup porté contre la défense. Je l'ai souvent dit aux avocats qui critiquaient l'institution du juge d'instruction : le jour où sera close l'histoire des juges d'instruction - et elle le sera malheureusement un jour -, un pan entier de l'histoire des droits de la défense tombera. On le constate déjà aujourd'hui.
    M. René Dosière. C'est toujours après qu'on le regrette !
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Alors que le procureur de la République, conformément à son rôle, regroupe lors de son enquête les preuves incriminant le prévenu, le juge d'instruction instruit chacun de ces dossiers à charge et à décharge. C'est le principe. Et, lorsque ce principe est contesté ou critiqué, on ouvre le champ du débat contradictoire et de la saisine de la juridiction d'appel.

    Tandis que l'un s'attachera essentiellement à prouver la culpabilité, l'autre engagera des recherches contradictoires. C'est ainsi que - cela a été rappelé par notre collègue André Vallini -, dans une affaire célèbre, un innocent a pu être condamné pour le meurtre d'une fillette, sur la base d'aveux recueillis devant le procureur de la République, à la suite d'investigations menées par le juge d'instruction. Avec la marginalisation du juge d'instruction, c'est donc un premier espace d'exercice des droits de la défense que vous réduisez.
    De même, l'abaissement du statut du juge des libertés et de la détention est déplorable. Lorsque ce magistrat a été institué, nous savions qu'allait peser sur lui de hautes, grandes et belles responsabilités. A ce titre, on avait placé le mode de recrutement au plus haut niveau de la juridiction. Chargé de cette tâche délicate, il va devenir aujourd'hui, par l'effet de la loi, un « juge à tout faire » de la procédure pénale. Il sera à l'avenir prélevé sur l'ensemble des effectifs judiciaires, peut-être mal préparé, souvent dans des processus d'improvisation et - je le souligne parce qu'on en a débattu lorsque le juge des libertés a été institué - hors de la hiérarchie qui nous semble devoir rester celle de ce recrutement. Dès lors, on peut penser que ce magistrat, cantonné dans un rôle de plus en plus figuratif, n'assurera pas les missions que le texte fondateur de cette institution lui destinait.
    Bien plus graves encore sont les atteintes contre les droits de l'avocat. En face du procureur, l'avocat ne voit ni ses droits ni ses moyens matériels réévalués, alors que l'on s'engage dans un système à finalité accusatoire. Il y aura un déséquilibre important entre les éléments connus et les moyens mis en oeuvre par le parquet et ceux dont le prévenu, avec son avocat, pourra bénéficier. Ce constat se vérifie plus encore dans la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité.
    Par ailleurs, il n'y a aucune amélioration du statut du mis en cause : c'était pourtant l'occasion de le faire, monsieur le garde des sceaux. Alors que l'essentiel de la procédure se déroule désormais lors de l'enquête, l'avocat reste à l'écart, ne pouvant ni consulter le dossier, ni solliciter des mesures d'investigation, telles des expertises ou des confrontations.
    Pire, certaines présences de l'avocat lors de la garde à vue sont supprimées. La Commission nationale consultative des droits de l'homme vous a pourtant alerté, monsieur le garde des sceaux, sur l'importance de la visite à la trente-sixième heure. La trente-sixième heure, c'est l'instant où tout bascule, c'est un moment particulièrement éprouvant pour le gardé à vue. La CDH a dit qu'il fallait maintenir la présence de l'avocat, mais vous ne l'avez pas entendue.
    L'idée pour les avocats - et c'est sûrement ce qui justifie leurs récriminations persistantes - de n'être qu'une caution, qu'un alibi faute de bénéficier du temps et des moyens d'assumer totalement leur mission va s'accentuer.
    Or, de même qu'il ne peut pas y avoir de jugement sans les juges du siège, il ne saurait y avoir de jugement sans avocat. Voilà 200 ans que ce principe a été imposé à notre pays par les fondements de la République. Mais chaque jour, insidieusement, on écorne ce principe qui, pourtant, bénéficie à tout citoyen, quel qu'il soit, du plus humble de nos concitoyens jusqu'à celui qui est au plus haut de la hiérarchie institutionnelle !
    M. René Dosière. Oh, il ne faut tout de même pas remonter trop haut !
    M. Gérard Léonard. N'exagérez pas !
    M. René Dosière. C'est la stricte vérité !
    M. Gérard Léonard. Ne vous avancez pas trop sur ce terrain !
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. D'autres petits reculs des droits de la défense sont opérés insidieusement. Les avocats l'ont constaté. Ces rectifications insidieuses sont d'ailleurs les plus redoutables.
    Ainsi, le délai pour soulever la nullité des actes accomplis avant la première comparution est réduit de six à quatre mois. C'est mal connaître les conditions de saisine, notamment des avocats commis d'office, que de penser qu'ils ont les moyens de se positionner dans l'examen de l'intégralité des pièces, surtout quand on sait qu'il faut parfois sept à huit mois pour obtenir des tribunaux de grande instance la copie des pièces pénales ou sept à dix mois pour obtenir celle des pièces de procédure pénale. Ce qu'il faut, c'est régler des problèmes d'intendance et non porter atteinte aux principes.
    De même, l'absence de caractère contradictoire pour l'ouverture des scellés par les experts enfreint le principe fondamental posé par l'article 97 du code de procédure pénal, qui impose ce caractère contradictoire pour lever toute possibilité de suspicion, d'ambiguïté, de contestation susceptible d'alimenter pendant des mois et des mois des contre-expertises et de prolonger interminablement les débats, notamment aux assises.
    Enfin, pour respecter l'égalité des armes, il est indispensable que le droit reconnu au procureur de la République d'assister aux interrogatoires réalisés par le juge d'instruction soit étendu aux avocats des parties, sans quoi le juge d'instruction n'intervient plus à charge et à décharge, mais quasiment uniquement à charge.
    Mes chers collègues, monsieur le garde des sceaux, au terme de mes explications, je rappelle la légitimité de l'idée selon laquelle la justice est un instrument essentiel dans la prise en compte des problématiques de société. Mais la justice peut-elle tout régler ? Ne sommes-nous pas en train de lui demander tout et, pour ce faire, de renier les fondements séculaires de notre droit pénal, conquête sur l'absolutisme et sur les privilèges ? N'est-ce pas ici le lieu de s'en souvenir, puisque c'est ici qu'ont été battus en brèche cet absolutisme et ces privilèges ? En fait, chaque fois qu'on renonce aux droits de la défense, chaque fois qu'on dessaisit le juge du siège, on fait revenir le balancier de l'autre côté. Je n'affirme pas que c'est volontaire, mais je dis que c'est ce à quoi on aboutit.
    Au terme de ces explications s'exprime donc l'évidence de toutes les interrogations qui motivent cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. A ce stade du débat, il convient, me semble-t-il, de se poser une question très simple : la criminalité organisée pose-t-elle des problèmes en France et doit-on améliorer nos dispositifs de lutte contre ce phénomène ?
    M. Gérard Léonard. Eh oui !
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. En 2002, grâce à l'action du Gouvernement, la délinquance a baissé en France. Et pourtant, en matière de délinquance organisée, certaines catégories d'infractions se caractérisent par une augmentation sensible. Ainsi, le proxénétisme a progressé de 30 % en 2002, tandis que les prises d'otage et les séquestrations ont enregistré une hausse de 11 % après avoir augmenté de 13 % en 2000 et de 15 % en 2001, que la fausse monnaie a crû plus de 43 % et que les faux documents d'identité et autres faux administratifs ont augmenté respectivement de 15 % et de 24 %. Tout cela montre combien il est nécessaire que nous adaptions notre droit à l'évolution de cette forme de délinquance.
    Oui, il est évident que la criminalité organisée pose des problèmes ; oui, nous devons organiser notre droit en conséquence.
    Par ailleurs, je ne comprends plus très bien l'argumentation de l'opposition. Il y a quelques semaines, dans cet hémicycle, nous discutions d'une loi sur la sécurité intérieure, et l'opposition nous reprochait de ne parler que des petits délits, des délits de la vie quotidienne. Elle nous enjoignait de nous attaquer aux délits importants, à l'argent sale, au trafic d'argent. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Eh bien, nous y sommes ! c'est aujourd'hui que nous nous y attaquons ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Gérard Léonard. Très bien !
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C'est cela le problème !
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Je ne comprends donc pas que l'opposition, qui avançait de tels arguments il y a à peine quelques semaines, puisse demander aujourd'hui de ne pas débattre de ce texte.
    Mes chers collègues, je vous demande de rejeter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Je n'ai pas reçu de demande d'explication de vote.
    Je mets aux voix la question préalable.
    (La question préalable n'est pas adoptée.)

Discussion générale

    M. le président. Dans la disussion générale, la parole est à M. Michel Vaxès.
    M. Michel Vaxès. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la lutte contre les formes actuelles de délinquance ou de criminalité organisée, qui relèvent très souvent de véritables réseaux mafieux particulièrement dangereux, doit être renforcée et le démantèlement de ces réseaux doit constituer une priorité pour les pouvoirs publics. Telle est la motivation principale de la première partie du projet de loi, et nous partageons pleinement cet objectif.
    La lutte contre la grande criminalité, de plus en plus organisée et de plus en plus transnationale, est en effet l'un des premiers devoirs de l'Etat. C'est pourquoi nous sommes convaincus de la nécessité de réformer notre droit pour adapter cette lutte aux nouvelles réalités de la criminalité.
    Pour atteindre cet objectif, le texte prévoit de modifier en profondeur à la fois les dispositions de notre procédure pénale et celles de notre droit pénal. Nous l'avons donc examiné avec la plus grande attention et sans a priori.
    Le premier constat que nous sommes forcés de dresser est qu'il s'agit là d'un texte extrêmement complexe.
    Le non-juriste que je suis, comme sans doute la plus grande majorité de nos concitoyens, aura eu le plus grand mal à saisir en quoi consiste ce qui lui apparaît - permettez-moi cette expression - comme une véritable « usine à gaz ». Et si nul n'est censé ignorer la loi, je prédis que celui qui souhaitera comprendre notre futur système procédural sera confronté à de grandes difficultés.
    Ce système doit être cohérent et aisément accessible aux citoyens comme aux professionnels. Or les nouvelles dispositions envisagées, qui s'ajoutent aux régimes dérogatoires de droit commun déjà existants, ne font que rendre plus difficile encore l'accès à la règle de droit. Une procédure pénale doit pourtant être fondée sur des principes clairs et reconnus pour remplir les conditions d'un procès équitable et respectueux des droits de l'homme.
    Deuxième constat : je regrette que le texte proposé pour l'article 706-73 du code procédure pénal, texte qui tend à définir la notion de « délinquance et criminalité organisée » sur laquelle se fondent de nouvelles règles procédurales, ne réponde pas aux exigences de sécurité juridique. Ce ne sont pas les juristes, majoritairement présents dans cet hémicycle, que je dois convaincre de la difficulté que pose la qualification de la circonstance aggravante de « bande organisée », notion difficile à distinguer des notions voisines comme celles de co-action, de complicité ou de réunion. Nombreux articles de doctrine sur cette problématique sont là pour en témoigner.
    Pour ces raisons, nous jugeons extrêmement imprudent de faire reposer le recours à une procédure exceptionnelle et à des juridictions spécialisées sur une qualification juridiquement délicate à définir, laquelle sera, de surcroît, donnée par les premiers enquêteurs.
    Ce deuxième constat me conduit tout naturellement à en faire un troisième. Cette qualification sera essentielle, puisqu'elle donnera aux enquêteurs des pouvoirs plus étendus. Je ne dresserai pas ici la liste des mesures auxquelles pourront avoir recours les enquêteurs et je me contenterai, à cette étape de la discussion, de dresser un constat général sur le système mis en place.
    Dans ce nouveau cadre procédural, l'accroissement des prérogatives est considérable. Si nous estimons nécessaire d'améliorer les moyens octroyés à nos policiers dans la recherche des preuves, nous regrettons qu'il ne soit pas accordé, en contrepartie, un pouvoir de contrôle effectif et strict aux magistrats. Alors que, jusqu'à présent, la plupart des mesures pouvaient être uniquement autorisées par le juge d'instruction, le texte prévoit que le parquet devra obtenir l'accord du juge des libertés, lequel, faute de connaître le dossier, se cantonnera, le plus souvent, à un simple rôle formel de validation.
    Dans ce nouveau cadre, la garde à vue pourra être prolongée de deux fois vingt-quatre heures, soit une durée totale de quatre-vingt-seize heures. Ce régime dérogatoire supplémentaire vient s'ajouter à ceux déjà existants. Devraient donc coexister cinq régimes différents de garde à vue, à moins que des modifications ne soient apportées. Si le texte restait en l'état, ce serait ouvrir la porte aux erreurs répétées de procédure et, donc, aux recours répétés en nullité.
    Toutefois, le plus préoccupant avec cette durée possible de quatre jours et quatre nuits de garde à vue, c'est qu'elle s'inscrit dans un contexte où les conditions actuelles de la garde à vue sont très contestables. Faut-il rappeler que le rapport du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants de l'année 2000 constate que les conditions de détention des personnes gardées à vue dans les locaux de détention de la police nationale française ne sont pas compatibles avec la dignité inhérente à l'être humain. Le Comité écrivait alors dans son rapport au Gouvernement que « les dispositions en place étaient particulièrement préjudiciables aux personnes comparaissant devant un magistrat après avoir passé un temps considérable - parfois plusieurs jours - dans des locaux de détention non conformes aux standards requis, souvent d'une saleté repoussante, et sans avoir pu ni se reposer ni s'alimenter correctement, sans avoir eu la possibilité de se laver et de changer de vêtements ».
    Je reprends donc à mon compte le regret alors formulé par le Comité quand le Gouvernement nous propose d'adopter une disposition rendant possibles des gardes à vue d'une durée de quatre-vingt-seize heures : notre système demeure fondé sur une conception littérale de la garde à vue, privilégiant la nécessité de maintenir physiquement la personne à portée de vue, au détriment de considérations liées à des conditions de détention décentes.
    Enfin, le titre Ier prévoit la création de juridictions spécialisées pour répondre aux infractions de délinquance et de criminalité organisée d'une grande complexité. A l'instar de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, nous nous inquiétons « de la création et de la multiplication, au fil des réformes de la procédure pénale, de règles particulières et de juridictions spécialisées, en fonction des différents types de contentieux, mises en oeuvre selon un système de "compétence concurrente qui laisse planer la plus grande incertitude quant aux orientations procédurales ».
    Notre système procédural doit être cohérent et garantir aux personnes se trouvant dans des conditions semblables d'être poursuivies et jugées selon les mêmes règles. Or le texte proposé pour l'article 706-75 du code de procédure pénale fonde la compétence des juridictions spécialisées sur la notion « d'affaires qui sont ou apparaîtraient d'une grande complexité ». Cette formulation est bien trop imprécise pour fonder d'exceptionnelles extensions de compétence territoriale. Il serait bien plus cohérent et efficace de transférer aux pôles économiques et financiers l'ensemble de ces compétences, en accompagnant ce transfert des moyens qui permettent de l'assumer. Les affaires visées ont, en effet, essentiellement des conséquences en matière économique et financière. Cela permettrait, par ailleurs, de ne pas multiplier les juridictions d'exception.
    Pour conclure sur le titre Ier, nous regrettons que les infractions financières, qui sont également à ranger dans la grande criminalité, ne soient pas au centre du dispositif proposé.
    Le titre II de ce projet de loi apporte, dites vous, « de façon transversale, aux différentes phases de notre procédure pénale, des modifications de nature générale destinées à renforcer la cohérence et l'effectivité des règles applicables ». Ici, nous ne nous situons plus dans le traitement de la grande criminalité, et, là encore, nous doutons de la réelle effectivité des mesures que vous nous proposez. D'ailleurs, je crains, monsieur le ministre, que, en dépit de vos dénégations, nous ne soyons en présence d'un projet de loi qui tende à nous faire progressivement basculer vers un système accusatoire inspiré des systèmes pénaux anglo-saxons, plutôt qu'en présence d'un texte qui renforce la cohérence et l'effectivité des règles de procédure pénale.
    M. Jean-Louis Léonard. Ben voyons !
    M. Michel Vaxès. La majorité, le Gouvernement et la commission manifestent une telle insistance à se protéger de cette accusation qu'il me semble que vous faites involontairement la démonstration de la légitimité de nos interrogations.
    Notre procédure pénale actuelle et nos grands principes juridiques ne nous permettent pas d'opérer un tel basculement sans faire courir de grands risques à notre justice et à sa qualité. Nous ne sommes pas « outillés » pour instiller, ça et là, des mesurespurement accusatoires, dans le cadre général d'un système inquisitoire. En fait, ce texte tend à nous faire basculer dans une procédure accusatoire sans l'accompagner des dispositions propres à garantir les intérêts des justiciables.
    Le parquet acquiert ici une dimension toute différente de celle que nous lui connaissions jusqu'alors et fait figure de toute-puissance face à la juridiction du siège.
    Pour illustrer mon propos, je prendrai deux exemples de mesures qui donnent aux procureurs, au détriment de la magistrature assise, le pouvoir de juger.
    L'article 23 du projet de loi étend la procédure de la composition pénale à tous les délits punis de cinq ans d'emprisonnement au plus et à toutes les contraventions de cinquième classe, c'est-à-dire à la grande majorité des affaires pendantes devant les tribunaux. Les mesures proposées sont également étendues, et une majeure partie d'entre elles sont d'ailleurs de véritables mesures de sûreté qui ne devraient donc pas entrer dans le champ de la composition pénale.
    Nous sommes opposés à une telle extension, car la procédure de composition pénale ne permet pas la prise en compte des intérêts de la défense. Elle ne correspond pas à la conception que nous nous faisons de justice. Toute personne coupable doit être jugée par des magistrats du siège, et non par ceux du parquet, tout comme la victime a droit à ce que la personne qui lui a causé un dommage soit jugée. C'est seulement ainsi que le procès peut remplir sa fonction réparatrice.
    C'est pareillement ce déni de la victime qui nous conduit à nous opposer fermement à l'article 61 du projet de loi, qui introduit la procédure dite de « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité », inspirée elle aussi de la procédure anglo-saxonne du « plaider coupable ».
    Cette nouvelle procédure permet au procureur de la République, devant qui sera déférée une personne reconnaissant avoir commis un délit puni d'au plus cinq ans d'emprisonnement, de proposer à celle-ci une peine d'un maximum de six mois d'emprisonnement et de la moitié de l'amende encourue. C'est donc dans le secret du cabinet du procureur que la transaction se fera avec l'auteur du délit, avec tous les risques que cela comporte pour lui. L'homologation a posteriori par un juge du siège paraît, de fait, bien formelle.
    Qu'en est-il de la place de victime dans cette procédure ?
    La justice est un lieu de confrontation, à commencer avec la victime. Elle aussi a besoin de ce face-à-face pour mettre fin à son doute. Pourquoi lui a-t-on fait du mal, de quelle faute est-elle ainsi sanctionnée ? La reconnaissance publique de sa qualité de victime, c'est-à-dire de son innocence, est aussi importante que la condamnation de son agresseur », comme le dit si bien Antoine Garapon.
    Bien que le texte essaie de préserver, tant bien que mal, les intérêts de la défense, ici comme dans le cadre de la composition pénale, ces nouvelles formes de justice restent secrètes et malmènent le principe du contradictoire.
    Au fond, avec ces nouvelles mesures, n'assistons-nous pas à un commencement de déclin de la fonction arbitrale du procès et à son remplacement par une logique administrative, dont les seules références sont la gestion quantitative et la rapidité du traitement des litiges ?
    Personnene sortira gagnant de cette nouvelle forme de justice gestionnaire. D'ailleurs, personne ne sort gagnant quand la préoccupation du coût de l'action publique prend le pas sur la qualité de sa forme et de son contenu. Ni la victime, qui se sentira abandonnée de la justice, ni l'auteur, qui pourra marchander le prix de sa peine sans qu'il soit conduit à prendre la mesure de la gravité de l'acte qu'il a commis.
    Nous restons convaincus que le rituel est essentiel à une justice qui remplit pleinement son rôle. Lorsqu'il est affaibli, c'est le droit des gens qui est en péril.
    Je reprendrai là encore à mon compte ces mots d'Antoine Garapon : « Privé de ses symboles, le droit semble désorienté et incertain. Lorsque la justice émigre de la salle d'audience vers les bureaux, la notion traditionnelle d'instance, avec les principes du contradictoire et de publicité, la distinction entre le siège et le parquet, entre l'instruction, le jugement et l'exécution, ou encore la séparation des pouvoirs entre le judiciaire et l'exécutif sont malmenées. »
    Pour l'ensemble de ces raisons, la nouvelle forme qui est donnée à notre justice à travers ce texte ne peut nous satisfaire. Nous sommes inquiets car nous ne sommes absolument pas convaincus de son efficacité réelle à moyen terme en matière de lutte contre la grande criminalité ni de ses effets sur la nouvelle architecture qu'elle dessine pour notre système judiciaire.
    Monsieur le garde des sceaux, nous reviendrons au cours de la discussion des articles du projet de loi sur les différentes mesures que vous nous proposez. Pour l'heure, le temps qui m'est imparti m'oblige pour l'heure à conclure.
    J'ajouterai simplement que, si nous partageons votre constat quant à la nécessité de repenser notre système pénal si l'on veut combattre les nouvelles formes de la criminalité, nous ne pouvons en revanche vous accompagner sur le chemin que vous nous proposez d'emprunter pour y parvenir. C'est pourquoi, nous vous proposerons lors de cette discussion un certain nombre d'amendements. Faute de leur adoption, le groupe des député-e-s communistes et républicains votera contre le projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Gérard Léonard.
    M. Gérard Léonard. Monsieur le garde des sceaux, le texte que vous soumettez à notre examen constitue une nouvelle et très importante étape dans la mise en oeuvre d'une vaste politique de lutte contre la criminalité et la délinquance engagée depuis un an par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin conformément aux engagements pris par Jacques Chirac devant les Français.
    Cette politique se caractérise par sa détermination, sa clarté, son ampleur et sa cohérence. Autant de traits qui tranchent heureusement avec les atermoiements, la confusion, la timidité et les contradictions des actions menées en ce domaine par le gouvernement précédent, des actions désordonnées et inefficaces qui se sont logiquement traduites par une véritable explosion des crimes et des délits dans notre pays - l'augmentation a été de 16 % en cinq ans -, signant ainsi une intolérable dérive.
    Avec courage et ténacité, vous aviez, en partenariat avec le ministère de l'intérieur, programmé et mis en place de façon méthodique les moyens humains et matériels, les outils juridiques d'une nouvelle politique à même de lutter efficacement et durablement contre le fléau de l'insécurité.
    Dès l'été dernier, nous avons adopté, mes chers collègues, deux lois d'orientation et de programmation, l'une pour la sécurité intérieure, l'autre pour la justice, prévoyant pour les deux institutions un effort de cinq ans d'une ampleur sans précédent. C'est ainsi que 9 250 millions d'euros supplémentaires seront mobilisés sur la période et que 23 600 emplois seront créés. Dès le budget de 2003, une part importante de ces engagements a été financée. Dès cet hiver, nous avons adopté le très important projet de loi relatif à la sécurité intérieure, qui mettait en oeuvre les orientations de la LOPSI en créant en particulier de nouvelles incriminations, sanctionnant des comportements délictueux qui jouissaient jusqu'alors d'une quasi-impunité, et en donnant aussi et surtout aux policiers et aux gendarmes les instruments juridiques et techniques indispensables à l'accomplissement de leur mission. Je pense en particulier au renforcement de l'exploitation du traitement automatisé des informations et à l'extension du fichier des empreintes génétiques, dit FNAEG, qui devrait permettre - c'est un point très important - une amélioration sensible du taux d'élucidation des affaires incriminées qui est dans notre pays anormalement en bas et qui s'est dégradé depuis quelques années.
    Je rappelle au passage que, sur tous ces textes, l'attitude de l'opposition a été constante, c'est-à-dire désolante.
    M. Jean-Pierre Blazy. Oh !
    M. Gérard Léonard. Désolante parce qu'elle démontrait que les gouvernements d'hier n'avaient pas tiré les leçons de leurs échecs.
    M. Claude Gaillard. Eh oui !
    M. Gérard Léonard. Navrante aussi par l'inanité de procès qu'à chaque fois elle a instruits à l'encontre du Gouvernement et de sa majorité, avec un recours immodéré à la caricature et aux accusations contradictoires.
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous semblez vous y connaître en caricature !
    M. Gérard Léonard. Les projets de loi étaient condamnés sans appel tout à la fois pour leur inefficacité et leur dangerosité liberticide. On connaît la suite : dans les faits, la dérive insécuritaire est enrayée et la délinquance recule...
    M. Jean-Pierre Blazy. On en reparlera !
    M. Gérard Léonard. ... même s'il reste, il faut en convenir, beaucoup à faire.
    Le Conseil constitutionnel a fait justice des accusations aussi péremptoires qu'imprudentes de violer les principes fondamentaux de notre droit.
    Aujourd'hui, à peu de chose près, et les arguments laborieusement déployés à l'appui, des motions de procédure l'ont confirmé, le scénario est le même. Et l'on fait naturellement montre de la même assurance et bien entendu de la même vanité.
    Ce texte, contrairement à ce que prétendent ses détracteurs, obéit rigoureusement à deux impératifs à nos yeux indissociables : l'efficacité de l'action publique et le respect scrupuleux des libertés individuelles. En un mot, il est équilibré.
    L'efficacité, outre la volonté, repose avant tout sur l'exigence de lucidité. La lucidité dans la matière qui nous occupe consiste, loin des discours incantatoires sur les misères de la mondialisation, à reconnaître que des pans entiers de pratique criminelle échappent largement à la sanction, prospérant ainsi sur les insuffisances de notre dispositif pénal.
    C'est à l'évidence le cas de criminalité organisée avec le recours à des moyens de plus en plus sophistiqués et une mobilité internationale de plus en plus affirmée. C'est le grand mérite de ce projet de loi portant « adaptation » - le terme est important - de la justice aux évolutions de la criminalité que d'en appréhender les nouvelles formes et d'organiser enfin les moyens de leur répression efficace.
    Comment ne pas se réjouir aussi de voir renforcée la lutte contre ce scandale permanent que constitue la pollution des eaux maritimes par les rejets des navires en toute impunité ?
    M. Christian Decocq. Eh oui !
    M. Gérard Léonard. Comment ne pas approuver les moyens nouveaux donnés à la justice pour réprimer avec toute la vigueur qui s'impose les infractions commises en matière économique et financière, qui sont fréquemment à la fois la source et le fruit de la criminalité mafieuse à caractère international ?
    Le texte fondamental que vous nous proposez, monsieur le garde des sceaux, enrichi par les travaux de la commission des lois, comporte un ensemble de réponses adaptées à ces graves défis.
    Permettez-moi, à ce stade de mon propos, de souligner l'excellent travail accompli par Jean-Luc Warsmann. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Pascal Clément, président de la commission. Il était temps !
    M. Gérard Léonard. Son rapport est d'une qualité remarquable et ses nombreux amendements sont aussi judicieux les uns que les autres.
    Je tiens également à saluer la présidence bienveillante et efficace de Pascal Clément (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) qui, sur un texte aussi copieux que complexe, a permis un débat ouvert et constructif.
    Grâce à eux et, bien entendu, aux commissaires présents, je pense que, guidés par le souci de simplification et de perfection, nous avons fait ensemble du bon travail.
    Ainsi amendées, les dispositions soumises à notre débat et à notre approbation représentent, j'en suis convaincu, des réponses adaptées aux nouvelles manifestations de la criminalité qui se développent non seulement en France mais, comme cela a été dit, dans la plupart des pays européens et autres, dont beaucoup ont déjà pris les mesures qui s'imposent.
    Ces dispositions bien mesurées et articulées sont nombreuses. Notre rapporteur les a finement commentées et nous aurons l'occasion d'en débattre. Elles sont toutes importantes, mais je me bornerai à n'en évoquer que quelques-unes, à mes yeux, particulièrement utiles.
    Il s'agit d'abord de la création de juridictions spécialisées couvrant plusieurs cours d'appel pour une meilleure utilisation des ressources humaines et logistiques face à une délinquance et à une criminalité organisée souvent d'une grande complexité. Au passage, je vous indique, monsieur le garde des sceaux, que beaucoup d'arguments plaident en faveur de la création d'une telle juridiction à Nancy,...
    M. Claude Gaillard. C'est vrai !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Ce n'est évidemment pas un plaidoyer pro domo ! (Sourires.)
    M. Gérard Léonard. ... qui se situe au coeur de la région du Grand Est - je parle sous le contrôle de mon collègue et ami Claude Gaillard.
    J'espère en tout cas que nous aurons l'occasion d'en reparler.
    M. Jacques Floch. Dans dix ans !
    M. Gérard Léonard. Pour le reste, l'adoption de règles de procédure spécifiques pour la criminalité organisée, comme l'infiltration, la prolongation de la garde à vue, les perquisitions de nuit, les écoutes téléphoniques, sont autant de mesures hautement souhaitables, étant entendu, il faut le rappeler tant les faux procès à cet égard sont fréquents, que ces mesures seront mises en oeuvre sous l'autorité et le contrôle des magistrats.
    Ajoutons-y le renforcement de l'action internationale et de l'action européenne en particulier, qui sont indispensables compte tenu de la dimension transfrontalière des crimes et des délits visés.
    M. Claude Gaillard. Bravo !
    M. Gérard Léonard. Comment ne pas se réjouir enfin de la meilleure prise en considération du sort des victimes à la suite de la loi pour la sécurité intérieure ?
    En résumé, je dirai que le texte qui nous est présenté est d'une ampleur et d'une consistance qui en feront l'une des grandes lois pénales de la Ve République.
    M. Claude Gaillard. Très juste !
    M. Gérard Léonard. Son contenu et l'esprit qui l'animent justifient notre entière adhésion.
    Pour conclure, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi de vous livrer une réflexion sur les réactions que ce texte a suscitées bien en amont, lorsque ses grandes lignes étaient à peine connues.
    Ces réactions étaient nourries, d'un côté, d'une certaine impatience de ceux qui trouvaient que la Place Beauvau était plus rapide que la Place Vendôme (Sourires) et qui considéraient que toutes les concertations engagées n'étaient pas d'une utilité évidente. De l'autre côté, certains déploraient un manque de dialogue, ou soupçonnaient des dérives remettant en cause la philosophie même de notre système juridique pénal - on passerait subrepticement d'un système inquisitoire à un système accusatoire.
    Votre méthode, monsieur le garde des sceaux, et le « produit », si j'ose dire, qui nous est soumis devraient faire taire ces impatiences exagérées et apaiser ces craintes injustifiées.
    Vous avez laissé le temps au temps sans en tirer d'alibi pour l'inaction, mais au contraire pour travailler efficacement dans un souci d'adhésion du plus grand nombre. C'est un gage de réussite.
    Je tiens à vous en féliciter publiquement et à vous dire au nom du groupe UMP toute notre satisfaction de voir en un an tout le chemin accompli au service de la sécurité de tous les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

3

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

    M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, deuxième séance publique :
    Suite de la discussion du projet de loi, n° 784, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité :
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 856) ;
    M. François d'Aubert, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (avis n° 864).
    La séance est levée.
    (La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT