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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU MERCREDI 28 MAI 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
2e séance du mardi 27 mai 2003


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

1.  Message de solidarité au peuple algérien «...».
MM. le président, Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre.
2.  Questions au Gouvernement «...».

RETRAITES «...»

Mme Marie-George Buffet, M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

SOUTIEN AU PEUPLE ALGÉRIEN «...»

MM. Richard Cazenave, Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie.

ÉDUCATION NATIONALE «...»

Mme Claude Darciaux, M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.

RÉFORMES «...»

MM. François Sauvadet, Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.

LUTTE CONTRE LE TERRORISME INTERNATIONAL «...»

MM. Alain Joyandet, Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE «...»

MM. Jean-Pierre Decool, Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

RETRAITES «...»

MM. Alain Néri, François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

VILLES MOYENNES «...»

MM. Michel Roumegoux, Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE «...»

M. Claude Gatignol, Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie.

POLITIQUE SCOLAIRE «...»

Mme Annick Lepetit, M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire.

ACCUEIL DES PERSONNES ÂGÉES DÉPENDANTES «...»

MM. Daniel Garrigue, Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées.

A 400 M «...»

M. René Galy-Dejean, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense.

SITUATION SCOLAIRE À LA RÉUNION «...»

Mme Huguette Bello, M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.

Suspension et reprise de la séance «...»
PRÉSIDENCE DE
Mme PAULETTE GUINCHARD-KUNSTLER

3.  Consultation des électeurs de Corse. Discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat après déclaration d'urgence «...».
M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois.

QUESTION PRÉALABLE «...»

Question préalable de M. Emile Zuccarelli : MM. Emile Zuccarelli, le ministre, Rudy Salles, Michel Vaxès, Camille de Rocca Serra, Bruno Le Roux. - Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
4.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à quinze heures.)

1

MESSAGE DE SOLIDARITÉ
AU PEUPLE ALGÉRIEN

    M. le président. Mes chers collègues, je voudrais exprimer au peuple algérien, au nom de l'Assemblée nationale tout entière, notre profonde émotion, notre solidarité et notre sympathie dans l'épreuve qu'il traverse. (Applaudissements sur tous les bancs.)
    La parole est à M. le Premier ministre.
    M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président, au nom du Gouvernement, je m'associe aux propos que vous venez de tenir. Nous sommes engagés - vous le savez, mesdames, messieurs les députés - aux côtés de nos amis algériens pour faire face à ce drame. Le Président de la République s'est exprimé, le ministre de l'intérieur s'est rendu sur place et j'ai pu entrer en contact avec le Premier ministre algérien, pour mettre au point ensemble un plan de travail. Le peuple algérien a besoin de l'amitié de la France, et je remercie l'Assemblée nationale de la lui témoigner. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française, du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

    M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
    Nous commençons par une question du groupe des député-e-s communistes et républicains.

RETRAITES

    M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet.
    Mme Marie-George Buffet. Permettez-moi, monsieur le président, de m'associer au message de solidarité que vous venez d'adresser au peuple algérien.
    Monsieur le Premier ministre, votre réforme régressive des retraites et vos projets funestes pour l'éducation nationale ne passent pas. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Vous ne calmerez pas la colère populaire par des publicités mensongères.
    M. Richard Mallié. Rappelez-vous votre score, 3,70 % !
    Mme Marie-George Buffet. Votre réforme ne garantit ni la retraite à soixante ans, ni le niveau des pensions, ni la pérennité du système par répartition. (« Et vous ? Vous n'avez rien fait ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    C'est l'ensemble du monde du travail, public et privé, qui est mobilisé pour les retraites, et vous le savez. Vous n'avez le soutien majoritaire ni des organisations syndicales ni de l'opinion publique.
    Des alternatives à votre réforme existent bel et bien. Les parlementaires communistes iront tout à l'heure en présenter au ministre des affaires sociales.
    Les contrevérités ne vous grandissent pas.
    M. Richard Mallié. Parlons-en !
    Mme Marie-George Buffet. Elles renforcent en revanche le mouvement de contestation qui porte, lui, l'intérêt général et que vous devriez respecter.
    Les gênes occasionnées sont de votre fait. Les négociations n'ont pas eu lieu. Elles se sont limitées à une dizaine d'heures, sans rien changer sur le fond. Vous voulez maintenant discuter sans négocier. Quel mépris ! Les grandes manifestations que nous connaissons demandent que le dialogue social se poursuive. Les partenaires sociaux sont disponibles, et vous, vous voulez imposer vos certitudes.
    Monsieur le Premier ministre, allez-vous enfin retirer votre projet et ouvrir de véritables négociations ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et Républicains. - « Non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Tant qu'elles n'auront pas eu lieu, toute autre délibération sera illégitime. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés-e-s communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. François Liberti. Retirez le projet.
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Madame la députée, le Gouvernement attend avec beaucoup d'intérêt et, oserai-je dire, une certaine impatience le projet alternatif que vous allez lui présenter. (Rires et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Nous l'attendons avec intérêt, parce que nous avons du respect pour tous les Français, dans la diversité de leurs opinions.
    M. Patrick Lemasle. C'est malheureusement faux !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Parce que nous avons du respect pour les agents de la fonction publique...
    M. Patrick Lemasle. C'est malheureusement faux !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... à qui, c'est vrai, nous demandons un effort, mais un effort comparable à celui qu'ont consenti les autres Français, depuis plusieurs années, pour assurer l'équilibre du système des retraites. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Nous sommes déterminés à mettre en oeuvre une réforme qui garantisse la sécurité du système des retraites, et qui soit, mesdames et messieurs les députés, l'une des plus solidaires et des plus généreuses de tous les Etats européens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - « C'est faux ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    Ceux qui, aujourd'hui, parlent de renégociation et de retrait ne sont pas sincères.
    M. François Hollande. Mais ils sont 500 000 !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Ils ne sont pas sincères, d'abord, parce que, les négociations, elles ont eu lieu. Elles n'ont pas duré dix heures, elles ont duré trois mois. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Et je ne vois pas pourquoi, madame, vous flattez ceux qui ont renoncé à un accord, et que vous méprisez ceux qui, justement, ont eu le courage de conclure un accord. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Bernard Roman. Il y a eu 500 000 personnes dans les rues !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Ils ne sont pas sincères, parce que, derrière le mot de « renégociation », se cache, en réalité, la volonté de maintenir le statu quo, en le faisant financer par une augmentation considérable des prélèvements obligatoires qui pèserait, chacun le sait, sur notre économie et sur l'emploi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Vives exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Bernard Roman. Et sur le MEDEF !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Enfin, ils ne sont pas sincères car, derrière le mot « retrait » se cache la critique de l'harmonisation des durées de cotisation. Or, je l'ai dit, cette revendication-là n'est pas recevable, parce que l'équité est un principe républicain, qui ne saurait souffrir aucune discussion. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Après le temps de la réflexion, puis le temps de la négociation (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), vient celui du débat au Parlement. (« Absolument ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    A ce sujet, je ne peux pas ne pas relever, madame, ce que vous venez de dire à l'instant, indiquant que la discussion au Parlement ne serait pas légitime. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)...
    M. François Hollande. Elle le sera en son temps ! La négociation sociale d'abord !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... tant que toutes les discussions nécessaires n'auraient pas été menées avec les partenaires sociaux. C'est avec des discours comme celui-là que l'on nourrit l'extrémisme, qui n'est pas pour rien dans l'agitation actuelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Bernard Roman. C'est inacceptable, monsieur Fillon ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Mes chers collègues, ne répondez pas à la provocation de M. Roman ! Calmez-vous !
    M. Bernard Roman. C'est scandaleux !

SOUTIEN AU PEUPLE ALGÉRIEN

    M. le président. La parole est à M. Richard Cazenave, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
    M. Richard Cazenave. Monsieur le président, mes chers collègues, chacun comprendra que je quitte un instant les sujets purement hexagonaux pour exprimer, à la suite du président de notre assemblée et du Premier ministre, au nom du groupe UMP et, j'en suis sûr, en votre nom à tous, notre vive émotion, notre profonde tristesse et notre entière solidarité à un peuple ami aujourd'hui cruellement frappé. Vous l'avez compris, je veux parler de l'Algérie, qui a connu, le mercredi 21 mai dernier, le séisme le plus fort qu'elle ait eu à subir depuis 1980.
    Le bilan est lourd et il ne cesse de s'alourdir chaque jour : 2 200 morts, 9 000 blessés, et combien de disparus, combien de sans-abri ?
    Face à une si grande épreuve, la France doit, comme l'a déclaré le Président de la République, se tenir aux côtés du peuple algérien ami.
    Monsieur le ministre de la coopération, je sais que la France n'a pas tardé à réagir à cet appel. Pouvez-vous nous indiquer quelle a été son action dans les toutes premières heures de ce drame ?
    Y a-t-il encore un espoir de trouver d'autres survivants sous les ruines ? Qu'en est-il des hôpitaux détruits ou surchargés, du manque de nourriture, d'eau potable, du manque d'abris, des risques d'épidémie ?
    Un grand élan de solidarité est en train de s'organiser dans la France tout entière. Chacun d'entre nous connaît des familles dont des proches ont disparu, ou n'ont pas donné de nouvelles. Pouvez-vous nous dire comment rendre ce grand élan de solidarité efficace et plus opérationnel sur place ?
    M. le président. Merci, monsieur le député.
    M. Richard Cazenave. Car au malheur qui vient de frapper les Algériens s'ajoute aujourd'hui le désarroi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
    M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur le député, vous l'avez souligné, le tremblement de terre qui vient de dévaster une partie de l'Algérie a eu des conséquences tragiques, puisque l'on déplore d'ores et déjà plus de 2 200 morts identifiés, un nombre de personnes disparues encore inconnu mais certainement élevé, 9 000 à 10 000 blessés et 200 000 personnes sans abri. Cela donne une idée de la dimension de la catastrophe.
    Le Président de la République et le Premier ministre ont aussitôt exprimé, au nom de notre pays, la sympathie et la solidarité du peuple français pour le peuple algérien. Le Premier ministre vient de le faire de nouveau. Au-delà, une très vaste mobilisation s'est spontanément organisée dans notre pays pour apporter une aide à l'Algérie.
    La France a été la première à envoyer sur place des moyens en personnels et en matériels, en répondant aux demandes des autorités algériennes sur les modalités de cette aide. Il s'agissait d'abord d'une aide d'urgence pour aider à trouver les victimes, essayer de les sortir des décombres, les soigner et assurer la survie de la population.
    L'aide gouvernementale a été acheminée par des appareils de l'armée de l'air. Elle a consisté en l'envoi de deux détachements de la sécurité civile du ministère de l'intérieur, d'un hôpital de campagne avec un certain nombre de spécialistes, à la fois pour la recherche et le soin des victimes. Par la suite, cette aide a été complétée par l'envoi de tentes, de couvertures, et hélas ! de sacs mortuaires.
    Une aide non gouvernementale importante est venue compléter ce dispositif. Je voudrais souligner l'aide de la Croix-Rouge française, celle des compagnies aériennes comme Air France et Aigle Azur, qui ont accepté d'assurer des transports à titre gratuit.
    Les autorités françaises, pour répondre précisément à votre question, participent à la coordination des interventions de ces différents opérateurs.
    Après cette aide d'urgence, immédiate, il faut maintenant songer à la reconstruction. Les actions doivent être conduites en coordination avec l'Etat, les collectivités territoriales, les entreprises, le mouvement associatif, en fonction des priorités que pourraient définir les autorités algériennes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

ÉDUCATION NATIONALE

    M. le président. La parole est à Mme Claude Darciaux, pour le groupe socialiste.
    Mme Claude Darciaux. Monsieur le Premier ministre, depuis plusieurs semaines, les personnels éducatifs sont en grève. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) L'éducation nationale traverse une crise majeure. Le malaise est profond.
    Vos propositions de réforme - retraites, décentralisation, suppression de postes, restrictions budgétaires et aujourd'hui autonomie des universités - sont à l'origine de cette mobilisation.
    M. Richard Mallié. Démagogues !
    Mme Claude Darciaux. Vous avez totalement négligé le volet négociations, méprisant ainsi les enseignants. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Charles Cova. C'est faux !
    M. Richard Mallié. Vous n'avez rien fait pendant cinq ans !
    Mme Claude Darciaux. Aujourd'hui, vous ne pouvez plus ignorer leurs revendications. L'école, ce n'est pas seulement des professeurs et des élèves dans les classes. Or vous avez cassé l'unité même des équipes pédagogiques. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Il est urgent que le Gouvernement adresse un signe fort à l'ensemble des personnels. C'est la seule manière de rétablir la confiance avec le monde enseignant, les parents et les élèves, et de ramener le plus vite possible la sérénité dans les établissements scolaires.
    Monsieur le Premier ministre, envisagez-vous de retirer votre projet de transfert des personnels contesté sur tous les fronts ? (« Non ! » sur de nombreux bancs du groupe Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jean Marsaudon. Vous êtes irresponsable !
    M. le président. Laissez le ministre répondre !
    Mme Claude Darciaux. Envisagez-vous de créer les conditions du dialogue et d'ouvrir une véritable négociation sur les problèmes spécifiques de l'éducation nationale ?
    Le président du groupe socialiste vous a solennellement demandé d'organiser un grand débat sur l'école. Comptez-vous prendre en compte cette demande ? (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Enfin, monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous dire si l'éducation restera nationale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des députés communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Madame la députée, comme vous le savez, Xavier Darcos et moi-même avons ouvert, il y a une dizaine de jours, une phase de consultation très large avec l'ensemble des partenaires sociaux. Et - ne vous en déplaise ! - cette consultation se déroule dans une atmosphère, certes conflictuelle, mais constructive. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Nous réunissons cet après-midi à Matignon un comité interministériel présidé par le Premier ministre avec une vingtaine de nos collègues autour de ce que vous appelez précisément le « malaise » dans l'éducation nationale. Ne nous faites pas croire - je tiens les chiffres des grèves depuis dix ans à votre disposition - que ce malaise est récent. Il est évidemment ancien. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - « C'est pire aujourd'hui ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    Les raisons en sont connues, et elles sont, quand on écoute les enseignants, claires. Elles sont de deux sortes.
    La première série de raisons est liée à l'hétérogénéité des classes, à la violence entre les élèves (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), aux incivilités et à ce qu'il faut bien appeler une baisse de niveau dans certaines disciplines, en particulier s'agissant de la maîtrise de la langue. C'est cela la réalité que vivent les enseignants et la fuite en avant vers la logique des moyens est une pure illusion. Il faut ouvrir, madame, le débat que vous appelez de vos voeux et c'est cela que nous proposons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jean-Yves Le Déaut. C'est faux !
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. La seconde série de raisons est non moins évidente.
    M. François Hollande. C'est Darcos !
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Les réformes, difficiles à faire, concernant la décentralisation, qui permet d'améliorer le service public (« Oh non ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste), et les retraites (Exclamations sur les mêmes bancs) ont été retardées par vous pendant des années par manque de courage et de détermination. (« Oui ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Il nous revient de les faire.
    Bien sûr, ce n'est pas facile, nous en avons conscience. Mais, sachez-le, nous ne nous déroberons pas ! (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Nous ouvrons la négociation.
    Mme Martine David. La preuve !
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Nous écouterons les enseignants, mais nous mènerons au bout ces réformes que vous n'avez pas faites. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

RÉFORMES

    M. le président. La parole est à M. François Sauvadet, pour le groupe Union pour la démocratie française.
    M. François Sauvadet. Monsieur le Premier ministre, le climat social est difficile et tendu. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Mme Martine David. C'est le moins que l'on puisse dire !
    M. François Sauvadet. Ne vous en réjouissez pas !
    Des manifestations et des grèves à répétition sont organisées aujourd'hui même ou annoncées pour la semaine prochaine. Ici même, des voix au groupe socialiste et au groupe des député-e-s communistes et républicains s'élèvent pour vous demander de retirer votre projet de réforme des retraites.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Oui !
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Non !
    M. François Sauvadet. Eh bien, au nom du groupe Union pour la démocratie française, monsieur le Premier ministre, je vous dis : tenez bon ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - « Hou ! Hou ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Tenez bon, monsieur le Premier ministre, parce que c'est l'intérêt même des futurs retraités !
    Tenez bon, parce que c'est l'intérêt du pays lui-même ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Mais, vous le savez aussi, monsieur le Premier ministre, le malaise est plus profond dans l'éducation nationale. Alors que vous vous apprêtez à tenir un comité interministériel sur ce sujet, je voudrais lancer un double appel. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    Le premier, pour vous demander...
    Mme Martine David. De retirer votre projet.
    M. François Sauvadet. ... de réaffirmer clairement que l'éducation doit être et doit rester une éducation...
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Nationale !
    M. François Sauvadet. ... nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Julien Dray. Ça, c'est un scoop. C'est constructif.
    M. François Sauvadet. Dans cet esprit, il faut rechercher les voies du dialogue sur la question de la décentralisation des TOSS, réforme qu'à dire vrai personne ne souhaitait vraiment et qui n'est pas au coeur des réformes attendues par les Français. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Le second appel s'adresse aux enseignants eux-mêmes, c'est un appel à la responsabilité.
    Vous le savez, nous sommes à quelques jours des examens, notamment du bac. Il faut que nos jeunes puissent passer leurs épreuves dans un climat de sérénité retrouvée. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jean-Marie Le Guen. Retirez le projet !
    M. François Sauvadet. Ma question est simple : quel message entendez-vous, monsieur le Premier ministre, adresser au pays pour sortir le plus rapidement possible de cette crise ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.
    M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Monsieur le député, il faut rappeler la logique de la décentralisation. Celle-ci n'est en aucun cas une logique de régionalisation. Il s'agit simplement de faire en sorte que le service public fonctionne mieux et qu'il soit davantage incarné.
    M. Alain Néri. Vous êtes désincarné !
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Il s'agit d'entrer dans une logique de renforcement du service public et en aucun cas dans une logique de privatisation de l'éducation nationale. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. André Chassaigne. Ce sont des paroles creuses.
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Il faut tordre le cou - soyez gentils, aidez-nous à le faire - à cette rumeur absurde selon laquelle on cesserait de revendiquer le caractère national de notre éducation nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    L'absurdité de la rumeur, je vous le dis parce que d'un point de vue anecdotique, c'est amusant, provient d'une circulaire du ministère. Pour éviter de prendre une nouvelle circulaire à chaque changement dans l'intitulé de la fonction ministérielle, et ces changements sont fréquents - il s'agit désormais du ministère de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche -, le juriste qui a rédigé la circulaire a employé la formule générique « le ministre en charge de l'éducation ». (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. C'est qui ?
    M. François Hollande. Même en maternelle, cette explication ne tiendrait pas.
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Le Président de la République a été, sur la question de l'exception culturelle, l'un des principaux artisans de la lutte contre une mondialisation sauvage et une privatisation des services, et nous pensons la même chose pour ce qui concerne l'éducation nationale. Elle a toujours été, elle est et restera nationale. Il n'y a aucune inquiétude à avoir sur ce sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

LUTTE CONTRE LE TERRORISME INTERNATIONAL

    M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet, pour le groupe UMP.
    M. Alain Joyandet. Monsieur le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, la semaine dernière, vous avez effectué un déplacement au Maghreb pour vous entretenir de la lutte contre le terrorisme avec vos homologues marocain, algérien et tunisien.
    Votre visite est intervenue au lendemain des attentats de Casablanca, qui ont fait quarante et un morts, dont trois Français. Huit personnes viennent récemment d'être interpellées dans la région de Lyon dans le cadre de l'enquête sur l'attentat de Djerba. Ces récents attentats illustrent la grande nécessité pour les Etats de travailler ensemble pour combattre le terrorisme.
    Monsieur le ministre, les échanges de vues que vous avez eus avec les responsables du Maroc, de la Tunisie et de l'Algérie vous ont-ils permis de constater une volonté commune de coopération contre le terrorisme ?
    Monsieur le ministre, les Français vous font confiance. (« Non !» sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Maxime Gremetz. Pas la majorité d'entre eux !
    M. Alain Joyandet. Ils apprécient votre détermination, votre juste fermeté et saluent vos résultats en matière de sécurité intérieure.
    Mme Martine David. Ça se dégrade !
    M. Alain Joyandet. S'agissant du terrorisme, pouvez-vous nous dire quelles seront les grandes lignes d'une coopération internationale renforcée ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je pense que l'on peut évoquer le sujet sans esprit de polémique (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), ne serait-ce que pour la mémoire des victimes, qu'elles soient françaises ou non et eu égard à la parfaite dignité avec laquelle l'ensemble des Marocains, en dépit des grandes difficultés auxquelles ils ont été confrontés, ont accueilli la nouvelle des attentats, qui fut pour eux un traumatisme .
    Et ce traumatisme ne fut pas simplement causé par l'attentat, les morts et les blessés, mais aussi par les méthodes, car jamais le Maroc n'avait connu d'actes de Kamikazes.
    Le traumatisme est réel pour tous les Marocains et pour tous ceux qui, parmi nous, connaissaient le Maroc et considéraient ce pays comme un havre de paix.
    La France a envoyé quatorze policiers de la police scientifique pour aider les Marocains à trouver les coupables. Les premiers éléments de l'enquête, rassemblés par les services marocains, ont permis de disposer d'indices concordants et nombreux, qui témoignent de la similarité de l'attentat de Casablanca et d'autres attentats commis par Al-Qaida. Les services marocains ont communiqué aux services français l'ensemble des renseignements disponibles et ont apporté leur collaboration totale et complète.
    Certains, à l'extérieur du Maroc - et nous avions été nombreux à trouver que c'était injuste - doutaient de la volonté du gouvernement marocain de lutter avec la même force contre le terrorisme. Or cette volonté est sans faille et elle se traduira par un besoin de collaboration non seulement avec des pays comme la France, mais également, ce qui est nouveau, avec des pays voisins du Maroc, dont l'histoire n'a pas toujours été facile - je pense à l'Algérie et à la Tunisie.
    L'objectif est d'essayer de créer en Méditerranée occidentale un espace de sécurité. C'est ce que nous avons essayé de faire à la faveur d'une collaboration complète et totale, qui ira au-delà des problèmes de terrorisme.
    Mon homologue marocain comme mes homologues tunisien et algérien ont également évoqué la question des filières d'immigration clandestine.
    Il y a une nouveauté : les pays du Maghreb ne sont plus seulement des pays d'émigration car ils accueillent désormais une immigration en provenance notamment d'Afrique noire. Ils nous ont été demandé notre collaboration ; une collaboration que la France est d'autant plus encline à leur donner que l'on n'assurera pas l'« étanchéité » des aéroports de Roissy, de Marseille et d'ailleurs si les aéroports d'Alger, de Tunis ou de Rabat ne sont pas gardés ou gérés dans les mêmes conditions.
    Cette collaboration est donc extrêmement utile. Nous en avons posé les bases et nous en attendons les meilleurs résultats. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française).

POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE

    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour le groupe UMP.
    M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, hier, vous avez rencontré vos homologues européens lors du Conseil des ministres de l'agriculture de l'Union européenne, à Bruxelles. Cette ultime réunion devait permettre d'engager les derniers pourparlers avant les négociations sur le projet de réforme à mi-parcours de la politique agricole commune, prévues le 11 juin prochain, à Luxembourg.
    Parallèlement à cette réunion, près de 20 000 agriculteurs français ont manifesté pour protester contre le projet du commissaire Franz Fischler sur la révision de la politique agricole commune. Découplage total des aides, versement des aides conditionné au respect de normes environnementales, dégressivité des aides à compter de 2007 : autant de propositions jugées inacceptables par les agriculteurs et par vous-même, monsieur le ministre.
    Le découplage des aides souhaité par M. Fischler, via un système de paiement unique, calculé en fonction d'une période de référence, figerait l'agriculture dans le passé. L'agriculture perdrait toute capacité d'adaptation lors des crises et les terres agricoles seraient soumises aux spéculations foncières.
    La Commission européenne doit se prononcer le 11 juin prochain sur le projet de réforme de la PAC. M. Fishler veut agir rapidement afin de défendre une position commune de l'Union européenne lors des négociations prévues en septembre sur la libéralisation des échanges dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce. Le respect d'un calendrier ne doit cependant pas être l'objectif de cette réforme.
    M. François Liberti. La question !
    M. Jean-Pierre Decool. Il s'agit au contraire d'assurer la survie de notre agriculture et de nos agriculteurs.
    Monsieur le ministre, ma question sera simple : quelle sera la position de la France lors des prochaines négociations sur la réforme de la politique agricole commune ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
    M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Monsieur le député, hier s'est tenu à Bruxelles un conseil des ministres de l'agriculture, mais celui-ci n'a pas été plus décisionnel que tous les autres qui se sont tenus depuis dix mois.
    Il y a dix mois, la Commission européenne a fait des propositions. Or les deux tiers des pays membres s'opposent à ses principales propositions. Aujourd'hui comme hier, la balle est dans le camp de la Commission, qui doit tenir compte de ce que pensent les Etats membres sur la réforme.
    Vous avez parlé du calendrier. Je vous répondrai qu'il n'y a pas de tyrannie du calendrier : il n'y a aucune obligation de conclure avant la fin du mois de juin...
    M. Bruno Le Roux. C'est comme pour les retraites !
    M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. ... surtout qu'il n'existe pas de lien juridique avec la négociation dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    François Loos et Pierre-André Wiltzer pourraient dire comme moi que la France a fait des propositions très importantes pour le développement des pays du Sud en matière agricole. Nous pensons que ce cycle de négociations sur le développement doit être engagé pour les pays du tiers monde, et que celui-ci ne doit pas être la chambre de compensation des intérêts commerciaux des grandes puissances.
    Que dire de la situation actuelle ? Depuis dix mois, je le répète, nous sommes fermes mais pas fermés. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. François Hollande. Nous aussi !
    M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Si nous sommes contre le découpage total des aides, contre la baisse du prix du blé et du lait, contre la dégressivité des aides, nous sommes pour une simplification de la PAC, nous sommes pour le développement rural et nous sommes pour la mise en place de mécanismes qui permettent, enfin, de gérer et de réguler les crises. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. François Hollande. Le beurre et l'argent du beurre !
    M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. De ce point de vue, la France n'est pas seule : nous ne sommes pas isolés puisque les deux tiers des Etats membres partagent notre vision des choses. Mais nous savons aussi que nous ne sommes pas seuls à décider à Bruxelles. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean Glavany. Ah bon ?
    M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Notre obsession est de tracer des perspectives durables pour les agriculteurs de France et d'Europe, ce que ne font pas les propositions de la Commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

RETRAITES

    M. le président. La parole est à M. Alain Néri, pour le groupe socialiste.
    M. Alain Néri. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
    Monsieur le Premier ministre, il y a un an, le programme de M. Chirac n'a reçu l'approbation que de 19 % des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Et celui de Jospin ?
    M. Alain Néri. Mesdames, messieurs, vous n'avez pas été élus sur un programme, mais par défaut, nos compatriotes se mobilisant pour dire non à l'extrême droite, non à l'aventure...
    M. Christian Cabal. Non à Jospin !
    M. Alain Néri. ... mais oui à la République !
    Par la manifestation de dimanche d'une ampleur exceptionnelle, et à nouveau par leur importante mobilisation aujourd'hui même, les Français viennent de vous rappeler durement à la réalité. (« Non ! Non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Ils dénoncent et condamnent votre politique économique et sociale, qui est un véritable abus de confiance. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Votre Gouvernement doit revoir sa copie sur les retraites.
    Il faut, monsieur le Premier ministre, engager les réformes. Soit ! Mais dans le cadre d'une véritable négociation avec les partenaires sociaux. (Exclamations sur les mêmes bancs.)
    M. Jean Marsaudon. Qu'avez-vous fait pendant cinq ans ?
    M. Alain Néri. Vous vous targuez d'engager un dialogue social, alors que vous ne pratiquez qu'un monologue de régression sociale ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Votre surdité, votre intransigeance et votre attitude méprisante...
    M. Richard Mallié. Parlez-nous plutôt du mépris de Jospin !
    M. Alain Néri. ... sont autant de provocations ! Vous n'avez pas votre pareil, monsieur le Premier ministre, pour exaspérer les salariés !
    D'ailleurs, pouvez-vous nous confirmer que vous avez osé déclarer à Québec : « C'est quand on ne travaillera plus le lendemain des jours de repos que la fatigue sera vaincue ? » Ces propos sont une honte, une provocation, une insulte pour le monde du travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Vous avez voulu opposer le public et le privé. Dimanche, vous avez même essayé de monter une contre-manifestation, d'ailleurs squelettique, à Paris. (« La question ! » sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    Vous voulez diviser pour régner, suivant ainsi une vieille tradition de la droite, et vous avez lamentablement échoué. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Monsieur Néri, voulez-vous poser votre question, s'il vous plaît ?
    M. Alain Néri. Respectez les travailleurs ! Ecoutez leurs syndicats qui, dans une attitude très responsable, vous appellent à l'ouverture de véritables négociations...
    M. le président. Monsieur Néri, quelle est votre question ?
    M. Alain Néri. ...pour défendre l'avenir des retraites et des retraites d'avenir.
    L'heure est grave. Prenez le temps de la négociation pour garantir la cohésion sociale du pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Claquements de pupitres.)
    M. Richard Mallié. La question !
    M. Alain Néri. Ma question sera courte et simple : quand allez-vous enfin retirer votre projet de régression sociale sur les retraites ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. On pourrait éviter les claquements de pupitres, qui ne font pas très bon effet à la télévision.
    La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Bernard Derosier. Raffarin, dégonflé !
    M. le président. Je vous en prie ! Ecoutons le ministre !
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur Néri, la majorité de cette assemblée est aussi légitime que celle qui l'a précédée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    Vous réclamez le retrait de notre projet. (« Oui ! oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.) C'est une position irresponsable, mais je reconnais qu'elle est cohérente avec l'inaction dont vous avez fait preuve pendant cinq ans. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Face à notre projet, les postures de congrès, les slogans, les tracts ne font pas un projet alternatif. Vous suggérez de multiplier les sources de financement pour les retraites (« Oui ! oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.) en oubliant que la seule source de financement importante que vous ayez mise en oeuvre pour alimenter le fonds de réserve pour les retraites, vous l'avez détournée pour financer les 35 heures ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Vous réclamez l'abrogation des dispositions Balladur avec lesquelles vous avez vécu cinq ans sans aucune gêne apparente.
    Surtout, vous refusez de prendre clairement parti sur la question de l'équité entre le secteur public et le secteur privé. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. François Liberti. Ecoutez ce que vous dit la rue !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je ne vous ai jamais entendu dire si vous étiez favorables à ce que l'ensemble des Français cotisent quarante annuités.
    M. Jean-Claude Lefort. Trente-sept ans et demie pour tous !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Or il faut aujourd'hui que vous le disiez !
    Monsieur Néri, il n'est jamais trop tard pour analyser avec honnêteté intellectuelle les avancées du projet de loi sur les retraites que nous proposons.
    M. François Hollande. Il n'est jamais trop tard pour retirer un projet !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il n'est jamais trop tard pour apprécier les avancées qui seront faites pour les petites retraites, lesquelles seront désormais garanties à 85 % du SMIC, pour l'intégration des primes de fonctionnaires dont vous avez parlé pendant des années et pour laquelle vous n'avez jamais rien fait...
    M. Richard Mallié. Comme d'habitude !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... ou pour la prise en compte de la pénibilité.
    S'agissant de la pénibilité, nous prenons l'engagement...
    M. François Hollande. Engagement de pacotille !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... que, dans les branches, des accords seront négociés dans les trois ans. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Je citerai encore la possibilité de départ anticipé pour les personnes ayant commencé de cotiser à quatorze, quinze ou seize ans - on est loin du temps où Mme Guigou refusait une proposition de loi du groupe communiste sur le sujet ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Mesdames, messieurs les députés, au-delà des polémiques, l'essentiel est qu'une révolution démographique est en marche. On ne l'arrêtera pas avec des arguments comme ceux que vous nous opposez !
    M. Julien Dray. Voilà la raison bien-pensante !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Comme l'écrivent ce soir dans le journal Le Monde des économistes à l'avis desquels vous attachiez du prix il y a encore quelque temps, « ceux qui agitent aujourd'hui le chiffon rouge en prétendant défendre les plus modestes prennent en réalité la responsabilité d'encourager le développement d'un système infiniment plus inégalitaire ». (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Les députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et plusieurs députés du groupe Union pour la démocratie française se lèvent et continuent d'applaudir. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Maxime Gremetz. Ça me rappelle Juppé !
    M. le président. M. Fillon est très sensible à vos applaudissements.

VILLES MOYENNES

    M. le président. La parole est à M. Michel Roumegoux, pour le groupe UMP.
    M. Michel Roumegoux. Monsieur le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, or « s'équiper pour ne pas courir le risque de devenir une région périphérique, voire marginalisée », telle est l'« ardente obligation » que vous avez très justement identifiée au sujet de la place de la France en Europe. A fortiori, quelle sera demain la place des régions mal desservies sur le territoire national ?
    L'aménagement du territoire national, on peut le subir ou décider de l'orienter et, chacun le sait, les infrastructures suscitent le développement. Les choix qui seront faits en la matière seront déterminants.
    A l'heure de la nécessaire décentralisation, faut-il continuer d'accélérer le développement concentrique des métropoles régionales qui n'ont besoin de personne et qui sont de véritables aspirateurs des campagnes voisines, campagnes qui seront au mieux de grandes banlieues dortoirs avec toutes les difficultés que l'on connaît : pollution, insécurité, allongement continu du trajet entre le domicile et le lieu de travail ?
    En offrant toujours plus d'infrastructures aux métropoles déjà bien desservies, on ne fait qu'accroître les concentrations d'activités et de populations.
    La logique d'une politique de transports ne peut se limiter aux seuls flux à grande vitesse, même si l'attractivité des territoires est largement conditionnée par leur qualité, en particulier de desserte. N'est-il pas temps d'imaginer une organisation en réseau régissant les échanges métropoles régionales-villes moyennes ?
    Je n'ai pas, contrairement à l'opposition, l'angélisme de penser que l'on peut financer le développement de tout le tissu interstitiel. Mais n'est-il pas temps de favoriser prioritairement le développement des villes moyennes, qui constituent sans doute aujourd'hui la dernière chance du monde rural et qui seraient ainsi les catalyseurs d'un nouvel aménagement du territoire plus équilibré et plus vivant ?
    M. le président. Posez votre question, monsieur Roumegoux !
    M. Michel Roumegoux. Monsieur le ministre, le Gouvernement a préconisé à plusieurs occasions l'expérimentation et l'évaluation des résultats. Etes-vous prêt, à ce titre, à faire bénéficier d'un effort d'équipement en infrastructures quelques villes moyennes tests, pôles émergeant de leurs potentialités intermodales, afin qu'elles atteignent la taille critique nécessaire pour constituer de nouveaux pôles d'équilibre, gages de développement durable ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.
    M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Monsieur le député, la question des dessertes entre les villes moyennes et les métropoles régionales est très importante. Elle a été peu abordée lors du débat qui s'est tenu ici même la semaine dernière, mais qui a abouti à certaines conclusions que je voudrais rappeler.
    Premièrement, la France est relativement bien équipée, mais si elle ralentissait son effort d'équipement, elle risquerait très vite, avec l'élargissement de l'Europe aux pays de l'Est, de ne plus jouer son rôle de coeur de l'Europe. (« C'est vrai ! » sur quelques bancs du groupe socialiste.) Il faut donc continuer d'équiper notre pays.
    Deuxièmement, il faut continuer d'équiper la France dans un esprit de développement durable, avec des équipements pérennes qui respectent évidemment la qualité du territoire que les infrastructures traversent.
    Troisièmement, il faut une ressource, et une ressource pérenne, de façon à éviter les à-coups.
    Quatrièmement, il faut trouver des montages financiers alliant, par exemple, le partenariat public-privé.
    Cela dit, les équipements nationaux et européens ne peuvent prendre leur sens que s'ils sont relayés par de bons équipements locaux et de proximité.
    Donc, je vous rejoins tout à fait quant à l'importance d'une desserte entre les métropoles régionales et les villes moyennes comme Cahors. D'ailleurs, l'autoroute A 20 et la modernisation du réseau ferré vous aideront à équiper ce réseau « interstitiel ».
    Quant à l'expérimentation, j'y suis bien entendu favorable dans le cadre de la décentralisation. Le CIADT d'hier a évoqué le rééquipement industriel de certaines régions et villes moyennes. Nous avons tout à gagner à adopter la même démarche pour les infrastructures. Dans les deux cas, c'est l'emploi qui gagne. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE

    M. le président. La parole est à M. Claude Gatignol, pour le groupe UMP.
    M. Claude Gatignol. Madame la ministre déléguée à l'industrie, le débat national sur l'énergie lancé le 18 mars avec une ferme volonté et un souci de transparence par le Premier ministre lui-même, a été clôturé en votre présence, à la Cité des sciences, ce samedi 24 mai. Cinq journées nationales se sont déroulées dans les régions, avec la participation des ministres de l'industrie, de la recherche, de l'environnement. De plus, une multitude de colloques se sont tenus ici ou là et ont permis de faciliter l'accès des citoyens à une information absolument nécessaire face à l'énorme déficit constaté dans ce domaine. C'était donc une bonne initiative du Gouvernement.
    Sur ce sujet essentiel pour l'avenir de la France, il est important de dire clairement quels sont les véritables enjeux, tant sur le plan national qu'international, en termes de coûts comme de technologies. La politique énergétique est de première importance, pour le citoyen comme pour l'entreprise, pour la compétitivité économique comme pour le respect écologique. Nous connaissons la nécessité d'un bouquet énergétique faisant appel à toutes les sources - carburants fossiles, énergies renouvelables, énergie nucléaire - que la France maîtrise de façon exemplaire. L'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques l'a confirmé il y a huit jours en publiant le rapport Birraux-Bataille.
    Madame la ministre, quelles conclusions êtes-vous en mesure de tirer dès maintenant de ce débat, et quel est le calendrier envisagé pour la discussion au Parlement - nous sommes, bien sûr, particulièrement intéressés - de la loi d'orientation énergétique qui sera suivie des décisions du Gouvernement sur la programmation pluriannuelle des grands investissements nécessaires pour les décennies à venir ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à l'industrie.
    Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie. Monsieur le député, vous avez évoqué le débat national sur les énergies qui vient en effet de se terminer et que j'avais lancé en mars dernier sous l'impulsion de M. le Premier ministre, à la fois pour informer les citoyens sur ce grand sujet de société et pour les associer aux grandes orientations énergétiques que nous serons appelés à prendre. Ce débat s'est déroulé...
    M. François Hollande. Dans l'indifférence générale ! Personne n'a rien su !
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. ... dans les meilleures conditions de qualité, d'ouverture et d'expression pluraliste. L'objectif que nous nous étions fixé de toucher le grand public a été atteint. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Par ailleurs, un réel consensus est intervenu sur les grands principes qui devront guider nos orientations : la compétitivité, l'indépendance nationale et le respect de l'environnement.
    Vous me demandez ce qui va se passer maintenant, monsieur le député. D'ici à quelques mois, très vraisemblement à l'automne, je tirerai les enseignements de ce débat et j'élaborerai un projet de loi en concertation avec toutes les organisations concernées. D'ores et déjà, je puis vous dire que ce projet de loi tiendra compte de la nécessité de relancer vigoureusement une politique de maîtrise des énergies, de la gravité du problème de l'effet de serre, de la nécessité de respecter les engagements que nous avons pris en la matière au niveau international et de diversifier le bouquet énergétique. Toutes les énergies renouvelables devront y trouver leur place, en complément indispensable de l'énergie nucléaire. Ce projet de loi sera soumis au conseil des ministres, puis à la représentation nationale, et je me félicite que de très nombreux élus aient d'ores et déjà pu participer à ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

POLITIQUE SCOLAIRE

    M. le président. La parole est à Mme Annick Lepetit, pour le groupe socialiste.
    Mme Annick Lepetit. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Il ne répond pas !
    Mme Annick Lepetit. Monsieur le Premier ministre, vous n'avez pas répondu à la question de ma collègue Claude Darciaux.
    M. Charles Cova. Cela n'appelait pas de réponse !
    M. Philippe Briand. Vous avez eu cinq ans pour agir !
    Mme Annick Lepetit. Vous n'avez pas répondu à notre demande d'un grand débat sur l'école à l'Assemblée nationale, comme vous ne répondez pas depuis six mois aux questions que nous vous posons sur l'éducation nationale.
    M. Lucien Degauchy. Les questions sont nulles !
    Mme Annick Lepetit. Monsieur le Premier ministre, vous ne répondez pas au malaise des enseignants, malaise alimenté par l'abandon de la priorité politique à l'éducation nationale - les baisses budgétaires sont alarmantes -, par la suppression des plans de recrutement des enseignants, ainsi que des surveillants et des aides-éducateurs. Aujourd'hui, vous annoncez sans concertation le transfert aux collectivités territoriales de plus de 110 000 agents.
    M. Guy Teissier et M. René Couanau. C'est faux !
    Mme Annick Lepetit. Comment voulez-vous, monsieur le Premier ministre, que tous ceux qui travaillent pour l'éducation nationale ne se sentent pas abandonnés par votre gouvernement ? (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Oui, il faut ramener la sérénité dans les établissements scolaires et, dans l'immédiat, ce ne peut être que par le retrait des dispositions de transfert des personnels. Monsieur le Premier ministre, tous ceux qui aiment vraiment l'école attendent votre réponse. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe des député-e-s communistes et indépendants.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire.
    M. André Vallini. Encore un fusible qui va sauter !
    M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire. Madame la députée, il est difficile de défendre l'idée que le Gouvernement ne se préoccupe pas des enseignants au moment même où il se prépare à réunir un comité interministériel, sous la présidence du Premier ministre, précisément pour répondre à leurs préoccupations, après que Luc Ferry et moi-même avons reçu l'ensemble des représentants des organisations syndicales pour préparer cette réunion.
    Mme Martine David. Paroles !
    M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. Il est également inexact de dire - je le signale par parenthèse, mais nous avons tellement de désinformation que l'on finit par s'y habituer - que nous recrutons moins que les années précédentes, puisque pour 27 000 départs prévus à la retraite cette année, nous avons pour l'instant 30 000 recrutements. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et répblicains.)
    M. Alain Néri. A qui ferez-vous croire cela ?
    M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. J'ajoute qu'il faut cesser de tenir un double langage ! Madame la députée, j'ai sous les yeux un texte qui explique que les départements doivent élaborer la carte scolaire, qu'il faudrait leur transférer les services médicaux et sociaux des collèges et des lycées actuellement gérés par l'Etat, que ce serait souhaitable parce qu'il y aurait ainsi une continuité dans la prise en charge des enfants et des adolescents, que cela favoriserait la synergie des services sociaux des départements polyvalents et spécialisés et que cela permettrait à ceux-ci de développer des actions de santé communautaires. Madame Lepetit, il s'agit d'un texte qui a été adopté par le conseil de Paris le 20 janvier dernier ! Si vos obligations d'élue nationale vous empêchent de connaître les textes que vous adoptez vous-même, je suis prêt à vous en donner le détail ! (Applaudissements et huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Enfin, présenter la décentralisation comme une privatisation, c'est faire injure à Gaston Defferre.
    M. Alain Néri. A M. Bayrou !
    M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. C'est faire injure aux socialistes et au rapport Mauroy ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous continuerons de faire ce que vous n'avez pas fait, parce que nous pensons que c'est l'intérêt général qui est en jeu ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Julien Dray. La question était meilleure que la réponse !
    Mme Martine David. Lamentable ! Baratin !

ACCUEIL
DES PERSONNES ÂGÉES DÉPENDANTES

    M. le président. La parole est à M. Daniel Garrigue, pour le groupe UMP.
    M. Daniel Garrigue. Monsieur le secrétaire d'Etat aux personnes âgées, l'allongement de la durée moyenne de la vie, même s'il s'accompagne de l'allongement de la durée moyenne de la vie valide, exige et exigera de plus en plus le développement des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes.
    Mme Martine David. Parlons-en !
    M. Daniel Garrigue. La réforme de la tarification de ces établissements, que l'on appelle plus couramment les EHPAD, s'inscrit dans cette perspective. Elle est liée à la mise en place de conventions intégrant une démarche de qualité et tendant à assurer une meilleure répartition des ressources entre les établissements. Comme beaucoup de mes collègues, je suis préoccupé par la mise en place de ces conventions, qui se heurte à des contraintes...
    M. Pascal Terrasse. Cela s'appelle des gels de crédits !
    M. Daniel Garrigue. ... liées notamment aux problèmes de financement et à la réduction du temps de travail. Nous voudrions savoir, monsieur le secrétaire d'Etat, comment vous envisagez d'accélérer cette réforme et de surmonter les contraintes auxquelles nous sommes aujourd'hui confrontés. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux personnes âgées.
    M. Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées. Monsieur le député, le constat est effectivement préoccupant : ...
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Ah oui !
    M. Maxime Gremetz. Très préoccupant !
    M. le secrétaire d'Etat aux personnes âgées. ... 10 000 établissements accueillent 600 000 personnes âgées dépendantes, 20 % de lits totalement inadaptés, 5 % d'établissements qu'il faudrait fermer, 40 000 lits à créer. Il faut donc assurer plus de médicalisation, plus de formation, améliorer la qualité et l'accueil.
    M. Jean-Marc Ayrault. Et l'APA ?
    M. le secrétaire d'Etat aux personnes âgées. L'APA, nous l'avons sauvée ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Martine David. Voyez ce qu'il en reste ! Quel travail de destruction !
    M. le secrétaire d'Etat aux personnes âgées. Je vous rappelle quelques chiffres : 330 conventions signées en 2000 et 2001 ; 1 200 conventions signées en 2002, dont 700 au cours du second semestre, quand nous sommes arrivés aux responsabilités. Malgré les difficultés actuelles, nous tiendrons l'objectif de 1 800 conventions signées en 2003,...
    M. Alain Néri. Et pour le moment, combien en avez-vous signé ?
    M. le secrétaire d'Etat aux personnes âgées. ... grâce aux 80 millions d'euros que nous avons dégagés à cet effet. Monsieur le député, dans notre pays, il y a une constante et une novation. La constante, c'est que certains, toujours les mêmes, sont dans l'illusion et la désinformation. La novation, c'est que le Gouvernement tient ses engagements ! - (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. François Hollande. Vous êtes constant à tous égards !
    M. Bernard Roman. Constant et consternant !

A 400 M

    M. le président. La parole est à M. René Galy-Dejean, pour le groupe UMP.
    M. René Galy-Dejean. Madame la ministre de la défense, nous gardons le souvenir qu'en 1999, lors des événements au Kosovo, les Européens, par manque de moyens de transport, avaient fait appel aux avions américaines. Pourtant l'Europe, consciente de ce déficit, a engagé, depuis plusieurs années, la réflexion sur un avion de transport militaire dans le cadre d'une politique européenne de défense commune. Un temps baptisé « avion de transport futur », aujourd'hui « A 400 M », ce programme a pris plus de sept ans de retard, pâtissant du retrait de certains pays de l'Union et des réductions de commandes d'autres pays. Le choix du moteur de l'appareil a également été source de difficultés. La question était : le premier avion militaire européen allait-il être doté d'un moteur américain ?
    M. Jacques Desallangre. Demandez à Bush, il vous donnera la réponse !
    M. René Galy-Dejean. L'Europe l'a cependant emporté, puisque le groupement composé de la SNECMA pour le France, de MTU pour l'Allemagne, de Rolls Royce pour la Grande-Bretagne et d'ITP pour l'Espagne a été choisi par le constructeur européen d'aéronautique et de défense EADS, maître d'oeuvre de l'avion. La semaine dernière, pour lever le dernier obstacle au lancement de l'A 400 M, le Bundestag devait approuver la commande de soixante appareils par l'Allemagne. Ce projet est le plus emblématique et le plus ambitieux en matière de défense européenne. La France souhaite ardemment sa réalisation. Madame la ministre, pouvez-vous nous informer des dernières décisions intervenues et nous préciser quelle importance revêt un tel projet ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre de la défense.
    Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Monsieur le député Galy-Dejean, ce matin même, le contrat A 400 M a été signé dans le cadre de l'organisme européen de coopération en matière d'armement. C'est une très bonne nouvelle, pour l'Europe de la défense. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Vous avez eu raison de rappeler qu'il y a quelques mois encore, quand je suis arrivée, on s'interrogeait beaucoup sur la réalisation de ce programme. Nous avons dû convaincre certains de nos partenaires, notamment les Allemands, de rester dans le projet malgré leurs difficultés financières, quitte à réduire leur participation. Le 21 mai dernier, le Bundestag a effectivement approuvé cette décision. Aujourd'hui, nous avons donc lancé la fabrication d'un avion de transport entièrement européen. Cela témoigne de la réalité de l'Europe de la défense. Sept pays s'engagent ainsi en commun à construire et à acquérir 180 avions et confient à l'Agence européenne OCCAR le soin de conduire le plus important programme en coopération jamais mené en Europe. A cette bonne nouvelle, s'en ajoute une autre, soutenue de longue date par la France, c'est le système de navigation par satellite Galileo. Voilà, en l'espace de vingt-quatre heures, deux belles avancées de l'Europe de la défense ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

SITUATION SCOLAIRE À LA RÉUNION

    M. le président. La parole est à Mme Huguette Bello, pour les non-inscrits.
    Mme Huguette Bello. Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    Je souhaite, à mon tour, faire entendre la voix de la communauté éducative, celle de la Réunion cette fois, particulièrement inquiète des différentes réformes annoncées. L'ampleur et surtout la durée des manifestations qui ont débuté, il y a maintenant plus de trois mois, traduisent à la fois l'attachement des Réunionnais à l'institution scolaire et leur crainte de voir ses fondements remis en cause. Ces sentiments trouvent un écho favorable auprès d'une large partie de la population, comme en témoigne le nombre de manifestants souvent supérieur à celui des personnels concernés. Dans une société grièvement blessée par le chômage où de nouvelles inégalités s'ajoutent à celles de la période coloniale, l'école de la République est sans doute le plus puissant antidote contre les déterminismes sociaux. Elle y demeure aussi le principal vecteur de promotion.
    Les difficultés et les échecs que doit affronter l'institution scolaire et que vous soulignez n'échappent à personne, mais la voie que vous voulez emprunter, loin d'y remédier, non seulement les aggravera, mais risque de renforcer les inégalités. C'est pour cela qu'il est temps de retrouver la sérénité nécessaire à une véritable concertation avec tous les personnels, y compris les aides-éducateurs. Il y va, à court terme, du bon déroulement des examens à venir auquel enseignants, parents d'élèves et candidats sont tous très attachés. Il y va, à plus long terme, de la portée du débat que vous souhaitez organiser sur l'avenir de l'école dans la République. Le Gouvernement ne cesse de répéter que la population ne comprend pas ce qu'il veut lui faire entendre. Etes-vous sûr, monsieur le ministre, d'avoir bien compris ce que veulent vous faire entendre la communauté éducative (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste) et l'ensemble de la population ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.
    M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Madame la députée, nous savons, vous et moi, que l'île de la Réunion connaît, en effet, depuis plusieurs semaines, des perturbations importantes qui, malheureusement, comme vous l'avez noté, menacent parfois réellement le bon déroulement des examens, comme ce fut le cas avant-hier pour ceux de la voie professionnelle.
    Dans l'île comme en métropole, il est totalement irresponsable de demander un report global des examens - il s'agit là non pas d'une critique personnelle, mais d'un constat : étant donné la complexité du calendrier, cela porterait gravement préjudice aux élèves qui ont notamment besoin de ces examens pour rechercher un emploi dès le mois de juillet ou pour entrer, plus tard, dans des formations d'enseignement supérieur. (« Retirez le projet de loi ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Voilà pourquoi j'ai demandé au recteur, M. Duverger, ainsi qu'aux autorités locales d'assurer la disponibilité des établissements scolaires. J'ai également demandé aux recteurs de prévoir des épreuves de remplacement que l'on puisse très rapidement proposer aux élèves dont les épreuves auraient été perturbées. Mais je tiens à redire, pour répondre à des propos que j'ai entendus récemment encore à la télévision dans la bouche de certains enseignants, que personne ne songe à remettre en cause ni le droit de grève ni le droit de manifester. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Christian Paul. C'est pourtant ce que vous faites !
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Ce qui est en cause, c'est le fait de prendre des élèves en otage. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste) et d'essayer d'obtenir, par un chantage intolérable, ce que l'on n'a pas réussi à obtenir par les urnes. Voilà ce que nous refusons ! Evidemment, nous ne l'accepterons pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.
    Je vais suspendre la séance jusqu'à dix-sept heures trente.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à seize heures, est reprise à dix-sept heures quarante, sous la présidence de Mme Paulette Guinchard-Kunstler.)

PRÉSIDENCE DE
Mme PAULETTE GUINCHARD-KUNSTLER,
vice-présidente

    Mme la présidente. La séance est reprise.

3

CONSULTATION DES ÉLECTEURS DE CORSE

Discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat
après déclaration d'urgence

    Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, organisant une consultation des électeurs de Corse sur la modification de l'organisation institutionnelle de la Corse (n°s 861, 870).
    La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, plus d'un quart de siècle - ce n'est pas rien - s'est écoulé sans que les problèmes de la Corse, surgis au grand jour, brutalement, dans une cave viticole à Aléria, aient pu trouver leur solution. Depuis vingt-huit ans, tous les gouvernements sans exception, quels que soient leur couleur politique, leur courage, leur intelligence, leur bonne volonté, ont échoué à trouver une solution à la question corse. Dire cela, ce n'est accabler personne, c'est regarder la réalité telle qu'elle est : la question corse est l'un des défis les plus complexes auxquels la République française se trouve confrontée.
    Aujourd'hui, le Gouvernement vient vous proposer de consulter les électeurs de Corse sur l'évolution institutionnelle de l'île. Nous n'avons pas la prétention d'apporter une solution clés en main aux problèmes de la Corse. Mais l'étape que vous propose le Gouvernement est importante. Cette consultation est en effet irremplaçable. Elle vaudra tous les tours de table qui ont pu se succéder dans l'histoire récente de la Corse, sans jamais pouvoir aboutir.
    Avec qui dialoguer ? : telle est l'une des premières questions auxquelles se trouvent confrontés tous les gouvernements au sujet du problème corse.
    M. Bernard Roman. C'est vrai !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Quels sont mes interlocuteurs ? Avec qui ai-je le droit d'ouvrir le dialogue ? Celui avec lequel je parle est-il un interlocuteur fiable ? Représente-t-il le sentiment des Corses ? Tous les gouvernements, quels qu'ils soient, commencent d'abord par échouer sur cette première question de la recherche des bons interlocuteurs.
    Le Gouvernement essaie aujourd'hui de trouver une réponse originale, utile, en proposant à la représentation nationale de solliciter les 190 000 électeurs de Corse, car leur légitimité ne suscite aucune interrogation.
    M. Pierre Hellier et M. Gérard Léonard. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Il me semble que, sur ce premier point, au moins, nous devrions tous ensemble parvenir à un consensus : les « bons interlocuteurs », ce sont les 190 000 électeurs de l'île. Leur avis aura un tout autre poids que celui de telle minorité, de tel groupe clandestin, de telle caste, ou de tel ou tel clan, qui font tant de mal à la Corse depuis si longtemps.
    M. Bernard Roman. On est d'accord là-dessus !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. On me dit : « Oh ! le Gouvernement prend des risques : il interroge le peuple. » Et alors ? Qu'est-ce que la démocratie sinon de se tourner vers le peuple quand il n'y a pas de solution évidente, pas de consensus ? Devons-nous, vous les élus, et moi qui l'ai été, avoir peur du peuple ? Se tourner vers lui pour lui demander ce qu'il pense, lui faire trancher un débat - la question institutionnelle - qui n'en finit pas d'empoisonner l'île depuis tant d'années, y a-t-il une solution plus démocratique, plus transparente, plus conforme à la légalité, et plus utile ?
    Pour une fois, on ne parlera pas au nom des Corses, on ne les prendra pas en otage. On se tourne seulement vers eux en leur demandant de prendre leurs responsabilités. Le Gouvernement leur tend la main en leur demandant : « Voulez-vous la saisir ? » Ils répondront oui ou non, mais ce sont eux, les Corses, qui se prononceront. Voilà une première originalité du projet que le Gouvernement vous propose. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    Croyez-le bien, et je m'adresse aux parlementaires de gauche, dans mon esprit, et je l'ai déjà prouvé dans le passé, ce n'est pas une question de gauche ou de droite.
    M. Gérard Léonard. Vous pouvez applaudir.
    M. René Dosière. Ce n'est pas le sujet, ni même le vote qui nous gêne, c'est la question posée.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je ne veux gêner personne, je suis entièrement tourné vers la recherche de la bonne solution à la question corse.
    M. Pierre Hellier. D'ailleurs, ils ont applaudi !
    Mme la présidente. Continuez, monsieur le ministre !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Merci, madame la présidente !
    M. Pierre Hellier. Ils sont terribles !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Non, pas du tout !
    Depuis vingt-huit ans donc, aucun gouvernement, malgré toutes les bonnes volontés, n'a pu trouver la ou les solutions.
    Après la question du bon interlocuteur, vient une deuxième question que je me suis posé, et toute personne de bonne volonté aurait fait de même à ma place : peut-on faire quelque chose ?
    M. René Dosière. Bonne question !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Elle mérite de l'être parce que nombreux sont ceux qui pensent que non. La stratégie doit-elle consister à s'installer en observateur des difficultés corses ?
    Fallait-il, par exemple, nous retrancher derrière les tout récents accords de Matignon pour mieux en dénoncer les limites ? Formidable ! Les critiques de Matignon sont les champions du monde de leur spécialité, mais que proposent-ils ?
    Fallait-il critiquer le statut actuel, en dénoncer les insuffisances - et elles existent - et en même temps s'abriter derrière la fatalité qui voudrait qu'en Corse aucune bonne solution n'existerait ?
    M. René Dosière. Très juste !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Faut-il se contenter de déclarer, comme je l'entends si souvent « sur le continent », comme on dit dans l'île : les Corses sont capables du meilleur comme du pire. Cela ne fait pas avancer le débat.
    M. Michel Delebarre. C'est vrai !
    M. René Dosière. Eh, oui !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Faut-il dire : « La Corse, oui, mais sans les Corses ! » Je n'accepte pas cette forme de racisme anti-Corses pour la raison simple que les Corses sont les premières victimes d'une situation qui, depuis vingt-huit ans, les dépasse et les accable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Bernard Roman. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. L'humeur anti-Corses, qui équivaut à une forme de racisme, c'est bon pour qui se contente de parler dans un dîner, non pour celui qui pose la question de la place et du statut définitif de la Corse dans la République.
    Dès lors, que peut-on faire pour résoudre les problèmes de la Corse ? Accepter de regarder les réalités en face. Pouvons-nous déjà nous mettre d'accord sur un diagnostic et répondre à la troisième question : la Corse mérite-t-elle un traitement particulier ou pas ?
    La réponse du Gouvernement est clairement : oui ! D'autres répondent que non, sous prétexte que reconnaître un statut particulier à la Corse reviendrait à la préparer à sortir de la République ! Raisonnement absurde s'il en est !
    M. Bruno Le Roux. Pourtant, on l'a entendu !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Vous savez, il est déjà suffisamment difficile de trouver un chemin cohérent pour la Corse. S'il faut, en plus, essayer de mettre tout le monde d'accord, la tâche devient carrément impossible !
    M. René Dosière. C'est même « mission impossible » !
    M. Bernard Roman. C'est vrai !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Pourquoi un traitement à part ? La Corse, et je ne cesserai de le répéter parce que c'est juste, vrai et équitable, connaît des handicaps comme aucune autre région de France.
    Son premier handicap, et le plus important, est d'être sous-peuplée : 260 000 habitants en tout ! Elle n'a donc rien à voir avec la Sardaigne, proche pourtant de neuf kilomètres et qui, elle, a un marché intérieur. La Corse n'en a pas. Avec cinquante-six employés, la Manufacture est le deuxième employeur de l'île. Telle est la réalité de cette région de France ! Et si on ne la regarde pas en face, autant dire qu'on ne veut pas régler les problèmes de la Corse dans la République.
    Deuxième handicap, la Corse est une montagne...
    M. Michel Bouvard. Parfait ! Merci, monsieur le ministre.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Mais à la différence de la vôtre, monsieur Bouvard, cette montagne est une île... (Sourires.)
    M. Bernard Roman. Entourée d'eau ! (Sourires.)
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ...éloignée du continent, de surcroît.
    Il me semble que, au-delà de ses atouts, ses handicaps que la Corse bénéficie d'un traitement particulier. C'est le troisième angle d'attaque du projet que vous présente le Gouvernement. Il n'y a, à mes yeux, aucune hésitation : la République, cela veut dire les mêmes droits pour tout le monde, mais ceux qui ont davantage de problèmes doivent être davantage aidés. Il n'existe d'ailleurs pas une seule île en Méditerranée qui ne soit dotée d'un statut spécifique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Que la question même de la spécificité du statut de l'île puisse se poser m'a toujours stupéfié : les autres ne se la posent pas, pourquoi devrions-nous nous la poser ?
    M. Michel Hunault. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. La situation est suffisamment complexe pour ne pas faire l'injure aux Corses de leur refuser ce que tous les autres pays méditerranéens ont donné à leurs îles.
    M. Marc Le Fur. Exactement.
    M. Bernard Roman et M. Bruno Le Roux. Très bien.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Là encore, c'est une forme de racisme anti-Corses ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    M. Camille de Rocca Serra. Exactement !
    M. Bruno Le Roux. Quelle évolution !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Quatrième question : pourquoi une réforme institutionnelle ? Faut-il parler des institutions ?
    M. Bernard Roman. La réponse est oui !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Pardon, madame la présidente, je suis troublé de voir que le groupe socialiste partage à ce point mes convictions. (Sourires.)
    Mme la présidente. Tout à fait. Il les précède même !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. J'en viens à douter. (Sourires.)
    M. Bruno Le Roux. Ça m'étonnerait !
    M. Bernard Roman. Il y a trois ans, vous étiez plus proche de nous que de vos amis !
    M. Pierre Hellier. Ça ne va pas durer !
    Mme la présidente. Poursuivez, monsieur le ministre. Ne vous laissez pas déstabiliser.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Mais c'est bien agréable, madame la présidente.
    Le sujet, très sérieux, mérite que l'Assemblée nationale le traite sans confrontation partisane et sans dramatisation, car nous sommes beaucoup plus écoutés dans l'île que nous le pensons. Tout ce que nous pouvons dire ici est reçu là-bas comme une blessure ou comme une chance avec un effet démultiplicateur. Donc, parlons-en à fond et pardonnez-moi de prendre le temps de répondre aux uns comme aux autres car j'attends beaucoup de ce débat.
    Alors, la réforme institutionnelle, est-ce un sujet ? D'aucuns répondent que non. Je peux comprendre une telle position de la part des clandestins dont la lâcheté les conduit à ne réfléchir qu'au travers du prisme de la violence, mais pas de celle des élus et des démocrates !
    L'institution ne permet-elle pas de décider de la façon dont les décisions collectives se prennent au sein de la République ? Or, force est de reconnaître, que depuis 1975, la Corse n'a pas trouvé un cadre institutionnel qui lui permette de résoudre ses problèmes. Le dire relève de l'évidence.
    La Corse, depuis cette date, voit les réformes partielles s'empiler, sans jamais qu'une cohérence d'ensemble ne soit recherchée. La preuve ? En 1975, la réponse à Aléria a été la création dez deux départements. Qui peut oser prétendre que la bidépartementalisation a apaisé les tensions sur l'île ?...
    M. Emile Zuccarelli. Elle a fait du bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... qu'elle a apporté des améliorations ?...
    M. Emile Zuccarelli. Mais si.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés. ... qu'elle est plus paisible, et que son appartenance à la République ne pose pas de problème ?
    Avant 1975, il n'y avait pas les deux départements et la Corse ne connaissait pas les problèmes qui ont surgi depuis. Convenons - et c'est le moins qu'on puisse faire - que la bidépartementalisation n'a permis de résoudre aucun des problèmes de la Corse.
    M. René Dosière. Pas plus qu'elle ne le ferait à la Réunion !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. D'ailleurs, à l'époque, la bidépartementalisation à laquelle s'était si violemment opposé le sénateur Nicolas Alfonsi, alors partisan d'un département unique, mais qui défend maintenant les deux départements, a été perçue comme une défiance à l'égard des Corses et de la Corse.
    Mais on ne s'arrête pas là. En 1982, on crée la collectivité territoriale de Corse avec des compétences étendues.
    M. René Dosière. C'est un progrès !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Incontestablement.
    Et, en 1991, on lui donne une organisation particulière. En 1999, on ouvre le débat sur la création d'une collectivité unique. Et en 2002 - je n'en fais le reproche à personne, mais c'est ainsi - on ne tranche pas le débat, puisque la loi de janvier 2002 se résume à un transfert de compétences, c'est une loi de décentralisation ; la réforme du statut est repoussée à 2004.
    M. René Dosière. A cause de la Constitution !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ce n'est pas une attaque, mais un constat.
    Bref, depuis 1975, on modifie, on corrige, on infléchit, on conduit les Corses dans une direction, mais sans jamais poser la question de l'architecture d'ensemble.
    Avec ce projet, le Gouvernement la pose pour la première fois. Sans doute était-ce impossible avant ? Sans doute les esprits n'étaient-ils pas prêts. D'ailleurs, une réforme constitutionnelle était au préalable nécessaire pour rendre ce changement possible.
    M. Jacques Barrot. Exact !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Cinquième question : qu'est-ce qui ne va pas en Corse ? Qu'est-ce qui frappe le plus l'observateur de bonne foi qui s'y rend ?
    Ma réponse qui est peut-être partielle, partiale même, c'est l'énorme besoin de cohérence de la Corse. Or, elle ne l'a pas. Personne en Corse n'est responsable de la stratégie d'ensemble et personne n'en a les moyens. La Corse est face à des problèmes considérables et personne ne commande la totalité des manettes pour mettre en oeuvre un projet de développement. Les responsabilités se chevauchent, empêchant quiconque d'exercer une responsabilité d'ensemble.
    Innombrables sont ceux qui, en Corse, ont suffisamment de pouvoir pour empêcher, contrecarrer, détruire et refuser. Le « non » en Corse se pratique à grande échelle, et avec conviction encore ! En revanche, se demander à quelles conditions accepter, pour quoi faire et pour aller où, c'est beaucoup plus rare. Le « non » est une posture qu'on affectionne : en fonction des problèmes du passé, des rivalités de demain, des intérêts d'aujourd'hui, il y a toujours une bonne raison pour refuser.
    M. Richard Cazenave. C'est tellement plus simple !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. On dit non à ses amis, on dit non à ses adversaires ... mais sans rien proposer. Strictement rien !
    M. Marc Le Fur. Il n'y a pas qu'en Corse !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Chacun a assez de pouvoir pour dire non mais personne n'en a suffisamment pour bâtir, pour construire, pour entraîner et pour proposer à la Corse un avenir. Voilà encore un problème. Et c'est donc un lieu de cohérence que nous proposons aujourd'hui (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.), un lieu qui permette aux Corses de désigner les responsables en bien comme en mal. La réforme devrait permettre de créer un lieu de cohérence.
    Sixième question : peut-on mener la réforme institutionnelle sans lancer en même temps les deux autres chantiers que sont le développement économique et le retour à la sécurité ? Je crois profondément que l'une des raisons de la complexité actuelle tient au fait qu'il faut mener les trois opérations de front.
    M. Jacques Barrot. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Un mot sur la sécurité. Penser, imaginer, rêver que le problème corse puisse se trouver résolu en doublant, triplant, voire en quintuplant les forces de police et de gendarmerie et que la réponse au malaise corse est uniquement une affaire policière, prouverait une méconnaissance totale de la réalité, de l'identité et de la tradition de l'île.
    M. Bruno Le Roux. C'est la même chose sur le continent !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Bien sûr, le problème de la paix et de la sécurité se pose. Mais on ne pourra pas résoudre le problème corse uniquement par ce biais.
    M. Bruno Le Roux. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Sur le nombre d'attentats commis, on est certes loin de ce qu'a connu la Corse dans les années 1980 ou 1990...
    M. René Dosière. Ils sont encore trop nombreux !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... mais ne nous livrons pas à des comparaisons sordides - j'ai en main tous les chiffres -, aucun d'entre nous ne pourrait présenter un bilan glorieux. De tels actes sont inadmissibles. Que peut-on faire ? J'ai acquis la conviction que la seule stratégie possible réside dans une action continue, régulière, qualitative et déterminée.
    Depuis un an, les services de police et de gendarmerie ont arrêté cinquante-six personnes pour des actes liés au terrorisme et au séparatisme. Je me refuse, pour les qualifier, à employer l'adjectif « politique » car, de mon point de vue, il s'agit de banditisme, de gangstérisme, mais en aucun cas de politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. René Dosière et M. Bruno Le Roux. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je crois trop à la politique pour me laisser aller à penser qu'enfiler une cagoule pour faire sauter ce qui a été payé avec l'argent du contribuable, et en particulier du contribuable corse, ait un quelconque rapport avec ce que nous faisons, les uns ou les autres, sur les bancs de l'Assemblée.
    Certaines de ces arrestations sont survenues après le démantèlement du groupe dit du « FLNC des anonymes », qui était à l'origine de vingt et une actions violentes revendiquées. A côté du gangstérisme séparatiste, il y a aussi le gangstérisme tout court : racketteurs, escrocs, voleurs, trafiquants de machines à sous, on l'a encore vu la semaine dernière. Depuis un an, vingt-trois personnes ont été écrouées.
    Qu'espèrent les séparatistes ? Ils nous tendent un piège absolument pervers : une bombe entraîne des réactions outrées, une condamnation publique violente de la part d'hommes politiques qui n'ont pas conscience que cette condamnation publique ne fait que légitimer une appartenance politique que, par ailleurs, je conteste.
    M. Jacques Barrot. Très juste !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Quand des braqueurs attaquent un fourgon de la Brink's, on ne va pas condamner politiquement ce qui relève du gangstérisme.
    M. Jacques Barrot. C'est vrai ! Très juste !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Quand, après que des braqueurs - qui peuvent être les mêmes, au fond - ont fait sauter une trésorerie, une banque ou simplement la maison d'un continental qui a parfaitement le droit d'en avoir une sur l'île, des hommes politiques leur font l'honneur d'aller au « 20 heures » pour les condamner, ces derniers ne se rendent pas compte que c'est ce que les poseurs de bombe attendent d'eux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Ils doivent recevoir comme seule condamnation celle de la justice et de la police.
    Mais bien sûr, ces prises de position permettent aux uns comme aux autres, sur l'île, de masquer le vide sidéral de leurs propositions en prétendant faire rempart de leur corps face à de tristes habitudes qui durent depuis des années et qui entretiennent les « pour » comme les « contre » dans un dialogue sinistre et inutile.
    Souvenons-nous aussi que l'assassinat du préfet Erignac a été condamné par 40 000 Corses (Applaudissements sur de nombreux bancs) qui sont descendus dans la rue pour protester contre cet acte ignoble, qui les a profondément choqués. Et je trouve particulièrement injuste l'assimilation de la violence à toute la Corse.
    M. Yves Bur. Tout à fait !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ces 40 000 Corses qui sont descendus dans la rue ont été bouleversés comme n'importe quel Français mais, en plus, ils se sont sentis humiliés par un acte profondément contraire à la tradition de l'île.
    M. Charles Cova. Tout à fait !
    M. René Dosière. C'est un assassinat lâche !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Et si j'ai simplement qualifié la tentative consternante de justification de ce lâche attentat, d'extrêmement choquante, c'est parce que, face à un tel degré d'indignité, surréagir aurait été donner du contenu à ce qui, à mes yeux, n'en a aucun.
    M. Paul Giacobbi et M. Simon Renucci. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Fallait-il ou non décaler la consultation du fait de l'ouverture prochaine du procès des assassins du préfet Erignac ? La question a été posée par un certain nombre et je la respecte. Elle est légitime. Je me la suis d'ailleurs moi-même posée. Pourquoi y ai-je répondu par la négative ? Parce qu'il me paraît difficile de justifier le report d'une consultation profondément politique...
    M. Michel Delebarre. Tout à fait !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... par le fait que des assassins de grand chemin, qui ne sont rien d'autre que des assassins de droit commun, vont être jugés devant une cour d'assises ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe socialiste.)
    Comprenez-moi bien, la question mérite d'être posée parce qu'elle va être utilisée, je le sais. La démocratie s'inclinerait parce que des assassins vont être jugés ! Imaginez le symbole que cela représenterait ! Dans quelle région pourrait-on voir une chose pareille ! Quels crimes mériteraient un tel honneur ? Je crois au contraire à la concomitance des rendez-vous : les assassins sont jugés, la démocratie s'exprime, étant bien entendu que vérité et justice ne seront rendus au préfet Erignac et à sa famille que le jour où Colonna subira le même sort que ses complices. (Applaudissement sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    De ce point de vue, il n'y a pas d'ambiguïté. La seule justification qu'il pourrait donner s'il prétend être innocent, c'est, comme tous les innocents, devant la justice de son pays. C'est à elle et elle seule de décider qui est innocent et qui est coupable. Voilà pourquoi le Gouvernement a proposé la date du 6 juillet.
    Le deuxième défi de la Corse, très difficile à relever, est celui du développement économique. La Corse a, bien sûr, besoin d'être aidée dans son développement, et nous avons rapidement agi dans deux directions.
    D'abord, nous avons financé le plan exceptionnel d'investissement prévu par le gouvernement de Lionel Jospin. Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a tenu scrupuleusement la parole de l'Etat en prenant tous les décrets d'application de la loi de janvier 2002 sans en modifier aucun, et en prévoyant les fonds nécessaires.
    M. Bernard Roman. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Pourquoi l'avons-nous fait ? D'abord, parce que je considérais que c'était un bon texte. Ensuite et surtout, mesdames, messieurs les députés, imaginez l'utilisation qui pourrait être faite en Corse d'un divorce entre nous sur une parole de l'Etat au prétexte qu'elle a été donnée par un gouvernement appartenant à un autre camp politique que l'actuel ! Vu de Corse, déjà accablée par l'insécurité et par les problèmes de sous-développement économique, ce serait ne pas être à la hauteur du rendez-vous que nous fixe la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Je me suis rendu ensuite à Bruxelles pour négocier le statut d'insularité parce que la Corse est trop riche pour être pauvre au regard des critères européens, et trop pauvre pour être riche. M'accompagnaient - et je les en remercie -, M. le ministre Zuccarelli, M. le président Paul Giacobbi, et les députés-maires Simon Renucci et Camille de Rocca Serra. La délégation comptait dix-huit membres et j'entends encore M. Romano Prodi, le président de la Commission, qui a eu la générosité de recevoir la Corse dans son ensemble, me dire : «Mais enfin, monsieur le ministre, pour parler de la Corse, faut-il donc que vous soyez vingt ! ». Il a fallu donner la parole à six ou sept interlocuteurs, et encore était-ce pour être sûr qu'ils diraient la même chose. Je n'avais pas eu le temps d'expliquer que la Corse, ce sont 260 000 habitants, plus de 300 communes, deux départements, une collectivité territoriale et qu'il n'y avait pas un seul endroit où l'on se voyait tous ensemble pour se mettre d'accord, tout simplement parce que nous n'étions d'accord sur rien, que nos responsabilités se chevauchaient et que nous étions incapables de construire un discours commun. Ne me faites pas dire, parce que ce serait injuste, que le problème venait des autonomistes. Ils ne se sont pas plus singularisés que les autres. De ce point de vue, il y avait autant de discours, autant de politiques différentes que d'élus présents. Parce qu'en Corse, il n'y a pas de cohérence.
    Le troisième chantier est celui de l'évolution institutionnelle. La décision d'une collectivité unique n'était pas acquise d'avance. Je le confesse bien volontiers, j'ai moi-même évolué sur le sujet. Je me suis beaucoup interrogé et - pourquoi ne pas le reconnaître ? -, j'ai beaucoup douté. J'ai d'abord pensé, avec le Premier ministre, qu'en venant de bonne foi sur l'île - six voyages, dont deux avec le Premier ministre -, nous serions en mesure de faire émerger un consensus. Force est de reconnaître que, de ce point de vue, l'échec fut complet. Non seulement il n'y a pas eu de consensus, mais il n'y avait même pas de majorité, même courte. Chacun avait non seulement son idée, mais aussi l'idée de ses intérêts. Ce n'est pas illégitime dans une région qui connaît le développement et qui n'a pas de problème de violence, mais cela devient catastrophique dans une région comme la Corse. Nous n'avons pas pu dégager de consensus. Nous nous sommes retrouvés avec deux grandes tendances : les partisans d'une collectivité unique, sous toutes ses formes, et les partisans du statu quo.
    Pourquoi suis-je devenu un partisan de la collectivité unique ? D'abord, parce que je refusais le statu quo. Ecoutez le raisonnement suivant parce qu'il me semble frappant : alors que tout va de mal en pis en Corse, j'en tirerais la conclusion qu'il convient de ne rien changer (Rires), de laisser l'île sans sécurité, sans développement, sans stratégie ! Parce que tout va mal - ce sur quoi tout le monde est d'accord -, je déciderais de ne rien toucher ! Le cadre qui est le nôtre aujourd'hui n'est peut-être pas le seul responsable du « tout va mal », mais il n'apporte aucune réponse aux problèmes auxquels se trouve confrontée la Corse. Immobilisme signifie statu quo. C'est ce qui se passera si les Corses répondent non. On me disait, il y a dix jours, que le « oui » l'emporterait aux deux tiers. Or, personne n'en savait rien. On me dit aujourd'hui que le « non » risque de l'emporter. Personne ne le sait davantage. Attendons les résultats du scrutin ! Une chose est sûre, c'est que si le « non » devait l'emporter, on resterait à la situation d'aujourd'hui. Tous ceux qui la dénoncent aujourd'hui prendraient donc la responsabilité de condamner la Corse à continuer à y être soumise.
    Le Gouvernement fait un autre choix. Il ne prétend pas qu'il permettra de résoudre tous les problèmes mais il permettra d'en résoudre au moins un : celui de l'identification des lieux de pouvoir.
    Où se trouvera le pouvoir en Corse ? Dans une collectivité unique. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela signifie une seule personnalité juridique, un seul lieu où on lève l'impôt et où l'on emploie du personnel - indépendamment des communes qui, bien sûr, restent ce qu'elles sont -, un lieu où on pourra enfin prendre des décisions d'ensemble, imaginer une stratégie de développement et poser les bases d'un avenir cohérent pour toute l'île.
    On me demande pourquoi je n'ai pas laissé la question ouverte en proposant aux Corses de choisir entre trois solutions : le statu quo, la collectivité unique, et une autre solution avec un peu de collectivité unique et un peu de statu quo. Nous ne l'avons pas voulu pour deux raisons.
    La première est qu'en posant trois questions en une on prenait le risque que 25 % des Corses s'expriment pour une solution, 37 % pour une autre, 18 % pour une troisième. Il aurait alors été reproché au Gouvernement de retenir un projet adopté par moins de 40 % des suffrages et tout était à recommencer. La consultation des Corses n'aurait servi à rien.
    La deuxième raison est que le Gouvernement aurait paru bien peu sûr de ses convictions en demandant au pays de choisir, lui-même étant incapable de le faire !
    Le Gouvernement a donc décidé de créer un endroit où les priorités et les stratégies se décident pour toute la Corse. Le coeur de ce projet, c'est la cohérence. Je prends l'exemple des deux milliards d'euros du programme d'investissement, pour les quinze ans qui viennent. Ne pensez-vous pas que cette somme considérable mérite d'être utilisée selon un plan de stratégie et de développement concerté ? Savez-vous que, quand le conseil général de Haute-Corse, dont le président est ici, établit une stratégie pour le département de Haute-Corse, il n'a aucun moyen juridique pour demander à son collègue du conseil général de Corse-du-Sud d'en établir une identique dans son département ? Savez-vous que, quand la réfection d'une route est décidée en Corse-du-Sud, il n'est pas certain qu'elle bénéficiera des mêmes travaux en Haute-Corse ? Qui peut imaginer que les deux milliards d'euros prévus sur quinze ans puissent être utilisés comme une pluie fine répartie entre plus de trois cents communes, deux départements et une collectivité territoriale responsables des mêmes sujets sans aucune obligation de coopération ? Une instance de concertation est bien prévue par un texte, mais elle ne s'est jamais réunie. Il faut savoir qu'en Corse, si un interlocuteur de bonne foi ou de bonne volonté ne vient pas de l'extérieur, on ne se réunit jamais et on ne parle jamais. Les élus de la Corse-du-Sud ne parlent jamais aux élus de la Haute-Corse. (Rires.) Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la Corse est, de toutes les régions, celle ou l'intercommunalité est la moins développée. Aucune des instances de concertations - et ce n'est faire injure à personne que de le dire - n'a jamais fonctionné, à quelque époque que ce soit.
    Maintenant qu'une consultation est prévue, on me met en garde contre le fait qu'on va s'en servir ! Mais pourquoi ne s'en est-on jamais servi avant ? Si le nouveau statut n'est pas adopté, les instances de coordination ne serviront à rien. Même au sein du conseil général, il est très difficile de mener une politique départementale, puisque celle-ci - c'est la tradition en Corse - est mise en oeuvre par chaque conseiller général dans son canton. Telle est la réalité !
    M. René Dosière. Il n'y a pas qu'en Corse, hélas !
    M. Emile Zuccarelli. Vous faites du Mérimée ! Ce n'est pas au niveau du débat !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. La comparaison me flatte : vous auriez pu en trouver de pire ! (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Vous le savez, je parle librement, monsieur le ministre Zuccarelli. Ayant été si peu associé à tous les échecs de la Corse, depuis tant d'années, je maintiens que vous les connaissez mieux que moi, pour les avoir vécus de plus près. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je vous fais remarquer qu'une addition de « non » ne fait pas un projet d'avenir, mais un immobilisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Je vous rends bien volontiers hommage, vous aviez la même position lorsque Jospin était Premier ministre. Moi, je dis oui à tous ceux qui essaient de faire quelque chose. D'autres disent non dès qu'on veut entreprendre quoi que ce soit. C'est une stratégie. La mienne, c'est d'essayer d'avancer. Je ne pense pas que le sur-place permette jamais d'agir.
    Venons-en aux problèmes à résoudre et aux obstacles à vaincre. La collectivité unique, c'est la suppression des départements.
    M. René Dosière. ... des conseils généraux !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Des conseils généraux, pardon. Là se trouvent toutes les difficultés. Et je rends hommage, d'ailleurs, au président Paul Giacobbi, qui a su s'élever bien au-delà de ses intérêts de président du conseil général de la Haute-Corse.
    On nous présente ces conseils généraux comme l'alpha et l'oméga de la démocratie, comme la sauvegarde de l'appartenance de la Corse à la République, mais sur cinquante-deux conseillers généraux en Corse on ne compte qu'une femme ! Une telle proportion donne-t-elle une bonne image de la République et est-elle conforme aux règles de la démocratie !
    M. René Dosière. Il n'y a pas qu'en Corse qu'on rencontre ce type de déséquilibre, monsieur le ministre !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'est vrai, mais, monsieur le député, la place des femmes dans la vie politique insulaire est un élément majeur de la compréhension et du recul de la violence sur cette île. Je suis persuadé que la réforme statutaire amènera demain, si les Corses le veulent et si vous le souhaitez, autant de femmes que d'hommes dans la classe politique insulaire, ce qui se traduira par un fort recul de la tradition de violence dans l'île.
    Mme Nadine Morano. Très bien !
    M. Bernard Roman. Exactement !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Cela méritait d'être dit ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Quand on m'explique que supprimer les départements revient à supprimer la République en Corse, je réponds non : la collectivité unique permettra au contraire l'arrivée à parité des femmes dans la vie politique insulaire ! Et cela compte fortement.
    M. Bernard Roman. Très bien !
    M. René Dosière. C'est l'application de la loi sur la parité, d'ailleurs !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. On peut également se demander pourquoi nous avons prévu des conseils territoriaux.
    Il y en aura deux : un pour la Haute-Corse, et un pour la Corse-du-Sud. Il n'auront pas de personnalité juridique. Ils ne lèveront pas l'impôt. Ils n'embaucheront pas le personnel, qui sera mis à disposition par la collectivité territoriale. Ils appliqueront une politique et une stratégie définies par la collectivité unique. Au nom du double principe de cohérence et de proximité, la collectivité unique définira une stratégie et les conseils territoriaux l'appliqueront. Ainsi, les critères d'attribution du RMI seront définis par la collectivité unique. Mais le RMI sera distribué par les conseils territoriaux.
    Nous proposons - et nous en débattrons - que ces conseils territoriaux aient trois sources de compétences. Certaines seront définies par la loi, c'est-à-dire par le Parlement, et constituent donc un socle minimal. D'autres seront propres à la collectivité et ne pourront être déléguées aux conseils territoriaux. Et, entre ces deux pôles de compétences, est introduit une certaine souplesse, la collectivité territoriale pouvant transférer des compétences supplémentaires aux conseils territoriaux.
    Autre matière à débat, Camille de Rocca Serra, les membres de la collectivité unique doivent-ils être les mêmes que ceux des conseils territoriaux ? Le Gouvernement est prêt à en discuter. Dans un premier projet, j'avais pensé qu'il était mieux que les membres de la collectivité unique soient également membres des conseils territoriaux.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles de la législation et de l'administration générale de la République. C'est mieux.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. D'aucuns préfèrent discuter de ce sujet. Alors discutons-en !
    Quant au mode de scrutin, c'est sans doute un sujet important,...
    M. René Dosière. C'est important !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... mais permettez-moi de vous dire qu'il n'est pas capital au regard de l'enjeu.
    M. Bernard Roman. Si on veut des femmes, il est essentiel !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Non, car, concernant le mode de scrutin, un certain nombre de choses ont déjà été tranchées.
    Sur la parité, un homme une femme en alternance, aucune négociation n'est possible. Quant à la proportionnelle, dans l'île, c'est une tradition et il n'y a aucune raison qu'on ne la garde pas. Il n'y a qu'une circonscription, la Corse, et personne d'ailleurs n'en a présenté plusieurs. La prime majoritaire existe, et, sur le principe, elle ne pose pas de problème.
    D'où viennent donc les problèmes et où sont les difficultés ? C'est que nous avons à concilier deux objectifs qui peuvent être contradictoires. D'abord, pourquoi créer une collectivité unique si on ne lui donne pas les moyens d'avoir une majorité ? Cela n'aurait pas de sens.
    M. Bernard Roman. D'où la prime !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. En effet ! Mais à quel niveau fixer cette prime ? Faut-il appliquer en Corse la même que sur le continent ou garder à l'île une spécificité ?
    Le deuxième objectif est d'assurer la représentation des minorités. Le sujet est loin d'être. Et je veux vous rendre attentifs à une question qui n'est pas que politicienne et qui concerne l'avenir de la Corse. Comment discuter en Corse, où on a tant besoin de le faire, si un certain nombre de minorités ne sont plus représentées dans des assemblées territoriales ? On me rétorquera que le problème se pose dans toutes les régions. Certes, mais avec davantage d'acuité en Corse où la violence sévit.
    M. Bruno Le Roux. C'est le contraire de ce que vous avez voulu faire il y a trois mois !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Restons sur la Corse...
    M. Gérard Léonard. Ils veulent faire diversion !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... le sujet est trop complexe pour y mêler d'autres dossiers !
    En toute bonne foi, il faudra arbitrer pour une prime qui permette de dégager une majorité tout en autorisant la représentation des minorités. Je l'ai dit à Camille de Rocca Serra comme à Paul Giacobbi : le Gouvernement n'a pris aucune décision ; le débat est ouvert et puisque je vais en Corse cette semaine je participerai aux travaux du conseil.
        En tout état de cause, nous devrons connaître les grandes lignes du mode de scrutin avant la consultation du 6 juillet.
    M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. C'est le minimum !
    M. Pascal Clément, président de la commission. C'est indispensable !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'est une nécessité démocratique pour que chacun puisse en tirer les conséquences pour son vote.
    Enfin, je veux dissiper quelques malentendus. Un préfet restera à Bastia, l'Etat sera toujours présent en Corse. Qui peut en douter ?
    M. Guy Geoffroy, rapporteur. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. A lire certains journaux, il n'y a pas plus sévère avec les Corses que les Corses qui ont quitté leur île ! Les seconds ne résistent jamais au plaisir de donner des leçons aux premiers, qui y vivent tous les jours, qui y mettent toutes leurs économies et qui se passeraient bien de ces leçons !
    Pourquoi, me direz-vous, ne pas demander aux Corses s'ils veulent rester français ? Parce que, pour le Gouvernement, la question ne se pose pas, pas plus qu'elle ne se posait hier et ne se posera demain. Simplement poser la question, c'est donner une importance considérable à l'infime minorité qui ne cesse de scander les mêmes balivernes ! Or la Corse est française ! Est-ce que j'éprouve le besoin, chaque fois que je me rends en Bourgogne, de déclarer : « Ici, je foule le sol de la France, de la République ? de l'Etat de droit ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Paul Giacobbi. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. A trop poser de questions qui ne se posent pas, on donne du crédit à des gens qui n'en ont pas. C'est se mettre en situation de recevoir des leçons, car, précisément, ceux qui posent la question de l'appartenance de la Corse à la République ne rêvent que d'une chose : que nous débattions d'un problème qui, pour les républicains de gauche comme de droite, ne se pose nullement ! Voilà pourquoi nous ne le faisons pas, car nous n'avons aucun doute, la Corse appartient à la France, la Corse est française et les Corses sont français, point final ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Jamais les « cagoulés » ne nous attireront sur un terrain qui est le leur mais pas le nôtre !
    Sans doute ai-je été trop long et ai-je fait preuve de trop de passion. On m'a souvent recommandé - amicalement - de ne pas m'engager dans le dossier corse. Il a vu passer tant de ministres qui ont tenté de le régler ! Ce n'est pas ma vision des choses. C'est justement parce que c'est difficile, voire impossible, qu'il faut se lancer ! Si nous ne faisons rien, l'échec est certain. Dans six mois ou dans un an, celui qui héritera du dossier corse se trouvera confronté aux mêmes problèmes. J'avais dit à l'époque que ceux auxquels se heurtait Jospin seraient les nôtres.
    M. René Dosière. Eh oui !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ceux du Gouvernement Raffarin seront ceux d'un autre gouvernement si nous n'avançons pas.
    Je ne suis pas venu vous dire que le projet du Gouvernement est l'alpha et l'oméga, que nous avons la vérité révélée. Mais je suis intimement convaincu que tout vaut mieux que l'immobilisme auquel la Corse est condamnée depuis trop longtemps !
    Mesdames, messieurs les députés, donnez le signal positif de ce mouvement vers l'avant, du rassemblement des forces politiques, de gauche comme de droite, à nos compatriotes de Corse. Je suis sûr qu'ils ne vous décevront pas, qu'ils répondront à l'appel de la République et qu'ils consentiront à leur tour un effort pour se rassembler. Au lieu d'attiser les divisions de la Corse, le Gouvernement vous propose de rassembler les Corses ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe socialiste.)
    Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Oui, monsieur le ministre, il y avait de la passion dans votre propos. Mais la Corse le mérite bien, comme toutes les îles de la Méditerranée que vous avez évoquées. Aucune d'entre elles n'échappe à cette règle : chacune a la sienne et elle est parfaitement spécifique.
    De la passion, il y en a eu aussi - le rapporteur ne peut le cacher - dans tous les débats de la commission sur ce sujet. Elle a fait apparaître des différences, voire des lignes de fracture, elle a également mis en lumière un élément fondamental sur lequel vous venez d'insister : la volonté profonde, inaliénable, et non négociable de l'ensemble des parlementaires français de dire, avec leurs collègues de Corse, que la Corse est bien la France - est bien dans la France - qu'il nous faut moins nous préoccuper de savoir s'il faut, avec ou sans statut, parler d'une Corse en dehors de la France, que permettre à ce territoire de France de surmonter, au moyen des évolutions que vous nous proposez, les difficultés réelles qu'il connaît, que vous avez rappelées et sur lesquelles je reviendrai.
    Il faut rappeler précisément l'objet du projet de loi. Il ne faut pas, en effet, se tromper de débat. Le débat important d'aujourd'hui est le précurseur d'un autre, qui sera essentiel : celui qui portera sur le statut. La tentation a été forte - et comment le reprocher à ceux qui l'ont éprouvée ? - d'anticiper sur le projet de loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse. Il est vrai qu'au travers de cette confusion - entretenue ou involontaire-  s'expriment nombre d'opinions qui ont toutes pour point commun la question de savoir si le texte de ce projet de loi - et, plus précisément, ce qui porte la question qui sera posée aux électeurs le 6 juillet prochain - doit être suffisamment précis pour engager déjà l'avenir, ou laisser ouvertes assez de possibilités pour que les travaux en cours dans les groupes de travail que vous avez mis en place, comme les réflexions qui devront s'ensuivre pour la préparation du statut, laissent la place à l'innovation et à l'écoute qui ont été votre méthode, et qui devront être poursuivies.
    Pour résumer l'état d'esprit du rapporteur de la commission des lois, je dirais - la formule vaut ce qu'elle vaut - que vous nous appelez à parler de l'avenir sans être obnubilés par le passé, mais sans rien en ignorer non plus. Car nous devons tirer profit de l'expérience pour tenter, avec l'humilité à laquelle vous nous avez invités, d'éviter de tomber une nouvelle fois dans les errements, les erreurs et les mauvaises appréciations qui, à partir d'un statut que l'on croit bon, aboutissent à des résultats inverses. En effet, on ne peut dénier aux auteurs de tous les projets qui ont été élaborés depuis 1975 - en 1982 puis 2002 - d'avoir eu la volonté de faire évoluer le statut et progresser le territoire de la Corse.
    Or, de progrès, la Corse en a bien besoin. Rappelons simplement trois chiffres. A l'heure actuelle, la Corse, c'est seulement 0,3 % du PIB national, un PIB par habitant inférieur de 21,5 % à la moyenne de notre pays, et un taux de chômage de 10,4 %, supérieur à celui que l'ensemble de notre pays, déjà fortement marqué par ce fléau, doit supporter.
    Face à cela, vous nous proposez un texte qui, vous l'avez dit, ne règle rien en lui-même, mais qui se projette dans l'avenir dans des conditions que nous n'avions jamais rencontrées. Certes, tous ceux qui, depuis plus de vingt-cinq ans, ont proposé des statuts pour la Corse l'ont probablement toujours fait avec sincérité, et en s'appuyant, comme vous le disiez au début de votre intervention, sur les partenaires et les interlocuteurs qu'ils pouvaient rencontrer. Mais pour la première fois, ce qui n'a pas été possible, bien qu'espéré, en 2002, va se produire : après avoir écouté tous les partenaires locaux - les élus, les acteurs du monde de l'entreprise et du monde associatif -, nous allons donner la parole aux Corses. Et ce parce que la révision constitutionnelle à laquelle nous nous sommes livrés il y a quelques semaines autorise, en toute clarté, ce que certains pensaient pouvoir faire grâce à une interprétation un peu audacieuse de notre loi fondamentale, au risque des retours de bâton du Conseil constitutionnel.
    M. Bruno Le Roux. Rappelons tout de même que les Corses votent à toutes les élections ! Ce n'est pas la première fois qu'on leur donne la parole !
    M. Guy Geoffroy, rapporteur. Il s'agit, au travers de ce texte, de mettre un terme à une bidépartementalisation née en 1975 qui n'a pas, c'est le moins que l'on puisse dire, donné des résultats particulièrement positifs.
    La Corse : 260 000 habitants, 360 communes, deux départements, une collectivité territoriale à statut particulier, un empilement d'offices qui voyaient, après leur création, évoluer leurs statuts et se modifier leurs tutelles. La Corse, donc, victime, bien malgré elle, d'un enchevêtrement complexe d'orientations et de mécanismes.
    Il faut tenter - et j'espère que nous réussirons - de mettre un terme à cette complexité et à cette illisibilité pour parvenir à l'unicité de décision pour l'ensemble du territoire de Corse. Il faut que la Corse trouve les moyens institutionnels de sortir de la crise sociale, mais surtout de la crise de développement, de la crise économique, qui la plonge dans des difficultés si considérables.
    L'ensemble des débats de la commision des lois, a fait apparaître deux séries de questions sur lesquelles, monsieur le ministre, je souhaite appeler l'attention du Gouvernement.
    La première a trait à la proximité. Parler d'une collectivité unique, donc d'une assemblée décisionnelle unique - l'Assemblée de Corse -, n'est-ce pas justement, malgré les conseils territoriaux, faire courir le risque à ce territoire de voir la décision s'éloigner de ceux qu'elle concerne, c'est-à-dire les Corses. Que devient dans le dispositif que vous nous proposez, que deviendra dans le statut que nous aurons à évoquer à l'automne prochain, cette nécessaire proximité à laquelle sont très attachés les Corses ?
    La deuxième série de questions - j'y reviendrai - porte sur la place et le rôle de l'Etat dans la Corse de demain.
    S'agissant encore de la proximité, les commissaires aux lois se sont longuement penchés, en s'éloignant parfois de cette préoccupation mais le débat était passionné, riche et intéressant, sur deux aspects particuliers de la question.
    Le mode de scrutin a suscité deux tentations tout aussi légitimes l'une que l'autre. D'abord, comme le Conseil constitutionnel nous y a obligés dans sa dernière décision, il faut impérativement faire respecter la parité et donc retenir le mode de scrutin choisi pour les élections régionales, à savoir un scrutin proportionnel qui, grâce à la prime majoritaire, permettra de dégager une majorité à l'Assemblée. Ainsi la Corse sera véritablement dirigée.
    Face à cette proposition somme toute louable, mais assez traditionnelle, une proposition diamétralement opposée conduirait à un scrutin de type mixte : la proportionnelle permettrait de représenter le maximum de composantes politiques de territoire, et le scrutin majoritaire de maintenir ou de resserrer le lien entre l'électeur et l'élu au sein d'un même territoire - nous en revenons à la proximité.
    La commission, après avoir longuement débattu, a préféré rester dans l'esprit de l'annexe et du projet de loi, à savoir laisser ouvertes les possibilités de dialogue et en rester au texte initial tel qu'il a été réécrit par nos collègues du Sénat, sans que le fond en soit changé.
    Tous les amendements proposés ont été repoussés par la commission. Ils viendront en discussion en séance, ce qui, sans nul doute, nous offrira l'occasion d'insister sur les intentions du Gouvernement et de rappeler que le débat n'est pas clos, que les groupes de travail sont en place, notamment celui sur les modes de scrutin. Il faudra, c'est la moindre des choses, qu'ils aient suffisamment progressé et - pourquoi pas - achevé leur tâche, avant la consultation afin que les électeurs de Corse, parfaitement informés, prennent leur décision en leur âme et conscience, et en parfaite connaissance de cause.
    La deuxième série de questions concerne la place de l'Etat. Sur ce sujet au moins, les quatre députés corses de l'Assemblée nationale sont bien d'accord. Les habitants et les élus de l'île tiennent à ce que, au fil de l'évolution, qu'elle soit souhaitée ou non, l'Etat reste présent, que les services publics, qui constituent incontestablement un atout pour le présent et l'avenir de la Corse, continuent d'exister sur le territoire dans les mêmes conditions, ou presque, qu'aujourd'hui. A ce propos, le dernier alinéa de la cinquième partie de l'annexe a suscité, en commission des lois, des échanges vifs et intéressants.
    M. Pascal Clément, président de la commission. Mais toujours courtois !
    M. Guy Geoffroy, rapporteur. Nous avons tenté - et je pense que, pour l'essentiel, nous y sommes parvenus - de sortir de la confusion, réelle ou feinte, dans laquelle certains ont voulu nous maintenir à propos de la disparition des départements. Disons-le clairement, la disparition des départements, en tant que collectivités territoriales dotées d'une assemblée décisionnaire, n'entraîne, ni, j'en suis sûr, dans l'esprit du Gouvernement, ni dans le texte de l'annexe qui exprime sa volonté, la disparition de l'Etat, là où il est et tel que nous le connaissons aujourd'hui.
    M. Pascal Clément, président de la commission. C'est vrai !
    M. Guy Geoffroy, rapporteur. La commission s'est demandé s'il était possible d'être plus précis dans le texte qui nous est soumis, et j'ai proposé à mes collègues, qui ont bien voulu suivre mon opinion, un amendement sur lequel, je l'espère, le Gouvernement se prononcera favorablement : il tend, non pas à révolutionner le sens de vos propositions, monsieur le ministre, mais à en clarifier et à en préciser le contenu, afin qu'il apparaisse clairement que la Corse aura un préfet à Ajaccio, chef-lieu de Corse, mais que le préfet de Haute-Corse et l'ensemble des services de l'Etat qu'il est aujourd'hui appelé à diriger seront maintenus demain, pour que l'Etat continue de représenter l'autorité républicaine et pour que la solidarité nationale ne cesse de s'exercer en Corse.
    Tel est, monsieur le ministre, l'essentiel de ce qu'il me semblait important de rapporter des débats de notre commission des lois ; ils ont été riches en émotion et en propositions, mais n'ont eu qu'un seul objectif profond : préparer l'avenir, surtout ne pas l'insulter, mais s'efforcer au contraire, en soutenant votre projet de loi, de permettre, grâce à la consultation du 6 juillet prochain, que les électeurs de Corse, à qui il revient de définir leur devenir, puissent le faire en toute connaissance de cause. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Question préalable

    Mme la présidente. J'ai reçu de M. Emile Zuccarelli une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est à M. Emile Zuccarelli.
    M. Emile Zuccarelli. Monsieur le ministre, vous avez évoqué la passion avec laquelle vous vous étiez saisi du problème de la Corse. Je ne saurais vous en faire le reproche, au contraire, mais je voudrais que mon expérience de la Corse et la durée de mes combats dans l'île ne rendent pas suspecte la passion que je vais mettre, à mon tour, dans mon intervention. Ferme partisan de notre démocratie représentative - mais j'évite d'emblée tout mauvais procès -, je n'en suis pas moins à l'aise pour dire que, sur les grands projets qui le concernent et qui représentent un enjeu majeur, la consultation directe du peuple est non seulement souhaitable, mais, à l'occasion, indispensable. La France - et donc la Corse, comme les autres régions - a souffert, dans ce domaine, d'un évident déficit de démocratie directe. J'avais, naguère, regretté que les Corses n'aient pas pu s'exprimer sur l'avenir qu'ils souhaitaient dans le cadre de ce que l'on a appelé le « processus de Matignon » et dont on a pu penser qu'il était confisqué par quelques élus.
    Réservé - je m'en suis expliqué - sur la réforme constitutionnelle proposée par le gouvernement Raffarin, je me suis toutefois réjoui qu'elle ouvre la possibilité de consultations locales sur diverses questions, et même sur les questions institutionnelles. Grâce à cette réforme, pour la première fois, les électeurs de Corse pourront s'exprimer sur l'organisation de leur région. Mais être favorable à une consultation locale ne signifie pas que l'on accepte que n'importe quelle question soit posée au peuple, et à n'importe quel moment. Et c'est bien pour cela, mes chers collègues, que j'entends défendre devant vous la question préalable.
    J'estime en effet que notre assemblée n'a pas à délibérer du projet qui nous est soumis par le Gouvernement, et ce pour au moins quatre raisons majeures.
    La première est que cette consultation est précipitée. Ce qui domine d'abord, dans votre démarche, monsieur le ministre, c'est bien la précipitation. Vous nous demandez d'examiner, en urgence, un projet de loi organisant la consultation des électeurs de Corse sur une modification des institutions de l'île. Mais vous avez déjà annoncé la date de la consultation - le 6 juillet - et la durée de la campagne officielle - deux semaines. En vérité, monsieur le ministre, vous êtes même déjà en campagne.
    C'est à croire qu'il n'y a rien de plus urgent, pour la Corse, que de modifier son organisation administrative.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'est vrai !
    M. Emile Zuccarelli. Face aux attentats, aux violences en tous genres, au sous-développement, le Gouvernement n'a qu'une réponse : supprimer les départements. Est-ce bien la priorité ? Ces malheureux sont-ils, à eux seuls, responsables des maux que subissent la Corse et ses habitants ? Qui le croit sérieusement ? Personne. Et même parmi ceux qui soutiennent votre démarche, monsieur le ministre, beaucoup ne le font pas parce qu'ils croient aux vertus intrinsèques du système administratif proposé, mais parce qu'ils lui supposent un effet calmant sur les violents. Ils se trompent, abusés qu'ils sont par la pression exercée par les indépendantistes.
    Ceux-ci veulent, en effet, faire disparaître une collectivité territoriale dans laquelle ils n'ont pas de représentants et qui constitue un obstacle majeur dans leur conquête du pouvoir. Si les conseils généraux étaient, comme l'Assemblée de Corse, élus à la proportionnelle ; si, de ce fait, ils y disposaient d'élus capables à l'occasion de faire et de défaire des majorités, je gage qu'ils n'auraient pas forcément soulevé le débat dans les mêmes conditions, et nous n'aurions peut-être pas aujourd'hui à examiner le projet que vous nous présentez. En outre, je l'ai dit - et c'est un aspect anecdotique -, le caractère républicain des départements, structure inventée par la Révolution, peut les agager.
    Ce projet paraît donc précipité, puisque aucun cadre global n'a encore été fixé pour la mise en oeuvre de cet aspect de la réforme constitutionnelle de mars dernier et que vous commencez à peine à soumettre au Parlement les lois organiques qui la déclinent, à l'image de celle que vous venez de transmettre au Sénat pour l'organisation des référendums locaux. N'aurions-nous pas pu attendre quelques semaines que le Parlement ait examiné un texte d'ensemble, applicable à tout le territoire et fixant le cadre général de l'organisation des consultations prévues à l'article 72 de la Constitution, pour délibérer ensuite sur l'opportunité de consulter les Corses et sur la question à leur poser ? Pourquoi cette précipitation du débat parlementaire à laquelle nous condamnent les conditions dans lesquelles le Gouvernement nous impose de délibérer ce soir ? Monsieur le ministre, vous avez dit tout à l'heure que cette question était importante, qu'il devait y avoir un vrai débat. Mais, alors que nos travaux devaient durer deux jours, vous n'avez pas hésité à inscrire à l'ordre du jour du Sénat la seconde lecture de ce projet de loi, dès la première séance de demain. Je peux le comprendre : vous voulez que ce texte soit adopté avant que vous ne vous rendiez en Corse, vendredi prochain, et, pour y parvenir, vous nous ferez délibérer toute la nuit, si nécessaire. Mais il me semble que, dans ces conditions, et s'agissant d'un texte de cette importance, la sérénité des travaux de notre assemblée n'est pas assurée.
    C'est aussi une consultation biaisée, qui ne respecte pas, monsieur le ministre, les engagements que vous avez pris à Ajaccio en octobre dernier. Tout à l'heure, ici même, vous avez confessé que vous aviez changé d'avis et que, au départ, vous doutiez. Je veux bien, mais vous nous avez expliqué que, à défaut de consensus entre les élus, vous donneriez aux Corses le choix entre les différents projets en débat, soit, d'une part, le projet de collectivité unique que vous défendez désormais, et, d'autre part, le maintien des départements, avec une clarification de leurs compétences respectives et de celles de la collectivité territoriale, ainsi qu'une amélioration de leur coordination, projet que, avec d'autres élus, je vous soumettais il y a plusieurs mois. Mais vous avez préféré trancher et vous avez choisi de ne pas laisser les Corses choisir. Rétrospectivement, il apparaît que votre décision était prise avant même le simulacre de débat que vous avez offert aux élus.
    J'ai eu de même l'occasion de dénoncer certains exercices un peu sommaires, qui entendent pourtant dresser un état des lieux. Je crois que se déroule en ce moment une inspection générale qui réalise un audit. Les décisions seront prises avant que l'audit ait rendu ses conclusions.
    Vous faites campagne pour le « oui » à votre projet. Vous utilisez les moyens à votre disposition, rompant avec la nécessaire équité qui devait être établie entre les partisans du « oui » et ceux du « non ». Vous multipliez les promesses : la plupart sont sans rapport avec le projet de collectivité unique, à l'image du règlement du dossier de la dette agricole, auquel je n'ai rien à objecter...
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Heureusement !
    M. Emile Zuccarelli. ... mais, s'il s'agit de convaincre les électeurs de voter votre texte, les promesses resteront-elles valables au cas où le « non » l'emporterait ? On peut se le demander.
    En fait, l'autre jour, à Ajaccio, vous avez dit : foin de collectivité unique, avec ou sans départements, avec ou sans conseils territoriaux, l'important est que, pour la première fois, 160 ou 180 000 Corses vont pouvoir choisir librement ; bien entendu, s'ils choisissent le « non », l'ardeur du Gouvernement ne sera pas ce qu'elle pourrait être pour soutenir les dossiers que je défends. Je vous l'accorde, monsieur le ministre, vous avez fait preuve d'une grande volonté dans la promotion de ces dossiers.
    Vous me faites penser à Henry Ford...
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ce n'est pas mal !
    M. Emile Zuccarelli. ... qui, au début du siècle dernier, voulait promouvoir sa nouvelle Ford T. Il expliquait à ses clients potentiels que, sur cette voiture moderne et innovante, ils pouvaient tout choisir, même la couleur, à condition que ce soit le noir. Vous appliquez la même méthode : les électeurs corses peuvent choisir librement entre le « oui » et le « non », à condition que ce soit le « oui ». (Rires.)
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Il a tout compris ! (Sourires.)
    M. Emile Zuccarelli. Oui, monsieur le ministre, j'ai mis du temps, mais j'ai compris. J'ai compris votre approche du problème, et j'avoue qu'elle me déçoit un peu, car je pensais que nous serions conviés à un vrai débat sur la Corse.
    Votre projet, monsieur le ministre - et c'est le deuxième motif qui me conduit à défendre la question préalable -, me paraît dangereux pour la Corse. Il s'agirait, selon le Gouvernement, d'approfondir la décentralisation. Mais la décentralisation, c'est la volonté de rapprocher les lieux de décision du citoyen. C'est bien dans cet esprit que le Premier ministre a voulu inscrire dans la Constitution le principe de subsidiarité. C'est dans cet esprit encore qu'à Rouen, le Premier ministre a déclaré : « On n'administre bien que de près. » C'est dans cet esprit enfin que le Gouvernement entend désigner le département comme le maillon, l'élément irremplaçable, de cette proximité tant vantée. Il prépare donc des textes qui vont augmenter de façon considérable les compétences des conseils généraux en matière d'aides aux communes, d'action sociale, de gestion des réseaux routiers ou d'adduction. Ainsi, ce qui serait bon partout ailleurs en France ne le serait pas en Corse ? Sous prétexte que la densité de population y est inférieure à celle des autres régions, on y aurait moins besoin de proximité ? Etrange logique qui voudrait que plus on est isolé, moins on a besoin de se rapprocher des centres de décision ! J'ose le dire : on a, en Corse, au moins autant, et sans doute plus qu'ailleurs, besoin de collectivités de proximité, ne serait-ce que parce que les zones rurales et les villages ont besoin d'interlocuteurs proches d'eux, de leurs préoccupations, des réalités du quotidien.
    On a également prétendu que la superficie de la Corse justifierait par sa faiblesse la suppression des départements. C'est un raisonnement un peu court. D'abord, la Corse n'est pas si petite que cela. Avec 8 700 kilomètres carrés, elle représente le tiers de la Belgique. Ensuite, une préfecture de département comme Bastia y est à deux heures et demie de la préfecture de région. Qui dit mieux ? Il faudrait, plutôt qu'en distance, raisonner en termes de temps de parcours. Au demeurant, est-ce bien la question ? La décantation volontariste des compétences qui caractérise l'esprit de la décentralisation s'analyse-t-elle avec une chaîne d'arpenteur ?
    La vérité, c'est que votre projet constitue l'inverse de la décentralisation : plutôt que de rapprocher les lieux de décision du citoyen, on les en éloigne. C'est une véritable politique de recentralisation régionale, visant à créer une collectivité unique hypertrophiée, que vous voulez imposer à la Corse.
    Il s'agit de réunir en un seul lieu, dans les mains d'un petit groupe d'hommes, les compétences considérables dévolues à la collectivité territoriale de Corse par les lois Defferre, le statut Joxe et la loi de janvier 2002, plus celles détenues actuellement par les conseils généraux et celles que, dans le cadre d'une nouvelle étape de la décentralisation, le Premier ministre entend conférer aux régions et aux départements. On assisterait, si l'on vous suivait, à une incroyable concentration du pouvoir, sans exemple dans notre histoire. Jamais, dans notre pays, on n'aura vu autant de compétences exercées au même endroit et par les mêmes personnes. Et, par ailleurs, je vois mal comment une collectivité territoriale qui n'a pas encore, en douze ans, totalement digéré les compétences du statut Joxe et a à peine effleuré celles de la loi de 2002, pourrait élégamment s'embarquer dans le train de 2004, sans parler des suivants. Je vous le dis, monsieur le ministre, on voudrait freiner l'oeuvre entreprise en Corse qu'on ne s'y prendrait pas autrement.
    Anticipant sur la suite de mon propos, je soulignerai que le parti pris constant qui consiste à essayer d'agir en Corse par l'institution pour échapper au reproche d'immobilisme qui a sous-tendu votre discours, est à rejeter. Certes, il y a des drogués de l'institution, mais l'institution est une tarte à la crème ! Tous les cinq ans, on met la Corse en demeure de changer d'institutions : ce sont deux ans de parlotte pour préparer le changement, puis deux ans de maux de tête pour tenter de mettre les textes en accord avec les décisions politiques, et enfin seulement un an de travail. Si en vingt-cinq ans nous n'avons pu travailler que cinq ans, ne vous étonnez pas que la Corse ait du mal à se développer. Un tel cycle est l'une des principales causes de son retard.
    Vous expliquez encore que la création d'une collectivité unique - et, en corollaire, la suppression des départements - permettra de mettre en place une politique d'aménagement et d'équipement cohérente, sur le mode « donnez-nous tous les pouvoirs et ça ira mieux ». Comme s'il suffisait de rassembler tous les pouvoirs pour que cela aille mieux ! Entre nous, si dans ma vie professionnelle antérieure, un responsable dont le service ne marchait pas bien était venu m'expliquer qu'en lui annexant le service voisin, tout irait mieux, il aurait eu les meilleures chances de perdre les deux.
    En quoi, par exemple, monsieur le ministre, les conseils généraux seraient-ils responsables de la non-définition d'un véritable schéma d'aménagement de la Corse, alors que cette mission avait été confiée dès 1982 à l'Assemblée de Corse par la loi Defferre, qui lui laissait douze mois pour définir ce schéma, puis renouvelée par le statut Joxe en 1991, qui lui laissait dix-huit mois pour le faire ? En quoi les départements ont-ils empêché que cela se fasse ? J'attends la réponse !
    En quoi les départements sont-ils responsables de la non-réalisation de la voie structurante de la plaine orientale prévue depuis plus de dix ans par la collectivité territoriale et dont le premier kilomètre n'a toujours pas été engagé ?
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ça prouve que ça marche bien !
    M. Christian Jeanjean. L'explication vous a été fournie tout à l'heure, monsieur Zuccarelli !
    M. Emile Zuccarelli. Ça prouve que vous vous trompez de cible et que les départements n'y sont absolument pour rien !
    Que veut-on ? Veut-on vraiment une Corse qui travaille concrètement sur des projets sérieux de développement portés à bout de bras malgré les difficultés rencontrées, assumés malgré ces difficultés, ou s'abriter en permanence derrière la recherche de médiocres alibis, de médiocres défausses ? C'est ainsi que la question doit être posée ?
    Ce projet est dangereux pour la Corse à plus d'un titre.
    D'abord, il est dangereux parce qu'il va encore renforcer les déséquilibres entre les micro-régions. Dans une île à la géographie tourmentée, où la préfecture de Haute-Corse, ainsi que je l'ai déjà indiqué, est à plus de deux heures et demie de route de la préfecture de région - du jamais vu ailleurs en France,...
    M. Jean Lassalle. Oh !
    M. Emile Zuccarelli. ... à part peut-être la liaison entre Pau et Bordeaux certains jours -, et où certains cantons se trouvent à plus de quatre heures de route d'Ajaccio, on voudrait concentrer tout le pouvoir. Ce n'est pas cohérent et pas raisonnable !
    Tout à l'heure, M. le rapporteur a pourfendu - à mon avis, en raison d'une méconnaissance profonde des choses - la bidépartementalisation de 1976. C'est vrai que Bastia et la Haute-Corse ont attendu près d'un siècle et demi une reconnaissance institutionnelle. Durant toute cette période, elles ont accumulé les handicaps, que nous ne surmontons qu'au prix de grands efforts depuis la bidépartementalisation de 1976, laquelle n'entendait absolument pas être une réponse à Aléria. Il s'agissait juste d'améliorer le fonctionnement de l'administration. Et l'on voudrait nous renvoyer tranquillement trente ans en arrière !
    Vous avez, d'ailleurs, tant conscience de l'effet d'affichage désastreux de votre projet que vous avez cru utile de créer, aux côtés de la collectivité unique, des « conseils territoriaux » dont le périmètre géographique serait calqué sur celui des départements actuels. Mais c'est un artifice, un mirage de proximité !
    En effet, ces entités, baptisées par certains des partisans de votre projet « commissions de la collectivité unique », n'auraient pas de personnalité juridique, pas de personne propre, pas de ressources, et j'en passe. On se demande à quoi de pareils ectoplasmes pourraient bien être utiles et si parler de compétences à leur propos a un sens.
    Cela n'empêche pas les tenants de ce dispositif de s'entre-déchirer, entre les partisans de compétences attribuées par la loi, ceux qui veulent, au contraire, que la loi ne leur définisse aucune compétence propre et ceux, enfin, qui voudraient même que la loi interdise à l'Assemblée de Corse de leur déléguer telle ou telle compétence.
    Et vous ne ferez rien, monsieur le ministre, pour abréger le combat. Vous déployez, en effet, des efforts admirables pour persuader ceux qui disent qu'ils ne veulent pas que « les départements, chassés par la porte, rentrent par la fenêtre » - je veux parler des nationalistes - qu'ils auront gain de cause, et, en même temps, vous voulez rassurer les tenants de la proximité. Aux premiers, vous dites : « Faites-nous confiance, les départements sont bien morts » ; aux autres, vous dites : « Regardez ce bel et très compétent appareil de proximité qu'on appelle les conseils territoriaux. »
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ce n'est pas vrai !
    M. Emile Zuccarelli. J'ai mon idée sur ceux qui seront trompés à la fin, mais je ne vous le dirai pas aujourd'hui.
    Quoi qu'il en soit, vous gagnez du temps en renvoyant ce débat vers un groupe de travail local sur les compétences. On ne sort, dit-on, de l'ambiguïté qu'à son détriment. J'imagine que vous chercherez donc à en sortir le plus tard possible.
    Troisièmement, il s'agit d'un projet flou.
    Plus globalement, le flou semble être le maître mot du projet ficelé - ou mal ficelé - que vous nous soumettez. Flou dans la répartition des compétences entre la collectivité unique et ses conseils territoriaux, on l'a vu. Flou aussi sur le mode de scrutin pour les élections territoriales.
    J'ai dit, et je confirme, que ce problème ne me paraît pas, en l'état, essentiel face aux autres enjeux de cette réforme. J'ai même trouvé un peu choquant que d'aucuns conditionnent leur soutien, non au fond de la réforme, mais aux modalités électorales qui leur permettront de conserver ou d'obtenir plus ou moins d'élus dans la future Assemblée de Corse, de sauver un nombre plus ou moins grand de leurs amis. Mais puisque le débat a été lancé, les citoyens doivent se prononcer en connaissance de cause.
    Si le Conseil constitutionnel, confortant en cela les arguments développés au Sénat par notre collègue Nicolas Alfonsi, dans le cadre du débat sur la réforme des modes de scrutin régionaux et européens, vous a imposé l'application de la stricte alternance homme/femme aux élections territoriales en Corse, comme aux régionales dans les autres régions françaises - qu'il y ait ou non, d'ailleurs, collectivité unique -, il est apparu clairement que, sur les autres questions, vous restiez délibérément imprécis, sans doute pour laisser croire aux uns et aux autres qu'ils pourraient s'y retrouver.
    Evoquer la question de la parité me donne l'occasion de dénoncer la manie de la spécificité statutaire, mais force est de constater que sans un texte spécifique, la Corse échapperait à la parité, puisqu'on l'a placée hors du cadre des modes de scrutin ordinaires. Or, monsieur le ministre, je vous le dis, je suis moi aussi, très attaché à ce que la parité devienne réalité.
    M. Christian Jeanjean. C'est bien !
    M. Emile Zuccarelli. Plus généralement, je pense que, en matière électorale, toutes les bonnes choses que nous pouvons avoir dans notre pays de France doivent être appliquées intégralement en Corse. Or, tel n'était pas le cas, par exemple, des seuils électoraux - et, en disant cela, je m'adresse plus particulièrement aux députés qui siègent sur les bancs de la droite, car je sais qu'il s'agit d'une question qui a donné lieu à de fortes controverses au sein de la majorité. En effet, c'est en Corse, c'est-à-dire dans la région la plus petite avec le corps électoral le plus faible, qu'il y avait les seuils de qualification les plus bas en pourcentage du corps électoral.
    Je voudrais également m'arrêter un moment sur un exemple plus grave de l'imprécision de votre texte : il s'agit de l'organisation des services de l'Etat en Corse en cas de mise en oeuvre de la collectivité unique. Et M. le rapporteur, qui a opportunément évoqué cette question, me rejoint au moins pour dire que, sur ce point, le texte n'est pas satisfaisant. Il propose de l'amender, ce qui prouve donc qu'il n'était pas bon en l'état.
    M. Guy Geoffroy, rapporteur. C'est pour qu'il soit encore meilleur !
    M. Emile Zuccarelli. Soit ! Mais jusqu'alors, on nous avait expliqué que, s'agissant des services de l'Etat, le dispositif prévu ne changerait rien à la situation actuelle. Le préfet de la région, c'est bien normal, s'est employé à le répéter.
    Pourtant, mercredi dernier, lors de la réunion de la commission des lois de notre assemblée, son président et son rapporteur - et je parle sous leur contrôle - nous ont expliqué le contraire. Répondant à mes interrogations répétées - qui étaient dues au fait, non que je ne comprenais pas ce que l'on me disait, mais que je voulais faire répéter plusieurs fois les choses -, le président et le rapporteur m'ont affirmé que l'organisation administrative de l'Etat en Corse serait adaptée à la situation nouvelle et que les circonscriptions administratives, qui emprunteraient demain les limites actuelles de la Haute-Corse et la Corse-du-Sud, ne seraient plus des départements au sens administratif du terme.
    M. Guy Geoffroy. rapporteur. Nous avons dit l'inverse !
    M. Emile Zuccarelli. On peut imaginer les conséquences que cela aura sur les services publics, la structure administrative départementale et les emplois. Je développerai plus longuement cet aspect des choses à l'occasion de l'examen de l'amendement de la commission, sur lequel j'ai déposé un sous-amendement.
    Le moins que l'on puisse dire, c'est que le texte de l'annexe est extrêmement flou ; tellement flou que deux lectures sont possibles avec la même bonne foi. Et, selon moi, l'amendement proposé par notre rapporteur ne permet pas de régler le problème.
    Quatrièmement, le projet du Gouvernement est d'abord politique.
    Néfaste pour la proximité et pour l'équilibre territorial, le projet l'est encore du fait de l'incroyable concentration des pouvoirs qu'il entraînerait dans une région placée en permanence sous la pression de la violence et du racket. Au moins les mafieux n'auront-ils désormais plus à se préoccuper que d'un seul lieu de pouvoir !
    En outre, aucune démonstration n'a été apportée en termes d'efficacité de fonctionnement. Affirmer que cela fonctionnera mieux n'est pas suffisant.
    Et le flou règne encore sur d'autres points importants.
    Cette situation conduit d'ailleurs nombre de ceux qui, notamment dans votre propre majorité, sont censés soutenir votre réforme à émettre, en privé, de fortes réserves sur sa pertinence.
    On peut dès lors s'interroger, monsieur le ministre, sur les motifs qui vous conduisent à vouloir l'imposer malgré tout et à vous impliquer personnellement dans son adoption.
    La réponse est simple. Je vous le dis comme je le sens. Comme nombre de vos prédécesseurs, vous vous êtes laissé convaincre qu'il fallait apporter une réponse institutionnelle à la violence.
    Entendons-nous bien, je vous sais assez de détermination pour conduire fermement la traque des criminels qui défigurent la Corse. Toutefois, un ministre de l'intérieur ne se cantonne pas volontiers à un rôle répressif, et vous avez voulu, selon vos propres termes, apporter des réponses « politiques ». Mais des réponses à quelles questions ? C'est bien la question. Et il n'y pas de réponse !
    Ce qui est certain, c'est que votre démarche, si elle aboutissait, apparaîtrait, aux yeux de la population, comme un succès des nationalistes, que l'on prétendrait désarmer en donnant satisfaction à une de leurs revendications très constantes. Je ne dis pas que telle est votre intention, mais ce serait celle que l'on vous prêterait.
    Bien sûr, je sens votre agacement. Mais à ceux qui, lors de la première lecture de ce texte au Sénat, ont soulevé les mèmes questions que moi en ce moment, vous n'avez opposé que colère, mépris, voire mise en cause personnelle. Au point qu'une telle attitude a choqué certains collègues de la Haute Assemblée, et bien au-delà des bancs des groupes concernés.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Vous n'avez pas vu grand-chose, alors !
    M. Emile Zuccarelli. Et pourtant, dès janvier 2001 je vous reconnais une certaine constance, monsieur le ministre,...
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ah !
    M. Emile Zuccarelli. ... vous écriviez dans votre ouvrage qui a pour titre Libre : « Il n'y a pas d'autre voie possible que celle du règlement politique » et, plus loin - vous voyez que j'ai de saines lectures -, comparant, sous certains aspects, la situation en Corse à celle de l'Irlande du Nord, voire de la Palestine, vous ajoutiez : « C'est toujours avec les ennemis d'hier qu'on fait la paix. »
    Or, dans une démocratie, de qui donc le ministre de l'intérieur peut-il se sentir l'ennemi, sinon des poseurs de bombes et des assassins ? Vous me le confirmerez, mais je n'ai aucun doute à ce propos.
    La démarche que vous engagez, monsieur le ministre, n'est donc pas, quoi que vous en disiez, une démarche de rationalisation administrative. Vous ne pouvez pas nous vendre cela ! C'est d'abord une démarche politique en direction des nationalistes. Et encore allez-vous dans cette voie plus loin que vos prédécesseurs.
    Ainsi, le processus de Matignon prévoyait-il, pour sa seconde phase - celle de la mise en oeuvre des réformes institutionnelles à partir de 2004 -, deux conditions : l'accord des pouvoirs publics en fonctions à cette date et le retour durable à la paix civile.
    Or, sans même attendre cette échéance, vous avez décidé de vous engager dans la voie de la réforme institutionnelle en renonçant au préalable de l'arrêt de la violence.
    Vous nous avez expliqué que vous n'entendiez pas conditionner votre action au dernier fou qui, dans le plus petit village, continuerait à faire sauter un pain de plastic. Soit ! Toutefois, cette argumentation, un peu simpliste, ne vous ressemble guère. En effet, vous savez fort bien que nous parlons non de cette violence-là, résiduelle, mais de la violence structurée, organisée, celle du terrorisme, de la dérive mafieuse, du racket systématique. Nous parlons de ces organisations capables, au vu et au su de tous, de réunir en plein jour, comme ce fut le cas la semaine dernière, une conférence de presse, rassemblant des hommes cagoulés et armés, pour revendiquer des attentats contre des cibles publiques ou privées. Nous parlons de ces organisations qui, plus que jamais, sévissent dans l'île.
    Vous ne respectez même pas le critère minimal que vous aviez fixé en janvier 2001 dans votre livre précité, où vous déclariez : « Il me semble nécessaire d'exiger de ceux avec lesquels on discute qu'ils se désolidarisent des actes de violence. » Eh oui !
    Cela rejoint ce que j'avais dit, en d'autres temps, à d'autres gouvernements : on ne peut pas attendre que le dernier idiot ait posé la dernière bombe, mais on peut tout de même exiger d'interlocuteurs élus démocratiquement qu'ils condamnent la violence !
    Que je sache, cette condition minimaliste et préalable n'a pas été posée à M. Talamoni et à M. Quastana, que vous avez reçus en tête-à-tête, il y a quelques semaines, au ministère de l'intérieur.
    Vous avez, au Sénat, comparé les chiffres des attentats de 1982, de 1995 et de 2002 pour tenter de démontrer une décroissance des actes de violence sur les vingt dernières années. Vous avez, encore une fois, choisi - ce qui ne vous ressemble pas - la facilité en occultant les années de rechute. Et 2003 est, hélas, bien partie pour être une année de rechute, avec plus de 120 attentats en quatre mois !
    Vous nous avez aussi expliqué que cette quatrième réforme institutionnelle - je ne parle pas des réformes avortées mais qui ont occupé l'esprit et nous ont « bouffé » du temps - mettrait un terme aux évolutions en ce domaine. Ceux qui vous soutiennent ont surenchéri en affirmant qu'il n'y aurait plus de réforme d'ici à vingt-cinq ans pour les uns, à trente ans pour les autres.
    Là encore, ceux à qui votre projet est censé plaire, ceux qui réclament depuis longtemps la suppression des conseils généraux, rempart contre leur tentative de conquête de pouvoirs, vous ont déjà répondu. Une fois n'est pas coutume, car cela ne fait pas partie de mes références préférées, je cite « Indipendenza », une vitrine légale : « Nous tenons à répondre à Nicolas Sarkozy qui a avancé qu'à la suite du référendum la question institutionnelle serait réglée pour vingt ans. Personne ne pourra empêcher le peuple corse et le mouvement national en particulier de revendiquer une nouvelle avancée institutionnelle. En ce qui nous concerne, nous le disons clairement, afin qu'il n'y ait aucune mauvaise surprise le moment venu : dès le lendemain du référendum, nous poursuivrons nos efforts pour convaincre un nombre toujours croissant de nous rejoindre dans la lutte pour la souveraineté pleine et entière, l'indépendance nationale ». Fermez le ban !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Où est l'accord ? Il n'y en a pas ! D'où la contradiction !
    M. Emile Zuccarelli. Voilà une réponse que vous n'attendiez peut-être pas ! On sait ce que cela signifie de cortèges de surenchères, de violences et de menaces.
    L'expérience de vos prédécesseurs l'a montré : on ne résout pas les problèmes de la Corse, je ne cesserai de le répéter, par les évolutions institutionnelles. A chaque fois, c'est un échec.
    Vous avez expliqué tout à l'heure que toutes les îles de la Méditerranée avaient un statut particulier et qu'il n'y avait pas de raison pour qu'il en aille différemment en Corse. Cette idée a vraiment la vie dure ! Outre que nous avons déjà un statut particulier, pourquoi faudrait-il tout le temps s'en chercher un plus particulier que celui de la veille ! C'est une course sans fin ! A ce propos, je me souviens d'une conversation avec un personnage que j'ai beaucoup admiré, le Président François Mitterrand. Alors qu'il me tenait ce genre de propos, je lui ai demandé quelle île de Méditerranée avec un statut particulier il me donnait à envier ? Est-ce la Sicile « mafiosée » ? Les Baléares « baléarisées » ? Il m'a répondu : « Arrêtez ! Je ne vous proposerai pas non plus Chypre ! » J'espère que, quand on évoque ce modèle merveilleux des îles de la Méditerranée qui ont toutes un statut particulier, on ne pense pas aux exemples que je viens de citer ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean Lassalle. Bravo !
    M. Emile Zuccarelli. Cinquième raison : vous posez une question inadaptée.
    Dans un récent sondage réalisé dans l'île voici quelques semaines, et qui donnait encore le « oui » majoritaire, nombreuses étaient les personnes interrogées qui considéraient déjà la question comme mal posée. Elle est, en effet, complexe. Qu'est-ce qu'une collectivité unique déconcentrée ? Même l'annexe à laquelle vous renvoyez reste, je l'ai souligné, imprécise sur ce point. Et ce ne sont pas les palinodies précitées sur les conseils territoriaux qui clarifieront les choses.
    Au point où nous en sommes, la seule consultation valable consisterait à interroger les Corses sur leur volonté ou non de rester français. Vous vous êtes évertué depuis des mois, et encore cet après-midi, à nous démontrer que la Corse soulevait un problème très particulier. Souffrez dès lors que l'on puisse exiger des précautions supplémentaires et même, à l'occasion, enfoncer des portes ouvertes. Je suis personnellement un républicain à l'état brut. Je me bats depuis fort longtemps pour que la Corse reste, justement, dans la République. J'étais très isolé, à l'époque, lorsque j'ai lutté contre le fameux article 1er prônant la reconnaissance du peuple corse, au nom de la République.
    J'aurais aimé qu'on pose la question suivante aux Corses : « Voulez-vous être à jamais dans la République indivisible et surtout condamnez-vous tout usage de la violence à des fins politiques ? » Vous auriez, probablement, obtenu un résultat de 85 % ou 90 % de « oui ». Surtout, vous auriez réuni les républicains, et isolé les poseurs de bombes. Au lieu de cela, vous allez diviser les républicains. Comprenne qui pourra !
    Il y a quelques jours, monsieur le ministre, vous disiez sur une radio locale - et vous l'avez repris tout à l'heure en d'autres termes : « M. Zuccarelli ne veut rien changer. Il trouve sans doute que tout va bien. »
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'est vrai !
    M. Emile Zuccarelli. Monsieur le ministre, loin de moi l'idée de prétendre que tout va bien, de nier ou de sous-évaluer les problèmes que subissent la Corse et les Corses depuis vingt-cinq ans ! Je les affronte quotidiennement, et même sous leur forme la plus violente.
    Le « hic », c'est que votre remède est sans rapport avec le mal. Vous avez une fâcheuse tendance à oublier tout le travail, l'innovation et les efforts mis en oeuvre, et même quelques résultats tangibles que vous regroupez sous le terme méprisant de « statu quo », pour peu que l'on cherche à sortir du sempiternel problème institutionnel. Il y a bien mieux à faire en Corse qu'une réforme institutionnelle.
    En quoi une collectivité unique résoudra-t-elle nos problèmes ? Lorsque vous avez reçu, place Beauvau, les parlementaires et les conseillers généraux de Corse, vous avez rendu hommage aux conseils généraux pour le travail accompli, et vous avez ajouté que l'Assemblée de Corse ne fonctionnait pas. Pourtant, c'est en cette assemblée que vous mettez tous vos espoirs pour l'avenir, au détriment des départements, qui, eux, fonctionnent et travaillent. On pourrait penser que c'est l'inverse qui conviendrait.
    C'est pourquoi je vous ai soumis, avec d'autres élus, un projet de clarification des compétences des collectivités concernées - départements et région - et d'amélioration de la coordination des politiques publiques. En effet, si les instruments de coordination ne fonctionnent pas, ce n'est quand même pas à leurs responsables, qui ne les font pas fonctionner, qu'il convient de confier la mise en oeuvre d'une solution alternative aux instances de coordination existantes, qui devraient fonctionner normalement. C'est le monde à l'envers !
    Vous n'avez jamais accusé réception de ce nouveau projet que je vous ai soumis, et vous n'avez jamais engagé sérieusement le débat sur cette proposition, pourtant précise, argumentée et détaillée. La raison en est simple : votre choix était arrêté depuis longtemps. Vos multiples voyages en Corse n'étaient organisés que pour la galerie, et vous êtes tombé du côté où vous vouliez tomber.
    Ce dont la Corse a besoin, je le répète, ce n'est pourtant pas de supprimer des départements, mais de développement économique, d'un renforcement de ses infrastructures, et d'un épanouissement culturel. Ce sont les mesures prévues dans la loi de janvier 2002, adoptée sous la précédente législature. Ce qu'il faut, c'est mettre hors d'état de nuire les poseurs de bombes, les racketteurs et mafieux en tous genres, et les assassins - à commencer, bien sûr, par celui du préfet Erignac, qui court toujours. Ce n'est pas d'une nouvelle réforme des institutions qui, si elle venait à être adoptée, ne ferait que retarder de quelques années supplémentaires, et compliquer, la mise en oeuvre des politiques et le développement.
    Pour résumer - et je vous prie d'être attentif à ces mots : « La Corse a besoin de bien autre chose que d'un rafistolage institutionnel. La Corse a besoin de respect. La Corse a besoin de sérénité. La Corse a besoin d'offrir un avenir à ses jeunes. Et, pour cela, en premier lieu, la Corse et les Corses ont besoin que soit mis définitivement un terme à la violence, qui sape les fondements mêmes de la paix sociale sur l'île, empêche tout investissement privé, qui écoeure les bonnes volontés et exacerbe les autres. »
    Vous me demandez quelle politique alternative je propose à la Corse ? Eh bien, en voilà une, formulée qui plus est par une personnalité éminente, puisque c'est l'actuel Président de la République que je viens de citer, dans son discours de candidat prononcé à Ajaccio, le 16 avril 2002. C'est bien Jacques Chirac candidat qui a déclaré : « La Corse n'a pas besoin d'un rafistolage institutionnel. »
    Quoi qu'il en soit, à relire ces lignes, nombre d'électeurs corses, surtout parmi vos partisans, qui s'étaient laissé séduire par ces paroles fortes, se sentent aujourd'hui trompés.
    Monsieur le ministre, vous présentez souvent les opposants à votre projet, dont je suis, comme le front du refus. Mais si « front du refus » il y a, c'est celui du refus de la violence, du chantage et du racket, le refus de la soumission, des changements institutionnels permanents imposés par une minorité. Ce front du refus, c'est celui des braves gens, de ceux qui travaillent au développement de leur région et qui ne veulent pas voir leurs efforts condamnés plus longtemps par quelques activistes et autres affairistes qui, au détour d'une hypothétique réforme institutionnelle, se verraient ouvrir un peu plus les portes du pouvoir insulaire.
    Ce front du refus-là, mes chers collègues, il s'élargit chaque jour.
    Il est encore temps pour vous, monsieur le ministre, de revenir à la table du dialogue républicain.
    M. Charles Cova. De revenir en arrière, plutôt !
    M. Emile Zuccarelli. C'est vous qui reviendrez en arrière si vous votez le texte.
    Il est encore temps de renoncer à tenter d'imposer un projet inadapté, inopportun et dangereux.
    En votant la question préalable, l'Assemblée nationale a l'occasion de vous offrir une issue à l'impasse dans laquelle vous vous êtes engagé. Dans le cas contraire, il ne restera plus aux Corses qu'à voter « non » dans un sursaut de dignité. Aux grands moments de leur histoire, qui se confond avec celle de la République, ils ont amplement démontré qu'ils savaient se mobiliser, quoi que vous en pensiez, monsieur le ministre, sur l'essentiel.
    (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicain. - M. Jean Lassalle applaudit également.)
    Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Juste quelques mots, car je ne veux pas allonger le débat.
    Tout d'abord, monsieur Zuccarelli, je vous remercie pour le soutien que vous apportez à la consultation. Vous avez en effet commencé votre intervention en disant que le Gouvernement avait bien fait de donner la parole aux Corses. Le but du projet de loi que je propose est précisément d'organiser cette consultation. Mais, avec le souci de la cohérence qui vous caractérise, vous assez aussitôt dénoncé ma précipitation. Comprenne qui pourra !
    M. Gérard Charasse. Cela n'a rien à voir !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Il fallait donc réfléchir un peu plus longtemps à la question de savoir s'il fallait consulter les Corses ? Soit c'est bien, et on le fait, soit ce n'est pas bien, et on ne le fait pas. Mais il faut choisir !
    M. Gérard Charasse. Ce n'est pas ce qui a été dit !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Se torturer l'esprit durant trois ans pour savoir si l'on va se tourner vers les Corses, je ne vois pas ce que cela nous amènerait de plus, sinon le temps de la réflexion. Je sais que, pour certains, la maturation est plus lente que pour d'autres, mais tout de même, le ridicule risque de tuer !
    Si vous êtes d'accord sur le principe de la consultation, faisons-la. Si les Corses se prononcent majoritairement pour le « oui », nous aurons tout le temps à l'automne de débattre sur un nouveau statut. Où est la précipitation ? Vous voudriez qu'on réfléchisse pendant un an pour savoir si on doit donner la parole aux Corses et dans quelles conditions ? Cela n'a pas de sens.
    M. Jean-Louis Dumont. Caricature !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Prôner la patience, c'est, une fois encore, une façon de dire qu'en Corse il y a toujours de bonnes raisons pour ne rien faire.
    J'ai cru comprendre que vous me reprochiez d'être en campagne. Vous me fournissez pourtant un bon exemple. J'ai cru comprendre également que vous vous étonniez que je fasse de la politique. Voilà qui est curieux ! Des hommes politiques qui font de la politique, des responsables politiques qui ont une stratégie politique ! Eh bien, je le revendique ce droit. D'ailleurs, quelle est l'arme d'un homme politique dans une démocratie, si ce n'est de faire de la politique ?
    M. Paul Giacobbi. C'est si rare !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Et que proposez-vous donc pour sortir la Corse de la situation dans laquelle elle se trouve si ce n'est une solution politique ? Envoyer l'armée ? Décréter l'état d'urgence ? Supprimer les institutions ?
    M. Emile Zuccarelli. N'importe quoi !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Comment régler les problèmes de la Corse, si ce n'est de façon politique ? Oui, c'est une analyse politique que fait le Gouvernement, oui, c'est un projet politique que décide le Gouvernement, oui, c'est par une solution politique qu'on sortira la Corse de la situation dans laquelle elle se trouve.
    A mon tour de vous poser une question, avec tout le respect que j'ai pour vous : pourquoi donc mettez-vous les indépendantistes au coeur de tout ? Quand Emile Zuccarelli prend la parole, c'est toujours pour citer « Independenza», parler des autonomistes, expliquer que ce que pensent et ce que font les indépendantistes, ce n'est pas bien. On finirait par croire, même si je sais que ce n'est pas le cas, que vous avez besoin d'eux pour exister, que vous ne vous définissez que par rapport à eux.
    M. Michel Hunault. C'est un aveu !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Laissez les républicains se déterminer par rapport à leurs convictions et laissez de côté les cagoulés et tous les autres. Nous n'avons pas besoin d'eux pour savoir ce que nous avons à faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Arrêtez d'agiter devant nous le chiffon noir des cagoulés pour nous dire ce que nous devrions faire ou ne pas faire ! Cela devient une obsession.
    Ah ! Je le reconnais bien volontiers, vous m'avez fait un reproche qui me touche : vous m'accusez de vouloir régler les problèmes des Corses, notamment ceux de l'agriculture corse, ce qui n'a rien à voir, dites-vous, avec le référendum. C'est exact, mais je ne me limite pas à la réforme des institutions. D'un côté, vous me reprochez de vous importuner à ne parler que des institutions, qui ne seraient qu'un détail, de l'autre côté, vous m'accusez de faire de la politique, de prétendre régler, dès la semaine prochaine, le problème des agriculteurs corses. Il faudrait savoir. Je règle les problèmes de la Corse ou je ne m'occupe que des institutions en tant que, pour reprendre votre belle expression imagée, « drogué des institutions » ?
    D'ailleurs, et je me tourne vers les nombreux gaullistes présents cet après-midi, les institutions de la Ve République n'ont-elles pas compté dans le développement de la France des années 60 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Les institutions ne comptent-elles pas pour un responsable politique ? Qui oserait affirmer que, après les errements de la IVe République, les institutions stables n'ont pas joué un grand rôle dans le développement de la France des années 60 ? Pourquoi, ce qui a permis à la France de se développer, c'est-à-dire des institutions stables, ne serait pas un atout pour la région Corse ? Comment peut-on se référer à des exemples si prestigieux et, en même temps, être si contradictoire ?
    Et puis, au terme d'un discours admirable de cohérence, vous avez fini par découvrir que j'étais pour le « oui ». (Sourires.) Pour ma part, je n'avais pas besoin d'un discours comme le vôtre pour savoir que vous étiez pour le « non ». Il suffit de relire toutes vos prises de position : vous avez toujours été contre, toujours été pour le « non ». Moi, avec une certaine constance, même si je me suis trouvé parfois seul, j'ai essayé de soutenir ceux qui étaient de bonne volonté parce que je crois que plus important que nous, il y a la Corse, il y a l'intérêt général. Je ne prétends pas détenir la vérité, j'avais même dit, à l'époque des accords de Matignon, que j'étais loin d'être sûr de leur réussite, que M. Jospin était de gauche, mais que cela pouvait réussir et que ce serait un problème de moins pour la République française.
    C'est sans doute une question de tempérament, moi j'ai le tropisme du « oui », vous, du « non ». Les Corses choisiront entre ceux qui veulent construire et ceux qui préfèrent le quant-à-soi.
    « Trop de compétences pour la collectivité unique », avez-vous dit ! Quelle confiance dans la classe politique corse ! Pourquoi êtes-vous si sévère ? Les responsables politiques corses ne seraient-ils pas capables d'assumer des compétences importantes ? L'organisation actuelle, avec les départements, la collectivité territoriale, a-t-elle garanti la transparence des marchés en Corse ? A-t-elle renforcé l'efficacité ? Moi, je fais confiance à la classe politique insulaire.
    Finalement, vous avez trouvé une explication aux problèmes de la Corse. Si la Corse a des problèmes, c'est parce que l'on a voulu faire des réformes institutionnelles. Voilà ! Les coupables sont dénoncés : Defferre, Joxe, Jospin et maintenant moi.
    M. René Dosière. Vous êtes en bonne compagnie ! (Sourires.)
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ça dépend de quel côté on se place !
    M. René Dosière. Oh !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Mais j'accepte la bonne compagnie. (Sourires.)
    M. René Dosière. Vous auriez mauvaise grâce à la refuser !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Mais, monsieur Zucarelli, cela signifierait que l'échec de la Corse ne viendrait que de l'extérieur, que tous ceux qui se sont penchés sur la question corse avec bonne volonté, et je pense que Gaston Defferre, que M. Joxe, que M. Jospin étaient des hommes de bonne volonté, tout comme je le suis, seraient les coupables. De remise en question de la classe politique insulaire, de remise en question d'une partie de la Corse, d'autocritique sur soi-même - vous tous qui avez eu les responsabilités du gouvernement de la Corse depuis tant d'années - il n'en est point question. Le mal viendrait de l'extérieur. Tous ceux qui ont essayé de vous aider se seraient trompés. Tous auraient tort. On aurait ignoré la réalité de l'âme insulaire tout entière incarnée dans votre personne.
    Vous prétendez qu'il y a des ambiguïtés dans mes propos. J'espère que ma réponse vous tranquillise de ce point de vue. Je ne suis pas un homme ambigu et certainement pas sur la question corse et je mets au défi quiconque de dire que j'ai tenu un discours différent selon mes interlocuteurs.
    M. Camille de Rocca-Serra. Tout à fait !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je m'adresse à tous ici, de la majorité comme de l'opposition : que celui qui pense avoir perçu une contradiction dans mes propos, en promettant aux uns ce que j'aurais caché aux autres sur le statut, sur la délibération, qu'il me le dise. Je serais très heureux de préciser les choses.
    Je le dis très simplement, je n'ai rien à exiger des nationalistes pour la raison simple que je n'ai pas discuté avec eux.
    M. Bruno Le Roux. Hum !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je les ai rencontrés, mais je n'ai pas discuté avec eux, pour la raison simple que ce n'est pas l'esprit de la consultation. C'est toute la différence entre Matignon et ce qui vous est proposé aujourd'hui.
    Matignon, c'était une discussion à cinquante. Trois participants ont manqué, et Matignon s'est cassé la figure. Moi, j'ai été six fois en Corse. A trois reprises, les nationalistes ne sont pas venus, cela n'a rien changé à mon voyage. Vous faites semblant de me reprocher d'avoir reçu M. Talamoni et M. Quastana ! Mais je n'ai pas à m'en excuser. M. Talamoni et M. Quastana ont été élus par les Corses. Ils ont été reconnus, à tort ou à raison, par la République comme dignes de se présenter. Au nom de quoi le ministre de l'intérieur devrait refuser de les recevoir ?
    M. René Dosière. La commission des lois les a bien reçus !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Quand nous préparions la réforme du mode de scrutin, j'ai reçu M. Le Pen, qui s'était présenté aux élections européennes. Au nom de quoi me ferait-on procès d'avoir reçu M. Le Pen, assez digne pour se présenter aux élections de la République et pas assez pour que je discute avec lui ?
    Pourquoi ai-je reçu M. Talamoni et M. Quastana ? Tout simplement pour les informer, comme je vous ai informés, comme j'ai informé le sénateur Alfonsi et tous les parlementaires ici présents, qui peuvent témoigner.
    M. Emile Zuccarelli. Ce n'est pas pareil.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Qu'attendiez-vous de moi ? Que les seuls que je ne reçoive pas soient les élus qui ont été élus au même titre que les autres ? Pour bien montrer leur victimisation, pour en faire une catégorie à part et pour leur donner le terreau dont ils se nourrissent, cette prétendue humiliation qui, en vérité, est le seul bilan sur lequel ils peuvent prospérer ?
    Vous avez eu raison de terminer en citant François Mitterrand, ce qui vous a valu des applaudissements. A chacun ses références. Je ne sais pas ce qu'il vous a dit sur la Sicile et les Baléares, mais vous parlez de ces îles avec beaucoup de mépris.
    Qu'il me soit permis de vous rappeler qu'il y a bien des années que la Sicile ne connaît plus de règlements de comptes mafieux et que l'Italie est un grand pays démocratique, ami de la France, qui a fait beaucoup d'efforts pour développer la Sicile et qui a payé cher pour cela.
    Ne commettons pas l'erreur de moquer ce que font les autres alors que nous avons nous-mêmes assez peu de leçons à donner de ce point de vue.
    Quant aux Baléares, libre à vous de porter un jugement. Il demeure que les Baléares affichent une extraordinaire réussite en matière de tourisme de masse, alors que la Corse affiche un extraordinaire échec dans le domaine du tourisme. Il y a peut-être une voie médiane à trouver, mais on n'a pas à balayer d'un revers de main ce que font les autres, notamment l'Espagne et l'Italie.
    Je relèverai, pour finir, qu'une référence manquait dans votre discours et je vous avoue que cela m'a étonné de vous, qui êtes un homme fidèle : Jean-Pierre Chevènement. En effet, je m'attendais à recevoir d'une grande autorité républicaine le coup de grâce, la leçon ultime, s'agissant de quelqu'un qui avait si bien choisi un préfet qui a tant fait pour rabaisser l'idée de la République en Corse !
    Je ne veux pas polémiquer mais, dans cette affaire extrêmement complexe, prenons garde de trop parler du passé ! Essayons de nous tourner ensemble vers l'avenir ! De toute manière, nous aurons besoin, quel que soit le cas de figure dans lequel nous nous trouverons de travailler ensemble. Prenons garde d'insulter l'avenir !
    En conclusion, je vous dirai simplement que prétendre être le défenseur de la République en appelant ses concitoyens de Corse à voter contre le Gouvernement de la République n'est pas la marque d'une cohérence absolue. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Emile Zuccarelli. Madame la présidente, je souhaiterais répondre au Gouvernement...
    Mme la présidente. Monsieur Zuccarelli, le règlement ne me permet pas de vous donner la parole.
    M. Emile Zuccarelli. Mais je voudrais répondre au ministre !
    Mme la présidente. Je vous propose de vous inscrire sur l'article 1er et vous pourrez ainsi répondre à M. le ministre.
    Nous en venons aux explications de vote.
    La parole est à M. Rudy Salles, pour le groupe UDF.
    M. Rudy Salles. Madame la présidente, mesdames, messieurs, y a-t-il lieu de débattre ? A cette question, il faut répondre oui. La meilleure preuve vient de nous en être apportée par M. Zuccarelli, qui a posé des questions auxquelles le ministre a répondu. Et puisque nous avons nous aussi envie de poser des questions au ministre et d'entendre ses réponses, il y a lieu de débattre. Et s'il y a lieu de débattre, il n'y a pas lieu de voter la question préalable.
    Comme le ministre, je pense qu'il y a lieu aussi de trouver des solutions politiques aux problèmes de l'île.
    M. Zuccarelli a dit que nous examinerions un statut particulier alors que la Corse n'a pas besoin de statut particulier. Je suis un peu d'accord avec lui en ce sens que nous avons besoin d'un débat sur le fonctionnement de nos institutions territoriales, en Corse et sur le continent. Ce débat, nous l'aurons, et peut-être nous trouvons-nous déjà dans le cadre de l'expérimentation qui nous permettra de dire s'il convient d'aller dans la même direction pour le reste du territoire.
    En commission, nous avons évoqué les problèmes de la clarté du fonctionnement de nos institutions, de leur lisibilité, de l'enchevêtrement des compétences en Corse. Mais nous pourrions évoquer les mêmes problèmes concernant le fonctionnement de nos institutions départementales et régionales dans le reste du territoire.
    Peut-on dire que la solution institutionnelle réglera tous les problèmes de l'île ? Je ne le pense pas. Elle en réglera néanmoins un certain nombre.
    Avec 242 000 habitants et trois collectivités qui s'enchevêtrent et dont les responsabilités se recouvrent les unes les autres, le système n'est pas satisfaisant et il mérite d'être amélioré. Nous sommes là pour en débattre.
    Nous avons exprimé des points de vue qui se recoupent ou qui sont contradictoires, mais nous sommes justement là pour en débattre et pour obtenir du Gouvernement les réponses qui sont nécessaires pour les Corses qui nous écoutent et qui attendent des réponses aux problèmes que nous soulevons.
    C'est la raison pour laquelle le groupe UDF ne votera pas la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Mme la présidente. La parole est à M. Michel Vaxès, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. Michel Vaxès. Monsieur le ministre, permettez-moi, avec tout le respect que l'on vous doit et que je porte à votre fonction, de regretter que les réponses que vous avez apportées à Emile Zuccarelli aient été formulées sur le ton de la dérision et de la véhémence. (« Mais non ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Telle est mon opinion, que vous n'êtes pas obligés de partager !
    Je poursuis.
    Je considère que ce ton et ces réponses ne sont pas dignes de cette assemblée. Les questions que M. Zuccarelli a posées ne méritent pas le schématisme de la présentation qui en a été faite.
    Monsieur le ministre, vous vous êtes félicité du soutien que notre collègue a, au début de son intervention, apporté à la proposition de consultation. Mais tout le monde sait ici que nous avons été, et je sais de quoi je parle, les premiers à souhaiter que la consultation des Corses soit organisée : « la » consultation, la vraie, pas l'enfermement dans une réponse binaire - oui ou non - à une question portant sur une révision institutionnelle. Cela m'avait, d'ailleurs, conduit à déposer une proposition de loi pour faire enfin entrer la démocratie participative dans les habitudes de nos comportements politiques.
    Nous sommes favorables à une consultation qui ouvre la voie à un grand débat public pour définir les priorités et au cours duquel seraient évoquées les véritables questions que se posent nos concitoyens corses.
    M. Richard Cazenave. Consternant !
    M. Michel Vaxès. Ce qu'a voulu dire M. Zuccarelli, c'est que les priorités du Gouvernement que traduit le projet de loi ne correspondent tout simplement pas aux priorités qui sont celles des Corses.
    De quoi les Corses ont-ils besoin ? Sans doute de réfléchir aux questions relatives à leurs besoins réels, à des projets concrets et à la réalisation de ces projets. Voilà de quoi ils ont besoin ! Jamais les Corses n'ont, dans leur majorité, revendiqué une nouvelle modification institutionnelle !
    Le projet du Gouvernement conduira à n'en pas douter à une concentration des pouvoirs, ce qui rendra probablement plus difficile encore la résistance aux dérives que certains violents nourrissent. Il nous faudra sans doute y réfléchir.
    Notre collègue a eu bien raison de dire que cette évolution institutionnelle satisfera d'abord ceux qui ont déclaré publiquement qu'il en avaient besoin pour y prendre appui et exiger immédiatement après une nouvelle étape.
    Vous affirmez, monsieur le ministre, que nous ne voudrions rien changer. Ce n'est pas très honnête car c'est précisément parce que nous voulons changer beaucoup de choses dans la vie réelle des Corses, dans ce qui les concerne réellement, que nous refusons un projet qui sera un obstacle à ce changement.
    J'ai bien noté, monsieur Salles, les motivations de votre rejet de la question préalable. Vous êtes parti de l'idée qu'il fallait débattre du sujet, mais pour ajouter aussitôt qu'il fallait le faire au niveau national.
    M. Rudy Salles. Pas du tout !
    M. Michel Vaxès. Pardonnez-moi si j'ai mal interprété vos propos. Quoi qu'il en soit, le débat institutionnel est effectivement un débat national. Mais je crains qu'une fois de plus la Corse ne serve de laboratoire à la réflexion.
    Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe des député-e-s communistes et républicains votera la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-scommunistes et républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste.)
    M. Emile Zuccarelli. Merci !
    Mme la présidente. La parole est à M. Camille de Rocca Serra, pour le groupe UMP.
    M. Camille de Rocca Serra. Monsieur le ministre, on peut mettre la République à toutes les sauces. Mais en tant que citoyen français de Corse et élu au Parlement de la République, j'affirme, avec toute la force de mes convictions, que vous avez raison : il est temps d'agir !
    Je regrette le point de vue d'Emile Zuccarelli, qui cosignait, le 10 mars 2000, une motion dans laquelle on pouvait lire : « La simplification de la carte administrative, tant pour l'Etat que pour les collectivités locales, doit être mise en chantier. Dans ce cadre, la réunion de l'échelon départemental et territorial peut être envisagée, comme il adviendra peut-être dans les autres régions. » (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Je cherche la cohérence dans l'attitude de M. Zuccarelli. Quant à moi, je reste cohérent : j'étais engagé et je continue de l'être.
    Monsieur le ministre, vous apportez une dimension que la Corse attendait certainement depuis longtemps et qui nous a manqué : la continuité de l'Etat républicain. Vous ne modifiez pas, au lendemain d'une alternance, le chemin politique où s'engager, ce qui est aussi votre honneur.
    Je demande au groupe UMP de rechercher avec vous, sans garantie de succès, les moyens de déverrouiller ces portes fermées à double tour, qui veulent résister à toutes les mises en marche, à toutes les mises en action, afin que la Corse retrouve enfin l'espoir et que la République y soit plus présente qu'elle ne l'a été hier.
    Nous vous faisons confiance, monsieur le ministre. C'est pour cette raison qu'il y a lieu de débattre. La Corse attend depuis trop longtemps et nous devons sans attendre lui donner cette réponse. (Applaudissement sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour le groupe socialiste.
    M. Bruno Le Roux. Monsieur le ministre, vous avez eu raison d'affirmer que le sujet réclamait une grande humilité, beaucoup de retenue, mais aussi beaucoup de passion car il est véritablement passionnant.
    Me rendant comme vous régulièrement en Corse et ayant connu les débats qui se sont déroulés dans cette assemblée sur le sujet, je crois que nous avons tout intérêt à poursuivre la mise en mouvement politique de toute la société corse. C'est en effet le mouvement politique qui crée, comme c'est déjà le cas depuis deux ans, les conditions d'une prise de conscience, et peut-être bientôt d'un renouvellement du personnel politique sur l'île, avec la parité et l'arrivée de nouvelles personnes.
    Il n'y aurait aujourd'hui rien de pire, après avoir ouvert une voie riche de perspectives, que de tomber dans l'immobilisme et de se dire : on arrête, on attend.
    Je pense cependant qu'il reste des conditions à remplir et des points sur lesquels il convient d'avancer, de faire des efforts, de continuer d'assumer toutes les responsabilités de l'Etat républicain et peut-être de prendre le temps de ce que nous demandent les Corses : un véritable débat politique. Je détaillerai ces conditions et ces points tout à l'heure, lorsque j'interviendrai dans la discussion générale.
    J'ai rarement rencontré des citoyens de notre République qui soient autant attachés que les Corses au débat politique et à l'expression de leurs envies et de leurs attentes, autant désireux de s'exprimer quand on leur donne un cadre. Mais le cadre que vous leur proposez ne me paraît pas pouvoir leur donner tous les éléments pour participer au débat ; il peut même engendrer, vu la date que vous avez fixée, quelques frustrations.
    Pour autant, nous avons choisi une attitude à la mesure de celle que vous aviez eue il y a quelques mois quand nous avions discuté dans cet hémicycle de la question corse : amender, essayer de porter le projet là où il nous semble devoir aller, ce qui n'est peut-être pas exactement là où vous voulez nous amener. Mais nous le faisons en toute responsabilité. C'est pourquoi je défendrai tout à l'heure une motion de renvoi en commission : il me semble nécessaire de travailler encore un peu.
    Cela dit, le groupe socialiste ne votera pas la question préalable.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Très bien !
    Mme la présidente. Je mets aux voix la question préalable.
    (La question préalable n'est pas adoptée.)
    Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

4

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

    Mme la présidente. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :
    Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, n° 861, organisant une consultation des électeurs de Corse sur la modification de l'organisation institutionnelle de la Corse :
    M. Guy Geoffroy, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 870).
    La séance est levée.
    (La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT