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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU SAMEDI 7 JUIN 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
1re séance du vendredi 6 juin 2003


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

1.  Loi de programme pour l'outre-mer. - Suite de la discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat après déclaration d'urgence «...».

DISCUSSION GÉNÉRALE (suite) «...»

MM.
André Thien Ah Koon,
Alfred Marie-Jeanne,
Pierre Frogier,
Louis-Joseph Manscour,
Victor Brial,
Mme
Huguette Bello,
MM.
Alfred Almont,
Christophe Payet,
Bertho Audifax,
Eric Jalton,
Frédéric de Saint-Sernin,
Mme
Christiane Taubira,
M.
Mansour Kamardine,
Mme
Béatrice Vernaudon.

Suspension et reprise de la séance «...»

M.
René-Paul Victoria,
Mmes
Juliana Rimane,
Gabrielle Louis-Carabin,
M.
Didier Quentin.
Clôture de la discussion générale.
M. le président.
2.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

LOI DE PROGRAMME POUR L'OUTRE-MER

Suite de la discussion d'un projet de loi
adopté par le Sénat après déclaration d'urgence

    M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de programme pour l'outre-mer, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence (n°s 881 et 891).

Discussion générale (suite)

    M. le président. Hier soir, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale - jusqu'à deux heures du matin.
    La parole est à M. André Thien Ah Koon.
    M. André Thien Ah Koon. Monsieur le président, madame la ministre de l'outre-mer, mes chers collègues, je veux en préambule souligner combien les propos tenus hier soir par notre ancien secrétaire d'Etat, M. Christian Paul, m'ont attristé. S'il avait été présent ce matin, je le lui aurais dit : soit il est un faux tendre, soit il a manqué d'élégance,...
    Mme Huguette Bello. Oui, il a manqué d'élégance !
    M. André Thien Ah Koon. ... de hauteur de jugement et de grandeur. J'estime en tout cas qu'il a manqué de respect à l'une de ses collègues et n'a pas fait honneur aux mandats et fonctions qu'il a exercés. Je souhaite, pour que cette Assemblée soit toujours respectée, que chacun ait en toutes circonstances une meilleure tenue.
    Mes chers collègues, la France traverse une crise économique grave qui l'a renvoyée au douzième rang en Europe. A qui la faute ? Harcèlement de l'administration contre les travailleurs indépendants et les élus, charges sociales et fiscales accablantes, pénalisantes, qui détruisent l'esprit d'entreprendre, lois tatillonnes, suspicieuses, qui laissent le harnais sur le dos des maires et des dirigeants de notre pays sans leur donner les moyens de mettre en oeuvre les réformes, mise en place des 35 heures par la nouvelle Jeanne d'Arc, Martine Aubry, qui ont plombé notre économie, exil des investisseurs, des entrepreneurs et des cerveaux à l'étranger. Voilà notre héritage !
    Dans ce contexte de difficultés budgétaires, la loi de programme est un geste fort de solidarité pour l'outre-mer et il doit être salué, car ce texte consacre une vision réaliste et ambitieuse pour l'avenir de l'outre-mer. Au nom des Réunionnais, je tiens donc à exprimer notre gratitude à notre Président de la République, M. Jacques Chirac, à notre Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin, et à notre ministre de l'outre-mer, Mme Brigitte Girardin, cheville ouvrière de cet excellent texte.
    La France, grâce à l'outre-mer, possède 4 millions de kilomètres carrés d'espace maritime, parmi tant d'autres richesses apportées à la mère patrie. Nos difficultés sont multiples, mais modestes, car elles ne concernent que 2 % de la population totale française et nous sommes capables, nous, de relever ce défi. Dans ce cadre, la Réunion a encore beaucoup de retard à rattraper du fait de son passé colonial et d'une départementalisation lente dans sa mise en oeuvre. Il faut donc considérer que les enjeux en cause sont majeurs pour nos populations alors qu'ils ne sont qu'un défi modeste à l'échelle de la France.
    Je remercie notre Président Jacques Chirac et l'ensemble de mes collègues de l'Assemblée nationale pour leur soutien. Je veux également remercier notre président du groupe UMP, Jacques Barrot, de nous avoir permis de défendre cette réalité auprès du président de la commission des finances, M. Pierre Méhaignerie, qui s'alarmait des « largesses » de l'Etat envers l'outre-mer, alors que l'on a mis plus de cinquante ans pour rattraper l'égalité sociale. Cette observation s'adresse beaucoup plus à la gauche qu'à la droite, car, en tant que député qui commence son cinquième mandat et qui a vécu de longues années dans l'opposition, je peux dire que ces responsabilités sont partagées. A ceux qui, quand on veut rattraper le retard accumulé, parlent ensuite de largesses, je rappelle que la loi de programme pour l'outre-mer contient l'ensemble des engagements de notre candidat à la présidence de la République, notre ami Jacques Chirac.
    Le président Pierre Méhaignerie nous demande donc de faire des économies - il l'a répété hier - notamment dans le domaine des avantages accordés à la fonction publique d'Etat. Nous le comprenons fort bien. Cela relève de son rôle de président de la commission des finances. Néanmoins, si l'Etat a des difficultés budgétaires et qu'il cherche à réaliser des économies, il est un point sur lequel il ne faudra jamais transiger, mes chers collègues : la remise en cause des droits acquis des agents de l'Etat qui servent outre-mer, qui y travaillent et qui y sont nés. Actuellement, en effet - point n'est besoin de s'en cacher -, l'indexation des salaires outre-mer, qui date de Mathusalem, donne à la Réunion une majoration de 53 % et l'on valide une année supplémentaire pour trois années travaillées, c'est-à-dire que trente années travaillées donnent quarante annuités. A cet égard, la bagarre que certains voudraient engager en métropole contre la politique de remise en ordre des retraites ne se justifie pas à la Réunion. Par ailleurs, les retraites prises à la Réunion sont majorées de 35 %.
    Nous n'admettrons donc jamais de remise en cause des droits acquis au nom du principe de non-rétroactivité et du respect des situations acquises. Il s'agit d'une règle à laquelle nous sommes très attachés et que nous défendrons. En effet, dans les familles concernées il y a des obligations familiales, des enfants à élever, des études à faire suivre, des engagements de toute sorte.
    Les fonctionnaires de la Réunion travaillent bien. Il ne serait ni juste ni normal de remettre en cause le déroulement de leur carrière. Il faudra donc que M. le président de la commission des finances trouve une méthodologie qui permette de préparer, sur le long terme, une nouvelle politique sans viser ceux qui ont travaillé ou qui travaillent aujourd'hui outre-mer. La condition sine qua non de notre accord sera l'exclusion de tout nouveau dispositif d'économies des fonctionnaires qui sont déjà en poste, qui bénéficient déjà d'une retraite ou qui sont natifs de nos régions.
    En revanche, la suppression de la majoration des retraites prise à la Réunion par des agents de l'Etat en métropole alors qu'ils n'y sont pas nés et qu'ils n'y ont jamais travaillé est une question de moralisation politique : on ne peut pas prendre des « retraites cocotier » à la Réunion sur le compte de la France alors qu'on n'a jamais servi outre-mer et qu'on n'y est pas né. Cette observation devrait satisfaire M. le président de la commission des finances.
    Les nouveaux dispositifs éventuels ne pourraient donc concerner que les futurs retraités, les droits acquis n'étant pas touchés.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie général et du Plan. Je l'ai dit hier !
    M. André Thien Ah Koon. J'aimerais que vous-même et Mme la ministre de l'outre-mer précisiez solennellement que les droits acquis par ceux qui sont en poste ne seront pas modifiés et qu'un nouveau dispositif ne pourrait concerner que les futurs fonctionnaires. Vous êtes d'accord, mes chers collègues ?
    M. Mansour Kamardine. Si vous nous l'imposez ! (Sourires.)
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Absolument !
    M. André Thien Ah Koon. Monsieur le président de la commission des finances, vous avez donc toute latitude pour examiner comment vous allez traiter le problème de la « retraite cocotier » pour les agents qui n'ont jamais mis les pieds outre-mer et qui n'y sont pas nés. Il est naturellement hors de question, je le réaffirme, qu'on touche aux fonctionnaires déjà en poste ou qui, après y avoir travaillé, ont pris leur retraite à la Réunion.
    Je suis d'accord avec vous pour dire que le pillage des fonds publics doit cesser, surtout lorsqu'il est organisé par l'Etat lui-même. En effet, il n'est pas organisé par nous. Je ne vois donc pas pourquoi l'observation nous est adressée, pourquoi c'est à nous qu'on demande de mettre de l'ordre et de faire des économies.
    En attendant, madame la ministre, l'éducation nationale à la Réunion est inquiète. Le projet de transfert des TOS ne me paraît pas urgent et le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin a eu raison de le remettre à plus tard. Nous avons d'autres priorités, en particulier celle de permettre à nos enfants de passer leurs examens. Nous ne pouvons en effet accepter que des extrémistes empêchent leur déroulement, alors que les grévistes sont minoritaires.
    A la Réunion, l'autorité de l'Etat ne doit pas continuer à être bafouée. L'avenir de nos enfants est en jeu. L'Etat, en tant que responsable de l'ordre public, doit les protéger et leur permettre de passer leurs examens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Nous vous demandons donc, madame la ministre de l'outre-mer, de nous apporter des réponses concrètes à ce sujet, sur la protection des droits acquis et sur le transfert des TOS. Nous comptons sur vous pour nous aider et, surtout, retrouver la paix sociale à l'île de la Réunion.
    Votre texte veut lutter contre les handicaps structurels dont nous rendent victimes l'insularité et la distance avec la mère patrie. Nous apprécions donc à leur juste valeur les mesures que vous nous proposez. Vous allez en effet permettre aux populations d'outre-mer de prouver, sur un projet inscrit sur le long terme, qu'elles ne sont pas assistées mais entreprenantes.
    Les mesures inscrites dans la loi de programme en faveur de la création d'emplois dans les entreprises et dans divers secteurs économiques par le biais des exonérations de charges sociales, de l'emploi des jeunes, de l'insertion des jeunes dans le tissu économique, de la défiscalisation des investissements, du soutien au tourisme et au logement, du passeport mobilité, de la continuité territoriale témoignent, madame la ministre, que vous avez su être à l'écoute de nos élus et de nos populations.
    Je vous félicite également des récentes réponses que vous nous avez apportées. Je pense précisément à l'aide aux charges sociales pour les SICA, à l'exonération des cotisations concernant les petits agriculteurs, à la prolongation des contrats jeunes pour trois années supplémentaires. A cet égard il ne faut pas que la gauche essaie de faire croire ici que c'est nous qui avons mis en place les contrats de cinq ans ! C'est elle qui les a instaurés ! Nous voulons bien gérer cet héritage, mais essayer de faire croire que c'est la droite qui a fabriqué les 9 000 contrats jeunes à la Réunion procède d'un manque d'honnêteté intellectuelle.
    Je veux également évoquer le désenclavement aérien.
    Certes, madame la ministre, on ne peut tout faire en quelques jours. Mais, en moins de douze mois, vous avez su aider notre compagnie à émerger pour desservir la Réunion, faire baisser le prix du transport aérien, nous soustraire à des lois du marché abusives et à la volonté commerciale d'Air France d'écraser la population de la Réunion par des tarifs exorbitants.
    M. le président. Cher monsieur Thien Ah Koon, il va falloir conclure.
    M. André Thien Ah Koon. Monsieur le président, je termine.
    Je tiens auparavant à traiter de la création d'un centre hospitalier régional à la Réunion. Nous attendons une mission interministérielle pour faire l'inventaire des possibilités et mettre en oeuvre rapidement, si possible avant la fin de cette année, un dispositif permettant d'engager ce processus.
    Cela étant, je souhaite toutefois proposer quelques amendements pour compléter les dispositions que vous présentez.
    Ainsi je souhaite que soit modifié l'article L. 720-4 du code du commerce. En effet il faudra bien que, à un moment donné, le Gouvernement s'oppose au monopole des grandes sociétés et à la tendance monopolistique qui voudrait écraser, éliminer le moyen commerce, le commerce traditionnel. Il faut freiner l'exode rural et lutter contre la désertification. Une loi juste doit être élaborée à cet effet.
    Je proposerai donc à mes collègues un dispositif qui devrait permettre de laisser une part équilibrée à chaque secteur de notre vie économique. D'une manière générale, il faudra lutter contre les positions dominantes et les situations monopolistiques non seulement dans la distribution alimentaire, mais aussi dans les services, les produits stratégiques, le bâtiment, les travaux publics, le carburant, le ciment, les transports aériens et maritimes.
    Ensuite, je proposerai à l'article 8 consacré aux jeunes en entreprise d'insérer un article 832-7-2 dans le code du travail afin de faire obligation aux entreprises de mettre en place une tuteurisation permettant à nos jeunes de terminer leur insertion par un certificat qualifiant.
    Cette même règle devrait d'ailleurs s'appliquer au RMA dont le sénateur Virapoullé a été l'initiateur car il est indispensable d'aider les jeunes non qualifiés à s'insérer dans le tissu économique.
    Le ralentissement démographique de la France et les nombreux départs à la retraite dans les quinze prochaines années permettront l'embauche d'un million de travailleurs supplémentaires. J'espère que la place sera donnée en priorité aux ressortissants français de l'outre-mer. Cela me paraît fondamental.
    Dans le même ordre d'idée, il est regrettable que les jeunes Réunionnais lauréats d'un concours d'enseignement à la Réunion soient affectés d'office en métropole, alors que l'académie de la Réunion, déficitaire en enseignants, recrute à grands frais en métropole. Cette invention de la gauche, madame la ministre, doit être supprimée. Nous voulons que nos jeunes qui sont diplômés de la Réunion, qui veulent rester à la Réunion, soient prioritaires dans les embauches effectuées sur place.
    M. Mansour Kamardine. Très bien !
    M. le président. Monsieur Thien Ah Koon, nombre de nos collègues doivent prendre la parole après vous et ils commencent à s'impatienter. Je reste cependant très calme ! (Sourires.)
    M. André Thien Ah Koon. Je vous demande deux petites secondes pour terminer mon propos, monsieur le président.
    Madame la ministre, le bénéfice du FRDE devrait être étendu jusqu'à la parution du nouveau décret et il faudrait permettre aux syndicats mixtes, aux communautés d'agglomération de l'utiliser pour mettre en place des projets d'envergure. En effet, les communes n'ont pas toujours les moyens suffisants pour ouvrir des chantiers qui coûtent très cher.
    La Réunion, comme tous les autres territoires français d'outre-mer, dispose d'atouts non négligeables qu'il est temps de valoriser : tel est le cas de son positionnement géographique qui la situe à mi-chemin maritime entre l'Asie et l'Europe, à mi-chemin maritime entre l'océan Indien et l'Afrique. Nous devons désormais avoir une vision du monde plus moderne, car nous n'allons pas nous battre encore pendant vingt ans sur des lois de programme et des aides à l'investissement !
    M. le président. Monsieur Thien Ah Koon, en dépit de toute l'indulgence que je puis avoir à votre égard, je dois vous demander de terminer.
    M. André Thien Ah Koon. Les spécificités de la Réunion doivent être des atouts pour elle et pour la France !
    Telles sont, madame la ministre, les remarques que je tenais à formuler. Je souhaite que vous continuiez à accomplir votre travail avec opiniâtreté. Tout n'est pas parfait. Nul n'est parfait. Mais, tant que vous montrerez autant d'acharnement à faire avancer l'outre-mer, nous serons à vos côtés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Au cours du débat, monsieur Thien Ah Koon, et à l'occasion de l'examen des amendements, vous aurez encore l'occasion de vous exprimer. Nous vous écoutons d'ailleurs toujours avec autant de plaisir.
    La parole est à M. Alfred Marie-Jeanne.
    M. Alfred Marie-Jeanne. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, il est un temps pour les promesses, fussent-elles sincères, et un autre pour les honorer. On sait d'expérience que le niveau des engagements annoncés est toujours revu à la baisse lorsque sonne l'heure de passer concrètement à l'acte. C'est quand ce décalage prend des proportions de fossé, que l'espoir suscité laisse la place au doute, à la frustration et au découragement.
    Le projet de loi de programme pour l'outre-mer échappe-t-il à ce travers ?
    Si l'on se réfère aux réactions supposées de bonne foi, on constate que certains intéressés applaudissent à tout va, pensant y trouver leur compte, tandis que d'autres récriminent à souhait, pensant qu'ils sont les laissés pour compte habituels. Ces autres, ce sont toutes les entreprises qui maugréent.
    Quant à moi, j'ai fait choix de n'évoquer que ces dernières dans mon intervention principale, et de n'aborder les autres sujets que dans le cadre de l'examen des amendements. Car ces entreprises sont de loin, et les plus nombreuses, et les plus petites, et les plus fragiles. Ce sont, en fait, celles qui ont le plus besoin de soutien, et vers qui, logiquement, l'aide aurait dû d'abord se canaliser. Elles avaient beaucoup misé sur ce nouveau projet, pas uniquement d'ailleurs, en termes de « gros euros », mais aussi en termes de réformes circonstanciées.
    Résumons la situation en disant que, actuellement, en Martinique, nombre de secteurs « pissent le sang à blanc ». Surcoûts permanents, contraintes obligatoires, concours financiers aléatoires représentent quelques-uns de leurs soucis quotidiens. Que peuvent le savoir-faire, l'innovation, la formation, tous éléments que nous maîtrisons parfaitement, face à de telles conditions-carcans ?
    Entendons-nous bien, madame la ministre, il ne s'agit nullement de vous supplier d'aider pour aider, mais plutôt de chercher à savoir qui réellement aider, quoi aider et comment aider.
    L'occasion vous était fournie d'opérer deux choix. Le premier, le plus urgent, consistait à élaborer un plan de mesures pour parer au plus pressé. C'est la réponse que donne en partie le projet de loi de programme, même si, par endroits, elle reste parcellaire, et même si sa portée mérite d'être encore étendue. Le second, plus novateur, exigeait des réformes fondamentales à terme, pour donner place au développement endogène. C'est ce qui manque au projet et réduit fortement sa portée dans le temps. Ne faudrait-il pas instituer une aide spécifique pour la mise en valeur des potentialités dignes d'intérêts jusqu'alors délaissées ? D'où l'urgence à légiférer autrement.
    Madame la ministre, comment remettre en selle les petites et moyennes entreprises martiniquaises quant on sait que les dossiers ayant trait aux arriérés des dettes tant sociales que fiscales de près de 70 % d'entre elles n'ont pas été traités et que 60 % d'entre elles ne sont pas concernées par les dispositions prises dans le présent projet de loi ? Les lois de la macroéconomie ne sauraient à l'évidence être transposées et appliquées sans discernement à notre microéconomie. Ce n'est pas la voie conduisant au rattrapage. D'où l'urgence aussi à différencier.
    Deux secteurs - le commerce, en grande partie lié à l'import, et les services - représentent à eux seuls 85 % des entreprises et 71 % des salariés. Où est la place réservée à la production et au développement durable et solidaire tant à la mode ? D'où l'urgence aussi à réorienter.
    En dépit des efforts consentis, depuis longtemps, en matière de développement, constatons ensemble que seule la dépendance s'est développée et ce, de façon sans cesse accrue. Ce n'est pas la voie conduisant à l'égalité économique. D'où l'urgence actuelle de procéder autrement.
    Promouvoir un développement endogène n'a rien de chimérique. L'assortir d'un réel pouvoir de décision n'a rien d'insensé. Le doter de moyens conséquents au départ pour y parvenir n'a rien d'impossible.
    Madame la ministre, une fois la loi votée, ne refermons pas ce dossier si préoccupant.
    En conclusion, pas de moyens sans pouvoir transféré ; pas de pouvoir sans moyens transférés ; pas de développement sans législation appropriée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Huguette Bello. Très bien.
    M. le président. La parole est à M. Pierre Frogier.
    M. Pierre Frogier. Monsieur le président, je tiens à saluer la considération que vous portez à notre assemblée en présidant ces travaux portant sur l'outre-mer. (Applaudissements sur tous les bancs.)
    Madame la ministre, le texte que vous soutenez devant notre assemblée traduit les engagements du Président de la République et du Gouvernement afin de répondre au défi du développement économique de l'outre-mer français et, donc, de reconnaître la place de nos populations dans l'ensemble national. Leur dignité dépend étroitement en effet de leur insertion économique et de la possibilité qui leur est offerte d'accéder à un emploi.
    Mon collègue Jacques Lafleur et moi-même saluons, madame la ministre, votre écoute attentive et sincère et votre détermination à mettre en oeuvre ce projet de loi de programme. D'ailleurs, votre détermination est à la mesure de la célérité et de l'efficacité avec lesquelles vous êtes intervenue à nos côtés et aux côtés des collectivités calédoniennes, afin d'aider à réparer les dommages causés aux sinistrés du cyclone qui a récemment frappé notre territoire.
    Ce projet de loi de programme pour l'outre-mer est conforme à notre attente, même s'il me paraît aujourd'hui illusoire de se comporter comme s'il n'y avait qu'un outre-mer français.
    La récente révision constitutionnelle, voulue par le Président de la République, a reconnu la diversité institutionnelle de l'outre-mer. Je pense que, dans cette logique, il y aura lieu de réfléchir à un dispostif d'accompagnement au développement économique qui colle mieux à la réalité et à la spécificité de chacune de nos collectivités.
    Ce plan, néanmoins, nous agrée pleinement car il repose sur une logique d'activité et de responsabilité et place au premier plan la relance de l'investissement privé.
    Je crois, comme vous, qu'il ne faut pas avoir peur de répéter qu'au travers de la défiscalisation il ne s'agit pas pour l'Etat de s'appauvrir, mais plutôt d'accepter un manque à gagner qui, comme le souligne notre excellent rapporteur, Philippe Auberger, contribue à aider l'outre-mer à avoir une croissance économique et un niveau d'emploi satisfaisants.
    Ce plan nous donne satisfaction car le dispositif de défiscalisation remanié assoupli et consolidé dans le temps est confirmé au moment même où les populations de Nouvelle-Calédonie voient enfin aboutir leurs aspirations de valorisation de leur patrimoine minier. Vous comprendrez, madame la ministre, que mon intervention porte justement sur la défiscalisation puisque, la Nouvelle-Calédonie étant, comme la Polynésie française, autonome, les autres volets de votre projet la concernent moins !
    Après les années de déchirements et d'affrontements, nous avons - grâce aux accords de Matignon et de Nouméa - su trouver le chemin de la paix et de la stabilité durables.
    C'est donc maintenant le temps de privilégier le développement économique, étape indispensable pour associer toute la population à ce mieux-vivre et ainsi consolider et donner un sens à la paix.
    La Nouvelle-Calédonie a la chance, inégalée dans le reste de l'outre-mer français, de disposer de richesses naturelles de première importance : le nickel, bien sûr, mais aussi les hydrocarbures.
    Sur ce dernier point, bien que d'importantes recherches d'évaluation doivent continuer à être menées, j'exprime le souhait, madame la ministre, que nous soyons associés aux prochaines réunions d'experts visant à délimiter le plateau continental entre la Nouvelle-Calédonie et l'Australie, lequel recèle ces réserves.
    Concernant le nickel - dont la demande continuera à croître rapidement au cours des prochaines années -, la Nouvelle-Calédonie dispose non seulement de plus d'un tiers des réserves mondiales, mais en plus elle est située à proximité des marchés émergents que sont la Chine et l'Inde, qui représentent un bassin de près de deux milliards d'habitants.
    Après l'augmentation de capacité de 25 % de l'usine de Doniambo à Nouméa, ce sont deux projets d'usines métallurgiques qui se concrétiseront dans les mois à venir. D'un montant global d'environ 4 milliards de dollars, ils placeront définitivement la Nouvelle-Calédonie sur la voie de la croissance et du développement équilibré, en faisant d'elle, et donc de la France, avec une production de 250 000 tonnes métal, l'un des tout premiers producteurs de nickel du monde.
    A ce jour, la société Goro Nickel, filiale de l'International Nickel, premier producteur de nickel dans le monde occidental, a déjà investi dans le projet du Sud près de 900 millions de dollars.
    Les mises en production des usines du Sud et de celles du Nord, qui profiteront de l'aide de l'Etat au travers de la défiscalisation, apporteront à la Nouvelle-Calédonie des contributions à la création d'emplois et à l'accroissement de son PIB.
    La réalisation de ces usines métallurgiques provoquera, en outre, l'émergence de tout un réseau économique avec la création induite de petites et moyennes entreprises pour lesquelles l'accompagnement de l'Etat sera déterminant.
    Nous avons, nous-mêmes, mis en place des aides pour les petites entreprises et un dispositif de crédit d'impôt pour encourager les investissements dans les secteurs les plus prometteurs, de façon à privilégier notamment nos filières à l'exportation.
    Je tiens donc à remercier le Gouvernement d'avoir accepté que les aides ainsi octroyées par la Nouvelle-Calédonie, dans le cadre de sa compétence fiscale, soient sans incidence pour la détermination du montant des dépenses éligibles à la défiscalisation nationale. Ainsi, les efforts consentis par l'Etat et la Nouvelle-Calédonie se complètent au lieu de se neutraliser.
    Madame la ministre, nous avons parfaitement conscience du contexte budgétaire difficile auxquel nous sommes confrontés. Mais je suis convaincu que l'enjeu de l'outre-mer et l'avenir de ces populations françaises éparpillées autour du globe ne se réduisent pas à une équation comptable. Nous qui vivons dans un ensemble peuplé de plus de 25 millions d'anglophones, et alors que tous les Etats insulaires du Pacifique sombrent dans l'anarchie, nous avons l'ambition, avec le Président de la République, avec le Gouvernement, avec nos collègues de cet outre-mer français, que je salue, de faire que la Nouvelle-Calédonie soit une fierté pour la France.
    L'intelligence politique, qui nous a fait choisir le chemin de la réconciliation et de la paix, a déjà été reconnue et saluée. Demain, j'en ai la conviction, c'est l'épanouissement et le rayonnement économique de la Calédonie qui seront enviés dans le Pacifique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Louis-Joseph Manscour.
    M. Louis-Joseph Manscour. La troisième séance d'hier s'est terminée ce matin à deux heures. Je ne m'attendais pas à vous voir présider celle de ce matin, monsieur le président, et cela aurait pu se comprendre. Je tenais donc à vous dire, comme l'orateur avant moi et en dehors de toutes considérations politiques, que je suis très sensible à votre présence aujourd'hui (Applaudissements sur tous les bancs), d'autant que vous êtes le seul député hexagonal. (« Non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Mansour Kamardine. Il y en a d'autres de ce côté de l'hémicycle !
    M. Frédéric de Saint-Sernin. Il y a même un Périgourdin de souche.
    M. Philippe Auberger, rapporteur de la commission des finances. Chaussez vos lunettes !
    M. Louis-Joseph Manscour. Excusez-moi. Cela prouve, n'en déplaise à certains, votre solidarité, votre amitié et votre respect pour l'outre-mer. (Applaudissements sur tous les bancs.)
    Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi de programme du Gouvernement pour l'outre-mer avait suscité de nombreux espoirs chez les populations de nos régions. Après les différentes déclarations du Président de la République, lors de la campagne présidentielle de 2002 en outre-mer, et après les nombreuses réunions préparatoires entre les élus, les socioprofessionnels et vous-même, madame la ministre, nous nous attendions à un engagement plus fort de l'Etat.
    La loi de programme ? Un texte qui fait naître de faux espoirs et qui manque de souffle ! Cette appréciation n'est pas de moi mais de la Fédération des associations des petites entreprises de la Martinique. Au fil des mois, les déceptions sont apparues, et les mécontentements se sont fait entendre même chez les socioprofessionnels.
    Madame la ministre, je tiens à vous dire qu'à travers l'élu national c'est le représentant d'une région en quête de développement qui s'exprime solennellement aujourd'hui. Le projet de loi de programme pour l'outre-mer doit être - n'en déplaise à certains - un moment d'échange et de clarification des différentes approches que chacun d'entre nous a du développement de l'outre-mer.
    C'est dans cet esprit, madame la ministre, que je ferai une analyse critique, mais objective, de votre projet de loi avant de vous dire ce qu'en tant que responsable politique de l'outre-mer j'aurais souhaité y voir figurer.
    Votre projet, madame la ministre, s'articule autour de trois axes - on l'a suffisamment répété : encourager la création d'emplois, favoriser la relance de l'investissement privé et renforcer la continuité territoriale entre l'outre-mer et la métropole. On ne peut que se féliciter de ces ambitions bien légitimes. L'allégement des charges sociales, les incitations à l'embauche, la défiscalisation, le soutien aux secteurs de l'hôtellerie et du logement, l'élargissement du champ des secteurs éligibles et bien évidemment la continuité territoriale sont des mesures louables en direction de l'outre-mer.
    Mais j'ai bien peur que celles-ci soient insuffisantes pour renforcer les structures économiques et sociales de nos pays.
    L'outre-mer a besoin d'une loi globale et transversale. Force est de constater que ce n'est pas le cas et que votre texte est malheureusement indigent dans bien des domaines.
    Le développement a, certes, besoin de mesures économiques et fiscales. Qui dirait le contraire ? Mais il a surtout besoin d'être accompagné de mesures structurantes.
    Votre projet est muet sur les questions d'éducation, de formation et de recherche, d'aménagement du territoire, de coopération régionale et il laisse sous silence l'agriculture et la pêche, l'environnement et le développement durable.
    Par ailleurs, je note que vous défendez votre projet en stigmatisant la LOOM, parée de tous les défauts possibles et imaginables. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Mme Gabrielle Louis-Carabin. Nous n'avons jamais dit ça !
    M. Louis-Joseph Manscour. Vous proposez de la corriger et de la réorienter, pour revenir, dites-vous, à l'esprit de la loi dite Perben du 24 juillet 1994.
    Mme Christiane Taubira. Exact !
    M. Louis-Joseph Manscour. Permettez-moi de vous dire, madame la ministre, que ces textes ne sont pas comparables, tout au moins dans leur ambition et, encore bien moins, dans leur esprit. Si la loi Perben s'est proposée de diminuer sur cinq années le coût du travail dans quelques secteurs, avec des résultats plutôt modestes, la LOOM, quant à elle, avait entamé une véritable politique de l'entreprise pour l'outre-mer. Portée par une vision globale - ce qui est très important -, elle mettait en place une stratégie de renforcement du circuit socio-économique interne que l'outre-mer n'a jamais connu. Les capacités d'initiatives locales contenues dans la LOOM donnaient du sens à la décentralisation devenant, bien sûr, synonyme de responsabilité.
    Je crains que votre projet n'ait pas cette ambition - et ce n'est pas votre personne qui est mise en cause, madame la ministre, vous le savez, c'est davantage le Gouvernement, je tenais à le dire - car il pousse à l'extrême le raisonnement inverse, en faisant du libéralisme un quasi « modèle de développement » en outre-mer.
    M. Louis-Joseph Manscour. C'est ainsi que, pour relancer l'investissement et l'emploi, vos propositions s'orientent essentiellement vers les baisses des charges et les mesures fiscales. Tout cela, je le répète, nous le connaissons depuis trente ans. Et pourtant les DOM-TOM restent empêtrés dans leurs difficultés avec un chômage endémique et tous les autres maux que voux connaissez.
    C'est une erreur ou plutôt un raccourci que de laisser croire que ces baisses de charges vont automatiquement faire baisser le fort taux de chômage dans nos régions d'outre-mer et que, grâce à elles, les chefs d'entreprise de l'outre-mer rendront plus compétitifs leurs outils de travail. J'ai bien peur que les principaux bénéficiaires n'en soient quelques grandes fortunes métropolitaines et non les chercheurs d'emploi et les petites et moyennes entreprise domiennes.
    A l'évidence, madame la ministre, le programme pour l'outre-mer devrait être plus ambitieux, plus partenarial et plus transversal qu'un programme fiscal conçu, hélas ! pour ne pas contrarier les fonctionnaires de Bercy.
    M. Victorin Lurel. Eh oui !
    M. Louis-Joseph Manscour. Osons le dire : Bercy a, dans cette affaire, une lourde responsabilité et ce n'est pas le président de la commission des finances qui dira le contraire.
    M. Philippe Auberger, rapporteur. Il n'est pas élu par Bercy !
    M. Louis-Joseph Manscour. En réalité, si votre gouvernement n'a pas d'autres propositions pour l'outre-mer, c'est bien parce qu'il n'a pas d'autres choix possibles, acculé qu'il est à respecter le pacte de stabilité de l'Union européenne. Qu'il s'agisse des questions de santé, de retraites, d'éducation ou de décentralisation, votre gouvernement a fait le choix du libéralisme et de ses travers.
    A ce titre, le budget de l'outre-mer, pourtant présenté comme une priorité nationale, a fait l'objet de coupes sombres pour récupérer des crédits. Les secteurs touchés sont nombreux : FEDOM, FIDOM, LBU, FIDES, fonds pour l'emploi, aide au logement. Au total, ce sont des millions et des millions d'euros du budget 2003 de l'outre-mer qui ont été annulés.
    S'agissant des dispositions relatives aux collectivités territoriales, vous ne serez pas étonnée de ma déception en l'absence de toute disposition innovante.
    L'occasion vous était offerte de faire des collectivités de véritables partenaires pour les politiques d'emploi et d'insertion des jeunes et autres catégories, comme elles sont amenées à le faire face à la pression des besoins. Vous connaissez la situation des personnels des collectivités territoriales outre-mer. Si en France le ratio d'emplois publics dans les collectivités est de 17 pour 1 000 habitants, dans les DOM il est de plus de 28 pour 1 000 habitants. C'est la raison pour laquelle je vous propose d'exonérer les collectivités des charges patronales dès lors qu'elles adoptent un plan d'intégration des non-titulaires.
    De même, il est à souhaiter qu'en matière d'ordonnances la consultation des assemblées territoriales soit une pratique systématique, conformément aux principes et à l'esprit de la décentralisation, synonyme à nos yeux de responsabilisation.
    Quant au grand principe de continuité territoriale, dont le Président de la République s'est fait le chantre, on est bien loin des engagements pris par le candidat Jacques Chirac.
    Madame la ministre, vous avez mis au défi mon collègue Claude Lise, sénateur de la Martinique, lors du débat au Sénat, de vous citer un seul des engagements pris par le Président de la République dans ses discours de Madiana et de Champ-Fleuri qui ne serait pas tenu.
    M. Victorin Lurel. C'est simple, il n'y en a aucun !
    M. Louis-Joseph Manscour. Avec tout le respect que je vous dois, madame la ministre, je relève volontiers ce défi en citant le Président de la République. C'était à Capestère-Belle-Eau, en Guadeloupe, le 6 avril 2002 :
    « Alors donnons sa chance à votre région par une véritable politique de continuité territoriale. Comme le font l'Espagne et le Portugal à l'égard de leurs régions ultrapériphériques, je m'engage à faire bénéficier les collectivités d'outre-mer d'un dispositif d'abaissement du coût des transports. »
    Mme la ministre de l'outre-mer. C'est ce qui se fait !
    M. Louis-Joseph Manscour. « Ce système, que nous mettrons en place en partenariat avec l'Europe, l'Etat et les collectivités locales, vaudra non seulement pour les billets d'avion, mais aussi pour les liaisons maritimes ou pour le fret à l'exportation. »
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Mais c'est ce qui se fait déjà !
    M. Louis-Joseph Manscour. Peut-être aviez-vous oublié ce discours, madame la ministre ? En tout état de cause, que reste-t-il de ces engagements, mes chers collègues ?
    M. René-Paul Victoria. Des décisions !
    M. Louis-Joseph Manscour. J'en oublie presque que nous étions à cette époque en campagne électorale...
    Le principe de continuité territoriale méritait certainement mieux qu'un article et trois alinéas flous, vagues et imprécis, sans aucun critère régissant l'utilisation des fonds, d'où le risque d'une dérive clientéliste au niveau des collectivités.
    Mme Gabrielle Louis-Carabin. Non ! Ce n'est pas possible d'entendre cela !
    M. Louis-Joseph Manscour. Vous n'offrez donc aucune garantie en nous renvoyant à un futur décret pris en Conseil d'Etat. Chez nous cela s'appelle « acheter chat en sac ».
    On est bien loin de ce que l'Espagne et le Portugal font pour leurs régions ultrapériphériques et de ce que la France fait pour les transports aérien et maritime des biens et des personnes entre le continent et la Corse. C'est cela qui assurerait aux Domiens une véritable égalité de citoyenneté française et européenne, et c'est précisément cela que votre texte ne propose pas de manière claire.
    Madame la ministre, en dehors de toute considération politique, car je suis bien conscient des enjeux, votre projet a le mérite d'exister. Il comporte, en effet, certaines mesures positives, mais il ne soigne aucunement les maux dont souffre l'outre-mer. Je ne suis pas médecin, mais je sais qu'on ne soigne pas la fièvre atypique en prescrivant de l'aspirine ! (Sourires.)
    Je me réjouis, il est vrai, pour les chefs d'entreprise, pour les artisans et les commerçants de l'outre-mer - ils bénéficient toujours, rappelons-le, des mesures de la LOOM -, mais je regrette l'absence ou le refus d'une approche globale des problèmes de l'outre-mer : la misère sociale, l'insuffisance de moyens des hôpitaux, le chômage, la précarité, l'éloignement, la paupérisation des personnes âgées, la détresse des agriculteurs, et j'en passe. Car les maux sont nombreux et persistants, en dépit des lois fiscales pour l'outre-mer qui ont jalonné les trente dernières années.
    Je le répète, nous vous demandons pour l'outre-mer de la responsabilisation et du partenariat et non de l'assistanat. Je présenterai quelques amendements, mais je ne me fais guère d'illusions ; ils subiront à coup sûr le sort qui a été réservé aux amendements déposés par mes collègues du Sénat.
    Ce que je regrette dans ce projet qui a suscité tant d'espoir, madame la ministre, c'est la reprise de l'initiative par l'Etat, c'est la volonté de verrouiller et d'encadrer le fonctionnement de l'outre-mer dans des schémas centralisés et des représentations à mon avis fausses.
    Mme Gabrielle Louis-Carabin. Et la décentralisation ?
    M. Louis-Joseph Manscour. Je suis convaincu que ce qui fera le développement de nos pays en outre-mer, c'est un véritable esprit de partenariat de l'Etat à l'égard des collectivités et de toutes les forces vives de nos pays, un partenariat débarrassé d'arrière-pensées. Et c'est également le respect du principe de subsidiarité qui est consubstantiel à l'esprit de la décentralisation. C'est ce qui permettra au développement de nos régions de devenir, enfin, synonyme de progrès. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Victor Brial.
    M. Victor Brial. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord d'adresser solennellement un message de soutien à l'action courageuse du Premier ministe et de son Gouvernement en cette période de dialogue et de profondes mutations. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Je voudrais également remercier mes collègues au sein des différentes commissions, les présidents de commission, les rapporteurs pour la qualité du travail effectué, chacun oeuvrant dans un esprit constructif, essentiel pour l'avancée des débats.
    Enfin, je voudrais féliciter Mme la ministre de l'outre-mer, Brigitte Girardin, ses collaborateurs et l'ensemble des intervenants pour leur contribution à l'enrichissement de ce texte.
    Les engagements du Président de la République et du Gouvernement en faveur d'un développement actif et responsable de l'outre-mer nous amènent à examiner aujourd'hui un texte ambitieux dont la teneur engagera l'Etat pour les quinze années à venir.
    Cette loi de programme pour l'outre-mer s'articule autour de trois thèmes principaux : tout d'abord, favoriser la création d'emplois ; ensuite, développer les investissements privés ; enfin, garantir la continuité territoriale.
    Nos collectivités territoriales ultramarines avaient besoin d'un signal fort de l'Etat pour mettre en place les conditions nécessaires à la création d'emplois dans le secteur marchand.
    Le contenu de ce texte de loi permettra à l'Etat de mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour que chacune des collectivités territoriales d'outre-mer atteigne les objectifs de ses ambitions de développement durable.
    Quelques secteurs prioritaires méritent une attention toute particulière et à long terme de la part du Gouvernement : les énergies renouvelables ; les moyens de télécommunications modernes et performants tels le téléphone mobile et les connexions Internet à haut débit à des prix compétitifs ; les transports aériens et maritimes, la politique tarifaire et les capacités offertes par les transporteurs ; le tourisme et l'hôtellerie ; le logement social.
    Est-il besoin, dans ces conditions, d'insister sur l'impérieuse nécessité pour nos collectivités de bénéficier de toutes les conditions indispensables pour le développement de nos économies durables, au niveau tant local que régional ?
    Abaisser le coût du travail pour nos entreprises à l'aide d'un dispositif de « prime à l'emploi » me paraît être une mesure juste et indispensable pour atteindre ces objectifs prioritaires que sont la lutte contre le chômage et l'insertion professionnelle.
    A ce propos, je voudrais préciser, et j'y insiste, madame la ministre, que cette aide de l'Etat représenterait à Wallis-et-Futuna un réel soutien à l'économie, car elle favorise dans l'ensemble de l'outre-mer l'émergence et la pérennisation de micro-projets.
    Le dispositif d'exonération de charges sociales confortera la politique de la formation qualifiante, de l'emploi dans les domaines d'activité économiques tels que la production ou la restauration, pour ne citer que ceux-là.
    Ensuite, le renforcement et la généralisation du dispositif de défiscalisation, en devenant véritablement incitatif, devrait permettre la création de projets, dans les secteurs de l'hôtellerie et du logement notamment, secteurs générateurs d'emplois directs et indirects si nécessaires à la relance de nos économies enclavées.
    Notre éloignement et notre dispersion géographique, si longtemps considérés comme un avantage exotique, constituent désormais notre principal handicap.
    Nous attendons de l'Etat qu'il garantisse la continuité du territoire national par-delà les océans, confirmant ainsi le principe de l'indivisibilité de la République. Nos populations lointaines ont particulièrement à coeur de voir les tarifs aériens et maritimes diminuer de façon significative.
    Les engagements du Président de la République portent également sur les dispositifs communautaires spécifiques dans le cadre de l'article 299, paragraphe 2, du traité d'Amsterdam.
    Vous venez de signer, madame la ministre, le 2 juin dernier, le mémorandum sur les régions ultrapériphériques. Cette signature est bien la preuve de la volonté du Gouvernement de faire bénéficier les collectivités territoriales d'outre-mer, en fonction de leurs spécificités, des moyens pérennisés définis par l'élargissement des textes communautaires. Une avancée significative a d'ailleurs été relevée dans ce document stratégique en faveur de nos régions ultrapériphériques. Qu'il me soit à cet égard permis de remercier les ministres du Gouvernement ainsi que le commissaire européen Michel Barnier, qui ne ménagent pas leurs efforts pour défendre à Bruxelles les intérêts de l'outre-mer.
    Nous osons espérer pouvoir faire bénéficier nos collectivités du Pacifique Sud - la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna - d'un régime d'abaissement du coût du transport maritime entre l'Europe et nos îles.
    Je citerai l'exemple des importations en provenance de l'Europe vers Wallis-et-Futuna, un exemple qui se passe de commentaires : un conteneur frigorifique de trente mètres cubes entre un port d'Europe et un port de Wallis coûte, en moyenne, 12 000 euros et un conteneur normal « dry », toujours pour le même trajet, 8 000 euros.
    Pour compléter mon propos, je sollicite pour ma collectivité quelques mesures spécifiques que le Gouvernement pourrait aisément prendre par ordonnance, afin de rendre applicables à Wallis-et-Futuna la législation en vigueur en matière de sociétés d'économie mixte, ainsi que le dispositif de prêt à taux zéro pour l'accession à la propriété en faveur des familles à moindres revenus. Vous n'ignorez pas la faible capacité d'emprunt bancaire de ces personnes à Wallis-et-Futuna.
    La stratégie de développement durable de Wallis-et-Futuna prévoit l'intervention de dotations spécifiques, au titre de la continuité territoriale, mais également une revalorisation de la dotation globale de fonctionnement pour corriger les inégalités dues à des transferts de charge sans compensation, tels la sécurité civile et la lutte contre les incendies, le traitement des déchets, les transports scolaires.
    Je me félicite de la récente délégation des crédits au titre du fonds d'aide au développement de Wallis-et-Futuna. A cet égard, je voudrais signaler le précieux concours de vos collaborateurs.
    Je terminerai cette intervention, madame la ministre, en formulant l'espoir que cette loi de programme puisse, pour les quinze années à venir, offrir un véritable développement évolutif à nos collectivités territoriales d'outre-mer. C'est sans nul doute une loi ambitieuse et à la hauteur des nombreux défis à relever dans l'outre-mer français.
    En conclusion, je rappellerai qu'en novembre 2000 un ancien collègue, spécialiste de l'outre-mer, avait déclaré dans cet hémicycle, qu'il fallait un véritable « plan Marshall » pour Wallis-et-Futuna.
    Je vous remercie, madame la ministre, pour votre action en faveur de l'outre-mer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à Mme Huguette Bello.
    Mme Huguette Bello. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'annonce officielle, il y a un an, de ce projet de loi a suscité de grands espoirs qui se sont transformés, une fois le texte connu, en déception. Aujourd'hui, c'est l'indifférence, surtout après le débat au Sénat qui a confirmé que bien peu d'améliorations étaient possibles. Il est vrai que la tempête sociale qui souffle à la Réunion depuis près de trois mois a contribué à en détourner l'attention.
    Laquelle tempête a atteint son paroxysme hier même, avec l'intervention particulièrement musclée des forces de l'ordre dépêchées spécialement de métropole. Et nous tenons à dénoncer solennellement ces brutalités exercées au moment où l'urgence est au dialogue et à la négociation.
    Pour en revenir à ce projet de loi, il est évident que les mesures qu'il préconise ne correspondent ni aux besoins exprimés par les populations concernées ni à la « véritable stratégie de développement durable », annoncée par le Gouvernement. Là où on s'attendait à un projet, on trouve les mêmes vieilles recettes dont on connaît la portée, mais aussi, avec le recul, les limites.
    Ce texte ne prétend pas à l'exhaustivité et nul ne saurait lui demander de tout aborder ni de tout résoudre. En revanche, comment ne pas attendre de lui qu'il dessine une ligne directrice que d'autres lois, d'autres mesures viendraient progressivement confirmer ? Aucune ligne de cette sorte n'apparaît ; tel est le principal reproche que j'ai recueilli au cours de nombreux entretiens avec les responsables de différentes organisations socio-économiques de la Réunion, auxquels ont participé plus d'une centaine de personnes, que je remercie ici de leur contribution.
    Ce texte, qui ne sait que rectifier ou conforter ce qui existe, est moins critiquable du fait des mesures qu'il contient, que du fait de son impuissance à innover.
    Exonération des charges sociales et défiscalisation, voilà l'indestructible tandem de toute politique de l'outre-mer : tous les gouvernements l'ont enfourché ! Si l'on ose, madame la ministre, filer la métaphore cycliste, il semble que vous n'ayez fait que passer la vitesse supérieure, surtout sur le braquet de la défiscalisation !
    Tout se passe en effet comme si le volet fiscal avait lancé avec succès une OPA sur ce texte, à tel point que la durée prévue pour ce volet est apparemment devenue celle de l'ensemble de la loi. Je vous saurais donc gré, madame la ministre, d'indiquer si les mesures d'exonération des charges sociales ont dorénavant une durée de vie de quinze ans ou si, au contraire, le caractère illimité prévu par la loi d'orientation n'est pas remis en cause.
    Il n'est aucune mesure, parmi celles que vous proposez, qui ne soit envisagée sous l'angle des exonérations ou sous l'angle de la défiscalisation, voire sous les deux à la fois. Mais que d'impasses !
    Ainsi de l'agriculture : alors que ce secteur subit de plein fouet les conséquences de la mondialisation, un seul article lui est consacré, dont le contenu ne concerne presque personne.
    Ainsi du logement : tandis que les besoins sont aussi évidemment immenses qu'immensément évidents, tout ce qui échappe au tandem échappe au texte.
    Ainsi de l'emploi : alors que, selon toutes les prévisions, la jeunesse réunionnaise peinera encore pendant longtemps à trouver sa place sur le marché du travail, l'économie alternative, dont les résultats comme les promesses sont indéniables, est à peine mentionnée. Vous dites choisir les emplois durables en entreprise contre les emplois précaires que symboliseraient les emplois jeunes. Mais quand on est jeune, et confronté au chômage, ce qui compte, madame la ministre, c'est d'abord l'emploi. Au fait, où sont-ils, ces emplois durables quand les salariés sont devenus la variable d'ajustement des entreprises ?
    Compter uniquement, à la Réunion, sur le secteur marchand pour lutter contre le chômage, c'est plus qu'un pari risqué, c'est un refus de la réalité. Parce que nous ne pouvons nous résoudre à faire de la jeunesse l'enjeu de ce pari et la victime de cette dénégation, nous insistons tout particulièrement pour que soit revu le traitement infligé à l'économie alternative.
    Ainsi de la formation : rien, dans votre loi, sur ce sujet, rien sur la formation initiale, rien sur la formation supérieure ! Et rien sur la formation professionnelle dans un texte qui prône pourtant le développement et l'égalité économiques ! Ces carences inquiètent d'autant plus l'outre-mer que la tendance générale, dans ce domaine aussi, est aux restrictions de crédits.
    Votre texte aurait pu faire place à une innovation attendue depuis longtemps dans l'ensemble de l'outre-mer : je veux parler de la continuité territoriale. Le principe, établi pour la Corse, est connu de tous : compenser financièrement l'éloignement et l'insularité. Sa mise en oeuvre dans l'île de Beauté nous est connue aussi : les lois de finances nous la rappellent chaque année.
    Nous nous sommes félicités de l'extension du principe de continuité territoriale à l'outre-mer, mais la mise en oeuvre qui en est proposée n'est pas acceptable : une sorte de continuité territoriale discontinue. Nous la refusons, parce que nous sommes trop habitués à voir s'installer dans l'outre-mer, sous couvert de l'égalité de principe, l'inégalité de fait.
    Vous savez d'expérience, madame la ministre, que les difficultés de l'outre-mer, qu'elles soient nouvelles ou héritées du passé, spécifiques ou infligées par les évolutions mondiales, supposent de quiconque veut y remédier qu'il n'écarte, au nom de quelque idéologie que ce soit, aucune piste ni aucun mode d'intervention.
    Votre loi a pour ambition de préparer l'avenir d'une génération : puisse-t-elle ne lui fermer aucune porte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Alfred Almont.
    M. Alfred Almont. Monsieur le président, je veux tout d'abord m'associer en tous points aux propos tenus tout à l'heure par Louis-Joseph Manscour et par d'autres collègues, pour saluer votre présence au fauteuil de la présidence dès le début de la séance, après nous avoir quittés à deux heures ce matin, et alors que nous débattons d'un texte fondamental pour l'avenir de l'outre-mer. (Applaudissements sur les bancs de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Madame la ministre, c'est évidemment avec satisfaction qu'il convient d'accueillir le projet de loi de programme que vous présentez au nom d'un Gouvernement qui affiche, sans ambiguïté, sa détermination à apporter des moyens lesquels constituent, à mon avis, de vraies réponses aux défis que doivent relever nos collectivités d'outre-mer pour assurer leur développement et atteindre ainsi à la cohésion au sein de la nation et au sein de l'Union européenne.
    Le Gouvernement inscrit sa stratégie sur quinze années, avec comme objectif de permettre à nos régions d'accéder enfin à l'égalité économique.
    Dans le droit-fil des engagements du Président de la République en faveur de l'outre-mer, le Gouvernement propose d'apporter des solutions qui me paraissent répondre de manière globale à des handicaps structurels lourds et permanents qui sont bien connus, que vous avez bien voulu rappeler et sur lesquels je me permettrai de revenir tout à l'heure - car, comme certains d'entre nous, notamment mon collègue Alfred Marie-Jeanne, je crois aux vertus de la répétition. Ces handicaps, l'Union européenne les a pourtant largement pris en compte depuis 1999, dans le corps même du traité de l'Union.
    Il faut bien admettre que les tentatives de réponses qui se sont succédé depuis ces dernières années - malheureusement, sur le court terme - n'ont pas su résoudre les difficultés économiques et sociales dont souffre l'outre-mer, qui demeure confronté, faute de solutions durables sur le fond, à ces handicaps forcément invariables. Les résultats escomptés sont restés en deçà des attentes, laissant une impression d'ébauche. Ce chantier restait donc prioritaire.
    Le projet de loi de programme pour l'outre-mer intervient dans un contexte économique particulièrement dégradé. Alors que le chômage touche durablement une part importante des populations concernées et représente de deux à trois fois le taux moyen enregistré en métropole, les investissements diminuent depuis quelques années et l'emploi ne progresse pas.
    La proximité immédiate de pays en développement, qui bénéficient de grands schémas d'aide et d'assistance - les accords de Cotonou, en particulier -, leur procurant, à travers de véritables statuts dérogatoires, des coûts de production peu élevés, constitue une concurrence redoutable pour des collectivités d'outre-mer confrontées aux handicaps que je viens d'évoquer, mais dont le régime juridique, fiscal et social est aligné sur celui de la métropole.
    Nos départements connaissent à l'évidence des retards importants dans de nombreux domaines, et ce dans un contexte où toute action publique est plus difficile à mettre en oeuvre, en raison de la distance et de l'insularité.
    Ces handicaps structurels liés à notre situation particulière, et que je voudrais souligner, procèdent en effet, pour l'essentiel, de l'isolement géographique inhérent à l'insularité et à l'éloignement par rapport au continent européen, et singulièrement à la métropole française.
    Cet éloignement des centres d'approvisionnement et des grands marchés induit des coûts de transport élevés, qui sont d'autant plus pénalisants que les échanges sont fortement polarisés vers la métropole, qui demeure le principal fournisseur des collectivités d'outre-mer. Ce problème du coût du transport est aggravé, dans le secteur aérien, par la réduction à deux du nombre des compagnies aériennes entre Paris et les Antilles depuis la disparition d'Air Lib. Cette situation se traduit à la fois par une insuffisance de l'offre des capacités de transport et par une augmentation des tarifs pratiqués sur des lignes pourtant considérées comme domestiques.
    Or l'abaissement du coût des transports est indispensable si l'on veut atténuer, madame la ministre, ce sentiment d'expatriation qui résulte de la situation actuelle et susciter l'attractivité de destinations appelées incontestablement à se développer dans le bassin caribéen, en plein coeur des Amériques.
    Eloignement, ai-je dit, mais aussi insularité. L'insularité est également un handicap pour le développement économique local, puisqu'elle induit une étroitesse des marchés qui empêche la réalisation d'économies d'échelle et freine les investissements. Il est d'ailleurs souhaitable de favoriser l'intégration de nos départements d'outre-mer dans leur tissu économique interrégional, un environnement pour l'heure fortement concurrentiel, par des dispositifs appropriés qui favorisent la coopération. Nous pourrons ainsi contribuer à la production, tant en quantité qu'en qualité, et accéder à des marchés extérieurs qui nous sont aujourd'hui fermés. Aucun développement ne sera, en effet, possible sans un marché important.
    Aux handicaps liés à l'insularité et à l'éloignement s'ajoute une situation sociale comportant de graves risques d'explosion. Le caractère préoccupant de la situation sociale tient à la forte croissance démographique - ce dynamisme démographique se traduisant par un fort accroissement de la population active - et, parallèlement, à la croissance insuffisante de l'emploi. L'augmentation du chômage qui en découle affecte plus particulièrement les jeunes, les moins de vingt-cinq ans représentant, à la Martinique, 40 % de la population.
    Cette croissance démographique favorise par ailleurs la concentration de la population dans des agglomérations urbaines, entraînant une dégradation de la qualité de vie ainsi que des problèmes sociaux. Une telle situation rend d'autant plus indispensable un rattrapage en matière d'équipements collectifs et d'infrastructures.
    Le développement économique aux Antilles est encore confronté à des difficultés liées à une conjoncture défavorable, marquée par la dégradation de l'investissement et la crise qui affecte l'activité touristique, avec de graves conséquences sur l'ensemble des secteurs d'activités, principalement ceux de l'industrie et du bâtiment, où l'on constate une multiplication des défaillances d'entreprises.
    Les filières agricoles traditionnelles, comme celles de la banane, de la canne à sucre ou de l'ananas, ont encore un poids économique important mais sont fragilisées par la concurrence de produits agricoles obtenus à moindre coût dans les pays en voie de développement. Et elles se trouvent aujourd'hui menacées par l'ouverture de l'Union européenne à des importations en provenance des pays moins avancés, dans le cadre de l'initiative communautaire « Tout sauf les armes ». Nous avons d'ailleurs évoqué le problème très récemment à Bruxelles.
    La faiblesse du dynamisme économique de l'outre-mer s'explique enfin par l'existence d'autres contraintes plus particulières qui fragilisent les entreprises existantes : le coût du travail, bien sûr ; le niveau insuffisant de formation des salariés ; le surcoût lié à l'acheminement des intrants en provenance de métropole ; la nécessité, pour compenser les difficultés d'approvisionnement, de constituer des stocks qui pèsent sur les comptes d'exploitation ; la difficulté d'accéder à des financements extérieurs en raison d'un coût du crédit très élevé et d'un déficit de l'épargne locale, dont la disponibilité est très faible.
    Les conséquences sont bien connues : un taux de chômage préoccupant, un PIB égal à la moitié du PIB national moyen et un taux de couverture qui ne dépasse pas 15 %.
    Même dans le secteur du tourisme, qui occupe indiscutablement une place déterminante dans l'économie des Antilles en raison des atouts qui caractérisent nos régions, la situation se dégrade sous l'effet de ces contraintes. La fréquentation est en baisse dans tous les secteurs, y compris dans le domaine de l'industrie du tourisme de plaisance, qui n'est plus aujourd'hui en mesure de servir une clientèle que les premières mesures de défiscalisation nous avaient permis de fidéliser. La filière est porteuse et le Sénat vient de la faire prendre en compte, au même titre que la rénovation hôtelière. Il nous appartient de la défendre à tout prix, car ce marché, pourtant en expansion, est très exposé à la concurrence des pays voisins et par conséquent menacé de disparition, alors qu'il est créateur d'emplois, mais aussi de richesses pour l'Etat et les collectivités locales.
    D'une manière générale, le projet de loi de programme que vous proposez, madame la ministre, privilégie une logique de relance de l'emploi et de l'investissement, adossée notamment à des allégements de charges sociales et à la défiscalisation, et qui concerne les principaux secteurs de l'activité économique de nos régions, notamment ceux qui sont particulièrement exposés, une logique donc de vrai développement.
    Nos régions sont encore très fragiles et elles méritent que soient mises au service de leur développement réel des mesures spécifiques sur une longue période.
    Nous aurions naturellement préféré un développement plus autonome et soutenu nous permettant de contribuer, nous aussi, par notre propre dynamisme, à la prospérité nationale.
    Le projet de loi de programme pour l'outre-mer intervient, de manière opportune, au terme d'une large concertation - faut-il le souligner ? - avec les milieux politiques et socioprofessionnels ; il privilégie sur quinze ans les axes majeurs qui sont de nature à répondre à nos demandes récurrentes grâce à des dispositifs qui ne rapportent peut-être pas au budget national, mais qui ne lui coûtent guère non plus.
    Il encourage la création d'emplois et la compétitivité de l'entreprise pour atteindre au développement durable dans de nombreux secteurs.
    Il favorise la relance de l'investissement grâce au renforcement de la défiscalisation, à la prolongation sur quinze ans de la durée du dispositif, à l'extension du champ des secteurs éligibles. Dans le même temps, les procédures de traitement administratif et d'agrément sont simplifiées. Certains secteurs, comme l'hôtellerie ou le logement, sont plus spécialement encouragés, en particulier grâce à un relèvement du taux de défiscalisation.
    Ce projet de loi encourage pour la première fois la continuité territoriale entre les collectivités locales d'outre-mer et la métropole par la mise en oeuvre de dispositifs originaux pour favoriser, notamment, la baisse des coûts du transport dans l'intérêt des résidents. Il fallait bien, madame la ministre, commencer un jour !
    Il renforce, enfin, les capacités financières des collectivités locales dont nous savons la part qu'elles prennent dans le développement régional, avec un niveau de ressources propres plus faible que celui de la métropole et des besoins de financement plus importants. Le texte prévoit, en effet, d'adapter à leurs spécificités le mode de calcul de leurs dotations pour leur donner les moyens de supporter des charges, souvent très lourdes, et d'assurer une commande publique qui correspond à d'incontestables besoins.
    Un changement fondamental et structurant est, dans ces conditions, possible grâce à l'intervention sur les quinze prochaines années de mesures fortes articulées autour de l'allégement du coût du travail en vue de favoriser l'emploi et d'un renforcement de la défiscalisation pour relancer l'investissement, la mise en oeuvre de contrôles au bout de trois ans étant prévue pour nous mettre à l'abri de toute dérive.
    C'est pourquoi je m'étonne que certains de nos détracteurs concentrent encore leurs reproches sur des dépenses qui seraient imposées à l'Etat. Ne devraient-ils pas davantage se préoccuper d'évaluer les objectifs stratégiques et les résultats, s'agissant de régions qui apportent pourtant beaucoup à la nation et à la République ?
    Après avoir depuis longtemps subi les conséquences d'une politique basée sur la demande, enfin s'offrent à nous des moyens stratégiques susceptibles de permettre à nos régions d'outre-mer de prendre le chemin du vrai développement qui constitue bel et bien pour elles le véritable enjeu.
    Aux transferts sociaux de la solidarité nationale, vont s'ajouter maintenant des transferts de moyens de développement sur la base d'une nouvelle volonté de politique économique que nous appelons de nos voeux depuis si longtemps, et qui permet de dégager des ressources dont l'utilisation est tournée sans ambiguïté vers l'essor des activités de production de biens et de services, comme vers la création d'emplois. La mobilisation de ces moyens doit compenser les handicaps structurels de nos économies pour rendre nos entreprises compétitives sur les marchés.
    Une telle volonté, nous l'approuvons, madame la ministre. De telles opportunités, nous entendons les saisir, car elles nous procurent des moyens puissants pour agir sur le développement économique et social, facteur de prospérité, de responsabilité et d'épanouissement individuel.
    M. le président. Il faudrait conclure, monsieur Almont !
    M. Alfred Almont. Je compte sur votre passion pour l'outre-mer, madame la ministre, pour que nos ultimes préoccupations visant à enrichir le texte, à conforter et améliorer encore ce qui peut l'être, sur des points particuliers pour lesquels il ne saurait être question d'effet d'aubaine, soient prises en considération à l'occasion de ce débat parlementaire. Car nos économies insulaires ont grandement besoin, afin d'assurer la production et l'emploi dans tous leurs secteurs d'activités, de satisfaire, grâce à l'égalité économique, les légitimes aspirations de populations qui vous sauront gré de ne leur avoir pas fait la moindre charité mais d'avoir répondu, comme il se devait, à leur désir de cohésion.
    L'indispensable réussite de la réforme des institutions passe aussi et surtout par la mise en place de moyens de développement.
    C'est avec enthousiasme que je voterai ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Christophe Payet.
    M. Christophe Payet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'examen de ce projet de loi de programme pour l'outre-mer intervient dans un contexte social marqué par des manifestations, dans toute la France, contre la politique du Gouvernement.
    A la Réunion, le climat social devient de plus en plus tendu et les manifestations connaissent une ampleur sans précédent. Hier, l'intervention brutale des forces de l'ordre a contribué à l'aggravation des crispations, alors que, selon nous, l'heure devrait être au dialogue et à l'apaisement.
    Pour notre part, nous constatons que la perception des menaces contenues dans la politique mise en oeuvre par le Gouvernement a largement participé à la prise de conscience d'un nécessaire élan collectif pour sauvegarder les acquis sociaux et pour élaborer des propositions réunionnaises, afin d'engager définitivement notre île sur la voie d'un véritable développement.
    C'est en tout cas ce que nous avons ressenti lors des auditions auxquelles nous avons procédé avec d'autres parlementaires de l'île, dans le cadre de la préparation de ce débat. Nous avons ainsi rencontré l'ensemble des forces vives de la société réunionnaise, sans exclusive - syndicats d'ouvriers et de fonctionnaires, collectifs de chômeurs et d'emplois jeunes, représentants du monde agricole, artisans et chefs d'entreprise, chambres consulaires, acteurs du logement -, et nous avons été frappés, madame la ministre, tant par l'attente suscitée par le projet de loi de programme que par la vive inquiétude de ces milieux représentatifs de l'ensemble de notre population.
    Une attente illustrée avant tout par la richesse de leurs contributions. Certaines d'entre elles vous ont été adressées et vous conviendrez avec moi que, une fois de plus, fidèle à sa tradition, la Réunion a su créer, localement, les conditions qui permettent d'aborder ce débat avec sérieux. J'espère que ces efforts ne seront pas vains et que, dans la discussion qui va suivre, le Gouvernement sera attentif à ces propositions et qu'il ne repoussera pas d'un revers de main les contributions des acteurs de notre île.
    Ces propositions, globales, témoignent surtout d'une attente déçue. Vous avez annoncé aux Réunionnais, madame la ministre, une grande loi programme sur quinze ans. On était fondé à espérer un projet de loi global, touchant l'ensemble des secteurs, résolument tourné vers l'avenir, adapté aux réalités locales, ouvrant notre île vers de nouveaux horizons et innovant dans les solutions proposées en faveur du développement. Nous nous retrouvons à la sortie avec un projet de loi qui, certes, porte sur quinze ans, mais qui nous ramène plus de quinze ans en arrière, à la loi Pons. Les quelques mesures en faveur du logement ou de la mobilité sont bien minces pour cacher l'évidence : ce qui nous est proposé, c'est une nouvelle loi de défiscalisation - une de plus !
    Les attentes de la majorité des Réunionnais sont ailleurs. Ne nous y trompons pas : cette déception réside davantage dans les impasses de ce texte que dans les quelques mesures qu'il contient et qui, pour l'essentiel, reprennent et amplifient la loi d'orientation pour l'outre-mer.
    Le Gouvernement a fait le choix exclusif du soutien à l'économie marchande pour tenter de lutter contre le chômage massif qui sévit dans notre département.
    Bien sûr, tout ce qui tend à favoriser la création d'emplois durables doit être soutenu. Mais nous savons tous que l'économie marchande ne pourra pas à elle seule intégrer les milliers de jeunes qui, à la Réunion, compte tenu de notre dynamique démographique, arrivent chaque année sur le marché du travail. Cela est admis par tous, même par les organisations patronales locales.
    Or, la loi programme fait l'impasse sur la structuration et le développement de l'économie sociale qui est l'autre pôle porteur de potentialités en matière d'insertion par l'activité. Elle ne répond pas non plus à l'attente exprimée par le collectif des emplois jeunes et la mesure introduite au Sénat - qui est d'ailleurs déjà appliquée - ne règle en rien la question de la pérennisation de leur emploi. Je pense plus particulièrement aux 600 aides-éducateurs, dont les contrats arrivent à terme, et qui - pour reprendre votre expression, madame la ministre - ne devront pas rester au bord du chemin.
    De même, rien n'est envisagé pour l'agriculture, sur laquelle pèsent pourtant des menaces très lourdes dans le cadre de la renégociation du règlement sucrier. Si certains ont déjà capitulé et pensent qu'elle est appelée à disparaître, pour ma part, je suis convaincu que l'agriculture réunionnaise doit continuer à être un levier important du développement de notre économie, pour peu qu'elle soit soutenue et que les agriculteurs ne soient pas découragés.
    Et permettez-moi, madame la ministre, de saisir cette occasion pour vous interroger une nouvelle fois sur la parution du décret d'application relatif à la retraite complémentaire des non-salariés agricoles. L'outre-mer demeure en attente de ce décret, déjà paru, pour la France métropolitaine depuis le mois de février.
    On pourrait citer de nombreux autres secteurs ignorés par la loi programme, puisque le Gouvernement a fait le choix d'une politique d'aide fiscale oubliant la dépense publique d'investissement. Ce choix inquiète, parce qu'il ferme la porte à une politique de rattrapage.
    A cet égard, nous avons noté que, en première lecture au Sénat, les amendements rejetés par le Gouvernement ont rarement été contestés sur le fond, mais refusés parce qu'ils étaient jugés trop coûteux. Cette argumentation est lourde de sens, et nous n'avons pas fini d'en mesurer la portée négative.
    Ce qui, en définitive, fait défaut à votre projet de loi, c'est une appréhension de nos problèmes dans leur globalité, c'est une véritable stratégie de développement, une cohérence, un sens.
    Attente déçue également concernant ce qui est présenté comme une mesure phare de ce projet de loi : l'instauration d'une dotation de continuité territoriale. L'article 42, qui se résume à une aide forfaitaire aux passagers, et ne vise nullement le fret, ignore ce qui caractérise la mise en oeuvre d'une véritable continuité territoriale : la compensation des handicaps structurels liés à l'insularité et à l'éloignement. L'assimilation de la mesure proposée à la notion de continuité territoriale relève pour le moins d'un abus de langage : 2 % de ce qui est offert à la Corse en matière de continuité territoriale par habitant.
    Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ces nombreuses attentes déçues s'inscrivent dans un contexte marqué par une vive inquiétude. L'actualité réunionnaise est caractérisée par un climat de malaise généralisé. Ce sont les emplois jeunes, nous en avons parlé. Ce sont aussi les travailleurs du privé et les fonctionnaires inquiets de la réforme du système des retraites. Ce sont, également, les personnels de l'éducation opposés à la réforme de décentralisation dans l'éducation nationale. Et, plus récemment, ce sont les étudiants inquiets de la réforme sur l'autonomie des universités.
    Au-delà de ces manifestations visibles, c'est en fait l'ensemble de la société réunionnaise qui est en perte de confiance. Cela se comprend aisément quand on sait que, à la Réunion, le taux de chômage est presque quatre fois plus élevé qu'en métropole, qu'on compte plus de 30 % de foyers au RMI et que plus de 40 % de la population relève de la couverture maladie universelle.
    Et ni votre texte, madame la ministre, ni la politique générale du Gouvernement ne semblent de nature à rétablir cette confiance, préalable indispensable à la réussite de tout projet de développement. C'est pourquoi il ne nous sera pas possible de voter votre projet de loi en l'état. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Bertho Audifax.
    M. Bertho Audifax. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi de programme pour l'outre-mer vient, quelque quinze mois après son élection, concrétiser le programme proposé aux électeurs de l'outre-mer par le Président Jacques Chirac. Ce délai est d'autant plus remarquable qu'il est réduit à douze mois d'exercice de la présente législature. Rarement des engagements auront été tenus aussi rapidement. On le doit à votre volonté et à votre travail, madame la ministre.
    Déclinée selon cinq grands axes, cette loi se veut ambitieuse, s'inscrivant dans la durée, généreuse et créatrice d'emplois durables dans le secteur marchand : pour la première fois est enclenchée cette politique de continuité territoriale dont on parlait depuis si longtemps.
    Trois questions nous sont constamment posées : cette loi est-elle utile ? Est-elle exceptionnelle ? Sera-t-elle efficace ?
    Me situant dans le seul contexte réunionnais, je voudrais tenter de répondre à ces trois questions. Je laisse à mes collègues des Antilles, de la Guyane et des autres territoires le soin d'apporter à ce débat les arguments qui leur sont propres. Car, comme l'a rappelé tout à l'heure Pierre Frogier, il n'y a pas aujourd'hui un outre-mer français, mais des outre-mer français, avec, pour chacun, des problèmes particuliers et des réponses différentes. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Cette loi sera-t-elle utile ? Je ne voudrais pas rappeler, une fois de plus, les problèmes de démographie ascendante de notre île, les chiffres du chômage, plus particulièrement celui des jeunes, le chiffre des bénéficiaires du RMI, le chiffre des besoins en logements : à eux seuls, ils justifient un effort particulier.
    A la Réunion, nos entreprises, malgré l'éloignement de leurs sources d'approvisionnement en matières premières, ont réussi le pari de l'import-substitution. Malgré l'étroitesse du marché local, malgré des salaires considérablement plus élevés que dans les pays de la zone, nos entreprises créent 3 000 à 3 500 emplois par an. Ce rythme est maintenu grâce à l'octroi de mer et au mécanisme d'exonération de charges. Il est évident que les nouvelles mesures de la loi de programme et, surtout, leur pérennisation sur quinze ans doperont la création d'emplois et, par conséquent, l'amélioration parallèle des crédits sociaux. Car, certains semblent l'oublier, un chômeur ou un RMIste qui trouve du travail est, avec une dignité retrouvée, un débiteur social de moins et un cotisant de plus.
    N'oublions pas aussi que, parallèlement, chaque année, arrivent sur le marché du travail 8 000 à 9 000 jeunes, dans leur grande majorité sans formation qualifiante. C'est le prix que nous allons payer encore pendant quinze ans à notre démographie. Mais n'est-ce pas aussi pour notre nation la possibilité, par une politique de formation et de mobilité efficace, de pallier le futur déficit prévisible d'emplois dans l'Hexagone ?
    Je persiste à regretter que la stratégie industrielle d'exportation ne fasse pas, comme pour le tourisme, l'objet de mesures plus favorables. Si l'import substitution est, depuis plus d'une dizaine d'années, le socle du développement industriel de la Réunion, seule l'ouverture sur les marchés extérieurs peut permettre de gagner, demain, la bataille industrielle. Cette ouverture est difficile, car le degré d'exposition de nos entreprises est très élevé en raison de l'éloignement des sources d'approvisionnement, de nos structures de salaires et de charges sociales, et des barrières protectionnistes plus ou moins déguisées, mais bien réelles, des pays avoisinants. Des mesures de soutien auraient, à mon sens, marqué une volonté encore plus nette de stratégie industrielle.
    Cette loi est-elle exceptionnelle ? Oui, car elle répond à des situations exceptionnelles. Je reprendrai ici les termes du communiqué de presse du 26 mai 2003 de M. le Premier ministre, à la suite de la réunion du comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire : « Conscient que l'adaptation de l'économie nationale est un processus continu, le Gouvernement s'attache à anticiper les mutations des activités des territoires et, lorsque celles-ci présentent un caractère grave et exceptionnel, à les accompagner dans un souci de solidarité territoriale et de cohésion nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Il est nécessaire d'apporter des réponses adaptées aux réalités locales et pour cela de mobiliser les acteurs et concentrer les moyens financiers. »
    Je ne veux pas rappeler les chiffres des quatre contrats de site et ceux de la revitalisation des sept territoires. Je dirai seulement que départements et territoires d'outre-mer sont des adultes responsables, et non les « enfants gâtés » de la République. Ils se félicitent d'avoir un Président de la République, un Gouvernement et une ministre de l'outre-mer qui se sentent concernés par le « caractère grave et exceptionnel » de leurs retards structurels. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Cette loi sera-t-elle efficace ? De la loi Pons de défiscalisation à la loi Perben, l'efficacité des mesures d'abaissement du coût du travail et de soutien économique a toujours été constatée, malgré ce qu'en pensent certains. D'ailleurs, on n'a pas vu ceux qui étaient au pouvoir hier employer autre chose que ces mécanismes. C'est donc qu'ils y avaient trouvé un certain bienfait !
    M. Bernard Accoyer. Bien sûr !
    M. Bertho Audifax. Aujourd'hui, ils semblent pourtant les remettre en cause.
    Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons en aucun cas mettre en doute la portée de la loi de programme.
    Le monde économique dans lequel nous vivons est fait d'incertitudes, c'est une lapalissade que de le dire. Il n'y aura pas de loi miracle pour l'outre-mer. La route sera longue et difficile.
    Le contexte social des DOM, et particulièrement de la Réunion, est si fragile que certains de nos adversaires, après avoir décrit avec cruauté, délices et multiples raffinements les écueils de notre quotidien, se projettent immédiatement en 2030 ou 2050 pour nous plonger, selon l'humeur, soit dans un chaos écologique et économique, soit dans un monde où la Réunion serait l'épicentre de l'océan Indien. Ainsi, ils ne risquent pas de se tromper puisque, entre 2003 et 2030, il ne se passe rien. Ils sont incapables de proposer la moindre solution concrète aux problèmes de la Réunion.
    Responsables à leur niveau du blocage de nombreux dossiers, porteurs de projets pharaoniques, ils échappent aux contingences de l'immédiat, surfent sur les difficultés sociales créées par leurs amis du gouvernement précédent, jouent des peurs du changement et multiplient les déclarations démagogiques. Tour à tour, ils sont adeptes d'une décentralisation extrême et ils refusent les premières mesures, dénonçant, hier, ce qu'ils appellent les « privilèges » des fonctionnaires, et se faisant aujourd'hui, dans la rue, les contempteurs de la décentralisation.
    M. Philippe Auberger, rapporteur. C'est accablant !
    M. Bertho Audifax. Nous avons choisi, pour notre part, de nous attaquer aux difficultés quotidiennes avec courage et détermination. Les réformes nationales sont indispensables et n'ont que trop tardé, mais, à la Réunion, elles nécessitent une pédagogie en amont encore plus grande que dans l'Hexagone, afin d'écarter les dérapages démagogiques de l'opposition.
    L'image d'une Réunion désemparée est réelle. Elle doit à mon sens nous conduire à mener, parallèlement à la mise en route de la loi de programme, une réflexion de fond sur la politique sociale à la Réunion.
    Je suis persuadé que, sur le plan social, on peut faire mieux avec ce que l'on a et je pense que, après une loi économique comme celle que nous examinons aujourd'hui, il vous faut, madame la ministre, lancer le chantier d'une réflexion sociale globale pour chacun des DOM. Ne laissons pas nos adversaires jouer des contradictions héritées du passé. Ne donnons pas à nos jeunes le sentiment que notre système social est bloqué. Cette société domienne qui marie sous-développement économique et avantages sociaux de pays développé ne doit pas être une machine à exclure. La création d'emplois marchands ne pourra plus compenser le chômage structurel pendant de nombreuses années. Dans les DOM, plus qu'ailleurs, économique et social sont indissociables pour une société de justice, mais rien ne doit être immuable.
    La loi de programme demandera du temps avant de produire ses effets. Aussi, le soutien aux emplois aidés restera-t-il une nécessité et le Gouvernement ne peut pas ignorer la situation des collectivités locales qui portent au quotidien le poids du chômage.
    Oui, nous devons avoir une réflexion large sur une refonte de la politique du logement social, sur la formation professionnelle, sur l'insertion des jeunes éjectés sans qualification du système scolaire. Je regrette, madame la ministre, de n'avoir pu maintenir un amendement à l'article 11, car, si l'on peut se féliciter de l'expérience du collège de la vocation réalisée par le conseil général de la Réunion, elle reste insuffisante. Il est indispensable de resociabiliser et de préparer à l'insertion tous ces jeunes, parfois âgés d'à peine seize ans, en situation d'échec scolaire total et qui, dans les années qui suivent, vont perdre leurs acquis scolaires et l'espoir. Ceux-là sont voués jusqu'à l'âge de vingt-six ans aux contrats aidés, puis au RMI. Ils représentent pour notre société une exclusion insupportable et dangereuse. Je suis persuadé, madame la ministre, qu'il est de notre responsabilité de mener de toute urgence une réflexion sur les moyens de les réinsérer dans un processus de qualification.
    Nous devons aussi avoir rapidement une réflexion sur les connexions entre RMI et, demain, RMA, emplois aidés, emplois des collectivités et emplois marchands, et sur la nécessité d'une politique de mobilité qui doit effacer des querelles de clocher et ouvrir aux jeunes Français d'outre-mer l'espoir du travail qu'ils ne peuvent pas trouver sur place, ou qu'ils ne trouveront pas immédiatement sur place.
    Peut-être me répondrez-vous, madame la ministre, que cela relève des collectivités locales au titre de la décentralisation ? Permettez-moi d'en douter. C'est l'Etat qui doit prendre l'initiative d'un tel effort, en y associant bien sûr les collectivités locales, mais aussi, et sans vouloir être exhaustif, des organismes comme la caisse d'allocations familiales, les organisations d'insertion et les bailleurs sociaux. Dans le contexte budgétaire national difficile que nous connaissons, notre politique doit viser non pas à augmenter la masse des budgets sociaux, mais à mieux les répartir et à mieux les harmoniser, afin d'éviter, par exemple, que, demain, la politique d'harmonisation des SMIC n'entraîne des effets négatifs sur les exonérations des charges sociales prévues dans la loi de programme.
    Vous avez souhaité avec sagesse, madame la ministre, que soient mesurés tous les trois ans les effets de la présente loi. Je m'en félicite. Je suis persuadé que, de ce nouveau plan social, dépendra aussi la réussite économique de la loi que nous défendons aujourd'hui et à laquelle nous apportons tout notre soutien.
    C'est pourquoi je vous prie, madame la ministre, de lancer ce vaste chantier social et d'y mettre le même tempérament qui nous vaut aujourd'hui de voir se réaliser les promesses électorales du Président Jacques Chirac.(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à  M. Eric Jalton.
    M. Eric Jalton. Madame la ministre, votre projet de loi veut s'inscrire en rupture avec toutes les précédentes lois consacrées à l'outre-mer, puisqu'il fixe un cadre pour les quinze prochaines années au terme desquelles, conformément aux engagements pris par le Président de la République, l'égalité économique souhaitée depuis fort longtemps entre les collectivités d'outre-mer et la métropole se présenterait comme un objectif atteint. C'est donc à mes yeux l'une des principales ambitions de ce projet de loi de programme que de vouloir donner une lisibilité sur le long terme à la politique économique du Gouvernement pour l'outre-mer. Sans vouloir ouvrir un débat idéologique ou doctrinal sur vos choix et vos priorités, la politique de relance de l'activité économique que vous préconisez, s'appuyant essentiellement sur les deux piliers de l'offre que sont l'abaissement des charges et le soutien fiscal à l'investissement, fait aujourd'hui la quasi-unanimité.
    Sans ignorer vos contraintes budgétaires, nous nous devons de présenter et de soutenir des amendements visant à améliorer l'efficacité de votre dispositif, et à prévenir certaines injustices.
    Aussi, nous attendons beaucoup du dispositif d'évaluation prévu à l'article 4, renforcé, nous l'espérons, par les deux amendements que nous avons proposés, afin qu'avec pragmatisme, et en fonction des résultats obtenus en termes de création d'emplois, et particulièrement dans le domaine du transport, en termes de diminution des coûts, d'augmentation de l'offre et de diversification des dessertes, des ajustements périodiques puissent s'opérer visant à pousser les entreprises à se préoccuper un peu plus de leur environnement social, et de leurs responsabilités envers la société et le territoire où ils exercent leurs activités.
    La situation de la plupart de nos communes, en Guadeloupe, est préoccupante, et présente à bien des égards des risques importants de mise en panne de la commande publique, dont la manne aurait pu bénéficier à de nombreux artisans, commerçants, agriculteurs.
    La mesure annoncée visant à les accompagner dans un effort pour plus de justice fiscale par une amélioration de l'adressage - du numérotage, dans votre projet de loi - va dans le bon sens ; mais nous espérons aussi que le rapport prévu à l'article 36, visant à reconsidérer à terme le montant et la répartition des dotations attribuées aux collectivités territoriales d'outre-mer en fonction de caractéristiques spécifiques, mieux appréhendées, pourra entre autres arrêter des dispositions allant dans le sens d'une meilleure structuration des communes par une incitation pour celles qui font l'effort de se doter d'un encadrement suffisant afin d'améliorer la performance, et donc la qualité du service public outre-mer.
    En ce qui concerne l'office de l'eau, la récente sécheresse en Guadeloupe, qui a entraîné l'instauration de tours d'eau, a montré l'urgence de la création et du fonctionnement d'un tel établissement public. A cet égard, la loi de programme a le grand mérite de donner à cet office les moyens de remplir sa mission. Pour le logement nous aurions souhaité une amélioration des conditions d'éligibilité au bénéfice de l'avantage fiscal, ainsi q'une augmentation du plafond de ressources pour les logements intermédiaires, afin d'étendre l'offre à des attributaires qui en sont exlus, bien que disposant de ressources modestes. En matière de défiscalisation, il nous semble opportun de diversifier l'offre touristique et de corriger une injustice en rendant la réhabilitation des gîtes classés éligible au dispositif à 70 % de réduction d'impôt.
    Nous ne comprenons pas, soit dit en passant, que la pêche ne bénéficie pas du même taux de défiscalisation que le secteur de la navigation de plaisance. Nous nous interrogeons d'ailleurs sur la façon dont Bercy parvient à évaluer à terme le coût de la défiscalisation des investissements, étant donné qu'a priori, sans défiscalisation, comme vous l'avez dit en d'autres termes, madame la ministre, il n'y aurait pas d'investissements outre-mer. Peut-être lisent-ils dans le marc de café. (Sourires.)
    Pour ma part, je souhaite fortement que soient mieux considérés ces territoires défavorisés par une double, voire une triple insularité, comme les îles du sud de l'archipel guadeloupéen, Marie-Galante, La Désirade, Les Saintes, qui méritent un traitement spécifique afin d'éviter de creuser plus encore des inégalités entre nos territoires, à l'intérieur d'une même région.
    Dans le même ordre d'idée, la continuité territoriale doit aussi s'appliquer à mes yeux pour le fret à l'intérieur des îles de l'archipel, et pas seulement en direction de la métropole.
    En effet, des surcoûts importants grèvent les comptes d'exploitation des entreprises des îles du sud de la Guadeloupe, qui perdent leur clientèle captive et ne peuvent prétendre accroître leur chiffre d'affaires sur place en raison de la baisse de la population et d'une démographie en déclin.
    Enfin, madame la ministre, avant de conclure, je souhaiterais que vous nous expliquiez comment le Gouvernement compte concilier, sans préjudice pour les bénéficiaires potentiels du projet de loi de programme pour l'outre-mer, les dispositions d'abaissement du coût du travail et d'intégration des RMIstes prévus dans le titre Ier que nous allons examiner avec des dispositions du même ordre contenues respectivement dans la loi Fillon et la future loi sur le RMA.
    Quant à la surrémunération des fonctionnaires évoquée par le président de la commission des finances ce matin, j'aimerais lui dire qu'il y a peut-être beaucoup d'injustices à corriger dans cette République, mais qu'il demeure une injustice, qui est un taux de chômage en Guadeloupe qui est triple de celui de l'Hexagone. Quand nous aurons remédié à cela, que nous aurons le même taux de chômage dans les régions et territoire d'outre-mer, nous pourrons discuter de la surrémunération des fonctionnaires. Ne mettons pas la charrue devant les boeufs.
    Madame la ministre, je me prononcerai définitivement sur ce projet de loi après que nous aurons délibéré sur les articles et amendements afférents. Toutefois, je salue, sincèrement, dans un difficile contexte budgétaire et même politique - certaines déclarations de vos amis de la majorité gouvernementale l'ont illustré -, la singulière détermination dont vous faites preuve pour défendre nos intérêts, ceux des ultramarins et de leurs territoires de résidence ou d'origine. Je note qu'après un an d'exercice de votre ministère, au moins deux questions majeures ont été abordées, à savoir l'évolution institutionnelle et le développement économique de l'outre-mer, sans compter, ce qui est non négligeable, le passeport mobilité jeune et, plus largement, la continuité territoriale.
    Bien sûr, il reste encore beaucoup à faire pour rattraper tous les retards que nous avons accumulés au fil du temps. En tout état de cause, quel que soit le sort réservé à nos amendements et à ceux que nous soutiendrons, seul l'avenir nous dira si la future loi de programme pour l'outre-mer - qui prévoit d'ailleurs des évaluations - aura servi à faire du profit pour quelques-uns ou si, comme nous le souhaitons tous, et vous aussi, certainement, elle aura été au service de la création d'emplois et de la justice en matière de continuité territoriale pour le plus grand nombre de nos compatriotes de là-bas.
    Chers collègues, je vous remercie de votre attention, comme je remercie M. le président de l'Assemblée nationale de nous honorer de sa présence aujourd'hui et d'avoir toléré ce dépassement de parole. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Frédéric de Saint-Sernin.
    M. Frédéric de Saint-Sernin. Monsieur le président, vous ne m'en voudrez pas de vous féliciter à mon tour pour votre présence ce matin, puisque cela a été fait largement sur ces bancs...
    M. le président. Non, cela devient un peu gênant pour moi ! (Sourires.)
    M. Philippe Auberger, rapporteur. Il va finir par rougir, ou par se demander ce qu'il fait là !
    M. Frédéric de Saint-Sernin. Si vous le permettez, je tiens à remercier ma collègue Gabrielle Louis-Carabin, qui a permis à un député métropolitain de s'exprimer avant elle, même s'il est vrai que nous avons la chance, en métropole, de jouir de la continuité territoriale,...
    M. le président. Même avec la Dordogne !
    M. Frédéric de Saint-Sernin. ... avec, certes, quelques perturbations en ce moment.
    Je voudrais tout d'abord vous féliciter, madame la ministre, d'avoir tenu vos engagements : vous nous aviez promis une politique de réformes, qui favorise le développement économique et social dans les départements et territoires d'outre-mer et cette loi programme que vous nous présentez en est l'illustration et la traduction. Vous vouliez un débat parlementaire qui ne soit pas retardé en raison du grand nombre de textes présentés ce printemps au Parlement, et vous avez réussi à imposer votre calendrier. Nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française seront donc heureux de pouvoir accueillir le Président de la République, fin juillet, en sachant que des mesures importantes, qui concernent leur vie quotidienne, auront été votées.
    Ce projet de loi de programme pour l'outre-mer, en effet, rompt avec la politique d'assistanat qui a trop longtemps prévalu jusqu'ici. Aujourd'hui, vous mettez en place un dispositif de soutien économique destiné à relancer les investissements et à augmenter le nombre d'emplois stables. J'approuve votre démarche, qui consiste à compenser les handicaps structurels dont souffre l'outre-mer par un accompagnement économique adapté.
    Au fond, il s'agit d'approfondir une réflexion de développement durable outre-mer, qui allie croissance économique et progrès social dans un environnement protégé. Outre le fait qu'elle s'inscrit dans une logique de responsabilité, la loi de programme qui nous est proposée présente l'autre avantage de s'inscrire dans le long terme, c'est-à-dire sur quinze ans. Ainsi, l'important volet de la défiscalisation ne sera pas remis en question à chaque discussion budgéraire, mais pérennisé.
    Sans entrer dans le détail des dispositions du projet de loi, je voudrais simplement insister sur quelques mesures qui me paraissent porteuses d'avenir.
    Tout d'abord, celles qui concernent les jeunes. Ainsi, le dispositif de congé-solidarité, qui lie la cessation d'activité d'un salarié âgé à l'embauche d'un jeune, est amélioré puisque son bénéfice est élargi.
    Concernant les RMIstes, et afin de promouvoir une logique d'insertion, une aide sera versée à l'employeur qui proposera un contrat à durée indéterminée dans les départements d'outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon.
    Je voudrais aussi relever que les diplômes professionnels obtenus sur place par les jeunes Calédoniens et Polynésiens sont reconnus par l'Etat. C'est une garantie essentielle pour l'exercice d'une activité professionnelle en métropole et, plus largement, au sein de l'Union européenne.
    Concernant l'allégement des charges sociales, j'approuve bien sûr complètement l'objectif qui est le vôtre d'abaisser le coût du travail. J'approuve en particulier l'abandon, dans votre texte, des tentatives d'interdiction du cumul des aides nationales et locales. Je note que la règle de la non-déduction de l'assiette fiscale éligible, des aides résultant de la mise en oeuvre des régimes autonomes d'aide fiscale, aux investissements propres à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française, à Wallis-et-Futuna, à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon, est affirmée.
    Pourtant, dans un autre domaine, l'idée d'un même taux de réduction d'impôt pour la rénovation hôtelière dans nos territoires du Pacifique, comme celui appliqué dans les départements d'outre-mer, n'aurait pas été illogique.
    De manière générale, à propos de la défiscalisation, soyons clairs : il ne s'agit pas de créer un régime fiscal d'exception pour l'outre-mer, mais de renforcer l'investissement grâce à une confiance retrouvée.
    Un mot, enfin, sur le renforcement de la continuité territoriale, qui est un engagement majeur pour compenser les contraintes liées à l'éloignement des collectivités ultramarines. Il me paraît logique, à ce titre, que la dotation de l'Etat à ces collectivités se fasse en prenant en compte la distance qui les sépare de la métropole. Je pense bien sûr à nos territoires du Pacifique-Sud, qui ne peuvent être traités comme les autres.
    Au total, ce texte, qui encourage les créations d'emplois, relance l'investissement privé par la défiscalisation et préserve la continuité territoriale, répond aux engagements pris par le Président de la République et le Gouvernement en faveur d'un développement durable de l'outre-mer. Certains regretteront que l'on n'ait pas mieux pris en compte les singularités de chaque territoire. Quoi qu'il en soit, le nécessaire bilan de la loi de programme pourra être effectué avec régularité, tous les trois ans, et à ce moment-là, selon d'éventuelles données nouvelles, des mesures adéquates pourront être adaptées.
    C'est donc avec une totale conviction que je voterai votre texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

    M. le président. La parole est à Mme Christiane Taubira.
    Mme Christiane Taubira. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, et si on envahissait les USA ? Telle fut la proposition d'un ministre du sucre et du café du gouvernement provisoire d'un pays de la Caraïbe. C'est dans un roman très drôle, au titre éponyme, publié en 1992. Le président, qui se nomme Cessons-de-faire-le-pitre, est dans l'embarras. Les caisses de l'Etat sont vides, il n'a pas de quoi acheter sa prochaine réélection. Il convoque donc un conseil des ministres. Et telle est l'idée géniale qui lui est soumise.
    Et si l'outre-mer subventionnait l'Etat ? L'idée semble insolite. Pourtant, dès 1994, c'est par le relèvement de deux points et demi du taux de TVA dans l'outre-mer assujetti à cette taxe que furent financées la plupart des mesures de la loi Perben. Et dans le texte que vous nous proposez, madame la ministre, au titre IV, l'article 41 crée une redevance sur l'eau. L'article 37 presse les communes de procéder au recensement - numérotage, adressage - pour l'élargissement de leur assiette fiscale, avec une promesse de remboursement de la moitié du coût dans cinq ans. L'article 34 prévoit un abattement pour cinq ans de 30 % sur le foncier bâti, avec une compensation de l'Etat que le Sénat s'est empressé de supprimer. Cette compensation devrait donc incomber aux collectivités.
    Quant aux 150 millions d'euros de compensation automatique à la créance de proratisation suite à l'alignement du RMI, ils se sont dissous. La bonification de 20 millions d'euros pour le passage aux 35 heures s'est volatilisée.
    Il faut dire que sur le principe de l'autofinancement de l'outre-mer, nous connaissons des précédents fameux. Ce principe, qui date de la Restauration et a été confirmé sous le Second Empire, édictait que les colonies doivent satisfaire à leurs dépenses. Et c'est ainsi qu'en 1866 fut créé l'octroi de mer pour couvrir les dépenses publiques, dont, entre autres, les salaires des milices, ces milices qui étaient chargées, justement, jusqu'en 1848, de poursuivre, de capturer et de ramener les nègres marrons sur les plantations.
    Mais voyons ce que l'Etat pourvoit comme moyens pour cette loi tri-quinquennale. Nous allons rester sur les chiffres incontestés.
    Titre Ier : exonérations sociales. Depuis la loi Veil de 1974, l'Etat a effectivement l'obligation de compenser auprès des organismes sociaux les exonérations de cotisations qu'il accorde. Vous avez indiqué, madame la ministre, à l'occasion d'une émission que RFO vous a consacré pendant cent deux minutes pour une explication de texte - et vous nous l'avez rappelé ici, à la tribune, hier soir - que cette mesure coûterait à l'Etat 40 millions d'euros, en précisant que c'était le coût social de 4 700 chômeurs, lesquels 4 700 chômeurs, s'ils retrouvaient un emploi, cotiseraient à hauteur de 34 millions d'euros à l'UNEDIC. On pourrait presque dire que c'est une opération assurée tous risques. Mais ne précipitons pas les choses. Ces 4 700 chômeurs n'ont pas encore trouvé un emploi et il n'est pas dit que, si ces emplois étaient créés, ils leur reviendraient d'autorité. Nous avons déjà contribué à résorber du chômage venu d'ailleurs... Retenons donc surtout que l'Etat déboursera, sur cette opération, 40 millions d'euros. Les autres mesures du titre Ier, qui concernent le congé solidarité, le service militaire adapté, le contrat d'accès à l'emploi, les agriculteurs, coûteraient environ 10 millions d'euros, selon les spécialistes.
    Le titre II correspond en fait essentiellement à un renoncement par l'Etat à des recettes hypothétiques. Le Sénat les évalue à 164 millions d'euros, mais surtout on observe que, sur les dix dernières années, le ministère des finances accorde des agréments dans la limite de 300 millions d'euros annuels, ce qui veut dire qu'il suffira de quelques gros projets - et on sait qu'il y en a dans les cartons, notamment en Polynésie - pour que le processus se ralentisse. A moins que vous soyez en mesure aujourd'hui de nous assurer que, dorénavant, il en ira différemment.
    Le titre V est consacré à la continuité territoriale, et nous savons qu'il s'agit de 30 millions d'euros, dont les critères de répartition pour l'ensemble des collectivités d'outre-mer seront établis par le Conseil d'Etat, avec un silence total, pour l'instant, sur les critères d'attribution aux usagers eux-mêmes. Nous savons que la tentation de sélection arbitraire de ces usagers sera grande.
    Additions et soustractions effectuées, nous constatons que, dans l'hypothèse la plus optimiste, ce sont 65 millions d'euros qui seront consacrés au financement de cette loi de programme. C'est quand même un changement d'échelle par rapport à la loi d'orientation pour l'outre-mer, à laquelle, pourtant, je ne trouvais pas toutes les vertus, et qui atteignait tout de même 700 millions d'euros, hors alignement du RMI. Mais manifestement grâce à cette loi de programme, le développement durable est sommé d'être au rendez-vous...
    Mais puisque nous en sommes à la discussion générale et que nous aurons le temps d'examiner, de scruter les articles, arrêtons-nous quelques instants sur l'esprit, sur les ambitions affichées, sur les finalités de ce texte, et, après cette ébauche d'analyse critique sur sa logique interne, confrontons-la aussi à une autre logique.
    D'abord, la durée : quinze ans. Nous avons été quand même quelques parlementaires, constants, et même persévérants, pour plaider pour un engagement pluriannuel de l'Etat envers l'outre-mer, et même les outre-mers, puisque nous avons beaucoup lutté pour faire admettre ce pluriel, tout en considérant cependant que même ce pluriel continue à nous projeter hors de nous-mêmes en nous signifiant que c'est sur l'autre rive, de l'autre côté de la mer, que se prennent les décisions responsables et intelligentes, que se trame ce qui nous sauvera, y compris de nous-mêmes. Ce n'est peut-être ni le lieu ni le moment d'une bataille sémantique, quoique l'acte de nommer soit un acte de pouvoir.
    Retenons simplement cet engagement pluriannuel. En fait, pourquoi quinze ans et pourquoi pas dix ans renouvelables pour dix nouvelles années en tacite reconduction ou en conditionnalité ? Comment seront organisées la cohérence et l'articulation entre les dispositifs des différents partenaires, à savoir l'Etat, les collectivités, l'Union européenne ? La Commission européenne, dont l'accord est d'ailleurs indispensable pour valider vos titres Ier et II, se prononcera prochainement sur la prorogation de l'octroi de mer. Ce sera vraisemblablement une prorogration décennale, c'est-à-dire de dix ans. Vous-même, à l'intérieur de ce texte, vous inscrivez des dispositions qui vont durer cinq ans. Finalement, après tout ce que nous avons entendu hier soir, nous avons compris que ces quinze ans sont essentiellement un affichage, pour rassurer les défiscalisateurs potentiels. Mais, soit !
    Venons-en au titre Ier, qui concerne l'emploi. Vous visez explicitement des emplois durables, et de préférence en faveur des jeunes et des allocataires du RMI, en espérant que les entreprises vont recruter en priorité des jeunes qui sortent du dispositif emplois jeunes. Alors, il faut assumer. Lorsque nous avons créé les emplois jeunes en 1997, nous avons affiché très clairement que l'un des buts était de donner une formation, une expérience de cinq ans à des jeunes qui étaient pénalisés par ce manque d'expérience, pour mieux les armer sur le marché du travail.
    Mais c'est tout de même une vision singulière de la jeunesse et des résidents d'outre-mer que de les percevoir sans cesse comme des hordes de RMIstes, des cohortes de chômeurs, des escouades d'individus oisifs ! Jamais un mot n'est prononcé sur ce qui marche bien ! Comme s'il suffisait, en fait, d'accorder quelques exonérations fiscales aux entreprises, comme s'il n'y avait plus de champs à investir, plus de filières nouvelles à occuper, plus de diversifications à accomplir !
    M. Victorin Lurel. Très juste !
    Mme Christiane Taubira. Comme s'il suffisait de leur tenir la tête hors de l'eau pour que, mécaniquement, automatiquement, le développement durable soit au rendez-vous !
    Il est tout de même possible de faire confiance à nos sociétés,...
    M. Victorin Lurel. Absolument !
    Mme Christiane Taubira. ... à notre créativité démontrée, à notre ténacité ! Les jeunes demandent et attendent surtout des enseignements et des formations adaptés à leurs choix et à leurs capacités qui ne se situent pas exclusivement dans les niveaux inférieurs !
    M. Victorin Lurel. Absolument !
    Mme Christiane Taubira. Le titre II élargit et assouplit le dispositif de défiscalisation. Vous avez choisi de rétablir la « détunnelisation » et de déplafonner la réduction d'impôt sur le revenu. Or il est prouvé, par différents rapports, que les bailleurs physiques ont été plus largement responsables encore que les personnes morales des dérives et des effets pervers de la loi Pons. Pourtant vous les favorisez. Il faut donc s'attendre à un retour en force de la religion du déficit d'exploitation systématique.
    Mais, surtout, en prenant de telles mesures, vous vous octroyez le droit de décider des secteurs et des filières d'activité sans considération pour les prérogatives décentralisées. Vous partez du principe que les entreprises et les artisans outre-mer sont de petite taille - sans prendre en compte les défaillances des politiques publiques -, comme si, outre-mer, nous étions forcément à Lilliput !
    Vous oubliez que, durant les périodes de surchauffe liée aux grands chantiers, de nombreux chefs d'entreprise ont apporté la preuve qu'ils étaient capables de concevoir et de mettre en oeuvre des programmes d'investissement et d'expansion, et de grandir jusqu'à ce que l'interruption de la commande publique vienne pulvériser leurs efforts.
    Vous savez sans doute que ces entreprises n'ont pas seulement besoin d'argent privé pour des investissements - et, parfois, ce n'est pas de cet argent-là dont elles ont besoin en priorité - et que les réponses manquent toujours pour satisfaire les besoins de haut de bilan, notamment pour fournir la trésorerie nécessaire au fonds de roulement.
    Vous semblez prendre acte d'une défaillance chronique et même doctrinale du système bancaire et vous faites peser sur un dispositif fiscal, qui ne devrait être que d'accompagnement, l'essentiel de la charge du financement des activités économiques.
    Toujours au cours de cette émission de RFO, lorsque le journaliste vous a interrogée sur le fait que plusieurs personnes disaient que ce texte était fait sur mesure pour les Antilles, vous n'avez retenu que l'expression « sur mesure » dont vous avez même fait l'éloge - mais sur mesure pour qui, aux Antilles ? -, n'entendant pas le reproche qui était sous-entendu, à savoir que pour le reste de l'outre-mer, c'était du prêt-à-porter.
    Et il est vrai que ce texte est marqué d'un tropisme fort, celui du tourisme haut de gamme, et qu'il est étrangement muet sur les enjeux importants d'aménagement du territoire. L'article 38, qui introduit les EPCI, ne restera probablement qu'une pétition de principe, si l'on considère le sort qui a été réservé au schéma d'aménagement régional, dont la procédure remonte à 1985.
    Vous oubliez - en tout cas, vous avez décidé d'ignorer - des besoins spécifiques liés aux réalités locales comme, par exemple, les petits commerces qui s'installent dans des zones enclavées et qui ainsi contribuent à la fixation de la population.
    Je tiens tout de même à saluer l'introduction des SOFIOM, sans être persuadée que cela permettra de répondre à la totalité des besoins en capital, et à reconnaître que l'application des dérogations fiscales au logement intermédiaire constitue, compte tenu de nos configurations sociologiques, une mesure de justice sociale.
    Mme la ministre de l'outre-mer. Très bien !
    Mme Christiane Taubira. Je fais preuve d'objectivité, madame la ministre.
    En ce qui concerne le titre V, il vise la continuité territoriale, pour laquelle sont consacrés 30 millions d'euros. A ce sujet, des comparaisons multiples ont été faites avec ce qui est fait pour la Corse. Très sincèrement, il n'est pas question de remettre en cause un droit justifié pour la Corse, mais si ces comparaisons entre grandes masses sont faites, c'est simplement pour donner la mesure de l'enjeu de la continuité territoriale et pour montrer que le contenu de ce texte est très en deçà du nécessaire.
    La situation du transport outre-mer, dont la Guyane constitue un paroxysme, tant pour la circulation intérieure que pour les dessertes extérieures et singulièrement vers l'Hexagone, ne pourra pas être corrigée par des tentatives affriolantes visant à « allécher » quelques compagnies concurrentes - pas forcément les plus sérieuses d'ailleurs - en espérant, comme vous l'avez déclaré publiquement, qu'elles feront un effort pour le fret.
    Au moment où le Gouvernement choisit de privatiser la compagnie nationale, alors qu'il aurait pu continuer à exercer son contrôle sur le respect des obligations de service public, il me semble important de rappeler que l'enjeu n'est pas de mettre en concurrence des compagnies aériennes ou maritime privées, mais de faire garantir par le Gouvernement la liberté de déplacement et de circulation des citoyens d'outre-mer. A moins de nous déclarer, sans détours et sans ambages, que nous sommes assignés à résidence dans nos contrées lointaines !
    Nous avons bien vu, avec AOM et avec Air Lib, que lorsque ces compagnies sont confrontées à la vérité du prix économique, les premières destinations qu'elles s'empressent de fermer sont les nôtres, même lorsque la desserte de nos territoires a été l'argument majeur avancé pour la création de ces entreprises et pour obtenir l'octroi d'aides, d'avantages, voire de passe-droits !
    Vous dites, madame la ministre, que vous n'avez pas voulu encombrer ce texte de mesures réglementaires et que c'est ce qui justifierait l'absence de disposition concernant l'éducation, la recherche, la culture, la coopération ou la santé,...
    M. Philippe Auberger, rapporteur. Cela relève de la loi de finances.
    Mme Christiane Taubira. ... pour ne citer que ces quelques domaines qui sont essentiels à la vie commune et au progrès.
    Se pourrait-il qu'il n'y ait aucune disposition législative ni nécessaire, ni envisageable, pour répondre durablement au problème du déficit budgétaire structurel de l'hôpital de Cayenne ?
    Se pourrait-il qu'il n'y ait rien à faire pour l'enseignement primaire, secondaire et supérieur ?
    Se pourrait-il que les collectivités soient suffisamment bien armées pour faire de la coopération et contribuer à l'édification de marchés régionaux ?
    Mais alors, pourquoi ce titre VI allongé, qui vous permettra, dans les dix-huit prochains mois, de prendre des mesures législatives par ordonnance dans des domaines aussi essentiels que le droit de la santé et le droit rural pour l'ensemble de l'outre-mer, le droit domanial, le droit foncier et le droit forestier pour la Guyane, la propriété intellectuelle pour la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie, Mayotte, Wallis-et-Futuna, et les TAAF, en oubliant cette fois la Guyane alors que des groupes industriels ont déjà manifesté leur convoitise de ressources naturelles, et singulièrement de plantes, et que des actes prédateurs, aussi bien scientifiques qu'économiques, ont déjà eu lieu ?
    Le titre VI prouve que, en dehors des exonérations de cotisations sociales, des dérogations fiscales et des subventions maigrichonnes à vocation clientéliste, il y a matière à légiférer. Toutefois, vous avez choisi de parer au plus pressé, de céder sans doute aux pressions électorales les plus périlleuses, quoique je n'en sois pas sûre. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) A cette allure-là, il nous faudra deux siècles !
    M. le président. Madame Taubira...
    Mme Christiane Taubira. Surtout, vous avez pris le risque de remonter à contre-courant le cours de discussions portant sur un dispositif plus souple de responsabilité locale. Vous vous êtes aventurée à recentraliser et à reconcentrer quelques mois après l'adoption de la réforme constitutionnelle sur l'organisation décentralisée de la République.
    Depuis votre prise de fonctions, madame la ministre, nous avons été sensibles à vos déclarations d'affection pour les habitants de l'outre-mer et à votre indignation, que je crois sincère, face aux injustices, aux maux et méfaits, aux calamités et aux cataclysmes qui nous frappent, pourrissent notre quotidien ou anéantissent périodiquement nos efforts. Nous ne vous ferons pas l'injure de penser que vous les découvrez, puisque vous rappelez très volontiers que cela fait quinze ans que vous travaillez pour l'outre-mer.
    Cependant, nous observons, et nous avons pu le constater encore hier, que ceux qui nous découvrent nous aiment. Il fut un temps où l'outre-mer, c'était les danseuses de la France - n'est-ce pas, Gérard ? - les confettis de l'empire, des terres sauvages, des repaires de moustiques, des sociétés éruptives,...
    M. Philippe Auberger, rapporteur. Mais ce sont des images d'Epinal !
    Mme Christiane Taubira. ... des gens aux revendications déraisonnables et à la sensibilité à fleur de peau. Ce fut aussi des destinations paradisiaques, puis des endroits peuplés d'individus ingrats, incapables de sourire aux touristes sympathiques. Et voici qu'aujourd'hui, nous sommes devenus, par le miracle d'une promesse électorale présidentielle partiellement accomplie, l'objet de toutes les attentions, et presque une cause de mobilisation nationale !
    Frantz Fanon disait : « Ceux qui aiment les nègres sont aussi malades que ceux qui les détestent. » Et, de fait, quelles raisons aurait-on de nous aimer a priori ? Surtout si nous aimer dispense de nous respecter.
    Nous, nous avons de la fierté et même, je l'avoue, parfois un peu d'orgueil. C'est perchés sur les chefs-d'oeuvre en tous genres de nos créateurs en tous arts que nous rappelons ce que nous avons offert au monde et ce que nous apportons aujourd'hui encore dans la recherche universelle de solutions originales aux défis quotidiens. Nous toisons la vie du haut de ce génie qui rend imaginatifs les jeunes, les femmes, les ruraux pour détourner la déveine et, chaque matin, inventer l'avenir.
    Nos territoires ne sont pas que des terres d'intérêt stratégique, une chance pour la France, une aubaine pour l'Europe. Nous refusons la chétive ambition d'être, comme le dit Aimé Césaire, « un jouet sombre au carnaval des autres ».
    Nous refusons d'être un passavant brinquebalant pour les puissants de ce monde. Nous n'avons pas renoncé à organiser, selon les termes de Léon-Gontrand Damas, « l'évasion massive de l'infériorité ». Nous continuerons donc à percer les chemins de nous-mêmes et à exister au monde pour ce que nous sommes.
    Mesdames, messieurs de bonne volonté, de bonne foi, il survient que les gouvernements veuillent faire notre bonheur, même malgré nous. Et s'il nous arrive d'être défaillants, ce n'est pas par incapacité congénitale. Certes, nous avons des turpitudes, que nous assumons, que nous n'imputons à personne.
    M. le président. Madame Taubira, veuillez conclure, s'il vous plaît !
    Mme Christiane Taubira. Mais nous affrontons aussi cet essoufflement dû à cette conspiration, même bien intentionnée, qui engendre l'hébétude par récurrence, qui, de génération en génération, nous dépouille résolument de la responsabilité.
    « Combien d'énergies gâchées, combien d'hommes et de femmes parlant à leur ombre aux croisées des rues, combien de délires parce que cette responsabilité manque ? » demande Edouard Glissant. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Mansour Kamardine.
    M. Mansour Kamardine. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues. Il y a un an, Jacques Chirac prenait devant le pays l'engagement de réaliser outre-mer, après l'égalité sociale qu'il a consacrée en 1996 dans les DOM, l'égalité économique grâce à un modèle de développement mis en oeuvre par une grande loi de programme d'une durée de quinze ans, fondée sur une logique d'activité et de responsabilité. Car, pour le chef de l'Etat, cette égalité économique constitue l'ultime étape de l'accès à la pleine citoyenneté de chacun par le travail et la dignité.
    Dans son programme intitulé « Mon engagement pour l'outre-mer », le chef de l'Etat assignait à cette loi programme cinq actions majeures.
    Dès votre nomination à la tête de ce ministère de l'outre-mer, madame la ministre, vous vous êtes mise à l'oeuvre.
    M. Victor Brial. Un vrai ministère !
    M. Mansour Kamardine. En effet, il s'agit d'un grand ministère de l'outre-mer et non plus d'un sous-secrétariat d'Etat, comme cela a été le cas durant plusieurs années !
    M. le président. Le « sous » est de trop, mon cher collègue. C'était sous la iiie République qu'il y avait des sous-secrétaires d'Etat, et vous n'étiez pas encore né à cette époque-là ! (Sourires.)
    M. Mansour Kamardine. Vous vous êtes mise à l'oeuvre, disais-je, en approfondissant les connaissances que vous avez de ce dossier par des contacts et des échanges très fructueux sur le terrain, par la concertation avec les parlementaires, bien sûr, en amont de la réflexion, mais également avec les différents partenaires : élus locaux, partenaires économiques et sociaux.
    Bref, si le cadre était tracé par les engagements présidentiels, ceux-ci ont pu être enrichis par l'apport du terrain, de sorte que le projet qui nous est proposé traduise fidèlement cet esprit.
    Ainsi, il apparaît à sa lecture qu'il comporte cinq volets principaux : les mesures en faveur de l'emploi ; les mesures fiscales de soutien à l'économie ; les mesures en faveur du logement ; la continuité territoriale ; et un dernier volet portant sur l'actualisation du droit outre-mer, essentiel pour les régions les moins avancées de la République, catégorie dans laquelle se range Mayotte.
    A ce stade, je voudrais saluer le travail accompli pour donner corps aux promesses du chef de l'Etat, et ce malgré une période de morosité budgétaire. Je veux surtout vous dire, madame la ministre, toute la gratitude de l'outre-mer, parce que je sais tout ce que cela a pu nécessiter pour vous comme engagement.
    Avec ce texte, on est loin de l'esprit de l'« Adresse de l'outre-mer aux socialistes » signée par des élus de gauche qui ont dénoncé « les préjugés des gouvernements de gauche et les réflexes caractéristiques d'une technostructure dont ils sont largement issus et pour laquelle l'outre-mer semble illégitime au sein de la République »...
    M. Victorin Lurel. Nous ne sommes pas aussi complaisants que vous avec votre famille ! Nous ne faisons pas dans le suivisme !
    Mme Christiane Taubira. Je ne me sens pas concernée, monsieur Kamardine. (Sourires.)
    M. Mansour Kamardine. Mais ça fait mal, surtout pour ceux qui ont cosigné ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Ces élus parlent aussi d'une « perception de l'outre-mer au seul prisme de l'ordre public » ou évoquent l'obligation « de mener une politique de soutien au développement ou d'égalité en arguant pour s'en dédouaner de considérations électorales ».
    Ce n'est pas nous qui avons écrit cela. Eh bien, nous, si nous sommes aujourd'hui ici, ce n'est pas pour des considérations électorales, car les élections ont eu lieu voici déjà un an. Nous sommes là pour apporter des réponses concrètes aux problèmes qui se posent à l'outre-mer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Je comprends qu'un ancien ministre d'un gouvernement qui, pendant cinq ans, a mené la politique que l'on sait éprouve le besoin, lisant cela, de se livrer à quelques effets de manche.
    M. Gérard Grignon. Vous avez tout à fait raison !
    M. Mansour Kamardine. A l'inverse, madame la ministre, les rapports que vous entretenez avec l'outre-mer, sous l'impulsion de Jean-Pierre Raffarin et sous l'autorité du chef de l'Etat, trouvent leur fondement dans ce nécessaire partage d'un legs commun reçu de l'Histoire de France et de la République qui nous berce depuis trois siècles avec l'égalité.
    Pour ce qui est du projet proprement dit, l'esprit de son initiateur comme du Gouvernement est clair : il s'agit de réaliser outre-mer l'égalité économique après l'égalité sociale.
    Dès lors, la première question venant immédiatement à l'esprit s'agissant de Mayotte est la suivante : le présent projet tel qu'il est conçu permet-il d'atteindre cet objectif ?
    Seule la fin des débats nous permettra de mieux répondre à cette question. En effet, sur bien des points, le projet pourrait évoluer pour mieux tenir compte de la réalité économique et sociale qui sévit sur l'île.
    Je pense, tout d'abord, à une meilleure prise en compte du statut de la femme. Ainsi, certains aspects du statut personnel - telles la polygamie, la répudiation unilatérale de la femme par son mari ou l'inégalité des enfants devant l'héritage - sont de moins en moins acceptables dans une société mahoraise en pleine évolution.
    Oui, tout en étant attachée à ses traditions, la société mahoraise a besoin de se moderniser, et le rôle de la femme aux côtés de l'homme dans l'éducation de l'enfant, dans la conduite de la famille doit être mieux affirmé aux travers de la maîtrise de la planification familiale.
    Je pense également à l'immense majorité des jeunes quittant l'école sans formation qualifiante et sans diplôme et aux femmes accusant un déficit de formation, et donc exclues de facto de l'emploi. Je vous rappelle qu'à Mayotte le taux de chômage culmine à près de 50 %.
    A cela s'ajoute une immigration clandestine qui défie tout projet de développement.
    Je n'invente rien. Vous l'avez constaté par vous-même à chacune des nombreuses visites que vous nous avez faites, madame la ministre. En un mot, la misère est présente dans nos villages mahorais et dans nos familles, de sorte que les femmes qui cherchent à la fuir se rendent à la Réunion ou en métropole, où les conditions d'accueil non préalablement négociées ne favorisent pas leur intégration dans la communauté nationale. Chaque année, quelque 5 000 familles quittent l'île à la recherche d'une vie meilleure. A l'arrivée, elles sont accueillies par l'exclusion et la déception.
    Dans le même temps, et par un phénomène de vases communicants, la place qu'elles libèrent est occupée par des clandestins.
    Telle est, sans exagération aucune, la situation économique et sociale locale. De sorte qu'au moment où l'on parle d'égalité économique, les Mahorais cherchent encore à convaincre que, malgré leur race, leur culture, leur religion, ils sont Français. Ils ne supportent plus d'être considérés comme des citoyens entièrement à part ; ils veulent être, à l'instar des autres, des citoyens à part entière.
    La discussion au Parlement devrait permettre d'améliorer le texte et - pourquoi pas ? - de jeter les bases d'un développement durable de l'île et de réaffirmer de façon irréversible cette reconnaissance.
    Au-delà des atermoiements politiques qui ont pu s'exprimer ici ou là, nous retiendrons l'avis du Conseil économique et social. Ainsi que l'a dit la rapporteure du texte au CES, ce projet de loi jette les bases d'un développement durable, il est fondé et urgent, il comporte des avancées indéniables et permet d'apporter des réponses concrètes aux problèmes qui se posent.
    Le projet de loi a ouvert pour Mayotte, assez timidement pour l'instant, quelques perspectives dans le domaine de l'emploi avec l'extension du titre de travail simplifié. La prime qu'il crée constitue, à n'en point douter, une avancée, même si elle paraît en décalage avec la réalité du monde de l'artisanat, seul capable de créer des emplois.
    Les chefs d'entreprise ont, dans leur immense majorité, franchi difficilement le niveau du CM2 et ont donc une relation très éloignée avec l'écrit. Ce qui les intéresse, ce n'est pas la paperasserie ; ce qui les intéresse, c'est d'avoir une main-d'oeuvre disponible à un coût supportable compte tenu de l'environnement et du niveau de qualification général, afin de pouvoir participer à la construction de l'île.
    Bref, bien que le SMIC soit à 510 euros, la main-d'oeuvre est chère par rapport à la situation de Madagascar et des Comores, d'où un développement exponentiel de l'économie sociale souterraine.
    Dans le domaine du logement, le projet reste muet à l'endroit de Mayotte alors qu'il y a dans l'île plus de 15 000 logements insalubres.
    Il y a aussi quelque 7 000 agents publics au service de l'Etat, des hôpitaux et des collectivités locales qui, depuis vingt-cinq ans, attendent un statut qui leur permette de mieux appréhender leur devoir et de mieux garantir leurs droits. Il en va du succès de la décentralisation qui se met en place, d'où la nécessité d'une intervention en urgence du CNFPT à Mayotte.
    L'installation de l'ANPE, le développement de l'artisanat et l'accession à la propriété doivent constituer la base de la dignité humaine à laquelle nous sommes tous attachés. Dans cette perspective, l'extension à Mayotte du dispositif congés-solidarité aurait pu être le complément indispensable d'une vraie politique de l'emploi en faveur des jeunes Mahorais.
    En dépit des difficultés budgétaires du moment, l'Etat ne peut trop longtemps faire l'économie d'une extension du code de la construction et de l'habitat. Prenons les mesures qui s'imposent !
    Dans ce domaine comme dans d'autres, je vous ai fait des propositions plus que responsables pour mieux asseoir un développement durable de cette future région ultrapériphérique.
    Finalement, l'outre-mer : ce sont deux visions qui s'affrontent. La première est purement comptable - je n'en dirais pas plus, si ce n'est que ce n'est ni la vôtre ni la mienne. L'autre est plus dynamique et nous la partageons car elle place l'attachement des populations à la France au coeur de la politique solidaire. Elle prend en compte la dimension culturelle, historique et politique de ces départements et de ces collectivités si diverses, mais toujours unis par une certaine fierté à l'égard de la mère-patrie et par un même idéal au service de la grandeur de la France et du rayonnement de l'Europe dans le monde. C'est de celle-là que je puise l'essentiel de mon engagement public. C'est au nom de ce même idéal que je défends des principes fondés sur la justice même si cela, en ce moment de morosité budgétaire, peut paraître à certains anachronique.
    Au terme de ce débat, je veux vous redire la volonté déterminée des Mahorais à vouloir gagner leur vie à la sueur de leur front. C'est pourquoi je forme le voeu que nous puissions, dans un avenir très proche, selon un calendrier préalablement débattu et accepté par tous, jeter les bases du vrai développement durable de l'île tant sur le plan social que sur le plan économique.
    Madame la ministre, il y a quelques jours, du haut de cette tribune, mon collègue Camille de Rocca Serra, qui ne peut assister à notre discussion, déclarait très justement et avec le talent qu'on lui connaît que la violence ne pouvait pas être un partenaire de la République. Je suis convaincu que nous pouvons, vous et moi, reconnaître avec lui que l'injustice ne peut pas non plus participer à l'édification de la République, y compris à Mayotte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à Mme Béatrice Vernaudon.
    Mme Béatrice Vernaudon. Monsieur le président, n'en déplaise à votre modestie, l'intérêt que vous manifestez pour l'outre-mer vous honore.
    Madame la ministre, c'est au nom de mon collègue Michel Buillard et en mon nom que j'ai l'honneur d'intervenir dans la discussion générale.
    La préparation du projet de loi a été l'occasion, pour vous comme pour nous, de faire sur le terrain le point sur les forces et les faiblesses des lois à l'origine des mécanismes incitatifs du déploiement de l'économie dans nos territoires ultramarins.
    Différents acteurs, éclairés par leur expérience, ont dégagé de nouvelles orientations pour mieux compenser les handicaps, stigmatisés mais, hélas, incontournables : le très grand éloignement, l'étroitesse des marchés, la concurrence des pays voisins où le coût de la main-d'oeuvre est très bas.
    Ainsi sont remontées vers vous nombre de suggestions d'optimisation. Mais l'état des finances publiques dont nous avons hérité, et aggravé de surcroît par la déprime internationale des marchés, vous ont imposé raison et rigueur. Il vous a fallu faire des choix, mais vous les avez défendus avec détermination face à vos homologues, et nous vous en remercions.
    Cependant, comme au Sénat, les parlementaires que nous sommes rechercheront encore, à travers leurs amendements, à compléter le dispositif qui nous engage pour quinze ans. Il est normal que notre rôle ne se borne pas à voter la loi : il nous commande l'action, avant et après.
    Reconnaissons-le, l'aridité du texte visant à modifier une poignée d'articles du code général des impôts qui portent, à eux seuls, le dispositif de défiscalisation nous a rebutés : nous n'avons pas tous fait des études de droit fiscal.
    Rivés à cette réflexion très technique et sans âme apparente, nous serions tentés d'oublier que ce qui sous-tend de bout en bout le texte de loi, c'est précisément la volonté du Président de la République. C'est pourquoi nous pourrions intituler notre séance d'aujourd'hui « Renouveau de l'outre-mer : acte II ». En effet, nous nous inscrivons bien ici dans l'engagement du Président de la République, qui a déclaré : « L'outre-mer français a droit à des engagements fermes, clairs et précis. Le temps des tergiversations, avec la commande de multiples rapports ou la convocation d'états généraux, est révolu. Il est temps d'agir. »
    Le premier acte a consisté, au mois de mars dernier, à ancrer nos différentes collectivités ultramarines dans la Constitution de la République, tout en leur donnant un cadre d'évolution possible selon la volonté de la population. Cette lisibilité de l'avenir, la confiance et les engagements réciproques ainsi posés nous semblent de nature à renforcer la cohésion sociale et culturelle dans chacune de nos collectivités d'outre-mer. Cette cohésion est nécessaire pour catalyser toutes les énergies en vue de la construction d'un développement équilibré et progressif. Pour entraîner ce développement, il faut un moteur économique vertueux, susceptible de créer des emplois et d'assurer de la croissance. Tel est l'objectif des mesures inscrites par le Gouvernement dès sa première année : abaisser les charges sociales des entreprises pour créer des emplois durables ; assouplir et augmenter les possibilités de réductions d'impôts des contribuables qui investissent outre-mer, tout en élargissant le champ des secteurs éligibles pour y vivifier l'économie ; soutenir les compagnies aériennes qui assurent la desserte des terres de l'outre-mer afin de favoriser la concurrence en réduisant les charges sociales du personnel basé outre-mer ; démocratiser les voyages entre les collectivités et la métropole en participant sous certaines conditions et dans une certaine mesure au coût du billet. Votre ministère, madame la ministre, avait déjà innové en ce domaine dès la rentrée de septembre 2002 avec le « passeport mobilité » pour les étudiants.
    Enfin, cette loi vient compléter ou actualiser le droit dans l'outre-mer et notamment dans le domaine des collectivités territoriales pour adapter le fonctionnement de notre administration et de nos institutions à un environnement en constante évolution.
    L'étude d'impact du Gouvernement a évalué à 40 millions d'euros, en année pleine, le coût budgétaire lié aux exonérations nouvelles de cotisations sociales des départements d'outre-mer. Ce dispositif d'allégement des charges sociales ne concerne pas la Polynésie puisque l'organisation du droit social y relève des autorités locales. Cependant, je souhaite à mes collègues des départements d'outre-mer que ces mesures substantielles atteignent rapidement leur but : endiguer le chômage des jeunes par la création de nouveaux emplois productifs.
    En revanche, les autres dispositions du texte impliquent la Polynésie à part entière. Au premier rang d'entre elles, on trouve la défiscalisation. Celle-ci représente le principal surcoût budgétaire, mais le terme est mal choisi et entretient à tort l'idée de ponction dans le budget de la nation. Elle doit permettre de relancer l'investissement privé, ce qui nous convient bien. Nous saluons en particulier le fait que l'éligibilité de secteurs d'investissement devienne la règle quasi générale, ainsi que le relèvement des seuils. Nous apprécions que le cumul des incitations nationales et locales soit reconnu expressément.
    A Tahiti comme ailleurs, l'investissement privé ne perdurera pas tout seul, en dépit de l'attractivité des nouvelles mesures. Il faut accueillir, rassurer, coopérer aux projets et, mieux encore, prendre les devants.
    La Polynésie est ambitieuse. Notre statut d'autonomie invite ses élus à cette responsabilisation sur le long terme. Cette loi est un bon outil, mais non une fin en soi.
    Le temps de l'« après-nucléaire » a été perçu par les élus et la population comme une chance unique d'emprunter des chemins neufs pour déployer rapidement des activités essentiellement économiques, s'écarter résolument de l'assistanat et entraîner un développement endogène. Le mouvement est, vous le savez, bien enclenché, mais il n'est pas sans risques.
    Le tourisme, pilier de notre reconversion, emploie aujourd'hui 8 500 personnes et trois fois plus indirectement. Il représente 70 % des ressources propres du territoire et 10 % de son produit intérieur brut. Au-delà de son rôle économique, il est aussi un facteur de désenclavement de nos îles - soixante-seize de nos îles sont habitées. Il entraîne avec lui la création d'importantes infrastructures dans ces îles : aéroports, routes, quais.
    Comme ailleurs, le tourisme en Polynésie a subi de plein fouet le ralentissement de la croissance mondiale et, plus récemment, la désaffection des touristes japonais craignant l'épidémie de pneumonie atypique, que les médias ont malheureusement beaucoup associée aux voyages en avion.
    Mais, même en temps ordinaire, si le remplissage des hôtels finance le fonctionnement et notamment l'emploi de personnels nombreux en adéquation avec la qualité du service attendu, il ne peut générer les fonds nécessaires à l'extension des hôtels, et encore moins ceux nécessaires à la construction d'autres établissements, d'où la nécessité absolue de recourir aux financements par la défiscalisation.
    La pêche et la perliculture restent également des secteurs de prédilection car ils sont bien adaptés à notre environnement marin. Là encore, les financements privés locaux ne pourraient en aucun cas suffire à l'acquisition d'outils performants, même lorsque la conjoncture est porteuse.
    Il en va de même pour nombre d'entreprises de travaux publics, de transports, de navigation marchande, de petites industries, de cultures sous serre et d'audiovisuel.
    Je me réjouis pour l'économie des DOM qui vont bénéficier de la délocalisation des agréments pour certains projets et du raccourcissement du délai de réponse. Toutefois, il m'appartient de mentionner les difficultés que nous rencontrons dans la procédure des agréments. Nous avons déposé des amendements qui, selon nous, sont de nature à améliorer cette procédure. Je souhaite vivement qu'il en reste quelque chose.
    Les améliorations substantielles apportées à l'article 199 undecies A et, je l'espère, l'autorisation de cumul des dispositifs d'exonération fiscale locaux et métropolitains devraient permettre de renforcer le financement de la construction de logements. Cette perspective nous procure une grande satisfaction tant il est urgent de trouver des solutions aux problèmes de logement des familles.
    En ce qui concerne le droit outre-mer, la dernière partie du texte qui nous est soumis mentionne les domaines du droit qui ont fait l'objet d'ordonnances que nous devons ratifier et ceux pour lesquels le Gouvernement sollicite l'habilitation à légiférer. Permettez-moi de saisir cette occasion pour vous indiquer les domaines du droit dans lesquels nos attentes sont fortes.
    S'agissant des particuliers, par exemple, je rappelle qu'en Polynésie il n'existe pas de dispositions sur le surendettement. Devant les tribunaux de l'ordre civil, seule la vieille assistance juridictionnelle régit encore les rapports entre le modeste justiciable et l'avocat qui lui a été désigné.
    Par ailleurs, les élus communaux et du territoire de la Polynésie attendent la réforme communale depuis plus d'une décennie. Les communes polynésiennes restent les seules avec celles de Mayotte à n'être toujours pas décentralisées. La loi d'orientation pour le développement économique, social et culturel de la Polynésie française prévoyait dès 1994 que le personnel communal devait être doté d'un statut de fonction publique adapté à la situation particulière de ces communes.
    Ces textes de loi viendront rapidement compléter, je l'espère, la loi organique portant réforme de notre statut que vous préparez activement.
    Enfin, notre jeunesse est nombreuse : 50 % de nos 240 000 habitants ont moins de vingt-cinq ans. Nous devons lui faire sa place. Nous voulons qu'elle s'approprie le goût du travail et de l'effort. Son éducation et sa formation professionnelle sont notre plus grand défi. Là encore, nous aurons besoin de votre soutien.
    Je remercie sincèrement notre collègue Philippe Auberger, le rapporteur.
    Plus généralement, il nous appartient de faire aimer l'outre-mer à nos compatriotes de métropole et, en premier lieu, à nos collègues députés. Il nous revient de les convaincre qu'il ne s'agit pas pour nous de ponctionner le budget de la nation pour disperser inconsidérément l'argent des contribuables sur des terres étrangères à la République et dont la population serait d'une cupidité répréhensible. Les Domiens et les Tomiens sont des Français à part entière, et il est normal de tendre vers une égalité économique par des dispositions spécifiques adéquates.
    Pour que nous cessions d'être assimilés à des satellites et qu'au contraire l'outre-mer s'imbrique avec ses originalités et avec ses handicaps structurels dans la nation par une approche collective, le Président de la République a voulu la réforme constitutionnelle et, aujourd'hui, cette loi de programme. Merci, madame la ministre, à vous et à vos collaborateurs, de les avoir portées avec autant de constance et de détermination.
    C'est avec confiance que nous voterons le projet de loi et c'est avec conviction que nous nous impliquerons dans sa mise en oeuvre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Je vais suspendre la séance pour quelques instants.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à douze heures dix.)
    M. le président. La séance est reprise.
    La parole est à M. René-Paul Victoria.
    M. René-Paul Victoria. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans son programme « Mon engagement pour l'outre-mer », le Président de la République soulignait qu'après la réalisation de l'égalité sociale, son objectif était de mettre en place l'égalité économique dans les DOM.
    Je vous remercie, madame la ministre, d'avoir inscrit dans ce projet de loi le développement économique des départements et territoires d'outre-mer au titre de vos priorités pour les années à venir. Vous répondez ainsi à la volonté du Président de la République de permettre à nos territoires, non seulement d'affirmer la dimension mondiale de la France, mais aussi d'être les nouvelles frontières de l'Europe.
    Grâce à l'outre-mer, notre pays, la France, se trouve au coeur de tous les continents et donne ainsi plus de force à son message universel de liberté, d'égalité, de fraternité et de solidarité : solidarité nationale et solidarité internationale.
    La loi de programme, sur quinze ans, en faveur de nos territoires, est le support de cette solidarité nationale. Elle s'avère d'autant plus indispensable que nos territoires et, en particulier, la Réunion, traversent une situation économique et sociale difficile, malgré l'achèvement de l'égalité sociale et la mise en oeuvre de dispositifs d'aide à l'emploi.
    Je regrette, au regard des difficultés structurelles que connaissent les départements d'outre-mer, les propos outranciers tenus hier dans cet hémicycle. Ils sont d'autant plus déplorables qu'ils émanent d'un ancien secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Je voudrais sans esprit polémique lui apporter une réponse en deux points.
    D'abord, le gouvernement précédent a mis trois années à élaborer une loi d'orientation pour l'outre-mer, dont nous mesurons aujourd'hui les insuffisances et les contradictions. Malgré le temps à sa disposition, il s'est contenté d'un « minimum syndical ». Et c'est pourquoi il convient de corriger maintenant ces orientations, qui se voudraient moralisatrices, alors que nous recherchions le pragmatisme et l'efficacité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Victorin Lurel. Pas dans ce texte, en tout cas !
    M. René-Paul Victoria. Ensuite, le gouvernement précédent s'est acharné, pendant plus de deux années, à vouloir imposer aux Réunionnais une réforme institutionnelle aux antipodes de nos préoccupations économiques et sociales. Il a profité de ce temps - perdu - pour ne pas répondre au fond à nos problématiques. Je vous donnerai deux exemples : des milliers de personnes âgées et handicapées ont été plongées dans la détresse parce que leurs revenus ne dépassaient que de quelques euros le seuil nécessaire au bénéfice de la part complémentaire de la CMU ; des milliers de jeunes ont été plongés dans l'incertitude puisqu'on leur avait fait croire qu'ils seraient intégrés dans le monde du travail au terme des cinq années de contrat d'emploi jeune. Or rien n'avait été prévu pour assurer leur avenir. Il a fallu que vous-même, madame la ministre, preniez le dossier à bras-le-corps afin de définir une ligne directrice pour ces emplois jeunes. Vous avez souligné qu'aucun de ceux qui en bénéficiaient ne devrait « rester sur le bord du chemin ».
    M. Victorin Lurel. Ils sont dans la rue !
    M. René-Paul Victoria. L'ancien secrétaire d'Etat est bien mal placé pour nous faire la leçon aujourd'hui ! Nos compatriotes ne sont d'ailleurs pas disposés à l'entendre. Il doit continuer à faire le deuil de la défaite de la gauche des 9 et 16 juin 2002.
    M. Mansour Kamardine. Bravo !
    M. René-Paul Victoria. Parler d'inspiration coloniale pour cette loi, c'est faire injure à notre Constitution. En effet, elle a définitivement décolonisé nos territoires en reconnaissant au sein du peuple français les populations d'outre-mer : c'est l'oeuvre de ce gouvernement et le sens de mon amendement qui a été adopté par le Congrès à Versailles.
    Je voudrais ici, mes chers collègues, rappeler ce que déclarait, voici plus de trente ans, un illustre personnage de notre République et de notre assemblée. Pour sauvegarder l'avenir de la Réunion, dont il venait d'être élu député, il disait : « Il faudrait, de la part des responsables à Paris, un intérêt plus vif. Certes, il faut des crédits de supplément, mais la Réunion, petite île, ne peut pas être source de dépenses importantes. Ce dont elle a surtout besoin, c'est d'un effort constant, qui suppose quelques décisions et une certaine passion pour les terres françaises d'outre-mer. » Cet homme-là, mon cher président, c'est Michel Debré.
    Ces propos sont toujours d'actualité car nos problématiques sont sans commune mesure avec celles d'un département de l'Hexagone. La pression démographique, persistante à la Réunion, fait exploser les besoins.
    C'est particulièrement le cas s'agissant de l'emploi ; malgré le réel dynamisme de notre économie, chaque année encore, près de 12 000 jeunes arrivent sur le marché du travail, la grande majorité d'entre eux n'ayant que peu de chances de s'insérer dans l'économie marchande.
    Les propos tenus hier soir dans cet hémicycle par le président de la commission des finances, M. Pierre Méhaignerie, ont suscité un certain émoi au sein de la population de la Réunion. Il est déjà venu à la Réunion, où une passerelle porte son nom. J'étais alors encore bien jeune, mais je voudrais l'inviter à y retourner dans le cadre d'une mission, afin qu'il puisse bien mesurer la compexité des problèmes d'outre-mer et réfléchir quelque peu, avant de faire des propositions.
    Votre projet, madame la ministre, est réaliste et ambitieux en ce qui concerne l'emploi : en proposant un allégement des charges salariales et sociales, en réorganisant l'architecture de la défiscalisation, en offrant une perspective de quinze ans, vous permettez aux opérateurs d'anticiper et de bâtir des stratégies de développement pour produire davantage de richesses et, au final, créer les emplois qui nous font tant défaut aujourd'hui.
    Je souhaite que ces mesures sociales et fiscales soient appuyées par un effort significatif sur le coût des intrants dont dépendent nos entreprises, celles-ci devant importer l'essentiel de leurs matières premières. Je défendrai un amendement dans ce sens tout à l'heure.
    En ce qui concerne la problématique des emplois aidés, vous avez pris conscience, en l'espace d'une année, de l'importance qu'elle revêt pour notre cohésion sociale. Avec beaucoup de courage et le soutien du Gouvernement, vous avez bien voulu maintenir les dispositifs afin qu'aucun jeune, comme vous l'avez dit à la Réunion, « ne reste sur le bord du chemin. »
    Pour les aides-éducateurs, la question n'est toujours pas réglée. Une mesure d'exception pour la Réunion nous aiderait à bien préparer la prochaine rentrée scolaire.
    Je voudrais appeler aussi votre attention sur le problèmes des personnes de plus de quarante ans, qui sont au chômage après un licenciement économique. Il est essentiel que ces personnes, disposant souvent d'un savoir-faire et d'une expérience de l'entreprise, puissent elles aussi retrouver le chemin de l'insertion par le travail. Car il y a une injustice sociale que nous devons au moins commencer à réparer dans le cadre de la loi de programme.
    Une autre grande avancée de votre texte, madame la ministre, est au coeur même de notre condition de citoyen de la République : la possibilité, pour nos compatriotes, de bénéficier d'une aide au transport fondée sur le principe de la continuité territoriale.
    C'est une mesure forte et novatrice. Pour la première fois, il est indiqué, dans un texte de loi, que les habitants des départements d'outre-mer ont le droit de bénéficier d'une aide au transport compte tenu du grand éloignement de ces territoires. Là encore, je souhaite que le Gouvernement fasse preuve d'audace et permette une baisse significative du prix du billet d'avion entre la métropole et la Réunion. Les tarifs actuels sont prohibitifs, malgré l'aide que peuvent apporter les collectivités locales, notamment pour maintenir le lien entre les jeunes qui s'engagent dans la mobilité et leurs parents restés sur l'île.
    L'ambition du Gouvernement et du Parlement doit être sans ambiguïté : il s'agit d'amener les départements d'outre-mer vers un niveau de développement proche de celui du niveau moyen de développement des régions européennes.
    Certains de nos collègues, y compris dans la majorité, ne manqueront pas de souligner une fois encore les « largesses » du Gouvernement vis-à-vis de l'outre-mer. A ce sujet, je voudrais rappeler une phrase prononcée par notre ministre de l'intérieur, la semaine dernière, dans ce même hémicycle : « La République offre les mêmes droits à tous, mais ceux qui ont plus de problèmes que les autres doivent être davantage aidés. » Voilà ce que disait Nicolas Sarkozy à propos de la Corse. Cela est encore plus vrai s'agissant des DOM. Dans toutes ses dimensions, l'outre-mer a besoin d'être renforcé. Les moyens que propose la loi de programme vont dans le bon sens.
    Dès que la loi sera votée, il s'agira, pour nous élus du peuple, de susciter localement la mobilisation de toutes les énergies pour atteindre un objectif fondamental : asseoir le développement économique sur des bases pérennes, dans le cadre d'un partenariat rénové avec la métropole et l'Europe.
    En effet, si l'outre-mer reçoit beaucoup de la métropole et de l'Union, il participe a contrario à l'enrichissement de cet ensemble. Au niveau de la recherche, notamment médicale, ou encore dans les domaines de la vulcanologie, de la prévention des cyclones tropicaux, des études atmosphériques et de la lutte contre l'effet de serre, ou bien dans le secteur sucrier, la Réunion constitue un centre exceptionnel de compétences, unique dans l'océan Indien, et son savoir-faire commence à émerger au plan international.
    Nos départements contribuent également, et c'est une évidence qu'il faut toujours rappeler, au rayonnement culturel et technologique de la France dans la zone caraïbe et india-océanique, avec la volonté de privilégier les complémentarités interrégionales. C'est en tout cas dans cette dynamique que je souhaite inscrire ce texte fondateur pour l'égalité économique et la dignité de nos compatriotes.
    Nous avons, c'est vrai, en notre qualité de citoyens français, des droits, mais nous avons aussi des devoirs à l'égard de notre pays. Parmi ces devoirs, il y a la nécessaire volonté de participer à son évolution, de contribuer à cette grande oeuvre en faisant de la France une nation dynamique, créative, et plus solidaire.
    Avec la loi de programme, nous engageons un véritable pari sur l'avenir. Je suis convaincu que nous pouvons le relever, et c'est pourquoi, madame la ministre, je vais approuver votre texte.
    Il s'agit pour l'outre-mer d'une belle étape, et, comme disait un homme très célèbre, « les plus beaux jours sont ceux qui restent à vivre ».
    L'avenir appartient aux acteurs du développement de nos territoires. L'avenir nous appartient. L'avenir appartient à la France et à l'Europe. Soyons tous fiers de servir nos compatriotes dans le respect et la dignité, avec la force du coeur. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à Mme Juliana Rimane.
    Mme Juliana Rimane. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi de programme que nous examinons aujourd'hui a pour objet de décliner les moyens à mettre en place, au cours des quinze années à venir, en faveur des collectivités d'outre-mer, afin de leur offrir la possibilité de s'engager dans la voie de leur développement durable.
    Dans un contexte économique défavorable, comment ne pas se satisfaire d'une telle mobilisation du Gouvernement en faveur de l'outre-mer ? Je vous remercie d'avoir entrepris avec détermination, comme l'avait très heureusement demandé le Président de la République, cette délicate et nécessaire démarche et de l'avoir conduite devant le Parlement dans des délais aussi courts.
    Votre démarche s'articule autour de plusieurs thèmes. Elle permet de poursuivre les efforts contribuant à compenser les handicaps structurels qui caractérisent les collectivités d'outre-mer.
    Ces efforts portent, notamment, sur les thèmes suivants :
    Vous améliorez d'abord un dispositif d'allégement des charges sociales des entreprises. Cette mesure apporte incontestablement des effets positifs tant au plan intérieur que sur celui du marché extérieur. Il est en effet indispensable, non seulement de maintenir, mais surtout de renforcer l'emploi dans nos collectivités d'outre-mer. Pour y parvenir, il est nécessaire de recourir à une discrimination positive.
    Vous renforcez ensuite la défiscalisation, expurgée de ses abus, ce qui est un moyen efficace de compenser les handicaps auxquels sont confrontées depuis longtemps les collectivités d'outre-mer. Ces mesures apportent des capacités financières aux secteurs d'activités producteurs de richesses, qui en sont trop souvent très peu pourvus. Elles vont permettre aux collectivités locales de pallier leurs insuffisances et leurs retards en matière d'équipements d'infrastructure primaire et de réseaux divers de fluides et d'énergie. Elles vont favoriser la politique du logement, en particulier dans le domaine du logement intermédiaire, déficitaire en outre-mer, et de la réhabilitation pour tenir compte des dégradations rapides des bâtiments liées au climat et, à ce titre, participer à la nécessaire préservation du patrimoine architectural. Elles vont contribuer très utilement à dynamiser le secteur économique local, fragile à bien des égards, ainsi qu'à soutenir fortement une filière d'activité de première importance outre-mer : la filière du tourisme. Cependant, pour permettre à ces mesures de trouver leur pleine efficacité en Guyane, la densification du réseau financier est capitale. L'insuffisance d'organismes financiers, dans ce département, et leur frilosité notoire constituent un handicap majeur à la création et au développement des entreprises.
    Enfin, les dispositions relatives aux dotations de l'Etat en faveur des collectivités locales sont d'autant plus nécessaires si l'on veut qu'elles assument pleinement et efficacement leur rôle de partenaires du développement.
    A ce titre, la Guyane constitue un cas d'espèce. Les conditions d'attribution des dotations globales sont fondées sur des critères qui ne correspondent pas à ses singularités : un territoire très étendu, sur lequel est dispersée une partie de sa population dont la très forte croissance n'apparaît pas clairement dans les documents officiels : autant d'éléments qui ne sont pas pris en compte. Si les méthodes de recensement s'avèrent inadaptées en Guyane, pourquoi ne pas envisager de les modifier pour mieux adapter les besoins en équipement à la population réelle ? Je rappelle que de nouvelles technologies par imagerie satellitaire sont déjà utilisées en Amérique latine, mais aussi, à titre expérimental, en métropole. Par ailleurs, de très nombreuses communes se trouvent dans une situation financière très précaire, sans compter celles dont les recettes fiscales propres sont inexistantes.
    Cette situation n'est pas forcément le résultat d'une mauvaise gestion budgétaire ; elle est aussi le fait d'un lourd héritage. Il faut se souvenir qu'une partie de la Guyane, appelée « territoire de l'Inini » jusqu'en 1969, n'a pas bénéficié des bienfaits de la départementalisation et que, depuis lors, d'énormes retards s'y sont accumulés. Comment peut-on lui demander de participer à des programmes d'investissement alors même que, depuis de longues années, 35 % du montant de la recette d'octroi de mer qui lui revient sont abusivement prélevés au profit du département, lui-même confronté à des difficultés financières insurmontables ? Ces difficultés, il est vrai, sont liées à l'absence de péréquation lors des transferts de compétences, notamment dans les domaines de la santé, du social et de l'éducatif. Cette invraisemblable situation doit être régularisée sans attendre.
    La continuité territoriale constitue une heureuse mesure. Elle va incontestablement apporter des facilités de déplacement pour nos compatriotes d'outre-mer et ainsi renforcer un peu plus les liens entre les différentes communautés constitutives de la nation française.
    La question que se posent légitimement les Guyanais est celle de savoir quand une nouvelle compagnie aérienne verra effectivement le jour pour mettre enfin un terme au monopole d'Air France. Ils aspirent à pouvoir bénéficier d'un tarif unique et accessible à la majorité d'entre eux, tout le long de l'année, ainsi que d'une amélioration des prestations servies au public et d'une augmentation des capacités en places.
    Ce projet de loi de programme consent un effort certain en faveur de l'outre-mer, mais il faudrait le poursuivre en partenariat avec les collectivités locales. Il conviendrait aussi de donner aux départements d'outre-mer la possibilité de faire face aux difficultés liées à la libéralisation des marchés dont l'Union européenne se fait le chantre. La révision de l'organisation commune des marchés du sucre et du riz, qui concerne la Guyane, ne manquera pas de modifier, à brève échéance, la physionomie de l'emploi, si fragilisé dans nos départements.
    Les politiques en faveur de l'outre-mer tendent, par ailleurs, à présenter une vision globale des régions concernées. Elles effacent totalement la singularité de chacune des collectivités qui la compose. Il conviendrait de corriger cette approche en prenant la pleine dimension de l'identité de chacune d'elles et en fixant les dispositions économiques sociales et culturelles dans une loi qui leur soit propre.
    Dans cet esprit, je déposerai des amendements permettant d'améliorer et d'enrichir le texte comme je viens de l'indiquer devant vous. Il est nécessaire de doter les collectivités locales de moyens appropriées leur permettant d'exercer pleinement leur mission. Il est important de remettre à niveau les secteurs de la santé, de l'éducation et du transport intérieur. Il est impératif de définir une politique de l'immigration à la fois visible et ferme.
    Faut-il rappeler que les établissements hospitaliers et les centres de santé ne sont pas en mesure d'assumer leur mission de santé publique ? Que, chaque année, des enfants ne sont pas scolarisés en Guyane faute de places dans les écoles ? Que la situation est encore plus précaire dans les communes de l'intérieur ?
    Je vous donne quelques exemples concrets des difficultés que rencontrent quotidiennement mes concitoyens.
    Pour se rendre à Saint-Elie, il faut plus de deux heures pour parcourir vingt-sept kilomètres, et encore par temps sec. Actuellement, c'est la saison des pluies ; je vous laisse donc imaginer la difficulté ! Les habitants ne disposent que de sept heures d'électricité par jour.
    A Camopi et à Trois-Sauts, le mal-être et le suicide ont fait leur apparition dans la population, essentiellement amérindienne, ce qui est révélateur de l'état de destruction de ces sociétés traditionnelles, où s'ajoutent aux difficultés l'isolement et le manque de considération généralisé.
    A Grand-Santi, il faut sept heures de pirogue pour pouvoir effectuer un retrait de fonds dans le bureau de poste le plus proche.
    Au village d'Elahé, l'absence d'un réseau fiable d'eau potable oblige les personnes, notamment les enfants, à consommer l'eau du fleuve, polluée par les rejets des activités aurifères.
    Au village de Mayman, les habitants sont toujours privés de téléphone, alors que le dernier poste se trouve à peine à deux kilomètres dans la commune d'Apatou.
    Ces différents exemples illustrent l'absurdité de la situation et suscitent chez mes compatriotes, qui se sentent abandonnés, colère et révolte. Il ne s'agit pas d'exotisme mais de pauvreté, tout simplement. Madame la ministre, quel message d'espoir pouvez-vous leur donner ?
    Face à de telles conditions de vie, comment ne pas être profondément choqué lorsque l'on oppose aux légitimes revendications et attentes des populations d'outre-mer le regrettable qualificatif de « quémandeurs permanents » ?
    M. Victorin Lurel. Bravo !
    Mme Juliana Rimane. Ce n'est pas le fait de ce gouvernement. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Mansour Kamardine. Vous l'avez cherchée, vous l'avez trouvée ! (Sourires.)
    M. Philippe Auberger, rapporteur. C'est ce que l'on appelle l'effet boomerang !
    Mme Juliana Rimane. Ces populations ne cherchent pas à bénéficier de mesures de faveur ; elles veulent simplement être traitées selon les mêmes règles que leurs concitoyens métropolitains et jouir des mêmes droits et des mêmes services que ces derniers.
    Il n'y a pas de progrès social sans une économie forte, et il n'y a pas d'économie forte si l'homme n'est pas au coeur du dispositif. Toutefois, cette économie forte ne peut prendre sa pleine dimension que dans l'usage raisonné et mesuré des richesses d'un territoire et dans le respect de ses traditions et de son patrimoine naturel et culturel. Seul le respect de ces principes élémentaires peut permettre aux collectivités d'outre-mer, à la Guyane en particulier, de s'engager avec succès dans la voie d'un authentique développement durable.
    Pour cela, tous les acteurs qui sont au service de cette cause doivent accomplir leur mission avec un sens aigu de la responsabilité. En effet, l'éloignement des centres de décision pourrait parfois conduire les fonctionnaires d'Etat en service en Guyane à oublier ces principes. Il ne faudrait pas que l'arbitraire et l'abus de pouvoir prennent la place de l'équité et du respect du bien public.
    J'espère, madame la ministre, que ces quelques réflexions retiendront toute votre attention. Parce que ce projet de loi de programme permettra de mettre en oeuvre la continuité économique entre la métropole et nos régions, notamment leur environnement, et de redonner de meilleures perspectives d'avenir à notre jeunesse, particulièrement touchée par le chômage, je voterai avec plaisir le texte que vous nous présentez. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à Mme Gabrielle Louis-Carabin.
    Mme Gabrielle Louis-Carabin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les 5 et 6 juin 2003 sont, pour les régions de l'outre-mer français, des dates importantes. En effet, un an après les élections présidentielle et législatives, un an après l'engagement de M. Jacques Chirac en faveur de nos régions ultramarines, leur développement économique se retrouve, une fois de plus, au coeur des débats d'importance de notre société.
    Je ne peux m'empêcher de souligner la promptitude et l'efficacité avec lesquelles la loi de programme pour l'outre-mer a été élaborée, et ce - je tiens à le dire très fort - en étroite collaboration avec les élus de tous bords ainsi qu'avec les socioprofessionnels de nos régions.
    M. Victorin Lurel. C'est vite dit !
    Mme Gabrielle Louis-Carabin. Il s'agit d'une loi attendue, et c'est pourquoi je félicite tous ceux qui n'ont pas suivi hier soir le collègue Lurel. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Vous l'avez compris, madame la ministre, il est urgent de rompre avec l'immobilisme, l'indifférence et les préjugés qui font que les richesses de l'outre-mer sont méconnues ou mal perçues. C'est un défi à relever.
    Malgré une conjoncture économique difficile, une période de fortes restrictions budgétaires, il est capital de voter cette loi de programme afin qu'elle puisse produire rapidement son plein effet sur l'économie de nos régions, à laquelle un nouveau souffle doit être insufflé.
    A ce titre, mon collègue Joël Beaugendre et moi-même comptons sur le soutien de notre majorité - je remercie d'ailleurs les nombreux membres présents, en soulignant qu'il n'y a des élus métropolitains que de notre côté - (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)...
    M. Éric Raoult. Eh oui !
    Mme Gabrielle Louis-Carabin. ... comme nous leur avons jusqu'ici apporté le nôtre sur des projets de loi qui s'inscrivent, comme celui pour l'outre-mer, dans une logique de réformes porteuse pour la France entière.
    Aujourd'hui la loi de programme pour l'outre-mer met en avant des mesures fortes, résolument tournées vers l'avenir. En effet quinze ans d'application devraient assurer la stabilité d'un dispositif qui nous aidera très certainement à sortir de la logique d'assistanat, à faire reculer plus encore la précarité, pour créer un environnement économique favorable au développement.
    Cet effort de la nation s'inscrit donc dans la durée, pour le bien-être de nos populations, et il permettra d'apporter progressivement des améliorations au dispositif.
    Revaloriser des secteurs productifs de notre économie, encourager le développement de l'initiative privée, redonner le goût du travail à notre jeunesse sont des objectifs honorables. Je retiens tout particulièrement les mesures visant à multiplier les chances de réussite de notre jeunesse, cette jeunesse dont dépend le développement durable de nos régions. Un effort est consenti pour lui permettre d'être en phase avec les besoins de nos régions.
    Il est important de saluer un projet de loi qui a le courage d'établir un dispositif qui, pour la première fois, affirme fortement le principe de continuité territoriale. Donner sa plénitude à l'application de ce principe qui nous unit à la France hexagonale, c'est compenser les handicaps liés à notre éloignement et à notre insularité.
    L'ancien gouvernement l'avait donné à la Corse, mais, malgré les demandes insistantes des présidents de région, les deux anciens ministres qui étaient présents hier soir - j'aurais aimé le leur rappeler directement, mais je pense que vous le leur direz, monsieur Lurel ! - ont refusé de l'étendre à l'outre-mer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Certains, madame la ministre, chers collègues, ne cesseront de critiquer, mais il faudrait de temps en temps se rappeler que le passeport mobilité a été mis en place pour notre jeunesse par Mme la ministre, Brigitte Girardin, ici présente dans cette assemblée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Victorin Lurel. Ça ne marche pas !
    Mme Gabrielle Louis-Carabin. Si, ça marche puisque nos étudiants en ont bénéficié l'année dernière pour venir faire des études.
    M. Victorin Lurel. Non !
    Mme Gabrielle Louis-Carabin. Nos jeunes en bénéficient pour leur formation et ceux qui ont réussi à des concours en ont bénéficié, vous le savez très bien.
    Je parle de courage car cela fait bien longtemps qu'un gouvernement ne s'était autant engagé, malgré la période de restrictions budgétaires que nous connaissons. Madame la ministre, je voterai donc votre projet dans lequel vous avez mis toute votre énergie et, surtout, tout votre coeur. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Didier Quentin, dernier orateur inscrit.
    M. Didier Quentin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de programme de quinze ans traduit bien les engagements pris par le Président de la République et le Gouvernement en faveur d'un développement durable de l'outre-mer. Loin des caricatures faites par certains hier soir, il a le grand mérite d'avoir été l'objet d'une très large concertation et de tenir compte des spécificités des départements et territoires d'outre-mer, afin que chacun puisse évoluer à son rythme.
    L'ambition de cette loi de programme est de réduire les handicaps que connaît notre outre-mer en valorisant ses atouts, en particulier sa belle jeunesse, et en comblant le fossé de l'éloignement.
    Après avoir réalisé l'égalité sociale, notamment avec l'alignement du SMIC en 1995, votre objectif - notre objectif - est de parvenir à l'égalité économique avec la métropole, une égalité fondée sur une logique d'activité et de responsabilité, et non plus d'assistanat. L'égalité économique doit constituer ainsi l'étape ultime de l'accès à la pleine citoyenneté de chacun par le travail et dans la dignité tout en ayant à coeur de respecter les identités et le passé de tous.
    Notre ardente obligation doit être de créer des conditions plus favorables à l'activité des entreprises, donc à l'emploi, car personne ne peut se satisfaire de voir le RMI constituer un revenu de substitution pour près de 20 % de la population ultramarine, et le chômage toucher également près de 30 % de la population en âge de travailler. Seul un effort constant et soutenu de la nation peut permettre à notre outre-mer de rattraper son retard sur la métropole.
    Nos compatriotes d'outre-mer qui apportent à notre pays compétences, talents, richesses artistiques et culturelles doivent pouvoir compter sur la solidarité nationale pour les aider à répondre aux défis de demain, en particulier celui d'une démographie très dynamique.
    Votre projet de loi, madame la ministre, s'inscrit dans la durée afin de redonner confiance aux investisseurs, en leur présentant un cadre stable pour le développement économique de nos collectivités d'outre-mer tout en relançant l'investissement privé par une refonte complète du dispositif de défiscalisation. A cet égard, je tiens à défendre la défiscalisation des investissements dans le secteur de la plaisance.
    M. Mansour Kamardine. Très bien !
    M. Didier Quentin. Ils sont indispensables au développement de l'activité touristique. Il faut, certes, prévoir des garde-fous contre d'éventuels abus, mais si rien n'est fait - je pense en particulier aux Antilles -, ce sera tout bénéfice pour les autres îles qui n'ont pas les mêmes scrupules.
    Madame la ministre, vous allez mettre fin au zapping législatif et réglementaire dont a souffert l'outre-mer, et qu'avaient accentué plusieurs mesures de la loi d'orientation pour l'outre-mer. Vous rompez aussi avec la logique d'assistanat, en soutenant fortement l'emploi marchand, grâce à un nouvel allégement du coût du travail et par des incitations directes à l'embauche.
    A juste titre, vous entendez contribuer à attirer les investissements dans quatre secteurs : l'hôtellerie, et nous avons été sensibles au plaidoyer de Patrick Ollier hier soir en faveur du tourisme antillais, avec sa proposition de charte d'objectifs ; le logement ; les énergies renouvelables et l'accès aux capitaux pour les entreprises. Vous retrouverez ainsi l'inspiration des lois Pons et Perben, qui avaient permis de créer des milliers d'emplois.
    Vous avez eu raison de mettre l'accent sur l'accès à de telles mesures pour les PME, qui représentent plus de 80 % des entreprises outre-mer et qui comptent, dans la plupart des cas, moins de salariés. La LOOM introduisait malencontreusement un effet de seuil en pénalisant les entreprises de plus de dix personnes.
    Nous vous félicitons aussi d'avoir mis en place des mesures spécifiques pour les jeunes relevant d'un contrat emplois jeunes, en permettant aux entreprises de les recruter sur des contrats d'accès à l'emploi jusqu'à la fin de 2007, ou encore en assurant une formation professionnelle à ceux qui effectuent le service militaire adapté, le SMA.
    Enfin, après avoir franchi une première étape, avec la réalisation du « passeport mobilité » pour les jeunes désirant venir étudier en métropole, vous allez encore plus loin, en instaurant véritablement la continuité territoriale, si longtemps attendue.
    Au-delà de toutes ces mesures, que certains jugent, bien à tort, dispendieuses, ce débat nous donne l'occasion de souligner la chance que représente l'outre-mer pour la France à laquelle il donne une dimension mondiale et aussi pour l'Europe, dont il marque les nouvelles frontières ; une Europe qui doit continuer de le faire bénéficier de mesures particulières, au-delà de 2006. J'espère, madame la ministre, que vous pourrez nous donner toutes les assurances à ce sujet.
    Je souhaite utiliser le temps qui me reste pour tordre le cou à certaines idées reçues, et je le fais comme député métropolitain, monsieur Manscour.
    Première idée reçue : l'outre-mer nous coûte cher ! En vérité, la dépense publique moyenne par habitant outre-mer est de 4 132 euros, alors qu'elle est pour toute la France de 4 220 euros. L'Etat ne dépense donc pas plus, en moyenne, pour les ultramarins que pour les métropolitains.
    M. Victorin Lurel. C'est exact. Nous ne sommes pas assistés !
    M. Didier Quentin. Deuxième idée reçue : l'outre-mer ne crée rien ! En vérité, le taux de création d'entreprises y est particulièrement élevé : de 11,6 % en Guadeloupe à 18,2 % à la Réunion, pour une moyenne nationale de 11,1 %.
    M. Louis-Joseph Manscour. C'est vrai !
    M. Victorin Lurel. Voilà !
    M. Didier Quentin. A titre de comparaison, ce taux s'établit à 11 % en Ile-de-France. Ces indicateurs suffisent à démontrer le réel dynamisme et l'esprit d'entreprise de la population ultramarine.
    Troisième idée reçue : l'outre-mer n'innove pas ! En vérité, il a des atouts extraordinaires en matière de recherche, de développement des énergies nouvelles, comme l'a rappelé René-Paul Victoria, et de protection de l'environnement. A cet égard, m'étant rendu récemment à Mayotte, comme président du conservatoire du littoral, j'y ai vu, avec notre ami Mansour Kamardine, les actions exemplaires qui y sont conduites pour le sauvetage de la mangrove, écosystème d'une richesse exceptionnelle, ou encore pour l'introduction de nouvelles pratiques culturales qui pourraient être utilement transposées dans d'autres zones tropicales, et apporter ainsi un savoir-faire remarquable à notre politique de coopération.
    Madame la ministre, avec cette loi de programme dont la réalisation sera évaluée tous les trois ans, vous esquissez les contours de l'outre-mer que nous voulons dans quinze ans, d'une France d'outre-mer qui aura su trouver les voies d'une croissance économique solide et d'une cohésion sociale sereine.
    En permettant ainsi à nos compatriotes ultramarins - pour ceux qui le sont, madame Taubira - de prendre toute leur place dans notre destin commun - et je le dis devant le président Debré, dont tout le monde connaît l'attachement pour cette France d'outre-mer -, vous illustrez la formule du général de Gaulle : « C'est grand, c'est beau, c'est généreux, la France ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La discussion générale est close.
    Mes chers collègues, je réunirai à quatorze heures trente la conférence des présidents pour aménager notre ordre du jour - je devrais plutôt dire notre ordre de la soirée et de la nuit. En effet, nous devons encore examiner la motion de renvoi en commission, à laquelle Mme la ministre devra répondre, comme elle répondra aux dix-huit orateurs qui sont intervenus dans la discussion générale. Nous devons étudier les quarante-quatre articles du projet de loi dans la version revenue du Sénat et les trois cents amendements que vous avez déposés. Il nous faudra donc siéger cet après-midi, et très vraisemblablement aussi après le dîner. D'ailleurs, je viens de recevoir une lettre du Gouvernement en ce sens.
    La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

    M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :
    Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, n° 881, de programme pour l'outre-mer :
    M. Philippe Auberger, rapporteur au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (rapport n° 891),
    M. Joël Beaugendre, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire (avis n° 887).
    La séance est levée.
    (La séance est levée à douze heures cinquante.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT