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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU VENDREDI 20 JUIN 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
2e séance du jeudi 19 juin 2003


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT

1.  Réforme des retraites. - Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi «...».

DISCUSSION DES ARTICLES (suite) «...»
Article 4 (suite) «...»
Rappels au règlement «...»

Mme Elisabeth Guigou, M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité ; Mme Martine Billard.

Reprise de la discussion «...»

Amendements identiques n°s 3535 à 3541 de Mme Buffet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains : Mmes Janine Jambu, Muguette Jacquaint, MM. Jean-Pierre Brard, Bernard Accoyer, rapporteur de la commission des affaires culturelles ; le ministre, Mme Martine Billard, M. Pascal Terrasse. - Rejet des amendements n°s 3539 à 3541.
MM. Denis Jacquat, le président.

Suspension et reprise de la séance «...»

Amendement n° 5086 de M. Préel : MM. François Rochebloine, le rapporteur, le ministre, Jean-Pierre Brard. - Rejet.
MM. Jean-Pierre Brard, François Rochebloine.

Suspension et reprise de la séance «...»

Adoption de l'article 4.

Après l'article 4 «...»

Amendement n° 7062 de M. de Courson : MM. François Rochebloine, le rapporteur, le ministre, Denis Jacquat, Pascal Terrasse, Jean-Pierre Brard. - Rejet.
Amendement n° 7085 de M. Gorce : MM. Gaëtan Gorce, le rapporteur, le ministre, Mme Muguette Jacquaint. - Rejet.

Rappel au règlement «...»

MM. Jean-Pierre Brard, le président.

Reprise de la discussion «...»
Article 5 «...»

MM. Pascal Terrasse, Denis Jacquat, Gaëtan Gorce, le président, Mmes Martine Billard, Janine Jambu, MM. Claude Bartolone, Maxime Gremetz, Augustin Bonrepaux.

Rappels au règlement «...»

MM. Jacques Barrot, Pascal Terrasse.

Suspension et reprise de la séance «...»
Rappels au règlement «...»

MM. Jean-Pierre Brard, Jean-Luc Warsmann, Jean-Marc Ayrault, le président.

Reprise de la discussion «...»

Mme Muguette Jacquaint, MM. le président, Jean-Pierre Brard, Jean Launay, Mme Marylise Lebranchu, MM. Serge Janquin, le président.

Rappel au règlement «...»

M. Maxime Gremetz.

Reprise de la discussion «...»

Amendements de suppression n°s 2010 à 2158 de Mme Adam et des membres du groupe socialiste et apparentés, n°s 3542 à 3548 de Mme Buffet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains et n° 5072 de M. Zuccarelli : MM. Gaëtan Gorce, Christophe Masse, Augustin Bonrepaux, David Habib, François Brottes, Bruno Le Roux, Pascal Terrasse, Mmes Marie-George Buffet, Muguette Jacquaint, MM. Maxime Gremetz, Jean-Pierre Brard, le rapporteur, le ministre, le président.

Rappel au règlement «...»

M. Maxime Gremetz.

Reprise de la discussion «...»

Rejet, par scrutin, des amendements n°s 2031, 2035, 2080, 2084, 2104, 2118, 2150, 3542, 3546, 3547, 3548.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
2.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,
vice-président

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à quinze heures.)

1

RÉFORME DES RETRAITES

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence,
d'un projet de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi portant réforme des retraites (n°s 885, 898).

Discussion des articles (suite)

    M. le président. Ce matin, l'Assemblée a poursuivi l'examen des articles et s'est arrêtée aux amendements identiques n°s 3535 à 3541 à l'article 4.

Article 4 (suite)

    M. le président. Je rappelle les termes de l'article 4 :
    « Art. 4. - La Nation se fixe pour objectif d'assurer en 2008 à un salarié ayant travaillé à temps complet et disposant de la durée d'assurance nécessaire pour bénéficier du taux plein un montant total de pension lors de la liquidation au moins égal à 85 % du salaire minimum de croissance net lorsqu'il a cotisé pendant cette durée sur la base du salaire minimum de croissance. »

Rappels au règlement

    Mme Elisabeth Guigou. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
    M. Jean-Marc Nudant. Ça commence bien !
    M. le président. La parole est à Mme ElisabethGuigou, pour un rappel au règlement.
    Mme Elisabeth Guigou. Monsieur le président, je voudrais, pour le bon déroulement de nos travaux, demander avec insistance au ministre des affaires sociales de répondre aux questions qui lui sont posées par l'opposition.
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Ce n'est pas possible d'entendre cela ! Vous n'étiez pas là quand j'y ai répondu !
    Mme Elisabeth Guigou. Ce matin, le ministre a, une fois de plus, choisi de ne pas répondre à nos questions.
    M. Denis Jacquat. Il répond toujours !
    Mme Elisabeth Guigou. Pourtant, ces questions sont fondées.
    Monsieur le ministre, quelle politique de l'emploi allez-vous mener ? Il ne sert en effet à rien de faire travailler les gens plus longtemps s'il y en a de moins en moins qui travaillent parce que le chômage augmente sous votre politique...
    M. Jean-Marc Nudant. Ben voyons !
    Mme Elisabeth Guigou. ... et parce qu'on se débarrasse de plus en plus des gens qui ont atteint l'âge de cinquante ans. Il n'y a rien dans votre projet à ce sujet.     Vous vous défaussez sur les partenaires sociaux mais vous ne nous avez pas dit comment vous comptiez tenir compte de l'espérance de vie, qui est très inégale selon les catégories socioprofessionnelles.
    Mme Nadine Morano et M. Jean-Luc Warsmann. Ce n'est pas un rappel au règlement !
    Mme Elisabeth Guigou. Comment garantir les petites retraites ? Comment financer votre projet ? Nous attendons toujours vos réponses. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jean-Luc Warsmann. Ça suffit ! Un peu de respect pour l'Assemblée !
    Mme Elisabeth Guigou. Contrairement à ce que vous dites, monsieur le ministre, nous ne cherchons pas à donner de leçons, mais à faire des propositions et à vous faire réagir sur ces propositions qui sont d'autant plus constructives qu'elles concernent un sujet de société qui mérite un réel débat.
    Monsieur le ministre, si vous cédez à l'énervement, c'est que vous n'avez pas de réponse aux questions que nous vous posons. Si vous regardez dans le rétroviseur, c'est que vous préférez éviter de répondre à ces questions, sans doute parce qu'elles vous gênent. Vous vous réfugiez dans le passé pour éviter de répondre sur ce qui est en jeu ici et maintenant, c'est-à-dire votre projet, qui ne résoudra rien et qui ne fera qu'alourdir le fardeau des salariés.
    M. le président. Merci, madame Guigou...
    Mme Elisabeth Guigou. Je termine, monsieur le président.
    En ce qui me concerne, je ne céderai pas à la tentation de regarder dans le rétroviseur. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Il ne vaut mieux pas !
    M. le président. Je vous en prie, chers collègues.
    Mme Elisabeth Guigou. J'aurais pu vous rappeler que vous n'avez pas voté l'abrogation de la loi Thomas sur les fonds de pension. Je préfère formuler des propositions,...
    M. Bernard Deflesselles. Ah oui ?
    Mme Elisabeth Guigou. ... auxquelles nous attendons que vous répondiez. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Madame Guigou, je comprends que vous ne vouliez pas regarder dans le rétroviseur, mais je ne peux vous laisser dire que le Gouvernement ne répond pas aux questions qui lui sont posées. En revanche, j'ai assisté à des débats que vous conduisiez et où vous ne répondiez effectivement pas aux questions qui vous étaient adressées.
    M. Georges Tron. Vous lisiez !
    M. Jean-Luc Warsmann. Des romans !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Vous avez tout à l'heure posé une série de questions. Il se trouve que, lorsque j'y ai répondu, vous étiez partie.
    Je réponds à chacune des questions qui me sont posées, mais la répétition va peut-être me lasser.
    Quoi qu'il en soit, votre système de défense dévoile la faiblesse de vos propositions. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Mme Elisabeth Guigou. Je voudrais répondre au ministre !
    M. le président. Vous n'avez pas défendu un amendement, madame Guigou. Je ne peux donc vous donner la parole pour répondre au ministre.
    Mme Martine Billard. Rappel au règlement !
    M. le président. La parole est à Mme Martine Billard, pour un rappel au règlement.
    Mme Martine Billard. Monsieur le président, je voudrais éviter les quiproquos et les faux débats.
    Dans la loi actuelle, qui s'applique avant le vote de la suivante, la durée prise en considération pour le calcul du minimum contributif...
    M. le président. Madame Billard, ce n'est pas un rappel au règlement !
    Mme Martine Billard. Monsieur le président, je veux éviter tout quiproquo dans la suite du débat.
    M. le président. Madame Billard, pardonnez-moi, mais votre intervention concerne le fond. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Mme Martine Billard. Non ! Je veux éviter tout quiproquo avec M. le ministre au sujet de l'article 4...
    M. le président. Nous allons reprendre la discussion des articles.

Reprise de la discussion

    M. le président. Je suis saisi des amendements identiques n°s 3535 à 3541.
    L'amendement n° 3535 est présenté par Mme Buffet, M. Sandrier et M. Lefort ; l'amendement n° 3536 par MM. Bocquet, Biessy, Desallangre et Braouezec ; l'amendement n° 3537 par MM. Dutoit, Asensi et Gerin : l'amendement n° 3538 par Mme Fraysse, M. Chassaigne et M. Brunhes ; l'amendement n° 3539 par Mme Jacquaint, M. Vaxès et M. Hage ; l'amendement n° 3540 par M. Gremetz, M. Daniel Paul et Mme Jambu ; l'amendement n° 3541 par MM. Liberti, Goldberg et Brard.
    Ces amendements sont ainsi rédigés :
    « Dans l'article 4, après les mots "objectif d'assurer, insérer les mots "et de garantir. »
    La parole est à Mme Janine Jambu, pour soutenir l'amendement n° 3540.
    Mme Janine Jambu. Ce matin, notre collègue André Chassaigne a dénoncé les écueils, voire les dangers que présente le mot « objectif » figurant à l'article 4, cet « objectif » pouvant se réduire, si nous n'y prenons garde, à un voeu pieux.
    Par notre amendement, nous voulons insister sur l'impérieuse nécessité d'assurer une pension minimum et, surtout, de la garantir.
    Cet amendement pourrait être considéré comme un amendement de repli, puisque l'article 4, dont nous avons souligné le caractère pour le moins limité quant à sa portée réelle, n'a pas été supprimé. Mais il s'agit en réalité de tout autre chose.
    Le taux de remplacement de 85 % pour les retraités smicards se présente sous forme d'objectif assigné à la nation en vertu des dispositions des premiers articles du projet de loi.
    Bien entendu, monsieur le ministre, vous ne nous empêcherez pas de croire que, contrairement à la lettre de l'article 2, ce n'est pas seulement le principe de capacité contributive qui est retenu pour le paiement des pensions des anciens smicards. D'ailleurs, il conviendrait plutôt, en toute objectivité, de faire référence aux anciennes smicardes, les bas salaires étant le plus souvent versés aux femmes actives.
    A cet égard, il est dommage que Mme Zimmermann ne soit plus parmi nous cet après-midi. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Concernant la situation des femmes, il est nettement plus positif de parler de « garanties ». Si nous sommes tous d'accord, alors acceptez notre amendement, ce qui confirmerait que vous êtes prêts à améliorer la situation des femmes.
    L'exposé des motifs de l'article précise que l'objectif pourra être révisé compte tenu des perspectives financières des régimes de retraite et des réformes intervenues ».
    Que signifie cette spécification ? Que l'on pourrait réviser l'objectif à la baisse, en fonction de ce fameux décalage entre le montant des cotisations perçues et celui des prestations à servir ? Et que l'on devrait par conséquent inscrire dans la loi un principe de réduction du pouvoir d'achat des retraités ?
    Les retraités modestes vont donc largement subir les conséquences des politiques mises en oeuvre.
    Comme rien dans le projet de loi ne vient créer les conditions d'une relance réelle d'un financement vertueux de notre système de retraite par répartition - il s'agit plutôt d'une approche malthusienne et strictement comptable du devenir de ce système - nous ne pouvons que continuer d'exprimer une certaine inquiétude face à l'orientation fixée par l'article 4.
    Il ne s'agit pas d'atteindre, d'ailleurs dans des délais plutôt éloignés, un objectif sujet à caution et susceptible de révision, mais bien plutôt de garantir aux retraités concernés un niveau de prestations, ce qui pose la question de l'évolution ultérieure des prestations.
    Comme chacun sait, les retraites et les pensions suivent aujourd'hui l'indice des prix, tandis que le SMIC bénéficie, d'une manière toute relative, d'un meilleur traitement, intégrant une part de la croissance. Il faudra bien revenir à un moment donné sur ce point essentiel car cela aboutit à un décalage accentué entre les revenus de l'activité et les revenus de remplacement, sans qu'il soit en fin de compte profitable à quiconque.
    Apparemment, l'indexation des retraites sur les prix ne semble pas devoir se traduire pour les salariés par un allégement de la cotisation prélevée.
    C'est sous le bénéfice de ces observations que nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter cet amendement qui tend à garantir les 85 % de taux de remplacement pour les anciennes smicardes et les anciens smicards retraités.
    Mme Muguette Jacquaint. Très bien !
    M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint, pour soutenir l'amendement n° 3539.
    Mme Muguette Jacquaint. Certains de nos collègues de la majorité m'ont reproché de ne pas avoir écouté Mme Claude Greff, la présidente de la délégation aux droits des femmes. Je l'ai d'autant mieux écoutée que je suis membre de cette délégation !
    J'ai même fait remarquer, lors d'une réunion de cette délégation, que, si celle-ci donnait des avis, le Gouvernement ne les suivrait pas pour autant. Cela se confirme.
    Nous avons eu l'occasion depuis plusieurs jours de rappeler que les femmes salariées qui ont cessé leur activité ne disposaient en moyenne que d'une retraite de 850 euros mensuels. Cela signifie que nombre des retraites versées sont inférieures à 700 euros, c'est-à-dire un niveau inférieur au seuil prévu par l'article 4.
    Si l'on prend comme référence le principe retenu par le projet de loi, on arrive à un minimum de 785 euros contre environ 750 euros aujourd'hui.
    Si l'on s'attache désormais au montant brut du SMIC, on arrivera à une pension minimale de 980 euros environ, soit une sensible revalorisation pour les plus basses retraites, notamment celles versées aux femmes anciennes salariées.
    Mais on arrive aussi à un niveau de retraite supérieur aux moyennes constatées, que nous ne pouvons que déplorer d'autant plus qu'elles conduisent nombre de retraités à ne pas participer pleinement à la vie économique et sociale de la nation.
    On pourrait nous demander pourquoi nous avons choisi de faire référence à la rémunération brute. Je rappelle que, pour l'ensemble des autres prestations sociales ayant le caractère d'un revenu de remplacement, c'est l'ensemble de la rémunération brute qui est prise en compte dans le calcul des droits. C'est ainsi que se calculent les allocations de chômage, tandis que les prestations d'assurance maladie sont versées autant au salarié qu'à l'employeur.
    Par ailleurs, la cotisation des smicards et des smicardes est calculée sur la base de la rémunération brute et il serait logique que le montant des prestations servies en regard soit calculé, demain, sur la même base.
    Au bénéfice de ces observations, je souhaite que nos amendements soient adoptés.
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l'amendement n° 3541.
    M. Jean-Pierre Brard. Tout à l'heure, j'ai senti un peu de tension dans l'hémicycle. Or ce n'est bon pour la santé ni des uns ni des autres. Pensez un peu au déficit de la sécurité sociale !
    Pour détendre l'atmosphère, je voudrais vous lire cette citation d'André Pieyre de Mandiargues qui vous concerne au plus haut point, monsieur le ministre, non pas personnellement mais dans l'exercice de vos fonctions : « L'amour sort du futur avec un bruit de torrent et il se jette dans le passé pour le laver de toutes les souillures de l'existence. » (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jean-Marc Nudant. Faites l'amour, pas la guerre !
    M. Jean-Pierre Brard. Je constate que cela inspire certains de nos collègues !
    Pourquoi cet amendement ? Quand vous ne serez plus ministre, monsieur le ministre, certainement aurez-vous une belle carrière d'homme de lettres devant vous. Vous faites, en effet, preuve d'une extraordinaire aptitude à donner aux mots un sens contraire à celui communément admis, et, de ce point de vue, vous révolutionnez la littérature.
    M. Alain Néri. C'est bien la seule chose qu'il révolutionne !
    M. Jean-Pierre Brard. On ne peut pas tout faire à la fois ! Que nous apprend la tradition littéraire, si j'en crois, par exemple, Guy de Maupassant ? « Quelle que soit la chose qu'on veut dire, il n'y a qu'un mot pour l'exprimer, qu'un verbe pour l'animer et qu'un adjectif pour la qualifier. » Mais certainement avez-vous trouvé que le vocabulaire de la langue de Molière était insuffisant. Aussi trouvez-vous un second sens aux mots en leur donnant un contenu exactement inverse à celui qu'on leur attribue d'habitude.
    Pour mieux me faire comprendre, parce que, pour être bien compris, il faut faire un effort de pédagogie...
    M. Jean-Luc Warsmann. La pédagogie, c'est l'art de répéter !
    M. Jean-Pierre Brard. Ah non ! Ça, c'est trivial ! La pédagogie, comme je l'ai appris à l'école normale d'instituteurs de la rue d'Auteuil,...
    M. Georges Tron. Rue d'Auteuil ? Dans le 16e ?...
    M. Jean-Pierre Brard. ... s'appuie toujours sur des exemples concrets, sans quoi la personne que vous voulez convaincre, à qui vous voulez dispenser votre enseignement, a du mal à comprendre.
    Au registre de la pédagogie, je vais vous donner l'exemple d'Aurélie, trente-six ans, professeur des écoles dans le Cantal.
    M. Pascal Terrasse. C'est un peu loin de l'Ardèche !
    M. Jean-Pierre Brard. C'est tout aussi loin de mes bases arrières. Elle est diplômée d'une école de commerce et a eu deux enfants avant de se décider à passer le concours de recrutement de professeur des écoles, à vingt-sept ans. Avant de devenir directrice d'école à Saint-Flour, elle a débuté dans de petites écoles rurales isolées. Si son métier la passionne, elle imagine mal poursuivre sa carrière jusqu'à soixante-six ou soixante-sept ans, âge auquel elle pourrait bénéficier d'une retraite à taux plein - il lui faudrait d'ailleurs demander l'autorisation de l'inspecteur d'académie pour prolonger son activité au-delà de soixante-cinq ans. Injustice supplémentaire, alors que la législation actuelle lui attribue une bonification d'un an par enfant, lui ferait perdre cet acquis avec votre réforme des retraites, car ses enfants sont nés avant qu'elle ne devienne professeur des écoles.
    Monsieur le ministre, compte tenu de la façon révolutionnaire dont vous maniez le vocabulaire, je suis conscient que changer un mot par un autre n'arrêtera pas votre aptitude innovatrice, mais remplacer « assurer » par « garantir » donnera plus de force à la volonté de protéger les retraites de demain que vous prétendez avoir, sans parvenir à nous convaincre.
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, pour donner l'avis de la commission sur les amendements n°s 3539, 3540 et 3541.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, ces amendements correspondent bien à la position des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. Jean-Pierre Brard. Il n'a pas oublié l'adjectif « républicains » ! Voyez la force de la pédagogie !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Ils affirment que l'on pourrait garantir aux retraites un très haut niveau de remplacement, en particulier pour les salariés rémunérés au SMIC - ce texte a d'ailleurs pour objectif, en faveur de ces derniers, un taux de remplacement de 85 % pour ces derniers - en se contentant de le décréter pour que ce soit acquis.
    Ne berçons pas les Français d'illusions. La conjoncture démographique nous impose, pour pouvoir atteindre cet objectif, de réaliser un effort considérable, et l'avancée sera d'autant plus solide qu'elle sera doublée d'une garantie de pouvoir d'achat par l'indexation sur les prix.
    Pour assurer ce taux de remplacement élevé, il faut réformer notre système de retraite. C'est pour cela que le Gouvernement a proposé cette réforme et que nous délibérons, et il serait illusoire de croire que l'on pourrait faire autrement. Il n'y a pas de projet alternatif pour atteindre cet objectif.
    Mme Muguette Jacquaint. Si, il y en a un ! Mais vous refusez d'en discuter !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. La commission a donc rejeté cette série d'amendements.
    M. le président. La parole est à M. le ministre, pour donner l'avis du Gouvernement sur ces amendements.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, sur le fond, je ne suis pas en désaccord avec l'amendement déposé par le groupe des député-e-s communistes et républicains. Il pose cependant un problème de droit, parce que notre fonction n'est pas de faire de la communication, mais du droit. Comme l'a très bien fait remarquer M. Terrasse dans son exception d'irrecevabilité, nous ne pouvons pas, à ce stade du texte, introduire le mot « garantie » sans légiférer pour le compte des régimes complémentaires placés sous la responsabilité des partenaires sociaux. C'est la raison pour laquelle, à l'article 18, nous décrivons le mécanisme qui conduira à atteindre l'objectif fixé, c'est-à-dire l'augmentation du minimum contributif. Je ne peux donc pas accepter ces amendements.
    Enfin, monsieur Brard, permettez-moi de vous dire qu'il est facile de déclamer les bons auteurs un recueil de citations à la main. (Sourires.) Vous seriez plus crédible si vous citiez de mémoire. C'est ce que je vais essayer de faire, en me souvenant d'un très grand aucteur, dénommé Katzeiev, si je ne me trompe, et qui disait, en substance : « Le but ultime de la littérature, c'est l'éducation des masses au socialisme. » (Rires. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, qui est piqué au vif.
    Mme Muguette Jacquaint. Oh non !
    M. Hervé Novelli. C'est un aveu de défaite !
    M. Jean-Pierre Brard. Vous savez, je suis comme M. Fillon : insubmersible. (Rires.)
    Les réponses de M. Accoyer et de M. Fillon sont toutes deux très intéressantes, mais elles témoignent très clairement du fait que M. le rapporteur n'a ni les références ni le talent littéraire de M. le ministre. Sinon, il serait ministre lui-même, d'ailleurs.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Chacun sa place !
    M. Jean-Pierre Brard. Que nous dit M. Accoyer ? Qu'il est impossible de garantir quoi que ce soit dans la durée. Ces propos me rappellent la position de l'UDF, défendue dans l'amendement de M. de Courson, en faveur d'un système à points. Vous savez, c'est un peu comme les « coop » de notre jeunesse : chaque fois qu'on achetait un paquet de nouilles ou autre chose, on récupérait des points, et, quand on en cumulait beaucoup, on avait droit à un peu de féculents en plus à la fin du mois. (Rires.)
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Avec toutes ces nouilles, vous avez pris des réserves, monsieur Brard ! (Sourires.)
    M. Jean-Pierre Brard. Je ne relèverai pas vos propos, pour ne pas me montrer rustique ni désagréable à votre égard, monsieur Accoyer !
    Avec l'amendement de M. de Courson, on avait une chance de cumuler assez de points pour profiter dignement de sa retraite, à condition d'être centenaire, grâce à l'allongement de la durée de la vie.
    M. Accoyer se montre, lui, beaucoup plus brutal, et refuse de s'engager tout de suite.
    Quant à vous, monsieur le ministre, vous êtes beaucoup plus habile - on vous l'a déjà fait remarquer plusieurs fois au cours de ce débat. En plus du trophée Pinocchio, vous mériteriez de recevoir plus d'un premier prix, dont celui de littérature. L'auteur que vous avez cité n'est certes pas très connu, mais sa pensée est forte, quoique pas tellement d'actualité. Elle vous a permis d'exprimer la nostalgie que vous ressentez à propos d'un passé à jamais révolu.
    Vous refusez une mesure en arguant qu'elle relève du droit, mais que fait-on ici, sinon la loi ? Tant qu'à faire la loi, il est tout à fait légitime d'innover et, si vous faites preuve de volonté politique, monsieur le ministre, j'imagine mal votre majorité déposant un recours devant le Conseil constitutionnel pour substituer « assurer » à « garantir ».
    Je sens bien que vous êtes prêts à faire un effort. Laissez-vous tenter, laissez-vous convaincre. Vous démontrerez ainsi que vous êtes de bonne foi et que vos arguties ne relèvent pas seulement de l'habileté, qu'il y a, derrière, une vraie volonté de garantir la retraite, ce que n'a pas garanti, précisément, M. Accoyer.
    M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.
    Mme Martine Billard. Le rapporteur nous a expliqué que l'article 4 constituait une très grande avancée par rapport à la situation actuelle. Mais nous ne sommes pas convaincus, nous n'avons toujours pas d'éléments qui accréditeraient vos propos en garantissant l'objectif recherché. Il nous faut en effet une réponse très précise sur la distinction qui sera faite entre années cotisées et années assimilées. Dans la législation actuelle, l'ensemble des trimestres sont pris en compte, qu'ils soient cotisés ou assimilés, et le site Internet de la CNAV précise que les « périodes assimilables à des périodes d'assurance » sont les périodes de maladie, de longue maladie, de maternité, d'invalidité, d'accident du travail entraînant une incapacité temporaire ou permanente, de chômage et assimilé, de service national et ainsi de suite.
    En conséquence, si le texte ne prend réellement en compte que les durées cotisées, monsieur le rapporteur, il ne s'agit pas d'une avancée, mais d'une régression.
    M. le président. La parole est à M. Pascal Terrasse.
    M. Pascal Terrasse. A l'instant où nous parlons du minimum contributif, je viens de lire une dépêche de l'AFP (« Encore ? » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)...
    M. Denis Jacquat. Il passe son temps à lire les dépêches de l'AFP !
    M. Jean-Pierre Brard. Oui, et à chaque fois, c'est une catastrophe pour l'UMP !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Les dépêches de l'AFP font-elles partie du projet alternatif ? Les socialistes n'ont aucun argument !
    M. le président. Chers collègues, laissez M. Terrasse lire sa dépêche !
    M. Pascal Terrasse. Je ne lirai pas la dépêche. Et n'ayez crainte, je ne vous sortirai pas la même chose qu'hier. Simplement, nous répétons inlassablement, depuis plusieurs jours - je l'ai notamment dit dans mon exception d'irrecevabilité, à laquelle M. le ministre vient de faire référence -, que nous sommes soucieux quant au financement de la part complémentaire du minimum contributif. Et, d'après cette dépêche AFP, la présidente de l'AGFF, l'association pour la gestion des fonds de financement, membre de la CGC, qui a signé votre accord, s'interroge. Elle comprend que vos mesures auront un gros impact financier sur les régimes complémentaires et elle se demande comment la retraite complémentaire, de cinquante-huit à soixante ans, sera payée, ce qui la conduit à juger nécessaire une hausse des cotisations.
    Monsieur le ministre, les caisses d'assurance complémentaire seront-elles sollicitées pour participer au titre du minimum contributif ? Vous m'avez dit, il y a quelques jours, que l'Etat prendra en charge la totalité du financement du minimum contributif - quand je dis l'Etat, je pense à la caisse nationale d'assurance vieillesse, que vous allez d'ailleurs affaiblir dès l'année prochaine. Je souhaiterais, pour la bonne cause, si je puis dire, connaître les intentions du Gouvernement : y aura-t-il, oui ou non, des hausses de cotisations pour les assurances complémentaires de retraite ? Si la réponse est non, je me demande, en effet, comment vous allez financer cette mesure. Nous vous avons déjà posé la question à plusieurs reprises, sans obtenir la moindre réponse. Vous devez éclairer l'ensemble de la représentation nationale en nous répondant très précisément.
    M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements défendus n°s 3539, 3540 et 3541.
    (Ces amendements ne sont pas adoptés.)
    M. le président. La parole est à M. Denis Jacquat.
    M. Denis Jacquat. En qualité de porte-parole du groupe UMP, je demande une suspension de séance de dix minutes, monsieur le président, en soulignant que c'est la première fois, pour que nos amis socialistes reprennent un peu leurs esprits. (Exclamations et rires.)
    En nous lisant les communiqués de l'AFP, vous nous changez de la routine,...
    M. Alain Néri. On va convoquer Joyandet !
    M. Jean-Pierre Brard. Vous êtes contre le service public de l'information, monsieur Jacquat ?...
    M. Denis Jacquat. ... mais vous feriez mieux de lire le projet de loi et de réfléchir au sujet des retraites.
    M. Jean-Pierre Gorges. Très bien !
    M. le président. Je vous accorde cinq minutes, monsieur Jacquat. Cela fera jurisprudence pour toute cette séance : la règle vaudra pour le groupe UMP comme pour les autres.
    M. Pascal Terrasse. C'est un coup monté !
    M. le président. Non ! Il ne peut y avoir aucune connivence entre la présidence et un quelconque groupe politique. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à quinze heures trente-cinq, est reprise à quinze heures quarante-cinq.)
    M. le président. La séance est reprise.
    M. Préel et M. de Courson ont présenté un amendement, n° 5086, ainsi rédigé :
    « Dans l'article 4, après les mots : "du salaire minimum de croissance net, insérer les mots : "des cotisations sociales salariés et des impositions de toute nature. »
    La parole est à M. François Rochebloine, pour défendre cet amendement.
    M. François Rochebloine. Cet amendement de clarification de mes collègues Jean-Luc Préel et Charles de Courson vise à préciser que SMIC « net » signifie net des cotisations sociales et des impositions de toute nature. Son adoption permettrait de réduire les effets pervers et d'éviter une paupérisation des titulaires de petites retraites.
    M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Défavorable.
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Même avis que la commission.
    M. le président. La parole est à M. François Rochebloine.
    M. François Rochebloine. J'aimerais avoir des précisions de la part de M. le rapporteur. Pourquoi est-il défavorable à cet amendement ?
    M. Jérôme Lambert. Qu'est-ce que cela cache ?
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le ministre, je sais par expérience qu'il est parfois difficile d'être la minorité de la majorité. (Sourires.)
    M. Denis Jacquat. Vous, vous êtes la minorité de la minorité !
    M. Jean-Pierre Brard. Mais notre collègue François Rochebloine est un homme charmant.
    Mme Sylvia Bassot. Pas de remarques personnelles !
    M. Jean-Pierre Brard. Rappelez-vous, nous avons réussi à nous entendre sur des sujets aussi difficiles que les mines anti-personnel il y a des années ! La proposition de notre collègue me semble assez consensuelle. Elle ne donnerait pas une garantie comme nous le souhaitons, mais offrirait une meilleure assurance. Or, on sent bien que le Gouvernement est gêné. Et M. Accoyer, qui est la petite main du Gouvernement dans cette affaire, ne trouve rien de mieux à répondre que « défavorable ».
    M. Denis Jacquat. Il a déjà répondu hier !
    M. Jean-Pierre Brard. Le respect que l'on doit à nos collègues de l'UDF (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)...
    M. Denis Jacquat. Vous êtes le pompier de service ?
    M. Jean-Pierre Brard. ... nous interdit de nous satisfaire d'une réponse aussi désinvolte.
    M. Bernard Schreiner. Quel donneur de leçons !
    M. Jean-Pierre Brard. Nous n'avons pas l'habitude de soutenir le groupe UDF, mais c'est une question de respect du Parlement.
    Mme Marylise Lebranchu. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Cet amendement changerait la substance même de l'article 4, qui fait état de 85 % du salaire minimum de croissance net. Le mot « net » est une référence particulièrement précise et solide. L'adoption de l'amendement aurait pour effet d'exclure la CSG. Or on ne calcule jamais un salaire net par rapport à l'impôt sur le revenu, car cet impôt se calcule par foyer fiscal, et non par revenu individuel.
    M. Jérôme Lambert. Ce n'est pas très net, comme explication !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. En outre, que faudrait-il faire pour la taxe sur la valeur ajoutée ? Pour toutes ces raisons, il est apparu opportun à la commission de rejeter l'amendement.
    M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5086.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, je demande une suspension de séance pour nous concerter avec François Rochebloine et voir comment nous allons réagir face à cette humiliation qui est infligée à nos collègues. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. François Rochebloine.
    M. François Rochebloine. Jean-Pierre Brard l'a rappelé, nous avons mené certains combats ensemble, y compris sur le plan économique, et nous les avons gagnés - je tiens à le souligner. S'il souhaite une suspension de séance, il peut la demander. Quant à moi, je n'ai pas apprécié la première réponse qui m'a été faite par M. Accoyer, mais il en a fait une seconde, même si elle n'était pas très claire.
    M. Jérôme Lambert. En effet, elle n'était pas nette !
    M. François Rochebloine. Je ne m'associerai donc pas à cette demande de suspension de séance.
    M. le président. Monsieur Brard, M. Rochebloine refusant l'intergroupe, souhaitez-vous réunir votre groupe ?
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, il y a un problème. Vous le savez, la pédagogie est très importante pour moi.
    M. Hervé Novelli. La pédagogie, ce n'est pas la répétition !
    M. Jean-Pierre Brard. Et je suis sûr que M. Fillon n'y est pas insensible. Je voulais ainsi montrer que dès que le Gouvernement ou l'UMP fait les gros yeux, l'UDF fait une génuflexion, dit merci (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) et capitule tout de suite. Son fonds de commerce, c'est Canossa ! (Sourires.) Vous venez d'en faire la démonstration !
    M. François Rochebloine. Mais non ! J'ai maintenu l'amendement !
    M. Jean-Pierre Brard. Pour donner une chance de rachat à M. Rochebloine, je maintiens ma demande de suspension de séance et nous l'attendons dans le hall ! (Rires.)

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à seize heures.)
    M. le président. La séance est reprise.
    Je mets aux voix l'article 4.
    (L'article 4 est adopté.)
    (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
)
    M. le président. Chers collègues, soyez prudents, il ne faudrait tout de même pas donner l'impression qu'une partie de l'hémicycle avait besoin d'être réveillée !
    M. Jean-Pierre Brard. Je n'ai pas eu l'impression qu'on dormait ! (Sourires.)

Après l'article 4

    M. le président. M. de Courson, M. Préel et les membres du groupe Union pour la démocratie française et apparentés ont présenté un amendement, n° 7062, ainsi rédigé :
    « Après l'article 4, insérer l'article suivant :
    « Avant le 31 décembre 2004, le Gouvernement déposera sur le bureau de l'Assemblée nationale et sur celui du Sénat un rapport prévoyant l'harmonisation des régimes de retraite des enseignants du privé et du public. »
    La parole est à M. François Rochebloine.
    M. François Rochebloine. Mes chers collègues, mes collègues Jean-Luc Préel, Charles-Amédée de Courson et le groupe UDF ont déposé cet amendement visant à aligner la retraite des enseignants du privé sur celle du public. Comme vous le savez, monsieur le ministre, il s'agit d'une demande constante, et pleinement justifiée, du monde enseignant. Pourquoi ceux-ci, en effet, ne disposeraient-ils pas des mêmes droits et garanties que les fonctionnaires ? Bien qu'un principe de parité existe, force est de constater qu'en matière de sécurité sociale et de retraite, les enseignants du privé ne disposent pas des mêmes droits.
    Le monde de l'enseignement privé, c'est environ 135 000 enseignants qui exercent leur métier dans des établissements privés sous contrat, plus les établissements hors contrat. Dans ces établissements privés sous contrat, près de 42 000 enseignants - dont 91 % de femmes - exercent dans le premier degré et près de 85 000 - dont 65,5 % de femmes - dans le second degré.
    Actuellement, les enseignants du privé, de par les diverses cotisations qu'ils versent, peuvent faire appel à trois régimes de retraite : celui du régime général de la sécurité sociale, celui des régimes complémentaires de retraite, et enfin d'un régime qui leur est spécifique, le régime temporaire de retraite de l'enseignement privé, plus communément appelé le RETREP.
    Ces différents régimes de retraite représentent certes un acquis notable. Le RETREP, notamment, permet aux enseignants du privé de cesser leur activité aux mêmes âges que les enseignants du public, et cela sans pénalité. Toutefois, les enseignants du privé ne bénéficient pas des mêmes avantages que leurs homologues fonctionnaires du public : les cotisations des enseignants du privé sont supérieures de l'ordre de 20 % par rapport à celles des enseignants du public et leurs pensions sont souvent inférieures - jusqu'à 30 %. C'est une inégalité flagrante, contraire au principe selon lequel « à travail égal, salaire égal, retraite égale ».
    M. Pascal Terrasse. C'est vrai !
    M. François Rochebloine. Pourtant, les enseignants du secteur privé sont soumis aux mêmes exigences de qualification, de titres et de service que leurs homologues du secteur public. Il est donc temps de leur appliquer les mêmes règles du droit public pour les retraites.
    M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Cet amendement touche à deux des principes du texte proposé par le Gouvernement : l'harmonisation et l'équité.
    M. François Rochebloine. Tout à fait !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Il est tout à fait exact qu'il y a, en France, des professions strictement identiques exercées par des hommes et des femmes aux compétences et au dévouement strictement identiques et qui ne se trouvent pas dans les mêmes conditions pour les exercer,...
    M. Pascal Terrasse. Vous allez donc accepter cet amendement !
    M. Dominique Richard. Ne soyez pas impatient !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. ... qu'il s'agisse de leurs salaires, des charges sociales qu'elles supportent ou de leur retraite. C'est, encore une fois, une des raisons essentielles de l'urgence et de l'opportunité de la réforme dont nous discutons. On pourrait dire cela pour les enseignants des établissements privés...
    M. Pascal Terrasse. Sous contrat !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. ... dont on connaît le dévouement et les qualités et dont on connaît l'attachement dont ils sont l'objet de la part des Français. Ces derniers tiennent à cette liberté fondamentale qui consiste à pouvoir s'adresser comme ils le souhaitent,...
    M. François Rochebloine. Tout à fait !
    M. Jean-Pierre Brard. Tu parles !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. ... soit à l'enseignement public, soit à l'enseignement privé. C'est un point qui fait consensus.
    Mais l'on pourrait parler aussi des personnels des établissements de soins publics ou privés.
    Dans le premier cas, pour une bonne partie d'entre eux, le principe du service actif vient encore abaisser l'âge de la retraite.
    On pourrait parler aussi de toutes les professions qui sont exercées, soit dans le privé, soit dans le public : les premières relèvent du régime général et les secondes des régimes de retraite publics. Actuellement, ces deux types de régimes sont en effet différents, voire - pour un certain nombre d'éléments - inégalitaires. En tout cas, ils sont inégalitaires au regard de l'effort de financement que fait la nation pour les abonder.
    Je ne vais pas prolonger cette explication, mais simplement rappeler un chiffre : si la réforme que le Gouvernement nous présente n'était pas adoptée, si elle n'avait pas été élaborée comme elle l'a été, il faudrait, en 2020 - et c'est tout de suite, 2020 -...
    Mme Muguette Jacquaint. Ce n'est pas tout de suite, enfin !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. ... trouver 43 milliards d'euros, avec une répartition différente pour les régimes publics par rapport aux régimes privés. Il faudrait sept fois plus d'argent public pour assurer la retraite d'un salarié du public par rapport à un salarié du privé.
    M. Pascal Terrasse. M. le rapporteur noie le poisson ! Il ne répond pas à la question !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Nous n'opposons nullement une catégorie de salariés ou de retraités à une autre. Notre objectif est d'atténuer très progressivement ces différences qui sont, effectivement, tout à fait regrettables.
    M. Pascal Terrasse. Il faut donc voter l'amendement !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. C'est pour cette raison que, tout en comprenant ce qui a conduit nos collègues à déposer cet amendement, la commission, qui soutient un projet beaucoup plus vaste consistant à harmoniser progressivement les devoirs et les droits de tous les Français face à la retraite dans le principe même de la solidarité nationale, a exprimé un avis défavorable.
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Comme M. Rochebloine, je suis tout à fait sensible à la question qu'il a posée. Comme le rapporteur, je reconnais bien volontiers qu'il y a une injustice à voir des personnes faisant le même métier placées, face à la retraite, dans des conditions différentes.
    Cela étant, cette question ne se pose pas que pour les enseignants ; elle se pose pour beaucoup de catégories de Français. Elle se pose, par exemple, pour les infirmières et bien d'autres métiers encore.
    La situation des enseignants du secteur privé au regard de la retraite est en réalité comparable à celle des autres salariés du secteur privé. Et la situation des enseignants du secteur public au regard de la retraite est comparable à celle des fonctionnaires. Nous essayons donc de faire converger progressivement l'ensemble des régimes de retraite et, en particulier, ceux du secteur public et du secteur privé.
    La solution que propose cet amendement ne me paraît pas pouvoir être acceptée aujourd'hui, dans le cadre de ce texte. Il n'est pas envisageable d'affilier les enseignants du secteur privé au régime de retraites public et d'ailleurs, je crois qu'ils ne le souhaitent pas. Il n'est pas envisageable non plus d'affilier les enseignants du secteur public au régime général. Il n'est pas envisageable enfin de créer de nouvelles disparités au sein de ces régimes.
    Nous devons, pour l'heure, en rester au strict respect des lois Debré et Guermeur et réétudier ces sujets dans le cadre d'une autre réflexion que celle qui nous amène à une réforme globale de nos régimes de retraites. Sinon, nous allons être obligés d'entrer dans le traitement de toutes les différences qui existent entre des métiers à l'intérieur des régimes de retraites. Ce serait nous détourner de notre objectif prioritaire.
    M. le président. La parole est à M. Denis Jacquat, pour répondre à la commission.
    M. Denis Jacquat. Comme l'a fort justement souligné Bernard Accoyer, cet amendement nécessite une extension. Il n'y a pas que les enseignants du privé et du public qui sont concernés, mais il y a aussi, comme l'a précisé fort justement le ministre, tout le secteur de l'hospitalisation.
    Dans sa réponse, le ministre a bien prononcé le mot « aujourd'hui ». C'est le mot essentiel. Nous avons donc obtenu un engagement de la part du ministre. Le projet de loi est évolutif ; nous en posons les bases aujourd'hui. Les problèmes qui apparaîtront ne seront donc pas éludés, mais ils seront examinés dans un autre temps.
    M. le président. La parole est à M. Pascal Terrasse, pour répondre au Gouvernement.
    M. Pascal Terrasse. Cet amendement se rattache au principe d'équité, énoncé à l'article 3 du projet de loi du Gouvernement. M. Rochebloine a eu raison de soulever la question des salariés de l'enseignement privé sous contrat d'association. On pourrait, de la même manière, soulever la question des salariés du secteur médico-social au titre de la convention collective 51 ou encore 66.
    Depuis maintenant six mois, nos collègues de la majorité affirment que tout ce qui relève de l'aménagement des retraites sera abordé dans ce projet de loi. Or on vient d'introduire un nouveau principe : celui de la progressivité de la réforme, qui aboutit à renvoyer à plus tard ce qui pourrait être fait aujourd'hui.
    Les masques tombent jour après jour. Lorsqu'on vous parle d'équité, vous répondez non. Vous ne pourrez plus évoquer ce principe pour les articles restants. Et nous ne manquerons pas de vous rappeler que vous auriez pu, aujourd'hui, prouver que votre projet était équitable. En réalité, il ne l'est pas : il y a deux catégories de Français. Nous aurons l'occasion d'en reparler tout à l'heure à l'occasion de la discussion sur le secteur privé.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Il s'est exprimé pour ? Nous n'avons pas compris !
    M. le président. Chers collègues, un orateur a répondu à la commission, un orateur a répondu au Gouvernement. Pour respecter le règlement, je ne peux plus donner la parole qu'à l'orateur qui désirera s'exprimer contre cet amendement.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Très bien !
    M. Jean-Pierre Brard. Je suis contre, monsieur le président !
    M. le président. J'ai compris, monsieur Brard. Il y aura donc trois intervenants. Mais j'appelle votre attention sur le fait que rouvrir le débat signifierait le continuer sur les autres articles.
    La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
    M. Jean-Pierre Brard. Dès qu'on voit le nom de notre collègue Charles-Amédée de Courson, on se demande tout de suite où est la boîte d'allumettes. Et elle n'est jamais très loin. (Rires.) Sans avoir l'air d'y toucher, notre collègue, par la voix pateline de François Rochebloine (Sourires), rouvre le débat sur l'école. Or l'école est un sujet sur lequel une sorte d'équilibre a été trouvé. On en pense ce que l'on veut, mais le fait est, et il serait un peu dangereux de vouloir y toucher.
    Il est faux de dire que tous les enseignants font le même métier. Ce n'est pas vrai !
    M. François Rochebloine. Ah bon ?
    M. Jean-Pierre Brard. Certainement les situations sont-elles différentes selon les régions. Dans une région comme la mienne - et je parle sous le contrôle de M. Raoult - les écoles privées sélectionnent, alors que les écoles publiques prennent tout le monde. Ce n'est pas la même chose ! On ne fait pas le même métier. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Je suis instituteur de formation en région parisienne et j'ai dit qu'il existait certainement une réalité différente selon les régions du pays. Je me suis exprimé avec beaucoup de prudence.
    Mme Chantal Bourragué. Les enfants ne sont pas différents !
    M. Jean-Pierre Brard. Vous ne devez pas bien connaître les banlieues de la région parisienne ou de la région lyonnaise. Parlons au moins de la même chose !
    Nombre d'écoles privées sélectionnent. Donc, les enseignants ne font pas le même travail, qu'on le veuille ou non !
    Mme Sylvia Bassot. Certains lycées publics sélectionnent. Louis-le-Grand, par exemple.
    M. Jean-Pierre Brard. Madame Bassot, les turpitudes des uns ne sauraient justifier les turpitudes des autres ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Mais je sais très bien à quoi vous faites référence. Et vous avez raison sur le fond !
    M. le président Monsieur Brard, vous étiez donc contre l'amendement ?
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, je n'ai pas fini, j'ai été interrompu trois fois en trente secondes ! (Sourires.)
    M. François Fillon, avec son habileté habituelle utilise le mot « harmonisation », qui est pour lui synonyme de réduction. Voilà quelques minutes, il a utilisé une notion qu'il avait déjà développée à plusieurs reprises au cours de débat : la convergence. Pour la trouver, il faut toujours chercher en dessous du niveau de flottaison. (Sourires.)
    En dehors du débat fondamental qu'il pourrait y avoir sur l'école, vous imaginez bien que si M. Fillon parle harmonisation ou convergence, ce n'est sûrement pas sur la base du niveau de retraite actuel des enseignants de la fonction publique.
    Mme Muguette Jacquaint. En effet !
    M. Jean-Pierre Brard. Ce serait plutôt, comme il le fait d'ailleurs plus globalement, pour aligner le public sur le privé, afin d'essayer de réduire les dépenses.
    M. François Rochebloine. Monsieur le président, je demande la parole !
    M. le président. Je ne peux vous donner la parole que si vous retirez votre amendement, car nous avons déjà entendu un orateur pour répondre à la commission, un orateur pour répondre au Gouvernement et un orateur pour s'exprimer contre cet amendement.
    M. François Rochebloine. J'ai déposé cet amendement...
    M. le président. Pardonnez-moi mon cher collègue : je me dois d'appliquer strictement le règlement. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Trois orateurs se sont déjà exprimés. Donc, à moins que vous ne retiriez votre amendement...
    M. François Rochebloine. Je ne retire pas mon amendement !
    M. le président. Je mets donc aux voix l'amendement n° 7062.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    M. le président. MM. Gorce, Terrasse, Le Garrec et les membres du groupe socialiste ont présenté un amendement, n° 7085, ainsi rédigé :
    « Après l'article 4, insérer l'article suivant :
    « Les durées de cotisations ne peuvent être réglées qu'à travers la négociation avec les partenaires sociaux dans le cadre d'une négociation interprofessionnelle et des accords de branche qui doivent tenir compte de la pénibilité des métiers, de l'espérance de vie, de l'effort contributif, de la situation familiale, du temps de formation. »
    La parole est à M. Gaëtan Gorce.
    M. Gaëtan Gorce. Cet amendement vise à rappeler l'enjeu de la négociation. Nous en avons parlé au tout début de ce débat dans les motions de procédure, puis tout au début des discussions. L'ensemble des partenaires sociaux, en tout cas la majorité d'entre eux, ressent en la matière une véritable frustration, monsieur le ministre. Personne, à part vous peut-être, n'a le sentiment qu'une véritable négociation a été menée à son terme. Les partenaires sociaux s'en sont plaints amèrement, avant même que vous déposiez ce texte en conseil des ministres. Ils se sont exprimés à de très nombreuses reprises entre le mois de février et le mois d'avril, dates à partir desquelles vous avez soumis quelques propositions qui visaient plus à obtenir des déclarations d'intention de caractère très général que de permettre une discussion sur des propositions précises. Cela a été dit par toutes les organisations syndicales, y compris celles qui ont rejoint l'accord que vous avez présenté.
    Et si l'on regarde les conditions dans lesquelles cet accord a été mis en place, on a le sentiment qu'il s'agissait moins d'une négociation au long cours, comme on a pu y assister dans d'autres pays européens, comme en Suède ou en Allemagne, mais plutôt d'une de ces négociations marathon, « coup de poing », brutales, telles qu'on en a connu par le passé lorsqu'on négociait les prix agricoles à la Commission européenne : il fallait aboutir dans la nuit à toute force. Il ne s'agissait pas là d'une véritable négociation permettant d'examiner toutes les propositions, toutes les solutions, de prendre en compte par la concertation les différentes hypothèses.

    Monsieur le ministre, vous avez toujours été extrêmement prudent dans l'utilisation du terme de « négociation », lequel n'est vraiment apparu dans votre discours qu'une fois passé l'accord du 15 mai. J'ai le souvenir de la commission qui s'est tenue dans l'hiver, après le discours du Premier ministre au Conseil économique et social : vous avez parlé de concertation, d'écoute, mais le mot de négociation ne figurait pratiquement pas dans la présentation de votre méthode. Ce n'est qu'ensuite que vous l'avez utilisé, comme pour justifier a posteriori l'accord auquel vous ne pensiez peut-être pas pouvoir parvenir.
    Si j'en crois les déclarations, ou les articles parus récemment, la véritable négociation n'a duré qu'une nuit. Elle a d'ailleurs fini en queue de poisson, sur un échec. En effet, aucun accord n'avait été trouvé. C'est presque au saut du lit qu'une solution a été trouvée le 15 mai. Elle ne l'a d'ailleurs pas été dans les bureaux du ministère du travail, rue de Grenelle, mais, plutôt, si mes informations sont exactes, sans votre présence et sous la seule responsabilité du Premier ministre qui devrait donc en tirer le bénéfice et la gloire - s'il y en avait une à tirer.
    En matière de négociations, monsieur le ministre, on aurait pu espérer une véritable négociation. En tout cas, on ne saurait considérer comme un succès de la négociation quelques heures de discussion, conclues dans la nuit, relayées par quelques discussions dans le bureau du Premier ministre en l'absence des autres organisations syndicales.
    Cet amendement a précisément pour objet d'insister sur la nécessité de réintroduire la concertation et la négociation qui, partout ailleurs, ont présidé à la réforme des retraites. Je reconnais qu'il revêt un caractère symbolique, mais il vise au fond à souligner l'échec de votre démarche, qui apparaîtra encore plus patent avec le temps. Autrement dit, vous avez obtenu l'assentiment partiel des partenaires sociaux, vous recevrez l'assentiment majoritaire de cette assemblée, mais vous n'avez pas celui des Français. Votre réforme ne sera pas basée sur le consensus. Par conséquent, elle ne sera pas acceptée.
    M. Georges Tron. C'est l'inverse qui arrivera !
    M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. M. Gorce, qui veut toujours nous expliquer qu'il a mieux compris que les autres la manière dont tout s'organise, nous dit que le dialogue social est son affaire.
    M. Gaëtan Gorce. Faites-le à votre tour, monsieur Accoyer !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Je voudrais lui rappeler que lorsqu'il a rapporté les deux projets de loi relatifs aux 35 heures, il avait une autre conception du dialogue social, puisque celles-ci ont été imposées, avec les conséquences que l'on sait.
    M. Georges Tron et M. René Couanau. Absolument ! Très bien !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Pour en revenir à l'amendement, qui a d'ailleurs été repoussé par la commission, nous sommes en pleine improvisation du groupe socialiste. Nous avons déjà répondu à l'envi à ce que le parti socialiste présente, dans le cadre d'une hypothétique et très récente piste - puisque c'est le terme employé - de réforme, comme de nouveaux critères déterminants : la pénibilité des métiers est pour la première fois prise en compte,...
    M. René Couanau. Absolument, il faut le dire !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. ... puisqu'elle figure dans un certain nombre d'articles de la loi.
    L'espérance de vie ne peut être rapportée, nous l'avons déjà dit, qu'à la pénibilité. Du reste, nulle part elle n'a été prise en compte, car cela soulèverait des problèmes extrêmement complexes.
    M. René Couanau. Bien entendu !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. A cet égard, je demanderai à M. Gorce, qui sait généralement tout, ce qu'il répondrait aux enseignants qui s'inquiétaient de l'allongement de leur durée de cotisation alors qu'ils représentent, en France, la catégorie professionnelle qui bénéficie de la plus longue espérance de vie.
    M. Pascal Terrasse. Décidément, vous ne les aimez pas, ni ceux du privé ni ceux du public !
    M. le président. Monsieur Terrasse.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Pour le reste, les réponses ont déjà été apportées et dans le cadre du débat que nous avons depuis deux semaines dans l'hémicycle et en commission durant la semaine au cours de laquelle le texte a été étudié. L'amendement a été repoussé.
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. La négociation a eu lieu. Elle s'est nouée après trois mois et demi de travail et de préparation. Naturellement, comme toute négociation, elle a connu des soubresauts. Elle s'est entièrement déroulée sous l'autorité du Premier ministre qui, seul, peut décider au nom du Gouvernement. Cet amendement, comme beaucoup d'autres propositions du parti socialiste, n'a pas d'autre objectif que de repousser encore la réforme des retraites. C'est la raison pour laquelle je vous propose de le rejeter.
    M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint, pour répondre à la commission.
    Mme Muguette Jacquaint. M. le ministre et M. le rapporteur de la commission des affaires sociales viennent de dire que la négociation avait eu lieu. (« Eh oui » ! sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Or, on a pu constater au cours du débat que certaines questions demandaient réflexion et méritaient que l'on en débatte. Je pense notamment à l'amendement de M. Rochebloine. Cela dit, je voudrais revenir sur ce qu'a déclaré dans une interview le Premier ministre, M. Raffarin, à propos de la négociation.
    Je le cite : « Nous devons poursuivre le travail d'explication. Nous devons rassurer les Français. Il nous reste beaucoup de points à discuter et à négocier, comme la pénibilité et l'emploi des seniors... Le dossier est donc loin d'être refermé. Je souhaite au second semestre une grande loi sur la formation professionnelle » - c'est d'ailleurs très lié à l'emploi et à la retraite - « pour que chaque Français dispose d'une assurance-formation. Je consacrerai beaucoup de temps cet été sur le terrain à dialoguer avec les Français, pour écouter les conclusions qu'ils tirent du débat national des retraites et pour en déduire les conséquences quant à l'action du Gouvernement - ce sera pour moi un été de proximité. »
    M. Richard Cazenave. Bravo !
    Mme Muguette Jacquaint. Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous poser deux questions. Tout d'abord, n'aurait-il pas fallu, comme le réclament aujourd'hui 65 % des Français et les organisations syndicales, que ce travail de proximité ait lieu avant la réforme plutôt qu'après ?
    Ensuite, si M. le Premier ministre déclare qu'il consacrera tout l'été à étudier les questions qui se posent et à tirer les enseignements du débat, à quoi sert le Parlement aujourd'hui ? (Exclamations sur les bancs de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Justement ! Il pourrait servir à délibérer sereinement !
    M. le président. Laissez Mme Jacquaint terminer !
    Mme Muguette Jacquaint. Le président de la commission dit que les négociations ont eu lieu. Or les propos du Premier ministre sont une preuve supplémentaire que ce n'est pas le cas et qu'il n'y a pas eu de débat sur cette grande question de société que sont les retraites.
    M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour répondre au Gouvernement.
    M. Gaëtan Gorce. Il ne s'agit pas de refaire les 35 heures - nous avons eu l'occasion d'en débattre dans cet hémicycle -, mais M. Accoyer nous dit qu'elles n'avaient pas donné lieu à une négociation. Je lui rappelle tout de même que l'ensemble des branches professionnelles sont parvenues à un accord et des dizaines de milliers d'accords ont été signés dans les entreprises. Les négociations ont été multipliées par trois dans les entreprises, notamment dans les petites entreprises.
    M. Georges Tron. Vous avez ruiné la France : cent milliards !
    M. Gaëtan Gorce. Je sais que M. Accoyer poursuit d'une haine tenace cette loi qu'il a combattue mais il n'est pas permis de tout dire !
    Il prétend par ailleurs - et d'une certaine façon, M. le ministre l'a confirmé - que la solution proposée par le Gouvernement est la solution unique. Moi je me méfie de ce type d'affirmation dans le débat public. En effet, quand on présente une solution comme unique, c'est généralement qu'on cherche à l'imposer.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Et les 35 heures ce n'était pas une solution unique imposée à tout le monde ?
    M. Gaëtan Gorce. Monsieur le rapporteur, gardez votre sérénité ; il serait dommage que vous la perdiez si tard dans le débat ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Vous voulez dire si tôt !
    M. Lionnel Luca. Quelle est leur suffisance !
    M. le président. Laissez M. Gorce s'exprimer. Il répond au Gouvernement, pas forcément à la commission.
    M. Gaëtan Gorce. Nous avons pu contaster hier, que la majorité avait du mal à garder son sang-froid. J'espère qu'elle pourra le conserver encore quelque temps afin que la discussion puisse se poursuivre.
    Monsieur le ministre, vous nous dites que notre proposition de négociation serait une manoeuvre dilatoire.
    M. Jean-Luc Warsmann. Oh !
    M. Gaëtan Gorce. Curieuse conception de la négociation que celle qui consiste à considérer comme une manoeuvre dilatoire le fait de proposer, comme l'ont fait l'ensemble des organisations syndicales, d'avancer et de confronter les positions. Des délais peuvent être fixés.
    Vous avez cité à l'appui de votre projet un certain nombre de personnalités, notamment M. Rocard et M. Delors. Or j'observe qu'au-delà des appréciations qu'ils ont portées sur votre texte, tous ont condamné votre méthode...
    M. Jean-Marc Nudant. Et la méthode Jospin ?
    M. Gaëtan Gorce. ... estimant qu'elle ressemblait beaucoup à un passage en force et qu'en tant que telle, elle laisserait des traces, provoquerait l'amertume des salariés et condamnerait le progrès du dialogue social.
    Relisez leurs déclarations, vous constaterez que c'est ce qu'ils ont dit.
    En parlant de la négociation, nous parlons aussi de l'avenir, car je ne vois pas comment vous allez pouvoir conduire la réforme des relations sociales dans ce pays, dans l'état où vous laissez aujourd'hui le dialogue social avec un grand nombre d'organisations.
    M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 7085.
    (L'amendement n'est pas adopté.)

Rappel au règlement

    M. Jean-Pierre Brard. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour un rappel au règlement.
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, monsieur le ministre ne nous a pas répondu.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Il a reçu une dépêche !
    M. Jean-Pierre Brard. C'est mieux qu'une dépêche : c'est toute une interview, dont le texte a été relu et amendé par M. Rafffarin lui-même.
    M. le président. M Brard, ce n'est pas un rappel au règlement : c'est la lecture du journal Le Monde...
    M. Jean-Pierre Brard. Alors, je ne regarde plus le journal, pour faire plaisir au président.
    M. le président. Je vais appeler l'article 5 sur lequel, si je ne me trompe, vous allez pouvoir vous inscrire. Mais restons-en à l'article 58, alinéa 1 du règlement de l'Assemblée, qui concerne l'organisation des débats, et non l'article du Monde.
    M. Richard Cazenave. Très bien !
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, le Premier ministre s'exprime dans le journal alors que, je vous le rappelle, il est venu ici l'autre jour, sans prendre la parole. Quand c'est un journaliste qui va l'interroger, il répond ! Le journaliste lui a donc demandé si ce projet était le projet Fillon ou le projet Raffarin ? Et qu'a répondu M. Raffarin ?
    M. Pascal Terrasse. C'est le projet Sarkozy !
    M. Jean-Pierre Brard. Que c'était le projet Fillon-Delevoye, et que ça ne le concernait pas. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Monsieur Brard...
    M. Jean-Pierre Brard. Et, monsieur le président, le Premier ministre a ajouté qu'il allait négocier pendant tout l'été sur un certain nombre de points. J'ai donc le sentiment que le Premier ministre ne se met pas une balle dans le pied, mais est en train d'en tirer une dans celui de M. Fillon. Qui, aujourd'hui, exprime, la volonté du Gouvernement ? Est-il légitime de continuer à discuter le projet qui nous a été soumis...
    M. Georges Tron. C'est celui du Gouvernement !
    M. Jean-Pierre Brard. ... puisque M. Fillon nous le présente comme achevé, et que le Premier ministre dit autre chose ?
    M. Jean-Luc Warsmann. Ce n'est pas un rappel au règlement !
    M. le président. Monsieur Brard, le journal Le Monde arrive dans cette maison à 13 heures : vous avez donc quelques heures de retard, et on ne peut pas considérer que cet article a un quelconque rapport avec le règlement.

Reprise de la discussion

Article 5

    M. le président. « Art. 5. - I. - La durée d'assurance nécessaire pour bénéficier d'une pension de retraite au taux plein et la durée des services et bonifications nécessaire pour obtenir le pourcentage maximum d'une pension civile ou militaire applicables, respectivement, aux personnes mentionnées au 1° et aux 2° et 3° du V du présent article évoluent de manière à maintenir constant, jusqu'en 2020, le rapport constaté, à la date de publication de la présente loi, entre ces durées et la durée moyenne de retraite.
    « La durée moyenne de retraite s'entend, pour une année civile donnée, de l'espérance de vie à l'âge de soixante ans telle qu'estimée cinq ans auparavant, dont est retranché l'écart existant entre la durée d'assurance ou la durée des services et bonifications mentionnée à l'alinéa précédent pour l'année considérée et celle de cent soixante trimestres résultant des dispositions de la présente loi pour l'année 2008.
    « II. - Avant le 1er janvier 2008, le Gouvernement élabore un rapport faisant apparaître :
    « 1° L'évolution du taux d'activité des personnes de plus de cinquante ans ;
    « 2° L'évolution de la situation financière des régimes de retraite ;
    « 3° L'évolution de la situation de l'emploi ;
    « 4° Un examen d'ensemble des paramètres de financement des régimes de retraite.
    « Ce rapport est rendu public et transmis au Parlement.
    III. - A compter de 2009, la durée d'assurance nécessaire pour bénéficier d'une pension de retraite au taux plein et la durée des services et bonifications nécessaires pour obtenir le pourcentage maximum d'une pension civile ou militaire de retraite sont majorées d'un trimestre par année pour atteindre 41 annuités en 2012 sauf si, au vu du rapport mentionné au II, un décret pris après avis, rendus publics, du Conseil d'orientation des retraites et de la Commission de garantie des retraites modifie ces échéances.
    « IV. - Un rapport est élaboré, dans les mêmes conditions que celles prévues au II, avant le 1er janvier 2012 et avant le 1er janvier 2016. Chacun de ces documents fait en outre apparaître, selon des modalités de calcul précisées par décret en Conseil d'Etat, l'évolution prévisible, pour les cinq années à venir, du rapport entre la durée d'assurance ou la durée de services et bonifications et la durée moyenne de retraite.
    « Au vu des éléments contenus dans ces rapports, les durées d'assurance ou de services et bonifications permettant d'assurer le respect de la règle fixée au I du présent article sont fixées par décret, pris après avis, rendus publics, du Conseil d'orientation des retraites et de la Commission de garantie des retraites :
    « 1° Avant le 1er juillet 2012, pour les années 2013, 2014, 2015 et 2016 ;
    « 2° Avant le 1er juillet 2016, pour les années 2017, 2018, 2019 et 2020.
    V. - La durée d'assurance ou de services requise pour l'obtention d'une pension au taux plein ou au pourcentage maximum est :
    « 1° En ce qui concerne les assurés relevant du régime général de l'assurance vieillesse, de l'assurance vieillesse des travailleurs salariés des professions agricoles ou de l'assurance vieillesse des professions mentionnées à l'article L. 621-3 du code de la sécurité sociale, celle qui est en vigueur, en application du présent article, lorsqu'ils atteignent l'âge prévu au premier alinéa de l'article L. 351-1 du code de la sécurité sociale ;
    « 2° En ce qui concerne les fonctionnaires civils de l'Etat, les fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales et les ouvriers des établissements industriels de l'Etat, celle qui est en vigueur l'année d'ouverture du droit à l'obtention d'une pension à jouissance immédiate ;
    3° En ce qui concerne les militaires, celle qui est en vigueur l'année où ils atteignent la limite d'âge ou la limite de durée de service de leur corps et de leur grade.
    VI. - Il est créé une Commission de garantie des retraites, chargée de veiller à la mise en oeuvre des dispositions du présent article.
    « La commission est présidée par le vice-président du Conseil d'Etat. Elle comprend en outre le président du Conseil économique et social, le premier président de la Cour des comptes et le président du Conseil d'orientation des retraites.
    « Les règles de fonctionnement de la commission sont fixées par décret. »
    Plusieurs orateurs sont inscrits sur l'article 5.
    La parole est à M. Pascal Terrasse.
    M. Pascal Terrasse. Si je devais donner un titre à l'article 5, je l'intitulerais : « De la schizophrénie ».
    M. Lionnel Luca. Vous avez une grande expérience en la matière !
    M. Pascal Terrasse. En effet, il a pour objectif essentiel de rallonger la durée de cotisation à quarante-deux ans, tout en renvoyant, par ailleurs, à une commission qui aurait vocation à examiner dans quelle mesure il faudrait, à terme, en raison de l'allongement de la durée de la vie, porter cette durée de cotisation à quarante-trois, voire quarante-cinq ans.
    Or tout au long de nos débats, nous avons, nous, les socialistes, rappelé que cette réforme signait la fin de la retraite à soixante ans et vous nous avez répondu que ce n'était pas la fin de la retraite à soixante ans. Aussi, je voudrais vous renvoyer à l'étude d'impact de votre projet de loi qui nous a été remise par le Gouvernement. Celle-ci démontre clairement que l'article 5 a potentiellement pour effet d'inciter au départ à la retraite les personnes âgées de soixante à soixante-cinq ans. Voilà la réalité de vos choix : chaque salarié sera appelé à travailler jusqu'à soixante-cinq ans.
    Cette schizophrénie, ce n'est pas seulement celle du Gouvernement, mais aussi celle des personnes qui ont inspiré ce projet de loi. Je pense en particulier au MEDEF, qui veut impérativement rallonger la durée de cotisation des salariés du privé, mais ne se gêne pas pour mettre à la porte près d'un salarié sur deux avant l'âge de soixante ans.
    Avant d'allonger la durée d'activité, le Gouvernement aurait dû mettre en place une politique permettant aux salariés, notamment à ceux qui ont entre cinquante et soixante ans, de rester dans l'emploi au moins jusqu'à soixante ans. Sur ce point, il y a une divergence très forte entre vous et nous. A cet égard, monsieur le ministre, et puisque vous citez très souvent l'ancien Premier ministre, Lionel Jospin, je voudrais vous renvoyer à la page 15 de son discours sur les retraites, dans lequel il estime qu'il n'est pas nécessaire d'envisager, pour les assurés du régime général, un allongement supplémentaire de la durée de cotisation.
    Voilà la vraie différence qu'il y a entre vous et nous. Nous pensons, nous, que l'allongement de la durée de cotisation n'était pas nécessaire pour le secteur privé.
    Il est temps, au moment où nous examinons l'article 5, de reconnaître, monsieur le ministre, que vous avez eu l'habileté d'élever un épais rideau de fumée autour du secteur privé, en laissant accroire que ce projet de loi n'allait toucher que les seuls fonctionnaires. La vérité, monsieur le ministre, c'est que votre projet de loi va toucher le secteur privé, même s'ils ne s'en sont pas encore rendu compte. Tout le débat que nous allons avoir sur l'article 5 va démontrer en effet que, si le secteur public est clairement puni à travers votre réforme, le secteur privé le sera aussi.
    Vous avez entamé la démolition de nos régimes de retraite.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Ces propos sont scandaleux !
    M. Pascal Terrasse. Vous dites à qui veut bien l'entendre que cette réforme ne toucherait pas non plus les régimes spéciaux. Là encore, vous ne dites pas la vérité. Je vous renvoie à l'étude d'impact qui démontre que l'allongement de la durée de cotisation concernera l'ensemble des régimes, quels qu'ils soient, en particulier ceux des secteurs « alignés » - je pense aux mines, à la RATP, à la SNCF, à tous les régimes spéciaux.
    M. Richard Cazenave. Cinq minutes, monsieur le président !
    M. Pascal Terrasse. Comme je le disais, le système que vous avez mis en place est également redoutable pour le secteur privé, pour les assurés du régime général. Je ne citerai qu'un exemple très précis, tiré des documents du COR. Je vous propose d'ailleurs, si vous en êtes d'accord, de demander à cet organisme indépendant de réaliser une étude comparative de nos propositions respectives sur la base d'un salaire que nous définirions ensemble, ici, dans cet hémicycle - disons 1 200, 1 300 euros par mois -, afin que l'on sache qui dit la vérité en ce qui concerne l'affaiblissement des pensions de retraite. Nous pourrions ainsi vérifier que votre réforme, dans le prolongement de la réforme Balladur, qui n'a pas encore atteint son objectif, puisque celui-ci est fixé à 2008...
    M. le président. Veuillez conclure, monsieur Terrasse. Vous avez dépassé les cinq minutes, et d'autres orateurs de votre groupe sont inscrits.
    M. Pascal Terrasse. ... va faire diminuer de façon dramatique les pensions de retraite du secteur privé, et en particulier les plus faibles.
    M. le président. La parole est à M. Denis Jacquat.
    M. Denis Jacquat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'allongement de la durée de cotisation répond à une nécessité d'équité. Comment peut-on espérer assurer la survie d'un système dans lequel, à tâches et qualifications égales, certains doivent travailler deux ans et demi de plus pour un même niveau de pension ? Les Français l'ont bien compris en réclamant, dans leur grande majorité, une égalité de traitement en matière de durée d'assurance.
    Bien entendu, cet allongement de la durée de cotisation suscite une certaine inquiétude, en particulier chez les salariés du privé qui, passé cinquante ans, sont aujourd'hui souvent poussés vers la sortie. La réalité des dernières années de vie active se résume trop souvent à une période de chômage suivie de la préretraite. La France fait d'ailleurs figure d'exception, puisque le taux d'activité des plus de cinquante ans y est le plus bas de l'Europe, avec cette conséquence que les entreprises vont être rapidement confrontées à un vrai problème d'encadrement.
    Le Gouvernement a clairement indiqué son engagement pour relever ce taux d'activité. Plusieurs dispositions figurent d'ores et déjà dans le projet de loi : recentrage des préretraites sur les métiers à forte pénibilité et en cas de restructuration, assouplissement des règles de cumul emploi-retraite, report à soixante-cinq ans de la mise à la retraite.
    Mais la priorité des priorités est de favoriser l'accès à la formation professionnelle pour faire en sorte qu'après cinquante ans, un salarié ait toujours la possibilité d'adapter ses compétences, d'acquérir de nouvelles connaissances, bref, qu'il cesse d'être vu, comme c'est le cas trop souvent aujourd'hui, comme trop cher, pas assez réactif. Je ne saurais trop le répéter, il faut en finir dans ce pays avec ce paradoxe qu'à cinquante-cinq ans on est un salarié âgé et usé alors qu'à soixante ans on est un jeune retraité dynamique !
    Bien entendu, l'allongement de la durée d'activité doit également offrir des possibilités d'évolution. Je pense en particulier à la fonction publique, où, trop souvent, la fin de carrière est mal vécue parce qu'elle ne permet plus d'évolution. C'est pourquoi, si l'on veut encourager les fonctionnaires à travailler plus longtemps, il convient de développer les secondes carrières afin de leur donner de nouvelles perspectives. Cela est particulièrement nécessaire pour les enseignants, confrontés souvent à une certaine lassitude en fin de carrière et dont beaucoup aspirent à faire autre chose. Les statuts de la fonction publique sont aujourd'hui trop souvent cloisonnés. Il est nécessaire d'introduire davantage de souplesse.
    Le travail est au coeur de la problématique des retraites. C'est grâce au travail des Français depuis cinquante ans que notre système de retraite a pu garantir aux retraités un niveau de vie comparable à celui des actifs, et c'est grâce au travail des Français que nous pourrons garantir, demain, les pensions des futurs retraités.
    Monsieur le ministre, cet article de stabilisation va permettre d'assurer la pérennité des régimes par répartition et l'équité entre générations, en évitant une guérilla entre les ressortissants du régime général et ceux du régime public.
    A M. Terrasse, qui vient de parler du COR, je veux dire que ce conseil n'est pas là pour souligner que la droite et la gauche ne sont pas d'accord sur un point. Son rôle est d'étudier les thèmes que nous lui proposons...
    M. Pascal Terrasse. Qu'il étudie !
    M. Denis Jacquat. ... aussi bien vous en tant que représentants de la gauche que nous, en tant que représentant de la droite. Il lui appartient d'analyser, de suggérer, de proposer, mais c'est à nous qu'il revient de légiférer.
    A ce propos, je tiens à dire au porte-parole du groupe socialiste qu'à l'UMP nous n'avons besoin de personne pour tenir notre plume. Nous sommes majeurs et vaccinés et nous savons écrire.
    M. Jean-Pierre Brard. Vous n'écrivez rien du tout !
    M. Denis Jacquat. Il est surprenant que Pascal Terrasse ait parlé de schizophrénie, mais je connais la sentence : « Pardonnez à ceux qui vous ont offensés. »
    Il a en effet essayé de montrer que Lionel Jospin n'avait pas parlé du problème de l'allongement du durée de cotisation, mais dans une espèce de bouillie pour chat un peu particulière. Cela me donne l'occasion de répéter, car je l'ai déjà dit ici même, il y a quelques jours, que le parti socialiste était par moment caractérisé par l'amnésie. J'ai en effet retrouvé dans la déclaration du 21 mars 2000 qu'il vient de citer des propos dans lesquels M. Jospin traitait de l'allongement de la durée de cotisations pour les fonctionnaires.
    M. Pascal Terrasse. Ici, il ne s'agit pas des fonctionnaires !
    M. Denis Jacquat. Je les cite : « Quant à l'allongement de la durée de cotisations qui permettrait de réduire sensiblement le besoin de financement du régime, il garantirait les retraites des fonctionnaires, sans accroître la charge pour la collectivité. Il s'agirai d'une approche qui préserverait la vie des actifs, comme celle des retraités. Elle pourrait être analysée comme un rapprochement entre les situations des agents de la fonction publique et des salariés du privé. »
    M. Pascal Terrasse. Continuez le discours. C'est la suite qui est intéressante !
    M. le président. Veuillez conclure, monsieur Jacquat.
    M. Denis Jacquat. Monsieur Terrasse, je n'ai que cinq minutes.
    M. le président. Mais vous les avez dépassées, monsieur Jacquat.
    M. Denis Jacquat. Merci de votre tolérance, monsieur le président.
    M. le président. J'essaie d'être tolérant avec l'ensemble des groupes. J'appelle cependant votre attention sur le fait que si je suis trop tolérant pour les orateurs d'un groupe, cela peut avoir les conséquences que vous pouvez imaginer !
    La parole est à M. Gaëtan Gorce.
    M. Gaëtan Gorce. M. Jacquat a semblé dire qu'il n'y aurait que le COR entre nous. Pourtant, je crois que nous pouvons tous partager ses analyses.
    M. Denis Jacquat. C'est juste !
    M. Gaëtan Gorce. En revanche, il y a davantage de différences, sur les idées, sur les valeurs, sur les principes, sur les propositions que nous pouvons formuler en la matière.
    L'article 5 est symbolique de la démarche dans laquelle le Gouvernement est engagé ; d'abord en ce qui concerne la méthode parce que, s'il est question d'une éventuelle concertation, il nous est indiqué que l'allongement de la durée de cotisations à quarante et un ans puis à quarante deux ans sera décidé par décret, après intervention d'organismes divers. Cela signifie que seul le Gouvernement tirera les conséquences de cette situation et que les partenaires sociaux auront à peine voix au chapitre.
    Surtout, cet allongement de la durée de cotisations constitue la principale menace sur les salariés du public comme du privé, car cela veut dire qu'il faudra avoir travaillé à partir d'au moins dix-huit ans pour bénéficier d'une retraite à taux plein à soixante ans. Or chacun sait que, pour beaucoup de salariés, notamment du secteur public, ce cas de figure sera pratiquement impossible à réaliser.
    Dans mon intervention pour défendre la motion de renvoi en commission, j'ai pris l'exemple des enseignants car, en règle générale, ils commencent leur carrière à vingt-trois ans. Ils seront donc fortement dissuadés, à la fois par cette durée de cotisation et par les mécanismes de la décote, de partir avant l'âge de soixante-cinq ans, s'ils veulent percevoir la même retraite que celle dont ils peuvent bénéficier aujourd'hui à soixante ans.
    La situation sera encore plus difficile pour celles et ceux qui vont connaître des aléas dans leur vie professionnelle. Ils auront, en effet, un mal infini à réunir les annuités de cotisation nécessaires. Tel sera aussi le cas de ceux qui auront connu des périodes d'interruption d'activité liées au chômage, parfois sans pouvoir faire valider les trimestres concernés.
    Après Daniel Vaillant, je veux aussi appeler votre attention sur les conséquences de l'accord UNEDIC que vous avez approuvé. Il en résultera que plus de 600 000 chômeurs ne seront plus indemnisés à la fin de cette année. Or, perdant leur indemnisation, ils perdent également leur droit à la validation des trimestres correspondants. On fabrique ainsi des futurs retraités qui ne toucheront que des mini-retraites ou des chômeurs qui devront attendre soixante-cinq ans pour que disparaissent les effets de diminution des pensions auxquels vous avez songé.
    Ces effets sont redoutables et regrettables et puisque vous aimez citer les dirigeants et les anciens dirigeants socialistes, je vous renvoie aux propos de M. Dominique Strauss-Kahn, repris dans Le Monde d'aujourd'hui, selon lesquels votre politique n'est pas soutenue par une action volontariste en matière d'emploi.
    Que peut-on espérer en décidant l'allongement de la durée de cotisation ? Que les salariés puissent continuer à travailler pour se constituer des droits, sans être victimes de périodes de chômage de longue durée. Or chacun sait bien que celui-ci est devenu la règle pour un tiers des salariés de plus de cinquante ans et que les chances de retrouver un emploi pour ceux qui l'ont perdu après cet âge sont infimes. Cela signifie que l'on va condamner nombre de salariés victimes de la situation de l'emploi à attendre un délai considérable avant de pouvoir bénéficier de leur retraite. Cela ne serait pas le cas si nous avions une politique active de l'emploi, mais elle fait complètement défaut aujourd'hui.
    Je tenais à souligner ces éléments parce qu'ils vont changer du tout au tout la donne au regard des possibilités de départ à la retraite. Les Français en sont malheureusement bien conscients, et il faut s'interroger sur les conséquences que vous serez amené à en tirer.
    Vous allez certainement nous répondre que vous avez prévu un rendez-vous en 2008 pour évaluer la situation sur les plans économique et social. Cependant, supposons que rien ne se soit passé concernant l'emploi des seniors - comme vous dites, pour reprendre une expression américaine - et que la situation soit toujours aussi mauvaise, en termes d'emploi, pour les catégories les plus âgées. Quelles conséquences en tirerez-vous ? Renoncerez-vous à l'allongement de la durée de cotisation ou la maintiendrez-vous ? Si vous la maintenez, ce sera une solution injuste. Si vous y renoncez, cela signifiera que vous allez perdre une source de financement. Mais cela voudra-t-il dire que vous utiliserez plus largement le recours à l'augmentation des cotisations ? Au fond cela est en contradiction avec la démarche que vous nous proposez aujourd'hui. J'aurai l'occasion d'y revenir, parce que cette approche paraît assez peu à même de favoriser le transfert des financements d'un type de dépenses à l'autre.
    Monsieur le ministre, nous souhaiterions que vous répondiez à ces questions que nous posons à propos de l'article 5. En tout cas, je vous indique d'emblée, après Pascal Terrasse, que le groupe socialiste, est totalement opposé à une conception qui consiste à considérer que tous les gains d'espérance de vie devront nécessairement être utilisés pour une augmentation du temps de travail ! Sans doute faut-il engager une réflexion sur l'évolution du temps de travail tout au long de la vie. Sans doute faut-il réfléchir à des passages progressifs du travail à la retraite. Sans doute faut-il réfléchir à la possibilité d'utiliser du temps sur l'ensemble de sa vie pour ensuite, éventuellement, en bénéficier, ou au contraire, retarder son départ en activité.
    Tous ces éléments pourraient faire partie de la négociation, mais le principe mécanique, presque automatique que vous instaurez, d'allongement de la durée de cotisation à 41 et 42 ans est une régression sociale - je ne peux pas employer d'autres termes -, dans la mesure où elle se traduirait à la fois par la disparition définitive de la retraite à soixante ans et par des difficultés croissantes, pour une grande partie de nos concitoyens parmi les plus modestes, ceux qui travaillent depuis longtemps, pour bénéficier d'une retraite assez tôt afin de pouvoir mener une vie libre, une vie de loisirs, une vie normale après une vie passée au travail. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Mes chers collègues, après les inscrits sur l'article, dont onze orateurs du groupe socialiste se sont retirés, nous en viendrons à 149 amendements de suppression.
    Je vous propose donc de considérer que, après avoir entendu Mmes Billard et Jambu auxquelles je vais donner la parole, l'Assemblée sera suffisamment informée puisque les différents groupes se seront exprimés. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Mme Muguette Jacquaint et M. Pascal Terrasse. Non !
    M. le président. Monsieur Terrasse, je vous fais remarquer que, bien qu'inscrits, M. Le Garrec, Mme Guinchard-Kunstler, M. Néri, Mme Clergeau, M. Bartolone, M. Durand, M. Mesquida et M. Montebourg ne sont pas présents ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Lionnel Luca. Scandaleux !
    M. Jean-Luc Warsmann. Quel mépris !
    M. le président. Je vous propose donc une solution transactionnelle.
    M. Pascal Terrasse. Excusez-moi, je n'avais pas compris. Tous les présents pourront donc s'exprimer.
    M. le président. De nombreux inscrits du groupe socialiste sont absents ou ont renoncé. Les autres pourront intervenir pour défendre des amendements de suppression.
    M. Jean-Pierre Brard. Voilà un président qui préside !
    M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.
    Mme Martine Billard. L'article 5 introduit donc le principe d'un allongement de la durée de cotisation lié à l'augmentation de l'espérance de vie. Il inscrit d'ores et déjà dans la loi la perspective d'une durée de quarante et une annuités en 2012. Or, pour que cet allongement ait un sens, il faudrait que la France manque de main-d'oeuvre et ne connaisse plus un taux de chômage de 9,3 %, qu'il n'y ait pas qu'un tiers des salariés de cinquante-cinq ans et plus au travail, les autres étant en préretraite, en longue maladie ou au chômage, que les employeurs n'aient plus tendance à exclure de plus en plus les salariés les plus âgés. En outre, l'accroissement de la durée du travail se traduira à terme par une réduction de l'espérance de vie pour les travailleurs qui exercent les travaux les plus durs.
    Par exemple, parmi les travailleurs qui portent des charges lourdes, 70 % des hommes souffrent de mal de dos entre quarante-cinq et cinquante-quatre ans, et 80 % des femmes après cinquante ans. La diminution du nombre d'embauches de jeunes dans les entreprises rend le travail plus pénible pour les travailleurs d'âge intermédiaire, c'est-à-dire entre trente-cinq et quarante-quatre ans. C'est en effet dans ce groupe d'âge que la fréquence d'exposition aux pénibilités physiques du travail a le plus augmenté, atteignant parfois un niveau plus élevé qu'avant vingt-cinq ans. Or les mises à l'abri dans les entreprises se raréfient ; il n'existe plus de temps mort, et si vous n'arrivez plus à suivre les cadences, c'est la porte.
    La pratique des horaires postés ou décalés est en développement. Or, avec l'évolution démographique, la possibilité de réaffecter les salariés âgés sur d'autres postes va se raréfiant. De plus, l'intensification du travail s'est répandue dans toutes les entreprises, avec l'introduction de contraintes de temps de plus en plus élevées dans la réalisation d'un travail, dans l'accomplissement d'une mission. La dépendance temporelle vis-à-vis des clients d'une entreprise ou d'une entreprise donneuse d'ordres marque non seulement l'univers de l'industrie, mais aussi le domaine des services, amenant les salariés à un stress de plus en plus élevé. L'existence des deux jours consécutifs de repos est fréquemment mise à mal, dégradant encore les conditions de travail et de récupération physique. Elles risquent même d'être encore dégradées puisque un grand nombre d'entre vous, au sein de l'UMP, propose que l'on puisse élargir les possibilités de travailler le dimanche.
    Dans ces conditions, quelles sont les possibilités pour les salariés de rester au travail afin d'atteindre de telles durées de cotisation ? Il faut savoir qu'aujourd'hui, à peine un chef d'entreprise sur deux a réfléchi à cette évolution et qu'un employeur sur quatre persiste à penser que la part relative de salariés âgés dans son entreprise a des effets négatifs sur la productivité.
    Quant à la formation professionnelle, qui devrait régler ce problème, monsieur le ministre, les négociations en cours entre les partenaires sociaux ne sont pas très encourageantes sur ce qui peut se passer.
    Si le MEDEF propose 140 heures de formation, elles devraient être suivies en dehors du temps de travail, sur décision de l'employeur et aux périodes qu'il choisirait et pourrait imposer aux salariés.
    Comment peut-on imaginer que des salariés de cinquante ans, après leur journée de travail et 39 heures de présence par semaine, aient encore la force et la capacité d'aller suivre des formations pour leur permettre de continuer à travailler jusqu'à soixante-deux, soixante-trois ou soixante-cinq ans ?
    J'avais déposé, au nom des Verts, un amendement conditionnant l'allongement de la durée de cotisation à la réduction du taux de chômage et à l'augmentation du taux d'emploi des salariés de plus de cinquante-cinq ans. L'application de l'article 40 l'a fait écarter. Pourtant, c'est le fond du débat. Si le taux de chômage ne baisse pas, si le taux d'emploi des salariés de cinquante-cinq ans et plus n'augmentent pas, allonger la durée de cotisation n'aboutit qu'à un résultat : envoyer les salariés de cinquante ans et plus au chômage avec des conditions de prise en charge par les ASSEDIC de plus en plus dégradées.
    En outre, on l'a vu au cours de l'examen de l'article 4, vous durcissez les conditions pour les petites retraites puisque, dorénavant, vous n'acceptez plus que les années cotisées, et non plus également les années validées. Autrement dit, tous ceux qui ne sont pas encore à la retraite, notamment les hommes qui ont accompli leur service militaire ou les femmes qui se sont arrêtées, devront cotiser non pas quarante ans comme aujourd'hui ou quarante et un ans en 2010, mais au moins une année plus tard. Dans ces conditions, monsieur le ministre, l'allongement de la durée de cotisation n'aura qu'une conséquence pour un grand nombre de salariés - pas pour tous, car certains, dans le secteur privé, y échapperont - : la baisse du montant des retraites, à défaut d'avoir pu rester au travail jusqu'à l'obtention du taux plein.
    M. le président. Je vais donner la parole à Mme Jambu, puis nous en viendrons aux amendements de suppression. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Mme Muguette Jacquaint. Non ! nous avons encore des inscrits sur l'article !
    M. le président. Madame Jacquaint, vous ne m'avez pas écouté : j'ai dit que, compte tenu de l'absence de nombreux orateurs inscrits sur l'article, j'allais donner la parole aux autres sur les amendements de suppression.
    Mme Muguette Jacquaint. Les inscrits doivent pouvoir parler.
    M. le président. Tout a été dit sur l'article.
    Mme Janine Jambu. Pas forcément !
    M. Jean-Pierre Brard. Je suis inscrit sur l'article depuis ce matin !
    M. Claude Bartolone. Et j'ai été mis en cause par la présidence !
    M. le président. Mais non, monsieur Bartolone, je n'aurais pas osé ! J'ai seulement signalé qu'au moment où j'allais appeler les différents orateurs inscrits, un certain nombre d'entre eux n'étaient pas là !
    Mme Muguette Jacquaint. Et ceux qui sont là !
    M. le président. La parole est à Mme Janine Jambu.
    Mme Janine Jambu. Depuis le début des années 80, notamment après le Livre blanc sur les retraites de Michel Rocard, la bataille idéologique fait rage autour de quelques thèmes simples : le baby-boom de l'après-guerre va se transformer en catastrophe sociale puisque le nombre de retraités va doubler ; la dégradation du ratio actifs-retraités compromettrait la solidarité entre les générations en rendant insupportable pour les actifs le financement des retraites ; les autres pays européens sont confrontés aux mêmes politiques : il n'y a donc pas d'autre solution que de diminuer à la fois le nombre de retraites et le montant des retraites ; les Français marquant malgré tout leur attachement à la retraite par répartition, il faudrait consolider le système en le complétant par une dose plus ou moins forte de capitalisation.
    J'arrête là l'énumération qui tend seulement à montrer que, dans cette bataille d'idées, rien n'est figé. Il est clair, par exemple que les tenants des fonds de pension sont beaucoup plus discrets, au moins dans les mots, qu'il y a quelques années. L'éclatement de la bulle boursière n'est pas pour rien dans cette soudaine discrétion, mais on peut aussi y voir l'enseignement tiré des scandales tenant au type de gouvernance des entreprises imposé par les fonds de pension.
    Ce recul apparent a pu tranquilliser, mais le danger persiste. Ainsi des formes camouflées de fonds de pension ont été mises en place sans susciter de réactions suffisantes. Pourtant la régression sociale est largement engagée. Pendant toutes ces années, gouvernements et patronat ne s'en sont pas tenus à une bataille d'idées. Des changements profonds ont été engagés. C'est à partir de la moitié des années 80 qu'a été inversé le mouvement, continu depuis 1945, de hausse des cotisations patronales.
    On voit bien comment, encore aujourd'hui, le patronat arrive à faire admettre, sans débat, le dogme de l'impossibilité d'augmenter les cotisations patronales au nom de la compétitivité des entreprises. Dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement Balladur a mis en oeuvre, pour le privé, une grande partie des propositions du Livre blanc de Michel Rocard, avec les décrets du 22 juillet 1993 : calcul des pensions sur les vingt-cinq meilleures années au lieu des dix meilleures, allongement de la durée de cotisation de trente-sept annuités et demie à quarante annuités, officialisation pour cinq ans du passage de l'indexation sur les salaires à l'indexation sur les prix. La progressivité des mesures, étalées sur dix à quinze ans, ont empêché une véritable prise de conscience du danger.
    Dans la foulée des décrets Balladur qui portaient sur la retraite de base, le CNPF a réussi à imposer, en 1993 et en 1996, des accords sur les retraites complémentaires fondés sur le préalable non négociable du blocage des cotisations. L'effet de ces mesures se fait sentir de manière progressive et il ira en s'accélérant. Le conseil d'orientation des retraites a estimé que leur effet sur la base du taux de remplacement - le ratio entre le montant de la retraite et le salaire serait de vingt points en moyenne. Il est également intéressant de voir plus en détail les différenciations.
    L'accord AGIRC, par exemple, pour les cadres, est beaucoup plus draconien que celui de l'ARRCO. Les syndicats ont ainsi calculé que, pour les retraites supérieures, le taux de remplacement pourrait passer de 51 % en 1998, à 37 % en 2040. On voit l'intérêt pour les partisans des fonds de pension, qui visent plus particulièrement cette catégorie sociale.
    Les mesures Balladur ont des effets particulièrement désastreux pour les femmes, touchées de plein fouet par les modifications du mode de calcul : vingt-cinq meilleures années et allongement de la durée de cotisation.
    La proportion de femmes n'ayant pas cotisé, ou ayant insuffisamment cotisé du fait d'une carrière incomplète, avait tendance à diminuer régulièrement avec la généralisation du travail des femmes. Mais le passage des dix au vingt-cinq meilleures années pour le calcul de la pension, ajouté à l'allongement des carrières, a pour conséquence de recommencer à creuser l'écart entre les retraités hommes et femmes, un écart plus grand encore qu'entre les actifs hommes et femmes.
    Ce sont, en effet, les femmes qui sont les plus frappées par le chômage, qui subissent le temps partiel, qui interrompent leur travail pour élever les enfants.
    Or, les quelques avantages liés aux enfants - des bonifications d'années - compenseront de moins en moins ces handicaps et ils sont, eux aussi, menacés. Actuellement, la pension moyenne des femmes est inférieure à celle des hommes : 848 euros contre 1 461 euros.
    A ces effets directement liés aux réformes déjà engagées, il faut ajouter l'augmentation rapide des cotisations prélevées sur les retraites.
    En 1987, est créée une cotisation maladie de 2 % ; la montée en puissance de la CSG a touché tout particulièrement les retraités dont les cotisations sont ainsi passées, en quinze ans, de 2 à 7,5 %.
    M. le président. Il faut conclure, madame Jambu.
    Mme Janine Jambu. Oui, monsieur le président, mais vous avouerez que ce rappel est intéressant !
    M. le président. Tout est intéressant ici !
    Mme Janine Jambu. On peut craindre que ce mouvement ne soit pas terminé, quand on prend connaissance des propositions du congrès du PS pour la retraite, ou d'une partie de la droite pour l'assurance maladie. Tous proposent d'utiliser de plus en plus la CSG pour dédouaner les entreprises de leurs responsabilités. Or, la CSG est un prélèvement d'autant plus rentable qu'il frappe uniformément les plus pauvres, chômeurs et retraités, à partir du SMIC.
    Voilà une première raison d'exiger une réelle réforme du système de retraite. Garder les mécanismes mis en place ces dernières années se traduirait par une dégradation de plus en plus rapide du niveau des retraites.
    M. Fillon ne se prive pas d'utiliser l'argument selon lequel le Gouvernement de gauche n'a pas abrogé les décrets Balladur.
    C'est vrai, mais, monsieur le ministre, n'est-il pas temps de tirer les leçons des erreurs de cette période ? (Sourires)
    M. le président. Mme Jambu a remplacé M. Gremetz.
    M. Maxime Gremetz. Non, je suis là !
    M. le président. Mais Mme Jambu était inscrite à la fin de la liste des orateurs.
    M. Maxime Gremetz. Ne commencez pas, vous ne gagnerez pas à ce jeu-là !
    Je reviens de la manifestation et je veux vous en parler !
    M. le président. Monsieur Gremetz, j'ai toujours eu beaucoup de respect, d'estime et même de sympathie pour vous. Essayons de préserver ces bonnes relations !
    Comme M. Bartolone, qui s'était inscrit, puis retiré, s'est réinscrit, je lui donne la parole.
    M. Jean-Pierre Brard. Moi, je me suis inscrit deux fois !
    M. le président. Voyez comme il est nécessaire d'organiser le débat ! Sans quoi on ne sait plus où on en est.
    La parole est à M. Claude Bartolone.
    M. Claude Bartolone. Monsieur le président, je tiens à vous présenter des excuses. Sachez cependant que j'étais présent dans le palais mais, comme vous vous en doutez, j'avais à recevoir des délégations venues de nos circonscriptions me faire part de leur légitime émotion face au texte du Gouvernement.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Il y a trois jours, c'était la fête d'une école. N'y en a-t-il pas aujourd'hui ?
    M. Claude Bartolone. Je suppose que c'est le cas de tous ceux qui, ici, sont attentifs au mouvement social.
    C'est un article central du projet de loi qui arrive maintenant en discussion. Considérons, en effet, ce que doit représenter pour certains de nos citoyens, l'idée de rallonger de un, deux ou trois ans, la durée de cotisation, à un moment ou le marché du travail est si difficile.
    Lundi dernier, je lisais dans un journal qui est loin d'être un journal à gauche, Les Echos, ce que pensaient quelques grands chefs d'entreprises français de la situation économique. Ils évoquaient avec inquiétude la disparition de près de 95 000 emplois industriels et en déduisaient - c'était aussi la tonalité de l'intervention du ministre de l'économie et des finances dans les colonnes du même journal - qu'il était nécessaire pour notre pays de renforcer les crédits de recherche, à un moment où - hélas ! - les crédits du ministère de l'industrie régressent.
    Quand on parle aux salariés français de la nécessité de travailler plus, ils aimeraient pouvoir expliquer qu'eux-mêmes voudraient bien travailler plus et d'une manière régulière, au début et à la fin de leur carrière. Or c'est loin d'être le cas. On connaît les difficultés que rencontrent les jeunes pour trouver à la sortie du système éducatif un emploi durable dans de bonnes conditions. Et c'est certainement ce qui explique leur réaction à l'annonce de la suppression des emplois-jeunes. Mais ces difficultés, les salariés de plus de cinquante ans y sont confrontés aussi, hélas ! Notre pays, au sein de l'OCDE, est le champion pour le taux de chômage des plus de cinquante ans !
    Mes chers collèges, je me permets d'insister encore sur le problème qui est posé : il ne faut pas que, pour ces femmes et ces hommes de cinquante-deux ou cinquante-trois ans, ces années supplémentaires de travail soient des années supplémentaires de chômage ! Voilà en quoi l'article 5 peut paraître dangereux pour bon nombre de salariés qui l'interprètent comme leur imposant des années supplémentaires de chômage, avec les répercussions prévisibles sur le montant de leur retraite. On imagine, en effet, les conséquences de la décote, par exemple, pour ceux qui auront rencontré des difficultés au moment de l'entrée dans leur parcours professionnel, qui auront connu les petits boulots et les temps partiels et qui craignent de surcroît le chômage à partir de cinquante-trois ans !
    Voilà pourquoi nous nous opposons de manière aussi ferme à cet article, qui est ressenti par les salariés comme une violence qui leur est faite, à eux qui voyaient arriver l'âge de la retraite comme le moment où ils allaient enfin être protégés contre les difficultés qu'ils avaient affrontées à la fin de leur vie professionnelle. Ce temps de la retraite, qu'ils pensent avoir bien mérité, qui devait leur offrir un rythme de vie plus approprié après tant d'années d'efforts, ainsi que du temps à consacrer à eux-mêmes et à leur famille, ils espéraient surtout qu'il les libérerait du sentiment d'être en danger.
    Eh bien, voilà ce qu'ils voient dans votre article, qu'ils soient âgés ou plus jeunes : un danger supplémentaire pesant sur leur existence de salariés.
    Je le répète, cet article nous paraît extrêmement dangereux. Avant de parler d'allongement de la durée de cotisation, mieux vaudrait inscrire à l'ordre du jour de nos travaux, les instruments nécessaires...
    M. le président. Veuillez conclure, monsieur Bartolone.
    M. Claude Bartolone. ... pour permettre aux femmes et aux hommes de plus de cinquante ans de retrouver toute leur place dans une activité professionnelle, ce qui leur permettrait d'atteindre l'âge de la retraite sans trop d'inquiétude.
    M. le président. J'ai cru comprendre que M. Gremetz brûlait d'intervenir...
    M. Jean-Pierre Brard. J'ai également demandé la parole, monsieur le président !
    M. le président. ... bien qu'il ait été remplacé par Mme Jambu, à la demande de celle-ci.
    M. Jean-Pierre Brard. Non, nous avions inversé l'ordre de nos passages. Inverser ne signifie pas substituer.
    M. le président. Alors, vous devriez intervenir à la fin !
    M. Maxime Gremetz. Un peu de souplesse, monsieur le président !
    M. le président. Nous vous écoutons, monsieur Gremetz.
    M. Maxime Gremetz. Je brûle en effet d'impatience, mais aussi parce qu'il faisait très chaud et qu'il y avait beaucoup de monde à la manifestation dont je reviens. Je veux vous rendre compte des exigences qui se sont exprimées dans la rue, même si, je le sais bien, ce n'est pas la rue qui gouverne mais le peuple souverain. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Par les urnes !
    M. le président. Chers collègues, laissez M. Gremetz s'exprimer !
    Venons-en à l'article 5, monsieur Gremetz.
    M. Maxime Gremetz. Je m'exprime précisément sur l'article 5.
    Le message est clair, monsieur le ministre, Vous pouvez faire voter, avec votre majorité aux ordres, ce projet de loi, mais si vous pensez qu'après les choses iront bien, vous vous trompez complètement, je préfère vous en avertir.
    M. Lionnel Luca. C'est insurrectionnel !
    M. Maxime Gremetz. Il est évident que votre projet ne passe pas...
    M. Lionnel Luca. Mais si !
    M. Maxime Gremetz. ... pour des raisons qui sont clairement exprimées. Et précisément à cause de l'article 5, qui constitue l'essentiel de la réforme, à savoir l'allongement de la durée de cotisation, alors que le pays compte trois millions de chômeurs et que l'on pourrait donc avoir davantage de cotisants. En outre, alors qu'on nous rebat les oreilles d'égalité et d'équité, la réforme est profondément injuste. L'égalité, c'est M. Balladur qui l'a rompue ! Auparavant, secteur privé et secteur public connaissent le même régime : trente-sept annuités et demie pour bénéficier de la retraite à taux plein.
    Vous prétendez que cela ne change pas grand-chose et que la retraite à soixante ans n'est pas remise en cause. Je conseille à chacun la lecture du Parisien d'hier, qui est tout à fait remarquable.
    M. Pascal Terrasse. On ne le conseille pas trop tout de même !
    M. Maxime Gremetz. Mais si, car on ne peut pas soupçonner ce quotidien de partialité. Selon Le Parisien, tout indique que l'allongement des cotisations n'est pas justifié et que des millions d'hommes, mais surtout de femmes, n'atteignent pas, déjà aujourd'hui, les quarante annuités. Alors, quarante-deux ! Autant dire que personne ne touchera plus de retraite à taux plein, à soixante ans ! (Murmures sur divers bancs.)
    Le Parisien, ce n'est pas L'Humanité - sinon vous pourriez dire que l'article est partial. L'étude est sérieuse, la démonstration étayée par des exemples. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Le Parisien serait-il devenu un journal communiste ?
    M. Lionnel Luca. Cryptocommuniste !
    M. Maxime Gremetz. Quel progrès ! Est-ce à dire que les idées libérales reculent et que les idées progressistes avancent ?
    Outre l'allongement de la durée de cotisation, la réforme, c'est aussi la baisse des pensions. Vous prétendez que les salariés n'y perdent pas. Mais un exemple cité par Le Parisien vous contredit : ce manutentionnaire que j'évoquais déjà hier devra travailler jusqu'à soixante-sept ans pour bénéficier d'une retraite à taux plein.
    Voilà la vraie question aujourd'hui. Que veulent ces 65 % de gens interrogés dans ce sondage ? Que l'on reprenne les négociations. Les organisations syndicales ont fait savoir cet après-midi qu'elles y étaient prêtes, même pendant les vacances. Car ce qu'il faut, c'est une réforme qui conforte notre système de retraite par répartition sans augmenter, comme vous voulez le faire sans le dire, les cotisations - mais surtout pas les cotisations patronales,...
    M. le président. Veuillez conclure, monsieur Gremetz.
    M. Maxime Gremetz. ... d'ailleurs comment cela serait-il possible alors que vous accordez des exonérations de plus en plus importantes,...
    M. le président. Je vous ai demandé de conclure.
    M. Maxime Gremetz. ... à hauteur de 142 milliards de francs ?
    Quant aux fonds de capitalisation qui n'osent pas dire leur nom - vous les appelez épargne-retraite, avec sortie en capital ou en rentes -, les salariés ont bien compris de quoi il retournait !
    Voilà pourquoi ils ont apprécié notre proposition de référendum. Nous mettons au défi le Gouvernement : puisqu'il croit au dialogue social et à la démocratie sociale,...
    M. le président. Veuillez conclure, monsieur Gremetz.
    M. Maxime Gremetz. ...au peuple souverain, à la France d'en bas, s'il n'a pas peur,... qu'il soumette son projet au peuple par voie de référendum ! Je doute qu'il accepte : il sait très bien qu'il serait rejeté !
    M. le président. Vingt-huit orateurs s'étaient inscrits sur cet article.
    M. Laurent Fabius n'est pas là, ni M. Alain Vidalies, ni Mme Paulette Guinchard-Kunstler...
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Il y a beaucoup de fêtes dans les écoles !
    M. le président. ... pas plus que M. Alain Néri, Mme Marie-Françoise Clergeau, Mme Hélène Mignon, Mme Martine David...
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Ça fait beaucoup d'absents !
    M. le président. Mme Ségolène Royal, Mme Catherine Génisson, M. Yves Durand, M. Kléber Mesquida, M. Arnaud Montebourg, M. Augustin Bonrepaux ne sont pas là... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Pardonnez-moi, mes chers collègues : M. Bonrepaux vient d'arriver. Je lui donne la parole.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. M. Barrot l'a demandée !
    M. le président. La parole est à M. Augustin Bonrepaux.
    M. Augustin Bonrepaux. Monsieur le président, vous n'êtes certainement pas venu souvent en séance, sinon vous auriez pu constater que j'ai été présent toute la semaine dernière et que, depuis lundi soir, je suis en permanence dans l'hémicycle.
    M. Pascal Terrasse. Bravo !
    M. Augustin Bonrepaux. Cet après-midi, j'attendais mon tour pour intervenir sur l'article 5, sur lequel je me suis inscrit dès lundi.
    M. le président. Vous étiez là en début de séance ?
    M. Christophe Caresche. Et les députés de la majorité : où sont-ils ?
    M. Augustin Bonrepaux. Je vous promets d'être là jusqu'à demain soir et toute la semaine prochaine encore !
    M. le président. Vous avez la parole, monsieur Bonrepaux.
    M. Augustin Bonrepaux. Il y a beaucoup à dire sur cet article 5. Le traitement que vous proposez est injuste puisque seuls les travailleurs en supportent le poids. De plus, son financement n'est pas assuré, mais j'aurai l'occasion d'y revenir en défendant des amendements.
    Pour lors, je me limiterai aux effets immédiats, et d'abord à la baisse des pensions qui est programmée. En effet, on va obliger les gens à travailler davantage, mais tout le monde ne totalisera pas le nombre d'annuités nécessaire. Je pense en particulier aux saisonniers, j'en ai déjà parlé avant-hier - vous voyez, j'étais là ! - qui travaillent parfois toute une année pour n'avoir que trois trimestres de cotisation. En travaillant quarante ans, ils n'auront pas davantage, et même, contrairement à ce qui se passait jusqu'à présent, ils seront sanctionnés par une décote. Voilà qui montre bien qu'un financement ne reposant que sur l'allongement de la cotisation et de la durée du travail constitue une injustice.
    Second inconvénient immédiatement perceptible par tout le monde : alors que l'emploi rencontre d'énormes difficultés, on va les aggraver parce qu'il n'y a pas de politique pour l'emploi et parce qu'on a refusé notre pacte pour l'emploi.
    Aucune politique pour l'emploi n'est prévue qui permette d'élargir la base du financement. Si le nombre de travailleurs occupés s'est accru ces dernières années, c'est bien grâce à la réduction du temps de travail ! Mais vous l'avez remise en cause.
    A présent, vous allongez la durée du travail de ceux qui sont occupés. Cela ne peut qu'accroître les difficultés que rencontrent tous ceux qui cherchent du travail, jeunes, chômeurs ou RMIstes. J'ai d'ailleurs interrogé M. le ministre à propos des RMIstes et des associations d'insertion qui n'ont pas de crédits, mais je n'ai pas eu de réponse. Il faudrait quand même que le Gouvernement nous en fournisse au cours de ce débat.
    Où sont les moyens de la politique de formation dont nous a parlé le ministre ? Prenons un exemple concret : chacun, ici, est concerné par l'industrie textile et sait qu'elle est en difficulté. Un accord national concernant la formation et l'emploi a été signé par l'Union des industries textiles et les cinq partenaires sociaux en mars 2003. La fédération de l'industrie textile, la FIT, a arrêté le contenu de l'accord régional qui concerne l'objectif de 1 500 salariés en formation pour un montant de 2,43 millions d'euros sur trois ans, dont 700 000 euros pour 2003. Le fonds national de l'emploi y participait à hauteur de 120 000 euros. Nous avons appris que la direction régionale du travail et de l'emploi n'avait pas d'argent, que les fonds étaient gelés pour une durée indéterminée. D'autre part, dans le cadre de ces actions en faveur des salariés du textile, pour les petites entreprises de moins de dix salariés, la mise en place d'une cellule de reclassement a été acceptée à la suite d'un accord entre la FIT et la direction départementale du travail et de l'emploi, avec l'objectif de reclassement de quatre-vingts personnes avec 85 360 euros de participation de l'Etat. Le dispositif est bloqué faute de crédits.
    Monsieur le ministre, quelle est votre réponse à ces questions simples, concrètes, qui concernent les moyens pour l'emploi et la formation ? Que répondez-vous aux associations d'insertion dont l'objectif est de ramener à l'emploi les travailleurs RMIstes ? On nous dit, d'un côté, qu'il n'y a pas de crédits, et le Gouvernement parle d'une politique ambitieuse. Elle est peut être ambitieuse dans les mots, mais, dans les faits, dans le concret, il n'y a rien. Nous sommes inquiets : cette disposition va aggraver encore la situation de l'emploi, alors qu'il n'y a pas de politique concrète et dynamique pour résoudre le problème.
    M. le président. Chers collègues, l'un d'entre vous faisait, je crois, référence à la feuille de séance. Si l'on s'y reporte, on peut ajouter que M. Charzat n'est pas là, que M. Launay n'est pas là...
    M. Jean Launay. Si, je suis là !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. On ne l'a jamais vu depuis le début de la session !
    M. le président. Chers collègues, vous le savez, tout le monde peut s'inscrire sur l'article, mais on peut constater, dans l'interprétation de cette possibilité...
    M. Jean Launay. Ce n'est pas une interprétation !
    M. le président. ... un certain dévoiement qui désorganise les interventions et le débat.
    Mme Muguette Jacquaint. Mais non !
    M. le président. Mme Jacquaint va s'exprimer car elle l'a demandé, mais son nom ne figure pas sur la feuille de séance.
    Mme Muguette Jacquaint. Si, il y est !
    M. le président. Pardonnez-moi, il n'y est pas.
    M. Jean-Pierre Brard, dont le nom n'y figure pas non plus prendra la parole, comme Mme Lebranchu et M. Serge Janquin.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. M. Barrot demande la parole !
    M. le président. Il y a là un certain dévoiement.

Rappels au règlement

    M. Jacques Barrot. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
    M. Jean-Pierre Brard. Gardez votre énergie pour durer dans les années !
    Mme Nadine Morano. Ne vous occupez pas de notre énergie !
    M. le président. La parole est à M. Jacques Barrot, pour un rappel au règlement.
    M. Jacques Barrot. Monsieur le président, vous avez énuméré les très nombreux orateurs inscrits sur l'article 5. Vous voulez bien, avec beaucoup de libéralisme, laisser parler tous ceux qui en ont exprimé le désir. Cela étant, compte tenu de la dérive que nous constatons, je suis amené à demander l'application de l'article 57 dont je vais donner lecture : « En dehors des débats organisés conformément à l'article 49, et lorsque au moins deux orateurs d'avis contraire sont intervenus dans la discussion générale, dans la discussion d'un article ou dans les explications de vote, la clôture immédiate de cette phase de la discussion peut être soit décidée par le président, soit proposée par un membre de l'Assemblée. Toutefois, la clôture ne s'applique pas aux explications de vote sur l'ensemble. »
    M. Maxime Gremetz. C'est vous qui allez faire cela ?
    M. Jacques Barrot. L'alinéa 3 de l'article 57 précise que, « lorsque la clôture est demandée en dehors de la discussion générale » - ce qui est le cas -, « l'Assemblée est appelée à se prononcer sans débat ». Il est donc très clair, monsieur le président, que, compte tenu de la situation, à la fin de la discussion sur l'article en cours d'examen - puisque les orateurs ont exprimé le désir de continuer cet exercice que je ne veux pas qualifier, pour ne pas être désagréable -...
    Mme Muguette Jacquaint et M. Pascal Terrasse. Vous avez assez pratiqué cela !
    M. Jacques Barrot. ... je demanderai, au prochain article, l'application de l'article 57, alinéa 1. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Si vous le voulez bien, mes chers collègues, conformément à la proposition du président Barrot, nous allons continuer d'entendre les orateurs inscrits sur l'article, et n'appliquerons l'article 57, alinéa 1, qu'après le vote de cet article 5. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Maxime Gremetz. Nous ne sommes pas d'accord !
    M. Pascal Terrasse. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
    M. le président. La parole est à M. Pascal Terrasse, pour un rappel au règlement.
    M. Pascal Terrasse. Monsieur le président, il y aura, demain, un an que Jean-Louis Debré exerce les fonctions de président de l'Assemblée nationale. (« Bravo ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Lionnel Luca. Ça s'arrose !
    M. Pascal Terrasse. Je ne savais pas qu'il y avait deux présidents de l'Assemblée nationale ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Ça n'a rien à voir !
    M. Pascal Terrasse. Monsieur Barrot, président du groupe de l'UMP, après avoir déjà voulu bâillonner les partenaires sociaux, vous n'avez pas le droit de vouloir bâillonner l'opposition !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Qu'avez-vous fait pendant cinq ans ? Sur tous les projets de loi, vous avez fait ça !
    M. le président. Monsieur Terrasse, restons-en à l'application du règlement, et laissons de côté toute autre considération politique de rappels ou de faits personnels.
    M. Pascal Terrasse. Il est inadmissible, monsieur le président...
    M. Louis Guédon. De ne pas respecter le règlement !
    M. Pascal Terrasse. ... de laisser entendre que les débats pourraient ne pas se poursuivre dans cette assemblée, alors même que le Premier ministre lui-même avait indiqué que le débat sur les retraites devait avoir lieu. Dans ces conditions, je demande, au nom de mon groupe, cinq minutes de suspension, pour examiner la manière dont les débats vont se dérouler. Sinon, je crains qu'ils ne durent une éternité. (Vives exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. C'est très grave !
    Mme Françoise de Panafieu. Pour les trente-cinq heures, les débats ont duré cinquante-six heures. Nous en sommes à soixante-dix !
    M. le président. Mes chers collègues, la suspension est de droit, puisque M. Terrasse a une délégation du président de son groupe.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à dix-sept heures vingt-cinq, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.)
    M. le président. La séance est reprise.

Rappels au règlement

    M. Jean-Pierre Brard. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour un rappel au règlement. J'ai cru comprendre qu'il était fondé sur l'article 58, alinéa 1.
    M. Jean-Pierre Brard. Oui, parce que, moi, je n'utilise pas les articles terroristes du règlement !
    M. le Premier ministre dit, dans son interview au Monde : « Nous sortons d'un printemps tendu, en raison du débat sur les retraites. Je souhaite vraiment que l'on puisse apaiser ces tensions. » Et c'est dans ce contexte que M. Barrot intervient. Quand je vois M. Barrot, auquel on donnerait certes le bon Dieu sans confession (Sourires), je pense à Pierre Reverdy, qui disait : « Quand tu rencontres la douceur » - que croit incarner M. Barrot dans ses bonnes heures - « sois prudent, n'en abuse pas. Prends garde de ne pas démasquer la violence. » Or c'est à cela que nous avons eu affaire tout à l'heure.
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Oh ! ça suffit !
    M. Jean-Pierre Brard. M. Barrot, qui vient en pointillé, veut perturber le déroulement de nos travaux.
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. M. Barrot est toujours là !
    M. Jean-Pierre Brard. C'est qu'il a peur, M. Barrot, et cela pour deux raisons. D'abord parce que le groupe UMP va à vau-l'eau, ainsi que l'a démontré...
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Il va beaucoup mieux que le PC !
    M. Jean-Pierre Brard. Mais je ne suis pas au PC !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Ah, c'est vous, le républicain ?
    M. Jean-Pierre Brard. Quand vous tirez sur une cible, au moins ne visez pas à côté !
    M. le président. Monsieur Brard, ce n'est pas très agréable pour Mme Buffet, qui est juste derrière vous !
    M. Jean-Pierre Brard. Mais non, chez nous, c'est la diversité, le respect mutuel, la tolérance et l'enrichissement collectif. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Que cela vous soit une leçon.
    Il y a le député-maire de Cholet, il y a les démocrates - n'est-ce pas, monsieur Marsaud, ce n'est pas gentil pour les autres, mais c'est quand même assez juste.
    M. Jean-Luc Warsmann. Ce n'est pas un rappel au règlement, monsieur le président !
    M. Jean-Pierre Brard. Vous êtes près de 400 : pourquoi M. Barrot a-t-il peur ? C'est parce que, à plusieurs reprises, nous avons dû faire appel au quorum pour démontrer que, sur ce projet qui est tellement important pour l'avenir du pays et qui, paraît-il, est bien soutenu par l'UMP, les fantassins de l'UMP sont absents. Heureusement, il y a l'état-major !
    Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Merci pour les autres !
    M. Jean-Pierre Brard. Mais les autres, où sont-ils ? Et pour échapper au regard du peuple français, qui surveille nos travaux, vous voulez avoir recours aux alinéas de notre règlement les plus brutaux. En fin de compte, c'est le 49-3 parlementaire à la place du 49-3 gouvernemental !
    M. Pascal Terrasse. C'est cela même !
    M. Jean-Pierre Brard. M. Barrot perd les pédales, si j'ose dire. (Vives protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Claude Goasguen. Oh, ça suffit ! C'est scandaleux !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Scandaleux !
    M. le président. Monsieur Brard,...
    M. Jean-Pierre Brard. Mais non, mais je le dis devant M. Barrot !
    M. le président. Monsieur Brard, il y a une limite dans les propos !
    M. Jean-Pierre Brard. Alors, monsieur le président, je veux bien les retirer !
    M. le président. Voilà ! Je souhaite que vous retiriez les derniers propos que vous venez de tenir à l'égard de M. Barrot.
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, pour vous être agréable, je retire ces propos sur le plan sémantique, et je n'en retiens que l'esprit. Et vous me laisserez du temps pour trouver les mots adaptés pour dire la même chose autrement.
    Donc M. Barrot, M. le président du groupe UMP, veut nous contraindre parce qu'il n'a pas suffisamment de députés. Et maintenant, il veut absolument abréger le débat parce qu'il sait bien que la lettre du Premier ministre n'a servi à rien dans l'opinion publique.
    M. Jean-Luc Warsmann. Ça n'a aucun rapport !
    M. Jean-Pierre Brard. C'est pourquoi maintenant, il faut contraindre, il faut avoir recours à des mesures coercitives !
    M. le président. Veuillez conclure, monsieur Brard !
    M. Jean-Pierre Brard. Alors, et ce sera mon dernier mot, monsieur le président, si vous voulez nous contraindre, nous userons de toutes les ressources du règlement pour résister à la loi du nombre que vous voulez nous imposer mais qui n'est pas la loi de la démocratie. Et à ce propos, je vous rappelle que vous devez toujours penser aux 19 % qui sont votre socle de base. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, pour un rappel au règlement.
    M. Jean-Luc Warsmann. Je serai bref, monsieur le président, je veux simplement rappeler à nos collèges que dans tous les scrutins publics demandés par l'opposition sur ses amendements, ceux-ci ont été rejetés avec entre soixante et cent voix d'écart. Alors qu'on ne vienne pas nous dire que la majorité n'est pas présente ! Elle l'est, et chaque fois que les députés sont appelés à voter par scrutin public, elle s'exprime très clairement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Maxime Gremetz. Ah bon ! Regardez-les, les résultats des scrutins publics ! Ils sont affichés !
    M. Jean-Luc Warsmann. Redemandez des scrutins publics quand vous voulez, nous pourrons nous recompter. Quand vous voulez ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Deuxièmement, je rappelle que dans cet hémicycle, nous sommes là pour voter la loi. Pour ma part, je ne peux pas approuver l'obstruction de l'opposition. Je vous demande, monsieur le président, d'appliquer le règlement et de nous faire avancer dans le débat et dans le vote de la loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Maxime Gremetz. Allons !
    M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour un rappel au règlement.
    M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, je fais appel à votre impartialité, celle du président de séance. Moi je vous déconseille d'avoir une approche aussi mécanique des choses. Nous souhaitons que les choses avancent. Nous sommes au coeur du débat : avec l'article 5, il s'agit bien de la durée de cotisation - quarante ans, quarante et un ans, quarante-deux ans et plus. Ce n'est pas un sujet mineur ! Il me paraît donc normal que, dans la discussion sur l'article, nous puissions entendre plusieurs orateurs.
    M. Jean-Luc Warsmann. Mais c'est le cas !
    M. Jean-Marc Ayrault. Bien sûr, vous pouviez appliquer l'article 57 de façon très restrictive - c'est votre droit, d'un point de vue juridique -, par exemple en ne donnant la parole qu'à un orateur pour et un orateur contre. Il suffit, en effet, que vous décidiez, de votre propre chef ou sur proposition d'un député, de mettre fin à la discussion d'un article pour qu'elle s'arrête.
    M. Claude Goasguen. C'est une pratique socialiste que vous évoquez là !
    M. Jean-Marc Ayrault. Simplement, la conséquence de cette approche trop mécanique et restrictive, c'est de provoquer à chaque fois des incidents.
    M. Jean-Jacques Descamps. C'est du chantage !
    M. Jean-Marc Ayrault. Et puisque le Premier ministre a dit qu'il prônait l'apaisement, moi je dis qu'il n'y a pas d'apaisement, il n'y a que des preuves d'apaisement. Et j'aimerais que vous les donniez. Nous, nous sommes parfaitement prêts à limiter le nombre de nos orateurs dans la discussion d'un article, mais pas à un ou deux orateurs.
    M. Claude Goasguen. Les socialistes ont la mémoire courte !
    M. Jean-Marc Ayrault. Il faut que notre groupe puisse, avec cinq, six, sept orateurs, avoir le temps d'aller au fond des choses, après quoi nous pourrons examiner les amendements. Je vous donne ce conseil, monsieur le président. C'est vous qui présidez, vous en faites ce que vous voulez, mais je crois que c'est dans l'intérêt de la qualité de notre débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Merci, monsieur le président Ayrault. Je souhaite vous préciser, comme je vous l'ai indiqué tout à l'heure, que nous eu vingt-huit orateurs inscrits, que seize ont renoncé à prendre la parole.
    M. Jacques Barrot. Exactement !
    M. le président. ... que la proposition du président Barrot n'est pas que nous appliquions l'article 57, alinéa 1, sur cet article, mais sur les articles à venir.
    M. Claude Goasguen. Absolument ! Comme le faisaient les socialistes, d'ailleurs !
    M. le président. Et pour répondre à votre intervention, monsieur Ayrault, je vous dirai qu'entre, d'une part, vingt-huit intervenants dont un certain nombre ne viennent pas, et, d'autre part, l'application stricte et peut-être trop limitative de l'article 57, alinéa 1, il est possible que chaque groupe puisse organiser sa participation à la discussion des articles,...
    M. Pascal Terrasse. On est d'accord...
    M. le président. ... de façon que les principales interventions puissent avoir lieu sans pour autant qu'on s'engage dans une certaine dérive des inscriptions sur les articles. Le risque est que la feuille de séance ne soit plus lisible, dans la mesure où des orateurs supplémentaires s'inscrivent. Par conséquent, nous appliquerons la méthode proposée par le président Barrot, non pas pour cet article 5, mais pour les articles suivants.

Reprise de la discussion

    M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint, qui n'était pas inscrite dans la discussion de l'article 5, mais qui souhaite intervenir.
    Mme Muguette Jacquaint. Monsieur le ministre, j'ai eu l'occasion, dans un rappel au règlement ou dans une de mes réponses à la commission, de rappeler l'interview du Premier ministre, dans laquelle il disait lui-même qu'il fallait encore poursuivre la réflexion, la discussion, le débat concernant les salariés qui ont des métiers très pénibles. Sur une question aussi importante, je regrette, monsieur le ministre, même s'il y a eu des interventions, que nous n'ayons pas eu des réponses concrètes. Par exemple, le groupe communiste et républicain a déposé des amendements. Ils sont tombés, bien sûr, sous le coup de l'irrecevabilité financière, et ça s'est arrêté là.
    J'ai dit à plusieurs reprises qu'il y avait des métiers pour lesquels on a su définir des régimes spéciaux en tenant compte de leur pénibilité. On peut prendre l'exemple des conducteurs de la SNCF, ou de la RATP.
    Alors, on nous dit : on ne peut pas, dans un texte de loi, définir les métiers pénibles. Mais ces métiers pénibles, on les connaît, monsieur le ministre ! Dans la sidérurgie, dans la métallurgie, dans la restauration,...
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Mais c'est l'article 4, ça !
    Mme Muguette Jacquaint. Je regrette, ce n'est pas l'article 4 ! Au moment où on discute de l'allongement de la durée de cotisation, il faut revenir sur la pénibilité du travail, car on sait très bien qu'il y a des salariés qui ne pourront pas aller jusqu'à soixante-six ou soixante-sept ans.
    Je prends un exemple concret, dans ma ville : l'entreprise Spler, une entreprise de blanchisserie industrielle. Ces jours-ci, monsieur le ministre, les femmes sur des presses, sous les verrières, ont travaillé par 52 degrés de température ! C'est un exemple. Il y en a d'autres, je pense notamment à la restauration. On sait que ce sont des travaux pénibles. C'est pourquoi, je reviens à la charge. Rien n'est dit dans le texte sinon qu'on réexaminera la question plus tard, comme l'a dit le Premier ministre, puisqu'il va y passer son été. Il va faire de la « proximité » ! Et quand on aura réexaminé la question, on verra si on peut améliorer le texte. Mais ce n'est pas après, c'est tout de suite qu'il faut voir ce qui peut être amélioré dans ce texte.
    C'est pour cela que la durée de cotisation est liée à la question de la pénibilité du travail, comme le montre l'exemple concret que je viens de vous donner. Et à ces problèmes concrets, il faut apporter des réponses concrètes.
    M. le président. Avant de donner la parole à M. Jean-Pierre Brard, je précise de nouveau ce que j'ai dit tout à l'heure au sujet de la proposition de M. Barrot concernant l'interprétation que la présidence pourrait faire de l'article 57, alinéa 1. Sur chaque article, il serait possible de laisser s'exprimer quatre ou cinq orateurs du groupe socialiste, ainsi que deux ou trois orateurs du groupe communiste, mais en aucun cas, vingt-huit orateurs inscrits. Je pense qu'ainsi ce texte pourrait être discuté d'une manière normale, dans le cadre d'une interprétation suffisamment ouverte du règlement, qui a le mérite d'éviter une sorte d'inscription à la minute, au dernier moment.
    La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, ce serait parfait qu'il y ait la parité, d'une part, au sein de la gauche...
    M. Lionnel Luca. Ça, il faut le demander à vos électeurs !
    M. Jean-Pierre Brard. ... mais aussi, d'autre part, entre la gauche et la droite. Parce qu'il serait quand même invraisemblable que nos collègues de droite n'aient rien à dire,...
    M. Denis Jacquat. Nous parlons sur chaque article !
    M. Jean-Pierre Brard. ... ou rien d'autre que ce que dit le Gouvernement.
    Normalement, ils sont élus par des citoyens. Or, les citoyens qui les élisent leur disent quelque chose. Et les messages qu'ils reçoivent, ils pourraient les relayer, au lieu de servir simplement de « mur d'écho » du Gouvernement. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Charles Cova. Mais il nous dit ce que nous devons faire, ma parole !
    M. le président. Mes chers collègues, laissez monsieur Brard intervenir, sinon je vais être obligé de lui accorder un temps de parole supplémentaire.
    M. Jean-Pierre Brard. Oui, d'ailleurs ces mouvements font un bruit de fond qui est très désagréable et empêche ma voix de porter normalement jusqu'à vos oreilles, mes chers collègues.
    Cet article 5 instaure un mécanisme de rapports constants et rigides entre, d'une part, la durée d'assurance ou la durée des services et bonifications - et donc la durée de cotisation -, et, d'autre part, la durée moyenne de retraite dont peuvent bénéficier les salariés. Il s'agit, au fond, de prélever une forme de rançon sur l'allongement de la durée de vie. Cette rançon est une augmentation corrélative de la période de travail. C'est un mécanisme d'ajustement comptable de la vie de travail, un simple calcul d'épicier, à la Balzac, à ceci près qu'il s'agit quand même de la vie des hommes et des femmes. Et là, on est plus proche de Gogol que de Balzac. A propos, monsieur le ministre, vous avez cité un certain « Katzeiev » tout à l'heure. Nous avons fait des recherches et nous n'avons pas trouvé. Est-ce un ouvrage de jeunesse que vous avez lu à l'époque de la gloire du réalisme socialiste ? (Sourires.) Si tel est le cas, je vous serais reconnaissant de bien vouloir me donner les références pour élargir ma palette intellectuelle.
    M. Lionnel Luca. On n'est pas à Questions pour un champion, ici !
    M. Jean-Pierre Brard. Mais je ferme la parenthèse.
    L'aspect humain et l'esprit de progrès social sont benoîtement évacués, dans ce texte, derrière une formule mathématique et une forme de froide rationalité économique qui fait penser à Thomas Münzer. Peu importe, dans cette logique, la nature du travail accompli, sa pénibilité mais aussi sa dangerosité, qui vont évidemment croissant avec l'âge, car les capacités physiques et les réflexes diminuent, ce que devraient pouvoir me confirmer les nombreux médecins qui siègent ici sur les bancs de la majorité. Ces mécanismes d'usure physiologique rendent progressivement le travail moins efficace et beaucoup plus dangereux...
    M. Denis Jacquat. De l'usure, il y en a au parti communiste !
    M. Jean-Pierre Brard. ... pour toutes les professions comportant une importante dimension physique ou un impératif de vigilance. Cette disposition va poser des problèmes majeurs, qui toucheront essentiellement les travailleurs les plus modestes, accomplissant généralement les travaux les plus durs. Cela ne sera pas sans risque pour des métiers qui impliquent une responsabilité importante à l'égard d'usagers de divers services, par exemple pour les infirmières ou pour les conducteurs de véhicules de transport en commun de voyageurs.
    On ne peut pas faire l'impasse sur ces questions ni accepter de reléguer durant des années les salariés concernés dans des tâches mineures et dévalorisées. En effet, la question évidente, quoique non résolue, est de savoir quel poste de travail serait fourni aux actifs « prolongés », dont le nombre va croître constamment - ce sera l'un des effets de votre texte -, certainement plus, d'ailleurs, dans le secteur public que dans le secteur privé, où les patrons ne manqueront pas de dégraisser rapidement et de se séparer d'une manière ou d'une autre de ces travailleurs pas assez rentables. Je note au passage, monsieur le ministre, que vous faites d'ailleurs une petite ouverture concernant les enseignants à un certain endroit du texte.
    Le Gouvernement serait donc bien inspiré, au lieu de se cantonner dans une vision comptable, de tenter d'esquisser une vision humaniste du problème, c'est-à-dire de considérer que le partage des richesses sociales peut et doit permettre que nos concitoyens bénéficient de retraites plus longues sans devoir faire du « présentéisme » jusqu'à soixante-dix ans ou plus, au nom d'une fantasmatique restauration de la valeur travail.
    Je vous ai expliqué l'autre jour, monsieur le ministre, que j'ai fait le calcul pour mon petit garçon qui a treize ans. Alors qu'il pouvait se réjouir de vivre plus longtemps que les hommes de ma génération, il risque, avec votre système, de connaître le cauchemar du travail forcé pendant une période de sa vie beaucoup plus longue. Lui qui a aujourd'hui treize ans, peut-être devra-t-il travailler jusqu'à soixante et onze ans, et je n'ose pas imaginer dans quel état il sera alors.
    M. le président. Encore deux orateurs, Mme Lebranchu et M. Janquin, après quoi nous passerons aux amendements.
    Mme Marylise Lebranchu. Et M. Launay ?
    M. le président. Pardon, je l'avais oublié.
    La parole est à M. Jean Launay.
    M. Jean Launay. J'ai bien cru que je ne pourrais pas m'exprimer sur l'article 5. Je trouve surprenant, monsieur le président, de vous voir invoquer le risque d'un allongement de la durée des débats à propos de gens qui, étant absents, ne peuvent aucunement les retarder, alors que ceux qui se sont régulièrement inscrits en viendraient à ne pas pouvoir s'exprimer.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. On ne l'a pas vu depuis le début des débats, celui-là ! Il vient d'arriver !
    M. Jean Launay. En ce qui concerne l'article 5, il faut souligner que l'allongement de la durée d'assurance est une mesure d'autant plus sensible que nous sommes dans un contexte de chomâge grandissant. Il était possible de jouer sur d'autres paramètres, monsieur le ministre, mais vous avez fait un autre choix.
    Allonger la durée de la vie active revient à poser, avec encore plus d'acuité, la problématique du chômage. Nous nous étions attachés, en soutenant le travail du gouvernement de Lionel Jospin, à faire baisser le chômage. Nous avons alimenté le moteur de la croissance par une politique économique adaptée, mis en place des politiques sociales et de solidarité susceptibles de favoriser les créations d'emploi - je pense à l'APA -, utilisé les leviers fiscaux les plus judicieux pour l'emploi, je pense par exemple à la baisse ciblée de la TVA sur les travaux du bâtiment. Le travail accompli sous la législature précédente a eu, dans ce domaine de l'emploi, des résultats significatifs - un million de chômeurs en moins -, qui ont rendu confiance à nos concitoyens.
    Ces derniers vont maintenant constater que depuis un an, en détricotant systématiquement les politiques favorables à l'emploi que nous avions mises en place, en attaquant frontalement la politique volontariste de modernisation sociale que nous avions commencé d'insuffler, vous additionnez toutes les conditions d'une dégradation profonde et, je le crains, durable de la situation de l'emploi.
    Et cela vous met en contradiction avec le projet que vous nous présentez aujourd'hui. Comment croire aux hypothèses de financement quand vous comptez sur une baisse de chômage de moitié d'ici 2007, et quand votre politique économique s'acharne, dans les faits, à aboutir au résultat inverse ?
    Vous renvoyez beaucoup, monsieur le ministre, à des négociations ultérieures. Pourquoi ne pas le faire dès aujourd'hui quand il s'agit de définir les conditions de liquidation des droits à la retraite ? C'est par branche qu'il convient de débattre, voire par métier. Comment ne pas tenir compte des sujétions particulières liées aux conditions de travail à la chaîne ou au travail posté ? Le débat doit tenir compte de ces situations, et en ne l'ouvrant pas vous prolongez au Parlement les insuffisances du dialogue avec les organisations syndicales. De plus, comment ignorer qu'un salarié sur deux accède aujourd'hui à la retraite en situation de non-emploi ? La vérité, c'est que votre réforme est injuste, parce qu'elle oblige les salariés à travailler plus longtemps pour finalement toucher moins.
    Vous proposez l'augmentation uniforme de la durée de cotisation à quarante et une annuités en 2012, et plus au-delà de 2012. Le problème, c'est que vous ignorez complètement les inégalités d'espérance de vie selon les professions, la pénibilité des métiers et l'usure prématurée qui en résulte. Je regrette donc que l'amendement n° 7085, avant l'article 5, qui tendait à développer le recours à la négociation, n'ait pas été retenu.
    Il est juste que, dans cette discussion qui s'ouvre sur l'a rticle 5, nous revenions sur ce sujet de l'emploi. Car rien, dans votre politique, ne permet de valider l'idée qu'une décision administrative d'allongement de la durée de cotisation se traduise mécaniquement en une augmentation du nombre des actifs employés. La réforme souhaitable est entachée dès le départ par votre méthode et contredite par la politique économique et sociale que vous menez.
    M. Pascal Terrasse. Très bien !
    M. le président. La parole est à Mme Marylise Lebranchu.
    Mme Marylise Lebranchu. A force de discuter et de faire des propositions, l'opposition peut parfois obtenir des résultats. Nous avons ainsi appris que le texte sur les marchés publics était retiré et qu'une commission de travail serait créée à la demande du Premier ministre, M. Raffarin, pour étudier comment l'on peut passer d'une proposition technique à une proposition politique.
    Comme quoi le débat, y compris quand c'est l'opposition qui prend l'initiative, peut faire évoluer les choses.
    M. Jean-Luc Warsmann. Absolument ! Et c'est bien pourquoi l'obstruction est inutile : il faut débattre !
    Mme Marylise Lebranchu. Et c'est tant mieux, car le débat peut déboucher sur des choses très intéressantes.
    M. Jean-Luc Warsmann. Vous avez raison !
    Mme Marylise Lebranchu. Après M. Jacquat, je me référerai moi aussi au discours de Lionel Jospin.
    A la page 13 de son discours, Lionel Jospin précisait, concernant l'allongement de la durée de cotisation, qu'il ne fallait pas oublier, dans la comparaison entre secteur public et secteur privé, que pour le secteur public le taux de remplacement ne repose pas sur la référence à l'ensemble des rémunérations, compte tenu du système des primes. Il proposait donc aux syndicats de négocier un pacte pour que tous les éléments des rémunérations soient en pris en compte.
    M. Jacquat aurait dû poursuivre sa lecture jusqu'à la page 15, où Lionel Jospin abordait la situation des assurés du régime général et des régimes dits « alignés », tels que celui des commerçants et des artisans, tous concernés par l'article 5. Il rappelait qu'ils avait dû consentir des efforts substantiels au travers des mesures prises en 1993 ou des accords de 1996 sur les retraites complémentaires, qui se traduisaient déjà par une diminution des taux de remplacement, notamment pour les retraites complémentaires. Il appelait notre attention sur la question des retraites complémentaires au regard de tout ce que l'on peut dire sur le minimum contributif. Et il ajoutait : « Dans ces conditions, il ne paraît pas nécessaire d'envisager pour les assurés du régime général un allongement supplémentaire de la durée de cotisation. D'ailleurs, le passage à quarante annuités n'est pas encore achevé. »
    M. Denis Jacquat. J'ai parlé des fonctionnaires !
    Mme Marylise Lebranchu. Nous étions dans une logique complète d'adaptation d'un système. Lionel Jospin, parce que les syndicats ainsi que nos collègues communistes et socialistes à l'Assemblée nationale avaient à l'époque élaboré un texte commun sur le sujet, posait clairement la problématique des décisions prises auparavant, notamment de la réforme Balladur. Il reconnaissait que « la question de la dégradation du taux de remplacement dans le secteur privé est posée » et que « les discussions pourraient porter sur un objectif d'amélioration de ce taux de remplacement dans le régime général. »
    Tous les ingrédients d'une réforme étaient évoqués alors que nous ne discutons aujourd'hui que d'une seule variable d'ajustement, mis à part l'augmentation des cotisations salariales, qui font peser sur nos régimes le poids que l'on sait : l'allongement de la durée du travail.
    Je crois qu'on aurait pu accepter collectivement de discuter de l'ensemble des variables d'ajustement, y compris des conséquences des mesures Balladur. Nous aurions pu montrer à quel point ces mesures avaient dégradé le taux de remplacement et dénoncer les problématiques qu'elles faisaient porter sur la négociation des retraites complémentaires, ces problématiques étant de plus en plus difficiles à faire accepter par l'ensemble des partenaires sociaux réunis.
    Je reste persuadée de la nécessité de revenir sur les mesures Balladur et d'engager une négociation sur les retraites complémentaires. On pouvait très bien ouvrir cette négociation sans texte de loi et attendre de voir si des engagements étaient pris et par le MEDEF et par les organisations syndicales des salariés. Sur la base de tels accords, actés par l'ensemble des partenaires et disposant que les retraites complémentaires ne diminueraient pas au fur et à mesure que le minimum contributif augmenterait éventuellement, on aurait pu engager une négociation plus riche.
    Or les amendements allant dans ce sens que nous avions déposés se sont vu régulièrement opposer l'article 40.
    Notre situation est donc difficile, ce que le président Raoult comprendra sûrement, car nous sommes obligés d'intervenir sur un article du projet de loi pour évoquer des dispositions techniques qui auraient pu être négociées avec les partenaires sociaux.
    Je reste persuadée, et ce sera ma conclusion, que c'est ainsi que nous aurions dû continuer de travailler. D'ailleurs, le COR a été fait pour cela !
    Je ne voudrais pas fâcher M. le ministre en faisant une fois de plus référence à l'UPA, dernière organisation que j'ai eu l'honneur de rencontrer. Ses représentants ont eu une phrase intéressante : pour eux, le COR a présenté l'avantage d'avoir fixé non un objectif de changement, mais un objectif global d'analyse. C'est pourquoi le COR ne doit surtout pas être supprimé. Si l'on travaillait de cette façon, la place du travail dans notre société, qui est essentielle, serait sûrement plus valorisée par nos débats qu'elle ne peut l'être aujourd'hui, d'autant plus qu'un certain nombre de retraités finissent par être culpabilisés de profiter de leur retraite après une vie de travail, ce qui n'est pas juste.
    M. le président. La parole est à M. Serge Janquin.
    M. Serge Janquin. Monsieur le ministre, l'article 5 est à la fois prescriptif et descriptif.
    D'une part, il prescrit le nombre d'années de cotisation qui, aux yeux du Gouvernement, paraît nécessaire pour assurer le système de retraite par répartition. C'est d'ailleurs le seul des paramètres possibles qu'il prévoit, ce que je regrette. Je me réjouis cependant qu'un certain nombre de nos collègues de l'UMP commencent apparemment à faire « bouger les lignes ».
    D'autre part, il décrit le mécanisme par lequel le nombre d'années de cotisation passera à quarante, à quarante et un, à quarante-deux ans et plus.
    La rédaction de l'article lui-même veut faire apparaître ces propositions comme formant une construction intellectuelle objective. Or ce n'est malheureusement pas le cas. Si les prémisses ne sont pas correctes, le raisonnement ne tient pas.
    Cela pourrait être vrai si le « stock » - pardonnez-moi l'expression - des plus de cinquante ans -, était effectivement au travail, et cotisait. On pourrait dès lors prendre en compte, si c'était absolument indispensable, le flux éventuel des cotisants, constitué de ceux qui devraient plus de quarante annuités de cotisation, à condition cependant que les autres variables de financement soient retenues.
    L'économie de votre réforme porte, pour une partie substantielle, sur l'augmentation du nombre des actifs cotisants, laquelle serait obtenue par l'allongement à quarante-deux ou quarante-trois ans de la durée de cotisation. C'est de la fiction ! Ce n'est pas parce qu'il y a plus de travailleurs à qui l'on prescrit de travailler plus longtemps qu'il y a nécessairement plus de travail dans notre société, ni donc plus d'actifs cotisants.
    S'il n'y a pas de politique active de l'emploi, le nombre des postes de travail n'augmentera pas avant longtemps.
    Pouvez-vous, messieurs les ministres, vous engager au nom du Gouvernement à ce que votre politique économique permette très rapidement aux jeunes d'accéder à l'emploi, et aux seniors de garder le leur ? C'est à cette double condition qu'il pourrait y avoir plus de cotisants, donc des ressources abondées. Si vous nous faites cette promesse, vous serez manifestement, compte tenu des données connues et des estimations des spécialistes, dans le domaine de l'incantation ou du mirage. Mais si vous n'y croyez pas, c'est plus grave encore.
    Vous avez en d'autres temps jeté l'anathème sur l'autorisation administrative de licenciement. On peut en effet considérer que le licenciement ne se gère guère par l'autorisation ou par l'interdiction, même si on peut par ces biais le contenir. Bizarrement, vous instituez le commandement administratif d'allongement de la durée du travail en sachant fort bien que, dans la vie, les choses ne se passent pas comme cela. Ce ne sera pas intellectuellement plus acceptable tant que vous n'aurez pas dit comment vous pourrez garantir que les seniors pourront effectivement travailler jusqu'à l'âge de soixante ans sans que ce soit au détriment d'autres catégories d'âge.
    Sans une politique appropriée de la croissance et de l'emploi - à ce propos, je crois savoir que le Gouvernement révise une nouvelle fois à la baisse ses perspectives de croissance pour 2003 -, votre raisonnement ne tient pas. Au fond, cela revient à dire aux salariés concernés : « Vous avez plus de cinquante ans ? On vous impose de travailler quelques années de plus ? Vous avez la malchance d'être au chômage, de ne pas avoir réussi à retrouver un emploi et les patrons considèrent que vous êtes dépassé ? C'est vraiment bien malheureux, mais vous en serez puni par une diminution de vos droits à la retraite ! »
    Autrement dit, au malheur vous ajoutez la sanction. Dans ces conditions, comment pouvez-vous expliquer que M. le Premier ministre parle, dans sa lettre à tous les ménages, du « bonheur des Français » ?
    M. Gilles Cocquempot. Très bien !

Rappel au règlement

    M. Maxime Gremetz. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
    M. le président. Je vous rappelle, monsieur Gremetz, à vous qui vous fonderez sûrement sur l'article 58, alinéa 1, que l'alinéa 2 de cet article précise que « si, manifestement, [l']intervention n'a aucun rapport avec le règlement ou le déroulement de la séance, ou si elle tend à remettre en question l'ordre du jour fixé, le président [...] retire la parole » au député concerné.
    La parole est donc à M. Maxime Gremetz, pour un rappel au règlement fondé sur l'article 58, alinéa 1. (Sourires.)
    M. Maxime Gremetz. Je me fonde en effet sur l'article 58, alinéa 1, monsieur le président, et vous allez voir qu'il s'agit bien de cela.
    Je sais d'expérience, mesdames, messieurs, que l'on ne gagne jamais à se comporter comme vous l'avez fait. Vous avez le choix de vos armes, nous des nôtres. Nous savons nous servir de nos armes et vous verrez que vous n'y gagnerez rien, ni le débat non plus. Point à la ligne. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) On en a souvent fait l'expérience !
    M. Jean-Marc Nudant. Nous ne sommes pas belliqueux !
    M. Maxime Gremetz. Si vous avez décidé d'être muets comme des carpes, c'est votre affaire ! Si vous n'avez rien à dire, c'est votre affaire !
    M. Denis Jacquat. Nous, nous sommes organisés !
    M. Maxime Gremetz. Et nous, nous avons beaucoup à dire !
    M. le président. Revenez à votre rappel au règlement, monsieur Gremetz !
    M. Maxime Gremetz. Nous n'acceptons pas l'accord qui a été passé entre la majorité et une partie de l'opposition. On ne passera pas un accord derrière notre dos !
    M. le président. Ce n'était pas un accord : c'était une interprétation du règlement !
    M. Maxime Gremetz. Afin que les choses soient claires, monsieur le président, je vous indique que les députés communistes se feront inscrire sur tous les articles. Vous déciderez de leur donner ou non la parole, et nous en tirerons les conséquences.
    Mme Muguette Jacquaint. Monsieur le président...
    M. le président. Madame Jacquaint, vous êtes déjà intervenue sur l'article. Le règlement interdit qu'on soit inscrit deux fois.
    Mme Muguette Jacquaint. Je voudrais simplement avoir une précision. Je n'en aurai que pour deux minutes.
    M. le président. Non, madame Jacquaint, pas plus pour deux minutes que pour une seule !
    Mme Muguette Jacquaint. Je m'exprimerai plus tard !
    M. le président. C'est préférable !

Reprise de la discussion.


    M. le président. Je suis saisi de cent cinquante-sept amendements identiques n°s 2010 à 2158, 3542 à 3548 et 5072.
    Les amendements n°s 2010 à 2158 sont respectivement présentés par Mme Adam et des membres du groupe socialiste.
    L'amendement n° 3542 est présenté par Mme Buffet, M. Sandrier et M. Lefort ; l'amendement n° 3543 par MM. Bocquet, Biessy, Desallangre et Braouzec ; l'amendement n° 3544 par MM. Dutoit, Asensi et Gerin ; l'amendement n° 3545 par Mme Fraysse, M. Chassaigne et M. Brunhes ; l'amendement n° 3546 par Mme Jacquaint, M. Vaxès et M. Hage ; l'amendement n° 3547 par M. Gremetz, M. Daniel Paul et Mme Jambu ; l'amendement n° 3548 est présenté par MM. Liberti, Goldberg et Brard.
    L'amendement n° 5072 est présenté par M. Zuccarelli.
    Ces amendements sont ainsi rédigés :
    « Supprimer l'article 5. »
    La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour soutenir l'amendement n° 2080.
    M. Gaëtan Gorce. Monsieur le ministre, nous avons, dans nos interventions sur l'article, exprimé toutes nos craintes quant à l'augmentation de la durée de cotisation. Le moins que l'on puisse dire est que nous n'avons pas été rassurés par les réponses qui nous ont été données.
    Nous avons bien compris que la majorité souhaitait réduire la discussion, mais cela nous paraît regrettable car nos concitoyens doivent savoir que, dans ce texte, il n'y a pas seulement la volonté affichée, dont nous contestons l'existence, de préserver l'équilibre financier de nos régimes : il y a aussi la volonté de faire en sorte, comme l'ont demandé certaines organisations, en particulier le MEDEF, d'allonger la durée de cotisation d'une manière qui nous paraît inadéquate et excessive. Je n'irai cependant pas jusqu'à considérer que vous répondez aux injonctions du MEDEF, en dépit de votre similitude d'approche.
    Comment l'allongement de cotisation va-t-il se décider ? Dans quelles conditions ? D'une manière unilatérale ou les partenaires sociaux seront-ils associés ? Comment éviterez-vous cet allongement si les mesures, que vous ne prenez d'ailleurs pas, sur le temps de travail et la présence dans l'emploi ne sont pas efficaces ? Où trouverez-vous les financements pour compenser éventuellement l'absence d'allongement si vous décidez d'y renoncer pour des raisons de justice parce que nous n'aurions pas enregistré dans le domaine de l'emploi les progrès espérés ?
    Toutes ces questions sont au coeur de l'amendement.
    Nous refusons, je le répète, la logique dans laquelle s'inscrit votre projet : nous ne considérons pas que la solution doive passer par le transfert sur le temps de travail des gains d'espérance de vie qu'obtiendront les Français. C'est leur proposer un bien curieux marché que de leur annoncer que l'ensemble des progrès qui sont réalisés dans les domaines du travail, de la lutte contre la pénibilité et l'usure professionnelle, de la médecine, des modes de vie et de l'hygiène de vie ne leur serviront à rien d'autre qu'à augmenter le temps qu'ils passeront au travail.
    Notre sentiment est que cela devrait relever du choix. Le droit à la retraite avec quarante annuités devrait être garanti mais on devrait avoir le choix - un choix qui ne serait pas imposé par la nécessité de justifier de quarante-deux annuités - de décaler son départ à la retraite dans le temps.
    Nous sommes tout à fait hostiles à cette disposition, d'autant plus que nous ne voyons pas se mettre parallèlement en place les politiques de l'emploi qui permettraient de lui donner un réel contenu.
    Si l'on allonge la durée de cotisations sans permettre l'allongement de la durée réelle d'activité jusqu'à soixante ans, on créera une situation impossible pour de très nombreux salariés, y compris pour ceux qui auront cotisé longtemps mais qui ne réuniront pas encore tous les droits pour bénéficier d'une retraite au taux plein.
    C'est la raison pour laquelle j'invite l'Assemblée à supprimer l'article 5.
    M. le président. La parole est à M. Christophe Masse, pour soutenir l'amendement n° 2118.
    M. Christophe Masse. Monsieur le ministre, l'article 5 pose un problème essentiel sur lequel nous reviendrons longuement lors de la discussion de l'article 32.
    Nous souhaitons attirer votre attention sur ce problème de manière concrète et, surtout, espérons-nous, constructive.
    L'article 5 confirme votre volonté de n'agir que sur un seul levier de financement : l'augmentation de la durée de cotisation. Cette augmentation, que vous systématisez, paraît aberrante quand on connaît toutes les différences de l'environnement social du travail. Je ne reviendrai pas sur la pénibilité, largement évoquée, ni sur l'espérance de vie, la formation, la situation des femmes ou la maladie. Cette manière de stigmatiser les travailleurs suscite chez eux - ils le font savoir depuis quelque temps - un désarroi profond.
    N'oublions pas non plus que l'augmentation de la durée de cotisation, lorsqu'elle se traduira par une augmentation de la durée du travail, pourra être vécue d'une manière un peu difficile. Mais pour certains, il en résultera une augmentation de la durée du temps du chômage, avec pour seule garantie celle de ne recevoir qu'une faible pension. Nous touchons là un problème grave et, à ce sujet, nous devons être un peu plus avant-gardistes.
    Je vous ai souvent entendu parler de courage, notamment de courage politique lorsque des décisions sont prises. Je vous ai entendu parler de courage lorsqu'un chef d'entreprise licencie, ou lorsqu'un gouvernement refuse la garantie de droits sociaux acquis depuis longtemps. Mais en l'occurrence, le courage serait de faire un véritable effort de solidarité. S'il y a une occasion de faire un effort de solidarité, c'est bien dans cet article, à propos de la durée de cotisation.
    Le principe de solidarité a été affirmé plusieurs fois par chacun d'entre nous. Nous devons être solidaires, des bénéficiaires, certes, mais aussi pour ce qui concerne les recettes. Et les recettes ne dépendent pas seulement de l'augmentation des cotisations : elles dépendent aussi des leviers de financement.
    Voilà pourquoi je propose à l'Assemblée de voter mon amendement de suppression.
    M. le président. La parole est à M. Augustin Bonrepaux, pour soutenir l'amendement n° 2031.
    M. Augustin Bonrepaux. Comme l'a expliqué mon collègue Christophe Masse, nous ne pouvons pas accepter l'allongement de la durée de cotisation, ce projet faisant supporter l'effort aux seuls travailleurs, ce que nous trouvons particulièrement injuste. La solidarité est assurée uniquement par ceux qui travaillent, et quand ceux qui en ont les moyens ne sont pas mis à contribution.
    Nous avons notamment proposé que la solidarité s'exerce à partir de l'impôt de solidarité sur la fortune. Si vous aviez renoncé aux 500 millions de réduction qui ont été votés, les petites retraites auraient pu être portées à 100 % du SMIC.
    Vous ne demandez rien non plus aux entreprises, dans l'immédiat. Vous nous affirmez bien qu'elles seront appelées à participer au financement dans l'avenir -il faudrait d'ailleurs que vous clarifiiez les choses, car le Gouvernement commence par nous dire que les cotisations patronales augmenteront de trois points en 2008, puis il répond à Jean-Marc Ayrault que rien ne doit changer, car une hausse des cotisations vieillesse ferait baisser les ressources de l'UNEDIC.
    Au demeurant, est-il réaliste de compter sur une diminution du chômage uniquement grâce à l'inversion de la courbe, alors qu'il n'y a aucune politique dynamique, volontariste, effective pour lutter contre le chômage ? On se rend au contraire compte, au fur et à mesure, que les moyens qui pourraient stimuler l'emploi sont réduits, quand il ne sont pas supprimés. Je pourrais évoquer la formation, ou encore les crédits en faveur de l'aménagement du territoire, de l'aménagement rural, qui ont chuté de 60 à 80 %. A travers ces réductions de crédits, c'est tout l'avenir que l'on paralyse, car des communes rurales privées d'équipements en réseaux d'eau et d'assainissement ne feront pas l'objet de projets de construction.
    Finalement, ce sont encore les travailleurs qui vont en faire les frais, parce qu'ils rencontreront de plus en plus de difficultés d'emploi et connaîtront des périodes de chômage de plus en plus longues. Ils auront, de ce fait, de plus en plus de mal à atteindre quarante années de cotisation. Avec ce dispositif, vous mettez donc déjà en péril la retraite de ceux qui la prendront dans quarante ans. Voilà les conséquences dramatiques de ce que vous êtes en train de faire !
    Pour finir, votre projet n'est pas financé. Vous dites que le système s'équilibrera, à partir de 2008 et jusqu'en 2020, par une augmentation des cotisations, mais il faudra équilibrer aussi le régime du service public, celui des employés de l'Etat et des collectivités locales, en trouvant les 15 milliards supplémentaires. Où les trouverez-vous ? En augmentant le prix des services publics, en augmentant les impôts d'Etat - plus particulièrement les impôts indirects, d'ailleurs, puisque vous réduisez les impôts directs - ou bien en obligeant les collectivités locales à augmenter les impôts locaux ? Dans tous les cas, ce seront encore les mêmes, les travailleurs, qui vont être pénalisés.
    Votre projet est trop inégalitaire, dans l'immédiat et pour les générations futures. C'est pourquoi il est inacceptable, et c'est pourquoi nous demandons la suppression de l'amendement (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)...
    M. le président. La suppression de l'amendement ou de l'article ?
    M. Augustin Bonrepaux. La suppression de l'article 5, bien sûr, monsieur le président.
    M. le président. La parole est à M. David Habib, pour soutenir l'amendement n° 2084.
    M. David Habib. L'amendement n° 2084, que je soumets à votre appréciation, est un amendement d'équilibre, non pas que s'interroger sur la durée de cotisation soit intéressant, monsieur le ministre, mais concevoir un projet sur la base du seul principe qu'il faudra demain travailler plus et gagner moins, c'est offrir une perspective trop injuste, qui ne peut rencontrer l'adhésion de notre assemblée.
    Cette perspective est injuste, Augustin Bonrepaux vient de le rappeler, parce qu'elle fait porter l'effort sur les seuls salariés ; elle fait peser la charge collective sur la capacité contributive des seuls salariés de notre pays.
    Elle est injuste parce qu'elle ne permet pas de prendre en compte les gains de productivité que toute croissance génère, que toute société de progrès favorise, parce qu'elle nie une réalité à laquelle nous sommes tous attachés : le progrès technique et l'intelligence humaine favorisent les gains de productivité pour alléger la charge incombant aux salariés.
    Elle est injuste parce qu'elle ignore les disparités de la vie. Nous avons eu, la semaine dernière, une longue discussion sur la pénibilité de certains métiers, que vous refusez de prendre en compte. Nous avons aussi évoqué les disparités entre hommes et femmes dans notre société ; or l'article 5 ne fait aucun cas de la situation particulière de nos concitoyennes.
    Elle est injuste, enfin, parce qu'elle fait reposer tout l'effort contributif sur les générations montantes, en ignorant la nécessité d'équilibrer davantage la responsabilité du financement de l'assurance retraite.
    Voilà pourquoi nous ne pouvons souscrire à votre démarche. Voilà pourquoi je soumets cet amendement.
    Je m'interroge - et je vous interroge aussi, monsieur le ministre - sur le recours à la voie réglementaire prévu dans cet article pour modifier la durée de cotisation. Le parallélisme des formes n'appelle-t-il pas de revenir devant notre assemblée pour aborder ce point ? Pourquoi préférez-vous la voie réglementaire ?
    M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour soutenir l'amendement n° 2035.
    M. François Brottes. Monsieur le ministre, je crains que votre texte n'engage les Français dans un marché de dupes.
    M. François Vannson. Mais non !
    M. François Brottes. En effet, tout miser, ou presque, sur l'allongement de la durée de cotisation est une forme de supercherie, au moins à double titre.
    D'abord, sans volontarisme pour faire baisser le chômage, on ne fera que transformer les jeunes retraités en vieux chômeurs.
    M. Denis Jacquat et M. François Vannson. Mais non !
    M. François Brottes. L'application mécanique du glissement de générations, que vous prenez pour hypothèse de base de vos calculs prévoyant une diminution du chômage - en considérant que l'obligation de travailler plus longtemps fera automatiquement diminuer le nombre de chômeurs - fait fi d'une autre valeur, si je puis dire, qui vous est chère, à vous et aux économistes libéraux, je veux parler de la productivité. Or la variable d'ajustement sur laquelle on joue généralement pour obtenir des gains de productivité est la réduction d'emplois. Je ne crois pas un instant que la manière dont sont traités les salariés de plus de cinquante ans dans les entreprises changera lorsque vous aurez fait voter cet article - j'en veux pour preuve l'attitude que vous adoptez vis-à-vis de la fonction publique, en ne remplaçant pas les départs en retraite.
    Le second aspect de la supercherie touche à la santé de nos concitoyens, et c'est un sujet grave. Vous expliquez que la durée de vie moyenne augmente et qu'il faut en redonner un peu au temps de travail. Mais ceux qui exercent un métier pénible - les exemples ne manquent pas mais je n'y reviendrai pas, car ils ont été longuement développés voilà quelques heures -, ceux-là seront usés et vous remettez en cause leurs chances de vivre plus longtemps.
    En clair, vous hypothéquez l'espérance légitime qu'ont les salariés de profiter de leur retraite. Vous voulez ainsi les culpabiliser, en leur faisant croire qu'il n'y aurait pas d'autre solution que de les empêcher de bénéficier d'une retraite paisible.
    C'est parce que je refuse cette logique que je propose la suppression de l'article 5.
    M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour soutenir l'amendement n° 2104.
    M. Bruno Le Roux. Je pense, comme mes collègues, que l'article 5 est important parce qu'il illustre l'argumentation à sens unique qui est la vôtre depuis maintenant plusieurs mois, monsieur le ministre, consistant à faire croire aux Français que la seule solution est de travailler plus pour toucher une retraite plus faible.
    C'est grave, car au-delà de l'alignement à quarante ans de cotisation pour les salariés de la fonction publique, vous ouvrez même la perspective, dans votre projet, du passage, pour tout le monde, à quarante et un, puis à quarante-deux années. Vous ouvrez ainsi la porte, comme le préconise le MEDEF dans ses publications, à un allongement continu, dans les décennies prochaines, de la durée du travail. C'est une solution dangereuse, d'abord parce qu'elle n'est pas souhaitée par les Français, ensuite parce qu'elle ferme la porte à toutes les autres réflexions possibles, comme nous essayons de vous le faire comprendre depuis plusieurs jours.
    Mais peut-être êtes-vous en communion avec le Premier ministre, qui déclarait, au Québec, le 23 mai, avoir arrêté à temps un projet de loi s'inspirant du principe suivant : « Quand on ne travaillera plus le lendemain des jours de repos, la fatigue sera vaincue ! » Votre texte, finalement, n'a peut-être pas pour objet de régler la question du financement des retraites. Son motif est plutôt purement idéologique : il faudrait, comme l'a dit le Premier ministre, remettre à l'ouvrage ce peuple qui ne sait plus travailler.
    Nous nous opposons à votre démarche, messieurs les ministres. Votre réforme ne peut, sous prétexte d'assurer la retraite de nos concitoyens, les précipiter vers un allongement continu de la durée de travail. C'est pourquoi nous souhaitons qu'une véritable réflexion soit conduite sur les possibilités de financement du système de retraite. Il ne s'agit pas simplement de taxer d'hypothétiques mouvements improductifs, en pleine croissance, dans le cadre de la financiarisation, mais d'ouvrir un véritable débat sur l'évolution du système productif de ce pays, notamment sur la diminution de la part des salaires dans la richesse nationale, et sur la recherche d'autres financements.
    Pour notre part, nous affirmons qu'il est possible de trouver d'autres financements, mais vous fermez le débat. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement de suppression de l'article 5.
    M. le président. La parole est à M. Pascal Terrasse, pour soutenir l'amendement n° 2150.
    M. Pascal Terrasse. Je vais, moi aussi, poser toute une série de questions sur l'article 5.
    J'ai relu avec beaucoup d'attention l'étude d'impact que vous nous avez remise, monsieur le ministre. Il y est clairement indiqué que l'article 5 aura certainement pour effet, petit à petit, de repousser à soixante-cinq ans l'âge du départ à la retraite. Cela ne fait d'ailleurs plus aucun doute, les interventions des membres de la majorité et du MEDEF sont claires : vous voulez allonger la durée d'activité au-delà de soixante ans, reconnaissez-le ! Cette mesure produira ses effets, sur le plan financier, à partir de 2012, pour rapporter, aux alentours de 2020, 3,2 milliards.
    Ce dispositif ne répond pas à un problème qui nous semble tout à fait essentiel, celui de l'activité des plus de cinquante et cinquante-cinq ans. Dans un rapport fort intéressant, Dominique Taddei indiquait qu'il convenait de favoriser la mise en oeuvre, au sein des entreprises, d'une politique nouvelle, concertée et négociée de gestion des âges, et notamment des deuxièmes parties de carrière.
    Cette politique, qu'il convient de fonder sur le libre choix des salariés, doit commencer très en amont, dès qu'ils atteignent l'âge de quarante à quarante-cinq ans, et c'est sur ce point qu'il convient d'être audacieux. On pourrait en effet imaginer non pas de demander aux salariés de partir à la retraite à un âge précis au-delà de soixante ans, mais de réfléchir à des formes de cessation progressive d'activité. On pourrait imaginer que les personnes qualifiées ayant de l'ancienneté puissent devenir les tuteurs de jeunes entrant dans la vie active. On pourrait imaginer que les salariés effectuant des travaux pénibles, à un âge précis, déterminé dans la législation, soient épargnés, par exemple, par les trois-huit, en raison de leurs incidences sur la santé. Cette série de propositions nécessite évidemment un travail en amont avec les organisations syndicales, patronales et salariales, qui demandent la négociation.
    Eu égard aux effets prévisibles de l'article 5, nous attendions au moins que la négociation avec les partenaires sociaux, sur ces questions, nous amène des solutions nouvelles. Ce n'a malheureusement pas été le cas.
    Enfin, monsieur le ministre, tout au long des débats, vous avez indiqué que la mesure d'allongement de la durée de cotisation ne concernait pas tous les régimes. Pourquoi la SNCF ferait-elle grève si elle n'était pas concernée par la réforme ?
    Dans l'étude d'impact, au troisième alinéa de la page relative à l'allongement de la durée de cotisation, je vais lire ce que vous avez écrit : « Cette mesure est applicable aux assurés relevant du régime général de l'assurance vieillesse, du régime des salariés agricoles et des régimes alignés. » Les régimes alignés, me semble-t-il, ce sont ceux des fonctionnaires civils de l'Etat, des collectivités territoriales, des ouvriers des établissements industriels de l'Etat et des militaires. Soyez honnêtes, admettez que cette mesure d'allongement concerne bien l'ensemble de la population active, y compris les salariés relevant des régimes spéciaux, contrairement à ce que vous prétendez depuis des semaines.
    Sur ce point particulier, nous attendons des explications susceptibles d'éclairer la représentation nationale, mais aussi toutes celles et ceux qui, dans les régimes spéciaux, sont inquiets quant à leur avenir et souhaitent connaître le sort qui leur sera réservé dans les mois à venir.
    M. le président. Nous en arrivons aux amendements du groupe des député-e-s communistes et républicains.
    La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour soutenir l'amendement n° 3542.
    Mme Marie-George Buffet. Je m'associe tout d'abord aux propos de Maxime Gremetz : le groupe des député-e-s communistes et républicains est autonome et ses membres s'inscriront chaque fois qu'ils en éprouveront le besoin, pour participer à ce débat particulièrement important.
    Nos amendements sont justifiés par les termes retenus pour la rédaction du paragraphe I de l'article 5, qui méritent, à notre sens, un intérêt particulier et un débat quant à son contenu. Il tend en effet à associer, d'une part, durée d'assurance et de cotisation au régime de retraite par répartition, et, d'autre part, durée de versement des prestations. L'ouverture des droits à la retraite est présentée, en quelque sorte, comme l'utilisation d'une épargne accumulée au fil des années de cotisation, épargne dont on ferait progressivement consommation et qui s'épuiserait petit à petit, un peu comme une rente viagère, mais pas vraiment une rente de situation.
    Cette conception étroite de la retraite par répartition me force à rappeler une anecdote. Dans les années 70, Francis Bouygues, patron bien connu du groupe de bâtiments et travaux publics, qui a d'ailleurs fait fortune avec beaucoup de commandes publiques, avait mis en place un système conduisant les salariés de son groupe à bénéficier d'un départ anticipé à la retraite dès l'âge de soixante ans. Quand on interrogeait l'intéressé sur les motivations de ce qu'il présentait comme une avancée sociale, la réponse était simple, et elle ne manquait pas de cynisme : « Si j'accorde la retraite à soixante ans à ces salariés, c'est d'abord et avant tout parce que je sais que leur espérance de vie est limitée ». L'âge moyen de décès des anciens maçons, terrassiers ou ouvriers du groupe était en effet de soixante-deux ans à l'époque.
    C'est un peu selon la même logique que le paragraphe I de l'article 5 analyse le devenir de notre régime de retraite. Il faudrait travailler et cotiser plus longtemps parce que la période d'indmnisation aurait le mauvais goût de s'accroître sous l'effet des progrès de la santé publique et des avancées permises par la mise en oeuvre des dipositifs sociaux dans leur ensemble. Drôle de France, en effet, que cette France d'en bas qui, non contente de profiter de la baisse du temps de travail, aurait aussi le mauvais esprit de tirer pleinement parti des progrès de la médecine, progrès permis par le financement solidaire de la sécurité sociale, pour vivre plus longtemps, et plus longtemps en bonne santé ! Si j'ai bien lu l'article du Monde, nous devrons d'ailleurs également défendre la sécurité sociale, mais nous aurons un peu plus de temps pour le faire que nous n'en avons eu pour les retraites. Cette France aurait eu, en plus, l'outrecuidance de ne pas vouloir cotiser plus longtemps, de ne pas vouloir se tuer à la tache, comme si le travail ne devait pas constituer sa seule et unique raison de vivre ! J'invite donc clairement l'Assemblée à supprimer le paragraphe I de l'article 5, qui traduit une conception très inquiétante et ultralibérale de la place du travail dans la vie, du droit au repos.
    M. le président. Les amendements n°s 3543, 3544 et 3545 ne sont pas défendus.
    La parole est à Mme Muguette Jacquaint, pour soutenir l'amendement n° 3546.
    Mme Muguette Jacquaint. Monsieur le président, vous m'avez dit à deux reprises, lorsque je suis intervenue sur l'article 5, que je n'étais pas mentionnée sur la feuille jaune. Mais je lis justement sur celle-ci, dans un petit encadré : « Les indications portées sur le présent document peuvent être modifiées en cours de séance. Elles ne peuvent servir de base à une quelconque réclamation ». Je tenais à le dire : chacun peut donc s'inscrire, y compris en séance.
    L'un des objectifs du projet de loi, comme on le sait, est de faciliter la poursuite de l'activité professionnelle de ceux que l'on appelle les seniors. C'est là une démarche qui pourrait être louable si elle ne dissimulait à la vérité les véritables attendus de la réforme, notamment ses effets sur la réalité des pensions qui seront désormais versées, et qui vont souffrir progressivement des conséquences des modalités de détermination de la quotité de ces pensions.
    Dans le prolongement de la réforme Balladur de 1993, monsieur le ministre, vous souhaitez faire contribuer les salariés et les non-salariés qui ne vivent que de leur travail au financement de retraites toujours plus modestes, n'offrant donc pas de taux de remplacement satisfaisant. On comprend dès lors pourquoi, sous le fallacieux prétexte de vouloir favoriser le travail des seniors, le présent projet de loi comporte des incitations au cumul emploi-retraite.
    C'est bien parce que les pensions versées seront de plus en plus modiques que l'on invitera les personnes concernées à prolonger, au-delà de la raison parfois, leur activité professionnelle. Quelques mauvaises langues diront peut-être que les seniors ont parfois encore beaucoup de capacité de travail. Je pense aux sénateurs siégeant au Palais du Luxembourg. N'ont-ils pas une moyenne d'âge supérieure à soixante-cinq ans ? (Sourires.)
    S'il faut inciter effectivement les seniors à travailler au-delà de l'âge de soixante ans, alors il ne faut reculer devant aucune incitation. C'est pourquoi nous défendons cet amendement qui nous donne l'occasion de souligner la nécessité d'une incitation qui pourrait, passé le soixantième anniversaire des assurés, consister en une majoration de la valeur des points acquis. Ainsi pourrait-on faire en sorte que chaque année civile d'activité professionnelle au-delà du soixantième anniversaire bénéficie d'une bonification d'un trimestre de cotisation gratuit, permettant par exemple aux assurés n'ayant pas le nombre d'annuités requis de l'atteindre plus rapidement.
    Ce sont là quelques points sur lesquels il me paraissait utile d'insister. Nous faisons des propositions importantes pour permettre aux personnes qui vont travailler jusqu'à soixante ans d'avoir de bonnes retraites.
    M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz, pour défendre l'amendement n° 3547.
    M. Maxime Gremetz. Je voudrais d'abord vous informer qu'on m'a interrogé sur les propos du Premier ministre : « Je fais le choix de l'apaisement social. » Et je n'ai trouvé qu'une chose à répondre : M. Raffarin joue au pyromane et, ensuite, au pompier. Je veux dire par là qu'il provoque les Français avec une réforme dont il sait pertinemment qu'elle va mettre le pays en transe - c'est ce qui se passe et ne croyez pas que la période des vacances va tout effacer ! - et après il joue l'apaisement. Mais quand on veut l'apaisement, on ne commence pas par provoquer les gens. On respecte la démocratie sociale, les acteurs sociaux et on donne un autre contenu à la nécessaire réforme des retraites.
    Le paragraphe III de l'article 5 porte sur la question essentielle de l'allongement de la durée de cotisation nécessaire pour bénéficier d'une retraite à taux plein. Les termes de ce paragraphe sont clairs : il s'agit de porter progressivement à quarante et un le nombre d'annuités requis pour pouvoir liquider une retraite à taux plein. La mesure interviendra en 2012, ce qui signifie qu'elle touchera singulièrement les aspirants retraités nés à partir de 1952. Dans l'absolu, si l'on retenait le principe défini par cet article pour le calcul des annuités - un trimestre de cotisation supplémentaire par année civile - on aboutirait en 2020 à une durée d'assurance de quarante-trois annuités et demie et on pourrait fort bien se retrouver en 2040 avec une durée de cotisation de près de cinquante annuités. (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Oh, là, là ! Ça, ce n'est pas sur votre fiche !
    M. Maxime Gremetz. A mon avis, le rapporteur est fatigué. (« Non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. C'est un jugement de valeur, monsieur Gremetz ! Le rapporteur n'aurait pas dû vous interrompre, c'est vrai, mais je ne pense pas qu'il soit fatigué.
    M. Maxime Gremetz. Il est fatigué, parce qu'il ne se laisse jamais aller ainsi. Je le connais bien. Je crois qu'il a besoin d'une suspension de séance. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Non ! Continuez à défendre l'amendement n° 3547 !
    M. Maxime Gremetz. Le rapport créé entre l'allongement de la durée d'assurance et l'exercice du droit à pension est évidemment étroitement lié à la question de l'espérance de vie, dont les études ont démontré qu'elle progressait dans des proportions identiques à celle que l'on nous demande de valider par la durée de cotisation. La question est encore posée : s'agit-il aujourd'hui de faire en sorte que ce qui constitue l'une des caractéristiques du progrès social, c'est-à-dire l'allongement de la durée de la vie, devienne un facteur de recul social, de manière contradictoire en ce sens qu'il remettrait en question la mise en oeuvre de la solidarité intergénérationelle ? C'est pourtant bien ce que le texte du Gouvernement préconise, dans le droit-fil de l'idéologie individualiste qui sous-tend l'ensemble du projet de loi. Allonger aujourd'hui la durée de cotisation nécessaire pour faire valoir ses droits à pension est le plus sûr moyen de maintenir, voire de développer l'inégalité même d'exercice de ce droit.
    Nous l'avons souligné lors de la discussion d'amendements précédents, et cela vaut encore pour celui-ci, la notion d'espérance de vie, donc le versement d'une pension sur une durée plus ou moins longue, est particulièrement contrastée selon les secteurs d'activité et les expériences professionnelles. Il est clair, par exemple, que les députés de la majorité devraient se voir imposer une durée de cotisation bien supérieure à la nôtre.
    M. Pierre-Louis Fagniez. Ah bon ? Pourquoi ?
    M. Maxime Gremetz. Parce que nous sommes beaucoup plus fatigués que vous : nous ne sommes que 22 et vous êtes 400. Vous avez donc beaucoup moins de travail, évidemment ! (Sourires.)
    M. Jean-Pierre Brard. Et surtout, nous devons les supporter !
    M. Maxime Gremetz. La pénibilité du travail est bien plus grande pour nous que pour vous, d'autant plus que vous ne dites jamais rien ! C'est un exemple parmi d'autres. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Allonger la durée de cotisation est le plus sûr moyen de priver les ouvriers du bâtiment et des travaux publics, les travailleurs postés, les ouvriers ou exploitants agricoles de tout droit véritable au bénéfice de la retraite, dans la mesure où leur espérance de vie est plus faible que celle des autres catégories professionnelles. Allonger la durée de cotisation, c'est organiser une solidarité intergénérationnelle et interprofessionnelle à l'envers, en faisant en sorte que les cotisations acquittées par ces catégories de salariés ne soient utilisées in fine que pour prendre en charge les pensions versées au personnel d'encadrement retraité.
    Nous sommes effectivement en présence d'un choix de société fondé sur une acceptation plus ou moins tacite des inégalités devant la retraite, comme il en existe devant la santé ou dans le travail, et même devant la mort. Vous comprendrez donc aisément que nous préconisions la suppression pure et simple du paragraphe III de l'article 5 et que, compte tenu, de l'importance de cet amendement, nous demandions un scrutin public. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Denis Jacquat. Cela faisait bien longtemps !
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour défendre l'amendement n° 3548.
    M. Jean-Pierre Brard. Je vous informe, monsieur Fillon, que nous avons retrouvé Valentin Petrovich Kataïev,...
    M. Denis Jacquat. Ah !
    M. Jean-Pierre Brard. ... mort à Moscou en 1986. Il était né en 1897 à Odessa, non loin du grand escalier rendu célèbre par Eisenstein.
    M. le président. Vous l'avez trouvé sur Internet, monsieur Brard ?
    M. Jean-Pierre Brard. Oui, sur Yahoo encyclopédie. M. Fillon avait cru nous prendre en défaut. Il est vrai que les talents - avec ou sans guillemets - du réalisme socialiste n'ont jamais été notre tasse de thé. Ce n'est pas comme vous ! Mais savez-vous pourquoi cela prend de la valeur aujourd'hui, même si ce n'étaient pas des valeurs sûres ? C'est précisément parce que cela a vécu.
    M. Charles Cova. Vous feriez mieux de parler de votre amendement !
    M. Jean-Pierre Brard. L'article 5 est extrêmement important. Tout le monde en convient, mais vous, vous cachez pourquoi.
    Vous allongez non pas la durée effective du travail, mais le nombre d'annuités nécessaire pour avoir droit à la retraite à taux plein. Et cela n'a échappé ni à l'opinion publique ni aux médias. Les uns et les autres le font d'ailleurs remarquer avec beaucoup de bon sens : vous voulez faire travailler les gens plus longtemps, mais avec le MEDEF, que vous représentez, veut les renvoyer chez eux bien avant soixante ans, âge légal pour faire valoir ses droits à la retraite. Actuellement, l'âge réel de cessation d'activité est de cinquante-sept ans. Et c'est là qu'est le subterfuge : en apparence, vous dites qu'il va falloir cotiser plus longtemps, mais en réalité, vous savez que cela ne sera pas le cas. Vous allez ainsi passer les retraites à l'amincisseur et vos amis, MM. Bébéar, Kessler, et consorts, ces saint-bernard des futurs retraités, attendent que vous soyez arrivés au terme de votre tâche pour présenter leurs services avec l'humilité et la componction qui conviennent et dire aux Françaises et aux Français : « Vous voyez bien qu'en faisant simplement valoir les droits à la retraite qui vous sont reconnus, vous ne pourrez pas vivre dignement. Il faut donc cotiser pour avoir des retraites complémentaires ! » Quant à Jean-Pierre Thomas, il vous dessert pour la circonstance, parce qu'il n'est plus tenu à l'obligation de réserve - remarquez, même ici, il ne l'a jamais observée, il a toujours eu des gros sabots ! - et il fait valoir ses fonds de pension. Voilà la réalité, même si vous avez trouvé d'autres mots que l'expression « fonds de pension » qui est immédiatement repérée par l'opinion publique. Pour la sémantique, vous êtes décidément imbattable, monsieur le ministre !
    Vous dites qu'il faut faire des efforts et que tout le monde est appelé à en faire. Mais prenons l'exemple des patrons des sociétés du CAC 40. C'est là que vos valeurs sont cotées ; les nôtres sont plutôt d'ordre moral ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Bernard Deflesselles. Nous l'avons vu au siècle dernier !
    M. le président. Ne réagissez pas, chers collègues, c'est fait pour ça !
    M. Jean-Pierre Brard. Nous n'avons pas les mêmes valeurs ! Vous, vous frémissez dès que la Bourse baisse, nous, cela nous laisse plutôt indifférents. Cela dit, il en est même qui trouvent leur intérêt à ce que la Bourse baisse. Plus elle baisse, plus ils se remplissent les poches ! Voulez-vous des exemples ?
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Non !
    M. Jean-Pierre Brard. Eh bien, je vais vous en donner. Des sous, il y en a ailleurs que dans la poche des salariés - je veux parler des salariés normaux !
    M. le président. Monsieur Brard, venez-en à votre conclusion ! Vous avez épuisé votre temps de parole !
    M. Jean-Pierre Brard. On m'interrompt tout le temps, monsieur le président ! Il faut décompter les interruptions.
    M. le président. Vous avez dépassé votre temps de parole !
    M. Jean-Pierre Brard. L'indice boursier chute de 33 % et les patrons du CAC 40 voient leur revenu augmenter de 13 %.
    Mme Muguette Jacquaint. Mme Bettencourt !
    M. Jean-Pierre Brard. Mme Bettencourt, elle a à la fois les revenus et la retraite !
    Pour ne pas indisposer M. le président, je me contenterai de parler de Jean-Marie Messier qui a touché, en 2002, une rémunération globale de 5,7 millions d'euros pour - tenez-vous bien ! - six mois de présence.
    M. Jean-Luc Warsmann. Mais qui était au pouvoir à l'époque ?
    M. Jean-Pierre Brard. Vous faites vos choix, ce ne sont pas les nôtres ! Vous, vous taxez les pauvres gens pendant que vous laissez s'engraisser davantage encore ceux qui font déjà du gras !
    M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n° 2035, 2080, 2084, 2104, 2150 et 2118 du groupe socialiste, ainsi que sur les amendements n° 3542, 3546, 3547 et 3548 du groupe communiste ?
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Comme cela a été dit, l'article 5 est important, puisqu'il concerne l'allongement de la durée de cotisation. Il y a plusieurs raisons à cela. La première est l'allongement de la durée de la retraite, qui est le reflet de l'allongement de l'espérance de vie, grand progrès social et médical, et qui constitue un motif de réjouissance partagé. La seconde raison est le choc démographique auquel nous serons confrontés dès 2006,...
    M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas vrai !
    M. Bernard Accoyer. rapporteur. ... qui ne peut être nié par personne...
    M. Jean-Pierre Brard. Mais si !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. ... et qui a amené tous les pays de l'Union européenne à procéder à un ajustement de la durée de cotisation.
    Il s'ajoute en France une situation un peu particulière, à savoir qu'en 1993, seuls les treize millions de salariés du régime général ont été concernés par l'allongement de la durée légale de cotisations, qui est aujourd'hui de quarante années pour avoir droit à une retraite à taux plein. Il est donc nécessaire, pour une raison d'équité, et c'est ce que prévoit cet article, d'aligner progressivement, d'ici à 2008, la durée de cotisation des salariés du secteur public.
    L'article prévoit ensuite une évolution identique pour le régime général et pour les régimes publics, avec pour premier objectif d'atteindre très progressivement quarante et un ans de cotisation en 2012. Après avis de la Commission de garantie des retraites et du Conseil d'orientation des retraites, un second objectif pourra être fixé, celui de quarante-deux ans de cotisations en 2020.
    La commission a tenu compte de ces éléments - et de nombreux autres éléments sur lesquels je reviendrai très succinctement - pour ne pas accepter ces amendements. En effet, il est établi que l'espérance de vie à soixante ans a augmenté de cinq ans pour les hommes, et sept ans pour les femmes, entre 1950 et 2000. Par ailleurs, en France, l'âge du départ à la retraite a été ramené à soixante ans en 1983, ce qui entraîne, au total, une augmentation de la durée de retraite : de dix ans pour les hommes et douze ans pour les femmes.
    M. Jean-Pierre Brard. C'est une arithmétique bizarre !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Il y aura encore, dans les quarante ans qui viennent, un gain de cinq ans et demi d'espérance de vie, ce qui constitue une année sans précédent pour l'humanité.
    Les divers travaux sur le sujet, qu'il s'agisse du Livre blanc, commandé par le gouvernement de Michel Rocard et d'ailleurs préfacé par lui-même en 1991, du rapport Charpin demandé par Lionel Jospin, des conclusions du Conseil d'orientation des retraites mis en place par Lionel Jospin lui-même, préconisant tous l'allongement de la durée des cotisations. Au-delà de la France, le sommet européen de Barcelone, tenant compte et tirant les conclusions du choc démographique, a fixé comme orientation une augmentation de cinq années de l'âge moyen effectif de cessation d'activité dans la Communauté européenne. Le Premier ministre de l'époque, un certain Lionel Jospin, avait lui-même souscrit à ces conclusions, sous les commentaires acerbes d'un journal qui s'appelle l'Humanité - il convient de le rappeler.
    Considérant que cet article fondamental du projet de loi est tout à fait conforme aux évolutions démographiques, aux travaux qui ont été menés de façon tout à fait consensuelle au niveau national, aux conclusions de toutes les personnalités politiques de tout bord et de tous les partenaires sociaux, comme aux analyses et aux conclusions communes au niveau européen, la commission a rejeté ces amendements de suppression. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Après la brillante et remarquable démonstration du rapporteur, je n'ajouterai que quelques remarques.
    Monsieur Brard, moi aussi, j'ai un fils de treize ans et je pense à lui quand je cherche à sauver un régime de retraite par répartition, qui est aujourd'hui gravement menacé par les équilibres démographiques. Je suis convaincu que, pour y parvenir, nous n'avons pas le choix. Nous devons user de tous les leviers qui sont à notre disposition. En particulier, nous devons allonger la durée de cotisation et la durée d'activité.
    C'est une mesure de justice parce que l'allongement de la durée de vie commande un ajustement dans la répartition des efforts entre les actifs et les retraités. On ne peut pas laisser s'ajouter en permanence des charges sur des actifs moins nombreux, qui finiront par les refuser. Pour sauver le pacte entre les générations, cette mesure est nécessaire.
    Cette mesure n'interviendra qu'à partir du 1er janvier 2009. Elle sera extrêmement progressive puisqu'il s'agit d'allonger d'un trimestre par an la durée de cotisation. Elle ne sera pas automatique puisque nous avons prévu, tous les cinq ans, un rendez-vous pour s'assurer que le taux d'activité a progressé. On n'imagine pas, en effet, d'allonger la durée de cotisation sans une réelle reprise du taux d'activité. De même, l'allongement prévu de la durée de vie doit être constaté pour que cette mesure soit mise en oeuvre.
    Cette mesure a beaucoup moins d'ampleur que dans les autres pays européens qui ont tous, sans exception, adopté une durée de cotisation de l'ordre de quarante-cinq annuités. Elle repose sur le partage entre l'espérance de vie et le travail et non pas, comme je l'ai entendu dire pendant plus de deux heures, sur l'attribution de tous les gains d'espérance de vie au travail. Non, c'est un partage de l'espérance de vie entre le travail et le temps de retraite.
    Ce principe a été au coeur de toutes les analyses qu'a citées à l'instant Bernard Accoyer. Le Conseil d'orientation des retraites a affirmé très clairement qu'il fallait agir sur tous les paramètres, en particulier sur la durée de cotisation.
    Ce principe figure parmi les solutions à retenir, selon le conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance vieillesse, dans un avis qu'elle a rendu sur la réforme - avis pris à l'unanimité, alors même que toutes les organisations syndicales sont membres de ce conseil.
    M. Maxime Gremetz. Oh !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Ce principe est retenu par de nombreuses personnalités à gauche.
    M. Maxime Gremetz. Comment pouvez-vous dire cela ? C'est un mensonge !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je ne vais pas vous imposer à nouveau la lecture des déclarations de Michel Rocard. Je vais citer quelqu'un que je n'ai pas encore cité dans ce débat, et qui n'est autre que le premier secrétaire du parti socialiste.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Eh oui !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Celui-ci, dans un entretien sur RTL, le 22 mars 2000, déclarait : « Ou bien alors, la formule qui nous paraît mieux maintenir le niveau des salaires d'aujourd'hui et des retraites de demain, c'est effectivement un allongement progressif de la durée de cotisation. » (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Excellent !
    M. Charles Cova. Ils ont la mémoire courte !
    M. Richard Cazenave. Ils sont surtout de mauvaise foi !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Mesdames et messieurs les députés, sans allongement de la durée de cotisation, il ne reste que : la baisse des pensions et l'ouverture de la route aux fonds de pension, que vous évoquez sans cesse depuis le début de ce débat, ou l'augmentation massive des prélèvements obligatoire, qui aboutirait à transférer sur les actifs toute la charge que représente l'allongement de la durée de la vie et le vieillissement de la population, avec toutes ses conséquences qui en résulteront pour l'économie et l'emploi.
    En réalité, face au double défi du vieillissement et de la mondialisation, nous n'avons pas d'autre choix que de nous retrousser les manches et de travailler un peu plus pour maintenir notre système de protection sociale. Il est tout à fait malhonnête que de vouloir faire croire aux Français que, dans l'Europe que nous avons construite et à laquelle beaucoup d'entre vous, ici, ont adhéré, nous allons pouvoir, avec la même monnaie, avec des frontières ouvertes, avec des règles communes en matière économique, travailler moins sur la durée hebdomadaire et sur la durée de la vie active. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Cette mesure est nécessaire au sauvetage de nos régimes de retraites. Elle n'est pas suffisante, on l'a vu. Elle doit s'accompagner d'efforts sur le taux d'activité, d'une augmentation des cotisations payées par les entreprises pour deux tiers, et par les salariés pour un tiers.
    Cette augmentation des durées et des taux de cotisation devra pouvoir être compensée par la baisse du chomâge, liée en partie à la démographie qui nous oblige aujourd'hui à réformer les régimes de retraites.
    C'est une mesure courageuse, que je demande à l'Assemblée nationale d'adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Sur les amendements qui viennent d'être soutenus, je suis saisi par le groupe des député-e-s communistes et républicains, d'une demande de scrutin public.
    Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
    M. Brard souhaite intervenir pour répondre à la commission, M. Terrasse pour répondre au Gouvernement et M. Gremetz s'exprimera contre l'amendement.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. M. Gremetz ne peut pas s'exprimer contre cet amendement... qui est un amendement de suppression.
    M. le président. C'est juste. Mais pour l'instant, la parole est à M. Jean-Pierre Brard.
    M. Jean-Pierre Brard. J'ai parfois le sentiment que le docteur Accoyer se prend pour Méphisto. (Sourires.). Il se livre, en effet, à un exercice dont on sait bien qu'il ne répond pas aux principes de réalité. Il ne dit pas la réalité et il mériterait, lui aussi, de se confesser.
    Monsieur Accoyer, vous parlez toujours de la démographie. Mais avant de mourir, on naît. Or aujourd'hui la natalité dans notre pays fait qu'en descendance finale, si on s'exprime comme les jargonneux de la démographie, nous atteignons un taux de 2,18. Il est clair que les enfants nés depuis 1997 cotiseront, pour nombre d'entre eux, d'ici à 2040. Vous ne voyez que l'allongement de la vie, c'est-à-dire l'allongement de la durée de la retraite. Vous ne voyez pas les nouveaux cotisants qui vont arriver. Ou plutôt, vous ne voulez pas les voir !
    Vous ne répondez pas à la question des fonds de pensions. Le ministre, lui, ne redoute pas la difficulté. Il en parle. Mais il ne dit pas tout non plus, certainement parce qu'il veut faire bref.
    En 2009, on cotisera quarante annuités. On peut considérer qu'aujourd'hui, en moyenne, on ne rentre pas dans la vie active avant vingt-deux ans, ce qui fera un départ à la retraite aux environs de soixante-deux ans. Comment voulez-vous, dans les six années à venir, allonger de cinq ans la durée effective du temps de travail ? Vous savez bien que ce n'est pas possible. Vous allez barguigner et me répondre que c'est de quatre ans qu'il faudrait allonger la durée d'activité. Mais là non plus, ce n'est pas possible, ne serait-ce que parce que votre politique génère l'augmentation du taux de chômage.
    Vous avez dit que si on ne vous suivait pas, on s'orienterait inéluctablement vers des fonds de pensions. Mais c'est déjà le cas, puisque vous réduisez le taux de remplacement du revenu d'activité de telle manière que nos compatriotes, par crainte, se précipiteront dans les bras de MM. Kessler et Bebear, des bras qu'ils ont déjà tout grands ouverts pour mieux essorer les poches de nos compatriotes !
    Evidemment, on ne peut pas vous suivre, monsieur le ministre. Vous avez un grand talent pour la prestidigitation. Mais vous n'abuserez pas nos compatriotes !
    M. le président. La parole est à M. Pascal Terrasse, pour répondre au Gouvernement.
    M. Maxime Gremetz. Un accord a été passé avec le groupe socialiste, mais il ne va pas prendre notre temps ! Ce sont nos amendements ! Je n'ai rien à voir avec cet accord !
    M. le président. Monsieur Gremetz, ne vous en prenez pas à Pascal Terrasse qui, pour le moment, a seul la parole.
    M. Bernard Deflesselles. Ne vous disputez pas !
    M. Pascal Terrasse. Je voudrais répondre au Gouvernement sur la base des 8 amendements de suppression que nous venons de défendre. Lorsqu'il était Premier ministre, Lionel Jospin avait indiqué très précisément qu'il s'opposerait à l'allongement de la durée de cotisation au-delà de quarante ans.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Mais non !
    M. Pascal Terrasse. Je le cite dans son fameux discours, page 15...
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Quelle date ?
    M. Pascal Terrasse. « Dans ces conditions, il ne me paraît pas nécessaire d'envisager pour les assurés du régime général un allongement supplémentaire de la durée de cotisation. » Il fallait le dire pour rétablir la vérité dans cet hémicycle.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. C'est faux !
    M. Pascal Terrasse. On ne peut pas raconter tout et son contraire.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Très bien !
    M. Bernard Deflesselles. Certes.
    M. le président. Laissez M. Terrasse répondre au Gouvernement !
    M. Pascal Terrasse. M. le ministre nous parle de courage mais où est le courage à ne s'appuyer que sur un des paramètres possibles ? Contrairement à ce qui peut être affirmé dans cet hémicycle, il existait d'autres possibilités. D'ailleurs, le COR, aux travaux duquel j'ai participé, ne dit pas qu'il est favorable à l'allongement de la durée de cotisation. Le COR a fait des diagnostics et des projections mais, à aucun moment, il n'a fait de proposition. Tel n'était d'ailleurs pas son objectif.
    Dans ces conditions, le COR a envisagé la possibilité d'allonger la durée de cotisation, mais il a également précisé que l'on pouvait s'appuyer sur d'autres paramètres. En l'occurrence, nous souhaitons nous appuyer sur une meilleure répartition de la richesse produite. Mais ce n'est pas ce que vous avez choisi.
    On a parlé aussi de la révolution de la longévité. Il faut prendre les éléments démographiques avec beaucoup de prudence, et considérer à la fois les soldes migratoires naturels et le taux de natalité de notre pays. Qui aurait pu affirmer voilà seulement quatre ou cinq ans que la France serait le tout premier pays européen en matière de natalité ?
    M. Jean-Pierre Brard. M. Terrasse y contribue !
    M. Pascal Terrasse. En effet ! Si M. le ministre a une fille de quatorze ans, j'en ai une de trois mois et une plus grande.
    M. Jean-Pierre Brard. On va faire une étude comparée des performances !
    M. Pascal Terrasse. Nous aurions pu imputer cette natalité au fameux millénaire - près de 750 000 naissances en 2000. Mais depuis maintenant trois ou quatre ans, le taux de natalité progresse dans notre pays avec 150 000 à 200 000 naissances par an. Il faut en tenir compte.
    Il y a quelques mois, Alain Juppé a porté le débat sur l'immigration au niveau national. C'est un autre élément de notre démographie qu'il me paraît tout à fait essentiel de prendre en compte.
    Barcelone, on a parlé du taux d'employabilité, et pas de l'allongement de la durée de cotisation. En effet, et cela a été réaffirmé il y a encore quelques semaines, on a dit qu'il fallait trouver des solutions pour les personnes de plus de cinquante ans qui se retrouvent malheureusement aujourd'hui en inactivité. Le Gouvernement s'obstine à ignorer que dans notre pays, un retraité sur deux, lorsqu'il part à la retraite, n'est plus en activité. Nous souhaitons que l'on puisse travailler jusqu'à soixante ans. Pourquoi s'engager aujourd'hui dans un allongement de la durée de cotisation, alors même que de nombreux salariés n'ont pas d'emploi ?
    Nous vivons un moment essentiel, monsieur le président, car nous allons voter la fin de la retraite à soixante ans ! Adieu, la retraite à soixante ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Monsieur Gremetz, vous ne pouvez vous inscrire ni contre l'amendement ni pour une explication de vote. Mais comme l'Assemblée va se prononcer sur 163 amendements, je vais vous donner la parole pour deux minutes... (« Pas plus ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Maxime Gremetz. Alors je demande la parole pour un rappel au règlement, monsieur le président ! Vous ne réduirez pas mon temps de parole ! (Exclamations sur les mêmes bancs.)
    M. le président. Comme je ne veux pas que vous vous mettiez en colère, monsieur Gremetz, je vous accorde les cinq minutes auxquelles vous n'avez pas droit...
    M. Maxime Gremetz. Mais j'y ai droit !
    M. le président. Non, monsieur Gremetz. Un orateur s'est déjà exprimé pour répondre à la commission et un autre pour répondre au Gouvernement. Or, je ne peux pas vous donner la parole contre l'amendement, puisque vous en êtes l'un des signataires. Vous avez la parole pour un rappel au règlement très rapide.

Rappel au règlement

    M. Maxime Gremetz. Je vous signale, monsieur le président, que le Gouvernement et la commission n'ont pas donné leur avis sur les amendements socialistes...
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Mais si !
    M. Richard Cazenave. Ils ont répondu pour l'ensemble des amendements !
    M. Jean-Luc Warsmann. Ce sont les mêmes amendements !
    M. Maxime Gremetz. ... ce qui aurait donné un droit de réponse au groupe socialiste.
    Vous avez appelé les deux séries d'amendements en même temps, comme s'ils avaient été déposés par le même groupe. Résultat : on est privé d'une possibilité de répondre. Je ne marche pas.
    M. le président. Monsieur Gremetz, ce sont des amendements identiques de suppression.
    M. Maxime Gremetz. Et alors ?
    M. le président. Exprimez-vous, monsieur Gremetz...
    M. Maxime Gremetz. Je vais être très bref, monsieur le président (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), mais je suis en colère.
    Premièrement, j'aime bien votre rigueur, monsieur le ministre, mais, en l'occurrence, elle est prise en défaut. J'ai été membre du COR pendant deux ans et demi. M. Jacquat peut en témoigner.
    M. Denis Jacquat. Exact : c'était mon voisin !
    M. Maxime Gremetz. Nous avons participé côte à côte à toutes les réunions et à toutes les auditions.
    M. Denis Jacquat. Et il a été viré par M. Terrasse, en plus ! (Sourires.)
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Ce n'est pas bien, ça !
    M. le président. Monsieur Jacquat !
    M. Maxime Gremetz. Ça, c'est un autre problème. Monsieur le ministre, quand vous dites que les conclusions du COR ont été adoptées à l'unanimité, ce n'est pas la réalité. En effet, d'abord, il n'y a pas eu de conclusions, mais une réflexion collective sur des hypothèses. Ensuite - et je parle sous le contrôle de M. Denis Jacquat - il a fallu que je me batte beaucoup au sein du COR parce que, eux non plus, ne voulaient pas admettre qu'il existait d'autres hypothèses que la baisse des pensions ou l'augmentation du nombre d'annuités. Ils n'envisageaient jamais la troisième hypothèse : l'élargissement de l'assiette des cotisations. N'est-ce pas monsieur Jacquat ?
    M. Denis Jacquat. Très juste !
    M. Maxime Gremetz. Donc vous ne pouvez pas dire, monsieur le ministre, que les trois hypothèses ont été présentées. Ne faisons pas dire au COR ce qu'il ne dit pas. En tout cas, je le répète, les travaux ne se sont pas conclus par le vote d'un rapport. Ce rapport a été publié et il est le résultat d'une réflexion. Je dis cela par souci de rigueur, monsieur le ministre.
    D'autre part - et c'est ma deuxième remarque -, je trouve tout à fait formidable l'interview que votre Premier ministre a donnée au Monde, et elle mérite qu'on prenne le temps de la lire. (« Encore ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Oui, encore ! Quand quelqu'un donne une interview, a fortiori quand c'est le Premier ministre de la France, nous avons bien le droit de l'étudier.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Citez le Premier ministre précédent !
    M. Maxime Gremetz. Non, je préfère parler de l'actuel. (« Il est excellent ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Cette interview nous donne une indication précise, me semble-t-il, à travers une phrase anodine, que je vous livre, entre autres choses fort intéressantes : « Nous allons introduire une déduction fiscale pour permettre à tous les Français d'épargner pour leur retraite. » (« Très bien ! » sur les mêmes bancs.) Ça ne peut signifier qu'une chose : « Notre réforme des retraites va prolonger la durée de cotisation, mais votre pension va baisser. (« Mais non ! » sur les mêmes bancs.) On va donc vous aménager une petite réforme fiscale qui vous permettra d'épargner pour votre retraite, qui, autrement, serait totalement insuffisante. » Traduit en langage clair, ça veut dire : fonds de pension à la française. (« Fantasme ! » sur les mêmes bancs.)
    M. le président. Veuillez conclure, monsieur Gremetz.
    M. Maxime Gremetz. Je termine mon rappel au règlement.
    Je viens d'être informé à l'instant que notre président de groupe nous demande de nous rendre au septième bureau - vous n'êtes pas invités évidemment... (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Après les déclarations de M. Barrot, qui ont prouvé la volonté de nous bâillonner (Protestations sur les mêmes bancs), notre groupe doit se réunir. Nous avons besoin d'une demi-heure pour décider de l'attitude que nous allons adopter.
    M. le président. Monsieur Gremetz, nous allons d'abord nous prononcer sur les amendements de suppression. Nous verrons ensuite en fonction de l'heure s'il est possible de satisfaire ou non à votre demande, éventuellement en levant la séance.
    Chers collègues, je vous prie de bien vouloir regagner vos places.
    M. Pascal Terrasse. C'est un moment historique ! C'est la fin de la retraite à soixante ans !

Reprise de la discussion


    M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements qui ont été défendus n°s 2031, 2035, 2080, 2084, 2104, 2118, 2150, 3542, 3546, 3547, 3548.
    Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été couplés à cet effet.
    Le scrutin est ouvert.
    M. le président. Le scrutin est clos.
    Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants   146
Nombre de suffrages exprimés   143
Majorité absolue   74
Pour l'adoption   34
Contre   112

    L'Assemblée nationale n'a pas adopté.
    (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Pascal Terrasse. La retraite à soixante ans, c'est fini !
    M. le président. Mes chers collègues, la suspension demandée par le groupe des député-e-s communistes et républicains est de droit. Comme il est dix-neuf heures trente, je vous propose de lever la séance.
    La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

    M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :
    Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, n° 885, portant réforme des retraites :
    M. Bernard Accoyer, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport n° 898) ;
    M. François Calvet, rapporteur pour avis au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées (avis n° 895) ;
    M. Xavier Bertrand, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan (avis n° 899 ;
    Mme Claude Greff, rapporteure au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (rapport d'information n° 892).
    La séance est levée.
    (La séance est levée à dix-neuf heures trente.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT
annexe au procès-verbal
de la 2e séance
du jeudi 19 juin 2003
SCRUTIN (n° 189)


sur les amendements n° 2031 de M. Bonrepaux, n° 2035 de M. Brottes, n° 2080 de M. Gorce, n° 2084 de M. Habib, n° 2104 de M. Le Roux, n° 2118 de M. Masse, n° 2150 de M. Terrasse, n° 3542 de Mme Buffet, n° 3546 de Mme Jacquaint, n° 3547 de M. Gremetz et n° 3548 de M. Brard tendant à supprimer l'article 5 du projet de loi portant réforme des retraites (allongement de la durée d'assurance).

Nombre de votants

146


Nombre de suffrages exprimés

146


Majorité absolue

74


Pour l'adoption

34


Contre

112

    L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN

Groupe U.M.P. (364) :
    Contre : 112 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
    Non-votants : MM. Jean-Louis Debré (président de l'Assemblée nationale) et Eric Raoult (président de séance).
Groupe socialiste (149) :
    Pour : 26 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
Groupe Union pour la démocratie française (30).
Groupe communistes et républicains (22) :
    Pour : 8 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
Non-inscrits (12).