Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus intégraux (session ordinaire 2003-2004)

 

ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU VENDREDI 3 OCTOBRE 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
1er séance du jeudi 2 octobre 2003


SOMMAIRE
présidence de m. éric raoult

1.  Politique de santé publique. - Discussion d'un projet de loi «...».
M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ «...»

Exception d'irrecevabilité de M. Jean-Marc Ayrault : MM. Jean-Marie Le Guen, le ministre, Bertho Audifax, Claude Evin, Jean-Luc Préel. - Rejet.

QUESTION PRÉALABLE «...»

Question préalable de M. Jean-Marc Ayrault : Mme Catherine Génisson, MM. le ministre, Gérard Bapt, Jean-Luc Préel. - Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
2.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,
vice-président

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

POLITIQUE DE SANTÉ PUBLIQUE

Discussion d'un projet de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la politique de santé publique (n°s 877, 1092).
    La parole est à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
    M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, mesdames, messieurs les députés, lors de la refondation de ses institutions, en 1946, la République a accueilli un certain nombre de droits économiques et sociaux nouveaux, relatifs à l'emploi, à la formation, à la culture et à la santé. Au frontispice de sa charte commune, elle a alors inscrit ce principe : « La Nation garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et au vieux travailleur, la protection de la santé. » Il s'agit d'un des principes particulièrement nécessaires à notre temps, auquel a été reconnue valeur constitutionnelle.
    Ce principe du préambule de la Constitution de 1946 consacre, à mes yeux, un droit fondamental de nos concitoyens : le droit à la protection de la santé. Il ne s'agit pas du droit à la santé, formule incantatoire qui pourrait suggérer l'existence d'un droit individuel à vivre en bonne santé autorisant chacun à s'en prévaloir et, le cas échéant, à exiger réparation dans tous les cas où la jouissance de ce droit serait perturbée. Comment consacrer un tel droit quand les prédispositions naturelles et les hasards de l'existence rendent illusoire toute prétention à l'égalité dans ce domaine ?
    A l'inverse, le droit à la protection de la santé, c'est le devoir qu'ont les pouvoirs publics de protéger collectivement les populations contre les risques qui pourraient menacer leur santé. A ce droit, qui s'inscrit dans une longue tradition, celle de la police sanitaire, s'attachent aujourd'hui une signification, une demande et une urgence nouvelles.
    Une signification nouvelle, tout d'abord.
    Longtemps, l'idée de prévention a progressé avec une force proportionnelle à la faiblesse des thérapeutiques disponibles. Tant qu'elles furent dépourvues des moyens de guérir les maladies, les populations, et c'est logique, ont cherché à les prévenir. Cette prévention des anciens temps a produit des résultats remarquables, des lois révolutionnaires sur le nettoiement des bâtiments insalubres ou l'assèchement des marais aux progrès de l'hygiène qui ont permis à la population d'échapper en plus grand nombre et plus longtemps aux principales causes de mortalité - songeons aux mesures d'asepsie lors de l'accouchement.
    Cette politique ancienne de prévention sanitaire était toutefois une politique marquée par des préoccupations d'ordre et de salubrité publics, qui s'était constituée comme une branche du pouvoir de police.
    Mais les progrès scientifiques donnent aujourd'hui un sens tout à fait nouveau à la prévention. La prévention, vous le comprenez, ce n'est plus seulement l'isolement des villes dans lesquelles s'est déclarée une épidémie de peste. C'est le moyen de traiter très en amont les déterminants des maladies, grâce à des politiques de dépistage précoce et à des thérapeutiques performantes. C'est faire progresser l'éducation sanitaire de nos concitoyens afin qu'ils évitent des conduites qui nuisent gravement à leur santé. Enfin, les connaissances que la recherche biomédicale est en train d'accumuler pourraient donner naissance à une médecine prédictive qui, si l'on encadre ses dérives possibles, est une chance formidable pour la santé publique.
    Vous le voyez, la politique de prévention a aujourd'hui un sens nouveau, parce qu'elle n'est plus un palliatif à l'impuissance médicale mais s'appuie sur les perspectives très prometteuses ouvertes par le progrès thérapeutique.
    La politique de santé publique fait ensuite l'objet d'une demande nouvelle de la part de nos concitoyens.
    Longtemps, l'idée même de santé publique est restée incomprise. Elle a pâti, à l'époque contemporaine, des travers du mouvement hygiéniste qui avait permis son essor. L'intervention de l'Etat en matière sanitaire n'échappait jamais au soupçon qui la dénonçait comme moralisatrice, conçue comme un outil de redressement de comportements individuels jugés condamnables. Il est vrai qu'un certain hygiénisme voulait prévenir des affections telles que la syphilis, la tuberculose, les pathologies de l'alcoolisme ou la stérilité consécutive à des avortements clandestins non seulement en raison de leurs effets sur la santé, mais aussi parce qu'elles étaient issues de modes de vie qui, de son point de vue, méritaient réprobation.
    La politique de santé publique a ainsi trop souvent été vécue comme une intrusion de l'Etat dans l'intimité des personnes, voire dans le champ de compétence des professionnels de santé.
    Mais aujourd'hui ces stigmates me semblent oubliés. La légitimité, pour l'Etat, d'intervenir dans les affaires de chacun pour protéger la population n'est plus mise en cause. Chaque fois que leur santé ou celle de leurs proches est menacée, c'est vers l'Etat et ses agents que les Françaises et les Français se tournent pour exiger une protection efficace. Aujourd'hui, le rôle de l'Etat n'est plus contesté, il est réclamé. On ne suspecte plus l'Etat de vouloir, sous couvert de santé publique, redresser les individus, et à travers eux la nation. La politique de santé publique fait bien l'objet d'une demande nouvelle et pressante. Et cela avec raison.
    L'actualité le dit assez, en effet seul l'Etat peut organiser efficacement la lutte contre les épidémies comme le syndrome respiratoire aigu sévère, les méningites, le sida, la grippe ou l'hépatite B. Ces exemples illustrent ce qu'est la politique de santé publique : non pas l'intrusion de l'Etat dans l'intimité de chacun, mais la nécessité de comprendre et de résoudre les problèmes de santé à l'échelle de la population. Car, sans ce regard collectif, le système de santé est myope. Il ne peut pas se préparer à la compréhension des évolutions futures. Il n'est ni aussi juste, ni aussi performant qu'il pourrait l'être.
    En bref, l'approche individuelle des maladies, pour essentielle qu'elle soit, ne suffit pas. Si, en médecine, la personne est le centre de tout, qui pourrait croire qu'un système de santé n'est que la somme des actes pratiqués au niveau individuel ? Ce serait oublier le rôle de l'environnement - pensons à l'eau potable et à la qualité de l'air, dont Hippocrate avait bien pressenti le rôle. Ce serait oublier le rôle des comportements, le rôle des prises de risque plus ou moins volontairement consenties.
    Une urgence nouvelle s'attache enfin à la politique de santé publique car, à cette demande de nos concitoyens, nous répondons de manière insuffisante. Des possibilités nouvelles et anciennes de la prévention, nous ne tirons pas assez parti. Deux constats jettent une lumière malheureusement éloquente sur les conséquences de cette négligence dans laquelle a été tenue la santé publique.
    Premièrement, la mortalité prématurée, définie comme celle qui survient avant l'âge de soixante-cinq ans, reste en France à un niveau anormalement élevé alors que les causes en sont connues et que l'on sait qu'elle est évitable. Les autres pays développés - l'Allemagne, l'Italie, le Japon - bénéficient d'une mortalité aux âges adultes inférieure à la nôtre. Ces résultats sont choquants, d'autant qu'ils contrastent avec la performance de nos professionnels et de nos établissements de santé. Cette distorsion, qui s'est accentuée depuis les années 1970, est le fruit d'une carence de la politique de santé publique : l'Etat peut agir et les Français attendent qu'il le fasse - agir sur l'environnement, les comportements ou les phénomènes de violence, et réduire ainsi la triste spécificité française en termes de morbidité précoce.
    L'action que nous menons avec vigueur contre le tabac, principale cause de cancer et de mortalité évitable, a d'ores et déjà des résultats spectaculaires. Les ventes de cigarettes ont chuté de 8 % depuis le début de l'année. Cette offensive, nous l'avons commencée en augmentant de façon importante la taxe par la loi de financement de la sécurité sociale en 2003. Nous l'avons poursuivie ensemble par la loi visant à restreindre la consommation de tabac chez les jeunes et nous continuons cet effort par ce projet de loi. Je pourrais aussi citer la politique de réduction des risques chez les usagers de drogues, qui a fait chuter la prévalence des infections à VIH chez les toxicomanes. Enfin, chacun comprend aussi qu'il faut agir contre la consommation de drogues, qui constitue un comportement à risque majeur.
    Deuxième constat, l'inégalité des Français devant la maladie et la mort est grande. Selon leur lieu d'habitation - la Vienne ou le Pas-de-Calais - selon leur milieu social, nos concitoyens ne sont pas exposés de la même façon aux maladies cardio-vasculaires ou aux cancers des voies aérodigestives supérieures et n'ont pas la même espérance de vie. L'absence de priorités de santé publique est supportée par les moins favorisés. Autre exemple qui heurte l'équité : j'ai trouvé, en prenant mes fonctions, une situation dans laquelle seul un tiers des départements offrait des programmes de dépistage des cancers du sein chez les femmes.
    M. Jean-Marie Le Guen. Arrêtez cela !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. La généralisation de ce dépistage avait pourtant été annoncée par mes prédécesseurs. Ces inégalités, dont les causes sont multiples, ne peuvent que rappeler à l'Etat dans son rôle de garant de la santé de la population et de la solidarité nationale.
    Il y a donc fort à faire et c'est la raison d'être du projet de loi que je vous présente au nom du Gouvernement.
    Chacun mesure ici le contexte particulier dans lequel il s'inscrit. Chacun de nous, à titre personnel, en raison de ses responsabilités, ou au nom de la fraternité qui unit les citoyens d'une même nation, est profondément marqué par les conséquences sanitaires de la canicule sans précédent qui a frappé notre pays au mois d'août dernier et, tout particulièrement, les personnes âgées des grands centres urbains.
    Le phénomène climatique d'une ampleur et d'une durée inégalées dans l'histoire de la météorologie des pays à climat tempéré auquel nous avons été confrontés a causé un drame humain, tout particulièrement en France, où la canicule a été la plus remarquable, mais aussi en Allemagne, aux Pays-Bas ou dans des pays du Sud de l'Europe. Les villes du Nord de l'Italie ont enregistré une surmortalité comparable à celle que nous avons connue.
    Ce drame humain soulève bien des questions légitimes auxquelles nous sommes tous attachés à répondre.
    Nous commençons à y voir plus clair, grâce au rapport de la commission d'experts indépendants coordonnée par le docteur Lalande, qui m'a été remis début septembre et au travail de la mission d'information constituée par votre commission des affaires culturelles, familiales et sociales, qui a rendu ses conclucions il y a une semaine.
    Je tiens d'abord à vous dire que les dispositions de ce projet de loi doivent contribuer à éviter que de tels drames se reproduisent. Déposé dès le mois de mai sur le bureau de cette assemblée, il avait l'ambition de donner à l'Etat les moyens de tenir son rôle de garant de la protection de la santé et il fait justice d'une compréhension des lacunes les plus graves qui ont handicapé notre système de santé cet été : profond déséquilibre entre le soin et la prévention, responsabilité de l'Etat mal affermie dans ce dernier domaine, dispersion des acteurs et des efforts. J'y reviendrai.
    Je tiens également à vous dire que le travail de réflexion et d'analyse mené ces dernières semaines me conduira à vous proposer d'amender ce texte afin de tirer rapidement un certain nombre de conclusions de la crise de l'été : les moyens dont disposent les pouvoirs publics pour prévenir la réalisation de menaces sanitaires graves, l'organisation du circuit des certificats de décès, l'institution d'une obligation large de signalement des menaces sanitaires, sujets sur lesquels le projet de loi procédait déjà à des avancées, seront renforcées et améliorées. Des dispositions nouvelles vous seront en outre proposées en matière de veille et d'alerte sanitaires ou afin de donner aux préfets des moyens nouveaux pour répondre à l'urgence sanitaire et à l'afflux de victimes dans les hôpitaux.
    Les événéments dramatiques de cet été ont brutalement mis en lumière, en quelques jours, les faiblesses structurelles profondes dont souffre notre système de santé et sur lesquelles je n'ai pas cessé d'appeler l'attention depuis que je suis ministre et, auparavant, sur ces bancs, comme parlementaire. Il y en a trois, majeures.
    La première tient au relatif délaissement de la prévention. La politique de santé publique, d'abord consacrée à la prévention, a basculé presque entièrement, depuis un demi-siècle, vers la médecine curative. Les efforts que nous déployons pour soigner les malades ne trouvent pas leur équivalent lorsqu'il s'agit de chercher à prévenir, éduquer, dépister. Sur 150 milliards de dépenses de santé, seulement 3,6 milliards, soit 2,3 %, sont consacrés à la prévention ! Il s'agit d'un défaut relevé par les ministres successifs mais pourtant jamais corrigé.
    La deuxième vient de ce que la responsabilité de l'Etat dans le domaine de la santé publique est mal définie et insuffisamment organisée.
    C'est en effet à coups de catastrophes écologiques - le naufrage de l'Amoco Cadiz, par exemple -, de « scandales » - la vache folle, le sang contaminé -, de paniques plus ou moins fondées scientifiquement - l'ozone - ou d'accidents hospitaliers, anesthésiques ou obstétriques, que l'Etat s'est trouvé pour ainsi dire acculé à trouver, à la hâte, de nouvelles formes d'intervention. La santé publique, en effet, n'a jamais été consacrée en tant que telle comme une responsabilité de l'Etat et un domaine prioritaire d'action des pouvoirs publics. En l'absence de politique d'ensemble, l'organisation actuelle est ainsi le résultat de réformes successives qui manquaient d'une vision globale et dont la prévention n'était pas l'objet principal.
    La grande loi de 1902 qui, pour la première fois, rend obligatoire une vaccination, la vaccination antivariolique, et impose la déclaration des maladies infectieuses apparaît ainsi comme un coup d'audace qui, depuis un siècle, n'a pas été renouvelé.
    Avec le projet de loi dont vous allez débattre, le Gouvernement se donne les moyens de rompre avec l'empirisme qui caractérise depuis des décennies la politique sanitaire en France. Plutôt que de n'intervenir qu'au coup par coup, pour régler des problèmes immédiats dont la nature ou l'ampleur n'avait pas été prévue, souvent à la suite d'accidents ou d'épidémies, ce projet de loi vise à fonder en France une politique pérenne de santé publique.
    En 1998, notre pays s'est doté d'un premier ensemble complet d'outils destinés à garantir la sécurité sanitaire de notre environnement, de notre alimentation et des produits de santé, tels les médicaments, et à organiser un réseau de veille. La création, à cette époque, des agences sanitaires correspond à une première étape sur la voie d'une meilleure approche du devoir de santé publique et le Parlement, à ce moment déjà, a joué un rôle déterminant.
    Le projet de loi qui vous est soumis se veut une deuxième étape, plus structurante et plus aboutie que la première. Il affirme la responsabilité de l'Etat en matière de santé publique et s'attelle à une tâche difficile : tirer le meilleur parti possible de l'extraordinaire dispersion des acteurs et des efforts qui caractérise le monde de la prévention.
    L'objet premier du projet de loi que je vous présente au nom du Gouvernement est ainsi de clarifier cette ambiguïté sur le rôle de l'Etat en matière de santé publique. L'intention politique qui nous anime est claire, et je tiens à vous la redire pour que s'apaisent certaines incertitudes.
    L'Etat est le garant de la protection de la santé, mais il n'a pas vocation à être l'acteur unique de la santé publique. Le rôle que nous entendons donner aux pouvoirs publics en ce domaine est conforme à ce que doit être la mission d'un Etat moderne : garantir, plutôt que gérer toujours et partout ; organiser, impulser, et non pas agir à la place des autres ; tracer la direction à suivre et évaluer les résultats, et non marcher sur les brisées des acteurs de la santé publique sur le terrain.
    Ce rôle de garant et de responsable de la politique de santé publique que les Français demandent à l'Etat de tenir doit se traduire de deux façons.
    Premièrement, c'est à l'Etat qu'il appartient d'arrêter, après une large concertation, les priorités en matière de santé publique.
    M. René Couanau. Très bien.
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Deuxièmement, si l'Etat n'a évidemment pas le monopole de l'action en la matière, il lui revient d'organiser, sous son autorité, un partenariat associant les nombreux acteurs tant publics que privés qui concourent à l'amélioration de la santé.
    M. René Couanau. Très bien.
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Pour que chaque acteur puisse comprendre le sens de son action, il doit pouvoir inscrire celle-ci dans un cadre de référence explicite. Il doit être en mesure de la référer à une série d'objectifs lui permettant de juger si elle va dans le bon sens. C'est pourquoi la mise sous objectifs du système de santé publique sur un horizon de cinq ans est le premier axe directeur de ce projet.
    Jusqu'à présent, mesdames et messieurs les députés, parler d'objectifs, c'était faire référence aux dépenses d'assurance maladie. Cette logique est non seulement inflationniste par nature, elle est encore appauvrissante. Car la vraie question est de savoir si les ressources consacrées au système de santé ont le meilleur impact possible sur l'état de santé de la population. C'est cette correspondance entre moyens et résultats que ce projet de loi veut organiser.
    M. Léonce Deprez. Très bien.
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. C'est la raison pour laquelle il fixe cinq grandes priorités dont nous aurons à répondre dans cinq ans : la lutte contre le cancer, la santé environnementale, qui inclut la santé au travail, la violence et les comportements à risque, les maladies rares et, enfin, la qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques.
    Par ailleurs ce projet comporte un rapport annexé qui fixe une centaine d'objectifs, véritable « tableau de bord » pour le pilotage de notre système de santé, qui permettra de mieux analyser ses forces et ses faiblesses et d'évaluer ses performances. Qu'on ne s'y trompe pas : ces objectifs n'ont pas vocation à être exhaustifs. Ce sont des marqueurs, des indicateurs qui permettront de faire périodiquement le point de la situation sanitaire du pays, de repérer les progrès et les manques. Ils ont été définis après une très large concertation scientifique et en prenant pour référence les résultats des pays les plus performants en matière de réduction des conduites à risques, d'organisation de la prise en charge des maladies chroniques et de maîtrise du risque infectieux.
    M. Gérard Bapt et M. Jean-Marie Le Guen. Ce n'est pas ce que l'on nous a dit.
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. A chaque fois que les systèmes d'information en matière de santé le permettaient, ces objectifs ont été quantifiés.
    Le deuxième grand objectif du projet de loi est d'organiser l'action de terrains car c'est sur le terrain que se gagne la bataille de la santé.
    Comme je vous l'ai dit, l'Etat n'a pas vocation à étendre son emprise sur tous ceux qui oeuvrent pour la santé publique.
    M. Jean-Marie Le Guen. On ne le dirait pas.
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Il lui revient toutefois d'organiser, d'impulser et de coordonner l'action sur le terrain, pour rapprocher les professionnels du soin et ceux de l'action sociale, les soins de ville et les soins hospitaliers. La nécessité de ce rapprochement, pressentie dès l'élaboration de ce texte, s'est cruellement confirmée cet été.
    Aujourd'hui, hormis telle ou telle exception locale que je tiens à saluer, cette coordination des efforts en vue d'objectifs communs est à peu près inexistante.
    Aux lacunes et aux mauvais résultats déjà évoqués, il est tentant de répondre par une importante augmentation des dépenses de santé publique. C'est vrai que de nombreux besoins restent insatisfaits, et nous veillons à améliorer cette situation. Mais il faut avant tout mieux utiliser les moyens dont nous disposons déjà et éviter les gaspillages d'énergie et de moyens ; il faut créer les conditions d'une véritable synergie entre les différents acteurs qui fait défaut aujourd'hui, où la dispersion des moyens est extrême.
    M. Gérard Bapt. Ça c'est vrai !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. A côté des deux grands acteurs que sont l'Etat d'une part, avec ses services et ses agences, et d'autre part l'assurance maladie, avec ses caisses, coexiste une myriade de structures : observatoires régionaux de la santé, comités départementaux d'éducation pour la santé, multiples associations spécialisées, espaces santé jeunes, centres d'éducation à la santé et à la citoyenneté en milieu scolaire, observatoires de la santé au travail, et d'autres encore. D'où, entre l'Etat, l'assurance maladie, les collectivités locales - régions, départements, communes ou groupements de communes - les associations ou les entreprises, une répartition des responsabilités pour le moins confuse. Ce projet de loi propose un mécanisme qui associe tous ceux qui souhaitent concourir à la politique de santé publique au niveau régional. Il faut établir une cohérence qui n'exclue personne. Car on a, au contraire, besoin de tout le monde, chacun à sa place, avec ses missions propres.
    La mise en oeuvre d'objectifs simples et forts - agir en amont sur les déterminants des maladies, prévenir plutôt que guérir - nécessite une traduction administrative et institutionnelle, que nous nous sommes efforcés de rendre aussi simple et efficace que possible, même si, je le concède, elle peut paraître à la lecture rébarbative.
    Le projet traduit ma volonté de simplifier un paysage institutionnel trop complexe en substituant aux actuelles structures de concertation nationale et régionales un mécanisme permettant de débattre périodiquement de la santé. Mais, à l'occasion des différentes consultations menées durant l'été, de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer le maintien, dans la loi, d'une instance permanente de débat, afin qu'associations, professionnels, sociétés savantes puissent faire entendre leur voix. Vous vous en êtes fait l'écho, et je vous en remercie car, à la réflexion, cette revendication m'est apparue juste et utile. Nous devons donc déterminer ensemble le meilleur moyen d'amender le projet sur ce point, et je suis reconnaissant à la commission des affaires sociales de son apport considérable dans ce domaine.
    L'échelon régional apparaît comme le plus satisfaisant pour mettre en oeuvre une politique de santé publique. C'est à cette échelle, d'une part, que les objectifs nationaux doivent être déclinés en tenant compte des spécificités locales et, d'autre part, que tous les acteurs de la santé publique peuvent et doivent travailler ensemble.
    Il est important de bien comprendre que l'extrême dispersion des acteurs de terrain constitue l'une des principales entraves à la performance de notre système de santé publique, en même temps que la multiplicité et la diversité de ces acteurs est une de ses richesses. Comment concilier ces deux aspects ? Plutôt que de créer une institution supplémentaire, plutôt que d'étatiser la santé publique, je propose un mécanisme d'association souple au sein d'un groupement d'intérêt public, instance opérationnelle chargée de la mise en oeuvre du plan régional de santé publique. Tout en respectant la personnalité et l'identité de chacun des acteurs, ce GIP doit permettre de mutualiser les financements au niveau régional. Il garantira la coordination des actions selon des priorités établies par son conseil d'administration, où seront représentés, outre l'Etat, l'assurance maladie, les collectivités locales qui le voudront, et l'agence régionale d'hospitalisation.
    Le troisième objet de ce projet est la création d'une grande école de santé publique. Car c'est bien un objectif majeur de santé publique que d'assurer aux professionnels de la santé la meilleure formation possible à la prévention, sous toutes ses facettes.
    Nous disposons actuellement des ressources des facultés de médecine et de celles de l'Ecole nationale de la santé publique de Rennes. Cette dernière forme les agents de l'Etat et de la fonction publique hospitalière oeuvrant dans le domaine sanitaire et social, dont les personnels de direction et d'encadrement de nos hôpitaux. Les facultés de médecine ne forment que les médecins, tandis que l'ENSP ne délivre pas de diplômes reconnus au plan universitaire.
    Nous sommes donc convenus avec Luc Ferry et François Fillon de créer un grand établissement d'enseignement supérieur, ce qui permettra d'animer un réseau national de santé publique, de mettre en commun les expériences et les compétences, et de hisser notre système de formation au meilleur niveau. Nous voyons bien que notre pays manque quantitativement de compétences dans les différents métiers de la santé publique : il faut que nous nous donnions les moyens de les acquérir et de professionnaliser le champ de la santé publique. Il s'agit d'objectifs aussi divers et nécessaires que de former des techniciens du bruit ou de la qualité de l'eau, d'offrir aux professionnels de la santé une formation continue en matière de sécurité sanitaire, au sein d'un établissement disposant d'une visibilité internationale, nous hissant ainsi au niveau de nos partenaires les plus performants, anglais et belges notamment.
    La création de cette école devrait ainsi profiter à l'ensemble des professionnels aujourd'hui formés à l'ENSP. Celle-ci ne sera atteinte, ni dans sa mission, ni dans sa localisation. Elle y gagnera au contraire en notoriété, en attrait et en visibilité internationale puisqu'elle délivrera désormais des diplômes nationaux et qu'elle sera adossée à un réseau performant d'enseignement universitaire en matière de santé publique.
    Ce projet de loi procède enfin à une révision importante des dispositions relatives aux recherches biomédicales, issues de la loi du 20 décembre 1988, dite loi Huriet-Sérusclat. J'y reviendrai.
    Telles sont, mesdames et messieurs les députés, les grandes orientations de ce projet.
    Avant d'en venir à une rapide présentation de ses quatre titres, je voudrais encore vous dire que je me suis attaché à porter au plan international le message du caractère primordial de la santé publique. Au cours des derniers mois, grâce à l'intervention de la France, trois sujets ont ainsi connu une avancée significative. Nous avons, surmontant les dernières hésitations de nos partenaires, permis l'adoption en décembre dernier, d'une directive interdisant la publicité transfrontalière du tabac. C'est encore à l'initiative de la France que les ministres de la santé européens ont adopté, en mai dernier, un certain nombre de recommandations qui ont été décisives en matière de contrôle de l'épidémie naissante de SRAS. Enfin, je m'emploie depuis ma prise de fonctions à ce que voie le jour un centre européen de contrôle des maladies transmissibles, sur le modèle du CDC d'Atlanta, afin de doter l'Europe d'une capacité opérationnelle susceptible de répondre efficacement aux enjeux des grandes épidémies et des maladies transmissibles. Le texte décidant de sa création devrait être officiellement adopté en décembre prochain, afin que ce centre soit opérationnel début 2006.
    Nous prévoyons en outre d'aboutir dans les prochains mois à la conclusion d'une vaste convention de coopération avec l'Organisation mondiale de la santé, qui couvre les principaux sujets de santé publique.
    Le projet de loi comporte quatre titres que je vais vous présenter très rapidement.
    Le titre Ier est relatif à la politique de santé publique. Il définit le périmère de celle-ci, clarifie les responsabilités et simplifie les instances qui y sont impliquées.
    Au plan national, le souhait du Gouvernement est de parvenir à une architecture efficace et beaucoup plus simple que celle que nous connaissons actuellement. Il s'agit tout d'abord de créer un mécanisme national de consultation, permettant aux différents acteurs de la santé publique, professionnels, associations, industriels, chercheurs, de s'associer aux choix du Gouvernement, afin de définir des objectifs au plan national ; ensuite, un haut conseil de santé publique, organisme d'expertise technique unique, qui reprend les missions du Conseil supérieur d'hygiène publique de France et celles du Haut comité de la santé publique ; enfin, un comité national de la santé publique, instance de coordination interministérielle et de gestion politique, destiné à garantir l'efficacité de l'action gouvernementale. Je répète que nous simplifions ainsi notablement le paysage institutionnel actuel.
    Grâce aux travaux de ces différentes instances, le Gouvernement soumettra tous les cinq ans à l'approbation du Parlement une loi fixant les priorités de la politique de santé publique.
    Au niveau régional, le texte prévoit une architecture similaire : un niveau de concertation et de coordination réunissant, outre l'Etat, l'assurance maladie et les collectivités locales, les différents acteurs de terrain ; une instance opérationnelle, le groupement régional de santé publique, qui, associant les différents financeurs des actions de santé publique, sera chargé de mettre en oeuvre le plan régional en choisissant les opérations qu'elle finance ou cofinance. Nous prévoyons enfin que le conseil régional, notre collectivité territoriale de référence, puisse développer, dans le cadre de ses compétences, des actions particulières complémentaires de la politique de l'Etat.
    Le titre II est relatif aux outils d'intervention de l'Etat. Il précise les missions de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, l'INPES. Il établit de nouvelles dispositions en matière de politique vaccinale. Il précise les mesures à mettre en oeuvre en cas de menaces sanitaires graves, notamment d'alerte épidémique. Il renforce les contrôles de la production et de l'utilisation de microorganismes et de leurs toxines, dans le cadre de la lutte contre le bioterrorisme en particulier. Il améliore les systèmes d'information sanitaire, en conciliant la nécessité d'avoir accès à des données importantes pour la protection de la santé et le respect de la vie privée.
    Il est évidemment indispensable de répondre ici aux questions soulevées pendant l'été. Des travaux sont d'ores et déjà engagés en ce sens, et les réponses s'organisent selon les trois volets suivants.
    Il y a d'abord les questions dont la résolution demande un temps de réflexion et de concertation avec les professionnels concernés. C'est le cas en matière d'urgence hospitalière et de politique à l'égard des personnes âgées.
    Les travaux consacrés à améliorer l'organisation des urgences ont abouti à l'établissement d'un plan qui vient d'être présenté. Outre les investissements prévus dans le plan « Hôpital 2007 », ce plan d'ensemble prend en compte l'amont, et donc la permanence des soins, l'accueil des patients lui-même, ainsi que les services de porte et le renforcement des services d'urgence ; enfin, et tout aussi importante, la création de lits de suite et d'aval en quantité suffisante. Bien entendu, cela nécessite aussi le développement de lits gériatriques de court séjour.
    Concernant les personnes âgées, les services de mon ministère sont activement engagés dans l'élaboration, sous l'autorité de François Fillon et d'Hubert Falco, du plan « vieillissement et solidarités », que nous annoncerons très prochainement.
    Deuxièmement, il y a les décisions qui ont été immédiatement prises pour tirer les leçons de la crise et apporter des réponses très précises. Tout d'abord, comme c'est déjà le cas d'un certain nombre de villes et d'Etats, nous devons disposer d'un plan de prévention, d'alerte et de gestion de crise en cas de chaleur extrême, qui prévoie l'implication des services sanitaires et sociaux, mais aussi des collectivités locales, afin que la situation que nous avons connue cet été ne se reproduise pas. J'ai demandé au directeur de la santé que soit préparé et éprouvé par des exercices de simulation un plan qui soit opérationnel dès l'été.
    Mais notre système de vigilance et d'alerte doit permettre de prévenir aussi des risques sanitaires non identifiés a priori. En effet notre pays, s'il a mis au point des systèmes de vigilance de très grande qualité en matière de risques infectieux, transfusionnels ou pharmaceutiques, ne dispose pas d'un système organisé de prévention des risques résultant de facteurs non identifiés, en particulier climatiques. J'ai demandé au directeur de l'Institut de veille sanitaire, dont c'est la mission, de me faire à bref délai des propositions concrètes sur trois points : la mise en place d'un bulletin d'analyse des alertes sanitaires ; la mise en oeuvre d'un dispositif de vigilance et d'alerte appuyé sur les données de morbidité et de mortalité, mais également sur des connexions avec les services d'urgence, SAMU, sapeurs-pompiers, urgentistes, médecins libéraux, et ceci en liaison avec les services météorologiques, ceux de l'environnement, de l'équipement et de l'intérieur ; et enfin, l'organisation d'une réflexion à plus long terme sur les menaces potentielles et les moyens d'y faire face.
    Troisièmement, je souhaite aussi que votre assemblée puisse, à l'occasion de la discussion de ce projet de loi de santé publique, prendre les mesures immédiatement identifiables qui relèveraient du champ législatif. Ce projet comporte déjà, dans ses articles 10, 11 et 13, des dispositions relatives à la prévention et à la gestion des crises sanitaires, qui permettront d'améliorer notablement la transmission des informations et la mobilisation des moyens en cas de menace de crise sanitaire. Je soumettrai en outre au Parlement plusieurs amendements, regroupés sous un nouveau titre, destinés à renforcer ou compléter les mesures déjà prévues, à la lumière de la crise de cet été. Ce titre comptera trois chapitres.
    Le premier chapitre est né de l'observation que notre système de veille et d'alerte sanitaires, cinq ans après sa création, appelle des renforcements et des précisions. Les missions de l'Institut de veille sanitaire, en particulier, sont aujourd'hui définies par la loi d'une manière fort large mais peu lisible. Aussi le Gouvernement souhaite, sans en changer le périmètre, mieux préciser les différentes tâches de cet organisme et notamment affirmer que cet organisme doit mener une réflexion prospective sur les facteurs de risque sanitaire non identifiés et compléter son approche par pathologie par une approche par population à risque. Par ailleurs, il sera explicitement précisé que l'INVS a la charge de bâtir des systèmes d'information afin d'élaborer des indicateurs d'alerte.
    A l'article 11, l'obligation faite aux médecins et aux établissements publics de signaler aux autorités sanitaires les risques sanitaires dont ils auraient connaissance sera étendue à l'ensemble des professionnels de la sphère sanitaire et médico-sociale. De même, je proposerai que ce signalement soit fait d'abord auprès du préfet, dont la responsabilité de coordination sur le terrain doit être claire, pour éviter les actions redondantes ou désordonnées. Il appartiendra au préfet de prévenir immédiatement la cellule de veille de l'institut de veille sanitaire.
    M. Gérard Bapt. Elle ne pourrait pas être saisie directement ?
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Deuxièmement, les moyens d'action des pouvoirs publics pour prévenir une menace sanitaire grave ou pour atténuer l'impact d'une crise sanitaire seront nettement renforcés.
    L'article 10 donne au ministre de la santé la capacité de prescrire les dispositions appropriées en cas de crise sanitaire grave, y compris lorsqu'il ne s'agit pas d'un risque infectieux, et d'habiliter le préfet à mettre en oeuvre au plan local ces prescriptions en prenant, dans des conditions strictement encadrées, les mesures individuelles et collectives qui s'imposent.
    Nous souhaitons que le plan régional de santé publique prévu à l'article 2 comporte un volet spécifique relatif au dispositif de prévention, d'alerte et de gestion des crises sanitaires.
    Enfin, il vous sera proposé de donner une base légale au plan blanc hospitalier, de préciser les conditions dans lesquelles ce plan peut être déclenché en cas d'afflux de victimes ou de situation sanitaire exceptionnelle et de donner au préfet la possibilité de recourir à des plans blancs « élargis ». Il s'agit d'associer, selon les besoins, de requérir le concours des établissements privés, de la médecine de ville, des infirmières libérales, des transports sanitaires et des établissements médico-sociaux en cas de crise grave.
    Une dernière série d'articles sont consacrés aux systèmes d'information et au système de remontée des certificats de décès, depuis le médecin qui constate le décès, jusqu'au centre d'analyse des décès de l'INSERM. Ici, l'objectif est double : d'une part, simplifier le circuit afin de permettre son informatisation et, par là même, la remontée presque en temps réel des cas de décès constatés ; d'autre part, permettre à l'INVS de s'appuyer sur ce circuit, pour construire un dispositif d'alerte et de mesure au jour le jour des décès constatés. C'est sur la base d'un circuit de ce type, complété par des dispositifs sentinelles auprès des services d'urgence et de centres de sapeurs-pompiers notamment, que nous pourrons mettre en place le système d'alerte sanitaire dont j'ai commandé la réalisation à l'institut de veille sanitaire.
    Le titre III comporte les dispositions relatives aux cinq plans de santé publique nationaux, qui sont les priorités que le Gouvernement assigne à son action. Le projet de loi prévoit une démarche de programmation stratégique liant les objectifs aux moyens dans cinq domaines : la lutte contre le cancer, la santé environnementale, la violence, les maladies rares et, enfin, la qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques.
    Dans le domaine du cancer, nous créerons l'institut national du cancer conformément aux engagements annoncés le 24 mars dernier par le Président de la République. Cet institut permettra de mieux coordonner les acteurs du cancer. Il sera, en quelque sorte, la « tour de contrôle » du dispositif de lutte contre le cancer, capable d'en embrasser tous les aspects, veillant à la mise en oeuvre et au bon déroulement du plan cancer, de la prévention au soin, de l'observation à la participation de la formation médicale, à la coordination et au financement des actions de recherche, dans un souci constant de développer les synergies européennes et internationales. Il sera la maison commune des patients et des soignants.
    Dans le domaine de la recherche, cet institut permettra ainsi, sans évidemment se substituer à elles, de renforcer le potentiel des institutions de recherche comme l'INSERM, le CNRS et les structures hospitalo-universitaires, en finançant des programmes d'action coordonnés au niveau national et en aidant à la structuration régionale des cancéropôles.
    Nous renforçons aussi l'arsenal de lutte contre le tabagisme et l'acoolisme, en tenant compte de la loi qui a été adoptée en juillet dernier.
    Dans le domaine de l'environnement, comme l'a demandé le Président de la République, un plan national en santé-environnement sera élaboré. Il comportera un volet relatif aux situations météorologiques extrêmes. Compte tenu de la complexité de ces problèmes, nous avons installé, il y a quinze jours, Roselyne Bachelot, François Fillon, et moi-même, une commission d'experts chargée d'élaborer des premières propositions. Par ailleurs, nous facilitons la surveillance épidémiologique en milieu de travail. Nous actualisons les dispositions relatives à la préservation de la qualité de l'eau et simplifions les autorisations d'exploitation des sources d'eaux minérales naturelles et thermales. Enfin, le texte de loi prévoit de renforcer - il était temps ! - les mesures de lutte contre le saturnisme.
    Les dispositions du titre IV ont trait à la recherche et à la formation en santé.
    Elles créent, en premier lieu, l'Ecole des hautes études en santé publique.
    En deuxième lieu, le projet de loi actualise le dispositif d'encadrement des recherches biomédicales. Cette révision s'impose par la nécessité de transposer en droit interne la directive 2001/20/CE de l'Union européenne, relative aux essais cliniques de médicaments, mais aussi par le besoin, exprimé précisément par tous les acteurs de la recherche en santé, auxquels ont fait écho divers travaux parlementaires, d'adopter le dispositif existant, quinze ans après sa mise en place.
    La directive nous conduit sur le terrain des principes et des droits fondamentaux de la personne. Le Gouvernement a donc souhaité définir, au-delà du médicament, des règles et un cadre communs à toutes les recherches biomédicales.
    Le projet de loi procède à trois modifications principales. Il remplace l'actuel régime déclaratif par un régime d'autorisation. Il supprime la distinction entre recherche sans bénéfice individuel direct et recherche avec bénéfice individuel direct, souvent difficile à manier et trompeuse pour les personnes qui se prêtent à la recherche, au profit de l'appréciation plus fine du bilan bénéfice-risque. Il organise enfin la participation à la recherche des personnes vulnérables ou hors d'état d'exprimer leur consentement, afin qu'elles puissent bénéficier mieux qu'aujourd'hui du progrès scientifique et médical - je songe, en particulier, aux personnes atteintes d'affections neuro-dégénératives comme la maladie d'Alzheimer.
    En dernier lieu, le projet de loi simplifie le dispositif de formation médicale continue. La formation continue des médecins - comme celle de tous les autres professionnels de santé - est une des conditions du succès de la politique de qualité des soins que je souhaite enraciner au coeur de notre système de santé.
    Le but de la formation médicale continue est revu, car elle ne saurait être limitée au « perfectionnement des connaissances », mais doit viser, comme le dit l'article 52 du projet de loi, « l'amélioration de la qualité des soins ».
    En réalité, les médecins perçoivent très bien la nécessité où ils sont de se former pour continuer à délivrer les soins de meilleure qualité et ils souscrivent de manière responsable à cette obligation.
    M. Jean-Marie Le Guen. C'est le pari de la confiance !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Je souhaite lier l'obligation de formation médicale continue à des mécanismes d'incitation et de valorisation professionnelle, qui devront se développer dans une politique conventionnelle bien comprise.
    M. Jean-Marie Le Guen. On a pu apprécier leur succès, l'année dernière !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Ainsi, l'accès à certaines fonctions de responsabilité ou de représentation professionnelle pourrait être conditionné par le respect de l'obligation de formation. Cela pourrait être le cas des fonctions électives dans les commissions médicales d'établissements des établissements de santé ou dans les unions de médecins libéraux ou de certaines fonctions pédagogiques, par exemple maître de stages. Les primes d'assurances professionnelles pourraient être modulées dès lors que les praticiens s'engageraient à s'acquitter de l'obligation de formation - des discussions préliminaires sont d'ores et déjà ouvertes avec les assureurs dans ce sens.
    J'en finis en indiquant que nous simplifions l'organisation administrative nationale et régionale de la formation médicale continue.
    Mesdames, messieurs les députés, l'histoire de l'interventionnisme sanitaire de l'Etat est celle d'une quadruple aventure.
    Aventure scientifique, tout d'abord, car, si la réglementation est toujours, par la force des choses, à la remorque du progrès des sciences de la vie et de la nature, je crois que l'Etat peut, selon qu'il investit ou qu'il néglige la santé publique, stimuler ou au contraire freiner ce progrès.
    Aventure administrative, ensuite, car l'adaptation simultanée des structures administratives aux attentes du public à celles des professionnels et à celles des responsables politiques est, en matière sanitaire plus qu'ailleurs, un perpétuel recommencement, qui nourrit bien des renoncements et des solutions hâtives.
    Aventure économique, car, plus encore qu'en d'autres domaines, l'Etat est prié de faire toujours davantage en dépensant moins.
    Aventure juridique, enfin, car l'Etat y déploie toutes les facettes de ses compétences : il informe, il réglemente, il autorise, il interdit, il oriente, il délègue, il contrôle, il incite...
    Selon les époques et les circonstances, les formes de l'intervention de l'Etat en matière de santé publique ont été plus ou moins ponctuelles, plus ou moins imaginatives, plus ou moins fécondes et utiles. Le Gouvernement vous invite aujourd'hui à prendre part à cette aventure en écrivant dans l'histoire de la politique de santé publique une page qu'il veut structurante ; à marquer une étape qui réponde aux faiblesses structurelles de notre système et qui donne à tous les acteurs de la santé publique les moyens d'améliorer significativement l'état de santé des Français.
    J'attends donc beaucoup de ce débat parlementaire qui sera un moment fort pour signifier l'engagement de la nation pour la protection et l'amélioration de la santé.
    Le Gouvernement est ouvert aux amendements émanant de tous bords qui permettront d'améliorer notre système. Ce texte, je le sais et je le dis comme il convient, peut naturellement sortir amélioré de notre discussion. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, rapporteur.
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 2003 sera-t-elle l'année de la santé publique ? Rappelons les grands défis que nous devons relever : la lutte contre le cancer et l'insécurité routière - ce sont deux des chantiers du Président de la République mis en oeuvre dès le début de l'année - la prévention contre le syndrome respiratoire aigu sévère - la gestion de l'épidémie par l'Etat a attiré l'attention sur les risques sanitaires liés aux maladies infectieuses émergentes - la protection contre la canicule - les effets meurtriers de celle que nous avons connue durant les quinze premiers jours d'août ont tragiquement mis l'accent sur la fragilité des personnes âgées et sur l'importance d'une action préventive. Bref, pratiquement pas un jour ne passe sans qu'un problème de santé publique soit évoqué de manière plus ou moins dramatique.
    C'est souvent des crises que naissent les solutions. L'épidémie de grippe de 1918 n'a-t-elle pas conduit à la création d'un ministère de la santé ? Depuis la loi fondatrice du 15 février 1902 sur l'hygiène publique, le formidable essor de la médecine curative a fait passer la prévention au second plan.
    Cependant, à la fin du xxe siècle, la politique de santé publique, longtemps délaissée, est réapparue avec la réforme structurelle engagée par les ordonnances de 1996 et la création des conférences de santé et des programmes régionaux de santé. Puis, la loi de juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme a constitué une étape importante grâce à la création des agences sanitaires. La loi de mars 2002 relative aux droits des malades a complété le dispositif en matière d'organisation régionale de la santé.
    Vous le voyez donc, mes chers collègues, depuis plus d'un siècle, des strates successives se sont ajoutées, mais aucun texte n'a pris à bras-le-corps la question de la prévention.
    Comment se porte la santé publique aujourd'hui en France ? Mal ! Pour l'une des personnalités entendues par la commission, elle est « insuffisamment promue, insuffisamment coordonnée, insuffisamment rémunérée, insuffisamment incitée et enfin insuffisamment enseignée... ». En bref, elle souffre d'un manque de visibilité. Le contexte institutionnel et médiatique considère en priorité les soins et leur régulation. Le présent projet de loi, adopté en conseil des ministres dès le 21 mai dernier, a pour ambition d'y remédier.
    Ses motivations sont triples.
    D'abord, le texte procède du souci de renforcer l'effectivité de notre démocratie parlementaire.
    La représentation nationale doit débattre de la politique de santé publique ! Certes, chaque année, le Parlement adopte le projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais les conditions de la discussion et du vote du projet comme du rapport annexé laissent, sur tous les bancs, un sentiment de frustration. Cette carence est imputable à l'absence d'un véritable débat sur la politique de santé publique. Le cadre strict de la loi de financement de la sécurité sociale empêche la tenue d'un tel débat. En particulier, l'adoption par le Parlement d'un objectif national des dépenses d'assurance maladie, agrégat très large, ne permet pas à la représentation nationale de promouvoir spécifiquement les actions de santé publique et de promotion de la santé. L'évaluation de ces actions est d'ailleurs difficile. Ces raisons ont motivé la création, à mon initiative, de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé, l'OPEPS, à la fin de l'année dernière.
    M. Bernard Accoyer. C'est une grande avancée !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Ensuite, ce texte se fonde sur le diagnostic suivant : le système de santé français se caractérise par une complexité extrême. Il est devenu difficile de savoir qui fait quoi, ce qui pose deux problèmes distincts : d'une part, le problème de l'efficacité et de la cohérence de l'action publique ; d'autre part, la question de la responsabilité politique et de l'imputabilité des succès comme des échecs. La confusion des compétences a entraîné la dissolution des responsabilités. Le citoyen se trouve démuni lorsque vient l'heure de juger l'action des gouvernants.
    La complexité et la confusion des rôles appellent une clarification des compétences de chacun et, en particulier, des responsabilités respectives de l'Etat, de chaque catégorie de collectivités territoriales et des autres instances publiques ou privées actrices de santé publique.
    Enfin, le texte tire sa justification d'un double constat de nature sanitaire : la France présente des taux de mortalité prématurée et de mortalité évitable trop élevés par rapport à ses voisins européens ; ses habitants souffrent d'inégalités excessives en matière d'état de santé.
    J'ajoute que l'évolution défavorable des maladies infectieuses et parasitaires suscite des inquiétudes. Ces maladies demeurent la première cause de mortalité au niveau mondial ne l'oublions pas. Des maladies, héritées d'un lointain passé, que l'on avait cru à jamais éradiquées, comme la tuberculose ou la syphilis, connaissent une recrudescence. De plus, on estime à une trentaine les nouveaux types d'infection apparus depuis le début des années soixante-dix - que l'on pense au virus du sida, d'Ebola, à toutes les hépatites et bien d'autres - et il n'y a pas de raison de penser que cette évolution inquiétante soit achevée.
    Ces observations mettent en évidence la nécessité de la modernisation de notre politique de santé. Elle doit agir bien en amont afin de réduire les risques, elle doit informer les populations, elle doit pouvoir mener des actions d'éducation à la santé et enfin savoir s'adresser à des publics spécifiques et fragiles.
    Aujourd'hui, il est devenu indispensable d'aller plus loin, compte tenu de l'importance du thème de la santé publique, des montants financiers engagés, des conditions insatisfaisantes de la discussion des projets de loi de financement de la sécurité sociale. Il faut donc se réjouir de l'élaboration de ce projet de loi et de son inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée.
    Après la création d'un ministère de la santé de plein exercice, après le lancement des « chantiers» présidentiels à dominante sanitaire, il marque l'intérêt du Gouvernement et du Président de la République pour les questions de santé. Il est la preuve de la volonté de la majorité d'aborder ces problèmes dans une logique de planification stratégique en évitant les stériles effets d'annonce.
    Ce projet offre l'opportunité au Parlement de discuter sur le fond des contours de la politique de santé publique des prochaines années, une politique susceptible d'améliorer en profondeur l'état de santé de nos concitoyens.
    Comment ce projet a-t-il été préparé ?
    M. Jean-Marie Le Guen. Bonne question !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Le texte a fait l'objet d'une large concertation...
    M. Jean-Marie Le Guen. Gros mensonge !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. ... pilotée par les services du ministre de la santé et nous connaissons tous l'intérêt du ministre de la santé pour ce thème, il nous l'a rappelé tout à l'heure.
    M. Bernard Accoyer. Très bien.
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Chacun a pu donner son avis sur les dispositions en cause. La commission, elle, a commencé à travailler sur ce texte bien en amont et, dès le mois de juillet dernier, lors des quarante auditions qu'elle a organisées, ses membres ont pu entendre des personnalités compétentes à titres divers : représentants des professionnels de santé, des chercheurs, des agences sanitaires, des malades ainsi que des personnels. Deux déplacements ont été organisés par la commission : au Québec et à Londres. A cette occasion, je voudrais saluer l'état d'esprit qui a présidé à ces travaux préparatoires.
    M. Jean-Marie Le Guen. Absolument.
    M. Pierre-Louis Fagniez. Très bon état d'esprit !
    M. Jean-Marie Le Guen. J'en témoignerai tout à l'heure.
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Sur un certain nombre de sujets, les représentants de la majorité et de l'opposition ont su travailler ensemble pour aboutir à des propositions constructives...
    M. Pierre-Louis Fagniez. C'est vrai !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. ... dont certains amendements adoptés en commission sont le reflet.
    M. Jean-Marie Le Guen. Bravo !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Le présent projet aborde quatre thèmes principaux : la définition de la politique nationale de santé publique et ses déclinaisons régionales ; les grandes orientations de la politique de santé publique pour les cinq prochaines années ; la prise en compte accrue des aspects « santé publique » et « prévention » dans notre système de santé ; la réforme du dispositif d'encadrement des recherches biomédicales.
    Je l'affirme et le répète : la politique de santé publique est une affaire de l'Etat.
    M. Bernard Accoyer. Très bien.
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Elle est pratiquement devenue une fonction régalienne. D'ailleurs, dès qu'un problème de santé publique apparaît, c'est toujours vers l'Etat que l'on se tourne. C'est toujours lui qui se trouve en première ligne. Mais l'Etat n'est pas omniscient, il ne doit pas être omniprésent.
    Cette position de principe, que j'assume, n'empêche donc pas - bien au contraire ! - que toute leur place soit donnée aux autres acteurs de la santé publique que sont, notamment, les professionnels de la santé, les collectivités territoriales ou les associations.
    Mme Claude Greff. C'est vrai !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Les amendements adoptés en commission ont pris en compte cette exigence. En effet, la réussite d'une politique de santé exige l'adhésion de tous et, en premier lieu, celle des usagers et des malades.
    Le texte réaffirme donc l'Etat dans sa responsabilité première : la définition de la politique de santé publique. Que l'Etat prenne ses responsabilités en matière de gestion des crises sanitaires graves, de programmes de dépistage et de politique vaccinale, quoi de plus légitime ?
    Le titre II du projet, consacré aux instruments d'intervention, prévoit la mise en place de programmes nationaux de santé. Ces programmes, définis par l'Etat, incluent des programmes de dépistage, des actions d'éducation à la santé, madame Greff,...
    Mme Claude Greff. Merci de l'attention !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. ... et surtout, nouveauté importante consacrée par ce projet, des consultations de prévention dans les cabinets médicaux de ville. Ils seront mis en oeuvre par l'Institut national pour la prévention et l'éducation de la santé, l'INPES, qui agit pour le compte de l'Etat.
    Il fallait rendre l'élaboration de la politique de santé publique plus simple, plus efficace et plus transparente. Lourde tâche ! La loi relative aux droits des malades, quelles que soient ses qualités, ne peut être appliquée en l'état, en raison de sa complexité excessive. Elle a encore obscurci un paysage administratif déjà fort complexe, en chargeant à l'envi en commissions, structures et procédures un code de la santé publique déjà richement doté dans ce domaine.
    Le projet clarifie l'organisation institutionnelle. Ainsi, plusieurs instances aux compétences enchevêtrées et concurrentes sont fusionnées, par exemple pour créer un haut conseil de la santé publique. Celui-ci déterminera les rôles de chacun et définira des objectifs communs à atteindre, grâce à la mise en oeuvre d'actions menées de manière cohérente et sur une longue période. Des indicateurs mesureront les progrès réalisés. Enfin, le texte accroît le rôle du Parlement : il prévoit l'organisation d'un vote - et non plus d'un simple débat - sur les objectifs de santé.
    Le Gouvernement a eu la volonté légitime de simplifier un paysage complexe et d'assouplir les modalités de concertation. Cependant, les auditions menées par la commission ont montré l'attachement des professionnels de santé et des associations d'usagers à une instance permanente de débat et de consultation, permettant aux acteurs de s'exprimer. Un amendement adopté par la commission a donc permis de rétablir le dispositif de la Conférence nationale de santé, dans une version allégée par rapport aux dispositions prévues dans la loi de mars 2002, et avec une composition plus équilibrée.
    M. Jean-Marie Le Guen. Très bien !
    M. René Couanau. Très bonne initiative !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. La question de la politique régionale de santé publique a suscité de vifs débats au sein de notre commission. Le texte prévoit que le représentant de l'Etat dans la région est chargé d'arrêter les objectifs régionaux de la politique régionale de santé publique, en s'appuyant sur une structure de concertation : le comité régional de santé publique. A côté, un groupement régional de santé publique est chargé de la mise en oeuvre opérationnelle de cette politique : il coordonnera les initiatives des organismes agissant à l'échelon régional en matière de santé publique. Il constitue une des premières réponses au constat de dispersion des acteurs et d'éparpillement des financeurs à l'échelon local.
    Un amendement adopté par la commission est venu préciser que le groupement régional de santé publique ne devrait rassembler que les financeurs.
    M. Jean-Marie Le Guen. C'est déjà mieux !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. J'entends bien les arguments de ceux qui auraient privilégié des solutions plus radicales, mais la centralisation de tous les acteurs de santé au sein d'une agence régionale de santé n'apparaît pas possible à court terme.
    M. Jean-Marie Le Guen. Heureusement !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Au demeurant, ne conduirait-elle pas à réduire les crédits « santé publique » dont les actions s'inscrivent dans le long terme, mais sans effets immédiats au profit des crédits soins, toujours considérés comme insuffisants ? Je m'interroge.
    M. Jean-Marie Le Guen. Vous n'écoutez pas Chirac ! (Sourires.)
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Ne conduirait-elle pas à un mariage encore trop mal assorti entre ce qui relève de la responsabilité de l'État et le soin dont la gestion est largement déléguée aux partenaires sociaux ?
    De sucroît, peut-on prendre le risque de déstabiliser maintenant, les ARH, jeunes institutions de notre paysage administratif sanitaire ? L'agence régionale de la santé est certainement la voie de l'avenir. L'exposé des motifs le dit clairement - mais ce n'est pas le chantier d'aujourd'hui.
    Ce projet n'étatise pas, mais associe les bonnes volontés et rassemble les talents autour d'une partition et d'un chef d'orchestre. Ainsi, les régions pourront élaborer des programmes de santé spécifiques et complémentaires des programmes nationaux. L'examen en commission, là encore, a été très utile : il a conduit à rétablir la conférence régionale de santé, supprimée par la loi de mars 2002, comme instance permanente de concertation régionale et à la substituer, en conséquence, au comité régional.
    L'examen du projet a également été l'occasion de prendre en compte les conclusions de la mission sur la crise sanitaire et sociale déclenchée par la canicule, présidée par Denis Jacquat. Je veux aujourd'hui le remercier, avec tous les membres de la mission, pour la qualité de leur travail, réalisé dans des délais très brefs. Un amendement adopté à son initiative étend l'obligation de signalement de menaces sanitaires aux services de secours et aux entreprises funéraires ; un autre prévoit une transmission directe à titre expérimental des certificats de décès à l'INSERM. L'aspect prospective de la veille sanitaire exercée par l'institut est renforcé. Autant de propositions qui rejoignent celles que vous avez annoncées, monsieur le ministre, afin de compléter un texte qui, d'ores et déjà, constitue une réponse à bien des difficultés traversées cet été.
    Le texte fixe le cadre institutionnel de l'élaboration et de l'adoption des lois de politique de santé publique ; mais il détermine aussi les orientations de celles-ci pour les cinq prochaines années.
    Le rapport annexé à l'article 14 n'a certes pas de valeur normative et certaines de ses parties peuvent apparaître un peu scolaires ; il a au moins le mérite de recenser tous les problèmes de santé retenus à l'issue de la consultation nationale. Les cent objectifs ont valeur de référence pour tous les acteurs de santé. Par ailleurs, le Gouvernement propose de retenir cinq priorités qui feront l'objet de plans stratégiques de santé publique visant à coordonner l'action de tous.
    Je voudrais insister plus particulièrement sur un de ces plans, le plus emblématique : le plan national de lutte contre le cancer. Le projet propose la création d'un Institut national du cancer afin de coordonner des efforts actuellement trop dispersés. Cet institut n'a pas vocation à se substituer aux organismes de recherche déjà actifs, en particulier à l'INSERM.
    M. Jean-Marie Le Guen. Très bien !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Il fonctionnera, selon l'expression du ministre, comme la « tour de contrôle » de la lutte contre le cancer, dans une approche intégrée mêlant la prévention, les soins, la recherche et l'information. Cette fonction de tour de contrôle suscite d'ailleurs, vous le savez, monsieur le ministre, un grand intérêt chez nos voisins européens.
    M. Jean-Marie Le Guen. M. Couanau nous précisera la signification juridique de cette notion de tour de contrôle... (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Pour répondre à la question des moyens, le projet de loi de finances pour 2004 prend en compte la création de cet organisme. Toujours à propos du cancer, la réunion de la commission a permis d'adopter plusieurs amendements renforçant la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme : nous en reparlerons.
    Le projet de loi s'inscrit dans la volonté de promotion de la santé décrite par la charte d'Ottawa.
    M. Jean-Marie Le Guen. Si peu !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Mais si, monsieur Le Guen !
    Il vise à ce que notre système de santé prenne mieux en compte les dimensions de santé publique et de prévention.
    S'agissant des instruments de la politique de prévention, le texte procède à de profondes modifications institutionnelles, en recentrant notamment l'action de l'INPES. Il définit des programmes de santé et des dispositifs de prévention, notamment pour la politique de vaccination et pour la prévention des infections liées aux soins.
    Il comporte également des dispositions relatives à la prise en compte accrue des facteurs environnementaux. Cela concerne tant la surveillance épidémiologique dans l'environnement du travail que la protection des captages d'eau, pour laquelle un énorme retard doit être rattrapé. Sur ce point également, la commission a adopté de nombreux amendements sur lesquels nous aurons l'occasion de revenir.
    Le projet permet par ailleurs de renforcer l'efficacité des mesures de lutte et de prévention contre le saturnisme, qui demeure un problème majeur de santé publique en France. Là encore, les travaux de la commission ont permis de renvorcer les dispositions proposées.
    Enfin, le texte comporte des dispositions relatives à la recherche et à la formation. La recherche en santé publique est insuffisante dans notre pays. Quant à la formation en santé publique, elle est bien trop éclatée et son organisation conduit à une confusion regrettable entre santé publique et management des établissements sanitaires et médico-sociaux. Il y avait donc urgence à créer un organisme qui pourrait, à terme, soutenir la comparaison avec la Harvard Scholl of Public Health ou, plus près de nous, la London School. Il vous appartiendra, monsieur le ministre, de nous expliquer dans quelle mesure la création de cet établissement signifie que l'École nationale de santé publique s'intégrera à un réseau plus large, et de nous donner un calendrier prévisionnel de la création de cet organisme.
    S'agissant de la recherche, un grand nombre d'analyses relèvent l'insuffisance qualitative et quantitative des données relatives à l'état de santé des populations. Ces insuffisances concernent notamment les pathologies mentales chez le jeune enfant,...
    M. Bernard Accoyer. Tout à fait !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. ... les suicides et les tentatives de suicide, les risques professionnels et l'impact des facteurs environnementaux.
    Enfin, la santé au travail est un domaine délaissé. Cette insuffisance peut provoquer des effets dramatiques dans des secteurs où les risques sont très évolutifs. Les efforts en matière de collecte d'informations relatives à la santé doivent être renforcés. A cet égard, un amendement adopté par la commission étend les missions de l'Institut national de veille sanitaire à la centralisation des statistiques en matière d'accidents du travail et de maladies professionnelles.
    Le projet de loi réforme également le régime des recherches biomédicales. Une révision de loi Huriet-Sérusclat s'impose par la nécessité de transposer des directives européennes de 2001 sur les essais cliniques et les médicaments. Vous en avez rappelé, monsieur le ministre, les principaux éléments. Plusieurs points ont été évalués et amendés en commission. Pierre-Louis Fagniez nous en dira plus au cours de son intervention.
    Monsieur le ministre, mes chers collègues, notre assemblée va vivre un moment important et trop rare : une discussion sur la politique de santé publique. Nous prendrons toute notre part dans l'aventure - c'est le mot que vous avez utilisé, monsieur le ministre, et c'est bien de cela qu'il s'agit - qui se met en place. Je sais que vous pouvez compter sur chaque député, sur chacun de ces bancs, pour animer un débat de qualité qui n'a qu'un seul objectif : servir nos concitoyens.
    Pour conclure, et après avoir remercié tous ceux qui ont contribué à l'élaboration de ce texte, je me placerai dans une perspective plus large. Il faut que les problématiques de santé publique, imprégnées de préoccupations épidémiologiques, préventives et « populationnelles », s'imposent chez les très nombreux acteurs du système de santé français. Mais l'action pour la santé doit devenir une préoccupation de toute la société. Chaque institution, chaque organisme, public et privé, appelé à agir dans un champ impliquant la santé des personnes, qu'il s'agisse de l'école, des collectivités territoriales, de l'entreprise ou encore des associations, doit se sentir concerné. C'est une des clés du succès de ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Exception d'irrecevabilité

    M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est à M. Jean-Marie Le Guen.
    M. Jean-Marie Le Guen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre pays vient de connaître un très grave et très douloureux drame sanitaire : plus de 15 000 de nos concitoyens, parmi les plus âgés, sont décédés. D'autres, peut-être plus nombreux encore, ont été considérablement fragilisés par la vague caniculaire.
    Avant même de comprendre et de pouvoir analyser les causes de ce drame, nous avons constaté les faiblesses insupportables de notre société, en ce qui concerne notamment les personnes âgées, souvent isolées dans la vie, parfois oubliées jusque dans la mort.
    Pourtant, je ne m'associerai pas, bien au contraire, à ceux qui, peut-être pour tenter d'écarter leurs responsabilités, ont mis en cause cet été les Français à travers leurs familles. Il est faux et injuste d'accuser les familles. Du reste, de nombreux parlementaires de tous bords ont rapporté, durant les discussions, la mobilisation des Françaises et des Français autour des plus âgés d'entre eux, ce qu'a reconnu également la présidente de la Fondation française de gérontologie.
    Ce discours est non seulement scandaleux, mais dangereux, en ce qu'il conforte chez les personnes âgées le sentiment de se sentir isolées dans la société et pousse à la ségrégation. Une des choses les plus importantes, dans cette affaire, sera de ne pas en tirer de conséquences erronées.
    Saisis par la tristesse et le désespoir, les Français sont aussi inquiets de voir surgir des menaces sur leur santé qu'ils ne soupçonnaient pas et devant lesquelles ils se trouvent démunis. Ils ont vu leur système de santé éprouvé, même s'il a su le plus souvent réagir - je pense notamment à nos hôpitaux publics et à leurs personnels, indirectement mis en cause jusque dans leur droit aux congés payés -,...
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur, et M. Bernard Accoyer. Provocateur !
    M. Jean-Marie Le Guen. ... mais ils en mesurent désormais la fragilité. Ils s'interrogent enfin sur notre société, sur les responsabilités, et en premier lieu sur l'apparente impuissance du politique.
    Cette interrogation est légitime. Elle est douloureuse pour nous tous. C'est pourquoi il serait scandaleux et dramatique d'éluder le nécessaire travail d'analyse et de remise en cause qu'implique un tel événement.
    C'est donc avec gravité, avec humilité, mais avec détermination que nous devons étudier ce qui s'est passé. Pour notre part, nous refusons la fatalité tout comme la facilité que constituerait la recherche de boucs émissaires. Beaucoup de choses restent à analyser et à comprendre à propos de ce drame, mais nous savons d'ores et déjà que la médecine avait identifié ce type de risque et que des dispositions simples pouvaient être prises pour y remédier en grande partie.
    La commission d'enquête que nous avons demandée et obtenue nous dira pourquoi nous n'avons pas su les prévenir. Elle fera la part de ce qui relève de nos faiblesses collectives et des éventuelles erreurs et responsabilités politiques ou individuelles. C'est bien le cadre du Parlement et, singulièrement, d'une commission d'enquête qui convient à une telle tâche, car seules les plus sérieuses garanties de méthode et de transparence sauront donner toute leur légitimité à ses conclusions. Il nous faudra faire preuve de détermination et de volonté pour sortir de cette épreuve. Les escamotages et les raccourcis polémiques ne peuvent qu'alimenter le populisme. Comprenons donc bien l'ampleur de nos responsabilités.
    Sans anticiper sur ce travail, nous avons d'ores et déjà pris connaissance de plusieurs rapports. Celui de l'IGAS a surpris nombre d'entre nous : il était pour le moins incomplet pour ce qui touche à l'étude des réactions et des responsabilités de l'Etat dans toutes ses composantes. Il se montrait par ailleurs inutilement injuste envers les professions de santé. Non que ce drame n'ait pas révélé des questions importantes, comme celle de la permanence des soins : à cet égard, on peut se demander si le Gouvernement s'est réellement donné les moyens d'éviter à l'avenir ces graves difficultés.
    En revanche, le rapport de notre collègue Jacquat est un document d'autant plus intéressant que le cadre de la mission, nous l'avons dit dès le départ, nous paraissait très incomplet. Nous ne pouvons donc que saluer le travail entrepris par notre collègue qui, dans un contexte à mon avis difficile, a initié un début de réflexion intéressante. Nous le considérons comme une introduction à ce qui sera, je l'espère, bientôt conduit grâce à la mise en place de la commission d'enquête.
    Il convient néanmoins de s'arrêter quelques instants à ces premières conclusions afin d'essayer de les rapprocher de notre débat d'aujourd'hui. Nous l'avons constaté lors du travail en commission, il semble difficile de tirer dès aujourd'hui des conclusions législatives des premières réflexions qui ont surgi lors de notre travail. Une telle difficulté ne fait que légitimer nos réticences face au calendrier parlementaire tel qu'il a été présenté par le Gouvernement. Fallait-il légiférer maintenant ? Fallait-il, comme vous l'avez souhaité, monsieur le ministre, maintenir ce calendrier quitte à corriger, en urgence, un texte écrit il y a quelques mois, par des amendements qui nous sont souvent apparus, lors du travail en commission, imprécis, insuffisants, voire dangereux ?
    Cette question en suscite deux autres : le texte initial, s'il avait été appliqué, aurait-il permis de prévenir la situation que nous avons connue durant l'été ou bien l'aurait-il aggravée ? Quant aux amendements présentés par le Gouvernement, sont-ils de nature à répondre au défi posé par les événements de l'été ?
    Le projet initial démontre que, indépendamment des responsabilités dans la gestion de la crise - la partie conjoncturelle -, la pensée qui sous-tend le texte fait écho aux faiblesses révélées par le drame de la canicule. Un de nos collègues qui n'appartient pas à mon groupe, a fort bien résumé, me semble-t-il, le premier diagnostic que nous pouvons tous faire à propos de la crise sanitaire : « La France du terrain a plutôt bien réagi alors que la France centralisée a dysfonctionné. » Nous avons tous constaté cette réalité.
    Alors que la philosophie du texte que vous nous présentez n'améliore en rien le fonctionnement de l'Etat, la question du fonctionnement de la santé publique et de l'alerte sanitaire n'est pas celle de savoir qui doit assumer la direction de la santé publique. Y a-t-il dans notre pays, et y a-t-il eu durant la crise sanitaire, une ambiguïté sur le fait de savoir qui détient les responsabilités ? Non, il n'y a eu aucune ambiguïté en la matière. Il est clairement acquis dans notre pays - je dirais même trop - que la responsabilité d'animer la politique de santé publique appartient à l'Etat. Y a-t-il une confusion du rôle des différents acteurs de santé, confusion qui aurait pu gêner l'action de l'Etat ? Non. La seule remarque que nous puissions faire, c'est que c'est l'Etat lui-même qui n'a pas bien fonctionné. La philosophie du texte, de ce point de vue, n'est pas du tout adaptée. Il réaffirme la prééminence de l'Etat, ce que, en vérité, personne ne lui conteste, en matière de santé publique, alors qu'il ne règle pas les problèmes posés par ses dysfonctionnements internes.
    Personne ne dispute à l'Etat la responsabilité de la santé publique. Cela dit, et pour entrer plus précisément dans l'étude du fonctionnement des structures et de l'organisation de l'Etat, il faut se demander s'il a été à la hauteur des responsabilités qu'il prétend assumer.
    Tout d'abord, vous ne m'empêcherez pas, monsieur le ministre - pas plus que l'ensemble de nos collègues - de m'interroger sur les moyens. Nous aurons l'occasion d'y revenir lors du projet de budget mais vous avez, semble-t-il, des raisons manifestes de ne pas être satisfait du fonctionnement de votre ministère, puisque, si l'on en croit un hebdomadaire paraissant le mercredi, vous ne seriez vraiment pas content des moyens financiers qui vous sont alloués par le Premier ministre, pas plus que M. Fillon, puisque vous avez expliqué que votre ministère n'était plus en état de fonctionner. Nous ne pouvons donc que nous interroger à ce sujet et nos interrogations, très fortes, subsistent.
    M. Gérard Bapt. Heureusement que Le Canard enchaîné existe !
    M. Jean-Marie Le Guen. Mais la question n'est pas simplement budgétaire, elle est aussi très directement politique. Au moment de l'épisode du SRAS, nous avions demandé la mise en place d'une commission d'enquête parlementaire. Elle avait deux fonctions. Il s'agissait d'abord de prendre collectivement la mesure des risques sanitaires planétaires qui existent et de voir, au-delà du dispositif français qui avait plutôt bien fonctionné, au plan technique - j'y reviendrai -, comment apprécier le risque dans un contexte international. La question est toujours ouverte et il me semble intéressant pour nous tous de lui trouver une réponse.
    Mais notre demande se justifiait aussi par notre étonnement devant l'organisation du pouvoir administratif et politique en cas de crise sanitaire. Pour être très clair, au moment du SRAS, nous avons vu monter en puissance la DGS, alors que nous persistons à penser que la sécurité sanitaire est avant tout une question politique et non administrative et technique. En tant que telle, elle doit être gérée directement par le ministre et par son cabinet, quitte à ce qu'ils s'appuient sur les services. Une question si éminemment politique doit être gérée directement par les responsables politiques. C'est apparemment une divergence entre nous.
    Pour en revenir à votre texte, monsieur le ministre, existe-t-il véritablement aujourd'hui un désordre, une confusion des rôles, entre les différents acteurs de l'Etat, comme il le laisse supposer ?
    Sur le plan national, nous avons un système très sophistiqué, peut-être trop, et on peut s'interroger sur la fameuse articulation entre les agences qui en réfèrent au ministre et à la DGS, et la direction et l'administration « classiques » du ministère de la santé. Le titre Ier est intitulé « Politique de santé publique » mais il n'aborde pas la question de l'organisation de la santé publique. Vous êtes intervenu publiquement, monsieur le ministre, pour dire que vous pensiez qu'il fallait aller vers la fusion des agences et des intervenants en matière de santé publique.
    Ce débat peut être posé. Je suis pour ma part tout à fait défavorable à cette fusion mais nous aurions pu débattre de cette question éminemment politique. Aujourd'hui, nous traitons d'une loi de santé publique, nous prétendons afficher des orientations. Vous parlez, indépendamment du texte, de la nécessité de fusionner les agences. Or cela ne figure pas dans votre texte, pas même en perspective. Il y a là, me semble-t-il, une première incohérence. En effet, pendant les mois qui vont venir, avant que l'organisation de notre santé publique, ne soit revue sur le plan législatif, que vont penser les responsables et les salariés de ces agences ? Celles-ci ne sont-elles pas d'ores et déjà déstabilisées par la volonté que vous avez affirmée d'organiser leur fusion ?
    M. Gérard Bapt. C'est vrai !
    M. Jean-Marie Le Guen. Je vais donner un exemple précis de cette incohérence, c'est l'amendement que vous présentez au nom du Gouvernement, monsieur le ministre - notre collègue Jacquat était l'auteur d'un amendement parallèle, mais un peu différent - sur le rôle que vous voulez dorénavant attribuer à l'INVS. Nous avons vu arriver cet amendement hier en commission. Alors que vous venez de tenir un discours évoquant la philosophie politique de l'organisation de l'Etat, le rôle prééminent de celui-ci et l'éventuelle nécessité de fusionner les agences, à travers cet amendement vous conférez un rôle renforcé à l'INVS, quasiment pourrait-on dire, un rôle opérationnel. Est-il logique d'en appeler dans un texte au renforcement des structures centrales de l'Etat, et par un amendement en réaction à la canicule, venir charger l'INVS d'éléments qui sont de nature opérationnelle ? Que devient la DGAS dans cette situation ? Où se trouve la structure opérationnelle ? Là, on est au coeur du débat politique sur l'organisation centrale de la santé publique. Les propositions que vous faites, soit dans le texte, soit dans les amendements rédigés, à mon avis, à la va-vite à l'issue de la canicule, et où il ne faut voir que de la gesticulation législative, ne m'apparaissent que comme la confirmation de l'organisation du désordre.
    Je vous le dis très sincèrement, le texte initial - je pense en particulier au titre Ier - nous paraît erroné. Vous insistez sur la valorisation de l'Etat, monsieur le ministre, avec ce texte qui dit : « Etat, Etat, Etat ». Il ne suffit pas de « sauter comme un cabri » pour reprendre l'expression du général de Gaulle pour affirmer le bon fonctionnement de l'Etat. Le principe lui-même est erroné puisque cette loi de santé publique oppose l'Etat aux acteurs de la société civile.
    En effet, l'autre philosophie, cette fois scientifique, qui sous-tend ce texte, est essentiellement d'ordre épidémiologique. Toute la problématique populationnelle est laissée de côté. Je suis sûr de me faire comprendre de ceux d'entre nous qui ont l'habitude de manier ces concepts. Il existe différentes écoles en matière de santé publique. Il est légitime pour le pouvoir politique d'essayer d'équilibrer leurs apports respectifs.
    Il y l'approche épidémiologique centrée autour des pathologies et nourrie d'études statistiques, notamment, à travers la fameuse EBM, évidence based medicine. Mais nous savons qu'il y aussi une approche populationnelle des problèmes de santé qui vise moins à cibler les maladies que les populations fragiles, notamment les plus âgées, les plus jeunes ou les plus défavorisées. A cet égard, nous pensons que votre texte est déséquilibré. La philosophie scientifique qui l'inspire, dont nous reparlerons quand nous aborderons les fameuses priorités de santé publique de l'article 14, procède d'un choix très politique, qui n'a été discuté ni ici ni ailleurs, de privilégier une option par rapport à une autre.
    Enfin, j'en termine par la confusion au plan structurel. J'ai dit quelques mots de ce qui se passait au plan national. Nous aurons l'occasion évidemment de revenir à l'échelon régional.
    Dans la précipitation, mais avec la volonté de répondre à la demande, notre collègue Jacquat a déposé un amendement très significatif, visant à ce que les municipalités de plus de 5 000 habitants puissent mettre en place un projet de sécurité sanitaire et de santé publique. Nous l'avons refusé parce que nous avons bien vu que cela aurait des conséquences financières et juridiques pour les communes qui sont insupportables dans la situation actuelle. Son intuition était néanmoins juste, car il pose le problème de savoir s'il n'y a pas une profonde légitimité à décentraliser ou à déconcentrer une partie de l'action des pouvoirs publics et de l'Etat au sens large. En quelque sorte, il s'inscrit en faux contre toute la philosophie de ce texte qui tend à recentraliser et reconcentrer l'ensemble de notre politique de santé publique.
    Un Etat moderne et efficace ne devrait-il pas construire une autre architecture qui, à travers des procédures de décentralisation et de déconcentration, implique plus largement les acteurs de terrain ?
    Ces éléments de philosophie de l'action de l'Etat nous ont fait profondément douter, monsieur le ministre, de l'opportunité de légiférer dans l'urgence sur ce sujet que nous avons tous à coeur de traiter car les dysfonctionnements globaux de l'Etat interpellent tous les politiques que nous sommes. Nous estimons aussi que vos intentions initiales n'étaient pas bonnes.
    J'aimerais maintenant vous donner la position du groupe socialiste sur la politique de prévention, dont vous avez, à juste titre, souligné l'importance, monsieur le ministre.
    Le drame de la canicule, tout particulièrement, venant après d'autres drames de sécurité sanitaire, nous incite à envisager la question de la santé d'une autre façon que nous ne l'avons fait jusqu'à présent. Voilà pourquoi, d'ailleurs, je voudrais m'interroger avec vous sur le droit à la santé. Pour notre part, nous lui préférons un concept plus large qui le prolonge ou plutôt l'explicite : celui de la santé durable.
    Le droit à la santé, j'en débattais encore la semaine dernière avec certains de nos collègues, a souvent été mal compris dans notre pays. Il a parfois été interprété comme une promesse individuelle, quelque peu irréaliste : nous ne pouvons pas, par l'action politique, promettre la santé à chacun de nos concitoyens. Cela n'a pas de sens. Mais parce que cette promesse, reçue dans son aspect individuel, était impossible à tenir, elle a été souvent reçue a minima et nous avons longtemps, tous, considéré que le droit à la santé se bornait à un droit égal pour tous à l'accès aux soins. Il s'en est suivi des débats sur le niveau de protection sociale ; la gauche et la droite débattaient non pas du droit à la santé mais du droit d'accès aux soins. Nous avons tous mesuré combien cette conception était insuffisante.
    Le texte, de ce point de vue, comporte une avancée intéressante. Venant après bien d'autres, comme celui sur les droits des malades, mais aussi celui de Claude Evin, qui, même s'il n'avait pas l'ambition de traiter l'ensemble des problèmes de santé publique,...
    M. Claude Evin. C'est la meilleure loi de santé publique qui ait jamais été faite ! (Sourires.)
    M. Jean-Marie Le Guen. ... témoignait, pour la première fois d'un volontarisme politique très fort en la matière et venait déranger les habitudes, au-delà même des domaines relevant strictement de la santé, votre projet se situe dans cette tradition, vieille de dix ou quinze ans de renforcement de l'arsenal juridique de notre politique de santé publique. Il justifie, et nous en sommes d'accord, l'action de l'Etat et de la société dans l'objectif de créer un droit collectif à la santé, de garantir des conditions environnementales, non pas simplement au sens physique du terme, mais au sens large, favorables à l'épanouissement de la santé des individus. Nous pensons, d'ailleurs, qu'il faut aller plus loin : il ne suffit pas d'additionner la prévention et les soins pour obtenir la santé publique. Voilà pourquoi nous parlons de santé durable, une valeur qui doit sortir du cadre strict de l'action du ministère de la santé.
    Bien sûr, il faut faire de la prévention ! Bien sûr, il faut faciliter l'accès aux soins, mais nous aurons de plus en plus à intervenir en amont. Ainsi, il faudra s'interroger sur le droit au logement. Il faudra intervenir sur le droit de l'environnement, de l'eau, de l'air et de la pollution, mais il faudra aussi s'interroger, et nous en aurons peut-être l'occasion dans les mois qui viennent, sur la loi de programmation militaire. Ainsi, celle-ci traite-t-elle d'une façon décente la santé des populations face à d'éventuels risques extérieurs ?
    Jamais, je crois, les responsables de santé que nous sommes ne se sont posé ce type de question, ce qui fait que les questions de sécurité civile, par exemple, ne sont pas bien traitées dans cette loi de programmation militaire, et que, dans l'action quotidienne de l'Etat, lorsqu'il faut arbitrer entre les principes d'intérêts généraux de la santé et d'autres principes comme l'ordre public, le ministère de l'intérieur préfère faire passer l'ordre public avant la sécurité ou l'intérêt sanitaire. C'est peut-être aussi, finalement, ce que nous avons connu cet été.
    On voit donc bien que la question de la santé publique ne peut pas se limiter à l'action de votre ministère mais qu'elle doit irradier sur l'ensemble de l'action de l'Etat, et que cela demande une véritable politique faisant en sorte que les valeurs de la santé durable inspirent l'ensemble de l'action du Gouvernement.
    Pour aller dans ce sens, nous avons fait un certain nombre de propositions concernant notamment la promotion de la santé. Ce n'est pas simplement un vocable, et la promotion de la santé, contrairement à ce que pensent un certain nombre de mes collègues, n'est pas un sous-chapitre de la prévention. D'une part, elle a une dimension éducative importante et, d'autre part, elle nécessite une mobilisation des pouvoirs publics autour des thèmes de santé. C'est donc plus large que de simples actions de prévention.
    Ces questions font-elles débat entre nous ? J'ai tendance à le penser. Le clivage n'est pas extrêmement clair. Un grand nombre d'entre nous peuvent avoir des réflexes plus proches de ceux d'un autre côté de l'hémicycle, mais, globalement, je le crois, dans ces approches de santé populationnelle, de santé publique, il y a un débat politique entre la gauche et la droite.
    Certains pensent par exemple que la responsabilité individuelle est plus importante que la responsabilité collective. On le verra lorsque l'on parlera de nutrition ou de toxicomanie. Pour eux, c'est à la personne de comprendre et ce type de discours insistera sur la dimension personnelle, j'allais dire culpabilisatrice de la responsabilité. D'autres mettront en avant les facteurs environnementaux et, lorsqu'ils s'adresseront aux populations fragilisées, ils s'adresseront moins à la somme des individus qu'à la population dans son ensemble pour la faire évoluer. Nous aurons donc une autre approche des problèmes de prévention.
    Voilà des sujets tout à fait politiques, me semble-t-il, qui sont au coeur de ce que doit être une réflexion sur la loi de santé publique.
    Je voudrais maintenant, après avoir essayé de rappeler le contexte - la canicule, nos interrogations sur l'opportunité à court terme de cette loi, les valeurs qui nous font nous mobiliser autour de la loi de santé publique - parler de ce texte qui nous est proposé, et apporter déjà, paradoxalement, quelques nuances au discours que vous avez tenu tout à l'heure, monsieur le ministre, sur le concept même de santé publique.
    Chacun d'entre nous ici, je crois, en est d'accord, le constat est dressé depuis plus de dix ans : notre pays connaît un retard en matière de santé publique. Les raisons en sont multiples, qu'elles soient d'ordre financier, administratif, conceptuel, politique. Nous avons toujours, je le rappelais tout à l'heure, trop exclusivement privilégié le soin, la dimension médicale, l'approche individuelle, par rapport à la prévention, aux données épidémiologiques, à l'action collective, et nous avons tous en mémoire les différents drames de sécurité sanitaire que nous avons connus ces dernières années.
    Tout cela nous distingue des autres pays, notamment les pays anglo-saxons. Nous avons presque tous tendance à prétendre que notre système de santé est le meilleur au monde. Nous ferions bien de faire preuve d'un peu plus d'humilité et de rappeler que certains systèmes de santé fort décriés dans notre pays ont des traditions, y compris en matière de santé publique, largement équivalentes aux nôtres, et c'est un euphémisme. Les pays anglo-saxons ont eu en la matière des pratiques, des résultats et une politique de recherche, le président Dubernard le rappelait tout à l'heure, très supérieurs aux nôtres, et on a pu en mesurer à plusieurs reprises l'impact, notamment sur les mortalités et les morbidités évitables.
    Ces approches différentes, au-delà des insuffisances politiques et scientifiques de notre pays, trouvent aussi leurs racines, reconnaissons-le, dans le rapport particulier qu'entretient chaque peuple, chaque culture, avec la santé.
    S'il est légitime de comparer notre action avec celle des meilleurs et de s'en inspirer, il faut aussi trouver les moyens correspondant à notre spécificité. Sans doute accordons-nous à l'individu une place plus importante que ne le font spontanément les politiques d'inspiration utilitariste anglo-saxonnes. Ainsi, aujourd'hui encore, il n'est pas indifférent que notre pays, à l'instigation notamment de Bernard Kouchner, ait été l'un des premiers à insister sur l'importance de l'accès aux soins dans la lutte contre le sida en Afrique, alors que d'autres pays privilégiaient de façon exclusive une démarche préventive et populationnelle.
    Donc, après avoir rappelé la nécessité de donner à notre santé publique une culture de prévention et populationnelle, sachons aussi remarquer que, contrairement un peu à ce qu'a dit le ministre, notre identité en matière de santé restera de toute façon différente de celle des pays anglo-saxons. Lorsque nous intervenons au plan international - et ce n'est pas la moindre des choses pour notre pays, j'y reviendrai, que d'agir sur le plan international, c'est un élément fondamental et structurant de notre politique de santé, et il n'y a malheureusement rien à ce sujet dans ce texte -,...
    M. François Loncle. Très juste !
    M. Jean-Marie Le Guen. ... nous avons une approche souvent différente de celle des pays anglo-saxons, et nous avons la prétention de penser que cette approche n'est pas forcément mauvaise, y compris pour les populations concernées.
    Ainsi, dans ce débat très politique sur la lutte contre le sida en Afrique, que nous poursuivons avec les Américains, les Nordiques, les Allemands et les Anglais, on voit bien que ce sont des questions de philosophie politique sur l'intervention de notre système de santé qui sont posés.
    Il faut donc aussi mesurer tous les efforts que nous avons à consentir, mais il ne faut pas copier ce qui se fait dans les pays anglo-saxons, même si, je l'ai dit, ils ont des résultats meilleurs que les nôtres. Il faut savoir s'adapter en conservant une certaine forme d'identité. C'est ce qu'attend notre peuple et c'est, je crois, utile à la bonne santé, y compris au plan international.
    Le vrai débat sur la santé publique est donc éminemment politique et ne saurait se limiter à des questions techniques.
    Lorsque vous avez annoncé une grande loi de santé publique, monsieur le ministre, je le rappelais tout à l'heure, beaucoup y voyaient une nouvelle étape de la remise à niveau entamée par les différents gouvernements depuis quinze ans. Tous les acquis, y compris le dernier, la loi sur les droits des malades, étaient, je crois, très loin d'être négligeables. Ces avancées ont permis de mettre notre pays sur la bonne voie, même s'il reste beaucoup à faire.
    C'est donc avec un peu d'étonnement et beaucoup de tristesse que nous avons pris connaissance d'un texte qui était décevant et régressif,...
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Oh !
    M. Jean-Marie Le Guen. ... et qui ne tenait pas compte de la démarche qui avait été la nôtre, tous ensemble, puisque la loi du 4 mars 2002, par exemple, avait été votée très largement sur ces bancs. Même si elle avait été proposée par la précédente majorité, j'avais eu le sentiment, mais peut-être m'étais-je trompé, qui elle était portée très largement sur les bancs de cette assemblée.
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Celle-ci aussi !
    M. Jean-Marie Le Guen. Celle-ci le sera peut-être partiellement.
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Elle ne demande qu'à l'être.
    M. Jean-Marie Le Guen. Puisque M. Dubernard m'y pousse, je dois dire que j'ai l'espoir que le titre Ier sera réécrit.
    Mme Claude Greff. Il sera amendé !
    M. Jean-Marie Le Guen. Je le crois et je l'espère. Pour l'instant, je vais me borner à parler de la loi, je ne peux pas anticiper sur les amendements qui seront peut-être votés.
    Vous avez annoncé, il y a plusieurs mois, monsieur le ministre, en prenant vos fonctions, une loi de programmation, c'est-à-dire une loi qui aurait été chiffrée et soutenue par un financement pluriannuel. Ce n'est évidemment pas le cas. Puis, vous avez annoncé une loi d'orientation, c'est-à-dire une loi de principe et d'organisation. Il ne reste au bout du compte aujourd'hui qu'un simple projet de loi qui ne comporte aucun engagement financier, en termes de dépenses ou de recettes. Ce recul n'est pas seulement grave sur le fond, il témoigne aussi, je crois, d'une sorte de recul de la santé dans les priorités du Gouvernement.
    Ce texte néglige les orientations des plans triennaux mis en place par le précédent gouvernement, qui étaient, eux, des engagements à la fois structurés et financés.
    Vous vous êtes flatté de son mode d'élaboration. Très honnêtement, il n'y a qu'à voir les réactions de l'ensemble des acteurs. Jamais on n'a vu un projet de loi sur un sujet potentiellement aussi peu conflictuel, la santé publique, autant condamné et isolé. Voulez-vous que j'égrène ? Les mutuelles, l'assurance maladie, les organisations syndicales, les associations de malades, les observatoires régionaux de santé, les comités, la fédération nationale des établissements de santé, la société nationale de santé publique, etc. J'allais oublier les URCAM, les URML, les syndicats médicaux... Bref, tout le monde, à part, apparemment le ministère,...
    M. René Couanau. Et la commission !
    M. Jean-Marie Le Guen. ... a protesté contre le mode de consultation et contre les principes d'organisation, en tout cas pour les articles 1er à 5.
    M. René Couanau. Le sens de la nuance de M. Le Guen reprend le dessus !
    M. Jean-Marie Le Guen. Ce n'est pas une question de nuance, c'est un constat ! Je vous lirai, article par article, puisque vous m'y poussez, les déclarations qui ont été faites par tous les acteurs de la santé !
    Cette méthode explique aussi les insuffisances de ce texte. Alors qu'il y a un problème de conception non seulement de l'action gouvernementale, mais de la santé publique, alors que la santé publique est le domaine de la mobilisation collective par excellence, sa rédaction a été confiée exclusivement à un groupe d'experts, dont cinq seulement, sur soixante-dix, connaissaient les orientations stratégiques.
    M. Claude Greff. C'est faux !
    M. Jean-Marie Le Guen. C'est vrai, et je prends ces experts à témoin ! Ils sont arrivés à une réunion de commission, on leur a donné un texte avec les fameux 100 objectifs, et ils avaient deux heures pour se prononcer ! Je ne vous parle pas de l'ensemble des acteurs, je vous parle des quelques experts que nous avons vus, vous les interrogerez vous-mêmes.
    M. Claude Greff. C'est déjà fait .
    M. Jean-Marie Le Guen. Ils n'ont donc pas eu accès aux points stratégiques les plus importants. Ce projet n'a donné lieu à aucun débat public, aucune consultation préalable des associations de malades et de toutes les autres.
    Il ne faut pas s'étonner, dès lors, que contresens et régressions soient présents dans ce texte. Très sincèrement, aucune urgence, aucun volontarisme politique ne justifiait une telle méthode.
    Quelques mots pour regretter profondément que la dimension internationale et européenne soit profondément absente de ce texte. Si, comme nous le pensons tous - du moins, nous l'affirmons -, la santé et singulièrement la santé publique sont une valeur de mobilisation de notre société, et si la France a un rôle particulier à jouer dans ce domaine, comment ne pas être porteur d'une ambition internationale en matière de santé publique ? Comment ne pas prévoir, dans un texte d'orientation, le fait que nous soyons porteurs, au plan international, d'un discours ? Notre tradition, même récente, n'est-elle pas forte, en la matière ? Les French doctors, notre action dans les organisations internationales, la qualité et la renommée de notre science médicale ne nous imposent-ils pas de réfléchir et d'agir à l'échelle de la planète ?
    M. Claude Greff. On n'a pas attendu aujourd'hui !
    M. Jean-Marie Le Guen. Cette dimension est totalement absente de votre texte.
    Plus étonnant encore, même la dimension européenne, qui n'est même plus une ambition, mais un mode de fonctionnement normal, est absente de ce texte. M. le ministre rappelait un certain nombre d'actions qu'il avait mises en oeuvre au plan européen. Tant mieux que la France, par votre truchement, monsieur le ministre, soit aussi active, mais nous ne comprenons pas que la dimension européenne ne soit présente à aucun moment.
    Croyez-vous franchement que cette Europe de la santé qui va se mettre en place beaucoup plus rapidement que nous le pensons, parce qu'il y a une logique et une demande, se fera aussi bien au niveau des soins qu'à celui des garanties ? Pensons-nous sérieusement que nous pourrons avoir ces structures « nationalo-nationales », « étato-nationales » ? Peut-on parler du problème des agences sans que cela soit directement lié aux questions européennes ? Ne pas anticiper d'ores et déjà la dimension européenne, n'est-ce-pas une façon totalement archaïque de penser l'action de l'Etat ?
    Mme Claude Greff. Soyez positif ! Nous y avons pensé !
    M. Jean-Marie Le Guen. Si vous me le permettez, je dispose d'une heure et demie !
    Mme Claude Greff. Au maximum !
    M. le président. Exactement !
    M. Jean-Marie Le Guen. Merci, monsieur le président !
    M. Jean-Luc Warsmann. Donc le but est de tenir. Merci de l'aveu !
    M. le président. Mes chers collègues, seul M. Le Guen a la parole !
    M. Jean-Marie Le Guen. Je serai positif, je l'ai été, vous le savez, très largement sur ce texte.
    M. René Couanau. Il sera positif cinq minutes !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. C'est l'intermittent du positif !
    M. Jean-Marie Le Guen. S'il vous paraît naturel que, dans un texte de santé publique, on n'aborde pas l'ambition internationale de la France, ou la réorganisation de l'Etat en fonction de l'intégration européenne qui est en train de se réaliser,...
    Mme Claude Greff. Mais si !
    M. Jean-Marie Le Guen. ... si vous pensez que l'Europe n'aura aucun rôle à jouer dans les années qui viennent en matière d'organisation de la sécurité alimentaire ou de gestion de l'appareil de soins, alors que, s'agissant des médicaments, on cite déjà l'Agence européenne du médicament qui est d'ores et déjà en place, alors je ne sais pas de quoi l'on parle !
    Mme Martine Aurillac. Vous n'avez pas écouté le ministre !
    M. Jean-Marie Le Guen. En tout état de cause, je le constate, il n'y pas un mot sur la dimension internationale, pas un mot sur la dimension européenne. Il a fallu que ce soit les commissaires socialistes qui proposent un amendement - on me dit qu'il a été adopté ce matin - pour ratifier la convention internationale sur le tabac ! C'est notre collègue Claude Evin qui a proposé que l'on saisisse l'occasion de ce débat de santé publique...
    M. René Couanau. Il a bénéficié de notre appui !
    M. Jean-Marie Le Guen. ... pour ratifier une convention internationale et que la France soit un des premiers pays à le faire.
    M. Jean Le Garrec. Eh oui ! Très bien !
    M. Gérard Bapt. C'est de l'opposition constructive !
    M. Jean-Marie Le Guen. Voilà ce qu'est la prise en compte d'une dimension internationale ! Etre parmi les premiers pays à ratifier une convention internationale sur le tabac est un acte politique ! Vous pourrez remercier les collègues de l'opposition qui ont fait une telle suggestion !
    Mme Claude Greff. Nous, ce que l'on veut, c'est agir d'abord !
    M. Jean-Marie Le Guen. Vous nous demandiez d'avancer des propositions. Je crois qu'elles sont claires.
    Il est un point qui devrait tous nous rassembler, lorque l'on parle de démographie médicale ou de démographie des professions de santé. On vient nous donner des chiffres moyens. J'ai vu d'ailleurs, avec un peu de tristesse, monsieur le ministre, que vous vous rangiez aux arguments de ceux qui estiment que nous avons largement suffisamment de professionnels de santé dans notre pays et notamment de médecins.
    Mme Claude Greff. Nous n'avons jamais dit cela !
    M. Bertho Audifax. Cela a été le discours des socialistes pendant des années !
    M. Jean-Marie Le Guen. Cela n'a pas été notre discours, cela a été un discours collectif qui a été porté par les syndicats médicaux ! Vous-même avez été un professionnel de santé, membre d'un syndicat. Malheureusement, reconnaissons-le, les syndicats médicaux ont eu une responsabilité relativement grande quand, avec un certain nombre de techniciens et d'économistes de la santé, il ont essayé de nous convaincre que nous avions trop de professionnels de santé dans ce pays, avec l'idée simple que moins il y en aurait et moins cela coûterait cher.
    C'est Bernard Kouchner qui a rompu avec cette idée, il y a exactement trois ans alors qu'il était ministre de la santé. Mais cette rupture a été, à mon avis, insuffisante et, à ma connaissance, il n'y a plus, aujourd'hui, de discours portant sur la démographie. Or, si la France veut mener une politique internationale - et pas simplement nationale -, peut-elle n'avoir comme ambition que d'être importatrice de professions de santé, alors qu'elle dispose d'un appareil de formation de qualité et pourrait avoir l'ambition d'être exportatrice de professionnels de santé ?
    Ces questions, qui ne déterminent pas forcément des clivages entre nous, devraient être au coeur de la réflexion sur la politique de santé publique. Or, elles n'y sont pas, je me permets de le signaler. Mais rien n'empêche que nous nous accordions : la discussion générale ne s'achèvera que ce soir, et nous pouvons voter ensemble des amendements sur ce sujet. Quant à moi, j'y suis prêt.
    Venons-en au titre Ier. J'attends beaucoup - et j'ai déjà beaucoup reçu - du travail en commission que nous avons effectué depuis plusieurs mois. En effet, nous n'avons pas attendu ces dernières semaines pour commencer, autour de notre rapporteur, à examiner les articles du projet de loi. Je reconnais volontiers le sérieux du travail de notre rapporteur et de notre commission, et nombre d'amendements qui ont été votés me satisfont. Je voudrais cependant dire toutes les réserves que m'inspirait le texte initial, car c'est sans doute au titre Ier que se révélaient les aspects les plus négatifs du projet de loi.
    Je l'ai dit tout à l'heure, nous comprenions mal la nécessité de refondre les principes de l'organisation de notre politique de santé publique, cette volonté de revenir un peu trop systématiquement sur la loi du 4 mars 2002, qui n'a été adoptée qu'il y a dix-huit mois et que, dans bien des domaines, on n'a pas eu le temps d'appliquer.
    Mme Claude Greff. Eh oui ! Nous avons demandé les décrets !
    M. Jean-Marie Le Guen. Le Gouvernement actuel a eu dix-huit mois pour la mettre en application, s'il le souhaitait. Il ne l'a pas fait : c'était un choix politique. Il nous propose un dispositif qui ne sera en place que dans un an. Nous sommes dans l'entre-temps. Pendant deux ou trois ans, le dispositif de santé publique de notre pays n'aura pas été mis en conformité avec les critères qui, je le rappelle, avaient fait l'objet d'un large accord sur les bancs de cette assemblée : à l'époque, en effet, aucun rapport, aucune étude, aucun orateur n'avait dit que nous nous trompions et que nous oubliions tel ou tel aspect.
    D'où viennent donc les principes que prétend imposer la loi dont nous débattons aujourd'hui ? Je ne parle même pas de la concertation avec les acteurs, mais du plan politique. Certains députés présents aujourd'hui étaient déjà là le 4 mars 2002 et ont débattu de la loi. Monsieur le ministre, vous-même étiez présent parmi nous.
    M. Claude Evin. Oui, mais il ne l'a pas votée !
    M. Jean-Marie Le Guen. C'est tout à son honneur, mais pourquoi ne l'a-t-il pas votée ?
    M. Claude Evin. Non, ce n'est pas à son honneur !
    M. Jean-Marie Le Guen. En l'occurrence, au moins, cela montrait une cohérence !
    M. Claude Evin. Non !
    Mme Claude Greff. Ils ne sont pas d'accord ! Il faudrait savoir !
    M. le président. Mes chers collègues, ne vous interpellez pas !
    M. René Couanau. On peut les laisser ! Ou alors qu'ils aillent cinq minutes à la buvette pour se mettre d'accord !
    M. Jean-Marie Le Guen. A aucun moment, il n'y a eu la moindre manifestation de sociétés savantes ou de professionnels, aucune manifestation venant de la société pour dire que la loi du 4 mars ne marchait pas, qu'elle était insuffisante ou qu'il fallait y ajouter quelque chose ! Mais il a été décidé de faire une loi de santé publique, car, avant tout, vous vouliez absolument réécrire la loi du 4 mars 2002, alors qu'elle avait été largement adoptée sur les bancs de cette assemblée. Pour tout vous dire, ça nous a paru un peu mesquin.
    J'ai déjà dit que nous sommes en désaccord total avec la conception de l'Etat qui s'exprime dans ce texte - un Etat qui se veut omniprésent et qui essaie, en fait, de soumettre les différents acteurs de la société à son bon vouloir.
    Mme Claude Greff. C'est l'inverse dans le projet de loi !
    M. Jean-Marie Le Guen. C'est l'inverse, effectivement, qu'il faudrait faire. Ce que nous souhaitons, et que nous avions installé avec la loi du 4 mars, c'est un Etat qui peut décider après consultation, un Etat qui est là pour dynamiser, et non pas pour soumettre. Pensez-vous vraiment que l'action de l'Etat consiste à soumettre les acteurs de la société civile et les acteurs professionnels, et non, au contraire, à dynamiser ?
    Votre approche est aussi technocratique. Ce n'est pas par hasard que les associations de malades et les professionnels ont été largement ignorés au cours du processus. Nous sentons, derrière tout ça, une vision très technicienne de la santé publique, et marquée essentiellement par une philosophie scientifique particulière : l'épidémiologie.
    Je pourrais développer encore largement ce point à travers le titre Ier, mais il me faut aussi évoquer d'autres éléments, notamment les problèmes des choix de structure, qui nous semblent confus et inadaptés. Bien des faiblesses et des incohérences apparaissent, en effet, dans le détail des structures tant nationales que régionales. C'est un point sur lequel notre commission n'a pas voulu revenir dans ses amendements, et je voudrais redire ici toutes les inquiétudes que m'inspire le problème posé par la fusion des organismes d'expertise et de gestion, contraire à tous les principes acquis en matière de gouvernance des systèmes de santé. J'insiste, sans que cela ait un caractère idéologique très marqué, sur le fait que nous prenons le risque de mélanger à tort des organismes de gestion technique et tactique avec des organismes d'orientation stratégique. Par exemple, en établissant la notion de Haut Conseil de santé publique - indépendamment de la plaisanterie qui consiste à appeler « santé publique » ce que la loi du 4 mars appelait « santé », sans doute dans un souci d'écriture consensuelle -, on fusionne des organismes qui n'ont rien à voir ensemble. Le Haut Comité de santé prévu par la loi du 4 mars est un organisme de délibération collective et d'expertise sur des problèmes stratégiques en matière de santé publique. On le fusionne avec le Comité d'hygiène publique, organisme purement technique, hyper-pointu, qui prend des décisions ponctuelles - par exemple sur le taux de chlore dans les piscines. Va-t-on faire travailler dans la même institution des personnes qui parlent de morbidité, de mortalité, de qualité de vie, qui travaillent sur des indices, éventuellement sur des politiques, et d'autres qui ont une approche technique des dossiers ? Les deux démarches sont légitimes, mais à quoi sert de mélanger ces structures ?
    De la même façon, on mélange le CNSS, Conseil national de sécurité sanitaire, et le Conseil des politiques de prévention. Quel rapport y a-t-il entre une structure de crise - dont on peut d'ailleurs se demander quand elle a été réunie lors de la crise que nous avons connue cet été -, qui réunit tous les services du ministère de la santé pour gérer une crise sanitaire, et une autre structure qui est chargée de piloter les politiques à moyen et à long terme de prévention et d'éducation sanitaire dans les différents services de l'Etat - du ministère de l'éducation nationale au ministère de la défense -, mais pas de gérer des crises. A quoi bon les fusionner ? Y a-t-il à cela une raison autre qu'esthétique ?
    Je n'ai pas convaincu nos collègues de la commission et je n'attends, pour ma part, que d'être convaincu du contraire. Mais si, demain, on s'aperçoit que, dans ces structures, certains ont privilégié le tactique au détriment du stratégique, ou inversement, il ne faudra pas s'étonner des dégâts.
    Au plan régional, la confusion est aussi la règle et frise même le ridicule : le préfet est installé comme dirigeant de la politique de santé publique et, à ce titre, il devient le responsable de la déclinaison régionale des objectifs nationaux. Gare à ceux qui s'écarteraient du droit chemin, ils sont prévenus.
    Mme Claude Greff. C'est faux !
    M. Jean-Marie Le Guen. Je crains que les politiques régionales mises en oeuvre, aujourd'hui, à l'instigation des conseils régionaux - Poitou-Charente, PACA, Nord - Pas-de-Calais, Ile-de-France - ne voient leur dynamique cassée. Le comité régional de santé, qui rassemble les décideurs et les financeurs - sic - régionaux de la politique de santé, mis en place aujourd'hui, n'est que consultatif. Il est présidé par le préfet, dirigé par une personne nommée par lui et n'a, comme outil d'intervention unique, que le fameux GRPS, le groupement régional de santé publique, qui est administré par des administrations. Dans l'état actuel des choses, les professionnels de santé en sont exclus.
    Il ne s'agit pas seulement de fusionner les financeurs, - ce qui, j'y reviendrai, n'est pas sans poser de problème - mais de donner la maîtrise de l'opérateur à l'ensemble des administrations d'Etat. Il sera amusant, demain, de voir le préfet - en l'occurrence la DRASS - venir donner des ordres sur le SROS à l'ARH dans la liaison amicale...
    M. René Couanau. C'est normal !
    M. Jean-Marie Le Guen. M. Couanau dit que c'est normal. M. Couanau m'a pourtant habitué - et j'ai beaucoup appris en l'écoutant - à un discours plus critique à l'égard de la rationalisation jacobine de l'action de l'Etat ! Rassembler des gens, strictement séparés jusque-là dans la gestion de leur secteur, sous l'autorité de l'un d'entre eux, me paraît une confusion des genres un peu problématique.
    Mme Claude Greff. Ils peuvent être complémentaires !
    M. Jean-Marie Le Guen. Oui, mais il va falloir qu'ils changent de casquette.
    Mme Claude Greff. Pas vraiment !
    M. Jean-Marie Le Guen. Aujourd'hui, je suis au comité régional, demain à l'ARH. Je n'ai pas à recevoir d'ordres du préfet. Si le SROS est placé sous l'autorité exclusive du préfet, et si l'ARH refuse de recevoir les ordres de ce même préfet, cela risque de ne pas être simple lorsque celle-ci devra opérer des restructurations. A moins qu'il ne s'agisse d'une reprise des ARH par les DRASS. Tout peut se discuter.
    Mme Claude Greff. Le projet de loi vise précisément à améliorer tout cela !
    M. le président. Chère collègue, seul M. Le Guen a la parole.
    M. Jean-Marie Le Guen. Nous sommes tous là pour améliorer, mais on ne légifère pas avec des bons sentiments et des intentions. Il s'agit de savoir si, techniquement, les choses se font ou ne se font pas.
    La commission a fourni un travail extrêmement important et je pense que, en effet, pour l'essentiel, sur ce titre Ier, nous allons revenir à des considérations beaucoup plus justes.
    Je voudrais également aborder la question du rythme quinquennal. Evidemment, le mot « quinquennal » est très plaisant pour les gens qui ont un sens particulier de l'Etat et de la planification. Cela a un petit côté nostalgique - les grands plans quinquennaux -, cela trahit une culture du volontarisme politique. (Sourires.)
    Vous voyez que je fais léger, je n'insiste pas trop...
    On pouvait donc penser que cette notion avait quelque chose de stimulant pour ceux qui voulaient réaffirmer un volontarisme centralisé. Je pense néanmoins que ce terme est particulièrement déplacé. Certes, il faut mettre en place des plans en perspective stratégique. Mais borner par la notion de « quinquennal » la volonté de dérouler une politique stratégique trahit - outre l'inspiration philosophique problématique que j'ai soulignée - une méconnaissance du fonctionnement de l'action politique.
    M. René Couanau. Qui donc était partisan du quinquennat il y a quelques mois ?
    M. Jean-Marie Le Guen. J'étais effectivement partisan du quinquennat, et j'ai eu tort, je le dis très honnêtement. Je me suis laissé convaincre par certains éléments... Puisque vous m'y poussez, cela me permettra de faire ici mon mea culpa. (Sourires.) Que mon exemple serve à tout le monde : il faut éviter d'adopter des arguments tactiques contraires à ses convictions. Certaines concessions tactiques peuvent paraître astucieuses, mais elles se retournent parfois contre vos propres convictions. J'ai fait mon mea culpa, mais je vous invite à y réfléchir : c'est valable pour nous tous. (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Dominique Tian. C'est donc valable pour tout le PS ?
    M. Jean-Marie Le Guen. Je parle pour moi !
    M. le président. Chers collègue, ce n'est tout de même pas un débat interactif ! (Sourires.)
    M. Jean-Marie Le Guen. C'est dommage !
    M. le président. Il faudrait éviter que notre débat ne se transforme en un jeu de questions-réponses.
    M. Jean-Marie Le Guen. Nous aurions pu développer un rythme pluriannuel glissant, car on voit bien que, si nous nous donnons des rendez-vous tous les cinq ans, certains d'entre nous risquent de manquer le prochain rendez-vous. Il arrive parfois que les rythmes que l'administration veut nous imposer ne correspondent pas aux réalités de la vie politique. Une législature ne se déroule pas forcément de façon linéaire. J'ai fait mon mea culpa en confidence. Il est arrivé à d'autres de procéder à des dissolutions, par exemple. On attend encore leur mea culpa. (Sourires.)
    Le rythme politique n'est pas le rythme administratif, et vouloir mener la politique de santé publique dans un cadre aussi rigide que celui d'un plan quinquennal ne correspond en rien au rythme de la vie politique. Que reste-t-il d'un plan quinquennal quand, trois mois après son adoption en Conseil des ministres, on est amené à revoir substantiellement la loi de santé publique parce que, entre-temps, est survenue une crise sanitaire ? Un peu plus de souplesse, un peu plus de réactivité, un peu moins de volontarisme dépassé, en l'occurrence, et un peu moins de rigidité, cela fera du bien à l'action de l'Etat.
    M. Jean-Luc Warsmann. Qu'est-ce que le « volontarisme dépassé » ?
    M. Jean-Marie Le Guen. C'est un volontarisme qui se situe dans une tradition du centralisme...
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Qui n'est pas à sa place !
    M. Pierre-Louis Fagniez. Une centralisme démocratique ?
    M. Jean-Marie Le Guen. Démocratique ? Rarement, il faut bien le dire ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est un fait n'est-ce pas ? C'est très rarement démocratique. Cela n'a duré qu'un an et demi, en 1917-1918.
    M. Jean-Luc Warsmann. La morale de l'histoire, c'est qu'il est difficile de tenir une heure et demie à la tribune ! (Rires.)
    M. Jean-Marie Le Guen. C'est intéressant, pourtant. Mais, je le sais bien, vous êtes pressé, mon cher collègue !
    M. René Couanau. En termes de marine, c'est la « pétole » ! (Sourires.)
    M. Jean-Marie Le Guen. J'en viens à nos conceptions politiques. J'ai parlé des différents acteurs, mais j'ai oublié - moins que les auteurs de cette loi - de parler du problème de la sécurité sociale et de notre système d'assurance sociale. Je n'insisterai pas plus sur l'humilité dont on devrait faire preuve lorsqu'on prétend qu'une loi de santé publique est là pour assurer le niveau de santé des Français et que, dans le même temps, on conduit une politique qui met gravement en péril notre assurance maladie. Les déficits étant ce qu'ils sont, l'avenir de l'assurance maladie est l'objet de graves interrogations chez les Français. Nous aurons l'occasion d'en discuter plus largement dans quelques semaines, à l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
    En fait, monsieur le ministre, même avec des caricatures, que j'ai déjà soulignées, ce texte s'inscrit dans l'action de votre ministère et dans la philosophie qui était la vôtre, il y a dix-huit mois en matière de réforme de notre système de santé et d'assurance maladie. Indiscutablement, la philosophie de ce texte était inspirée des rapports que vous aviez commandés - dont celui sur la gouvernance, de Mme Ruellan -, des discussions et des positions que vous aviez prises sur l'avenir de l'assurance maladie. Vous vous apprêtiez à promouvoir une vision des agences régionales de santé, dans laquelle l'Etat devait se substituer aux partenaires sociaux en matière d'assurance maladie, où il ne serait pas seulement le principal acteur de la politique de santé publique, mais aurait vocation à être le principal acteur de la politique de santé tout court. En quelque sorte, vous alliez nous proposer un dispositif, tant au plan national qu'au plan régional, qui préparait une étatisation de l'assurance maladie. C'était votre philisophie politique. Votre projet de réforme était organisé. Et vous nous aviez annoncé que vous présenteriez dès le mois de janvier 2004 une grande loi portant notamment sur la gourvernance de l'assurance maladie. Mais, patatras, au printemps dernier, le Président de la République, M. Chirac, s'est rendu au congrès de la Mutualité, à Toulouse, pour y annoncer un choix de philosophie politique strictement contraire à celui qui inspirait le Gouvernement.
    Il se prononce de façon très claire pour que le rôle de l'Etat soit relativement minoré dans l'assurance maladie et pour que, au contraire, les partenaires sociaux prennent toutes leurs responsabilités. Il demande même au MEDEF de revenir siéger à la sécurité sociale. En quelque sorte, il valide - j'imagine au grand désappointement de nombre d'entre vous - le système de gestion paritaire de l'assurance maladie, tout en souhaitant renforcer les responsabilités des partenaires sociaux.
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Nous en parlerons dans trois semaines !
    M. Jean-Marie Le Guen. En effet !
    Je m'interroge : les propos du Président de la République traduisent-ils un choix tactique ou une orientation de fond ? Le Président de la République s'est-il dit : « Oh là là, les déficits sont si énormes que je n'ai surtout pas l'intention, notamment en année électorale, d'aborder ces questions, je ne me sens pas capable d'assumer politiquement cette situation et même de mener la réforme, aussi vais-je dire aux partenaires sociaux que c'est surtout leur problème » ? C'est ce que peuvent penser ceux qui ont une vision très critique de l'action du Président de la République.
    D'autres, comme moi, par respect, prennent les déclarations du Président de la République au pied de la lettre et pensent qu'il a fait un choix stratégique et nous a expliqué que l'Etat doit se cantonner dans un rôle plus restreint en matière d'organisation des soins et d'assurance maladie dans ce pays. Si tel est le cas, on voit bien, sur le plan philisophique, que ce texte est en contradiction totale avec le choix opéré par le Président de la République. Si nous devons continuer à parler de la gouvernance dans l'orientation fixée par le Président de la République, je ne vois pas comment et au nom de quel volontarisme politique de l'Etat vous pourriez dire à l'assurance maladie : « Donnez votre carnet de chèques, c'est nous qui signons. » Cela m'étonnerait que cela puisse se passer ainsi. Au moment où il faut rapprocher soins et prévention - nous sommes tous d'accord -, je vois mal ceux qui se verront assigner le premier rôle en matière d'intervention dans la distribution des soins accepter d'être le carnet de chèques d'un État impécunieux !
    Je dirai maintenant quelques mots sur le contenu de ce texte et sur les plans de santé publique qui y sont développés. Très honnêtement, nous trouvons que la stratégie mise en oeuvre est assez peu claire. Touchant à la fois aux structures, aux politiques, et à des réglementations diverses, le projet de loi rassemble des sujets très divers, qui n'ont d'ailleurs pas tous de rapport entre eux, et qui font que ce texte ressemble plus à un projet de loi portant diverses mesures d'ordre sanitaire, forme législative à laquelle je croyais que nous avions renoncé.
    Votre gouvernement, monsieur le ministre, a annexé au texte une étonnante compilation de travaux académiques, parfois de qualité, qui reprennent notamment les politiques engagées les années précédentes. Mais qu'en est-il des fameux cent objectifs qui déclinent votre politique ? J'ai d'ailleurs tendance à faire une erreur de liaison tant cette multiplication donne à penser que le texte est « sans objectif ». Ces objectifs sont parfois quantifiés, mais il aurait été plus intéressant qu'ils soient détaillés plus précisément, ne serait-ce qu'en termes de moyens. A défaut d'être financés, ils pourraient au moins être chiffrés : cet élément important donnerait plus de crédibilité à leur mise en oeuvre.
    Devant une telle énumération, nous sommes un peu démunis, et notre perplexité croît lorsque l'on énonce les priorités pour la période 2004-2008. Rien ne justifie leur choix si ce n'est leur contenu propre et leur intérêt en tant que tel, car chacun évidemment nous motive. Pourquoi ces choix plutôt que d'autres ? Rien ne l'explicite ! Il faut d'ailleurs noter que les priorités fixées ne sont dotées d'aucun contenu ni d'aucun programme. Le débat sur les priorités de santé publique est pourtant essentiel afin de donner de la cohérence et de la visibilité à une politique de santé publique. Or la cohérence dans l'énoncé des priorités est la condition de la durabilité d'une telle politique et de l'adhésion qu'elle doit susciter chez nos concitoyens.
    A cet égard, comme vous, monsieur le rapporteur, nous aurions préféré que soit retenue la démarche suggérée par l'Académie de médecine qui a proposé une méthode plus objective quant aux choix des priorités. Pour cela, elle retient des critères visant à définir ce qu'est une priorité en matière de santé publique. Qu'est-ce, en effet, qu'une priorité en matière de santé publique ?
    Mme Claude Greff, M. Pierre-Louis Fagniez et M. Jean-Luc Préel. Bonne question, en effet. On aurait dû commencer par là !
    M. Jean-Marie Le Guen. Est-ce un sujet qui a eu un impact médiatique plus fort qu'un autre ? Est-ce une lubie de tel ou tel responsable technique ou politique ?
    M. Jean-Luc Préel et Mme Claude Greff. Ce serait dommage !
    M. Jean-Marie Le Guen. Est-ce le résultat d'une démarche collective et rationnelle ?
    Quels sont les critères avancés par l'Académie de médecine et que nous ne retrouvons pas dans les priorités proposées par le Gouvernement ? Ils sont au nombre de trois. Le premier est le retard particulièrement important que nous enregistrons dans ce domaine par rapport aux autres pays de l'Union européenne. Le deuxième est constitué par les principales causes de mortalité et de morbidité évitables. Le troisième consiste dans la notion d'acceptabilité sociale : l'académie de médecine fait notamment référence aux maladies nosocomiales et au suicide chez les jeunes. Par le terme « acceptabilité », terme un peu barbare, elle entend la capacité de mobilisation de la population sur un problème de santé publique. L'Académie de médecine propose aussi que soit établi pour chacun de ces choix et de ces stratégies un rapport coût-efficacité. Si de tels éléments avaient figuré dans les rapports annexés, nous aurions pu déterminer d'une façon beaucoup plus claire les raisons des choix opérés.
    Parmi les priorités qu'il aurait fallu selon nous retenir, je citerai le combat contre l'un des risques majeurs à venir qu'est l'épidémie d'obésité. Lorsqu'elle sera installée, elle sera beaucoup plus coûteuse à combattre.
    Mme Claude Greff. Une épidémie, c'est viral !
    M. Jean-Marie Le Guen. Non, madame, une épidémie n'est pas nécessairement virale !
    M. Pierre-Louis Fagniez. Ni même bactérienne !
    M. Gérard Bapt. Ça peut être génétique ! (Sourires.)
    M. Jean-Marie Le Guen. Une épidémie c'est un phénomène épidémiologique, qui n'est pas nécessairement viral ou bactérien. On parle d'épidémie quand une pathologie se développe massivement.
    Pour dégager des priorités, on aurait dû aussi prendre en compte les acteurs que nécessitent telle ou telle action, car on ne peut pas solliciter en permanence les mêmes acteurs.
    Il faudrait aussi privilégier les politiques dont la mise en oeuvre a un coût minimum et un effet maximum. Par exemple, si une maladie peut être évitée grâce à une réglementation, il est légitime de mettre cette dernière en oeuvre dès que possible, car cela permet d'éviter à l'Etat d'investir ou de solliciter de nombreux acteurs.
    A côté de l'énumération presque exhaustive, mais peu éclairante, des cent objectifs de santé publique, dont le choix n'est explicité que par la parole présidentielle, qui est certes importante...
    M. Dominique Tian. Primordiale !
    M. Jean-Marie Le Guen. ... mais néanmoins insuffisante, le texte comporte plusieurs dispositions positives que nous approuvons.
    Tout d'abord, le renforcement de la lutte contre le tabac. Nous soutenons l'action qui est menée pour augmenter le prix du tabac.
    De même, le projet introduit de nouvelles dispositions intéressantes en matière de santé environnementale et de santé au travail.
    Certes, pour donner sa pleine dimension à une véritable politique de santé publique, des propositions plus structurantes seraient nécessaires : nous y contribuerons, notamment, en matière de santé scolaire. Cependant, nous approuvons nombre des dispositions contenues dans le titre III.
    En revanche, le texte nous paraît assez faible en matière d'alcoolisme, c'est le moins que l'on puisse dire, et je regrette que diverses dispositions proposées au Gouvernement aient été systématiquement repoussées.
    Si je comprends certaines préoccupations, il me semble qu'il aurait été impératif, dans un texte relatif à la santé publique, de traiter avec un minimum de sérieux un des problèmes majeurs de santé publique dans notre pays : l'alcoolisme. On ne peut pas faire comme si l'alcoolisme n'existait pas dans notre pays. Si nous prétendons donner des leçons au monde entier en matière de santé publique, je pense qu'il faudrait, justement parce qu'il s'agit d'un problème profondément inscrit dans la réalité sanitaire française, que nous soyons capables de faire des efforts plus importants.
    A cet égard, je tiens à rendre hommage au texte de Claude Evin relatif à la publicité sur l'alcool, qui lui avait valu à l'époque, ainsi qu'à ceux qui étaient les rapporteurs du texte, un satisfecit modéré de la part de plusieurs de nos collègues et des attaques assez violentes de certains lobbies. Il n'aurait pas été inutile que l'actuelle majorité reprenne un peu le fardeau qu'avait porté en son temps une autre majorité.
    Nous regrettons que la lutte contre les inégalités en matière de santé comme la situation spécifique des exclus ne soient pas considérées comme des priorités. Nous déplorons que les inégalités devant la santé en fonction des différences sociales ne soient jamais explicitées ni mises en avant, alors que c'est l'une des réalités profondes de notre pays. Nous regrettons également que des questions particulières comme celle de la santé des immigrants ou celle des populations détenues ne soient pas véritablement abordées, alors qu'elles sont d'un intérêt primordial pour ces populations, et peuvent se transformer en problèmes pour l'ensemble de notre population. D'une façon plus générale, la question des précaires ainsi que celle de la médecine populationnelle sont ignorées. Nous déposerons une série d'amendements à ce sujet.
    Par ailleurs, nous avons été étonnés par la création inattendue de certaines institutions, création qui peut s'avérer relativement déstabilisante. C'est vrai de l'Institut national du cancer, d'abord qualifié de « tête de réseau », puis de « tour de contrôle », concepts intéressants en termes de communication...
    M. Pierre-Louis Fagniez. Ce n'est pas mal, « tour de contrôle » !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Chef d'orchestre !
    M. Jean-Marie Le Guen. ... mais dont nous n'avons pas saisi la réalité juridique et administrative. J'imagine que vous nous apporterez ces précisions au cours de la discussion. Et si j'évoque ces sujets avec humour, ceux-ci n'en sont pas moins des sujets graves, parce qu'ils mettent en cause l'organisation de notre santé.
    M. Pierre-Louis Fagniez. Vous avez oublié la « maison commune » !
    M. Jean-Marie Le Guen. La « maison commune », vous avez raison ! (Sourires.)
    Nous avons déposé de nombreux amendements, qui, pour certains d'entre eux, devraient recevoir un accueil favorable de la majorité et du rapporteur, et dont l'adoption calmerait certaines de nos très grandes inquiétudes. Nous avions en effet une vision très négative de la première partie du texte,...
    Mme Claude Greff. Vous êtes toujours négatif !
    M. Jean-Marie Le Guen. ... qui justifiait à elle seule une exception d'irrecevabilité tant les structures proposées étaient de nature à mettre en cause la santé des Français. Toutefois, le travail en commission a permis de franchir un grand pas, et nous en donnons acte au rapporteur et à l'esemble de nos collègues.
    Mme Claude Greff. C'est bien !
    M. Jean-Marie Le Guen. Nous serons présents dans le débat, que celui-ci porte sur les institutions ou sur le contenu des politiques suivies. Nous n'avons d'autre ambition, comme nous l'avons montré depuis plusieurs mois, que sauver ce qui peut l'être et de progresser.
    Mes chers collègues, je vous ai exposé nos craintes. J'espère que vous aurez le souci de nous faire partager des espérances communes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. René Couanau. Je croyais que, selon vous, il n'y avait pas lieu de débattre !
    M. Jean-Marie Le Guen. J'ai peur de ne pas avoir été entendu !
    Mme Catherine Génisson. Vous n'auriez pas dû évoquer notre présence dans le débat, mon cher collègue ! Comment vais-je pouvoir opposer la question préalable ? (Sourires.)
    M. René Couanau. C'était un rappel à l'ordre du commissaire politique ! (Sourires.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre.
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Monsieur le président, il est d'usage que le Gouvernement réponde à ce type d'intervention, mais je serai bref, et ce pour deux raisons.
    La première raison, c'est que nous aurons l'occasion de revenir dans le détail sur l'ensemble des questions soulevées par M. le député Le Guen. Je ne répondrai donc pas à son argumentation article par article, disposition par disposition. Je ne voudrais pas non plus aborder dès maintenant la globalité du débat. Monsieur le député, je vous ai bien entendu, j'interviendrai en temps voulu. Je voulais simplement vous le signaler par égard pour vous.
    La deuxième raison, c'est que, à l'exception d'une petite phrase sur les dangers qui pèseraient sur la santé des Français, je n'ai pas trouvé dans votre intervention très argumentée des raisons qui puissent véritablement justifier un motif d'inconstitutionnalité de ce texte.
    M. Jean-Marie Le Guen. Je me suis mal exprimé, il faut que je recommence ! (Sourires.)
    M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Bertho Audifax, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
    M. Bertho Audifax. Monsieur le ministre, je partage le même sentiment que vous : je n'ai rien entendu, moi non plus, dans les propos de M. Le Guen qui justifie l'inconstitutionnalité de ce texte. J'ai même cru comprendre, à la fin de son intervention, qu'il regrettait d'avoir présenté cette motion compte tenu du travail fait en commission. Aussi, nous n'allons pas lui faire de peine, et le groupe UMP votera contre l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est M. Claude Evin, pour le groupe socialiste.
    M. Claude Evin. Ce débat sur la santé publique s'ouvre à un moment tout à fait particulier. Nul ici ne saurait nier la nécessité d'affirmer une volonté forte en matière de santé publique. L'été dernier a justement révélé que notre système de santé n'était pas suffisamment organisé pour répondre rapidement aux problèmes de santé publique auxquels était confrontée la population.
    Nous avons déjà commencé à travailler sur cette période et nous poursuivrons la réflexion dans le cadre de la commission d'enquête parlementaire qui va être créée. Mais les travaux que nous avons déjà conduits ont montré que l'une des explications sans doute des événements de l'été tenait au cloisonnement de notre système en matière de veille sanitaire, d'alerte, de gestion de crise. Un autre cloisonnement a été évoqué au sein de la mission d'information, c'est un sujet récurrent, si je puis dire, dans nos débats, celui qui existe entre le sanitaire et le social.
    Or, monsieur le ministre, plutôt que de revenir sur ce cloisonnement, vous nous proposez aujourd'hui, avec ce projet de loi, de le renforcer en créant une institution supplémentaire au niveau régional, le groupement d'intérêt poublic chargé de la santé publique, présidé par le préfet et fonctionnant de manière indépendante de l'organisation de l'offre de soins. Nous l'avons déjà évoqué avec vous devant la commission des affaires sociales, nous considérons que la situation que nous avons connue au cours de l'été aurait dû nous inciter à prendre plus de temps pour en tirer toutes les conséquences et proposer une meilleure organisation de notre système de santé.
    Nous aurons, vous l'avez indiqué tout à l'heure, l'occasion de revenir dans le débat sur les articles sur ces différents aspects mais puisque je donne ici une explication de vote sur une exception d'irrecevabilité présentée par M. Le Guen, qui tend à démontrer que les dispositions de ce texte sont contraires aux principes constitutionnels, je voudrais d'ores et déjà dire que la non-prise en compte de ce cloisonnement de notre système de santé me semble tout à fait contraire au onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, texte constitutionnel qui fonde la protection de nos concitoyens en matière de santé.
    M. Pierre-Louis Fagniez. Ecoutez, monsieur Le Guen !
    M. Claude Evin. Vous ne proposez pas ici de mesures qui permettent de garantir l'application du onzième alinéa du préambule de 1946. En ce sens, votre texte n'est pas constitutionnel. En conséquence, mes chers collègues, je vous demande de voter l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Marie Le Guen. Excellent ! (Sourires.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Préel, pour le groupe Union pour la démocratie française.
    M. Jean-Luc Préel. Ah ! si Claude Evin avait défendu la motion, peut-être aurions-nous été convaincus. (Sourires.) Mais Jean-Marie Le Guen n'a pas eu la même force de conviction, il n'a pas réussi à nous persuader de l'inconstitutionnalité du texte. Au contraire, il nous paraît important de débattre de ce sujet rapidement.
    Monsieur le ministre, je voudrais vous remercier de présenter un texte important pour la santé publique en France, un texte attendu depuis longtemps, et de mettre en exergue la nécessité d'oeuvrer pour une meilleure prévention, une meilleure éducation à la santé.
    Cependant, monsieur le ministre, j'ai déjà eu l'occasion de le dire, et je le répéterai dans mon intervention au nom de l'UDF, ce texte pèche, à notre sens, par trois dispositions que nous n'approuvons pas.
    La première concerne la proposition de confier au préfet la responsabilité de la prévention et de l'éducation car, s'il revient bien à l'Etat de définir les grandes priorités nationales, confier une telle responsabilité au préfet nous paraît déraisonnable alors que les ARH existent et que nous sommes très nombreux à penser qu'il faudra rapidement s'orienter vers un interlocuteur unique pour tous les problèmes de la santé au niveau de la région. Mais j'aurai l'occasion de revenir sur ce point qui me paraît extrêmement important.
    La deuxième disposition sur laquelle nous ne sommes pas d'accord, monsieur le ministre, c'est que vous semblez vous appuyer non pas sur les associations de terrain représentées par les CODES et les CRES et par leurs fédérations nationales, mais sur un institut national qui aura des correspondants régionaux et donc sur un système pyramidal. Or, nous savons très bien qu'une telle organisation ne peut pas marcher en matière de prévention et d'éducation. Le système de santé en France est déjà trop étatisé. Renforcer son étatisation est, à mon sens, une grave erreur.
    Enfin, le troisième désaccord porte sur le fait de viser une centaine d'objectifs. Nous aurions préféré que l'on cible quatre ou cinq priorités relatives à la mortalité prématurée évitable, et que l'accent soit mis sur celles-ci au niveau humain et financier.
    Nous sommes heureux de pouvoir débattre de ce projet de loi. Nous espérons, monsieur le ministre, que vous accepterez un certain nombre d'amendements pour l'améliorer. Par avance, je vous en remercie.
    M. le président. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.
    (L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

Question préalable

    M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est à Mme Catherine Génisson.
    Mme Catherine Génisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en défendant cette motion de procédure au nom de mes collègues socialistes, je souhaite vous convaincre de ne pas délibérer sur ce projet de loi et donc de ne pas poursuivre le débat, contrairement à ce qu'a proposé Jean-Marie Le Guen.
    Cette proposition peut sembler paradoxale quand chacun s'accorde à reconnaître que l'organisation de notre système de santé privilégie le soin curatif par rapport à la prévention, elle peut même sembler incongrue après les événements de l'été qui ont prouvé de façon dramatique les carences de notre politique de santé. Ce sont pourtant ces principaux motifs qui me poussent à défendre cette position.
    En effet, si un texte de loi concernant la santé publique est fortement attendu, comment ne pas être interrogatif, perplexe, déçu - c'est le moins que l'on puisse dire, monsieur le ministre - par votre proposition politique ?
    Je ne m'attarderai pas sur le fait que votre texte n'est pas une loi de programmation, sur le constat que vos orientations ne sont pas soutenues par des propositions de financement. En fait, c'est surtout à l'orientation politique que vous nous proposez que je ne peux adhérer.
    Nous sommes unanimes à affirmer que l'Etat doit être garant de la définition de nos objectifs de santé publique, que l'Etat doit garantir l'égalité des citoyens face à ces droits. Mais votre projet de loi, monsieur le ministre, consacre la prééminence de l'Etat sur la politique de santé publique tant dans sa définition que dans son organisation.
    Votre texte nous propose une organisation pyramidale. Si la place qu'il donne aux experts est méritée, celle-ci ne doit pas être exclusive de celle des acteurs de terrain, des citoyens.
    Vos propositions correspondent en fait à vos convictions profondes : vous êtes plus que dubitatif face à la démocratie sanitaire. Cette position, vous l'avez d'ailleurs maintes fois exprimée, y compris pendant l'élaboration de votre projet de loi, quand vous avez limité au strict minimum la simple information, la concertation avec les acteurs de terrain, ainsi qu'ils nous l'ont dit lors de nos travaux préparatoires, menés sous l'autorité du rapporteur et président de notre commission, Jean-Michel Dubernard, dont je veux saluer la volonté d'écoute.
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Merci.
    M. Pierre-Louis Fagniez. Très bien !
    Mme Catherine Génisson. Cette approche, monsieur le ministre, vous a conduit à une profonde remise en cause de la loi du 4 mars 2002, bien nommée loi « droits des malades », dont je veux rappeler qu'elle faisait suite à une large consultation de tous les acteurs, notamment dans le cadre du processus des états généraux, et qu'elle a été votée de manière consensuelle par notre assemblée, après des débats longs, productifs, auxquels vous avez d'ailleurs très largement participé, monsieur le ministre.
    Cette loi du 4 mars 2002 correspond à des aspirations profondes de nos concitoyens ; elle illustre l'importance du débat public pour la prise de conscience. Mais, arguant de difficultés d'application, vous en avez changé la philosophie, parce que, au fond, vous ne la souteniez pas.
    Ainsi, votre projet de loi prévoit la suppression ou la fusion des organismes qu'elle avait instaurés. A l'article 1er, vous supprimez la conférence nationale de santé et les conseils régionaux de santé, deux organes d'expression des usagers et d'associations de malades utiles et légitimes. Nous ne pouvons vous suivre dans cette proposition, et notre commission, d'ailleurs, a adopté une série d'amendements, sur proposition du rapporteur, qui réintègrent ces deux instances dans la loi.
    Le rôle attribué à deux nouvelles instances d'expertise - un haut conseil de santé publique et un comité national de santé publique - est peu cohérent. Le premier n'est autre que la fusion du Conseil supérieur d'hygiène publique de France et du Haut conseil de la santé instauré par la loi Kouchner, tandis que le second, censé assurer la coordination interministérielle, reprendra les missions du Comité national de la sécurité sanitaire et du Comité technique national de prévention. La décision politique, quant à elle, relèvera du ministre de la santé, chargé de présenter chaque année, dans un rapport voté par le Parlement, des plans nationaux de santé publique.
    Le texte ainsi rédigé fusionne des organismes d'expertise et de gestion, ce qui est contraire à tous les principes acquis en matière de partage des responsabilités. Il amalgame à tort les organismes de gestion technique et tactique avec les organismes d'orientation stratégique. Reconnaissez que cette approche technique est pour le moins peu compréhensible par nos concitoyens.
    Plus simplement, je souhaite exprimer notre interrogation quant à l'efficacité d'organismes technocratiques et étatiques. Comment les faire s'approprier par nos concitoyens, comment responsabiliser nos concitoyens, les rendre acteurs, quand ils ne sont associés ni à la délibération ni à l'application ?
    Et je ne peux que m'interroger sur vos propositions concernant l'organisation régionale de votre système et exprimer notre totale opposition à la création des groupements régionaux de santé publique, telle que prévue à l'article 5 de ce projet de loi. Ces groupements régionaux revêtiraient la forme de groupements d'intérêt public. Ils seraient présidés par le préfet et administrés par un conseil dont la moitié des membres seraient aussi des représentants de l'Etat, ce qui va à l'encontre de l'esprit des conseils régionaux de santé créés par la loi du 4 mars 2002.
    Exit les usagers, exit les professionnels de santé, pour donner aux représentants de l'Etat, et notamment au préfet, un rôle central. Le préfet occupera, aux termes de votre projet de loi, une place pour le moins essentielle dans la politique de santé publique puisqu'il sera responsable de la déclinaison régionale des politiques de santé. Le comité régional de santé rassemblant décideurs et financeurs ne serait que consultatif. Nous ne sommes plus dans la logique défendue et mise en place à travers les agences régionales d'hospitalisation dont nous sommes une majorité, si ce n'est la totalité des parlementaires, à penser qu'elles doivent évoluer vers des agences régionales de santé. Aujourd'hui, nous ne connaissons encore précisément ni leur périmètre de définition, ni leur champ d'action. En tout état de cause, elles devraient rassembler tous les acteurs de la santé publique.
    Je veux souligner ici combien le schéma proposé pour les régions dans votre projet de loi, au-delà de son aspect centralisateur, est pour le moins obscur. On voit se dessiner des contradictions dans la répartition des rôles.
    Monsieur le ministre, je voudrais, à ce stade de mon propos, consacrer un moment à l'analyse de l'événement dramatique que nous avons connu cet été, à savoir la canicule. Cet épisode a montré, mais était-ce nécessaire, que si un échelon avait bien fonctionné, c'était le niveau régional. Ayant la certitude que la commission d'enquête que les socialistes ont réclamée dès le 20 août sera bien créée, je serai rapide sur l'insuffisance des résultats de la mission d'information à laquelle Paulette Guinchard-Kunstler, Claude Evin et moi-même avons participé.
    Je ne mets nullement en cause la qualité des travaux de cette mission, conduite par notre collègue Denis Jacquat, que je souhaite remercier. Toutefois, la brièveté de cette mission en a considérablement amoindri l'efficacité. Des auditions trop rapides, d'autres non réalisées ne nous ont pas permis d'élaborer des conclusions pouvant déboucher sur des mesures concrètes, expertisées, qui auraient pu être intégrées dans l'examen de ce projet de loi. Tel était pourtant le but de cette mission, rappelons-le. A l'évidence, il n'est pas atteint. Nous devons nous montrer vigilants, et éviter à tout prix, sur un sujet aussi grave, l'écueil de l'approximation.
    Pour autant, nos premiers constats peuvent orienter des pistes de travail : la mort dramatique de 15 000 personnes - des personnes âgées dans leur très grande majorité - concentrée sur une période très courte, la première quinzaine d'août, correspondant à un pic caniculaire, avec, au-delà de fortes températures, un très faible différentiel entre températures diurnes et températures nocturnes ; une crise qui s'installe de façon insidieuse, mais une prise en charge satisfaisante sur le terrain grâce à la mobilisation exceptionnelle des acteurs de terrain qui ont été les seuls à traiter les conséquences de cette crise pratiquement en temps réel. La grave crise de cet été ne doit pas être considérée comme un simple accident en marge du système de santé, mais bien plutôt comme le révélateur de certains de ses dysfonctionnements actuels. Il convient de ne pas oublier la lenteur de la prise de conscience de la gravité de la situation, la lenteur de la prise de décisions, bref, le désarroi total de toutes nos institutions face à un élément extérieur, certes exceptionnel, mais néanmoins prévisible. Pour le moins, nous devons reconnaître que les effets de la canicule n'ont pas été anticipés. Ainsi, à l'exception de quelques travaux isolés, il n'existe pas de réflexion française spécifique sur la canicule.
    En 2002, ni les panels d'experts réunis par la direction générale de la santé ni le Haut comité de la santé publique n'ont identifié la canicule comme une menace sérieuse pour la santé publique en France.
    Cela met en évidence un double constat : une démarche épidémiologique incomplète, mais aussi, quand on observe que ce sont pour l'essentiel les personnes âgées qui ont été atteintes, une absence d'approche démographique, qui d'ailleurs fait également cruellement défaut dans votre projet de loi. Cela nous conduit à proposer de favoriser la recherche non seulement sur l'épidémiologie, mais aussi sur des populations, des groupes de personnes quel que soit leur caractère spécifique. Cela nous oblige également à redéfinir le cahier des charges en matière de recherche de nos agences de veille sanitaire.
    Notre système de veille d'alerte et de gestion de crise n'a pas fonctionné non plus, c'est le moins que l'on puisse dire.
    Certes, les premiers signes ne sont pas apparus comme lors d'une catastrophe brutale, mais les informations existaient bel et bien : un nombre élevé de décès avec hyperthermie, l'augmentation du nombre d'interventions des pompiers dans certaines grandes villes, la suractivité des services d'urgence, en particulier sur Paris et la région parisienne, autant d'informations de nature à éveiller l'attention des autorités publiques.
    Le problème est que ces informations ne sont pas parvenues au niveau central, elles n'ont pas été centralisées. C'est ainsi que les pouvoirs publics, au plus haut niveau, n'ont pas analysé correctement une situation qui allait se révéler catastrophique.
    Il en va de même pour l'Institut national de veille sanitaire. Si celui-ci n'a pas joué son rôle qui est, entre autre. « de détecter tout événement modifiant ou susceptible d'altérer l'état de santé de la population », c'est parce qu'il n'était pas destinataire de l'ensemble des informations en la possession des différents services concernés.
    Notons encore la défaillance du Comité national de la sécurité sanitaire, qui ne s'est pas réuni comme il l'aurait dû au moment du déclenchement de la crise. L'article L. 141-3-1 du code de la santé publique prévoit que le Comité national de sécurité sanitaire se réunit sous la présidence du ministre chargé de la santé, « immédiatement en cas de crise sanitaire ».
    Dès lors, nous avons tous clairement identifié qu'il était urgent de revoir notre système d'alerte, de veille et de gestion du risque sanitaire.
    Pour autant, le sujet est complexe et mérite clairement une étude approfondie, pour que les solutions proposées soient simples, condition de leur efficacité.
    Par ailleurs, le constat de cet été nous laisse penser que le système de santé publique doit fonctionner en réseau. C'est là la seule façon de lutter contre une mauvaise circulation de l'information, information qui doit pouvoir être donnée par les acteurs concernés sur le terrain quels qu'ils soient.
    Les conséquences de la crise nous obligent à redéfinir les missions et à revoir le fonctionnement de nos différentes structures de veille sanitaire. Pour autant est-il judicieux de modifier complètement le mode de fontionnement et les missions de l'INVS, comme vous le proposez, monsieur le ministre, dans un amendement qui déshabille en partie la direction générale de la santé pour déléguer une partie de ses missions à cet institut de veille sanitaire ?
    Nous sommes par contre tous convenus que le cloisonnement entre les différents ministères a été la source de grands dysfonctionnements. Cela prouve, si besoin est, que notre système doit fonctionner en réseau, et non sur une base pyramidale. Or il me semble qu'avec votre projet de loi, monsieur le ministre, vous vous fourvoyez en accentuant encore la centralisation.
    Enfin - et cette dernière remarque à propos de la crise liée à la canicule n'est pas des moindres -, je rappelle que les personnes touchées ont été prinicpalement les personnes âgées. Il est tentant de stigmatiser les familles pour expliquer cet état de fait. Mais je ne souhaite pas polémiquer à se sujet. D'ailleurs, la présidente de l'Association française de gérontologie a souligné elle-même le dévouement et la qualité d'implication des familles. Revendiquons plutôt notre rôle politique et, dès lors, l'approche populationnelle d'une politique de santé publique qui doit déboucher à la fois sur des propositions concrètes en matière de soins curatifs et induire, en amont, des propositions de prévention clairement énoncées. Reconnaissons qu'en ce qui concerne les personnes âgées, les orientations budgétaires de votre Gouvernement ont été un contre-exemple : gel du plan de médicalisation des maisons de retraite, remise en cause des critères d'attribution de l'allocation personnalisée d'autonomie, soutien insuffisant à la mise en place de structures pour les personnes souffrant de la maladie d'Alzheimer.
    Sans vouloir conclure définitivement après avoir rappelé les événements tragiques de cet été, nous pensons pouvoir proposer un certain nombre d'axes de travail.
    Tout d'abord, les acteurs de terrain doivent être au coeur du système de santé car ils sont les premiers à détenir l'information. Ils sont les plus réactifs et les plus à même d'apporter des solutions aux problèmes rencontrés sur le terrain.
    Deuxièmement, l'organisation pyramidale du système de santé s'est révélée tout simplement désastreuse. Après ce constat, rappelons que l'Etat doit être garant et non gérant unique de notre santé publique.
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Nous sommes d'accord !
    Mme Catherine Génisson. Pour étayer ces dernières propositions, je citerai maintenant un exemple qui ne surprendra pas mon auditoire, lequel sait combien j'ai à coeur, en tant qu'élue du Nord - Pas-de-Calais, de me référer aux actions régionales que je juge positives.
    J'évoquerai donc le pôle régional de santé publique du Nord - Pas-de-Calais, dont la mise en place repose sur l'impérieuse nécessité qui est rappelée par tous les citoyens de la région - usagers, politiques professionnels de santé ou assurance-maladie - : quand les indicateurs de la région en matière de santé publique sont si catastrophiques, quand nous sommes parmi les premiers touchés par les drames des maladies cardio-vasculaires, les insuffisances respiratoires et par une incidence très importante de maladies professionnelles comme l'anthracose ou la silicose, ainsi que par l'alcoolisme des femmes, le cancer du sein ou, pour les hommes, les cancers de l'appareil digestif, nous avons l'impérieuse nécessité d'agir et d'être efficaces.
    Ce pôle régional est un bel exemple de coopération et de dynamisme, à l'échelon régionale, de la part des politiques aussi bien que des acteurs de terrain et des associations dans le domaine de la santé.
    Ce pôle illustre également la nécessité pour les différents acteurs du système de santé de travailler en réseau, gage d'une plus grande efficience.
    Je regrette beaucoup, monsieur le ministre, que, dans votre projet de loi relatif à la politique de la santé publique, vous attachiez si peu d'importance à l'échelon régional, aux acteurs de terrain et aux acteurs associatifs, autant d'éléments pourtant primordiaux pour le bon fonctionnement de notre système de santé.
    Mais je reviens à mon exemple : depuis 1990, la région Nord - Pas-de-Calais s'est donc dotée, à l'initiative du conseil régional, de la caisse régionale d'assurance maladie Nord-Picardie et des services de l'Etat, d'une structure pilote de prévention en regroupant au sein de la maison régionale de promotion de la santé trois associations préexistantes : le comité régional d'éducation pour la santé, l'observatoire régional de la santé et le carrefour d'initiative et de réflexion sur la maternité, la vie affective et sexuelle. Ces associations constituent historiquement un pôle régional de ressources étendu, proposant à tous les acteurs de santé des services et des compétences en matière d'enquêtes, d'analyses et de valorisation de données grâce à l'observatoire régional de la santé, d'éducation pour la santé grâce au comité régional d'éducation pour la santé, d'éducation à la vie sexuelle et affective grâce au carrefour d'initiative et de réflexion, de documentation et d'information grâce à la maison régionale de promotion de la santé, notamment par le biais du journal Contact Santé.
    Au cours des treize dernières années, d'autres associations oeuvrant en faveur des priorités de santé publique ont rejoint ce groupement pour mener en particulier des actions de prévention.
    Il s'agit de l'association ECLAT - espace de concertation et de liaison des actions contre le tabagisme -, dont le rôle est d'animer les initiatives du réseau des acteurs de la lutte conte le tabagisme de la région Nord - Pas-de-Calais, de l'APPA, l'association pour la prévention de la pollution atmosphérique, de l'association FORT, qui anime les acteurs du réseau de la formation en toxicomanie et addiction, et du GRAA, le groupement régional d'alcoologie et d'addictologie, dont le rôle est d'animer les activités du réseau des acteurs de l'alcoologie dans la région.
    Depuis deux ans, un rapprochement entre le pôle régional de santé publique et l'Institut santé au travail du Nord de la France s'est opéré, en particulier grâce aux travaux et actions menés dans le cadre des six programmes régionaux de santé, auxquels chaque association contribue grâce aux conventions d'objectifs pluriannuels qu'elle a signées avec l'Etat et/ou la région.
    Aujourd'hui, l'ensemble de ces opérateurs associatifs régionaux réfléchissent aux modalités concrètes d'un rapprochement accru et d'une collaboration plus étroite, afin de proposer aux acteurs de santé de la région des compétences et des services encore plus professionnels. A titre d'exemple, je vous informe que l'ensemble de ces associations va mettre à la disposition du public un portail internet commun afin de garantir un accès direct aux diverses ressources que ces opérateurs peuvent proposer en ligne : documentations, informations, formation et événements.
    Si j'ai souhaité évoquer assez longuement devant vous un tel exemple, c'est parce que je suis convaincue qu'à travers la constitution de ce pôle régional de santé publique la région Nord - Pas-de-Calais va inconstestablement dans la bonne direction en faisant confiance aux acteurs de terrain - praticiens, monde associatif - et en permettant la mise en réseau des soins.
    Les décideurs politiques dans la région Nord - Pas-de-Calais ont un rôle d'impulsion, de libération des énergies, et non pas seulement de gestion quotidienne.
    Cette initiative met a contrario en lumière l'approche inadaptée de votre proposition, qui suppose que le rôle de l'Etat soit parfaitement rigide.
    Si je me suis si longuement attardée à la description de ces structures régionales, c'est aussi parce qu'elles fonctionnent sur un mode associatif et qu'elles fonctionnent bien. Dès lors, je réitère ma proposition de prévoir une alternative possible à la structure des groupements d'intérêt public.
    Après avoir largement évoqué l'importance du niveau régional, alors même que ce matin, lors de la présentation de votre projet de loi, monsieur le ministre, vous avez beaucoup insisté sur l'obligation de prendre en compte la dimension internationale de la santé publique, j'estime que cette préoccupation légitime n'apparaît pas clairement dans votre texte. L'Union européenne y trouve mal sa place, alors que nous connaissons son rôle prépondérant dans le domaine du médicament, de la sécurité sanitaire et de la sécurité environnementale. C'est pourquoi nous devons approfondir notre réflexion sur l'inscription de la politique de santé publique dans un cadre européen et international, la référence à la charte d'Ottawa étant nécessaire dans cette perspective.
    Votre projet de loi n'est pas l'expression de l'analyse des mouvements complexes qui traversent notre société. De ce fait, il ne peut répondre correctement aux attentes de nos concitoyens.
    Ainsi, dans son titre III, vous présentez cent objectifs de santé publique non hiérarchisés, édictant des priorités qui perdent toute leur légitimité dès lors qu'elles n'ont fait l'objet d'aucun débat. Or le débat est essentiel pour donner de la cohérence et de la visibilité à une politique de santé publique. C'est une condition fondamentale pour que les citoyens puissent s'approprier cette politique.
    Par ailleurs, comment croire à la réalisation de ces objectifs quand aucun programme concret ne leur est associé ?
    Permettez-moi d'évoquer l'obésité, sujet majeur dont notre société doit s'emparer.
    Quand vous proposez de réduire de 20 % la prévalence du surpoids chez les adultes, quel poids - sans mauvais jeu de mots - donnez-vous à cette proposition, sachant que vous ne dites rien sur les moyens ?
    Je reconnais pour conclure, monsieur le ministre, que mon analyse de votre projet de loi est loin d'être exhaustive. J'ajouterai très simplement que votre texte traduit plutôt une approche théorique des pathologies, de leurs causes et de leurs conséquences, alors qu'il faudrait associer cette démarche à la prise en compte des préoccupations des personnes.
    Je le répète, vous êtes dans une logique épidémiologique et non pas dans une logique de prise en compte des populations. Les personnes les plus touchées par les maladies - quelle que soit la nature de ces maladies - sont les personnes isolées, fragilisées et issues des populations défavorisées. Or nous connaissons bien la corrélation entre espérance de vie et appartenance sociale.
    Le groupe socialiste de l'Assemblée nationale n'adhère pas à votre projet de loi. Beaucoup de travail reste à faire pour qu'il devienne un bon texte de loi, comme en atteste la richesse de nos travaux en commission, d'autant plus que nombre de nos collègues de la majorité n'étaient pas loin de partager notre analyse.
    L'importance de notre travail s'est accrue : nous ne pouvons plus avoir la même analyse de ce texte après la canicule de cet été. Dès lors, il importe de ne pas délibérer sur sa version actuelle.
    Ne soyons pas approximatifs !
    En conséquence, mes chers collègues, je vous demande de voter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Comme j'ai souhaité tout à l'heure dire quelques mots après l'intervention de Jean-Marie Le Guen, je voudrais saluer maintenant l'intervention de Mme Génisson.
    Au fil de la discussion, nous examinerons dans le détail les questions qu'elle a soulevées. Elle en a d'ailleurs implicitement émis le souhait en faisant état de la richesse du travail en commission.
    J'ai quand même discerné une sorte de malentendu : Mme Génisson a, à mon sens, développé très exactement l'état d'esprit qui est le nôtre sur l'Etat garant et sur la nécessité d'accorder beaucoup d'importance aux régions. Je sais que la région Nord - Pas-de-Calais est de ce point de vue assez exemplaire.
    M. Jean Le Garrec. Merci, monsieur le ministre !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. J'aurai l'occasion d'y revenir car, je l'ajoute, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur n'est pas en reste. (Sourires.)
    M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Gérard Bapt, pour le groupe socialiste.
    M. Gérard Bapt. Monsieur le ministre, pourquoi une question préalable ? Non qu'il n'y ait pas lieu de débattre des problèmes de santé aujourd'hui : dans ses intentions, dans ses objectifs affichés, votre texte fournit largement matière à vous accompagner dans votre démarche. Mais sa phase de préparation a été particulièrement difficile : si le texte a été adopté en conseil des ministres au mois de mai, nous avons dû, au mois de juillet, à l'occasion d'une session extraordinaire, organiser le travail en commission pour la fin de septembre. Et tous les interlocuteurs que nous avons rencontrés se sont plaints de n'avoir pas été assez associés à cette phase, alors qu'il s'agit de questions qui touchent de grands secteurs de la santé publique. Tous ces interlocuteurs, médecins, experts, associatifs, auraient souhaité que le débat se prolonge dans la concertation.
    Un autre événement intercurrent a été le drame sanitaire que nous avons connu cet été. Il vous a amené à annoncer dans l'urgence que des amendements concernant la canicule seraient introduits au cours de la discussion de votre texte.
    Enfin, je rappellerai que nous n'avons pas non plus avancé sur les financements, qu'il s'agisse de la réforme de l'assurance maladie, de l'implication du budget de l'Etat ou du niveau des crédits de la recherche.
    Tous ces arguments font qu'il y a bien entendu lieu de débattre des problèmes de santé publique. Mais nous pensons qu'il est prématuré d'en débattre aujourd'hui dans cette enceinte. Nous aurions préféré, après la catastrophe sanitaire de cet été, que vous reportiez le débat, laissant le temps à la concertation. Cela nous aurait permis de tirer les leçons de toutes les données épidémiologiques, qui nous manquent aujourd'hui, de la catastrophe sanitaire survenue cet été.
    Voilà pourquoi, monsieur le ministre, nous soutenons la question préalable, convaincus de la nécessité non pas d'écarter mais de discuter davantage ce projet de loi relatif à la politique de santé publique, d'autant que certaines voix émanant des rangs de la majorité se sont exprimées en ce sens. Cela répondrait mieux aux exigences de l'heure.
    M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Préel, pour le groupe UDF.
    M. Jean-Luc Préel. Bien entendu, l'UDF ne votera pas la question préalable car le projet de loi nous paraît important pour mettre en oeuvre une véritable politique de santé publique et pour dynamiser la prévention et l'éducation.
    Nous avons la naïveté - j'espère que nous serons entendus - d'améliorer le texte par nos divers amendements. Il importe donc de passer rapidement à sa discussion.
    M. le président. Je mets aux voix la question préalable.
    (La question préalable n'est pas adoptée.)
    M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

    M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :
    Suite de la discussion du projet de loi, n° 877, relatif à la politique de santé publique :
    M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport n° 1092).
    La séance est levée.
    (La séance est levée à douze heures quarante-cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT