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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU MERCREDI 15 OCTOBRE 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
3e séance du mardi 14 octobre 2003


SOMMAIRE
présidence de M. jean le garrec

1.  Loi des finances pour 2004. Suite de la discussion d'un projet de loi «...».

QUESTION PRÉALABLE «...»

Question préalable de M. Alain Bocquet : MM. Jean-Pierre Brard, Michel Bouvard, Jean-Louis Dumont, Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire ; Charles de Courson, Alain Bocquet.

Demande de vérification du quorum «...»

Le vote sur la question préalable est réservé dans l'attente de la vérification du quorum.

Suspension et reprise de la séance «...»

Le bureau de séance constate que le quorum n'est pas atteint.

Suspension et reprise de la séance «...»

Rejet, par scrutin, de la question préalable.

Rappel au règlement «...»

MM. Michel Bouvard, le président.

DISCUSSION GÉNÉRALE «...»

M. François Goulard.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
2.  Dépôt d'une proposition de résolution «...».
3.  Dépôt d'un rapport en application d'une loi «...».
4.  Dépôt d'un rapport d'information «...».
5.  Dépôt d'une proposition de loi adoptée par le Sénat «...».
6.  Ordre du jour des prochaines séances «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN LE GARREC,
vice-président

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à vingt-et-une heures trente.)

1

LOI DE FINANCES POUR 2004

Suite de la discussion d'un projet de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2004 (n°s 1093, 1110).

Question préalable

    M. le président. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour une durée qui ne peut excéder une heure trente.
    M. Jean-Pierre Brard. On me l'a dit et répété, monsieur le président. En tout cas, je vous remercie de ne pas avoir commencé la séance en faisant un invalide de plus, puisque vous avez restitué au groupe la totalité de son titre.
    M. le président. Je le fais toujours, monsieur Brard.
    M. Jean-Pierre Brard. Et je vous en sais gré.
    Monsieur le ministre délégué au budget, tout autant que celui de l'an dernier dont chacun peut constater les résultats désastreux, ce budget est aventureux, car fondé sur des choix idéologiques qui entrent en conflit frontal avec l'intérêt national et font fi de la réalité économique et sociale.
    Je sais que vous n'aimez pas que l'on vous traite d'idéologue. Pourtant, dans ma bouche, c'est plutôt un compliment, même si, évidemment, nous ne partageons pas la même idéologie, tout le monde s'en était rendu compte.
    Lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2003, nous avions été abreuvés par les ministres et par le rapporteur général de la commission des finances de proclamations péremptoires sur les bienfaits, la pertinence et la cohérence de leurs choix budgétaires et fiscaux. Le budget était présenté comme une rupture, comme une pièce maîtresse d'une politique nouvelle revalorisant la valeur travail et libérant l'initiative individuelle, assurant ainsi du même coup la prospérité économique. Le rapporteur général, dans sa présentation initiale, avait résumé cette politique en déclarant : « Bref, ce budget va replacer notre pays sur le chemin de la croissance, en cohérence avec le projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi que nous venons d'adopter en première lecture et avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale qui vient en discussion dans dix jours. »
    La réalité a totalement démenti ces affirmations. Elles étaient, sur un mode triomphaliste, l'expression du dogmatisme libéral qui anime ce gouvernement. La formule ne va pas vous plaire, monsieur le ministre, mais je pense qu'elle vous convient. Car, pour le credo libéral, vous avez la foi de ceux qu'en Russie, du temps des tsars, on appelait les vieux croyants. C'est bien pire que la foi du charbonnier !
    M. Michel Bouvard. Il y en a encore !
    M. Jean-Pierre Brard. Oui, il y en a beaucoup à l'UMP, mon cher collègue ! Hélas pour notre peuple !
    Aujourd'hui, le triomphalisme n'est plus de mise. Nous sommes face à un fiasco de la politique économique et financière du Premier ministre et de son gouvernement. Si ce n'était que pour le Premier ministre, et même pour les membres de son gouvernement, avec toute l'estime que nous avons pour vous, monsieur Lambert, ce ne serait pas grave. Malheureusement, c'est le fiasco pour le pays et la grande majorité de ses habitants. Car, pour être tout à fait équitable, ce n'est pas le fiasco pour tout le monde. Pour les privilégiés, qui bénéficient pleinement de la baisse de l'impôt sur le revenu et d'autres avantages fiscaux, ça va, ça va même plutôt bien. Pour les grandes entreprises, qui profitent de la baisse des charges, cela va bien également.
    Lors de la discussion de la loi de finances pour 2003, nous avions déjà souligné le caractère éminemment hasardeux des hypothèses économiques retenues, notamment pour la croissance, évaluée à 2,5 %. Le déficit était alors estimé à 46 milliards d'euros, niveau que nous ne connaissions plus depuis fort longtemps, tandis que les principales mesures de réforme fiscale portaient essentiellement sur la baisse de l'impôt sur le revenu. La discussion du projet de loi de finances a donc présenté un caractère hautement virtuel - c'est à la mode -, comme l'a montré l'exécution budgétaire, qui a été très rapidement placée sous le signe de la rigueur, voire de l'austérité. Ce sont là, je le sais, des mots que vous n'utilisez pas, des mots tabous dans votre bouche : dans ma Normandie natale, on aurait dit des gros mots. Ils désignent pourtant bien la politique que vous avez pratiquée, une politique marquée par une série de mesures et de décisions venant remettre en question l'équilibre instable défini à l'automne 2002.
    C'est ainsi que des gels et des annulations de crédits ont frappé des domaines très sensibles pour nos concitoyens dans leur vie quotidienne : logement et urbanisme, transport et sécurité routière, jeunesse et enseignement scolaire, recherche. Certains budgets sont très fortement amputés par ces annulations de crédits. Les subventions d'investissement pour la protection de l'environnement reculent de 33 %. Celles consacrées aux transports urbains et interurbains, de plus de 25 %, ce qui suscite les protestations véhémentes de notre collègue Alain Juppé. Rappelons qu'en mars, les premières annulations de crédits avaient visé, notamment, les programmes de rénovation des lieux d'hébergement pour les personnes âgées. Les événements ont, depuis lors, cruellement démontré la nocivité des conséquences concrètes de ces coupes budgétaires arbitraires et abusives.
    Il faut souligner que ces régulations ont aussi pour effet, en réalité, de transférer des charges sur les budgets des collectivtés territoriales : nous avons évoqué ce sujet à propos de l'exception d'irrecevabilité de Didier Migaud.
    M. Michel Bouvard. Ce n'est pas nouveau !
    M. Jean-Pierre Brard. Vous avez raison, monsieur Bouvard, mais les turpitudes passées ne sauraient justifier les turpitudes présentes. Surtout qu'une fois instruit par le passé, on n'a plus d'excuses. Ce que vous faites là, monsieur le ministre, est donc, d'une certaine manière, un péché aggravé.
    M. Michel Bouvard. On est en pleine évangélisation !
    M. Jean-Pierre Brard. Oh ! Vous évangéliser dépasse mes forces ! Il vous faudrait être évangélisable et, de ce point de vue, j'avoue que le terrain est un peu stérile, du moins pour l'évangélisation telle que je la conçois.
    M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Nous, nous ne renonçons pas !
    M. Jean-Louis Dumont. A Satan à ses oeuvres et à ses pompes ?...
    M. Jean-Pierre Brard. Vous avez raison, monsieur le ministre, il ne faut jamais renoncer.
    Le secteur associatif est très affecté par les annulations de crédits dans le budget en cours et par la disparition des emplois-jeunes, qui étaient, pour beaucoup d'associations, un point d'appui précieux. Je vais vous faire une révélation, monsieur le ministre. Une révélation laïque, parce que je vois que vous regardez déjà au ciel ! (Sourires.) J'ai eu, au mois de janvier dernier, un échange avec Martine Aubry. Elle observait que les emplois-jeunes, que vous supprimez, avaient pourtant marché, et elle en tirait la conclusion de votre aveuglement idéologique. Si ce n'était pas la gauche qui les avait institués, vous ne les auriez certainement pas supprimés mais, la mesure, venant de nous, elle vous était insupportable. Pourtant, quiconque, à gauche comme à droite, a recouru, en tant que maire, aux emplois-jeunes, peut témoigner qu'ils ont été, pour les jeunes, un sas pour entrer dans la vie active qu'ils leur ont mis le pied à l'étrier en leur procurant une première expérience professionnelle.
    En amputant les crédits du Fonds d'action et de soutien à l'intégration et à la lutte contre les discriminations, vous avez mis gravement en difficulté des associations qui agissent sur le terrain social et qui sont menacées dans leur existence même. C'est tout un tissu associatif créant du lien social qui est frappé. Les conséquences à court et moyen terme seront plus de précarité, plus d'exclusion et plus de misère pour les plus fragiles.
    Nos collègues de droite, qui le savent bien, sont un peu schizophrènes : ici, ils soutiennent votre politique mais, quand ils rentrent dans leur mairie, ils sont les premiers à protester contre la suppression des emplois-jeunes ou la fermeture du bureau de poste. Vous-même, monsieur le ministre, avez à traiter ces cas de pathologie schizophrénique, car profitant de la proximité politique qu'ils ont avec vous, ils pensent que vous êtes capables de les secourir.
    Parallèlement, dans leur frénésie de baisse des prélèvements obligatoires, le Gouvernement et sa majorité ont déjà engagé, au fil des différents textes votés au cours des mois écoulés, des réductions de recettes appelées à peser sur le budget 2004 pour près d'un milliard d'euros.
    Dans le domaine de l'habitat et de la rénovation urbaine, deux textes adoptés au cours de la précédente session parlementaire incluaient un volet fiscal. La loi Robien, adoptée le 5 juin, met en place de nouveaux avantages fiscaux pour l'acquisition de logements faisant l'objet de travaux de réhabilitation et accorde de nouvelles déductions en matière de placements immobiliers. La loi d'orientation pour la ville et la rénovation urbaine, défendue par Jean-Louis Borloo au cours de la session extraordinaire de juillet, a étendu le régime d'allégement de l'impôt sur les bénéfices aux entreprises implantées en zone franche urbaine et reconduit le dispositif existant pour les zones de redynamisation urbaine. De plus, des exonérations de taxe professionnelle ou de taxe foncière ont été accordées à ces entreprises, ainsi qu'une extension des allégements de l'impôt sur les bénéfices.
    Autre texte comportant des dispositions fiscales incitatives, la loi sur le mécénat adoptée le 21 juillet a été présentée par le ministre de la culture, Jean-Jacques Aillagon ; elle étrille les intermittents mais soigne les entreprises. Ce texte permet à ces dernières ou aux particuliers effectuant une opération de mécénat de bénéficier d'une réduction d'impôt égale à 60 % du montant du don. En outre, les oeuvres d'art acquises par les entreprises dans le cadre du mécénat sont exonérées de taxe professionnelle.
    Mais le texte le plus significatif est sans doute la loi pour l'initiative économique défendue par le secrétaire d'Etat aux PME, Renaud Dutreil, et adoptée le 21 juillet. Je trouve d'ailleurs, monsieur le ministre, qu'on ne rend pas assez justice à Renaud Dutreil, qui est un des idéologues du régime.
    M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. C'est un brillant ministre !
    M. Jean-Pierre Brard. L'histoire jugera, monsieur Carrez.
    M. Michel Bouvard. Grâce à lui, les créations d'entreprises redémarrent !
    M. Gilles Carrez, rapporteur général. Même à Montreuil !
    M. Jean-Pierre Brard. Nous en reparlerons.
    On doit à M. Dutreil ce fameux document que la plupart de nos collègues de droite ne connaissent pas, qui a été publié par Le Monde le 5 avril 2001 et qui est intitulé : « Alternance 2002, un projet pour l'opposition ». La droite, avant de revenir au pouvoir, avait son projet idéologique. Et je vais vous faire une confidence, monsieur le ministre, ce qui manque à la gauche, aujourd'hui, c'est un projet symétrique.
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Il faut prendre celui-là !
    M. Jean-Pierre Brard. Non, celui-là est imprenable, d'abord parce qu'il vous appartient - et je ne prends jamais ce qui appartient aux autres -, et surtout parce que, pour des gens de gauche, tout ce qui y figure est vraiment peu ragoûtant !
    S'il faut vous reconnaître un mérite, c'est celui de mettre en oeuvre ce que vous aviez écrit dans votre projet « Alternance 2002 », projet idéologiquement structuré. La politique que vous mettez en oeuvre depuis l'année dernière, ce n'est pas une politique de régression, c'est une politique de rupture. Vous êtes en train de « thatchériser » la société française...
    M. Alain Bocquet. Tout à fait !
    M. Jean-Pierre Brard. ... et vous y allez à un rythme soutenu.
    Pour revenir à Renaud Dutreil, vous ne reconnaissez décidément pas ses mérites à leur juste valeur car, en plus des réductions d'impôt accordées notamment aux souscripteurs de parts dans des fonds d'investissement de proximité et des exonérations sur les droits de transmission et de mutation d'entreprise, il a largement amputé l'impôt de solidarité sur la fortune. Ainsi, monsieur le ministre, quand j'ai lu ce matin, à l'heure du petit déjeuner, votre interview au Parisien, j'ai parfaitement compris ce que vous disiez sur l'ISF et j'y ai reconnu toute votre habileté. Lorsque vous affirmez que, pour le Gouvernement, l'ISF n'est pas un sujet, rien n'est plus vrai puisque vous l'avez déjà traité ! Il n'y avait que le journaliste du Parisien pour ne pas avoir compris que vous avez déjà largement démantelé l'ISF et que, sous la pression de votre majorité, vous vous apprêtez à vous laisser faire une douce violence, en particulier sur l'actualisation.
    Au cours des deux lectures du projet pour l'initiative économique à l'Assemblée et au Sénat, la liste des dispositions d'exonération n'a cessé de s'allonger, avec les encouragements à peine voilés du Gouvernement. A l'arrivée, alors que l'efficacité réelle de cette « dépense vertueuse », comme n'ont cessé de la qualifier M. Dutreil et le ministre délégué au budget - vous-même, monsieur Lambert -, n'a fait l'objet d'aucune évaluation ; ce sont 400 millions d'euros qui feront défaut dans les caisses. Mais il est vrai que, quand on aime, on ne compte pas !
    L'outre-mer, enfin, n'a pas été oublié. On trouve, dans la loi de programme adoptée le 30 juin 2003, sous l'appellation d'« aides à l'investissement », l'élargissement de dispositifs de défiscalisation et la majoration des taux de réduction d'impôts, notamment dans le secteur de l'hôtellerie. Voilà qui rappellera à Didier Migaud, de vieux souvenirs. Autrefois, du temps de la première cohabitation, le Parlement avait voté une loi qui s'appelait la loi Pons, que nous avions ensuite réussi à largement démanteler. Il faut reconnaître au gouvernement de droite de l'époque un grand mérite : grâce à la loi Pons, il avait créé de nouveaux emplois, et par là même un nouveau mot, un néologisme, puisqu'on les appelait dans les DOM des emplois de « défiscalisateur ».
    Ces cadeaux fiscaux sont-ils justifiés ? Dans quelle situation économique et financière sommes-nous au moment d'adopter le budget pour 2004 ? La situation justifie-t-elle les choix qui sont faits dans le projet qui nous est soumis ? Beaucoup plus qu'une conjoncture récessive, nous subissons une politique récessive qui a fait le choix funeste de ne stimuler ni la consommation des ménages ni l'emploi, sapant ainsi, chaque mois un peu plus, la confiance et le moral des Français.
    Vous invoquiez la confiance à la tribune cet après-midi, monsieur le ministre, et je le comprends, car elle vous échappe complètement. Voyez les sondages ! Je ne parle pas de la confiance bien compréhensible que vous avez en vous-même et en votre gouvernement : c'est vis-à-vis des Français que le contrat de confiance n'existe pas, toutes les enquêtes d'opinion sont là pour le prouver.
    La dégradation profonde de la situation économique est illustrée entre autres par les statistiques du chômage et par l'évolution du produit intérieur brut. Cette dernière est marquée par un phénomène de ralentissement qui touche à la fois la consommation des ménages, qui baisse de 0,2 % au deuxième trimestre 2003, et les investissements des entreprises, eux aussi en recul de 0,6 % durant la même période. Le résultat : après une maigre progression de 0,1 % au premier trimestre, le PIB connaît une régression de 0,3 % durant le deuxième, alors même que les membres du Gouvernement affirmaient « voir frémir des signes de relance ». L'année devrait se terminer au mieux avec une progression de 0,2 %. Je souhaite pour notre pays que vous ayez raison, monsieur Mer. Mais, comme l'année dernière vous avez eu tort, je ne vois pas ce qui nous encouragerait à faire confiance à vos prévisions.
    Nous sommes plongés dans la deuxième plus mauvaise phase de conjoncture depuis 1945, marquée par une combinaison de rigueur pour le plus grand nombre et de déficit.
    Ainsi, avec une hausse de 1,3 %, la consommation des ménages progressera moins cette année qu'en 2002, où sa croissance avait été de 1,5 %, et beaucoup moins qu'en 2001 : elle avait alors connu une augmentation de 2,7 %. Comme vous cet après-midi, je parcours le calendrier à l'envers, mais en insistant sur les données qui rendent compte de la vie quotidienne des Français.
    A la lumière des déboires que nous connaissons en 2003, la prévision de croissance pour 2004, que le Gouvernement évaluait à 1,4 %, doit donc être prise avec des pincettes. Vous nous permettrez même de douter que ce dernier maîtrise la situation.
    En ce qui concerne le chômage, la perspective d'un taux très proche de 10 % à la fin de l'année est de plus en plus probable dans la mesure où il atteint 9,6 % à l'heure actuelle. Après une baisse ponctuelle en juillet, due à une modification du calcul des statistiques, la progression a repris en août de 0,5 %, soit un total de 2 410 000 demandeurs, et de 2 602 000 au sens du Bureau international du travail ! La hausse atteint 5,9 % sur un an, soit une augmentation de 135 000 personnes. Plus préoccupant encore : la part des chômeurs écartés des statistiques à la suite d'une reprise du travail est en baisse de 8 %. Il est à noter aussi que l'emploi de salariés privés est entré en récession, après avoir enregistré successivement deux reculs, de 0,3 % au premier trimestre et de 0,1 % au deuxième trimestre 2003.
    Le pouvoir d'achat est lui aussi fortement malmené. Après des hausses de 3,3 % en 2001 et de 2 % en 2002, la prévision est de 0,3 % pour 2003. Pour faire bonne mesure, notons que les dispositions drastiques arrêtées en matière de retenues salariales pour faits de grève lors du mouvement social du printemps dernier vont entraîner une ponction évaluée à près de 800 millions d'euros.
    S'y ajouteront les 150 millions récupérés dans la poche des dizaines de milliers de chômeurs privés de l'allocation spécifique de solidarité à partir du 1er janvier prochain. Cette économie permettra par exemple de financer le cadeau de 27 millions d'euros que constitue la réévaluation du barème de l'impôt de solidarité sur la fortune décidée par la majorité de la commission des finances.
    En période de récession économique, voilà des mesures dont le moins que l'on puisse dire est qu'elles ne vont pas dans le bon sens.
    Dans un ouvrage paru au début de l'année, un responsable politique de la majorité affirmait : « Les résultats de notre politique de l'emploi engagée en mai 2002 ne seront lisibles qu'à la fin de l'année 2003 et au début 2004. » Il serait intéressant que l'auteur de ces lignes - qui n'était autre que M. Raffarin - nous dise s'il confirme cette clairvoyante appréciation et surtout quelles conséquences il tire de ce qu'il faut bien nommer un sévère échec en matière d'emploi, domaine qui est redevenu aujourd'hui la principale préoccupation de nos concitoyens.
    Malgré cet échec, le projet de loi de finances qui nous est soumis s'inscrit clairement dans la continuité du collectif budgétaire de l'été 2002 et de la loi de finances pour 2003. Une de ses mesures emblématiques est ainsi la nouvelle baisse de 3 % appliquée à l'ensemble des taux de l'impôt sur le revenu des personnes physiques. Une baisse de TVA serait pourtant beaucoup plus juste, dans la mesure où elle offrirait un surplus de pouvoir d'achat à tout le monde, y compris aux smicards, chômeurs et RMistes.
    Puisque vous voulez absolument faire baisser l'impôt sur le revenu, d'autres formules auraient été possibles, et ce dès l'année dernière. Mais vous n'avez pas voulu les retenir. Ainsi, on pouvait parfaitement prévoir de moduler la baisse en fonction du niveau de revenu, afin de l'amplifier pour les familles les plus modestes et de la réduire pour les foyers fiscaux les plus riches. Vous auriez même pu accorder une déduction forfaitaire.
    Une autre disposition, très simple à mettre en oeuvre, consisterait à plafonner en valeur absolue le montant de l'avantage que pourraient retirer de la mesure les foyers fiscaux les plus aisés. Cela éviterait que les grandes fortunes ne bénéficient d'un véritable jackpot fiscal chaque fois que vous pratiquez une baisse de l'impôt sur le revenu. Evidemment, un tel plafonnement constituerait une horrible déception pour les milliardaires, catégorie à laquelle vous ne voulez pas causer de soucis supplémentaires. Il est vrai qu'accroître chaque jour sa fortune un peu plus est une préoccupation qu'il doit être difficile d'assumer. Cela doit même provoquer du stress - je n'en sais rien car je ne suis pas dans cette situation.
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Non ?
    M. Jean-Pierre Brard. Je ne prétends pas que vous l'êtes vous-même, monsieur Lambert, mais vous connaissez forcément les personnes concernées. Vous n'allez quand même pas me faire croire que tous ces gens poussent l'ingratitude jusqu'à ne pas vous remercier. Ils n'ont rien demandé et vous leur faites des cadeaux quand même ! Dans notre pays, monsieur Lambert, on connaît les bonnes manières. Et quand quelqu'un vous offre un cadeau, on dit merci.
    Prenons M. Messier, par exemple, dont on ne parle plus, injustement d'ailleurs. J'imagine, avec tout ce que vous lui avez donné et ce que vous continuez à lui donner, qu'il vous écrit, au moins au moment des voeux, pour vous encourager à continuer !
    M. Philippe Auberger. Il n'a plus de quoi acheter des cartes de voeux !
    M. Jean-Pierre Brard. M. Auberger, lui, fréquente M. Messier assez régulièrement pour voir le fond de son porte-monnaie... Lui reste-t-il assez de piécettes pour acheter la baguette quotidienne, au moins, à défaut d'autre chose ? Avec tout ce qu'il a consommé avant, et après avoir tant pompé sur les finances des consommateurs d'eau, par exemple, il peut bien se mettre à la diète, et se montrer plus modéré dans ses appétits.
    Avec la méthode de la baisse proportionnelle que vous avez choisie, messieurs les ministres, un pour cent des assujettis à l'impôt sur le revenu économisent trente pour cent de l'ensemble du coût de la mesure.
    M. Alain Bocquet. Tout à fait !
    M. Jean-Pierre Brard. Face à cela, la prime pour l'emploi fait bien pâle figure. Comme vous êtes très habiles, vous avez égréné cet après-midi toute une série de mesures, mais celles-ci - j'ai bien entendu - se montaient en centaines d'euros pour les bénéficiaires. En revanche, pour ceux dont je parle, vous n'êtes pas mesquins ! Vous donnez avec générosité à ceux qui possèdent de grands coffres et disposent de la place nécessaire pour ranger les liasses !
    M. Alain Bocquet. Eh oui !
    M. Philippe Auberger. Voilà qu'il fait de la publicité pour Fichet !
    M. Jean-Pierre Brard. Pourquoi pas, la société Fichet-Bauche était située à Montreuil avant de se délocaliser.
    M. Hervé Novelli. Ils ont compris !
    M. Philippe Auberger. Vous les avez tués !
    M. le président. Je vous prie de laisser M. Brard poursuivre.
    M. Jean-Pierre Brard. M. Auberger est jaloux, monsieur le président, parce qu'il n'a que des vignes dans sa circonscription.
    L'ensemble des cadeaux fiscaux et baisses de cotisations prévues par votre projet s'élève à plus de 4 milliards d'euros, dont 1,2 milliard d'euros pour les allègements des cotisations patronales. Le total des dépenses s'élève, lui, à 278 milliards d'euros mais, nous le savons, dès le début 2004, les gels et les annulations de crédits vont tomber comme à Gravelottes si vous voulez tenter de respecter les normes du pacte européen de stabilité.
    Le déficit prévu s'élève à 55,5 milliards d'euros. A ce sujet, monsieur le ministre délégué au budget, on ne peut qu'être assez stupéfait de vos récentes déclarations. Vous avez en effet affirmé que le coût annuel pour l'Etat de la réduction de la durée hebdomadaire du travail à 35 heures était de 15 milliards d'euros et que, sans une telle mesure, la France serait restée dans les normes du pacte de stabilité. Avec une telle arithmétique, digne de Gribouille, et si je renverse votre raisonnement, il suffirait de porter la durée hebdomadaire du travail à cinquante heures pour assurer l'équilibre du budget de l'Etat ! Martine Aubry a d'ailleurs clairement rétabli les faits dans une interview au journal Le Monde : « Au moment où il allait être mis en cause par la Commission européenne car ses déficits publics atteignent 4 % et non 3 %, soit 15 milliards d'euros de trop, Alain Lambert utilise cette grosse ficelle en faisant croire que c'est justement là le coût des 35 heures. » Ecoutez, mes chers collègues de droite. Je ne suis pas certain que vous ayez lu l'interview de Martine Aubry...
    M. Céleste Lett. Nous n'avons pas le même Evangile !
    M. Hervé Novelli. Surtout quand il est aussi indigeste et indigent !
    M. Jean-Pierre Brard. On peut avoir des lectures différentes des Evangiles, mais le fond du texte reste un socle quasiment identique.
    M. Michel Bouvard. Tout dépend des exégètes !
    M. Jean-Pierre Brard. Pour l'exégèse, mon cher collègue, et en dépit de toute l'amitié que je vous porte, je ne vous fais pas trop confiance. Je préfère ma lecture à la vôtre. (Sourires.)
    Martine Aubry a donc affirmé, à votre propos, monsieur le ministre délégué au budget : « Il a additionné les allégements de charges décidés par MM. Juppé et Balladur et ceux liés aux 35 heures. La réalité, confirmée par tous les experts, c'est que les 35 heures ont coûté stricto sensu 5,2 milliards d'euros. Si l'on prend une estimation prudente de 350 000 emplois créés, ils ont généré plus de 4 milliards de cotisations sociales auxquels s'ajoutent les cotisations à l'Unedic, les baisses des dépenses chômage et les rentrées fiscales. »
    Quand on fait de l'arithmétique, il ne faut pas se limiter aux additions, mais aussi faire des soustractions.
    M. Céleste Lett. Avec vous on ne voit que ça !
    M. Jean-Pierre Brard. Vous, vous ne savez opérer les soustractions que dans les dépenses publiques : nous, nous faisons des additions pour remplir les caisses de l'Etat. D'ailleurs, tout au cours de la discussion, nous ferons des propositions en ce sens.
    M. le président. N'interpellez donc pas M. Brard ! Vous ne faites que lui donner des occasions de rebondir !
    M. Jean-Pierre Brard. Bien sûr ! C'est ça, le dialogue républicain et démocratique !
    Malgré le pilonnage intensif des ténors de la droite et du MEDEF, qui n'a jamais accepté le principe même des 35 heures, les Français, dans plusieurs sondages réalisés la semaine dernière, ont affirmé leur attachement à cette mesure. Ainsi, d'après un sondage CSA effectué pour France 3, 49 % des Français et 64 % des salariés souhaitent maintenir les 35 heures. Seulement 23 % des salariés voudraient les supprimer et revenir aux 39 heures. Qui plus est, selon un sondage IFOP réalisé pour le Journal du dimanche, 66 % des salariés dont la semaine de travail est passée aux 35 heures sont satisfaits de ce changement, qui concernerait 62 % de l'ensemble des salariés.
    Pour en revenir au déficit, la baisse de l'impôt sur le revenu va représenter pour le budget de l'Etat un manque à gagner de 1,8 milliard d'euros, au profit essentiellement d'une petite minorité de contribuables. Les mêmes bénéficieront de la réforme de l'usufruit et de la taxation des donations. En effet, la révision du barème applicable à l'usufruit va réduire mécaniquement les recettes de l'Etat. Me Jean-François Humbert, vice-président du Conseil supérieur du notariat, évalue l'avantage fiscal ainsi consenti à plus de 60 millions d'euros par an et déclare : « Dans tous les cas, le contribuable sera gagnant et la réforme devrait accélérer les donations. »
    M. Michel Bouvard. C'est bien vu !
    M. Jean-Pierre Brard. Dans le même temps, pour favoriser les donations en pleine propriété, le projet de loi de finances prévoit de faire bénéficier, jusqu'au 30 juin 2005, les donations d'une réduction des droits de mutation à titre gratuit de 50 %, quel que soit l'âge du donateur. On le voit, ce gouvernement est plein de délicates attentions pour les nantis.
    Autre exemple : les contribuables qui emploient une personne à domicile pour accomplir les tâches ménagères ou familiales bénéficient d'une réduction d'impôt accrue, le plafond étant porté de 7 400 euros à 10 000 euros, ce qui représente pour l'Etat un coût de 57 millions d'euros. Cette mesure nécessite que l'on s'y arrête, car près de 70 % de son coût bénéficie aux foyers déclarant les 10 % de revenus les plus élevés. Cette dépense fiscale était évaluée à 1,37 milliard d'euros dans le projet de loi de finances pour 2003. Le Conseil des impôts a souligné cette anomalie et émis une proposition qui représenterait un moindre mal : à coût global constant pour l'Etat et en conservant le principe d'une déduction de 50 % des sommes engagées pour l'emploi du salarié à domicile, le plafond serait abaissé à 2 200 euros, soit une réduction d'impôt maximale de 1 100 euros, le double dans le cas d'une personne invalide. Grâce à ce dispositif, 943 000 foyers seraient gagnants, dont près des trois quarts seraient situés dans les deuxième et sixième déciles de revenus. A l'inverse, 394 000 foyers seraient perdants, dont presque 80 % appartiendraient au plus haut décile de revenus.
    La mesure que vous avez retenue est tout à fait immorale. Si vous habitez à Neuilly ou à Rueil-Malmaison, par exemple, et que, comme il sied chez les gens riches, vous payez vos salariés le moins possible, et si vous employez deux domestiques payés au SMIC - le jardinier et la cuisinière par exemple -, eh bien, grâce aux réductions fiscales, vous financez l'un des deux emplois par l'impôt des autres contribuables.
    M. Alain Bocquet. Tout à fait !
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Vous êtes contre l'emploi !
    M. Jean-Pierre Brard. Je ne suis pas contre l'emploi mais, depuis le 4 août 1789, je suis contre les privilèges. Ce n'est pas la même chose !
    M. Alain Bocquet. Eh oui !
    M. Hervé Novelli. Cela remonte à trois siècles !
    M. Jean-Pierre Brard. Vous ne savez pas bien compter ! Mais je comprends bien, monsieur Novelli, que, encore effrayé par le spectre de la Révolution vous souhaitiez la repousser le plus loin possible dans votre mémoire !
    M. Hervé Novelli. Elle a connu des ratages !
    M. Jean-Pierre Brard. Mais elle a existé ! Et nous en sommes les fils même si, parmi eux, il y a les pratiquants, comme nous, et d'autres qui, comme vous, rêvent de revenir au passé.
    M. Alain Bocquet. Les restaurateurs !
    M. Jean-Pierre Brard. Des restaurations, Dieu sait qu'on en a déjà connu, mais, chaque fois, elles ont échoué. D'une certaine manière, elles ont généré de nouvelles révolutions, qui ont poussé la société française encore plus loin. Alors, attention, monsieur Lambert et monsieur Mer, de ne pas jouer tous les deux aux apprentis sorciers ! Peut-être êtes-vous, sans le savoir, les pourvoyeurs d'une révolution à l'accouchement de laquelle vous contribuez, bon gré, mal gré.
    Toujours sur le même registre, le projet institue la taxation à taux forfaitaire des plus-values immobilières. Au lieu d'entrer dans le calcul de l'impôt sur le revenu, elles seront taxées au taux forfaitaire de 16 %, soit 26 % après les prélèvements sociaux. Les résidences principales en sont exonérées. Au bout de quinze ans, au lieu de vingt-deux ans actuellement, les résidences secondaires le seront aussi. Dès la cinquième année, un abattement annuel de 10 % est prévu sur le montant de la plus-value. Si cette mesure permet de faire entrer 240 millions d'euros dans les caisses de l'Etat dès 2004, elle aura pourtant un coût in fine car les fortes plus-values réalisées par des contribuables fortunés seront moins taxées qu'auparavant.
    Le plan d'épargne retraite est une innovation annoncée. On franchit là une nouvelle étape vers les fonds de pension. Je n'insiste pas : nous avons déjà largement développé notre point de vue lors du débat sur les retraites.
    L'avoir fiscal, dont on nous a tant vanté les mérites, sera supprimé à compter du 1er janvier 2005, mais l'avantage fiscal ne disparaît pas en tant que tel. Le Gouvernement, attentif à maintenir les privilèges des possesseurs de portefeuilles boursiers, a prévu à la place un abattement de 50 % sur les dividendes retenus pour l'imposition sur le revenu.
    Par ailleurs, afin d'assurer la plus grande neutralité de la réforme, cet abattement serait complété par un crédit d'impôt pour l'actionnaire, égal à 50 % du montant des revenus imposés, dans la limite de 75 euros pour les personnes seules et de 150 euros pour les contribuables mariés. Les titulaires d'un plan d'épargne en actions bénéficieraient également de ce crédit d'impôt.
    En faveur des entreprises, sont prévus une baisse supplémentaire des charges sur les bas salaires, à hauteur de 1,2 milliard d'euros, toujours sans contrepartie en termes d'embauches, malgré nos demandes répétées, ainsi que le report illimité de tous les déficits, alors que, jusqu'à présent, seuls ceux correspondant aux amortissements pouvaient être reportés sans limitation de délai.
    S'agissant de l'application du taux réduit de TVA à la restauration, le Gouvernement s'engage à appliquer la baisse dans les quatre mois suivants. A ce propos, messieurs les ministres, j'ai été entendu la semaine dernière à Bruxelles par la commission du budget du Parlement européen, avec d'autres membres de la commission des finances. Plus que pour la réunion elle-même, ce déplacement a surtout valu par les discussions qui se sont déroulées autour. Elles ont en effet été très intéressantes et j'ai cru comprendre, dans les propos de nos interlocuteurs, que le gouvernement français, sans doute occupé par d'autres tâches, n'avait pas fait preuve d'un zèle remarquable dans les couloirs du Parlement européen pour obtenir la réduction à 5,5 % du taux de TVA sur la restauration. De là à penser, comme certaines mauvaises langues voulaient le laisser entendre à Bruxelles, qu'au fond de vous-mêmes, vous n'étiez pas vraiment demandeurs de cette baisse compte tenu du coût pour les finances publiques, il n'y a qu'un pas que je me suis bien gardé de franchir, car je ne saurais vous prêter d'aussi noires pensées.
    Ce budget comporte également les conséquences financières - à savoir des économies pour l'Etat - de mesures antisociales comme la suppression du dispositif des emplois-jeunes et la réduction couperet des droits à l'indemnisation du chômage. Il prend aussi en compte les réductions d'effectifs dans la fonction publique, sur lesquelles je ne reviens pas puisque j'en ai déjà parlé.
    J'ajoute cependant que deux départements ministériels, la justice et la police, vont bénéficier d'une exception à la règle que vous vous êtes fixée.
    Au sujet de ces suppressions d'emplois, on entend nombre de nos collègues de droite clamer que leur nombre n'est pas suffisant. Pendant que vous étiez à la tribune cet après-midi, certains jubilaient. Or, quand ils sont dans leurs circonscriptions, ils ne jubilent plus ; ils crient haut et fort qu'il n'est pas normal de fermer telle classe dans leur école, quand ce n'est pas l'école tout entière, ou tel bureau de poste. Il faudrait que vous soyez un peu cohérents, chers collègues de droite, et que vous teniez le même discours ici et devant vos électeurs, ce qui n'est pas le cas pour l'instant.
    M. Charles de Courson. Qu'en savez-vous ?
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur de Courson, chacun connaît votre habileté légendaire, même si elle est parfois un peu brute de décoffrage, pour imaginer que vous ne tenez pas exactement le même discours ici et là-bas.
    M. Charles de Courson. Vous vous trompez !
    M. Jean-Pierre Brard. S'agissant des rémunérations, il est probable que 2004 sera une nouvelle année blanche pour les fonctionnaires. Ainsi que l'a souligné Bernard Lhubert, secrétaire général de la CGT-fonction publique : « En clair, ce sera une décision unilatérale portant sur une revalorisation salariale a minima et le plus tard possible. Belle illustration du dialogue social ! » Tout cela dans un contexte marqué par une perte de pouvoir d'achat des fonctionnaires s'élevant à 3,6 % depuis 2000.
    Pour résoudre la quadrature du cercle budgétaire, le Gouvernement annonce qu'il va avoir recours à la recette miracle de la réforme de l'Etat, censée engendrer d'importantes économies budgétaires. Les thèmes sont, outre la décentralisation, la rémunération au mérite, la fusion de corps, l'externalisation de services. Comme vous avez besoin argent, évidemment, vous cherchez ce que vous pourriez mettre au mont-de-piété, encore qu'au mont-de-piété on puisse récupérer ce que l'on a déposé.
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Ça !
    M. Jean-Pierre Brard. Je connais mieux le Mont de Piété que les coffres-forts de Mme Bettencourt et consorts, en effet.
    M. Charles de Courson. Cela montre que vous avez souvent fait des dettes !
    M. Jean-Pierre Brard. Evidemment, nous ne sommes pas de même extraction, monsieur de Courson.
    M. Charles de Courson. Pas de racisme !
    M. le président. N'engagez pas le débat avec M. de Courson !
    M. Jean-Pierre Brard. Cela dure depuis trois siècles ! M. de Courson n'a jamais connu les fins de mois difficiles ni porté les sacs de provisions quand on est l'aîné de cinq enfants.
    M. le président. Et allez donc !
    M. Michel Bouvard. Il a perdu M. Gantier, laissez-lui M. de Courson !
    M. Charles de Courson. Vous allez faire pleurer dans les chaumières !
    M. Jean-Pierre Brard. Il s'agit non pas de faire pleurer dans les chaumières, mais de raconter la vie qui est celle de tous les jours pour de nombreuses personnes ; une vie que vous ne connaissez que dans les bandes dessinées. Et encore y est-elle souvent enjolivée.
    M. Marc Le Fur. C'est Germinal !
    M. Hervé Novelli. Zola !
    M. Jean-Pierre Brard. Pas besoin de lire Zola. Si vous alliez dans certaines de nos banlieues, vous verriez qu'il est parfois dépassé.
    M. Hervé Novelli. Surtout dans celle que vous gérez !
    Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Zola est arrivé !
    M. Jean-Pierre Brard. Non, ma chère collègue, Zola n'est pas arrivé. Il est mort depuis un certain temps, j'espère que vous le savez.
    M. Hervé Novelli. En 1902 !
    M. le président. Poursuivez, monsieur Brard.
    M. Jean-Pierre Brard. Dans ce que vous mettez au clou pour boucher les trous, figurent d'abord les privatisations partielles ou totales d'entreprises publiques.
    M. Michel Bouvard. Ce n'est pas nous qui avons engagé celle d'ASF !
    M. Jean-Pierre Brard. Leur but est de tenter d'obtenir des rentrées budgétaires exceptionnelles.
    Au cours d'un entretien que nous avons eu avec M. de Robien pour lui demander de ne pas privatiser les autoroutes,...
    M. Michel Bouvard. Et ASF ?
    M. Jean-Pierre Brard ... ce dernier a souligné qu'il ne pourrait pas construire de nouvelles routes puisque leur financement n'est pas prévu dans son budget.
    M. Michel Bouvard. Il ne faut pas faire comme M. Gayssot et cesser de vendre ASF.
    M. le président. Ne vous laissez pas interrompre, monsieur Brard.
    M. Didier Migaud. C'est vivant, monsieur le président !
    M. Jean-Louis Dumont. Dynamique !
    M. Jean-Pierre Brard. J'aime bien l'échange. S'ils me poussent dans mes retranchements, cela me permet d'être encore plus convaincant.
    M. Michel Bouvard. Vous ne m'avez pas convaincu !
    M. Marc Le Fur. Vous n'avez pas grand-chose à dire !
    M. Jean-Pierre Brard. C'est parce que vous ne savez pas tirer la substantifique moëlle de mes propos. Si vous m'écoutiez mieux, vous comprendriez avec plus de pertinence.
    Mme Marie-Hélène des Esgaulx. C'est vrai : tout ça m'échappe un peu !
    M. Jean-Pierre Brard. Vous voulez vendre Air France, France Télécom, ASF, Thomson.
    M. Michel Bouvard. Vous avez déjà vendu ASF !
    M. Jean-Pierre Brard. Quand vous aurez vendu tout cela, quand il n'y aura plus rien sur les étagères, comment ferez-vous pour boucher les nouveaux trous ? Je vois d'ailleurs, à votre hochement de tête, monsieur Mer, que vous vous posez déjà la question. Or vous vendez les joyaux, c'est-à-dire des entreprises qui marchent et qu'il n'y a aucune raison de bazarder !
    Sans entrer dans le détail des budgets, je vais citer un texte que vous allez sans doute reconnaître, ma chère collègue.
    Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Je n'en doute pas !
    M. Jean-Pierre Brard. Je dis, mesdames et messieurs, que les réductions sur le budget spécial des sciences, des lettres et des arts sont mauvaises doublement. Elles sont insignifiantes au point de vue financier et nuisibles à tous les autres points de vue. Ce système d'économie ébranle d'un seul coup tout cet ensemble d'institutions civilisatrices, qui est pour ainsi dire la base du développement de la pensée française. Et quel moment choisit-on pour mettre en question toutes ces institutions à la fois ? Le moment où elles sont plus nécessaires que jamais, le moment où, loin de les restreindre, il faudrait les étendre et les élargir. Et quel est le grand péril de la situation actuelle ? L'ignorance. L'ignorance encore plus que la misère. C'est à la faveur de l'ignorance que certaines doctrines fatales passent de l'esprit impitoyable et théoricien dans le cerveau confus de multitudes. »
    M. Jean-Pierre Grand. Parole d'expert !
    M. Jean-Pierre Brard. Et c'est dans un pareil moment, devant un pareil danger, qu'on songerait à attaquer, à mutiler, à ébranler toutes ces institutions qui ont pour but spécial de poursuivre, de combattre, de détruire l'ignorance ? Sur ce point, j'en appelle, je le répète, au sentiment de l'Assemblée, mesdames et messieurs, il n'y a pas que de la prudence matérielle au monde. Les précautions grossières, les moyens de force, les moyens de police ne sont pas, Dieu merci, le dernier mot des sociétés civilisées. »
    Ces propos, qui résonnent aujourd'hui avec une grande actualité, sont de Victor Hugo. Je n'y ai ajouté que deux mots : à chaque fois, après « messieurs », j'ai dit « mesdames » puisque, à l'époque, il n'y avait pas de femmes dans l'hémicycle. Cela étant voyez la cruelle actualité de ces propos. J'espère, mes chers collègues, que l'évocation des mânes de Victor Hugo vous fera réfléchir sur les positions que vous prendrez.
    Le dogme de la priorité absolue à la baisse des prélèvements obligatoires entre désormais de plus en plus clairement en contradiction avec les fondements de notre pacte républicain. C'est même l'un des éléments majeurs de la rupture opérée par le gouvernement Raffarin avec notre tradition nationale de solidarité, de redistribution par l'impôt, de protection sociale forte, de services publics accessibles à chacun, quels que soient ses ressources et son lieu de résidence. Comme ce fut le cas aux États-Unis avec M. Reagan et en Grande-Bretagne avec Mme Thatcher, la fiscalité est en France un point central de la révolution conservatrice que vous avez commencé d'infliger à notre pays.
    Il faut rappeler, face à ce credo libéral, les termes de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, énonçant dans son article XIII : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. » C'est précisément ce que vous ne voulez pas faire, et ce dernier membre de phrase a une importance toute particulière.
    En effet, la justice fiscale est l'une des conditions essentielles du maintien de la cohésion de notre société. Elle est indispensable pour donner du contenu et du sens à l'égalité et à la fraternité. Améliorer la justice fiscale, c'est renforcer cete cohésion aujourd'hui fragilisée par l'accroissement des inégalités, du chômage et de la précarité, alors que s'attaquer à la justice fiscale, comme vous le faites, c'est jouer contre la cohésion et, en dernière analyse, renforcer les comportements protestataires, individualistes, égoïstes qui contribuent au délitement du corps social et à l'extrémisme politique qu'on voit se développer dans notre pays.
    Il convient cependant de reconnaître que le culte de la baisse des prélèvements obligatoires n'a pas commencé avec votre gouvernement et que nous avons contribué, quand nous étions dans la majorité plurielle, à enclencher ce processus pervers.
    M. Charles de Courson. Quel aveu !
    M. Jean-Pierre Brard. Néanmoins, l'objectivité commande de rappeler que ce sujet fit débat au sein de la majorité plurielle à l'époque, et que, au cours de la discussion de la loi de finances incriminée, notre groupe, qui n'était par alors « communiste et républicain », avait voté contre le barème.
    A cette époque, le ministre des finances avait déclaré : « J'en viens aux baisses d'impôts. Le choix du Gouvernement d'alléger les prélèvements tout en allant dans le sens d'une plus grande justice sociale répond d'abord à une nécessité structurelle. Oui, leur niveau est aujourd'hui élevé en France, ce qui a des incidences à la fois économiques, politiques, psychologiques et même pratiques. Le Gouvernement s'est donc engagé à une réduction de 120 milliards sur trois ans et 200 milliards sur quatre ans, soit un effort annuel comparable à celui consenti par notre voisin allemand. »
    J'abrège, pour gagner du temps, d'autant que, depuis, le ministre en question - il s'agissait de Laurent Fabius - a revu ses positions, parce qu'il a constaté que cette orientation n'était pas bonne. Or, vous le savez, monsieur le ministre, faute avouée est à demi pardonnée, mais à demi seulement !
    Ce type de mesure n'a jamais donné de bons résultats et même si certains considéraient que, pour les échéances de 2002, la baisse de l'impôt était un point cardinal qui conditionnait la victoire, on sait ce qu'il est advenu ! Aujourd'hui, je me réjouis de lire, dans un article du journal Le Monde, que Laurent Fabius a désormais une approche « équilibrée ». Il estime en effet que si l'on ne peut pas augmenter à l'infini les impôts, pour les raisons qu'il avait déjà exposées, il faut cependant que la collectivité prenne en charge certaines dépenses, si l'on veut avoir des services publics de qualité.
    J'ai également été heureux d'entendre Jean Glavany, l'un de nos collègues socialistes - je cite nos collègues socialistes, parce que ce sujet a fait débat entre nous à l'époque - qui affirmait très clairement cet été lors d'une réunion importante qu'il convenait de réhabiliter l'impôt, exercice auquel je m'emploie ce soir, dans l'esprit de l'article XIII de la Déclaration des droits de l'homme, que j'ai déjà cité.
    Néanmoins, monsieur le ministre de l'économie et des finances, telle n'est pas votre opinion. Je vais donc vous citer, comme je vous l'ai promis cet après-midi. Certes, vous êtes un idéologue, même si vous ne l'admettez pas, mais, avec vous, on trouve beaucoup de plaisir à l'échange, parce que, au moins, vous ne parlez pas la langue de bois.
    M. Charles de Courson. Ce n'est pas comme certains !
    M. Jean-Pierre Brard. Vous parlez direct.
    Vous avez ainsi justifié la richesse et la baisse de l'impôt sur le revenu de la façon suivante : « Elle n'est pas injuste, elle est normale, mécanique. Ceux qui paient beaucoup d'impôts, c'est qu'ils gagnent beaucoup d'argent. » Jusque-là, il n'y a rien à redire, M. de la Palice en aurait dit autant.
    « Entre nous, s'ils gagnent beaucoup d'argent », c'est votre opinion et vous la partagez, « c'est qu'ils le méritent. Cela veut dire qu'ils apportent à la société une valeur supérieure à ceux qui gagnent moins d'argent. » Vous avez ajouté : « Nous sommes dans un monde qui valorise l'activité individuelle à travers un certain prix. »
    Je constate que vous restez fidèle à votre opinion et que vous l'auriez répété si besoin avait été ce soir. Ainsi, ceux qui pouvaient encore en douter ont appris que le capitalisme rémunère équitablement la valeur que chaque individu apporte à la société. J'espère que vous me suivez, monsieur le ministre.
    M. Charles de Courson. Il s'accroche !
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur de Courson, ne soyez pas injuste !
    M. Céleste Lett. Il n'y aura pas d'entracte ?
    M. Jean-Pierre Brard. Non.
    Pourtant, ce raisonnement est aussi absurde que choquant. Quelle valeur ajoutée ont apportée respectivement à la société française Jean-Marie Messier, qui va toucher 20 millions d'euros d'indemnités de départ après avoir ruiné son groupe, et un pompier qui a combattu, cet été, les incendies de forêt pour 2 000 euros par mois ? Avec un tel raisonnement, c'est la légitimité même de l'impôt qui est contestée cela d'autant plus qu'il est progressif.
    M. Marini, rapporteur général de la commission des finances du Sénat, s'est, lui, attaqué selon son habitude à l'ISF : En ce qui concerne l'ISF, il faut, au minimum, actualiser son barème. Si on ne le fait pas, on prend la décision d'accroître une nouvelle fois son coût. » C'est ainsi que l'on apprend qu'un impôt est un coût !
    M. Xavier de Roux. Eh oui !
    M. Jean-Pierre Brard. Je pense, monsieur le rapporteur général, que, puisque vous êtes beaucoup plus lettré que votre collègue du Sénat, vous devriez lui donner un cours particulier sur le sens des mots.
    M. Gilles Carrez, rapporteur général. J'ai beaucoup d'estime pour mon collègue du Sénat !
    M. Jean-Pierre Brard. J'imagine que vous avez d'autant plus d'estime que vous avez de la compassion !
    Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, vous nous dites toujours qu'il faut baisser les impôts, pour éviter que certains contribuables partent à l'étranger.
    M. Michel Bouvard. En Suisse, ils appellent cela des réfugiés fiscaux ! Et il y en a beaucoup !
    M. Jean-Pierre Brard. En politique, vous le savez, il faut toujours avoir un peu la baraka. Aujourd'hui, Le Monde a publié une étude de l'association pour l'emploi des cadres qui apporte de l'eau à mon moulin. En effet, elle montre que, si le Royaume-Uni reste en tête pour les avantages accordés aux célibataires sans enfants, la France se révèle très attractive pour un cadre dirigeant senior avec deux enfants.
    L'enquête précise en effet que le salaire net médian de 80 000 euros est identique à celui offert au Royaume-Uni. Il faudrait ajouter que, à la différence du Royaume-Uni, l'école est gratuite en France et que, quand vous vous rendez à l'hôpital, vous avez une bonne chance d'être soigné, ce qui n'est pas nécessairement le cas outre-Manche. Je tenais à le rappeler.
    Je reviens au rôle de l'impôt, et en particulier de l'impôt progressif, dans notre société.
    Il n'est pas inutile, monsieur Auberger, de rappeler ce que disait Jean Jaurès au moment des longues batailles qui ont eu lieu pour l'instauration de cet impôt et je pense que M. Quilès l'aurait reconnu sans même que je dise de qui il s'agissait.
    M. Philippe Auberger. Il a plus de raison que vous de le connaître.
    M. Paul Quilès. Je m'attendais à cette remarque.
    M. Jean-Pierre Brard. En 1894,...
    M. Xavier de Roux. Quel était le taux de l'impôt en 1894 ?
    M. Jean-Pierre Brard. Le taux a progressé depuis parce que les besoins sociaux ont progressé. Mais c'est une dialectique que je vous expliquerai, si vous le voulez bien, une autre fois.
    M. Xavier de Roux. J'adore la dialectique !
    M. Jean-Pierre Brard. Elle n'est pas la même selon Hegel ou selon Marx et Engels. Comme vous le savez, j'imagine, Marx et Engels l'ont remise sur ses pieds.
    M. Xavier de Roux. Ça dépend sur quel pied !
    M. Jean-Pierre Brard. Sur le bon !
    M. Céleste Lett. En tout cas, votre discours à vous, monsieur Brard, est boiteux !
    M. Jean-Pierre Brard. Jaurès déclarait : « Dans une société où celui qui ne possède pas a tant de peine pour se défendre, tandis au contraire que celui qui possède de grands capitaux voit sa puissance se multiplier non pas en proportion de ces grands capitaux mais en progression de ces capitaux, l'impôt progressif vient corriger une sorte de progression automatique et terrible de la puissance croissante des grands capitaux. »
    Quinze ans plus tard, le 24 octobre 1913, le même Jaurès disait : « Nous allons être demain en face de la grande réforme fiscale et ce sera la première pierre de touche du radicalisme reconstitué.
    « Oui, nous voterons tous énergiquement, passionnément pour instituer l'impôt général et progressif sur le revenu, sur le capitalisme et sur la plus-value avec déclaration contrôlée.
    « Nous le voterons parce que, quelle que soit la répercussion possible, et il en est toujours, les impôts ainsi établis sur le grand revenu et le grand capital sont moins fatalement répartis et pèsent moins brutalement sur la masse que les impôts directs qui atteignent directement le consommateur ou le paysan sur sa terre et sur son sillon.
    « Nous le voterons donc et nous le voterons aussi parce qu'il serait scandaleux, je dirais parce qu'il serait humiliant et flétrissant pour la France qu'à l'heure des crises nationales, quand on allègue le péril de la patrie, la bourgeoisie française refuse les sacrifices qu'ont consentis la bourgeoisie d'Angleterre et la bourgeoisie d'Allemagne.
    « Oui, messieurs les bourgeois de France, qui avez voté la loi de trois ans qu'on avait réclamée, nous vous faisons l'honneur de penser que votre patriotisme est à la mesure du patriotisme des bourgeois anglais et des bourgeois allemands.
    « Eh bien, nous voterons l'impôt sur le revenu, mais il faut qu'il soit bien entendu que ce n'est pas ainsi que nous l'avions conçu, que ce n'est pas à cette fin que nous l'avions destiné.
    « Nous voulions qu'avant tout, l'impôt progressif et global servît à dégrever les petits paysans, les petits patentés, de la charge trop lourde qui pèse sur leurs épaules et nous voulions que ces ressources largement réalisées servent aussi à doter vraiment et substantiellement les grandes oeuvres de solidarité sociale, faisant de la simili-assurance contre la vieillesse une réelle assurance sociale contre l'invalidité, contre la maladie, contre le chômage, développant les entreprises de logements sains et à bon marché pour arracher les travailleurs à la misère des taudis.
    « Voilà à quoi nous destinions le produit de ces grands impôts sur la fortune, sur le revenu et sur le capital. Par là, nous ne servions pas seulement la masse des salariés, des travailleurs, mais aussi la production nationale elle-même car, à mesure que la masse gagnera en bien-être, la force de consommation s'accroîtera et, par suite, le débouché intérieur le plus vaste, le plus profond et le plus sûr sera ouvert à la production elle-même. »
    M. Xavier de Roux. Il n'était pas mal, Jaurès !
    M. Jean-Pierre Brard. Comme on le voit, il n'y a rien à changer aujourd'hui à l'analyse de Jean Jaurès.
    M. Xavier de Roux. Tout est bien, hormis les taux !
    M. Jean-Pierre Brard. Arrêtez ! Vous fonctionnez comme un disque rayé !
    Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Vous parlez de vous, là, monsieur Brard !
    M. Jean-Pierre Brard. Il ne suffit pas de répéter une contrevérité mille fois pour la transformer en vérité urbi et orbi.
    M. Charles de Courson. Nous vous renvoyons la formule.
    M. Céleste Lett. Jaurès, ça fait longtemps qu'il est rayé !
    M. Jean-Pierre Brard. Je ne voudrais pas mettre en cause votre culture politique, mais Jean Jaurès fut l'une des plus belles figures qui ait siégé dans ce Parlement et, s'il fut assassiné, c'est parce que la haine qu'il suscitait était à proportion de l'espérance qu'il avait fait naître dans le peuple de France. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Mais vous en voulez encore à Jaurès, comme vous en voulez encore à Robespierre, à Saint-Just et à bien d'autres.
    M. Charles de Courson. Laissez leurs âmes reposer en paix !
    M. Xavier de Roux. Quel rapport avec le débat ?
    M. Jean-Pierre Brard. C'est trop difficile de vous l'expliquer ce soir ! Vous me semblez imperméable, mon cher collègue. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Près d'un siècle plus tard, M. Thomas Piketty, dans son ouvrage Les hauts revenus en France au xxe siècle,...
    M. Céleste Lett. Il est moins connu, celui-là !
    M. Jean-Pierre Brard. C'est incroyable ! N'érigez pas votre ignorance en vertu universelle ! Thomas Piketty est un brillant intellectuel de notre époque...
    M. Michel Bouvard. Tout à fait !
    M. Jean-Pierre Brard. ... et ce n'est pas parce que ses analyses vous déplaisent quelles sont fausses. Peut-être, d'ailleurs, auriez-vous en le lisant de plus près une évaluation plus pertinente du projet de budget qui vous est présenté par le Gouvernement et de sa conception de la baisse de l'impôt sur le revenu.
    M. Céleste Lett. Est-ce que vous avez des propositions personnelles ?
    M. Jean-Pierre Brard. M. Piketty analyse ainsi l'effet dynamique et redistributeur de l'impôt sur le revenu ; « L'impôt sur le revenu n'a pas simplement pour effet de réduire de façon immédiate et mécanique les disparités présentes de niveau de vie. L'impôt sur le revenu a également un impact plus complexe sur les inégalités, dont les effets ne se font pleinement sentir qu'au bout d'un certain nombre d'années. En comprimant la hiérarchie des revenus disponibles » - ce dont, bien sûr, vous ne voulez pas, messieurs de la droite - « l'impôt progressif modifie structurellement les capacités d'épargne et d'accumulation des uns et des autres, et conduit donc à réduire les inégalités patrimoniales futures et, par conséquent, l'inégalité future des revenus avant impôt. »
    Comme vous le voyez, mon cher collègue, il y a de nouveau de la dialectique dans cette analyse.
    M. le président. Monsieur Brard, si vous continuez comme ça, vous n'allez pas arriver au bout de votre propos !
    M. Jean-Pierre Brard. Ne vous en faites pas, monsieur le président, nous avons tous les jours de la semaine pour épuiser les idées en débat.
    M. le président. Mais votre intervention de ce soir est limitée dans le temps !
    M. Jean-Pierre Brard. Je voulais faire comprendre à notre collègue qu'établir un barème pour l'impôt sur le revenu, ce n'est pas faire de l'épicerie. Il y a derrière une philosophie politique, qui doit sous-tendre un projet pour la société tout entière. J'y reviendrai dans mon propos.
    J'ai évoqué les candidats à l'expatriation. En réalité, le niveau des prélèvements obligatoires dans notre pays a, depuis des décennies, pour contrepartie directe des services publics de bonne qualité sur tout le territoire. En tarissant la ressource publique, vous voulez convaincre la société française qu'il n'y a plus moyen de financer les services publics. Pour vous, vider les caisses est l'étape préalable pour démolir le contrat social qui est organisé autour de ces services. Or les Français y sont tellement habitués qu'ils n'imaginent pas pouvoir vivre dans une autre société que celle qu'ils connaissent et j'espère qu'ils n'auront jamais à faire la douloureuse expérience des Anglais, que les Allemands vont bientôt connaître sous la houlette de M. Schröder.
    M. Maxime Gremetz. Très juste !
    M. Jean-Pierre Brard. Un des premiers devoirs de la nation est de défendre la notion de justice fiscale et de rappeler la raison de l'impôt. La France n'a pas d'impôts élevés en raison d'une mauvaise gestion ou d'un nombre pléthorique de fonctionnaires. Les prélèvements obligatoires dans notre pays sont la contrepartie d'une conception solidaire de la société bâtie tout au long du xxe siècle, généralement par des gouvernements de gauche, mais aussi à la Libération par le gouvernement du général de Gaulle ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Maxime Gremetz. Tout à fait !
    M. Jean-Pierre Brard. Vous n'aimez pas qu'on fasse référence au général de Gaulle...
    Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Pourquoi pas ? C'est une bonne référence !
    M. Jean-Pierre Brard. ... parce que, quoi que vous en disiez, vous êtes des relaps : vous avez renié un héritage.(Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jean-Pierre Grand. Des mairies communistes ont refusé de recevoir le général de Gaulle !
    M. Céleste Lett. Ne parlez donc pas du général de Gaulle !
    M. Jean-Pierre Brard. Vous avez tout bradé ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Cessez ces interpellations.
    M. Jean-Pierre Brard. Mes chers collègues de droite, qui parle sans cesse du déclin du pays ? Qui prétend que nous sommes à la traîne en Europe et même dans le monde ?
    Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Oui, qui ?
    M. Jean-Pierre Brard. C'est vous qui essayez de casser le moral du peuple français.
    Mme Marie-Hélène des Esgaulx. N'importe quoi !
    M. Philippe Auberger. Vous, monsieur Brard, vous nous cassez les pieds !
    M. Jean-Pierre Grand. Vous faites du mauvais Gremetz !
    M. Jean-Pierre Brard. A qui feriez-vous croire que nous sommes à la traîne, quand nous sommes le quatrième exportateur mondial ? Si vous ne me croyez pas, lisez l'excellent article de Dominique de Villepin dans Le Monde daté du 8 octobre.
    M. Maxime Gremetz. Tout à fait ! Il est meilleur que vous !
    M. Jean-Pierre Brard. On sent, dans cet homme qui a défendu la France à l'ONU face à l'arrogance et à l'impérialisme américains,...
    M. Maxime Gremetz. Absolument !
    M. Jean-Pierre Brard. ... vibrer la fibre patriotique héritée du général de Gaulle. On se demande simplement ce qu'il fait dans ce gouvernement. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Yves Bur. On discute du budget, monsieur Brard !
    M. Jean-Pierre Grand. Arrêtez de blasphémer !
    M. le président. Monsieur Brard, reprenez le cours de votre propos.
    M. Jean-Pierre Brard. Le budget, je vous l'ai dit, ce n'est pas de l'épicerie. Il y a derrière une philosophie politique.
    Je sens chez vous un peu de Balzac (Rires sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) alors que, moi, je faisais référence à Jaurès.
    M. le président. Monsieur Brard, ne dissipez pas vos collègues.
    M. Céleste Lett. A défaut d'agir, M. Brard parle !
    M. Jean-Pierre Brard. Je reviens au général de Gaulle, à son héritage et, plus globalement, à l'héritage du peuple français et à ses conquêtes sociales.
    Dans un grand nombre de pays étrangers, la santé et l'école sont directement financées par les familles en fonction de leur fortune. Historiquement, dans notre pays, ces dépenses sont payées par l'impôt ou par les cotisations sociales. A vous entendre, les prélèvements seraient plus lourds ici qu'ailleurs. Mais, ailleurs, ces prélèvements sont privatisés, sans que cela garantisse pour autant la qualité que chacun reconnaît aux services de santé et d'éducation de notre pays. Notre système éducatif et notre système de protection sociale, sans être exempts de défauts, permettent en contrepartie à chacun d'accéder à l'éducation et à la santé.
    La mise en place par le précédent gouvernement de la CMU et de l'allocation personnalitée d'autonomie est venue renforcer cette conception d'une société solidaire. Nous devons veiller à l'amélioration du caractère redistributif de l'impôt et des cotisations.
    De grâce, monsieur le ministre, quand vous faites des comparaisons en ce qui concerne les prélèvements obligatoires, ajoutez aux prélèvements que subissent les habitants des pays où vous allez cherchez vos références les dépenses qui sont financées directement par le revenu et qui ne sont pas prélevées par l'impôt. Vos comparaisons seront alors pertinentes. Vous savez bien que, si vous faites les additions ainsi, les prélèvements que vous dites obligatoires ne sont pas particulièrement lourds chez nous. (Exclamations et rires sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Voilà des gens qui n'ont jamais fait d'additions et qui ricanent ! Si M. Mer, lui, ne ricane pas, c'est que, dans une vie antérieure, il avait des salariés à l'étranger. Les additions, il les a faites ! Nicht wahr ? C'est pourquoi il ne peut pas me contredire...
    M. Maxime Gremetz. Eh non !
    M. Jean-Pierre Brard. Mesdames, messieurs les députés de la majorité, vous qui marchez au sifflet dès que le Gouvernement fait un mouvement de cil, vous devriez vous inspirer de l'exemple de votre ministre. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Céleste Lett. Ce n'est pas de notre côté qu'on marche au sifflet, monsieur Brard !
    M. Jean-Pierre Grand. Les communistes marchent au pas de l'oie, eux !
    M. Jean-Pierre Brard. Rappelez-vous, messieurs de la droite, le débat sur les retraites où, le centralisme démocratique aidant, un seul député de l'UMP a été autorisé à s'exprimer. (Exclamations sur les mêmes bancs.)
    M. Alain Bocquet. Très juste !
    M. Yves Bur. C'est un spécialiste du centralisme démocratique qui parle !
    M. Jean-Pierre Brard. Justement, monsieur Bur : si nous l'avons abandonné, c'est parce que nous en avons expérimenté la perversion. Quant à vous, vous l'avez racheté en solde !
    M. Jean-Pierre Grand. On se croirait au Cirque d'hiver !
    M. Jean-Pierre Brard. Regardons ce qu'il en est, par exemple, de la santé ou des transports. Pour réhabiliter l'impôt, il faut faire oeuvre de pédagogie et expliquer à nos concitoyens ce que coûtent les services dont ils bénéficient.
    M. Yves Bur. Ils coûtent trop cher !
    M. Jean-Pierre Brard. Trop cher ? Mais vous dites des sornettes, monsieur Bur !
    L'habitant d'Ile-de-France qui prend le métro chaque jour et paie sa carte orange, sait-il qu'il bénéficie d'une subvention annuelle qui fait du ticket de transport en commun qu'il utilise l'un des moins chers du monde pour les grandes capitales ?
    M. Michel Bouvard. Les provinciaux le savent, eux !
    M. Yves Bur. Puisque ce sont eux qui paient pour Paris !
    M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas exact non plus ! Mais c'est un autre débat !
    Le malade qui est en réanimation intensive à l'hôpital sait-il que chaque journée revient à 852 euros dans les cas les moins coûteux ? La famille dont l'enfant est étudiant en sciences sait-elle qu'il en coûte environ 12 200 euros par an au budget de l'Etat ?
    Si nous voulons rétablir un rapport citoyen entre l'Etat et les Français, il faut expliquer à ces derniers à quoi sert l'impôt.
    M. Michel Bouvard. Là, nous sommes d'accord !
    M. Jean-Pierre Brard. Ce sera le moyen de les intéresser davantage à la chose publique et de placer celle-ci sous leur contrôle.
    Parmi les autres raisons qui font douter du caractère juste de l'impôt, on peut ajouter le manque de stabilité de la loi fiscale, de multiplicité et de transparence. En fin de compte, monsieur le ministre, il s'agit essentiellement pour vous, depuis un an et demi de soigner une clientèle électorale de possédants, de privilégiés, pour lesquels les impôts, la solidarité nationale et l'intérêt général ne sont que de vieilles lunes contre-productives, des freins illégitimes à la réussite des gagneurs, des golden boys, des grands capitaines d'industrie devenus aujourd'hui les nouveaux héros de la mondialisation ultralibérale.
    C'est vrai qu'objectivement tout ce que vous faites fait pencher la balance vers les Thénardier plus que vers Cosette et Jean Valjean. (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Yves Bur. Ah ! Le Misérable !
    M. Marc Le Fur. Ils n'étaient pas riches les Thénardier.
    Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Des détails !
    M. Jean-Pierre Brard. Si vous demandez des détails, c'est que vous ne connaissez pas le réel !
    M. Yves Bur. Vous n'avez pas l'exclusivité du réel, monsieur Brard !
    M. Jean-Pierre Brard. Je vous emmènerai, si vous voulez, dans certains coins de banlieue en Ile-de-France.
    J'ai invité un jour M. Sarkozy à venir faire le marché à Montreuil, un dimanche matin. Je l'attends toujours !
    M. Yves Bur. Pensez-vous être le seul à faire le marché ?
    M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Je viendrai, moi, monsieur Brard !
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur Lambert, banco ! Je vous invite un dimanche matin à faire le marché à Montreuil.
    M. Philippe Auberger. Et les puces aussi !
    M. Jean-Pierre Brard. Je ne préviendrai personne. Je dirai quand même, aux personnes que nous croiserons au fur et à mesure de notre visite, que vous êtes le ministre du budget, pour qu'elles puissent vous dire ce qu'elles ont sur le coeur.
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Si elles paient des impôts, c'est qu'elles sont riches !
    M. Jean-Pierre Brard. Non, mais elles savent très bien qu'elles paient des impôts sur tout et qu'à chaque fois qu'elles achètent trois oranges, elles paient la TVA, ce qui est tout à fait illégitime.
    M. Hervé Novelli. C'est pour ça qu'il faut baisser les impôts !
    M. Jean-Pierre Brard. C'est ça !
    M. Marc Laffineur. La TVA, vous ne l'avez jamais supprimée !
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, je voudrais pouvoir continuer mon propos.
    M. le président. C'est ce à quoi je vous encourage depuis un moment.
    M. Jean-Pierre Brard. Depuis la prise de fonctions de ce gouvernement, le développement durable est devenu un grand principe, si l'on en croit le Président de la République, qui prêche sur ce sujet avec le zèle émouvant des nouveaux convertis. Il devrait inspirer toute l'action gouvernementale et donc ce budget. Malheureusement on est plutôt au magasin des farces et attrapes, rayon esbroufe ! Visiblement, vos ministères, messieurs les ministres, ne sont pas pénétrés de la pensée présidentielle.
    Quel est aujourd'hui l'état des lieux sur le plan fiscal en matière d'environnement et de développement durable ?
    Le Conseil des impôts dresse à cet égard, dans son dernier rapport, un bilan très critique. Il écrit : « Les taxes environnementales, lorsqu'elles existent, sont fixées à des taux très inférieurs à ce qu'ils devraient être au vu des dommages causés par la pollution, si l'on excepte le domaine important des produits pétroliers. »
    Il en va de même pour les mesures fiscales positives. Même si elles tendent à se développer, leur poids paraît en effet modeste.
    On a évoqué depuis le début de cette discussion l'augmentation de la taxe sur le gazole. Vous avez, habilement, voulu faire croire que c'était une mesure environnementale. En fait, on sait bien que vous avez sorti votre épuisette pour ramasser quelques petits sous par-ci par-là mais que, de l'environnement, en fin de compte, vous n'en avez cure. J'en vois la preuve dans le fait que, dans votre argumentation, vous n'avez même pas été en mesure de répondre à ceux qui défendent le diesel. Je pense aux lobbyistes pétroliers qui doivent absolument fourguer les quantités de diesel qu'ils produisent, et auxquels vous n'avez pas répondu sur les questions environnementales. Pourtant, les arguments ne manquaient pas.
    Vous êtes pris en défaut de nouveau sur l'environnement. Les transports sont un exemple tout à fait édifiant, avec la suppression des subventions allouées aux grandes villes pour développer leur réseau de transports en commun de voyageurs.
    « La France affirmerait que les transports collectifs en site propre ne sont pas une priorité, alors que les autres pays d'Europe investissent massivement dans ce secteur », déclarait Jean-Marie Bockel, président de l'association des maires de grandes villes. Et M. Bussereau lui répond, par presse interposée, que l'État aurait joué un rôle excessif dans l'émergence des projets de transports collectifs.
    C'est à l'aune du réel et des actes que l'on juge la sincérité des engagements, et nous sommes, vous le voyez, bien loin du compte !
    Comme le temps passe, messieurs les ministres, je voudrais avancer un peu dans mon propos. Vous êtes évidemment sous influence, sous l'influence de M. Seillière, qui s'est découvert cet été une âme de philosophe. Vous avez certainement lu dans Le Monde cet article intitulé « Le nouveau positivisme ». Est-ce à dire qu'il n'y a plus de philosophes à droite, que M. Seillière doive à la fois être au four et au moulin ? Je vous laisse apprécier.
    Un grand thème de la bataille idéologique affichée dans votre budget est la réhabilitation de la valeur du travail, thème clairement inspiré par le MEDEF dans sa formulation idéologique. De fait, vous opposez travail et emploi sous la houlette du baron Antoine Seillière de Laborde...
    M. Xavier de Roux. Décidément, il est nul ! Dire qu'il faut écouter de telles âneries !
    M. Jean-Pierre Brard. Vous parlez de M. Seillière, je suppose !
    ... et de son ancien adjoint, M. Kessler, que M. Mer a bien connu. Je partage votre opinion, monsieur le ministre : c'est un garçon très intelligent. Mais vous savez, à force d'être à gauche, on finit par faire un tour complet (sourires), et, de maoïste, vous voyez où on peut finir...
    M. le président. Poursuivez votre propos, monsieur Brard, sinon vous n'allez jamais arriver au bout !
    M. Jean-Pierre Brard. J'en étais à des considérations géométriques, monsieur le président !
    Dans une tribune, publiée dans Le Monde du 8 septembre, M. Seillière écrit : « Qu'il s'agisse de la relation entre la science et le progrès, des mutations identitaires dans notre société ou du nouvel ordre international, l'entreprise est toujours concernée, porteuse de progrès et de modernité. C'est la raison pour laquelle les entrepreneurs refusent les visions pessimistes et défaitistes qui rongent aujourd'hui notre société. Ces évolutions qui, prises une à une, peuvent sembler désordonnées, dessinent en réalité une nouvelle organisation sociale, une nouvelle organisation économique, une nouvelle organisation géopolitique du monde. Après des années de grand désordre, de nouvelles régulations s'esquissent enfin et des priorités nouvelles s'affirment pour notre pays. Au-delà des suspicions et des vieilles peurs, la France se transforme et entre enfin dans la réforme que depuis des années le MEDEF appelle de ses voeux. Un processus de fond s'est engagé, un point d'inflexion intellectuelle - c'est M. Seillière qui le dit ! - autant que conjoncturelle. Le travail dans l'entreprise est le moteur principal de l'ascenceur social français. C'est pourquoi il est urgent d'en réhabiliter la valeur avec ses exigences et les espoirs de réussite qu'il porte. Entrepreneurs, responsables politiques, responsables religieux, tous partagent la même conviction : l'entreprise avec ses contraintes et ses possibilités est au coeur des aspirations. »
    C'est ce que M. Seillière appelle le nouveau positivisme, ainsi défini : « Libéralisme ou keynésianisme, capital ou travail, socialisme ou gaullisme, les schémas de pensée qui ont façonné les analyses du siècle passé ne permettent plus l'interprétation du monde actuel. Ils sont à reconstruire, c'est cela que nous appelons le nouveau positivisme. Il doit nous permettre de sortir d'une pensée normative et d'imaginer une nouvelle gouvernance, un nouveau lien entre l'économique et le politique. »
    M. Maxime Gremetz. Ça, ce n'est pas Seillière qui l'a écrit, c'est Kessler !
    M. Charles de Courson. Allons, nous sommes à l'Assemblée nationale !
    M. Jean-Pierre Brard. Si nous ne sommes pas là en pleine idéologie, dites-moi où nous sommes ! Et reconnaissez, monsieur le ministre délégué, que votre discours et celui de M. Seillière ne sont pas contradictoires. Je vous vois dubitatif. Vous sentez bien qu'il faudrait me répondre oui, mais ce serait avouer un peu !
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Je ne dis rien !
    M. Jean-Pierre Brard. Il y a des silences qui parlent !
    M. Céleste Lett. C'est du développement durable, ce soir !
    M. Jean-Pierre Brard. Dans son éloge de l'entreprise, qu'il qualifie par antiphrase de « porteuse de progrès », M. le baron oublie sans complexe les désastres économiques et financiers qui ont pour nom, entre autres, Vivendi Universal, Crédit Lyonnais, Executif Life, Air Littoral,...
    M. Charles de Courson. Air Littoral, ce n'est pas la même chose !
    M. François Goulard. Il oublie L'Humanité !
    M. Jean-Pierre Brard. ... Air Liberté, France Télécom, Metaleurop ou Alstom, qui ont coûté et coûtent encore très cher aux salariés, aux contribuables et souvent aux petits actionnaires. Quand la recherche du profit ou la megalomania conduisent au naufrage, c'est à l'Etat que font appel les naufrageurs pour un prêt, une recapitalisation ou une structure de défaisance, en un mot pour obtenir des derniers publics.
    Nous avions pris l'habitude en France de vivre sur un socle réputé intangible que l'on pouvait nommer le compromis social de 1945. L'état social qui s'est mis en place à la Libération, et qui était très influencé par les idéaux de la Résistance, reposait sur quatre piliers : la sécurité sociale, les retraites par répartition, le droit du travail et le développement du service public et d'un important secteur public. On pourrait en ajouter un cinquième : la place significative accordée à la culture, qui sera à l'origine de ce que l'on nommera plus tard l'exception culturelle.
    Tant bien que mal, ce compromis social a duré. Mais aujourd'hui, nous n'en sommes plus là. En effet, la page qui s'est ouverte le 21 avril 2002 marque une véritable rupture. Fortement poussée par le MEDEF, la droite a en effet estimé que le moment était enfin venu de la casse systématique du compromis social issu de la Libération. La France s'était déjà, sur le plan économique, largement mise aux normes des standards libéraux ; il fallait que cela fût fait sur le plan social. Il y a bien rupture quand on choisit de placer dans l'impasse le système de retraite par répartition et que l'on espère se servir de la paupérisation massive des futurs retraités qui s'ensuivra pour enclencher une évolution vers la capitalisation. Si j'en crois Le Monde de cet après-midi, il en ira de même pour l'assurance maladie, que l'on ouvre au secteur privé.
    Dans ce contexte, le « nouveau positivisme » apparaît comme une tentative de masquer une stratégie destructrice : « Conscience et éthique font partie intégrante de l'avancée de la connaissance. Elles font l'honneur de nos scientifiques et de nos chercheurs. Elles affirment aussi que l'alliance de la science et de l'entreprise est une donnée fondamentale du progrès. » Il est du reste assez étrange d'entendre M. Seillière parler ainsi d'éthique après avoir lâché, dans les conditions que vous savez, les salariés d'Air Littoral, entre autres !
    M. Hervé Novelli. C'est faux !
    M. Jean-Pierre Brard. Maintenant, mes chers collègues, comment s'en sortir ? En posant cette question, ce n'est pas à la droite que je m'adresse, mais évidemment aux membres de la gauche de cette assemblée.
    Plusieurs députés du groupe Union pour un mouvement populaire. S'il en reste !
    M. Jean-Pierre Brard. Oh, vous savez, ça va, ça vient, certains d'entre vous en savent quelque chose !
    M. Yves Bur. Pour vous, ça ne revient jamais ! Vous parlez, nous, nous agissons !
    M. le président. Monsieur Brard, vous arrivez au bout de votre propos.
    M. Maxime Gremetz. Il est toujours interrompu, monsieur le président !
    M. le président. Je décompterai les interruptions.
    M. Jean-Pierre Brard. Merci monsieur le président. Je reconnais bien là votre objectivité.
    M. Didier Migaud. Dans ce cas, M. Brard a encore droit à un quart d'heure, monsieur le président !
    M. le président. Non ! C'est moi qui préside.
    M. Jean-Louis Dumont. M. Brard est toujours interrompu par le président !
    M. Jean-Pierre Brard. « S'il en reste », dites-vous. On pouvait dire la même chose de la droite, il n'y a pas si longtemps !
    M. le président. Ça, ce ne sera pas décompté, monsieur Brard.
    M. Maxime Gremetz. C'est de la provocation !
    M. Jean-Pierre Brard. Moi, je n'ai pas de chronomètre, monsieur le président : nous ne sommes pas à égalité.
    La droite avait son projet, Alternance 2002, alors que la gauche - il faut être lucide et parler clair - n'en a pas. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Yves Bur. Terrible aveu !
    M. Jean-Pierre Brard. Il lui faut construire un projet de société (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), pour l'opposer à celui de la droite, la combattre, la battre et redonner ainsi l'espérance au peuple français.
    M. le président. Monsieur Brard, reprenez le fil de votre propos.
    M. Jean-Pierre Brard. Mais je suis en plein dedans, monsieur le président !
    M. Paul-Henri Cugnenc. En plein dedans, c'est sûr !
    M. le président. Très bien.
    M. Jean-Pierre Brard. Je parle d'un projet : je comprends donc que vous vouliez m'empêcher de parler ! (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Un projet qui s'appuie sur l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme, sur Victor Hugo, Jean Jaurès,...
    M. le président. Est-ce votre conclusion, monsieur Brard ?
    M. Jean-Pierre Brard. J'arrive à ma conclusion, monsieur le président.
    Il faut construire, disais-je, un nouveau projet, élaborer un nouveau contrat social.
    M. Hervé Novelli. Il y a du boulot !
    M. Yves Bur. Adressez-vous à l'extrême gauche !
    M. Jean-Pierre Brard. Evidemment qu'il y a du boulot, parce qu'il faut rompre avec les équivoques et les ambiguïtés, notamment pour ce qui concerne la baisse de l'impôt sur le revenu, réhabiliter l'impôt, opposer notre projet à un autre projet. A la gauche d'assumer, elle aussi, ses positions et ses ambitions comme vous, à droite, assumez les vôtres.
    M. Paul-Henri Cognenc. Voilà qui est clair !
    M. Yves Bur. C'est un appel désespéré !
    M. Jean-Pierre Brard. Ce nouveau contrat social devra intégrer les ambitions que la société se donnera. Les valeurs républicaines en seront évidemment le socle, ainsi que les droits sociaux, qu'il ne s'agit évidemment pas de rogner, mais bien de conforter : le droit à l'éducation, à l'emploi, à la santé, au logement, à la sécurité - notamment la sécurité professionnelle -, à la culture, à un environnement sain, pour ne citer que les thèmes principaux. Ce contrat devra également affirmer la place de la France en Europe et dans le monde, pour la recherche de la paix, pour le développement des coopérations et l'encouragement aux actions de codéveloppement avec les pays du Sud. Les comparaisons internationales montrent que diminuer les charges sociales et faire financer la protection sociale par les contribuables n'est pas une solution. Il faut réformer dans un tout autre esprit : il ne s'agit pas d'abaisser le coût global de la protection sociale alors que les besoins sont insatisfaits et les inégalités légion, mais d'en répartir différemment la charge.
    M. Charles de Courson. Brard à Bercy !
    M. Jean-Pierre Brard. Deux principes s'imposent : rendre le tissu économique plus solidaire, donc rééquilibrer les contributions sectorielles ; inciter l'entreprise - c'est pour nous aussi un élément important d'un projet de société, mais nous ne le plaçons pas au même endroit que vous - à intégrer un objectif de préservation et de développement de l'emploi. Cela passe par le transfert d'une partie des cotisations patronales sur le profit brut de l'entreprise...
    M. Hervé Novelli. Vous êtes hors délai !
    M. Jean-Pierre Brard. Non, vous m'avez interrompu !
    M. le président. Monsieur Brard, il va falloir conclure.
    M. Jean-Pierre Brard. J'y viens, monsieur le président.
    Changer les critères du financement et du crédit est essentiel. Le financement public pour l'emploi doit être décentralisé...
    M. Didier Migaud. Absolument !
    M. Jean-Pierre Brard. ... et placé sous le contrôle des acteurs sociaux, avec péréquation et évaluation des résultats. Il faut plus de démocratie politique et plus de démocratie sociale dans notre pays ! Tout cela doit faire partie d'un projet de société. Il faut une mutation de la fiscalité et une réforme bancaire. Il faut aussi, c'est vrai, réformer les services publics.
    M. Nicolas Perruchot. Ça va être la révolution !
    M. Jean-Pierre Brard. Toutes ces réformes doivent viser à plus d'efficacité.
    M. le président. Monsieur Brard !
    M. Jean-Pierre Brard. Je vais aller directement à mon dernier paragraphe, monsieur le président, puisque j'ai cru comprendre que vous m'y incitiez ardemment.
    M. Jean-Louis Dumont. C'est de la censure !
    M. Jean-Pierre Brard. N'exagérons rien.
    Aux Etats-Unis, que vous prenez toujours en exemple - je le dis en passant pour que cela figure au Journal officiel -, les impôts directs sur les revenus et les bénéfices atteignent 51 %, soit bien plus que chez nous.
    M. Charles de Courson et M. Nicolas Perruchot. Sur quelle assiette ?
    M. Jean-Pierre Brard. Et pas en taux moyen ! Ici, on parle toujours du taux marginal...
    M. le président. Monsieur Brard, veuillez conclure.
    M. Jean-Pierre Brard. Je termine, monsieur le président.
    Au terme de cette analyse - que je n'ai pas pu développer complètement, mais la discussion permettra d'y revenir - je crois avoir mis en lumière le fait que ce projet de loi de finances est non seulement virtuel et insincère, mais dangereux pour notre économie et pour les habitants de notre pays, et qu'il importe de lui opposer un autre projet.
    M. Céleste Lett. Vous n'en avez pas !
    M. Jean-Pierre Brard. C'est la raison d'être de la confrontation politique. Mais vous n'avez certainement rien écouté. Engoncés dans vos préjugés et vos images d'Epinal, vous n'avez foi qu'en un libéralisme échevelé. Moi, j'ai foi dans les hommes et les femmes qui ont fait notre pays et qui continueront de le construire.
    M. Yves Bur. Vous l'avez perdue, la foi. C'est ça votre problème !
    Je vous invite donc, vous l'aurez compris, à voter cette question préalable, tant il est vrai qu'il n'y a pas lieu de délibérer sur ce projet de loi de finances. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    M. le président. Dans les explications de vote sur la question préalable, la parole est à M. Michel Bouvard, pour le groupe UMP.
    M. Michel Bouvard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le long exposé que vient de nous faire notre collègue Jean-Pierre Brard montre, tout au contraire, qu'il y a bien lieu de délibérer et de passer sans tarder à la discussion et à l'examen de ce texte. M. Brard lui-même en est d'ailleurs convaincu puisqu'il a évoqué plusieurs amendements qu'il a déposés, pour ce qui touche notamment à l'impôt sur le revenu. En contestant un certain nombre d'orientations politiques, il a montré qu'il convenait d'engager nos travaux et d'approfondir le débat.
    Sans vouloir reprendre point par point l'argumentation de notre collègue, je veux regretter le caractère trop caricatural de sa présentation - mais nous y sommes un peu habitués -, s'agissant notamment de la politique de l'emploi, au moment même où nous allons signer le 100 000e contrat-jeune en entreprise. Ce dispositif est un réel succès, puisque 90 % de ces emplois ont été créés dans des PME et de très petites entreprises. Il n'y a donc pas d'effet d'aubaine...
    M. Eric Besson. Mais si !
    M. Michel Bouvard. ... et cela démontre bien que l'allégement des charges est le moyen de créer des emplois.
    M. Eric Besson. Les deux tiers sont de la requalification !
    M. Michel Bouvard. Le Gouvernement a également décidé, dans ce projet de loi de finances, de relancer les CIE pour favoriser l'insertion des chômeurs de longue durée. Il a aussi, après avoir démantelé le système mis en place par Martine Aubry et la majorité de l'époque, décidé de revaloriser le SMIC et la prime pour l'emploi.
    M. Pierre Hellier. C'est vrai !
    M. Michel Bouvard. Cette revalorisation du SMIC de base et la PPE permettront, sur trois ans, de revaloriser les salaires des Français les plus défavorisés, (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Il est vrai qu'une politique sociale a été mise en place, confirmée par le Gouvernement et par la majorité. Il est vrai aussi que certains sujets font l'objet de discussions. Jean-Pierre Brard a évoqué les 35 heures. Je regrette qu'il ne soit pas allé jusqu'au bout du sondage du Journal du Dimanche : si une majorité de Français dit effectivement approuver les 35 heures, on trouve également une majorité pour constater que les 35 heures ont eu comme conséquence un gel des salaires et de ce fait un ralentissement de la consommation.
    M. Jean-Claude Beauchaud. Vous n'avez qu'à les supprimer, les 35 heures ! Ne vous gênez pas !
    M. Michel Bouvard. Ce n'est pas là la moindre des contradictions pour des mesures mises en oeuvre au cours des dernières années.
    M. Augustin Bonrepaux. Vous êtes vraiment à court d'arguments !
    M. Michel Bouvard. Enfin, mes chers collègues, j'ai comme vous tous relevé cet aveu saisissant : l'opposition n'a toujours pas de projet à ce jour. Et l'orateur du groupe communiste n'a pas manqué de rappeler quelques-unes de ses critiques à l'encontre de la politique menée par Laurent Fabius à l'époque où il était ministre de l'économie, avant de lui donner finalement une sorte d'absolution.
    M. Michel Vergnier. Ne vous tracassez pas pour nous !
    M. Michel Bouvard. Le débat est d'ores et déjà engagé ; il faut donc rejeter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Dumont, pour le groupe socialiste.
    M. Jean-Louis Dumont. Après la chevauchée fantastique de Jean-Pierre Brard...
    M. Charles de Courson. Fantasmagorique !
    M. Jean-Louis Dumont. ... et pas solitaire...
    M. Pierre Hellier. Il a fini en solo !
    M. Jean-Louis Dumont. ... on pouvait s'attendre à quelque réaction ministérielle. Une heure et demie d'exposé brillant, talentueux, non pas caricatural mais allant fouiller au coeur de votre projet, messieurs les ministres, cela méritait certainement une réponse.
    Jean-Pierre Brard vient de démontrer l'ensemble des contradictions que comportait votre texte. C'est vrai que nous en sommes à la première partie de la loi de finances initiale, et qu'on doit considérer chacun des articles dans le cadre d'un projet plus global. Je remarque simplement qu'on vient, pendant plus d'une heure, de tenter de réhabiliter à vos yeux l'acte citoyen qu'est la contribution par l'impôt, en particulier par l'IRPP. L'acte citoyen mérite aujourd'hui qu'on s'y attarde, et surtout qu'on s'y attache. Le lien entre le citoyen et la nation...
    M. Xavier de Roux. C'est payer !
    M. Jean-Louis Dumont. Tout à fait.
    ... passe par le paiement de cette contribution individuelle, de cette contribution sur les ménages qui permet de mesurer l'effort en faveur de la lutte contre les inégalités et en faveur des services publics.
    Oui, aujourd'hui, nous sommes en difficulté économique, mais quelle réponse apportez-vous au problème de l'emploi, l'emploi pour les jeunes, l'emploi pour les moins jeunes touchés par le chômage ? Quelle réponse apportez-vous à la crise du logement ? La fiscalité que vous nous proposez répond-elle à ces besoins ?
    M. Xavier de Roux. Elle est insuffisante !
    M. Jean-Louis Dumont. Je crois que, globalement, on peut répondre non.
    M. Xavier de Roux. Elle est modeste !
    M. Jean-Louis Dumont. Encore plus grave, peut-être, vous mettez en cause les engagements pris par l'Etat.
    M. Xavier de Roux. Les citoyens réclament des impôts à toute force !
    M. Jean-Louis Dumont. Les ministres de votre gouvernement ont signé des engagements qui, dès 2003, n'ont pas été tenus et le seront encore moins en 2004.
    Alors, de pointillés en débats virtuels, on s'interroge sur la qualité des propositions qui sont faites.
    M. Xavier de Roux. Il faut augmenter massivement les impôts !
    M. Jean-Louis Dumont. Je vais prendre un exemple. Dans le cadre de l'environnement - et je rapproche cela de la PAC que vous avez négociée, dans laquelle vous avez signé une éco-conditionnalité - comment, dans nos campagnes, faire croire que l'on pourra mettre en place une politique dynamique, alors que l'Etat ne tient pas ses engagements ? Si j'avais de l'humour, mais je n'ai certainement pas le talent de Jean-Pierre Brard, je dirais : quel avenir pour le rôle du genêt lorsqu'on n'arrive pas à trouver dans une région 5 000 euros pour tenir les engagements signés par l'Etat ?
    Faut-il parler du logement, quand l'aide à la pierre disparaît pratiquement, quand l'aide à la personne, au moment où le chômage augmente et les ressources des ménages baissent, sera diminuée d'une façon drastique ?
    M. Yves Bur. Parlez de votre bilan : il est nul.
    M. Jean-Louis Dumont. C'est une paupérisation grandissante qui va toucher dans notre pays les populations les plus fragiles.
    Je ne sais pas si les propos de Jean-Pierre Brard, vus par tel ou tel d'entre vous, méritaient cette caricature. Il a énoncé avec beaucoup de conviction une position qui est partagée, y compris certainement par des membres de la majorité.
    M. Xavier de Roux. Les taxes !
    M. Jean-Louis Dumont. Un société comme la nôtre, un Etat républicain, se doit de valoriser les gestes de solidarité, une solidarité active, pas obligatoirement les taxes. Jean-Pierre Brard a surtout parlé de l'impôt, c'est-à-dire d'une contribution que l'on mesure - on sait où elle va et on s'intéresse à son utilisation - et pas une taxe aveugle, comme, trop souvent, vous êtes en train d'en mettre en place.
    M. Xavier de Roux. Taxons ! Taxons !
    M. Yves Bur. Vous voulez qu'on augmente les impôts, on a compris !
    M. le président. Monsieur Dumont, veuillez conclure, je vous prie.
    M. Jean-Louis Dumont. Non, je vais conclure.
    M. le président. D'un mot !
    M. Jean-Louis Dumont. J'avais prévu d'évoquer quelques points.
    M. le président. Non, monsieur Dumont ! Faites connaître la position de votre groupe sur le vote.
    M. Jean-Louis Dumont. Vous avez appelé un orateur. Permettez qu'il s'exprime jusqu'au bout !
    M. le président. Le bout est déjà là !
    M. Philippe Auberger. Nous sommes à bout, monsieur Dumont !
    M. Jean-Louis Dumont. La condition des vieillards dans une société est un excellent critère pour juger de la qualité de celle-ci. La société que vous mettez en place est inquiétante. La loi de finances pour 2004, après celle de 2003, organise une société d'égoïsme. C'est pourquoi nous voterons la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Je ne voudrais pas que le silence du Gouvernement puisse être mal interprété, monsieur Brard.
    M. Maxime Gremetz. Ah oui, on commençait à mal l'interpréter !
    M. Jean-Louis Dumont. Nous nous inquiétions, monsieur le ministre !
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Justement, le lisant dans vos yeux, j'ai voulu vous donner une explication.
    Nous discutons d'une motion de procédure. Si j'en crois l'article 91, alinéa 4, du règlement de l'Assemblée nationale, l'objet de la question préalable est qu'il n'y a pas lieu de délibérer. Cela signifierait, monsieur Brard, qu'il n'y a pas lieu de lever l'impôt, c'est-à-dire qu'il n'y a pas lieu d'allouer les crédits nécessaires à l'action publique, de payer les fonctionnaires, de continuer l'action de l'Etat.
    M. Jean-Pierre Brard. Sophisme !
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Comme je ne peux pas croire un instant que telle soit votre idée, j'imagine que vous avez utilisé cette motion de procédure pour pouvoir vous exprimer autant qu'il le fallait.
    M. Jean-Pierre Brard. C'est assez perspicace !
    M. Alain Bocquet. Vous avez tout compris, monsieur le ministre !
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. C'est la raison pour laquelle j'invite naturellement l'Assemblée nationale à repousser la question préalable que vous avez défendue. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe UDF.
    M. Charles de Courson. Tout à l'heure, monsieur Brard, vous avez prétendu que notre ministre, Alain Lambert, avait fréquenté l'Actors Studio. Vous, vous avez fait une pâle imitation des Marx Brothers ! En une heure et demie, vous nous avez expliqué quelque chose d'extravagant, que l'opposition n'avait pas de projet, ce qui est vrai, et qu'elle s'était totalement trompée quand elle était au pouvoir. Ils ont baissé l'impôt sur le revenu, il fallait l'augmenter.
    M. Maxime Gremetz. C'est de l'algèbre !
    M. Charles de Courson. Vous n'avez même pas voté contre le budget de l'époque ! Alors, soyons un peu sérieux ! Vous critiquez M. Fabius parce qu'il a proposé une baisse de l'impôt sur le revenu, mais après avoir, dans un premier temps, menacé de voter contre, vous vous êtes abstenus et vous avez laissé passer le budget. (« Oui » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Laissez-moi, dites-vous, le temps de relire Victor Hugo - qui, par parenthèse, était tout sauf un homme de gauche - et Jaurès, de façon qu'on ait le temps de faire un projet contre celui-ci. C'est surréaliste ! Qu'on vous laisse le temps de relire Victor Hugo, votons contre la question préalable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Maxime Gremetz. Vous ne serez pas pardonné !
    M. Daniel Paul. C'est petit !
    M. Maxime Gremetz. Vive Victor Hugo !
    M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. Alain Bocquet. Je ne vais pas vous surprendre en vous disant que le groupe des député-e-s communistes et républicains va apporter son soutien franc et massif...
    M. Yves Bur. Massif, c'est à voir !
    M. Alain Bocquet. ... à la question préalable que notre collègue Jean-Pierre Brard a défendue avec brio et avec force arguments, n'en déplaise à M. de Courson.
    En clair, je ne vais pas m'embarrasser de faire de la procédure sur la procédure. Nous avons voulu montrer l'enjeu du débat budgétaire qui s'engage et interpeller le Gouvernement et nos collègues, mais, au-delà, les Françaises et les Français sur le danger que comporte votre projet de budget pour 2004, prisonnier de dogmes libéraux, ultra-libéraux.
    Il faut savoir que le dernier budget en date qui avait cette amertume, mais que vous avez dépassé, dans votre esprit de super-austérité, était celui qui nous avait été présenté par M. Balladur et M. Juppé, il y a dix ans : croissance à presque zéro, chômage, cadeaux fiscaux de toute sorte pour les privilégiés.
    Vous avez choisi, messieurs les ministres, la France des dividendes contre la France du peuple dans sa majorité. On passe déjà de la fracture sociale à la rupture sociale. Il faut venir dans nos villes et villages, dans nos quartiers pour le constater. (Exclamations sur les bancs de l'Union pour un pouvement populaire.)
    Vous avez choisi, cyniquement, de mener cette mission pour le compte de la haute finance pour le compte du MEDEF, qui est directement représenté par vous à Bercy, monsieur le ministre de l'économie.
    En fait, ce que vous souhaitez - Jean-Pierre Brard a parlé de thatchérisation -, c'est, dans les quelques années où vous allez gouverner, effacer 1936, 1945, 1968 et 1981, tous les acquis sociaux démocratiques de notre peuple. Sachez que, sur ce point, nous n'entendons pas vous laisser faire.
    M. François Goulard. Il a oublié la nuit du 4 août !
    M. Alain Bocquet. La France est déjà tombée en cinq ans du deuxième au dix-septième rang mondial en ce qui concerne le développement.
    Plusieurs député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. La faute à qui !
    M. Alain Bocquet. Vous avez choisi une société de comptes d'exploitation, alors que nous sommes, nous, pour le progrès de la civilisation.
    M. Lionnel Luca. On a vu ce que ça a donné !
    M. Alain Bocquet. Ce n'est pas la même chose et c'est ce débat que nous voulons mener ici pendant la discussion budgétaire.
    M. Yves Bur. Quelle indécence, tout de même !
    M. Alain Bocquet. C'est la raison de la présence nombreuse du groupe communiste, qui sera présent nuit et jour cette semaine pour défendre bec et ongles son projet alternatif, parce que nous avons des propositions, Jean-Pierre Brard les a évoquées succinctement. Nous y reviendrons en défendant nos 300 amendements.
    C'est pourquoi, sur cette question préalable, monsieur le président, je vous demande un scrutin public et je demande également que le quorum, conformément au règlement, soit vérifié.
    M. Lionnel Luca. C'est honteux !
    M. François Goulard. Indigne !
    M. Lionnel Luca. Obstruction !
    M. le président. Monsieur Bocquet, nous allons inverser votre demande et vérifier le quorum avant de procéder au scrutin public.
    M. François Goulard. Non : tenons-nous en à la demande du président Bocquet !

Demande de vérification du quorum

    M. le président. Je suis saisi par le président du groupe des député-e-s communistes et républicains d'une demande faite en application de l'article 61 du règlement, tendant à vérifier le quorum avant de procéder au vote sur la question préalable.
    Le vote est donc réservé dans l'attente de cette vérification qui aura lieu dans l'hémicycle.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue dix minutes.
    (La séance, suspendue à vingt-trois heures vingt, est reprise à vingt-trois heures trente.)
    M. le président. La séance est reprise.
    Le bureau de séance constate que le quorum n'est pas atteint.
    Conformément à l'alinéa 3 de l'article 61 du règlement, je vais suspendre la séance.
    Le vote sur la question préalable est reporté à la reprise de la séance, qui aura lieu dans une heure.
    Je précise d'ores et déjà que, sur ce vote, je suis saisi d'une demande de scrutin public par le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. Patrice Martin-Lalande. Merci le groupe communiste !

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à vingt-trois heures trente, est reprise le 15 octobre 2003 à zéro heure trente-cinq.)
    M. le président. La séance est reprise.
    Avant la suspension de séance, le vote sur la question préalable a été reporté en application de l'article 61, alinéa 3, du règlement de l'Assemblée nationale.
    Sur le vote de la question préalable, je suis saisi par le groupe des député-e-s communistes et républicains d'une demande de scrutin public.
    Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
    M. le président. Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.
    Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été couplés à cet effet.
    Je mets aux voix la question préalable.
    Le scrutin est ouvert.
    M. le président. Le scrutin est clos.
    Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants   99
Nombre de suffrages exprimés   99
Majorité absolue   50
Pour l'adoption   6
Contre   93

    La question préalable n'est pas adoptée.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Quel scandale ! (Sourires).

    M. Michel Bouvard. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

    M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, pour un rappel au règlement.
    M. Michel Bouvard. Monsieur le président, je tiens simplement à faire constater que l'un des groupes de notre assemblée a demandé une vérification du quorum qui a retardé le vote d'une heure. Or les membres de ce groupe sont à peu près tous absents, ce que je trouve particulièrement choquant du point de vue du fonctionnement de l'institution parlementaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Gilles Carrez, rapporteur général. Ils sont allés se coucher ! Quel mépris !
    M. Michel Bouvard. Dans ces conditions, il ne faudra pas s'étonner que certains groupes, et notamment le groupe UMP, demandent que l'on se penche sur les effets que la vérification du quorum peut avoir sur nos travaux. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
    M. Gilles Carrez, rapporteur général. Cela discrédite notre assemblée !
    M. le président. Monsieur Bouvard, j'ai appliqué strictement le règlement et j'ai tenu à ne pas lever la séance.
    M. Michel Bouvard. Je ne fais aucun reproche à la présidence !
    M. le président. Je vais maintenant donner la parole à un orateur inscrit dans la discussion générale ; c'est une question de principe. Ensuite, monsieur le ministre, nous lèverons la séance.

Discussion générale

    M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. François Goulard.
    M. Jean Ueberschlag. Le premier inscrit est M. Gerin. Où est-il ?
    M. le président. Laissez-moi faire !
    M. François Goulard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de manière assez impromptue, il faut bien le dire, j'ai l'honneur de m'exprimer nuitamment devant vous sur ce projet de loi de finances pour 2004. Je constate, comme chaque année, que le débat budgétaire est d'abord un débat économique, et notamment un débat sur la croissance. Il est vrai que celle-ci a une incidence forte sur l'équilibre budgétaire et influe en particulier sur le niveau des recettes fiscales - incidence de la croissance de l'année précédente pour certains prélèvements, comme l'impôt sur le revenu ou l'impôt sur les sociétés, incidence de celle de l'année du budget pour d'autres impôts comme la TVA ou la TIPP.
    Pour le reste, je crois qu'on accorde au budget, en matière économique, une importance qu'il n'a pas toujours. Cela tient à une conception assez largement répandue, notamment dans les groupes de gauche, quand ils sont là...
    M. Jean-Louis Dumont. Nous sommes là !
    M. François Goulard. ... conception qui accorde aux théories keynésiennes un rôle exclusif dans l'analyse économique. On dirait qu'un certain nombre de nos collègues n'ont retenu que la théorie keynésienne des études économiques - qu'ils n'ont d'ailleurs pas toujours faites.
    M. Jean-Pierre Brard. Soyez modeste !
    M. François Goulard. L'illustration nous en a été fournie tout à l'heure par M. Ayrault, président du groupe socialiste, lorsqu'il en appelait à une relance de la consommation. Et M. Jospin, ancien Premier ministre, écrivait hier dans un quotidien que le gouvernement socialiste, sentant la croissance faiblir, avait engagé dès 2001 une politique active de relance. Moyennant quoi, le même auteur reprochait à l'actuel gouvernement d'avoir laissé s'accroître le déficit budgétaire : comprenne qui pourra !
    M. Eric Besson. Et vous allez tenir dix minutes comme ça !
    M. Gilles Carrez, rapporteur général. Ce que dit l'orateur est passionnant !
    M. Jean-Pierre Brard. Vos théories sont fumeuses. Ce n'est pas du Keynes, c'est du Goulard !
    M. Eric Besson. Nous savons bien que vous n'avez rien à dire ! C'est long, dix minutes !
    M. François Goulard. Nous prendrons le temps qu'il faudra, et je suis sûr que le président décomptera celui des interruptions intempestives.
    Pour certains, la politique budgétaire est une sorte de pratique sportive qui ne pourrait se concevoir sans prise d'EPO.
    M. Jean-Pierre Brard. Pour vous, c'est du saut à l'élastique !
    M. François Goulard. Je crois que la réalité est ailleurs. Le Gouvernement l'a bien compris en concevant ce budget. Ainsi, les questions d'équilibre et de déficit ne sont pas fondamentales : une politique trop restrictive risquerait d'amplifier une tendance à l'affaiblissement de la croissance. Le Gouvernement n'a pas commis cette erreur et a choisi, en tablant sur une prévision prudente en matière de croissance, de conserver le déficit au niveau de 2003. Mais ce qui, dans la politique budgétaire, est vraiment fondamental, c'est la volonté que l'Etat a de mettre fin à cette anomalie française que sont l'excès de la dépense publique et, par conséquent, l'excès des prélèvements obligatoires.
    M. Jean-Pierre Brard. On retombe dans l'obsession !
    M. Jean-Marc Nudant. On descend !
    M. François Goulard. Cette obsession, mon cher collègue, résulte simplement d'une observation.
    M. Jean-Pierre Brard. Vous observez les astres !
    M. François Goulard. La France a le taux de dépenses publiques par rapport au PIB,...
    M. Jean-Pierre Brard. Je vous ai expliqué !
    M. François Goulard. ... et les taux de prélèvements obligatoires les plus élevés de tous les pays développés.
    M. Jean-Pierre Brard. Pas de tous !
    M. François Goulard. A l'évidence, cela pèse sur la croissance et sur l'emploi. Il suffit de considérer les performances économiques des pays qui nous entourent pour le constater.
    M. Jean-Pierre Brard. Lesquels ?
    M. Jean-Marc Nudant. L'Espagne ! Sortez ! Allez-voir ailleurs !
    M. François Goulard. C'est vrai en valeur absolue, et c'est encore plus vrai quand on observe les tendances. Et non seulement la France a les dépenses publiques les plus élevées et les prélèvements obligatoires les plus lourds, mais, dans la manière dont les affaires publiques ont été conduites depuis quelques années, est aussi en germe une forte augmentation de ces dépenses et de ces prélèvements. La principale menace qui pèse sur notre économie vient de ce que le Gouvernement précédent n'a anticipé en rien cet accroissement à peu près fatal, si on ne change rien. Les emplois-jeunes, les 35 heures ont des conséquences budgétaires évidentes ; les diverses sources de dépenses que la précédente majorité a introduites révèlent aujourd'hui leurs effets. Mais deux gros dossiers extrabudgétaires sont également en cause : la question des retraites, traitée par notre Gouvernement l'été dernier, et celle de l'assurance-maladie, que nous allons traiter dans les mois qui viennent.
    La capacité de l'Etat à maîtriser cette source de croissance de la dépense publique et des prélèvements obligatoires est déterminante pour l'avenir économique de notre pays. A cet égard, ce n'est pas seulement le budget qui nous est présenté, mais toute la politique du Gouvernement qui sont générateurs, à terme, de croissance et de prospérité.
    C'est en cela que la politique de ce gouvernement se distingue fondamentalement de celle qui a été suivie au cours des annés passées.
    M. Jean-Pierre Brard. Ah, c'est vrai : la gauche et la droite, ce n'est pas pareil !
    M. François Goulard. Pour en revenir au budget proprement dit, monsieur le ministre, vous avez, avec le Gouvernement, réalisé une performance qui consiste à maintenir en volume le budget constant quand la croissance des dépenses est incontestable.
    J'ai évoqué ce qui était imputable au gouvernement précédent. Il me faut également évoquer les dépenses nécessaires pour restaurer nos capacités en matière de sécurité intérieure et de défense. A cet égard, il est assez pathétique de voir que la gauche est incapable de se débarrasser de ce réflexe pacifiste qui fait que les dépenses de défense nationale sont toujours les premières dans lesquelles on taille quand on recherche des économies.
    M. Eric Besson. Vous, c'est l'indemnisation des chômeurs : chacun son truc !
    M. François Goulard. Ce réflexe a été lourd de conséquences : nous en avons payé le prix. Il est heureux que le Gouvernement n'ait pas cédé à cette facilité et ait affirmé que les dépenses visant à restaurer nos capacités de dépenses étaient intangibles, malgré les difficultés de l'exercice budgétaire.
    Vous avez engagé une réduction progressive, mesurée, des effectifs de la fonction publique, et c'est heureux. Il y a, dans nos budgets publics, de nombreuses sources d'économies qu'il faudra exploiter. Cela ne se fait pas en un instant. Il faut du temps pour amorcer l'inflexion. C'est la détermination du Gouvernement. Le Parlement - notamment la commission des finances - est prêt à l'accompagner dans ce mouvement nécessaire.
    M. Michel Bouvard. Très bien !
    M. François Goulard. Il reste des marges considérables. Dans certaines entreprises publiques, on a, au cours de la législature précédente, anormalement et idéologiquement augmenté les effectifs, alors que la tendance aurait dû être à la contraction.
    Je pense également, puisque cela fait débat, à l'audiovisuel public.
    M. Yves Deniaud. Tout à fait !
    M. François Goulard. La redevance est, en quelque sorte, une facilité qui incite à un certain laxisme dans la gestion. Il faudra mettre de la rigueur là où elle n'est pas suffisamment présente...
    M. Marc Laffineur. C'est vrai !
    M. François Goulard. ... et par conséquent réformer la redevance.
    Bref, le travail à accomplir est considérable et il durera tout au long de la législature. Le Parlement sera, je pense, un allié précieux du Gouvernement, en tout cas un soutien constant.
    En matière de politique fiscale, l'inversion est tout aussi considérable.
    M. Jean-Pierre Brard. Ah ça oui !
    M. François Goulard. Le Gouvernement a eu raison, malgré les difficultés de la conjoncture, de s'inscrire dans la continuité en réduisant l'impôt sur le revenu et la pression fiscale en général. Face à deux dizaines de dispositions visant à alléger la pression fiscale, une seule se distingue en prenant la forme d'une augmentation. Il ne faut donc pas jeter le bébé avec l'eau du bain : c'est un budget favorable aux contribuables et nous le saluons.
    Notre groupe, je le dis à cette tribune, est totalement solidaire du Gouvernement sur les mesures favorables aux contribuables, mais également sur celles qui le sont moins, car, en cette période difficile, il faut bien équilibrer le budget.
    M. Jean-Pierre Brard. Voilà ! Votre objectif n'est donc pas de protéger l'environnement ! Vous avez avoué !
    M. Jean-Louis Dumont. Il est donc à moitié pardonné ?
    M. Jean-Pierre Brard. Il a avoué, c'est le principal !
    M. le président. Monsieur Brard, laissez M. Goulard conclure !
    M. François Goulard. Je vais conclure, monsieur le président.
    Le Gouvernement, nous en sommes certains, a trouvé l'équilibre budgétaire qui convenait. Il continue, comme dans d'autres domaines, de donner des signes très clairs d'encouragement à l'activité. Il manifeste sa volonté de réduire continûment et durablement la dépense publique. Il s'inscrit ainsi dans la logique européenne qui est la nôtre, même si, par accident, et en très grande partie par la faute de ceux qui ont géré le pays auparavant, nous avons temporairement dépassé le plafond des 3 % du déficit public rapporté au PIB. Nous tenons à réaffirmer que cette règle européenne est vertueuse et nous savons que nous nous y rallierons bientôt dans les faits, l'écart actuel étant temporaire.
    M. Jean-Pierre Brard. Je préfère les propos du Président de la République à ceux de M. Goulard : ils sont plus patriotiques.
    M. le président. Monsieur Brard, laissez finir M. Goulard, je vous prie.
    M. François Goulard. En conclusion, monsieur le ministre, je tiens à vous dire à quel point la majorité et le groupe UMP apprécient le travail du Gouvernement,...
    M. Eric Besson. Cela a déjà été dit !
    M. François Goulard. ... apprécient les choix qu'il a faits, choix dont nous sommes totalement solidaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jean-Pierre Brard. M. Goulard fait allégeance !
    M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION

    M. le président. J'ai reçu, le 14 octobre 2003, de M. Joël Beaugendre une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les tarifs aériens de l'outre-mer.
    Cette proposition de résolution, n° 1116, est renvoyée à la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, en application de l'article 83 du règlement.

3

DÉPÔT D'UN RAPPORT
EN APPLICATION D'UNE LOI

    M. le président. J'ai reçu, le 14 octobre 2003, de M. le Premier ministre, en application de l'article L. 441-10 du code de la construction et de l'habitation, un rapport sur l'application du supplément de loyer de solidarité de juin 2003.

4

DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION

    M. le président. J'ai reçu, le 14 octobre 2003, de Mme Marie-Jo Zimmermann un rapport d'information, n° 1118, déposé en application de l'article 6 septies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes sur son activité au cours de la période juillet 2002 à juillet 2003.

5

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI
ADOPTÉE PAR LE SÉNAT

    M. le président. J'ai reçu, le 14 octobre 2003, transmise par M. le président du Sénat, une proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative aux jardins collectifs.
    Cette proposition de loi, n° 1117, est renvoyée à la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, en application de l'article 83 du règlement.

6

ORDRE DU JOUR
DES PROCHAINES SÉANCES

    M. le président. Aujourd'hui, à neuf heures trente, première séance publique :
    Suite de la discussion générale et discussion des articles de la première partie du projet de loi de finances pour 2004, n° 1093 :
    M. Gilles Carrez, rapporteur général au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (rapport n° 1110).
    A quinze heures, deuxième séance publique :
    Questions au Gouvernement ;
    Suite de l'ordre du jour de la première séance.
    A vingt et une heures trente, troisième séance publique :
    Suite de l'ordre du jour de la première séance.
    La séance est levée.
    (La séance est levée à zéro heure cinquante-cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT
ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE
HAUT CONSEIL POUR L'AVENIR DE L'ASSURANCE MALADIE
(3 postes à pourvoir)

    M. le président de l'Assemblée nationale a nommé, le 13 octobre 2003, MM. Jean-Michel Dubernard, François Goulard et Jean-Marie Le Guen.

TEXTES SOUMIS EN APPLICATION
DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION
Transmissions

    M. le Premier ministre a transmis, en application de l'article 88-4 de la Constitution, à M. le président de l'Assemblée nationale, les textes suivants :

Communication du 9 octobre 2003

N° E 2396 - Proposition de décision du Conseil concernant la conclusion de l'accord de coopération scientifique et technique entre la Communauté européenne et l'État d'Israël (COM [2003] 568 final).

Communications du 13 octobre 2003

N° E 2397 - Proposition de décision du Conseil concernant la conclusion par la Communauté européenne du protocole d'adhésion de la Communauté européenne à l'Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne (Eurocontrol) (COM 555 final).
N° E 2398 - Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'utilisation de véhicules loués sans chauffeur dans le transport de marchandises par route (version codifiée) (COM [2003] 559 final).
N° E 2399 - Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 2320/2002 du Parlement européen et du Conseil relatif à l'instauration de règles communes dans le domaine de la sûreté de l'aviation civile (COM 566 final).

annexe au procès-verbal
de la 3e séance
du mardi 14 octobre 2003
SCRUTIN (n° 324)


sur la question préalable opposée par M. Bocquet au projet de loi de finances pour 2004.

Nombre de votants

99


Nombre de suffrages exprimés

99


Majorité absolue

50


Pour l'adoption

6


Contre

93

    L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN

Groupe U.M.P. (364) :
    Contre : 91 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
    Non-votant : M. Jean-Louis Debré (président de l'Assemblée nationale).
Groupe socialiste (149) :
    Pour : 3 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
    Non-votant : M. Jean Le Garrec (président de séance).
Groupe Union pour la démocratie française (30) :
    Contre : 2 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
Groupe communistes et républicains (22) :
    Pour : 3 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
Non-inscrits (12).