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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU VENDREDI 14 NOVEMBRE 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
1re séance du jeudi 13 novembre 2003


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS BAROIN

1.  Loi de finances pour 2004 (deuxième partie). - Suite de la discussion d'un projet de loi «...».

JUSTICE

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial de la commission des finances.
M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis de la commission des lois, pour l'administration centrale et les services judiciaires.
Mme Valérie Pecresse, rapporteure pour avis de la commission des lois, pour les services pénitentiaires et la protection judiciaire de la jeunesse.
MM.
Michel Vaxès,
Thierry Mariani,
André Vallini,
Jean-Christophe Lagarde,
Emile Blessig,
Jacques Floch,
Mansour Kamardine.

PRÉSIDENCE DE Mme HÉLÈNE MIGNON

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice.
Réponses de M. le garde des sceaux et de M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice, aux questions de : MM. André Gerin, Michel Vaxès, Georges Fenech, Michel Hunault, Mme Martine Aurillac, MM. Emile Blessig, Mansour Kamardine, Mme Juliana Rimane.

ÉTAT B
Titres III et IV. - Adoptions «...»
ÉTAT C
Titres V et VI. - Adoptions «...»
Article 79. - Adoption «...»

Renvoi de la suite de la discussion budgétaire à la prochaine séance.
2.  Ordre du jour des prochaines séances «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS BAROIN,
vice-président

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

LOI DE FINANCES POUR 2004

DEUXIÈME PARTIE
Suite de la discussion d'un projet de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2004 (n°s 1093, 1110).

JUSTICE

    Nous abordons l'examen des crédits du ministère de la justice.
    La parole est à M. le rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.
    M. Pierre Albertini, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre de la justice, monsieur le secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice, mes chers collègues, la justice demeure une priorité gouvernementale, nous le constatons pour la deuxième fois, 2004 étant la deuxième année d'application de la loi d'orientation et de programmation pour la justice, adoptée en 2002.
    Les moyens alloués à la justice augmentent régulièrement depuis plusieurs années, il faut le reconnaître. Les crédits prévus en loi de finances initiale pour 2000 - comparons ce qui est comparable - s'élevaient à 4,16 milliards d'euros, ils étaient de 4,68 milliards d'euros dans la loi de finances initiale pour 2002 et dans le projet qui nous est présenté aujourd'hui, il est prévu 5,8 milliards d'euros, ce qui représente une augmentation de 4,89 % par rapport à la loi de finances pour 2003.
    J'évoquerai d'abord les effectifs et la politique des rémunérations, puis les équipements, ce qui concerne aussi bien les prisons que les palais de justice.
    Premier point de repère : les créations d'emplois.
    Ce projet nous propose de créer 2 175 emplois, soit 133 de plus que l'année dernière, ce qui porte l'effectif total du ministère de la justice à 71 390 emplois, dont quelques centaines sont vacants, ce nombre étant évidemment difficilement compressible.
    La loi d'orientation et de programmation pour la justice n'est pas appliquée de façon linéaire, à raison d'un cinquième chaque année. Cela serait absurde et interdirait toute adaptation en fonction des besoins, des urgences et des circonstances. Cette année, c'est l'administration pénitentiaire qui est la principale bénéficiaire des créations d'emplois. Il est vrai qu'elle a à faire face, j'y reviendrai tout à l'heure, à une surpopulation carcérale inquiétante. En revanche, monsieur le ministre, je remarque un petit retard pour la création des postes de magistrat. Par rapport à une application linéaire de la loi sur cinq ans, il manquera cinquante postes en 2004, comme en 2003.
    Non moins importantes pour la performance du service public de la justice, les revalorisations statutaires et indemnitaires sont très encourageantes. Cela concerne notamment les magistrats. Nous avions à plusieurs reprises dénoncé le retard accumulé par les magistrats de l'ordre judiciaire par rapport à ceux de l'ordre administratif et même des juridictions financières. Il y a un gros effort qui mérite d'être souligné.
    On note également un assez grand nombre de reclassements statutaires et indiciaires, je ne vais pas vous les détailler, pour toute une série d'autres personnels. Je vous signale simplement l'achèvement en 2004 de la réforme statutaire des greffiers, c'est un point très important.
    En dépit de ces revalorisations et de ces reclassements, subsistent des poches de retards catégoriels. Or tout retard est plus difficile à résorber quand, après deux, trois ou quatre ans, il s'agit de remetttre à zéro les compteurs. Cela concerne notamment certaines catégories de personnels de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse.
    Enfin, 600 juges de proximité, sur un total de 3 300, doivent être mis en place en 2004. Je pense que cette prévision est peut-être un peu optimiste et que nous aurons du mal à y parvenir.
    Deuxième instrument de mesure, les équipements. La loi d'orientation et de programmation pour la justice prévoyait un programme très ambitieux en la matière.
    En ce qui concerne les établissements pénitentiaires, il s'agit à la fois de rénover des prisons souvent vétustes et d'en construire de nouvelles. Nous allons achever en 2004 le programme « des 4 000 » et, bien sûr, se trouve lancé le programme de constructions nouvelles dont nous aurons l'occasion de reparler dans les années à venir.
    Un gros effort est également entrepris pour la rénovation et la construction de palais de justice. La construction d'un nouveau tribunal de grande instance à Paris est un dossier urgent et difficile. Il faut rechercher une localisation et mettre en oeuvre ce très grand programme. L'établissement public dédié à cette opération est en cours de création. Nous souhaitons bien sûr qu'il se mette très rapidement au travail.
    Innovation de la loi de 2002, de nouveaux centres éducatifs fermés seront livrés tout au long de l'année 2004, essentiellement en faisant intervenir le secteur associatif, décidément un partenaire très important de la protection judiciaire de la jeunesse, j'y reviendrai dans un instant. Il est prévu au total 600 places. Compte tenu du coût de fonctionnement de ces centres, sans doute le double de celui des centres éducatifs renforcés, une évaluation du rapport entre coût et résultats paraît nécessaire. Elle sera réalisée, je n'en doute pas, dans les années qui viennent.
    Quant au rythme de consommation des crédits d'équipement, il est normal qu'il connaisse un temps de latence assez long au départ, puisque la mise en oeuvre de nouveaux programmes implique de réaliser des études. Nous souhaitons bien sûr qu'il s'accélère au cours des années 2004 à 2007, c'est-à-dire jusqu'au terme de l'application de la loi d'orientation et de programmation pour la justice.
    Enfin, même si votre ministère a été particulièrement protégé, il n'a pas été épargné par la régulation budgétaire. Il faut en tenir compte.
    Après ce regard plutôt quantitatif, je voudrais aborder deux préoccupations pour achever la présentation de ce rapport.
    La première concerne la protection judiciaire de la jeunesse. Nous l'avons évoqué à plusieurs reprises, la Cour des comptes, dans un rapport récent, a traité du sujet, et notre collègue Valérie Pecresse s'y est elle-même intéressée. Je serai donc très bref, en me gardant des jugements à l'emporte-pièce et des idées reçues qui sont souvent les tartes à la crème qui gouvernent l'opinion.
    L'administration de la protection judiciaire de la jeunesse est aujourd'hui sous-administrée, sous-orientée et sous-évaluée. Un très gros effort de réorganisation a été entrepris au cours de l'année 2003. Il se poursuivra très certainement en 2004. Il faut le saluer. Il me semble qu'il doit avoir principalement trois objectifs : améliorer l'organisation territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse, qui est aujourd'hui émiettée, dispersée et qui se cherche ; préciser le sens et le contenu de l'action éducative - il est très important de mettre en valeur les bonnes pratiques professionnelles, d'évaluer le suivi du parcours de chacun des jeunes reçus ; enfin, améliorer le contrôle sur le secteur associatif qui joue un très grand rôle dans la protection judiciaire de la jeunesse. Il ne suffit pas d'une habilitation. Il faut ensuite voir concrètement comment il fonctionne.
    Enfin, je souhaite évoquer la situation dans les prisons, préoccupation sur laquelle nous pouvons tous nous rejoindre.
    La croissance de la population carcérale est considérable : 25 % depuis deux ans. En même temps, il y a une très forte augmentation du nombre de détenus placés en détention préventive, ce qui est également très inquiétant. La surpopulation carcérale a connu son paroxysme au mois de juillet 2003, avec plus de 60 000 détenus pour un peu plus de 48 000 places opérationnelles. Depuis, les effectifs des détenus ont diminué après les mesures traditionnelles de grâce présidentielle le 14 juillet. Il y a aujourd'hui - le chiffre évolue chaque jour - autour de 58 000 détenus, ce qui est tout de même très au-dessus de la capacité théorique des prisons. Il en résulte, puisque la perspective la plus vraisemblable est qu'un tel mouvement se poursuive encore en 2004 et peut-être même au-delà, une dégradation des conditions de détention, qui se traduit par le taux de scolarisation des mineurs, de formation professionnelle, de détenus mis au travail, et le nombre de suicides.
    En dépit de ce gâchis économique et humain que l'on ne peut pas accepter durablement, je souhaiterais rendre un hommage particulier aux services de l'administration pénitentiaire qui effectuent leur travail dans des conditions extrêmement difficiles. Ils ont une conscience très élevée de leur double mission, qui est à la fois d'assurer la garde et de favoriser l'insertion ou la réinsertion des détenus.
    Comment traiter le problème ? Nous n'échapperons pas à une réflexion sur le format du parc des prisons. Après la rénovation et les constructions neuves, il faut essayer de « calibrer » le parc des prisons, qui se situe probablement dans une fourchette de 50 000 à 60 000 places, mais, au-delà, il faut développer les alternatives à l'incarcération, que ce soit le milieu ouvert, la semi-liberté ou le bracelet électronique. J'observe une assez grande réticence de certains magistrats à utiliser ces procédés. C'est dommageable et nous devons au contraire faire un effort de pédagogie, d'information et d'explication pour inciter le plus possible à les développer.
    Mes chers collègues, le budget de la justice représente aujourd'hui 1,86 % du budget de l'Etat, ce qui montre le chemin qui nous reste à parcourir ensemble, mais aussi la volonté que nous avons tous de donner à la justice les moyens de remplir totalement sa mission noble et irremplaçable de régulation sociale. C'est pourquoi je vous invite à adopter le budget qui nous est présenté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour l'administration centrale et les services judiciaires.
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour l'administration centrale et les services judiciaires. Monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, votre budget pour 2004 est conforme à la programmation pluriannuelle prévue par la loi d'orientation pour la justice du 9 septembre 2002. Les effectifs budgétaires augmentent de 3,14 %, grâce à la création nette de 2 175 emplois. Le budget global connaît une nette progression de près de 5 %, pour un montant total de 5 283 millions d'euros. Les engagements sont donc tenus.
    Sans reprendre mon rapport en détail, je m'attacherai à la description de certains éléments caractéristiques.
    Le premier concerne l'augmentation des moyens de la justice, qui s'articule autour d'une modification profonde des structures de l'institution ainsi que des procédures.
    Au cours des années précédentes, le discours sur la justice se traduisait en effet par un simple accroissement - relatif - des moyens, discours dépourvu de réflexion d'ensemble, d'ambition et de perspective pour notre système judiciaire. Comme, par ailleurs, étaient votées des lois qui complexifiaient les procédures, notamment en matière pénale avec la loi du 15 juin 2000 qui a paralysé l'action des forces de l'ordre (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), on aboutissait au résultat paradoxal que les nouveaux moyens étaient absorbés par les nouvelles tâches, souvent inutiles et beaucoup plus complexes. Si bien que la machine judiciaire fonctionnait toujours aussi lentement, suscitant les critiques de nos concitoyens.
    Aujourd'hui, il est répondu aux attentes à la fois par des moyens nouveaux, par des réformes de fond, par des réformes de procédure et par des contrats d'objectifs assignés aux juridictions.
    Telle est la philosophie de cette nouvelle politique : pragmatisme, efficacité, mise en place des outils juridiques destinés à répondre aux attentes des justiciables.
    M. Gérard Léonard. Très bien !
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis. Les Français veulent une justice diligente et opérationnelle : à cette fin, nous dégageons des moyens et nous réformons les procédures. Ils veulent aussi une justice plus attentive à leurs préoccupations quotidiennes : nous créons la justice de proximité, réminiscence des anciennes justices de paix.
    Dans le cadre de l'examen de ce budget, j'ai eu plusieurs entretiens instructifs. Cela m'amène à revenir sur certains sujets qui me semblent importants.
    Le premier concerne les statistiques et les indicateurs dont vous disposez pour analyser la situation réelle des juridictions et pour mesurer l'impact des réformes. Sur ce point, l'outil me semble décalé dans le temps. En effet, dans de nombreux domaines, les données actuelles font état de chiffres recueillis en 2002 et qui reflètent la situation de 2001 ! A quoi sert de mobiliser autant de personnels, de consacrer autant de temps et de moyens pour disposer de références qui font état d'une situation vieille de deux ans ? Il doit être possible de simplifier le système afin de le rendre opérationnel à court terme.
    Un autre sujet concerne les crédits de fonctionnement de plusieurs juridictions. La dispersion géographique des bâtiments judiciaires, comme c'est le cas à Paris, fait supporter aux juridictions des frais considérables en loyers. De plus, le régime des dotations et répartitions budgétaires, très rigide, laisse peu de marges de manoeuvre. Pourquoi ne pas simplifier également ce système et accorder des dotations plus globales aux services administratifs régionaux, les SAR, lesquels pourraient ensuite employer plus librement les crédits aux bons moments et aux bons endroits ?
    A cet égard, mon attention a été appelée sur le cas de cette importante juridiction d'instance qui souffre en fin d'année d'une insuffisance de crédits pour des dépenses quotidiennes de simple fonctionnement, et ce au moment où, dans les mêmes locaux, des crédits importants sont engagés pour mettre en place la justice de proximité. Tout en conservant une bonne application des règles budgétaires, une simplification m'apparaît, ici aussi, utile et opportune.
    Vous avez introduit dans ce budget, monsieur le garde des sceaux, deux autres éléments particulièrement novateurs : la nouvelle bonification indiciaire pour les postes de haute responsabilité et la « fameuse » prime modulable pour les magistrats - je dis « fameuse » car elle a suscité de nombreux commentaires dont ceux, acerbes, de certains syndicats professionnels.
    Il n'est évidemment pas question de porter atteinte à l'indépendance de la magistrature ou de promouvoir une justice de rendement. Un tel système existe déjà à la Cour de cassation et au Conseil d'Etat, et je n'ai jamais entendu dire que les hauts magistrats de ces juridictions étaient inféodés !
    Il s'agit d'instaurer un système de prime au mérite, comme il a d'ailleurs été introduit dans toutes les autres administrations. Quoi de plus normal que de récompenser les magistrats performants, diligents, ceux qui rendent leurs décisions dans les délais ? Pourquoi s'offusquer que l'on puisse valoriser, au sens propre du terme, ceux qui seront reconnus comme méritants ?
    M. Jacques Floch. Ah bon : il y a des fainéants ?
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis. La reconnaissance des mérites appartiendra aux chefs de cour, premiers présidents et procureurs généraux, qui procèdent déjà aux évaluations des magistrats placés sous leur autorité. Il convient en effet de rappeler qu'un magistrat fait l'objet tous les deux ans d'une notation dite provisoire par son supérieur hiérarchique, et que le chef de cour attribue ensuite une notation définitive.
    La prime au mérite ne sera que la traduction financière de cette évaluation qui a toujours existé dans notre système judiciaire. Elle ne sera pas forcément octroyée à ceux qui évacueront au mieux leur stock, mais plutôt à ceux dont l'ensemble des qualités professionnelles seront reconnues.
    Evidemment, le syndicat de la magistrature, très proche du parti socialiste (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), condamne cette évaluation et a fortiori cette prime au mérite.
    M. André Vallini et M. Jacques Floch. N'importe quoi !
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis. Pourtant, pendant les cinq années de gouvernement socialiste, l'évaluation des magistrats n'a jamais été remise en cause par Mme Guigou et Mme Lebranchu, bien au contraire ! Et c'est heureux, car il ne faut pas oublier que le magistrat, s'il doit être absolument indépendant dans ses fonctions afin de rendre une justice objective et impartiale, n'en est pas moins l'agent du service public de la justice. Il ne tient pas son pouvoir d'une sorte d'onction divine, mais de la loi, expression de la volonté générale, et la justice est rendue au nom du peuple français. Le magistrat doit rendre ses décisions dans les délais et respecter le principe du contradictoire. Aussi, il peut être amené à rendre des comptes s'il s'écarte ces règles élémentaires, propres au bon fonctionnement du service public.
    Ceux qui critiquent votre réforme, monsieur le garde des sceaux, ne veulent pas être astreints au respect de ces règles élémentaires. Ils ont, en fait, une haute opinion d'eux-mêmes. Je préfère la modestie de ces nombreux magistrats qui, en général, ne demandent et n'attendent rien mais exercent leur métier avec un particulier dévouement et un grand sens du devoir : ils constituent l'essentiel du corps et leurs mérites doivent être reconnus.
    Il convient d'ailleurs de souligner l'effort important réalisé par votre ministère, monsieur le garde des sceaux, en vue d'harmoniser les régimes indemnitaires des magistrats administratifs et judiciaires. Curieusement, je n'ai pas souvent entendu les syndicats professionnels de magistrats sur ce point. Pourtant, depuis dix ans, seuls les gouvernements issus de l'actuelle majorité ont augmenté ces indemnités.
    M. André Vallini et M. Jacques Floch. C'est faux ! Ne racontez pas n'importe quoi !
    M. Gérard Léonard. C'est la vérité !
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis. Elles ont progressé de 33 à 37 % entre 1994 et 1996, de 37 à 41 % entre 2002 et 2003 et elles progresseront de 45 % en 2004.
    La parité avec la juridiction administrative est presque atteinte. Vous vous y étiez engagé, vous la réalisez.
    M. Gérard Léonard. Très bien !
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis. J'ai examiné en détail dans mon rapport écrit la mise en place de la justice de proximité. Il sera certainement nécessaire de procéder à certaines adaptations : je pense, par exemple, à un élargissement des compétences au civil, pour vraiment aider les juridictions d'instance, et à une clarification des compétences au pénal. Nous tirerons le moment venu les enseignements des premières applications de cette réforme, et j'y serai particulièrement attentif, puisque ma circonscription du Libournais comporte une juridiction pilote en la matière (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Nous nous étions attachés, lors du débat sur la création de cette nouvelle juridiction, à nous assurer que les personnes nommées soient compétentes et que leur nomination soit soumise au Conseil supérieur de la magistrature, à mettre en place une formation - qui, pour certains, est probatoire - ainsi qu'à placer le juge de proximité sous l'autorité du juge d'instance. Tous ces points sont acquis, et les premiers juges recrutés ont suivi leur formation à l'Ecole nationale de la magistrature.
    M. Jacques Floch. Il n'y a pas de places à l'Ecole nationale de la magistrature !
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis. Cette période de mise en place s'est fort bien déroulée. Il est d'ailleurs intéressant de noter que les contacts avec l'actuelle promotion des auditeurs de justice ont été excellents. Je suis persuadé que, sur le terrain, ces juges de proximité seront fort appréciés lorsque les ajustements nécessaires auront été opérés. En tout cas, il apparaît, au vu de très nombreuses candidatures, qu'il existe un fort engouement populaire pour cette réforme. Je rappelle que 600 juges de proximité seront opérationnels d'ici à la fin de l'année 2004.
    Enfin, monsieur le garde des sceaux, je me permets de revenir sur la nécessaire valorisation des fonctions pour les agents de catégorie C. L'augmentation salariale de 1 % pour 2004 n'est pas suffisante. Ces personnels sont souvent particulièrement méritants et assument des missions qui, normalement, ne relèvent pas de leurs compétences.
    M. Gérard Léonard. Très juste !
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis. Je crois que, là aussi, la reconnaissance que nous leur devons devrait passer par une reconnaissance financière et par l'ouverture de perspectives de carrière.
    L'instauration des secrétaires administratifs me semble, en ce sens, une excellente initiative.
    La réforme du statut des greffiers en chef et la mise en place des greffiers-rédacteurs participent de ces réformes de structure dont je parlais. Il conviendrait certainement aussi d'entériner les conclusions du rapport d'Anicet Le Pors sur la professionnalisation des greffes des juridictions administratives.
    En dernier lieu, monsieur le garde des sceaux, je reviens rapidement sur les propositions que j'avais formulées l'année dernière visant à mieux adapter la formation dispensée par l'Ecole nationale de la magistrature et par l'Ecole nationale des greffes, dans la perspective des importants recrutements que vous avez décidés. Il m'apparaît que des réformes de structure pourraient, dans ce domaine également, être très bénéfiques, comme, par exemple, la création d'un établissement public pour l'Ecole nationale des greffes.
    Je suis persuadé, monsieur le garde des sceaux, que nous sommes sur la bonne voie. Vous pouvez compter sur tout notre soutien pour vous aider à poursuivre cette politique volontariste, courageuse et déterminée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis de la commission des lois consitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour les services pénitentiaires et la protection judiciaire de la jeunesse.
    Mme Valérie Pecresse, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour les services pénitentiaires et la protection judiciaire de la jeunesse. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le budget présenté par le ministère de la justice pour l'année 2004 respecte scrupuleusement les prescriptions de la loi d'orientation pour la justice votée par notre assemblée le 9 septembre 2002. Il prolonge ainsi les efforts budgétaires entrepris dans le cadre de la loi de finances de 2003.
    Monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, vous voulez vraiment changer le visage de l'administration pénitentiaire et celui de la protection judiciaire de la jeunesse. Et vous vous en donnez les moyens : le budget de l'administration pénitentiaire progresse de 7,75 % et s'accompagne de la création de 1 111 emplois, tandis que celui de la protection judiciaire de la jeunesse augmente de 3,8 % et prévoit 234 agents supplémentaires. Vous avez raison.
    L'engagement pris par le Président de la République et le Gouvernement en 2002 de rendre désormais toute sa force à la loi s'est en effet traduit par un accroissement du nombre des personnes incarcérées - environ 57 700 en novembre 2003 contre 48 594 en janvier 2002 - et par une augmentation du nombre de mineurs mis en cause dans les procédures judiciaires : 180 000 en 2002 au lieu de 177 000 en 2001. C'est peu dire que l'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse sont soumises à une forte pression.
    J'évoquerai d'abord l'administration pénitentiaire, à qui il incombe deux responsabilités essentielles.
    Sa première responsabilité est d'accueillir les délinquants et les criminels dans des conditions dignes. Nous avons tous en tête les conclusions du rapport parlementaire sur les prisons, qui a tiré brutalement le signal d'alarme sur les conditions de détention, particulièrement en maisons d'arrêt. L'actuelle surpopulation carcérale - le taux d'occupation est de 120 % - et la vétusté de notre parc pénitentiaire - 50 % des prisons ont été construites au xixe siècle - exigent des réponses énergiques.
    Il est ainsi nécessaire de poursuivre avec la plus grande vigueur le programme immobilier dont vous êtes chargé, monsieur le secrétaire d'Etat. Le programme 4 000 lancé en 1995 avance, mais avec une telle lenteur - il faut huit à dix ans pour construire une prison - que cela justifie pleinement le choix du Gouvernement de recourir désormais à des procédures juridiques innovantes et rapides, faisant pour partie appel au secteur privé. La loi d'orientation pour la justice prévoit la réalisation de 13 000 places d'ici à 2007. Les financements sont là, et les terrains ont été identifiés. Les délais prévus sont respectés. Quant à la rénovation des cinq plus grands établissements, décidée en 1998, elle se poursuit.
    Il est également nécessaire de mettre en place une véritable politique d'alternative à l'incarcération. Alors que nos prisons sont pleines, les centres de semi-liberté sont largement sous-utilisés, de même que le placement en chantiers extérieurs.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. C'est vrai !
    Mme Valérie Pecresse, rapporteure pour avis. Je soutiens les propositions que fait notre collègue Jean-Luc Warsmann dans son rapport sur les peines alternatives à la détention et sur les modalités d'exécution des courtes peines, notamment sa préconisation de généraliser l'emploi du bracelet électronique. La volonté du Gouvernement de parvenir à la mise en place de 2 000 bracelets électroniques à la fin 2004 est ambitieuse, mais elle se heurte encore à de nombreux blocages. On le sait, seuls 250 bracelets sont actuellement utilisés.
    Garantir aux détenus des conditions de vie dignes et humaines passe aussi par un meilleur accès aux soins. Quatre nouvelles unités interrégionales d'hospitalisation sécurisées devraient ouvrir en 2004. Une étude épidémiologique sur la santé mentale des détenus et une mission sur la prévention du suicide sont en cours. Des unités hospitalières spécialement aménagées devraient voir le jour dès 2006. Ce sont des efforts de longue haleine, qui sont poursuivis avec constance depuis deux ans pour améliorer la prise en charge des détenus.
    La deuxième responsabilité de l'administration pénitentiaire n'est pas moins cruciale, c'est celle de prévenir la récidive. En effet, il ne suffit pas d'arrêter les délinquants et de les mettre hors d'état de nuire. Certes, c'est un préalable nécessaire à une politique ferme et juste de restauration de l'autorité publique, mais c'est seulement un préalable. Ce n'est pas suffisant !
    Désormais, le Gouvernement souhaite travailler à « l'après » : comment réinsérer les détenus dans la société, comment les sortir de la spirale de la délinquance ? Pour cela, il est primordial de mieux préparer les détenus à la sortie de prison. Aucune peine ne devrait plus se traduire désormais par une « sortie sèche », sans transition entre le monde carcéral et l'extérieur. Le détenu que l'on a déresponsabilisé pendant des mois, voire des années, et à qui, du jour au lendemain, on ouvre les portes de la liberté, sans qu'il ait la moindre possibilité crédible, compte tenu de ses antécédents judiciaires, de retrouver du travail, sans même parfois qu'il ait rempli son dossier de demande de RMI, ne peut que tomber dans l'exclusion et le dénuement, ou retrouver un milieu criminogène. Alors, la tentation de la récidive est inéluctable.
    Le cas des délinquants sexuels, qui constituent aujourd'hui le plus grand nombre d'incarcérations, est à prendre en charge de manière spécifique, avec des obligations de soins renforcées. Là encore, la « libération sèche » est particulièrement contre-productive, puisqu'elle donne parfois le sentiment à nos concitoyens que la justice ne prend pas en compte la problématique très particulière du risque de récidive qui s'attache à ce genre de délits ou de crimes.
    Il faut également développer la formation et le travail en prison, comme l'a souligné Pierre Albertini, pour donner aux détenus une qualification.
    Ces réflexions, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, vous les avez faites vôtres. L'expérimentation de trois centres pour peines aménagées, à Metz-Barres, à Marseille-Baumettes et à Villejuif, va clairement dans ce sens, de même que la possibilité offerte aux détenus d'effectuer la fin de leur peine sous le régime du bracelet électronique. Toutefois, il reste à accomplir un immense travail de changement des mentalités et des pratiques judiciaires pour que ces réflexions se concrétisent dans la réalité.
    Malgré des résultats globalement satisfaisants, les mesures de liberté conditionnelle ne concernent aujourd'hui que 10 % des détenus. Nous sommes nombreux à souhaiter que vous poursuiviez résolument vos efforts en ce sens.
    J'évoquerai ensuite la protection judiciaire de la jeunesse. Celle-ci bénéficie d'un budget en augmentation considérable depuis 1999. C'est une bonne chose. Nous ne pouvons admettre comme une fatalité que le nombre des mineurs mis en cause dans des faits de délinquance ne cesse d'augmenter - 180 000 mineurs par an, ce n'est pas rien ! - ni que la violence se banalise.
    Toutefois, l'augmentation - spectaculaire depuis quatre ans - des moyens et des personnels de la PJJ s'est-elle véritablement traduite par une amélioration de son efficacité ? Le rapport de la Cour des comptes rendu public cette année, mais fondé sur un contrôle effectué en 2001, permet d'en douter. Il révèle les importants dysfonctionnements d'une administration qui a bien souvent perdu le sens de son action. Mais comment évaluer l'efficacité de la protection judiciaire de la jeunesse ? Les indicateurs statistiques font cruellement défaut. On ne connaît que le nombre des mesures prononcées et le délai d'attente entre le jugement et son exécution. C'est peu pour mesurer la performance d'une administration.
    La réalité qui nous est décrite est la suivante. La primo-délinquance n'est pas assez vite sanctionnée, faute de moyens. Or la rapidité de la réponse judiciaire pour les très jeunes délinquants est un facteur essentiel de prise de conscience pour éviter la récidive.
    M. Gérard Léonard. Très juste !
    Mme Valérie Pecresse, rapporteure pour avis. Vous venez de décider d'augmenter de 25 % le nombre des juges pour enfants, monsieur le garde des sceaux, c'est une partie de la réponse attendue.
    Autre réalité : le recours aux mesures de réparation et aux travaux d'intérêt général stagne. Pourtant, ce sont les mesures les plus pédagogiques pour des jeunes déstructurés. Or leur nombre reste très faible : quelques milliers chaque année, la plupart prononcées par les parquets en alternative aux poursuites. Faut-il voir, dans ce faible nombre, une réticence des juges ? Des éducateurs ? Une faiblesse des moyens ? Certains magistrats estiment que le long délai qui s'écoule entre l'acte et le prononcé de la sanction prive celle-ci de signification. Les facteurs de blocage doivent donc être identifiés, et ce type de réponse me semble devoir être privilégié par rapport à tout autre.
    S'agissant des mesures éducatives en milieu ouvert, il existe un vrai flou quant à l'effet recherché. Il me paraîtrait utile de disposer d'un code des bonnes pratiques. Cela permettrait de redonner un sens à l'action éducative de la PJJ, pour elle-même et pour les jeunes qu'elle prend en charge.
    Plus grave : l'hébergement de mineurs délinquants est en crise. Les personnels affectés aux foyers, en général dès la sortie de leur cycle de formation, n'ont pour la plupart qu'une seule idée : obtenir leur mutation. Ils sont au « purgatoire », me dit-on. Comment en est-on arrivé là ? Est-ce dû au processus de recrutement des éducateurs, qui repose essentiellement sur des connaissances universitaires et non sur la motivation à vivre en compagnie de jeunes désocialisés ? Est-ce dû à la violence croissante de nos adolescents ou à la féminisation excessive de la profession d'éducateur ? Le troisième concours, ouvert dès l'année prochaine à tous les professionnels de la jeunesse, apportera sans doute un élément de réponse, mais ce n'est pas le seul aspect à traiter. Il est également nécessaire de revoir et de contrôler le fonctionnement de ces foyers, dont le rôle est essentiel lorsque les jeunes délinquants doivent être éloignés de leur milieu d'origine pour pouvoir s'en sortir. Là encore, d'excellentes structures existent ; elles doivent servir d'exemple.
    Les centres éducatifs renforcés et les centres éducatifs fermés jouent un rôle essentiel au bout de la chaîne, comme une dernière main tendue avant l'incarcération. Ces programmes, fondés sur le « vivre avec », 24 heures sur 24, des éducateurs avec les mineurs, sont certes onéreux, Pierre Albertini l'a dit, mais ils sont néanmoins d'une efficacité sans commune mesure avec celle d'un hébergement classique. Toutefois, comme toute parenthèse dans un milieu protégé du monde extérieur, la sortie du dispositif exige une préparation soignée afin que ces programmes aient un effet durable.
    La PJJ bénéficie d'un traitement budgétaire particulier depuis cinq ans déjà. Elle doit désormais rendre les comptes et ne pas craindre une évaluation qui améliorera son fonctionnement.
    Enfin, je voudrais attirer l'attention de notre assemblée sur une des véritables hontes de la République, à laquelle, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez décidé de mettre fin, celle des quartiers pour mineurs des centres de détention.
    La convention internationale de Pékin sur les droits de l'enfant prévoit qu'en aucune manière les mineurs ne doivent être détenus dans des prisons pour adultes. La France, patrie des droits de l'homme, ne la respecte pas. Les quartiers pour mineurs tels qu'ils existent aujourd'hui ne sont pas une solution satisfaisante, en raison du fragile isolement de ces quartiers par rapport aux cellules des adultes. L'effet de contamination ne peut, dans ces conditions, être évité. Le traitement des jeunes dans les prisons est indigne au regard de l'obligation d'éducation que la société a envers eux.
    C'est vous, monsieur le garde de sceaux, qui avez le premier fait pénétrer les éducateurs de la PJJ dans les prisons. Mais vous avez décidé d'aller plus loin, en faisant enfin sortir les mineurs des prisons pour adultes. C'est l'objet du grand programme d'établissements pénitentiaires pour mineurs que vous avez lancé avec le concours du secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice. Conçus comme des internats fermés, ces centres offriront aux jeunes incarcérés une vraie protection contre les délinquants adultes et un véritable suivi éducatif, pour leur donner une vraie chance de réinsertion. Sept centres devraient ouvrir d'ici à 2006.
    C'est une avancée considérable en matière de droits de l'enfant. Permettez-moi d'exprimer ma fierté d'appartenir à la majorité qui aura voté ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Dans la discussion, la parole est à M. Michel Vaxès.
    M. Michel Vaxès. Monsieur le ministre, vous nous présentez un budget de 5,28 milliards d'euros, en hausse de 4,9 % par rapport à celui de l'an dernier. Nous ne nous en plaindrons pas ! Cette augmentation mérite cependant d'être relativisée.
    D'abord, cette évolution doit être appréciée au regard des besoins.
    Au milieu du xixe siècle, la France comptait environ 6 000 magistrats pour 37 millions d'habitants. En 2003, ces magistrats sont au nombre de 7 294 pour 60 millions d'habitants. Ainsi, alors que depuis la fin du xixe siècle la demande judiciaire a connu une spectaculaire évolution et que la population a connu un accroissement de plus de 60 %, le nombre de magistrats n'a augmenté que de 20 %. Ce constat est sans appel : les moyens de l'institution judiciaire n'ont pas progressé proportionnellement à la demande croissante de justice, demande qui ne diminuera pas dans les années à venir si l'on prend pour seul paramètre celui de la croissance législative.
    L'augmentation du budget de la justice mérite ensuite d'être examinée au regard du constat dressé dans le dernier rapport de la Cour des comptes sur l'exécution des lois de finances : « Le budget de la justice est caractérisé par une augmentation très régulière de ses moyens depuis plusieurs années. Le ministère n'apparaît pourtant pas en mesure d'absorber une augmentation régulière de ses budgets, comme l'atteste le niveau des reports effectués d'année en année sur les dépenses de fonctionnement, ou celle des autorisations de programme non utilisées. Ainsi, le ministère accumule des moyens sans les consommer ou les redéployer et les reports tendent à se pérenniser, les mesures de régulation budgétaire en accentuant encore la tendance. »
    Quoi qu'il en soit, même si le ministère de la justice n'est pas encore en mesure d'absorber l'augmentation régulière de son budget, même si ce budget reste très en deçà des besoins, c'est un budget en hausse, et cette hausse, nous la saluons, pour l'avoir depuis toujours souhaitée.
    Doit-on pour autant s'en satisfaire ? Un budget en hausse, en effet, n'est pas nécessairement un bon budget. Il doit s'apprécier au regard de la politique qu'il sert et, malheureusement, de ce point de vue, il ne saurait nous satisfaire. A cela plusieurs raisons.
    La première, et non la moindre, est que votre politique n'entend la « justice » que dans sa dimension juridique et légale. Pourtant, la Justice - avec un grand « J » - a, d'abord, une dimension éthique et morale, et nous courons un vrai danger à trop vouloir dissocier ces deux acceptions. Or force est de constater que votre politique n'envisage la justice que sous l'angle d'une architecture juridictionnelle et d'une mécanique processuelle.
    Ainsi, l'administration de la justice devient-elle une entreprise, sommée de répondre à des exigences de rentabilité. J'en veux pour preuve le dispositif de modulation individuelle pour services rendus prévu pour les magistrats. L'opposition des organisations syndicales des magistrats à cette nouvelle forme de rémunération, qui n'est rien d'autre qu'une prime au rendement, est, d'ailleurs, unanime. Je ne considère pas qu'il faille voir là une réaction corporatiste, qui nierait que dans cette profession - comme dans toutes les autres - il y ait des fonctionnaires plus efficients que d'autres. J'y vois plutôt la réaction d'une profession profondément imprégnée du sens du service public de la justice.
    Comment envisager, en effet, que la qualité des décisions, l'écoute des justiciables et la garantie des droits puissent être compatibles avec la rentabilité d'un magistrat ? Comment, d'ailleurs, celle-ci peut-elle être mesurée ? Selon le nombre de condamnations obtenues ? Selon le nombre de mises en détention prononcées ? Selon la quantité de mandats de dépôt sollicités ? La quantité ne peut être retenue comme critère sérieux de mesure de la qualité du travail d'un magistrat ou de la qualité de la justice rendue.
    En revanche, le maître mot qui devrait guider toute politique de la justice est celui de « qualité ». Or, ce qui transpire de ce projet de budget, comme de l'ensemble des projets de loi qui ont été soumis à notre vote par votre ministère, c'est que vous assimilez rentabilité et rapidité à qualité. La rapidité ne peut être la mesure d'une bonne justice. Il convient, certes, de remédier à des retards de traitement des affaires, mais sans perdre de vue que c'est, notamment, par une renonciation à l'immédiateté que nous avons pu passer de la vengeance archaïque au droit, et que c'est plutôt par une augmentation sensible du nombre de magistrats et des moyens mis à leur disposition que l'on parviendra à réduire ces retards.
    Dans la plaquette de présentation de votre projet, je lis : « La répartition des crédits de fonctionnement des services judiciaires entre les juridictions reposera notamment sur des engagements quantitatifs formalisés dans des contrats d'objectifs. Ces engagements devront porter sur la réduction des stocks de dossiers ou la maîtrise des frais de justice, mais aussi sur l'amélioration de la productivité dans le traitement des affaires civiles et pénales, ainsi que sur l'efficacité de la mise en oeuvre des politiques judiciaires. » Un chef d'entreprise n'utiliserait pas un autre langage ! « Quantitatif », « réduction des stocks », « maîtrise des frais », « contrats d'objectifs », « amélioration de la productivité » : j'avoue que j'ai peine à croire que nous parlons ici de justice !
    L'an passé, nous vous avions fait part de nos réticences quant à la mise en place des juges de proximité, qui ne garantissait pas, selon nous, une véritable justice de proximité, une justice une et indivisible, une justice au service de tous. Le 15 septembre dernier, les trente-deux premiers juges de proximité ont pris leurs fonctions. Il semble que les problèmes rencontrés depuis par les tribunaux soient alarmants. Sans entrer dans le détail et sans ouvrir une polémique stérile sur le thème « nous vous avions prévenus et nous avions raison », je souhaite appeler particulièrement votre attention sur cette question car il devient urgent de régler les différents conflits de compétences posés par la mise en place de cette nouvelle juridiction. Les premiers à en pâtir sont les justiciables et cela n'est pas acceptable.
    Il semblerait, en effet, qu'une moitié des dossiers transmis à cette nouvelle juridiction se soient trouvés prescrits. En effet les juges d'instance, jusqu'alors compétents, ont dû, de fait, se déclarer incompétents et le temps que le dossier soit réorienté vers la juridiction de proximité, le délai de prescription est couvert.
    Les sénateurs ont bien, par le biais du projet de loi sur la criminalité, modifié les dispositions concernant cette nouvelle juridiction afin de régler ces questions de compétences. Néanmoins, et dans l'attente de la mise en oeuvre de ces modifications, les difficultés perdurent. D'autant que, dans l'attente du recrutement des 3 300 juges de proximité pour 2007, ce sont les juges d'instance qui aujourd'hui remplissent ces fonctions. N'aurait-il pas été beaucoup plus simple de recruter de nouveaux juges d'instance, juges professionnels, ce qui aurait notamment permis d'éviter de telles complications ?
    Les crédits de fonctionnement de la protection judiciaire de la jeunesse progressent de 5 %, mais ce n'est pas d'argent dont je souhaite ici parler. L'acte II de la décentralisation telle que la conçoit le Gouvernement est actuellement en cours d'examen au Sénat. L'article 48 de ce projet de loi, qui concerne la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), prévoit d'étendre, à titre expérimental, les compétences des conseils généraux en matière de mise en oeuvre des mesures d'assistance éducative. Nous y reviendrons quand ce texte nous sera soumis mais je voudrais d'ores et déjà pointer le risque que fait courir ce texte à la cohérence de la politique de l'enfance en danger. Il aura en effet pour conséquence d'accroître les disparités entre les départements et de séparer artificiellement l'enfance en danger et l'enfance délinquante qui, chacun le sait, sont intimement liées.
    Mme Valérie Pecresse, rapporteur pour avis. Il ne faut pas exagérer !
    M. Michel Vaxès. Quant à la politique pénitentiaire, avec une population carcérale qui ne cesse d'augmenter, un nombre d'évasions qui a doublé, un nombre de suicides qui a augmenté de plus de 11 % et un nombre de voies de fait qui a presque triplé, ...
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis. N'importe quoi !
    M. Michel Vaxès. ... à l'évidence, les leçons du rapport parlementaire de juin 2000 n'ont pas encore été tirées.
    La situation inhumaine dans laquelle se trouvent les détenus n'est plus tolérable. Certes, de nouvelles prisons vont être construites mais ces constructions risquent d'être abandonnées au privé, qui pourrait se voir confier le financement, la conception et la gestion quotidienne. Il semblerait d'ailleurs que des investisseurs étrangers soient déjà sur les rangs.
    Mme Valérie Pecresse, rapporteur pour avis. Si ça marche...
    M. Michel Vaxès. Ajoutons enfin que les conditions de travail des personnels pénitentiaires ne sont pas, non plus, prises en compte au regard des besoins.
    Parce que la justice ne peut être envisagée en fonction du seul critère de « l'abattage », parce que ce projet de budget n'entend servir qu'une politique de rentabilité, parce qu'il ne servira pas la justice qu'attendent nos concitoyens, le groupe des députés communistes et républicains votera contre ce projet de budget.
    M. le président. La parole est à  M. Thierry Mariani.
    M. Thierry Mariani. Monsieur le garde des sceaux, je tiens tout d'abord à vous remercier. Député depuis plus de dix ans, j'assiste chaque année, comme la plupart de mes collègues, à l'audience solennelle de rentrée du tribunal de grande instance de ma circonscription - en l'occurrence celui de Carpentras. Pour la première fois depuis dix ans, les effectifs de ce tribunal étaient cette année au complet, ce que n'a pas manqué de saluer le président. Même si beaucoup reste à faire, ce tribunal est loin d'être le seul à voir sa situation s'améliorer. Au nom du groupe UMP et de tous les citoyens français, je vous remercie d'avoir enfin commencé à accorder à notre justice et à nos tribunaux les effectifs dont ils avaient besoin.
    M. Jacques Floch. Oh !
    M. Thierry Mariani. Monsieur Floch, je n'ai pas l'impression que Mme Guigou ait fait beaucoup de choses dans le Vaucluse, et elle a d'ailleurs quitté le département un peu vite ! La comparaison, excusez-moi de le dire, n'est pas à votre avantage.
    Ce budget de la justice pour l'année 2004, monsieur le garde des sceaux, correspond à la deuxième année de mise en oeuvre de la loi d'orientation et de programmation votée au mois d'août 2002. Il respecte les engagements pris tant en matière de création d'emplois qu'en matière de crédits de fonctionnement ou d'investissement. Malgré un contexte budgétaire marqué par la maîtrise de la dépense publique, l'augmentation du budget de la justice de 4,9 % cette année vise à rattraper des retards accumulés parfois depuis fort longtemps.
    Je ne reviendrai pas sur la réforme du 15 juin 2000 votée par la gauche plurielle, pétrie de pseudo-bonnes intentions, qui avait oublié - une fois de plus, est-on tenté de dire - de prévoir les crédits correspondants.
    M. André Vallini. Vous l'avez votée !
    M. Thierry Mariani. Je suis désolé, monsieur Vallini : je ne l'ai pas votée. Relisez le Journal officiel !
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis. Tout à fait !
    M. André Vallini. La droite en tout cas l'a votée !
    M. Thierry Mariani. L'objet de mon intervention n'est pas d'exposer à nouveau les différentes articulations du budget du ministère de la justice pour 2004, mes deux collègues Jean-Paul Garaud et Valérie Pecresse viennent de le faire brillamment en évoquant l'administration centrale et les services judiciaires ainsi que les prisons et la protection judiciaire de la jeunesse. Je préfère aborder le renforcement des services judiciaires, la rénovation de l'administration pénitentiaire et l'adaptation de la PJJ, sans oublier l'attention particulière que ce budget porte à tous les personnels qui concourent au bon fonctionnement de la justice au quotidien.
    Tout d'abord, le renforcement des services judiciaires. Lors du débat de la loi d'orientation et de programmation pour la justice - la LOPJ -, nous avons fixé comme objectifs aux services judiciaires de rendre une justice plus rapide, effective et de qualité. A ce titre, la priorité de votre budget est donnée à la réduction des stocks des affaires et des délais de jugement. Ainsi, les services judiciaires bénéficieront de 309 millions d'euros d'autorisations de programme et leurs dépenses ordinaires augmenteront de 86 millions d'euros par rapport à l'année dernière.
    Vous avez choisi, monsieur le ministre, de renforcer les moyens humains des juridictions. A ce titre, le budget pour 2004 prévoit la création de 715 emplois supplémentaires, dont 150 emplois de magistrats et 559 emplois de greffiers et de fonctionnaires.
    Toujours dans l'optique de réduire la durée de traitement des dossiers, les juridictions administratives bénéficieront en 2003 de la création de 100 emplois - 42 emplois de magistrat et 58 emplois de fonctionnaire -, l'objectif étant de parvenir à un délai de jugement en première instance inférieur à un an.
    A la différence de la précédente majorité, vous avez choisi de tenir compte dans votre budget des conséquences financières des réformes que notre majorité a votées. Ainsi, une dotation de 7 millions d'euros sera allouée à la mise en place des 600 juges de proximité prévue pour les années à venir.
    De plus, des moyens importants sont débloqués pour le fonctionnement et la modernisation des juridictions, dont 12,6 millions d'euros supplémentaires pour le seul fonctionnement courant des juridictions.
    Ces moyens permettront notamment d'accompagner le recrutement de magistrats et de fonctionnaires afin de réduire les délais de traitement des affaires civiles et pénales, mais aussi d'accroître l'efficacité de la mise en oeuvre des politiques judiciaires que nous votons. Ils permettront en outre de développer l'informatique et la visioconférence dans les juridictions et concourront au renforcement de la sécurité de ces juridictions, ainsi qu'à la mise en service de nouveaux bâtiments judiciaires.
    Dans le cadre de son programme d'action sur cinq ans d'aide aux victimes, le Gouvernement poursuit son effort en augmentant les crédits qui lui sont consacrés de 1,1 million d'euros, soit une augmentation de 17,5 %. Enfin un plan d'aide aux victimes effectivement financé !
    Le budget pour 2004 prévoit également la construction et la rénovation de palais de justice. Ainsi, la direction des services judiciaires dispose de 309 millions d'euros d'autorisations de programme, avec comme objectifs prioritaires la résorption des déficits de surface et l'amélioration de la sécurité.
    Le budget pour 2004 poursuit par ailleurs l'effort de rénovation de l'administration pénitentiaire. Face à l'augmentation de la population carcérale, 59 169 détenus au 1er août 2003, il prévoit la création de 1 128 emplois supplémentaires, dont 711 surveillants, 201 personnels d'administration et d'intendance, 161 personnes chargées de l'insertion et de la probation et 35 directeurs.
    Ces emplois permettront notamment d'améliorer les conditions de détention, d'offrir aux détenus une meilleure préparation à leur sortie de prison et enfin de renforcer la capacité de maintien de l'ordre public, avec la mise en place des équipes régionales d'intervention et de sécurité, les ERIS. Ces personnels seront également affectés aux nouvelles structures de détention adaptées pour les mineurs et aux nouvelles unités hospitalières sécurisées interrégionales.
    Afin d'améliorer le fonctionnement et la sécurité des établissements pénitentiaires, les crédits de fonctionnement augmentent très fortement de 35 millions d'euros, soit une progression de 10 %, pour tenir compte de la hausse de la population carcérale, mais aussi de l'ouverture de deux nouveaux établissements, à Toulon et à Liancourt.

    En outre, comme l'an dernier, un effort particulier de 84 millions d'euros sera consacré au renforcement des moyens de fonctionnement de l'administration pénitentiaire et plus particulièrement à la rénovation et à la sécurité des établissements ainsi qu'à la lutte contre les tentatives d'évasion.
    Enfin, le grand programme de rénovation pénitentiaire amorcé par la LOPJ se poursuit et un important programme immobilier de construction permettra, en 2004 comme en 2003, la fermeture de maisons d'arrêt vétustes et leur remplacement par des établissements modernes. Ainsi dans mon département, la maison d'arrêt d'Avignon a été fermée tandis qu'un centre pénitentiaire a été ouvert au Pontet.
    M. André Vallini. Prévu par la gauche !
    M. Thierry Mariani. A ce titre, la direction de l'administration pénitentiaire dispose de 688 millions d'euros d'autorisations de programme, dont 441 millions au titre de la loi d'orientation et de programmation pour la justice. Ces crédits doublent quasiment par rapport à ceux de l'année dernière, témoignant, là aussi, de la priorité donnée par le Gouvernement aux graves problèmes structurels de l'administration pénitentiaire.
    Par ailleurs, un effort de 7 millions d'euros est réalisé pour la mise en place de structures de détention pour les mineurs.
    Enfin, le budget de 2004 vise à mieux encadrer la protection judiciaire de la jeunesse. Afin d'apporter de vraies réponses à la délinquance des mineurs, la LOPJ, pour la réduire et la traiter, a défini des objectifs clairs : création de 60 centres éducatifs fermés sur cinq ans, développement de la prévention de la récidive, amélioration de la prise en charge en milieu ouvert, remise à niveau des services gestionnaires de la PJJ.
    Le budget de la justice de 2004 prévoit 26,1 millions d'euros en autorisations de programme et la création de 234 emplois, dont 135 d'éducateur, afin d'améliorer la prise en charge des mineurs en danger et des délinquants. Ces crédits permettront notamment de financer la rénovation du parc immobilier pour 6 millions d'euros et la construction de centres éducatifs fermés pour 5,5 millions d'euros.
    En outre, la direction de la PJJ assurera une intervention continue auprès des mineurs incarcérés. Ainsi, dix quartiers « mineurs » seront en capacité de fonctionner d'ici à la fin de l'année 2003 et quinze sont prévus en 2004. De même, elle participera à la mise en oeuvre et au fonctionnement de sept établissements pénitentiaires de soixante places spécialisés pour l'accueil des mineurs.
    La direction de la PJJ se donne également pour objectif d'améliorer la rapidité de la prise en charge des mesures pénales de placement judiciaire et de milieu ouvert et, surtout, de mettre en oeuvre un accompagnement éducatif reposant sur la scolarisation et l'insertion professionnelle, notamment à travers la création de 250 classes-relais.
    Tout cela va dans la bonne direction, même si certains d'entre nous ont par moment l'impression que la PJJ est plus efficace dans les rapports administratifs que sur le terrain.
    Je n'oublie pas que le budget de 2004 apporte une attention particulière à tous les personnels qui concourent au bon fonctionnement de la justice au quotidien, ainsi que l'a relevé M. Garraud. Toutes les catégories bénéficient de réformes statutaires, de revalorisations salariales ou de mesures indemnitaires. En la matière, nous ne pouvons dire qu'une chose : là aussi, il était temps !
    De plus, votre budget propose un nouvel outil pour améliorer l'efficacité de la justice : la rémunération de tous les magistrats en fonction de leur mérite individuel. Cette disposition marque une grande avancée pour notre système judiciaire. Elle permettra, après avoir donné à la justice les moyens de fonctionner, de motiver ceux qui, quotidiennement, travaillent avec force et courage pour nos concitoyens.
    Monsieur le garde des sceaux, j'espère vivement que vous profiterez de notre séance d'aujourd'hui pour nous expliquer la méthode et les critères de cette évaluation.
    Pour finir, je tiens à saluer, au-delà du budget de votre ministère, l'action que vous menez, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, en matière législative.
    Après la LOPJ en août 2002, la loi visant à adapter la justice aux évolutions de la criminalité sera de nouveau examinée par notre commission des lois dès la semaine prochaine - et je ne parle pas de la réforme des professions judiciaires ou de celle du divorce, ni d'autres encore. Sur tous ces projets, je tiens à vous remercier de laisser à l'Assemblée nationale un véritable pouvoir de législateur. En effet, vous n'avez pas hésité à accepter de nombreux amendements, permettant à un véritable débat parlementaire de s'engager. C'est d'ailleurs pourquoi vous avez le soutien de la majorité sur chacun de vos textes.
    Aujourd'hui, monsieur le garde des sceaux, je tiens, au nom du groupe UMP, dont je suis le porte-parole, à vous assurer de notre soutien pour ce nouveau budget pour l'année 2004, qui tient les promesses que nous avons faites aux Français. Nous vous en remercions. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. André Vallini.
    M. André Vallini. Monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, votre budget est en augmentation, et c'est bien. Nous en prenons acte, mais nous voulons rappeler qu'avec près de 30 % d'augmentation en cinq ans la gauche, sous la précédente législature, s'était donné les moyens de moderniser la justice. Finalement, l'augmentation de votre budget de 2004, comme de celui de l'année dernière, s'inscrit dans cette continuité. Je tenais à le rappeler, notamment à M. Mariani.
    M. Thierry Mariani. Je vous écoute !
    M. André Vallini. Ce budget est cependant l'un des budgets de la justice les plus faibles de toutes les démocraties européennes. Ce rappel doit tous nous inciter à beaucoup de modestie en la matière. D'autant plus qu'avec vous, monsieur le garde des sceaux, cette augmentation n'est que relative, voire virtuelle, puisque, avec la fâcheuse pratique du gouvernement Raffarin des report de crédits (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), nombre de mesures annoncées dans le budget de 2003 et votées en 2002 sont restées lettre morte. On dit même que Matignon travaillerait déjà sur des gels de crédits sur 2004, alors que la loi de finances n'est pas encore votée.
    M. Mansour Kamardine. Que ne dit-on pas ? Ce sont des bruits de couloir !
    M. André Vallini. Si votre budget est en augmentation, il reste de toute façon terriblement insuffisant par rapport aux besoins réels des juridictions, comme M. Albertini l'a relevé. Il ne suffira pas, loin de là, à remédier à la carence en magistrats, en personnels et en moyens matériels, notamment informatiques. A l'heure actuelle, tous les magistrats ne disposent pas d'ordinateurs et ne peuvent donc pas être reliés au RPVJ - réseau privé virtuel justice. Ils ne disposent pas tous non plus, ce qui paraît incroyable, de codes à jour, ainsi qu'un président d'une organisation syndicale vous l'a récemment indiqué, lors de son congrès, en matière pénale comme en matière civile.
    Une telle indigence judiciaire est un signe supplémentaire de l'affaiblissement de la fonction régalienne qu'est la justice. A cet égard, je souhaite évoquer la violence qui touche aujourd'hui les tribunaux et dont la presse parle depuis quelques semaines. Nous assistons à une véritable montée des tensions, notamment à l'audience. La justice subit à son tour ce que d'autres institutions républicaines, telles que l'école ou l'hôpital, connaissent depuis plusieurs années. La violence ne s'arrête plus aux marches du palais et le tribunal n'est plus le sanctuaire qu'il a été, respecté de tous.
    Ces tensions nuisent au bon déroulement des audiences. La sérénité de la justice est donc en danger. Vous devez en convaincre votre collègue de l'intérieur. Je veux ici rappeler des incidents notables comme la remise en liberté de prévenus faute d'escorte au tribunal de Bobigny, auquel ne sont plus affectés que 85 policiers alors qu'il étaient encore 120 il y a quelques années, ou encore la grève, intervenue la semaine dernière, des juges de l'application de peines du tribunal du 16e arrondissement de Paris en l'absence d'agents chargés d'assurer la sécurité des lieux.
    Après ces considérations sur les moyens, je rappellerai qu'un budget n'a de sens, en matière de justice également, que s'il est au service d'une politique. Je souhaiterais donc maintenant évoquer trois aspects de votre politique qui posent problème.
    Le premier concerne les juges de proximité, dont a parlé M. Vaxès. Je ne reviendrai pas dans le détail sur tous les dysfonctionnements auxquels nous assistons.
    La justice de proximité ne fonctionne pas ! A ce jour, trente-deux juges de proximité seulement ont été nommés. Votre ambition est d'en recruter 3 300 sur cinq ans, donc 750 chaque année. Vous en annoncez 600 pour 2004. Nous restons sceptiques.
    La justice de proximité existe déjà : c'est celle que rendent les juges d'instance et les équipes de conciliateurs qui travaillent avec eux. L'ANJI, l'Association nationale des juges d'instance, vous a récemment adressé, monsieur le garde des sceaux, une motion de protestation qui a recueilli des centaines de signatures et qui dénonce l'absurdité de cette réforme.
    En deuxième lieu, j'aborderai la question délicate de l'indépendance de la justice.
    Après avoir rétabli, contrairement à la pratique de vos prédécesseurs, les instructions individuelles dans les affaires judiciaires en cours, après avoir décidé de ne plus suivre, contrairement à vos prédécesseurs, les avis du Conseil supérieur de la magistrature pour la nomination des magistrats, et après avoir, volontairement ou non, réussi à déstabiliser le procureur de Montgolfier qui conduit à Nice une action courageuse contre la corruption politico-financière, voici qu'une succession d'événements troublants autour d'une importante affaire politico-financière, instruite et jugée à Nanterre, provoque un certain malaise. En effet, après l'éloignement du juge qui instruisait cette affaire et qui a été nommé procureur à Chartres, puis l'éloignement du procureur qui souhaitait poursuivre l'ensemble du dossier et qui a été nommé au parquet de Paris, puis la promotion de son successeur qui n'a poursuivi, quant à lui, qu'une partie du dossier et dont les réquisitions ont été remarquées pour leur clémence, puis la procédure disciplinaire engagée contre le procureur adjoint qui avait poursuivi dans une affaire connexe l'épouse d'une haute personnalité parisienne, vous n'avez pas hésité, monsieur le garde des sceaux, à remettre en cause, la semaine dernière, la loi de 1995 sur le financement des partis politiques, sur laquelle est fondée en partie la condamnation éventuelle dans ce dossier du président de la formation politique à laquelle vous appartenez.
    Face à cette accumulation, comment voulez-vous éviter que certains ne parlent de « reprise en main de la justice » qui renverrait à des pratiques d'une autre époque, à l'opposé du souhait des Français d'avoir une justice impartiale et, surtout, indépendante des pressions politiques ?
    J'ajoute que, dans ce contexte, votre décision d'instaurer des primes au rendement n'est pas faite pour nous rassurer. Pouvant aller jusqu'à 12 % du salaire, elles seraient distribuées par les chefs de cour sur des critères qui ne sont pas objectivement prédéfinis, comme M. Mariani l'a reconnu lui-même. De plus, leur financement reste obscur. Cette exigence de « rentabilité », entre guillemets, pour le moins incongrue en matière judiciaire, ne laisse pas d'inquiéter au regard de l'indépendance des magistrats.
    En troisième lieu, j'évoquerai la situation dans les prisons.
    Permettez-moi, chers collègues de la majorité, de vous poser quelques questions : qui a dit, le 14 juillet 2000 : « Nous avons 51 000 prisonniers. C'est un nombre excessif. Il faut le diminuer » ? Qui a dit encore, toujours le 14 juillet 2000 : « Le fait d'avoir en France 10 000 détenus qui ne sont pas passés devant un juge est inadmissible » ? C'est le Président de la République. Or la population carcérale a franchi le cap des 60 000 détenus cet été, un record historique depuis la Libération,...
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis. On s'occupe de sécurité !
    M. André Vallini. ... et le nombre des prévenus incarcérés en attente de procès est aujourd'hui de 22 000. Et dire que Jacques Chirac trouvait que 10 000, c'était trop ! Il est vrai que le 14 juillet 2001 celui-ci lançait sa campagne présidentielle sur l'insécurité, stoppant net le bel élan de tous ceux qui, à droite comme à gauche, souhaitaient en finir avec cette humiliation de la République que constitue la situation dans nos prisons.
    Préparé par Marylise Lebranchu, le projet de loi pénitentiaire sur les conditions de vie en prison a été enterré, le principe de l'encellulement individuel n'est plus qu'un vague souvenir et la surpopulation carcérale atteint un niveau insupportable avec, dans certains cas, un taux d'occupation atteignant 300 %. Le taux d'occupation moyen est de 125 % et, dans vingt-cinq établissements, il dépasse 200 %. Ainsi, au 1er juillet 2003, 138 détenus se partageaient les 45 places de la maison d'arrêt du Mans.
    Cette promiscuité, on le sait, engendre son lot de tensions, d'agressions, d'abus sexuels, de viols. Dans cet univers infernal au sens littéral du terme, conserver sa dignité est totalement impossible.
    Grises, humides, vétustes, insalubres parfois, de nombreuses maisons d'arrêt sont de surcroît dans un état de délabrement qu'on a peine à imaginer de l'extérieur et qui confère aux conditions de détention le caractère de « traitement inhumain et dégradant » au sens des conventions internationales.
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis. Il fallait vous en occuper lorsque vous aviez la majorité !
    M. André Vallini. Vous ne m'écoutez pas, monsieur Garraud : une loi pénitentiaire avait été préparée par Mme Lebranchu, mais vous l'avez enterrée !
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis. Voulez-vous nous faire croire qu'en cinq ans vous ne pouviez rien faire ?
    M. André Vallini. Rien n'est envisagé aujourd'hui pour améliorer la situation dans les prisons françaises, sinon l'augmentation des capacités d'accueil avec votre plan de constructions, monsieur Bédier, qui s'accompagnera inéluctablement d'un accroissement du nombre des détenus. L'expérience montre en effet qu'en France comme ailleurs les nouvelles prisons sont aussitôt remplies et aussitôt suroccupées. Au xixe siècle, Mark Twain disait d'ailleurs que « celui qui ouvre une prison doit savoir qu'on ne la fermera plus ».
    La loi sur la présomption d'innocence de juin 2000 avait pourtant permis des avancées : élévation des seuils d'emprisonnement autorisant la détention provisoire, généralisation et réduction des délais butoirs avant la remise en liberté, limitation du recours au critère du trouble à l'ordre public pour justifier la prolongation de la détention, entre autres. A l'époque, de nombreux députés de l'opposition - pas M. Mariani, c'est vrai -, modérés, humanistes (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), considéraient même que ce texte n'allait pas assez loin. Vous en étiez, monsieur Blessig, tout comme M. Devedjian.
    Les mêmes n'ont pourtant pas hésité à voter des lois qui font à nouveau de la détention la règle et de la liberté l'exception, et qui érigent l'incarcération en principe majeur de sécurité publique.
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis. Encore un cliché !
    M. André Vallini. Dans ce terreau propice à une marginalisation accrue des détenus, le nombre des récidivistes ne va pas diminuer. Que l'on pense aux victimes potentielles, qui paieront le prix de cette fuite en avant vers le tout carcéral !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois. On n'en est pas là !
    M. André Vallini. Des solutions immédiates doivent donc être apportées et des solutions de fond envisagées.
    Monsieur le garde des sceaux, sortez déjà de prison tous ceux qui n'ont rien à y faire ! La prison n'est pas et ne doit pas être un hôpital, un hospice ou une cour des miracles ! Il faut réfléchir au sens de la peine et se demander ce qu'il en reste lorsqu'on maintient en détention des détenus âgés, très âgés parfois, en situation de dépendance, des toxicomanes, des malades qui justifient des traitements lourds, des aliénés mentaux qui désorganisent totalement les conditions de détention, des délinquants sexuels de plus en plus nombreux qu'il faudrait soigner plutôt qu'emprisonner, des indigents et autres exclus qu'il faudrait insérer plutôt qu'enfermer comme le fait M. Sarkozy.
    L'abandon progressif des efforts entrepris par le gouvernement précédent, monsieur Garraud, concernant notamment les conditions sanitaires des détenus, n'arrange rien. En ce domaine, nous avions fait des choses, mais tout a été abandonné. Le régime disciplinaire et l'octroi des permis de visite servent d'outil de gestion des prisonniers. En cinq ans, les libérations conditionnelles ont baissé de 4,5 % , les mesures de semi-liberté de 6,5 % et les placements à l'extérieur de 18,7 % . Quant au bracelet électronique et au travail d'intérêt général, outre les réticences des juges qu'a relevées M. Albertini, il faut savoir que les services socio-éducatifs qui sont indispensables pour gérer ces peines alternatives sont tragiquement dépourvus de moyens.
    Mépriser les conditions de vie des détenus, c'est aussi mépriser les conditions de travail des personnels pénitentiaires.
    Je veux moi aussi, après M. Albertini, saluer le remarquable travail que font ces personnels dans des conditions épouvantables et avec beaucoup d'humanité, voire d'humanisme.
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis. C'est vrai !
    M. André Vallini. Comme tous mes collègues qui ont participé aux travaux de la commission d'enquête sur les prisons, j'ai été frappé de voir qu'on était très loin du cliché du maton, et que les personnels pénitentiaires sont des gens profondément humains, qui font un travail dans des conditions, je le répète, épouvantables, et avec beaucoup d'humanité.
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis. C'est pour cela qu'on s'en occupe !
    M. André Vallini. On s'en occupe très mal !
    Cette situation nous vaut le taux de suicide carcéral le plus élevé d'Europe : environ 1 % de l'ensemble des morts par suicide en France chaque année. Laisser se développer le suicide en prison revient à admettre le retour insidieux d'une « peine de mort indirecte » frappant les plus vulnérables et confirmant l'incapacité du système pénitentiaire à conserver au détenu l'espoir de retrouver sa place dans la société. Face à ce fléau du suicide en prison, il faut donc agir en formant le personnel, mais aussi les détenus, pour leur apprendre à identifier les suicidaires, à repérer la crise, à évaluer l'urgence. Cela se pratique dans d'autres pays et cette formation adaptée à un milieu spécial et violent doit inclure la souffrance psychique qui prend souvent le masque de l'agressivité et de l'automutilation.
    Je sais que vous avez commandé un rapport sur ce sujet très difficile à M. Terra. Sera-t-il suivi d'effets ou ne sera-t-il que le énième à ce propos, sitôt rendu sitôt oublié ?
    En attendant, monsieur le garde des sceaux, une vraie politique pénitentiaire reste à construire, en n'oubliant jamais que le degré de civilisation d'une société se mesure aussi au sort qu'elle réserve à ceux qu'elle emprisonne.
    Pour finir, je souhaiterais vous alerter sur l'inflation législative que nous connaissons en France depuis trop d'années. Dans les prochaines semaines, nous examinerons en deuxième lecture votre texte concernant la grande criminalité. J'aurai alors l'occasion de dénoncer de nouveau l'empilement et, pis encore, l'enchevêtrement de tous ces textes qui viennent modifier notre droit pénal et notre procédure pénale depuis quelques années.
    Je sais que vous préparez une réforme du droit de la famille et une réforme du droit des faillites. Ces réformes sont sans doute nécessaires pour adapter la législation à notre temps, mais elles seront d'autant plus utiles qu'elles viendront surtout simplifier et clarifier le droit.
    Une illustre figure du droit français, qui vient de nous quitter - le doyen Jean Carbonnier -, estimait que « la loi doit accompagner le changement de la société, sans le précipiter ni tenter de l'arrêter ». Il faisait aussi part de son désenchantement devant la manie française qui consiste à faire une loi dès qu'un problème surgit : « Il en est de l'inflation juridique comme de la monnaie : elle fait perdre toute crédibilité aux valeurs. »
    Le groupe socialiste votera contre votre budget, monsieur le garde des sceaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.
    M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le garde des sceaux, le projet de budget de la justice pour 2004 fait figure d'exception parmi les autres projets de budget. Les restrictions budgétaires prévues pour l'année prochaine n'affectent en effet pas le ministère de la justice qui, il est vrai, ne peut se permettre de voir ses crédits revus à la baisse, tant la situation de la justice française est préoccupante. Aussi ne m'attarderai-je pas longuement sur les dispositions techniques du projet de loi de finances, qui ont fait l'objet d'une analyse particulièrement pointue et détaillée dans le remarquable rapport de notre collègue Pierre Albertini.
    Bien sûr, nous approuvons les diverses augmentations, tant pour les services judiciaires que pour l'administration pénitentiaire ou encore la protection judiciaire de la jeunesse. Créations d'emplois, revalorisations indemnitaires, hausse des crédits d'équipement, tout cela montre que votre gouvernement et vous-même, monsieur le garde des sceaux, tenez les engagements pris à l'occasion de la loi d'orientation pour la justice.
    Mais les crédits alloués ne sauraient occulter l'état de crise profonde dans lequel se trouve la justice en France. Bien entendu, cette crise n'est pas nouvelle et vous n'en êtes pas responsable. Les mesures qui figurent aussi bien dans la loi d'orientation et de programmation pour la justice que dans les différents textes soumis à la représentation nationale tentent au contraire d'enrayer cette vertigineuse chute de la qualité de la justice française. Malheureusement, ce projet de budget qui nous semble satisfaisant, et que nous approuvons, ne peut que paraître insuffisant eu égard aux efforts considérables qui devraient être fournis s'il n'y avait pas de réforme.
    Il est temps, au-delà des questions budgétaires, d'engager de profonds changements de l'organisation judiciaire en évitant l'empilement de textes législatifs auquel on assiste malheureusement depuis de trop nombreuses années. Les professionnels ne s'y retrouvent plus et les réformes du code de procédure pénale ont trop souvent eu tendance à desservir les magistrats et à faciliter les nullités de procédure.
    Veillons à ne pas faire de la surenchère législative au gré de l'actualité ! L'affichage n'est et ne sera jamais le gage d'une réforme réussie. A ce propos, je souhaite vous alerter, monsieur le garde des sceaux, sur la cohérence de la chaîne pénale, comme j'ai alerté le ministre de l'intérieur il y a quelques jours.
    Le travail fourni par la police et la lutte contre l'insécurité menée par le ministre de l'intérieur ne parviennent pas à être suffisamment suivis par la chaîne judiciaire. Le taux de traitement des affaires pénales est particulièrement significatif. Des statistiques édifiantes montrent qu'une affaire sur trois seulement est poursuivie lorsque l'auteur est identifié. Si l'on ajoute à cela les statistiques relatives aux taux d'exécution des peines, on se rend compte qu'entre le moment de l'interpellation pour une infraction et la mise en détention ou, à tout le moins, la sanction qui doit être infligée, nombre de délinquants passent encore au travers des mailles du filet judiciaire et restent impunis. On ne peut pas résoudre ce problème en un an ou en deux ans, mais ce doit être à nos yeux l'axe principal de la politique en matière judiciaire. Nous courons dès lors le risque de la crédibilité de la politique mise en oeuvre. Le préjudice des justiciables est beaucoup plus important lorsque les faits criminels ou délictueux ne sont pas poursuivis ou leur semblent demeurer impunis. Quoi de plus dangereux et de plus démotivant, aussi bien pour les forces de l'ordre que pour la population, que de voir une activité intense et fortement relayée par la presse des forces de police, mais de ressentir que la justice française ne parvient pas toujours à suivre ?
    Les moyens nouveaux alloués par votre budget, monsieur le ministre, tendent à remédier à cette situation, mais je prendrai l'exemple de la surpopulation carcérale. Le taux de remplissage des prisons françaises atteint en moyenne 125 % et malgré les 11 000 places supplémentaires prévues pour 2007, effort louable servi par l'énergie de votre secrétaire d'Etat Pierre Bédier, la lutte contre l'insécurité aura pour effet d'augmenter le nombre de criminels et de délinquants à mettre en détention. Les 11 000 places ne feront donc sans doute pas baisser le taux de surpopulation carcérale. Il est grand temps de réfléchir et de mettre en oeuvre des mesures tendant à remédier à ces problèmes.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Tout à fait !
    M. Jean-Christophe Lagarde. Notre collègue Jean-Luc Warsmann, lors des travaux relatifs à ces sujets, a mis en lumière l'impasse dans laquelle nous nous trouvons et a d'ailleurs tenté d'y remédier en présentant des amendements à la loi d'adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Ce travail remarquable mérite d'être encouragé et la réflexion doit se poursuivre. Les prisons françaises souffrent d'un profond malaise qui se traduit régulièrement par des statistiques inquiétantes concernant les automutilations et les nombreux suicides, dont il me paraît excessif de dire à la tribune de l'Assemblée nationale que c'est une nouvelle forme de peine de mort.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Bien sûr !
    M. Jean-Christophe Lagarde. Mme Pecresse a remarquablement souligné l'absence de travail de réhabilitation et de réinsertion, dans la perspective de la sortie de prison, que nous impose pourtant cette surpopulation carcérale.
    Je voudrais aussi évoquer la situation que nous avons constatée, M. le président de la commission des lois et moi-même, à l'occasion d'une mission en outre-mer, en l'occurrence en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie où nous avons visité des prisons. En Nouvelle-Calédonie, les conditions d'incarcération sont choquantes, aggravées par les conditions climatiques, mais il y a plus grave encore et je suis sûr que le président de la commission des lois a attiré votre attention là-dessus. En effet, depuis leur nomination, certains magistrats, procureurs et juges d'instruction n'ont pas pris la peine de se rendre une seule fois dans les prisons pour voir quelles sont les conditions d'incarcération et de travail des personnels pénitentiaires et pour constater les complications des décisions qu'ils rendent.
    Enfin, monsieur le ministre, je veux attirer votre attention sur trois points.
    Le premier est celui de l'accès au droit, avec les maisons de justice qui ont été créées il y a quelques années et recouvrent les situations les plus diverses. Je crois savoir que vous êtes en train d'y réfléchir et je souhaite que leurs missions soient recadrées, non seulement pour garantir leur homogénéité, c'est-à-dire leur efficacité, mais également permettre leur diffusion à travers le territoire. Ma commune est candidate. C'est un bon exemple, puisqu'elle se situe à quelques centaines de mètres du palais de justice de Bobigny dont 62 000 habitants se trouvent exclus alors qu'ils n'habitent qu'à un quart d'heure de là, tout simplement parce que le palais de justice n'est pas fait pour les informer. Les maisons de justice doivent avoir trois ou quatre missions essentielles. Elles doivent être capables d'informer sur l'accès au droit, chose qui ne peut pas se faire dans les commissariats. Les Français ne font pas appel à un avocat pour cela, ils n'en ont d'ailleurs parfois pas les moyens. Les maisons de justice doivent aussi assurer la médiation pénale. Bien évidemment, la criminalité pose un problème majeur, mais le sentiment d'insécurité est souvent davantage lié à une impression d'abandon, résultant de l'incapacité de trouver la médiation préalable à tout conflit. Dans ce cas, la loi du plus fort s'applique. Enfin, les maisons de justice doivent assurer l'information sur les suites données - j'y reviendrai dans un instant - et l'aide aux victimes, qui ne peut pas être prise en charge par une autre institution, les tribunaux et les commissariats étant eux-mêmes surchargés. Cette accessibilité, monsieur le garde des sceaux, est la condition de la crédibilité de la justice. Plus cette institution semble lointaine et inaccessible, moins elle est crédible.
    J'en viens à l'information. Il est décidément impossible, malgré les différentes instructions, d'obtenir une information décente sur la procédure en cours. Si la justice était un service public à la hauteur des attentes, elle répondrait à trois questions. Quand mon affaire sera-t-elle traitée ? Si mon affaire a été traitée - c'est le cas d'une sur trois - quelle condamnation a été infligée ?
    Quand prendra fin cette condamnation ? Aujourd'hui, malgré les différentes instructions qui ont été données, même par les gouvernements précédents, ces questions restent sans réponse. Il est invraisemblable que l'on puisse recevoir chez soi des PV dès le lendemain de l'infraction et que l'on soit incapable de dire à quelqu'un quelle sera la suite de son affaire ! Une informatisation en la matière serait d'une grande utilité.
    Enfin, monsieur le garde des sceaux, des incidents se déroulent dans les tribunaux. Le palais de justice de Bobigny en connaît régulièrement, pas seulement en raison d'un manque de moyens et de présence policière, mais parce que la violence de la société s'est transportée dans les tribunaux. Il est difficile d'obtenir des témoignages. Ceux-ci se font toujours sous le sceau du secret, en tout cas dans l'anonymat, parce que les magistrats confrontés à cette situation sont désemparés et ont parfois le sentiment que c'est de leur faute, ce qui n'est pas le cas. Il est essentiel, voire vital pour la société, que nous resanctuarisions nos tribunaux. Au palais de justice de Bobigny, menaces, pressions, émeutes, manifestations, injures se multiplient, et cela depuis des années. Des juges m'ont dit rendre la justice en ayant peur des gens qu'ils avaient en face d'eux. Des procureurs n'osent pas requérir exactement comme ils le feraient s'ils étaient assurés d'un ordre bien établi.
    Certes, nous avons besoin de moyens de police, et notamment - je l'ai dit au ministre de l'intérieur - de forces mobiles dans les palais de justice, mais il faut surtout que le garde des sceaux donne des instructions très claires aux magistrats pour santionner très sévèrement, par des peines spécifiques, comme cela se fait dans certains pays, ceux qui attentent à l'honneur d'un tribunal et pour n'accepter aucun dérapage - insolences, agressions ou autres.
    Imaginez ce que peut ressentir une victime en entrant dans le tribunal, où l'on doit craindre la force de la justice, si la personne dont elle a déjà eu peur dans la rue fait aussi peur à ceux qui sont chargés de la défendre ! Vous comprendrez alors pourquoi la société française est si désespérée et a tant le sentiment d'être abandonnée par l'Etat. Le Gouvernement prévoit des moyens de plus en plus importants, que nous voterons, pour mettre un terme à cette situation. Nous vous demandons, monsieur le ministre, de faire en sorte que les tribunaux français redeviennent des sanctuaires, et par la loi et par les instructions qui s'imposent. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Emile Blessig.
    M. Emile Blessig. Monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, de tous les départements ministériels, la justice est celui où le décalage est le plus grand entre la discussion sur les principes qui donnent son sens à l'organisation de notre société et celle sur les modalités d'organisation du service public de la justice. Il est relativement facile de se réunir sur un principe ; la vraie difficulté, c'est la mise en oeuvre de ce principe.
    Je me félicite, monsieur le garde des sceaux, que vous ayez pu obtenir les moyens nécessaires pour mettre en oeuvre, année par année, les dispositions prévues par la loi d'orientation. De ce point de vue, je me réjouis tout particulièrement de l'augmentation de 7,75 % des crédits de l'administration pénitentiaire. Cette augmentation est, certes, justifiée pour des raisons quantitatives, mais pas uniquement. Elle illustre l'importance de la réinsertion des détenus et la nécessité de reconstruire le lien entre l'intérieur et l'extérieur. Les modalités de sortie, la préparation du retour à la vie civile ont un effet positif sur la réinsertion. M. Warsmann, dans son rapport, a insisté sur la surveillance électronique. M. Eladari préconise des centres de détention allégés. Mme Pecresse, dans son rapport, a noté que les dispositifs progressifs de préparation à la sortie sont peu utilisés. Il y a donc là matière à travailler et à approfondir la question.
    Je voudrais attirer votre attention sur les longues peines. La notion de longue peine n'est pas véritablement définie. Pour les détenus, elle est à la fois subjective et quantitative. La longue peine se situe entre dix et quinze ans de prison. Dans les chiffres que vous nous communiquez, monsieur le garde des sceaux, ces longues peines n'apparaissent pas précisément. Au 1er juillet 2003, 34,7 % des détenus purgeaient une peine supérieure à cinq ans. Ce n'est pas tout à fait une longue peine. Sachant qu'il y avait 39 038 condamnés à cette date, cette proportion représente, théoriquement et statistiquement - je souscris aux observations qui ont été faites sur les statistiques -, 13 546 détenus condamnés à une peine supérieure à cinq ans. Mais combien de ces détenus étaient condamnés à des peines de dix à quinze ans, sachant qu'en 2002 ont été libérés 289 condamnés qui avaient passé plus de dix ans en prison ? Quels sont les moyens prévus dans votre budget pour cette réinsertion des longues peines, qu'il s'agisse des 400 000 euros prévus pour financer des associations en partenariat avec l'administration pénitentiaire ou des crédits affectés au renforcement des moyens des services pénitentiaires d'insertion et de probation ? En raison de la rupture prolongée avec le monde extérieur, le détenu a beaucoup de mal à se projeter dans l'avenir et à envisager sa réinsertion dans la société. Comment retrouver sa capacité à gérer la vie quotidienne ? Comment trouver un logement et un travail, sachant que ces détenus sont âgés et n'ont le plus souvent aucun lien avec leur famille d'origine ?
    Je voudrais aussi faire état des travaux de la commission d'enquête à laquelle j'ai participé. Sans doute serait-il bon de préserver une certaine continuité, et je tiens à rappeler, à cet égard, que des petites structures d'accueil et une phase de transition avaient été prévues pour préparer progressivement à la sortie les détenus condamnés à de longues peines. Nous nous heurtons néanmoins à deux problèmes majeurs. L'un tient à la difficulté de dégager des moyens. L'autre, plus sérieux, résulte de la réticence des populations à accueillir des structures adaptées pour préparer à la sortie des longues peines.
    La promotion de l'insertion et la préparation à la sortie font également partie des missions de l'administration pénitentiaire,...
    M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. Très juste !
    M. Emile Blessig. ... qui ne doit pas être enfermée - c'est le cas de le dire ! - dans une vision réductrice de sa mission. Un travail important vient d'être mené sur la réinsertion des détenus et sur les fins de peine mais n'oublions pas les longues peines. Il y va non seulement de la sécurité publique, mais aussi du bien-être collectif. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

    M. le président. La parole est à M. Jacques Floch.
    M. Jacques Floch. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la discussion du budget de la justice est très souvent un débat de chiffres. De quel pourcentage le budget a-t-il augmenté ? Combien de postes ont été créés ? Combien de places dans les prisons ? De quel montant seront les primes accordées aux magistrats et aux personnels du ministère de la justice ? Mais un budget n'est que l'outil d'une politique. C'est ainsi que le concevait le gouvernement précédent. Il suffit pour le constater, monsieur le rapporteur pour avis, de savoir lire quelques chiffres et quelques documents.
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis. Je sais lire !
    M. Jacques Floch. J'espère bien ! Mais, ayant été à votre place pendant près de huit ans, je suis de plus en plus persuadé que ce petit jeu n'intéresse que peu, ou pas du tout, nos concitoyens. Ce qui les intéresse, c'est le rôle que joue la justice dans le fonctionnement de la République et son impact sur leur vie quotidienne.
    Vous avez eu raison, monsieur le rapporteur spécial, d'insister sur la nécessité d'améliorer le rendement de la justice, de raccourcir le délai nécessaire pour obtenir une décision, surtout en matière civile et familiale. M. Mariani a eu raison de saluer l'arrivée de nouveaux magistrats au tribunal de Carpentras. La décision avait été prise en 2000. Ils ont suivi une formation à l'issue de laquelle ils ont été nommés. M. le garde des sceaux pourra sans doute confirmer que, entre la décision de la création d'emplois et la nomination des magistrats, il s'écoule au moins trois ans. Ce délai est de deux années pour un greffier et de dix-huit mois pour un gardien de prison. Les postes que vous allez décider de créer aujourd'hui ne seront donc en place que dans dix-huit mois, deux ans ou trois ans.
    Monsieur le garde des sceaux, ce n'est pas seulement aux augmentations d'effectifs que l'on peut juger une politique, c'est aussi sur l'impression générale qu'elle donne. La politique du Gouvernement se caractérise par un mot clé : la sécurité. Ce droit à la sécurité que vous aviez posé en 1995 comme un nouveau droit fondamental, le Conseil constitutionnel ne l'a jamais reconnu en tant que tel, même si, en 2001, la loi a précisé que l'une des conditions de l'exercice des libertés et de la réduction des inégalités passe par la sécurité. Je discute le bien-fondé d'une telle définition. Il y a trop de confusion entre l'indispensable sûreté et la sécurité. Ce dernier mot est souvent abusivement porteur d'une politique nécessairement répressive, avant d'être préventive ou corrective.
    Monsieur le garde des sceaux, vous allez tenter de nouvelles expériences. Sur quelles bases ? Avec quel contrôle ? Quand ferons-nous le bilan ? Je suppose que la commission des lois sera associée à ces expérimentations, ne serait-ce que pour vérifier que le coût annoncé n'est pas dépassé. A Lyon, par exemple, ce sont plus de 78 millions d'euros qui sont prévus, dont 21 millions pour les moyens de fonctionnement, et une partie par transferts internes : on donnera moins à certains et plus à d'autres. L'expérimentation à la PJJ en Languedoc-Roussillon bénéficiera, elle, de 180 postes supplémentaires. Vous voyez ce qui restera pour les autres !
    Le budget de la pénitentiaire enregistre une hausse de plus de 7 %. Je m'en félicite, mais l'augmentation du nombre de détenus est supérieure à 20 %. Certes, ces deux chiffres ne sont pas à rapprocher intégralement, mais ils sont symboliques. Ce sont deux chiffres bruts qui posent de vraies questions. L'administration pénitentiaire peut-elle répondre à vos souhaits, madame la rapporteure pour avis ? J'ai apprécié la manière dont vous avez présenté les choses. L'administration pénitentiaire peut-elle être autre chose que le dépotoir de la République ? Peut-elle corriger l'abus d'emprisonnement que commande la politique du Gouvernement ?
    M. le ministre de l'intérieur exige des résultats des services de police et de gendarmerie, à tel point qu'un directeur départemental de la police a pu demander à ses subordonnés un « quota » quotidien de gardes à vue !
    M. André Vallini. C'est scandaleux !
    M. Jacques Floch. J'espère, monsieur le garde des sceaux, que vous n'utilisez pas cette méthode pour exiger un minimum d'incarcérations.
    De même, votre politique à l'égard des jeunes délinquants pose un vrai problème, car elle consiste à oublier les 95 % de jeunes sous main de justice, ou à faire peu pour eux, pour se recentrer sur les 5 % de délinquants, certes les plus difficiles. Il faut revoir cette conception, sinon ce sera l'échec. Là aussi, l'expérimentation en Languedoc-Roussillon devra être suivie de très près par l'Assemblée nationale, pour que ce secteur important de votre ministère soit prioritaire, comme vous l'avez annoncé. Je suis loin d'être contre les expérimentations. Elles sont nécessaires. Mais deux questions se posent. Est-il bien utile, à moins d'être « nul » - et je ne ferai cette injure ni à la cour d'appel de Lyon, ni à la direction régionale de la PJJ de Languedoc-Roussillon, ni surtout à vous, monsieur le garde des sceaux, dont on connaît le talent - de prétendre que l'on fera plus et mieux dès lors que l'on dispose de plus de moyens, de plus d'effectifs et de plus de crédits ? Ne croyez-vous pas enfoncer une porte ouverte en disant cela ? J'espère bien que l'on fera mieux ! Autre question - mais n'y voyez pas malice : pourquoi Lyon ? (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Mansour Kamardine.
    M. Mansour Kamardine. Monsieur le garde des sceaux, le budget est l'acte majeur par excellence pour traduire l'action que l'on veut imprimer à une politique. A cet égard, le projet que vous nous proposez nous paraît plus que satisfaisant car, au-delà de sa hausse sensible malgré la situation budgétaire actuelle du pays et son adéquation à la loi d'orientation et de programmation pour la justice, il propose des solutions concrètes aux problèmes laissés en jachère depuis plusieurs années.
    Des moyens sont ainsi dégagés pour la construction des prisons et la restauration des palais de justice, dont certains étaient dans un état de dégradation avancée. Avec ce projet de budget, la justice redevient une priorité nationale. Ce faisant, vous restaurez dans ses lettres de noblesse la démocratie dont la justice est l'épine dorsale.
    Outre ce programme important d'investissement, la justice, c'est d'abord les hommes et les femmes qui l'animent dans nos villes pour consolider la paix civile et veiller à ce que nos concitoyens ne règlent plus leurs litiges dans la barbarie de la loi du talion. Et là encore, votre budget améliore sensiblement la situation des personnels par l'augmentation du nombre des magistrats et des personnels d'exécution, mais aussi par la revalorisation des primes et autres indemnités, pour les aligner sur ce qui existe chez les magistrats des juridictions administratives.
    Par ailleurs, chacun sait que, depuis de longues années, la justice n'est plus rendue dans des délais raisonnables. Malgré nos engagements européens, les instructions sont longues et, le jugement, une fois rendu, attend, en effet, plusieurs mois avant d'être signé et communiqué aux parties. Quant aux victimes, elles ne sont pas suffisamment reconnues dans leur statut de victimes. Mais à toutes ces questions, vous proposez des réponses.
    J'en retiendrai deux : l'évolution au mérite et le juge de proximité voulu par le législateur. Sur ce dernier point, vous accepterez que je dise, n'étant pas directement soumis à la pression de la politique nationale, mon exaspération devant la résistance que manifeste certaines corporations à cette nouvelle institution, au mépris du sacro-saint principe de séparation des pouvoirs sur lequel ils n'ont, fort justement, jamais transigé. Mais il est inacceptable de revendiquer son indépendance tout en cherchant à s'opposer à la volonté du législateur. Le législateur fait la loi, le juge la fait respecter, en commençant par se l'appliquer à lui-même.
    M. André Berthol. Très bien !
    M. Mansour Kamardine. En effet, un juge n'est juge qu'en respectant lui-même la règle qu'il a la charge de faire respecter.
    M. Georges Fenech et M. André Berthol. Très bien !
    M. Mansour Kamardine. Mais il est fini le temps où le juge était un citoyen exemplaire, au-dessus de toute critique... Bref, monsieur le garde des sceaux, la représentation nationale est en droit d'attendre de vous que tout soit mis en oeuvre pour que les juges de proximité retrouvent toute leur place, mais rien que leur place, au sein de l'institution judiciaire.
    Pour terminer, je voudrais que nous nous transportions à 10 000 kilomètres d'ici, à Mayotte où la justice attend d'être modernisée.
    Monsieur le secrétaire d'Etat, vous qui vous êtes rendu à Mayotte, avez certainement fait un compte rendu fidèle de la situation à M. le garde des sceaux. Cette île, que vous connaissez bien pour y avoir séjourné à plusieurs reprises, connaît depuis quelques années des mutations importantes dans toutes les branches du droit. Grâce aux différents programmes de mise à niveau juridique dans les domaines foncier, sociale, de l'état civil, et compte tenu de la réforme du statut civil local, c'est toute l'ossature de l'institution qu'il convient de redimensionner.
    Treize magistrats, tant en première instance qu'en appel, rythment la vie judiciaire locale, pour une population de 160 000 habitants. La collégialité professionnelle n'existe pas. Ici la justice est rendue, avec les moyens du bord et avec le concours des quelques assesseurs non professionnels, dont la disponibilité doit être soulignée. Or les Mahorais ne supportent plus cela. A l'instar des autres citoyens de la nation, ils peuvent être condamnés à de lourdes peines et souhaitent donc être jugés dans les mêmes conditions et garanties d'impartialité que requiert la collégialité. Ils attendent la réforme de la procédure civile et des voies d'exécution. Bref, ils aspirent eux aussi à une justice de proximité, moderne et dynamique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

    (Mme Hélène Mignon remplace M. François Baroin au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme HÉLÈNE MIGNON,
vice-présidente

    M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Mesdames, messieurs, je voudrais tout d'abord remercier les rapporteurs de ce budget ainsi que les différents orateurs avant de répondre aux questions qui ont été soulevées.
    Comme cela a été souligné, en particulier par M. Albertini, j'ai en effet la chance d'inscrire mon action et mes propositions budgétaires dans un calendrier sur lequel nous avons travaillé ensemble : la loi d'orientation et de programmation pour la justice. Cette loi, venue après d'autres et qui avait suscité quelque scepticisme, s'avère aujourd'hui en effet un outil extrêmement utile et, je le crois, efficace, dans la mesure où, comme cela a été rappelé, y compris par M. Vallini, notre action doit s'inscrire dans la continuité. Et celle-ci, je le reconnais volontiers, doit dépasser le cadre d'une législature, tant les besoins de notre justice sont grands. Ce n'est pas en une législature que l'on règlera tous les problèmes, c'est une évidence.
    M. André Vallini. Très bien !
    M. le garde des sceaux. Des efforts avaient été engagés avant que je prenne la responsabilité de ce ministère et il faudra que ces actions soient poursuivies au-delà de 2007 pour que notre pays puisse enfin devenir exemplaire en matière de justice, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
    M. André Vallini. Ecoutez, monsieur Garraud !
    M. le garde des sceaux. Dans ses masses, ce projet de budget pour 2004 est donc rigoureusement conforme à la loi d'orientation et de programmation que vous avez votée, qu'il s'agisse des emplois, des crédits de fonctionnement ou des crédits d'investissement. Certes, monsieur Albertini, on observe pour 2004, dans l'administration pénitentiaire, une accélération du rythme des créations d'emplois rendue nécessaire par la situation présente, sur laquelle je reviendrai, et, au contraire, un ralentissement pour ce qui concerne les magistrats. Je pense toutefois que les années 2005, 2006 et 2007 nous permettront d'apporter les corrections nécessaires pour respecter en tous points la loi d'orientation.
    Autre élément important dont plusieurs orateurs se sont fait l'écho : il faut bien entendu, comme le souhaite M. Vaxès, que le ministère soit en mesure d'absorber et d'utiliser efficacement les moyens qui lui sont donnés par le Parlement. A cet égard, le ministère de la justice ne doit pas rester à l'écart de l'effort de réforme de l'Etat engagé en particulier à l'initiative du Premier ministre. Je viens d'arrêter, à la demande de ce dernier, une stratégie de réforme portant sur l'ensemble des composantes du ministère, que j'ai formalisée dans un texte d'une cinquantaine de pages qui est bien sûr à votre disposition.
    Cette stratégie repose sur une trentaine de réformes juxtaposées, accompagnées d'un calendrier précis et dont certaines seront mises en oeuvre dès 2004, comme l'externalisation de l'aspect technique du bracelet électronique, la réforme du financement des associations présentencielles, la modulation des primes au mérite - j'y reviendrai peut-être tout à l'heure, encore que je crois que les choses soient maintenant bien comprises -, le recours à la maîtrise d'ouvrage privée pour les constructions d'établissements pénitentiaires.
    Tous ces éléments ont pour objectif commun, monsieur Vaxès, de donner à l'administration de la justice la possibilité d'absorber efficacement les moyens qui lui sont donnés. Il est vrai que l'on ne passe pas si facilement d'un certain rythme de dépenses à un autre. Une augmentation de l'ordre de 25 à 30 % sur cinq ans et des recrutements très importants nécessitent effectivement un changement de rythme et une meilleure organisation, mais aussi un renforcement des équipes administratives, en particulier à l'administration centrale. Cet effort est bien sûr inclus dans les créations de postes que vous approuverez, je l'espère, à l'occasion de ce budget.
    S'agissant de l'amélioration des relations entre l'institution judiciaire et nos concitoyens, l'accessibilité de la justice constitue un élément extrêmement important. A cet égard, le guichet unique de greffe va dans le sens de la simplification de la vie des usagers. C'est la raison pour laquelle, après un certain nombre d'expériences, je compte généraliser ce dispositif. Le nombre de sites équipés de guichets uniques de greffe passeront à une quarantaine dès 2004.
    De même et comme cela a été souhaité par M. Mariani, il nous faut développer les visiogreffes, qui permettront à tous nos concitoyens de s'informer sur leur dossier depuis le greffe du tribunal d'instance de leur domicile, sans avoir à se déplacer au tribunal de grande instance.
    J'en viens à l'évaluation, évoquée notamment par Mme Pecresse et M. Albertini. Elle est en effet indispensable. Mais comment introduire cette culture de l'évaluation dans notre système judiciaire au sens large ? Il convient tout d'abord de disposer, dans des délais raisonnables, d'éléments statistiques incontestables. Jusqu'à présent, il fallait quasiment attendre un an après la fin de l'exercice, ce qui n'était guère utile. Cela permettait simplement de connaître, a posteriori, l'évolution dans le moyen et le long terme. Or les statistiques doivent devenir un instrument de l'action. En matière civile, j'aurai en janvier 2004 les statistiques de 2003. Quel effort extraordinaire ! Il faut savoir garder le sourire, même lorsque la tâche est difficile ! Il importe à présent que nous arrivions au même résultat en matière pénale car seule la rapidité de constatation me donnera la possibilité, en concertation avec les responsables des grandes directions du ministère, d'affecter le plus justement les moyens en fonction des difficultés de fonctionnement.
    C'est également grâce à l'observation statistique que nous pourrons éventuellement attirer l'attention de tel ou tel responsable de cour de juridiction, d'établissement pénitentiaire ou d'établissement de la protection judiciaire de la jeunesse sur des dysfonctionnements nécessitant une correction. De même, il est impératif que nous disposions de statistiques précises et rapides sur les délais de traitement en matière civile ou pénale. Sans ces données, nos discours risquent de rester théoriques.
    C'est à partir de ces éléments d'observation statistique et des moyens qui nous sont donnés par la loi d'orientation que nous définirons les contrats d'objectifs et de moyens. Ces dispositifs nous permettront d'orienter les crédits et les effectifs supplémentaires donnés à l'institution judiciaire vers une plus grande efficacité. Il n'y aurait en effet rien de pire pour la crédibilité de l'institution judiciaire et celle de l'action politique que d'observer, après quelques années, que les moyens supplémentaires dont a bénéficié la justice ont été comme l'eau dans le sable et qu'ils se sont dilués sans que l'on s'en aperçoive, générant certes un certain confort au regard de la situation antérieure, mais sans résultat tangible ni perceptible par nos concitoyens. C'est la raison pour laquelle les contrats d'objectifs et de moyens constituent, selon moi, un outil indispensable pour accompagner la mise en place de la loi d'orientation et de programmation.
    Je souhaite également poursuivre l'informatisation de la justice. M. Vallini a déploré que tous les magistrats ne disposent pas aujourd'hui de l'accès à l'ensemble des réseaux informatiques. Il nous faut progresser, en effet. Le budget pour 2004 nous permettra d'avancer, notamment en matière de logiciels traitant des procédures pénales.
    Je ne reviendrai pas sur les créations d'emplois, les rapporteurs ayant fort bien traité la question. Je soulignerai simplement la cohérence de ces créations d'emplois dans les différentes catégories : magistrats, greffiers, fonctionnaires ou surveillants des établissements pénitentiaires. S'agissant de la première, je confirme ce que j'ai dit devant la commission des lois, à savoir que le nombre de nouveaux magistrats sera de l'ordre de 300 en 2004. Nous observerons alors sans aucun doute un confort plus grand qu'à l'heure actuelle dans le fonctionnement des juridictions.
    Dans le cadre de cet effort, je voudrais souligner la nécessité de mettre en place des juridictions interrégionales qui résulteront sans doute du vote du texte sur la criminalité organisée dont nous redébattrons ici même prochainement. Elles mobiliseront une centaine de postes de magistrats qui reprendront, dans une organisation différente, les dossiers déjà traités aujourd'hui et un peu plus d'une centaine de postes de fonctionnaire.
    S'agissant de la situation des établissements pénitentiaire des établissements dont on a beaucoup parlé ce matin, je tiens à répondre aux différents orateurs et en particulier, aux rapporteurs, M. Albertini, Mme Pecresse et M. Garraud. Tout d'abord, nous faisons un effort considérable en matière de construction de prisons. Peut-être qu'à l'occasion des questions, M. Bédier aura la possibilité d'apporter des précisions sur ce point. Nous sommes aujourd'hui à 48 000 places théoriques pour un peu moins de 60 000 détenus.
    A propos de ce chiffre de 60 000 détenus, je crois, mesdames, messieurs les députés, qu'il ne faut pas se faire d'illusions. D'après les comparaisons effectuées avec des pays démocratiques et de niveau de développement équivalent au nôtre, nous ne devrions pas, en effet, redescendre durablement très en dessous de ce seuil. Aujourd'hui, le taux de détenus par habitant en France est légèrement supérieur à celui de l'Allemagne et légèrement inférieur à celui de la Grande-Bretagne. Je ne crois donc pas que l'on puisse espérer revenir aux 50 000 ou 52 000 détenus que nous avons connus dans un passé récent.
    Quand on analyse les raisons pour lesquelles les personnes sont détenues, soit de manière préventive, soit après condamnation, on s'aperçoit en effet que ce sont pour des délits commis avec violences, et violences graves, ou des crimes. Contrairement à ce qui a pu être écrit ici ou là, cette augmentation de l'incarcération n'est pas due à la progression de la petite délinquance, ou alors je ne sais pas ce qu'il faut entendre par petite délinquance. Je ne pressens donc pas une diminution substantielle du nombre des détenus. Mieux voir les choses en face et ne pas se raconter d'histoires !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Tout à fait !
    M. le garde des sceaux. Dès lors, il est indispensable de mener à terme le programme de construction de prisons que nous avons arrêté. Cela nous permettra d'arriver à un peu moins de 60 000 places théoriques.
    Dans le même temps - j'y tiens beaucoup et je veux le réaffirmer à la suite des questions qui m'ont été posées en particuliers par les rapporteurs -, je souhaite atteindre, avec l'aide de Pierre Bédier, deux objectifs qui me paraissent très importants et qui sont dans la continuité des missions parlementaires auxquelles certains d'entre vous ont participé.
    Je tiens tout d'abord à séparer enfin les adultes des mineurs incarcérés.
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis. Très bien !
    M. le garde des sceaux. C'est très bien de faire des discours sur la prison mais c'est encore mieux de prendre des mesures concrètes. Or, comme cela se fait d'ores et déjà dans d'autres pays européens, notamment en Grande-Bretagne et en Belgique - Pierre Bédier a pu voir également des réalisations remarquables au Canada -, la prison pour mineurs doit être construite autour de la salle de classe et du terrain de sport. Nous nous devons de le faire pour qu'au moins l'incarcération, qui est un constat d'échec, soit aussi une chance de redémarrage pour ces êtres encore en évolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est la raison pour laquelle je souhaite très profondément qu'à la suite de l'action que j'aurai pu mener à la tête de ce ministère, les mineurs et les adultes incarcérés soient enfin séparés dans notre pays.
    La deuxième action que nous devons mener, et sur laquelle de nombreux parlementaires, dont certains sont présents, travaillent, est de faire en sorte qu'il n'y ait plus de « sortie sèche » de prison. Pardonnez-moi cette expression un peu bizarre, mais elle est significative. En effet je ne veux plus, monsieur Blessig, que des femmes ou des hommes qui ont passé plusieurs années en prison se retrouvent tout à coup seuls sur le trottoir avec leur sac, alors qu'ils sont dans un état de fragilité extrême et incapables d'assurer eux-mêmes leurs réinsertion. Nous devons imaginer une phase intermédiaire entre la prison que j'appellerai classique et la sortie. Elle pourrait avoir lieu tant sous écrou qu'à l'extérieur des prisons. Dans ce dernier cas il faudrait mettre en place, comme vous l'avez souhaité, monsieur Blessig, en collaboration avec le tissu associatif, en particulier la Croix-Rouge, des centres d'hébergement pour les anciens prisonniers ayant purgé de très longues peines afin de les aider à se réinsérer. Chacun sait bien que le problème n'est pas financier et que nous aurons les moyens d'accompagner ce travail associatif. Il conviendra surtout de faire disparaître les blocages psychologiques, les préventions, qui ont rendu inapplicables sur le terrain des projets sur lesquels vous avez travaillé personnellement. Je suis cependant convaincu que nous réussirons.
    En ce qui concerne la présence en prison de détenus âgés, j'ai souhaité, à la suite d'un débat devenu public il y a quelques mois, en raison de la triste célébrité d'un détenu, que la loi Kouchner soit appliquée plus largement. J'ai donc demandé à l'administration pénitentiaire de prendre l'initiative de déclencher le processus de libération pour des raisons médicales. En effet, nombre de détenus âgés ne sont plus défendus par personne, n'ont plus de relations avec quelque famille que ce soit, n'ont plus d'avocat, et personne ne se préoccupe de leur situation. Depuis le printemps dernier, l'administration pénitentiaire a donc pris l'initiative de provoquer un examen médical pour plusieurs dizaines de cas, qui ont ainsi obtenu leur libération sur décision de justice. Peut-être est-ce l'une des raisons pour lesquelles nous n'avons pas vécu, l'été dernier, au moment de la canicule, un drame sanitaire comparable à celui qui s'est produit dans d'autres institutions de vie collective.
    Pour ce qui est des services judiciaires, j'indique en particulier à M. Garraud, qui a évoqué cette question, combien il est important que la mise en place des effectifs de magistrats et de fonctionnaires soit en cohérence avec l'arrivée des crédits de fonctionnement. A ce propos je dois souligner que nous devons tous être solidaires dans la gestion budgétaire de l'Etat. Même si je suis un ministre relativement favorisé dans les arbitrages budgétaires, je n'ai pas à m'exonérer des nécessités de la régulation budgétaire.
    Nous devons tous faire preuve de responsabilité. Ce serait une grande nouveauté si un gouvernement de la France n'était pas obligé, au cours d'une année budgétaire, de prendre des décisions de régulation. Cette pratique s'impose à tous les gouvernements parce qu'elle répond aux exigences de la gestion financière. Il est donc évident que chacun doit apporter sa contribution, même si cela a des conséquences désagréables. A cet égard, je rappelle qu'aucune annulation n'a été opérée dans le budget de la justice en 2003. Certes, des gels sont intervenus, et même s'il subsiste des interrogations sur une petite partie d'entre eux, les agents du ministère de la justice, en particulier les magistrats, sont suffisamment responsables pour savoir que chacun doit apporter sa pierre à la gestion de l'Etat et accepter les régulations budgétaires.
    Par ailleurs, je tiens à indiquer, en particulier à Mme Pecresse, combien la protection judiciaire de la jeunesse est prioritaire à mes yeux. Au-delà des nécessités de réforme administrative auxquelles la Cour des comptes nous a appelés - et j'ai déjà procédé, depuis 2002, à certaines modifications tant de l'organisation de l'administration centrale que, comme l'a souhaité M. Albertini, des services extérieurs de la PJJ -, il nous faut aller plus loin. Nous devons en effet améliorer l'ensemble de notre système de justice des mineurs. Or cela ne sera possible que si nous progressons dans l'évaluation de l'action de la PJJ, et si nous améliorons la formation des éducateurs et de l'ensemble des personnels de la PJJ.
    En ce domaine il convient également de clarifier les relations avec les conseils généraux qui s'occupent de l'enfance en difficulté. C'est pourquoi, dans le cadre de la loi sur la décentralisation, le Parlement sera amené à approuver un élément d'expérimentation en matière d'action civile. Il sera intéressant d'en profiter pour étudier d'éventuelles modifications des frontières de compétences entre l'Etat et les collectivités locales, pour une partie tout à fait limitée, mais intéressante, de l'action de la PJJ.
    Les conventions que je serai amené à signer avec les départements qui seront candidats à cette expérimentation seront discutées avec les représentants des personnels de la PJJ, car il en ont manifesté le désir. Je suis d'ailleurs tout à fait favorable à ce qu'il en soit ainsi. Ces conventions prévoiront également une évaluation annuelle de l'expérimentation dans un délai maximum de cinq ans, afin qu'elle serve à quelque chose. Une expérimentation est en effet inutile si elle n'est pas suivie d'évaluations régulières.
    Sur l'administration pénitentiaire, bien des remarques ont été formulées. Je vous ai déjà indiqué quels étaient mes choix stratégiques à propos des mineurs et des fins de peine, mais je veux insister sur la nécessité, dont nous reparlerons sans doute en examinant le texte sur la criminalité organisée, d'améliorer le processus de décision d'aménagement de peine. En effet il n'est pas normal que, bien que l'administation ait, à ma demande, consenti l'effort de mettre en place 500 dispositifs électroniques pouvant être utilisés à la suite d'une décision de justice, moins de 200 soient utilisés aujourd'hui. Malheureusement, j'ai le sentiment que ce chiffre diminue de mois en mois.
    Il n'est pas davantage normal que le recours au travail d'intérêt général diminue depuis cinq ans. Il ne sert à rien d'en parler si cette possibilité n'est pas utilisée.
    M. Jacques Floch. Absolument !
    M. le garde des sceaux. Cette situation n'est évidemment pas due à je ne sais quelle mauvaise volonté de la part de qui que ce soit. Au contraire, tous, dans cette affaire, aussi bien les services d'insertion que les juges de l'application des peines, manifestent beaucoup de bonne volonté, mais notre procédure est tellement complexe qu'elle nécessite des délais trop longs et débouche sur l'absence de décision. En conséquence, nous maintenons en prison des gens qui pourraient utilement se préparer à la liberté,...
    M. André Gerin. Eh oui !
    M. le garde des sceaux. ... par exemple dans des centres de semi-liberté dont mes derniers déplacements en province m'ont montré que certains, bien que neufs et modernes, étaient vides. C'est un scandale qu'il n'est pas possible d'accepter et que je n'accepte pas.
    M. Jean-Christophe Lagarde. Très bien !
    M. le garde des sceaux. A cet égard, je pense donc que vous aurez à coeur d'approuver les réformes sur lesquelles nous travaillons, en particulier avec Jean-Luc Warsmann, et dont nous pourrons discuter dès la semaine prochaine, car elles tendent à simplifier les choses.
    A propos des juges de proximité, je n'ai pu m'empêcher de sourire quand j'ai entendu M. Vallini prétendre que c'était un échec. En effet, les premiers d'entre eux n'ont été mis en place dans les juridictions qu'il y a quinze jours ou trois semaines ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis. Et voilà !
    M. le garde des sceaux. Fichtre ! Quelle capacité d'évaluation ! Soyons sérieux. Certes, nous adapterons, si c'est nécessaire, cette réforme souhaitée par les Français, en particulier en ce qui concerne les compétences de cette nouvelle juridiction, qui semble un peu faible au civil,...
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis. Oui !
    M. le garde des sceaux. ... alors qu'elle est satisfaisante au pénal. Ces juges de proximité pourront en particulier traiter la délinquance routière, qui est importante, soulageant d'autant les juges d'instance.
    Leur installation devra être progressive et accompagnée de nominations suffisantes en termes de fonctionnaires. En tout cas, je suis convaincu que cette réforme améliorera le fonctionnement de la justice. A cet égard, l'articulation entre justice d'instance et justice de proximité sera l'une des clés de la réussite et il ne faut surtout pas éluder cette question. En confiant au juge d'instance la coordination administrative, nous avons accompli un pas important. S'il faut encore améliorer la répartition et les conditions d'attribution des dossiers entre les deux juridictions, nous le ferons dans un souci d'efficacité.
    M. Garraud a également évoqué la question de la revalorisation des emplois de catégorie C. Je suis, comme lui, très sensible au rôle que ces agents jouent dans les juridictions, où ils font beaucoup plus que ce pour quoi ils ont été recrutés et ce pour quoi ils sont payés.
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis. Absolument !
    M. le garde des sceaux. C'est pourquoi sont prévues en 2004 des mesures indemnitaires, des créations et des transformations d'emplois pour favoriser la promotion interne, en particulier le maintien et le développement de l'accès au corps des greffiers. Cela me paraît extrêmement important.
    J'indique par ailleurs à M. Vallini, encore avec un certain sourire, que la nomination du juge parti à Chartres a été proposée par Mme Lebranchu. Je n'y suis donc pour rien !
    M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis. Eh oui ! Il faut vérifier ses sources !
    M. Jacques Floch. Et les autres ?
    M. le garde des sceaux. Pardonnez-moi de souligner qu'il serait préférable de ne pas aller trop loin dans l'argumentation. Il faut toujours vérifier ses sources et les calendriers.
    S'agissant des maisons de la justice et du droit, monsieur Lagarde, je crois comme vous qu'elles constituent une bonne formule. Lorsque j'avais encore des responsabilités municipales, j'ai suscité la création d'un tel établissement. J'ai aussi souhaité, et obtenu maintenant, un rapport de l'inpection générale des services judiciaires pour dresser le bilan de leur fonctionnement afin de savoir comment, éventuellement, développer cette formule et assurer la meilleure articulation possible avec l'institution judiciaire elle-même. J'aurais donc prochainement la possibilité de vous faire part des conclusions de l'inspection générale. Mon idée est de poursuivre ces expériences, mais en instaurant un cadre suffisamment précis pour assurer l'efficacité du dispositif.
    Monsieur Lagarde, vous avez aussi mille fois raison, à propos de la sécurité des tribunaux, car il est indispensable d'assurer la sérénité de la justice. Or elle passe par la sécurité des juges. Un travail est en cours sur la sécurité passive, c'est-à-dire sur les contraintes matérielles qu'il faudra imposer pour l'assurer. Elles seront parfois difficiles à supporter pour les magistrats, pour les fonctionnaires, pour les avocats - lesquels s'irritent souvent de certaines mesures de sécurité dans les palais de justice, en particulier, semble-t-il, au tribunal de grande instance de Paris -, ainsi que pour les visiteurs. Une bonne articulation avec les forces de police est également nécessaire et nous y veillons avec mon collègue de l'intérieur.
    A M. Kamardine qui a évoqué Mayotte, je rappelle que, comme il le sait, plusieurs réformes juridiques sont actuellement en cours sur l'île. Il est vrai que leur dimension interministérielle rend parfois la démarche un peu lourde et relativement lente, mais nous sommes tout à fait déterminés à aller de l'avant pour moderniser et adapter les différents éléments de la législation applicable à Mayotte. Si, en termes de moyens, il fallait consentir un effort en faveur de cette collectivité dont la croissance démographique est très rapide, nous le ferions très volontiers après concertation avec vous.
    Telles sont, mesdames, messieurs les députés, les observations que je souhaitais formuler à la suite des différentes interventions. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Mme la présidente. Nous en arrivons aux questions.
    Pour le groupe communiste, la parole est à M. André Gerin.
    M. André Gerin. Monsieur le garde des sceaux, j'ai trouvé choquante votre réaction concernant l'observatoire des prisons. Les prisons concentrent une criminalisation de la misère. L'incarcération est une machine à produire des récidives. Nous savons tous que la prison est avant tout un aveu d'échec des politiques d'insertion et de sécurité. Il est vrai, reconnaissons-le, que, depuis trente ans - l'héritage est lourd -, chacun se renvoie la patate chaude sur cette question. Aujourd'hui, vous avez repris le flambeau sécuritaire avec une politique gouvernementale expéditive et liberticide. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Mansour Kamardine. Arrêtez ! Il faut être sérieux !
    Mme la présidente. S'il vous plaît, laisse M. Gerin s'exprimer !
    M. André Gerin. Je confirme !
    Quid de la commission Canivet ? Quid des conclusions des missions parlementaires, pourtant unanimes, et de la loi pénitentiaire, enterrée ? En dehors de ses remarques sur le taux d'occupation, l'observatoire des prisons souligne que tous les domaines de la vie carcérale sont concernés. Pourtant, quand je vous entends, monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai l'impression que, d'une certaine manière, vous reprenez les remarques de l'observatoire des prisons : lien familial sacrifié, durcissement du régime disciplinaire, taux de suicide, malades psychiatriques en nombre, emplois peu nombreux et mal rémunérés, formation avec peu d'encadrement, et, surtout, mesures en bouts de ficelle pour préparer la sortie.
    Je vous poserai trois questions simples.
    La première est de portée générale. Comptez-vous prendre des mesures d'humanité conformes aux droits de l'homme et aux conventions européennes, ce qui permettrait d'ailleurs de répondre à la nécessaire valorisation des personnels ?
    Deuxièmement, vous avez fait beaucoup d'annonces en matière de politique de construction. Je vous rappelle donc que si Vénissieux est partie prenante pour la construction d'une prison pour mineurs, ma ville n'a pas obtenu de réponse à ce jour.
    Troisièmement, j'ai proposé la création d'une commission d'enquête sur les suicides en milieu carcéral. Cette question nous paraît essentielle, étant donné que le nombre de suicides s'est accru ces dernières années. Au-delà, il s'agit de faire reculer l'inhumanité dans les prisons.
    Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
    M. le garde des sceaux. Monsieur Gerin, ne poussez pas trop loin le bouchon. Lorsque je suis arrivé au ministère de la justice, j'ai pris les prisons comme elles étaient. Mon rôle est d'agir et j'essaie de le faire le plus vite possible.
    En ce qui concerne le programme de construction, l'appel d'offres est lancé pour sept établissements pour mineurs dans le cadre du programme Bédier. L'un d'eux sera situé dans l'agglomération lyonnaise, comme je m'y étais engagé. Nous en avions en effet parlé ensemble. J'aurai l'occasion de préciser dans les toutes prochaines semaines sur quel terrain cette prison pourra être construite, étant entendu que le programme de prisons classiques, c'est-à-dire pour adultes, en prévoit également une dans l'agglomération lyonnaise, conformément au plan qui a été présenté par Pierre Bédier il y a quelques mois.
    Permettez-moi également de formuler un petit rappel relatif à l'observatoire des prisons. Il s'agit d'une association loi de 1901 qui s'est auto-intitulée « observatoire ». Néanmoins, cela n'implique pas, en termes de méthodologie, qu'elle a une façon de travailler officielle et reconnue par qui que ce soit. Je tiens d'ailleurs ces propos devant les membres d'une opposition qui, lorsqu'elle a été majorité, a parfois été interpellée par ladite association.
    M. Jacques Floch. Elle reçoit tout de même des subventions de l'Etat !
    M. le garde des sceaux. L'essentiel est de savoir si l'on progresse ou pas. Or j'estime que, avec les constructions, les établissements pour mineurs, les recrutements de surveillants, les travaux d'amélioration dans les établissements, le développement des peines alternatives, nous répondons au constat qui a été dressé par les commissions parlementaires, et c'est cela qui me paraît le plus important.
    Sachez que ma détermination est totale sur ce sujet, et je tiens, à cette occasion, après plusieurs orateurs ce matin, à saluer la manière dont l'administration pénitentiaire gère une situation difficile. Cela est très significatif. Nous pouvons tous remercier ces personnes, comme je l'ai fait par lettre auprès de chacun d'eux à la fin de l'été car, durant cette période extrêmement difficile, et dans des conditions très délicates, l'administration pénitentiaire a été capable d'assurer la sécurité des établissements et un mode de vie convenable aux détenus.
    Enfin, je ne peux pas laisser dire que le nombre de suicides augmente.
    M. Jacques Floch. Si : c'est vrai !
    M. le garde des sceaux. Depuis trois ou quatre ans, il est stable et il n'a pas augmenté en 2003 par rapport à l'année dernière. Cependant, ce n'est pas une raison pour ne rien faire face à la centaine de suicides auxquels nous sommes confrontés chaque année.
    M. André Vallini et M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. Cent vingt-deux.
    M. le garde des sceaux. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé au professeur Terra, psychiatre spécialisé dans la problématique du suicide, de formuler des propositions. Son rapport est terminé et il doit le remettre officiellement à Jean-François Mattei et à moi-même dans quelques jours. Je sais déjà, pour avoir rencontré le professeur Terra au cours de l'élaboration de son rapport, qu'il va nous proposer, comme je le lui ai demandé, des dispositions très pratiques, concrètes, en particulier pour une meilleure formation des surveillants de manière qu'ils puissent anticiper le risque de suicide. S'il est très difficile, comme vous le savez, de les empêcher complètement, un certain nombre de cas pourront sans doute être évités grâce à une bonne formation et à des systèmes d'alerte. Tel est le sens du rapport qui va nous être remis et qui devrait nous permettre d'améliorer substantiellement la situation.
    Tels sont, monsieur Gerin, les éléments de réponse que je souhaitais vous apporter.
    Mme la présidente. La parole est à M. Michel Vaxès.
    M. Michel Vaxès. Monsieur le ministre, l'augmentation générale de votre budget recouvre de profondes disparités, notamment au détriment des missions de prévention et d'éducation dévolues à la justice.
    C'est le cas pour les moyens consacrés à la protection judiciaire de la jeunesse. Les 135 nouveaux postes d'éducateurs programmés, après les 188 crées l'année dernière, nous éloignent grandement du rythme nécessaire pour tenir votre engagement d'augmenter d'un quart le nombre des éducateurs en cinq ans.
    De plus, ces moyens riquent d'être en grande partie absorbés par les centres éducatifs fermés, sans permettre une amélioration d'ensemble de l'exécution des mesures éducatives. C'est d'autant plus regrettable que les importants moyens dévolus à l'éducatif dans ces établissements recueillent l'unanimité au sein de notre assemblée.
    Votre gouvernement et votre majorité entretiennent le mythe du laxisme et de l'impunité, qui seraient dus à l'ordonnance de 1945. C'est dangereux et faux : l'action des tribunaux pour enfants n'est ni laxiste ni inefficace. Environ 75 % des mineurs qui ont comparu devant ces tribunaux pour enfants n'ont plus fait parler d'eux par la suite, ce qui tend à prouver que l'intervention de la justice des mineurs est efficace dans la très grande majorité des cas. La prévention n'a donc pas échoué. Partout où elle est véritablement mise en oeuvre, elle donne des résultats. Si ceux-ci ne sont pas meilleurs c'est à cause du manque de moyens.
    Le nombre des condamnations et des décisions concernant les mineurs a plus que doublé, passant de 35 000 sanctions en 1990 à 75 000 en 2001, avec un flux de 4 000 mineurs incarcérés au cours de l'année, soit deux fois plus qu'en 1990. En 1999, on recensait quatre fois plus de mesures décidées par le juge pour enfants qu'en 1995. Mais, des milliers de mesures éducatives ne sont pas mises en oeuvre faute d'éducateurs.
    Le défi est donc bien de donner à la justice des mineurs les moyens de jouer son rôle de protection et de prévention.
    Ne croyez-vous pas, monsieur le ministre, qu'il faille, pour répondre à ce défi, infléchir votre budget en direction des moyens préventifs ? Il en est encore temps.
    Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
    M. le garde des sceaux. Tout d'abord, un point factuel : c'est bien un cinquième des emplois prévus pour la PJJ dans la loi d'orientation qui sont inscrits au budget de 2004. Qu'au moins on parvienne à s'entendre sur les chiffres !
    Pour le reste, très franchement, je ne comprends pas la question de M. Vaxès. Nous souhaitons bien entendu une amélioration de la PJJ et de la justice des mineurs. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, en particulier devant la commission des lois, il est indispensable que l'Etat ait à sa disposition un outil capable de faire ce travail de prévention et de protection de la jeunesse. Celui que nous avons aujourd'hui n'est pas suffisamment efficace. Il faut non seulement des moyens, mais aussi et surtout des réformes. Des moyens sans réforme ne serviraient à rien, le système imploserait.
    D'ailleurs, vous le savez, l'ensemble des acteurs souhaitent le changement. Il y a, bien sûr, des différences d'appréciation. Heureusement, d'ailleurs ! Nous sommes dans une république et une démocratie. Mais tous veulent que les choses s'améliorent. Les juges souhaitent obtenir des réponses techniques et éducatives plus rapides et mieux adaptées aux cas qu'ils ont à traiter, les éducateurs une meilleure formation et un meilleur encadrement, la plupart des conseillers généraux un vrai plan départemental, articulé avec les deux acteurs que sont l'Etat et le département. C'est plutôt une bonne chose qu'il y ait à la fois l'acteur Etat et l'acteur département, mais les responsabilités sont aujourd'hui très confuses et les situations très différentes d'un département à l'autre. Une meilleure articulation est à trouver.
    Tel est l'esprit du travail que je veux engager. Il ne nécessite pas de changement législatif, je rassure tout de suite ceux qui s'inquiéteraient de la prolifération des lois. Il n'y a pas besoin de changer le contenu de la loi. Ce que nous devons améliorer, ce sont les procédures, l'organisation et la coopération sur le terrain, afin de parvenir à un meilleur résultat, au bénéfice à la fois des victimes et des jeunes délinquants.
    Je ne sépare pas l'éducatif du répressif. Quand je vois les jeunes qui sont aujourd'hui dans les centres éducatifs fermés, et que je me renseigne sur leur histoire personnelle, je me rends compte que nous avons vis-à-vis d'eux un double rôle à jouer : nous devons, d'une part, les empêcher de récidiver et de faire de nouvelles victimes et, d'autre part, essayer de leur donner une chance, parce que certains d'entre eux ont démarré dans la vie avec de tels handicaps qu'il semble bien difficile de les voir changer de mode de vie. Tel est l'esprit dans lequel je travaille. Je n'oppose pas la sanction et l'éducation. Bien souvent, c'est la même chose. Il faut faire les deux en même temps parce que le jeune est à la fois victime et délinquant. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Mme la présidente. Nous passons au groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
    La parole est à M. Georges Fenech.
    M. Georges Fenech. Monsieur le ministre, on ne peut que se féliciter, sur l'ensemble de ces bancs, de l'effort budgétaire consenti pour améliorer la condition des mineurs détenus. C'est une préoccupation de tous ici et votre volonté de séparer - enfin - les majeurs des mineurs est tout à fait louable. Elle n'est d'ailleurs, finalement, que la stricte application de la loi, mais il importe d'en donner les moyens aux magistrats et au personnel pénitentiaire.
    Comme M. Gerin, je suis un élu du Rhône, et nous avons tous en mémoire le drame qui s'est déroulé au printemps 2002 lorsque deux mineurs de dix-sept ans ont mis le feu dans leur cellule et sont morts dans l'incendie. Aussi, indépendamment de l'avancée formidable qui consiste à séparer les majeurs et les mineurs, je souhaiterais, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous apportiez des précisions concernant l'amélioration du régime de détention des mineurs, et notamment sur les aménagements éducatifs et sportifs.
    Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice.
    M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice. Monsieur le député, le garde des sceaux a indiqué tout à l'heure que la séparation des mineurs et des majeurs était une de ses priorités absolues. Des instructions très claires m'ont donc été données pour engager le plus vite possible les travaux nécessaires.
    Ayons bien conscience du challenge que nous avons dû relever : dans l'ensemble des établissements pénitentiaires, 360 places environ étaient aux normes et permettaient d'accueillir des mineurs dans des conditions de séparation convenables d'avec les adultes. Le garde des sceaux a souhaité que, dans le cadre de la loi de programmation, l'effort prévu sur cinq ans en faveur des mineurs soit réalisé en deux ans. C'est donc la deuxième moitié de cet effort qui va se concrétiser dans le budget de 2004. De 360 places aux normes, dont nous avons en quelque sorte hérité, nous sommes passés, fin 2003, à environ 700 places et nous passerons fin 2004 à 900 places qui permettront d'offrir des conditions d'incarcération convenables aux mineurs, c'est-à-dire non seulement une séparation d'avec les adultes, mais aussi des salles de classe et des espaces sportifs.
    Mais nous sommes bien conscients, monsieur le député, que cela ne suffit pas. C'est pourquoi nous engageons aussi un programme de construction d'établissements pénitentiaires pour mineurs, qui verront le jour aux environs de 2006. Les appels d'offres ont été lancés.
    En ce qui concerne plus précisément le département du Rhône, je rappelle que nous avons transféré le quartier des mineurs de Saint-Paul à Saint-Joseph afin de le mettre aux normes - , même si, j'en conviens, ces normes sont minimales, étant donné l'état de très grande dégradation de ces deux établissements. Nous engagerons par ailleurs des travaux à Villefranche-sur-Saône pour ouvrir vingt places supplémentaires. A l'achèvement de ceux-ci, prévu pour le début de 2004, le département du Rhône disposera de quarante places pour mineurs aux normes actuelles. Il disposera également, je puis vous l'annoncer grâce aux indications très précises que m'a données le garde des sceaux, d'un établissement pénitentiaire pour les mineurs à la mi-2006. Cet établissement présentera la caractéristique d'être centré sur la salle de classe, ce qui montre bien le soin que nous voulons accorder à la réhabilitation de ces mineurs.
    Mme la présidente. La parole est à M. Michel Hunault.
    M. Michel Hunault. Monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, ma question porte, comme celle de M. Gerin, sur la situation dans les prisons, mais je l'aborderai d'une façon différente. Je veux en effet noter l'effort réalisé par le Gouvernement, notamment pour promouvoir les peines alternatives à l'incarcération et construire le nombre de places nécessaires.
    Toutefois, il faut être vigilant et nous ne serons jamais trop nombreux à nous battre pour la dignité des prisonniers.
    Ma question concerne plus particulièrement la maison d'arrêt de Nantes, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, pour y avoir effectué un déplacement en début d'année. La situation de cette maison d'arrêt est aujourd'hui complètement inadaptée du fait de son éloignement du tribunal et de la surpopulation carcérale dont elle souffre. Pouvez-vous nous indiquer le calendrier de réalisation d'un nouveau centre de détention à Nantes ? J'aurais pu associer à cette question notre collègue Jacques Floch, car une volonté unanime de tous les élus s'est exprimée pour mener à bien ce projet à vos côtés. Je vous remercie, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, des précisions que vous nous apporterez.
    Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
    M. le secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice. Monsieur le député, vous n'ignorez pas l'attention que le ministère de la justice porte à l'agglomération nantaise. A l'occasion du déplacement que vous avez évoqué, nous avons longuement admiré le nouveau palais de justice. Inauguré en 2000, ce magnifique ouvrage a représenté un investissement important, à la fois financièrement et « urbanistiquement », comme on dit aujourd'hui.
    Nous poursuivons le même effort dans le domaine pénitentiaire puisque, à l'occasion de ce déplacement, de nombreux engagements ont été pris et qu'ils seront tenus.
    Le premier de ces engagements est la création d'un établissement pénitentiaire pour les mineurs. J'ai évoqué celui du Rhône. Nantes en aura également un, qui sera situé à la périphérie mais dans la communauté urbaine nantaise. Le site a été retenu et doit faire l'objet prochainement d'un vote au conseil de la communauté. J'ai cru comprendre, lors de mon déplacement, que ce projet recueillait l'unanimité. J'espère que ce vote le confirmera.
    Parallèlement à cette réalisation, nous avons engagé des études pour la rénovation du centre de détention, qui est un peu fatigué. Les travaux de réhabilitation devraient débuter en 2004.
    Quant au nouvel établissement, il sera, comme l'engagement en a été pris, d'un type nouveau. M. Warsmann l'a présenté dans son rapport et M. le garde des sceaux a demandé un étude à ce sujet à un ingénieur général des ponts et chaussées, M. Eladari. Ce nouveau type d'établissement permettra une forme d'enfermement allégé.
    C'est donc un plan d'ensemble que nous proposons pour Nantes : la construction d'un établissement pénitentiaire pour les mineurs - la procédure est déjà engagée -, la rénovation du centre de détention - la procédure est en cours d'engagement -, la réalisation d'un établissement d'un type nouveau - le projet est à l'étude. Je précise que ce dernier n'est pas du domaine virtuel puisque nous recherchons actuellement l'emprise foncière pour sa construction pendant que l'administration pénitentiaire réfléchit à la nouvelle conception de l'enfermement qu'il proposera et à son fonctionnement pratique. L'engagement foncier est en cours, et c'est l'essentiel. J'en prends à témoin M. Victoria, il sait combien la question foncière est au coeur des préoccupations du ministère de la justice quand il s'agit de lancer un nouvel établissement.
    M. René-Paul Victoria. Tout à fait !
    Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Aurillac.
    Mme Martine Aurillac. Monsieur le garde des sceaux, le Président de la République a souhaité donner un signe fort en faveur de la justice en nommant à vos côtés un secrétaire d'Etat chargé des programmes immobiliers de la justice. Le Premier ministre a poursuivi dans cette voie en permettant à votre budget d'augmenter de 5 % cette année, et en concentrant notamment les efforts sur l'investissement immobilier et la création d'emplois dans l'administration pénitentiaire, afin de rattraper les retards accumulés dans ce domaine depuis plusieurs années. Ainsi, 1 128 postes seront créés pour donner à cette administration les moyens de mieux encadrer les effectifs de détenus. De même, un investissement immobilier est prévu pour les palais de justice et les établissements pénitentiaires afin d'améliorer le fonctionnement et la sécurité, d'ouvrir de nouveaux centres, tels ceux de Toulon et Liancourt, de mettre en place des établissements destinés aux mineurs et de développer les centres éducatifs fermés. Vous avez souligné tout à l'heure, monsieur le garde des sceaux, combien ce dernier objectif vous tenait à coeur. Vous avez aussi insisté à juste titre sur les mesures indispensables en matière de suivi au moment des libérations. L'effort portera enfin sur la mobilisation du personnel. La formation plus adaptée au départ et la formation continue seront développées. L'engagement personnel doit être mieux récompensé.
    Parallèlement, une orientation nouvelle apparaît quant à l'utilité et au développement des peines alternatives. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous donner quelques précisions concrètes en la matière ?
    Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
    M. le garde des sceaux. J'ai déjà en partie évoqué ce sujet, madame la députée, dans ma réponse aux orateurs. Je vous confirme, par exemple, l'ouverture au cours du prochain exercice de trois nouveaux centres de semi-liberté - à Bordeaux, Lille et Aix - d'une capacité de 80 places chacun. D'une manière plus générale, je souhaite que nous puissions développer les peines alternatives et l'acclimatation avant la libération.
    S'agissant du bracelet électronique, je me suis fixé, je le rappelle, comme objectif d'en doter environ 2 000 personnes. Bien que nous ayons la capacité technique d'en accueillir 500, il n'y a malheureusement que 200 placements aujourd'hui. Un travail de pédagogie est donc indispensable, et les modifications législatives que vous approuverez peut-être dans les prochains jours, nous aideront à aller dans ce sens.
    Le travail d'intérêt général, quant à lui, constitue également une excellente formule, qui nécessite que nous simplifiions la prise de décision et que nous améliorions la relation entre l'administration pénitentiaire, le juge d'application des peines et les collectivités ou associations susceptibles de proposer des tâches d'intérêt général. Je ne crois d'ailleurs pas qu'il y ait de difficulté, c'est beaucoup plus à l'intérieur de l'institution judiciaire qu'il nous faut améliorer les choses.
    Je veux affirmer à nouveau ma détermination à améliorer le suivi des détenus et des anciens détenus. C'est d'ailleurs moi, je le rappelle, qui ai permis à la PJJ de travailler à l'intérieur du milieu carcéral pour assurer un suivi pendant et après l'incarcération. A cet égard, il me paraît absolument indispensable - et c'est d'ailleurs ce que font tous nos grands voisins européens - que les personnnes soient suivies par les mêmes structures à l'intérieur et à l'extérieur des établissements fermés. Par ailleurs, les peines alternatives à la prison doivent également être développées et ne pas rester du domaine du discours.
    Mme la présidente. La parole est à M. Emile Blessig.
    M. Emile Blessig. Monsieur le garde des sceaux, l'informatisation du livre foncier d'Alsace-Moselle est un chantier ambitieux dont la réalisation a été confiée à un groupement d'intérêt public. Le projet porte sur 60 millions d'euros. La numérisation des données doit commencer au printemps 2004. Or plusieurs bureaux fonciers ont accumulé des retards importants, si bien que leurs registres sont loin d'être à jour. Ces retards sont particulièrement lourds à Mulhouse, Brumath, Colmar, Strasbourg, Schiltigheim et Haguenau. Or il est indispensable que les données soient à jour pour être numérisées. En effet, la saisie de données fausses non seulement impliquera des coûts supplémentaires de mise à jour, mais surtout portera atteinte à la fiabilité de l'ensemble du projet.
    Cette accumulation de retards résulte de problèmes de sous-effectifs dans les greffes des tribunaux d'instance, dont les bureaux fonciers font partie. D'où la nécessité d'un effort, ponctuel, temporaire mais significatif, en termes de postes budgétaires. La mission d'inspection des greffes a réalisé un audit des bureaux du livre foncier en septembre dernier. J'aurais aimé savoir à quel constat elle a abouti et quelles mesures concrètes vous allez mettre en oeuvre, monsieur le garde des sceaux, dans le cadre du budget pour 2004, pour rattraper ce retard ; la réussite dans de bonnes conditions de l'ensemble du projet en dépend.
    Mme le présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
    M. le garde des sceaux. Effectivement, monsieur Blessig, l'inspection des greffes a fait le point sur les moyens nécessaires à la réalisation de cette tâche considérable que représente l'information du livre foncier. Son rapport m'a été remis au mois de septembre dernier. Dans l'immédiat, quatre greffiers placés ont été mis à disposition par les chefs de cour de Colmar. Pour ce qui touche aux décisions à venir, nous affecterons quatre greffiers en surnombre d'ici le 10 décembre prochain, à l'occasion d'une série de nominations. Par ailleurs, douze vacances de postes de catégorie C se verront comblées dans le cadre du budget pour 2004. Voilà les mesures que nous avons prévues pour faire face à une situation effectivement difficile. Cet effort exceptionnel s'inscrira dans le cadre du contrat d'objectifs en cours de discussion avec la cour de Colmar.
    Mme la présidente. La parole est à M. Mansour Kamardine.
    M. Mansour Kamardine. Monsieur le garde des sceaux, des demandes réitérées peuvent parfois agacer. Je vous demande par avance de me pardonner si mon intervention, qui a trait à la situation de la justice à Mayotte, vous irrite. Je vous l'ai déjà décrite pour ce qui touche aux effectifs des magistrats ; je n'y reviendrai pas.
    Je veux en revanche insister sur deux points.
    La collégialité, je vous l'ai déjà dit, est une notion encore inconnue à Mayotte et cette situation me préoccupe au plus haut point. Des gens peuvent se voir condamner à cinq ou sept ans de prison en correctionnelle, et jusqu'à vingt ans de prison en assises, en application de décisions rendues par un seul magistrat professionnel là où le droit commun, pour les mêmes infractions, en exige trois en métropole. En matière criminelle, nous n'avons pas de jury populaire ; le jury est choisi sur proposition du président du tribunal supérieur d'appel, après avis du procureur de la République, et est nommé par le garde des sceaux. Nous sommes loin des grands principes que nous partageons tous... En termes de besoins commme en termes d'effectifs, nous sommes loin du compte. Nul doute qu'un effort immédiat s'impose sans attendre l'évaluation et la remise à niveau.
    Mais je veux également, monsieur le garde des sceaux, parler d'un autre vaste projet qui intéresse certes plusieurs de vos collègues, mais dans lequel le ministère de la justice doit jouer un rôle actif compte tenu de votre passé et de la connaissance que vous avez de ces territoires. Nous disposons d'un personnel d'exécution tout dévoué à la cause de la justice mais qui, pour les trois cinquièmes, est mis à disposition par la collectivité départementale, alors que nous sommes au coeur même de ce que l'on appelle le domaine régalien de l'Etat. Il faut donc les intégrer. Malheureusement, les rares tentatives auxquelles il a été donné de procéder sur le fondement d'une loi de 1992, dont l'objectif était de lutter contre la précarité, se sont soldées pour les intéressés par la perte de plus du tiers de leur salaire... Non seulement ils n'ont pas gagné au change, mais on a l'impression que tout est mis en oeuvre pour dissuader d'intégrer dans la fonction publique de l'Etat des citoyens qui participent à l'oeuvre de justice. Pouvez-vous me donner des précisions sur le nombre et le rythme d'intégration de ces agents pour les années qui viennent ?
    Enfin, je l'ai dit tout à l'heure, notre palais de justice ne compte qu'une seule salle d'audience. Dès qu'il s'y tient des sessions criminelles, toutes les autres affaires restent en attente. Au mieux, elles sont évoquées dans les bureaux des magistrats. La publicité des débats en prend évidemment un coup.
    Sur toutes ces questions, monsieur le garde des sceaux, indépendamment de la mise en oeuvre des réformes en cours, pouvez-vous me préciser votre politique à l'égard de cette jeune collectivité qui, pendant très longtemps, a souffert de son attachement à la France, alors même que celle-ci a enfin décidé de la considérer non plus comme un enfant bâtard, mais comme un enfant reconnu de la République ?
    Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
    M. le garde des sceaux. Monsieur Kamardine, je veux tout d'abord vous rassurer : Mayotte est enfant de la République. Les choses sont désormais claires à cet égard, en particulier depuis la consultation que vous-même aviez appelée de vos voeux. Ainsi que vous avez eu l'amabilité de le rappeler, je connais suffisamment Mayotte - Pierre Bédier s'y est également rendu il n'y a pas très longtemps - pour savoir qu'elle exige un gros travail de mise à niveau, de modernisation et de transformation.
    Les exemples que vous venez de citer montrent que le droit commun n'est effectivement pas encore la règle à Mayotte. Il faut s'en rapprocher le plus vite possible, même si l'on ne peut évidemment songer à sortir en quelques mois, ni même en quelques années, d'une situation très particulière qui tient à l'histoire de l'île et au statut un peu particulier qui était le sien encore récemment.
    Le mouvement vers une départementalisation adaptée va nous amener, en matière de justice comme dans d'autres domaines, à procéder à plusieurs adaptations. S'agissant des personnels, magistrats et fonctionnaires, nous sommes en train de procéder à la mise à niveau. Mais vous souhaitez en fait nous projeter plus loin encore en nous amenant à poser la question de l'adaptation des juridictions telles qu'elles sont actuellement organisées à Mayotte afin de les rapprocher du droit commun métropolitain, pour ce qui touche notamment à la collégialité. Cette revendication me paraît tout à fait justifiée ; nous devons regarder ensemble ce qu'elle implique en termes de modifications législatives comme en termes de mise à niveau des moyens.
    S'agissant des personnels et plus particulièrement des personnels pénitentiaires, le système en vigueur à Mayotte - comme d'ailleurs dans d'autres collectivités d'outre-mer - était en fait très décentralisé, avec des statuts locaux particuliers et des modalités de recrutement sans comparaison avec celles qui prévalent dans la pénitentiaire, autrement dit l'administration d'Etat. Nous devons passer à un système d'intégration, et ce le plus rapidement possible. Sont en fait concernés cinquante-sept agents. Une compensation financière, ainsi que vous le savez, est prévue, mais ce qui est souhaité, c'est en premier lieu l'intégration. Celle-ci est en cours, sous réserve, bien sûr, de vérification des qualifications requises. Mais sachez que je suis tout à fait déterminé à procéder à cette régularisation.
    Tels sont, monsieur le député, les éléments que je souhaitais vous apporter. En tout état de cause, soyez rassuré : en matière de justice comme ailleurs, l'évolution de Mayotte doit se faire dans le sens qu'a souhaité sa population, c'est-à-dire vers un statut le plus proche possible - voire identique - de celui des collectivités de métropole.
    Mme la présidente. La parole est à M. Emile Blessig, pour une seconde question.
    M. Émile Blessig. Caserne de la ligne Maginot inaugurée en 1938, camp de travail sous l'occupation allemande, prison pour faits de collaboration, puis prison-école expérimentale en 1950, le centre de détention régional d'Oermingen a pris sa forme actuelle en 1988 avec la sécurisation du site. C'est un domaine pénitentiaire qui s'étend sur 17 hectares, clos par une double enceinte surmontée de trois miradors, et qui regroupe trois bâtiments d'hébergement, cinq bâtiments d'activité - ateliers, activités socioculturelles et sportives, intendance, une unité de consultations et de soins ambulatoires - et trois bâtiments inoccupés, actuellement fermés. De nombreux espaces verts aèrent ce milieu clos.
    Mais tous ces aménagements, pour intéressants qu'ils soient, ne peuvent faire oublier que, sur 145 cellules, 105 ne disposent pas de sanitaires, dont 25 sont des cellules à deux places, et que l'état général reste vétuste, voire insalubre. Pouvez-vous m'indiquer, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'Etat, où en est le projet de réhabilitation du centre de détention d'Oermingen ? Un plan de réhabilitation a été validé par de nombreuses réunions. J'aimerais savoir quelles mesures concrètes vont être mises en oeuvre pour le réhabiliter.
    Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice.
    M. le secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice. Monsieur le député, je ne suis pas sûr que le ministre de la guerre André Maginot, lorsqu'il a conçu la ligne qui devait ensuite porter son nom, s'attendait à ce que, presque soixante-dix ans plus tard, on évoque un de ses sites au titre de l'administration pénitentiaire. Bien qu'il s'agisse de vieux bâtiments, n'oublions pas qu'Oermingen est un jeune centre de détention, puisqu'il a pris cette forme voilà à peine une vingtaine d'années.
    En 2002 a été prise la décision, vous y avez fait référence, d'inscrire Oermingen dans la liste des centres nécessitant une réhabilitation lourde. De ce fait, un certain nombre d'études dites « de patrimoine » ont été engagées. Elles n'ont pas encore été achevées et je ne puis vous dire ce qu'elles donneront précisément. Les choses devraient se clarifier au cours de l'année 2004.
    Néanmoins, nous savons d'ores et déjà que, compte tenu de l'importance de ce centre - 190 places -, il ne peut être question de le fermer pour le réhabiliter totalement. Il nous faudra donc procéder par tranches. C'est du reste la raison pour laquelle l'administration pénitentiaire a dès à présent décidé - et les crédits correspondants sont donc prévus au budget 2004 - d'engager une tranche de travaux pour ce que l'on appelle le bâtiment D, qui permettra, avec 2,75 millions d'euros, de mettre à niveau 80 cellules, en attendant que le plan patrimoine soit définitivement achevé courant 2004 ; nous pourrons alors dire très exactement ce que seront les différentes phases. Les travaux sur le bâtiment D, commencés en 2004, devraient s'achever, si j'en crois mon expérience, aux alentours du dernier trimestre de l'année 2005.
    Mme la présidente. La parole est à M. Mansour Kamardine, pour une seconde question.
    M. Mansour Kamardine. Je vous remercie, madame la présidente, mais M. le garde des sceaux a répondu par anticipation à ma question, qui portait sur l'intégration des agents de la maison d'arrêt de Majicavo. Je me permettrai de prendre contact avec lui pour l'examiner plus en détail dans un autre cadre.
    Mme la présidente. La parole est à Mme Juliana Rimane.
    Mme Juliana Rimane. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, la Guyane a connu au cours de ces dernières années une véritable explosion de son activité judiciaire. Telle qu'elle se présente aujourd'hui, l'organisation de l'institution ne permet plus de répondre aux légitimes besoins de nos concitoyens. En effet, le tribunal de grande instance de Cayenne doit faire face à un nombre d'affaires civiles, commerciales, pénales et criminelles en constante augmentation. Ce volume d'affaires représente aujourd'hui une charge de travail quasiment deux fois supérieure à celle des tribunaux de grande instance de Basse-Terre et de Fort-de-France.
    Pour traiter toutes ces affaires, le tribunal de grande instance de Cayenne n'est pourtant doté que d'une seule chambre. Or, avec une seule chambre, il doit prendre en charge 2 617 affaires civiles et commerciales et une activité pénale correspondant à 21 642 procédures reçues pour 20 893 procédures traitées. A titre d'exemple, avec deux chambres, le TGI de Tulle est chargé de 917 affaires civiles et commerciales et de 5 213 procédures reçues pour 4 030 procédures traitées au plan pénal. Celui de Limoges, avec trois chambres, a une activité civile et commerciale de 2 982 affaires et une activité pénale de 20 808 procédures reçues pour 17 645 procédures traitées.
    Vous conviendrez donc, monsieur le garde des sceaux, que cette situation est à l'évidence tout à fait anormale dans la mesure où plusieurs tribunaux traitant un nombre d'affaires inférieur à celui de la Guyane disposent de deux, voire trois chambres.
    Par ailleurs, la Guyane est la seule région française à ne pas posséder de cour d'appel de plein exercice. La présence à Cayenne d'une chambre détachée de la cour d'appel de Fort-de-France tient du mélange des genres et porte de ce fait gravement atteinte aux principes généraux du droit. Il n'y a pas de parquet général devant la chambre détachée, faute d'un effectif suffisant. La chambre d'instruction est, quant à elle, complétée par un magistrat du premier degré. Qui plus est, l'éloignement géographique est source de dysfonctionnements et contrarie l'évolution du flux de contentieux en appel.
    Monsieur le garde des sceaux, pour que la justice soit efficace et convaincante dans ses actions et ses décisions, et pour tenir compte d'un environnement géographique et juridique particulier, une double réforme s'impose : la création d'une seconde chambre au sein du tribunal de grande instance de Cayenne et la création d'une véritable cour d'appel de plein exercice en Guyane. Et ces créations nécessitent, bien entendu, des moyens budgétaires appropriés.
    Quelles dispositions entendez-vous prendre pour mettre un terme à cette anomalie dans l'organisation et le fonctionnement des institutions judiciaires de ce département français qu'est la Guyane ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Mme Valérie Pecresse, rapporteure pour avis, pour les services pénitentiaires et la protection judiciaire de la jeunesse. Très bien !
    Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
    M. le garde des sceaux. Je vois que votre talent, madame la députée, suscite une très large approbation sur les bancs de l'Assemblée nationale, et cela n'est du reste pas sans m'embarrasser, compte tenu de la réponse que je vais vous faire. Je suis d'accord avec vous, il nous faut améliorer la situation. Mais je ne suis pas sûr que, dans l'immédiat, la création d'une cour d'appel soit la bonne solution, compte tenu de la lourdeur d'une telle opération.
    En revanche, il nous faut effectivement faire en sorte que le système fonctionne mieux qu'aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle nous envisageons de créer très rapidement une antenne du service administratif régional en Guyane, afin de régler les questions de gestion de l'ensemble du système judiciaire, et de la renforcer très rapidement par la mise en place d'un conseiller supplémentaire à Cayenne ; rappelons qu'il existe d'ores et déjà une chambre spécialisée en Guyane. Il faudra également renforcer le parquet général pour améliorer sa disponibilité en Guyane, pour l'heure insatisfaisante. Nous devons enfin réfléchir au meilleur moyen d'améliorer la situation à l'autre bout de la chaîne par la création non d'une cour d'appel, mais d'un deuxième tribunal à Saint-Laurent. Telles sont les trois problématiques sur lesquelles nous entendons travailler avec vous-même, madame la députée, mais également en liaison avec Léon Bertrand, afin d'améliorer l'accès à la justice en Guyane ; à cet égard, la création d'une nouvelle juridiction à Saint-Laurent sera des plus utiles.
    Mme la présidente. Nous avons terminé les questions.
    J'appelle les crédits inscrits à la ligne « Justice ».

ÉTAT B
Répartition des crédits applicables aux dépenses ordinaires
des services civils (mesures nouvelles)

    « Titre III : 189 601 472 euros ;
    « Titre IV : 5 425 867 euros. »

ÉTAT C

Répartition des autorisations de programme et des crédits de paiement applicables aux dépenses en capital des services civils (mesures nouvelles)

TITRE V. - INVESTISSEMENTS EXÉCUTÉS PAR L'ÉTAT

    « Autorisations de programme : 1 029 215 000 euros ;
    « Crédits de paiement : 69 634 000 euros. »

TITRE VI. - SUBVENTIONS D'INVESTISSEMENT
ACCORDÉES PAR L'ÉTAT

    « Autorisations de programme : 20 500 000 euros ;
    « Crédits de paiement : 2 500 000 euros. »
    Je mets aux voix les crédits inscrits au titre III de l'état B.
    (Les crédits du titre III de l'état B sont adoptés.)
    Mme la présidente. Je mets aux voix les crédits inscrits au titre IV de l'état B.
    (Les crédits inscrits au titre IV sont adoptés.)
    Mme la présidente. Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits inscrits au titre V de l'état C.
    (Les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre V de l'état C sont adoptés.)
    Mme la présidente. Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement inscrits au titre VI de l'état C.
    (Les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre VI de l'état C sont adoptés.)
    Mme la présidente. J'appelle l'article 79 rattaché à ce budget.

Article 79

    Mme la présidente. « Art. 79. - Le montant hors taxe sur la valeur ajoutée de l'unité de valeur mentionnée au troisième alinéa de l'article 27 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique est fixé, pour les missions achevées à compter du 1er janvier 2004, à 20,84 euros. »
    Je mets aux voix l'article  79.
    (L'article 79 est adopté.)
    Mme la présidente. Nous avons terminé l'examen des crédits du ministère de la justice.
    La suite de la discussion budgétaire est renvoyée à la prochaine séance.

2

ORDRE DU JOUR
DES PROCHAINES SÉANCES

    Mme la présidente. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :
    Suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2004, n° 1093 :
    M. Gilles Carrez, rapporteur général, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (rapport n° 1110).
    Economie, finances et industrie : charges communes, services financiers, budget annexe des Monnaies et médailles, Trésor, commerce extérieur, industrie, poste et télécommunications ; article 52 ;
    Charges communes :
    M. Daniel Garrigue, rapporteur spécial, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (annexe n° 14 du rapport n° 1110) ;
    Services financiers, Monnaies et médailles :
    M. Thierry Carcenac, rapporteur spécial au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (annexe n° 19 du rapport n° 1110) ;
    Commerce extérieur :
    M. Camille de Rocca Serra, rapporteur spécial, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (annexe n° 15 du rapport n° 1110) ;
    M. Jean-Paul Bacquet, rapporteur pour avis, au nom de la commission des affaires étrangères (tome VI de l'avis n° 1113) ;
    Mme Geneviève Perrin-Gaillard, rapporteure pour avis, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire (tome V de l'avis n° 1112) ;
    Industrie :
    M. Hervé Novelli, rapporteur spécial, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (annexe n° 16 du rapport n° 1110) ;
    M. Jacques Masdeu-Arus, rapporteur pour avis, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire (tome VI de de l'avis n° 1112) ;
    Poste et télécommunications :
    M. Alain Joyandet, rapporteur spécial, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (annexe n° 18 du rapport n° 1110) ;
    Mme Catherine Vautrin, rapporteure pour avis, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire (tome VIII de l'avis n° 1112) ;
    Trésor et entreprises publiques :
    M. Michel Diefenbacher, rapporteur spécial, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (annexe n° 43 du rapport n° 1110).
    A vingt et une heures trente, troisième séance publique :
    Suite de l'ordre du jour de la première séance.
    La séance est levée.
    (La séance est levée à douze heures trente.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT