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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU VENDREDI 5 DÉCEMBRE 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
3e séance du jeudi 4 décembre 2003


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE MME HÉLÈNE MIGNON

1.  Obligations de service public des télécommunications et France Télécom. - Discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat «...».
M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur de la commission des affaires économiques.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ «...»

Exception d'irrecevabilité de M. Bocquet : MM. Jacques Desallangre, Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques ; Alain Gouriou, Jean Dionis du Séjour, Daniel Paul. - Rejet.

QUESTION PRÉALABLE «...»

Question préalable de M. Ayrault : MM. François Brottes, le ministre, Jean-Paul Charié, Daniel Paul, Alain Gouriou, Jean Dionis du Séjour. - Rejet.

DISCUSSION GÉNÉRALE «...»

MM.
Jean Dionis du Séjour,
Daniel Paul,
Mme
Catherine Vautrin,
MM.
Gérard Charasse,
Alain Joyandet.
Clôture de la discussion générale.

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION «...»

Motion de renvoi en commission de M. Ayrault : MM. Alain Gouriou, le ministre, le rapporteur, Pierre Micaux, Daniel Paul, Jean Dionis du Séjour, François Brottes. - Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
2.  Résolution adoptée en application de l'article 88-4 de la Constitution «...».
3.  Décision du Conseil constitutionnel «...».
4.  Dépôt d'un rapport d'information «...».
5.  Dépôt d'un rapport d'une mission d'information «...».
6.  Ordre du jour des prochaines séances «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE Mme HÉLÈNE MIGNON,
vice-présidente

    Mme la présidente. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à vingt-deux heures trente.)

1

OBLIGATIONS DE SERVICE PUBLIC
DES TÉLÉCOMMUNICATIONS
ET FRANCE TÉLÉCOM

Discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat

    Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom (n°s 1163 et 1248).
    La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
    M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, l'examen par votre assemblée du projet de loi sur le service universel des télécommunications et France Télécom est un moment important pour l'entreprise et pour l'Etat : pour l'entreprise, d'abord, qui, après une période de crise grave, se redresse progressivement grâce aux efforts de ses dirigeants et de ses salariés ; pour l'Etat, également, car ce projet de loi marque une nouvelle étape dans l'évolution du secteur des télécommunications, qui est passé d'une administration dans les années 1980 à une société exerçant pleinement des missions concurrentielles sur un marché totalement libéralisé. Cette évolution, qui peut être qualifiée d'historique, a été rendue possible par les performances de l'entreprise et par la dynamique de changement dans laquelle se sont placés ses personnels.
    La discussion de ce projet de loi est également pour moi l'occasion de mettre en perspective notre politique dans le secteur des technologies de l'information et de la communication. Je présenterai ensuite la situation actuelle de l'entreprise, avant de souligner les points les plus importants du projet de loi.
    Les technologies de l'information et de la communication sont l'un des moteurs de la productivité des entreprises et elles constituent une nouvelle révolution industrielle. Ce secteur industriel représente désormais 7 % du PIB en Europe. Je note que son développement repose essentiellement sur des applications issues d'un effort important et permanent de recherche. La faculté d'innovation, constamment démontrée au cours des quarante dernières années, a ainsi permis de modifier en profondeur tous les secteurs d'activités. A l'avenir, la croissance économique sera largement fonction de la capacité de cette industrie à maintenir un rythme soutenu de réelles innovations et à en favoriser l'usage effectif.
    Bien que nous ayons été confrontés, ces dernières années, à une situation délicate, nous avons tous confiance dans le fait que la reprise de l'investissement et de la consommation dans ce domaine est en route en Europe, d'abord parce que la dépense d'investissement y est sensiblement plus faible qu'aux Etats-Unis, ensuite parce que le Gouvernement a pris des mesures énergiques pour favoriser cette reprise, tant au niveau européen qu'en France.
    Au niveau européen, avec le gouvernement allemand, nous avons réservé une place majeure à ces technologies dans l'initiative de croissance que nous avons proposée à nos partenaires et qui sera examinée lors du prochain sommet européen. Le déploiement de réseaux de télécommunications à large bande, la recherche en semi-conducteurs, les satellites de géolocalisation ou les services d'information dans les transports font partie des projets qui la composent. Ils renforceront la capacité de cette industrie à être l'un de nos puissants moteurs pour retrouver le chemin de la croissance en France et en Europe.
    En France, précisément, la politique du Gouvernement est de soutenir le développement des services sur des réseaux à haut débit, dans un environnement favorable à la concurrence. L'objectif ambitieux que nous nous sommes fixé - 10 millions d'abonnés d'ici à 2007 - nous paraît tout à fait réalisable, dès lors qu'il est partagé par tous les acteurs. Plusieurs décisions ont été prises depuis un an et demi pour dynamiser ce marché encore naissant. Ainsi, à l'été 2002, j'ai suscité une baisse des tarifs de vente en gros de l'ADSL qui a marqué un tournant majeur dans le développement du marché français, en permettant d'abaisser les tarifs grand public de 45 à 30 euros par mois.
    M. Jean-Paul Charié. Très bien !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. De nouveaux acteurs sont apparus sur ce marché qui proposent des services innovants grâce au succès du dégroupage.
    Ces différentes actions ont enclenché un cercle vertueux qui facilite l'apparition de nouveaux services à des tarifs compétitifs, parmi les moins chers d'Europe. Le marché de l'Internet à haut débit atteint aujourd'hui près de 3 millions d'abonnés et connaît une croissance annuelle de 150 %. Avec la taille critique d'ores et déjà atteinte, les industriels peuvent envisager d'investir dans des projets à long terme dont les coûts peuvent être amortis sur un nombre suffisant d'utilisateurs.
    En février dernier, j'avais réuni six dirigeants d'entreprises françaises, leaders dans les industries de communication, pour qu'ils développent ensemble de nouveaux services sur les infrastructures ADSL. Cette initiative commence à porter ses fruits puisque, d'ici à la fin de l'année, ces industriels, dont France Télécom, vont lancer commercialement un projet de diffusion de la télévision sur ligne téléphonique.
    La croissance du nombre des abonnés crée ainsi un cercle vertueux pour l'ensemble des acteurs de l'économie numérique. Le taux d'équipement des ménages en micro-informatique a augmenté de 20 % en un an. Le commerce électronique se développe à raison de 60 % par an. Le Minefi en a aussi bénéficié puisque, cette année, plus de 600 000 personnes ont fait leur déclaration d'impôt par Internet, soit cinq fois plus qu'en 2002.
    M. Pierre Cardo. Et ce n'est pas fini !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. La France est maintenant engagée dans une dynamique qui marie équipement et services. A la fin de l'année, une campagne de communication gouvernementale associant plusieurs industriels sera lancée en faveur de l'équipement informatique. Elle renforcera l'effet des annonces traditionnelles du commerce, qui concerneront des promotions incluant les accès haut débit sur lesquels de nouveaux services seront proposés.
    Après de premières initiatives cette année, de nombreux pays européens s'apprêtent à vivre, en 2004, un lancement à grande échelle des offres UMTS. Il s'agit du prochain défi majeur pour toute l'industrie productrice des télécommunications en Europe.
    Ce développement économique s'accompagne d'une modification profonde de notre législation dans le secteur des télécommunications, à travers trois textes : le projet de loi que nous examinons aujourd'hui, bien sûr, mais aussi le prochain projet de loi d'habilitation autorisant le Gouvernement à transposer par ordonnances les directives du « paquet télécoms » et la loi pour la confiance dans l'économie numérique. Dans ce dernier texte, qui sera débattu début janvier en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, tous les sujets concernant la régulation des télécommunications pourront être traités, et en particulier le rôle des collectivités locales, la couverture du territoire en téléphonie mobile, les modifications nécessaires à la loi du 30 septembre relative à la liberté de communication. Voilà pour le premier point, le marché.
    Quant à France Télécom, nous le savons, la société est sur la bonne voie, mais il lui faudra consentir encore bien des efforts pour s'y maintenir. Elle est naturellement l'un des principaux vecteurs industriels du développement de ces technologies en Europe. Son rôle historique, sa capacité de recherche et d'innovation en font un des atouts majeurs de notre pays.
    Ces atouts ne mettent pas pour autant l'entreprise à l'abri d'une crise. Celle qu'elle a connue en 2002, en même temps que la plupart des grands opérateurs de télécommunications en Europe, a été sérieuse. Sans revenir sur les causes de cette crise, on peut estimer que l'entreprise est aujourd'hui de nouveau sur la bonne voie. Son refinancement a été mis en oeuvre en début d'année, notamment grâce au succès de son augmentation de capital de 15 milliards d'euros. La dette est aujourd'hui en forte diminution, à 49,3 milliards d'euros, contre près de 70 milliards d'euros en fin d'année 2002.
    Le mois dernier, France Télécom a réussi une nouvelle opération stratégique pour l'équilibre financier de son groupe, grâce au succès d'une offre d'échange qui lui permet désormais de détenir près de 99 % du capital de sa filiale Orange.
    Cependant, le chemin à parcourir reste difficile et France Télécom doit relever plusieurs défis : poursuivre son désendettement en améliorant la rentabilité sans pour autant mettre en péril la croissance à long terme, notamment en matière d'investissement UMTS ; assurer la pleine satisfaction de ses clients et innover pour développer en permanence de nouveaux services plus performants. L'entreprise dispose des compétences et de la volonté nécessaires pour atteindre ces objectifs.
    Son histoire démontre sa capacité d'adaptation, y compris à travers des temps difficiles. Cela a permis de tracer, sur une échelle de quinze ans, le parcours remarquable d'une administration, de son personnel, de ses dirigeants, qui ont su, ensemble, transformer leur « outil de travail » en un opérateur compétitif, regroupant 250 000 personnes dans trente-cinq pays et exerçant tous les métiers des télécommunications. Au vu d'un tel résultat, comment pourrions-nous douter de la capacité de l'Etat et de son personnel à se réformer ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Notre performance future réside cependant dans notre capacité à changer aujourd'hui. Tel est l'esprit qui guide, vous l'avez compris, le projet de loi que nous vous présentons.
    Plus de sept ans après la transformation de France Télécom en société anonyme, il est en effet nécessaire de procéder à une nouvelle évolution du statut de l'entreprise pour lui permettre de s'adapter aux futurs marchés en Europe. La directive européenne relative au service universel des télécommunications remet en effet en cause l'attribution par la loi des missions de service universel à France Télécom, qui constituait l'un des fondements de son appartenance au secteur public et de la présence de fonctionnaires en son sein. Ce nouveau pas dans l'évolution des télécommunications en Europe et en France est l'objet du projet de loi qui vous est soumis. Je me bornerai à souligner les trois principaux points de ce texte, qui concernent le service public, le statut des fonctionnaires et le capital de l'entreprise.
    Le projet de loi garantit la continuité du service public des télécommunications qui est rendu à nos concitoyens. C'est le premier principe retenu par le Gouvernement dans ce texte. La loi de réglementation promulguée en 1996, qui désignait France Télécom comme opérateur chargé du service universel, n'est plus compatible avec la législation communautaire. Il est désormais prévu que l'ensemble des missions de service universel seront assurées à la suite d'un appel à candidatures.
    Le périmètre du service universel comprend, vous le savez, la fourniture du service téléphonique de qualité à un prix abordable, une offre de tarifs sociaux, un service de renseignements et d'annuaire, l'accès à des cabines téléphoniques sur le domaine public. Son coût sera dorénavant financé par les opérateurs de télécommunications qui abonderont un fonds géré par la Caisse des dépôts et consignations.
    Dans la continuité du débat parlementaire sur le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique, le texte prévoit de modifier la clé de répartition du coût du service universel. Afin de favoriser le développement de l'accès à Internet, la répartition s'effectuera désormais au prorata du chiffre d'affaires.
    M. Jean-Paul Charié. Sans rétroactivité !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Certains d'entre vous se posent la question d'une éventuelle extension du périmètre du service universel à des services plus avancés que le simple téléphone classique. Je partage leur analyse : il est nécessaire d'apporter ces nouveaux services au plus grand nombre de Français. Toutefois, ce projet de loi ne me paraît pas être le meilleur vecteur, car la directive « service universel » ne permet pas d'étendre le champ du service universel.
    Cette impossibilité juridique n'a pas empêché votre assemblée de faire des propositions que le Gouvernement a généralement suivies, que ce soit sur le haut débit, sur la téléphonie mobile ou sur la gratuité du service de localisation géographique des appels d'urgence.
    En ce qui concerne le haut débit, après avoir supprimé, en 2002, une taxe sur les paraboles, le collectif budgétaire en cours d'adoption propose une disposition qui permettra aux entreprises de déduire de leurs résultats imposables un amortissement exceptionnel en cas d'acquisition de terminaux pour l'accès à Internet à haut débit par satellite.
    Concernant la téléphonie mobile, une convention a été signée le 15 juillet 2003 entre l'Etat, les trois opérateurs et les associations d'élus locaux pour couvrir 1 600 communes dans une première phase. L'Etat participera à ce programme par un financement à hauteur de 44 millions d'euros. Cette convention a été rendue possible par la proposition de loi discutée il y a un an au Sénat et qui a créé les conditions économiques d'un tel programme. Les opérateurs ont ainsi accepté de se répartir les zones non rentables pour diminuer le coût total du projet.
    Enfin, la gratuité du service de localisation géographique des appels d'urgence est une question importante à laquelle il est nécessaire d'apporter une réponse. Je proposerai, au cours du débat, que cette disposition soit applicable à l'ensemble des opérateurs de téléphonie fixe et non aux seuls opérateurs chargés du service universel. Après une courte phase de concertation avec les industriels, cette disposition pourra être intégrée dans le projet de loi d'habilitation autorisant le Gouvernement à transposer le « paquet télécoms » par ordonnance.
    Le projet de loi qui vous est proposé prévoit aussi une évolution du statut de l'entreprise assurant la continuité du statut du personnel. L'évolution des conditions d'attributions du service universel rend nécessaire une adaptation du statut de France Télécom. Une société cotée, à l'implantation mondiale, dans un environnement concurrentiel et employant plus de 100 000 fonctionnaires dont les derniers ne devraient la quitter que vers 2035 : telle est la situation tout à fait particulière de France Télécom, qui appelle une solution nécessairement exceptionnelle.
    Le principe que s'est fixé le Gouvernement pour cette nécessaire adaptation statutaire est d'assurer la plus grande continuité dans le statut des personnels qui resteront fonctionnaires de l'entreprise. Les dispositions principales du statut de la fonction publique leur demeureront, comme aujourd'hui, applicables.
    Au-delà des évolutions statutaires pour l'ensemble de l'entreprise, le Gouvernement est attaché aux aspirations et aux projets des personnes qui la composent. Certains parmi les fonctionnaires de France Télécom souhaitent, par exemple, poursuivre leur carrière dans une administration. Nous avons souhaité faciliter de tels projets professionnels, en rendant plus flexibles les « passerelles » entre l'entreprise et les fonctions publiques pour les fonctionnaires qui le souhaiteront. Le Sénat a adopté le dispositif proposé par le Gouvernement dans le dessein de permettre l'intégration de ces fonctionnaires, sur la base du volontariat, dans leurs administrations d'accueil. Nous vous proposerons de modifier à la marge ce dispositif pour tenir compte d'expertises complémentaires.
    Le troisième point principal concerne l'obligation juridique d'une détention majoritaire du capital par l'Etat, qui ne peut pas constituer un risque pour l'entreprise. Le fait d'avoir l'Etat pour actionnaire majoritaire n'est ni un atout ni un handicap particulier pour France Télécom. Mais le fait de voir son capital figé par une obligation juridique peut devenir un handicap stratégique pour l'entreprise. N'oublions pas que l'obligation de détention majoritaire du capital par l'Etat a été l'une des multiples causes de la crise traversée par France Télécom, en ne permettant pas à l'opérateur de financer sa croissance autrement que par de la dette.
    M. Jean-Paul Charié. Très juste ! C'est l'héritage !
    M. François Brottes. Cela reste à prouver !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. L'approfondissement de la concurrence et les évolutions réglementaires, technologiques et stratégiques à venir dans le secteur européen des télécommunications impliquent donc que France Télécom soit placée dans un cadre juridique aussi proche que possible de celui de ses concurrents, et qui lui permette de réagir rapidement.
    C'est la raison pour laquelle le Gouvernement souhaite mettre fin à l'obligation de détention majoritaire publique du capital de France Télécom. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.
    M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que rapporteur de la commission des affaires économiques, il me revient d'abord de replacer dans son contexte le projet de loi qui nous occupe aujourd'hui. Je ferai ensuite le bilan des principaux points qui ont fait débat lors des travaux de notre commission.
    Ce projet de loi comporte deux objets principaux, qui concernent tous deux l'avenir de France Télécom, mais à des échéances différentes.
    D'une part, il vise à transposer la directive « service universel » et à mettre en place une procédure concurrentielle d'attribution des missions de service universel. Normalement, cette transposition aurait déjà dû intervenir avant le 25 juillet 2003. En la matière, il y a donc une véritable urgence.
    D'autre part, le projet de loi lève la contrainte de la détention majoritaire du capital par l'Etat. En ce domaine, il y a moins une urgence qu'une situation pendante à régler, et ce texte en fournit une excellente occasion.
    La transposition de la directive ne pose pas de problème en soi, d'autant que la nouvelle procédure d'attribution ne devrait guère changer les choses quant au résultat puisque France Télécom reste l'entreprise la mieux placée pour deux des trois composantes du service universel, à savoir la couverture en téléphonie fixe de tout le territoire et l'entretien du parc des cabines publiques.
    Quant à la composante correspondant à l'annuaire universel et au service universel de renseignements, sa production est libéralisée depuis le décret du 1er août 2003 et le marché pourrait y pourvoir spontanément, si bien que je propose un amendement pour rendre son attribution facultative, après analyse du besoin.

    Le véritable enjeu lié à la transposition de la directive tient à ce que France Télécom ne pourra plus être considérée comme une entreprise ayant pour « objet essentiel » de remplir des missions de service public, puisque ces missions ne lui seront plus dévolues en vertu de la loi, mais au terme d'une procédure d'attribution au résultat par principe aléatoire.
    M. François Brottes. C'est contradictoire avec votre affirmation précédente !
    M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur. Par conséquent, la justification principale, donnée par l'avis du Conseil d'Etat du 18 novembre 1993, au maintien d'une population de 106 000 fonctionnaires dans cette entreprise au statut de société anonyme s'en trouve fragilisée.
    De là toute l'importance du titre II du projet de loi, qui vient consolider la situation juridique des fonctionnaires de France Télécom.
    La consolidation de la situation juridique des fonctionnaires passe par la reconnaissance par la loi, au profit du président de France Télécom désigné par le conseil d'administration, des pouvoirs qui en font un véritable chef d'administration. En premier lieu, il a un pouvoir de nomination et de gestion. Il partage ensuite avec le ministre chargé des télécommunications le pouvoir de prononcer les sanctions disciplinaires, ce dernier pouvant seul prononcer la mise à la retraite d'office et la révocation. De plus, il peut déléguer son pouvoir de nomination et de gestion, et en autoriser la subdélégation. Enfin, il peut instituer des indemnités spécifiques. Il exercera ces fonctions « durant une période transitoire, liée à la présence de fonctionnaires dans l'entreprise », en pratique jusqu'en 2035, année du départ en retraite du dernier fonctionnaire.
    En effet, la population des fonctionnaires est en constante diminution puisque les recrutements sont interrompus de fait depuis le 1er janvier 1997, et en droit depuis le 1er janvier 2002.
    A côté de ce doublet indissociable que constituent, d'une part, le changement de procédure de l'attribution des missions de service universel, et, d'autre part, la consolidation de la situation juridique des fonctionnaires, le projet de loi consacre son titre III à la levée de la détention majoritaire du capital par l'Etat, et à l'organisation du transfert progressif de l'entreprise au secteur privé.
    Cette préparation juridique d'une privatisation de l'entreprise ne revêtait aucun caractère d'urgence, et n'appellera pas nécessairement tout de suite des opérations de cession de capital une fois la loi promulguée.
    Il s'agit en fait de finaliser le processus de redressement lancé avec l'arrivée de Thierry Breton à la tête de l'entreprise en octobre 2002. Après une période d'audit, celui-ci a lancé le programme des « trois fois 15 » : 15 milliards de refinancement, 15 milliards d'augmentation de capital, 15 milliards d'économie, qui ont d'ores et déjà permis à l'entreprise de ramener sa dette financière nette de 70 milliards d'euros, durant l'été 2002, à moins de 50 milliards d'euros aujourd'hui,...
    M. Daniel Paul. Elle l'a fait sans avoir à être privatisée !
    M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur. ... tout en faisant reculer de plusieurs années le « mur de liquidités » auquel elle se trouvait confrontée.
    Parallèlement, plus de 18 milliards d'euros de dotation pour dépréciation d'actif ont été passés sur l'exercice comptable 2002, afin de solder les opérations financières malheureuses qui risquaient d'handicaper l'avenir de l'entreprise, au premier rang desquelles les prises de participation hasardeuses dans l'allemand Mobilcom et le britannique NTL.
    M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Eh oui !
    M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur. Cette remise en ordre laisse maintenant l'entreprise en situation de poursuivre son redressement sur des bases assainies. La valeur de l'action, qui a grimpé de huit euros en septembre 2002 aux environs de vingt-deux euros aujourd'hui, illustre la confiance des marchés financiers dans l'effort de redressement en cours.
    Dans cette perspective, la levée de la contrainte de la détention majoritaire du capital par l'Etat, laquelle est apparue rétrospectivement comme une des causes principales de la crise financière qu'a traversée l'entreprise au début de l'année 2002,...
    M. Jacques Desallangre. Pas du tout !
    M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur. ... puisqu'elle l'avait contrainte à payer ses acquisitions industrielles des années précédentes par un surplus d'endettement, apparaît comme un parachèvement du processus en cours pour la résorption des difficultés de l'entreprise.
    M. François Brottes. De toute façon, vous auriez trouvé un autre motif !
    M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur. Ce parachèvement n'était pas urgent, mais il devait intervenir de toute façon un jour ou l'autre, et la résolution du problème juridique soulevé par l'entrée en vigueur de la directive « service universel » constituait une excellente occasion pour solder cette question pendante sur la structure du capital. Grâce à cette disparition de la clause de détention majoritaire par l'Etat, toutes les hypothèques institutionnelles sur le développement de l'entreprise vont être levées et France Télécom ne devra plus désormais son destin qu'à sa capacité réelle à exploiter ses marchés et à s'adapter rapidement et efficacement aux évolutions de l'offre à l'échelle internationale.
    Si rien ne l'annonce, rien n'exclut d'ailleurs que l'entreprise fasse rapidement usage de cette liberté nouvelle, puisqu'en matière d'opérations industrielles, la discrétion est souvent un gage de réussite.
    Mais une autre justification a pu intervenir aussi, correspondant à une nécessité elle aussi non urgente, mais tout aussi incontournable : celle de mettre l'entreprise de recherche et d'activités pétrolières, l'ERAP, en situation de pouvoir vendre ses parts du capital dans le cadre des remboursements qu'elle doit effectuer sur l'emprunt de 9 milliards d'euros contracté pour participer à l'opération d'augmentation du capital du 15 avril 2003.
    En effet, la fraction du capital de France Télécom que l'ERAP détient en vertu de la modification législative du 31 mars 2003, laquelle a permis que la participation de l'Etat dans le capital de France Télécom puisse être détenue « directement ou indirectement », constitue, avec les plus-values éventuelles résultant d'une appréciation du titre, les seules ressources sur lesquelles l'ERAP peut s'appuyer pour financer ses remboursements.
    La levée de la contrainte d'une détention majoritaire du capital renforce donc la crédibilité de l'ERAP en tant que débiteur et, en conséquence, lui permettra plus facilement d'accéder, si besoin est, à des ressources de refinancement. C'est là un aspect secondaire, mais bien concret, de la disparition de l'obstacle à une plus grande ouverture du capital de France Télécom.
    En dehors des trois piliers constituant la matière des trois premiers titres, à savoir la transposition de la directive « service universel », la consolidation du statut des fonctionnaires et la suppression de l'obligation d'une détention majoritaire par l'Etat, le projet de loi comporte des dispositions annexes, qui ont nourri les travaux de la commission.
    C'est d'abord la fixation d'une nouvelle clé de répartition pour la compensation du coût du service universel, qui a soulevé la question du choix de la première année de mise en oeuvre, avec la crainte d'instituer une rétroactivité nuisible aux entreprises et susceptible d'être condamnée par le Conseil constitutionnel.
    M. Jean-Paul Charié. Très juste !
    M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur. Ce risque de sanction et bien réel, puisque le Conseil constitutionnel n'admet la rétroactivité en matière fiscale que dans le cas d'un « intérêt général suffisant ».
    M. Jean-Paul Charié. Oui.
    M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur. C'est ensuite la prise en compte du besoin d'offrir aux services de sécurité un accès gratuit aux moyens de localisation géographique des appels d'urgence, c'est-à-dire, à tout le moins, aux annuaires universels inversés pour la téléphonie fixe. En la matière, la piste d'un rattachement aux obligations de service universel n'est pas compatible avec le droit européen, et ne pourrait conduire qu'à une condamnation de la France par la Cour de justice des communautés européennes. Je vous proposerai donc de vous rallier sur ce point à mon amendement, qui atteint autrement le même objectif.
     C'est, troisièmement, la consolidation du nouveau régime des sociétés de diffusion hertzienne terrestre dans la foulée de la suppression du monopole de TDF, qui a suscité en commission une interrogation quant à sa nature de « cavalier législatif ». Je ne pense pas, néanmoins, qu'il faille aller, sur ce point, jusqu'à la suppression de l'article 2 bis, qui constitue un apport très constructif du Sénat.
    C'est, quatrièmement, l'idée d'une séparation comptable de la gestion du réseau et des activités de services au sein de France Télécom, de manière à assurer une transparence des coûts. Cette transparence est favorable au déploiement de la concurrence lorsque celle-ci s'appuie sur ce réseau, mais elle est aussi protectrice de France Télécom lorsque l'entreprise se trouve confrontée au risque que le « carcan tarifaire », qui lui est normalement imposé au titre de sa position monopolistique, n'en vienne à l'entraver aussi sur certains segments de marchés pourtant évidemment ouverts à une véritable compétition. En la matière, il ne faut pas oublier tout le travail de clarification déjà effectué sous le contrôle de l'ART, et l'affinement de la régulation, y compris dans le domaine tarifaire, qui va devenir possible avec la transposition du « paquet télécoms ».
    Enfin, la question de la revente en gros de l'abonnement, suite aux annonces de M. Thierry Breton et de M. Francis Mer lors de leurs auditions successives du 18 novembre dernier en commission, a provoqué une réaction consensuelle concluant à la suppression de l'article additionnel introduit au Sénat,...
    M. François Brottes. C'est vrai.
    M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur. ... afin de laisser sereinement se dérouler, à la faveur de l'accord symbolique entre France Télécom et Cegetel sur une facturation pour compte de tiers, la procédure d'analyse prévue dans le cadre du « paquet télécoms », que l'ART a d'ores et déjà anticipée.
    Tels sont donc les points annexes qui vont probablement faire à nouveau débat dans cet hémicycle, après avoir animé les travaux de notre commission.
    Néanmoins, je tiens à rappeler à mes collègues que ce texte n'est pas un véhicule pour traiter des questions touchant généralement au secteur des télécommunications,...
    M. Jean Dionis du Séjour. Si, un peu tout de même !
    M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur.  ... mais qu'il constitue principalement l'instrument d'une adaptation du cadre juridique de France Télécom à son environnement concurrentiel, doublée d'une consolidation de la situation du personnel fonctionnaire jusqu'à son départ en retraite.
    Lors des travaux de notre commission, qui ont été dirigés de manière consensuelle par notre président, Patrick Ollier, nous avons souhaité, à partir du projet de loi du Gouvernement et des modifications apportées par le Sénat, arriver à un texte équilibré.
    Il est équilibré parce qu'il permet le développement de France Télécom en même temps qu'il conforte un redressement qui commence et qui est tout à l'honneur de son équipe dirigeante et de l'ensemble de son personnel.
    M. Jean-Paul Charié. Très bien !
    M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur. Il est équilibré également parce qu'il desserre un carcan tarifaire par trop sclérosant dans un monde concurrentiel où France Télécom doit pouvoir jouer ses atouts, et il le fait en respectant les autres opérateurs.
    Equilibré, il l'est aussi parce que les fonctionnaires voient leur situation clarifiée, et l'ensemble du personnel ses efforts récompensés et s'inscrire dans la durée.
    Nous avons fait le choix du meilleur service de télécommunications pour nos concitoyens, le choix de la cohésion sociale pour les usagers et les personnels, le choix, enfin, de la dynamique économique et du développement industriel pour France Télécom. Ce sont là des choix délibérés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Mme la présidente. Monsieur le rapporteur, vous avez scrupuleusement respecté votre temps de parole et je vous en remercie.
    M. François Brottes. Pour ça, il est très bien !

Exception d'irrecevabilité

    Mme la présidente. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est à M. Jacques Desallangre.
    M. Jacques Desallangre. Monsieur le ministre, le Gouvernement mène depuis un an et demi une déconstruction méthodique de tout ce qui fait l'originalité de notre pays, la France :...
    M. Daniel Paul. Voilà un autre discours, une autre approche, n'est-ce pas, monsieur le ministre ?
    M. Jacques Desallangre. ... hier, nos retraites ; aujourd'hui, nos services publics ; demain, ce seront les piliers conceptuels de notre droit du travail et notre régime de sécurité sociale.
    Or cette originalité française que vous nous présentez comme un archaïsme qui devrait être « modernisé », pour devenir « eurocompatible », n'est pas un handicap, mais une chance pour notre nation et notre économie.
    C'est une chance pour notre nation car la force d'un peuple ne peut se réduire au volume des richesses économiques produites. Une nation, c'est aussi une histoire et un ensemble de valeurs. Or les services publics que vous souhaitez balayer hors de notre champ juridique font partie de notre construction sociale et des valeurs patiemment élaborées depuis un siècle, avec leurs corollaires : égalité d'accès, continuité, adaptabilité.
    Votre volonté de tordre le modèle français pour le faire rentrer dans le moule de la construction libérale européenne risque, à terme, de se heurter aux Français - et c'est sans doute pour cela que vous redoutez plus que tout de recourir au référendum pour ratifier la pseudo-constitution européenne -, mais elle risque aussi de se heurter à notre Constitution et, plus précisément, à son Préambule.
    Le Préambule de la Constitution de 1946, qui fait partie du bloc de constitutionnalité, est des plus explicites. Je cite son neuvième alinéa : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. »
    Les constituants de 1946 étaient particulièrement éclairés, et leur texte d'une grande limpidité. Dans le cas qui nous préoccupe aujourd'hui, nous avons bien un service public national, puisque le législateur, de 1990 à 2003, n'a cessé de le réaffirmer. Aujourd'hui encore, vous utilisez bien, dans le titre de votre projet de loi, les mots « service public des télécommunications », bien que votre projet aurait dû en fait s'appeler, sans hypocrisie : « Privatisation de France Télécom et abandon du service public ».
    M. François Brottes. Cela aurait été plus lucide, en effet !
    M. Jacques Desallangre. Néanmoins, cette reconnaissance officielle impose que l'exploitation de ce service public national reste la propriété de la collectivité, comme l'a reconnu le Conseil constitutionnel dans ses décisions des 16 janvier et 11 février 1982.
    On pouvait penser qu'après une analyse juridique et économique de la situation, vous décideriez de conforter le caractère public de France Télécom pour parfaire son redressement et lui permettre de s'engager avec efficacité dans les défis technologiques qui l'attendent. Or, vous persistez et signez dans la voie du libéralisme le plus extrême en proposant, à travers ce projet de loi, la privatisation totale de l'entreprise.
    Peut-être est-ce en fait, sous le couvert d'une opération stratégique pour l'opérateur, une manoeuvre de désengagement de l'Etat en vue de brader le bien appartenant à la nation afin de boucler le budget d'un gouvernement qui multiplie pourtant les cadeaux aux plus riches.
    Mais vous risquez de vous faire censurer par le juge constitutionnel, comme ce fut déjà le cas en 1986, lorsque la perception dogmatique de votre majorité vous avait conduits à une large vague de privatisations.
    Déjà en 1986, le Conseil constitutionnel avait émis des réserves d'interprétation sur votre dispositif d'évaluation du prix lors de la cession des actifs d'entreprises publiques au privé. La Constitution s'oppose à ce que des biens ou des entreprises faisant partie de patrimoines publics soient cédés à des personnes poursuivant des fins d'intérêt privé pour des prix inférieurs à leur valeur. Cette règle découle du principe d'égalité, et trouve un fondement dans les dispositions de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 relatives au droit de propriété et à la protection qui lui est due. Cette protection ne concerne pas seulement la propriété privée des particuliers, mais aussi, à un titre égal, la propriété de l'Etat et des autres personnes publiques. La question se posera alors au Gouvernement d'évaluer la juste valeur des actifs, et donc des parts cédées au privé. Votre logique libérale vous conduira, je n'en doute pas, à retenir un prix proche du cours de bourse de l'action. Mais cette logique libérale s'opposera à la logique juridique constitutionnelle, car le Conseil a déjà rappelé, en 1986, que l'évaluation de la valeur de l'entreprise doit être faite par des experts indépendants des acquéreurs éventuels. Or, votre soumission à la corbeille fait que cela contrevient par définition à ce principe, car ce seront précisément les acquéreurs éventuels qui détermineront la valeur de l'entreprise.
    Par ailleurs, comment peut-on considérer que le cours d'une action reflète la valeur d'une entreprise...
    M. Jean-Paul Charié. Ah, ça !
    M. Jacques Desallangre. ... sachant que le prix peut fluctuer de 80 % en six mois ? Il est économiquement absurde de prétendre que l'entreprise a perdu ou acquis 80 % de sa valeur sur cette période. Par exemple, le titre France Télécom a pu passer de 14 à 24 euros en moins d'une année.
    M. Jean Dionis du Séjour. Eh oui !
    M. Jacques Desallangre. Rien dans la loi ne semble indiquer que vous allez procéder à une évaluation objective de la valeur de l'entreprise. Au contraire, tout laisse à croire que vous vous en remettrez au seul marché. Vous faites donc le choix délibéré de l'inconstitutionnalité, car la valeur d'une entreprise ne se réduit pas à sa capitalisation boursière. La nation a, dans son ensemble, grâce à l'impôt, constitué un bel établissement avec un réseau de qualité et un personnel qualifié. C'est la nation qui a consenti aux investissements nécessaires pour obtenir ce résultat. Et alors qu'aujourd'hui l'entreprise réalise d'importants bénéfices, il faudrait, pour des raisons purement idéologiques, que ce soit le privé, les futurs actionnaires, qui en retirent les fruits, qui en retirent les dividendes ? La nation aurait pu utiliser ces bénéfices au profit d'un développement du service public et du projet industriel, mais vous préférez écarter le triptyque « citoyen-contribuable-usager » au profit d'un autre, « actionnaire-dividende-client ».
    Cette vente des bijoux de famille pour des raisons budgétaires a aussi une portée idéologique : banaliser le service public pour en faire un produit de consommation comme un autre, soumis aux seules règles de la concurrence et du profit privé maximum. Il s'agit tout simplement de réduire au minimum les obligations d'intérêt général pesant sur France Télécom afin de mettre sur le marché une entreprise à nouveau attrayante pour les intérêts capitalistiques.
    Nos constituants de 1946 avaient déjà perçu ce péril de captation par des intérêts privés d'une entreprise ou d'un établissement chargé d'un intérêt général. Ils ont ainsi refusé de soumettre nos services publics au seul jeu du marché et aux impératifs financiers immédiats. Ils pressentaient déjà que la logique du marché suppose le plus grand profit à court terme et est par conséquent incompatible avec la logique de service public qui induit la notion de déficit compensé.
    Nous ne pouvons donner un chèque en blanc pour une telle manoeuvre. L'existence d'un service public impose au législateur d'autres prescriptions, comme le respect du principe d'égalité. Or ce principe d'égalité sera violé encore un peu plus par la procédure d'attribution du service public et sa possible segmentation.
    Le projet présenté par le Gouvernement porte également le germe de la dépéréquation tarifaire. Il contrevient donc au principe d'égalité d'accès de tous les usagers en tous points du territoire.
    Au-delà de son inconstitutionnalité, ce projet de loi est marqué du sceau de la mauvaise foi. Mais la mauvaise foi, lorsqu'elle est inscrite dans l'exposé des motifs d'un projet de loi, ne devrait-elle pas être examinée comme une inconstitutionnalité au regard de la volonté de tromper la représentation nationale ?
    « Malhonnêteté intellectuelle » : l'expression pourrait sembler un peu exagérée. Mais n'est-elle pas adaptée lorsque le Gouvernement prétend, à contre-courant des économistes, que la crise financière qu'a traversée France Télécom est imputable à la détention par l'Etat de la majorité de son capital ? Restons sérieux ! Hier encore, nous étions tous d'accord pour reconnaître que, dans cette période d'incertitude boursière et de récession, c'est la détention du capital par un actionnaire sûr et stable, l'Etat, qui a évité une spéculation déstabilisatrice.
    M. Jean Dionis du Séjour. Il fallait oser le dire, ça !
    M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Et les contribuables paient !
    M. Jacques Desallangre. Non, les contribuables paient quand l'Etat n'a pas fait son travail. Or l'Etat était déjà entré dans votre logique, il a laissé M. Bon faire les acquisitions les plus folles, il a laissé France Télécom prendre de l'avance sur ce qui se passe aujourd'hui.
    M. Jean Dionis du Séjour. C'est une agression contre le parti socialiste !
    M. Patrick Ollier, président de la commission. L'Etat, c'était vous aussi, monsieur Desallangre !
    M. Jacques Desallangre. Oui, et je l'ai assez regretté à l'époque...
    M. Patrick Ollier, président de la commission. Quel aveu !
    M. Jacques Desallangre. ... parce qu'on avait déjà laissé France Télécom se glisser dans la peau d'une entreprise privatisée.
    M. Jean Dionis du Séjour. C'est un terrain glissant !
    M. Jacques Desallangre. Vous devriez vous féliciter de tout cela. Nous, nous l'avons regretté et nous l'avons condamné.
    M. Michel Lejeune. C'est vrai !
    M. Patrick Ollier, président de la commission. Mais vous êtes restés dans la majorité !
    Mme la présidente. Poursuivez, monsieur Desallangre !
    M. Jacques Desallangre. Au-delà de son inconstitutionnalité, votre projet est marqué du sceau de la mauvaise foi. Et le qualificatif de malhonnêteté intellectuelle me paraît tout à fait adapté.
    M. Roger Boullonnois. C'est exagéré !
    M. Jacques Desallangre. Les premières difficultés sont en fait apparues avec l'acquisition d'entreprises en Europe et dans le reste du monde à des prix exagérés. Plus de 100 milliards d'euros ont été dépensés pour l'achat, par exemple, de Mobilcom, avec un seul objectif à l'époque : la croissance financière externe et non le développement industriel de l'entreprise, sans tenir compte de la bulle boursière surévaluant la valeur réelle des entreprises acquises à l'époque.
    M. Jean-Paul Charié. Encore fallait-il le prévoir ! Personne ne l'avait prévu !
    M. Daniel Paul. Ne vous laissez pas distraire, monsieur Desallangre !
    M. Jacques Desallangre. France Télécom anticipait sur ce qui risque, hélas ! de se produire aujourd'hui.
    Déjà, elle intégrait les préoccupations d'une entreprise privée. C'est avec l'ouverture du capital que l'entreprise s'est développée à l'échelon international, comme n'importe quelle entreprise capitaliste, avec un management identique et ce, dans une situation de crise boursière. Or, loin de renforcer l'entreprise, cette stratégie d'expansion irraisonnée n'a fait que la fragiliser en l'endettant de 68 milliards d'euros, en provoquant des pertes à hauteur de 20 milliards d'euros et des frais financiers de l'ordre de 4 milliards d'euros.
    Si l'entreprise offre encore aujourd'hui des gages de stabilité, c'est essentiellement parce que l'Etat y est toujours présent. Vous prétendez que vous avez le souci de crédibiliser l'entreprise ? Votre souci est en fait de la rendre plus présentable aux yeux des marchés financiers, afin de mieux la vendre.
    Pour tenter de lever les risques d'inconstitutionnalité, le début de l'exposé des motifs est d'ailleurs essentiellement centré sur le recensement des prétendues raisons qui rendraient nécessaire l'évolution du statut de France Télécom en autorisant une ouverture supplémentaire de son capital jusqu'à maintenant majoritairement détenu par l'Etat.
    Vous n'avez épargné aucun moyen, depuis plus de un an, pour justifier la livraison de pans entiers du secteur public au secteur privé, en particulier pour discréditer France Télécom.
    Vous avez utilisé la commission d'enquête sur la situation financière des entreprises publiques de l'Assemblée nationale, mettant ainsi en application le proverbe populaire selon lequel, lorsque l'on veut tuer son chien, on l'accuse de la rage.
    M. Alain Gouriou. C'est vrai !
    M. Jacques Desallangre. Je ne vois, pour ma part, dans les « raisons » invoquées, que des justifications dogmatiques, sans réelle consistance. Cela témoigne de ce que le Gouvernement a cédé plus à l'idéologie libérale qu'aux exigences portant sur le moyen et le long termes, dans un domaine aussi stratégique que celui des télécommunications.
    Les préoccupations de court terme, qui consistent à tenter de redoper les marchés financiers par la vente d'actions publiques et à conforter les finances de l'Etat, l'ont donc emporté sur des considérations de plus long terme, visant à assurer à France Télécom un développement assis sur un véritable projet industriel.
    A cela s'ajoutent les pressions idéologiques qui exigent de l'Etat français qu'il se replie sur ses strictes fonctions régaliennes, que vous entendez dans le sens le plus étroit : impôt, police, armée, justice.
    Vous redéfinissez le principe du subsidiarité de façon encore plus caricaturale que la Commission européenne ou l'OMC : selon vous, l'Etat doit se réduire à ce dont le marché ne peut s'occuper en raison d'absence de rentabilité ou de souveraineté. Ces orientations le poussent à abandonner au marché tous les autres champs qui faisaient autrefois partie de son pouvoir de régulation, notamment ceux des services publics qui assuraient l'accès de tous aux biens dits « publics » et permettaient ainsi de corriger les inégalités sociales et territoriales.
    L'Etat ne conserverait alors que le quasi-monopole de la contrainte par la loi ou la force, et la charge de faire la charité aux plus pauvres. Tout le reste serait, selon les voeux de votre majorité, soumis au marché : les télécommunications, l'électricité, la poste, l'école, la culture, la santé...
    M. Alain Joyandet. Oh !
    M. Daniel Paul. C'est vrai !
    M. Jacques Desallangre. Je vous donne rendez-vous : on en reparlera dans quelque temps.
    L'objectif principal de ce projet de loi est donc bien de rendre possible à tout moment la privatisation totale de France Télécom. Aucune limite n'est fixée par le projet de loi en ce qui concerne la part qui resterait à l'Etat. Pourtant, le maintien d'une participation de l'Etat supérieure à 50 % du capital permet tout à fait, à notre avis, de porter les orientations stratégiques tournées vers la poursuite du redressement financier et vers le développement de l'entreprise, intégrant le concept d'opérateur global présent dans le fixe, le mobile et l'internet, relançant la recherche-développement et renouant avec des partenariats.
    Le caractère public de France Télécom n'a jamais empêché cette entreprise de mener la stratégie qu'elle estimait judicieuse. Il y a peu, l'entreprise n'a-t-elle pas procédé au rachat d'Orange ? Il est vrai que cette opération a eu pour conséquence de diluer la part de l'Etat, qui s'approche aujourd'hui de la barre des 50 %. Ce fut déjà une pré-privatisation par le marché, sans autorisation législative et au prix de montages financiers pour éviter de passer sous le seuil des 50 %.
    Oui, messieurs de la majorité,...
    M. Pierre Cardo. Et mesdames !
    Mme Catherine Vautrin. Merci pour nous !
    M. Jacques Desallangre. ... il est pour nous fondamental que l'Etat puisse, par sa présence majoritaire dans le capital, rester le garant de l'accomplissement des missions d'intérêt général dans ce secteur stratégique des télécommunications : accès au droit à la communication pour tous, aménagement du territoire, recherche, innovation, sécurité, défense.
    De surcroît, le sort connu ces derniers mois par plusieurs groupes industriels nous invite à ne pas écarter les risques liés aux effets des spéculations boursières.
    L'éventualité d'une minorité de blocage, que l'on évoquait encore dans les rangs de la majorité il y a quelques temps, qui aurait permis à l'Etat d'assurer un contrôle minimal, n'est même plus d'actualité. Elle serait, nous dit-on, susceptible d'entraver le développement futur de l'entreprise dans la compétition mondiale. Pensez-vous réellement que la privatisation mette demain France Télécom à l'abri des crises financières plus qu'elle ne l'est aujourd'hui ?
    M. Pierre Cardo. Et le Crédit lyonnais
    M. Jacques Desallangre. En termes de politique industrielle, on a pu observer combien la logique de marché ancrait la stratégie des groupes dans une perspective de court terme, fondée sur la rentabilité immédiate.
    Nous constatons aujourd'hui avec beaucoup de regret que se télescopent deux attentes contradictoires.
    Celle de l'entreprise elle-même, avec sa direction, ses salariés, son intelligence et sa culture, qui tend à développer un projet industriel à moyen et long terme pour assurer sa survie et son extension ; cette logique capitaliste, qui prévalait il y a encore vingt ans, présente au moins le mérite d'être fondée sur un projet et une réelle création de richesses.
    Celle d'un actionnariat plus volatile mais toujours plus cupide, représenté par les fonds de pension, qui détient le pouvoir et réclame une rentabilité financière de 10 à 15 %.
    Ce nouvel actionnariat se moque du projet. Il ne s'intéresse qu'aux cours de bourse et aux dividendes. Il n'hésite pas à évincer un dirigeant qui se focalise sur le projet industriel et l'avenir de l'entreprise plus que sur la rentabilité immédiate du capital.
    On doit bien reconnaître que c'est l'existence même des marchés financiers qui contrarie souvent le développement interne des entreprises, lequel est fondé sur l'élaboration d'un projet industriel à long terme, exigeant la mobilisation de lourds investissements dans la production. Au contraire, la nécessité, pour les chefs d'entreprise, de montrer à tout prix à leurs actionnaires un chiffre d'affaires en hausse, une rentabilité accrue, les oblige, obligera France Télécom, à procéder à des opérations de croissance externe sans rapport avec un projet industriel.
    Ainsi, par une stratégie d'acquisition à l'international, France Télécom est-il devenu l'un des plus grands opérateurs mondiaux de télécommunications. Mais, à cause de la carence de l'Etat, qui n'a pas toujours joué son rôle, cette stratégie s'est traduite par un endettement record de 65 milliards d'euros et par une perte historique de 8,3 milliards d'euros pour l'exercice 2001.
    M. Patrick Ollier, président de la commission. Eh oui !
    M. Jacques Desallangre. Cet endettement faramineux aurait très probablement conduit France Télécom à sa perte si l'Etat n'était pas actionnaire majoritaire. L'entreprise aurait alors probablement été obligée de vendre ses activités les plus rentables pour récupérer de la trésorerie. Le marché aurait dépecé ce bel ensemble, comme cela s'est produit pour d'autres fleurons de l'industrie française. Je pense notamment à des exemples récents, comme celui d'Alstom, qui a dû se séparer de plusieurs branches pourtant très rentables, très profitables à la nation, alors que seules des erreurs de gestion de sa direction étaient responsables du naufrage.
    Voilà ce que la présence de l'Etat a évité pour France Télécom.
    M. Pierre Cardo. Et pour le Crédit lyonnais ?
    M. Jacques Desallangre. Cependant, les concurrents de France Télécom sont frustrés de n'avoir pu la dépouiller et tentent par tous les moyens de le lui faire payer en multipliant les contentieux et en facturant la présence majoritaire de l'Etat dans son capital.
    L'entreprise est néanmoins, malheureusement, conduite, à opérer des choix de désendettement et de rationnalisation des coûts qui grèvent sa capacité de développement interne et la poussent à opérer des coupes sombres dans les investissements. La diminution du budget recherche et développement consacré à la recherche fondamentale est, à cet égard, tout à fait symptomatique, et vient, d'ailleurs, contrarier les affirmations de M. le rapporteur.
    Dans les années 80, 70 % de ce budget étaient consacrés à la recherche, les 30 % restants étant principalement destinés au développement du secteur commercial. A la fin des années 90, c'est l'inverse, la priorité étant donnée à la stratégie commerciale et au marketing. Aujourd'hui, la part de la recherche est tombée à 15 %, et l'on estime qu'elle n'atteindra plus que 7 % d'ici à 2005. Une telle orientation est révélatrice de l'abandon d'une visée à long terme au profit d'un choix de court terme axé sur le développement de marchés solvables et plus lucratifs. Elle s'accompagne d'un immense gâchis du point de vue des choix techniques de l'opérateur historique.
    A l'heure où plusieurs techniques sont en concurrence, où des choix importants pour l'avenir doivent être faits, on peut s'interroger, par exemple, sur le peu d'empressement pour la fibre optique, qui semble pourtant constituer l'un des enjeux économiques de demain.
    La logique libérale qui se déploie va à l'encontre d'une réponse appropriée aux besoins de notre société. Dans le domaine des télécommunications comme dans d'autres domaines, hélas ! nous assistons à un véritable gâchis financier, sur le plan national cette fois. En témoigne la multiplication des réseaux concurrents d'opérateurs qui, aux dires mêmes des libéraux, constituent une absurdité macroéconomique qui nous éloigne de l'optimisation des investissements. Pourquoi ne pas favoriser la construction d'un réseau homogène, couvrant l'ensemble du territoire et répondant, en respectant les principes mêmes de notre service public, aux besoins de notre population ?
    Ce projet de loi s'inscrit à l'opposé de cette démarche volontariste, dans une logique purement libérale qui conduit notre pays à renoncer à disposer, par le biais d'une politique industrielle appropriée, capable d'orienter les choix de nos grands groupes, d'une maîtrise publique de son secteur des télécommunications. En témoignent les nombreuses dispositions du texte qui affaiblissent encore le rôle de l'Etat et annulent toute possibilité de contrôle sur les options choisies. L'une des dispositions du projet de loi fait ainsi perdre à l'Etat son droit de contrôle et d'opposition à l'égard de la vente par France Télécom de ses infrastructures de réseaux de télécommunications.
    Dans les conditions actuelles de son endettement, qui empêchera France Télécom une fois privatisée de vendre tout ou partie de ses réseaux aux collectivités territoriales les plus puissantes, celles qui disposeront des moyens financiers leur permettant de les acquérir, ou aux opérateurs privés qui se porteront acquéreurs ? La vente par morceaux des réseaux de télécommunication français est ainsi possible, avec toutes les conséquences que l'on peut facilement en déduire quant à la pérennité de notre service public de télécommunications, car le réseau est la substance du service. En privatisant le réseau sans vous assurer de sa pérennité, c'est le service public que vous hypothéquez.
    Avec une telle politique libérale, seront remis en cause le droit à la communication pour tous et en tous points du territoire, ainsi que l'égalité d'accès de tous les citoyens aux nouvelles techniques de communication. Je reviendrai bientôt sur ce point en citant un extrait du journal Marianne. Désormais, les obligations de service public seront définies indépendamment de l'opérateur qui en sera chargé. Le Gouvernement fait le choix d'un service universel minimal, libérant ainsi l'ensemble des opérateurs de tout souci de mise en place d'un véritable service public correspondant aux besoins du xxie siècle.
    Cette conception du service public est en totale contradiction avec les déclarations répétées du Gouvernement sur son attachement à la spécificité française dans ce domaine. Or la conception française du service public doit, à notre sens, prévaloir.
    Rappelons que le service public des télécommunications, tel qu'il est défini à l'article L. 35 du code des télécommunications, comprend le service universel des télécommunications, les services obligatoires de télécommunication et les missions d'intérêt général. Ce service public est fondé sur les principes fondamentaux de la continuité, de l'égalité et de l'adaptabilité.
    Nous sommes favorables à la construction d'un service public des télécommunications de qualité, qui repose sur ces trois principes : l'égalité, avec l'objectif de donner à chacun le droit d'accès au service des télécommunications, indépendamment de son niveau de revenu ;...
    M. Jean-Paul Charié. Cela s'appelle le service universel !
    M. Jacques Desallangre. ... la solidarité, avec l'ambition d'assurer la cohésion sociale et territoriale, notamment à travers les mécanismes de péréquation tarifaire, et l'obligation de fournir le service sur l'ensemble du territoire ; la maîtrise citoyenne, qui exige que les secteurs d'activité relevant de l'intérêt général fassent l'objet de politiques publiques et de contrôles démocratiques.
    Il est clair qu'il existe un réel attachement des citoyens à un service public remplissant ces missions d'égalité et de solidarité. Or, ces principes ne sont pas conciliables avec la logique du marché que vous introduisez dans le présent projet de loi. La mission de renforcement de la cohésion sociale dévolue au service public ne pourra pas être véritablement accomplie. Le service public ne peut se réduire à une simple prestation de biens et de services ; il doit aussi produire du lien social et de la citoyenneté.
    Nous estimons qu'un véritable service public des télécommunications est, d'une part, primordial pour la promotion de l'égal accès de tous aux télécommunications et, d'autre part, indispensable à la réduction des inégalités sociales et territoriales nées de l'essor des nouvelles techniques de l'information et de la communication. La satisfaction de l'intérêt général doit en être le moteur.
    Au coeur d'enjeux économiques cruciaux, le service public des télécommunications constitue en soi un enjeu politique majeur, à savoir la mise en place de la société de l'information. Ce sujet de société mérite à nos yeux un vrai débat public, car ce qui est en question, c'est le droit pour tous à la communication et à l'information. Le fond du problème, c'est le contenu du service public, que la notion européenne de service universel reprise dans l'intitulé du titre Ier réduit comme peau de chagrin. Et l'on peut s'interroger sur la réelle volonté de l'enrichir en y ajoutant la téléphonie mobile et l'Internet à haut débit d'ici à 2005.
    En effet, la France avait officiellement demandé, avec l'Espagne, l'Italie, le Luxembourg et la Grèce, l'intégration du mobile et de l'Internet à haut débit dans le champ du service universel, conformément au principe d'adaptabilité, qui permet de faire évoluer ce service au rythme des progrès technologiques. Il a ensuite été prévu de revoir la portée du service universel, au plus tard le 24 juillet 2005. Mais on aurait pu le faire plus tôt. Quels sont les engagements du Gouvernement sur ce point sachant qu'il propose de supprimer l'article du code des postes et télécommunications qui prévoit un rapport au Parlement pour définir le contenu du service universel ? Alors que la directive européenne laisse aux Etats la possibilité d'élargir le contenu du service universel, votre projet de loi réduit son périmètre au strict minimum, c'est-à-dire à l'accès au téléphone fixe, aux appels d'urgence, à l'annuaire des pages blanches, au service de renseignements et aux cabines téléphoniques, délaissant ainsi le haut débit.
    S'il est vrai que les directives européennes ont pour objectif l'ouverture à la concurrence et une libéralisation plus importante de l'économie, il n'en reste pas moins que vous n'en faites la lecture qu'à travers le prisme de l'ultralibéralisme,...
    M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Mais non !
    M. Jacques Desallangre. ... et que leur application zélée dépasse bien souvent les frontières de l'extrapolation.
    Pourquoi, en ce domaine, la France ne donnerait-elle pas l'exemple en légiférant pour mettre en place un réseau Internet haut débit sur l'ensemble du territoire, et sous la responsabilité de France Télécom ? Sinon la fracture numérique entre les territoires qui auront le haut débit et ceux qui ne l'auront pas risque de s'accroître. Dans notre société de l'information et de la connaissance, fournir à chacun d'entre nous l'accès aux moyens de communication est un enjeu véritable, qui dépasse largement l'aspect utilitariste.
    Votre projet n'est pas dicté par les contraintes européennes, il est avant tout idéologique. Rien dans les textes communautaires ne vous oblige à adopter une vision aussi étroite du service public, à privatiser France Télécom, et à violer les principes constitutionnels d'égalité et de propriété. Aucun texte ne vous impose d'être plus dogmatique que la Commission européenne pourtant très libérale. Nous entrons dans le règne où devient possible, surtout le pire, comme en Grande-Bretagne depuis la privatisation du réseau ferré, ou aux Etats-Unis avec leurs pannes d'électricité et leurs réseaux obsolètes.
    On peut déjà faire le bilan de la privatisation partielle engagée en 1996 pour l'usager, désormais rebaptisé « client ».
    On déplore déjà des dysfonctionnements et des carences : inadaptation des dispositifs aux personnes en difficulté - comme l'a relevé la commission supérieure du service public des postes et télécommunications -, absence de prise en compte du problème des handicapés ; dégradation de la maintenance des cabines publiques ; allongement des délais d'intervention en cas de défaillance des lignes et des installations résidentielles ; et surtout hausse de la facturation pour les petits consommateurs d'appels locaux, par le biais du doublement de l'abonnement.
    Pour s'assurer que le prix du service reste abordable, les pouvoirs publics exercent théoriquement un contrôle sur les tarifs du service universel. Or, bien que le rapport rendu au Gouvernement sur le service public des télécommunications montre que les tarifs globaux ont baissé, des disparités importantes existent.
    Selon vous, les prix, grâce à la concurrence, auraient baissé. Pourtant les particuliers ont plutôt subi une forte hausse, tous services confondus. Ainsi, entre 1985 et 2003, les tarifs de mise en service téléphonique ont augmenté de 89 %, et ceux de l'abonnement au téléphone fixe de 86 %. La seconde prise et les interventions de dépannage, jusqu'alors gratuites, sont maintenant facturées, respectivement 46 euros et 68 euros. Le moindre retard de paiement coûte quant à lui 9,48 euros.
    En fait, ce sont surtout les communications « longue distance » qui ont baissé sur les axes à fort trafic, tel l'axe Europe-USA. Cette baisse s'est accompagnée d'un « rééquilibrage » tarifaire au détriment de la grande masse des usagers. Les tarifs des communications locales n'ont pas intégré les gains de productivité et ils ont donc enregistré une hausse relative qui était d'autant plus sensible qu'elle s'est accompagnée d'une modification du système de facturation.
    Cette nouvelle tarification est non seulement inégale mais surtout peu transparente.
    Je livre à votre méditation ces réflexions tirées d'un article consacré à France Télécom : « France Télécom va-t-elle abandonner les derniers oripeaux de son passé d'opérateur public, en mettant fin à l'uniformité tarifaire du territoire national ? Wanadoo, filiale de l'entreprise, s'apprête à offrir un abonnement ADSL à prix variable selon la localisation de la ligne. Certes, les nouvelles offres sont en baisse, mais celle-ci sera plus importante pour les grandes villes : moins 40 %. Le milieu rural, qui est loin d'accueillir partout cette technologie, ne baissera que de 20 %, sachant, en outre, qu'avec le signal affaibli qui leur sera livré, il leur sera impossible d'accéder au réseau télévisé ou à la téléphonie haut débit. » Voilà ce qu'apporte une concurrence non maîtrisée, voire sauvage. Je poursuis : « Il est vrai que France Télécom doit faire face à une concurrence assassine. D'autres opérateurs, Free, LDCOM ou Télé 2, spécialisés dans les zones denses à fort rendement et les niches, lui dament le pion. Résultat : de nombreux clients n'ont désormais d'autre relation avec l'ex-opérateur public que l'abonnement de base à 13 euros. Mais pour combien de temps ? L'une des conséquences de ce processus est en effet l'augmentation annoncée de l'abonnement, un abonnement qui, lui, restera uniforme sur tout le territoire. »
    Et certaines dispositions du projet de loi nous font craindre d'autres dégradations de la qualité du service : fractionnement des composantes du service universel, ambiguïté rédactionnelle laissant penser que chaque composante pourra elle-même être fractionnée ou sous-traitée.
    Nous avons le devoir d'exercer la compétence que nous confie le peuple - sinon, nous méconnaîtrions la Constitution - en nous assurant que les modifications proposées ne conduisent pas à obérer la qualité du service rendu. C'est pourquoi nous affirmons fortement la nécessité que le Parlement contrôle le maintien de la bonne qualité du service public. Il serait dangereux, à nos yeux, que les conditions de fourniture du service universel et les obligations tarifaires soient arrêtées en dehors de tout contrôle du politique, par suite d'une délégation excessive au pouvoir réglementaire ou à l'organe régulateur. Le Parlement doit veiller tout particulièrement à ce que certaines catégories de personnes ne soient pas exclues du service public.
    Parce que vous n'avez comme seul dessein politique pour la France que de la plier aux diktats des marchés et de la Commission européenne...
    M. Patrick Ollier, président de la commission. Non, non !
    M. Jacques Desallangre. ... parce que votre volonté de soumission vous pousse à abandonner les services publics et à réduire l'Etat à ses seules prérogatives régaliennes, votre projet contrevient directement au bloc de constitutionnalité qui reste le seul barrage contre les conceptions minimalistes de l'Etat que nous condamnons. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.
    M. Patrick Ollier, président de la commission. Monsieur le député, vous avez développé une argumentation pleine de nostalgie pour une époque révolue. (Exclamations sur les bancs du groupe de député-e-s communistes et républicains.) Ce que veulent la majorité et le Gouvernement, c'est faire en sorte de donner à l'entreprise France Télécom les moyens d'une compétitivité plus forte et d'une efficacité plus grande. Je vais essayer de vous rassurer sur ce point, mais je doute fort d'y arriver.
    Vous avez été honnête, monsieur Desallangre, en défendant une véritable exception d'irrecevabilité fondée sur l'article 91, alinéa 4, du règlement. Je vous rends hommage, parce que ce n'est pas coutumier dans cet hémicycle. Puisque vous affirmez que ce texte est inconstitutionnel, je vais vous démontrer que votre argumentation n'est pas la bonne.
    Tout d'abord, il n'est dit nulle part dans le texte que France Télécom devra être totalement privatisée. Vous utilisez des arguments qui ne correspondent pas à la réalité du texte que vous avez sous les yeux. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) S'il vous plaît, n'agitez pas le chiffon rouge du dogmatisme faisant mine d'argumenter sur la Constitution.
    Affirmer que la privatisation d'un service public national serait contraire au neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ne tient pas. Permettez-moi de le relire : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. »
    M. Jacques Desallangre. Oui.
    M. Patrick Ollier, président de la commission. Pour ce faire, vous vous référez aux décisions du Conseil constitutionnel de 1982. Monsieur Desallangre, que n'avez-vous lu celles de 1986 ! Dans un arrêt du 25-26 juillet 1986 sans cesse réaffirmé depuis, il indique clairement que le principe établi par le Préambule de 1946 ne concerne que les services publics nationaux dont la nécessité découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle.
    M. Jacques Desallangre. Et alors ?
    M.Patrick Ollier, président de la commission. Je vais vous répondre, ne soyez pas impatient, monsieur Desallangre. Que dit le Conseil constitutionnel dans cette décision ?
    Le considérant 53 est ainsi rédigé - je vous le lis pour le procès-verbal de séance : « Considérant que, si la nécessité de certains services nationaux découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle, la détermination des autres activités qui doivent être érigées en service public national est laissée à l'appréciation du législateur ou de l'autorité réglementaire selon les cas,...
    M. Daniel Paul. Hélas !
    M. Patrick Ollier, président de la commission. ... « qu'il suit de là que le fait qu'une activité ait été érigée en service public par le législateur sans que la Constitution l'ait exigé ne fait pas obstacle à ce que cette activité fasse, comme l'entreprise qui en est chargée, l'objet d'un transfert au secteur privé. » Voilà la jurisprudence du Conseil constitutionnel !
    M. Daniel Paul et M. Gérard Charrasse. C'est un aveu !
    M. Patrick Ollier, président de la commission. Toute la question est donc de savoir si le caractère de service public des télécommunications découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle, ou seulement de la loi. Dans ce dernier cas, il peut « éventuellement » être transféré au secteur privé.
    Or, toujours d'après la jurisprudence du Conseil constitutionnel, les services publics constitutionnels ne coïncident pas avec les entreprises publiques, contrairement à ce que vous affirmez, puisqu'il s'agit des fonctions dites régaliennes de l'Etat - défense nationale, justice, affaires étrangères ou police par exemple.
    M. Daniel Paul. Vous voulez réduire le service public comme une peau de chagrin !
    M. Patrick Ollier, président de la commission. On peut donc en conclure que l'activité de France Télécom ne correspond pas à la notion de service public constitutionnel. Le Conseil constitutionnel s'est d'ailleurs prononcé implicitement sur ce point puisque, dans sa décision du 23 juillet 1996 - que vous n'avez pas lue non plus - , rendue déjà à la suite d'un recours contre la loi de 1996 relative à France Télécom il estimait que le législateur avait garanti la participation majoritaire de l'Etat dans le capital de l'entreprise, et il ajoutait que l'abandon de la participation majoritaire ne pourrait résulter que d'une loi ultérieure. Nous sommes bien dans ce cadre.
    M. Daniel Paul. Et alors ?
    M. Patrick Ollier, président de la commission. Il semble donc logique de considérer, sur le fondement de cette décision, que les télécommunications ne sont pas visées par le Préambule de la Constitution de 1946 et qu'elles font par conséquent partie des services publics qui peuvent éventuellement, je dis bien éventuellement,...
    M. Daniel Paul. Oui : c'est un choix !
    M. Patrick Ollier, président de la commission. ... être transférés au secteur privé, si la loi leur ouvre cette possibilité.
    M. Daniel Paul. Mais la loi, c'est vous !
    M. Patrick Ollier. Je crois avoir démontré, mes chers collègues, que l'argumentation de M. Desallangre ne tenait pas (« Tout à fait ! C'était très clair ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), même si je l'ai senti sincère : il n'a malheureusement pas lu les décisions du Conseil constitutionnel depuis 1982. C'est pour cette raison que je parlais de nostalgie. C'est également pour cette raison que je vous demande de rejeter cette exception d'irrecevabilité.
    Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à M. Alain Gouriou.
    M. Alain Gouriou. Vous ne serez pas surpris que le groupe socialiste appuie l'exception d'irrecevabilité qui vient d'être défendue par notre collègue Jacques Desallangre. Nous aurons l'occasion, tout au long des deux motions que nous-mêmes allons présenter, puis au cours du débat, d'exposer les différentes raisons qui motivent nos positions sur ce projet de loi. Nous y sommes complètement opposés, tant sur la forme que sur le fond.
    Nous considérons que le service des télécommunications est un service public stratégique pour l'Etat. Ce n'est pas un service secondaire quelconque, ni une manufacture de produits. Il repose sur un potentiel de recherche et ses implications en termes de développement social et culturel sont telles que sa privatisation comporte des risques que, pour notre part, nous ne voulons pas assumer.
    Mme la présidente. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.
    M. Jean Dionis du Séjour. Je ne suis pas, quant à moi, un grand constitutionnaliste et j'ai écouté respectueusement mon collègue, et surtout le président de la commission développer leur argumentation. C'est avant tout la vision manichéenne de notre collègue Desallangre qui m'a frappé (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), avec d'un côté les défenseurs du service public et, de l'autre, les promoteurs d'un statut de société anonyme qu'il redoute et qu'il a diabolisés.
    M. Jacques Desallangre. Je vous ai simplement dit que vous êtes des ultralibéraux. Ce n'est pas une insulte, c'est un constat !
    M. Jean Dionis du Séjour. Pour nous, à l'UDF, les choses sont plus compliquées que cela, et nous allons essayer de montrer que défense du service public et liberté concurrentielle peuvent aller de pair. C'est pourquoi nous voterons contre l'exception d'irrecevabilité.
    M. Pierre Cardo. La sagesse a parlé !
    M. Alain Gouriou. L'UDF fait encore le grand écart !
    Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Paul.
    M. Daniel Paul. Quelques mots seulement, madame la présidente, pour exprimer très logiquement notre soutien à la motion présentée par Jacques Desallangre.
    Ce sont vraiment deux conceptions qui s'affrontent, je suis d'accord avec vous, monsieur Ollier. Vous faites le choix du tout-libéral...
    M. Patrick Ollier, président de la commission. Non !
    M. Daniel Paul. Si : du tout-libéral ! Insister sur « éventuellement » est une simple précaution de style.
    M. Jean Dionis du Séjour. Mais non !
    M. Daniel Paul. Mais si.
    M. Pierre Cardo. Le texte n'est pas ultralibéral : l'Etat est encore présent dans le capital de France Télécom !
    M. Daniel Paul. Pour ce qui nous concerne, nous ne faisons pas le choix du tout-collectif dans une société comme la nôtre, mais il est certaines activités qui requièrent une maîtrise publique complète, sauf à ouvrir la voie au marché. Et l'on sait maintenant d'expérience...
    M. Pierre Cardo. ... que ce sont les pays communistes qui ont le mieux réussi sur le plan économique !
    M. Daniel Paul. On vous a demandé un bilan de la privatisation partielle mais vous refusez de le faire ! On sait maintenant où conduit la privatisation des entreprises publiques : au dépeçage avant la mise à mort. Et cela, nous n'en voulons pas pour France Télécom !
    M. Jacques Desallangre. Bravo !
    M. le président. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.
    (L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

Question préalable

    Mme la présidente. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole et à M. François Brottes.
    M. François Brottes. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en pensant aux victimes des inondations auxquelles est confronté notre pays, je voudrais tout d'abord rendre hommage à celles et ceux qui, dans l'urgence et le risque, interviennent ici pour sauver des vies et là pour limiter la détresse, à ceux qui, de jour comme de nuit, et en ce moment même, au nom de la continuité du service public, sont en train de remettre en état les réseaux, pour l'énergie comme pour les télécommunications.
    M. Pierre Cardo et M. Jean-Paul Charié. Très bien !
    M. Patrick Ollier, président de la commission. Nous sommes d'accord avec vous !
    M. François Brottes. C'est l'une des grandeurs de nos entreprises publiques que de pouvoir réagir sans rechigner et avec un grand sens du devoir pour être, avec efficacité et compétence, aux côtés des femmes et des hommes qui souffrent. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Patrick Ollier, président de la commission. Nous ne pouvons qu'approuver !
    M. François Brottes. Plusieurs de nos collègues qui avaient prévu d'intervenir dans la discussion générale ne sont pas là en raison du péril qui menace leur circonscription.
    Le rendez-vous de ce soir marque un jour très noir pour le service public. Cela explique d'ailleurs sans doute que cette discussion ait lieu au coeur de la nuit. Mes chers collègues, il est des principes politiques et sociaux qui fondent le pacte républicain, parce qu'ils sont le ciment de nos valeurs communes. Le droit à l'emploi, le droit d'asile, le droit de grève ou le droit syndical en font partie et, malheureusement, ils ne sont pas les derniers droits à être bafoués et remis en cause par ce gouvernement. Après avoir ébréché - le mot est faible puisque M. Monti dit « tué » - après avoir ébréché donc, il y a quelques jours, le pacte européen, vous nous proposez aujourd'hui, monsieur le ministre, d'entailler sérieusement le pacte républicain. Vous nous proposez, sans vergogne et par conviction vous l'avez affirmé - de fragiliser, puis de brader l'un des fleurons de nos services publics.
    Service public qui assure l'égalité des citoyens sur l'ensemble du territoire - le même prix pour un même service où que l'on vive - service public qui assure la continuité et la modernisation constante du service ; service public qui marque notre préférence pour les valeurs de l'égalité des chances plutôt que pour les valeurs du marché cotées en Bourse qui, elle, n'ont que faire, lorsqu'elles sont dominantes, des considérations d'égalité des chances et d'aménagement du territoire.
    Si certains de mes collègues dans cet hémicycle considèrent que ce propos est ringard, archaïque ou nostalgique, comme le disait Patrick Ollier à l'instant, je les renvoie à notre base constitutionnelle, à nos textes fondateurs. Je vous rappelle, d'ailleurs, que ces derniers affirment clairement que « toute entreprise dont l'exploitation a le caractère d'un service public national doit devenir - donc demeurer - la propriété de la collectivité ». Je dis à Patrick Ollier, qui vient d'essayer de nous faire une démonstration, que la sécurité du pays découle d'un principe et de valeurs constitutionnels et que c'est l'un des enjeux en matière de réseau de communications. La loi ultérieure à laquelle il faisait allusion tout à l'heure n'est pas encore votée. Donc la jurisprudence constitutionnelle sur cette loi n'existe pas encore, monsieur Ollier, mais nous en reparlerons ultérieurement.
    Lorsque le Gouvernement veut obtenir de la représentation nationale un chèque en blanc pour avoir les mains libres, pour permettre à l'Etat de se désengager et surtout de ne plus être majoritaire dans une entreprise publique qui assure une mission de service public, avec des enjeux vitaux pour le pays, c'est bien qu'il a la volonté de ne plus laisser le soin à cette entreprise d'assurer cette mission de service public, sauf à être en totale contradiction avec notre Constitution. Monsieur le ministre, si votre gouvernement est légitime pour faire des choix politiques libéraux et idéologiques, il n'a pas le droit de bafouer impunément nos valeurs fondamentales. Avant de développer les risques majeurs que va générer le scénario que vous nous proposez, permettez-moi de résumer en six actes votre plan de bataille.
    Premier acte : votre majorité installe une commission d'enquête à l'Assemblée nationale pour décrédibiliser, avec plus de slogans que d'arguments, la gestion de nos entreprises publiques. Même si je conviens que France Télécom, comme tous les autres grands opérateurs mondiaux, n'a pas échappé à quelques errements impulsés par la déraison de la bulle spéculative de l'époque, notre entreprise publique n'est pas l'opérateur le plus endetté du paysage - voir Deutsche Telekom.
    M. Jean-Paul Charié. C'est l'entreprise la plus endettée du monde !
    M. François Brottes. Pas du tout, cher collègue ! Ce que la commission d'enquête a oublié volontairement de préciser c'est que, dans la durée, sur les dix dernières années, France Télécom a largement plus rapporté au budget de l'Etat que ce que celui-ci a consenti, à juste titre, à lui apporter dans la période récente. Je tiens les comptes à votre disposition.
    Deuxième acte : on veut nous faire croire que l'Europe nous fait obligation de mettre France Télécom en concurrence avec d'autres opérateurs pour assurer le service universel, voire on sous-entend que c'est l'Europe - elle a toujours bon dos avec ce gouvernement ! - qui impose la privatisation. Je veux dire clairement ici que ces deux affirmations sont fausses. Sur le premier point, la directive dit, dans son neuvième considérant, que ses « dispositions n'empêchent pas les Etats membres de désigner plusieurs entreprises pour fournir les éléments de réseau et de service du service universel ». Mais elle indique clairement dans son article 8 que « les Etats membres peuvent désigner une ou plusieurs entreprises afin de garantir la fourniture du service universel » et que c'est seulement « lorsque les Etats membres désignent des entreprises » - donc plusieurs - « pour remplir les obligations de service universel sur tout ou partie du territoire national » que les Etats « ont recours à un mécanisme de désignation », de type appel d'offres, « qui n'exclut a priori aucune entreprise ».
    M. Jean-Paul Charié. Eh bien voilà !
    M. François Brottes. C'est donc bien parce que votre choix est celui de dépecer et de répartir le service universel que vous nous proposez ce texte. Rien ne vous empêche d'en rester à la situation actuelle, où c'est France Télécom qui est chargée de cette mission de service public. Vous voyez bien que la directive a bon dos et qu'elle ne peut pas vous servir de prétexte pour privatiser France Télécom.
    Troisième acte : maintenant que vous avez le prétexte, vous pouvez passer à l'acte de sabordage des missions de service public. Vous nous proposez une application a minima de la directive sur les services universels. Vous n'hésitez pas à réduire, avec la complicité du rapporteur, le périmètre du service universel. Je pense à l'annuaire, monsieur le rapporteur. Votre texte et les amendements du rapporteur font tout pour amoindrir la portée normative des garanties de mise en oeuvre du service universel et pour réduire à la portion congrue le fonds de compensation collecté. On réduit le périmètre, le financement, et on voit où cela nous mène. Vous envisagez clairement la possibilité, organisée par la loi, de dépecer le service universel, par types de services ou par morceaux de territoire.
    Quatrième acte : parce que la démocratie parlementaire a des lourdeurs que vous supportez mal, comme vous nous l'avez laissé entendre en commission, monsieur le ministre, vous demandez au Parlement un chèque en blanc pour que l'engagement de l'Etat passe, sans rendre comptes à la représentation nationale, en dessous de la barre des 50 % dans le capital de France Télécom. Vous venez d'ailleurs de nous annoncer dans votre intervention préliminaire que vous finiriez le « job » - passez-moi l'expression - par ordonnances. Mais pouvez-vous nous dire au moins jusqu'où vous allez désengager l'Etat, pour cautionner quel type de stratégie, avec quelles conséquences pour le personnel de l'entreprise et pour l'ensemble de nos concitoyens ? Votre texte est totalement opaque en la matière et nous vous demandons des explications. Nous vous remercions d'avance, monsieur le ministre, de nous les communiquer.
    Cinquième acte : vous optez pour la discrétion, puisque vous annoncez le texte de la privatisation de France Télécom au milieu de l'été et que vous transformez l'essai au Parlement au moment des fêtes de Noël. Je comprends cette discrétion, mais personne n'est dupe, car il s'agit de la première privatisation d'un grand service public. Elle est symbolique, car elle est la première d'une série déjà largement annoncée ou subrepticement supposée : demain EDF, après-demain La Poste, la SNCF, allez savoir !
    M. Jacques Desallangre. C'est bien parti !
    M. François Brottes. Sixième acte : vous êtes bien sûr courtois, monsieur le ministre, discret - je viens de l'évoquer -, mais cela ne vous empêche nullement d'être un fin stratège.
    M. Jean Dionis du Séjour. Ah !
    M. François Brottes. En effet, le dernier acte du scénario, c'est l'organisation d'une entourloupe parfaite, le piège idéal, et là n'est pas votre moindre génie. Vous jouez les pompiers pyromanes. Vous allumez la mèche de la privatisation et de la fin du service public, et vous proposez un casque et une tenue de protection aux 106 000 fonctionnaires de France Télécom en inventant un dispositif singulier, dérogatoire et assez extravagant, par lequel vous laissez croire au personnel que, même en ne gérant qu'une petite part du service public, voire plus du tout, et en étant salarié d'une entreprise totalement privée, ils pourraient sans encombre conserver durablement leur statut de fonctionnaires. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Cette disposition n'est absolument pas sécurisée juridiquement. En revanche, elle est, il est vrai, judicieusement proposée pour favoriser la paix sociale. Je souhaite rappeler au personnel que la meilleure garantie, c'est de rester salarié dans une entreprise publique où l'Etat reste majoritaire et à laquelle la nation confie la mise en oeuvre de larges missions de service public. Voilà pour le résumé de votre démarche vers la casse délibérée du service public. Je veux dire à mes collègues de la majorité d'aujourd'hui qu'il ne faudra pas qu'ils viennent ensuite se plaindre dans leur circonscription, en accusant tel ou tel fonctionnaire parce que le service n'est plus rendu. La responsabilité relève clairement d'un choix politique - le rapporteur l'a affirmé - et s'ils vont au bout de ce choix, mais je ne désespère pas de les convaincre d'y renoncer, ils devront en assumer les conséquences, notamment en milieu rural.
    Vous nous présentez donc aujourd'hui, monsieur le ministre, un projet de loi relatif aux obligations de service public des télécommunications - on croit rêver ! - qui, en réalité, autorise votre volonté délibérée de privatiser l'opérateur historique et public France Télécom et le choix de la perte totale de contrôle par l'Etat - c'est ça la privatisation -, ce qui n'a plus rien à voir avec une simple ouverture du capital pour intégrer des participations minoritaires.
    Il est déjà loin le temps - et croyez bien, monsieur Ollier, que j'ai la nostalgie de ce temps-là - où le rapporteur de la loi de 1996, dite loi Fillon, aujourd'hui député UMP, défendait la présence de l'Etat dans une entreprise, dès lors que l'exécution d'un service public était en jeu. Cela montre bien que l'influence ultralibérale au sein de la majorité emporte tout sur son passage, même les plus solides convictions gaullistes.
    Votre texte, monsieur le ministre, fait peser de graves menaces sur la qualité du service public et sur l'avenir même de France Télécom. Sans compter qu'il n'a fait l'objet d'aucune concertation digne de ce nom, ni avec les partenaires sociaux ni avec les usagers. C'est pour toutes ces raisons, nombreuses, que je défends au nom du groupe socialiste cette question préalable.
    En dépit du titre du projet de loi reconnaissant l'existence d'un service public des télécommunications, il n'échappe à personne que l'objet réel de votre texte est la privatisation de France Télécom. C'est un choix politique étrange que de préférer la main invisible du marché à celle de l'Etat pour assurer un service de qualité aux usagers, à moins qu'il ne s'agisse en réalité de tirer des recettes de la privatisation pour contribuer à réduire les déficits du budget de l'Etat. La privatisation de France Télécom précarisera nécessairement le service public. Le titre Ier du projet de loi est éclairant sur ce point. Il consacre un service universel interstitiel saucissonné et attribué au moins-disant.
    Avec cette loi, vous inventez le service public « peau de chagrin ». Le service universel est la composante fondamentale du service public des télécommunications. Dans le principe, ce service consiste en la fourniture à tous d'un service de téléphonie fixe - le mobile n'en fait toujours pas partie -, de qualité et à un prix abordable. Il inclut, par ailleurs, l'acheminement gratuit des appels d'urgence, la fourniture d'un service de renseignements et d'un annuaire imprimé et électronique, ainsi que la desserte du territoire en cabines téléphoniques sur le domaine public. Il prévoit aussi des conditions tarifaires et techniques spécifiques adaptées aux personnes qui présentent des difficultés d'accès au service téléphonique en raison de leur handicap ou de leur niveau de revenu.
    Le gouvernement Jospin avait demandé officiellement l'intégration du mobile et de l'internet haut débit dans le champ du service universel, lors des négociations sur la directive communautaire. C'était conforme au principe d'adaptabilité, qui permet de faire évoluer le service universel au rythme des progrès technologiques. Bien que l'Espagne, l'Italie, le Luxembourg et la Grèce s'y soient ralliés, cette position n'a pas été retenue. Il a néanmoins été prévu, à la demande de la France, de revoir la portée du service universel au plus tard le 24 juillet 2005. C'est bientôt. Il est regrettable qu'une fois de plus, la construction du droit des télécoms se fasse à la seule aune du droit de la concurrence et limite l'évolution du service universel.
    La concurrence ne peut pas tout. Elle ne trouve d'intérêt que là où la clientèle lui offre la possibilité de faire des bénéfices, et elle se contrefiche du reste. Avouons-le ! Sans le dire, bien entendu, le rapport Larcher le montre bien lorsqu'il énumère les difficultés rencontrées pour étendre au mobile le service universel. Toutes ces difficultés ne sont liées qu'au souci de respecter le droit de la concurrence. L'opérateur historique pourrait s'en charger. Il est, semble-t-il, prêt à l'accepter, s'il n'y a pas d'appel à la concurrence. Mais l'instauration d'un monopole de France Télécom, dans les zones mal desservies, pour le mobile est considéré comme inacceptable, au motif que cette activité a toujours été ouverte à la concurrence et surtout qu'il existe d'autres opérateurs de mobile qui ne sont pas prêts et qu'il ne faudrait pas mettre en difficulté. Bref, ce sont les acteurs du secteur au regard de leur position sur le marché qui décident de l'évolution du service universel, et non les politiques, qui ont en charge l'intérêt général ! D'autres exemples pourraient être pris, notamment pour le développement de l'internet. France Télécom a proposé, par le passé, des tarifs très compétitifs pour le raccordement des écoles à internet. L'ART les a refusés, au motif que ces tarifs faussaient la concurrence.
    M. Jean-Paul Charié. Très bien !
    M. François Brottes. L'échec de la mise en oeuvre de la boucle locale radio par excès de zèle du régulateur est aussi l'une des conséquences d'une gestion de la concurrence qui, finalement, pénalise les usagers et les territoires. Tout opérateur peut être chargé de fournir le service universel et les services obligatoires. Contrairement à l'idée souvent répandue, la loi ne réserve pas à France Télécom la fourniture du service universel. Elle lui fait simplement obligation de le fournir. Si un autre opérateur que France Télécom souhaite être fournisseur du service universel, il peut l'être. Pour le moment, la loi exige simplement que tout opérateur voulant se charger de ce service en accepte la fourniture sur l'ensemble du territoire national et soit capable de l'assurer. Dans les faits, les opérateurs privés ne se sont pas bousculés pour rendre ce service - cela ne vous a pas échappé -, aucun d'entre eux n'étant capable de le faire ni hier ni aujourd'hui, et ce sera sans nul doute aussi le cas demain. Un seul opérateur autre que France Télécom - Kertel pour ne pas le citer - a utilisé ce droit pour fournir un service bien particulier, à savoir les tarifs sociaux. Mais depuis, il a renoncé, c'est un aveu.
    La procédure d'attribution du service universel est profondément modifiée par ce projet de loi, monsieur le ministre, et c'est bien là le problème. Comme aujourd'hui, le service universel peut être confié à tout opérateur qui en accepte la fourniture sur tout le territoire et qui est capable de l'assurer. Le Gouvernement n'a donc pas encore fait le choix, pour le moment, de fractionner territorialement le service universel, comme la directive l'y autorise, ce qui aurait remis en cause l'unicité du réseau. En revanche, il fractionne le service universel en trois composantes - service téléphonique, renseignements et annuaire, cabines téléphoniques - qui pourront être attribuées séparément et échoir à des opérateurs différents. La rédaction retenue étant par ailleurs ambiguë, on peut penser que chaque composante pourra elle-même être fractionnée. Il sera ainsi possible, si le texte est voté, de confier le service de renseignements à un opérateur et l'annuaire à un autre, alors qu'ils appartiennent à la même composante du service universel. C'est donc l'abandon de l'unité du service universel et, par voie de conséquence, c'est toute la construction historique de France Télécom sur la base du concept d'opérateur intégré et global qui est mise à mal. Il n'est plus fait obligation à France Télécom de fournir le service universel. C'est là un changement très important.
    Dans les faits, dès lors que demeure l'obligation de fournir le service universel sur tout le territoire, seule France Télécom sera en mesure de le faire. Il y a donc là quelque incongruité à supprimer l'obligation faite à France Télécom de fournir le service universel pour mettre en place un système d'appel d'offres auquel un seul opérateur pourra répondre, sauf à vendre par appartements le service universel ! Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? C'est la devise des Shadoks et du droit de la concurrence. Ou cette disposition n'est pas sérieuse, ou elle est irresponsable, ou encore elle affirme une volonté de démantèlement. Selon la majorité parlementaire, la procédure d'appel à candidatures serait imposée par la directive, et j'ai déjà expliqué que cela n'était qu'un prétexte. Monsieur le ministre, vous avez d'ailleurs reconnu lors du débat au Sénat qu'il s'agissait d'un choix et non d'une obligation communautaire, et je vous en sais gré.
    Pour respecter les exigences de la directive, il n'est nul besoin de mettre en place cette procédure. La législation actuelle pouvait y pourvoir, puisqu'en ces domaines France Télécom ne dispose pas de droits exclusifs, l'actuel article L. 35-2 du code des postes et télécommunications autorisant tous les opérateurs à fournir le service universel sous certaines conditions. Aucune entreprise n'est donc a priori exclue. Il n'y a pas de discrimination. Par ailleurs, le cahier des charges des opérateurs a été établi de manière transparente et objective, puisque l'ART, dont le rôle est de vérifier que le marché fonctionne selon ces règles, et la Commission supérieure des services publics des postes et télécommunications donnent un avis public. Il n'y a donc pas d'incompatibilité entre la directive et le fait que la loi désigne d'ores et déjà clairement France Télécom comme l'opérateur du service universel. Il faut que chacun l'entende bien, c'est pourquoi je vous le répète : par le choix de cette procédure d'appel d'offres, et par la possibilité de rendre la part de l'Etat minoritaire ou inexistante dans le capital de France Télécom, le Gouvernement prend la responsabilité de fragiliser le statut des fonctionnaires de France Télécom. Rappelons que ce qui justifie le statut d'entreprise nationale pour France Télécom c'est l'exercice de missions de service public et la participation majoritaire de l'Etat dans le capital, donc l'emploi de fonctionnaires. Or toutes ces justifications tomberont après l'adoption de ce texte. Selon l'aveu même du président de France Télécom en commission, le choix de cette procédure d'attribution du service universel met à mal la présence de fonctionnaires au sein de son personnel.
    Les raisons de cette modification sont d'un autre ordre, et vous le savez bien. Il s'agit, pour le Gouvernement, de banaliser le service public pour en faire un produit de consommation comme un autre, soumis aux seules règles de la concurrence. Il s'agit enfin de réduire au minimum les obligations d'intérêt général pesant sur France Télécom, afin de mettre sur le marché une entreprise on ne peut plus attrayante pour des intérêts capitalistiques. Les conditions d'application du titre I consacrées au service universel, et notamment le contrôle des tarifs et de la qualité du service public, sont simplement renvoyées à un décret en Conseil d'Etat. Une grande latitude est laissée au pouvoir réglementaire. Aucune sanction n'est prévue en cas de non-respect des obligations ou en cas de mauvaise qualité du service rendu. Il est à craindre, en l'absence de précisions apportées par le Gouvernement sur le contenu des décrets, qu'une fois le service universel banalisé, les pouvoir publics ne se désengagent de leur mission de contrôle, laissant carte blanche aux opérateurs.
    Il n'est même pas réaffirmé, comme le prévoit le droit actuel, que les conditions de fourniture de ce service et les obligations tarifaires doivent être fixées pour permettre l'accès au service universel de toutes les catégories sociales et selon le principe, qui nous est cher à tous, de péréquation géographique. On se dirige tout droit vers les télécommunications des villes et les télécommunications des champs. Même si l'avis de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications est requis, les cahiers des charges qui fixaient habituellement ces conditions sont supprimés. Il n'y aura donc plus que les cahiers des charges des appels à candidatures. C'est bien peu.
    La présence minoritaire - nous ne savons pas jusqu'à quel point - de l'Etat au capital de France Télécom va mettre l'opérateur au coeur de dilemmes réellement dangereux pour la qualité du service rendu à l'usager. En effet, comment concilier les obligations de service public et la logique capitalistique des futurs actionnaires majoritaires ; le meilleur service de l'intérêt général et le dividende le plus élevé ; le rendement à court terme et la pérennité du service par des efforts soutenus en matière de maintenance, de recherche et de formation ?
    M. Jacques Desallangre. C'est inconciliable !
    M. François Brottes. L'inquiétude est grande pour le service public !
    L'absence d'ambition du Gouvernement pour le service public des télécommunications, comme pour tous les services publics, est un très mauvais signal envoyé aux institutions européennes. Les conclusions du Conseil européen de Barcelone des 15 et 16 mars 2002 avaient explicitement envisagé de « préciser, dans une proposition de directive-cadre, les principes relatifs au service d'intérêt économique général qui sous-tendent l'article 16 du traité dans le respect des spécificités des différents secteurs concernés et compte tenu des dispositions de l'article 86 du traité ».
    Dans ce cadre, le 21 mai 2003, la Commission européenne a publié le « livre vert sur les services d'intérêt général » que la délégation aux affaires européennes de l'Assemblée, sur le rapport de Christian Philip, député UMP, a qualifié d'« avance significative », en rappelant que la construction européenne doit s'appuyer à la fois sur un marché dynamique et sur des services d'intérêt général efficaces pour parvenir aux objectifs définis par la « stratégie de Lisbonne » et pour réussir le prochain élargissement. Il semble qu'on l'ait oublié !
    Comme l'article III-3 du projet de traité constitutionnel l'y invite, la Commission européenne devrait donc prendre, avant l'entrée en vigueur de ce traité, l'initiative d'une proposition de directive-cadre définissant les principes et les conditions permettant aux services d'intérêt économique général d'accomplir leurs missions.
    Avec un tel renoncement de votre part, comment la France pourra-t-elle défendre un vision généreuse du service public ? Le Gouvernement en apporte une définition étriquée, pour les communications en général et les télécommunications en particulier.
    On ne peut que constater la cohérence de la position du Gouvernement avec celle du MEDEF. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Patrick Ollier, président de la commission. Mais non ! Jusqu'à présent, ça allait. Mais là, vous faites dans l'excès !
    M. Michel Lejeune. Passez donc au PC !
    M. François Brottes. Le MEDEF en effet se déclare défavorable à l'élaboration d'une directive-cadre, craignant qu'elle ne constitue un frein au processus d'ouverture des services d'intérêt général à la concurrence et qu'elle n'instaure la pérennisation des aides accordées à ces services.
    M. Jean Dionis du Séjour. Oh ! Il vire à gauche !
    M. Michel Lejeune. A gauche toute !
    M. François Brottes. Il faut citer ses sources et les reconnaître...
    Le choix d'affaiblir le service public est délibéré et politique. D'ailleurs, selon d'autres sources qui vont peut-être vous convenir, mais vous blesser aussi, l'ancien commissaire au Plan Guaino, que l'on ne peut pas suspecter d'amitié socialistes, reconnaît que « le fonctionnement du service public n'est pas économique, il est politique et moral. Si l'Etat choisit d'exercer certaines activités, c'est parce qu'il a considéré moralement qu'elles devaient s'adresser au citoyen plutôt qu'au consommateur. Si l'on ne considère plus que l'Etat doive garantir les conditions d'exercice de la citoyenneté et si on limite son rôle au service minimum, alors » - je cite toujours, mais je partage - « la notion d'égalité et donc de citoyenneté n'existe plus. »
    Monsieur le ministre, il ne faut pas voir le service public comme une contrainte. Il faut en défendre une vision positive et dynamique, et il n'est pas trop tard. D'ailleurs, Mme Clara Gaymard, responsable auprès de vous de l'Agence française pour les investissements internationaux, nous a brillament, avec talent, exposé récemment, à la demande du président Ollier, en commission des affaires économiques, que la qualité du fonctionnement et les performances de nos services publics étaient un élément fort d'attractivité du « territoire France » pour les investisseurs étrangers.
    M. Daniel Paul. Très juste !
    M. Jacques Desallangre. Bravo, madame Gaymard !
    M. François Brottes. C'est un aveu ! Le service public est une valeur d'avenir, porteuse de lien social, de développement économique et donc de créations d'emplois. Par conséquent, le recul du service public dans un contexte de crise est un contresens qui fera date.
    Il nous faut également nous opposer à votre projet parce que la participation majoritaire de l'Etat au capital de France Télécom n'a jamais constitué un frein à son développement : elle a au contraire permis de rétablir la confiance en son redressement, après l'éclatement de la bulle spéculative sur les nouvelles technologies.
    Votre dogme de la concurrence à l'extrême, comme moyen unique de développement et de progrès, vous oblige à nier l'importance de l'Etat dans les entreprises publiques qui interviennent sur le marché. Il est inutile d'arguer des textes européens pour habiller une décision dogmatique. Ce n'est pas rendre service à l'Europe que de la rendre responsable du recul des services publics en France. N'oubliez pas qu'à chaque fois que le service public recule, l'égalité d'accès au service public recule aussi. (« C'est faux ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    C'est une privatisation injustifiée et dangereuse. Le prétexte de l'endettement a déjà été avancé en décembre 2002, lors de la création d'une commission d'enquête relative à la situation financière des entreprises publiques ; j'y ai fait allusion au début de mon propos.
    La majorité parlementaire avait évoqué cet argument fallacieux pour mettre en cause la stratégie industrielle globale des entreprises publiques, dans le but de contester la légitimité de leur appartenance au secteur public et de promouvoir, de ce fait, leur privatisation, c'est le premier chapitre que nous écrivons.
    Malheureusement pour la majorité, les quelque vingt-sept auditions publiques menées par la commission d'enquête ont permis de rétablir la vérité des faits. Sans la stratégie industrielle ambitieuse de croissance externe menée au cours des dernières années, la plupart des entreprises auditionnées auraient aujourd'hui un retard technologique, une offre de services et une présence sur les marchés entotale inadéquation avec les nouvelles formes prises par la concurrence intra et extra-communautaire.
    M. Jean Dionis du Séjour. Ce n'est pas pour cela qu'il fallait emprunter autant !
    M. François Brottes. Nous ne refusons pas totalement la concurrence, mais nous voulons l'encadrer et surtout préserver le service public, car, comme l'a dit Proudhon, « la concurrence est juste dans son principe, mais ce sont ses conséquences qui sont injustes ».
    M. Jean Dionis du Séjour. « La propriété, c'est le vol ! »
    M. François Brottes. Je vous laisse la liberté de vos propos.
    Même dans un contexte concurrentiel, il est nécessaire que certaines entreprises conservent une part décisive de capital public parce que cela les protège des prédateurs extérieurs et permet à l'Etat de faire valoir un certain nombre d'objectifs, comme les missions de service public. De plus, cela empêche des ententes illicites, propres à ce genre d'oligopoles, et qui finissent par pénaliser les consommateurs.
    N'oublions pas que les réseaux de télécommunication ont été constitués avec des fonds publics et que la privatisation fait peser de réels risques sur leur avenir, surtout à l'heure où le rachat de Pechiney par Alcan vient montrer qu'une privatisation peut entraîner une perte de contrôle de l'entreprise au niveau national ; dans ma circonscription, quelques sites sont d'ailleurs sur le point de fermer. Il y va, dans le secteur des télécommunications, de l'intérêt national, notamment - mais pas seulement - en ce qui concerne la sécurité intérieure.
    Il nous faut revenir sur la situation de France Télécom et non pas réécrire l'histoire, comme a tenté de le faire sans succès la commission d'enquête sur les entreprises publiques.
    Le contexte est connu de tous, je n'y reviens pas. France Télécom est une très belle entreprise publique, à la pointe de l'innovation technologique, issue de la recherche publique, et - j'insiste - à l'origine de plusieurs projets industriels de très grande envergure. Je pense notamment au site de Crolles II, dans la microélectronique, et à ses 2 000 emplois, inauguré il y a peu par le Président de la République, et qui n'aurait pu voir le jour sans la complicité du CEA-LETI et du CNED de France Télécom, aux côtés de STMicroélectronic, Philips et Motorola.
    France Télécom peut compter sur le savoir-faire, l'éthique et le sens du service public de ses personnels, qui la rendent proche de tous les Français. Le niveau d'excellence qu'elle a atteint dans la téléphonie fixe et mobile, mais aussi dans le haut débit, lui permet d'enregistrer une forte croissance ; son chiffre d'affaires a encore progressé de 8 % en 2002 et son résultat d'exploitation de 21 %.
    Son rayonnement international, enfin, lui permet d'être aujourd'hui un opérateur de télécommunications à part entière,...
    M. Jean Dionis du Séjour. Tout va bien !
    M. François Brottes. ... alors qu'une stratégie de repli l'aurait conduite à n'être qu'un sous-traitant, un vulgaire fournisseur de transport de télécommunications.
    Le développement de France Télécom, avec notamment l'achat d'Orange, ne relève pas de choix aventuriers,...
    M. Jean Dionis du Séjour. Oh !
    M. François Brottes. ... mais d'une politique industrielle, qui n'est jamais sans risque, comme l'a malheureusement démontré le retournement du marché des valeurs technologiques.
    Toutefois, la transformation de France Télécom en acteur majeur des télécoms en Europe ne s'est pas faite au détriment du personnel. L'Etat actionnaire a toujours veillé, depuis l'ouverture du capital de France Télécom, à ce que l'expansion du groupe n'entraîne pas de licenciements, ce qui n'a pas été le cas chez d'autres opérateurs.
    Il faut ici rappeler que France Télecom a assumé seule tous les risques du développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication dans notre pays. Les efforts de recherche et développement ont été importants et les sauts technologiques tels qu'ils pourraient nous faire oublier les deux sortes de Français définies par Audiard : « Il y a les Français qui attendent le téléphone et ceux qui attendent la tonalité. » France Télécom, conformément à son rôle d'opérateur de service public, n'a fait qu'appliquer le principe d'adaptabilité du service public.
    Certes, la bulle spéculative a fait tourner la tête à tous les opérateurs. Mais fallait-il attendre que la raison revienne pour prendre position sur les nouveaux marchés ? D'ailleurs, Vivendi ou Deutsche Telekom sont encore plus endettés que France Télécom, n'en déplaise aux détracteurs patentés de notre opérateur historique.
    Il faut souligner également l'inconséquence de la Commission européenne en matière d'UMTS, le téléphone de la troisième génération. Celle-ci a laissé tous les Etats se lancer dans une surenchère pour vendre les licences le plus cher possible, afin d'engranger ainsi des recettes exceptionnelles.
    Seule la France a fait preuve de sang-froid et de responsabilité, en dépit des pressions de plusieurs députés de droite, dont certains - je ne citerai pas leur nom - sont aujourd'hui devenus ministres (Rires)...
    M. Michel Lejeune. Des noms !
    M. Jean Dionis du Séjour. Allez !
    M. François Brottes. Si vous voulez des noms et des citations, je peux les donner, mais je ne veux pas vous faire perdre de temps.
    Tous ces pompiers pyromanes n'ont pas été identifiés par la commission d'enquête, mais chacun sait pourquoi. Qui était président ? Qui était rapporteur ?
    Bien sûr, il y a eu le poids énorme de la régulation par l'ART décidée dans la loi de 1996 - sous la même majorité qu'aujourd'hui, d'ailleurs. Le jeu consistait à pénaliser au maximum l'opérateur historique pour mieux laisser le champ aux opérateurs entrants et laisser le coucou s'installer.
    Bien sûr, on n'aurait peut-être pas dû libérer France Télécom de l'obligation de soumettre toute acquisition à l'étranger à l'accord préalable de l'Etat. Mais n'est-ce pas un ancien Premier ministre, proche de la majorité actuelle, qui a coupé ce lien ? Là encore, je vous épargne son nom. Mais, je vous l'accorde, il est vain de réécrire l'histoire.
    M. Alain Joyandet. C'est une façon de botter en touche !
    M. François Brottes. Le fait demeure que, dans la durée, France Télécom a déjà plus rapporté à l'Etat que ce qui est demandé à ce dernier pour mener à bien le plan préconisé par Thierry Breton, son nouveau président dont chacun aura noté - moi le premier - qu'il ne manque pas d'allant pour relever les défis de l'entreprise. Si celui-ci a engrangé ces premiers résultats et rétabli la confiance en l'opérateur, c'est aussi grâce à la présence de l'Etat, via l'ERAP, qui apporte son soutien et sa garantie au plan.
    Toutefois, ce plan continue de nous inquiéter, surtout si le poids de l'Etat se réduit au sein du capital de France Télécom. Il ne comporte que très peu d'éléments sur le volet social. A l'exception des départs naturels et en préretraite chiffrés à 20 000 d'ici 2005, aucune information n'est donnée sur les éventuelles incidences sociales des réorganisations prévues. Le président de France Télécom laisse l'Etat assumer son rôle d'actionnaire majoritaire. Celui-ci a annoncé la création d'une mission « mobilité » qui a pour objet d'organiser le passage de fonctionnaires de l'opérateur dans d'autres fonctions publiques. On peut douter de la réalité de cette mission, étant donné la volonté affichée - non seulement affichée, mais réalisée - du Gouvernement de réduire les effectifs de la fonction publique.
    Les syndicats redoutent que les 15 milliards d'économies à réaliser sur trois ans se fassent en utilisant l'emploi comme variable d'ajustement.
    Pourtant, les salariés de France Télécom, et notamment les fonctionnaires, n'ont jamais constitué un frein au développement de l'opérateur historique. Vous l'avez vous-même reconnu, monsieur le ministre, en commission des affaires économiques. Et je rendais tout à l'heure hommage à bon nombre d'entre eux qui sont, ce soir même, sur le terrain des catastrophes naturelles.
    Enfin, il nous faut nous opposer à votre texte parce que, pour la première fois depuis la Libération, est engagée une réforme importante du service public, sans aucune concertation préalable ni avec les partenaires sociaux ni avec les représentants des usagers.
    En guise de concertation, les partenaires sociaux ont eu droit à des séances d'information sur le contenu du projet de loi par la direction de France Télécom, mais à aucune réunion préalable avec vous, monsieur le ministre.
    Il ne suffit pas de se gargariser du bien-fondé du dialogue social pour s'en convaincre. Il faut le faire vivre en respectant l'ensemble des partenaires. Cela est d'autant plus préjudiciable que le projet de loi comporte de réelles interrogations sur l'avenir du personnel de France Télécom.
    Quel sort pour les fonctionnaires dans une entreprise où l'Etat est minoritaire au capital ? Quel sort pour les fonctionnaires dans une entreprise qui peut, demain, ne plus avoir totalement ou en partie le service universel à assumer ?
    Les usagers auraient mérité également d'être consultés, puisque l'histoire montre qu'ouverture à la concurrence et privatisation se traduisent rarement par des baisses de prix pour les petits consommateurs.
    M. Jean-Paul Charié. Regardez ce qui s'est passé depuis 1996 !
    M. François Brottes. En conclusion, mes chers collègues, faudra-t-il attendre la disparition de l'opérateur public pour vous reconnaissiez sa grandeur, à l'instar d'Henri III qui constatait après l'assassinat du duc de Guise : « Mon Dieu, qu'il est grand, il paraît encore plus grand mort que vivant. »
    C'est parce que nous souhaitons que le service public se développe encore et que les Français bénéficient tous de sa puissance d'innovation, que nous voulons que France Télécom continue à vivre et à prospérer comme une entreprise publique dont nous avons raison d'être fiers. C'est la raison pur laquelle je vous invite à vous opposer à cette grave erreur du Gouvernement et, par conséquent, à adopter cette motion de procédure. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jacques Desallangre. Très bien !
    Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je me sens obligé de répondre à M. Brottes. Mais je limiterai mon propos aux six points qu'il a longuement développés.
    Parlons d'abord de l'endettement. Nous sommes tous d'accord pour dire que France Télécom est très endettée : 70 milliards d'euros ! Je ne sais pas si ce chiffre vous donne un sentiment de légèreté. Pas à moi. Et même si, après quelques efforts, cette dette a été ramenée au-dessous de 50 milliards, la situation reste très difficile, personne ne peut le nier.
    M. Jacques Desallangre. Et alors ?
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il faut bien aussi prendre en compte la stratégie de développement et de croissance adoptée par France Télécom. L'entreprise ne pouvait pas faire autrement que de payer en liquide, pour le plus grand bien de tous ceux qui lui vendaient des entreprises. Mais cela s'est traduit par une augmentation dramatique de son endettement.
    M. Jacques Desallangre. Elle a payé dix fois la valeur !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Et alors ? C'était le cas de tout le monde ! (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Alain Gouriou. Il n'y avait pas que France Télécom !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Comme tout le monde montait en même temps, on échangeait simplement du papier. Une seule entreprise a été obligée de payer en argent sonnant et trébuchant : la nôtre !
    M. Patrick Ollier, président de la commission. C'est vrai !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. A l'époque, j'observais cela de l'extérieur et j'étais ébahi par les risques qu'elle prenait pour jouer le même jeu que ces concurrents.
    M. Jean-Paul Charié. Elle devait le faire !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Or elle avait un bras attaché derrière le dos, puisqu'il lui était interdit de payer en monnaie de singe, c'est-à-dire en actions.
    M. Jean Dionis du Séjour. Bien sûr !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il faut comprendre la manière dont cela fonctionnait. Si toutes les entreprises avaient été soumises aux mêmes contraintes que France Télécom, c'est-à-dire si elles avaient été obligées de régler cash, jamais le marché des télécoms n'aurait connu ce développement et créé cette bulle, car elles seraient très rapidement parvenues à la conclusion qu'il était impossible d'acheter aussi cher autrement qu'en payant en papier, c'est-à-dire en actions.
    M. Alain Gouriou. C'est inquiétant pour l'avenir !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Selon moi, c'est un point fondamental, et je crois savoir de quoi je parle...
    M. Jacques Desallangre. Pour la sidérurgie, c'est l'Etat qui a payé !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. S'agissant du service universel, je me permets de vous préciser que les directives communautaires prévoient que son attribution se fera par appel à candidatures. Pour ma part, j'estime que c'est un gage de transparence et de qualité. Cela ne m'empêche donc nullement de dormir.
    M. Jacques Desallangre. Vous faites même de beaux rêves !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous prétendez par ailleurs que le service universel serait dépecé. Soyons sérieux ! Le projet de loi dispose clairement que c'est à l'échelon national que seront attribuées toutes les composantes du service universel, c'est-à-dire sans discrimination vis-à-vis de l'un quelconque de nos concitoyens. Encore une fois, votre critique me paraît un peu excessive.
    Quelles sont maintenant nos intentions ? Je vous dis clairement que nous ne sommes pas en train de privatiser en catimini. (« Ah, ça non ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Simplement, nous prévoyons le moment où France Telecom aura un projet stratégique qui ait du sens et qui l'amènerait, non pas à payer en cash, mais à payer en actions.
    M. Alain Gouriou. Elles auront repris de la valeur !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Peut-être.
    Et nous entendons nous donner les moyens de laisser France Télécom agir - sachant que l'actionnaire pourra quand même donner son avis - sans devoir passer devant vous pour vous demander formellement l'autorisation de passer en dessous de la barre des 50 %.
    Je l'ai dit au Sénat : n'y voyez aucune arrière-pensée ! Peut-être ne me croyez-vous pas...
    M. Daniel Paul. Vous êtes lumineux !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous créons ainsi les conditions qui permettront à France Télécom de faire, dans le futur, ce qu'elle estimera devoir faire, avec l'accord et l'autorisation préalable de son actionnaire, et de procéder à des acquisitions ou à des fusions amenant mécaniquement, compte tenu des moyens de financement qui seront choisis, la part de l'Etat en dessous de 50 %.
    Je ne suis pas pour autant en train de vous dire que celui-ci vendra demain matin par ce biais l'essentiel des actions qu'il détient aujourd'hui.
    Vous dites ensuite que la concertation n'a pas été brillante. Pourtant, tous les syndicats ont été reçus.
    M. Daniel Paul. Non !
    M. Alain Gouriou. Où ?
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Peut-être ne les ai-je pas reçus en personne car je ne peux pas répondre à toutes les sollicitations, mais j'ai autour de moi des gens très bien, tout à fait capables de parler et d'écouter en mon nom et de manière parfaitement professionnelle.
    Donc soyons clairs : la concertation a eu lieu. Je n'ai d'ailleurs pas le sentiment que les fonctionnaires exerçant au sein de France Télécom se plaignent du texte qui est proposé.
    M. Jean-Paul Charié. Très bien ! Il fallait le rappeler !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Si tel était le cas, ils n'auraient pas manqué de le faire savoir.
    On m'accuse enfin de me livrer à un calcul machiavélique : il s'agirait d'acheter le silence des fonctionnaires (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) en leur offrant la continuité du service en échange de la privatisation. C'est à cela que se réduit votre argument. Or je ne trouve pas cela correct.
    M. François Brottes. En effet ! Un tel marchandage ne l'est pas !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous nous sommes simplement attachés à permettre aux fonctionnaires de continuer à travailler sans changement de leur statut à l'intérieur de l'entreprise, en leur laissant la possibilité - qu'ils ont d'ailleurs eux-mêmes réclamée - de retrouver, dans des conditions clairement définies par le projet, leur corps d'origine.
    Ainsi, non seulement certains fonctionnaires voient leur statut maintenu - et certains ont encore trente-cinq ans de carrière devant eux -, mais en plus, ils pourront à tout moment, s'ils en ont envie, revenir au bercail et gagner une autre administration. Que voulez-vous leur offrir de plus ?
    J'espère de toute façon qu'ils seront tellement passionnés par la perspective de continuer à travailler dans une entreprise qui réussit, une entreprise ambitieuse, tout à fait capable de bâtir une stratégie conquérante sur le marché européen, notamment, qu'ils n'auront, sauf exceptions, aucune envie de retourner dans leur corps d'origine !
    Venons-en au service public. Ah, le service public ! Au conseil d'administration d'EDF, où j'ai passé quelques années, ce sont les mots que j'entendais le plus souvent.
    M. François Brottes. De bien jolis mots !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. A chaque fois, je répondais : le service public, c'est le service du public.
    M. François Brottes. Certes !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Or il n'y a aucune incompatibilité, je peux vous l'affirmer, entre le service public et une entreprise compétitive et performante. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicain.)
    M. Daniel Paul. C'est votre avis !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mieux que mon avis, c'est ma conviction !
    Et la démonstration en sera faite, car les obligations de service public, quelles qu'elles soient, peuvent parfaitement être définies par contrat et prises en charge par des entreprises, y compris des entreprises privées. Vous le savez d'ailleurs très bien !
    M. Alain Gouriou. Qui prétend le contraire ?
    M. le ministre de l'économie des finances et de l'industrie. Un cahier des charges définissant des missions de service public, élaboré professionnellement et en totale transparence, à un coût qui peut d'ailleurs être assumé par l'Etat, peut parfaitement être appliqué par une entreprise « totalement privée ». En ce qui concerne le service public assuré - plutôt bien, à mon avis - par France Télécom, je n'ai pas le sentiment qu'il soit mis en danger par l'évolution que connaîtra cette entreprise, qu'il s'agisse de la répartition de son capital ou de sa dimension géographique.
    Soyons lucides : nous disposons là d'une très belle entreprise. Or, si nous voulons maintenir un service public de qualité correcte - et je comprends très bien cette exigence -, la meilleure formule est de le confier à une entreprise très performante.
    L'évolution que nous vous proposons pour France Télécom rendra tout à fait possible un service du public, et même un service impeccable. A mes yeux, elle doit démontrer à nos concitoyens, aux usagers et au personnel que le service public assuré par l'entreprise peut être au moins aussi bon qu'avant, sinon meilleur, sans que cela empêche celle-ci de devenir une grande entreprise internationale de télécommunications. Une entreprise publique est d'abord une entreprise avant d'être publique. Et le service public peut être confié à n'importe quelle entreprise dès lors que celle-ci est bien gérée et que ses relations avec l'Etat, en particulier ses obligations de service public, sont parfaitement définies et transparentes. C'est ainsi que je conçois le service public en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à M. Jean-Paul Charié.
    M. Jean-Paul Charié. Monsieur le ministre, merci d'avoir insisté sur les trois points que je voulais développer en réponse à M. Brottes et au groupe socialiste : la qualité de France Télécom, le maintien du service public et l'ouverture à ce que notre collègue appelle la privatisation, et que j'appelle l'économie de marché.
    M. Jacques Desallangre. Ce n'est pas pareil !
    M. Jean-Paul Charié. Merci d'avoir rendu hommage à cette merveilleuse entreprise de 250 000 personnes, dont 106 000 fonctionnaires, qui sert 114 millions de clients dans 220 pays répartis sur cinq continents. Merci d'avoir rappelé que France Télécom à réussi à réduire son endettement de 20 milliards de francs, tout en restant malheureusement l'une des entreprises les plus endettées au monde. Cette amélioration de sa situation ne l'a d'ailleurs pas empêchée de promouvoir la compétence et la volonté des hommes et des femmes qui y travaillent, de favoriser la recherche et le développement et de développer l'investissement dans l'UMTS.
    M. Jacques Desallangre. Malheureusement, ce n'est pas vrai !
    M. Jean-Paul Charié. Merci enfin d'avoir montré qu'à travers cette loi c'est toute l'économie numérique qui est en jeu, laquelle profite aux entreprises, donc au marché, donc aux consommateurs et aux travailleurs.
    Tout comme vous, monsieur Brottes : nous sommes très attachés à la notion de service public.
    M. Jean Dionis du Séjour. Eh oui !
    M. Patrick Ollier, président de la commission. Et particulièrement les gaullistes !
    M. Jean-Paul Charié. Comme vous, nous tenons particulièrement au service universel, c'est-à-dire à la fourniture en téléphonie fixe de l'ensemble des usagers du territoire.
    M. Daniel Paul et M. Gérard Charasse. Elle est inégale !
    M. Jean-Paul Charié. Comme vous, nous sommes attachés aux tarifs sociaux, au service des renseignements, à tout ce qui fait le service public.
    M. Daniel Paul. Non, vous ne l'êtes pas !
    M. Jean-Paul Charié. Et ce n'est pas être ringard que de se déclarer fier de la qualité du service public à la française.
    M. Jacques Desallangre. Voyez La Poste !
    M. Jean-Paul Charié. Ce qui est ringard, c'est de refuser d'accepter la vitesse à laquelle change le monde, au point de prendre du retard.
    M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !
    M. Jacques Desallangre. Et alors ?
    M. Jean-Paul Charié. Défendre le service public ce n'est pas ringard, ni d'ailleurs le fait de vouloir que chaque Française et chaque Français soient servis correctement.
    M. Jacques Desallangre. Ce n'est pas le cas !
    M. Jean-Paul Charié. Ce qui est ringard, c'est de ne pas comprendre qu'il se passe, autour de nous un certain nombre de choses et que si on ne donne pas à cette entreprise publique et à ses 106 000 fonctionnaires dont vous saluez la qualité les moyens financiers de réagir, c'est le service public qui en fera les frais.
    S'agissant enfin de l'économie de marché, monsieur Brottes, mesdames, messieurs du groupe socialiste, vous n'allez tout de même pas continuer à nous faire croire que les pays étatisés et suradministrés sont ceux qui apportent le plus de valeur, de richesses et de bien-être à leur population !
    M. François Brottes. Quelle caricature !
    M. Jacques Desallangre. Ce n'est pas dans les pays ultralibéraux que les gens vivent le mieux !
    M. Jean-Paul Charié. Vous le savez bien, monsieur Brottes : c'est la libre concurrence, c'est l'économie de marché réglementée qui apportent le meilleur à l'homme et sont les conditions d'une société de progrès.
    M. Alain Gouriou. Là, on revient en arrière !
    M. Jacques Desallangre. Allez voir les pauvres aux Etats-Unis !
    M. Jean-Paul Charié. Je conclus en saluant la qualité du travail du rapporteur et celle de nos débats en commission, et j'indique que, pour les trois raisons essentielles que je viens d'exposer, nous voterons contre la question préalable et pour le projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française).
    M. Jacques Desallangre. Ce n'est pas une surprise !
    M. François Brottes. Je suis très déçu !
    Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Paul.
    M. Daniel Paul. Ce qui vient d'être dit est lumineux, éclairant. La droite aujourd'hui, c'est comme les chaussettes dans la pub : elle ne se cache plus ! Elle montre nettement la politique qu'elle veut mettre en place.
    M. Alain Joyandet. Et demain, on enlève le bas !
    M. Daniel Paul. Si vous voulez, mon cher collègue.
    La droite ne cache plus ses intentions : elles sont clairement exposées.
    M. Jean Dionis du Séjour. Est-ce que la gauche a quelque chose à montrer ?
    M. Patrick Ollier, président de la commission. Nous respectons nos engagements.
    M. Daniel Paul. J'avoue que j'admire une telle attitude, mais en même temps, je suis inquiet.
    M. Pierre Cardo. Ne soyez pas inquiet : la gauche ne reviendra pas de sitôt au pouvoir !
    M. Daniel Paul. Monsieur le ministre, quand vous parlez de politique industrielle, c'est en fait de politique financière qu'il s'agit. Vous affirmez que le service public et le service au public, c'est pareil. Voilà une évolution inquiétante.
    Prenons le secteur de l'eau. Je suis originaire d'une ville où sa distribution est restée sous la responsabilité de la commune en dépit de tous les changements de municipalité.
    M. Alain Joyandet. Avec raison.
    M. Daniel Paul. Bien sûr ! Mais quand on compare les prix avec les communes de même importance où l'eau est gérée selon un autre système - je ne dirai pas lequel...
    M. Jacques Desallangre. Administrée, plutôt !
    M. Daniel Paul. En effet. Quand on les compare, sapristi, on voit la différence !
    M. Michel Lejeune. C'est vrai !
    M. Daniel Paul. C'est cela que je refuse, et c'est cela que vous acceptez en assimilant service public et service au public.
    Ce qui est ringard, mes chers collègues, ce n'est pas d'ouvrir la porte d'un service public aux intérêts du privé, aux intérêts financiers. Je ne suis bien entendu pas contre le fait qu'une entreprise équilibre ses comptes et fasse des bénéfices. Mais c'est ce qu'on fait ensuite des bénéfices qui m'intéresse.
    En revanche, je suis contre le fait que, pour faire du bénéfice, on sacrifie les objectifs du service public. Or c'est ce qui risque de se passer avec le projet qui nous est présenté aujourd'hui. Et ce sacrifice est réalisé au profit d'un certain nombre d'actionnaires, en vue de présenter une mariée - ou plutôt, pour le moment, une fiancée - qui soit la plus belle possible.
    Nous voterons donc, bien évidemment, la motion présentée par notre collègue Brottes. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députe-é-s communistes et républicains.)
    Mme la présidente. La parole est à M. Alain Gouriou.
    M. Alain Gouriou. Ne revenons pas trop loin en arrière, monsieur Charié, aux Etats « sur-administrés », comme vous les appelez : nous ne les avons jamais défendus. Et la qualité de France Télécom n'a jamais été mise en cause, ni par François Brottes, ni par les intervenants qui l'ont précédé.
    Monsieur le ministre, l'endettement, c'est vrai, est considérable, mais vous en connaissez la cause. France Télécom était-il le seul opérateur européen endetté il y a deux ou trois ans, au plus fort de la crise ? Pas du tout ! Deutsche Telekom l'était autant, voire plus. Avec Telefonica, British Telecom - j'en passe et des meilleures -, ils ont tous été victimes du même piège, de cette bulle internet qui a donné le tournis à tout le monde et du lamentable marchandage des licences UMTS dont ont été victimes tous les opérateurs sans exception.
    M. Jean-Paul Charié. Sous quel gouvernement ?
    M. Alain Gouriou. De l'aveu même de France Télécom, l'achat des licences UMTS en Grande-Bretagne et en Allemagne représente quasiment le tiers de son endettement. Pourtant, on l'a rappelé tout à l'heure, certains députés de droite accusaient le gouvernement français de ne pas vendre ces licences assez cher !
    M. François Brottes. Vous voulez des noms ?
    M. Alain Gouriou. Monsieur le ministre, il ne faut pas confondre le marché et le système de Law.
    S'agissant de la directive européenne, nous sommes complètement en désaccord avec l'interprétation que vous donnez.
    Quant à la privatisation de France Télécom, est-elle définitive ? L'histoire a montré qu'il pouvait y avoir des retournements.
    M. Jean Dionis du Séjour. Pourquoi pas, en effet ?
    M. Alain Gouriou. On a même vu un gouvernement proposer ici même de vendre un des fleurons de l'industrie électronique française, Thomson, pour un franc. Et où en est Thomson aujourd'hui ?
    M. François Brottes. Merci, la gauche !
    M. Alain Gouriou. Quant aux différents syndicats, ils se sont plaints de l'insuffisance, voire de l'absence complète de consultation et de concertation à propos de cette loi.
    Par conséquent, nous ne pouvons évidemment que nous associer à cette motion défendue par François Brottes.
    Mme la présidente. La parole est M. Jean Dionis du Séjour.
    M. Jean Dionis du Séjour. Je n'ai pas reconnu François Brottes qui, en dépit de nos divergences, est un élément clef de notre commission, ouvert au débat et à la modernité. Mais là... terminé le débat ! Oublié Lionel Jospin, le plus grand privatiseur de l'histoire politique française, comme M. Desallangre n'a pas manqué de le rappeler ! Retour à l'idéologie « service public contre marchés » ! Réécrite, l'histoire de l'acquisition d'Orange !
    M. François Brottes. Caricature !
    M. Jean Dionis du Séjour. Je suis sûr que la suite des débats ramènera notre assemblée et François Brottes à des positions moins manichéennes.
    Mais, plus fondamentalement, je n'ai pas identifié la vision d'avenir que le groupe socialiste propose pour France Télécom, et je lui pose la question : comment l'entreprise pourrait-elle se développer à l'échelle européenne ? Jusqu'à quand continuerez-vous à nier que l'espace européen est maintenant notre espace culturel ? Or comment peut-on se développer dans l'espace européen avec un actionnariat national bloqué à 50 % ? Expliquez-le nous !
    M. François Brottes. Vous ne m'avez pas écouté !
    M. Jean Dionis du Séjour. Nos collègues du groupe socialiste doivent retrouver leur boussole en matière de construction européenne et d'économie sociale de marché.
    A nos yeux, il est urgent de permettre à France Télécom un développement moderne et européen, susceptible à la fois d'assurer le service public et de contribuer à la croissance du secteur des télécommunications. Ce texte est une bonne base pour le faire : c'est pourquoi le groupe UDF votera contre la question préalable.
    Mme la présidente. Je mets aux voix la question préalable.
    (La question préalable n'est pas adoptée.)

Discussion générale

    Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean Dionis du Séjour.
    M. Jean Dionis du Séjour. Mme la présidente, mes chers collègues, nous délibérons ce soir sur les obligations de service public des télécommunications et sur France Télécom.
    Qu'il me soit permis, au nom du groupe UDF, de saisir cette occasion pour saluer le travail de redressement mené par l'ensemble de la communauté des femmes et des hommes de France Télécom, et en premier lieu par son équipe dirigeante conduite par Thierry Breton.
    En juillet 2002, France Télécom était dans une impasse financière qui pouvait devenir mortelle, avec une action au plus bas et une dette s'élevant à 70 milliards d'euros.
    Le chemin parcouru est impressionnant et fidèle à la feuille de route annoncée par l'entreprise : lancement d'un programme d'économies opérationnelles ; refinancement de la dette à hauteur de 15 milliards d'euros ; augmentation de capital de 15 milliards d'euros avec une participation de l'Etat à hauteur de 9 milliards d'euros.
    M. François Brottes. De l'Etat !
    M. Jean Dionis du Séjour. De l'Etat, oui ! Il faut encore ajouter à cela l'intégration d'Orange dans France Télécom, M. le ministre en a parlé, et le lancement d'un plan Internet haut débit qui prévoit que 90 % des Français pourront accéder à l'ADSL en juin 2005. Voilà enfin un plan à la mesure de France Télécom et cohérent avec le plan réseau 2007 du Gouvernement.
    Aujourd'hui, France Télécom va mieux. L'entreprise a perdu du ventre en s'allégeant d'à peu près 20 milliards d'euros et a gagné du muscle, avec de brillants résultats opérationnels, surtout en téléphonie mobile.
    M. François Brottes. Les fontamentaux étaient bons !
    M. Daniel Paul. Elle avait de la mauvaise graisse ?
    M. Jean Dionis du Séjour. Ce redressement spectaculaire est aussi un succès personnel pour vous, monsieur le ministre, et pour le Gouvernement, dont la justesse du pilotage du soutien apporté à France Télécom a été un élément décisif du redressement de cette entreprise. Au nom de l'ensemble des députés UDF, je tenais à vous en féliciter.
    M. François Brottes. Ah, l'UDF rentre dans le rang !
    M. Jean Dionis du Séjour. Attendez ! Pourtant, ce soir, nous devrons éviter plusieurs écueils et tentations.
    La première serait de considérer, un peu comme nos collègues socialistes l'ont fait, que France Télécom est définitivement sortie d'affaire. Avec 50 milliards d'euros de dettes, France Télécom reste une des entreprises les plus endettées - et je suis prudent - dans un environnement extrêmement concurrentiel où les bons résultats de l'entreprise peuvent s'évanouir très rapidement.
    M. Jacques Desallangre. Certaines entreprises privées sont encore plus endettées !
    M. Jean Dionis du Séjour. France Télécom ne doit donc pas s'endormir sur ses lauriers et notre responsabilité, à nous législateurs, est de la mettre en position de leader pour les années à venir.
    M. Jean-Paul Charié. Très bien !
    M. Jean Dionis du Séjour. L'autre écueil serait de n'avoir d'yeux que pour France Télécom - et je me suis rendu compte qu'il y avait une vraie histoire d'amour entre nos collègues socialistes et France Télécom - ...
    M. François Brottes. Ce n'est pas faux !
    M. Jean-Paul Charié. Surtout pour les fonctionnaires !
    M. Jean Dionis du Séjour. ... et d'oublier les autres acteurs économiques de ce secteur stratégique que sont les télécommunications dans le développement national.
    Or, et c'est important, le groupe France Télécom est encore aujourd'hui largement dominant sur la plupart des marchés de détail du service téléphonique et de l'accès à Internet à haut débit. France Télécom détient en effet 99 % des accès téléphoniques fixes - marchés résidentiel et professionnel confondus - ...
    M. François Brottes. C'est normal, c'est nous qui avons investi !
    M. Jean Dionis du Séjour. ... et une part de marché des communications téléphoniques qui varie entre 60 % et 80 % selon le type de communications, en volume de minutes.
    Sur le marché de l'accès à haut débit, la filiale de France Télécom, Wanadoo, détient, pour sa part, plus de 50 % du marché en nombre de clients finaux.
    M. Alain Gouriou. Ça ne va pas durer !
    M. Jean Dionis du Séjour. Enfin, sur le marché du mobile, Orange, l'autre filiale de France Télécom, contrôle l'accès de près de 50 % des clients du mobile en France.
    Ne perdons donc pas de vue que tout ce que nous ferons ce soir et demain quant au statut de France Télécom aura un impact direct sur les autres acteurs du secteur des télécommunications. Nous avons donc le devoir impérieux de légiférer de manière moderne et équilibrée.
    Il faudra garder cet objectif d'équilibre en mémoire lorsque nous parlerons de choses sensibles, et qui peuvent fâcher, comme la revente de l'abonnement fixe,...
    M. Jacques Desallangre. Aucun intérêt économique ! Il n'y a pas de plus-value !
    M. Jean Dionis du Séjour. ... l'assouplissement du contrôle tarifaire, la séparation comptable et managériale des activités réseaux et services, la refonte du service universel.
    Le cadre étant posé, revenons maintenant au projet de loi sur le statut de France Télécom. Celui-ci affiche trois objectifs que nous soutenons.
    Le premier objectif est de rendre la loi française compatible avec la directive européenne sur le service universel en matière de télécommunications. Cette directive exige l'attribution par appel d'offres - cela peut se débattre mais nous l'interprétons ainsi - ...
    M. François Brottes. Ça vous arrange !
    M. Jean Dionis du Séjour. ... alors que la loi française l'affecte automatiquement à France Télécom.
    Le groupe UDF est favorable à l'ouverture à une concurrence contrôlée...
    M. Jacques Desallangre. Contrôlée !
    M. Jean Dionis du Séjour. ... en ce qui concerne les prestations de service universel.
    Cela dit, il y a pas moins de trois projets de loi en traitement actuellement : le projet de loi pour l'économie numérique, qui concerne la réforme de son financement, le projet de loi déposé le 31 juillet 2003 sur le bureau de l'Assemblée, sur les communications électroniques, qui traite de son contenu, et le présent projet de loi sur le statut de France Télécom, qui définit les modalités de son attribution.
    Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire à Mme la ministre de l'industrie, ce calendrier ne me paraît pas favorable à une transposition cohérente en droit français des directives européennes.
    M. Alain Gouriou. Très bien !
    M. Jean Dionis du Séjour. C'est la raison pour laquelle le groupe UDF veillera à mettre de la cohérence et de la lisibilité, si nécessaire par le biais d'amendements, dans un sujet actuellement lourd de contentieux. La question du service universel a été plusieurs fois traitée par le Conseil d'Etat.
    M. François Brottes. On oublie les ordonnances !
    M. Jean Dionis du Séjour. Le deuxième objectif consiste à abroger l'obligation d'une participation majoritaire de l'Etat contenue dans la loi du 2 juillet 1990. Je le dis ici, sans esprit de polémique, mais sans ambiguïté, le groupe UDF est favorable à cette abrogation. Cette obligation était de type idéologique et archaïque.
    M. Jacques Desallangre. C'est le contraire qui est vrai !
    M. Jean Dionis du Séjour. En bloquant l'achat d'Orange par échange d'actions et en imposant à France Télécom de financer cette acquisition stratégique par emprunt dans les plus mauvaises conditions, elle a eu des conséquences désastreuses sur l'endettement de l'entreprise à 40 milliards d'euros. La levée de cette contrainte permettra à la nouvelle équipe dirigeante de France Télécom de mener, lorsqu'elle l'estimera nécessaire, une politique d'alliance européenne - espace naturel du développement de France Télécom - à la fois offensive et raisonnable financièrement.
    M. François Brottes. Il ne fallait pas acheter Orange ?
    M. Jean Dionis du Séjour. Si, mais par emprunt direct.
    Le troisième objectif est l'adaptation du statut des fonctionnaires de France Télécom au nouveau statut de l'entreprise. L'histoire de France Télécom - qu'il faut absolument respecter - aboutit, je suis d'accord sur ce point avec François Brottes,...
    M. François Brottes. Pour une fois !
    M. Jean Dionis du Séjour. ... à une situation très particulière d'un groupe de 240 000 personnes comprenant 106 000 fonctionnaires. Le projet de loi respecte les engagements pris par l'Etat auprès des fonctionnaires. Le groupe UDF, attaché au maintien du statut des fonctionnaires de France Télécom et du choix de vie fait par chacun d'eux, y est donc favorable.
    Le texte prévoit la normalisation des instances représentatives du personnel. Ce point très sensible fera sans doute l'objet de débats. D'un point de vue général, l'UDF soutiendra le retour de France Télécom dans le droit général des entreprises privées.
    En revanche, le texte prévoyait, dans le titre II de l'avant-projet de loi, que la nomination du président du conseil d'administration de France Télécom soit soumise à l'agrément du Premier ministre. L'UDF se réjouit que cette disposition soit retranchée du texte définitif car elle introduisait un risque réel de confusion dans la gestion de l'entreprise.
    Si le texte va dans le bon sens, il doit être à notre avis grandement amélioré. C'est le sens de notre travail ce soir et demain d'approfondir les points sur lesquels le groupe UDF souhaite enrichir le texte et donner un aperçu des amendements que nous proposerons.
    Mon collègue Jean-Paul Charié et moi-même avons déposé un amendement...
    M. Jean-Paul Charié. Tout à fait.
    M. Daniel Paul et M. Alain Gouriou. M. Charié est UDF ?
    M. François Brottes. Il ne sait plus où il habite.
    M. Jean Dionis du Séjour. ... proposant, au sein de l'entreprise France Télécom, la séparation comptable et managériale entre l'activité de mise à disposition du réseau pour d'autres opérateurs et l'activité propre d'opérateur de services. Nous avons eu à ce sujet un débat de très grande qualité en commission des affaires économiques et je remercie tous ceux qui y ont participé, notamment notre rapporteur et le président de la commission, qui l'ont favorisé.
    Il s'agit, comme dans les autres secteurs qui passent d'une situation de monopole historique à une ouverture à la concurrence, de séparer les activités de gestion du réseau des activités de services à la clientèle. C'est le cas dans le domaine ferroviaire avec RFF d'un côté et la SNCF de l'autre. C'est également le cas dans le domaine de l'énergie, avec RTE d'un côté et EDF de l'autre. Et c'est en nous inspirant de ce dernier cas et de la loi récente que nous avons adoptée, relative aux marchés du gaz et de l'électricté, que Jean-Paul Charié et moi-même vous proposons de mettre en oeuvre le même dispositif pour France Télécom,...
    M. François Brottes. Le démantèlement est en marche !
    M. Jean Dionis du Séjour. ... à savoir un gestionnaire du réseau de télécommunications, indépendant des activités de France Télécom, avec des comptes distincts, un budget, un système d'information et un personnel qui lui soient propres, ses activités étant, bien sûr, contrôlées par l'ART.
    J'entends d'avance les interrogations, voire les critiques, de certains collègues. Je reste persuadé de la pertinence et de la faisabilité d'une telle architecture du secteur des télécommunications.
    Cette architecture est pertinente parce que c'est la seule manière de permettre la contractualisation des relations réseau d'accès-opérateurs de services, et d'obtenir un traitement non discriminatoire des opérateurs alternatifs et des services de l'opérateur historique, notamment sur le dernier kilomètre.
    La pratique d'une concurrence réelle et garantie par un gestionnaire indépendant sera bien évidemment bénéfique pour l'ensemble des acteurs du secteur des télécoms. Elle permettra également aux collectivités locales de se mobiliser dans le cadre des nouvelles dispositions adoptées en première lecture de la loi sur l'économie numérique.
    Cette architecture est faisable, parce que, dans les faits, France Télécom isole déjà les équipes intervenant sur le réseau des autres, équipes qui représentent aujourd'hui à peu près 25 000 personnes.
    J'ajoute que cette disposition est d'autant plus nécessaire que l'on va débattre, en examinant l'un des amendements du rapporteur, de l'assouplissement du cadre tarifaire imposé par l'ART à France Télécom. Cette disposition, que nous soutiendrons, redonnera à France Télécom toute sa liberté de compétiteur, pour le plus grand profit des utilisateurs, du développement de l'Internet et de l'offre ADSL. Il faut donc, dans cette perspective, garantir les droits de la concurrence en vérifiant que ni la vente à perte, ni les prix prédateurs n'auront cours dans ce secteur. Et c'est tout le sens de la séparation comptable et managériale que le groupe UDF vous proposera à travers une solution d'équilibre dans la libération des politiques tarifaires. Le groupe UDF se veut le porteur de cet équilibre et de cette organisation transparente du marché.
    Quelques mots, enfin, sur la situation des personnels reclassés. Cette question est loin d'être un détail car elle engage d'une certaine manière l'honneur de l'Etat. Il faut bien comprendre que ces personnels qui, après la loi de 1990, ont décidé - c'était un choix qui leur était offert - de rester sur leurs grades d'origine, sont, depuis près de douze ans, dans un « placard », avec des carrières bloquées et sans perspective d'avancement. Il ne serait pas admissible de laisser ces fonctionnaires d'Etat travaillant à France Télécom dans l'impasse parce que, il faut bien le reconnaître, aucun gouvernement, de gauche comme de droite, n'a pris ses responsabilités vis-à-vis d'eux en respectant le choix de vie qu'ils avaient fait en 1990. C'est pourquoi notre assemblée s'honorerait en votant un amendement qui permet de placer ces personnels dans les mêmes dispositions que celles prévues pour les ingénieurs des télécommunications et les administrateurs des postes et télécommunications.
    Je termine en disant qu'il y a urgence à mettre sur les rails la construction et le cadre législatif dont France Télécom a besoin. Celui-ci ne s'arrête pas, comme je l'ai déjà dit, au seul projet de ce soir : il inclut également le projet de loi sur l'économie numérique, et l'ordonnance Télécom. Et puisque, ce soir, je peux parler à la fois aux autorités de la commission, au ministre et à Mme la présidente, je demande à tous de veiller à ce que le calendrier parlementaire soit tenu pour l'adoption de la loi sur l'économie numérique.
    Le secteur a besoin de nouvelles règles modernes. A vous de vous engager pour les lui donner le plus rapidement possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Paul.
    M. Daniel Paul. Monsieur le ministre, j'ai failli commencer mon propos en vous disant que vous étiez un missionnaire, mais cela aurait pu être mal interprété. En tout cas, vous êtes un ministre en mission, et le projet de loi que nous discutons aujourd'hui en apporte, s'il était besoin, une preuve édifiante.
    Jamais un gouvernement n'avait, avec autant d'acharnement et de manière aussi systématique, mis à mal nos services et nos entreprises publics. Vous laisserez le souvenir d'un gouvernement dogmatique, qui, en quelques mois, aura bradé un patrimoine national construit par les luttes démocratiques de notre peuple, et cela tout en procédant à une remise en cause systématique de la culture sociale de notre pays.
    La commission d'enquête sur la situation financière des entreprises publiques avait d'ailleurs balisé le terrain : ses conclusions traçaient la voie à suivre ; il n'y a pas de hiatus entre vous.
    Vous donnez, dans l'exposé des motifs de votre projet, les raisons qui vous ont poussé à changer le statut de France Télécom, mais, en fait, vous avez plus cédé aux injonctions d'un catéchisme libéral qu'aux exigences d'un domaine aussi stratégique que la communication pour l'avenir de notre pays, aussi nécessaire à la vie de nos concitoyens et, plus généralement, des habitants de notre planète. Pour nous, communiquer est un droit fondamental.
    Vous poussez au repli de l'Etat sur ses fonctions régaliennes, au recul devant les pressions du marché, et vous lui retirez l'essentiel de ses pouvoirs de régulation et de correction des inégalités sociales et territoriales.
    Vous savez combien nous combattons les directives européennes qui ne visent qu'au rabougrissement des secteurs publics, afin de satisfaire les besoins du privé en marchés rentables. Ces mêmes directives ne vous imposent cependant pas d'aller à marche forcée vers la privatisation totale de France Télécom. C'est pourtant ce que vous visez sans limiter la part restant à l'Etat, sans même envisager de minorité de blocage, au motif que cela constituerait, nous dites-vous, une entrave au futur développement de l'entreprise dans la compétition mondiale. Oui, vous allez au-delà des règles libérales européennes.
    Vous prétendez protéger l'opérateur historique et assurer son avenir. Les crises récentes montrent pourtant que l'instabilité est inhérente au fonctionnement même des marchés financiers. Leur globalisation fragilise l'ensemble de nos économies par la recherche d'une rentabilité à court terme. Cela conduit à privilégier la croissance externe, par le biais d'acquisitions et de cessions, au détriment d'un projet industriel à long terme s'appuyant sur un développement interne. C'est cette stratégie qui a plombé France Télécom, conduisant à un endettement record de 65 milliards d'euros et à une perte historique de plus de 8 milliards d'euros pour l'exercice 2001.
    On connaît la suite : sélectivité sévère des investissements, diminution du budget de recherche-développement, priorité donnée à la conquête de parts de marché, à la politique commerciale et au marketing, ce qui est loin des visées à long terme, porteuses de projets d'avenir et d'aménagement du territoire.
    Peut-on, sans être cruel, rappeler les promesses de croissance des emplois dans un secteur libéré des carcans ? Aujourd'hui, il y a moins d'emplois dans le secteur des télécoms qu'avant la déréglementation, et la jungle des marchés financiers ne fait aucun cadeau, tandis que les délocalisations s'intensifient, y compris pour des emplois induits comme ceux des centres d'appel, que l'on voit partir vers des pays où les coûts de main-d'oeuvre sont toujours plus bas.
    Quant aux tarifs, les particuliers ont assisté à une hausse, tous services confondus. Ainsi, de 1995 à 2003, les tarifs de mise en service ont augmenté de 89 % et ceux de l'abonnement au téléphone fixe de 86 %. La pose d'une seconde prise et les interventions de dépannage, jusqu'alors gratuites, sont maintenant facturées 46 et 68 euros et le moindre retard de paiement est sanctionné.
    Ce projet de loi s'inscrit dans une démarche purement libérale et nous attendons toujours un bilan sérieux des déréglementations intervenues, concernant à la fois les usagers, les personnels et les territoires. Notre demande est restée sans réponse ; votre silence est en lui-même un aveu.
    Contre l'idée de service public, l'Europe a jusqu'ici avancé plusieurs notions : service universel, d'intérêt général, d'intérêt économique général. Un flou persistant entoure leur définition, révélateur des contradictions entre la volonté d'imposer le « tout marchandise » et l'impossibilité d'ignorer les attentes et mobilisations populaires en matière de services publics. Car le concept de service public est étroitement lié à l'organisation solidaire de la société ; il est un facteur puissant de réduction des inégalités sociales et d'aménagement du territoire. Nous entendons pour cette raison lui donner un contenu moderne, dépassant même le cadre national. Ainsi, nous nous prononçons pour que les services publics soient au coeur d'un modèle social européen, contribuant à ouvrir d'autres perspectives à la mondialisation.
    Nous ne séparons pas l'idée d'une telle réorientation antilibérale de la construction européenne de la bataille menée pour défendre et renouveler dans notre pays un grand service public moderne des télécommunications.
    Nous n'admettons pas le rabougrissement du service universel sur le téléphone fixe, les cabines publiques, l'annuaire et les renseignements, et nous refusons qu'il y ait des opérateurs différents pour chacune des composantes de ce service, qui doit rester sous la pleine responsabilité de l'opérateur public.
    Nous demandons l'intégration dans le service universel d'autres services liés au progrès des technologies, comme la téléphonie mobile, l'Internet haut débit et le service de téléalarme.
    Nous souhaitons la relance du câblage optique du territoire. C'est une priorité car cela permettra à tous de bénéficier des technologies de communication, présentes et à venir. Nous demandons l'étude d'un même programme de grands travaux au plan européen.
    Nous sommes pour que l'Etat puisse refuser toute vente des infrastructures de réseaux de communication à des collectivités locales ou à des opérateurs privés, car c'est à cela que risque de conduire votre texte.
    Nous refusons le gâchis et souhaitons que tous les réseaux créés par d'autres entreprises publiques qui, par conséquent, ont été financés avec de l'argent public, puissent contribuer à un maillage cohérent du territoire national et soient placés sous l'autorité de l'opérateur France Télécom.
    Les textes européens ne vous interdisent pas de telles options. Mais vous faites le choix du repli, car vous voulez réduire les obligations de service public, afin de rétablir rapidement la rentabilité de France Télécom. Ce sont de tels choix qui ont conduit, ces dernières années, à externaliser des activités, à développer la sous-traitance, à ne pas remplacer les départs à la retraite et à précariser les personnels. Le plan TOP visait à restaurer la rentabilité financière et, pour dégager 15 milliards de cash flow en trois ans, on a laissé se dégrader les services. Pour m'en tenir à ma région, je rappellerai la coupure, le 20 septembre 2001, de la liaison Internet transatlantique, l'interruption des communications téléphoniques sur la zone Lillebonne-Gravenchon, zone classée Seveso, ou l'incident majeur qui a privé de téléphone 124 000 abonnés en Basse-Normandie dans la nuit du 22 au 23 septembre dernier. Depuis 1997, plus de 32 000 emplois ont été supprimés à la maison mère ; 13 500 suppressions d'emplois sont programmées pour 2003 ; dans notre région cette politique a supprimé 423 emplois au cours des deux dernières années.
    Quant aux 106 000 fonctionnaires de France Télécom, ils sont incités à passer sous contrat de droit privé en abandonnant le statut ou à quitter leur entreprise.
    Vous mettez en place une assurance chômage synonyme de précarisation accrue des salariés. Vous proposez des mécanismes d'individualisation des rémunérations lourds de signification, qui augurent bien de ce que sera la gestion des personnels dans l'entreprise privatisée. Vous voulez déroger au statut de la fonction publique et appliquer les règles du privé pour les institutions représentatives des salariés fonctionnaires.
    Nous pensons qu'il y a d'autres solutions. Et nous refusons, là comme ailleurs que les personnels de France Télécom, qu'il s'agisse des actuels fonctionnaires ou des salariés de droit privé, soient de plus en plus considérés comme des variables d'ajustement. C'est dans cette logique que nous demanderons la suppression du titre II du projet de loi et proposerons un amendement visant la titularisation de tous les personnels. A l'opposé de vos orientations, nous sommes pour une réappropriation sociale de France Télécom. Cela suppose non seulement d'apurer la dette, mais aussi de dégager l'opérateur public de l'emprise des marchés financiers et donc de viser, à terme, 100 % de capital public, en mobilisant les ressources des organismes financiers publics, mais également en demandant aux banques qui, reconnaissez-le, ont grassement profité de la bulle spéculative et encouragé l'endettement, d'accepter un rééchelonnement de la dette et une baisse des taux d'intérêt.
    Nous sommes favorables, vous le savez, à la création d'un pôle public financier qui pourrait ici jouer tout son rôle, en rappelant que la Poste et les caisses d'épargne représentent ensemble 32 % du marché bancaire en France. Notons d'ailleurs qu'une telle orientation pourrait être utilement reprise au niveau européen, en ce qui concerne la Banque centrale européenne, pour la réalisation d'un réseau performant de télécommunications.
    Nous sommes aussi pour que France Télécom devienne propriété de la nation avec, dans ses instances, une représentation tripartite des salariés, des usagers et des élus, renforçant la représentation citoyenne face à la tutelle de l'Etat et aux marchés financiers. Cette représentation tripartite se retrouverait au niveau des régions pour traiter les questions au plus près des besoins.
    C'est clair, monsieur le ministre, nous ne partageons pas les mêmes valeurs !
    Mme Catherine Vautrin. Ça, c'est sûr !
    M. Daniel Paul. Vous êtes un libéral et, au nom du Gouvernement, vous faites en sorte que tout ce qui peut intégrer la sphère marchande quitte le secteur public, quand bien même il s'agit d'un secteur stratégique comme celui des télécoms, quand bien même chacun sait les catastrophes que la déréglementation totale a entraînées, dans ce secteur comme dans d'autres, à travers le monde. En ce sens, vous répondez parfaitement aux attentes de vos amis du MEDEF !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ah !
    M. Daniel Paul. Eh oui, monsieur le ministre : il faut bien appeler un chat un chat.
    Vous voulez aussi porter l'estocade au service public. Depuis son développement, après la Libération, la droite n'a eu de cesse de lui porter des coups dans l'espoir d'ouvrir la voie au privé, en s'employant à réduire ses moyens et à minimiser ses apports à la construction de notre pays, le mettant souvent dans l'impossibilité de répondre aux besoins des usagers et des élus locaux.
    Et pourtant, France Télécom reste toujours synonyme, dans l'esprit des gens, de valeurs de solidarité, comme nombre d'autres entreprises publiques que vous voulez aussi ouvrir aux marchés.
    Vous êtes prêt à sacrifier une entreprise publique déjà malmenée, à la livrer aux exigences de rentabilité financière des actionnaires. Et si l'opération privatisation peut rapporter de quoi réduire le déficit de l'Etat - que vous avez contribué à creuser -, vous estimez que ce n'en sera que mieux. Vous êtes prêt à faire payer les usagers, les collectivités locales et les personnels.
    M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur. Ce n'est pas possible !
    M. Daniel Paul. Nous rejetterons évidemment votre projet avec la plus grande détermination, parce qu'il est contraire aux intérêts des usagers, des personnels, de notre pays et des territoires. En France, en Europe, à travers le monde, beaucoup cherchent, vous le savez, des alternatives réelles au libéralisme que vous préconisez. Notre rejet catégorique de votre projet se situe aussi dans ce cadre, celui d'une autre conception de l'entreprise publique, d'une autre vision de la société, qui donne la priorité aux valeurs humaines et non aux valeurs boursières.
    Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Vautrin.
    Mme Catherine Vautrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est en ma qualité de rapporteure pour avis du budget des postes et télécommunications que j'interviens dans la discussion de ce soir.
    Au cours des années 2000 à 2002, la plupart des opérateurs de télécommunications ont été frappés par une sévère crise financière. Confrontée à un endettement net de 70 milliard d'euros, France Télécom n'a pas été épargnée et s'est retrouvée, on l'a dit, dans une position extrêmement difficile à l'été 2002, devenant l'un des opérateurs les plus endettés au monde.
    En quelques mois, le nouveau président, Thierry Breton, a su ramener l'entreprise à une situation nettement plus saine. Il s'est affranchi du mur de liquidités de 50 milliards d'euros qui mettait en péril l'entreprise et a lancé un ambitieux plan de redressement dit des « trois 15 » : 15 milliards d'euros d'économie, 15 milliards d'augmentation de capital et 15 milliards de refinancement. Ce plan d'action énergique a commencé à porter ses fruits.
    Si France Télécom semble aujourd'hui avoir surmonté ses difficultés financières immédiates, les choses ne sont pas réglées pour autant. Le redressement amorcé par l'entreprise doit être poursuivi. France Télécom, avec ses traditions et ses contraintes, doit s'adapter aux règles de la compétition internationale, si elle veut continuer à jouer son rôle d'acteur majeur du secteur des télécommunications.
    Ce projet de loi est donc incontestablement un élément important des mesures prises en faveur du redressement de l'opérateur. Il répond ainsi à trois objectifs.
    Il vise tout d'abord à transposer les dispositions relatives au service universel du « paquet télécom », qui entraîneront de nombreuses évolutions pour l'opérateur historique. En effet, cette transposition a pour effet de modifier le mode de désignation de l'opérateur gestionnaire du service universel.
    Il ouvre ensuite la possibilité d'une privatisation de France Télécom, par la modification de la loi de 1990.
    Il consolide enfin le statut des fonctionnaires.
    La suppression de l'obligation, pour l'Etat, de détenir plus de la moitié du capital résoudra le problème lié à la rigidité de la structure du capital, qui était au coeur des difficultés traversées par France Télécom. L'obligation légale a probablement limité ses possibilités d'accès aux capitaux, à des périodes où elle en aurait sûrement eu besoin pour se rendre plus compétitive. Grâce à cette évolution statutaire, France Télécom sera désormais placée dans un cadre juridique aussi proche que possible de ses concurrents, et pourra relever les défis à venir dans les meilleures conditions possibles.
    Sur la question du personnel, le projet de loi règle le problème de la situation juridique des 106 000 fonctionnaires qui sont l'âme de l'entreprise et dont la mobilisation est indispensable à la poursuite du redressement. Mais si l'entreprise ne recrute plus de fonctionnaires, il fallait trouver une solution à cette situation unique et paradoxale. C'est ce que fait le projet de loi en consolidant la situation juridique de ces fonctionnaires jusqu'au départ à la retraite du dernier d'entre eux, en 2035.
    Pour reprendre les propos du président Breton lors de son audition par la commission, la question du statut des fonctionnaires représentait une véritable épée de Damoclès. Le titre II contribue à rassurer les personnels en pérennisant leur situation.
    Je tiens à souligner ici l'engagement de l'Etat : il s'agit d'un geste fort, qui témoigne de la confiance du Gouvernement à l'égard de toute l'équipe de France Télécom. Parallèlement à cette consolidation du statut, le secrétaire général de France Télécom a annoncé à la commission que la situation des 6 000 reclassés serait rapidement traitée. Tout semble donc fait, aussi bien au niveau législatif qu'au niveau de la direction de l'entreprise, pour rassurer et associer le personnel dans une période de changement et d'adaptation pour France Télécom.
    Je veux saluer aussi les avancées réalisées par ce projet de loi dans la transposition en droit national du « paquet télécom ». La directive du 7 mars 2002 remet en cause l'attribution par la loi de 1996 des missions de service universel à France Télécom, qui justifiait l'appartenance de l'entreprise au secteur public et la présence de fonctionnaires en son sein. Le projet de loi change en effet les règles de désignation de l'opérateur de service universel. La fourniture de ce service n'est plus confiée a priori à France Télécom. Un dispositif d'appel à candidatures ouvert à tous les opérateurs est prévu. Cette procédure, nous le savons, portera sur les trois composantes du service universel.
    Le président Breton a déjà fait savoir que France Télécom est résolue à se porter candidate à la prise en charge de ce service universel. La modification des règles de financement du service universel, telle que nous l'avons envisagée en commission, tend à une plus grande neutralité du prélèvement effectué. S'agissant des tarifs pratiqués par les opérateurs ayant les fonctions de service universel, il faudra éviter les situations de concurrence déloyale. Le travail réalisé en commission va dans le bon sens et je soutiens totalement l'amendement visant à limiter les tarifs du service universel pouvant faire l'objet d'un contrôle par l'ART.
    La revente de l'abonnement a déjà fait l'objet de négociations entre France Télécom et Cegetel. Mieux vaut, me semble-t-il, laisser cette question dans le cadre du contrat.
    Parallèlement aux avancées prévues dans ce projet de loi, le président de France Télécom a fait part à la commission de sa décision d'accélérer le déploiement de la technologie ADSL en y consacrant 600 millions d'euros supplémentaires. France Télécom souhaite être une entreprise leader en matière de haut débit, enjeu majeur de compétitivité pour notre économie, et notamment pour les PME. Les évolutions désormais permises par le projet de loi devraient l'y aider.
    Six mois après avoir fait part de nouvelles initiatives pour faire bénéficier tous les Français qui le souhaitent de l'Internet à haut débit, France Télécom a annoncé hier que 4 500 nouvelles communes avaient été ouvertes à l'ADSL durant le second semestre 2003. Tout en soulignant ce progrès, rappelons que l'effort doit porter sur les zones les moins peuplées, souvent les plus isolées. Beaucoup reste encore à faire pour que chaque Français, quels que soient son milieu social et le lieu où il vit, ait accès aux nouveaux moyens de communication et, en particulier, à l'ADSL, outil indispensable pour accéder aux savoirs et à l'emploi, pour maintenir les entreprises en milieu rural et pour assurer l'équilibre territorial de la France.
    J'ai noté avec satisfaction la volonté du président Breton de développer l'accès au haut débit sur le territoire en partenariat avec les collectivités locales et, surtout, de renforcer les moyens consacrés à la recherche et au développement, indispensables à la performance de l'entreprise.
    En conclusion, je veux insister sur le fait que ce projet de loi dotera France Télécom d'un statut lui permettant tout à la fois de poursuivre son redressement et d'être mieux armé dans le milieu concurrentiel des télécommunications. De surcroît, cette modification se réalisera dans un climat social apaisé, dans la mesure où des garanties ont été données aux fonctionnaires quant à la pérennité de leur statut.
    La transposition du « paquet télécom » en droit national favorisera la concurrence dans le secteur des télécommunications. Ce projet de loi répond aux attentes des acteurs du secteur des télécommunications, car il donne aux opérateurs tous les moyens juridiques de relever les défis à venir dans un contexte de forte concurrence et de développement des nouvelles technologies.
    Fruit d'une véritable volonté politique, ce texte équilibré sera l'outil qui permettra à la France de conserver une place prépondérante dans le secteur stratégique des télécommunications. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. François Brottes. Ça, c'est de la discipline !
    Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Charasse.
    M. Gérard Charasse. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, que l'on ne s'y méprenne pas : ce sont trois textes en un qui viennent ce soir devant la représentation nationale. Et l'obligation de transposer la directive européenne de la Commission du 16 septembre 2002, relative à la concurrence dans les marchés des réseaux et des services de communications électroniques, est un prétexte commode pour glisser des dispositions qui vont bien au-delà des demandes de la Commission.
    Deuxième remarque de forme : lorsqu'en juillet 2003, une procédure d'infraction a été ouverte à l'encontre de huit pays, dont la France, pour non-transposition en droit national de quatre directives du « paquet télécom », les élus que nous sommes, monsieur le ministre, pensaient que le Parlement allait être appelé à débattre en priorité du projet de loi « paquet télécom », adopté lors du conseil des ministres du 31 juillet et qui vise notamment à transposer les directives précitées, dont celle relative au service universel. Or vous avez fait un autre choix : celui de donner la priorité à la modification du statut de France Télécom, en l'accompagnant de dispositions relatives au service universel et au statut des personnels. Ce faisant, vous atteignez votre objectif : fragmenter le débat sur le service universel en plusieurs textes et légiférer le plus possible sur cette question par voie d'ordonnances.
    Dès lors, vous comprendrez que nous ayons assez peu goûté le discours du Gouvernement sur le « grand débat » qui se serait tenu dans le pays. J'ai encore à l'esprit le fabuleux calendrier que vous avez mis en place à cette fin et, particulièrement la façon dont vous avez saisi la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications, le 11 juillet, en ne lui donnant que dix jours pour rendre un avis...
    A ces objections de forme - et la forme importe en démocratie - viennent évidemment s'ajouter une série d'objections de fond. Je m'en tiendrai à deux points.
    Le premier, qui m'a conduit à déposer un amendement, est simple : on ne peut pas tenir à l'écart du service universel l'accès et la fourniture à titre gratuit, pour les services chargés du traitement des appels de secours ou d'urgence, des données permettant la localisation géographique des appels et comprenant l'annuaire universel.
    Vous connaissez, monsieur le ministre, l'état des finances des SDIS. Même la représentation nationale connaît votre propension à transférer les charges vers les collectivités, je vous demande d'en rester là : et de faire assurer ce service qui doit être financé par un péréquation entre les opérateurs par la communauté des utilisateurs du téléphone et non par les contribuables.
    Je veux en second lieu insister, après mon collègue Fortassin au Sénat, sur le problème de l'aménagement du territoire. La vision ultra-libérale dans laquelle vous transposez la directive vous conduira immanquablement à créer des inégalités flagrantes entre le milieu urbain et le milieu rural. Qu'il s'agisse du GSM, de l'ADSL, ou demain du CPL, le financement de l'accès à l'information n'atteindra pas partout une masse critique suffisante.
    Il appartient au Gouvernement - et vous êtes, monsieur le ministre, le ministre des zones rurales autant que des zones urbaines - de faire apparaître dans la loi l'impérieuse nécessité de fournir à tous un accès de même qualité au même prix. Les obstacles à lever sont politiques et non techniques.
    Monsieur le ministre, le vote des députés radicaux de gauche sera notamment conditionné par vos réponses à ces deux questions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Mme la présidente. La parole est à M. Alain Joyandet, dernier orateur inscrit.
    M. Alain Joyandet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, presque tout a donc été dit... Je vais cependant tenter de vous faire part de quelques considérations.
    Nous avons beaucoup parlé de systèmes, de service public, d'entreprises publiques, d'entreprises privées, de concurrence ; j'essaierai d'évoquer quelques points sur lesquels nous pourrions éventuellement nous mettre tous d'accord (« Ah ! » sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française), ce ne serait pas mal !
    Sommes-nous tous d'accord pour dire qu'actuellement nos concitoyens ne sont pas égaux, que certains par exemple ont accès au portable et d'autres pas ; qu'un agriculteur en zone périurbaine a droit à la sécurité en pouvant l'utiliser sur son tracteur, ce que ne peut faire l'agriculteur d'un département rural comme le mien ? Sommes-nous tous d'accord pour dire qu'une entreprise en milieu urbain a le choix entre trois ou quatre technologies, alors qu'une entreprise en milieu rural en vient à se demander si elle doit rejoindre une plate-forme où elle pourra en disposer ? Sommes-nous tous d'accord pour dire que les écoles désormais câblées ou reliées à l'Internet à haut débit sont souvent celles des collectivités locales qui ont pris cette affaire en main et que l'Etat, l'éducation nationale sont complètement passés à côté du sujet ?
    Sommes-nous tous d'accord pour dire que dans nombre de quartiers dits « sensibles », les jeunes, sans doute aussi sensibles à l'informatique et à l'Internet que les autres, n'ont pas accès aux nouvelles technologies alors que ceux des beaux quartiers disposent de terminaux et de l'Internet à haut débit ?
    C'est ainsi, pour résumer, que certains territoires disposent de quatre voies d'accès au savoir, à l'information, au développement économique, etc., alors que d'autres en sont totalement privés.
    Cette situation, reconnaissez-le, chers collègues, notamment vous, chers collègues de la gauche, qui durant ces vingt dernières années avez été treize ou quatorze ans au pouvoir, est incontestable...
    M. François Brottes. Et que faites-vous de la loi de 1996 ?
    M. Alain Joyandet. Et si nous sommes arrivés là, c'est aussi, en grande partie, à cause d'un entreprise publique en situation de monopole, autrement dit à cause du système que vous défendez.
    M. François Brottes. Ce sera pire demain !
    M. Alain Joyandet. Que nous proposez-vous aujourd'hui, chers collègues de gauche ? Pour que ça aille mieux, de ne surtout rien changer ! Mais lorsqu'on fait un tel constat, il faut obligatoirement changer un certain nombre de choses. Et les dispositions prévues dans ce texte vont sans doute dans le bon sens.
    M. François Brottes. On en reparlera !
    M. Alain Joyandet. On peut du reste se demander pourquoi, depuis quelques mois, peut-être depuis un peu plus d'un an, les performances de la grande maison France Télécom se sont améliorées, pourquoi la modernisation s'accélère, pourquoi l'ADSL se développe.
    M. Daniel Paul. C'est grâce à la droite ! (Sourires.)
    M. Alain Joyandet. C'est tout simplement que France Télécom a un peu senti le vent venir, que plusieurs concurrents pointent le nez et qu'il lui faut donc se mettre en position de réagir. Ce qui suppose d'accélèrer un peu le pas. Or on n'accélère pas le pas lorsqu'on est dans une situation de monopole tout à fait tranquille et qu'aucun danger ne vous guette.
    Je n'use pas de la langue de bois, et je crois que, contrairement à ce que vous pouvez penser, le retrait progressif de l'Etat de France Télécom va contribuer à la réduction de la fracture numérique.
    M. Daniel Paul. On verra !
    M. Alain Joyandet. Je prends, aujourd'hui, les paris.
    Enfin, rappelez-vous quelle était la situation de France Télécom il y a un peu plus d'un an, le rapporteur spécial des crédits de la poste et de télécoms pourrait en parler. Si rien n'avait été fait pour libérer France Télécom de son carcan, la grande maison aurait été en cessation de paiement au mois de décembre 2002.
    Ne rien changer, c'est donc étouffer France Télécom encore un peu plus, alors que l'entreprise a besoin d'oxygène et de liberté. C'est vrai, il y a des dangers. Mais, en même temps que nous allons libérer France Télécom, nous allons continuer à assurer le service au public et garantir l'avenir des fonctionnaires, c'est-à-dire respecter la parole de l'Etat. Sur ces deux sujets, le texte est tout à fait clair.
    Pour ce qui est du service au public, on ne peut pas prendre plus de risques que nous n'en avons pris depuis vingt ans. Le service universel va prendre le relais. Je suis d'accord avec certains de mes collègues, de gauche comme de droite, qui ont estimé, tout à l'heure, que nous devions être un peu plus ambitieux pour le service universel. On ne peut se contenter de maintenir un service universel avec des cabines téléphoniques,...
    M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !
    M. Alain Joyandet. ... alors que, dans l'ensemble du pays, il faudrait que tous nos enfants, quels que soient leur milieu social et la région dans laquelle ils vivent, puissent avoir accès, dans des conditions démocratiques, chers camarades...
    M. Daniel Paul. Merci, camarade !
    M. Alain Joyandet. ... à l'internet à haut débit et à la téléphonie mobile. Le service universel doit donc se rénover. Je déposerai des amendements à ce propos. Ce ne sont peut-être que des amendements d'appel, car les choses ne sont pas complètement mûres, mais je crois qu'il est intéressant que nous puissions débattre d'un élargissement du service universel, tout particulièrement pour l'Internet à haut débit et la téléphonie mobile.
    Ce soir, mes chers collègues, il y a, sur les bancs de notre assemblée, deux catégories de députés : ceux qui font des déclarations d'amour à France Télécom, comme on en entend depuis plusieurs heures déjà, et ceux qui ont sauvé France Télécom en 2002, grâce aux bonnes mesures qui ont été prises et à la rapidité de réaction de notre gouvernement et de la majorité qui le soutient.
    Ceux-là mêmes qui ont sauvé France Télécom vont, aujourd'hui, la libérer de son carcan...
    M. François Brottes. L'Etat a rempli son rôle, il doit continuer.
    M. Alain Joyandet. ... pour assurer son avenir et celui de ses fonctionnaires.
    En conclusion, je dirai que ce texte est équilibré,...
    M. François Brottes. Pas votre propos !
    M. Alain Joyandet. ... comme doivent l'être tous nos textes. La gauche en a fait une caricature. Je ne suis pas un libéral à tout crin.
    M. François Brottes. Pas encore !
    M. Gérard Charasse. Reconnaissez-le !
    M. Alain Joyandet. Vous n'avez pas le monopole du service public !
    M. François Brottes. On est pour le service public !
    M. Alain Joyandet. Je suis, moi aussi, très attaché au service public. Vous citiez tout à l'heure des municipalités ayant conservé, pour l'eau notamment, le service public. Je suis l'un de ces maires.
    M. Gérard Charasse et M. Daniel Paul. Bravo !
    M. Alain Joyandet. Quand il y a service de première nécessité et situation de monopole naturel, on peut parler de service public. Mais, avec les télécommunications, on est davantage dans le cadre d'un service « au public », qui pourrait très largement être rendu par des entreprises privées performantes.
    Après avoir sauvé France Télécom, monsieur le ministre, vous allez la libérer de son carcan.
    M. Daniel Paul. Vous allez aussi sauver EDF et la SNCF ?
    M. Alain Joyandet. Nous allons donc faire gagner France Télécom, nous allons faire gagner la France. Et je suis persuadé qu'une fois France Télécom redynamisée, préservée - parce que c'est le patrimoine national -, mais aussi aiguillonnée par ses concurrents, nous servirons tous ensemble un peu mieux le public à un meilleur prix et sans doute d'une manière plus universelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Mme la présidente. La discussion générale est close.

Motion de renvoi en commission

    Mme la présidente. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.
    La parole est à M. Alain Gouriou.
    M. Alain Gouriou. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l'importance stratégique des télécommunications dans les pays développés, l'évolution constante des nouvelles technologies et la croissance de l'économie numérique dans toutes les branches de l'activité conduisent tout naturellement chaque pays à légiférer dans ces domaines. La Communauté européenne a élaboré des directives. Personne ne conteste cette nécessité ou cette obligation.
    Votre gouvernement, monsieur le ministre, a proposé au Parlement de légiférer sur trois textes : le premier sur la confiance dans l'économie numérique ; le deuxième, celui que nous examinons ce soir, intitulé « obligations de service public des télécommunications et France Télécom » ; et un troisième, à venir, intitulé jusqu'ici « paquet télécoms », qui pourrait être présenté en 2004 si vous ne changez pas d'avis ou si le Gouvernement ne change pas.
    Le projet dont nous débattons a pour principal objet la privatisation de France Télécom.
    M. François Brottes. C'est clair !
    M. Alain Gouriou. C'est le titre III du texte, auquel nous sommes totalement opposés.
    Une première raison motive le renvoi en commission que je vais défendre. La volonté du Gouvernement de précipiter la décision de privatiser France Télécom apparaît au début de juillet 2003 par le biais de deux projets de loi, le « paquet télécoms » et celui-ci. Les procédures de consultation et de concertation sont alors accélérées, pour ne pas dire bâclées. La commission supérieure du service public est saisie le 11 juillet et est priée de donner son avis pour le 22 juillet. Le conseil des ministres adopte le projet de loi le 31 juillet. Le prétexte de cette précipitation est la nécessité de transposer la directive européenne du 7 mars 2002 relative au service universel et aux droits des utilisateurs pour les réseaux et les services de communication électronique. On en profite pour annuler la disposition de la loi de 1996 qui empêche l'Etat de détenir moins de la moitié du capital de France Télécom.
    Pourquoi, monsieur le ministre, n'avez-vous pas choisi la démarche qui aurait consisté, plus logiquement selon nous, à débattre d'abord du projet de loi « paquet télécoms » adopté lors du même conseil des ministres du 31 juillet et qui concernait en particulier le service universel ? Au lieu de cela, les différents aspects du service universel sont éparpillés dans trois textes de loi, entraînant par là même des risques de confusion, voire de contradiction.
    Parallèlement, les partenaires sociaux ne sont informés du contenu du projet de loi réformant le statut de l'entreprise que par sa direction, sans avoir été consultés préalablement ni conviés par Mme la ministre de l'industrie pour en négocier au moins les dispositions concernant le statut des personnels. On ne peut que souligner le décalage, qui est tellement préjudiciable à la crédibilité du monde politique : est-il bien pertinent de proclamer l'importance du dialogue social, comme le fait M. Fillon, si aucune démarche de concertation avec les partenaires sociaux n'existe pour des projets de loi aussi importants pour l'avenir de centaines de milliers de salariés ?
    Dans un rapport de 2002, le sénateur Gérard Larcher écrivait curieusement : « Si privatisation il y a un jour, l'intervention du législateur aurait à être postérieure à une concertation approfondie entre les partenaires sociaux. S'agissant de France Télécom, entreprise nationale, l'Etat devrait annoncer clairement ses grands arbitrages. Mais les modalités de mise en oeuvre desdits arbitrages n'auraient pas à être fixées d'emblée par ses soins, ce serait aux organisations représentatives du personnel et aux dirigeants de l'entreprise d'en débattre au préalable. » Je vous laisse méditer ce texte.
    M. François Brottes. Il va se faire exclure de l'UMP !
    M. Alain Gouriou. C'est pratiquement par voie de presse que les personnels et leurs représentants ont appris les grands arbitrages de l'Etat. Les organisations représentatives n'ont pas réussi et ne réussissent toujours pas à obtenir de rencontre avec leurs ministres de tutelle. Les représentants du personnel ont été informés des intentions du Gouvernement par les dirigeants de France Télécom à la veille de la publication du communiqué de presse du ministère des finances.
    Avouez, monsieur le ministre, que votre projet ne peut que souffrir de la comparaison avec la réforme de 1990. Le Premier ministre de l'époque, Michel Rocard, avait alors nommé Hubert Prévot, ancien commissaire au Plan, chef de la mission chargée de préparer l'évolution de l'administration des postes et télécommunications. Celui-ci lança un processus associant les postiers et les personnels des télécommunications à la réflexion sur l'avenir du secteur. En dix-huit mois eurent lieu dans les postes et les centres téléphoniques, dans les bureaux des télécommunications, plus de 5 ou 6 000 réunions d'agents par petits groupes. Les organisations syndicales ont apprécié cette forme de procédure qui prenait en compte leur avis, même si certaines ne partageaient pas le but à atteindre.
    On aurait pu espérer que le travail en commission des affaires économiques permette de rattraper ce déficit de démocratie sociale, en auditionnant les partenaires sociaux. Malheureusement, les auditions se sont limitées au président de France Télécom et à vous-même, monsieur le ministre.
    La seconde raison qui motive ce renvoi, c'est que nous nous demandons ce que sera la situation du personnel de France Télécom après la minoration du rôle de l'Etat dans la conduite de l'opérateur historique. On ne peut que louer la formidable capacité d'adaptation du personnel de France Télécom, notamment de ses fonctionnaires.
    Il y a encore treize ans, il existait un ministère des postes et télécommunications, administration d'Etat. Les fonctionnaires n'effectuaient aucune opération commerciale. Ce personnel a permis à l'opérateur historique de devenir une grande entreprise, présentant, à l'échelle mondiale, une excellence technique et des compétences opérationnelles performantes. Il faut le reconnaître, la présence de 106 000 fonctionnaires sur les 140 000 salariés de France Télécom en France est le véritable point d'ancrage de la culture de l'entreprise et n'a jamais constitué un frein à son développement.
    Aujourd'hui, vous prenez le risque de briser cet attachement, en fragilisant le statut des personnels par une réduction de la présence de l'Etat dans le capital de l'opérateur historique et des missions de service public qu'il pourra effectuer.
    Vous qualifiez d'innovantes et de sécurisantes les dispositions de votre projet de loi consacrées au statut des personnels dans le titre II, en sanctuarisant, selon vos propres termes, les statuts des personnels de France Télécom. Mais nous n'avons aucune assurance sur la validité juridique du dispositif arrêté ni de sa pérennité. Il n'est pas dit qu'une entreprise privée qui devra répondre à un appel d'offres pour exercer tout ou partie du service universel puisse recourir à des fonctionnaires pour exercer ses missions.
    La recherche d'une sécurisation du statut des personnels de l'opérateur historique est un objectif que nous partageons. Mais nous ne sommes pas naïfs et nous avons bien remarqué votre tour de passe-passe : en contrebalançant la privatisation de France Télécom avec le maintien du statut des fonctionnaires, vous laissez éventuellement à l'opposition, ou au juge, la possibilité de déstabiliser cet équilibre, ce qui ne serait d'ailleurs pas pour déplaire à nombre de vos collègues du Gouvernement et de nos collègues de la majorité. Monsieur le ministre, il suffisait tout simplement de renoncer au dogme de la privatisation, pour éviter de prendre le personnel en otage.
    Le troisième point qui aurait mérité une analyse approfondie avant de délibérer sur ce projet de loi, c'est l'impact du texte sur l'aménagement du territoire et la lutte contre la fracture numérique. Quelles seront les conséquences de la réduction du poids de l'Etat au sein du capital de France Télécom sur sa présence sur tout le territoire ? Avons-nous la garantie que certaines zones du territoire ne seront pas sacrifiées pour des impératifs de rentabilité ?
    Qu'en sera-t-il de la présence indispensable des agents de l'opérateur historique, tellement appréciée en cas de catastrophes naturelles, comme celles que nous avons déjà vécues, les années précédentes, notamment après les tempêtes de 1999, et dans la situation que de nombreux départements du Sud connaissent en ce moment même ?
    Alain Joyandet, député UMP, rapporteur spécial pour les télécommunications, reconnaissait, lors de l'examen de la loi de finances pour 2004, que, avec France Télécom et La Poste, l'Etat a des atouts en main pour moderniser notre service public. « C'est lui qui doit donner l'impulsion, disait-il, c'est grâce à notre action que la fracture numérique, donc culturelle et sociale, reculera. A nous de clarifier la règle du jeu. Le marché seul, incapable de satisfaire ces exigences, consacrera la France à deux vitesses. Certes, il faut redéfinir les contours de l'action de l'Etat, mais nous n'avons jamais eu autant besoin d'un service public modernisé. »
    Nous partageons tout à fait cet objectif. Pourtant, les moyens ne suivent pas. Les programmes de développement de communications figurant aux contrats de plan accusent des retards dramatiques. Pourtant, comme l'indiquait le projet de résolution adopté par une récente assemblée de l'Union interparlementaire et rapporté par notre collègue Martin-Lalande, député de la majorité : « Sans une politique publique appropriée, les nouvelles technologies ne peuvent être un facteur de progrès partagé. »
    Monsieur le ministre, vous le savez mieux que personne, France Télécom a assumé depuis quarante-cinq ans un effort colossal en matière d'innovation et de recherche, tant fondamentale qu'appliquée. Cet effort a permis à la France de passer du niveau d'un pays sous-développé en matière de télécoms, dans les années d'après-guerre, à une position de leader mondial à la fin du xxe siècle.
    M. Jean Dionis du Séjour. C'est de l'amour, ça aussi !
    M. Alain Gouriou. Les avancées technologiques en matière de réseaux, le Minitel, les fibres optiques, les écrans plats, les réseaux numériques, la synthèse vocale, qui ont été inventés et mis au point par les chercheurs de France Télécom, ont soutenu une croissance exceptionnelle des industries de l'équipement des télécoms.
    De 1991 à 2001, l'entreprise a investi 22 milliards d'euros dans le réseau national des télécoms, ce qui relativise singulièrement les aides apportées par l'Etat à l'opérateur France Télécom au moment des phases récentes de difficultés. Par ailleurs, combien de fois les télécommunications ou La Poste ont-elles servi de pompe à finances pour les gouvernements, de droite comme de gauche, au cours des années précédentes ?
    M. Jean Dionis du Séjour. Ah, les licences UMTS de M. Jospin !
    M. Alain Gouriou. France Télécom a, en fait, assuré la quasi-totalité de l'effort de recherche publique. Quant aux nouvelles technologies de l'information et de la communication, nous saluons et encourageons vivement les décisions de M. Breton de dynamiser et d'abonder les moyens de recherche et développement de l'entreprise. Sans cet effort, France Télécom serait dépendante, à court terme, des innovations mises au point par les concurrents étrangers, et serait éliminée des marchés.
    Aujourd'hui s'ouvrent de nouveaux champs pour la recherche : les systèmes et les services pour le citoyen connecté, via Internet, avec les différentes administrations nationales et locales, ou les services à nos concitoyens handicapés ou isolés. De cette dynamique dépend la croissance de nos équipementiers, grands et petits, et vous savez, monsieur le ministre, qu'ils ne se portent pas trop bien en ce moment. Nous avons appris, hier encore, les nouvelles décisions prises par le groupe Alcatel, qui, en 2004, va supprimer 470 emplois en France. Alcatel CIT, qui emploie 7 600 personnes, a déjà supprimé 1 060 postes en 2003.
    Malheureusement, l'Etat donne le mauvais exemple. Dans le projet de loi de finances pour 2004, nous regrettons l'absence d'actions en faveur de l'innovation, la diminution de 25 % des crédits de soutien à la diffusion des technologies et de l'information dans les petites et moyennes entreprises. On peut de même déplorer la baisse des crédits de recherche du groupe des grandes écoles des télécoms. Une politique volontariste de recherche se traduit par des moyens importants, pas par des incantations.
    Le quatrième motif de cette motion de renvoi en commission, c'est qu'il nous paraît utile d'auditionner l'agence des participations de l'Etat issue des travaux du rapporteur Barbier de la Serre sur la gouvernance des entreprises publiques. Contrairement aux préconisations de ce rapport, qui souhaitait une séparation totale entre l'agence des participations de l'Etat et les services du Trésor, vous avez choisi de placer l'agence sous votre autorité, monsieur le ministre. Lors de son acte de naissance, en mars dernier, vous avez donné comme rôle à l'agence d'exercer des missions de l'Etat actionnaire.
    Par conséquent, il nous semble important de savoir comment l'Agence des participations va assumer son rôle dans l'éventualité d'une cession importante des parts détenues par l'Etat dans le capital de France Télécom et ainsi se retrouver dans la situation d'un actionnaire minoritaire dans un secteur aussi stratégique. Comment l'Agence des participations va-t-elle conjuguer les intérêts capitalistiques recherchés par tout actionnaire avec les obligations de service public attribuées à France Télécom ? Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à intervenir, s'il le fallait, pour rappeler que le service public ne doit pas être sacrifié par la recherche de dividendes toujours plus élevés ? L'Agence doit pouvoir sauvegarder les intérêts patrimoniaux de l'Etat et assurer le pilotage stratégique des entreprises publiques.
    La cinquième raison est liée à l'une des propositions que nous avons émises lors de la présentation des conclusions de la commission d'enquête sur les entreprises publiques en juillet dernier. Il nous paraît également nécessaire de réaliser, sous la responsabilité du Parlement, la définition d'un contrat d'objectifs entre la nation et France Télécom, puisque, de l'aveu même du Gouvernement, elle sera attributaire du service universel. Le Parlement est le seul arbitre légitime des contradictions éventuelles entre préservation de l'intérêt de l'Etat et exécution des missions de service public. Ce contrat d'objectifs mentionnerait donc expressément, sous une forme législative, la nature du service public rendu. Il comprendrait un véritable cahier des charges, y compris dans des domaines comme la tarification, qui ont longtemps souffert, et souvent, de la légèreté de l'Etat.
    Le respect de ce cahier des charges pourrait faire l'objet d'un contrôle permanent du Parlement, au niveau des commissions parlementaires compétentes et en liaison avec la délégation pour l'Union européenne. Il devrait conduire à la publication d'un rapport parlementaire annuel. Dès lors, ce contrat devrait nous obliger à mener une réflexion approfondie sur l'avenir du service public des télécommunications, parce qu'il est synonyme de long terme, parce qu'il est une garantie d'indépendance stratégique, économique et industrielle, parce qu'il est un vecteur de croissance, parce qu'il est un facteur de solidarité et de lutte contre l'exclusion et parce qu'il n'est pas exclusif de partenariats industriels et n'est pas un modèle figé mais permet l'innovation.
    Pour toutes ces raisons, nous ne devons pas légiférer en la matière sans connaître les conséquences pour l'usager. Nous ne devons pas faire du « toujours moins » un principe d'égalité entre les plus faibles. Ce n'est pas le monopole que nous voulons préserver mais des conditions satisfaisantes de fonctionnement du secteur public. Ce n'est pas le statu quo que nous défendons mais l'emploi et l'égalité sociale.
    Dernier motif de renvoi en commission : il est nécessaire parce qu'il nous semble indispensable d'avoir un peu plus de lisibilité juridique et économique dans le secteur des télécommunications avant de fixer la règle du jeu. Dans un paysage mondial des télécommunications très chahuté, très instable, face aux enjeux posés par les évolutions dans les télécommunications, un débat public, national, ouvert et contradictoire s'imposait avant tout dépôt d'un texte. Ce débat aurait permis de tirer les leçons des effets de la déréglementation - en France et dans les pays industrialisés - et de dégager des orientations stratégiques en matière de communication. C'était l'ambition affichée par le projet de loi sur la société de l'information. Mais votre projet, monsieur le ministre, n'est qu'une approche fragmentée, qui ne permet pas de parler précisément de stratégie ou d'adhésion à des lignes directrices. Vous-même, en commission, avez souligné la nécessité de mieux prendre en compte le facteur temps et les évolutions à long terme dans les politiques publiques. Or le droit français des télécommunications est complètement dans l'inconnu depuis un an.
    Ainsi, le projet de loi relatif à l'économie numérique est en discussion au Parlement depuis février 2003. Un autre projet de loi a été présenté en conseil des ministres, le 31 juillet 2003, relatif aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle. Il s'inscrit dans une vaste réforme de la réglementation applicable aux activités de télécommunications, réforme engagée au niveau européen en 1999 et qui s'est traduite par l'adoption, l'année dernière, de six directives et d'une décision, souvent regroupées sous l'appellation de « paquet télécoms » dont votre projet assure la transposition en droit national. En commission, monsieur le ministre, vous nous avez appris que ce projet de loi serait scindé en deux : une partie serait introduite par amendements dans le projet de loi relatif à l'économie numérique, l'autre partie serait adoptée par ordonnances. Quelle est la lisibilité juridique de l'évolution du secteur ? Il n'y en a aucune.
    Néanmoins, vous persistez à vouloir fragiliser le service public des télécommunications avant de consolider le droit qui l'encadre. La remarque vaut également pour l'enquête formelle ouverte par la Commission européenne sur le plan de sauvetage de France Télécom. Une décision semblable à celle qu'a préconisée Mario Monti, commissaire européen à la concurrence, pour le cas d'EDF, risquerait de changer complètement la donne pour l'opérateur historique et ne serait pas sans conséquence pour son personnel.
    En conclusion, il ne faut pas négliger l'impact des télécommunications sur la vie quotidienne des Français. Toute évolution en la matière peut avoir des conséquences sociales dramatiques, qu'il vaut mieux identifier. Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, nous souhaitons un renvoi de ce texte en commission avant de légiférer définitivement sur l'avenir de France Télécom.
    Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je tiens d'abord à remercier M. Trassy-Paillogues pour la qualité de son travail de rapporteur. Toutes les questions qu'il a soulevées feront bien évidemment l'objet de discussions dans le cadre de l'examen du texte. Cela me permet de ne pas en parler maintenant.
    Je répondrai aux orateurs, non pas dans l'ordre de leurs interventions, mais dans celui, aléatoire, du classement de mes papiers. (Sourires.)
    Madame Vautrin, nous sommes d'accord en ce qui concerne le haut débit. Il faut qu'il se développe car c'est un gage potentiel de développement économique.
    Vous savez comme nous que le Gouvernement a pris des mesures adéquates dès l'été 2002, ce qui a permis à France Télécom et à ses concurrents de faire pas mal d'investissements. J'ai la satisfaction de vous dire que grâce à ces mesures et à ces investissements, nous avons rattrapé notre retard par rapport aux pays européens, du moins par rapport aux Anglais ou aux Allemands. Nous avons aujourd'hui trois millions d'abonnés, et leur nombre augmente tous les mois de 200 000, ce qui devrait quand même nous convaincre que, dans ce domaine-là au moins, nous bougeons dans le bon sens.
    Monsieur Charasse, en ce qui concerne la transposition du paquet télécoms, il n'y a aucun problème : nous sommes déterminés à le transposer rapidement. D'où la proposition de le faire par voie d'ordonnances. Dans ce contexte, les directives seront transposées au cours du premier semestre.
    M. François Brottes. C'est bien pour le Parlement !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ah, il faut savoir ce que l'on veut ! Si on veut aller vite, il faut s'en donner les moyens.
    Monsieur Paul, je dois dire que votre présentation de l'évolution des emplois est un peu caricaturale. D'abord, vous oubliez systématiquement, et volontairement, de parler de tous les emplois qui ont été créés dans les nouvelles activités de télécommunication. A croire que le téléphone mobile et internet, cela n'existe pas, ce qui n'est quand même pas très correct. Et puis, en ce qui concerne France Télécom, quand bien même ses effectifs auraient baissé, et si c'était, par hasard, le résultat de l'utilisation des nouvelles technologies par France Télécom, qu'est-ce que cela prouverait sinon que la productivité de l'entreprise augmente, que sa performance augmente ? Et au cas où vous ne l'auriez pas compris, c'est la somme des accroissements de performance des entreprises qui crée la croissance d'un pays.
    M. Daniel Paul. C'est votre ministère lui-même qui a fourni les documents sur lesquels je me suis appuyé, monsieur le ministre !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je vous assure que si vous n'acceptez pas l'idée que la croissance a son origine dans l'amélioration de la productivité de chaque entreprise, vous risquez d'avoir une fausse idée de la croissance. La seule autre manière de créer de la croissance dans un pays sans en créer pour chaque personne, c'est d'augmenter le nombre de personnes. Cela s'appelle la croissance démographique.
    M. Daniel Paul. Il faut faire des petits !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je voulais aussi vous dire, monsieur Paul, que les valeurs humaines et l'entreprise privée, ce n'est pas incompatible. Voyons, pourquoi voulez-vous que, sous prétexte qu'une entreprise est détenue par des épargnants - parce que c'est cela, l'entreprise privée : elle est détenue indirectement par des épargnants, c'est-à-dire par vous et moi -,...
    M. Daniel Paul. Par vous, peut-être, mais pas par moi !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... pourquoi voulez-vous, donc, que cette entreprise ne pratique pas systématiquement les mêmes valeurs humaines qu'une entreprise détenue par le contribuable ?
    M. Daniel Paul. Ce n'est pas pareil !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ah, ce n'est pas pareil ?
    M. François Brottes. Un actionnaire et un contribuable n'ont pas la même fonction !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous pensez que le contribuable est plus intéressé aux valeurs humaines que l'épargnant ? Eh bien, pas moi.
    M. Daniel Paul. Nous n'avons pas les mêmes valeurs !
    M. Michel Lejeune. Ça, c'est vrai !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je ne suis pas certain que nous n'ayons pas les mêmes valeurs, mais peu importe.
    Monsieur Joyandet, nous sommes d'accord, encore une fois, sur la nécessité de travailler à la diffusion des nouvelles technologies, et de réduire la fracture numérique. Vous savez comme moi que les mesures que nous avons prises ont déjà permis de couvrir 1 500 communes supplémentaires, grâce à la convention signée par l'Etat, comme je l'ai indiqué dans ma rapide introduction.
    En ce qui concerne le renouvellement des licences GSM, l'ART mène actuellement une consultation publique qui permettra de définir l'année prochaine des conditions d'octroi tenant compte de critères de qualité de service et de couverture du territoire en matière de téléphonie mobile.
    Monsieur Dionis du Séjour, s'agissant des « reclassés non reclassifiés », soyons clairs, le comportement passé a été ce qu'il a été. Le comportement futur est entre les mains du patron. Je crois me rappeler que le patron s'est engagé devant vous, en commission,...
    M. Patrick Ollier, président de la commission. C'est exact !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... à avoir dans ce domaine le comportement normal que, peut-être, ses prédécesseurs auraient dû avoir envers ces personnels, consistant à les faire évoluer dans l'entreprise en fonction du seul critère de leur mérite.
    M. Alain Gouriou. Ce n'est pas ce que notre collègue vous avait demandé !
    M. François Brottes. M. Dionis du Séjour est désavoué !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Et à partir du moment où vous faites confiance au patron, vous verrez que le personnel sera traité correctement.
    Vous avez posé une question sur la loi relative à l'économie numérique. Je vous donne la réponse : ce sera les 7 et 8 janvier prochain.
    M. Jean Dionis du Séjour. Très bien ! Cela ne bougera plus ?
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Oui, sauf drame, cela ne bougera pas.
    Quant à la séparation des réseaux, c'est une fausse bonne idée.
    M. Alain Gouriou. Très bien !
    M. Jean Dionis du Séjour. Ah !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous en reparlerons, mais il me semble que vous ne pouvez pas assimiler un réseau de télécommunications à un réseau routier, à un réseau électrique ou à un réseau ferroviaire. Il y a un monopole dans un cas et pas dans l'autre, comme vous le savez, et notamment pas dans le réseau des télécommunications - et ne parlons pas du réseau hertzien ou du réseau par satellite. Pour tout vous dire, je trouve que l'idée n'est pas très bonne.
    Si vous prenez l'exemple d'EDF et de RTE, je pense que, pour des raisons qui tiennent au transport de l'énergie venant de l'extérieur, des concurrents d'EDF, il faut effectivement que les comptes de RTE soient isolés, y compris à l'intérieur d'une filiale. Mais soyons clairs entre nous, dans mon esprit, cette filiale restera à 100 % détenue par EDF...
    M. Jean Dionis du Séjour. C'est ce que nous proposons, monsieur le ministre !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... car il est hors de question d'imaginer d'autres formules. Mais je ne sens pas du tout la transposition du cas de RTE dans le domaine des télécommunications.
    Monsieur Gouriou, j'ai été plein d'admiration en voyant le nombre de raisons que vous aviez réussi à trouver pour renvoyer tout ça en commission. Je n'ai aucunement la prétention de répondre à toutes vos questions. Je voudrais simplement vous dire que si, dans le passé, La Poste a été « une pompe à finances » puisqu'il me semble que c'est le terme que vous avez utilisé, j'aimerais bien savoir quand et où. C'est important pour moi. Je serais très heureux si vous m'indiquiez où est la pompe, car je pomperais, rassurez-vous ! (Sourires.)
    M. François Brottes. Elle est dans l'aide à la presse qu'elle assume pour le compte de l'Etat, monsieur le ministre !
    Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Alors là, ne parlons pas de ce sujet. Il se trouve qu'aujourd'hui, avec l'homonyme de l'un d'entre vous, monsieur Paul, j'ai passé le déjeuner à traiter de ce sujet. Rassurez-vous : sur ce point j'en sais beaucoup plus qu'avant, et vous verrez, ce n'est pas triste !
    M. Alain Gouriou. Ah, c'est intéressant !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En matière de concertation, je voudrais rappeler à M. Gouriou que, quoi qu'il en pense, toutes les organisations syndicales ont été reçues et écoutées. D'ailleurs, cela a permis d'améliorer le texte, notamment sur le fameux droit d'option qui a été introduit lors de la discussion au Sénat. Bien évidemment, cette concertation continuera à se poursuivre dans le cadre prévu par la loi, notamment en ce qui concerne les modalités de représentation des personnels à l'intérieur de l'entreprise.
    Voilà, mesdames, messieurs les députés, les quelques commentaires que je souhaitais faire à l'issue de cet échange intéressant et exhaustif sur toutes les raisons de faire - et non de ne pas faire - une loi tendant au changement de statut de France Télécom.
    M. Michel Lejeune. Très bien !
    Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
    M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur. Je n'ajouterai que quelques mots, madame la présidente, pour répondre à M. Gouriou, qui nous propose de renvoyer ce projet de loi en commission. Monsieur Gouriou, rien n'a été bâclé, ni dans la préparation du texte ni dans le travail en commission. Nous nous sommes réunis plusieurs fois : les 18 et 26 novembre, puis le 4 décembre. Nous avons travaillé peut-être cinq à six heures ensemble. Mais je crois que nos conceptions sont un peu éloignées.
    M. Alain Gouriou. Je parlais de la concertation avec les syndicats, monsieur le rapporteur !
    M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur. A propos des syndicats et du personnel, M. le ministre vous a dit que la concertation avait eu lieu.
    M. Alain Gouriou. Ce n'est pas ce qu'ils nous ont dit !
    M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur. Nous sommes favorables à la concertation, mais nous ne sommes pas favorables à la cogestion. Il y a une petite différence !
    Par ailleurs, moi qui ai beaucoup de salariés de France Télécom dans ma circonscription, je puis vous dire qu'ils sont soulagés...
    M. Alain Gouriou. Tiens donc !
    M. Daniel Paul. Et pourquoi pas « enthousiastes », pendant que vous y êtes ?
    M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur. ... par le changement de direction, d'abord,...
    M. Alain Gouriou. Ça, je veux bien le croire.
    M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur. ... et ensuite, par un texte qui va donner à l'entreprise de nouvelles perspectives.
    M. Daniel Paul. S'ils le pensaient vraiment, ils ne seraient pas réalistes !
    M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur. Par ailleurs, j'ai relu le compte rendu analytique de la réunion de la commission du 26 novembre. J'en parlais tout à l'heure au président Ollier : en commission, vous êtes d'accord avec nous la plupart du temps et, dès que vous êtes dans l'hémicycle, vous êtes contre tout.
    M. Alain Gouriou. Pas du tout !
    M. Daniel Paul. C'est de la mauvaise foi, monsieur le rapporteur !
    M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur. Alors, on a l'impression que ce n'est pas le même Alain Gouriou qui siège dans l'hémicycle et qui participe aux travaux de la commission.
    M. Alain Gouriou. Il arrive que nous ayons des points d'accord, c'est vrai !
    M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur. Vraiment, le travail de fond a été fait en commission. Rien ne justifie que nous y revenions. Je propose donc à tous mes collègues de rejeter cette motion de renvoi.
    M. Patrick Ollier, président de la commission. Très bien !
    Mme la présidente. Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. Pierre Micaux.
    M. Pierre Micaux. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je serai d'autant plus bref que les intervenants ont été nombreux. Pratiquement, tout a été dit. Bis repetita placent, dit-on parfois. Peut-être, mais je pense que tout le monde a sommeil.
    M. Pierre Cardo. Oui !
    M. François Brottes. C'est vrai !
    M. Pierre Micaux. Et ce serait nous rendre service les uns aux autres que d'abréger le plus possible.
    M. Pierre Cardo. Quelle sagesse !
    M. Pierre Micaux. De sorte que je range mon papier (Sourires.) pour vous dire seulement que je plaide pour le rejet de cette motion de renvoi en commission. Je ne suis pas du genre à préconiser la mise au placard des dossiers. Quand il y a un problème, je préfère le traiter de manière franche et directe.
    Je m'inscris purement et simplement, d'une part, dans le cadre des directives européennes et, d'autre part, dans un souci d'assainissement de France Télécom.
    Par ailleurs, je crois savoir que, selon son intitulé, ce texte porte sur les obligations de service public des télécommunications et sur France Télécom. Ce qui m'importe beaucoup, c'est France Télécom, bien sûr, mais c'est surtout le service public.
    M. Alain Gouriou. A nous aussi !
    M. Pierre Micaux. Mon souci est l'aménagement du territoire et le service public.
    Je serai très attentif, dans la discussion des amendements, à cet aspect des choses. Face à Bruxelles, à l'eurocratie et à notre technocratie - je pèse ces mots que je prononce volontairement, et je marque un petit silence -, nous serons très attentifs, je le dis à l'intention de l'ART, à ce que les règles de concurrence soient respectées. France Télécom doit se battre à armes égales et ne doit pas subir des distorsions de concurrence.
    M. Patrick Ollier, président de la commission. Très bien !
    M. Pierre Micaux. Cela, nous y tenons. Nous avons trop souffert d'une mauvaise gestion de France Télécom que les contribuables ont payée 70 milliards d'euros. Arrêtons ! Faisons en sorte que France Télécom ait les moyens d'assurer une bonne gestion, mais dans des conditions égales.
    Je crois avoir dit l'essentiel. J'ai sonné à la fois l'eurocratie et notre technocratie. J'en suis content. J'espère que vous partagez mon opinion et j'appelle à voter contre la demande de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Paul.
    M. Daniel Paul. Aux six raisons de notre collègue Gouriou, j'en ajouterai une septième, monsieur le ministre.
    Nous aimerions avoir un bilan - M. Gouriou l'a évoqué - de ce qui s'est passé depuis une dizaine d'années en matière de déréglementation des services publics à travers l'Europe. Nous avons maintenant suffisamment de recul pour voir si certains éléments sont positifs, en termes d'aménagement du territoire ou vis-à-vis des intérêts tant des usagers que des personnels... Ainsi, nous pourrions décider cette opération en toute connaissance de cause.
    Depuis des mois, vous refusez de répondre aux demandes des partenaires syndicaux de France Télécom et d'autres entreprises publiques et vous n'avez pas non plus réagi aux conclusions de la commission d'enquête ou de la mission d'information que nous avons rendues. Et aujourd'hui, vous adoptez la même attitude dans ce débat. Rien que pour cette raison, nous approuvons la demande de renvoi en commission.
    Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. L'idée d'un bilan sur dix ans me paraît intéressante. Nous allons en définir le contour et, je pense que dans quelques mois, vous aurez tous satisfaction.
    Mme la présidente. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.
    M. Jean Dionis du Séjour. J'ai décelé dans l'intervention de M. Gouriou deux ensembles d'arguments un peu contradictoires : d'une part, il a souligné l'intérêt qu'il y aurait à se rapprocher de la loi sur la société de l'information et le besoin d'organiser un grand débat national sur le service public ; d'autre part, il a souligné, à juste titre, la nécessité de doter ce secteur d'un nouveau cadre juridique, en regrettant la lenteur du processus législatif tant pour ce qui concerne le projet de loi LEN, projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique, qui est en débat au Parlement depuis février 2003, que pour le projet de loi LCE, projet de loi sur les communications électroniques, qui a été déposé en juin 2003.
    Je voudrais insister pour ma part sur l'urgence qu'il y a à fixer un cadre juridique complet à partir du projet de loi relatif à France Télécom, et qui inclue la LEN. A cet égard, l'annonce que vous avez faite, monsieur le ministre, concernant un examen de ce texte les 7 et 8 janvier prochain est une très bonne nouvelle.
    Je souhaite qu'on se mettre très vite au travail sur cet ensemble que constituent le texte relatif à France Télécom, la LEN et les ordonnances relatives aux télécom. C'est la raison pour laquelle nous voterons contre le renvoi en commission.
    Mme la présidente. La parole est à M. François Brottes.
    M. François Brottes. Monsieur le rapporteur, je n'ai jamais entendu Alain Gouriou dire en commission qu'il était favorable en quoi que soit ni à la privatisation ni au projet de traitement du service universel tel qu'il nous est proposé.
    M. Patrick Ollier, président de la commission. Relisez le compte rendu !
    M. François Brottes. Vous avez sans doute mal lu les comptes rendus de la commission, ou vous avez oublié les propos très clairs de M. Gouriou.
    La situation dans laquelle nous nous trouvons a été parfaitement décrite : insécurité juridique quant au statut des personnels avec la privatisation de France Télécom, absence de financement durable pour le service public - et j'ai senti, sur ce point, l'inquiétude, voire l'angoisse de notre collègue Micaux, qui l'a exprimée avec la passion qui est la sienne -, opacité quant au moment et à l'ampleur du désengagement de l'Etat. Tout cela a déjà été évoqué et, sans méconnaître la sincérité de vos convictions, monsieur le ministre, il faut bien avouer qu'elles n'en deviennent pas pour autant des certitudes à nos yeux. Les différences d'appréciation demeurent.
    La concertation, qui était pourtant nécessaire, a été absente. Pourquoi, lorsqu'on prépare un texte sur le développement rural, la FNSEA est-elle reçue au niveau du ministre, et lorsqu'il s'agit d'un texte sur le service public, ne reçoit-on pas les syndicats au plus haut niveau ? Je constate qu'il y a deux poids, deux mesures, des pratiques différentes au sein même du Gouvernement. Il faut donc reprendre les choses et remettre l'ouvrage sur le métier, c'est-à-dire retourner en commission. Le bilan de dix années qui a été évoqué tout à l'heure nous sera utile pour ce nouveau débat.
    Certes, je sais que votre désir intime est de légiférer par ordonnances. Si vous pouviez le faire, ça simplifierait la vie du Gouvernement ; mais alors, dans ce cas, à quoi bon élire des députés ?
    J'en appelle donc à mes collègues de la majorité : ce serait l'honneur du Parlement de répondre favorablement à la demande d'Alain Gouriou.
    Mme la présidente. Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.
    (La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée).
    Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

RÉSOLUTION ADOPTÉE EN APPLICATION
DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION

    Mme la présidente. J'informe l'Assemblée que, en application de l'article 151-3, alinéa 2, du règlement, la résolution sur la proposition de règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (COM [2002] 711 final/n° E 2176), adoptée par la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, est considérée comme définitive.

3

DÉCISION
DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

    Mme la présidente. J'ai reçu de M. le président du Conseil constitutionnel communication de la décision du Conseil constitutionnnel, rendue dans sa séance du 4 décembre 2003, sur la loi modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile.

4

DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION

    Mme la présidente. J'ai reçu, le 4 décembre 2003, de M. Robert Lecou, un rapport d'information, n° 1274, déposé par la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne sur le service minimum dans les services publics en Europe.

5

DÉPÔT D'UN RAPPORT
D'UNE MISSION D'INFORMATION

    Mme la présidente. J'ai reçu, le 4 décembre 2003, de M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, un rapport fait au nom de la mission d'information sur la question du port des signes religieux à l'école.

6

ORDRE DU JOUR
DES PROCHAINES SÉANCES

    Mme la présidente. Aujourd'hui, à dix heures trente, première séance publique :
    Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, n° 1163, relatif aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom :
    M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire (rapport n° 1248).
    A quinze heures, deuxième séance publique :
    Suite de l'ordre du jour de la première séance.
    A vingt et une heures trente, troisième séance publique :
    Suite de l'ordre du jour de la première séance.
    La séance est levée.
    (La séance est levée, le vendredi 5 décembre 2003, à deux heures quinze.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT
CONVOCATION
DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS

    La conférence, constituée conformément à l'article 48 du règlement, est convoquée pour le mardi 9 décembre 2003, à 10 heures, dans les salons de la présidence.

CHANGEMENT DE COMPÉTENCE

    A la suite d'un accord entre les deux commissions, le projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (n° 1206), précédemment renvoyé à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, est renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.