Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus intégraux (session ordinaire 2003-2004)

 

Première séance du mardi 10 février 2004

155e séance de la session ordinaire 2003-2004



PRÉSIDENCE DE FRANÇOIS BAROIN,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

DÉBAT SUR LES PERSPECTIVES DE L'INTÉGRATION ET DE L'ÉGALITÉ DES CHANCES

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur les perspectives de l'intégration et de l'égalité des chances.

L'organisation de ce débat ayant été demandée par le groupe de l'Union pour un mouvement populaire, la parole est au premier orateur de ce groupe, M. Philippe Douste-Blazy.

M. Philippe Douste-Blazy. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, mes chers collègues, notre assemblée va se prononcer cet après-midi sur le principe de laïcité dans un esprit de cohésion et d'unité nationale.

En adoptant cette loi, la France dit refuser la voie du communautarisme. Chacun devra désormais abandonner à l'école publique les signes de son appartenance particulière, dans un même respect de la République.

C'est un message fort que nous nous adressons à nous-mêmes, mais ce message serait voué à n'être qu'un faux-fuyant symbolique si nous refusions d'aborder au plus vite les causes réelles, profondes, qui poussent les individus à se détourner de la République, à se replier sur eux-mêmes pour chercher dans le communautarisme, notamment religieux, le refuge et les repères qu'ils n'ont pas su trouver ailleurs.

La question que nous abordons aujourd'hui est grave. Elle est au cœur de l'identité républicaine, elle est même le socle de notre unité nationale : je veux parler de l'égalité. « La passion de l'égalité », disait Tocqueville, « est le fondement même du régime démocratique, la source des institutions, de son fonctionnement, ce qui la distingue radicalement de tous les autres régimes ».

Cette égalité, nous avons choisi de la mettre au plus haut de la hiérarchie de nos valeurs communes. Cette égalité doit fonder notre attachement irréductible à la nation et elle nous rassemble par-delà nos différences, nos origines, dans un sentiment partagé d'unité et de fierté nationale.

Nous savons tous que cette égalité, il n'a pas suffi de la proclamer au lendemain de 1789 pour la réaliser dans les faits. Et nous voyons, à mesure que les inégalités grandissent et se transmettent de génération en génération, le tissu social se déchirer, le pacte républicain remis en cause se fissurer. Le rêve d'un brassage égalitaire s'est essoufflé. Peu à peu, les communautés se figent, la mobilité se fait plus rare, ralentie, sclérosée par les rigidités sociales, géographiques, ethniques surtout, et les Français issus de l'immigration en sont les premières victimes.

Cette faillite du système égalitaire ne serait pas si grave si nous avions les moyens de l'analyser avec un regard clair.

Les minorités visibles, notamment maghrébines ou noires, discriminées en raison de leur origine sociale, mais aussi de leur couleur de peau ou de leur patronyme, connaissent un taux de chômage beaucoup plus élevé que la moyenne nationale. A diplôme équivalent, les Français fils d'Algériens sont quatre fois plus victimes du chômage que leurs concitoyens de parents français. Non seulement discriminés à l'embauche, ces Français à part entière doivent également se heurter au plafond de verre qui les empêche d'accéder aux postes de responsabilités et qui révèle les limites formelles de notre maxime républicaine.

Par un cercle vicieux dont l'histoire récente entretient la boucle, notre République, fatiguée peut-être d'avoir à combattre ces discriminations, s'est efforcée de les ignorer, voire de les cacher. De peur d'avoir à reconnaître nos erreurs, à dénoncer les failles de nos principes, nous assistons à la mise en place de véritables ghettos qui figent les populations et les empêchent de participer à la mobilité géographique sociale, au métissage de populations qui était pourtant jadis le fondement identitaire de notre société avancée, moderne et pluraliste.

Nous devons reconnaître l'échec des politiques publiques menées jusqu'ici et proposer une inversion radicale de nos modes de pensée, de nos modes d'action.

Plus encore, c'est toute notre perception de l'égalité des chances qui est à revoir. Notre conception actuelle de l'intégration, en vertu de laquelle la mixité, la libre expression des talents de chacun seraient spontanées, est fausse. Elle se heurte à des obstacles d'ordre systémique et nous devons la corriger. Seules des politiques d'envergure, ciblées et résolues, nous permettront de relever ce formidable défi au cours des années à venir. Je veux parler de l'action positive.

Par-delà ses modalités d'application, qui peuvent être discutées - et c'est tout l'objet du débat que nous avons aujourd'hui -, l'action positive repose sur une idée simple. Nous avons trop longtemps privilégié l'attachement formel aux grands principes au détriment du résultat concret de la réalisation de nos idéaux. Le moment est venu de mettre l'exigence du résultat au premier plan de nos préoccupations, que ce soit en matière d'éducation, d'emploi ou de logement.

A l'école, le mythe de la méritocratie formelle a vécu, les études des sociologues et les rapports publics le soulignent depuis très longtemps. Nous ne pouvons plus, sans prêter à rire, continuer de croire en l'égalité de tous devant le concours et l'examen.

Si nous avons choisi de faire de l'école un lieu privilégié d'apprentissage du civisme et de la laïcité, nous ne pouvons nous arrêter à mi-chemin dans la tâche que nous nous sommes assignée. Il nous faut donc, aujourd'hui plus que jamais, redoubler d'efforts à l'égard des élèves les plus défavorisés, aller à leur rencontre, les informer sur leur parcours, les convaincre et les encourager, leur donner les moyens matériels de passer un concours ou de suivre une filière professionnelle valorisante.

Nous devons abattre les murs qui empêchent aujourd'hui la libre circulation des talents. Pour les y aider, renforçons les dotations des lycées en zone d'éducation prioritaire, mettons en place des modules et des classes qui préparent à l'entrée d'une grande école, généralisons les initiatives comme celles mises en œuvre par les lycées situés en ZEP. C'est ainsi que nous redonnerons à la mobilité et à la mixité la vigueur qu'elles ont perdue.

Ces démarches positives, volontaires, ne sont pas nouvelles. Elles existaient au temps où les hussards noirs, immortalisés par l'œuvre de Charles Péguy, travaillaient pour que chacun progresse selon son mérite, pour que les meilleurs éléments poursuivent des études. Ces instituteurs ne se sont pas contentés de dispenser leurs leçons, d'évoquer un vague égalitarisme de façade. Ils sont allés plus loin : ils ont donné un sens concret à l'idée de citoyenneté et de civisme. Ce sont leurs actions positives qui ont bâti la République dans laquelle nous sommes. C'est en suivant leurs traces que nous construirons celle de demain.

Dans l'entreprise, nous devons combattre les discriminations avec la même fermeté qui est aujourd'hui la nôtre dans la lutte contre les incivilités ou contre la délinquance, avec une exigence de résultat.

La création d'une autorité de lutte contre les discriminations n'y suffira pas. Pour qu'elle puisse jouer pleinement son rôle, il faudra encore inverser dans notre droit la charge de la preuve au bénéfice des victimes qui s'efforcent vainement aujourd'hui de récolter les preuves de discrimination que notre système tout entier s'ingénie à masquer sous les euphémismes et les dénégations. Ce renversement de la charge de la preuve est plus que jamais nécessaire et ce sera le signe d'un changement radical de notre attitude.

Face au racisme ordinaire, qui écarte des Français, notamment noirs ou maghrébins, de l'ascenseur social, exigeons la transparence des procédures de recrutement, de promotion, d'accès à la formation et de rémunération. Nous devons rapidement inciter les entreprises à adopter une charte de la diversité qui valorise les entreprises et lutte efficacement contre les discriminations en favorisant la diversité.

M. Éric Raoult. Très bien !

M. Philippe Douste-Blazy. En appliquant cette charte, en inscrivant dans leur bilan social leurs actions menées en faveur de la diversité, elles donneront la preuve du traitement équitable accordé au mérite de chacun.

L'Etat pourrait proposer des mesures incitatives, monsieur le ministre, en faveur des entreprises signataires de cette charte que j'appelle de mes vœux. Ces actions positives, qui ne se satisfont pas des injonctions du droit, mais se chargent de leur donner un caractère concret, existent déjà à l'étranger. Au Canada, des mesures vigoureuses ont été prises pour réduire le problème de l'inégalité des minorités sur le marché de l'emploi. Elles ont même fait l'objet d'une loi en 1986.

Dans la ville, enfin, c'est toute la politique d'attribution des logements qui doit faire l'objet d'une profonde mutation. Le communautarisme, que l'on dénonce parce qu'il mine notre pacte social, n'est pas le fruit du hasard. C'est bien le cloisonnement social, renforcé par la ségrégation ethnique et géographique, qui en sont les véritables causes, au point de faire de la France une juxtaposition de communautés isolées et séparées des autres.

Dans ce domaine, la loi Borloo et la création de l'Agence de rénovation urbaine ont marqué une mutation décisive de nos méthodes passées et constitué un formidable bond en avant.

M. Éric Raoult. Très bien !

M. Philippe Douste-Blazy. Néanmoins il nous reste encore beaucoup à faire. C'est pourquoi nous devons y consacrer une part substantiellement accrue de notre produit intérieur brut et procéder à une refonte profonde de nos dispositifs sociaux d'aide à la pierre.

A l'école, dans l'entreprise, dans la ville et les cités, le principe d'égalité, qui nous inspire aujourd'hui une si grande fierté, sera demain une idée vide de sens si nous ne mettons pas en place des politiques de mixité volontaristes et pragmatiques.

Ce ne sera pas facile car, en vérité, l'action positive fait peur. Dès qu'il s'agit de dépasser le rappel injonctif à l'égalité pour aborder les mesures concrètes, les réticences grandissent, les critiquent fusent. Les expressions même de « minorités visibles » et « appartenance ethnique » suscitent la gêne. L'action positive est suspecte de menacer l'orthodoxie républicaine, la promotion au mérite, l'égalité de traitement.

Nous ne pouvons pas céder au chantage de ceux qui prônent l'égalitarisme pour maintenir les inégalités. Ne nous laissons pas abuser par des raccourcis trompeurs. Ce seront toujours le mérite, le talent, les qualités personnelles d'un individu qui définiront sa place dans notre société. Ils resteront les seules raisons de sa réussite.

M. Éric Raoult. Tout à fait !

M. Philippe Douste-Blazy. Ces mérites, ces talents, certains ont, plus que d'autres, du mal à les faire valoir, et c'est pour les remettre sur un pied d'égalité que nous devons trouver des solutions innovantes, positives, et d'abord efficaces.

Nous refuserons toujours d'accepter ou de tolérer les inégalités, mais nous devons nous donner les moyens de reconnaître et de combattre celles qui existent, y compris celles touchant les minorités visibles.

Notre pays, j'en suis sûr, a les moyens de le faire, au nom de l'intérêt général. Notre constitution permet déjà de combattre les ruptures d'égalité. La mise en place de traitements préférentiels pour certains territoires en est un exemple, et j'ai l'intime conviction que nous pouvons dépasser cette politique du tâtonnement.

La France est aujourd'hui confrontée à une demande collective de reconnaissance et d'assimilation exprimée par ces jeunes Français des minorités visibles. Répondre à cette demande : telle est, monsieur le président, mes chers collègues, l'exigence nationale de ces prochaines années, celle dans laquelle s'incarnent la plupart des problèmes de notre société. Il y va de notre unité et de notre cohésion nationale, celles-là même que nous avons voulu réaffirmer à l'occasion des débats autour du foulard.

Toutefois ce qui fonde l'unité d'une nation, ce n'est pas l'existence d'une entité séparée, idéale, une « idée pure » qui guiderait, de loin, une réalité sociale sommée de s'y conformer. Nous devons nous faire une autre image de l'unité. Le philosophe Leibniz, fin observateur de la politique européenne au XVIIe siècle, avait pour sa part choisi de la penser comme une notion dynamique, active, comme l'unité de la conscience, qui rassemble dans un même élan de pensée la diversité des perceptions diverses.

Ce sont cette image de la conscience et cette vision dynamique que nous devons privilégier. Ce qui fonde l'unité d'une nation, c'est la permanence d'un projet ou d'une aventure qui rassemble dans un même élan la diversité des expériences, des talents et des énergies.

Alain Peyrefitte écrivait justement : « Dans la nation France, on peut venir de partout, si l'on va ensemble quelque part ». Nous le voyons, l'appel nostalgique à quelque identité perdue ne peut forger l'unité dynamique ni le projet national dont nous avons besoin. Aujourd'hui, certains d'entre nous restent sur place, exclus de notre aventure commune ; donnons leur les moyens d'y participer de nouveau.

En disant cela, je ne veux pas faire croire que garantir l'égalité est chose facile. Il n'y a pas de place, dans cette assemblée, pour la démagogie, pas plus qu'il n'y en a pour le dogmatisme et la frilosité. Nous savons qu'il n'y aura pas de grand soir de l'égalité pure et parfaite. Cependant, il existe une voie entre l'utopie stérile et la résignation : celle de l'action positive à la française, qui n'ignore rien des mérites de chacun et permet à tous de les exprimer. C'est dans cette voie que nous devons nous engager. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans les années 1880, les travailleurs belges en France devaient payer une taxe pour compenser leur exemption de service militaire ; en fait, il s'agissait de freiner leur embauche. En 1930, les Polonais et les Italiens sont à leurs tours victimes de mesquineries : les naturalisés sont refusés dans la fonction publique. À chaque fois, les mêmes symptômes se manifestent et, sur fond de crise économique, les étrangers s'enracinent alors qu'on les espérait de passage.

Les Français - qui n'ont jamais été un peuple d'exil - n'ont pas toujours le sens de l'hospitalité ; les pieds noirs en savent quelque chose. Il est donc salutaire de les morigéner, à condition, toutefois, de leur rendre justice en rappelant que peu de peuples au monde ont accueilli autant d'étrangers sur leur sol. Un cinquième d'entre nous seraient issus des vagues d'immigration. Coluche avait très bien résumé la situation : « Les Français sont des étrangers qui n'aiment pas les étrangers ». (Sourires.)

Mais, puisque cette histoire s'est bien terminée, que Belges, Polonais, Italiens furent une véritable aubaine pour notre démographie essoufflée  puisqu'ils se marièrent, furent heureux et eurent de moins en moins d'enfants (Sourires), la tentation fut forte d'affirmer que les problèmes que nous rencontrons seraient résolus comme les précédents.

Aujourd'hui, nous ne pouvons plus avancer sans une certaine mauvaise foi que nous vivons une poussée de fièvre identique à celles de 1880 et 1930. L'enjeu ne se limite pas aux problèmes d'un pays traditionnellement ouvert à l'immigration de main-d'œuvre en période de crise de l'emploi. Ce qui est désormais en cause, ce n'est pas seulement l'équilibre du marché du travail, ni les performances des travailleurs socioculturels, ni même la pertinence de notre politique urbaine.

De quoi s'agit-il alors ? Que s'est-il passé dans les années 60, 70, 80 et 90 pour que nous en soyons, aujourd'hui encore, à nous interroger sur les « perspectives de l'intégration et de l'égalité des chances » ?

J'évoquerai avant tout notre passé colonial.

Lorsque la dernière vague d'immigration a débuté, il existait entre Français et migrants - qui n'étaient autres que des anciens colonisés - des malentendus si anciens qu'ils ne pouvaient faciliter l'avenir immédiat. On a fait injure au bon sens des uns et des autres en refusant d'admettre que ces retrouvailles posaient, pour cause d'histoire douloureuse, des problèmes particuliers, notamment s'agissant de l'Algérie. On a, en effet, la mémoire longue sur les deux rives de la Méditerranée.

Je soulignerai ensuite la très forte « désynchronisation » entre notre pays et les nouveaux arrivants. La France joyeuse et libertaire des années 70 accueille les enfants du regroupement familial dans des dispositions idéologiques particulières. Elle tient la famille, l'autorité et la religion en si piètre estime qu'elle va être incapable de s'intéresser à ce que les immigrés ont dans le cœur en arrivant ici.

Notre pays va faire l'impasse sur les seules questions qui vaillent : la famille et la femme, un droit non séparé de la foi, le statut personnel, le mariage, la naissance, la filiation, l'adoption, le divorce, la répudiation, l'endogamie et, surtout, l'exogamie, avec, à la clé, la transgression de la religion du père. Tels étaient les problèmes de fond, secrets et douloureux. Ils ne seront pas évoqués. Nos œillères hexagonales nous empêcheront de les voir.

Ils étaient pourtant essentiels dans ces retrouvailles, non seulement pour mesurer ce que Mengouchi et Ramdane appelaient en 1978 les souffrances de « l'homme qui enjamba la mer », mais aussi pour pointer d'emblée ceux de nos principes auxquels nous ne souhaitions pas renoncer, au premier rang desquels la place de la femme sur notre bord de la Méditerranée. Quinze ans plus tard, notre pays va découvrir le voile et la question du statut de la femme. Il n'a rien vu venir.

Notre approche de l'intégration va se dérouler sous le signe du « jeunisme ». Notre fascination pour ceux qu'on appellera bientôt les « beurs » ne manquera pas, d'ailleurs, de déstabiliser cette chose infiniment précieuse et chaleureuse qu'est une famille maghrébine.

M. Éric Raoult. Très bien !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Les parents ne seront jamais considérés comme des interlocuteurs dignes de ce nom.

Plutôt que de régler ces questions subtiles, on va préférer la problématique plus payante du racisme et de l'antiracisme. L'immigration va vite devenir un enjeu de pouvoir. Chacun tentera dès lors de mobiliser ses troupes, les uns en brandissant des programmes  anti-étrangers, les autres en flagornant la deuxième génération.

Notre modèle d'intégration, fondé jusque-là sur le pari de l'assimilation, définie comme « un effacement progressif des spécificités ethniques », va laisser place à une nouvelle lutte en faveur de la  culturo-diversité. Comme on ne peut faire aimer aux autres ce qu'on a désappris à aimer soi-même, au lieu de proposer aux nouveaux Français d'adhérer à nos valeurs et de les initier aux règles minimales communes, on va promouvoir les particularismes à tout va. Ce faisant, on abîme la machine qui avait fait de la France - pour le pire, mais aussi pour le meilleur -, une «  formidable mangeuse de minorités » comme le disait Bruno Etienne devant la commission présidée par Marceau Long.

C'est l'époque de la grande confusion intellectuelle et verbale : on mêle sans grand discernement idées et réalités, immigrés et étrangers, Français musulmans et musulmans français, kabyles et arabes, seconde génération, droit à la différence, à l'indifférence, à la ressemblance ; assimilation, intégration, insertion ; clandestins, réfugiés ; entrée, séjour et asile ; nationalité et citoyenneté ; vote immigré, vote étranger.

Tout est dit et son contraire. Et pour cause ! Alors même que cette question est déclarée prioritaire, d'un point de vue statistique, c'est le trou noir. Les pouvoirs publics ne disposent quasiment d'aucune information sur les immigrés et leurs familles, pas davantage sur leur degré d'intégration.

La connaissance souffre d'un interdit. L'intégration étant un processus de long terme, elle ne peut s'étudier que si, en plus de la génération immigrée, on dispose de données sur celle née en France et donc de nationalité française. Or la question des origines ethniques reste un tabou. Compter étant exclure, il n'en est donc pas question.

Première conséquence : nous avons abandonné le terrain aux démagogues et aux médias, sans aucun cadrage. Hier, on ne parlait que des beurs, de la drogue et la délinquance. Aujourd'hui l'air du temps conduit à regarder les « Franco maghrébins » par le prisme de la religion, quand ce n'est pas celui de l'intégrisme. Les voilà obligés de se positionner comme musulmans pour faire entendre leur voix alors que beaucoup d'entre eux sont des Kabyles agnostiques.

M. Pierre Méhaignerie. Absolument !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. C'est le grand silence sur les innombrables personnes qui se sont intégrées « à bas bruit ».

Deuxième conséquence : dans le débat public, il semble que l'échec des processus d'intégration soit présenté comme une donnée d'évidence. Pourtant cette évidence est sans doute questionnable. Aucun d'entre nous n'est capable de dire quelle est la part de succès et d'insuccès, si la bouteille est à moitié vide ou à moitié pleine.

J'entrevois, pour demain, plusieurs priorités.

Premièrement, réaffirmer, comme vous l'avez fait devant le Haut conseil à l'intégration, monsieur le ministre, que la France est, et continuera d'être, par tradition et nécessité, une nation ouverte, et que nous avons un devoir de fraternité à l'égard de ceux qui choisissent de s'installer légalement en France.

Deuxièmement, poursuivre nos efforts pour que les Français issus de l'immigration se sentent des citoyens à part entière ; investir autant qu'il le faudra, tant en argent qu'en intelligence.

Cela présuppose de savoir parler, pour le désamorcer, de ce fameux  passé colonial que Pierre Chaunu a décrit comme « une tragédie grecque, zébrée de blessures cachées et d'élans déçus où la rancune et l'amour se croisent ».

Cela présuppose de nous préoccuper enfin des questions de droit car les conflits de statut personnel et le contentieux international privé sont parmi les plus douloureux et les plus onéreux au monde.

Cela présuppose de sortir de la stratégie du soupçon, de trancher une fois pour toutes sur la question de la connaissance et de l'interdit statistique. Comment prétendre en finir avec les discriminations si nous en ignorons la nature et l'étendue exactes ? Nous ne pouvons naviguer à vue dans un domaine aussi grave. De même, nous ne pouvons plus laisser les médias confondre émigrés, musulmans, maghrébins, estimer leur nombre,  au doigt mouillé, à 4 millions un jour, 5 millions le lendemain, puis 6 millions deux mois plus tard. J'attendais le chiffre de 7 millions ; je l'ai entendu il y a quinze jours dans une émission de télévision. Nous marchons sur la tête !

II faut aussi arrêter d'enfermer les Français issus de l'immigration dans une identité confessionnelle.

Nous devons affirmer ce que nous souhaitons. Insertion, intégration ou assimilation, nos préciosités sémantiques sont désormais de peu d'intérêt.

Notre but n'est évidemment pas de procéder à un arasement de toute différence culturelle, de faire des émigrés et de leurs enfants des traîtres à leur destin, mais simplement de préciser les règles minimales communes dont nous avons besoin pour vivre ensemble. De ce point de vue, je partage votre conviction, monsieur le ministre : le modèle laïc et républicain constitue un idéal moderne.

Enfin, il est indispensable de se soucier autant des outils que des intentions, des moyens que des fins. Tous les partis se disent à peu près d'accord pour arrêter l'immigration clandestine, faciliter l'intégration, lutter contre le racisme, mettre fin à la fraude et à la clandestinité. Mais nous devons nous préoccuper de savoir si les instances qui sont parties prenantes dans ce domaine travaillent efficacement ou pas, de concert ou pas.

Il n'y a aucune impossibilité de principe. La France recèle des potentialités pour relever tous ces défis, pour peu qu'elle ne se complaise pas dans une histoire hexagonale dépressive.

En attendant, je terminerai par une note personnelle.

Je n'oublie pas Nadia, proche de mon cœur, qui ne parvient pas à obtenir une inscription pour ses enfants dans une école privée. Je n'oublie pas non plus Conan, un de mes amis proches, qui ne trouve pas à louer d'appartement, à l'instar de tous ces jeunes qui ne réussissent pas à décrocher d'entretien d'embauche du fait de leur patronyme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je tiens, en préambule, à remercier le groupe UMP d'avoir pris l'initiative de ce débat, débat bienvenu en ce jour où votre assemblée s'apprête à adopter un texte moderne visant à protéger le lieu premier de l'intégration qu'est l'école.

Aujourd'hui, l'intégration est au cœur des enjeux auxquels est confrontée à la France. Depuis plusieurs siècles, notre patrie est une terre d'accueil. Des milliers de femmes et d'hommes, venus d'ailleurs, s'y sont installés et ont adopté la France. Des peuples fuyant l'horreur des guerres à ceux cherchant les conditions d'une vie meilleure, tous sont venus rejoindre la communauté nationale, voyant en la France d'abord un idéal.

Depuis la Révolution française, cet idéal se confond avec celui du combat républicain. La France entretient une relation très particulière avec la République. Comme l'écrit Maurice Agulhon : « Le terme de " République" en France évoque bien davantage qu'un système juridique ».

Bien plus qu'un système de gouvernement, la République française est en fait un projet politique et social dont les valeurs et les pratiques expriment la volonté d'un peuple d'écrire ensemble son histoire. Cet objectif a une portée politique élevée. Il oblige à veiller à l'affirmation de la supériorité de l'intérêt général sur les intérêts particuliers ; il impose que chacun d'entre nous accepte de transcender ses singularités au profit d'une appartenance plus large.

Cette reconnaissance n'est pas aisée. Elle procède d'un choix politique qui recouvre des implications concrètes. Et l'intégration en est une.

L'universalisme français facilite ce processus d'intégration. Il a le mérite, comme l'écrivait Emmanuel Todd, « de coïncider très exactement avec le comportement de populations d'accueil effectivement prêtes à reconnaître les immigrés comme Français, dès lors qu'ils [acceptent], en plus de la langue française, les quelques valeurs définissant un fonds commun. ».

Mesdames et messieurs les députés, depuis vingt ans, la France n'intègre plus suffisamment.

Au cours des dernières décennies, l'idéal républicain s'est essoufflé. Le patriotisme fut parfois moqué et le principe d'autorité s'est vu contesté. Les institutions traditionnelles qui concourraient au brassage et à un certain ordonnancement social - famille, syndicats, partis - ont perdu de leur force. Par ailleurs, la crise économique et ses mutations ont brouillé les repères sociaux et moraux. Bref, le doute s'est emparé du modèle français.

Du même coup, le processus d'intégration s'est grippé. La crispation de notre société a alors provoqué des phénomènes de repli dont l'expression a souvent été la peur de l'autre, plus particulièrement des populations issues de l'immigration.

Devenues une catégorie à part dans la société, ces populations n'ont pas été assez accompagnées par l'Etat. La République n'a pas su leur offrir la contrepartie de leur intégration - je pense, par exemple, à la promotion sociale - ni fixer les règles et devoirs qui s'attachent à son respect.

Bien sûr, il existe beaucoup de réussites, beaucoup d'intégrations exemplaires, mais, pour l'essentiel, il y a ce que l'on peut appeler un semi-échec de l'intégration. Celui-ci est imputable, pour une part, au discours des années quatre-vingts vantant les mérites du « différentialisme », qui est l'antichambre du communautarisme. L'éloge de la différence a, en effet, contribué à diluer les règles du jeu de la société française. Point ultime de cette évolution, à la fin des années quatre-vingt-dix, le mot même « intégration » a été gommé du vocabulaire, pour des motifs à bien des égards idéologiques, afin d'y substituer l'expression « lutte contre les discriminations » dont le symbole était le numéro d'appel gratuit 114. Cette lutte est utile, mais en s'imposant comme l'axe central de l'intégration, elle négligeait tout le reste, c'est-à-dire l'essentiel.

Face à cette situation générale peu satisfaisante, le Gouvernement a entrepris, sous l'impulsion du Président de la République, une refondation de la politique d'intégration qui est aux couleurs de la République et promeut les valeurs qui nous rassemblent. En ce domaine, il faut en finir avec les complexes et l'autodénigrement.

Je parle de refondation, car il s'agit de rendre à l'Etat, au côté des collectivités territoriales et des associations, toute la place qui est la sienne afin qu'il garantisse l'unité nationale.

Je parle de refondation, car, entre la France et l'étranger, une relation de confiance et d'obligations réciproques doit être instaurée. Le temps de l'anonymat réciproque est révolu. On est là au cœur de l'idée de contrat avec ses droits et devoirs.

Je parle de refondation, car nous cherchons l'égalité concrète des chances en portant nos efforts sur la promotion sociale autour de laquelle il faut articuler la lutte contre les discriminations qui ne doit pas être synonyme de victimisation.

Ce mot de refondation peut surprendre, mais il n'est pas trop fort. Notre doctrine, nos institutions, nos outils de l'intégration datent, en effet, très largement de la fin de la décolonisation. Ils sont inadaptés aux besoins des nouveaux immigrants car, désormais, l'immigration est d'origine plus diverse et avant tout familiale plus que de travail. Par ailleurs, ils répondent de plus en plus imparfaitement aux attentes des résidents de longue durée et moins encore à celles de nos compatriotes issus de l'immigration. Ceux-ci attendent en effet de nous une stricte égalité de traitement et la remise en marche de l'ascenseur social.

Il nous faut donc profondément réformer l'ensemble de nos dispositifs d'intégration. Notre démarche, entreprise depuis deux ans, a retenu l'attention de la Commission européenne. Ainsi, paradoxalement, l'exception française d'intégration inspire aujourd'hui les Pays-Bas, la Belgique, l'Allemagne et intéresse la Grande-Bretagne.

Dès notre arrivée, nous avons rétabli les institutions qui contribuent à la définition d'une politique volontariste.

L'un de nos premiers actes a été de nommer un nouveau Haut conseil à l'intégration. Placé sous la présidence de Mme Blandine Kriegel, nous avons souhaité qu'il soit à l'image de la diversité de notre nation avec de nombreuses femmes, des personnes d'origines asiatique, africaine, des départements et territoires d'outre-mer, des enfants de harkis.

Cette instance de réflexion et de proposition est essentielle pour mettre en perspective notre politique publique d'intégration.

D'ores et déjà, elle a remis deux avis au Premier ministre, portant, le premier sur les droits civils des femmes issues de l'immigration ; le second sur la promotion sociale des jeunes venus de quartiers en difficulté. Ils seront à l'ordre du jour du prochain comité interministériel.

La deuxième institution que nous avons rétablie est justement le comité interministériel à l'intégration. Créé en 1989, il ne s'était plus réuni depuis 1990. C'est une grave erreur que nous avons voulu réparer. L'intégration doit être une priorité pour l'ensemble du Gouvernement. Tout relâchement dans ce domaine conduit à des reculs, voire à des dérives.

Par décret du 30 janvier 2003, le comité interministériel a été modifié, sa composition a été élargie et, désormais, à la suite de la réunion du 10 avril 2003, il se réunira tous les ans. Au printemps, le prochain comité interministériel sera consacré à la formation et à l'emploi.

Nous avons ensuite créé une politique d'accueil, afin d'éviter de retrouver, dans quinze ou vingt ans, les mêmes problèmes d'intégration qu'aujourd'hui.

A l'heure ou certains doutent et s'interrogent sur le rôle de l'Etat, nous posons les bases d'un véritable service public de l'accueil. Le temps de la dispersion des structures et de l'improvisation est révolu.

Mesure principale de ce dispositif, annoncée par le Président de la République à Troyes, le contrat d'accueil et d'intégration a fait l'objet d'une expérimentation dans douze départements au deuxième semestre de 2003. Ses résultats sont très satisfaisants : au 31 décembre 2003, 8 027 contrats avaient été signés par des étrangers de cent quatorze nationalités différentes, ce qui représente 25 000 contrats en année pleine pour ces douze départements.

Sont concernés les conjoints de Français, les bénéficiaires du regroupement familial, les titulaires d'une carte « vie privée et familiale » ou d'un titre de séjour autorisant à travailler, les réfugiés statutaires et les bénéficiaires de régularisation. Seuls en sont exclus les étudiants qui n'ont pas vocation à s'installer durablement et les mineurs dont l'intégration se fait par le système scolaire.

Les signataires de ces contrats sont jeunes, puisque plus de 74 % d'entre eux ont moins de trente-cinq ans. Les conjoints de Français constituent le public le plus nombreux : 55 %. Le nombre des personnes issues de la régularisation avoisine les 15 %. Le taux de signature est de 90 %.

Ces contrats prévoient principalement une journée de formation civique obligatoire, des enseignements linguistiques, qui ont concerné 35 % des étrangers, et un suivi social spécifique.

Au terme de cette expérimentation, notre objectif est désormais ambitieux : en 2004, 45 000 contrats devraient être signés et, à la fin de 2005, un contrat d'accueil et d'intégration aura dû être proposé à tous les migrants réguliers. Ils étaient 124 793 en 2002.

Prochainement, il s'agira de lier la signature et le respect du contrat à la délivrance de la carte de résident de longue durée. C'est d'ailleurs ce que vous avez souhaité en modifiant, en novembre dernier, l'ordonnance de 1945 relative au séjour des étrangers en France.

Concrètement, le service public de l'accueil se met en place selon deux cas de figure.

Dans les départements de forte migration sont créées des plates-formes de l'Office des migrations internationales, l'OMI. Il en existe d'ores et déjà dix et cinq viendront compléter le dispositif au plus tard en juillet 2004.

Dans les départements où les flux migratoires sont faibles, la prestation d'accueil est assurée par des équipes mobiles dans les locaux de la préfecture.

Contrat d'intégration, généralisation des plates-formes d'accueil : tout cela doit être coordonné. C'est dans cette perspective que sera créée prochainement une agence nationale chargée de l'accueil et de l'immigration.

M. Yves Jego. Très bien !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il s'agira de fusionner l'Office des migrations internationales et le Service social d'aide aux émigrants - SSAE -, association subventionnée en totalité par l'Etat. Cette fusion permettra de doubler le réseau d'accueil initial afin d'obtenir une taille critique de plus de 800 personnes.

J'observe qu'en ayant rétabli, par la loi de finances rectificative de 2002, la taxe perçue à l'occasion de l'entrée en France de certaines catégories d'étrangers, vous nous avez donné les moyens de cette réforme.

Enfin, sur le plan des missions, l'agence a désormais en charge la gestion administrative du regroupement familial et des autorisations de travail. A ce propos, je vous indique qu'en 2002, 20 989 personnes ont été introduites en France, à la demande d'entreprises, au titre du travail, dont 44 % de diplômés, ce qui situe notre pays au deuxième rang en Europe derrière le Danemark. On peut donc parler d'introduction sélective.

Notre pratique se caractérise par son pragmatisme. Elle vise à répondre aux besoins de l'économie et des entreprises. J'ai lancé sur ce sujet une réflexion qui doit être approfondie en liaison avec le Commissariat général du Plan. L'agence a également en charge la politique d'accueil de l'ensemble des migrants réguliers sur les plans administratif, sanitaire et social depuis le 1er juillet 2003, la coordination du dispositif national d'accueil et d'hébergement des demandeurs d'asile depuis le 1er janvier 2004, ainsi que les dispositifs d'aide au retour volontaire.

En 2005, l'ensemble des outils qui fonderont le nouveau service public de l'accueil sera donc en place.

Bien entendu, la politique d'intégration ne se limite pas à l'accueil des nouveaux arrivants. Elle doit aussi offrir à chacun la capacité de surmonter ce qui est vécu comme une fatalité sociale et culturelle, voire un rejet. On touche là au problème de la promotion sociale et de l'égalité des chances.

Aujourd'hui nous préparons la deuxième phase de réforme afin de mettre en place une politique de promotion sociale et d'égalité des chances

La précarité sociale et professionnelle n'est pas propre aux personnes issues de l'immigration, mais elle les touche de façon plus prégnante. Dans les quartiers sensibles, elle accentue les pertes de repères civiques et favorise le repli sur soi, sur sa communauté, réelle ou supposée, que l'on soit Français d'origine, issu de l'immigration ou étranger.

Aussi est-il temps de poser la question de la spécificité d'une politique sociale en faveur de ces populations. Comment doit-elle être coordonnée avec une autre politique territoriale,celle de la ville ? Le Gouvernement y travaille. Parmi les pistes que nous explorons figure la réorientation de la délégation interministérielle à la ville qui s'impose en 2004.

Aujourd'hui, il existe un établissement public, le fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations, le FASILD, subventionné, en 2003, à hauteur de 170 millions d'euros. Pour 2004, ses crédits d'interventions ont été augmentés. Cependant, nous nous interrogeons car, selon un récent rapport de l'IGAS, cette politique d'intervention est peu lisible et repliée sur elle-même.

M. Jean Leonetti. C'est le moins que l'on puisse dire !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il me paraît donc temps de choisir et de donner une cohérence aux politiques sectorielles concourant à la cohésion sociale que l'Etat a conservées et qui seront toujours de sa responsabilité, en lien avec les compétences de droit commun des départements. A ce titre, j'attends beaucoup des réflexions conduites dans le cadre des travaux notamment du Haut conseil à l'intégration et de la Cour des comptes.

Par-delà les structures à réformer ou à imaginer, il nous faut également réorienter nos actions en priorité vers l'éducation, l'emploi et l'accès au logement, c'est-à-dire vers l'autonomisation des personnes, de toutes les personnes habitant dans les quartiers, qu'elles soient françaises ou étrangères. Pour ce faire, la doctrine républicaine ne reconnaît pas les prétendues races et exclut, par là même, le recours à des critères ethniques pour déterminer les bénéficiaires d'une politique.

Le Gouvernement souhaite donc une politique de promotion sociale et d'égalité des chances fondée sur des critères sociaux et territoriaux, certains quartiers populaires regroupant majoritairement, on le sait, des personnes issues de l'immigration, et ayant la spécificité de s'appuyer systématiquement sur un accompagnement individualisé.

Permettez-moi d'illustrer mon propos par quelques dispositifs interministériels que nous avons mis en place dans cet esprit il y a près d'un an, et que nous avons la volonté de développer et de généraliser.

Ainsi, mon collègue Luc Ferry a adressé une instruction à ses services au mois de juillet afin que, sur 30 000 bourses au mérite, 10 000 soient attribuées à des jeunes en zone d'éducation prioritaire. A ce jour, 5 000 bourses ont été attribuées et l'objectif des 10 000 sera atteint à la rentrée de 2004.

Pour ce qui concerne mon ministère, j'ai relancé le dispositif de parrainage vers l'emploi. En 2002, 12 466 personnes ont été parrainées par 432 réseaux comprenant 7 380 parrains. Les premiers résultats de 2003 marquent déjà une progression, puisque le nombre de parrainages de 2002 a été dépassé au début d'octobre 2003.

Le comité interministériel à l'intégration a retenu un objectif de 25 000 parrainages de jeunes des quartiers vers les entreprises en 2004. A cette fin, pour la première fois, le dispositif de parrainage figure clairement dans la circulaire de territorialisation de la politique de l'emploi pour 2004. Pour la première fois également, des objectifs quantifiés ont été définis par région.

Par ailleurs, il ne peut y avoir d'intégration tant que subsisteront des discriminations. Il faut donc agir pour l'égalité de traitement !

L'égalité des chances, pour l'accès à l'emploi notamment, représente un enjeu essentiel pour la cohésion sociale de notre nation.

M. Philippe Douste-Blazy. Tout à fait !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Nul ne doit se voir refuser un travail pour des raisons étrangères à sa compétence !

Cela est particulièrement évident s'agissant de l'accès au travail des étrangers et des salariés français d'origine étrangère. Les statistiques démontrent que le taux de chômage des salariés étrangers - hors ressortissants de l'Union - est le triple de celui des salariés français. Cette situation est d'autant plus préoccupante que le niveau de formation et la maîtrise de la langue n'expliquent pas ce phénomène, qui est dû très souvent à l'existence de discriminations à l'embauche.

M. Philippe Douste-Blazy. Bien sûr !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Un rapport avait été remis à Mme Aubry par le Haut conseil à intégration en 1997 sur ce sujet. Je ne crois pas qu'il ait été suivi d'effets. Aussi était-il urgent de réagir.

C'est la raison pour laquelle le Premier ministre a confié à Bernard Stasi, en juin dernier, une mission relative à la création d'une autorité administrative indépendante de lutte contre toutes les formes de discrimination, donc bien au-delà des discriminations en raison des origines. Son rapport sera remis dans les prochains jours.

Cette création devrait donner lieu au dépôt devant le Parlement d'un projet de loi avant l'été. Il sera l'occasion de réaffirmer très concrètement le principe d'égalité de traitement qui est au cœur de notre politique d'intégration.

Cette politique d'égalité des chances et de soutien personnalisé trouve également une traduction dans l'accès à la fonction publique.

Le Gouvernement a ainsi décidé de mettre en place des expériences de préparation aux concours dans dix sites de zones d'éducation prioritaire appartenant à huit académies. Le début effectif des formations a commencé en janvier pour permettre la présentation des stagiaires à une douzaine de concours de catégories B et C à la fin du printemps. La réussite de ces expériences devrait permettre la généralisation du dispositif à l'ensemble des ZEP, dans l'esprit de la jurisprudence récente relative à l'accès à l'Institut d'études politiques de Paris.

Mme Martine Aurillac. Très bien !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Pour ce qui concerne nombre de jeunes issus de l'immigration qui ne sont pas nés en France et de moins jeunes, la naturalisation est la clé de l'accès aux concours. En la matière, je sais que les délais sont trop longs. C'est la raison pour laquelle j'ai décidé de réorganiser cette administration.

Les premiers résultats sont là : alors que l'on dénombrait 62 000 dossiers en retard au mois de janvier 2003, il n'en restait plus que 34 000 au 31 décembre. Le délai d'instruction est passé de seize à sept mois. Dès le milieu de l'année prochaine, les dossiers de naturalisation seront traités par mon ministère en temps réel, dès leur arrivée.

Restent les délais encore trop longs de constitution des dossiers en préfecture et d'établissement des pièces d'état civil français par le ministère des affaires étrangères, au terme de la procédure. Nous devons collectivement chercher à réduire ces délais afin que l'on puisse être naturalisé en un an.

Par ailleurs, nous préparons les modalités d'examen des connaissances des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté française, puisque vous avez modifié, en novembre, le code civil en ce qui concerne les naturalisations.

Enfin, j'ai la conviction que la question de la représentation et de la reconnaissance de ce que les immigrations successives ont apporté à notre pays est importante pour la cohésion nationale.

La France n'est pas une race. Elle s'est aussi façonnée aux visages de celles et de ceux qui, depuis des siècles, s'y sont installés, l'ont aimée et l'ont servie, parfois plus intensément encore que des Français dits de souche. Cette part que nous devons à l'immigration dans la construction de la France ne doit pas être oubliée.

Aussi Jacques Toubon a-t-il été chargé d'une mission de préfiguration du centre de ressources et de mémoire de l'immigration. Là encore, il y a eu de nombreux rapports, mais rien n'a été fait. En ce qui nous concerne, nous ferons preuve sur ce sujet de volontarisme.

Ces quelques éléments me paraissent illustrer la détermination du Président de la République et du Gouvernement à apporter des réponses simples et efficaces aux difficultés que rencontre depuis près de vingt ans notre communauté nationale.

Nous le ressentons tous : notre pays est dans l'un de ces moments clés où il s'interroge sur son avenir et sur son identité. Face à la question des flux migratoires, qui est intimement liée à l'idée que nous nous faisons du pacte républicain, trois options sont possibles.

Il y a l'isolement national, qui est contraire aux intérêts de la France.

Il y a le communautarisme, qui est contraire à la citoyenneté et à l'unité nationale. Au regard de l'individualisme et de la perte de certains repères collectifs que provoque notre société contemporaine, je peux comprendre l'attrait du communautarisme. Pour autant, dans un monde ouvert dans lequel 60 millions de Français côtoient 6 milliards d'individus, ce n'est qu'ensemble que nous pourrons affronter les défis qui se posent à nous. Pensons d'abord à ce qui nous rassemble plutôt qu'à ce qui nous distingue !

Il y a, enfin, une troisième option, qui est la nôtre : celle de l'intégration, laquelle doit être renforcée. La France est une nation ouverte et il faut qu'elle le reste. Elle doit être à la fois sans faille vis-à-vis de l'immigration irrégulière et généreuse dans sa capacité d'accueil, démarche qui ne recèle aucune contradiction, bien au contraire.

En effet, l'immigration irrégulière est un cancer pour certains de nos quartiers et elle y réduit à néant nos efforts d'intégration. Notre générosité doit être exigeante, vis-à-vis tant des citoyens que des étrangers, et non fondée sur le laisser-aller qui est une forme d'indifférence. Cette générosité et cette confiance doivent notamment s'exprimer à l'égard des jeunes de nos quartiers qui ne trouvent pas d'avenir et qui, pourtant, ne manquent pas d'énergie. Cette énergie est une chance pour la France si nous savons, ensemble, lui donner un idéal.

Enfin, je veux conclure en insistant sur un point essentiel.

Ce renforcement de l'intégration ne dépend pas exclusivement d'une partie de notre population appelée à s'associer à notre communauté de destin. Elle dépend d'abord de notre foi collective dans nos valeurs citoyennes et nationales.

M. Jean Leonetti. Très bien !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. L'intégration n'est que l'un des éléments d'une dynamique républicaine qui doit être globale et concerner tous les Français. Comme l'écrivait André Malraux : « La France n'est jamais plus grande que lorsqu'elle l'est pour tous. » (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Julien Dray.

M. Julien Dray. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si le débat de ce matin a une utilité, c'est de nous permettre de nous parler franchement, de dire la vérité, d'employer les mots qui font mal. Ce ne doit pas être le enième échange de bons sentiments et de formules convenues ; les Journaux officiels de ces dix dernières années en sont remplis.

La France a des ghettos. Ce terme employé il y a dix ans a choqué. La réalité l'a désormais imposé comme une évidence. Le ghetto, c'est ce lieu où une minorité vit séparée du reste de la société, un milieu refermé sur lui-même et vivant dans des conditions de marginalité.

Ces ghettos sont devenus des ghettos ethniques. Après s'être ghettoïsée, la société française se communautarise. Le débat sur le voile est le révélateur grand public d'une communautarisation rampante qui est désormais engagée. Celle-ci est la sanction d'un échec social et urbain.

Depuis plus de dix ans, nous sommes un certain nombre sur ces bancs à avoir tiré toutes les sonnettes d'alarme. Les bonnes volontés, comme les bonnes idées, n'ont pas manqué. Les ministres successifs nous ont écoutés. Je ne dis pas ici que rien n'a été fait, ce serait un mensonge ; mais l'action n'a jamais été à la hauteur de l'ampleur du défi à relever. La situation que nous connaissons aujourd'hui en est le résultat.

Vous pouvez prendre le problème par tous les biais que vous voulez, le principal défi des dix prochaines années pour tous les gouvernements, pour toutes les majorités, sera celui-ci : soit nous gagnons la bataille de la République, soit la France s'alignera sur le modèle anglo-saxon, et celui-ci finira par l'emporter. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Leonetti. Très juste !

M. Julien Dray. Pour gagner ce combat, il faudra des moyens considérables et une volonté politique d'acier mais, si tout cela n'est pas fait dans les trois à cinq ans, nous aurons perdu une certaine idée et un certain modèle de république.

Dans les quelques minutes qui me sont imparties, je voudrais dégager quatre grands domaines d'urgence pour cette action volontaire.

D'abord vivent aujourd'hui en France entre 4 et 6 millions de musulmans, qui ne sont pas forcément des pratiquants, ni même des croyants, mais qui se revendiquent de cette appartenance culturelle à un titre ou à un autre. Il faut donc d'abord banaliser la religion musulmane dans la société française, lui donner sa place comme pratique cultuelle pour éviter qu'elle ne devienne l'étendard d'une révolte, d'une recherche identitaire ou, plus grave, d'une affirmation politique.

M. Jean Le Garrec. Très bien !

M. Julien Dray. Il faut donc que ses lieux de culte soient financés par des fonds nationaux,...

M. Manuel Valls. Très bien !

M. Julien Dray. ...que son clergé soit reconnu et formé en France, que ses pratiques rituelles disposent des lieux nécessaires - je pense, par exemple, aux lieux d'abattage - que les cimetières comportent des carrés musulmans, bref que la pratique quotidienne de cette religion soit vécue avec simplicité.

De ce point de vue, une grave erreur a été commise avec la mise en place du conseil français du culte musulman.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Tout à fait !

M. Julien Dray. Cette construction bureaucratique à marche forcée a conduit à un pacte tacite avec les fondamentalistes. Elle a légitimé, pour représenter des millions de musulmans en France, les plus extrémistes et les moins représentatifs. Je ne vais pas tirer sur l'ambulance, d'autant que la majorité de mes collègues sont d'accord sur ce constat. Il faudra revoir la représentation, nécessaire, de ce culte, sous une forme nouvelle, démocratique, transparente, mandatée, avec les objectifs que j'ai évoqués.

S'il faut pour cela - je le dis nettement -, modifier la loi de 1905, alors engageons cette réflexion parce qu'il y a urgence. Il convient de permettre à l'islam de devenir une religion moderne qui s'inscrive dans le pacte laïque et qui refonde ainsi, par des pratiques nouvelles, son identité. L'islam doit savoir sortir de ce qu'il vit comme une permanente humiliation. Son honneur, il le retrouvera dans cette modernité que nous devons construire avec lui.

Il ne s'agit plus seulement de dire oui une fois de plus ; il s'agit désormais de le faire et de faire vite car, le débat sur le voile l'a montré, des forces extrémistes sont en train d'utiliser cette situation pour créer un islam politique en France.

M. Jean Le Garrec et M. Gérard Bapt. Tout à fait !

M. Julien Dray. La deuxième question est celle de la place faite à une nouvelle génération de Français. A cet égard, il est nécessaire de clarifier les termes du débat.

Je n'emploierai plus le terme d'intégration. Force est de constater aujourd'hui que l'intégration a bien marché, ce qui est peut-être le point le plus positif du bilan des vingt ans qui viennent de s'écouler. Le creuset français a continué de fonctionner. Les jeunes sont les plus intégrés dans la société française sur le plan culturel, mais ce sont eux qui subissent le plus de discriminations.

Leurs parents ont accepté certaines contraintes parce que, lorsqu'ils sont arrivés sur le territoire français, celui-ci représentait pour eux un eldorado. Il y avait un plus par rapport à la situation dans laquelle ils étaient précédemment. En revanche, leurs enfants, qui sont nés sur le territoire français, ne se considèrent pas comme des invités. Ils sont des citoyens français ; ils doivent en avoir les droits mais aussi les devoirs. Là est le problème essentiel.

Aujourd'hui, lorsque nous parlons de la maîtrise des flux migratoires, nous sommes à côté de la plaque. Depuis dix ans ces flux sont à peu près maîtrisés. Il y a bien quelques dérives, mais là n'est pas la question. Ceux qui posent le plus de problèmes dans ces quartiers difficiles sont non pas les immigrés, mais d'abord et avant tout de jeunes citoyens français, victimes de discriminations qu'ils brandissent parfois comme un étendard pour justifier leur mauvais comportement à l'encontre de la société française.

Il faut donc mettre en place une politique de lutte contre les discriminations.

M. Pierre Méhaignerie. Très bien !

M. Julien Dray. Il s'agit non pas de fabriquer une élite pour se donner bonne conscience - là sont les limites du dispositif de discrimination positive - mais bien plutôt de donner toute sa place à cette nouvelle génération de Françaises et les Français.

M. Gérard Bapt. Très bien !

M. Julien Dray. La troisième question qui se pose à nous, est celle du fonctionnement de notre institution scolaire, qui doit jouer un rôle essentiel dans la bataille contre les discriminations.

Or, loin de contribuer à l'égalité des chances, l'école est devenue le lieu où se met en place la discrimination, où, progressivement, on explique à ces jeunes qu'ils ne deviendront pas des citoyens comme les autres. L'exemple le plus parlant est celui des zones d'éducation prioritaires. Elles ont été efficaces là où les moyens ont été suffisants.

M. Émile Blessig. Non !

M. Pierre Lequiller. C'est faux !

M. Julien Dray. Il faut dégager des moyens supplémentaires pour rénover la pédagogie et rendre à l'école son rôle de creuset républicain.

La quatrième question est, selon moi, la plus importante.

Depuis vingt ans, grâce à la politique de la ville, nous avons revitalisé, rafistolé, reconstruit, rénové, mais force est de constater aujourd'hui les limites de cette politique. Si elle a permis de contenir les difficultés, elle n'a pas pu empêcher le développement des ghettos qui existaient déjà. Il faut donc refonder totalement cette politique et non plus, comme c'est le cas actuellement, mettre en place un guichet pour faciliter la destruction, avec l'idée que l'on construira ailleurs.

Dans les années 60, la France a détruit ses bidonvilles en construisant de nouvelles citées d'HLM. Pour ceux qui ont été amenés à y vivre, cela a représenté un élément essentiel d'intégration. Ils ont rêvé de ces appartements et cela leur a permis de considérer qu'ils avaient une place nouvelle dans la société française.

La question qui se pose est donc bien celle de la construction de cités nouvelles sur les ruines des anciennes, ce que nous n'avons malheureusement pas été capables de faire jusqu'à maintenant. C'est donc une énorme politique de reconstruction de logements qu'il s'agit de mettre en oeuvre. Pour se faire, nous devons tirer le bilan des démolitions - reconstructions réalisées jusqu'à maintenant.

J'ai participé à la mise en place, dans le cadre de la région Ile-de-France, de ce fonds de démolition. En cinq ans, nous n'avons réussi à détruire que quatre tours. A ce rythme, dans cinquante ans, nous en serons encore à évoquer cette question.

Le problème est évidemment celui de la mixité sociale ; elle ne peut être ni décrétée, ni imposée. Nous pourrons prendre toutes les mesures que nous voulons, nous nous heurterons à cette formidable résistance qui fait que chacun préfère que les problèmes se posent chez le voisin plutôt que chez lui.

M. Jean Le Garrec. Eh oui !

M. Julien Dray. Il faut mettre en place une nouvelle dynamique de mixité sociale. Or, cela ne sera possible, j'en ai désormais la conviction, que par un nouveau brassage, donc par une politique de reconstruction de cités nouvelles.

C'est à partir de cette politique d'accès à un logement que renaîtra l'espoir. La question qui se pose est évidemment celle de la remise en mouvement de ces populations. Ceux qui vivent dans ces quartiers ont le sentiment qu'ils ne pourront jamais en sortir et que, quand ils iront à la recherche d'un emploi, ou simplement se promener en ville, ils seront pour toujours « ceux qui viennent de ces quartiers-là ». Ils liront la peur dans le regard des autres.

Je ne vois pas d'autres solutions pour sortir de cette situation qu'une grande politique de reconstruction de cités nouvelles avec, à la clé, la possibilité d'un accès à la propriété qui représente, pour beaucoup de ces familles, un élément d'affirmation sociale et d'identité.

En définitive, le problème qui se pose au Gouvernement est assez simple : ou il saura affirmer une volonté en dégageant les moyens, ou nous continuerons de débattre mais, progressivement, nous perdrons une bataille et logiquement, naturellement, chacun se repliera sur sa communauté. Le Gouvernement n'aura plus qu'à gérer les relations intercommunautaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Pierre Méhaignerie. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Gilbert Gantier.

M. Gilbert Gantier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le problème de l'intégration dont nous débattons ce matin était déjà au cœur de notre discussion de la semaine passée sur le respect de la laïcité et l'interdiction du port du voile. En effet, une question de fond est posée à travers les affaires de signes religieux et de revendications identitaires à l'école : l'école est-elle encore un outil de promotion sociale et d'intégration ?

De fait, le Haut conseil à l'intégration avait, dès novembre 2000, souligné que de nombreuses manifestations identitaires à l'école et d'hostilité à l'institution, correspondaient à des situations d'échec scolaire, voire de détresse sociale. Aujourd'hui, il est manifeste que l'école d'abord, puis le marché du travail, ne jouent plus leur rôle d'intégration sociale, que les différences sociales deviennent des handicaps, que la société se cloisonne.

L'échec scolaire frappe lourdement les enfants issus de l'immigration. Cela n'a rien de surprenant et les chiffres le montrent clairement. La probabilité de sortir du système scolaire sans qualification est très liée à l'origine sociale et nationale des parents et des élèves : elle est de 8,7 % pour les élèves français et de plus de 15 % pour les élèves étrangers, avec des variations importantes suivant les nationalités des familles, par exemple, 14,8 % pour les familles originaires d'Algérie et seulement 12 % pour celles originaires du Maroc.

Il faut donc, de manière urgente, que le Gouvernement s'attaque à cette question de l'intégration qui est aujourd'hui en panne ; cela est tout à fait manifeste.

L'intégration recouvre des réalités très diverses, de beaux succès parfois, des errances ou des frustrations le plus souvent. Mais affirmer que l'intégration est un échec serait simpliste et dangereux. Cela ne veut pas dire que tout a réussi et que l'on doit nier les problèmes majeurs qui existent. II y a ceux qui, par leur réussite, sont sortis des cités-ghettos de Villeurbanne ou de Vénissieux et ceux qui y vivent encore, souvent désœuvrés et attirés par la délinquance.

Le mot même d'intégration pose un réel problème. Un certain nombre de nos concitoyens issus de l'immigration sont braqués contre ce terme. Pourquoi, disent-ils, auraient-ils à s'intégrer, puisqu'ils sont Français depuis longtemps ?

Par ailleurs, l'intégration n'est pas l'assimilation. S'intégrer ne signifie pas devoir adopter d'autres mœurs culturelles, d'autres façons de manger ou de se vêtir, d'autres habitudes. L'intégration concerne chaque citoyen. Elle a pour objet la fabrication d'un peuple, à partir d'une multitude sans lien préalable.

La première piste que l'UDF vous propose est de ne pas traiter le problème de l'intégration par ce que l'on a appelé la discrimination positive, car elle nous paraît être une fort mauvaise méthode. Cela correspond d'ailleurs au souhait de la plupart des immigrés qui estiment qu'ils sont pour l'essentiel des Français comme les autres.

Il faut ainsi qu'ils soient recrutés non parce qu'ils sont musulmans ou immigrés, mais pour leurs qualités. Nous connaissons tous des chefs d'entreprise issus de l'immigration, des universitaires, de grands médecins qui ont atteint cette fonction par leurs propres compétences. L'intégration doit donc se faire davantage par la valorisation que par la victimisation. Les discriminations existent malheureusement dans notre pays, à l'encontre des immigrés comme à l'encontre des femmes, des handicapés, des homosexuels. Cependant, n'aborder la question de l'intégration que sous cet angle, serait avoir un point de vue exagérément misérabiliste.

Non, la discrimination positive n'est pas une bonne solution. Nous devons être attachés à notre tradition républicaine en vertu de laquelle il ne faut pas tenir compte des communautés, en raison du principe d'égalité devant la loi. La tradition française, à ce titre, est fort différente de la tradition américaine, beaucoup plus communautarisme que la nôtre. Notre cadre républicain est une garantie d'égalité, en particulier dans l'accès aux fonctions publiques. C'est cet idéal républicain qu'il nous faut continuer de défendre.

La deuxième piste que nous voudrions proposer est l'apprentissage de la langue et de la citoyenneté. D'une part, l'apprentissage de la langue française nous paraît tout à fait essentiel ; d'autre part, il conviendrait qu'il y ait une information renforcée à l'école, comme en dehors de l'école, pour l'ensemble des enfants et des jeunes : l'apprentissage des principes républicains, de la Constitution, mais, surtout, l'apprentissage des lois, qui est manifestement insuffisant aujourd'hui. C'est l'une des lacunes du système éducatif,

Mettre l'accent sur l'école, c'est aussi responsabiliser les parents en concluant une sorte de contrat « école-famille ». Il est urgent de renforcer le partenariat entre l'école, les familles et les acteurs de prévention.

Troisièmement, il faut cesser de ne s'intéresser qu'à des groupes-cibles : d'abord ceux qui concentrent tous les handicaps et sur lesquels se déversent tous les crédits de la politique de la ville et, à l'autre bout de l'échelle, les diplômés qui ont du mal à trouver un emploi. Il convient au contraire de ne pas négliger les jeunes entre douze et seize ans, comme cela a été le cas, et de s'en occuper en priorité, par exemple par un apprentissage, un encadrement d'apprentissage et de civisme, permettant une entrée dans la vie professionnelle. C'est d'ailleurs l'une des mesures proposées par le Haut conseil à l'intégration, dans le rapport qu'il vient de publier, sous la présidence de Blandine Kriegel.

Nous voulons souligner à cet égard l'importance de l'intégration des femmes. La possibilité pour les femmes de prendre vraiment toute leur place dans la société peut et doit avoir des répercussions importantes, notamment sur leurs enfants, particulièrement sur les filles, donc sur la transmission de valeurs qui vont finir par devenir des valeurs collectives.

Enfin, il faut insister sur la dimension géographique de l'intégration. II existe aujourd'hui de véritables territoires d'exclusion, des ghettos, qui sont l'une des causes fondamentales des maux dont souffre notre société. Les grands problèmes relèvent de la politique de la ville, de la politique de l'équipement. Tous les élus locaux, tous les maires le disent, quelle que soit leur étiquette politique. La mixité de l'habitat est l'une des clefs d'une meilleure intégration.

L'insuffisance des moyens consacrés jusqu'alors à la politique de logement ainsi que l'absence de volontarisme dans l'application des outils législatifs et réglementaires existants constituent les principales causes du processus de ghettoïsation de certains quartiers.

Nous devons corriger et humaniser globalement cette politique, pour éviter qu'elle conduise à concentrer trop de populations de même origine dans un endroit déterminé. Tel est, justement l'un des soucis de la politique du logement préconisée par Gilles de Robien. Il s'agit, notamment, d'humaniser le parc actuel grâce à la réhabilitation et au développement d'espaces communautaires conviviaux, de susciter des initiatives d'acquisition, de rénovation et de construction d'immeubles de petite taille, et de développer l'aide individuelle au logement. Dans le même ordre d'idées, il faut absolument encourager les commerces et les petites entreprises à réinvestir dans les quartiers en difficulté.

Reconnaître le rôle des familles, encourager le dialogue entre les individus et entre les cultures, réussir la cohabitation harmonieuse de tous les cultes dans le respect de la laïcité, tels sont les moyens de réussir cette intégration républicaine que nous souhaitons.

L'intégration est une affaire de tolérance et de respect. La France, pays de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, c'est-à-dire des droits de la personne et des droits sociaux, peut le manifester mieux que tout autre pays.

Pour finir, je citerai les mots d'un jeune homme de la deuxième génération - un « beur » selon l'expression consacrée -, à qui je demandais quand la question de l'insertion économique et sociale des populations issues de l'immigration ne se poserait plus. Il m'a répondu : « Le jour où on ne parlera plus de notre origine pour nous designer. C'est alors que les choses auront enfin changé. » (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. François Asensi.

M. François Asensi. Monsieur le président, monsieur le ministre mes chers collègues, la France est, depuis longtemps, une terre d'asile et d'immigration. Une part considérable de notre population - généralement estimée à plus d'un tiers - est issue de l'immigration, pour peu que l'on remonte à trois générations.

Cette immigration constitue un inestimable atout économique, culturel et intellectuel pour notre pays. Constituée par un apport permanent d'hommes et de femmes venus de l'étranger, la nation française est une création permanente dont la diversité fait la richesse.

Au contraire, toutes les périodes d'intolérance, de xénophobie ou de repli national ont toujours abouti à une perte de substance, à un appauvrissement de la nation. L'histoire nous en donne quelques exemples. La révocation de l'Edit de Nantes, par exemple, en 1685, fit fuir trois cent mille protestants, qui étaient le plus souvent d'excellents artisans et firent la fortune de leurs pays d'accueil, au détriment du nôtre.

Si la France n'avait pas été terre d'accueil, elle n'aurait jamais connu Marya Sklodowska, c'est-à-dire Marie Curie, ni Pablo Picasso ou Joseph Kessel, pour ne citer qu'eux.

Le droit du sol a donc été le creuset dans lequel se sont forgés le peuple, la culture et l'identité de notre pays.

Avant la IIIe République, la fracture fondamentale opposait le monde des notables aux classes « laborieuses et dangereuses ». Les « partageux », français ou étrangers, n'avaient aucun droit. Cette différenciation n'avait pas lieu d'être. Ce n'est qu'avec l'apparition progressive de la conscience ouvrière et de conquêtes sociales, accordées sélectivement aux nationaux entre 1880 et 1930, que l'étranger est défini, de façon négative, comme celui qui ne dispose pas des droits nationaux.

Dans l'histoire plus récente, le droit du sol a été payé du prix du sang. Outre l'apport de leur travail et de leur richesse culturelle, c'est souvent à ce prix, en effet, que les étrangers ont rendu l'accueil qui leur avait été offert par la République française.

Ce sont eux qui, le plus souvent, lors de la Première guerre mondiale, ont creusé les tranchées sous les gaz. Les « tirailleurs sénégalais », comme on appelait nos combattants venant des colonies, ont été plus de cent mille à tomber sur les champs de bataille, face aux armées allemandes. Quelle reconnaissance ont obtenue leur famille à l'issue de la guerre ?

Je pense également aux combattants de la MOI - la Main d'œuvre immigrée. Alors que la France s'apprête à fêter le soixantième anniversaire de la libération de Paris, j'ai une pensée toute particulière pour le groupe Manouchian, cette troupe d'élite qu'ils formèrent au sein des FTP : « Vingt et trois étrangers, et nos frères pourtant », comme l'écrivit Aragon, morts pour la France, fusillés le 21 février 1944, il y a soixante ans.

Pour exemplaire qu'il fût, le groupe Manouchian n'a pas été unique. C'était tout à l'honneur de ces étrangers, au-delà de leurs origines, de choisir les valeurs incarnées par la République contre les nazis tandis que des Français les négligeaient ou les trahissaient.

A la Libération, certains de ceux qui demandèrent la nationalité française se la virent pourtant refuser. En 1988, j'avais déposé, avec le groupe communiste, une proposition de loi pour que la nationalité française soit automatiquement accordée à tout étranger qui en formulerait la demande, pourvu qu'il eût lutté sur le sol national contre l'occupant nazi et le régime vichyste. Malheureusement, cette proposition est restée lettre morte. Pourquoi tant d'ingratitude ?

Sur le plan économique et social aussi, l'attitude de notre pays n'a pas toujours été à la hauteur des principes affichés et des idéaux de la France.

Au cours du XXe siècle, la France a largement fait appel à l'immigration. Après la Première guerre mondiale, le recours à la main-d'œuvre étrangère a permis de panser l'effroyable saignée humaine qu'avait été le conflit. Je vous rappelle qu'alors, dans notre pays, sur dix hommes âgés de vingt à quarante-cinq ans, deux avaient été tués, tandis que quatre autres, mutilés ou traumatisés, devaient porter pour longtemps les stigmates de la guerre. En 1931, le nombre d'immigrés en France atteignait 2,7 millions, soit 6,6 % de la population totale, un record inégalé !

Ces immigrés ont, d'abord, participé à l'exploitation de nos mines, à la construction d'une sidérurgie nationale. Ils ont également contribué pour beaucoup à l'édification des grandes infrastructures de ce pays : ports, rail, routes, secteur du bâtiment, industrie automobile... L'histoire du taylorisme en France et de notre développement industriel ne peut les oublier sans commettre une grave injustice.

On n'a, d'ailleurs, que tardivement reconnu à ces travailleurs immigrés le droit de mener une vie privée digne de ce nom, avec l'ordonnance du 2 novembre 1945 instaurant le regroupement familial ou la mise en place de la carte de résident en 1984.

Pendant les Trente glorieuses, en période de pleine croissance, la France a abondamment profité de son statut de puissance coloniale pour faire venir de la main-d'œuvre bon marché de ses colonies. Georges Pompidou, Premier ministre, le disait sans ambages ici même en 1963 : « L'immigration est un moyen de créer une détente sur le marché du travail et de résister à la pression sociale ».

Ces immigrations se sont toujours accompagnées de nouvelles discriminations. Comme le souligne Gérard Noiriel, historien et spécialiste de l'immigration, auteur du Creuset français : « L'histoire se répète, l'étranger inassimilable étant en général le dernier arrivé, sans que pour autant le discours n'évolue. »

Au-delà des arguments purement racistes et exécrables, il est reproché aux étrangers de venir manger le pain des Français, alors qu'ils contribuent de manière décisive au développement économique de la France.

A la fin du XIXe siècle, on stigmatisa les Italiens. Vinrent ensuite, dans les années 20 et 30, les Polonais, jugés inassimilables en raison, notamment, de leur ferveur religieuse. Il faut rappeler aussi l'antisémitisme latent de la société française.

Ces peurs ont persisté tout au long du siècle dernier, car l'origine sociale dérangeait tout autant que l'origine ethnique. Appartenant pour l'essentiel à la classe ouvrière, les immigrés ont rapidement été stigmatisés et repoussés à la périphérie des villes. La discrimination sociale s'est aggravée d'une relégation spatiale, terreau sur lequel prospèrent le communautarisme et tous les fanatismes.

J'ai souvent eu l'occasion de tirer le signal d'alarme au cours des vingt dernières années.

En 1982, d'abord, en qualité de rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangère pour la population immigrée, je déclarais : « Elu de Seine-Saint-Denis, je mesure chaque jour les difficultés immenses que rencontrent les familles immigrées, regroupées en grand nombre dans des ensembles aux dimensions inhumaines. [...] Il est urgent que des dispositions soient prises de manière à mettre un terme à cette politique discriminatoire en matière de logement ».

En 1990, rapporteur de la loi contre le racisme, l'antisémitisme et le négationnisme, j'alertais encore : « Cette société française a besoin d'une véritable innovation sociale et culturelle pour l'intégration des ghettos, l'exclusion sociale, la survivance des quartiers de plus en plus pauvres à la périphéries des villes. Ces poches de misère sont des bombes à retardement. A trop attendre pour les faire disparaître, il risque d'être trop tard pour éviter l'instauration d'un mur d'incompréhension et d'intolérance ».

Comment un Etat peut-il avoir pour ambition d'intégrer au nom de ses valeurs républicaines et laïques alors qu'il exclut à travers son système économique ?

Aujourd'hui, le taux de chômage des étrangers s'élève à près de 20 %, soit plus du double de celui relevé pour l'ensemble de la population active, le taux de chômage des ressortissants des Etats non membres de l'Union européenne atteignant 27 % ! Chez les jeunes issus de l'immigration, il varie de 37 % à 57 %, selon leur population d'origine, alors qu'il est moitié moins élevé chez les Français dits de souche. En matière de logement, le parc social abrite en France près d'un ménage immigré sur trois, et un sur deux pour les personnes originaires du Maghreb.

Les municipalités communistes ont consenti de gros efforts pour l'accueil de ces populations fragilisées par un système économique ultralibéral. L'accent a, notamment, été mis sur le lien social avec un vaste programme d'accès à la culture, d'aide aux devoirs et de projets éducatifs, ainsi qu'avec l'ouverture de bibliothèques et une politique volontariste de lecture publique.

Néanmoins, les collectivités ne peuvent subvenir seules aux difficultés sociales. Dans un département comme la Seine-Saint-Denis, près de cinquante mille demandes de logements sont en attente. Les formules qui ont fleuri, comme celle d'un plan Marshall pour les quartiers, ne suffiront pas. Nous avons besoin d'un plan global de réduction des inégalités sociales.

Quel avenir offre la France à ces jeunes Français issus de l'immigration, qui devraient être fiers de ce que leurs parents ont accompli pour la France, leur pays, et qui voient pourtant ceux-ci relégués, assignés à résidence et stigmatisés ?

Cette situation est d'autant plus grave qu'on parle d'intégration à propos de jeunes qui sont nés sur le territoire français, Français à part entière, et dont les parents sont eux-mêmes français ! Cette aberration ne signifie-t-il pas que le vrai problème est d'abord social ? En effet, même si une partie des jeunes issus de l'immigration subit les effets de cette crise avec une intensité particulière, les problèmes d'intégration illustrent les difficultés que vit aujourd'hui l'ensemble des classes populaires.

Les populations immigrées ne sont, en effet, pas les seules à être confrontées aux difficultés liées à l'insertion sociale et à l'inégalité des chances. Cela est d'autant plus tragique que certaines personnes appartiennent simultanément aux différentes catégories les plus touchées par l'inégalité des chances.

Pour les ouvriers, l'ascenseur social est en panne. Sur dix enfants issus des classes moyenne ou supérieure, neuf décrochent leur bac, alors que les enfants d'ouvriers sont 54 % à ne pas l'obtenir, et que moins de quatre sur dix d'entre eux accèdent à l'enseignement supérieur. Cet écart est encore plus grand pour les jeunes issus de l'immigration

Que dire aussi de la situation des femmes en France, où prévaut encore fortement la domination masculine et patriarcale ?

Tout le monde aspire à l'insertion sociale, mais, pour une jeune fille dont les parents sont immigrés et ouvriers, quelle extraordinaire course d'obstacles représente aujourd'hui la voie de la réussite et de la reconnaissance d'un statut digne ! On peut comprendre l'exaspération légitime qu'elles osent désormais exprimer.

Dans cette lutte pour l'émancipation sociale et l'égalité, l'école républicaine a un rôle fondamental à jouer. C'est, d'ailleurs, la raison pour laquelle j'ai décidé de voter la loi sur la laïcité, même si une telle loi ne peut suffire sans une vraie volonté de venir à bout de la fracture sociale.

Le Gouvernement, qui s'autoproclame défenseur de l'intégration et de l'égalité des chances, avec des formules chocs comme la discrimination positive, mène une tout autre politique. Avec la réforme du régime d'indemnisation UNEDIC et de l'allocation spécifique de solidarité, des centaines de milliers de personnes vont être, à terme, un peu plus exclues. Le RMA, quant à lui, ne risque-t-il pas de multiplier les travailleurs pauvres ?

Par ailleurs, le Gouvernement opère une réduction de 3 % de l'impôt sur le revenu, qui profitera d'abord aux tranches supérieures, mais ne touche pas aux impôts indirects, qui sont les plus injustes.

M. Mansour Kamardine. C'est parti !

M. François Asensi. S'interroger aujourd'hui sur l'intégration est symptomatique d'une République qui se cherche, dont les fondements et les principes sont menacés par le primat de l'économie et de l'ultralibéralisme.

Parler d'intégration nécessite de réaffirmer un socle de valeurs communes sur lesquelles nous devons nous appuyer pour vivre ensemble : liberté, égalité, fraternité, mais aussi laïcité.

Il s'agit également, sur ces bases, de promouvoir l'émancipation sociale de chacun. Ceux qui subissent l'exclusion ne croient plus dans les déclarations de principe, qui ont contribué à décrédibiliser le politique et la politique, et à favoriser la montée de l'extrême droite. Il ne faut plus tergiverser : un vaste plan de lutte contre les inégalités prend aujourd'hui véritablement un caractère d'urgence nationale.

La question sociale, cette lutte contre les inégalités, doit être le centre de toutes les politiques publiques et l'aune à partir de laquelle elles doivent être jugées. Tant qu'elle ne sera pas remise au cœur des politiques nationales, il sera vain de parler d'intégration et de valeurs républicaines.

La France est devenue une nation multiraciale et multiculturelle. Il s'agit d'une chance formidable et d'un atout remarquable pour notre pays. Un premier geste symbolique, mais fort de sens envers les étrangers de ce pays, serait de leur accorder le droit de vote. Comment peut-on comprendre, en effet, que cet aspect important de la citoyenneté, désormais octroyé aux ressortissants européens, leur soit refusé alors qu'ils vivent et travaillent parfois depuis des années en France ?

Le temps n'est plus aux faux-fuyants. Des mesures fortes et symboliques s'imposent.

M. Manuel Valls. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean Leonetti.

M. Jean Leonetti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France a été - on l'a souvent rappelé -, pendant plus d'un siècle, un modèle d'intégration républicaine. Si l'on remonte à trois générations, on constate qu'un tiers d'entre nous est d'origine immigrée. Ces millions de Français se sont progressivement fondus dans le creuset français et moulés dans l'idéal républicain, même s'ils l'ont parfois fait au prix de tensions, voire de conflits douloureux.

Jusqu'aux vingt-cinq dernières années, l'intégration s'est effectuée sans l'aide d'une quelconque politique publique, alors que l'immigration était seulement régulée par des phases de prospérité et de régression que connaissait notre pays.

Ce phénomène d'intégration paraissait si naturel qu'il semblait inutile de le nommer. Faut-il, aujourd'hui, changer de vocabulaire ? Le mot intégration n'est-il pas offensant pour des populations qui se sentent profondément françaises ? Faut-il substituer à la notion d'intégration celles d'égalité des chances, de cohésion sociale ou de lutte contre les discriminations, qui définissent plus les moyens que le but ?

En parler présente au moins l'avantage de nous obliger à préciser à qui elle s'adresse et vers quoi elle tend. Il faut donc réaffirmer qu'elle est destinée à tous les citoyens qui y aspirent et qu'elle se réalise sur la base de nos valeurs républicaines. En effet, la République française issue de l'Etat nation n'est pas une simple technique de gestion du pouvoir démocratique. Elle est à la fois un idéal, un projet communs, et le lien qui unit les Français.

Aujourd'hui, un certain nombre d'indicateurs laissent pourtant à penser que notre modèle d'intégration républicain est en panne. Les sifflets au moment de La Marseillaise au Stade de France, le port du voile islamique à l'école, la délinquance médiatisée d'une partie de la jeunesse issue de l'immigration sont autant de signaux d'alerte qui font dire à certains que le monde arabo-musulman serait incompatible avec nos façons de pensée et nos modes de vie, tandis que le chômage, qui frappe les zones à l'urbanisme déshumanisé, la discrimination à l'embauche, au logement et aux loisirs, relèguent dans l'exclusion toute une partie de la population française qui a le sentiment que, quoi qu'elle fasse, elle sera toujours moins française que le reste de la population.

Les causes de cette panne sont multiples : une mondialisation accélérée, à la mode anglo-saxonne, la perte des repères d'autorité, les crises économiques récurrentes, auxquelles s'ajoutent les séquelles douloureuses de la guerre d'Algérie et l'éclosion du fondamentalisme islamique. Les conséquences pour notre pays, pour notre cohésion nationale, sont désastreuses.

Certains proposent un repli national, le rejet de l'autre, donc l'isolement de notre pays qui n'est conforme ni à notre idéal, ni à notre tradition, ni même à l'intérêt de la France. D'autres entretiennent l'illusion d'une intégration sans modèle, favorisant le particularisme et le communautarisme qui s'avère aussi une forme de repli et d'exclusion. Ils pensent qu'il suffit d'appliquer un traitement social à ce mal pour le faire disparaître, comme ils pensaient naïvement que la reprise économique suffirait à régler les problèmes d'insécurité.

Aujourd'hui, il ne suffit plus d'analyser les causes de ces échecs ; il faut concrètement et clairement redéfinir les moyens et les buts de la politique d'intégration.

Pour la réussir, il est d'abord indispensable d'en rénover et d'en simplifier les outils, et il faut que l'Etat retrouve dans ce dispositif toute sa place pour pouvoir appliquer sa volonté. Le Gouvernement n'est pas resté inactif dans ce domaine puisque, en moins de deux ans, il a proposé un véritable service public d'accueil des étrangers, avec le contrat d'accueil et d'intégration des étrangers. Ce contrat devrait se généraliser et comporter, comme tout contrat, un équilibre entre droits et devoirs. Il deviendrait nécessaire à l'obtention de la carte de résident de longue durée ou, a fortiori, de la naturalisation.

Plus généralement, l'Etat assume ses responsabilités en simplifiant et en rénovant les outils existants, par la création de l'agence nationale chargée de l'accueil de l'immigration, qui va se substituer aux multiples organismes antérieurs, et par la mise en place du Haut conseil à l'intégration. Celui-ci a déjà formulé un certain nombre de propositions, en particulier en faveur des femmes et des jeunes. De même, le comité interministériel à l'intégration, en sommeil depuis quatorze ans, a été réactivé.

La politique d'intégration doit désormais être plus claire tant dans ses orientations que dans ses choix de partenariat, et afficher une rupture avec les gestions antérieures, faites d'aveuglement et de compassion impuissante, d'idéaux brandis et d'actions vaines, de culpabilité inavouée et d'abandon réel.

Cette année, 170 millions d'euros - vous l'avez rappelé, monsieur le ministre - ont été alloués au fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations. Ces moyens doivent désormais être clairement orientés vers les lieux d'intégration que sont l'école, le travail et le logement. Trop longtemps, les moyens mis en œuvre se sont plus attaqués aux symptômes qu'au mal, favorisant souvent une politique d'assistanat et de paix sociale achetée aux dépens du mérite et de l'égalité des chances. Certes, ces moyens sont nécessaires pour gommer les handicaps des territoires et des conditions sociales, qui ne touchent d'ailleurs pas uniquement les populations immigrées. Mais l'action doit être menée territorialement et uniquement en fonction du handicap social. Elle ne peut être ciblée sur une religion ou sur une nationalité d'origine, encore moins sur une ethnie ou une communauté particulière.

Sans nier l'utilité du monde associatif dans le domaine de l'intégration, un partenariat fort doit être retrouvé au niveau des collectivités territoriales, en particulier dans le cadre des communes, des EPCI et des conseils généraux, pour affirmer une politique de proximité. Ainsi, il est indispensable que la politique de la ville soit gérée au plus près de la ville.

Il faut aussi que ce partenariat prenne également en compte l'école, clef de voûte du système d'intégration puisqu'elle se doit de concrétiser l'égalité des chances durant la formation des jeunes. A cet égard, l'octroi de bourses dans les ZEP et l'accompagnement individualisé des élèves en difficulté constituent, parmi d'autres, les outils de la réussite pour tous.

L'accès à l'emploi doit être facilité par le parrainage des jeunes vers l'entreprise, mais aussi par l'accès aux postes des collectivités locales, donc, en particulier, à la fonction publique territoriale.

Il ne faut pas seulement introduire la mixité sociale dans notre habitat ; on doit l'imposer en donnant plus de liberté et de responsabilité aux communes en ce domaine, et en favorisant l'accès à la propriété du logement social.

Enfin, plutôt que d'accorder aux étrangers un droit de vote qui ne produirait qu'une sous-citoyenneté de résidence ou de passage, donnons la nationalité française de manière plus rapide et plus simple à ceux qui croient en nos valeurs et qui ont manifesté leur volonté de partager notre avenir.

La lutte contre les discriminations de toutes sortes, qui sont une insulte à la devise de la République, sera également favorisée par la création d'une autorité administrative indépendante de lutte contre les discriminations, conformément à la volonté du Président de la République.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, l'intégration à la République française ne sera réussie qu'à deux conditions : la première, c'est que nous puissions mettre en place une politique concrète, décentralisée et lisible, qui prône à la fois l'égalité des chances et le mérite ; la seconde, c'est que nous soyons capables de réaffirmer concrètement et clairement notre idéal républicain, en le traduisant fermement dans les actes. Les Français veulent du concret, mais au service d'un idéal. L'action sans idéal n'est qu'agitation ; l'idéal sans action n'est qu'impuissance.

L'Europe, le monde même, nous observent pour savoir si notre modèle républicain d'idéal universel résistera au choc d'un monde communautarisé, dominé par une philosophie anglo-saxonne, ou si, par lâcheté ou par facilité, nous y renoncerons. C'est l'un des grands défis de ce début de siècle, pour une France qui doit clairement réaffirmer son ouverture au monde, mais aussi son identité et ses valeurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous marquons une pause dans nos travaux.


Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures cinq, est reprise à onze heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Manuel Valls.

M. Manuel Valls. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un an et demi après l'annonce par le Président de la République, à Troyes, de la création d'un contrat d'intégration, le groupe UMP nous gratifie donc d'un débat sur « les perspectives de l'intégration et de l'égalité des chances », qui vient d'ailleurs fort à propos, quelques heures avant un vote très important.

Je crois entendre dans un tel intitulé, que par ailleurs je salue pour sa concision pertinente, un aveu de faiblesse du contrat d'intégration qui a été annoncé et, d'une manière plus générale, pardon de vous le dire, monsieur le ministre, de la politique gouvernementale dans ce domaine.

M. Jean Leonetti. Parce qu'il y en avait une sous le gouvernement précédent ?

M. Manuel Valls. Car la liaison entre intégration et égalité des chances diffère, positivement, de la liaison entre intégration et dispositions au fond assez techniques pouvant permettre sa mise en œuvre.

Au contrat d'intégration, contrat d'un an renouvelable offrant des formations linguistiques ou culturelles, certes louables mais bien insuffisantes, nous préférons un pacte national d'intégration qui offre à notre pays des clés pour sortir de la crise de notre pacte républicain et de notre modèle social.

Un pacte national d'intégration devrait permettre à notre pays d'affirmer une volonté implacable, celle de réparer l'ascenseur social, celle de casser le ghetto territorial et symbolique, celle de consolider les aspirations collectives par l'école, celle, au fond, de fonder la France nouvelle, la France terre d'accueil et d'asile, qui s'assume dans sa diversité.

Oui, c'est tout cela, l'intégration, mot sans doute trop étroit. Notre débat, hanté depuis trop longtemps par le spectre du Front national, s'est focalisé sur l'immigration, acte instantané qui marque l'entrée sur le territoire. Englués dans ce débat nécessaire, mais dont nous ne sortons jamais, nous avons tous occulté la problématique de l'intégration, qui est centrale pour une nation car elle mesure sa capacité à susciter l'adhésion et à offrir des perspectives.

La sémantique, jonglant entre « immigrés », « intégration », « musulmans », « Maghrébins », « Français issus de l'immigration », « beurs », « blacks », « deuxième génération », au gré des besoins du moment, empêche notre pays de s'accepter tel qu'il est, c'est-à-dire comme une terre d'immigration, une terre pluri-ethnique. Cela crée des crispations, qui se retrouvent dans la politique d'immigration française depuis des années, une politique complexée, presque honteuse, qui n'ose pas dire que l'immigration est aussi une chance pour la France, ce qui n'est pas contradictoire avec des politiques, nationale et européenne, de gestion des flux migratoires.

Comme nous avons pu l'observer lors de la dernière phase de croissance, la reprise de l'emploi, la politique de la ville, aussi volontariste soit-elle - mais avec ses limites, Julien Dray le soulignait -, ne suffisent pas à donner des réponses à l'angoisse de nos concitoyens les plus modestes, l'angoisse de ce qui est une forme de fatalité sociale : vivre dans un quartier stigmatisé, mal ou en tout cas pas assez pourvu en services publics compte tenu des besoins exceptionnels qui s'y trouvent. Une stigmatisation et un manque cruel qui enferment les enfants de ces quartiers, leurs habitants d'une façon générale, dans les clichés et dans l'impasse sociale, même quand les diplômes viennent récompenser plusieurs années de travail et d'efforts.

C'est ce sentiment profond d'injustice qui mine le pacte républicain et sur lequel prospèrent l'extrémisme et le fondamentalisme. Comment, dans ces conditions, ne pas comprendre que les enfants issus de l'immigration, français pour la plupart, se cherchent, et se tournent vers une autre identité, dangereuse pour notre pacte républicain ?

Une action doit être entreprise d'urgence pour marquer au plus vite l'ambition des pouvoirs publics. C'est dans ce cadre que s'inscrit l'action positive, terme sans doute préférable à celui de « discrimination positive », même si je ne récuse pas ce dernier, car au fond il dit la même chose. Oui, l'action positive, le volontarisme républicain, la discrimination positive sont des voies à explorer. Le choix des critères de leur mise en œuvre est primordial. Ils doivent être, cela a été dit, territoriaux et sociaux, introduits au nom du mérite et de l'égalité de traitement. Des critères ethniques conduiraient, en revanche, à l'incompréhension de centaines de milliers de nos concitoyens, souvent les derniers arrivants de l'exode rural ou encore les familles des ouvriers victimes de la désindustrialisation des territoires, qui, sans être issus de l'immigration, partagent avec la plupart des immigrés le désespoir et subissent de plein fouet les conséquences de la crise de notre modèle social : chômage, échec scolaire, surendettement.

L'action positive, une action positive appliquée à l'enseignement supérieur - comme elle l'est, à titre expérimental, à l'Institut d'études politiques - ou aux emplois au sein de la fonction publique, notamment dans les IUFM, la police, l'armée ou les collectivités locales, constitue une action a posteriori, une correction tardive et néanmoins nécessaire des inégalités. Elle n'est pourtant pas suffisante. La République doit être pragmatique sans renoncer à l'idéal qu'elle doit promouvoir. Une action résolue doit donc être entreprise pour casser le ghetto territorial et le ghetto symbolique. La priorité nationale doit aujourd'hui être à la destruction et à la reconstruction massives des quartiers populaires et la mise en œuvre de la mixité sociale, c'est-à-dire, au fond, à une autre politique de peuplement.

Du développement de programmes d'habitat mixtes à la réforme de notre fiscalité locale, qui est profondément injuste - et en parlant de réforme, je pense notamment à la suppression de la taxe d'habitation -, il est des mesures qui changeraient en profondeur la donne dans les quartiers populaires. Le regroupement des bailleurs sociaux, une maîtrise du foncier sont indispensables. Une révision des valeurs locatives, fondée sur la mise en œuvre de nouveaux critères privilégiant l'objectif de mixité, est une chance à saisir. On paie des impôts plus lourds aux Pyramides ou aux Tarterets, dans ma circonscription, qu'au cœur de Paris.

Car, nous devons en être sûrs, nous n'arriverons pas à refonder notre pacte républicain si nous ne réussissons pas à convaincre que ce sont l'intérêt national et la qualité de vie de tous les citoyens de ce pays qui dictent la nécessité de la mixité.

L'accession à la propriété doit être favorisée. Le Gouvernement, par ses mesures, fait le contraire. Et pourtant, l'aspiration à la propriété est très forte chez les immigrés et leurs enfants français, en même temps qu'elle illustre le besoin d'une autre politique d'intégration, qui favorise l'émergence d'une nouvelle classe moyenne. Celle-ci apparaît déjà, elle a soif de réussite, elle apporte aussi un nouveau dynamisme à nos villes.

Car, dans nos quartiers, la seule réponse policière apportée par le Gouvernement montre déjà ses limites. Quand l'éducation, l'emploi, le logement ne sont pas dotés dans ces quartiers, dans nos villes, de moyens exceptionnels, quand la désespérance sociale étreint toujours plus de citoyens, les classes populaires de ce pays ne vivent pas mieux, bien au contraire.

Il est une institution qui est essentielle dans la revitalisation de notre pacte républicain. Cette institution, elle l'a déjà prouvé sous la IIIe République, est celle de tous les possibles. Elle est le ferment de la promotion sociale. Oui, l'école doit être une priorité. Seule l'école, matrice de l'égalité des chances, peut permettre d'apporter une issue à la crise civique, elle seule donne un sens, y compris à la rénovation urbaine nécessaire. Oui, l'école doit être au cœur de l'ambition nouvelle pour les quartiers populaires, lesquels doivent se transformer en véritables zones d'excellence pédagogique - comme le propose l'excellent rapport de l'institut Montaigne, plus innovant que celui de Mme Blandine Kriegel -, en pôles d'innovation, de recherche et d'expérimentation pédagogique.

Cet objectif peut être atteint par le renforcement du critère de disparité sociale en faveur des collèges classés en ZEP, et j'entends par là de nouveaux crédits affectés à des projets.

Il peut l'être par la généralisation des conventions entre les ZEP et les grandes écoles : depuis 1976, la proportion d'enfants d'ouvriers accédant aux grandes écoles s'est réduite ; ils représentaient 11 % des bacheliers en filière scientifique contre 5 % aujourd'hui.

Il peut l'être par la réorganisation des équipes scolaires, en permettant à ceux qui le souhaitent une plus grande autonomie et en créant des postes de chargés d'accompagnement scolaire, avec des moyens et des objectifs ambitieux dès le primaire.

Il peut l'être par l'extension des missions de l'éducation nationale, qui, dans son rôle, n'est plus l'agent de socialisation primaire chargé uniquement de la transmission du savoir mais prend de plus en plus d'importance dans l'apprentissage des normes, des valeurs, des règles d'hygiène, de santé et de savoir-vivre. Cette mutation doit trouver une traduction officielle et être encadrée.

Il peut l'être par une autre politique de rémunération, de recrutement et de déroulement des carrières des enseignants : 50 % des nouveaux enseignants du second degré sont dirigés vers les deux académies les plus difficiles, celles de Versailles et de Créteil, pour les postes les plus exposés. Il y a là quelque chose qui ne fonctionne pas.

Il peut l'être par la mise en œuvre d'un nouveau plan pour la formation professionnelle et par alternance, distincte de la voie générale mais valorisée et valorisante, qui permette au plus grand nombre une intégration rapide et pérenne sur le marché du travail.

C'est une véritable ambition éducative qui doit être mise en œuvre. Elle seule peut permettre à notre modèle d'intégration de retrouver du sens, elle seule peut réparer l'ascenseur social. Vous comprendrez donc la profondeur de notre inquiétude et de notre colère lorsque nous observons qu'avec ce gouvernement, l'éducation n'est plus la priorité. Rien aujourd'hui ne peut plus handicaper notre pays que le renoncement sur la question éducative.

M. Hervé Mariton. Quel renoncement ? C'est n'importe quoi !

M. Manuel Valls. La destruction du ghetto territorial passe par l'école et la formation, et je suis sûr que c'est aussi ce que vous pensez, cher collègue.

Une action doit aussi être entreprise pour casser le ghetto symbolique, qui, lui, touche toutes les générations issues de l'immigration extra-européenne et constitue un handicap supplémentaire. Les discriminations à l'embauche, au logement sont les facettes les plus évidentes et sans doute les plus pernicieuses de ce ghetto symbolique. Et c'est pourquoi le gouvernement précédent les avait combattues. Une détermination inflexible des pouvoirs publics doit permettre de punir ces pratiques qui pénalisent ceux dont le faciès est par trop exotique - n'ayons pas peur des mots, ne nous voilons pas la face -, ceux dont l'état civil ne renvoie pas un écho de la « France ancestrale ». Ces caractéristiques viennent souvent s'ajouter à l'adresse postale dans un quartier « indésiré » de la République.

Mais nous ne devons pas oublier non plus l'éclaircissement du passé colonial de la France, le président de la commission des affaires culturelles l'évoquait, et les problèmes liés à une laïcité trop souvent vécue comme une contrainte et jamais comme un facteur d'épanouissement et un principe de neutralité.

Avancer sur ces sujets - je l'ai dit la semaine dernière, et Julien Dray l'a dit avec force à propos de la place qu'il faut faire à l'islam - contribuera demain à promouvoir une intégration sans complexes.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la nation française a besoin de se lier par un pacte d'intégration à celles et ceux qui ont choisi de s'y établir, à celles et ceux qui veulent croire en un rêve français. C'est pourquoi nous préconisons la mise en place de ce pacte national, connu de tous, liant clairement la France à ses immigrés, fixant la volonté de notre pays, ses attentes vis-à-vis des nouveaux arrivants, fixant aussi, pour ceux qui vivent déjà depuis longtemps sur notre sol, sa volonté de réparer l'ascenseur social, de casser les ghettos. La citoyenneté de résidence, sas vers la naturalisation - qui reste, monsieur le ministre, un parcours du combattant : rien n'a changé depuis vingt ans, depuis ces moments que j'ai vécus quand je suis devenu français - et véritable catalyseur de l'intégration, est un outil précieux pour matérialiser cette volonté. Elle pourrait remplacer la carte de séjour de dix ans en ouvrant aussi le droit de vote aux élections locales et en garantissant l'accès aux droits que les discriminations empêchent souvent de faire valoir.

C'est comme cela que nous ferons aimer notre pays, sa langue et ses couleurs. Une grande loi sur l'intégration est nécessaire, pas simplement pour les primo-arrivants - c'est là notre différence, monsieur le ministre. Une grande loi sur l'intégration toucherait profondément notre société et permettrait à la nation française d'être à l'offensive pour résorber la fracture civique et la crise sociale qui minent le pacte républicain. Oui, un grand texte sur l'intégration permettrait à la République d'aller au-delà de la défense de ses valeurs - ce qui est l'orientation nécessaire mais pas suffisante de la loi que nous voterons cet après-midi -, pour se faire aimer, pour être désirée, non par les seuls immigrés mais aussi, à nouveau, par l'ensemble de la communauté nationale. A vous de saisir cette chance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Le Garrec.


M. Jean Le Garrec
. Monsieur le président, Monsieur le ministre, je voterai, cet après-midi, le projet de loi sur les signes religieux et la laïcité non sans avoir beaucoup réfléchi et avoir rencontré des jeunes femmes voilées ou non. Je le voterai, car c'est un signal essentiel que nous donnons aux enseignants et aux jeunes femmes qui se battent très courageusement. Je pense, en particulier, au livre de Fadela Amara et à ce musulman tunisien qui écrivait, il y a quelques jours « Nous, musulmans... nous tenons le coup dans le combat contre le voile, ne nous lâchez pas. » C'est l'argument clé.

Nous devons toutefois avoir conscience - c'est le cas de nombre d'entre nous - que cette loi n'est pas un aboutissement, mais à peine un commencement. Dans le débat, des formules telles que « le modèle d'intégration est en panne » ou « la nécessité de lutter contre les discriminations » ont été souvent citées. Ces analyses se retrouvent dans le rapport Stasi et dans celui de la mission Debré. Je rappellerai quelques phrases.

Le rapport Stasi : « C'est sur ce terreau du mal vivre que se développent les extrémismes communautaristes : la laïcité n'a de sens et de légitimité que si l'égalité des chances est assurée en tout point du territoire, les diverses histoires qui fondent notre communauté nationale reconnues et les identités multiples respectées. » On ne peut mieux dire.

Le rapport de la mission Debré : « C'est parce que l'école, d'abord, puis le marché du travail ensuite, ne jouent plus leur rôle de lieu d'intégration sociale, que les différences culturelles deviennent des handicaps et que la société se cloisonne. » Nul ne peut contester une telle phrase.

Tout se résume parfaitement par cette question du philosophe Bruno Mattei « Une République peut-elle être laïque en se dispensant d'être fraternelle et sociale ? » Pour y répondre, il faut savoir prendre en compte la mémoire et la culture et savoir porter un regard sans complaisance sur notre société.

La mémoire et la culture, ce sont celles de nos politiques d'immigration, mais aussi de nos politiques coloniales souvent brutales et violentes. Je pense aux « enfumades » de ce reître qu'était le maréchal de Saint-Arnaud. On oublie trop souvent qu'après avoir fait appel à leur courage de combattants dans toutes nos guerres, on fit venir, dans les années 60, des centaines de milliers d'immigrés du Maghreb ou d'Afrique pour utiliser leurs forces de travail. Les entreprises en demandaient parfois jusqu'à 300 000 en une année ! Regardons l'histoire en face ! On l'a fait dans la précipitation, sans préparation, sans organiser l'accueil ! Dans ce que ne faisait pas alors la République, se profilaient les problèmes actuels. Cette première dimension doit être prégnante dans notre réflexion, si l'on veut aujourd'hui parler de dignité !

En second lieu, il faut regarder sans complaisance notre société individuelle, fracturée, craintive devant l'avenir. L'ampleur du surendettement - le recours aux crédits revolving - m'effraie. Je reprendrai un mot de vocabulaire populaire des années 30 : quand on est dans la « mouise » - le mot est très beau - on a toujours tendance à rejeter le problème sur celui qui s'y trouve encore plus. Telle est la réalité ! Il faut avoir le courage de l'affronter.

Il faut aussi avoir le courage d'affronter, comme l'a souligné Julien Dray, le problème du culte musulman. J'ai en mémoire la bataille qu'il m'a fallu mener contre mes amis et mes ennemis pour la construction d'une véritable mosquée à Petite-Synthe où personne n'en voulait. Un acte administratif a été nécessaire pour déclencher le mouvement. Il faut le dire, et il faut agir. Des politiques ont été mises en place. Ce furent, sans remonter aux lois Auroux, le rapport Belorgey de 1999,...

M. Julien Dray. Très bien !

M. Jean Le Garrec. ... la création du Conseil de l'intégration, des commissions d'accès à la citoyenneté. Vous avez tort sur un point : après le rapport Belorgey, une table ronde a été mise en place, le 11 mai 1999, avec les partenaires sociaux - entreprises, syndicats - pour adopter la « déclaration de Grenelle » afin de lutter contre les discriminations. Le numéro vert - le 114 - qui fut créé a reçu des centaines de milliers d'appels. La proposition de loi de lutte contre les discriminations adoptée en première lecture en octobre 2000, dont je suis le premier signataire, renforçait les éléments du code du travail, notamment en ce qui concerne la charge de la preuve. Enfin, l'excellent rapport de mon ami Philippe Vuilque demeure, hélas, d'actualité. Nous pouvions espérer que la création de deux millions d'emplois et la mise en place du programme TRACE, corde de rappel pour les plus éloignés de l'emploi, permettraient d'engager la lutte contre la discrimination. Sans être négligeables, les résultats ne sont pas à la hauteur de ce qui était indispensable. En la matière, la modestie s'impose. Comme le souligne le rapport de la mission Debré « L'intégration des jeunes Français d'origine maghrébine est en difficulté. En mars 2000, une étude du ministère de l'emploi révèle que le taux de chômage des actifs les plus diplômés se situait à 5 % chez les Français d'origine, à 11 % chez les Français de parents étrangers. » A Roubaix, sur 500 titulaires du RMI, 90 % possèdent au moins le baccalauréat. Tous ces chiffres sont connus. Il faut traiter le problème du logement et de l'école, comme l'ont respectivement souligné Manuel Valls et Julien Dray. Dans la région Nord-Pas-de-Calais, terre où ces problèmes sont encore plus aigus, on supprime 600 emplois d'enseignant. Au lycée du Noordover, 40 % des lycéens ont des noms d'origine étrangère et sont des citoyens français.

Les lois protégeant l'emploi, créant les instruments du code du travail, existent. Le rapport de Mme Blandine Kriegel ne fera pas mieux que le rapport Belorgey. Là n'est pas le problème. Il faut une volonté politique, une véritable mobilisation, une impulsion de l'Etat. Peut-être convient-il de réunir de nouveau les partenaires sociaux et prendre appui sur les entreprises qui ont pris conscience de ce problème. Certaines d'entre elles, comme celle où j'ai travaillé, mènent une réflexion sur ce sujet et sont à l'écoute et à la recherche de solutions. Il faut relancer les financements de toutes les structures intermédiaires qui accomplissent au quotidien un travail de fourmi inlassable et difficile. Il faut être à l'écoute !

Enfin, et c'est un reproche que j'adresse au Gouvernement, il faut éviter de remplacer le mot de « solidarité » par celui d'« assistance » comme le Premier ministre l'a fait dans un de ses discours. Assistance, non ! Solidarité est le mot clé de la République !

Je conclurai par une simple réflexion. L'inquiétude taraude notre corps social en proie au chômage de masse, lent poison instillé par l'extrême droite, en particulier dans les milieux les plus populaires. Il souffle un vent mauvais, entretenu par des écrivains comme Oriana Fallaci ou Maurice Dantec, par des intellectuels ou par des extrémistes, comme Mohamed Latrèche. Ces extrémismes de Mohamed Latrèche à Maurice Dantec se nourrissent les uns des autres. Nous devons garder en mémoire cette phrase du philosophe Bruno Mattei que je citais au début de mon propos « Une République peut-elle être laïque en se dispensant d'être fraternelle et sociale ? » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Méhaignerie.

M. Pierre Méhaignerie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à quelques heures du vote du projet de loi sur l'interdiction des signes religieux à l'école, ce débat, aussi court soit-il, a un triple mérite. Il aborde des questions sociales constamment reléguées à l'arrière-plan des débats sur la laïcité. Les conflits autour du port du foulard révèlent, en fait, les difficultés liées à un sentiment de relégation chez une partie de nos concitoyens.

Ce débat a aussi le mérite de ne pas porter seulement - vous l'avez précisé, monsieur le ministre - sur l'intégration, mais aussi sur l'égalité des chances, donc sur la capacité de nos institutions à offrir à chacun des occasions de participer, de trouver sa place au sein de notre société, quel que soit son milieu social. Nous devons, donc, aborder le problème sous l'angle de l'intégration et sous celui de l'égalité des chances. Les femmes et les jeunes filles arabo-musulmanes, qui ont adopté ou subi ce foulard, sont majoritairement nées, socialisées et scolarisées en France. N'oublions pas que cinq à six millions de Français sont issus de l'immigration, contre environ trois millions d'immigrés. Ces Français « visibles » aspirent à l'égalité des chances en termes d'éducation, de formation, d'accès à l'emploi. Ils veulent être traités également et participer pleinement à l'économie du pays.

Enfin, ce débat doit conduire le Gouvernement, les collectivités locales et les entreprises à décider un programme d'action pour rétablir l'équité des situations, alors que des handicaps se sont accumulés. Une partie de la population souffre d'un sentiment d'injustice, ce qui est d'autant plus préoccupant que notre société ne semble plus avoir la même capacité à redistribuer les cartes pour chaque génération.

M. Dubernard s'interrogeait sur la nature des discriminations ; j'y viens à mon tour.

Premier constat, certains sont disqualifiés devant l'emploi.

En effet, malgré l'embellie du marché de l'emploi des années 1999 et 2000, une hausse du chômage a été enregistrée dans les trois quarts des zones urbaines sensibles.

Le chômage de longue durée des jeunes sans qualification est plus répandu qu'en Allemagne ou en Suède, et largement plus qu'aux Etats-Unis.

Le taux de chômage des jeunes d'origine étrangère est particulièrement élevé : entre 22 et 26 %.

Deuxième constat, l'éducation est élitiste, certaines formations faisant l'objet d'un réel rejet.

Nos élites se recrutent dans un milieu plus restreint que naguère : le procédé des concours conduit à ce que l'on retrouve, dans les filières d'enseignement supérieur les plus cotées, moins de 7 % d'enfants issus de milieux modestes, contre 15 % il y a vingt ans.

Quant aux filières professionnelles, encore trop souvent perçues comme un déclassement, elles sont rejetées par les parents, alors qu'elles recèlent probablement les meilleurs débouchés pour les prochaines années.

Troisième constat, il existe un sentiment de relégation par l'habitat.

Certains quartiers sont en train de perdre leur diversité sociale et aussi ethnique. La présence, dans ces quartiers, d'une fraction de plus en plus majoritaire de minorités maghrébines et noires traduit un blocage inquiétant des trajectoires résidentielles.

Bien sûr, cela se reflète également dans la composition des écoles : il n'est plus rare de trouver des collèges composés non pas à 20 ou 30 % d'élèves issus de l'immigration, mais à 80 % ! Cette situation n'est pas saine et provoque indubitablement des attitudes de repli.

Pour corriger ces handicaps, il nous semble urgent de repenser certaines de nos politiques publiques, car rien ne dit que le temps arrangera spontanément les choses. Pour passer du discours à la pratique, quelles sont les pistes ?

Je ne reviendrai pas sur celles qui ont été évoquées ici concernant le culte musulman. Je partage, à cet égard, les propos de M. Dray, tout comme son analyse de l'école, qui n'est plus le lieu où se forge l'égalité des chances.

Le régime de l'excellence individuelle fonctionne en effet comme un entonnoir et relègue trop de jeunes dans l'échec.

Ne faut-il pas assouplir le dogme du collège unique ? Trop de collégiens sont confrontés à l'échec scolaire sans entrevoir de solution alternative. On les dirige vers les filières professionnelles alors qu'ils sont déjà en rupture de ban. Comment expliquer qu'un élève souhaitant devenir carrossier ou menuisier ne dispose pas de voie adaptée avant la fin de la troisième ?

Ne faut-il pas repenser la formation professionnelle en la décentralisant plus franchement ? L'école, lieu d'acquisition des savoirs, ne forme pas aux métiers ou à l'emploi, et il y a un vide, chacun le reconnaît, entre l'école - parfois synonyme d'échec - et l'insertion sur le marché de l'emploi.

Les solutions trouvées par les régions sont les plus inventives - compte tenu de votre expérience, vous le savez, monsieur le ministre. La région Alsace, ainsi, s'oriente vers une « cité des métiers » regroupant tous les acteurs de la formation professionnelle.

Un « plan de formation aux vingt métiers de demain » pourrait être expérimenté de façon décentralisée, dans les quartiers prioritaires, formidable réservoir d'énergies pour demain. Pour être réellement attractif, il devrait, me semble-t-il, être sélectif, en fonction des besoins, peut-être au moyen de numerus clausus, mais offrir une quasi-assurance de débouchés.

L'Etat et les collectivités locales doivent donner l'exemple. Nous verrons, lorsque seront rendues publiques les listes régionales, si les uns et les autres ont réussi à placer en position éligible un nombre suffisant de candidats issus de l'immigration, jeunes ou moins jeunes ; ce sera un indicateur évident des efforts accomplis.

Au-delà, les concours et l'ensemble du recrutement de la fonction publique doivent être reconsidérés. N'y aurait-il pas intérêt - M. Valls, je crois, l'a également proposé - à ouvrir davantage les fonctions publiques territoriale et nationale au recrutement par la voie contractuelle ?

Enfin, à propos de l'école, tout a été dit.

J'ai entendu parler, à l'instant, de la nécessité d'un grand plan financier. Puis-je quand même noter que certains avantages sont devenus injustifiés ? Il y a trente ans, il y avait de bonnes raisons pour accorder un sursalaire aux fonctionnaires expatriés - doublement de la rémunération plus un an de traitement pour trois ans de séjour -, mais il arrive aujourd'hui que certains partent en retraite à quarante-huit ou cinquante ans. Il existe donc des marges de manœuvre pour mener à bien un plan de redéploiement en faveur de ceux qui souffrent de l'inégalité de chances.

Et l'on peut applaudir, je crois, à certaines initiatives, comme celle de Sciences Po qui a ouvert la voie de l'expérimentation.

Les débats actuels sur la laïcité et le voile, la culture de l'incivilité ou l'école ne pourront longtemps occulter le problème de la ségrégation par l'habitat.

Ne faut-il pas envisager à nouveau de penser la construction de logements sociaux en termes de sortie de loyers ? Ne faut-il pas, dans certains secteurs, ouvrir la construction de HLM aux promoteurs privés ? Ne faut-il pas encourager fortement les programmes mixtes ?

En conclusion, je dirai que la crispation identitaire prend sa source dans le sentiment de relégation et dans la crise du système de promotion sociale. Les solutions sont difficiles car elles exigent parfois des changements de comportement, des prises de conscience, ainsi qu'une volonté de la part non seulement du Gouvernement, mais aussi des élus locaux et des entreprises. Tant que nous n'aurons pas démontré qu'il existe des solutions alternatives au repli, la violence gagnera du terrain.

Je parlais tout à l'heure des trois mérites de ce débat, si court soit-il. J'en vois maintenant un quatrième : on a pu constater une grande convergence entre les orateurs, qu'ils soient de la majorité ou de l'opposition.

M. Hervé Mariton. L'opposition ? Elle est partie !

M. Pierre Méhaignerie. Ne convient-il pas, en matière d'égalité des chances, de rechercher un certain consensus ? Un sondage du JDD montre d'ailleurs que 66 % des Français sont favorables à des mesures volontaires pour favoriser l'accès des populations défavorisées aux grandes écoles et aux universités. J'attends du Gouvernement, dans les mois à venir, la mise en place d'un programme d'équité pour l'accès à l'éducation et surtout à l'emploi. La majorité des Français nous suivront, j'en suis sûr, dans cette action. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton.

M. Hervé Mariton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat, voulu par le groupe UMP, est bienvenu après la discussion du projet sur le port des signes religieux à l'école. La loi que nous allons voter cet après-midi constitue peut-être, en réalité, la dernière chance pour le modèle républicain français. Mais, parce que nous souhaitons que ce ne soit pas une loi de raidissement - une ultime tentative, en somme, avant de constater l'abandon de fait de ce modèle -, il faut poursuivre une politique volontaire d'intégration. Nous devons profiter pleinement, à cet égard, des possibilités ouvertes par le débat de la semaine dernière, un débat ouvert, fort, qui a levé bien des tabous : ici même comme dans l'ensemble de la société, beaucoup de choses que personne n'exprimait auparavant auront été dites.

J'ai eu, à dire vrai - et nous avons eu, collectivement -, quelque hésitation sur la désignation précise du débat d'aujourd'hui : fallait-il parler d'« égalité des chances » ? Mais enfin, la République ne se résume pas à une arithmétique ! Je préfère en effet le terme « intégration », et le lien entre les deux formules est opportun. On voit bien d'ailleurs que les mots ont évolué au fil du temps. Il fut question, à une époque, d'« assimilation », puis d'« intégration ». Les choses se résumeront-elles, demain, à l'« égalité des chances » ? Je ne le crois pas. Une telle évolution constituerait une dissolution malheureuse du principe républicain.

L'intégration, pour reprendre la formule géométrique bienvenue de ces derniers jours, c'est, me semble-t-il, une sorte de carré magique alliant générosité, volonté, identité et clarté.

Le premier principe est la générosité. L'intégration, c'est d'abord un a priori de bienveillance, conformément à la tradition d'ouverture de notre pays, dont l'histoire est faite d'enrichissements successifs. Je rappelais récemment ce bon mot : « La France est un pays peuplé d'une minorité de Francs. » Bienveillance, ouverture, solidarité, mais constatons aussi que, quand la nature et le nombre de ceux qui nous rejoignent évoluent, la générosité cesse de régler tous les problèmes.

Il faut alors, pour l'intégration, de la volonté, et des deux côtés, c'est essentiel : la volonté de la France d'intégrer ; la volonté de la personne d'adhérer aux valeurs de la France. Ces valeurs doivent s'exprimer puissamment, et l'un des drames de ces dernières décennies, c'est sans doute que la volonté n'a pas toujours été au rendez-vous des deux côtés, et qu'elle a probablement été insuffisante y compris dans la période récente, ne donnant ni l'envie ni l'obligation d'adhérer.

« Identité » est un mot souvent décrié, parfois porteur de vices idéologiques, mais qui représente tout de même l'héritage de notre pays ; Alain Finkielkraut l'a rappelé, même s'il a souligné combien cet héritage était parfois paré d'ingratitude. Ne soyons pas ingrats à l'égard de notre héritage ! Affirmons-le ! En écho à l'un de nos collègues, qui a parlé de supposées vérités auxquelles il est essentiel de répondre, je fais partie de ceux qui pensent - en réalité, nous sommes nombreux, quoique nous soyons rares à le proclamer - que l'autoflagellation répétée, constante, systématique sur l'histoire coloniale de la France n'est pas heureuse, car elle rend la communauté nationale pour longtemps débitrice. Il est d'ailleurs intéressant que le premier orateur de notre groupe, Philippe Douste-Blazy, ainsi que notre ami Jean Leonetti, qui vient également de s'exprimer, figurent parmi les principaux signataires d'une proposition de loi pour la reconnaissance de l'œuvre de la France en Algérie. Ce n'est pas incompatible avec la volonté d'intégration, contrairement à l'autoflagellation historique.

L'identité, c'est l'héritage, mais aussi - il faut le dire, car c'est une réalité -, la distinction entre le dedans et le dehors. Si l'intégration doit être toujours possible, il ne faut pas pour autant la vider de son sens, et je fais partie de ceux, nombreux, qui pensent qu'accorder le droit de vote à des citoyens d'autres pays, vivant en France, avec tous les droits sociaux importants que cela induit, serait une fausse bonne idée. Cela reviendrait en réalité à affirmer qu'il existe des citoyens de deuxième zone. Or on est citoyen ou on ne l'est pas, et on l'est quand on est pleinement Français. Gardons-nous d'organiser ou d'aggraver la confrontation entre les cités et la cité : quand on habite dans les cités, on doit vouloir appartenir à la cité, et ce n'est possible qu'en devenant pleinement Français !

Enfin, monsieur le président, la clarté...

M. le président. Très rapidement, alors, monsieur Mariton.

M. Hervé Mariton. La clarté et les mots pour le dire sont importants. Mesurons les dégâts provoqués, au fil des années, par ces expressions allusives, pleines de sens supposé mais vides de sens apparent, comme « les jeunes » ou « la ville ». La politique de la ville a largement échoué et l'expression ne convient sans doute plus. Certes, beaucoup doit être fait pour les cités, pour les intégrer dans la cité, mais il faut trouver à la fois un autre contenu et un autre mot.

Pierre Méhaignerie a estimé que beaucoup de choses fortes avaient été dites sur les différents bancs. Si j'ai beaucoup apprécié, pour ma part, les propos de Julien Dray, j'ai trouvé au contraire que nos collègues Valls et Le Garrec se contentaient de réclamer encore des moyens, toujours des moyens, plutôt que d'appeler de leurs vœux une réelle volonté, un réel effort. Je crois qu'il n'y a pas de honte à constater, sur ce sujet, un clivage, une différence entre la droite et la gauche, même si l'objectif à atteindre est largement partagé.


M. le président
. Monsieur Mariton, vous avez largement dépassé votre temps de parole ! Veuillez conclure.

M. Hervé Mariton. Enfin, après le débat - utile - d'aujourd'hui, après - peut-être - une loi, il faudra parler des moyens, mais ils ne suffiront pas. La demande de moyens est constante. Pourtant, ce n'est pas la seule réponse à apporter. Nous sommes, en effet, dans un processus continu ; prenons-en conscience. Et s'il convient de rester modeste face à ce processus, cela ne nous dispense pas de comprendre tout ce qu'il implique d'exigence. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Valérie Pecresse.

Mme Valérie Pecresse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est devenue un pays de reproduction sociale, avec une société immobile. En 2004, le niveau des diplômes obtenus par un enfant dépend, dans la très grande généralité des cas, du niveau de ceux de ses parents.

A cet ascenseur social en panne, s'ajoute, pour les jeunes issus de l'immigration, la barrière de leur nom et de leurs origines, qui sont autant de sources de discrimination.

Nous savons tous qu'un enfant d'un collège d'une zone d'éducation prioritaire n'entrera jamais à l'école Polytechnique. Et les familles de ces enfants le savent aussi. J'ai eu le cas, dans les Yvelines, d'un enfant malien surdoué, issu d'une famille très nombreuse, récemment immigrée, habitant dans un quartier qu'on nomme pudiquement « sensible ». Ce n'est que grâce à la mobilisation de tout ce quartier et de plusieurs maires yvelinois, que sa famille a pu se voir proposer un logement social dans le ressort d'un grand lycée, seul à même de garantir sa réussite.

J'ai débuté ma vie professionnelle comme chargée de mission au fonds d'action sociale pour l'insertion des travailleurs immigrés et de leur famille. Cette expérience m'a profondément marquée. C'était il y a quinze ans. Le Premier ministre d'alors s'appelait Michel Rocard et la politique d'intégration, priorité gouvernementale, on y croyait ! C'était l'âge d'or des ZEP et de la politique de la ville. Les subventions et les avantages divers pleuvaient sur les quartiers « difficiles » mais ils semblaient comme absorbés par le sable. Les associations s'exténuaient, certaines faisaient de leurs actions une profession, d'autres cultivaient l'amateurisme.

Puis l'engouement est passé. On a oublié le rôle majeur d'impulsion que l'Etat doit donner à la politique d'intégration des Français issus de l'immigration. Le plus triste, c'est que, devenir Français, la plupart des habitants des quartiers ne le souhaitaient même plus !

L'Etat s'est largement défaussé de ce qui devrait être le cœur de sa mission régalienne, garantir l'égalité des chances, sur le monde associatif et sur certains maires dynamiques, qui ont parfois soulevé des montagnes.

Aujourd'hui, je suis heureuse que le Gouvernement ait décidé - que vous ayez décidé, monsieur le ministre - de redonner un nouvel élan à cette politique. Mais nous devons changer radicalement d'optique. Il est nécessaire désormais d'individualiser nos réponses.

M. Hervé Mariton. Très bien !

Mme Valérie Pecresse. Devenons des chercheurs d'or, des découvreurs de talents. Chaque enfant a une valeur, un don, un savoir-faire que nous devons l'amener à développer.

Acceptons d'aller à la recherche, dès l'école primaire, des meilleurs élèves de ZEP. Offrons-leur la possibilité d'échapper à la fatalité de la sectorisation dans un collège de ces zones. Permettons-leur de rejoindre le meilleur collège de la région. Ouvrons des internats pour les accueillir et créons des bourses suffisantes pour les faire vivre. Offrons-leur la meilleure qualité d'enseignement de l'école de la République, avec les enfants privilégiés. Ainsi nous formerons une élite scolaire issue des quartiers, issue de l'immigration la plus défavorisée, une élite reconnue et valorisée. Et quand ces adolescents rendront visite à leur famille, ils seront montrés en exemple aux plus jeunes.

On m'objectera qu'une telle politique aura pour effet de vider les collèges de ZEP de leurs meilleurs éléments et d'en faire baisser le niveau. A cela je répondrai, d'abord, que ce n'est pas le départ de trois ou quatre élèves qui change radicalement les résultats d'un collège ; ensuite, qu'un partenariat pourrait être lancé entre les lycées les plus prestigieux et les collèges défavorisés - du soutien scolaire pourrait être mis en place ; enfin, qu'à l'issue du collège, une dérogation similaire pourrait être offerte aux élèves les plus méritants pour entrer dans le lycée de leur choix. Cela motiverait les élèves et leur donnerait une vraie incitation à réussir.

On m'objectera, à l'inverse, que ce privilège de dérogation à la carte scolaire ouvert aux écoles et aux collèges de ZEP serait injuste car discriminatoire vis-à-vis des autres élèves étudiant dans des écoles et des collèges « normaux ». Certes, mais les parents des classes moyennes ont toujours la possibilité de mettre leurs enfants dans le secteur privé, s'ils ne sont pas satisfaits du niveau de l'établissement où ils sont scolarisés. Et si la conséquence d'une telle politique était que les parents des classes moyennes se mettaient à inscrire leurs enfants dans des écoles de ZEP, tant mieux ! Une plus grande mixité sociale ne leur ferait pas de mal !

Ma proposition sera sans doute jugée utopique et élitiste. Mais c'est un élitisme républicain que je défends, inspiré du fonctionnement de l'école de la IIIè République.

Et puis, cessons d'être hypocrites : si Zinedine Zidane joue en équipe de France, ce n'est pas parce qu'il est issu de l'immigration, ni parce qu'il a bénéficié d'une politique de discrimination positive, c'est parce qu'il est le meilleur...

M. Éric Raoult. Eh oui !

Mme Valérie Pecresse.... et qu'il a été repéré, sélectionné et formé pour l'être dès son plus jeune âge ! Pourquoi acceptons-nous pour les sportifs ce que nous refusons aux bons élèves ?

Je crois profondément que nous devons aider les enfants issus de l'immigration à briser le plafond de verre qui les empêche de réussir dans la vie, pas par une politique aveugle et uniforme de quotas, mais en recherchant et en promouvant ceux qui méritent le plus de l'être, par leur talent, par leur travail, dans tous les domaines. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Yves Jego.

M. Yves Jego. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs mois, nombreux sont les événements qui ramènent le sujet qui nous rassemble ce matin, sur le devant de l'actualité.

Avons-nous su, dans le passé, saurons-nous demain, relever les défis de l'intégration dans la République des étrangers qui vivent sur notre territoire et de leurs enfants ? Il est vrai que cette question, qui a traversé les différentes interventions de la matinée, prend désormais une dimension toute particulière pour plusieurs raisons.

D'abord, parce que nous vivons dans un monde bouleversé, aux contours incertains et fragiles, un monde en mouvement frappé par un clivage qui n'est plus idéologique mais qui tend à devenir religieux. La dimension politique, que certains souhaitent donner à cette grande religion qu'est l'islam, ne vient-elle pas éclairer d'un jour nouveau et d'une lumière souvent brutale et crue le débat franco-français à propos d'une diversité ethnique et religieuse encore mal acceptée ?

La deuxième raison est à rechercher dans la mémoire de toute une génération de Français qui souffrent, encore et toujours, de nos traumatismes post-coloniaux. La France reste blessée de son passé récent, elle souffre d'un deuil non assumé, en particulier pour ce qui concerne ce que je qualifierai ici de « pathos » algérien.

Il est évident que pour beaucoup de nos concitoyens ce qui fait question n'est pas la capacité de notre République à accueillir et à intégrer, par exemple les Asiatiques qui se sont installées ou s'installent en France, mais bien notre rapport à l'immigration issue du monde arabo-islamique et de nos anciennes colonies !

Enfin, la troisième raison est héritée de notre passé politique récent. Pendant trop longtemps, par peur pour les uns et par calcul pour les autres, nous avons laissé en jachère cette problématique. En abandonnant à l'extrémisme tous les débats touchant à l'immigration et à l'intégration, en laissant dire n'importe quoi à propos, en particulier, de la réalité statistique des choses, nous avons encouragé les peurs et fait, peu à peu, le nid des démagogues. Le fait, pour ne prendre qu'un exemple, que vous releviez ce matin, monsieur le ministre, que le Conseil interministériel pour l'intégration n'ait pas été réuni une seule fois entre 1990 et 2002 est une illustration de cette lâcheté et de ce vide.

Pour toutes ces raisons, je me réjouis du débat qui s'engage ce matin et, surtout, des avancées concrètes et innovantes réalisées en vingt mois par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin sur tous ces sujets.

Par nos actes, nous devons répondre nos seulement aux attentes de nos concitoyens, mais aussi donner du corps aux espoirs suscités par le discours prononcé par Jacques Chirac à Troyes en octobre 2002.

Pour ce faire et afin d'éviter les confusions, il me semble vital de bien distinguer deux approches qui, bien que complémentaires et indissociables, ne sauraient être confondues.

Il s'agit, tout d'abord, des moyens et de l'efficacité qu'il faut donner à notre politique d'accueil et d'intégration des étrangers résidant légalement sur notre territoire.

Avec la mise en route effective du contrat d'accueil et d'intégration, une véritable révolution - vous l'avez montré ce matin - est en marche pour ce qu'il est convenu d'appeler les primo-arrivants. Je plaide ici évidemment pour la poursuite et l'amplification de ce dispositif contractuel mais aussi pour son extension à tous les étrangers demeurant en France.

Il me semble aussi particulièrement important, dans cette même logique, de trouver dès maintenant la méthode pour rendre l'apprentissage de notre langue obligatoire pour toutes celles et ceux qui aspirent à vivre sur notre territoire. Je me réjouis, monsieur le ministre, de l'annonce de la création d'une grande agence nationale de l'accueil et de l'intégration des étrangers. Il était urgent, en effet, de regrouper tous nos moyens d'action par trop disséminés.

J'espère que, à l'image de l'ANPE, par exemple, cette agence publique pourra non seulement assurer une véritable coordination de l'action de l'Etat, des associations et des collectivités, mais aussi mettre en œuvre beaucoup plus efficacement, sur l'ensemble du territoire, les politiques d'intégration, en assurant en outre un suivi statistique et administratif par trop éclaté aujourd'hui.

En somme, il s'agit de donner plus d'efficacité, plus de cohérence et plus de lisibilité aux mesures destinées à garantir les droits des étrangers mais aussi à exiger de chacun d'entre eux le respect de ses devoirs à l'égard de la République.

Si le cœur de ce qu'il est convenu d'appeler l'intégration passe bien par le traitement plus efficace et le suivi des étrangers résidant en France, il est indispensable de distinguer un autre aspect du sujet qui concerne, cette fois-ci, une population beaucoup plus large que celle issue de l'immigration. Nous avons, en effet, l'ambition de rétablir ce que j'appellerai les mécanismes d'équilibre de la République, afin de donner à tous des chances égales.

A mérite égal, quels que soient votre origine, votre apparence ou votre quartier de résidence, vos chances devraient être les mêmes d'accéder au logement, à l'emploi, aux grandes écoles, aux médias ou aux responsabilités politiques !

La simple observation montre que, de ce point de vue, la France régresse depuis des années. Ce que certains ont qualifié de « panne de l'ascenseur social » vient, à l'évidence, aggraver encore la problématique qui nous préoccupe aujourd'hui.

Celui qui cumule les handicaps en raison de son origine sociale, de son quartier de résidence, de la nationalité de ses parents, de son apparence physique et de son patronyme doit-il perdre définitivement tout espoir et considérer que notre société n'est pas faite pour lui ? Peut-on sérieusement lui demander de s'intégrer sans qu'il vive cette exigence comme une discrimination supplémentaire ?

Ne devrait-il pas légitimement bénéficier d'une sorte de « coup de pouce », afin justement de pouvoir surmonter ces handicaps et ne devrait-on pas lui garantir, par des moyens spécifiques qui lui seraient attribués à titre personnel, les mêmes conditions qu'aux autres pour faire valoir ses talents et son mérite ?

Je me garderai bien, ici, d'entrer dans la guerre des appellations d'origine plus ou moins contrôlée, qui me semble aussi stupide que stérile - discrimination positive, mobilisation active, action positive. Au-delà des mots pour le dire, il est urgent d'engager notre pays tout entier dans ce combat fondé sur la prise de conscience de notre retard et la volonté républicaine de permettre à chacun d'obtenir les justes moyens pour exprimer ce qu'il a de meilleur.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Jego.

M. Yves Jego. Parce que s'intégrer, c'est avant tout croire dans les valeurs de la République et comprendre ce qu'elle peut vous apporter, je suis heureux que ce débat nous permette, au-delà de la seule question, certes importante, des étrangers présents sur notre territoire, d'ouvrir de nouveaux horizons pour que, demain, à mérite égal, chaque enfant de la République, sans distinction, ait réellement les mêmes chances de faire valoir ses talents. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Descamps.

M. Jean-Jacques Descamps. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat complète, on l'a dit, celui sur la laïcité et sur le voile qui m'a laissé insatisfait et tout aussi préoccupé qu'avant compte tenu de ce que je constate dans ma propre circonscription.

J'ai déjà eu l'occasion de dire combien cette loi interdisant le voile à l'école était insuffisante. Elle ne s'attaque pas suffisamment au vrai et grave problème de l'intégration de la religion islamique dans le fragile équilibre républicain construit depuis le début du siècle dernier.

Les solutions à ce problème doivent, en effet, s'inscrire dans une intégration la plus complète possible des populations issues de l'immigration, dont les principales sont d'origine maghrébine, donc souvent de religion musulmane, mais qui ont la nationalité française.

A l'inverse de ce qui s'est passé lors des vagues d'immigration précédentes - polonaise, espagnole, portugaise - l'intégration ne peut être l'assimilation, tant les différences culturelles sont fortes.

Il est difficile d'envisager pour elle une sorte de communautarisme, à l'image de celui choisi par les immigrés d'origine asiatique qui vivent, pour d'autres raisons, en communautés fortement protégées, et qu'il sera d'ailleurs difficile de faire évoluer.

Mais ces communautés-là ne doivent pas être rejetées si, comme dans les pays anglo-saxons, elles reconnaissent les valeurs de leur pays d'accueil, qui sont le respect de l'autre, l'acceptation des lois et règlements, la démocratie, le drapeau national.

En revanche − et il ne faut pas avoir peur de le dire −, la question des immigrés d'origine maghrébine et de religion musulmane est plus complexe. Ce serait commettre une erreur que d'encourager le communautarisme. En effet, pour ces populations ghettoïsées dans nos banlieues, l'intégration est difficile. Elles sont souvent socialement défavorisées, rejetées en raison d'un mode de vie parfois incompatible avec le nôtre − qu'on songe à la question de l'égalité entre hommes et femmes −, gangrenées par une délinquance qui pollue la vie de ces quartiers. Elles sont prises dans un cercle vicieux dont elles ont du mal à sortir.

Tout cela fait que, dans tout le pays, dans les cités comme dans les zones rurales relativement épargnées − on trouve les deux dans ma circonscription −, les incompréhensions, les appréhensions, les préjugés rendent l'intégration de plus en plus difficile.

Si l'on ne fait rien, ou si l'on encourage un repli de ces populations sur elles-mêmes, le fossé ne cessera de s'élargir. Extrémistes ou intégristes fondamentalistes auront ainsi le dernier mot, et une guerre civile plus ou moins larvée, plus ou moins violente, se développera localement.

Il est donc urgent d'agir. Nous devons d'abord consentir un intense effort de pédagogie, tant vis-à-vis des populations concernées que de la population française qui connaît souvent mal ces cultures que, volontairement ou aveuglément − peu importe −, nous avons reçues chez nous.

Il est également nécessaire de mettre en place des structures de dialogue. Le Conseil des communautés musulmanes de France a ainsi un rôle essentiel à jouer pour éviter l'extrémisme religieux.

Ensuite, il convient de prendre des mesures positives de soutien à l'intégration par l'école, par l'emploi, par l'accession à la propriété, qui sont les fondements d'une évolution sociale par l'égalité des chances.

Monsieur le ministre, vous avez d'ores et déjà engagé cette action. Mais peut-être est-il nécessaire d'aller plus loin. Ainsi, pourquoi ne pas doter le ministère de la ville d'une compétence plus vaste, comprenant non seulement l'accueil et l'intégration, mais aussi la diversité nationale, la laïcité républicaine ? Et pourquoi ne pas lui donner un nom différent, comme l'a proposé mon collègue Mariton ?

Pourquoi, aussi, ne pas instaurer de véritables parrainages, des jumelages entre quartiers favorisés et défavorisés, entre pays ruraux et cités ?

M. Eric Raoult. Très bonne idée !

M. Jean-Jacques Descamps. Que cela ait été voulu ou non, la France a été, ces cinquante dernières années − c'est ce qui fait son originalité −, une terre d'asile pour de très nombreux immigrés non européens, essentiellement originaires d'Afrique et du Maghreb. Ils sont là, avec leurs enfants, leurs familles, leur culture, leur religion. Certains ont combattu pour nous. Nous leur devons l'intégration, pourvu qu'ils respectent nos lois, notre drapeau, notre « Marseillaise », pourvu qu'ils respectent nos valeurs, mais pourvu, aussi, que nous les aidions, dans le respect de leurs origines, à s'adapter à notre mode de vie et à résister aux virus intégristes que nos ennemis de l'extérieur voudraient leur inoculer.

C'est notre responsabilité, politique et morale, c'est notre honneur de combattre avec eux l'exclusion dont ils sont encore trop nombreux à se plaindre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Michel Roumegoux.

M. Michel Roumegoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous serons nombreux, je l'espère, à voter cet après-midi le projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, les collèges et les lycées. Il réaffirme un fondement essentiel de notre Constitution, la liberté de conscience, l'égalité des options spirituelles et religieuses, et la neutralité du pouvoir politique. Mais, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, une question fondamentale demeurera : comment former un ensemble de citoyens capables de vivre collectivement dans la seule communauté qui vaille − pour nous, en tout cas −, celle de la République, en dépit des particularismes − ou grâce à eux −, qu'ils soient ethniques, religieux ou sociaux ?

Les lois régissent les comportements sociaux, mais n'obligent pas les mentalités à évoluer. Il y a des Républiques où il est compréhensible qu'on autorise les signes religieux visibles, celles où le religieux détermine le politique. Nous avons choisi que la nôtre soit laïque, et nous ne voulons pas y renoncer, pas plus qu'à notre histoire ou à notre culture, à ce qui reste quand on a tout oublié de notre passé judéo-chrétien.

Nous sommes prêts et décidés à nous enrichir d'autres cultures, mais ceux qui choisissent de vivre dans notre pays doivent adhérer à notre modèle national, s'adapter et ne pas prétendre nous imposer, ostensiblement ou sournoisement, leur mode de vie.

Pour éviter de regrettables réactions de rejet, la représentation nationale doit fixer des limites à notre tolérance, qui ne peut tolérer l'intolérance, et restaurer l'autorité de l'Etat, un Etat fort, clair et juste.

Depuis vingt ans, les politiques d'intégration ont toutes échoué. Les règles étaient-elles assez claires ? Les appliquait-on avec rigueur, justice ou laxisme ? Ces règles, il nous faut les affirmer avec force, afin que ne subsiste aucune ambiguïté, afin qu'il n'y ait pas de principes religieux au-dessus des lois de notre République.

Disons-le clairement : oui à un islam privé ; non à un islam politique. Dans ces conditions, nous sommes prêts à faciliter l'intégration dans le respect de nos différences. C'est à nous qu'il appartient de réaffirmer, chaque jour, les valeurs de la République : l'égalité par la promotion sociale − le fameux « ascenseur social » −, la liberté par l'acceptation de la diversité, la fraternité entre tous les Français, historiques ou nouveaux, qui veulent participer au progrès de notre pays.

Pour les nouveaux arrivants, le contrat d'accueil et d'intégration me semble un excellent dispositif. Il propose une formation obligatoire à la langue, une formation professionnelle, un suivi social spécifique, une formation civique. La difficulté majeure reste linguistique, mais ce qui est déterminant, c'est de connaître les raisons qui ont poussé à l'immigration, c'est la volonté de s'intégrer, plutôt que celle de profiter. C'est ainsi que se pose, en effet, la question de l'immigration sélective.

Pour les enfants de l'immigration, français à part entière, il faut, chaque jour, lutter contre les discriminations, encourager la promotion sociale par la formation ouvrant sur l'emploi, faire admettre que la compétence vaut mieux que la discrimination positive, la valorisation mieux que la victimisation, le mérite plus que l'appartenance, disperser les logements sociaux dans la cité, pour casser les ghettos et favoriser la mixité sociale. Je suis à l'origine d'une expérience de jardins ouvriers où se mêlent toutes les catégories sociales et qui est un succès, malgré les inévitables conflits, dont vient toujours à bout une franche discussion.

Il faut se battre quotidiennement pour préserver l'égalité des chances : il faut se mobiliser pour éviter la discrimination, fût-elle positive.

Certes, il ne suffit pas d'affirmer ces principes pour parvenir à les appliquer ou à les faire vivre pleinement. Il n'en faut pas moins se fixer un objectif fort.

La France traverse aujourd'hui une crise de confiance : c'est cette confiance qu'il faut restaurer en priorité. Les nouveaux Français, et surtout les enfants de l'immigration, doivent être sûrs que les Français historiques sont heureux de les accueillir. A chacun de faire, jour après jour, les efforts nécessaires d'attention et de respect d'autrui. Les inévitables conflits se résolvent mieux entre individus ; entre groupes, ils s'exacerbent. Prenons en considération les hommes, les femmes, les individus, plutôt que les groupes. Les règles doivent être affirmées et acceptées par tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Eric Raoult, dernier orateur inscrit.

M. Eric Raoult. Monsieur le ministre, vous connaissez de nombreuses villes, mais êtes-vous jamais allé au Clos Saint-Lazare à Stains ? C'est, depuis 1981, un quartier sensible. Je m'y suis rendu hier soir, dans le cadre de la campagne pour les élections du 21 mars. J'y ai vu le contraire de l'intégration. Quand on arrive à Stains et qu'on demande le Clos Saint-Lazare, on s'entend répondre : « Où voulez-vous aller ? Chez les Marocains, chez les Algériens ou chez les Antillais ? » Avec plusieurs de mes amis et collègues, j'ai passé une après-midi dans ce quartier. Nous y avons vu une France que nous refusons. Nous sommes entrés dans une salle de sport aménagée sous une école maternelle et primaire. On nous y a accueillis par ces mots : « Ici, c'est le peuple noir qui fait du sport. » Un peu plus loin, nous avons vu des jeunes qui dévisageaient leurs camarades sur l'autre trottoir, parce qu'ils n'avaient pas la même couleur de peau. Lorsque nous leur avons demandé ce qu'ils faisaient, ils nous ont répondu : « Ici, c'est notre quartier, tu n'y as pas ta place. » Un peu plus loin encore, nous avons rencontré des commerçants, et nous avons pensé au drame de la boulangère de Stains, qui s'est déroulé il y a quelques années. Il semble qu'on ait déposé, sur la ville de Stains, un couvercle pour empêcher l'intégration.

Au-delà de cette expérience, au-delà de ce que vous-même avez pu comprendre, monsieur le ministre, lorsque vous êtes venu inaugurer la poste de La Courneuve, il y a quelques années, après un reportage qui témoignait de l'ampleur de la pauvreté en ces lieux, je crois que le groupe UMP a pris une heureuse initiative en organisant ce débat sur les perspectives de l'intégration et de l'égalité des chances. En effet, si nous ne voulons pas que, demain, notre pays tout entier ressemble à Stains, il est temps d'agir.

Après avoir débattu du projet de loi relatif au principe de laïcité à l'école, nous pouvons dire que jamais le thème de la République et du pacte républicain n'aura été aussi important, servant de boussole à nos débats.

Ainsi, dans le temps qui m'est imparti ce matin, à la lumière de ce qui se passe dans le département de Seine-Saint-Denis et de l'expérience du responsable de l'intégration et de la ville que j'ai été sous la direction de Jean-Claude Gaudin et l'autorité d'Alain Juppé, j'aimerais aborder trois questions.

Je souhaite d'abord rappeler que l'intégration est en panne : ce n'est pas nouveau, tout le monde l'a dit, on en a beaucoup parlé, mais on a peu agi, y compris sur des bancs qui, aujourd'hui, manifestent leur intérêt pour ce thème. Toutefois, je tiens à dire que, pour remédier à cette situation, des solutions existent. Enfin, je conclurai en montrant que, si le Gouvernement a déjà tracé, avec vous, monsieur le ministre, des perspectives ambitieuses pour l'intégration et l'égalité des chances, il doit continuer dans cette voie.

Dire que l'intégration est en panne n'est pas une facilité, mais une réalité. Dans de nombreux quartiers, dans de nombreuses banlieues, la situation est contrastée, et les élus de ces secteurs peuvent en témoigner, quelle que soit leur appartenance politique.

Aujourd'hui, ne l'oublions pas, l'intégration passe par une politique volontariste, dont le référent ne peut-être que la République. Telle est la simple réponse que l'on peut apporter à cette question : la République est-elle toujours capable de jouer son rôle d'intégration sociale, politique et économique ? Peut-elle assurer à tous les conditions d'un « bien vivre ensemble » ? Hélas, pour de nombreux jeunes, dans le département de Seine-Saint-Denis, le mot « République » désigne plus souvent une station de métro parisienne qu'un idéal à partager.

Parce que, chaque jour, tous, nous sommes confrontés à ces questions, nous devons pouvoir y répondre. Nombreux sont en effet nos collègues qui peuvent en témoigner : après avoir tenu une permanence à Clichy-sous-Bois ou à Montfermeil, on a bien souvent besoin d'une bonne séance de cinéma pour se changer les idées. On doit faire face à un sentiment d'exclusion grandissant, à des taux de chômage qui dépassent la moyenne nationale et qui, en premier lieu, frappent les jeunes, à une fracture urbaine extrêmement forte, accentuée, dans le cas de l'Ile-de-France, entre l'Ouest favorisé et l'Est exclu, à la montée du communautarisme et d'un repli sur soi de type identitaire, qui engendre désespoir et alimente les extrémismes politiques et religieux, à des discriminations à l'embauche et au logement qui empêchent de nombreux jeunes de vivre comme tout Français.

Je me souviens d'un chef de l'Etat interloqué par les propos d'un prêtre de la banlieue lyonnaise qui lui apprenait que l'on ne peut entrer dans les discothèques si l'on a les cheveux frisés.

Vouloir en finir avec ces réalités, c'est rappeler notre attachement aux principes républicains de liberté, d'égalité, de fraternité et de laïcité, quatrième pilier aujourd'hui de nos institutions.

Dans ma circonscription, vous le savez, monsieur le ministre, pour connaître un peu le département de la Seine-Saint-Denis, certaines villes préféreraient que la presse parle d'elles non pas à cause d'émeutes mais en raison plutôt de leurs expériences partagées et réussies.

A Montfermeil et à Clichy-Sous-Bois, on vit au quotidien des problèmes souvent dus à l'incapacité des pouvoirs publics passés mais aussi - reconnaissons-le sans vouloir polémiquer avec nos collègues, qui d'ailleurs ne sont même pas restés sur ces bancs ! - des municipalités communistes qui, depuis trente ans, ont bien souvent tardé à comprendre ce qui se passait. L'urbanisme massifiant conduisait à la réussite de la fête de L'Humanité. Aujourd'hui, c'est la tranquillité qu'il n'apporte pas totalement.

Mais si l'intégration est en panne, c'est aussi parce que certains - même s'ils sont de moins en moins nombreux - se sont évertués sur les bancs de cet hémicycle à compliquer le débat.

Réussir l'intégration, c'est d'abord lever une ambiguïté. Ce que les jeunes d'origine étrangère attendent de nous, ce n'est pas le droit de vote, qu'ils ont souvent acquis, mais le respect et l'assurance de vivre dans une société libre et harmonieuse, où la dignité sociale leur est reconnue.

Ils n'attendent pas une reconnaissance juridique mais une véritable reconnaissance humaine grâce à un travail, à un logement, à une école pour leurs enfants et à l'espoir de pouvoir quitter un jour leur cité pour vivre dans un pavillon de la rue d'en face.

Intégrer par le respect, la dignité et la responsabilité, tels sont les trois axes de la politique du Gouvernement que vous avez proposée, monsieur le ministre. Car l'intégration, ce sont des gestes, mais surtout des directions. Certaines sont déjà établies, d'autres sont encore à décider ou à prendre.

Il y a, en premier lieu, l'intégration sociale. Il s'agit de redonner à nos banlieues les couleurs du « bien vivre ensemble », ce qui passe par une rénovation de l'habitat en sortant de l'image des cités-ghettos qui colle à la peau des banlieues. Comme l'a dit un jour avec raison Malik Boutih, ce ne sont pas les HLM qui souffrent, ce sont les gens qui sont à l'intérieur. Jean-Louis Borloo, ministre délégué à la ville et à la rénovation urbaine, s'y emploie. Son grand programme de rénovation urbaine en est le symbole.

Il convient par ailleurs de renouer les liens de la solidarité, entre les différentes communautés, mais aussi entre les générations. Bien souvent, dans le même quartier, dans le même immeuble, on ne se connaît pas.

Encourageons les acteurs associatifs à jouer leur rôle primordial de relais de l'action des élus et des pouvoirs publics. Surtout, redonnons un sens à l'école car réussir l'intégration, c'est aussi gagner la bataille de l'égalité des chances. Dans le département de la Seine-Saint-Denis, combien de plans de rattrapage, d'actions volontaires ? Et pourtant, l'échec scolaire, l'illettrisme, la violence, le faible nombre d'élèves qualifiés sont des problèmes qui restent au centre du dossier scolaire. Le grand débat sur l'école a permis d'établir ce diagnostic scolaire, d'écouter les acteurs du monde éducatif et de proposer des solutions concrètes.

Mais réussir l'intégration, c'est, je le répète, réussir l'école en permettant une vraie égalité des chances. Un enfant de sixième, dans un collège de Clichy-sous-Bois, n'a pas les mêmes chances au départ que celui d'un collège du 6e ou du 7e arrondissement de Paris.

Donner plus à ceux qui ont moins, telle est la logique qu'il nous faut retenir. Voilà une action positive à la française, pour reprendre une terminologie à la mode. Peut-être même faudrait-il ajouter un qualificatif : donner plus mais également donner mieux.

En second lieu, il y a l'intégration économique.

Vous vous souvenez peut-être, monsieur le ministre, de l'inauguration de la poste dans la cité des 4 000 à La Courneuve, où nous avions reçu des œufs.

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Tout à fait !

M. Éric Raoult. L'adjoint au maire, communiste, était pourtant venu vous serrer la main pour vous remercier - chacun ses méthodes ! Toujours est-il qu'une zone franche existe dans cette cité des 4 000. Or, je le sais pour m'y être encore rendu voilà quinze jours, le maire n'a informé strictement personne de l'existence de ce dispositif.

Aussi, je vous adresse une supplique. Faites en sorte que les décisions prises ici soient respectées par les collectivités locales !

J'avais, sous l'impulsion du Premier ministre Alain Juppé, et du Président de la République, cherché, avec Jean-Claude Gaudin, à redonner vie à de nombreux quartiers dits défavorisés. Cette action s'était concrétisée par le pacte de relance pour la ville afin de rétablir le lien social en faisant le pari de la relance du tissu économique local. Le dispositif des zones franches urbaines a ainsi permis en cinq ans, sur la période 1996-2001, de créer près de 50 000 emplois, alors que nous n'en espérions pas plus de 10 000.

Ce dispositif partait d'un postulat simple : un jeune de banlieue peut lui aussi créer son entreprise, avoir des responsabilités et redonner un espoir de vie à ses voisins de la cité en participant concrètement à la lutte contre le fléau qu'est le chômage.

Ce désir de créer en banlieue, nous l'observons tous les jours lorsque des jeunes, parfois même sans aucun diplôme en poche, viennent, dans les missions locales, nous demander de les aider pour porter leur projet. Jean-Louis Borloo l'a bien observé lui qui, à l'instar de son prédécesseur, a repris ce dispositif pour l'améliorer, le proroger et l'étendre à de nouveaux quartiers. C'est la seule solution. Tout le monde en convient en tout cas, elle constitue une véritable avancée.

Enfin, il y a l'intégration politique et culturelle, seule à même d'assurer l'intégration pleine et entière de tous.

Monsieur le ministre, le projet de contrat d'intégration, proposé très tôt par le Président de la République, et que vous avez forgé, répond à cet objectif en rappelant que vivre en France donne des droits mais impose aussi des devoirs liés au respect de valeurs partagées et à l'appartenance à une culture, à un héritage, à une communauté de destin et à la pratique d'une langue. Cette intégration politique et culturelle passe par l'apprentissage et par le partage des principes qui organisent notre vie en société.

Le mot « intégration » a longtemps été un slogan sur ces bancs. Depuis deux ans, vous lui donnez une réalité.

Le Gouvernement mène une nouvelle politique d'intégration, que l'on ne peut encore juger mais que l'on peut du moins vouloir dynamiser. Elle comprend, outre ce contrat d'intégration, deux mesures concrètes. D'une part, la création d'une Haute autorité indépendante de lutte contre les discriminations, longtemps refusée sur certains de ces bancs et par Mme Aubry, lorsqu'elle était ministre. D'autre part, la relance de l'activité du Haut conseil à l'intégration, laissée en sommeil par vos prédécesseurs mais aujourd'hui réveillée par votre action et remarquablement animée par Mme Kriegel. Toutes ces mesures participent à cette nouvelle politique de l'intégration.

Monsieur le ministre, il y a de nombreuses années, d'autres sont venus d'autres pays avec une très belle expression yiddish en tête : « Heureux comme Dieu en France ». Sur le chemin d'Israël, Polonais, Tchécoslovaques, Russes, s'étaient forgé cette idée du pays qui les accueillait.

Avant de voter le texte sur la laïcité cet après-midi, je souhaite, comme mes collègues de l'UMP, que l'on puisse continuer à être heureux comme Dieu en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je remercie chacun des intervenants pour la richesse et la profondeur de ce débat. Il en ressort une assez grande identité de vue sur l'essentiel.

La France est un pays ouvert. C'est sa vocation, mais aussi son intérêt. La politique d'intégration doit être refondée sur des critères positifs et non sur un différentialisme qui serait l'antichambre du communautarisme et que, du reste, personne n'a défendu ce matin.

L'école est bien le premier lieu d'intégration, ce qui justifie tous les efforts entrepris pour renforcer l'autorité des enseignants, pour assurer le respect du principe de laïcité et pour améliorer la formation civique. A cet égard, je suis heureux que l'Assemblée nationale s'apprête à voter de manière quasi consensuelle en faveur de la laïcité. Il fallait un acte collectif, un acte qui souligne notre volonté de vivre ensemble, bref, un acte symbolique qui trace la frontière entre sphère privée et sphère publique.

La politique de la ville doit être renforcée. Il faut reconstruire les cités, mais je répondrai à Julien Dray que si les politiques menées dans ce domaine ont eu jusqu'à présent un effet limité, c'est sans doute parce qu'elles ont été décidées d'en haut, sans participation suffisante des collectivités. Le Gouvernement souhaite allier le déterminisme et la décentralisation.

Quant à la lutte contre les discriminations au travail, elle doit être sans complaisance. Il est inacceptable de voir que le principe d'égalité est ouvertement bafoué. La création d'une autorité indépendante de lutte contre les discriminations est une étape essentielle.

Mais le retour d'une croissance durable et donc d'une politique économique et de l'emploi débarrassée des expédients, pour ne pas dire du dopage, des emplois publics précaires et de la réduction du temps de travail, est un objectif essentiel. Toutefois, le paramètre économique n'est pas l'alpha et l'oméga de la politique de l'intégration. Les trois années de croissance exceptionnelle que nous avons connues n'ont, en effet, pas permis de relancer l'intégration, bien au contraire.

La question de l'intégration de la religion musulmane dans la société française est primordiale. Mais elle dépend plus de ses fidèles que de nos décisions, même si nous avons un rôle à jouer pour la sortir du ghetto ou de la marginalité.

A ce sujet, un point n'a pas été évoqué ce matin, celui des influences extérieures sur la radicalisation d'une partie des musulmans de France. Le monde multipolaire que défend avec beaucoup de courage et de détermination le Président de la République, est une réponse à long terme aux convulsions qui affectent le monde et qui sont pour une large part la cause de ce raidissement.

La refondation de notre politique d'intégration doit être conduite avec détermination.

La première étape devait être l'accueil des primo-arrivants. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes concentrés sur la réorganisation du service d'accueil et sur le contrat d'intégration.

La deuxième étape, que je rappelle à M. Valls, c'est la mise en place de la Haute autorité de lutte contre les discriminations, c'est la deuxième chance pour les jeunes sortis sans qualification du système scolaire, c'est la généralisation du parrainage, c'est un accès plus facile à la fonction publique, c'est un accès plus facile à la nationalité française, meilleure réponse que le droit de vote aux élections locales.

La gauche a parlé ce matin de pacte pour l'intégration. Nous avons engagé l'action.

Au-delà des réflexes partisans et du poids du passé, c'est-à-dire des responsabilités de chacun, s'est exprimée ce matin une volonté commune de mobiliser notre pays en faveur d'une politique d'intégration. L'avenir d'un pacte républicain qui se confond, depuis deux siècles, avec l'identité même de la France, en dépend.

C'est donc bien, ce matin, comme cet après-midi, de notre identité qu'il est question. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé le débat sur les perspectives de l'intégration et de l'égalité des chances.

2

ORDRE DU JOUR DE L'ASSEMBLÉE

M. le président. L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au vendredi 13 février, puis du mardi 24 février au vendredi 5 mars inclus a été fixé ce matin en conférence des présidents.

Cet ordre du jour sera annexé au compte rendu.

3

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi, n° 1378, relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics ;

Discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, n° 1286, portant création des communautés aéroportuaires :

M. François-Michel Gonnot, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire (rapport n° 1380) ;

Discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, n° 1055, relatif aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle :

M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire (rapport n° 1413) ;

M. Emmanuel Hamelin, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (avis n° 1413).

A vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures quarante-cinq.)

      Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

      jean pinchot