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Troisième séance du mardi 10 février 2004

157e séance de la session ordinaire 2003-2004



PRÉSIDENCE DE M. ERIC RAOULT,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES ET SERVICES DE COMMUNICATION AUDIOVISUELLE

Discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle (n°s 1055, 1413).

La parole est à Mme la ministre déléguée à l'industrie.

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, l'examen par votre assemblée du projet de loi sur les communications électroniques et les services de communication audiovisuelle marque une étape importante de la « révolution numérique » dans notre pays.

Cette révolution technologique comporte essentiellement trois volets : le développement de l'Internet et des services en ligne ; la mutation du monde des télécommunications ; l'image numérique qui va moderniser la distribution de la télévision.

C'est pourquoi, après la récente adoption par votre assemblée de la loi pour la confiance dans l'économie numérique - qui sécurise les activités commerciales sur Internet et qui sera notre « loi fondamentale » de l'Internet - le Gouvernement vous soumet aujourd'hui ce nouveau projet de loi de grande ampleur : il refonde le droit des télécommunications et il tire toutes les conséquences et tous les enseignements des premières années d'ouverture à la concurrence de ce secteur.

D'autre part, ce texte marque de nouvelles avancées dans le monde de l'audiovisuel : télévisions numériques, télévisions locales, convergence télévision-télécommunication sont au cœur des dispositions qui vous sont proposées.

Ce projet de loi prend ainsi place au sein d'une vaste réforme de la réglementation, engagée au niveau européen - il permettra, en effet, de transposer en droit national pas moins de six directives et une décision adoptées au cours de l'année 2002.

Enfin, ce projet de loi réorganise la régulation des secteurs des télécommunications et de l'audiovisuel. J'aurai l'occasion d'y revenir en détail.

Mais avant d'entrer dans les dispositions du texte, je voudrais rappeler ici, avec force, l'importance des nouvelles technologies de l'information et de la communication pour l'économie de notre pays.

Quel impact sur l'économie ? Je l'ai dit, la révolution numérique est un fait. Elle accélère les échanges, augmente la vitesse de circulation de l'information, abolit les distances ; ce faisant, elle améliore la productivité, avive la concurrence, renforce l'avantage comparatif des nations les plus réactives. Cette révolution des moyens de communication est une source de croissance, par les besoins d'équipements qu'elle crée, par les nouveaux services qu'elle suscite, par le développement des activités commerciales et culturelles qu'elle favorise.

Enfin, en donnant un accès plus facile et plus rapide à l'information, à la culture, au divertissement, elle est un facteur essentiel de liberté et d'égalité.

Bref, elle est à la fois un « outil » pour les activités existantes et un nouveau secteur à part entière de l'économie, massivement créateur d'emplois. Pour l'heure, ce secteur industriel représente 7% de notre PIB, ses marges de progression sont importantes, et à l'avenir, la croissance sera largement fonction de sa capacité à maintenir un rythme soutenu d'innovations et à en favoriser l'usage effectif.

Autant d'avantages, autant de défis, mesdames et messieurs les députés !

Car nous devons adapter notre pays à ces nouvelles technologies. Nous devons en particulier réduire ce que nous appelons « la fracture numérique »,...

M. Daniel Paul. On en est loin !

Mme la ministre déléguée à l'industrie. ...qui laisse encore hors de cette « révolution » un très grand nombre de nos concitoyens. Je m'attèle à cette tâche depuis mon arrivée au Gouvernement.

Depuis plus d'un an, le Gouvernement a pris des mesures énergiques pour faciliter le développement des nouvelles technologies de l'information.

J'ai d'abord suscité plusieurs baisses des tarifs de gros de l'ADSL. Ce mouvement a permis deux baisses successives du prix des abonnements à l'Internet haut débit, dont nous avons déjà pu mesurer les effets en 2003 : le nombre d'abonnés a véritablement « explosé », pour atteindre aujourd'hui plus de 3,5 millions d'abonnés, soit une augmentation de 150 % en un an ! Je me réjouis de cette évolution, qui permet une démocratisation réelle des technologies de pointe et une réduction progressive de la fracture numérique.

De surcroît, la croissance du nombre des abonnés a créé un cercle vertueux pour l'ensemble des acteurs de l'économie numérique. Le taux d'équipement des ménages en micro-informatique a augmenté de 20 % en un an. Quant au commerce électronique, les transactions ont fait un bond de 60 % ! Assurément, un tel développement ne peut se faire sans sécurité.

Il convenait donc, pour donner confiance aux consommateurs, de leur fournir des garanties de transparence, d'information et de sécurité concernant leurs transactions électroniques. C'est chose faite, grâce au projet de loi sur la confiance dans l'économie numérique. En rassurant les utilisateurs d'Internet, elle pose les bases d'un développement régulier du commerce électronique.

Dans ce cadre, il importe également de veiller à ce que les services proposés ne découragent pas les consommateurs. A ce propos, je m'étais engagée devant vous, lors du débat sur le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique, à trouver une solution à la facturation des cartes prépayées de téléphone portable. En effet, la facturation en vigueur peut conduire dans certains cas à consommer le crédit de la carte en quelques appels très brefs. Je peux vous annoncer que les opérateurs que j'ai consultés ont accepté, à ma demande, de revoir cette facturation. Ils proposeront, dans les prochains mois, une offre de tarification à la seconde, dès la première seconde, pour les utilisateurs de cartes prépayées. Cette avancée, je le souligne, concerne 16 millions de personnes.


Mais il convient aussi, pour favoriser le développement de cette nouvelle industrie immatérielle de fixer les cadres d'une libéralisation progressive et déterminée du secteur des communications électroniques.

Les bénéfices que nous attendons d'une telle libéralisation sont considérables : multiplication de l'offre de services auprès du consommateur, coup de fouet à l'innovation technologique et baisse des tarifs. Tout cela, mesdames et messieurs les députés, n'a rien de théorique ! Les consommateurs le savent bien car ils en ont déjà fait l'expérience lors de la libéralisation du secteur de la téléphonie. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Tous ont pu constater la plus grande richesse de l'offre de services et la baisse des prix du téléphone. C'est une même logique qui anime et justifie la mise en concurrence des opérateurs de communications électroniques et de l'audiovisuel. Laissez-moi vous dire comment les dispositions essentielles de cette loi entraîneront les mêmes résultats.

Elles se ramènent à trois points essentiels :

Tout d'abord, tirer les conséquences juridiques du rapprochement technique entre les télécommunications et l'audiovisuel ;

Ensuite, permettre une entrée plus facile sur le marché, la liberté d'accès au marché étant la définition même d'une situation de concurrence ;

Enfin, clarifier le rôle des autorités de régulation - ART et CSA - et rapprocher progressivement les règles du marché des communications électroniques du droit général de la concurrence.

Le premier point, c'est la convergence entre télécommunications et audiovisuel. Le caractère polyvalent des nouvelles technologies, du fait de la numérisation totale des contenus, fait qu'un même réseau peut véhiculer aussi bien de la télévision, de la radio que des communications téléphoniques ou électroniques. Il est donc décidé d'harmoniser la réglementation pour tous les réseaux, regroupés sous l'appellation « réseaux de communications électroniques ». Les anciennes distinctions sont devenues caduques du fait de la convergence des technologies.

Ce projet de loi se doit donc d'organiser la convergence entre les télécommunications et l'audiovisuel. Les nouvelles dispositions s'appliqueront en particulier aux réseaux câblés qui ont été construits il y a environ vingt ans pour diffuser des chaînes de télévision. Bien que ces mêmes entreprises puissent aujourd'hui offrir bien plus de services - Internet haut débit, téléphone -, elles sont toujours enfermées dans un carcan juridique qui les a menées dans des situations financières difficiles. Je propose donc dans ce texte de supprimer toutes ces contraintes pour que les entreprises du câble puissent enfin se développer.

Le second point, c'est l'instauration d'un régime de liberté sur le marché.

A cette fin, le projet de loi prévoit la suppression de la procédure d'autorisation individuelle, au profit d'une simple déclaration auprès de l'Autorité de régulation des télécommunications. Cela signifie que, pour établir un réseau ouvert au public, fournir un service téléphonique, établir un réseau câblé, il suffira de se déclarer sans attendre une autorisation administrative. Par ailleurs, le Gouvernement confiera à l'autorité de régulation la responsabilité - qui jusqu'ici relevait du ministre - de contrôler les tarifs de France Télécom. L'opérateur historique trouvera ainsi une plus grande liberté dans la fixation de ses tarifs, pour le téléphone, mais aussi pour les services plus sophistiqués comme l'Internet.

En supprimant ces deux démarches administratives très lourdes, le Gouvernement souhaite dynamiser l'offre de services.

A cette situation nouvelle doit évidemment correspondre une réglementation adaptée, qui garantisse une concurrence effective sur le marché. Il est donc décidé de rapprocher progressivement les règles du marché des « communications électroniques » du droit général de la concurrence.

A cette régulation de la concurrence doit évidemment s'ajouter une régulation spécifique portant sur les contenus.

La première tâche sera confiée à l'Autorité de régulation des télécommunications, tandis que la seconde sera mise entre les mains du Conseil supérieur de l'audiovisuel.

Pour éviter les situations de position dominante, l'ART - dont les pouvoirs de sanction seront renforcés - devra définir les obligations spécifiques des opérateurs qui exercent une influence significative sur le marché. Elle sera secondée par le Conseil de la concurrence pour définir les marchés en question, « marchés pertinents », repérer les opérateurs dominants et déterminer les conditions d'une concurrence effective. Les opérateurs dominants seront ainsi dans l'obligation de permettre aux opérateurs de moindre influence un accès facile au réseau.

En permettant un libre accès au marché et en évitant les situations de position dominante, cette réglementation favorisera évidemment le foisonnement de l'offre.

Je le répète, l'objectif à terme est bien de substituer à la régulation sectorielle a priori une régulation a posteriori, par le droit de la concurrence dès lors qu'un marché devient pleinement concurrentiel.

Où en est-on aujourd'hui ? Malgré les réels progrès réalisés depuis sept ans, le secteur n'a pas encore atteint des conditions de marché qui justifient la suppression de toute régulation sectorielle a priori. Si la concurrence s'est effectivement développée, elle est encore fragile, en dépit d'investissements importants.

Dans ces conditions, la disparition de la régulation sectorielle n'est pas à l'ordre du jour. Cependant, elle doit être modulée selon la situation des différents marchés : allégée là où la concurrence est bien installée, maintenue avec ses moyens d'intervention là où la concurrence est plus faible.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Très bien !

Mme la ministre déléguée à l'industrie. Dans ce cadre d'ouverture progressive à la concurrence, je rappelle qu'en vertu de la loi promulguée le 31 décembre dernier, des obligations de service public sont évidemment maintenues, en particulier l'universalité d'accès à l'Internet.

A terme, on le comprend aisément, cette concurrence entre les opérateurs, y compris pour le service public, devrait d'abord tirer les prix à la baisse, et ultimement les tarifs facturés aux consommateurs.

Plus largement,  le cadre réglementaire, à la fois simple et sûr, que nous mettons en place donnera confiance aux investisseurs et sera propice au développement de l'activité du secteur.

Enfin, aux termes de la loi, le Conseil supérieur de l'audiovisuel verra son rôle remodelé. Son périmètre de contrôle sera étendu : il portera désormais sur tous les réseaux de communications électroniques, dès lors qu'ils transportent des programmes de radio ou de télévision.

Son rôle sera de veiller au pluralisme démocratique de l'information et à la protection des mineurs, en particulier vis-à-vis de la pornographie. A cette fin, ses pouvoirs d'investigation seront renforcés.

Ainsi, à la plus grande liberté d'entrer sur le marché, répond une plus grande vigilance de l'Etat à l'égard du respect de l'enfance et de la démocratie sur les ondes.

Mesdames et messieurs les députés, tels sont les points essentiels et l'esprit général de ce projet de loi.

Son adoption marquera un pas supplémentaire de notre politique, qui consiste à ouvrir la France à la modernité numérique. Je constate aujourd'hui que cette politique porte ses fruits : les Français s'équipent, les Français s'abonnent, et les services de la nouvelle économie vont prendre leur envol dans les mois à venir, tirés par cette demande croissante.

Ils participeront ainsi à la réalisation de notre dessein commun : installer la « République numérique » au cœur de la France et des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.

M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires économiques, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi qui vous est présenté a pour origine, Nicole Fontaine l'a indiqué, la nécessité de transposer en droit français une série de directives européennes.

Il va cependant bien au-delà de cet objectif en traduisant la volonté du Gouvernement d'accompagner les profondes mutations technologiques et économiques du secteur audiovisuel.

La révolution numérique transforme en effet le paysage audiovisuel et bouleverse son articulation avec le secteur des télécommunications.

La télévision et la radio peuvent désormais utiliser les lignes téléphoniques et l'Internet comme nouveaux modes de diffusion.

Les réseaux câblés et le satellite, jusqu'alors essentiellement dédiés à la diffusion de télévisions et de radios, proposent désormais des services téléphoniques et l'accès à l'Internet haut débit.

La multiplication des chaînes et des réseaux propose de nouveaux défis à la régulation du secteur audiovisuel et à la défense des principes posés par la loi du 30 septembre 1986, qu'il s'agisse du pluralisme, de la protection des mineurs, du respect de la dignité de la personne humaine, ou encore du développement harmonieux d'une industrie de programmes audiovisuels.

C'est à ces enjeux que répond pour partie le texte qui vous est aujourd'hui soumis. Sous les apparences toujours très techniques du droit des médias, ce projet est bâti sur les quatre principes politiques essentiels qui guident dans ce domaine l'action du Gouvernement, principes que j'ai eu l'honneur de développer devant vous lors du débat sans vote organisé dans cet hémicycle le 13 janvier dernier :

Premièrement, la réaffirmation de la liberté de la communication audiovisuelle ;

Deuxièmement, le développement de la diversité de l'offre audiovisuelle faite à nos concitoyens ;

Troisièmement, la neutralité bienveillante des pouvoirs publics à l'égard des choix technologiques ;

Quatrièmement, le renforcement du service public audiovisuel.

Mais avant d'en venir à l'illustration de ces principes, je voudrais insister sur une autre dimension de ce projet, à savoir la concertation qui a entouré sa préparation.

Cette concertation a d'abord été menée avec l'ensemble des secteurs professionnels concernés, et cela dans la plus totale transparence et pendant plus de douze mois. Dès juillet 2002, Nicole Fontaine et moi-même avons procédé à une série de consultations écrites, suivies de multiples consultations bilatérales et réunions de travail. De nombreux documents ont été mis en ligne sur les sites Internet de nos ministères avant l'adoption de ce projet de loi en conseil des ministres, le 31 juillet dernier.

L'encombrement du calendrier parlementaire n'ayant pas permis l'inscription de ce texte plus tôt, le Gouvernement a été amené à réclamer la procédure d'urgence. La date limite de transposition des directives européennes du « paquet télécoms » était en effet fixée au 24 juillet 2003. Cela montre à quel point cette procédure se justifie.

M. Pierre-Christophe Baguet. Il est honnête de le rappeler !

M. le ministre de la culture et de la communication. Mais je ne peux que déplorer le peu de zèle qu'ont mis mes prédécesseurs à traiter ces problèmes.

Ce même retard a par ailleurs conduit votre assemb1ée à anticiper le vote de certaines dispositions dans d'autres textes, notamment dans la loi sur l'organisation du service public des télécommunications et sur France Télécom, promulguée le 31 décembre dernier.

Votre assemblée a également souhaité introduire dans le projet de loi sur la confiance dans l'économie numérique, en deuxième lecture, en janvier dernier, certaines dispositions initialement prévues par le présent projet de loi, et modifier l'articulation entre communication audiovisuelle et communication publique en ligne.

Vous avez notamment souhaité, à l'unanimité, que la loi sur la confiance dans l'économie numérique constitue la loi fondatrice de l'Internet, au même titre que la loi du 30 septembre 1986 pour la communication audiovisuelle.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C'est vrai.

M. le ministre de la culture et de la communication. Le Gouvernement a compris cette demande forte de votre assemblée. La solution législative que vous avez retenue a cependant l'inconvénient, aux yeux du Gouvernement, de fragiliser la position de la France dans son combat en faveur de la diversité culturelle, tant au sein de l'Union européenne qu'au sein des enceintes internationales.


C'est pour tenter de concilier nos points de vue contraires qu'un travail de concertation a été très utilement engagé entre le ministère de la culture et de la communication et la commission des affaires économiques. Monsieur le président de la commission, je me félicite que ce travail se soit révélé fructueux. Une nouvelle architecture du droit de la communication au public a ainsi pu être envisagée pour concilier les attentes de chacun.

D'abord, une catégorie nouvelle, la communication au public, serait instituée et regrouperait désormais la communication publique en ligne et la communication audiovisuelle. Cette définition globale permettra de traiter de façon unifiée certaines questions telles que la responsabilité éditoriale ou le droit de réponse.

Ensuite, la communication audiovisuelle serait limitée à la radio et à la télévision, indépendamment des modes de diffusion utilisés - Mme fontaine l'a rappelé -, y compris donc sur Internet.

Enfin, notre droit créerait une nouvelle catégorie, les « services audiovisuels », regroupant la télévision, la radio et les services de l'Internet, mettant à la disposition du public des œuvres audiovisuelles, notamment la vidéo à la demande et le téléchargement de musique. La France pourrait ainsi continuer de maintenir avec efficacité sa position sur la non-libéralisation des échanges des biens culturels et audiovisuels et protéger, dans les négociations internationales, le principe fondamental de l'exception culturelle.

M. Pierre-Christophe Baguet. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. Je souhaite remercier ici tous ceux qui ont pris part à ce travail exemplaire et constructif.

Vous le savez, par respect de la cohérence du débat parlementaire, de votre travail, il a été convenu que le Gouvernement ne proposera pas d'introduire ces nouvelles dispositions dans le projet de loi que nous examinons aujourd'hui. Il a été jugé préférable que ces modifications soient proposées au Sénat lors de la deuxième lecture de la loi sur l'économie numérique, en souhaitant, naturellement, que celui-ci leur réserve un accueil positif.

Revenons maintenant au « paquet télécoms » proprement dit et au principe de promotion de la liberté de communication audiovisuelle.

Le premier article de la loi du 30 septembre 1986 précise que « la communication audiovisuelle est libre ». Aux yeux du législateur, cette liberté ne doit être aménagée que dans la mesure où le respect d'un certain nombre de valeurs et d'objectifs fondamentaux l'imposerait.

Un de nos objectifs a été d'apporter à la réglementation audiovisuelle, parfois inutilement complexe et contraignante, les assouplissements nécessaires, de façon à favoriser réellement la liberté d'entreprendre et de créer.

Le projet de loi propose ainsi d'alléger substantiellement le cadre juridique qui s'impose aux réseaux câblés. Au régime actuel de double autorisation préalable se substituerait désormais - Mme Fontaine l'a évoqué - une simple déclaration. Les relations contractuelles entre câblo-opérateurs et communes devraient être adaptées à ce nouveau contexte dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi. Ce cadre réglementaire plus souple, qui, je le rappelle, résulte directement des directives que nous devons transposer, devrait contribuer à donner enfin aux opérateurs de réseaux câblés, dont la situation financière a pendant longtemps été fragile, et elle le reste, les moyens de bâtir des projets de développement réellement dynamiques.

La suppression du plafond de 8 millions d'habitants qui limitait le développement des câblo-opérateurs, envisagée par ce projet de loi, a d'ailleurs été anticipée dans la loi du 31 décembre dernier relative aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom. Il en va de même de la suppression du monopole de TDF en matière de diffusion hertzienne des télévisions et radios de service public, qui ouvre aux sociétés de service public la liberté de choisir leur diffuseur et de négocier avec eux les conditions de leurs prestations.

Je vous proposerai également par voie d'amendements du Gouvernement de donner davantage de latitude aux éditeurs de chaînes pour choisir leur mode de distribution sur les différents réseaux de communication électronique. Le régime institué par la loi de 1986 est en effet marqué par les conditions du démarrage du câble en France. Son adaptation aux réalités d'aujourd'hui est indispensable. Il me semble légitime que les éditeurs de télévision puissent, de façon totalement responsable, décider de confier leur diffusion aux opérateurs de leur choix, qu'il s'agisse d'une diffusion par câble, par l'ADSL ou par satellite. Il s'agit là du respect d'une liberté fondamentale pour tout entrepreneur, que seul le droit de la concurrence peut venir encadrer, dans l'intérêt du téléspectateur. La seule limite doit tenir à la préservation du « service antenne » dans les immeubles câblés, afin que, sur l'ensemble du territoire, nos concitoyens puissent accéder dans des conditions normales à une même offre de base gratuite.

Enfin, et j'y reviendrai, le Gouvernement a tenu à alléger les contraintes qui bridaient depuis vingt ans le développement en France des télévisions locales. Notre pays connaît en la matière un retard très important par rapport à de nombreux pays européens. Le projet de loi propose de libérer les initiatives, en assouplissant notamment le dispositif anti-concentration et en autorisant explicitement et, disons-le, dans des conditions claires, les collectivités locales à financer des télévisions locales.

Le principe de liberté a pour corollaire le renforcement des pouvoirs du CSA. Une régulation efficace est souvent plus adaptée qu'une réglementation trop précise qui risque de se trouver rapidement en décalage avec les objectifs recherchés, tant le paysage audiovisuel évolue rapidement.

Le Gouvernement a, en conséquence, souhaité renforcer les moyens dont dispose le CSA pour veiller au pluralisme et au respect de la dignité de la personne humaine.

Le projet de loi propose de doter le CSA d'un pouvoir de règlement des litiges entre les chaînes de télévision et les entreprises qui commercialisent ces chaînes. Ce pouvoir de règlement des litiges s'exercera bien entendu dans le respect des prérogatives des autres autorités de régulation, en particulier de celles du Conseil de la concurrence. Il ne se substituera pas non plus au juge commercial dans la mesure où le CSA examinera les litiges qui lui seront soumis non au regard des intérêts particuliers en jeu, mais au regard de l'intérêt général, notamment de tous les intérêts liés à la préservation du pluralisme.

Mesdames, messieurs les députés, je vous proposerai également, par amendement du Gouvernement et conformément à l'engagement du Premier ministre, de doter le CSA des moyens de contrôler et de sanctionner les chaînes extra-européennes diffusées par des satellites relevant des compétences françaises. Le CSA pourra ainsi disposer des moyens d'obliger l'opérateur satellitaire français à arrêter de diffuser une chaîne dont les programmes heurteraient les principes fondamentaux fixés par la loi française - je pense notamment au respect de la dignité humaine et à la répression des propos racistes ou antisémites. Nous avons tous à l'esprit la série intitulée Diaspora, déversée sur une partie de l'Europe par la chaîne Al-Manar.

Le deuxième principe affirmé par le projet de loi, c'est le développement d'une offre audiovisuelle diversifiée. Cette diversification concerne très largement l'amélioration d'une offre de programmes de proximité.

Cette orientation concerne le service public, puisqu'elle sera intégrée au contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions. Mais le Gouvernement souhaite également que le secteur privé et les acteurs locaux puissent contribuer au développement d'une offre plus large.

J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer les dispositions du projet de loi destinées à encourager le développement des télévisions locales en France. Elles viennent compléter d'autres mesures, d'ordre réglementaire, déjà prises.

L'ouverture à la publicité télévisée des secteurs interdits, entrée en vigueur le 1er janvier dernier, permettra ainsi aux chaînes locales de disposer de nouvelles recettes publicitaires, notamment en provenance de la distribution. Le Gouvernement a cependant veillé à ce que cette ouverture soit progressive et ciblée, notamment sur les chaînes hertziennes nationales, de façon à en limiter l'impact sur les ressources des radios et de la presse écrite régionale et locale. Nous devons tendre sans cesse vers cet équilibre, car il est évident que le développement, la pérennité, la survie, hélas ! parfois, de la presse quotidienne, particulièrement de la presse quotidienne régionale et départementale, doivent être considérés par nous tous et sur tous les bancs de cette assemblée comme une véritable priorité.

M. Michel Françaix. Il faut agir !

M. le ministre de la culture et de la communication. Des allégements fiscaux ont également été décidés. La dernière loi de finances a permis d'exonérer les télévisions locales de la taxe alimentant le fonds de soutien à l'expression radiophonique, et cela sans préjudice pour les radios. Je vous proposerai par amendement d'exonérer également ces chaînes de la taxe sur les messages publicitaires.

M. Rodolphe Thomas. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. Les appels à candidature lancés par le CSA pour l'attribution d'une douzaine de fréquences analogiques locales, combinés avec les mesures incitatives prises par le Gouvernement et les facultés nouvelles apportées par le projet de loi, devraient permettre l'émergence d'une nouvelle génération de télévisons locales.

Ce projet de loi permettra également de donner au paysage radiophonique de nouvelles possibilités de développement.

L'évolution du paysage radiophonique passe par deux voies : le développement d'une offre de radio numérique et la meilleure planification des fréquences analogiques, notamment sur la bande FM aujourd'hui saturée.

La numérisation de la radio est inéluctable, même si celle de la bande FM est encore lointaine. De nombreux projets cependant apparaissent : relance de la radio numérique selon la norme DAB, numérisation des ondes moyennes, numérisation des ondes courtes, radiodiffusion directe par satellite. Certains pays envisagent un développement massif de la radio numérique sur leur territoire, à l'instar de la Chine qui s'organise déjà pour profiter de la dynamique créée par les Jeux Olympiques qu'elle organisera en 2008.

Les consultations menées pour l'élaboration du présent projet de loi ont fait apparaître la forte attente des groupes radiophoniques, qui souhaitent pouvoir enfin disposer d'un cadre pérenne pour le lancement de la radio numérique.

J'ai confié en avril dernier au directeur du développement des médias le soin de conduire un groupe de travail sur cette question. Ce groupe de travail m'a rendu ses conclusions au début de cette année. Il propose un cadre souple qui permet d'accompagner toutes les technologies et qui bénéficie, dans ses grands équilibres, d'un soutien de l'ensemble des opérateurs radiophoniques. Les conditions sont aujourd'hui réunies pour que puisse vous être proposé par voie d'amendements un cadre solide pour l'émergence de la radio numérique.

M. Pierre-Christophe Baguet. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. La consultation menée pour l'élaboration du projet de loi a également conduit certains groupes radiophoniques à revendiquer une meilleure planification de la bande FM de façon à accroître le nombre de fréquences disponibles en mode analogique.

L'arrivée à échéance en 2005, 2006 et 2007 d'un très grand nombre de fréquences pourrait en effet être l'occasion pour le CSA d'optimiser planification de la bande FM dont il a la gestion. C'est pourquoi je vous proposerai, également par amendement, de permettre au CSA de prolonger au maximum de deux ans les autorisations qui arriveront prochainement à échéance, afin de permettre d'envisager la nouvelle planification de façon plus ambitieuse et plus systématique.

J'ai également demandé à mes services de s'associer à l'étude que le Conseil supérieur de l'audiovisuel a décidé de conduire sur la question du réaménagement technique de la bande FM. Le CSA et la direction du développement des médias ont réuni, le 30 janvier dernier, les radios afin de recueillir leur avis sur cette étude. Les participants à la réunion se sont félicités de la concertation ainsi engagée et ont souligné l'intérêt de cette démarche.


Un appel d'offres européen sera prochainement lancé par le CSA pour la réalisation de cette étude, qui nous permettra de nous prononcer de façon objective sur l'hypothèse d'une « fréquence unique » pour les réseaux nationaux. Cette solution est revendiquée par certains opérateurs, mais suscite également la crainte de certaines catégories de radios, notamment les radios associatives et indépendantes,...

M. Michel Françaix. Eh oui ! C'est un assassinat !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...d'où l'utilité de recourir à cette expertise extérieure.

Il me semble donc souhaitable qu'aucune mesure législative interférant avec cette question ne soit envisagée avant que nous ne disposions des résultats de cette étude.

La saturation de la bande FM ne doit pas nous faire perdre de vue que la France est l'un des rares pays à avoir abandonné la bande moyenne. Celle-ci peut offrir de nouvelles perspectives de développement aux radios à court terme. Il ne faut pas négliger cette possibilité qui s'offre à nous.

Le troisième principe fondateur du projet de loi, c'est la neutralité technologique, qui doit être une neutralité bienveillante. Ce principe trouve à s'appliquer en plusieurs endroits du projet de loi, dont il est l'un des fils conducteurs.

En premier lieu, le texte promeut une nouvelle articulation entre les deux autorités de régulation que sont le CSA, d'un côté, et l'ART, de l'autre, tirant ainsi les conséquences des évolutions technologiques que j'ai évoquées en introduction.

Le CSA sera ainsi clairement chargé de la régulation de la télévision et de la radio, quel que soit leur mode de diffusion. La télévision sur Internet ou sur ADSL reste ainsi clairement dans le champ de compétence du CSA et soumise aux mêmes obligations que sur le câble et le satellite. Un régime allégé a cependant été prévu pour les télévisions et radios dont le budget est très réduit, telles qu'il en existe ou qu'il en existera de plus en plus sur Internet.

L'ART, quant à elle, sera chargée de la régulation de tous les réseaux de communication électronique, dont la convergence est de plus en plus forte. Elle sera chargée notamment de la régulation des réseaux câblés, qui étaient jusqu'ici régis par les dispositions de la loi de 1986.

La régulation des contenus et la régulation des réseaux sont ainsi clairement distinguées, à l'exception de ce qui relève de la diffusion hertzienne. Le Gouvernement a, en effet, clairement souhaité conserver le régime actuel qui confie au CSA le soin d'attribuer les fréquences hertziennes et de fixer les obligations qui découlent de leur usage, notamment en matière de production audiovisuelle et cinématographique. Ce régime spécifique, qui est lié à la rareté des fréquences, est d'ailleurs l'un des piliers de notre politique audiovisuelle. Il convenait naturellement de le préserver.

La neutralité technologique est également, comme je l'ai déjà indiqué, déclinée à travers l'alignement des obligations de reprise qui pèsent sur les différents réseaux de distribution de télévision vis-à-vis des éditeurs de chaînes. Nous aurons l'occasion d'y revenir lors de l'examen d'un amendement sur cette importante question.

Pour ce qui est de la TNT...

M. Michel Françaix. L'enterrement de la TNT !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...que le projet de loi ne concerne pas directement, le Gouvernement propose deux ajustements qui lèvent certaines incertitudes qui pouvaient exister quant au cadre dans lequel cette technologie pourra se déployer.

Comme j'ai déjà eu l'occasion de vous l'indiquer, le Gouvernement est convaincu que la TNT a toute sa place dans notre paysage audiovisuel, aux côtés d'autres modes de diffusion de la télévision dont, bien sûr, la télévision sur ADSL qui est, à mon sens, non pas concurrente mais complémentaire de la TNT. Il convient, en la matière, et je l'ai souvent répété, d'éviter tout dogmatisme technologique.

Le projet du Gouvernement permet enfin de renforcer le service public audiovisuel en proposant d'intégrer Réseau France outre-mer au sein de France Télévisions. Nous en avons déjà longuement parlé lors du débat sans vote organisé dans cet hémicycle le 13 janvier dernier.

L'objectif de cette intégration est de donner de nouvelles perspectives de développement à RFO en l'adossant à un groupe puissant, le groupe de la télévision publique française. Cette intégration renforcera la position de RFO comme média audiovisuel de référence dans l'outre-mer à travers le développement de la production et de la diffusion de programmes de proximité. Elle favorisera également la diffusion des images d'outre-mer en métropole sur les différentes antennes de France Télévisions.

M. Michel Françaix. Sans moyens !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ce projet de filialisation a été engagé par le Gouvernement en janvier dernier, après plusieurs mois de concertation, tant au sein de l'entreprise qu'avec les élus concernés. Un groupe de travail constitué entre RFO et France Télévisions a permis d'identifier les premiers points sur lesquels les synergies, notamment de programmes, pourraient être développées. Il est donc aujourd'hui possible de vous proposer la disposition législative qui viendra, si vous le souhaitez, conclure cette démarche.

En conclusion, mesdames, messieurs les députés, je souhaiterais souligner la qualité du travail réalisé par vos rapporteurs sur l'ensemble des questions soulevées par ce projet de loi, et remercier les commissions concernées pour le travail considérable et extrêmement tonique qu'elles ont accompli. J'espère que vous voudrez bien comprendre les raisons qui ont amené le Gouvernement à proposer par voie d'amendements certains compléments importants à ce projet de loi. Cela nous permet d'envisager d'intégrer à la discussion le résultat des travaux qui se sont poursuivis après l'adoption du projet de loi en conseil des ministres le 31 juillet dernier.

M. François Brottes. C'est de l'improvisation !

M. le ministre de la culture et de la communication. Par l'ampleur des modifications qu'il apporte à la loi du 30 septembre 1986 et la diversité des sujets couverts, ce projet de loi va, vous l'avez compris, bien au-delà de la simple transposition d'un ensemble de directives européennes.

M. Michel Françaix. C'est un fourre-tout !

M. le ministre de la culture et de la communication. Il constitue, à vrai dire, un véritable chapitre positif supplémentaire au travail législatif sur l'audiovisuel.

Il a en tout cas l'ambition, dans les domaines que j'ai évoqués, de favoriser le développement de notre paysage télévisuel et radiophonique, de promouvoir une offre de télévision et de radio encore plus diversifiée et, enfin, de renforcer les missions du service public. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, c'est un grand honneur pour moi que de pouvoir continuer à contribuer en tant que rapporteur, au nom de la commission des affaires économiques, à la bonne fin du travail législatif de transposition du « paquet télécoms » déjà commencé avec la loi sur le statut de France Télécom en décembre dernier.

Le projet de loi que nous allons examiner était pour le moins attendu. Cela fait plus d'une année que la transposition du « paquet télécoms » fait partie des priorités législatives du secteur des télécommunications, et en l'occurrence, même si une échéance était prévue pour cette transposition au 25 juillet 2003, l'attente créée correspondait autant à une volonté collective d'accomplissement d'une obligation juridique européenne qu'à des besoins fortement ressentis sur le terrain.

Les débats qui ont eu lieu en décembre dernier autour de la revente de l'abonnement, puis autour de l'allégement du carcan tarifaire l'ont en effet montré : il devenait nécessaire d'entrer dans une nouvelle phase de régulation, plus souple, mieux ajustée à la réalité de la situation technologique et à l'état de la concurrence.

Rétrospectivement, cela montre toute la pertinence des travaux de rédaction des nouvelles directives commencés loin des feux de l'actualité à la fin des années 90. Le maître mot de ces conciliabules d'alors entre initiés prend tout son sens aujourd'hui : convergence.

A l'époque, les rédacteurs des projets de directives œuvrant à la Commission européenne pouvaient faire valoir que les strates successives de réglementation touchant des aspects différents des télécommunications pouvaient faire l'objet d'une unification simplificatrice. On ne comptait pas moins, à l'époque, de vingt-huit textes de portée communautaire traitant des télécommunications.

Aujourd'hui, la convergence se manifeste au-delà du seul secteur des télécommunications pour déborder sur celui de l'audiovisuel. Et la frontière entre les deux secteurs apparaît effectivement mince maintenant que l'on distribue, depuis décembre 2003, la télévision par ADSL, c'est-à-dire par la ligne téléphonique.

Nous voilà donc conduit, sous la pression des réalités technologiques qui ont rattrapé désormais les anticipations les plus optimistes des juristes, à prendre en compte la convergence dans l'urgence.

Rappelons que, voilà encore quelques semaines, cette urgence nous avait amenés à envisager la transposition du « paquet télécoms » par ordonnance. La voie parlementaire a été finalement préférée, et nous avons reçu mission en contrepartie de faire vite et bien car le Gouvernement a déclaré l'urgence sur le projet de loi.

Le « paquet télécoms » en lui-même est déjà très lourd, et sa transposition par transformation du code des postes et télécommunications, si elle ne porte que sur les vingt-six articles du titre Ier, concerne en fait un nombre démultiplié de dispositions, puisque ces articles comportent jusqu'à quatorze paragraphes et créent parfois jusqu'à six nouveaux articles de code.

Quant au titre II, qui concerne le secteur de l'audiovisuel et modifie la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, il constitue en lui même un projet de loi à part entière, avec ses soixante et un articles, relevant assez peu de la transposition des directives, et très massivement du besoin de coordonner les règles de diffusion audiovisuelle entre les multiples plates-formes désormais disponibles.

Les deux autres titres sont beaucoup plus courts. Le titre III concerne des questions connexes traitées en dehors du code des postes et des communications électroniques ou de la loi du 30 septembre 1986, comme le régime des contrats passés entre les opérateurs et les consommateurs.

Le titre IV règle le cas des situations transitoires créées par le passage au nouveau code des postes et des communications électroniques.

Mais quel est donc ce bloc de droit européen qu'on appelle le « paquet télécoms » ?

Il s'agit en fait d'un « paquet » de directives qui, pour l'essentiel, se substitue à tout un ensemble de textes précédents, dans une démarche de mise en ordre, qui s'apparente à celle d'une codification. Il ramène le nombre des instruments réglementaires européens concernant le secteur dit, désormais, des « communications électroniques », de vingt-huit à huit.

Ce « paquet » comporte d'abord cinq directives du Parlement européen et du Conseil, qui constituent le cœur de la matière à transposer et que j'ai tenu à faire figurer en annexe à mon rapport, car nos débats amèneront à y faire de fréquentes références.

La directive « cadre » établit, comme son nom l'indique, les dispositions fondamentales de la nouvelle réglementation. Elle décrit notamment la procédure dite « des marchés pertinents ».

La directive « autorisation » pose le principe d'un régime de simple déclaration préalable pour les opérateurs, sauf en cas d'utilisation de ressources rares, c'est-à-dire de fréquences radioélectriques ou de numéros d'appel. Elle définit également la liste désormais restrictive des conditions pouvant être imposées aux opérateurs.

La directive « accès » établit le régime général de l'interconnexion et de l'accès, et définit la liste des obligations pouvant être plus particulièrement imposées aux opérateurs puissants sur les marchés de gros.

La directive « service universel » fixe, comme son nom l'indique, les conditions de fonctionnement du service universel, et elle a déjà été, à ce titre, transposée dans la loi sur le statut de France Télécom. Mais elle fixe aussi, par ailleurs, le régime des contrôles pouvant être imposés aux opérateurs puissants sur les marchés de détail.

La directive « données personnelles » pose quant à elle le principe du consentement préalable pour tout traitement de données personnelles relatives à des personnes physiques.

A ces cinq directives de nature opérationnelle s'ajoutent deux textes fixant des principes, à savoir une décision du Parlement européen et du Conseil visant à une bonne coordination de la gestion des fréquences entre les Etats membres, et une directive de la Commission européenne sur la concurrence, qui prohibe les clauses de droits exclusifs.

Un huitième texte vient compléter le « paquet télécoms » : la directive « R&TTE », qui concerne les contraintes techniques imposées aux équipements radioélectriques et dont la transposition a été effectuée par voie réglementaire.

Le « paquet télécoms » modifie la régulation du secteur des télécommunications sur certains aspects importants, qui constituent autant de lignes de force des dispositions du titre Ier du projet de loi.


Ces lignes de force s'organisent autour de trois mots : « cohérence », « concurrence » et, bien sûr, « convergence ».

La cohérence renvoie à la nécessité fondamentale, dans un contexte de pluralité des opérateurs, d'instituer des règles permettant d'assurer le maillage le plus efficace possible du territoire. De là l'obligation de faire droit à toute demande d'interconnexion et de créer un dispositif de règlement des litiges en cas de conflit lié à des demandes d'accès. En revanche, l'accès reste négocié. Cette dimension du « paquet télécoms » se justifie par le fait que les nouvelles directives reconstruisent de fond en comble le droit européen des télécommunications, pour le codifier en quelque sorte. Mais cette dimension est logiquement moins présente dans le projet de loi de transposition qui complétera les acquis fondamentaux du code des postes et télécommunications figurant déjà dans la loi du 26 juillet 1996. Il ne faut pas perdre de vue en effet qu'un régulateur se justifie d'abord, et indépendamment du poids respectif des opérateurs, par la nécessité d'assurer un fonctionnement cohérent des différents réseaux de communications électroniques entre eux.

Du point de vue de la cohérence, l'apport du projet de loi réside essentiellement dans une définition plus large de l'accès, couvrant non seulement l'accès à des éléments de réseau, comme la boucle locale, mais aussi aux bâtiments, gaines et pylônes, et aux équipements et logiciels servant à l'exploitation des réseaux, ainsi que les prestations nécessaires à la mise en œuvre de l'itinérance ou de réseaux virtuels. La définition retenue dans le code des postes et des communications électroniques exclut cependant le cas de l'accès conditionnel aux services de télévision, qui relève de la loi sur la liberté de communication.

Par ailleurs, le projet de loi élargit la compétence de l'ART pour le règlement des différends, afin notamment de lui permettre d'intervenir dans les litiges nés du recours à ces nouvelles formes d'accès.

Dans le domaine de la concurrence, le projet de loi introduit par son article 18 une innovation juridique tout à fait originale du « paquet télécoms » : un dispositif de contrôle s'ajustant dynamiquement à la réalité des différentes composantes du marché. Ainsi sera prise en compte la rapidité des évolutions technologiques, que les modes classiques de production des normes, lois ou décrets, soumis à des procédures d'élaboration complexes, ne permettent pas toujours de suivre avec suffisamment de souplesse.

Le nouveau dispositif confiera à l'ART la mission de décomposer le secteur des télécommunications en « marchés pertinents » pour y apprécier l'état de la concurrence, et limiter le contrôle a priori aux seuls cas où des déséquilibres forts entre opérateurs seront constatés.

C'est dans le cadre de cette procédure dite des « marchés pertinents », sur laquelle repose toute l'architecture du nouveau cadre réglementaire, que devraient s'inscrire à terme aussi bien le traitement de la question de la revente de l'abonnement que le dispositif d'allégement du « carcan tarifaire » voté lors de l'examen du texte sur l'économie numérique.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, et M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !

M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur. La logique des « marchés pertinents » consiste en fait à confier au régulateur sectoriel le soin d'organiser la transition progressive vers l'application du droit commun de la concurrence, à mesure que les marchés deviennent concurrentiels. Pour assurer cette mission, le régulateur aura à sa disposition toute la palette d'obligations susceptibles d'être imposées aux opérateurs dominants, sur les marchés de gros comme sur les marchés de détail.

Toutefois, il est clair que le nouveau cadre met l'accent sur la régulation des marchés de gros, le contrôle des marchés de détail n'intervenant qu'en deuxième instance. Ainsi, le contrôle a priori des tarifs de détail aura vocation à être significativement allégé dans le temps au profit d'un contrôle a posteriori prévu par le droit commun de la concurrence.

L'autorité de régulation a évidemment un rôle crucial dans un tel dispositif. C'est pourquoi le projet de loi prévoit un renforcement de ses pouvoirs d'information et une efficacité accrue des sanctions qu'elle pourra imposer. C'est aussi pourquoi sa mission se trouve encadrée, car elle doit l'accomplir en coordination avec les régulateurs des autres pays membres, et sous le contrôle de la Commission européenne, qui produit une recommandation devant servir de référence aux analyses de marché nationales.

Par souci de convergence, tous les supports de communication relèveront désormais du code des postes et des communications électroniques et du contrôle de l'ART.

La mise en œuvre de ce principe de neutralité technologique permettra de simplifier et d'harmoniser le régime juridique applicable aux réseaux audiovisuels qui sont aujourd'hui soumis à des règles distinctes selon les technologies utilisées. Le secteur du câble, en particulier, va se trouver ainsi placé à égalité de concurrence avec les autres supports de diffusion de l'information, l'autorisation préalable de la commune pour l'établissement de réseaux câblés étant supprimée.

Cette neutralité technologique aura pour corollaire que les contenus audiovisuels diffusés relèveront du contrôle du CSA, quel que soit le support utilisé.

Un partage des tâches subsistera pour la gestion de l'attribution des fréquences, mais le projet de loi clarifie les rôles respectifs de l'Agence nationale des fréquences, de l'ART et du CSA.

Donc, « cohérence », « concurrence », « convergence », le tout si possible dans l'urgence. (Sourires.) Tel est notre objectif.

De l'avis de tous les professionnels des télécommunications que nous avons auditionnés, le projet de loi constitue un remarquable travail de synthèse et notre commission des affaires économiques n'a été amenée à l'infléchir que sur trois points complémentaires.

Premièrement, s'agissant du contrôle du régulateur, nous proposons de renforcer les moyens de l'évaluation de son action à trois niveaux : en l'obligeant à produire un bilan des mesures antérieures prises, lorsqu'il lance une nouvelle analyse de marché ; en prévoyant d'intégrer un bilan de son action dans le rapport annuel de la Commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques ; et surtout en autorisant une commission permanente du Parlement à lui demander, dans le cadre d'une audition, de rendre compte de façon précise, en fonction des objectifs de la régulation.

Deuxièmement, nous souhaitons un ajustement de l'équilibre défini par le texte dans le domaine de la gestion des données personnelles. Il s'agirait, d'une part, d'introduire le consentement préalable pour la constitution des annuaires de téléphonie mobile, et d'autre part, de donner aux opérateurs le droit d'utiliser les données de trafic pour offrir des services à valeur ajoutée.

Troisièmement, nous voudrions adapter les conditions des relations contractuelles entre opérateurs et abonnés, afin de mieux protéger ces derniers contre des modifications unilatérales des clauses.

A côté du « paquet télécoms », c'est un véritable « paquet audiovisuel » dont le projet de loi est porteur car, même si très peu d'articles du titre II relèvent en fait directement de la transposition des directives du « paquet télécoms », ce texte est l'occasion d'une large modernisation du droit de l'audiovisuel.

Je laisse à Emmanuel Hamelin, qui va prendre la parole après moi, le soin de présenter ces dispositions de manière plus approfondie. J'indique seulement que les amendements adoptés par les deux commissions visent d'abord à simplifier la rédaction du dispositif de règlement des litiges dans un souci de sécurité juridique et à conforter les pouvoirs du CSA en la matière pour lui permettre de mieux exercer ses missions. Ils tendent ensuite à compléter le dispositif des obligations de reprise en prévoyant une reprise obligatoire de toute chaîne hertzienne qui le souhaiterait, dans des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires, ainsi qu'à adapter les assouplissements du régime anti-concentration en matière de télévision. Ils prévoient enfin de donner au CSA un véritable pouvoir de contrôle sur les opérateurs satellitaires de droit français.

En conclusion, je dirai que les deux parties du projet de loi ont une importance politique tout à fait comparable, mais les dispositifs proposés présentent, du point de vue de la portée du travail parlementaire, deux configurations profondément différentes.

La partie « télécoms » consiste pour l'essentiel en une transposition. Elle s'appuie donc sur des textes de droit européen négociés entre les représentants des pays membres à différents niveaux, pendant plusieurs années. La rédaction des dispositions de droit français qui assurent cette transposition a été affinée dans le cadre d'un travail de près d'une année, s'appuyant sur une très large consultation publique sur Internet. Les arbitrages effectués ont donc pu bénéficier de la richesse d'une réflexion nourrie d'une concertation au long cours.

En revanche, la partie « audiovisuel » du projet de loi n'est constituée de dispositions de transposition que dans une moindre mesure. Par voie de conséquence, la marge de manœuvre du législateur pour réaliser les arbitrages politiques nécessaires est plus importante.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.

M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur. Respect du pluralisme, promotion de la concurrence, neutralité technologique, satisfaction du consommateur- téléspectateur-auditeur tant sur le plan de la qualité de la performance que sur celui du coût des services, tels sont les objectifs que nous pourrions nous fixer. Je ne doute pas qu'après le travail en commissions, au pluriel donc, sous la houlette des présidents Ollier et Dubernard, et à l'issue de ce débat, dont je pressens qu'il sera fructueux tant ces sujets sont transversaux, ils seront atteints. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Mon cher collègue, seul l'intérêt de votre rapport justifie que la présidence vous ait laissé très largement dépasser votre temps de parole. (Sourires.)

La parole est à M. Emmanuel Hamelin, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Emmanuel Hamelin, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, madame et monsieur les ministres, j'ai le plaisir de vous présenter le rapport pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur le projet de loi qui nous est soumis. Celui-ci comporte deux parties bien distinctes : le titre Ier portant modification du code des postes et télécommunications transpose en droit français les dispositions des différentes directives européennes rassemblées sous l'appellation « paquet télécoms » ; et le titre II, sur lequel porte la saisine pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, qui procède à une nouvelle réforme de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Le texte comprend en outre des dispositions diverses dans son titre III et des dispositions transitoires dans son titre IV.

Conçue à une époque où la pénurie était encore la règle en matière audiovisuelle et où l'initiative privée en était encore à ses balbutiements, la loi du 30 septembre 1986 doit en effet être constamment adaptée aux mutations tant technologiques qu'économiques qui se succèdent dans le secteur, au risque de la voir devenir très rapidement obsolète. Ensemble complexe de dispositions visant tout à la fois à garantir la liberté de communication et à la limiter afin de préserver le pluralisme entre les différents opérateurs, ce texte est fondé sur une double logique de réglementation et de régulation, ce dernier pouvoir étant confié au Conseil supérieur de l'audiovisuel, autorité administrative indépendante, dont les compétences doivent également être régulièrement adaptées à l'évolution du marché et de ses acteurs.

Après une trentaine de modifications intervenues depuis 1986, le titre II du projet de loi vient donc, à son tour, adapter la loi sur la liberté de communication au nouveau cadre juridique communautaire, assouplir les dispositions relatives aux infrastructures de diffusion de la radio et de la télévision, et moderniser les conditions d'exercice du pouvoir de régulation du CSA.

Le titre II du projet de loi ne comporte pas de grande réforme modifiant en profondeur le droit de la communication ou le paysage audiovisuel français, comme, par exemple, la création du cadre juridique de la TNT par la loi du 1er août 2000, mais il modifie de très nombreux articles de la loi de 1986 dans une logique d'assouplissement et de modernisation.

En ce qui concerne la modernisation du champ de régulation du CSA, le texte vise à adapter le cadre juridique de la régulation audiovisuelle aux importantes mutations technologiques intervenues au cours de ces dernières années, en particulier à la convergence des secteurs des médias et des télécommunications. Ainsi, les compétences du CSA sont tout d'abord recentrées sur l'ensemble des services de radio et de télévision, quels que soient les réseaux de communications électroniques utilisés.

Le projet prévoit également de renforcer ses pouvoirs d'investigation, en lui permettant de recueillir toutes les informations nécessaires auprès des producteurs d'œuvres audiovisuelles et cinématographiques et des exploitants de système d'accès sous conditions.


Surtout, l'article 36 prévoit d'étendre significativement les compétences détenues par le CSA en matière de régulation économique. Il est en effet proposé de lui confier un pouvoir de règlement des litiges entre éditeurs et distributeurs de services, notamment entre les chaînes de télévision et les entreprises qui commercialisent ces chaînes, dès lors qu'entrent en jeu le pluralisme ou la protection des mineurs, principes fondateurs de la loi de 1986 sur la liberté de communication, ainsi que le bon exercice des missions propres du service public.

Si cette nouvelle procédure a suscité certaines interrogations, voire certaines inquiétudes, il convient de souligner qu'elle permettra au Conseil de prendre immédiatement des mesures conservatoires dès lors que le différend portera une atteinte grave à la liberté de communication.

En tout état de cause, la rédaction de cet article mérite d'être améliorée. C'est l'objet d'un amendement de réécriture globale, adopté par la commission.

Par ailleurs, la commission a adopté un amendement permettant au CSA de demander toutes les informations nécessaires à l'identification des éditeurs de services de télévision transportés par des opérateurs de réseaux satellitaires. Cet amendement vise notamment le cas d'Eutelsat.

Le projet de loi propose également d'adapter le mode d'attribution des fréquences hertziennes terrestres. Elément indissociable de la régulation des contenus, l'attribution des fréquences hertziennes terrestres aux services de télévision et de radio reste en effet soumise aux mêmes principes généraux, qui comportent notamment la gratuité de l'usage des fréquences et la compétence de principe du CSA.

Le projet de loi propose néanmoins d'apporter une série d'aménagements à ce dispositif, afin d'améliorer la procédure d'instruction lors des appels à candidatures et de favoriser une gestion optimale des fréquences.

Concernant les services de radio, le projet de loi prévoit ainsi la publication du « plan de fréquences » avant le lancement de l'appel à candidatures et fixe au CSA un délai maximum de huit mois pour délivrer les autorisations. Plusieurs dispositions visent à moderniser les procédures d'autorisation d'émettre pour les radios et télévisions hertziennes et à prendre en compte des obligations communautaires. Il est ainsi proposé d'étendre la compétence des comités techniques radiophoniques à l'instruction des dossiers de télévisions locales ; de distinguer clairement la phase de recevabilité de la phase d'examen au fond dans l'instruction des demandes d'autorisation par le CSA ; d'instituer une procédure préalable de consultation publique lorsqu'un appel à candidature est susceptible de modifier de façon importante la situation du marché ; de simplifier enfin, pour la radio, les conditions de motivation des refus d'autorisation, refus qui sont très nombreux.

La commission a adopté un amendement proposant une nouvelle rédaction de l'article qui permet, sous certaines conditions, la diffusion de messages publicitaires nationaux dans les décrochages locaux des chaînes nationales.

Par ailleurs, la commission a adopté un amendement de M. Maurice Giro tendant à élargir le champ des montages juridiques possibles pour les chaînes hertziennes analogiques locales.

Concernant les modes de diffusion non-hertziens, le projet de loi prend en compte l'apparition de nouvelles technologies susceptibles de transporter des programmes de télévision, comme l'ADSL.

Il propose donc d'unifier les règles applicables aux câblo-opérateurs et aux bouquets satellite, en passant pour les premiers d'un régime d'autorisation à un régime de déclaration préalable, et d'étendre ces dispositions à tous les réseaux n'utilisant pas les fréquences attribuées par le CSA.

Le must carry, quant à lui - c'est-à-dire l'obligation pour les distributeurs d'assurer la retransmission de certains programmes et donc, pour les bouquets, d'intégrer certaines chaînes -,...

M. François Brottes. Lesquelles ?

M. Emmanuel Hamelin, rapporteur pour avis. ...trouve son fondement dans un constat simple : les téléspectateurs, pour des raisons de facilité, utilisent exclusivement ou de manière préférentielle un seul moyen technique de réception des programmes télévisés.

La diffusion du câblage, des antennes paraboliques ou de nouvelles technologies comme l'ADSL est donc susceptible d'entraîner une moindre pénétration des chaînes hertziennes traditionnelles ou nouvelles - numérique - à moins qu'elles ne soient reprises par les bouquets proposés sur les nouveaux types de réseaux. Le must carry a été reconnu au niveau européen en 2002 par la directive dite « service universel ».

Il est à noter que le must carry existe déjà dans le texte de la loi de 1986 en vigueur. Le projet en propose une adaptation prudente à l'évolution technologique et à la directive « service universel ».

Pour les distributeurs sur les réseaux non satellitaires, les obligations de reprise seront peu différentes de celles qui existent déjà pour le câble : les chaînes hertziennes « normalement reçues dans la zone », TV5 et les services d'information sur la vie communale. Pour les bouquets satellite, le must carry continuera à ne concerner que le service public, mais étendu à ses chaînes numériques.

Afin d'épargner aux opérateurs de technologies nouvelles de diffusion comme l'ADSL des obligations immédiates de must carry et de transposer au plus près la directive, le projet prévoit de ne l'imposer, pour les distributeurs non satellitaires, que si le réseau concerné est « utilisé par un nombre significatif de téléspectateurs comme un de leurs modes principaux de réception de la télévision ».

Le projet de loi, pas plus que le texte en vigueur, ne tranche, de façon explicite, la question des conditions financières, entre distributeurs et chaînes, du must carry dans le champ non satellitaire, ni la question relative à la faculté dont bénéficieront ou non ces chaînes de refuser d'être reprises.

Sur un point, le projet s'écarte de la situation actuelle. Il prévoit la reprise gratuite des chaînes publiques sur les bouquets satellitaires, alors que la loi actuelle autorise un partage des coûts pour la reprise de RFO outre-mer, compte tenu de l'importance des coûts de transport du signal de la chaîne de la métropole vers l'outre-mer.

La prudence du Gouvernement s'explique par l'importance des enjeux de marché liés au must carry. Les équilibres sont d'autant plus complexes que les deux grands bouquets satellitaires appartiennent à des groupes qui possèdent par ailleurs les principales chaînes hertziennes privées. Cependant, en préservant ces équilibres, il serait utile de prévoir une ouverture vers les nouveaux entrants de la télévision numérique terrestre, en leur donnant un véritable droit à reprise sur les différents bouquets, mais contre rémunération.

La commission a adopté un amendement tendant à garantir la diffusion par tous les bouquets filaires et satellitaires des chaînes hertziennes gratuites souhaitant être reprises.

Enfin, le projet de loi exprime la volonté de favoriser le développement des télévisions locales et de la télévision numérique terrestre.

Il s'attache en effet à favoriser le développement des télévisions locales et de la TNT, deux secteurs qui manquent actuellement de dynamisme, comme l'a souligné le ministre, et à assouplir les règles applicables à certains autres types de services.

Au moment où la France aborde une nouvelle étape de la décentralisation, symbolisée par l'inscription dans la Constitution du principe de l'organisation décentralisée de la République, le développement des télévisions locales, vecteurs de démocratie et de lien entre les citoyens, est une priorité. Ces médias, en effet, peuvent jouer un rôle de transmission entre les collectivités locales, munies de compétences élargies et clarifiées, et les citoyens.

A côté des dispositions visant à encourager l'investissement des collectivités locales dans ces services, le projet propose un assouplissement du dispositif anti-concentration qui leur est applicable, en supprimant le plafond de 50 % prévu pour la participation au capital d'une télévision locale et en autorisant le cumul d'autorisations pour une chaîne nationale diffusée par voie hertzienne terrestre et pour une chaîne locale diffusée par voie hertzienne en mode numérique.

Il prévoit également le relèvement à 12 millions d'habitants du plafond de cumul de plusieurs autorisations locales et du seuil d'application du dispositif anti-concentration à ces services.

Le développement de la TNT est quant à lui encouragé par le relèvement de cinq à sept du nombre d'autorisations nationales qu'un même opérateur peut détenir.

M. François Brottes. Ce qui favorisera la concentration !

M. Emmanuel Hamelin, rapporteur pour avis. L'effort d'assouplissement ne doit cependant pas aller jusqu'à remettre en cause la préservation du pluralisme. L'allégement des règles anti-concentration applicables en matière de cumul d'autorisations devra donc être examiné avec attention afin de ne pas privilégier trop fortement certains opérateurs, plus anciens et plus puissants, par rapport à d'autres. C'est la raison pour laquelle la commission a proposé de limiter à six le nombre d'autorisations nationales qu'un même opérateur pourra détenir.

Parmi les autres assouplissements que propose le projet de loi, on peut souligner la possibilité donnée au CSA de procéder, sous certaines conditions, à une modification de la personne morale titulaire d'une autorisation radio, y compris lorsque cette modification entraîne un changement de catégorie.

Plusieurs autres modifications sont d'ores et déjà annoncées par le Gouvernement, comme l'intégration de la société nationale de programme RFO dans la holding France Télévisions et la création d'un cadre juridique pour le développement de la radio numérique. Je regrette que ces dispositifs, présentés sous forme d'amendements, n'aient pu être examinés par la commission des affaires culturelles saisie pour avis.

M. Pierre-Christophe Baguet. Exact !

M. François Brottes. C'est une critique ?

M. Emmanuel Hamelin, rapporteur pour avis. La commission a adopté deux amendements identiques du rapporteur pour avis et de M. Christian Kert visant à étendre aux chaînes locales diffusées sur la TNT le régime anti-concentration prévu par l'article concerné pour les chaînes locales hertziennes diffusées en analogique.

La commission a également adopté - je le rappelle - un amendement limitant à six le nombre maximum d'autorisations de chaînes diffusées en numérique terrestre pouvant être détenues par un même opérateur.

La commission a enfin adopté un amendement précisant le régime de recours contre les décisions prises par le CSA dans le cadre de la procédure de règlement des différends pour les personnes autres que les éditeurs et les distributeurs de services.

Je tiens à souligner que mon collègue Trassy-Paillogues et moi-même avons conduit en commun le travail de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires culturelles et sociales sur le titre II du projet de loi. Les amendements qui en résultent répondent à un souci évidemment partagé de préserver le développement harmonieux du secteur et de garantir au mieux le pluralisme et la libre concurrence entre les acteurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Question préalable

M. le président. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Monsieur le président, madame et monsieur les ministres, mes chers collègues, en mars 2002, l'Union européenne a adopté - vous le savez - de nouvelles directives destinées à franchir une nouvelle étape dans la déréglementation du secteur des télécommunications. Paul Champsaur, président de l'Autorité de régulation des télécommunications annonce clairement les choses : « Il s'agit bien d'aller vers une concurrence effective et pérenne. »

Le projet de loi soumis aujourd'hui à notre examen est important, puisqu'il constitue une étape supplémentaire, comme s'il s'agissait de rendre le mouvement libéral irréversible.

Il vise à transposer en droit français six directives et une décision, dites « paquet télécoms », dont l'objectif principal demeure l'application du droit commun de la concurrence à ce secteur d'activité.

Il confirme les principes de la réforme des télécommunications de 1996, qui n'a pas fini de produire ses dégâts.

En matière audiovisuelle, il adapte au nouveau cadre juridique communautaire les dispositions de la loi du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication concernant les infrastructures de diffusion des services de radio et de télévision.

Enfin, il modifie définitivement le code des postes et télécommunications, intitulé désormais « code des postes et des communications électroniques ».

Le parti pris idéologique de généraliser la mise en concurrence implique la suppression des autorisations individuelles précédemment exigées pour certaines activités : établissement des réseaux ouverts au public, fourniture du service téléphonique au public ou établissement des réseaux câblés. On prétend ainsi dynamiser le marché !

Plus généralement, les obligations pesant sur les opérateurs de communications électroniques seront assouplies, voire supprimées, en fonction de l'état concurrentiel du marché. De nombreux assouplissements sont apportés à la réglementation audiovisuelle, notamment au bénéfice de la distribution de la télévision par câble. Ils visent également à donner sa chance à la télévision numérique terrestre.

Dans le cadre de la politique de décentralisation engagée par le Gouvernement, le développement des télévisions locales est encouragé par l'allégement des règles qui leur sont applicables et par la levée des restrictions pesant sur la création de chaînes par les collectivités locales.

Le projet gouvernemental regorge d'expressions très significatives. Je n'en citerai que quelques-unes : « en faveur de la concurrence », « apporter un surcroît de dynamisme au marché », « obligations assouplies », « l'état concurrentiel du marché », « assouplissements apportés à la réglementation du marché », « allégement des règles » ou encore « levée des restrictions ». Ce texte témoigne, madame et monsieur les ministres, de votre volonté de poursuivre votre projet politique de casse du service public.

Au nom de la satisfaction des besoins de la société, au nom de l'intérêt du « consommateur » - on ne parle plus d'« usager » ni même de « citoyen » - au nom, enfin, de l'efficacité économique et sociale, une grande offensive contre le service public a été lancée, voilà près de vingt ans. En Europe, c'est après l'Acte unique de 1986 qu'ont été édictées les premières directives destinées à favoriser la sacro-sainte concurrence dans le secteur des télécommunications.


Aujourd'hui, via ce texte relatif aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, il s'agit d'aller plus loin : il est proposé à la représentation nationale de franchir une étape supplémentaire dans la voie de la déréglementation pour répondre à l'impatience des opérateurs privés. Et c'est au nom du progrès et de la modernité que vous prétendez conduire cette régression économique et sociale !

Les parlementaires communistes et républicains, comme, je crois, une majorité de Français, refusent de suivre le Gouvernement sur ce terrain soigneusement balisé. Votre rhétorique est bien huilée, et pourtant vous manquez aujourd'hui de force de persuasion pour convaincre totalement.

C'est toujours au nom de la satisfaction des besoins de la société, de l'intérêt du consommateur ou de l'efficacité économique et sociale, que les libéraux ont justifié et justifient encore aujourd'hui leurs projets. Mais un bilan des vingt années de libéralisations et de privatisations que nous venons de vivre s'impose : c'est une exigence démocratique. C'est bien le moins que puisse demander la représentation nationale et c'est tout le sens de cette question préalable.

Il faut d'ailleurs noter qu'un tel bilan est prévu au niveau international dans le cadre de l'accord général sur le commerce des services - AGCS -, dont l'article 19 dispose que, pour chaque cycle de négociations, « une évaluation des services d'une manière globale et sur une base sectorielle sera réalisée ». Cette évaluation à la fois légitime, urgente et vitale est également demandée par le Parlement européen dans une résolution votée à l'automne 2001, qui exige que l'on analyse « les effets des directives avant tout nouveau pas en avant ».

Les bilans ont donc été demandés, mais on les a jusqu'à présent toujours refusés, et pour cause : vous en pressentez en effet le piteux résultat. Aveugles aux réalités - celles qui touchent les usagers, mais aussi celles que vivent des agents du secteur concerné -, vous poursuivez !

La lecture du « livre vert » de la Commission européenne sur le service d'intérêt général est à cet égard instructive. « Depuis la seconde moitié des années quatre-vingt, est-il écrit pages 3 et 4, plusieurs secteurs fournissant principalement ou également des services d'intérêt économique général se sont progressivement ouverts à la concurrence. Tel a été le cas des télécommunications, des services postaux, du transport et de l'énergie. La libéralisation a favorisé la modernisation, l'interconnectivité et l'intégration de ces secteurs. Elle a augmenté le nombre de concurrents et conduit à des réductions de prix, en particulier dans les secteurs et les pays qui ont procédé à la libéralisation à un stade plus précoce. On ne dispose pas encore d'éléments suffisants pour évaluer l'incidence à long terme de l'ouverture des services d'intérêt général à la concurrence, mais rien ne prouve dans les informations disponibles que la libéralisation ait exercé un effet négatif sur leur performance globale, du moins en ce qui concerne l'accessibilité tarifaire de la fourniture d'un service universel. »

Si l'on se donnait réellement les moyens d'un bilan partagé, objectif, associant usagers, organisations syndicales, élus de proximité, on pourrait mesurer combien ce processus de libéralisation et de privatisation que vous souhaitez accélérer constitue une vaste régression sociale, pour ne pas dire un véritable recul de civilisation.

Dans les faits, il s'est traduit par une aggravation des inégalités sociales et territoriales, par de nombreux sacrifices sur la sécurité et l'environnement, par un gigantesque dumping social et par l'élargissement d'une fracture nationale, européenne et mondiale.

Commençons par l'aggravation des inégalités. L'ouverture des services à la concurrence était censée apporter une baisse des tarifs et une meilleure qualité de service aux consommateurs. Or les résultats démentent ce pronostic.

Ainsi, l'Union européenne a été contrainte de reconnaître récemment que les prix moyens en matière d'électricité et de gaz « n'avaient pas bénéficié de la réalisation des marchés » - formule feutrée destinée à masquer qu'en réalité ils avaient même progressé.

Il en va de même pour les télécommunications, où le bilan de la déréglementation est éclairant. En France, les communications « longue distance » ont essentiellement baissé sur les axes de trafic fortement utilisés, comme l'axe Europe-Etats-Unis. Mais cette baisse s'est accompagnée d'un « rééquilibrage tarifaire » au détriment de la grande masse des usagers. Le prix de l'abonnement a été multiplié par trois depuis 1993. Les tarifs des communications locales n'ont pas intégré les gains de productivité et ont par conséquent subi une hausse relative, d'autant plus facilement escamotable qu'elle s'est accompagnée d'une modification du système de tarification. Dans certains pays comme le Royaume-Uni, une différenciation tarifaire suivant les axes de trafic a été instaurée, ce qui a mis fin à la péréquation géographique nationale.

Cette dérive vers une tarification inégale en faveur des grandes entreprises et au détriment des ménages et des PME est un phénomène qu'on observe également dans le secteur de l'énergie. Elle résulte directement de la focalisation des investissements sur les créneaux où s'exerce la concurrence, c'est-à-dire là où existe une demande importante et solvable et où les conditions de mise en valeur du capital sont les plus avantageuses.

Cette tendance multiplie les différences de traitement, bien au-delà des seuls aspects tarifaires.

Par exemple, la présence en France de trois opérateurs de téléphonie mobile n'a pas permis une couverture de l'ensemble du territoire national et la qualité du service rendu n'arrête pas de se dégrader, si l'on en croit l'Autorité de réglementation des télécommunications - ART - elle-même.

M. Patrice Martin-Lalande. Et les 40 millions d'abonnés ?

M. Daniel Paul. Un constat similaire peut être fait dans l'ensemble des pays européens. Un des principes fondateurs du service public, la continuité territoriale, se trouve ainsi mis à mal.

Contrairement aux affirmations des libéraux, l'évolution des tarifs et des services a donc surtout bénéficié aux plus gros utilisateurs, et singulièrement aux sociétés de taille importante.

En revanche, la grande masse des consommateurs n'a pas tiré avantage de l'ouverture des marchés. Au contraire, du fait des tendances à la hausse des tarifs et à l'abandon des activités non rentables, une partie des couches les plus modestes et des habitants des zones rurales se retrouvent privés de l'accès aux services, les collectivités locales étant incitées à prendre elles-mêmes en charge le financement de prestations qui, en contravention avec le principe d'égalité, ne sont plus garanties sur tout le territoire.

L'exemple de la Seine-Maritime en matière d'accès à l'Internet haut débit est à cet égard éloquent - M. le rapporteur ne me démentira pas, puisqu'il est lui aussi élu de ce département. Les opérateurs privés ont concentré leurs investissements et la commercialisation de leurs produits dans les deux pôles urbains de Rouen et du Havre, laissant de côté la plupart des 748 autres communes que compte la Seine-Maritime.

Cet état de fait, que l'on retrouve partout en France, a conduit le président du conseil général Charles Revet, sénateur UMP, à envisager que sa collectivité corrige les lacunes du système. Démonstration est ainsi faite que l'égalité d'accès des citoyens à un service implique l'intervention, souvent lourde, de la puissance publique.

J'en viens maintenant à la question de la sécurité et de l'environnement.

L'aggravation et la multiplication des inégalités ne sont pas, en effet, les seules conséquences que les logiques libérales et la priorité donnée à la rentabilité financière ont sur la vie des populations : la mise en cause de la sécurité des systèmes en constitue un autre aspect marquant.

Le cas des chemins de fer britanniques, que nous évoquons souvent, est à ce titre éloquent. De la même manière, le projet de déréglementation en Europe est assez représentatif des dangers que recèlent vos conceptions. En imposant des choix technologiques de court terme, la logique de gestion qui accompagne les déréglementations et les privatisations conduira inéluctablement à des difficultés.

Vous le savez, dans le domaine du nucléaire notamment, si demain EDF entre dans une logique d'actionnariat, les économies, les recherches de rentabilité à tout prix se feront au détriment de la maintenance, du statut des agents et de leurs formations comme de la recherche fondamentale.

Selon votre doctrine, le principe de « neutralité technologique » interdit de refuser un produit en fonction des processus et méthodes de production, dès lors que ses propriétés finales sont conformes aux exigences requises.

En les soumettant à un affrontement sans merci pour la préservation et la conquête des marchés, la libéralisation a conduit les opérateurs, qu'ils soient publics ou privés, à réduire leurs coûts, en premier lieu les dépenses de personnels, pour augmenter leur compétitivité.

Cette évolution se solde par de véritables saignées pour l'emploi, comme l'attestent plusieurs éléments chiffrés : depuis 1997, 32 659 suppressions d'emplois ont été actées au sein de la leur maison mère de France Télécom, selon le bilan social de 2002. Pour 2003, 13 500 suppressions sont programmées, dont 7 500 en France. S'y ajoutent 700 départs en mobilité vers la sphère publique. Le Gouvernement espère quelque 15 000 transferts entre 2003 et 2005, selon le journal Les Echos du 6 décembre 2002. Le communiqué de Francis Mer du 4 décembre 2002 sur les perspectives de mobilité part du principe que les demandes de tous les lauréats seront satisfaites. Ces emplois supprimés ne se retrouveront pas ou peu dans les métiers rattachés au secteur des télécommunications. Ce sont en revanche autant d'emplois neufs qui ne seront pas créés dans les administrations publiques et les collectivités.

Enfin, les départs négociés, pour les contractuels des filiales, se multiplient : Wanadoo SA, Wanadoo Portail EGT, Page Jaunes, COFRATEL. Les 650 agences commerciales de proximité sont dans le collimateur. L'objectif est de privilégier l'accueil sur plateforme d'appel au détriment de l'accueil physique. La catégorie des services techniques est laminée, le réseau étant encore aujourd'hui considéré comme un coût et non un investissement.

Cette gestion entraîne une croissance forte des congés maladie : selon nos informations, de 12,21 journées maladie par agent et par an, nous sommes arrivés fin 2002 à 17,49 journées.

Dans le même ordre d'idée, la poste britannique, après avoir grassement enrichi ses nouveaux propriétaires, a annoncé récemment son intention de licencier 17 000 salariés. Chez l'opérateur postal suédois, le tiers des emplois ont été supprimés en six ans.

Selon les syndicats américains, l'effondrement des télécoms dans le cadre de la déréglementation aux Etats-Unis a, en 2000, coûté 200 000 emplois, auxquels il faut ajouter, en 2002, les 17 000 suppressions chez WorldCom et, au niveau mondial, les coupes claires effectuées chez les grands opérateurs. Deutsche Telekom est déjà engagé dans ce processus et seule la présence majoritaire de capitaux publics a évité à France Télécom, où 13 000 emplois sont appelés à disparaître en 2003 et où des milliers d'autres sont menacés, de déposer son bilan.

Les conditions de travail pâtissent aussi de la libéralisation des services, comme le film de Ken Loach The navigators l'a très bien illustré.

Les cheminots britanniques ont ainsi perdu leurs acquis les plus élémentaires, tels leurs droits aux congés payés ou aux congés maladie ou les facilités de circulation pour se rendre à leur lieu de travail. Les réorientations stratégiques dans les entreprises soumises à la concurrence ou privatisées - et leurs corollaires que sont, sur le plan organisationnel, le recentrage sur le « cœur de métier », la réorganisation permanente des services, l'extension de la sous-traitance, et, sur le plan managérial, la gestion individualisée, la coexistence de personnels à statuts différenciés - se traduisent par une déstructuration des identités professionnelles et une fragilisation des individus, et donc par un développement important de la souffrance au travail.

Les droits syndicaux ont subi un recul similaire. La référence en la matière est la loi Tebbit votée en 1982 au Royaume-Uni, véritable règlement antisyndical imposé pour faciliter les privatisations, en autorisant notamment le licenciement des travailleurs grévistes sans décision de justice préalable.

Hôpitaux, services postaux, transport ferroviaire et électricité sont engagés dans une nouvelle vague de privatisations. N'est-ce pas cette remise en cause généralisée de la notion même de service public qui ruine, qui lamine les principes républicains ? Or c'est bien ce que nous propose ce texte.

Transportons-nous un instant, par une sorte de cauchemar, en 2010.

Le rail ayant disparu des zones rurales depuis longtemps, vous habitez une ville proche d'une gare TGV. Les particuliers font la queue devant les rares guichets de la poste, où ils passent après les juteux clients que sont les entreprises. Le prix de votre abonnement téléphonique est dix fois supérieur au coût de vos appels. L'hiver venu, priez pour conserver une santé de fer : l'hôpital le plus proche est à 100 kilomètres et l'on ne vous y gardera qu'une nuit ou deux au maximum.

M. Patrice Martin-Lalande. Le cauchemar est terminé depuis 1989, monsieur Paul : le mur de Berlin s'est effondré !

M. Daniel Paul. Au bord de la route - fermez les yeux, et vous y serez - surgit l'ombre inquiétante de la centrale nucléaire aux incidents réguliers, gérée par un essaim d'entreprises privées...

M. Jean Dionis du Séjour. Est-il triste ! (Sourires sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Daniel Paul. La politique de privatisation des services publics amorcée en France depuis plusieurs années pourrait bien transformer ces situations fictives en réalités quotidiennes. Les usagers sont souvent les premiers cobayes des mutations en cours.

C'est la raison pour laquelle, en vertu du règlement de notre Assemblée et en l'absence d'un bilan remis à la représentation nationale sur ce mouvement de libéralisation-privatisation, nous soumettons cette question préalable au Parlement pour vous dire toute notre opposition au texte qui nous est aujourd'hui présenté.

M. Frédéric Dutoit et M. Michel Françaix. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à l'industrie.


Mme la ministre déléguée à l'industrie
. Il y aurait beaucoup à dire à M. Paul. Mais, s'agissant du service public, je me contenterai de l'inviter à reprendre les propos que j'avais tenus au Sénat, au cours du débat sur la régulation postale, en réponse à sa collègue Odette Terrade : j'avais dit à celle-ci, avec courtoisie et respect, qu'elle n'avait pas le monopole du service public.

J'avais eu l'occasion de rappeler les combats que nous avions tous menés, et d'ailleurs gagnés, pour que les missions de service public soient scrupuleusement préservées à travers tous les textes, notamment ceux que vous avez eu l'occasion d'évoquer.

Monsieur Paul, on ne peut pas tout laisser passer. Et je tiens à dire que la concurrence a permis une certaine démocratisation et l'accès du plus grand nombre à des services qui étaient encore réservés, il y a quelques années, à des privilégiés. Je pense à la téléphonie mobile et à ses 41 millions d'abonnés. Qui se plaindrait aujourd'hui d'avoir le choix entre plusieurs opérateurs ? Je pense aussi à l'internet haut débit, dont les tarifs sont en France les plus bas d'Europe, grâce à la multiplicité des acteurs. La stimulation entre les industriels permet l'innovation et la baisse des prix au bénéfice de tous.

Quant à vos propos sur la libéralisation dans les télécoms, ils sont un peu excessifs. Car, vous le savez parfaitement, le consommateur y a gagné : les prix ont baissé, la diversité des services a beaucoup progressé, près de 40 000 emplois ont été créés dans la téléphonie mobile. Le citoyen y a également gagné : apparition du téléphone mobile, qui a permis de sauver des vies ; apparition d'internet, qui a permis de s'ouvrir à toutes les cultures du monde.

Je pourrais prolonger mon propos. Malheureusement, il se fait tard. Nous avons devant nous un débat tout à fait passionnant. Bien évidemment, je ne souhaite pas que cette question préalable soit adoptée par votre assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. J'espère que M. Paul appréciera la courtoisie de Mme la ministre à son égard et à l'égard du groupe communiste.

Dans les explications de vote sur la question préalable, la parole est à M. Patrice Martin-Lalande, pour le groupe UMP.

M. Patrice Martin-Lalande. Aux termes du règlement de notre assemblée, et notamment de son article 91, alinéa 4, la question préalable a pour objet de décider qu'il n'y a pas lieu à délibérer. J'ai écouté avec attention M. Daniel Paul et je n'ai pas trouvé dans son exposé d'éléments pouvant nous conduire à une telle conclusion.

Le texte qui nous est soumis correspond à nos engagements internationaux, en l'occurrence européens. Il s'agit de transposer des directives déjà anciennes, afin de ne pas nous mettre en infraction.

Une large concertation a précédé l'adoption, par le Gouvernement, de ce projet de loi. Celle-ci a duré plusieurs mois. Si l'on consulte le site gouvernemental, on s'aperçoit que chacun a pu s'exprimer et apporter sa contribution à l'élaboration de ce texte.

Peut-être que certains, dont M. Paul, auraient préféré qu'on procède par ordonnances. Mais nous sommes nombreux, ici, à nous réjouir de pouvoir débattre d'un tel projet à l'Assemblée nationale et participer à son amélioration.

Le groupe UMP rejettera cette question préalable. Il convient de mettre rapidement la loi de notre pays en conformité avec nos engagements internationaux et européens.

Je vous invite donc à rejeter cette motion qui ne nous semble pas justifiée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet, pour le groupe UDF.

M. Pierre-Christophe Baguet. Une telle question préalable ne peut être adoptée, compte tenu de notre retard dans la transposition de cette directive européenne. Mieux vaudrait dire : enfin !

M. Jean Dionis du Séjour. Eh oui !

M. Pierre-Christophe Baguet. Cela dit, je rejoins notre collègue Daniel Paul sur l'aspect quelque peu désordonné de cette transposition.

M. Michel Françaix. Tout de même ! Vous êtes clairvoyant.

M. Pierre-Christophe Baguet. Je n'accepte pas pour autant son réquisitoire sur le côté trop libéral, à son goût, du secteur de l'audiovisuel et des télécommunications. Est-il nécessaire de lui rappeler les avantages de l'entreprise privée et son dynamisme ? Tout est affaire d'équilibre...

Puisque certains ont parlé du secteur public, je ne peux pas ne pas m'interroger sur les décisions de ce jour : celle de RFI de rejoindre Radio France dans une grève qui devient une véritable menace pour l'équilibre de notre radio, pour le pluralisme et la démocratie ; et celle de la rédaction de France 2 de voter, à près de 70 %, une motion de défiance à l'égard de sa direction.

Monsieur le ministre, je connais votre souci de respecter le libre fonctionnement des différentes entreprises publiques. Mais il en va maintenant de la responsabilité du Gouvernement, qui se doit de circonscrire un incendie qui s'étend d'un secteur à l'autre.

Quoi qu'il en soit, l'UDF votera contre la question préalable défendue par notre collègue Daniel Paul. Il nous faut enfin aborder le débat sur la transposition de la directive européenne.

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Patrice Martin-Lalande. Il a été convaincu ! (Sourires .)

M. Frédéric Dutoit. Je voudrais convaincre mes collègues de l'UMP et de l'UDF de revenir sur leur position.

M. Patrice Martin-Lalande. Cela va être dur !

M. Frédéric Dutoit. Le groupe des député-e-s communistes et républicains votera cette question préalable.

M. le président. On s'en serait douté ! (Sourires .)

M. Frédéric Dutoit. En effet, tout le monde, ici, avait reconnu qu'il fallait faire un premier bilan du processus de privatisation et de mise en concurrence des services publics, dont France Télécom. Or un tel bilan n'a jamais eu lieu et nous ne savons pas vers quoi nous allons.

Madame la ministre, vous tentez encore une fois de nous démontrer que c'est la privatisation, de la téléphonie mobile par exemple, qui a permis l'explosion du marché et la baisse des tarifs. Mais, à ma connaissance, c'est le service public des télécommunications - Télécom pour ne pas le citer -, ou celui de l'énergie - EDF pour ne pas la citer -, ou celui des transports collectifs - SNCF pour ne pas la citer -, qui a permis de faire baisser les tarifs et de satisfaire, sur tout le territoire, les besoins de l'ensemble de la population. Il est l'efficacité économique même !

Votre argumentation ne tient pas. Vous voulez appliquer de façon dogmatique une conception libérale, pour tout dire capitaliste, qui vise à privatiser à tout crin, sans réfléchir en amont. Voilà pourquoi vous ne voulez pas que soit mené un vrai bilan sur ces privatisations.

Monsieur Baguet, vous savez très bien que le groupe communiste ne s'acharne pas à vouloir tout étatiser. (« Ah ! » sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Jean Dionis du Séjour. Encore une chance !

M. Frédéric Dutoit. Ce n'est plus, depuis très longtemps, notre conception. Mais n'essayez pas de nous prouver que la privatisation et la mise en concurrence constituent une panacée ni qu'elles auraient permis un égal accès de tous les citoyens au service public : la démonstration a été faite, dans notre pays, que ce n'est pas le cas - bien au contraire !

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour le groupe socialiste.

M. François Brottes. M. Martin-Lalande nous a indiqué, règlement de l'Assemblée à l'appui, qu'il y avait sûrement lieu à délibérer.

M. Bernard Accoyer. Et il avait raison !

M. François Brottes. Il y a sûrement lieu à mieux délibérer. Et notre collègue nous en a fait la démonstration, en déposant un amendement d'au moins cinq pages ! Si le texte qui nous est présenté avait été si bien pensé, j'imagine qu'il n'en serait pas arrivé à cette extrémité.

M. Patrice Martin-Lalande. Vous l'avez mal lu !

M. François Brottes. Et ce n'est pas le seul exemple...

Cela prouve en tout cas qu'il aurait fallu s'y prendre un peu mieux, et moins improviser. Le fait que le Gouvernement ait lui-même déposé de nombreux amendements démontre qu'il faut se poser plusieurs questions préalables.

Madame la ministre, vous nous avez dit à l'instant que personne n'avait le monopole du service public. S'il convient de partager, admettez que le service public est tellement partagé dans notre pays qu'il n'y en a plus. Et c'est parce qu'il n'y a plus de monopole qu'il n'y a quasiment plus de service public. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Voilà le problème.

Notre collègue Daniel Paul a exercé le droit d'alerte, devant l'irréversibilité du délabrement du service public. Notre collègue Baguet a fait remarquer que sur tous ces bancs on s'interrogeait devant le mépris dont fait preuve le Gouvernement à l'égard de l'audiovisuel public. Cela montre bien qu'il est nécessaire, au travers de ce texte, de se poser les vraies questions. Or elles ne le seront pas.

Voilà pourquoi nous voterons la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.- Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Alain Gouriou, premier orateur inscrit.

M. Alain Gouriou. Monsieur le président, madame la ministre déléguée à l'industrie, monsieur le ministre de la culture et de la communication, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je limiterai mon intervention à la première partie du texte.

M. Trassy-Paillogues, notre rapporteur de la commission des affaires économiques, a mis beaucoup du sien en nous présentant celui-ci ; il faut dire qu'il a déposé, à lui seul, pas moins de trente-six amendements, ce qui prouve son sérieux.

C'est la troisième fois, en quatorze ans, que le Parlement est amené à réformer profondément le cadre législatif des télécommunications dans notre pays.

Ce projet de loi procède de l'obligation communautaire de transposer nombre de directives composant le « paquet télécoms », ce qui s'accompagne de modifications du code des postes et télécommunications et de la loi du 11 juin 1996 relative à la réglementation des télécommunications dite « loi Fillon », ainsi que de la loi relative à la liberté de communication du 30 septembre 1986 dite « loi Léotard ».

Il traduit, dans ce contexte, la nécessité d'adapter notre législation aux mutations profondes survenues, tant au niveau de l'organisation du marché que des technologies mises en œuvre à une cadence accélérée. Par ailleurs, se dessine de plus en plus nettement un phénomène de convergence entre télécommunications et audiovisuel ; à tel point que je crains que nous ne soyons appelés à délibérer à nouveau à intervalles beaucoup plus rapprochés.

Les lois de 1990 avaient doté France Télécom et La Poste d'un statut d'établissement autonome de droit public chargé de missions de service public.

Les lois de 1996, conformément aux directives communautaires, abrogèrent le monopole des opérateurs, ou de l'opérateur historique en matière de télécoms. France Télécom fut dotée d'un statut de société anonyme au capital détenu majoritairement par l'Etat.


Un régime concurrentiel a été institué, sous le contrôle du ministère chargé des télécoms et d'une autorité de régulation indépendante, l'ART.

Depuis 1996, les nouveaux opérateurs se sont multipliés : dépassant largement la centaine encore récemment, ils sont aujourd'hui environ quatre-vingts. Si France Télécom a conservé 76 % des appels fixes locaux et un peu moins de 50 % des appels de téléphones portables sur sa filiale Orange, les opérateurs concurrents ont acquis, eux, 24 % des appels fixes locaux et plus de 50 % des appels de portables. Concernant le trafic internet ADSL, France Télécom couvre aujourd'hui environ 54 % du marché. Les opérateurs ont aussi développé leurs propres réseaux d'infrastructures.

Enfin, en 2003, vous avez, madame la ministre, fait adopter le projet de loi définissant les nouveaux contenus du service universel et choisi de privatiser France Télécom.

Le cadre juridique mis en place depuis 1996 a donc bien assuré le passage d'une situation de monopole à un régime concurrentiel. En revanche, certaines questions se posent encore aujourd'hui. Les opérateurs concurrentiels ont-ils pu se développer aussi librement et fortement qu'ils le souhaitaient ? Les consommateurs les moins favorisés géographiquement et économiquement n'ont-ils pas fait les frais de la fin du monopole public ? Ne risque-t-on pas de voir s'élargir encore la fracture numérique sociale et territoriale, comme le laissent redouter l'inachèvement de la couverture GSM et l'exclusion des zones rurales pour les liaisons DSL ? Les suppressions massives d'emplois chez les industriels équipementiers vont-elles se poursuivre encore longtemps ?

Par ailleurs, l'ouverture à la concurrence pouvait laisser espérer un relâchement de la pression réglementaire à mesure que les nouveaux opérateurs se développaient dans un marché sans cesse plus ouvert. Or force est de constater que la régulation est devenue souvent plus complexe et contraignante du fait de la multiplication des décisions et des avis du régulateur.

Il faut reconnaître objectivement qu'au moment où s'organise le marché, on demande aussi à l'opérateur historique de jouer pleinement les règles de la concurrence tout en attendant toujours de lui qu'il continue d'assurer l'essentiel des missions de service public et de financer la quasi-totalité des charges de recherche et développement réalisée par les opérateurs. La loi sur le service universel et le nouveau statut de France Télécom confirment ces obligations en matière de service universel dont la méthode d'évaluation des coûts mériterait probablement d'être revue. Il ne faudrait pas, sous prétexte de favoriser la concurrence et l'ouverture du marché, aboutir à une amputation de la capacité d'innovation de France Télécom. Nous avons déjà souligné ce risque lors du récent débat sur l'économie numérique.

L'objectif de la loi sur les communications électroniques est d'assurer désormais un fonctionnement satisfaisant du secteur concurrentiel. Pour ce faire, il est nécessaire d'assurer l'interconnexion et l'interopérabilité, de rendre accessibles à tous ces services essentiels des réseaux, d'écarter certains risques de comportements anticoncurrentiels, entre autres. S'il appartient à chaque Etat de transposer les directives européennes, les législateurs nationaux conservent cependant une marge importante quant aux moyens à mettre en place pour atteindre les objectifs fixés par les directives. Cette loi devrait donc pouvoir favoriser l'innovation et l'investissement dans un secteur dynamique de l'économie. Si la régulation doit veiller à une pratique normale de la concurrence, elle doit aussi laisser agir le marché en évitant des contrôles trop tatillons qui risqueraient d'aboutir - un comble ! - à une économie administrée. Nous soutiendrons donc les amendements en faveur du réexamen régulier des obligations des opérateurs dits puissants.

M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !

M. Alain Gouriou. A notre avis, les marchés émergents doivent faire l'objet d'un traitement particulier favorisant l'innovation et non pas d'une régulation ex ante.

Compte tenu du transfert vers l'ART des missions de régulation exercées jusqu'à présent par le ministre, cette autorité se voit dotée d'un pouvoir considérable sur les opérateurs. D'autant qu'à ses compétences en matière de télécoms doivent s'ajouter des compétences en matière de régulation postale, bien que, semble-t-il, sur ce point, le dispositif n'ait pas été définitivement arrêté. Nous en saurons sans doute un peu plus dans quelques semaines. De tels transferts et concentrations de pouvoirs n'étaient pas prévus par les directives. Ils risquent d'accentuer le caractère sectoriel spécifique de la régulation, au point de s'écarter de l'intention qui vient d'être rappelée de se rapprocher du droit de la concurrence et de laisser en lisière les institutions qui sont chargées d'y veiller.

La Commission supérieure du service public des postes et télécommunications, comme plusieurs parlementaires, a émis un avis négatif sur l'étendue des pouvoirs d'enquête confiés à l'ART en raison des interférences de compétences avec d'autres institutions qui procèdent à de telles enquêtes. En contrepartie des pouvoirs dont hérite l'ART dans d'autres domaines, il est particulièrement important de ne pas la laisser agir sans un contrôle et une évaluation parlementaires appropriés. Compte tenu de sa composition, la charge pourrait fort légitimement en revenir à la Commission supérieure du service public.

M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !

M. Alain Gouriou. Nous souhaitons donc, madame la ministre, que soit confirmé et conforté le rôle de cette commission dans le suivi de l'intégration des transpositions des directives européennes dans notre droit national, ainsi que dans le contrôle parlementaire. Nous souhaitons aussi que ses modestes moyens financiers soient abondés afin de diligenter les études et les investigations nécessaires concernant La Poste et les communications électroniques.

En conclusion, nous remarquons, une fois de plus, que ne sont pas écartés les risques d'incohérences, de doublons, voire d'oublis, en raison de la méthode que vous avez choisie de présenter séparément trois projets de loi couvrant des secteurs voisins : celui-ci, le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique, le projet de loi relatif au service universel avec le statut de France Télécom, et même la régulation postale, déjà présentée en première lecture au Sénat.

Je voudrais vous faire part du souhait, largement partagé par la Commission supérieure du service public et de nombreux acteurs intéressés par le domaine des télécoms, « que le nombre des décrets d'application soit réduit de façon drastique et, s'il en subsiste, que leur contenu soit rapidement circonscrit, largement communiqué et qu'ils soient pris dans les plus brefs délais ». Ainsi serait clairement manifestée la décision de confier la régulation à l'ART sous le contrôle du Parlement. La commission suggère également de façon pertinente qu'en l'absence de référence explicite aux différentes directives et à la décision associée au Paquet télécom, il serait souhaitable de disposer d'un tableau de références croisées pour rattacher plus aisément les articles de loi proposés aux textes des directives. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Michel Françaix. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet.

M. Pierre-Christophe Baguet. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nous sommes très solidaires à l'UDF, nous répartirons notre très modeste temps de parole entre moi-même, Jean Dionis du Séjour qui s'exprimera sur les télécommunications et Rodolphe Thomas qui interviendra sur les télévisions locales.

Le 13 janvier dernier, lors du débat sur la politique de l'audiovisuel et de la presse écrite initié par le groupe UDF, j'avais rappelé dans mon intervention la nécessité d'arrêter de légiférer sur le secteur des médias dans l'urgence. Surtout, j'avais insisté sur le besoin de mieux prendre en compte l'interaction entre les médias : intervenir sur l'un, c'est souvent modifier aussi l'environnement économique des autres. Il faut donc prendre le temps de la concertation et de la réflexion. C'est pourquoi je vous avais proposé d'instaurer, avant l'examen de chaque texte, un dialogue préalable des médias, cette concertation devant permettre à l'Etat de jouer pleinement et efficacement son rôle essentiel de régulateur et d'être le garant de la modernisation du secteur de la communication. Ma proposition reste d'actualité, car aujourd'hui nous ne nous contentons pas seulement de transposer, avec retard et néanmoins dans l'urgence, le Paquet télécom. Nous nous apprêtons aussi à modifier de nombreuses dispositions de la loi fondatrice de 1986.

Je commencerai par les pouvoirs des autorités de régulation. Face à la diversification accrue des contenus, la multiplicité des technologies et l'émergence de nouveaux marchés, il est aujourd'hui indispensable de renforcer les compétences et les pouvoirs du CSA, de l'ART et du Conseil de la concurrence. Ces organismes doivent pouvoir jouer réellement et efficacement leur rôle de régulateur. Pour autant, ces renforcements doivent s'organiser en pleine cohérence avec leur champ de compétences. Ils ne sauraient dépasser le cadre de leurs missions respectives. Ainsi, je m'interroge sur l'opportunité d'attribuer des compétences juridictionnelles au CSA sur des litiges entre éditeurs et distributeurs portant sur des conditions commerciales et financières. De même, je m'interroge sur la conformité juridique douteuse de l'article 97 du projet de loi.

M. Michel Françaix. Nous aussi !

M. Pierre-Christophe Baguet. Cet article permettrait, en effet, de remettre en cause les autorisations d'émettre en analogique déjà accordées à des opérateurs qui refuseraient le passage au numérique. Si l'Etat doit faire preuve de volontarisme, cette mesure me semble toutefois disproportionnée.

Toujours dans le cadre des compétences des autorités administratives, il me semble, en revanche, que ce projet de loi oublie un thème majeur : celui des contenus, notamment le classement par le CSA de ce qui relève de l'œuvre audiovisuelle. Nous devons saisir l'occasion de ce texte pour redéfinir l'œuvre audiovisuelle et rassurer ainsi au plus vite les acteurs d'une création, déjà fragilisée. Monsieur le ministre, des propositions vous ont déjà été faites. Pourquoi ne pas les examiner ?

J'en viens maintenant au débat, qui angoisse le paysage audiovisuel français ces dernières semaines, des obligations de reprise. Pour le groupe UDF, l'essentiel est la garantie des libertés publiques. Néanmoins, il est absolument nécessaire de maîtriser toutes les conséquences des propositions qui sont faites, notamment sur les grands équilibres économiques. En ce domaine, il nous faut redoubler de vigilance. C'est pourquoi nos deux commissions ont adopté deux amendements obligeant les distributeurs satellite et ADSL à reprendre les chaînes gratuites si ces dernières en font la demande, tout en ne modifiant pas le régime du câble. C'est une solution équilibrée dans la situation actuelle.

Enfin, je rappelle que, comme le prévoient les dispositions de la loi du 1er août 2000, un décret d'application aurait dû être publié pour assurer la diffusion de services indépendants dans l'ensemble des offres mises à disposition du public. Nous sommes en 2004 et vous avez annoncé, monsieur le ministre, le 29 janvier dernier, une consultation publique sur le sujet. Tout cela doit être précisé, car ce décret aurait, en effet, répondu aux nombreuses questions qui se posent aujourd'hui sur l'accès des fameux nouveaux entrants.

Concernant l'intégration de RFO au groupe France Télévisions, le groupe UDF est favorable à la constitution de grands pôles de service public distincts : d'un côté, la télévision, de l'autre la radio.

M. Michel Françaix. Eh oui !

M. Pierre-Christophe Baguet. Dès lors, il ne nous semble pas très cohérent d'inclure les services radio de RFO aux missions de France Télévisions.

M. Michel Françaix. Eh oui !

M. Pierre-Christophe Baguet. D'autant, que l'association entre radio et télévision se fait souvent au détriment de la radio.

Je terminerai justement mon intervention en évoquant le cas de la radio et la replanification des fréquences de la bande FM. Monsieur le ministre, en octobre vous nous aviez annoncé qu'une étude allait être lancée par le CSA ; en janvier, vous nous avez dit qu'elle était partie. Nous sommes en février : où est-elle ?

Sur les nombreux sujets précédents, nous légiférons trop dans l'urgence, et ici, dans un domaine où études et rapports concordants se multiplient, il nous faudrait encore patienter ! Or, entre 2006 et 2008, près de la moitié des 3 400 autorisations de radios privées vont parvenir à expiration. Ce calendrier est une formidable chance pour optimiser la gestion du spectre. Surtout, c'est une occasion à ne pas manquer pour permettre à nos concitoyens de bénéficier d'une égalité d'accès à une offre plurielle de stations. C'est pourquoi nous devons profiter de ce texte pour préparer dès aujourd'hui la future replanification. J'ai, d'ailleurs, déposé plusieurs amendements en ce sens. Sans hypothéquer l'avenir en quoi que ce soit, ils doivent permettre au CSA de disposer des outils juridiques nécessaires pour la meilleure optimisation possible de la bande FM. Ainsi, 1'un d'entre eux prévoit la possibilité de reporter, dans la limite de deux années au maximum, la date de fin de l'autorisation des services radiophoniques. Il permettra au CSA d'aligner les dates de fin d'autorisation en vue d'une replanification cohérente des fréquences avec un calendrier précis. Je me réjouis, monsieur le ministre, de votre engagement en ce sens.

M. Michel Françaix. Pas moi !

M. Pierre-Christophe Baguet. Enfin, je tiens à rappeler clairement que la future gestion de la bande devra absolument sauvegarder les radios existantes et veiller à la protection des radios associatives et indépendantes.

M. Michel Françaix. C'est impossible !

M. Pierre-Christophe Baguet. J'ai également déposé des amendements en ce sens.

Pour répondre une fois pour toutes aux inquiets, je rappelle que les radios associatives disposent aujourd'hui de 25 % des 3 400 fréquences privées, soit 840. Avec ma proposition, et grâce au concours du service public, elles pourront disposer demain de 33 % de 4 000 fréquences. Presque le double !

Je regrette de ne pouvoir, faute de temps, aborder des sujets aussi importants que le droit à la communication et internet, la TNT, la vidéo à la demande, la publicité sur les chaînes locales, et j'en passe.

M. Michel Françaix. Vous auriez été trop critique !

M. Pierre-Christophe Baguet. Nous aurons l'occasion d'y revenir au cours des trois longues soirées qui nous attendent. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit.


M. Frédéric Dutoit
. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, chers collègues, le Parlement est engagé dans un marathon législatif afin d'adapter notre droit aux évolutions liées aux nouvelles technologies de l'information et de la communication. Le projet de loi que nous allons examiner s'inscrit dans ce cadre. Pourtant, j'ai le sentiment que l'accumulation des textes aboutit à bâtir un ensemble incohérent.

Les partis pris européens comme ceux gouvernementaux réduisent la portée de la numérisation des contenus. Ils ne sont, dès lors, manifestement pas à la hauteur des enjeux. D'ailleurs, mon groupe a déjà exprimé son opposition aux textes précédemment examinés ici.

Opposition, tout d'abord, à la loi relative aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom. En effet, cette loi vise à permettre la privatisation de l'opérateur historique. Elle fait peser un risque sur le statut de 106 000 fonctionnaires. Elle prive notre pays du contrôle d'un instrument à même de permettre une politique d'aménagement du territoire ambitieuse et harmonieuse, orientée vers l'accès de tous nos compatriotes à la communication et à l'information. Elle transpose a minima la directive « service universel » alors que celle-ci permettait aux Etats membres d'étendre son contenu pour y inclure, par exemple, l'Internet haut débit et la téléphonie mobile. Le Gouvernement a préféré attendre l'année prochaine et la réouverture des négociations à ce sujet. C'est là un choix lourd de conséquences.

Opposition, ensuite, au projet de loi sur la confiance dans l'économie numérique, tout entier animé par une défiance vis-à-vis de l'Internet, ce formidable outil de développement de la création et de l'échange culturel. En témoigne le régime de responsabilité des hébergeurs et fournisseurs d'accès qui fait peser sur les contenus la menace d'une censure par précaution, en l'absence de toute intervention du juge. Comme si les internautes, qui sont tous, en puissance, des éditeurs de contenus, devaient être tenus pour des délinquants potentiels, citoyens de seconde zone privés du droit à une justice indépendante et impartiale.

Aujourd'hui, nous allons, malheureusement, de nouveau être contraints d'exprimer notre opposition à ce projet de loi, dit « paquet télécom » car transposant six directives européennes et une décision adoptées en 2002.

Il propose en effet de franchir une nouvelle étape dans la libéralisation du secteur des télécommunications, comme si cela allait de soi, sans aucun débat préalable sur les conséquences des décisions antérieures d'ouverture à la concurrence, ni bilan précis de l'impact, qui n'est pas neutre, des formes de régulation actuelles. Mon collègue Daniel Paul a montré à quel point cette absence de débat constitue un véritable déni de démocratie, révélateur de l'existence de certaines craintes parmi ceux qui vantent les vertus de la concurrence bienfaitrice. Si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, il y a fort à parier que le Gouvernement aurait été le premier à engager le débat puisqu'il n'y aurait rien eu à cacher. Or, il s'y refuse obstinément, et ce refus est significatif. A nos yeux, le problème fondamental est que cette libéralisation s'est faite et continue à se faire selon les dogmes du libre-échangisme capitaliste et productiviste. L'Union européenne et les Etats membres, frappés d'une myopie désormais coutumière, se montrent incapables de se projeter à moyen voire à long terme. De fait, la technologie des communications électroniques est devenue une cible prioritaire pour la création de profit au moindre coût.

II nous est proposé de poursuivre dans une logique qui ne prend en compte que le développement de la valeur marchande. On postule que plus de concurrence fera nécessairement baisser les prix : dès lors, la principale activité des autorités régulatrices mises en place dans chaque pays consiste à identifier les opérateurs occupant une position dominante, à qui l'on impose des carcans tarifaires jugés pénalisants et, donc, susceptibles de permettre le développement de concurrents. Plus il y aurait de concurrents, plus il y aurait de services, donc de retombées positives pour l'économie dans son ensemble, et de croissance.

Néanmoins, cet économisme relativement primaire tend à tenir pour quantité négligeable l'importance des valeurs d'usage, c'est-à-dire le rôle que peuvent jouer les technologies de l'information et de la communication dans la satisfaction des besoins. S'intéresser aux valeurs d'usage afférentes à ces nouvelles technologies devrait conduire nécessairement à identifier comme objectif prioritaire l'accès universel à ces outils. Dans cette perspective, qui est la nôtre, il ne s'agit pas de transformer l'Internet et la téléphonie mobile en usines à profit mais, au contraire, de voir en quoi ces nouveaux outils de communication et d'information, qui ont la particularité de modifier fondamentalement la notion de distance mais aussi les conditions de vie familiale et professionnelle, peuvent avoir un impact positif sur notre rapport au monde et, au-delà, sur notre rapport à l'autre.

On ne peut plus ignorer aujourd'hui - et encore moins demain - que ne pas être connecté à l'Internet haut débit est aussi pénalisant pour un territoire que ne pas être raccordé au réseau électrique. Pour un individu, être ou non connecté à Internet emportera un avantage ou un handicap incontestable, propre à combler ou à renforcer les inégalités culturelles qui biaisent tous les discours sur la prétendue méritocratie républicaine ou sur l'égalité des chances.

L'Etat et, bien entendu, les élus ne peuvent se contenter de « mettre la clé sous la porte », si j'ose dire, c'est-à-dire de renoncer à tout volontarisme en matière d'accès aux nouvelles technologies comme de défense du pluralisme, et se contenter de laisser place au jeu du marché et à une guerre des opérateurs tout à la fois stérile et dévoreuse de capitaux et de compétences. Je ne peux me résoudre à considérer les nouvelles technologies comme uniquement des gisements de rentabilité et de croissance économique. L'essentiel n'est pas là.

Pour rompre avec cette approche, il faut prendre acte que les textes proposés par le Gouvernement ne répondent pas à ces exigences proprement politiques que sont, d'une part, la réduction des inégalités territoriales et sociales, et, d'autre part, la défense de l'indépendance, de la créativité et du pluralisme de l'audiovisuel.

Nous assistons actuellement à un incroyable gâchis.

Le temps paraît bien loin où les tenants de l'Etat « modeste » expliquaient que ce dernier devait se recentrer sur des missions de pilotage. Mais, loin d'avoir affaire à un Etat stratège, nous sommes devant un grand vide. Il suffit d'ailleurs de songer au désengagement en matière de recherche : depuis que France Télécom s'est vu déchargée de ses attributions dans ce domaine, l'insuffisance de l'implication de l'Etat crève les yeux.

En guise de pilote, nous avons des autorités administratives indépendantes à qui sont confiées des missions de régulation sectorielles. Organiser le secteur des communications électroniques par la mise en concurrence sur les réseaux et les services, tel est le principal objectif poursuivi par ces autorités.

Au lieu d'utiliser rationnellement la complémentarité des technologies, on a choisi de les rendre concurrentes. Comment s'étonner dès lors que, dans les grandes agglomérations se soient développés des réseaux concurrents, qui font indéniablement doublons, compte tenu de la numérisation des contenus ?

En revanche, on peut - et je dirais même que l'on doit - s'en scandaliser lorsque l'on sait que, dans notre pays - où 80 % de la population vit sur 20 % du territoire -, des zones entières - avec leurs habitants, leurs élus, leurs entreprises - sont exclues, volontairement oubliées par les trois opérateurs qui se partagent le marché du mobile, et déconnectées de la révolution Internet.

L'examen du projet de loi sur la confiance dans l'économie numérique a été l'occasion d'un constat de carence de l'initiative privée, qui a résonné comme un constat d'échec.

Mais, alors qu'une pluie d'amendements gouvernementaux propose de réécrire des pans entiers du texte qui nous est soumis - il suffit de penser à l'intégration de RFO dans la holding France Télévisions, qui inquiète légitimement le personnel -, rien n'est avancé pour remédier à l'absence, tout à la fois étonnante et préoccupante, de toute orientation lisible en matière de politique d'aménagement du territoire.

Il y a fort à parier, d'ailleurs, que le passage d'un régime d'autorisation à un régime déclaratif en matière d'établissement de réseaux ouverts au public ne fasse qu'aggraver les tendances observées. A moins, bien évidemment, que l'on finisse par se résoudre à « muscler » le contenu des obligations imposées aux opérateurs. Mais, en agissant ainsi, le Gouvernement fausserait le libre jeu de la concurrence, qu'il faut bien sauver du naufrage, contre vents et marées.

Pour ce qui est de la refonte de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, il conviendra d'être attentif à ce que le pluralisme, l'indépendance et la créativité de la radio et de la télévision ne fassent pas figure de purs slogans. Ainsi, je suis sensible aux inquiétudes exprimées par les radios associatives face au projet de fréquence unique en modulation de fréquence, qui ne semble pas enterré. Compte tenu du fait que la ressource en fréquence offerte sur la bande FM est limitée, la diversité culturelle pourrait être gravement menacée.

Le prochain passage au numérique, qui aura le mérite de véhiculer une logique d'abondance, pourrait permettre aux grandes radios nationales de résoudre certains de leurs problèmes. Mais en l'état actuel des choses, une remise à plat complète du spectre hertzien risque de réduire au silence les radios associatives locales.

Cela serait malvenu alors que ce texte a le mérite, et c'est peut-être le seul, de donner une impulsion non négligeable au développement de la télévision locale. A ce titre, il est tout à fait regrettable que, parmi les propositions avancées par le rapport, publié en mai dernier, sur les télévisions citoyennes de proximité, seule la suggestion d'assouplir le régime anti-concentration ait trouvé grâce aux yeux du Gouvernement. Aussi, les amendements adoptés par la commission des affaires économiques nous paraissent beaucoup plus utiles pour lever les entraves à leur développement.

Au demeurant, ces timides avancées révèlent le manque flagrant d'ambition, autre qu'économique, de ce projet de loi. Le politique ne peut, par essence, se réduire à un instrument voué à créer les conditions de l'épanouissement des grands groupes des secteurs des télécommunications et de l'audiovisuel. Or, au terme de la lecture de ce texte, long et technique, c'est bien à une réduction, voire à une mutilation de la chose politique, que l'on assiste. En République, la chose politique doit être la chose des citoyens. Dès lors, la tendance actuelle à la constitution d'oligopoles, sur des marchés prétendument libérés, où les usagers sont tenus pour de simples clients, ne saurait répondre aux besoins de la société. Ce n'est pas en raisonnant en termes de marchés solvables et lucratifs, mais bel et bien captifs, que l'on se donnera les moyens de résorber la fracture numérique.

Aussi, ne pas transcrire en droit français le « paquet télécom » aurait pour vertu de relancer le débat européen sur le droit à l'information et à la communication pour tous, sur un service public réellement au service du public, sur les coopérations industrielles comme antidotes au gâchis des moyens techniques et financiers, ou encore sur l'indispensable partage du savoir et des compétences.

Et ne me dites, madame et monsieur les ministres, que les directives européennes s'imposent à nous. Elles peuvent être dénoncées par la France, si elle le veut.

M. Christian Paul. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Christian Kert.

M. Christian Kert. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après l'intervention de M. Dutoit, il me paraît nécessaire de retracer l'histoire de ce texte et de montrer son utilité.

Après le projet de loi sur la confiance dans l'économie numérique, le projet de loi que nous examinons ce soir, est la deuxième étape du plan gouvernemental RESO 2007. Il tire les enseignements de l'ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications et prend en compte les importantes mutations technologiques intervenues ces dernières années dans ce secteur, ainsi que dans celui de l'audiovisuel. Il s'inscrit par ailleurs dans une vaste réforme de la réglementation applicable aux activités de télécoms, engagée au niveau européen en 1999.

C'est un texte très attendu. La transposition de cet ensemble de directives, appelé par commodité « paquet télécom », fait partie des priorités législatives du secteur des télécommunications.


Son échéance était d'ailleurs fixée au 25 juillet 2003. Nous nous réjouissons donc que le texte arrive enfin en discussion et qu'il puisse être adopté rapidement.

Il s'inscrit en outre dans un contexte d'intense activité législative dans le secteur des télécommunications. Son examen se télescope avec celui du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique, qui n'est toujours pas définitivement voté, et fait suite à la loi relative aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom de décembre 2003.

C'est un texte technique, d'une grande densité, qui, à travers plus de cent articles, comporte quasiment deux projets de loi en un seul : d'un côté, des dispositions fondamentales qui modifient le code des postes et télécommunications ; de l'autre, plus de soixante articles qui réforment la loi du 30 septembre 1986.

Permettez-moi de m'attarder tout d'abord sur la première partie du texte.

Le « paquet télécoms » en lui-même est très lourd. Sa transposition, à la fois fidèle et cohérente, obéit aux principes généraux définis au niveau communautaire qui visent à l'application du droit de la concurrence dans le secteur et à l'institution d'un véritable marché intérieur des télécommunications.

Le projet de loi remet donc à plat le cadre réglementaire des télécoms issu de la loi de 1996, et modifie la régulation du secteur sous plusieurs aspects importants, non seulement pour assurer une transition graduelle vers 1e droit commun de la concurrence, mais aussi pour adapter la réglementation au nouveau contexte technologique.

Cette notion de convergence est fondamentale. Elle permet de fournir les mêmes services via des plates-formes techniques différentes et à destination de terminaux très variés. C'est un des grands principes autour desquels s'articulent les dispositions du présent texte.

Je ne retiendrai, au sein de la première partie, que les principaux aspects de cette évolution du cadre réglementaire, à travers, tout d'abord, la transformation du code des postes et télécommunications en un nouveau code des « postes et communications électroniques », ce qui lui permettra de s'appliquer à toutes les activités de diffusion d'information en mode électronique, et donc aux supports de télécommunication des services de diffusion audiovisuelle. Il ne s'agit donc pas seulement d'un changement de dénomination, mais également d'un changement de portée.

Ensuite, l'ART est appelée à décomposer le secteur des télécommunications en « marchés pertinents », pour y apprécier l'état de la concurrence et limiter l'intervention a priori du régulateur aux seuls cas où des déséquilibres importants entre opérateurs seront constatés. La notion de « marchés pertinents » servira désormais de fondement à toute la politique de la concurrence dans le secteur des télécommunications.

C'est dans ce cadre que seront traitées les obligations pouvant être imposées aux opérateurs puissants, ainsi que les décisions de l'ART sur le contrôle des services innovants. Mais, outre le fait que ces services devraient, madame la ministre, peut-être faire l'objet d'une définition juridique plus précise,...

M. Michel Françaix. C'est vrai !

M. Christian Kert. ...il conviendra également que le régulateur tienne compte, en matière de services innovants, des nouveaux investissements engagés par l'opérateur, afin de ne pas brider l'innovation.

Notre rapporteur a déjà développé ces points qui sont essentiels pour l'économie générale du projet de loi. Je voudrais toutefois souligner ici que si le régulateur dispose désormais d'une capacité d'intervention plus large, cette dernière est aussi plus encadrée, puisque désormais, en vertu des textes communautaires, son intervention devra être justifiée et proportionnée.

S'agissant de la libéralisation du câble, ce dernier va devenir un réseau de communication comme les autres, ainsi libéré des contraintes qui pesaient sur lui depuis son origine - souvenons-nous du « plan câble ». Aujourd'hui, les abonnés au câble sont près de 4 millions et les entreprises du secteur sont encore très fragiles . Elles ne peuvent donc que se féliciter de la mise en place d'un régime de liberté d'installation, avec une simple déclaration auprès de l'ART . Les collectivités locales ne seront plus sollicitées pour donner leur autorisation et le CSA n'aura plus à fournir une autorisation préalable pour le plan des programmes et services distribués sur le réseau.

Enfin, je voudrais souligner la clarification des règles juridiques relatives à la répartition des compétences entre les deux régulateurs que sont le CSA et l'ART, avec, d'un côté, les règles s'appliquant aux supports de télécommunications, qui relèvent désormais tous du contrôle de l'ART ; de l'autre, celles s'appliquant aux contenus audiovisuels diffusés, relevant du contrôle du CSA, ce dernier restant néanmoins responsable pour les autorisations d'utilisation des fréquences pour la diffusion de programmes audiovisuels. L'option que le Gouvernement a choisie est donc cohérente par rapport à l'esprit des directives, puisque celles-ci établissent une différence entre les contenants et les contenus.

Pour conclure sur cette première partie, j'évoquerai brièvement deux amendements adoptés par la commission des affaires économiques et qui me semblent importants.

En premier 1ieu, il est essentiel, comme l'a précisé la commission, que seuls les abonnés ayant donné leur consentement puissent voir leur numéro de mobile figurer dans l'annuaire. Cette position est pleinement justifiée. Le numéro de portable est bien souvent une donnée éminemment personnelle. En outre, les mineurs sont plusieurs millions à posséder un téléphone portable, parfois à leur nom. Leur inscription d'office sur un annuaire aurait donc soulevé le problème de leur protection.

Je me félicite par ailleurs que la commission ait adopté un amendement instaurant le principe de la gratuité de la localisation des appels reçus par les services d'urgence. J'espère, madame la ministre, que le Gouvernement ne refusera pas cet amendement qui avait déjà été présenté en décembre, lors de la discussion du projet de loi relatif aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom.

J'en viens maintenant à la deuxième partie du texte, qui n'est d'ailleurs pas totalement déconnectée de la première, puisque la frontière entre les deux secteurs n'a rien d'étanche : on distribue en effet, depuis décembre 2003, la télévision par ADSL, c'est-à-dire par la ligne téléphonique. Je ne pense pas, monsieur le ministre, que l'on puisse aborder cette partie consacrée à l'audiovisuel sans évoquer l'actualité brûlante du sujet avec la grève des personnels de Radio France - Pierre-Christophe Baguet l'a évoquée tout à l'heure dans son propos. Même s'il s'agit d'un problème « interne », il est évident que la position du Gouvernement dans le débat est importante.

M. Michel Françaix. Le Gouvernement n'a pas de position ! C'est bien le problème !

M. Christian Kert. Nous abordons la troisième semaine de grève, avec ce que cela suppose de manque à gagner pour les personnels et de déperdition d'auditeurs...

M. Patrice Martin-Lalande. Hélas !

M. Christian Kert. ...qui s'habituent désormais très bien, en pareil cas, à « zapper » sur les autres stations.

Monsieur le ministre, pourriez-vous indiquer à la représentation nationale quelle issue est envisagée par la direction de Radio France pour sortir d'une grève qui risque d'atteindre un record de durée ?

Dans le second volet du texte que vous nous proposez, je dénombrerai quatre enjeux ou défis sur lesquels, certes, il est difficile d'obtenir un consensus des professionnels tant les intérêts des uns et des autres sont divers, pour ne pas dire divergents. Nous pouvons cependant réaliser ensemble une synthèse des besoins afin d'adapter la loi de 1986 aux évolutions du secteur.

Le premier enjeu est celui des télévisions locales.

Vous savez l'importance que nous accordons, sur tous les bancs, à l'émergence de chaînes locales. Elles peuvent servir de « lien » en jouant un rôle de transmission entre, d'une part, les collectivités locales, munies de compétences élargies et clarifiées et, d'autre part, l'ensemble des citoyens.

L'assouplissement du dispositif anti-concentration, qui a retenu notre attention, supprime le plafond de 50 % prévu pour la participation au capital d'une télévision locale et permet le cumul d'autorisations pour une chaîne nationale diffusée par voie hertzienne terrestre et pour une chaîne locale diffusée par voie hertzienne en mode numérique , voire, sous certaines conditions, en mode analogique. Ce dispositif ne nous paraît pas satisfaisant. Aussi ai-je déposé, au nom du groupe UMP, un amendement repris par les deux commissions, qui permet de maintenir le dispositif anti-concentration, tel qu'il a été défini par la loi de 1986.

M. Michel Françaix. Pourvu que ça dure !

M. Christian Kert. D'autre part, si nous approuvons l'autorisation de diffusion de publicité nationale dans le cadre de décrochages locaux de chaînes nationales, l'équilibre du marché publicitaire commande que cela revête un caractère exceptionnel et réservé à des événements qui ne relèvent pas du fonctionnement habituel de ces chaînes.

Le deuxième enjeu concerne le CSA.

Si le texte ne prévoyait rien pour intervenir sur un opérateur comme Eutelsat, un amendement de la commission permettra de demander aux opérateurs de réseaux satellitaires toutes les informations nécessaires à l'identification des éditeurs des services de télévision qu'ils transportent. Lors de l'examen en commission, j'ai demandé au rapporteur pour avis si les nouvelles compétences conférées au CSA par l'article 36 du projet de loi peuvent se définir comme un pouvoir de règlement des litiges, alors que nombre d'opérateurs souhaitaient qu'il s'agisse d'un rôle de simple médiation.

II s'agit de pouvoirs étendus qui permettent, par exemple, le recours à un référé administratif dont les décisions seront susceptibles d'un recours devant le Conseil d'Etat. Ici encore, certains opérateurs s'émeuvent de cette saisine et lui préféreraient celle d'une chambre de droit commun. Aussi serons-nous d'accord avec l'amendement qui prévoit de transférer ce pouvoir à la cour d'appel de Paris.

Pour les « tenants » de cet élargissement des pouvoirs, l'amélioration des procédures de règlement des conflits entre éditeurs et distributeurs paraît opportune, comme leur paraît opportune la meilleure garantie des risques d'abus de positions dominante par des opérateurs de bouquets, à l'égard des chaînes qui ne leur sont pas liées.

Si nous sommes d'accord avec une claire définition des compétences du CSA , il nous paraît toutefois opportun que le secteur de l'audiovisuel n'échappe pas totalement aux règles habituelles du commerce et de la concurrence. En un mot, que les pouvoirs économiques du CSA ne prennent pas le pas sur ses pouvoirs de régulation et de contrôle.

Aussi avons-nous déposé un amendement destiné à ouvrir le débat sur ce thème et à nous aider à trouver une solution proche de la demande du CSA, mais qui ne négligerait pas les inquiétudes des opérateurs à voir confier à l'organe de régulation des pouvoirs trop étendus. Un amendement cosigné par plusieurs députés de notre groupe vous sera proposé à cet effet.

Le troisième enjeu est celui de l'adaptation de la TNT, qui soulève des réserves. Ce « produit », comme d'autres par le passé, est-il victime de la rapidité des progrès dans ce domaine ? Aujourd'hui, certains opérateurs redoutent que la poursuite du plan tel qu'il a été conçu d'après des perspectives tracées au milieu des années quatre-vingt-dix, ne crée un nouveau déséquilibre dans l'économi fragile du marché. Car, nous rappelle-t-on : « Les équilibres entre télévisions publiques et privées, d'une part, entre télévisions gratuites et payantes, d'autre part, ont été délicats à trouver et les entreprises du secteur sont engagées, déjà, dans des investissements considérables pour se développer ».

Même si les inquiétudes sont parfois exagérées, il est certain que toute remise en cause brutale ou mal préparée de ce marché fragiliserait l'ensemble de l'édifice.

M. Michel Françaix. Eh oui !

M. Christian Kert. On ne peut pas nier le travail réalisé. Mais comment aider au développement nécessaire de la TNT, tout en l'adaptant aux exigences nouvelles ? N'est-il pas encore temps de repenser le plan prévu ?

Une solution permettrait d'apaiser le climat, en différenciant dans l'espace et dans le temps le passage à la TNT pour les chaînes gratuites et pour les chaînes payantes.

M. Yves Jego. Tout à fait !

M. Christian Kert. Car les marchés et les cibles ne sont pas identiques et, avant de conquérir un marché, les opérateurs du payant doivent « imaginer » des programmes spécifiques plus difficiles à mettre en œuvre que lorsqu'il s'agit d'une chaîne gratuite.

Aussi suggérons-nous que, dans les multiplex à construire, on différencie les catégories de chaînes, et c'est, je crois, ce que s'apprête à faire notre rapporteur pour avis. Mais je pense qu'il faut aller au-delà des tuyaux afin de donner au CSA le pouvoir de différencier les dates de démarrage de son calendrier, lequel paraît aujourd'hui plus difficile à suivre pour les chaînes payantes.

M. Michel Françaix. Freinons !

M. Christian Kert. Le dernier enjeu est celui du « must carry », autrement dit, « l'obligation de transporter » - car je sais, monsieur le ministre, que vous préférez l'appellation française. Si l'on se réfère au sens étymologique du terme, on peut même parler d'« obligation de charrier ».

Heureusement, la négociation entre le Gouvernement et les professionnels du secteur a permis de trouver une voie médiane qui sauvegarde le principe, mais l'adapte en lui donnant un « air de liberté » qui lui fait défaut dans la version originale du texte.

Si nous sommes en phase avec l'actualité du sujet, la solution que vous nous proposez, monsieur le ministre, consisterait à ce que toutes les chaînes de la TNT aient accès à l'offre du câble et du satellite, mais seulement si elles le demandent et en assurant elles-mêmes les coûts de transport et de distribution. Bien entendu, une version plus contraignante de l'accord doit obliger les distributeurs à accepter les chaînes publiques.

Madame la ministre, monsieur le ministre, c'est parce que votre texte allie au souci de normalisation la volonté de liberté dans l'acte de communiquer que notre groupe votera votre texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Michel Françaix. Flatteur !

M. le président. La parole est à M. François Brottes.


M. François Brottes
. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, en écoutant le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - qui semble ne pas trouver indispensable d'assister à la discussion générale -, je me suis dit que, puisque le Premier ministre avait proposé désormais de faire en sorte que l'on ait connaissance du Journal officiel exclusivement sur Internet, il sera utile de prévoir des liens hypertextes permettant d'expliquer ce que signifient les expressions « must carry », « peer to peer », « simulcast », « TNT », « bouquets filaires ». Une telle innovation aiderait nos concitoyens à comprendre ce que nous avons nous-même parfois du mal à appréhender.

M. le ministre de la culture et de la communication. En effet !

M. François Brottes. Plutôt de me lancer dans une grande intervention, j'avais l'intention de vous poser, madame, monsieur le ministre, une question à propos de la manière dont le Gouvernement nous invite à légiférer sur cette question majeure de la communication électronique : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

M. le ministre de la culture et de la communication. Oh !

M. François Brottes. Votre projet de transposition est en effet un paquet d'articles enchevêtrés sans lisibilité ni cohérence. Il s'inscrit, en quelque sorte, dans une saga à la Dallas : on légifère sur un épisode alors que le précédent n'est pas terminé et que le suivant est déjà commencé. On ne sait plus qui vit avec qui, qui défend les intérêts de qui, qui contrôle quoi au détriment de qui ! (Sourires.)

Je m'explique. D'abord, on statue - et nous, socialistes, avons voté contre - sur la privatisation de France Télécom et la fragilisation du service public. On enchaîne ensuite avec la loi sur l'économie numérique, à l'occasion de laquelle le Gouvernement a eu maille à partir avec un rapporteur un peu tatillon - il se reconnaîtra.

M. Jean Dionis du Séjour. Ce n'est pas gentil, ça ! (Sourires.)

M. François Brottes. Aujourd'hui, enfin, on débat sur la convergence en chamboulant la loi de 1986 sur l'audiovisuel et celle de 1996 sur les télécommunications, pendant que le Sénat modifie les attributions de l'ART avec un texte sur La Poste qui viendra dans quelques semaines devant notre assemblée.

C'est, je crois, du jamais vu : chaque texte qui passe est l'occasion d'amender celui qui vient d'être voté sans pour autant attendre qu'il soit promulgué ! Voilà qui est exceptionnel !

M. Jean Dionis du Séjour. Cela appelle une réponse !

M. François Brottes. Et pour ne pas être désagréable à l'égard du Gouvernement, je ne parlerai pas de la quantité considérable d'amendements qu'il a déposés au dernier moment. Je dois admettre, toutefois, qu'une telle improvisation implique un certain talent !

M. Patrice Martin-Lalande. Souvenez-vous de Mmes Trautmann et Tasca ! Des amendements rédigés le matin pour être votés le soir !

M. François Brottes. Tout cela n'est pas sérieux. Et cela pourrait être risible si le sujet, mes chers collègues, n'était pas aussi fondamental pour l'avenir. Personne ne doit croire que ce texte n'est qu'une simple transposition à caractère technique, comme l'a prétendu l'orateur précédent. En réalité, cette loi fonde les forces ou les faiblesses du fonctionnement démocratique de demain.

Or j'ai le sentiment diffus qu'elle ne clarifie pas les rôles des différents acteurs, qu'elle ne garantit pas les droits fondamentaux de nos concitoyens et, surtout, qu'elle vise à déréguler au prétexte de simplification. Ce « paquet télécoms » est comme un enchevêtrement de lianes qui voudrait instaurer durablement la loi de la jungle ! (Rires.)

M. Michel Françaix. Eh oui !

M. François Brottes. Quel est l'enjeu de la régulation des contenus et des contenants de la communication analogique ou numérique ?

Dans le domaine de la communication, comme en matière de laïcité, il faut revenir à des choses simples. Premièrement, nous devons garantir le pluralisme des expressions. Deuxièmement, nous devons soutenir la diversité de la création et de l'expression artistique dans tous les domaines. Troisièmement, nous devons veiller à ce que tous nos concitoyens, où qu'ils habitent sur le territoire, puissent avoir accès à une offre large et de qualité. Et je ne vois pas qui pourrait se déclarer contre de tels principes.

La question est de savoir de quels moyens nous nous dotons pour offrir ces garanties sans pour autant adopter une loi qui sera encore en retard de plusieurs technologies.

Qui garantit les missions de service public ? L'indépendance des journalistes ? L'exception culturelle et le droit des auteurs, des interprètes et de tous les créateurs ? La desserte du territoire ? Quelles règles permettent d'empêcher la concentration des pouvoirs et de favoriser l'initiative et le respect de la concurrence ? Voilà ce qui compte à mes yeux. Tout le reste n'est que remplissage juridique auquel personne ne comprend rien, sinon ceux qui connaissent suffisamment les lois de la jungle pour accéder à une position dominante dans un secteur où la concentration va bon train.

Votre projet de loi confirme la convergence, ce qui est précisément un point de convergence entre nous. (Sourires.) L'Europe avait déjà, depuis plusieurs années, reconnu l'inéluctable, à savoir qu'aujourd'hui, et plus encore demain, les technologies sont neutres par rapport aux différents contenus. Les images, fixes ou animées, la musique, les sons, les textes et toutes les données peuvent utiliser, pour être transportés, n'importe quel support : satellite, câble, réseau hertzien, boucle locale radio, Internet à haut débit, numérique terrestre, téléphonie - bref, il devient totalement absurde et inefficace d'adopter une approche de régulation par type de support, même s'il est vrai que certains réseaux hertziens, notamment, demeurent des biens rares. Mais si je songe à la radio numérique - à laquelle le Gouvernement a d'ailleurs pensé au dernier moment, puisque lorsque les amendements consacré à ce sujet sont arrivés en commission, l'encre de la photocopieuse était encore fraîche -, je me dis que cette rareté n'est que provisoire.

Cette neutralité du support technique de tous les modes de communication impose une nouvelle approche de la régulation pour garantir les droits fondamentaux d'expression, de création et d'accès à la connaissance de nos concitoyens. Votre projet ne tranche pas entre le rôle du CSA, celui de l'ART ou celui du Conseil de la concurrence. Chacun d'entre eux se mêle de tout sans réellement contrôler grand-chose : vous faites sauter les seuils anti-concentration, vous instaurez une simple déclaration là où était requise l'autorisation, vous ne liez pas les contenants et les contenus, ce qui favoriserait une régulation efficace, vous proposez une régulation a posteriori - vous nous l'avez d'ailleurs confirmé tout à l'heure, madame la ministre - ...

Mme la ministre déléguée à l'industrie. En effet.

M. François Brottes. Autrement dit, une fois que certains intervenants auront absorbé ou tué tous les autres, vous invitez le régulateur à rédiger le constat de décès.

Mme la ministre déléguée à l'industrie. Mais non !

M. François Brottes. Votre texte se contente de nous inviter à subir les lois du marché. Et c'est ce que vous avez osé appeler, madame la ministre, la « république numérique » ! Ce que vous-même, monsieur le ministre, appelez la « révolution numérique » - je ne vous savais pas révolutionnaire, entre parenthèses. (Sourires.)

Permettez-moi de vous le dire, ce texte est à l'image du sort que vous avez réservé aux intermittents du spectacle, pourtant au service de la création artistique ; à l'image de votre manière de traiter les journalistes du service public de l'audiovisuel ; à l'image du rôle que vous attribuez à France Télévisions, celui de faire-valoir ou de partenaire d'appoint des chaînes privées ; bref, ce texte organise une dérégulation accélérée au service des intérêts financiers, qui lamineront sans vergogne le pluralisme d'expression et la diversité culturelle. C'est pourquoi ce « paquet télécoms » représente surtout un véritable paquet-cadeau, l'instauration, au bénéfice des acteurs dominants du marché, d'un droit de préemption sur la liberté de communication. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu'il me soit d'abord permis d'évaluer le travail législatif effectué depuis dix-huit mois. Projetons-nous au moins de juin : le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique aura été définitivement adopté, ...

M. Alain Gouriou. C'est à voir !

M. Jean Dionis du Séjour. ...après une deuxième lecture animée au Sénat et une CMP forcément consensuelle (Sourires) ; quant à ce projet de loi sur les communications électroniques, il aura également été voté, et le Gouvernement aura ainsi, avec l'aide du Parlement, accompli les deux tiers du plan « RESO 2007 », annoncé par Jean-Pierre Raffarin le 12 novembre 2002, ce qui, bien avant la mi-mandat, constituera une belle performance, ...

M. Michel Françaix. Si vous le dites !

M. Jean Dionis du Séjour. ...propre à faire pâlir d'envie nos collègues socialistes qui, en d'autres temps, ont vécu l'enlisement dans les sables mouvants de la loi sur la société de l'information.

M. François Brottes. C'est téléphoné ! (Sourires.)

M. Jean Dionis du Séjour. Cette performance est d'abord la vôtre, madame la ministre, je tenais à l'affirmer publiquement. Vous avez gagné les arbitrages de calendrier, impulsé un dialogue ouvert et tonique avec le Parlement. Vous récoltez aujourd'hui les fruits de votre énergie.

Je me permets de vous associer, monsieur le ministre de la culture, à cet hommage. Votre discours de ce soir confirme que la volonté de l'Assemblée nationale de faire de la loi sur l'économie numérique une loi fondatrice pour l'Internet français a été entendue, ce qui est un événement important. Vous avez bien voulu saluer le travail accompli par vos services et par l'Assemblée pour rapprocher les points de vue, notamment sur la question du renforcement de la position de la France dans son combat en faveur de la diversité culturelle, tant au sein de l'Union européenne que des enceintes internationales. Je confirme la volonté de notre commission de parvenir, sur ce point fondamental, à un vrai consensus.

Je salue au passage la volonté, exprimée par tous les acteurs, de ne pas mélanger les travaux consacrés au projet de loi destiné à favoriser la confiance dans l'économie numérique avec ceux relatifs à ce projet de loi, dont l'objectif majeur est d'organiser la concurrence dans les secteurs de l'audiovisuel et des télécoms. Seul notre ami Martin-Lalande a manifesté quelques tentations à ce sujet, vite réprimées toutefois. (Sourires.)

M. François Brottes. Décidément, c'est sa soirée ! (Sourires.)

M. Jean Dionis du Séjour. Cette sagesse est à notre avis la meilleure garantie pour faire aboutir l'un et l'autre texte, rapidement et dans de bonnes conditions.

A bouteille aux deux tiers pleine, cependant, bouteille un tiers vide. Jean-Pierre Raffarin annonçait aussi, le 12 novembre 2002, une loi destinée à réduire la fracture numérique.

M. Michel Françaix. Personne n'y croit plus !

M. Jean Dionis du Séjour. Vous avez tort !

Il s'agit d'un enjeu fondamental, qui comporte deux dimensions : celle de la fracture numérique territoriale, et celle de la fracture numérique sociale. Des progrès ont été effectués dans le premier domaine (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) : accélération de la couverture ADSL, baisse des tarifs concernant cette technologie, feu vert donné aux collectivités locales pour jouer le rôle d'opérateur, en vertu du fameux article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales.

En revanche, il est vrai, le travail n'a pas commencé s'agissant de la fracture sociale.

M. Michel Françaix. Ah ! Il avoue !

M. Jean Dionis du Séjour. A notre avis, il est temps de mettre en place un véritable système de bourses numériques, notamment en direction des familles modestes.

En ce qui concerne la partie « télécoms » du projet de loi, le texte a pour but d'organiser la concurrence dans ce secteur. Qu'il nous soit permis de souligner quelques points devant faire l'objet d'un débat.

Le texte donne des pouvoirs considérables à l'ART. Faut-il pour autant lui confier, par l'article 17, celui d'ordonner des mesures conservatoires ? La question méritera débat lorsque nous examinerons cet article.

En revanche, il réduit encore le rôle de la CSSPT, ce qui est dommage. Sur ce point, je rejoins Alain Gouriou, qui représente ce soir le sage parmi nos collègues socialistes, et je m'associe pleinement à lui pour défendre les amendements de la commission tendant à renforcer le rôle d'observatoire et de garant du service public de cette institution.

Il importe également de préciser l'article 18, en inscrivant clairement dans le texte de loi la fréquence à laquelle l'ART établira la liste des opérateurs puissants.

Soulignons par ailleurs quelques avancées fondamentales du projet de loi : annuaires universels, gratuité et géolocalisation des appels d'urgence.

En conclusion, ce texte est plus technique et plus professionnel que le projet de loi sur l'économie numérique. Il soulèvera, à mon avis, moins de passion au sein du grand public que n'en a pu provoquer ce dernier - et le caractère tatillon du rapporteur n'y est pas pour grand-chose. (Sourires.)

Mme la ministre déléguée à l'industrie. Probablement pas, en effet !

M. Jean Dionis du Séjour. Le processus de modernisation de notre législation relative aux télécoms avance donc bien, et notre commission est heureuse de jouer un rôle actif à cet égard. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Martin-Lalande.

M. Michel Françaix. Il va pouvoir répondre aux attaques dont il fait l'objet ! (Sourires.)

M. Patrice Martin-Lalande. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelles que soient les tentations auxquelles je peux succomber, vous risquez de m'entendre souvent à l'occasion de la discussion sur les articles et les amendements. Je me bornerai donc, dans cette discussion générale, à quelques réflexions générales.

La première concerne la régulation de l'Internet.

Lors de la deuxième lecture du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique, nous avons voté une définition des services en ligne qui, fort heureusement, rend ces derniers plus autonomes par rapport aux services audiovisuels.

L'Internet, on le constate, se diffuse massivement dans le corps social et concerne aujourd'hui - on ne peut que s'en réjouir - un très grand nombre de Français.

Ces évolutions très importantes posent en termes nouveaux la question de la régulation des services en ligne et de l'accès de tous à des référents clairement identifiés et dotés d'une légitimité publique incontestable.

Je crois qu'il nous faut aujourd'hui refonder la régulation publique de l'Internet. En effet, le dispositif mis en place depuis une dizaine d'années de manière empirique doit évoluer en même temps que le secteur.

L'Etat a créé - et il finance - un grand nombre de structures publiques et parapubliques : les départements ministériels que sont la Direction du développement des médias, la DIGITIP ou la Mission pour l'économie numérique ; les commissions administratives -, le Conseil supérieur de la télématique, le Conseil stratégique des technologies de l'information, la Mission pour l'accès public à l'Internet et le nouveau Conseil consultatif de l'Internet - ; une autorité indépendante, la CNIL, sans oublier le CSA et l'ART pour une partie de leurs compétences ; une agence publique rattachée au premier ministre, l'Agence pour le développement de l'administration électronique ; et enfin une association, le Forum des droits sur l'Internet.

Il résulte de cette multiplicité de structures et des incertitudes sur le partage de leurs compétences une réelle difficulté, pour le grand public et les milieux concernés, à identifier un pôle ayant compétence sur l'Internet.

L'objectif devrait donc être aujourd'hui de créer un pôle unique de référence qui contribuerait à la régulation de l'Internet aux côtés des structures ministérielles compétentes. Je demande au Gouvernement de s'engager clairement dans une redéfinition de cette régulation et d'apporter les réponses attendues.

Ma deuxième observation concerne le filtrage sur l'Internet. Le mois dernier, notre assemblée a examiné, en deuxième lecture, le projet de loi sur la confiance dans l'économie numérique. Sur beaucoup de points, il s'agit d'une bonne loi, qui a permis de clarifier beaucoup de problèmes.


Nous avons adopté, notamment, un dispositif fixant le régime de responsabilité et les obligations de surveillance des hébergeurs de sites Internet et des fournisseurs d'accès.

Nous sommes tous d'accord sur l'objectif : lutter sans faille contre les contenus illicites et en particulier ceux dont la diffusion est constitutive d'infractions particulièrement odieuses, qu'il s'agisse de l'apologie de crimes de guerre, d'incitation à la haine raciale ou de pédophilie. Mais nombre d'internautes sont inquiets de certaines modalités nouvelles de cette lutte.

Par amendement, j'avais proposé de supprimer l'obligation générale de filtrage des contenus, vous vous en souvenez peut-être, madame la ministre.

Mme la ministre déléguée à l'industrie. Tout à fait !

M. Patrice Martin-Lalande. En effet, d'ores et déjà, le droit commun offre au juge les fondements juridiques lui permettant d'agir en urgence. La directive européenne sur le commerce électronique interdit aux Etats membres d'imposer aux prestataires une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant une activité illicite.

J'ai déposé un amendement au projet de loi que nous étudions aujourd'hui, qui reprend la totalité du texte adopté par l'Assemblée nationale en seconde lecture du projet de loi relatif à la confiance dans l'économie numérique, d'où les cinq pages dont parlait François Brottes tout à l'heure, en proposant à nouveau de supprimer le second alinéa du 7°, concernant l'obligation de filtrage des contenus, ce que je n'avais pas pu faire adopter le mois dernier.

L'amendement que j'ai déposé a pour objectif de permettre à l'Assemblée nationale et au Gouvernement de prendre position sans plus attendre sur ce problème délicat, à l'occasion de ce texte sur lequel l'urgence a été déclarée, et d'écarter toute obligation de filtrage généralisé.

Troisième point important, l'obligation de reprise et l'obligation de livraison.

Le système actuel d'obligation de reprise et de d'obligation de livraison doit évoluer pour tenir compte de novations transformant en profondeur le PAF : l'arrivée, d'ici à un an, de la TNT, si tout se passe bien ; la réception, déjà expérimentale, de la télévision par le réseau téléphonique, grâce à l'ADSL.

Il nous faut répondre à ces nouveaux besoins pour assurer le pluralisme le plus large dans l'offre de services audiovisuels et garantir l'accès de tous les téléspectateurs aux services que le numérique peut offrir.

Il nous faut aussi veiller à ne pas remettre brutalement en cause des équilibres économiques qui ont permis le développement depuis vingt ans d'un large éventail de chaînes.

Plus récent, le nouveau texte vers lequel nous nous orientons avec le Gouvernement et les rapporteurs me semble constituer une solution équilibrée : le droit à la reprise des chaînes privées hertziennes gratuites sur les bouquets satellites, sur l'ADSL et sur le câble permettra d'éviter au téléspectateur d'avoir à jongler avec un certain nombre de décodeurs ; les chaînes hertziennes gratuites analogiques ou numériques ne seront reprises qu'à leur demande et à leur frais ; le respect de la liberté pour la chaîne de choisir d'être distribuée ou de ne pas l'être selon ses objectifs éditoriaux ou commerciaux me semble aussi important.

Le câble, pour des raisons objectives de monopole technique dans les immeubles, continue d'être soumis à des règles spécifiques afin d'assurer le pluralisme audiovisuel aux habitants des immeubles ainsi exclusivement desservis, mais il faudra très rapidement réexaminer ces règles car la progression rapide de la réception par l'ADSL va créer un second réseau de télédistribution dans les immeubles collectifs. La disparition du monopole technique du câble devra, en bonne logique juridique, faire rentrer celui-ci dans le cadre de la réglementation de droit commun. Alors sera effectivement respecté le principe de la neutralité entre des technologies rendant finalement le même service au consommateur-téléspectateur.

Je souhaiterais que le Gouvernement et le Parlement prennent l'engagement de réviser ce point de la loi d'ici à un an pour tenir compte de l'avancée de l'ADSL et adapter la règle au moment où la TNT devrait être effectivement lancée.

Voilà quelques réflexions que je voulais vous livrer en ce début de discussion, me réservant de parler d'autres sujets lorsque nous examinerons les amendements. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Michel Françaix.

M. Michel Françaix. Monsieur le président, madame et monsieur les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi comprend une centaine d'articles, modifie le code des postes et des télécommunications, mais a aussi, je crois, pour objectif d'encadrer l'ouverture à la concurrence de tous les services de radio et de télévision sur tous les réseaux numériques actuels et à venir.

Naïvement, je pensais que c'était un texte technique, dans un souci de clarté, de toilettage, que c'était un texte nécessaire d'harmonisation entre les réseaux téléphoniques et audiovisuels pour faciliter le développement des industries de la communication, que c'était un texte de répartition des tâches, la régulation du contenu étant du ressort du CSA et celle des contenants, des tuyaux, du ressort de l'ART.

Bref, même si j'avais bien noté le coup de pouce à l'ADSL, nouveau cadeau à TF1, et que je sentais bien, monsieur le ministre de la communication, vos réticences habituelles à l'égard de la TNT, je pensais que ce texte pouvait être presque consensuel. Et puis, vous me sembliez tellement occupé à combler les brèches de votre politique - affaiblissement de l'audiovisuel public, projet TNT qui bat de l'aile, hésitations sur la redevance, démantèlement de l'audiovisuel extérieur, absence de diffusion de France 5 en soirée, difficultés de la presse et de l'AFP - que j'étais assez confiant.

On m'avait bien dit de me méfier, mais je ne voulais pas y croire. La grève sans fin des journalistes de Radio France, à la suite d'un écart de salaires avec l'audiovisuel public - il est plus de minuit, nous avons battu le record de la Ve République pour la durée d'une grève à Radio France ! -, la motion de défiance contre la direction de France 2 qui, telle une chaîne privée, privilégie la bataille de la concurrence avec TF1 et préfère la course à l'échalote à la vérification des faits, les intermittents du spectacle qui, d'ailleurs, sont de plus en plus intermittents,...

M. François Brottes. Quel bilan !

M. Michel Françaix. ...et on se demande même s'il reste encore des spectacles (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), devaient vous absorber totalement.

J'ai commencé à me méfier lorsque je vous ai entendu qualifier ce texte de véritable petite loi de l'audiovisuel. J'ai d'abord, comme tout le monde, constaté l'intégration de RFO au groupe France télévisions. Pourquoi pas ? Mais cette intégration n'est guère réaliste dans un contexte budgétaire hasardeux. Pas un mot sur le déroulement de la filialisation sur le plan budgétaire, pas un mot sur le maintien des emplois, sur les moyens, sur le fait que RFO n'est pas seulement une télévision mais aussi une radio... Ce plan d'intégration est peut-être nécessaire, mais il me paraît hâtif et hasardeux.

Puis, j'ai vu la pression des grands opérateurs nationaux de radio pour que soit voté un amendement instituant la fréquence unique en modulation de fréquences.

M. Pierre-Christophe Baguet. Caricature !

M. Michel Françaix. Cette perspective, mes chers collègues, signerait la mort des radios locales à l'horizon 2006. Le passage à la fréquence unique nécessite une mise à plat totale du spectre hertzien. Pour des raisons techniques, les radios locales n'auraient mathématiquement que très rarement la chance d'obtenir l'utilisation d'une fréquence sur la bande FM, cette dernière n'étant pas extensible.

M. Pierre-Christophe Baguet. Vous êtes souvent plus inspiré !

M. Michel Françaix. Alors que la décentralisation est à l'ordre du jour et que chacun vante les vertus de la proximité, le risque est grand de voir très rapidement les médias locaux réduits au silence. Ils seront définitivement remplacés par des radios nationales, qui pourraient très aisément émettre sur d'autres bandes plus adaptées à une diffusion nationale à l'heure du numérique.

Les spécificités de la diffusion en modulation de fréquences, qui nécessite la multiplication des émetteurs pour couvrir une zone géographique de l'ordre d'un département, font que c'est un mode adapté naturellement à la communication de proximité.

Je compte sur votre bon sens, monsieur le ministre, pour faire en sorte que les opérateurs nationaux ne confisquent pas les fréquences alors qu'il peut y avoir une place pour tout le monde, chacun à sa place.

Les télévisions locales deviennent un enjeu majeur du paysage audiovisuel. L'ouverture à la grande distribution de la publicité, le réaménagement des seuils anti-concentration, la future attribution des fréquences à Paris modifient le paysage des télévisions locales. On est loin des télévisions locales qu'on avait espérées, avec deux heures de diffusion en boucle, 80 % de programmes locaux.

Lorsqu'on y réfléchit bien, vous nous laissez trois choix : télé locale en syndication, ce qui est peu onéreux, style NRJ, avec dessins animés japonais et sous-téléfilms américains, et un quart d'heure de programme local par jour ; le choix de M6, avec un partenariat gratuit de vingt minutes et quelques décrochages régionaux ; et, peut-être un peu plus tard ou presque tout de suite, l'association de TF1 et du gratuit Métro, à Paris, Lyon, Marseille, Toulouse et Lille. Voilà d'ailleurs pourquoi, à Paris, on passe de 10 à 12 millions pour pouvoir avoir effectivement une télévision qui regroupe cet ensemble.

Evidemment, ce n'est pas l'idée que je me faisais des télévisions locales. On pouvait s'attendre à un peu de fraîcheur, à un peu d'insolence, et on se rend compte qu'une fois de plus, plus il y aura de télévisions, moins il y aura de choix.

Ce texte annoncé comme technique, qui comporte en fait des dispositions de fond pour modifier le dispositif anti-concentration, a des conséquences qui nécessitent pour le moins une réflexion approfondie, et pas un passage en douce. Je demande, monsieur le ministre, et je vous implore, que le dispositif anti-concentration fasse l'objet d'un vrai débat de fond, et non de modifications partielles à la sauvette.

La loi interdit actuellement à un opérateur de cumuler fréquence nationale et fréquence locale. Ouvrir une telle possibilité, mes chers collègues, ce serait modifier l'équilibre du dispositif qui est déjà, vous le savez, bien fragile, et, sous prétexte de développer les télévisions locales, vous risqueriez de déstabiliser les acteurs des médias locaux. Comme si l'on avait besoin de cela !

Monsieur le ministre, après l'abandon sans gloire de la chaîne francophone d'information internationale, qui devait être l'œuvre des entreprises publiques, après que des projets de télévision numérique terrestre pour le service public ont été rangés au placard,...

M. Patrice Martin-Lalande. Des projets si mal préparés !

M. Michel Françaix. ...la remise en cause des règles anti-concentration condamnerait définitivement le pluralisme et d'abord et avant tout le service public.

M. François Brottes. C'est bien le problème !

M. Michel Françaix. Je sais bien que, depuis longtemps, la droite essaie de faire sauter les verrous anti-concentration. Je pensais que vous ne faisiez pas partie de ceux qui s'engageraient dans une telle voie. Réfléchissez... mais vous le faites tout le temps... Vous réjouissez-vous qu'une seule chaîne de télévision contrôle 55 % de l'audience et ait 40 % de parts de marché ? Plus grave, serez-vous le ministre qui, après d'autres, prolongera son idylle avec TF1 au point de rendre incontournable la privatisation de France 2 ? Est-ce votre façon de défendre l'exception française ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Rodolphe Thomas.


M. Rodolphe Thomas
. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, ce projet de loi répond à un besoin de clarification au moment où notre paysage audiovisuel connaît un changement en profondeur. La coexistence de modes de distribution aussi variés que la télévision hertzienne, le câble, le satellite, l'ADSL et bientôt la TNT, doit nous inciter à anticiper de nouvelles pratiques de l'audiovisuel.

Je voudrais mettre l'accent plus particulièrement sur les télévisions locales. Dans ce domaine, la France est hélas très en retard au regard de ses voisins européens. Alors que le CSA a autorisé 113 chaînes pour l'ensemble de notre territoire, la seule ville de Barcelone en compte soixante-neuf. Je ne reviendrai pas sur les raisons historiques d'un tel retard, sans doute lié à une vision beaucoup trop centralisatrice - j'allais dire trop parisienne - de l'audiovisuel.

Jusqu'au décret d'octobre dernier, l'impossibilité de recourir à la publicité a évidemment pénalisé les chaînes locales. Dans ces conditions, il me semble que nous devons créer les conditions du pluralisme entre les différents médias - radio, presse écrite - et donc encourager la création audiovisuelle.

Ces encouragements doivent garantir l'équité territoriale. Aujourd'hui, seules les grandes agglomérations urbaines disposent du potentiel publicitaire suffisant pour assurer la viabilité des futurs projets de télévisions locales commerciales. Les télévisions d'initiative locale, subventionnées par les collectivités territoriales, concernent des millions d'habitants qui attendent du législateur de pouvoir bénéficier de ces nouveaux services de communication de proximité.

Certains fantasment sur la télévision locale subventionnée, soupçonnée d'être « la voix de son maire ». C'est méconnaître son fonctionnement et oublier notamment le contrat d'objectifs et de moyens qui lie la collectivité et la télévision locale.

Nous, élus, qui subventionnons un théâtre ou une équipe de football, nous n'intervenons ni sur la programmation, ni sur la stratégie de l'entraîneur.

M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !

M. Rodolphe Thomas. Il en est de même pour la télévision !

A ce sujet, il me semblerait légitime d'appliquer le taux de TVA réduit à 5,5 % aux contrats d'objectifs et de moyens liant les chaînes éditrices aux collectivités locales.

Les télévisions locales tirent leurs forces de leur ancrage dans le territoire. Installées au cœur de leur zone de diffusion, proches des acteurs de terrain et de leur public, elles constituent désormais le média le plus accessible pour transmettre ou recevoir de l'information.

Partout où elles existent aujourd'hui, en France comme en Europe, les télévisions locales jouent un rôle déterminant de renfort du lien social entre les habitants. Regardée par 80 % des habitants, la chaîne locale est la première source d'informations audiovisuelles de proximité. L'exemple de Cityzen TV, diffusée sur le câble à Hérouville-Saint-Clair, montre que la télévision locale devient un acteur de terrain incontournable, qui renforce l'impact des animations dans la ville. Parce que les contenus sont adaptés à leurs attentes, les habitants se l'approprient plus facilement. Dans une ville en pleine mutation, elle contribue à forger un sentiment d'appartenance.

Les télévisions locales contribuent, avec la presse régionale, au développement des territoires en créant sur le terrain des emplois. Il pourrait s'agir d'un millier d'emplois de proximité, pérennes, qui répondent à la nécessité de produire des programmes de flux de type infos ou magazines, sans compter les emplois induits dans le secteur des fournisseurs en production.

Lors du débat organisé le 13 janvier à l'initiative de Pierre-Christophe Baguet et au nom du groupe UDF, chacun dans cet hémicycle a réaffirmé avec force la nécessité de garantir le pluralisme des médias, et donc la création audiovisuelle. Vous avez vous-même annoncé, monsieur le ministre, la possibilité d'étendre au secteur de la production audiovisuelle des dispositions en vigueur dans le cinéma.

Je me félicite que le Gouvernement ait amorcé une modification de la fiscalité des messages publicitaires, car il était injuste que les chaînes locales soient proportionnellement beaucoup plus taxées que les chaînes nationales.

Mais les télévisions locales ne doivent pas répondre à une logique seulement économique, fondée sur la recherche à tout prix de l'audimat. Elles doivent au contraire participer au service public de l'audiovisuel pour devenir, comme vous l'avez affirmé, monsieur le ministre, une réalité structurante de notre paysage audiovisuel, et permettez-moi d'ajouter, une réalité structurante de nos territoires.

Demain, les régions devront conduire une politique de production audiovisuelle. Je vous propose donc de créer un fonds de soutien aux chaînes à faibles ressources publicitaires. Il ne s'agit pas bien sûr de diminuer les aides aux radios, ni à la presse écrite. Il suffirait par exemple de déplafonner la taxe qui alimente le fonds de soutien à l'expression radiophonique et d'éviter ainsi une charge supplémentaire pour le budget de l'Etat.

L'arrivée de la publicité pour la distribution devrait prochainement apporter aux seules chaînes TF1 et M6 de 100 millions à 170 millions d'euros, soit deux à trois fois le budget total de l'ensemble des chaînes locales françaises.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite vivement que nous puissions mettre en œuvre le plus rapidement possible un tel dispositif équilibré d'aide au développement des télévisions locales, qui s'appuie, d'une part, sur ce fonds de soutien et, d'autre part, sur une fiscalité mieux adaptée sur la publicité. Nous éviterons ainsi deux écueils tout aussi dangereux, celui d'un interventionnisme excessif de l'Etat, contraire à l'esprit d'initiative locale, et celui du laisser-faire, qui placerait les télévisions locales sous le règne de l'audimat et des régies publicitaires, au détriment du pluralisme.

Mes chers collègues, à l'heure où chacun parle de décentralisation, je ne connais pas de secteur plus parisien que l'audiovisuel.

M. Jean Dionis du Séjour. C'est vrai !

M. Rodolphe Thomas. A l'occasion de l'examen de ce projet de loi, je souhaite qu'ensemble, nous puissions rattraper notre retard, susciter l'initiative locale, encourager le pluralisme audiovisuel et, donc, favoriser le développement des télévisions locales. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Gérard Grignon.

M. Gérard Grignon. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'un des objectifs du texte - nous n'en avons pas beaucoup parlé jusqu'ici - est la réforme de RFO. Je ne reviendrai pas sur les raisons que vous avez évoquées sur la nécessité de cette réforme, car il est évident qu'une réforme s'impose.

Cette réforme se traduit par la filialisation de RFO au sein du groupe France Télévisions, donc aux côtés de et au même titre que France 2, France 3 ou France 5.

Evidemment, monsieur le ministre vous ne voyez que des avantages à cela : une amélioration des programmes, une meilleure continuité territoriale entre la métropole et l'outre-mer, le maintien de l'identité et des spécificités de RFO au sein de la holding, le maintien de l'activité radiophonique, l'accroissement de l'offre de programmes de proximité, une meilleure visibilité de l'outre-mer en métropole, le développement de RFO SAT mieux assuré par un groupe important, le maintien du statut des personnels, l'assurance qu'aucun plan social n'accompagnera la filialisation, etc.

Certes, tout cela est très bien, mais je voudrais néanmoins s'agissant de Saint-Pierre-et-Miquelon, de la France d'Amérique du Nord, vous faire part de quelques inquiétudes.

Réformer, c'est aller plus loin, c'est permettre de faire mieux, c'est être plus performant, c'est progresser.

Or, vous le savez, deux décisions récentes ont créé dans l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon un scepticisme et une émotion certaine.

La première concerne la radio. La réforme prévoit que RFO conservera au sein de la holding l'activité radiophonique. Toute idée de rattachement de RFO à Radio France est exclue. La scission des activités radio et télé engendrerait à la fois des coûts supplémentaires et mettrait en péril les synergies obtenues de longue date dans la station locale. Telles sont les intentions. Très bien !

Mais à Saint-Pierre-et-Miquelon, terre française entourée de trois provinces anglophones, il y a seulement quelques mois les émissions en onde moyenne radio ont été supprimées.

Il est facile d'imaginer l'effet produit sur les téléspectateurs lorsqu'au journal télévisé de 20 heures est apparu à l'image un technicien de TDF équipé d'une énorme pince qui sectionne le câble d'alimentation mettant fin aux émissions radios en onde moyenne.

De ce fait, cordes vocales coupées, la voix de la France n'est plus entendue ni à Terre-Neuve, ni aux Iles de la Madeleine dans le Golfe du Saint-Laurent, ni à Sydney en Nouvelle-Ecosse. Nos propres marins sont aujourd'hui contraints de se brancher sur les radios canadiennes pour obtenir les informations météorologiques. Nous savons l'importance de la radio, dans des régions souvent très isolées dans un contexte climatique extrêmement rigoureux. Alors, est-ce là la réforme, est-ce cela le progrès ?

Peu d'auditeurs, des économies budgétaires sont les raisons qui ont été données pour justifier cette décision.

Je pense au contraire qu'il eût fallu mettre plus de moyens budgétaires et humains pour mieux faire entendre, mieux faire rayonner la voix de la France en Amérique du Nord. Le potentiel d'auditeurs nord-américains est, me semble-t-il, suffisamment important pour que l'on s'y intéresse.

La deuxième décision récente qui a choqué la population est cette tentative de poser, sur l'antenne émettrice des images télévisées, une cage de Faraday afin d'empêcher ces images d'être captée au Canada.

Je n'ignore pas que pour certains programmes se pose un problème de droits. Mais mettre la langue, la culture, la technologie française en cage ne peut quand même pas être considéré comme un progrès ! Et l'outre-mer, c'est la France dans le monde, et Saint-Pierre-et-Miquelon, plus particulièrement, est idéalement situé pour véhiculer la langue, la culture, la technologie française vers les provinces anglophones environnantes et l'ensemble du continent nord-américain. Il s'agit là d'une vraie vision politique du rôle de l'outre-mer français, celle qu'avait le général de Gaulle, celle du Président Chirac.

La réforme doit être le progrès ou ne pas être. Et s'il est question de droits avec certains programmes, il faut négocier avec les producteurs et mettre les moyens budgétaires nécessaires en place plutôt que de bâillonner notre langue et d'emprisonner notre culture.

J'ai d'ailleurs noté, monsieur le ministre, que certains programmes à fort audimat sont aujourd'hui systématiquement diffusés sur TEMPO pour empêcher leur captation au Canada par débord hertzien. De ce fait, nous assistons à un appauvrissement du Canal 1 qui risque de n'être plus alimenté que par des programmes de qualité moyenne, voire médiocre. Cela non plus n'est pas le progrès. La réforme, oui, mais avec des garanties clairement affichées : garantie du maintien au sein du groupe de France Télévisions de l'originalité des stations d'outre-mer qui sont en phase avec leurs territoires et les identités des populations qu'elles desservent ; garantie s'agissant des petites stations, et notamment de Saint-Pierre-et-Miquelon, qu'il soit admis, une fois pour toutes, l'existence d'un seuil nécessaire. Pour caricaturer, je dirai qu'il faut autant de personnel pour réaliser et diffuser un journal télévisé pour 7 000 habitants que pour 600 000, d'autant que nous sommes à la porte d'un immense potentiel de téléspectateurs, celui de l'Amérique du Nord. Il ne faut pas non plus négliger, monsieur le ministre, le rôle important de RFO dans l'économie de l'archipel et la possibilité offerte par cette société aux jeunes d'occuper des emplois techniques qualifiés.

La meilleure garantie, c'est le développement à Saint-Pierre-et-Miquelon d'une véritable production télévisuelle à destination de l'Amérique du Nord qui constituerait non seulement une garantie pour la station et son personnel, mais aussi pour le développement économique de l'archipel, mais cela impose des moyens financiers et humains à la hauteur des objectifs.

Bref, monsieur le ministre, je souhaite que vous affirmiez le rôle exceptionnel que peut jouer la France d'outre-mer dans le monde par la radio et la télévision, plus spécifiquement Saint-Pierre-et-Miquelon en Amérique du Nord, au service de la langue, de la culture, de la technologie de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Aujourd'hui, mercredi 11 février, à quinze heures, première séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Eloge funèbre de Marcel Cabiddu ;

Explications de vote et vote, par scrutin public, sur le texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ;

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, n° 1055, relatif aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle :

M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire (n° 1413) ;

M. Emmanuel Hamelin, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (avis n° 1412).

A vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 11 février 2004, à zéro heure cinquante-cinq.)

      Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

      jean pinchot