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Première séance du mardi 15 juin 2004

255e séance de la session ordinaire 2003-2004


PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

    1

DÉBAT SUR LES MODALITÉS D'APPLICATION
DE LA RÉFORME
DE LA POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur les modalités d'application de la réforme de la politique agricole commune.

L'organisation de ce débat ayant été demandée par le groupe UMP, la parole est au premier orateur de ce groupe, M. Antoine Herth.

M. Antoine Herth. Monsieur le président, monsieur le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, chers collègues, je veux tout d'abord, au nom du groupe UMP, me réjouir de l'organisation de ce débat sur l'avenir de la politique agricole commune, sujet extrêmement important à mes yeux. Et je vous remercie, monsieur le ministre, de vous prêter au jeu, si j'ose dire.

Ce débat occupe une place essentielle dans la chronologie du mouvement de modernisation de la politique agricole. En effet, les accords de Luxembourg, s'ils constituent une vraie réforme, présentant l'immense avantage d'offrir une perspective budgétaire à moyen terme, ne comportent pas, en eux-mêmes, l'ensemble du mode d'emploi. Il est donc possible et même nécessaire de mener un travail de réflexion et d'adaptation de la réforme de la PAC aux réalités françaises, pour qu'elle corresponde le mieux possible aux potentialités de l'agriculture française et aux demandes des agriculteurs.

Pour aller de l'énoncé du principe à sa mise en œuvre, il faut passer par une discussion sur les modalités d'application, discussion qui a déjà eu lieu, avec les organisations professionnelles, dans le cadre du CSO, le Conseil supérieur d'orientation.

Mais il nous faut également porter le débat sur le plan politique pour définir les orientations de la politique agricole française. Que voulons-nous ? Qu'est-ce qui est bon pour l'agriculture française ? Autrement dit : quelle sera la valeur ajoutée de l'Assemblée nationale, dans un exercice qui consistera à analyser lucidement les évolutions du contexte international et du cadre européen, à prendre en compte les forces et faiblesses de l'agriculture française et, en conséquence, à définir les évolutions législatives nécessaires pour lui donner l'élan indispensable ?

C'est, en quelque sorte, à un travail de défrichement que nous sommes invités, afin de jeter les bases de la loi de modernisation souhaitée par le Président de la République et que vous avez vous-même annoncée, monsieur le ministre.

Ce travail législatif doit nous amener à réfléchir dans deux directions - je m'en tiendrai aux grandes orientations, sans entrer dans les modalités concrètes.

Premièrement, les orientations et les finalités de l'activité agricole méritent, selon moi, d'être reconsidérées, notamment selon les principes du développement durable, élément nouveau de notre paysage. Cette notion, je le rappelle, cherche à conjuguer économie, social et environnement ; ce n'est pas seulement une question environnementale, mais une vision globale de l'activité humaine. Il n'en reste pas moins que le respect de l'environnement est devenu, depuis deux décennies, une préoccupation majeure pour l'agriculture et la société en général, comme en témoigne l'adoption récente de la Charte de l'environnement.

Nous connaissons tous les efforts de mise aux normes engagés par la profession et soutenus par les pouvoirs publics. Une étape supplémentaire a été franchie avec l'entrée de l'écoconditionnalité dans la politique agricole commune. Cette évolution, disons-le, est ressentie par beaucoup d'agriculteurs comme une remise en cause de leur métier. Mais, au-delà des difficultés, qui sont réelles, la meilleure prise en compte des préoccupations écologiques comporte aussi des pistes nouvelles de développement.

Nous n'avons pas épuisé, loin s'en faut, toutes les potentialités de l'agriculture biologique, pratique agricole à laquelle on pense d'emblée. Mais je voudrais aussi souligner que l'agriculture raisonnée, qui n'en est qu'à ses débuts, est de nature à donner des produits français de qualité incomparable et à consolider la valeur ajoutée de l'activité agricole.

De même, une politique volontariste permettrait un fort développement des énergies et matériaux renouvelables à partir des matières premières agricoles, à condition, bien sûr, que les négociations engagées notamment avec le MERCOSUR et la politique fiscale que nous choisirons ici ne viennent pas entraver cette orientation.

Mieux cerner l'aspect environnemental ne nous exonère pas de reconsidérer les équilibres économiques et sociaux de l'agriculture ; ce sera, je crois, l'essentiel de notre travail préparatoire à la loi de modernisation.

Face à la concurrence intra et extra-européenne, les productions françaises, pour rester compétitives, doivent poursuivre leur modernisation. Cela passe par la consolidation des filières, le renforcement du rôle des interprofessions et la généralisation des dispositifs d'assurance récolte.

Mais je veux surtout mettre l'accent sur l'innovation technique, indispensable à la prospérité de ce secteur, comme à celle de l'industrie et du commerce. Oui, monsieur le ministre, il est temps de redonner sa place à la recherche agronomique française et de la sortir de la logique de marginalisation dans laquelle je crains qu'elle ne soit engagée.

Dessiner l'avenir de notre agriculture nous conduira aussi, évidemment, à nous pencher sur sa dimension sociale.

Ainsi, à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, plusieurs de mes collègues ont souhaité revenir sur le parcours d'installation. Je crois, pour ma part, qu'il reste pertinent, même s'il apparaît souhaitable de mieux accompagner celles et ceux qui s'engagent dans le milieu à titre secondaire et jouent un rôle d'aménagement du territoire dans certains territoires difficiles, moins propices aux productions habituelles.

De même, l'enseignement agricole a besoin d'une ambition nouvelle pour contribuer au maillage scolaire de nos campagnes et exploiter pleinement ses atouts.

Ces sujets prendront leur place dans le cadre de ce qu'on appelle « la politique des structures », bien souvent assimilée à une politique de contrainte, d'administration. Cela doit plutôt être, à mes yeux, une politique volontariste assurant la présence de l'agriculture sur l'ensemble des territoires. Les structures ne doivent pas être de simples sous-produits de l'activité agricole ; il faut les penser a priori.

Donner toutes ses chances à l'agriculture française, dans le contexte européen du xxie siècle, c'est enfin lui permettre de tirer le meilleur parti des outils de la politique européenne de développement rural. C'est aménager, à côté de la fonction essentielle de production, la possibilité d'exercer des activités complémentaires ou d'adopter des pratiques adaptées aux milieux naturels spécifiques, pour garantir la qualité et la typicité de nos produits, maintenir des activités sur les territoires fragilisés et préserver la biodiversité.

Deuxièmement, nous devrons travailler sur ce qu'on a maintenant l'habitude d'appeler la « gouvernance ». Comment s'élaborent les décisions et comment s'organise l'exécution des politiques entre les différents niveaux de compétence ? À ce niveau, un travail de réglage s'impose en urgence.

L'Europe, nous le savons, est appelée à renforcer son pouvoir. Le projet de Constitution promet plus de pouvoir au Parlement européen élu dimanche dernier. Mais l'Europe va aussi s'imposer, tout simplement, par l'euro, qui bouscule peu à peu les frontières économiques et donne corps à ce marché intérieur appelé de nos vœux et de plus en plus réel.

À l'autre bout de l'échelle, se situent les collectivités territoriales, qui n'ont pas encore, me semble-t-il, pris la mesure de leurs responsabilités, mais qui sont incontournables dès lors qu'il s'agit de faire du sur-mesure, d'adapter la politique à la diversité de nos campagnes.

Entre ces deux partenaires, les pouvoirs publics nationaux sont contraints, eux aussi, de redéfinir leur rôle et les moyens nécessaires pour l'assumer. Assurer un cadre commun, veiller à la solidarité, effectuer le contrôle mais aussi défendre certaines exceptions : voilà quelques-uns des thèmes de notre réflexion.

Enfin, et ce n'est pas le moins important, la modernisation des moyens de pilotage de la politique agricole passe par la rénovation du dialogue social. Il revient aux organisations professionnelles, dans leur diversité, d'exprimer leurs choix mais aussi d'assumer explicitement une part de responsabilité dans les arbitrages qui seront retenus dans la loi, qu'il s'agisse de régulation du marché ou de politique des structures. C'est dans cet esprit qu'ont été élaborées les lois d'orientation de 1960 et 1962. C'est à cette condition que nous pourrons consolider les fondations d'une agriculture française résolument tournée vers l'avenir.

Monsieur le ministre, soyez en tout cas assuré que le groupe UMP s'engagera dans ce chantier avec détermination et enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux d'abord souligner, au nom de la commission des affaires économiques, l'opportunité du débat sur la politique agricole commune qui nous est proposé aujourd'hui.

Oui, nos agriculteurs se posent des questions et des inquiétudes se manifestent quant à l'avenir de la PAC. L'intérêt qu'a suscité, l'hiver dernier, l'examen en première lecture du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux est le signe de notre attachement à la situation des campagnes françaises. Notre commission a passé plus de trente heures sur ce texte, M. Herth et M. Raison s'en souviennent certainement.

Je me félicite que le Gouvernement ait ainsi ouvert le débat sur la politique à mettre en œuvre dans les zones rurales mais il nous faut, à présent, nous pencher spécifiquement sur la situation de nos agriculteurs face à l'évolution de la PAC.

Depuis près de cinquante ans, les agriculteurs français savent que l'avenir de leur profession se joue largement à Bruxelles où les décisions se prennent puisque cette compétence est déléguée à l'Europe, faut-il encore le répéter ? Sans la politique agricole commune, il est probable que l'agriculture française n'aurait pas occupé le rang qui est le sien au niveau mondial.

Mais le monde change et la politique agricole commune connaît, depuis quelques années, une mutation sans précédent, sous la pression à la fois des négociations commerciales internationales et des nouvelles exigences de la société.

En effet, la libéralisation mondiale des échanges menace les protections et les aides dont bénéficient les agriculteurs européens et, dans le même temps, la population européenne souhaite consommer des aliments produits selon des normes sanitaires et environnementales toujours plus élevées.

Ces nouvelles contraintes doivent être prises en compte, mais nous sommes en droit de nous interroger sur la méthode proposée par les instances communautaires pour relever ces défis.

Examinons d'abord les contraintes internationales qui pèsent sur la PAC.

Il y a, d'abord, l'élargissement de l'Union européenne. Il me semble, en effet, que l'arrivée de dix nouveaux États membres est un bouleversement qui a été correctement anticipé pour les dix prochaines années, puisque l'accord conclu à Berlin en 1999, à l'initiative de la France et de l'Allemagne, prévoit une stabilité globale du niveau des aides communautaires accordées aux agriculteurs français jusqu'en 2013. Mais qu'adviendra-t-il après cette date ? La mise aux normes des exploitations des pays d'Europe centrale et orientale, notamment polonaises, aura un coût très élevé, nous le savons.

Il y a, ensuite, la défense de la PAC à l'OMC. La volonté d'aboutir rapidement à un accord au sein de l'OMC a conduit la Commission européenne à proposer, en juillet 2003, une réforme de la PAC reposant notamment sur un « découplage » total du niveau des aides agricoles et de celui de la production. Le Conseil des ministres de l'Union européenne a finalement retenu, grâce à l'insistance du gouvernement français - nous savons tous la part que vous avez prise personnellement dans cette décision, monsieur le ministre, et nous vous en remercions - la formule d'un découplage partiel des aides, sur laquelle je reviendrai. Il n'en demeure pas moins que l'objectif implicite de ces efforts n'a pas été atteint. Les concessions unilatérales de l'Union européenne pour limiter les distorsions de concurrence engendrées par ses aides et apparaître plus vertueuse à ses partenaires n'ont pas permis d'aboutir à un accord lors du sommet de l'OMC à Cancún, en septembre dernier. Cet échec montre bien à quel point la stratégie retenue par les commissaires européens Franz Fischler et Pascal Lamy était imprudente, comme notre commission des affaires économiques l'avait d'ailleurs souligné en mars 2003, grâce à l'excellent rapport de notre collègue Michel Raison, présent ici aujourd'hui, sur les négociations agricoles internationales à l'OMC !

Or, contre toute attente, nous constatons aujourd'hui que la Commission européenne persiste dans la même démarche : elle a suggéré au Conseil des ministres de l'agriculture, le 10 mai dernier, de proposer la suppression des subventions à l'exportation pour l'agriculture européenne afin de relancer les négociations à l'OMC.

Quel est le sens de cette nouvelle concession, alors que l'échec des négociations à Cancùn ne provenait pas vraiment de la PAC, mais plutôt des divergences entre les États-Unis et les pays les moins avancés, sur la question du coton notamment ? Je pose la question : est-il utile que l'Union européenne prenne de nouvelles initiatives unilatérales alors que les États-Unis n'envisagent même pas de réduire leurs prêts de commercialisation - les marketing loans - et leur aide alimentaire variable, qui faussent pourtant les échanges dans des proportions très importantes ? Faut-il rappeler que le budget de la politique agricole américaine représente 174 euros par habitant, contre seulement 127 euros par habitant pour la PAC ?

Monsieur le ministre, l'Europe doit changer de stratégie. Celle-ci ne fait qu'engendrer de nouvelles vagues d'eurosceptiques comme nous l'avons vu, hélas, dimanche dernier.

Les craintes de nos agriculteurs ne s'arrêtent malheureusement pas là. L'agriculture européenne est également affectée par des décisions prises dans des négociations commerciales d'ensemble régional à ensemble régional, c'est-à-dire en dehors de l'OMC.

En effet, depuis le 10 mai dernier, la Commission européenne suggère aussi, parallèlement aux négociations à l'OMC, de proposer aux pays du MERCOSUR un accès supplémentaire au marché européen pour 100 000 tonnes de viande bovine et 10 millions d'hectolitres de bioéthanol, tout en facilitant l'importation par l'Union européenne de divers produits agricoles sud-américains, tels que les volailles ou le maïs.

Il me semble que ces propositions risquent de déstabiliser des filières déjà en crise, comme l'aviculture, ou encore embryonnaires - mais prometteuses - telles que la production d'éthanol à partir de betteraves. Je rappelle que l'Union européenne s'est engagée à utiliser 5,75 % d'éthanol dans ses carburants d'ici à 2010, objectif d'autant plus pertinent que les prix du pétrole ne cessent de croître.

Monsieur le ministre, vous avez, à juste titre, dénoncé ces propositions qui constituent, selon vos propres termes, une « faute tactique grave ». Nous sommes d'accord avec vous. Il vous faut à présent convaincre les partenaires européens de la France de ne pas souscrire à de tels projets, en vous appuyant sur le soutien de la Belgique, de l'Irlande ou de la Finlande, et peut-être d'autres. Vous avez entrepris un tour d'Europe à ce sujet, et nous aimerions savoir quelles sont les impressions que vous en retirez.

Nous vous confirmons le soutien actif et inconditionnel de notre majorité dans les démarches que vous avez entreprises.

Je voudrais maintenant revenir à l'évolution interne de la PAC.

Alors que les contours de la réforme de la PAC avaient été dessinés, le 26 juin 2003, lors d'un Conseil des ministres de l'agriculture au Luxembourg, les principales modalités d'application de cette réforme ont été arrêtées par le Conseil supérieur d'orientation, le 18 mai dernier. Il convient de rappeler que le paiement des aides communautaires sera subordonné au respect des règles sanitaires et environnementales, mais aussi d'identification et de bien-être des animaux. Ces nouvelles contraintes vont nécessiter de nouveaux investissements pour de nombreuses exploitations, qui sont donc en droit d'attendre un soutien approprié de la collectivité nationale. Par ailleurs, pour que de telles exigences restent en phase avec la réalité agricole, il faudra doter les directions départementales de l'agriculture et de la forêt des moyens leur permettant de mener des contrôles coordonnés sur les exploitations. Je sais, monsieur le ministre, que vous y travaillez.

S'agissant de la modulation des aides dites du « premier pilier », c'est-à-dire des aides directement agricoles, la proportion d'aides réorientées vers les aides au développement rural, dites du « second pilier », s'élèvera à 5 % dès 2007. Il me semble essentiel de ne pas pénaliser par ce biais les exploitations les plus modestes, qui se voient appliquer le même taux de modulation que les autres : l'avenir dira si le seuil de 5 000 euros à partir duquel s'applique la modulation constitue, de ce point de vue, une réponse appropriée.

S'agissant enfin du découplage des aides agricoles qui entrera en vigueur en 2006 et qui ne concerne pas les aides de développement rural, bravo - je vous le dis, ayant moi-même longtemps partagé l'avenir des zones de montagne - pour avoir sauvé l'ICHN, l'indemnité compensatoire de handicap naturel, et la prime herbagère agri-environnementale. La France pourra ainsi maintenir un couplage à hauteur de 25 % pour les céréales et de 100 % pour la prime au maintien de troupeaux de vaches allaitantes. Dans les cas où le découplage sera complet, les aides seront seulement calculées en fonction d'une référence historique et versées sous la forme d'une prime unique, rapportée à la surface de chaque exploitation.

Vous vous êtes efforcé, monsieur le ministre, de limiter la complexité du nouveau système, ce qui est indispensable compte tenu de la lourdeur des démarches administratives auxquelles sont soumis nos agriculteurs. Mais il faut également éviter deux écueils : celui d'une agriculture réduite à l'assistanat, les agriculteurs se contentant de percevoir les aides sans produire, et celui d'une spéculation foncière sans précédent, la surface des terres déterminant l'importance des aides.

Pour éviter cette spéculation foncière et favoriser l'installation de jeunes agriculteurs, vous avez annoncé que le transfert des « droits à paiement unique », qui entrera en vigueur en mai 2006, serait encadré par plusieurs mesures. Je retiens notamment celle qui consiste à ne permettre les échanges de droits qu'à l'intérieur d'un même département, ou encore la taxation de 3 à 10 % de ces échanges, seuls les jeunes agriculteurs échappant à cette imposition - cela est extrêmement important.

Je salue, là encore, vos efforts, en espérant que ces mesures suffiront à limiter les effets pervers des mécanismes de la PAC réformée.

Je m'interroge, enfin, sur l'utilisation qui pourra être faite des droits non utilisés pendant trois ans et reversés à une réserve nationale : il serait souhaitable de préciser, au-delà des aides à l'installation, la nature des projets agricoles que cette réserve pourra contribuer à financer.

Monsieur le ministre, nos agriculteurs, qui constituent toujours le cœur battant des campagnes françaises, attendent des réponses à toutes ces questions. Je sais que vous travaillez à les leur apporter.

La France est le premier producteur agricole d'Europe. Elle ne doit pas renoncer à sa vocation de puissance agricole majeure dans le monde...

M. François Sauvadet. Très bien !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. ...car elle dispose d'une histoire, de terroirs, de plaines fertiles, de techniques modernes et, surtout, de professionnels compétents.

M. François Sauvadet. Très bien !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Si la PAC doit être adaptée à la libéralisation des échanges et aux exigences du monde moderne, si notre agriculture doit certainement privilégier les productions de qualité, spécifiques et labellisées - et nous y sommes attachés - il n'en demeure pas moins nécessaire d'accompagner les producteurs dans cette mutation.

La future loi de modernisation agricole, que nous examinerons, je l'espère, l'an prochain, devra être l'occasion de faciliter la mise en œuvre de la réforme de la PAC. Il faut un dispositif avec des éléments complémentaires, qui me paraît essentiel, afin de réaffirmer la nécessaire solidarité des Français avec leurs agriculteurs et de donner à ce soutien renouvelé une expression concrète.

Monsieur le ministre, la commission des affaires économiques, ainsi que votre majorité dans cette assemblée vous font confiance pour conduire dans les meilleurs délais cette nouvelle et indispensable réforme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, point n'est besoin de revenir longuement sur le diagnostic : les agriculteurs se sentent aujourd'hui isolés en Europe car minoritaires, incompris à cause de l'image trop souvent donnée de l'agriculture et déstabilisés dans leur repère traditionnel, c'est-à-dire la politique agricole commune.

Que faire face à cette situation et comment agir au niveau du Parlement et du Gouvernement ?

D'abord, il faut dire la vérité aux agriculteurs. C'est une marque de considération. Les agriculteurs savent parfaitement que la mondialisation est une donnée incontournable. Ils savent que la politique agricole commune de demain ne sera plus exactement la même. Exploiter les peurs n'a jamais été un moyen de préparer l'avenir.

Ensuite, il faut dire la vérité à l'opinion publique. L'image transmise par les grands médias pose problème : c'est souvent celle d'une agriculture subventionnée et parfois polluante.

L'agriculture subventionnée, trop peu le savent et trop peu le disent, c'est la compensation partielle d'une baisse des prix organisée depuis quinze ans. Les agriculteurs aimeraient l'entendre plus souvent.

Dites et redites, monsieur le ministre, que peu de secteurs ont fait, en quarante ans, autant d'efforts d'adaptation et de productivité, une productivité qui, pour une part substantielle, est redistribuée vers le consommateur.

Cet effort de productivité, s'il a pu aboutir à quelques excès, a permis à notre pays de développer un pôle économique fort, facteur de stabilité dans de nombreuses régions, ainsi qu'un cadre de vie et des paysages exceptionnels.

Nous devons dire la vérité aux agriculteurs. Nous devons dire la vérité à l'opinion publique. Mais nous devons aussi redonner confiance en l'avenir.

L'agriculture a déjà su faire face à deux adaptations lourdes. La première, dans les années cinquante : il fallait produire pour faire face aux besoins alimentaires ; la seconde, dans les années soixante : il fallait s'adapter au marché européen. Nous avions alors un retard de productivité en matière d'élevage et une avance de productivité pour les productions végétales. Rares sont les secteurs économiques du pays qui, à l'intérieur de la profession, ont su organiser une certaine solidarité.

J'ai participé pendant plusieurs années à la négociation des prix agricoles. La majorité de nos partenaires voulait toujours une augmentation plus élevée sur les céréales que sur les produits animaux. On peut noter, à l'intérieur de la profession, même si certains le paient aujourd'hui en termes de justice, une redistribution un peu plus équitable. Aussi, ne condamnons pas cette situation entre céréaliers et éleveurs dans la mesure où ce sont les arbitrages au niveau européen qui ont été à la base de la négociation des prix.

C'est une troisième mutation qui s'engage aujourd'hui. Évitons la caricature qui consisterait à prétendre que tout va mal. Car nous partons avec des atouts sérieux, et j'en citerai trois.

C'est d'abord la qualité des hommes et des femmes, formés et organisés. Notre système de formation professionnelle, il faut le dire, est assez remarquable.

Ensuite, ce sont les 10 milliards d'euros qui viennent soutenir l'agriculture française. Ce n'est pas mince. S'ils sont bien utilisés, ils peuvent être un formidable outil, non seulement pour la sécurité des revenus, mais aussi pour l'orientation des productions. Il est incontestable que la volonté du Président de la République et du Gouvernement a permis à l'agriculture française de préserver ces 10 milliards d'euros pour l'avenir.

Notre troisième atout, enfin, est notre système social, exemplaire au regard de nos voisins européens, que ce soit en matière de politique familiale, de politique de santé ou de régime de retraite, régime fondé sur une solidarité entre le poids des actifs et des inactifs selon les grands secteurs d'activité.

Ces atouts pourraient être renforcés par des politiques nationales qui dépendent de nous et qui rendraient plus facile cette troisième mutation de l'agriculture française.

J'énumérerai rapidement quelques pistes.

Premièrement, la nécessité d'une plus grande simplification. L'empilement des réglementations, des formulaires et, demain, le risque de l'application bureaucratique de l'éco-conditionnalité peut conduire à des réactions très vives. Que font nos voisins européens ? Ils disent de la France, et cela ne s'applique pas seulement à l'agriculture, qu'elle est suradministrée et sous-organisée.

Monsieur le ministre, beaucoup reste à faire en matière de simplification et de relation avec le monde agricole.

M. Jacques Le Nay. Tout à fait !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Deuxième piste : un choix orienté d'une agriculture plus autonome et plus économe de facteurs de production.

C'était déjà la priorité défendue par l'ancien directeur général de l'INRA, Jacques Poly, il y a vingt ans ; mieux vaut une stabilité de la production et une plus grande valeur ajoutée qu'une croissance de production avec des investissements lourds. Cela implique, en termes de fiscalité, certaines orientations.

Troisième piste : une adaptation de notre politique des structures. Dans les régions de l'Ouest laitier, faut-il à tout prix obliger un éleveur de cinquante-quatre ans à investir dans la mise aux normes alors que la succession n'est pas assurée ?

Quoi qu'il en soit, avec l'évolution probable des prix et les investissements de mise aux normes, celui qui a un quota inférieur à 200 000 litres de lait doit être prioritaire dans l'affectation de quotas supplémentaires. Si, jusqu'à présent, l'installation des jeunes agriculteurs était la priorité des régions de l'Ouest laitier, aujourd'hui, on doit tendre à stabiliser les agriculteurs de quarante-cinq ans élevant des enfants et ayant besoin d'un revenu digne de ce nom.

Enfin, quatrième piste, déjà évoquée par l'orateur précédent : soyons fermes sur la protection communautaire.

Si demain les restitutions devaient être sévèrement réduites - telle est la voie choisie -, il faudrait veiller au strict respect des conditions de concurrence sur le plan sanitaire et environnemental, y compris au niveau intracommunautaire.

M. François Sauvadet. C'est essentiel !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Le président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, Jean-Michel Le Métayer, souhaitait voir mis en place un observatoire permanent des conditions de la concurrence. Je souhaite que nous nous engagions dans cette voie, sans nécessairement créer des emplois supplémentaires. Car, sur les 220 ingénieurs généraux et inspecteurs généraux de l'agriculture, monsieur le ministre, j'en connais beaucoup qui se sentent insuffisamment utilisés. La voie s'ouvre à eux pour administrer cet observatoire.

Une autre piste doit être développée : il s'agit des dotations globales de fonctionnement aux collectivités. Certes, cela relève davantage du ministre de l'intérieur, mais c'est en France que les différences sont les plus élevées en fonction de l'importance de la population. Entre communautés urbaines et communautés de communes, est-il légitime que le niveau d'aide varie de un à trois ? Comme le niveau de service public ne peut pas être le même dans une ville de 200 000 habitants et dans un secteur rural, le niveau de l'impôt ne peut pas être le même non plus.

M. François Sauvadet. Tout à ait !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Nous devons donc nous engager résolument dans la voie d'une péréquation plus importante entre collectivités pauvres et riches.

Pour conclure, je dirai que la confiance retrouvée du milieu agricole nous impose un devoir de vérité, un devoir d'accompagnement de la troisième mutation qui s'engage. Monsieur le ministre, votre tâche est difficile, mais, vous le savez, l'agriculture et le secteur agro-alimentaire restent pour notre pays et son avenir un atout essentiel. Puissions-nous faire partager ce message aux élus et à la population française. Pour ma part, ayant partagé cette ambition depuis quarante ans avec le monde agricole, j'y suis déterminé. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Nous allons maintenant entendre les orateurs inscrits.

La parole est à M. Jean Gaubert.

M. Jean Gaubert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de tels débats sont régulièrement organisés dans cet hémicycle, comme celui sur l'énergie il y a quelques semaines. Les élus de la majorité en sont sans doute informés avant nous qui ne le sommes que tardivement, ce qui ne nous permet pas de le préparer dans des conditions optimales.

Pour autant, je ne me plaindrai pas de l'existence d'un tel débat, dans la mesure où l'accord de Luxembourg date déjà d'un an et que nos campagnes attendaient depuis lors les décisions franco-françaises liées à l'adaptation de cet accord.

J'en rappelle le contenu. C'est d'abord le principe du découplage partiel ou total des aides, puis celui des références historiques, qui ne manque pas de créer des rentes de situation et nous interdit certaines réorientations. C'est aussi la modulation, qui a sans doute été une couleuvre difficile à avaler pour certains de nos collègues tant ils avaient combattu ce principe sous la législature précédente, Jean Glavany, ministre de l'agriculture de l'époque, étant le premier à l'expérimenter dans notre pays.

M. Yves Simon. Quel retour !

M. Jean Gaubert. Oui, et c'est sans doute encore plus difficile à avaler !

Je mentionnerai, enfin, la conditionnalité des aides. Mais, comme je n'ai que cinq minutes de temps de parole, je n'aurai sans doute pas la possibilité d'évoquer tous ces sujets.

Le découplage est sans doute une bonne idée, mais son application pose de nombreux problèmes que, monsieur le ministre, vous n'avez pas encore résolus.

D'abord, la notion de découplage total ou partiel selon les pays et les productions est un véritable casse-tête qui posera certainement de graves problèmes quant à l'équilibre des marchés. Dans la mesure où un produit pourra être aidé par le biais des primes liées à la production dans certains pays et où il ne le sera pas dans d'autres, j'aimerais qu'on m'explique comment va s'organiser le marché de ce produit au niveau de l'Union européenne.

Ensuite, s'agissant de la nécessaire modification des volumes de productions, je n'ai pas encore entendu parler - mais peut-être est-ce encore trop tôt - des adaptations nécessaires en amont et en aval. Or chacun sait, puisque cette modification a déjà été mise en œuvre pour la production laitière, qu'elle aura des conséquences importantes sur nos appareils de production.

Venons-en à ce qui est le plus important : le fameux marché des droits à prime. Certes, vous nous avez assuré qu'il serait encadré et taxé, mais il le sera si peu que cela ne changera pas grand-chose. En réalité, les plus gros producteurs et ceux qui sont déjà installés s'arrogeront le maximum de droits alors que les jeunes auront de grosses difficultés à tirer leur épingle du jeu. C'est le sentiment de la plupart des jeunes agriculteurs, car ils ne disposent pas des mêmes moyens.

Par cette mesure sans précédent, on crée une sorte de fonds de commerce agricole, puisqu'il s'agit d'une plus-value supplémentaire liée à la ferme, qui se transmettra avec elle et qui pourra même se transmettre à une autre exploitation.

Le système qui va ainsi se mettre en place est fort dangereux. Le marché conduira les gens qui s'installent ou qui s'agrandissent à amortir leurs droits à produire, c'est-à-dire à verser une soulte à celui qui prend sa retraite. Certes, ce sera pour ce dernier un complément de retraite sans doute bienvenu, compte tenu du niveau de la retraite agricole. Mais cela consistera en réalité à transférer par avance au retraité ou à celui qui cesse son activité une soulte que l'on espère amortir par les primes à recevoir plus tard de Bruxelles ou de l'État.

Il sera difficile d'expliquer aux Français pourquoi les primes agricoles seront reversées par anticipation aux retraités de l'agriculture...

M. le président. Mon cher collègue, nous devons encore entendre de nombreux orateurs...

M. Jean Gaubert. Je terminerai par la modulation, dont on ne sait pas grand-chose. Elle commencerait à 5 000 euros, ce qui n'est pas très élevé. J'aimerais connaître sa progressivité, car c'est une des questions les plus importantes en matière de justice.

Puisque le temps m'est compté, ...

M. le président. Comme à tous les inscrits !

M. Jean Gaubert. ...je rappellerai pour conclure les propos de certaines organisations agricoles sur cette réforme : ce serait un amoncellement de paperasses, une usine à gaz.

Monsieur le ministre, nous attendons avec impatience celle qui est sans cesse repoussée et qui fait figure d'Arlésienne : la loi de modernisation agricole. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle la règle du jeu : vous avez des temps de parole que vous devez respecter. Nous devons entendre de nombreux orateurs et ce débat doit être bouclé dans la matinée.

La parole est à M. François Sauvadet.

M. François Sauvadet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme de la politique agricole commune suscite de nombreuses interrogations touchant aussi bien à l'avenir de l'agriculture qu'à celui du monde rural tout entier. C'est pourquoi mes collègues de l'UMP ont pris une bonne initiative en organisant ce débat.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Merci, monsieur Sauvadet !

M. François Sauvadet. Nous avons en effet besoin de discuter de l'avenir de notre agriculture. Toutefois, j'aurais préféré qu'il soit organisé plus tôt et qu'il ne porte pas seulement sur les modalités d'application de la réforme de la PAC, mais aussi sur les fondements même de cette réforme.

La réforme de la PAC, je le rappelle, a été décidée le 26 juin 2003 à Luxembourg, après un Conseil-marathon réunissant, pendant de nombreuses heures, l'ensemble des ministres de l'agriculture des États membres de l'Union, avec l'aval des chefs d'État et de gouvernement. Elle ne devait être, à l'époque, qu'une révision à mi-parcours et était destinée, nous disait-on, à nous permettre de peser sur les négociations du sommet de l'OMC à Cancún. Face aux États-Unis, nous voulions nous présenter comme les bons élèves de la classe dans le domaine de la réduction des subventions publiques à l'agriculture. Mais, comme chacun l'a vu, non seulement cette réforme n'a pas empêché l'échec des négociations, mais de plus il nous faut l'appliquer aujourd'hui !

J'ai le sentiment que, depuis de nombreuses années, nous abordons les problèmes agricoles - et plus généralement l'aménagement du territoire - avec une vision purement budgétariste. Tout se passe comme si l'obsession était de faire des économies, ou du moins d'éviter l'inflation de la dépense. Même si on peut la comprendre, une telle approche mène à une impasse, car elle conduit à un affaiblissement des prix dont les bénéficiaires - vous l'avez observé, monsieur le ministre - ne sont pas forcément les consommateurs.

M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. En effet !

M. François Sauvadet. Nous avons d'ailleurs mis en place, au sein de la commission des affaires économiques, un groupe de travail pour mener la réflexion sur ces questions : partage des marges, rôle des distributeurs, moyens de reconnaître la place des producteurs face aux transformateurs - qui eux-mêmes subissent la pression de la grande distribution. C'est le débat de société auquel nous sommes confrontés.

Ce n'est pas seulement, en effet, une catégorie professionnelle, celle des agriculteurs, qui est concernée. Il s'agit d'un débat de société parce qu'il touche à un bien dont on oublierait presque à quel point il est essentiel : l'alimentation. Nous le savons tous - et moi le premier pour avoir présidé une commission d'enquête consacrée à l'ESB -, il suffit d'une crise, d'une perte de confiance, pour que l'on se soucie à nouveau de son alimentation. À cet égard, l'effort consenti par notre agriculture en matière de qualité et de sécurité a été considérable. Il est même sans égal au monde. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Nous devons en être fiers, et clamer à la société que ce débat la concerne dans son ensemble, d'autant plus qu'il touche également à l'aménagement du territoire et à la diversité alimentaire.

Nous avons la chance de vivre dans un pays, la France, qui propose une offre d'une telle diversité. Il faut en prendre conscience, et se garder du risque de banalisation des produits. Je cite souvent - car c'est une spécialité de ma circonscription - le cas de l'époisses pour rappeler combien ce fromage a pu être fragilisé par des mesures uniformes prises au nom de la sécurité alimentaire.

Mes chers collègues, j'observe qu'au moment même où l'on essaie, en Europe, de maîtriser la production par l'affaiblissement des prix, les États-Unis affichent une performance sans égale dans l'exportation des produits agricoles et agroalimentaires. Cela suscite l'interrogation ! Les chiffres ont été rappelés, mais il convient de déterminer dans quelle mesure les États-Unis subventionnent leur agriculture sous couvert d'aide alimentaire. Et nous devons nous montrer attentifs car les pays en voie de développement se sont parfois faits leurs alliés contre les partisans d'un soutien de l'agriculture par les prix, une politique qui représente pourtant une chance pour l'avenir de ces pays. Nous devons combattre l'idée selon laquelle l'affaiblissement des prix serait favorable au tiers-monde et aux pays en voie de développement.

Je crois sincèrement, monsieur le ministre, qu'en 2003 comme en 1992, pressés par les commissaires européens, nous nous sommes trompés de méthode. Je l'avais d'ailleurs dit à l'époque. Je sais toutefois combien le combat était difficile, et avec quelle ardeur vous vous êtes battu.

Il aurait fallu d'abord définir ensemble un nouveau modèle européen, et profiter de l'arrivée dans l'Union de dix nouveaux membres, dont certains, telle la Pologne, sont de grands pays agricoles, pour en faire de nouveaux alliés dans la défense d'une politique agricole commune européenne. Car j'ai le sentiment - et les résultats des élections européennes le confirment - qu'ils n'ont, pas plus que nous, intérêt à ce qu'un choc brutal, né de la baisse des prix, se produise, ce qui conduirait inévitablement à une chute de la population agricole, laquelle peut représenter dans ces pays jusqu'à 16 ou 17 % de la population active. Au-delà de l'axe franco-allemand, il faut donc construire avec eux la défense de la politique agricole commune.

Outre l'approche purement budgétaire, je regrette le manque d'évaluation. À ce sujet, certains de mes collègues se souviennent peut-être que, lors d'une réunion de la commission des affaires économiques, M. Fischler, à qui j'avais demandé des précisions dans ce domaine, m'avait renvoyé au site internet de la Commission.

M. Michel Piron. C'est délicat !

M. François Sauvadet. Je trouve un peu curieux que l'on réponde ainsi un membre de la représentation nationale.

Quand on parle d'évaluation, cela implique non seulement d'estimer l'utilité de la dépense européenne, mais aussi de mettre en regard cet investissement avec les dommages collatéraux, d'ordre social ou économique, que nous risquons d'occasionner. À cet égard, je suis convaincu que nous ne pourrons, dans une Europe à vingt-cinq, tenir nos objectifs sans augmenter le budget de l'Union. La vérité impose de le dire ! Si l'on veut construire une Europe solidaire, il faudra se résoudre à participer plus largement à son financement.

Il importe de conduire un dialogue plus soutenu - et je sais, monsieur le ministre, que vous y êtes sensible, car nous nous en sommes déjà entretenus -, non seulement à l'intérieur de l'Union, mais aussi avec les pays en voie de développement, afin de leur faire prendre conscience de nos intérêts communs. Le combat que nous menons n'a pas pour but de protéger nos économies, mais de protéger l'idée que nous nous faisons d'une alimentation saine et de la façon dont les producteurs doivent y contribuer.

Venons-en aux agriculteurs eux-mêmes. J'en ai rencontré, comme chacun d'entre vous. Ils sont confrontés à des formalités et à des contraintes administratives proprement insupportables. Avez-vous pris connaissance de la notice d'explication rendue nécessaire par l'application de la réforme ? Elle comprend vingt pages ! Les agriculteurs doivent subir cela, en plus des contraintes liées à leur métier, et alors qu'ils sont placés dans un tissu économique en pleine mutation. Cette complexité et l'incertitude qui l'accompagne sont, je le répète, devenues insupportables. Un effort vigoureux de simplification s'impose si nous ne voulons pas nourrir d'incompréhension un monde déjà bien compliqué.

La réforme de la PAC a accouché du fameux découplage des aides communautaires. En défaisant le lien entre la production et le soutien au prix, il marque une rupture. Je note au passage que le mot « aides », souvent employé dans l'opinion, est généralement impropre. Il ne s'agit que d'une compensation économique offerte en contrepartie d'une baisse des prix voulue et organisée. Or cette compensation a été mal comprise, car mal expliquée. Nous devons fournir un effort de pédagogie en faveur d'une appropriation, par l'ensemble des consommateurs, des réalités économiques devant lesquelles sont placés les secteurs agricole et agroalimentaire.

Le caractère marchand des droits à paiement unique est une source d'inquiétude. Par ailleurs, un choix doit être effectué entre réserve nationale ou territorialisée. C'est une vraie question. Dans le domaine du lait, avant que Philippe Vasseur ne procède à la territorialisation du système, on a vu une partie des aides retourner vers la réserve nationale ou être aspirées par certains territoires. Nous devons nous montrer extrêmement vigilants et veiller à ce que soient maintenus sur certains territoires les droits et les aides à produire. Nous pourrions assister, dans le cas contraire, à une véritable surenchère pour l'accès à la simple capacité de produire. Certes, des verrous existent. Mais en dépit de la période d'incertitude que nous traversons, vous observerez que le prix du foncier n'a pas diminué, loin s'en faut. C'est dire la nécessité de maintenir un lien entre l'activité agricole et le foncier.

Dans les années 1960-1962, notre pays était confronté au défi de l'autosuffisance alimentaire, chère à notre collègue Pierre Méhaignerie. Qu'a fait le législateur ? Il a d'abord, à la suite d'un débat très large et en concertation avec l'opinion, fixé un cap. Que voulons-nous aujourd'hui pour notre agriculture ? Que demandent les consommateurs ? Quelles sont nos exigences en matière de protection de l'environnement ? Voilà les questions auxquelles il nous faut répondre.

Vous avez présenté, monsieur le ministre, une loi sur les territoires ruraux dont certains aspects, telle la reconnaissance comme activité agricole de la filière cheval, étaient très positifs. Mais, convenez-en, il nous reste du travail : donner, pour les quinze ans à venir, une réponse à ces questions, comme le législateur l'avait fait dans les années soixante, en adaptant nos outils à la nouvelle configuration définie par l'Union européenne. Nous n'avons pas seulement besoin d'une loi de modernisation ou d'adaptation de l'agriculture, mais d'une loi qui fixe un cap. J'espère que le texte que vous envisagez sera de cette nature. C'est ce qu'attendent les agriculteurs, mais aussi les consommateurs, qui veulent avoir une vision plus claire des exigences imposées au secteur.

Je vous suggère donc, au nom de l'UDF - mais aussi de nombreux autres collègues -, de présenter une loi d'orientation sur l'agriculture. Non pas une loi fourre-tout, qui empilerait les contraintes, mais une loi fixant un cap. Le secteur agricole l'attend.

Au-delà de cette proposition, je voudrais vous rappeler les trois défis majeurs que nous devons relever.

Le premier objectif, auquel pourrait répondre une vraie loi d'orientation, consiste à redonner confiance à ceux qui aiment ce métier et veulent en vivre. Ce sera l'une des conditions de la transmission des exploitations : sans confiance dans ce métier ni dans l'avenir, cette transmission n'aura pas lieu. Il faut avoir le courage de le dire, il y a dans notre pays un problème de rapport au travail. D'un côté sont ceux qui obtiennent le droit aux 35 heures, aux loisirs, aux services, et de l'autre, ceux à qui on demande toujours plus d'efforts. Parmi ces derniers figurent les agriculteurs, qui doivent produire en grande quantité et avec un faible prix de revient, tout en respectant les normes environnementales.

À ce sujet, je rejoins Pierre Méhaignerie : n'imposons pas des normes qui ne seraient pas absolument nécessaires à la protection de l'environnement, surtout si elles sont appliquées de façon uniforme en tout point du territoire. Nous avons eu ce débat lors de la remise en cause du système des équivalents en UGB - unités de gros bétail - décroissants, qui était justifiée. Ciblons, monsieur le ministre, les mesures de prévention et de précaution liées à l'environnement.

Enfin, les agriculteurs doivent faire face aux aléas climatiques. Il faut, dans ce domaine, mettre en place des outils susceptibles de constituer une véritable assurance agricole.

Le projet de loi agricole que nous appelons de nos vœux devra proposer des solutions aux agriculteurs, en leur donnant le sentiment que l'effort qu'ils fournissent est compris et accompagné par la société tout entière et que les multiples facettes de leur métier sont enfin reconnues.

Deuxième objectif : assurer la production et la diversité en garantissant la sécurité alimentaire. Quel beau défi ! Si les agriculteurs français ne sont plus aidés par l'Europe en fonction de leur travail et de leur niveau de production, alors nous devons en tirer les leçons et, plutôt que de leur proposer des contrats individuels, souvent administrés, s'engager fortement dans la voie du soutien aux filières. Grâce à ces contrats d'objectifs par filière, chacun des acteurs se sentirait épaulé et encouragé, et recevrait une aide à l'organisation. C'est une des clés pour l'avenir.

Si par ailleurs nous voulons préserver la diversité qui fait la réputation gastronomique et agricole française, il faudra aussi réaffirmer notre souhait d'encourager les filières les plus courtes, celles qui rapprochent le consommateur du producteur et qui permettent d'identifier les efforts consentis en matière de qualité. Il faut également procéder au toilettage et à l'harmonisation de nos labels de qualité, afin de les faire mieux connaître et reconnaître par les consommateurs, tout en respectant l'identité de chaque territoire. Ne nous y trompons pas : c'est par les filières et par une vision économique de la présence agricole que nous parviendrons à éviter le double mouvement de concentration et d'abandon d'exploitations, même si, bien sûr, d'autres préoccupations doivent être prises en compte, comme l'éco-conditionnalité.

Troisième et dernier objectif : définir des politiques tenant compte des difficultés inhérentes aux territoires. Nous nous sommes beaucoup interrogés, dans le cadre des politiques urbaines, sur les zones franches. Je suis, pour ma part, un fervent partisan des zones franches rurales. Nous devons avoir le courage de le dire : sans une intervention de la puissance publique destinée à alléger le fardeau de ceux qui ont choisi d'y vivre, nous ne parviendrons pas à maintenir de la vie et de l'activité dans certains territoires. Je ne vois pas pourquoi ce qui serait bon en milieu urbain - les zones franches, qui ont permis d'attirer certaines activités - serait mauvais, ou du moins n'aurait pas de sens en milieu rural. Les élus locaux ne devront pas hésiter à déclarer que certains territoires, plus que d'autres, ont besoin d'une intervention publique plus marquée. N'est-ce pas ce qui se passe dans les zones de montagne, monsieur le président Ollier ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Les zones franches rurales sont une fausse bonne idée !

M. François Sauvadet. N'avons-nous pas, de même, rendu certains territoires éligibles aux fonds de développement européens ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Les zones de revitalisation rurales constituent un bon début !

M. François Sauvadet. Certes, mais, tout comme vous, monsieur le président, je suis moins attaché aux mots qu'aux actes.

Autre sujet essentiel : la sécurité alimentaire. Il faudra bien, monsieur le ministre, qu'il fasse partie des débats de l'OMC. On ne pourra pas durablement imposer à nos agriculteurs des contraintes légitimes en ce domaine et, dans le même temps, continuer à importer des produits dont les conditions d'élevage ou de fabrication ne sont pas soumises aux mêmes règles. Il y a une volonté très nette d'harmonisation au plan européen, et il faut aboutir, mais il faut aussi agir au plan mondial.

Pour ce qui est des biocarburants, il faut anticiper. Il existe une directive qui nous permet de consacrer de nouvelles surfaces à leur production. Ne nous en privons pas.

M. le président. Monsieur Sauvadet...

M. François Sauvadet. J'ai presque terminé, monsieur de président.

Personne ne comprendrait que, pour satisfaire à l'objectif d'incorporer 5,7 % de biocarburants dans nos carburants, nous soyons contraints d'importer de tels produits.

Les paysans ne rêvent pas des 35 heures, ils ne demandent pas l'aumône. Ce qu'ils attendent de nous, c'est qu'on reconnaisse leur travail et, surtout, que l'on fixe un cap. Nous entendons collaborer avec vous, monsieur le ministre, mais il nous faudra vraiment une grande loi qui marque ce que nous voulons pour l'agriculture de demain. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Monsieur le ministre, ce débat sur les modalités d'application de la réforme de la politique agricole commune arrive presque un an après la démission, votre démission, de Luxembourg. Autant dire franchement que nous aurions préféré ne pas fêter un tel anniversaire.

Depuis 1992, c'est la troisième fois que la PAC connaît une réforme. Cette politique agricole commune a entretenu, depuis dix ans, des situations de crise quasi permanentes dans toutes les productions, sauf dans celles restant relativement encadrées. Des millions de paysans ont disparu dans un contexte social intenable, et la situation va tout simplement s'exacerber.

Un débat assez curieux a eu lieu il y a quelques années aux États-Unis. Certains juristes, dans certains États adeptes de la peine de mort, jugeaient inhumaine la pratique de la pendaison. Ils lui préféraient l'injection létale, la mort douce plutôt que la mort violente. Jamais ces philanthropes n'ont pourtant abordé la question de fond, celle de l'inhumanité de la peine de mort. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Vous trouverez sans doute ce rapprochement contestable...

M. Michel Piron. En effet !

M. André Chassaigne. J'attendais des réactions, je vous remercie !

Ce rapprochement me paraît pourtant pertinent au regard du débat que nous avons ce matin. Vous avez, monsieur le ministre, scellé à Luxembourg la mort de notre agriculture,...

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Oh !

M. Antoine Herth. Que d'excès !

M. André Chassaigne. ...et vous voulez aujourd'hui nous faire débattre des modalités pratiques de cette mise à mort, et sûrement nous convaincre des bienfaits de la méthode douce qui semble avoir, sur ce sujet, la préférence du Gouvernement.

M. Antoine Herth. Je suis mort de rire !

M. André Chassaigne. Votre politique agricole, c'est celle de la morphine. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Jamais le Parlement ne fut saisi, l'année dernière, des propositions de réforme de la PAC. Jamais nous n'eûmes l'occasion d'échanger nos impressions sur ce sujet et d'exprimer, clairement, la franche opposition qui aurait dû être celle de tous les défenseurs de notre agriculture comme du monde rural. Le Gouvernement a, seul, de façon discrétionnaire, engagé notre pays sur cette voie suicidaire du découplage et de la baisse des prix agricoles.

M. Yves Simon. Et Berlin ?

M. André Chassaigne. C'est ce débat de fond que nous aurions dû avoir l'année dernière. Aussi, nos gesticulations du jour paraîtront bien futiles à tous les agriculteurs de ce pays, si justement préoccupés de leur avenir.

Leurs organisations représentatives ne s'y sont d'ailleurs pas trompées. Elles ont toutes, après la réunion du Conseil supérieur d'orientation du 18 mai dernier, durement dénoncé vos propositions. La Coordination rurale s'en est prise à cette trahison qui « livre les agriculteurs européens en pâture à l'idéologie libre-échangiste ». (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) La FNSEA a rejeté une réforme qui « risque de conduire à l'élimination des plus fragiles et à l'élimination des autres ». Dans une lignée semblable, la Confédération paysanne a dénoncé ces politiques de bas prix qui « mettent les paysans en faillite, s'accompagnent de délocalisations et de concentration des productions et découragent les installations ».

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Démagogue !

M. André Chassaigne. En accord avec ces analyses, le MODEF revendique que « la France soit à l'initiative d'une autre politique agricole commune ».

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Parlez-vous au nom du MODEF ?

M. André Chassaigne. Le splendide isolement du Gouvernement sur ce sujet prêterait à sourire si le sort de centaines de milliers de paysans et de milliers de salariés des industries agroalimentaires n'était pas en jeu. Votre acharnement à considérer comme une victoire les accords de Luxembourg est pathétique. Ces accords me font penser à la fausse victoire de l'empereur d'Allemagne Henri IV à Canossa, dont l'histoire n'a retenu que l'humiliation. Certes, le commissaire Fischler n'est pas le pape Grégoire VII, mais le Gouvernement, dans son ensemble, semble incapable de prendre conscience de l'acuité du problème.

La nouvelle croisade du ministre de l'économie pour la baisse des prix des produits de grande consommation constitue un blanc-seing donné à la grande distribution pour pressurer encore davantage les paysans de ce pays. Comment tolérer que le gouvernement de la République délègue la politique de lutte contre l'inflation aux pires vautours de notre économie.

M. Yves Simon. Démago !

M. André Chassaigne. Vous ne pouvez pourtant pas ignorer que, derrière les marchands du temple, derrière ces Auchan, ces Carrefour, ces défenseurs autoproclamés des consommateurs, se cachent les plus grosses fortunes de France,...

M. Yves Simon. Qu'avez-vous fait pendant vingt ans ?

M. André Chassaigne. ...des affairistes, dont le monopsone sur les marchés agricoles est en grande partie responsable des chutes brutales des prix à la production, qui sont autant de couperets pour tous les agriculteurs.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Qu'avez-vous fait quand vous étiez au pouvoir ?

M. André Chassaigne. Ainsi, au regard de cet engouement pour la baisse des prix à la consommation, le Gouvernement se montre aujourd'hui un applicateur zélé de l'esprit de cette réforme de la PAC, tout entier tourné vers l'objectif suicidaire de la baisse permanente des prix agricoles. Nous aurions évidemment préféré que vous vous engagiez davantage pour briser le cartel de la grande distribution ou, au moins, pour réduire ses marges exorbitantes.

Vous avez, monsieur le ministre, annoncé les principales modalités d'application de cette réforme de la PAC le 18 mai dernier. Comme on pouvait le craindre, vos annonces ne seront pas en mesure de lever les inquiétudes des agriculteurs français. En effet, au-delà de l'effet d'affichage, de telles modalités seront incapables d'infléchir la logique destructrice de la nouvelle PAC, et vous le savez.

D'abord, la nouvelle gestion des aides proposée lors du Conseil supérieur d'orientation se ferait à budget constant. Jusqu'en 2013, la France conserverait 10 milliards d'euros annuels de retours agricoles. Ce que vous présentez comme une assurance pour notre agriculture constitue surtout un bien mauvais augure. En effet, au regard de la réduction prévisible des prix agricoles les prochaines années, conséquence directe de la dérégulation des marchés agricoles et des capitulations répétées de M. Pascal Lamy à l'OMC, cette stabilité budgétaire ne pourra qu'accompagner et de fait amplifier la baisse de revenus des paysans français.

Ensuite, si l'on excepte les aides, bien réduites, relevant du deuxième pilier, la nouvelle gestion des aides à l'agriculture, découplées, ne pourra recueillir notre assentiment, d'autant plus que c'est par prélèvement sur les aides affectées au premier pilier que seront abondés les crédits pour le développement rural et la gestion des crises de production.

M. Yves Simon. Les paysans n'y comprennent rien !

M. André Chassaigne. Ils comprennent sur le terrain - je pense notamment aux paysans de l'Allier - ,...

M. Yves Simon. Les piliers, non !

M. André Chassaigne. ...et ils vous l'ont d'ailleurs montré lors des dernières élections cantonales, monsieur l'ancien conseiller général de l'Allier !

L'usine à gaz proposée révèle certes, monsieur le ministre, que vous n'êtes pas un adepte des méthodes brutales. Effectivement, vous avez cherché à protéger autant que faire se peut les paysans français des vents mauvais de l'ultralibéralisme, pourtant généralement encouragé par votre gouvernement et la Commission européenne.

Vous avez cherché à maintenir des liens entre les droits à prime et le foncier. Vous avez travaillé à dissuader la spéculation foncière et à encourager l'installation de jeunes.

M. Michel Piron. Vous êtes contre ?

M. André Chassaigne. C'est fort bien, mais ces choix sonnent comme un aveu. Vous reconnaissez enfin, monsieur le ministre, implicitement, que cette réforme de la PAC a pour principaux objectifs d'encourager la spéculation sur le foncier et les droits à prime, de favoriser l'agrandissement des exploitations et d'empêcher l'installation des jeunes. Pour quelles raisons alors avez-vous signé ce prétendu compromis de Luxembourg, car c'est bien ce carcan qui constitue le fonds du problème ?

M. Yves Simon. Vous ne parlez pas de Berlin ?

M. André Chassaigne. Vous créez, par exemple, une réserve nationale de droits non utilisés afin d'encourager l'installation des jeunes. Mais quel avenir donnez-vous à un jeune qui aura pu s'installer grâce à cette réserve si, du fait de la baisse des prix due au développement du commerce international de produits agricoles, il s'avère que, après trois ou quatre années de travail, son exploitation n'est tout simplement pas viable ?

Nous contestons vigoureusement aussi le fait que ces aides découplées soient calculées en fonction de références historiques. Ce choix permettra surtout d'offrir une véritable rente aux 20 % des agriculteurs qui perçoivent aujourd'hui près de 80 % des aides et donc, de facto, cela affaiblira encore davantage les petits agriculteurs qui occupent et animent - pour combien de temps encore ? - nos campagnes.

En outre, il est probable, et même certain, que les barrières que vous posez afin de limiter la spéculation se révéleront incapables de ralentir la croissance des prix du foncier et l'agrandissement des exploitations, au détriment toujours des plus petits agriculteurs.

D'abord, comment justifier le fait que ces droits à prime puissent devenir marchands ? La surtaxation des échanges de droits sans terre ne réduira jamais les risques de spéculation comme on aurait pu le faire, tout simplement, en proscrivant toute marchandisation de ces droits à prime.

Certes, les risques de spéculation sur les échanges de droits sans terre seront réduits, mais aucune de vos propositions ne permettra de réduire les risques de spéculation foncière sur les terrains auxquels seront attachés ces fameux droits à prime. Là encore, il s'agit de promouvoir une agriculture capitaliste, organisée sur des exploitations très étendues et reposant sur le développement du salariat agricole. La terre appartiendra de moins en moins à ceux qui la travaillent, et de plus en plus aux gros qui se contenteront de la posséder. Disons-le, votre modèle agricole dessiné par l'application de cette réforme n'est guère réjouissant !

Enfin, le fait de conditionner l'octroi d'aides à des critères environnementaux pose tout de même plus de questions que cela ne donne de réponses !

Déjà, la complexité des dispositifs proposés n'est pas faite pour rassurer les paysans, légitimement inquiets devant les risques de prolifération des contrôles administratifs, d'autant plus qu'ils seront bien difficiles à mettre en œuvre.

Il me paraîtrait aussi judicieux de s'interroger sur la bonne foi écologique de ces nouveaux croisés européens de la conditionnalité des aides. Ce sont en effet les mêmes qui, pendant des années, ont poussé les agriculteurs à utiliser toujours davantage d'engrais chimiques, au nom de la croissance de la productivité.

Cette conditionnalité a en outre un caractère absolument scandaleux. La première valeur écologique à respecter, me semble-t-il, devrait être le vivant ! Pourtant, la politique européenne vient d'autoriser la mise sur le marché d'organismes transgéniques, en attendant sûrement de nouveaux développements de cultures d'OGM en Europe.

Quelle cohérence y a-t-il de commander aux agriculteurs, au nom de la protection de l'environnement, d'implanter en bandes enherbées 3 % de la surface de céréales et oléoprotéagineux et, dans le même temps, d'imposer peu à peu la culture d'organismes transgéniques ? À l'évidence, la conditionnalité des aides n'est que le paravent d'une politique toute entière vouée à servir les intérêts des affairistes de l'agriculture et de l'agroalimentaire.

Vous l'aurez compris, les députés communistes et républicains, comme la très grande majorité des agriculteurs, rejettent fermement votre nouvelle politique agricole commune et ses modalités d'application en France. Fidèles à nos principes, nous continuerons de revendiquer une politique de prix rémunérateurs pour les paysans et la promotion de notre souveraineté alimentaire. Car, au-delà des discours et des bla-bla...

M. Antoine Herth. Quel aveu !

M. André Chassaigne. ...ce sont les conditions indispensables du maintien d'une agriculture sur nos territoires. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Alain Marleix.

M. Alain Marleix. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur les modalités d'application de la nouvelle réforme de la PAC intervient à un moment crucial pour notre agriculture, un an, presque jour pour jour, après 1'accord de Luxembourg, à un moment de tension dans les négociations de l'OMC, avec le volet MERCOSUR et les propositions irresponsables du commissaire Lamy, et tandis que se profile le projet de loi de modernisation de l'agriculture après le vote en première lecture de celui sur le monde rural.

Il importe donc pour le Gouvernement et sa majorité de tracer des perspectives claires, de donner à nos agriculteurs de nouveaux repères et de montrer aux jeunes, qui sont encore nombreux à s'installer, quel est l'avenir de leur profession.

En tant que rapporteur spécial de la commission des finances pour l'agriculture, je suis particulièrement sensibilisé au volet financier. Bien qu'intervenant à titre personnel, j'y consacrerai mon intervention.

Grâce à l'accord budgétaire de Berlin conclu au printemps 2003 entre le Président Jacques Chirac et le chancelier Schröder et entériné par l'Union européenne, la France, première puissance agricole de l'Union, dispose, après cinq années d'incertitude, d'un cadre budgétaire clair, ambitieux, contraignant et, surtout, de longue durée. Nous savons désormais que le « retour budgétaire » agricole de la France sera toujours de 10 milliards d'euros, que ce cadre budgétaire durera au moins jusqu'en 2013. En outre, le Président de la République a obtenu la possibilité d'une augmentation annuelle de 1 %, ce qui ménage une marge de manœuvre financière conséquente.

Le budget de l'agriculture européen, qui représente encore plus de 45 % du budget de l'Union, peut donc encore progresser en fonction des besoins. Il offre au développement de la PAC une garantie financière considérable. Cet accord majeur obtenu par le Président de la République et par le Gouvernement est aussi un succès personnel pour vous-même, monsieur le ministre.

Il est d'autant plus essentiel que le bilan financier « franco-français » de notre agriculture est préoccupant. Le passif est très lourd car on nous a légué une facture de plus de 3 milliards d'euros (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), dont 1 milliard d'euro - 1 170 millions d'euros précisément - d'impasse budgétaire en 2002.

M. Yves Simon. Eh oui !

M. Alain Marleix. Ce « sinistre budgétaire » se répartit ainsi : 500 millions d'euros de dépenses du ministère cumulées d'année en année en reports de charges ou en charges non prévues dans le budget pour 2002 ; 105 millions d'euros de charges de bonification des prêts antérieurs à 2002 ; ...

M. Yves Simon. Eh oui !

M. Alain Marleix. ...75 millions d'euros de déséquilibre financier de l'ONF ; ...

M. Yves Simon. Eh oui !

M. Alain Marleix. ...75 millions d'euros d'impasse sur les CTE signés avant mai 2002 ; ...

M. Yves Simon. Eh oui !

M. Alain Marleix. ...58 millions d'euros d'interventions non financées des offices ; 45 millions d'euros de dépenses agri-environnementales, contreparties du « deuxième pilier » ; 41 millions d'euros non budgétés pour l'indemnité viagère de départ ; 23 millions d'euros d'apurement des comptes du FEOGA antérieurs à 2002 ; 75 millions d'euros de dépenses diverses non prévues - farines animales, vacations des enseignants, contentieux avec l'enseignement privé, dont certains professeurs n'avaient pas été payés en début d'année 2002.

M. Yves Simon. Quel beau bilan !

M. Alain Marleix. Et l'on pourrait en rajouter.

M. Jean Auclair. Rajoutez-en !

M. Alain Marleix. Certainement, car un chapitre essentiel, celui du BAPSA, n'était pas non plus pourvu comme il aurait dû l'être. Il accusait un déficit de 670 millions d'euros, accumulé au cours de la précédente législature du fait de reports de charges qui ont fini par rompre profondément l'équilibre des comptes sociaux agricoles, ce qui a nécessité d'opérer différents prélèvements. Face à cette situation, le Gouvernement a décidé de rétablir au plus vite l'indispensable équilibre de ce régime en prévoyant un plan de redressement dès l'été 2002.

Le deuxième grand chapitre, le deuxième « trou noir » budgétaire après ce premier milliard d'euros de déficit, ce sont les 2 milliards d'euros d'engagements pris pour la législature actuelle.

M. Yves Simon. Eh oui !

M. Alain Marleix. Le précédent gouvernement a posé de véritables « bombes budgétaires à retardement » destinées à préempter les choix du futur gouvernement, en gageant les annonces faites à l'époque par des ressources à trouver pendant la législature suivante. Ces chèques sans provision signés aux agriculteurs ont permis de faire de la cavalerie budgétaire sur plusieurs postes.

M. le président. Monsieur Marleix, veuillez conclure.

M. Alain Marleix. Je conclus, monsieur le président.

Ces postes sont les suivants : 1 milliard d'euros pour les CTE 2002-2007, le fameux « milliard des CTE » ; 300 millions d'euros pour la mise en œuvre du PMPOA ; 800 millions d'euros pour le financement de la retraite complémentaire obligatoire.

M. Germinal Peiro. Vous l'avez votée !

M. Alain Marleix. Ces chiffres doivent être rappelés et resitués dans le cadre des interventions en faveur de l'agriculture. Ce trou de 3 milliards d'euros représente l'équivalent des dépenses nationales d'intervention d'une année, soit 3,2 milliards d'euros.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C'est très intéressant !

M. Alain Marleix. J'ai souhaité rappeler ces réalités financières en insistant, monsieur le ministre, sur la nécessité de dresser des perspectives claires, de fixer pour notre agriculture des objectifs conformes à la PAC. Notre pays dispose de la deuxième agriculture mondiale. Donnons-nous les moyens de la garder et de garantir la pérennité d'un monde rural indissolublement lié à la société française. Pour ce faire, monsieur le ministre, vous avez notre soutien le plus entier et notre confiance la plus totale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. André Chassaigne. C'était un discours cache-misère !

M. Yves Simon. La réalité vous gêne !

M. le président. La parole est à M. Michel Raison.

M. Michel Raison. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'agriculture est une activité sérieuse, complexe, qui ne doit pas être caricaturée. Elle n'est certainement pas une activité subalterne. Elle contribue à notre puissance économique et doit donc faire partie de la stratégie nationale.

La politique agricole commune a toujours été une chance et un moteur extraordinaires pour notre pays. Je souffre chaque fois qu'elle est présentée comme une empêcheuse de tourner en rond, alors qu'elle nous a toujours servi, même après les réformes.

M. Yves Simon. Tout à fait !

M. Michel Raison. En 1984, grand choc, on a combattu les quotas, aujourd'hui on se bat pour les garder. En 1992, on déplorait la baisse catastrophique du prix des céréales et des aides. Certes, le nombre d'agriculteurs a baissé, mais la réforme de Luxembourg a eu l'effet d'un coup de tonnerre. Souvent, des éléments de la politique agricole commune, comme la préférence communautaire et les mécanismes d'intervention sont menacés, mais notre combat se situe aussi au niveau mondial, dans le cadre du MERCOSUR ou de l'Organisation mondiale du commerce.

Monsieur le ministre, le combat est rude, mais vous avez notre confiance - une confiance exigeante, bien sûr.

Une fois les négociations passées, le pragmatisme doit suivre, par la mise en place des armes de la compétitivité nationale sur tous les fronts : réforme des offices, adaptation de la fiscalité et de l'assurance maladie, réforme de la politique de l'eau, biocarburants, domaine dans lequel nous devons être précurseurs plutôt que suiveurs. Dans ce contexte difficile, il importe d'avoir un objectif de visibilité.

Nous devons aussi être conscients de la diversité de notre agriculture : diversité du climat, du relief, du sol, des productions, mais aussi - on l'oublie trop souvent - des hommes et de leurs goûts. C'est pourquoi il convient de se méfier de ce qu'on appelle le « modèle européen » ou le « modèle français ». Comment pourrait-il y avoir un modèle avec tant de diversité ?

De même, soyons conscients de l'existence, au-delà de la PAC et des aides, de l'économie et du marché. J'entendais récemment un agriculteur reprocher aux politiques de baisser le prix du lait alors que cette baisse est l'effet du marché. Conformément à la loi de l'offre et de la demande, les prix baissent quand il y a un peu trop de lait sur le marché. Le marché, ce sont non seulement des organismes de mise en marché - coopérations, industries agroalimentaires - mais aussi des clients.

M. André Chassaigne. Derrière le marché, il y a des choix politiques !

M. Michel Raison. Grâce à la PAC, monsieur Chassaigne, nous allons peut-être réparer les méfaits du communisme dans les pays de l'Est ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Ces clients forment une société sensible à l'image de ses agriculteurs. Nous devons pratiquer la communication, cet art difficile. Les détracteurs de l'agriculture, ces « marchands de peur », font passer leur message à travers des affirmations. Mais pour faire passer un message positif, il ne suffit pas d'affirmer, il faut aussi démontrer dans un langage accessible à tous. À nous de faire comprendre que, grâce à l'agriculture moderne, nos concitoyens ne connaissent aucun souci d'approvisionnement, même dans des circonstances comme la sécheresse de 2003, qui aurait posé de graves problèmes il y a seulement une cinquantaine d'années. De même, en matière de sécurité alimentaire, nous sommes pratiquement arrivés au risque zéro.

Pour que ce métier perdure, il faut bien sûr que des jeunes le choisissent. À cet égard, l'image du métier d'agriculteur perçue par la société est déterminante. Soyons également attentifs aux revenus et aux conditions de travail des agriculteurs, avec lesquels les 35 heures ont créé une fracture.

La future loi de modernisation devra tenir compte de tous ces paramètres. Nous ne sommes plus en 1960. Nous ne pouvons continuer de nous arc-bouter sur l'existant, sur des protections tous azimuts. La loi ne devra pas se résumer à un système de contrôle des structures archaïques qui figent les situations, ...

M. Jean Auclair. Très juste!

M. Michel Raison. ...en décalage avec les réalités économiques, avec l'amont et l'aval de l'agriculture. Pour qu'un jeune ait envie de devenir paysan, il faut qu'il puisse avoir, comme les autres, un projet de carrière. Un jeune titulaire d'un BTS doit avoir un projet de carrière et ne pas être condamné au SMIC à vie.

M. Jean Auclair. Très bien !

M. le président. Concluez, monsieur Raison !

M. Michel Raison. En conclusion, je rappellerai que l'agriculture est un vecteur économique, social, environnemental, d'aménagement du territoire. La France ne peut pas se passer se passer de ses artistes-sculpteurs de paysage. (« C'est joli ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Monsieur le ministre, travaillons tous ensemble pour qu'elle ne soit pas un pays sans paysans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. François Dosé.

M. François Dosé. Monsieur le ministre, vous connaissez bien notre territoire pour vous y être rendu. La Meuse, dont je suis député, est un département rural qui compte 190 000 habitants pour cinq cents communes, mais 100 000 d'entre eux se répartissent sur quatre cent soixante-quinze de ces communes. C'est un département agricole de « zone intermédiaire », où les montants compensatoires représentent globalement 75 % du revenu des exploitants, et le lait, les céréales et l'élevage la presque totalité de l'activité. C'est, enfin, un département faiblement industrialisé, mais dont la filière agroalimentaire reste l'un des atouts économiques - 80 % du Brie de Meaux est d'origine meusienne !

Quatre interrogations majeures, assez proches les unes des autres - deux générales et deux plus spécifiques - se dégagent du témoignage et du questionnement de nos agriculteurs, quelles que soient les convictions et les responsabilités de ceux-ci.

Permettez préalablement au maire que je suis, qui préside parfois la célébration des noces d'or de ses concitoyens, de relever l'évolution sémantique qui se manifeste, au cours des cinquante dernières années, dans les actes de mariage : ceux qui étaient « paysans » entre les deux guerres, sont devenus « cultivateurs » après la Libération, puis « agriculteurs » dans les années soixante, exploitants agricoles » il y a vingt ans et, aujourd'hui, « chefs d'entreprise agricole ». (Approbations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Même s'il y a parfois loin du mot à la chose, le vocabulaire n'est pas neutre !

J'en viens aux remarques exprimées par les agriculteurs.

La première, c'est que ce débat est tardif. Les uns disent, avec quelque amertume envers les politiques, que tout est joué et qu'« on ne bougera plus les lignes ». Pour d'autres, la politique européenne est essentiellement l'affaire de commissaires et de fonctionnaires, experts ou non.

Il faut rendre leur crédit à la parole et à la pratique politiques, sans esquiver les difficultés. Il faut resituer la PAC dans l'espace européen, avec ses contraintes et ses défis, ses incertitudes et ses ambitions, et expliquer cette politique. Le silence ou le bavardage ne sont pas de mise. Nos agriculteurs ne sont pas dupes. Nous devons partager collectivement cette responsabilité, dans la diversité de nos opinions, et les récentes élections européennes furent, à cet égard, une occasion gâchée par tous.

En deuxième lieu, on reproche souvent à cette réforme de défaire sans construire. Apparaissent ici les contradictions entre les vertus et les perversités du marché, entre les atouts et la faiblesse de la puissance publique. Il semble que la nouvelle donne privilégie trop largement le marché, qui est un instrument incontestable d'efficacité mais qui, dans un espace international mal défini et hétérogène, est aussi un piège pour ceux qui le pratiquent sur des territoires soumis à de légitimes contraintes environnementales ou sociales. Il faut donc protéger l'efficacité économique, la solidarité territoriale et la solidarité sociale. Les agriculteurs, travailleurs acharnés, qui furent aussi mutualistes et coopérateurs, y sont prêts.

Le monde, dit-on, est un village. Mais les villageois agriculteurs ont peur de ce monde-là. Les gagnants ne sont ni les pays pauvres du Sud, ni les pays entrant dans l'Union européenne, ni la majorité de nos agriculteurs. Espérons que cette réforme ne sera pas le triomphe des spéculateurs.

En troisième lieu, les jeunes redoutent qu'on en arrive à des droits à paiement payants et à un marché quasiment dépourvu de règles de gestion des transferts de droits, de droits qui compromettraient leur installation. Afin de limiter autant que possible les effets négatifs de cette réforme, la gestion des droits à paiement devra être fortement encadrée.

Enfin, la nouvelle donne, sous l'effet de la pression des prix et de l'importance des charges de mise aux normes, confortées, malheureusement, par la structure démographique de la population des éleveurs, entraînera, en l'état actuel des propositions, une cascade de cessations d'activités, notamment dans le secteur laitier. Pourrons-nous freiner cette funeste évolution ?

Enfin, monsieur le ministre, la République et l'humanisme sont des valeurs partagées sur tous les bancs de cette assemblée. Vous pouvez donc accepter cette conclusion en forme de mise en garde : ne laissons pas démanteler notre agriculture. Aidons-la à se moderniser, mais ne l'abandonnons pas, car la désespérance se paie au prix fort. Les jeunes ruraux tenteront, avec amertume, de vivre ailleurs et de faire autre chose, mais les autres, dans le secret de l'isoloir, se réfugient souvent dans des protestations extrêmes. Dans la Meuse, les résultats du Front national ne s'expliquent pas par la présence des étrangers - qui ne sont que 2,5 % -, mais par cette désespérance. En ruralité, dans l'intimité des familles, celle-ci conduit parfois même, et de plus en plus souvent, au suicide, comme je le constate à l'Observatoire de la santé de Lorraine, dont je suis membre depuis vingt ans.

Ces éléments permettront, je l'espère, d'engager ce débat dans la diversité de nos convictions, pour le service des agriculteurs, et donc pour le service de la France et de sa ruralité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. André Chassaigne. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Marc Laffineur.

M. Marc Laffineur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a tout juste un an, le 26 juin dernier, était entérinée à Luxembourg une troisième réforme de la PAC, qui faisait suite à celles de 1992 et de 1999.

Cette réforme, sur laquelle s'est âprement battue la France, et particulièrement grâce à vous, monsieur le ministre, stabilise le budget agricole de l'Europe jusqu'en 2013. Pleinement effective à partir du 1er janvier 2006, elle introduit deux mesures fondamentales : le découplage des aides et leur conditionnalité.

Mais, au-delà des aspects techniques de la réforme, l'accord de Luxembourg pose la question de la persistance du modèle agricole européen qui, bien plus qu'un simple secteur économique, est au cœur de notre civilisation et de l'aménagement de notre territoire. Ce modèle traverse une crise morale sans précédent, que viennent accentuer certains aspects de la réforme de la PAC.

Ce débat sur les modalités d'application de la réforme de la politique agricole commune est donc l'occasion de revenir sur la place que notre pays souhaite donner à l'agriculture et, plus généralement, au monde rural. Si elle sauvegarde l'essentiel, et si nous ne pouvons que nous féliciter de l'accord obtenu par la France, qui garantit à la PAC 10 milliards d'euros par an jusqu'en 2013, la réforme n'en révèle pas moins les failles qui déchirent le monde rural. Les agriculteurs s'interrogent aujourd'hui plus que jamais sur la place qui est la leur au sein de notre société. Ils sont désorientés et des mesures comme le découplage ou l'éco-conditionnalité contribuent à cette crise morale.

En effet, avec le découplage, les agriculteurs se sentent exclus et dévalorisés, puisqu'on ne reconnaît plus le produit de leur activité, mais qu'on les paie pour ne plus produire, comme s'ils étaient devenus des assistés. À l'inverse, la conditionnalité des aides, notamment en termes d'environnement, les transforme peu à peu en conservateurs du monde rural, gardiens de nos campagnes. Face à ces transformations radicales de leur activité, les agriculteurs sont en droit de se demander ce que leur réserve l'avenir.

J'évoquerai quatre des questions que cette réforme laisse en suspens.

D'abord, dès 2005, les soutiens agricoles seront progressivement conditionnés au respect de dix-huit directives et règlements européens et à de bonnes conditions agricoles et environnementales. On ne peut, certes, que se féliciter de la place prise dans la PAC par les dispositions du deuxième pilier favorisant le développement durable, mais les agriculteurs souhaiteraient, afin de s'adapter au plus vite, connaître les éléments qui seront contrôlés et les pénalités imputables en cas de non-conformité.

Ensuite, la récente réunification de notre continent, qui ne peut susciter de notre part qu'une adhésion massive, n'est pas sans poser des problèmes à nos agriculteurs. Bien que la PAC ait été sanctuarisée jusqu'en 2013 et que le niveau des aides reçues par la France ait été consolidé, nos agriculteurs s'inquiètent à juste titre des conséquences de l'élargissement de 2004 et, au-delà, de celui qui est prévu pour 2007, compte tenu du fait qu'en Roumanie - pour ne parler que de ce pays -, l'agriculture occupe 44,4 % de la population active. Ce nouvel élargissement se fera-t-il à budget constant ?

Troisièmement, alors que la réforme de la PAC était censée garantir l'agriculture dans les négociations à l'OMC, les négociateurs européens, dont Pascal Lamy, proposent aujourd'hui des concessions supplémentaires dans le cadre d'accords bilatéraux avec le MERCOSUR, notamment sur les quotas d'importation de viande bovine et d'éthanol. Ces concessions seraient catastrophiques pour nos agriculteurs comme pour la PAC elle-même. Que compte faire le Gouvernement pour que le commissaire européen respecte le mandat qui lui a été donné ? Le Gouvernement est-il favorable à la conclusion des négociations avec le MERCOSUR avant ou après la reprise du cycle de Doha ?

Enfin, l'un des éléments de la réforme de la PAC dont s'inquiète particulièrement le monde agricole est le fait que le soutien ne sera plus lié à l'acte de production et que ce droit nouveau est marchand, et donc potentiellement spéculatif. Les producteurs peuvent-ils craindre qu'une partie de leur soutien, nécessaire à la compétitivité de leur production, leur soit achetée par des non-producteurs, voire par des personnes extérieures à l'agriculture ? Les surcoûts engendrés par ce marché seront-ils supportables pour les jeunes souhaitant s'installer ?

Ce débat sur la politique agricole commune montre donc combien la question est encore sensible, et qu'elle est loin d'être réglée. Si la part du budget européen allouée à la PAC est, grâce à vous, heureusement maintenue, ses interventions sont orientées selon des lignes encore floues ou qui ne sont, du moins, pas encore totalement assumées. Il appartiendra donc au Gouvernement, lors des négociations portant sur les prochaines perspectives financières de l'Union européenne pour 2007 à 2013, de repréciser la place que l'on souhaite donner à l'agriculture et, au-delà, au monde rural.

Les agriculteurs doivent garder toute leur place dans l'équilibre de nos territoires et la République doit les défendre du mieux qu'elle peut en Europe et dans le monde. L'agriculture a en outre, pour les Européens, un aspect stratégique : nous devons, pour notre indépendance, assurer notre autosuffisance alimentaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. André Chassaigne. De bonnes questions ont été posées !

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, longtemps, l'Europe et l'agriculture ont uni leurs destins. Mariage d'amour, de raison ou d'intérêt ? Peu importe la motivation : l'alliance était constante. La PAC a longtemps été la seule politique européenne, à laquelle était consacré l'essentiel du budget et de l'ordre du jour du Conseil des ministres. En contrepartie, le monde agricole apportait un soutien indéfectible à la construction européenne. Il en a été payé de retour, au moins jusqu'aux années quatre-vingt-dix. Mais, dès la réforme de 1992, on a pu sentir des signes de distance et certains parlent désormais de divorce.

L'Europe aime-t-elle encore son agriculture ? Ne la considère-t-elle pas comme une survivance encombrante, une source de dépenses jugées excessives ou un secteur économique marginal, que l'on sacrifierait à l'occasion de négociations commerciales bilatérales et multilatérales ? C'est ce que tendent à prouver les récentes initiatives du commissaire européen Pascal Lamy : l'Europe cède au MERCOSUR, c'est-à-dire aux deux superpuissances agricoles que sont le Brésil et l'Argentine. Vous avez su réagir, monsieur le ministre, et mettre le holà à ces initiatives redoutables et, hélas, habituelles - car l'habitude semble prise de céder à la veille de chaque négociation.

L'ambition exportatrice a disparu, comme le prouve la disparition progressive des restitutions, passées en dix ans de 30 % à 10 % du budget de la PAC. Pour certaines productions, comme la volaille et le porc, qui ne bénéficient pas d'organisations communes de marché, les restitutions étaient le seul moyen de bénéficier d'un soutien communautaire. Aux États-Unis existent des dispositifs tels que les deficiency payments, versés directement aux exploitations lorsque les prix du marché sont inférieurs à des objectifs préalablement définis, l'aide humanitaire employée comme moyen de déstocker ou des aides directes qui s'élèvent à 16 000 dollars par exploitation, contre 3 600 en Europe. Nous n'avons donc pas de leçons à recevoir !

L'opinion publique n'est pas consciente de cette évolution, et voit encore dans les agriculteurs les enfants gâtés de l'Europe, alors que le monde agricole éprouve à l'égard de l'Europe un sentiment de dépit amoureux - celui que peut éprouver une première épouse qui sent qu'on lui préfère désormais de plus jeunes maîtresses. (Sourires.)

Le problème est bien de savoir quelle priorité nous donnons à notre agriculture. L'abandonner au profit d'autres secteurs, comme l'ont fait les Britanniques au xixe siècle, serait une grave erreur : comment prétendre à l'indépendance sans autosuffisance alimentaire ? En termes d'indépendance nationale, l'agriculture vaut le nucléaire tous les jours.

Rappelons quelques évidences : le secteur alimentaire représente, en France, un chiffre d'affaires de 139 milliards d'euros, notre pays est toujours au premier rang pour les produits agricoles transformés et la filière agroalimentaire continue de créer de l'emploi.

Si l'Europe semble prendre ses distances vis-à-vis de l'agriculture, elle apparaît aussi aux agriculteurs comme une usine à normes. Les lourdeurs se multiplient - comme l'éco-conditionnalité, dont nous savons peu de chose et sur laquelle j'espère, monsieur le ministre, que vous pourrez nous rassurer. Ces normes, appliquées chez nous grâce à une administration zélée - parfois un peu trop ! - ne sont pas toujours appliquées aussi strictement ailleurs, ce qui crée des distorsions de concurrence.

J'évoquerai la taille des cages à poules, la délivrance des produits vétérinaires, les normes de bien-être, les modalités de la traçabilité moins exigeantes ailleurs que chez nous, ou encore l'incorporation des greffes animales admise dans plusieurs pays européens. Il est indispensable que, par un observatoire ou par une autre formule, nous parvenions à avoir une vision très claire de toutes ces questions. C'est une proposition de Pierre Méhaignerie, d'autres l'ont reprise et je m'y associe avec insistance.

De surcroît, aux normes européennes sont parfois ajoutées des normes nationales.

S'agissant de l'équarrissage, je sais le combat que vous avez mené, monsieur le ministre, et je crois que la contribution volontaire obligatoire est finalement un moindre mal. Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une norme supplémentaire alors qu'au Brésil, quand une vache crève, l'équarrissage est laissé aux bons soins des condors et des vautours. C'est dire si les distorsions de concurrence au niveau mondial sont majeures.

Autre norme nationale : on nous reparle d'une nouvelle redevance agricole sur les pollutions diffuses. Les bras m'en tombent ! J'espère, monsieur le ministre, que vous pourrez, là aussi, nous rassurer sur ce point. Ce n'est ni le temps, ni les circonstances, pour imposer à nos agriculteurs de nouvelles contraintes.

Face à ces difficultés, que faire ?

Il faut que nous sachions anticiper avec beaucoup de courage.

L'examen de la future loi rurale nous avait déjà permis d'anticiper. En première lecture, nous avions introduit un certain nombre d'amendements. Je regrette qu'au Sénat plusieurs aient été « désossés » et j'espère que nous saurons les rétablir en deuxième lecture.

Mais, surtout, nous attendons la loi agricole. Cette loi est une véritable chance. Maintenant que les choses se précisent au niveau européen, il faut que nous légiférions. Mes chers collègues, nous devons légiférer avec courage et avec le sens de l'anticipation nécessaire. Il faudra - certains l'ont dit et je le répète - savoir remettre en cause quelques vérités révélées et un certain nombre de vaches sacrées. C'est à cette seule condition que nous pourrons légiférer pour les quinze ans à venir et réunir les atouts nécessaires pour que la France garde l'essentiel : ses paysans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean Launay.

M. Jean Launay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les députés, l'initiative d'un débat sur les modalités d'application de la réforme de la politique agricole commune aurait dû être saluée, tant cette politique est essentielle pour les agriculteurs français.

Mais ce débat est tardif, comme l'a très bien dit François Dosé. Il n'a été annoncé que depuis une semaine, à la surprise de tous. Il a même changé de nom, s'appelant d'abord « débat sur la politique agricole commune » avant de devenir « débat sur les modalités d'application de la réforme de la politique agricole commune ».

De plus, y a-t-il encore matière à débattre ? Des décisions ont été prises et annoncées. Tout ce qui pourra être dit ici ne servira finalement à rien et ne fera pas évoluer les modalités d'application déjà décidées. Le Parlement est ravalé au rang de théâtre.

Au-delà du peu de considération accordée aux députés, plus grave est la situation dans laquelle ce gouvernement plonge l'agriculture française depuis deux ans.

Nous dénonçons donc ici, une fois de plus, l'abandon du CTE, son remplacement par le contrat d'agriculture durable, qui ne prend pas en compte les aspects sociaux, lesquels sont pourtant essentiels dans une agriculture en crise.

Nous constatons l'aggravation de la situation : le gel de 5 % du budget de l'agriculture française en 2004, l'annonce du durcissement de la rigueur en 2005. Les agriculteurs que nous entendons et que nous écoutons, dans nos circonscriptions, nous parler de la sécheresse, n'ont pas la même lecture que vous, monsieur le ministre, du traitement de ce dossier. S'ils sont encore debout, ils le doivent d'abord à la solidarité qui existe au sein de leur profession. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. 1,2 milliard d'euros, ce n'est pas rien !

M. Jean Launay. Mais l'aggravation de la situation ne s'arrête pas là. À l'échelle européenne, la volonté du Gouvernement de ne pas augmenter le budget de l'Union montre que vous voulez imposer à tous la rigueur. Au surlendemain des élections européennes, vous seriez bien inspiré de vous demander si ce n'est pas une des principales raisons de votre cuisant échec car nous avions, pour notre part, clairement affiché l'ambition d'augmenter ce budget. Cette rigueur a d'ailleurs été dénoncée par le commissaire européen à l'agriculture comme contraire aux intérêts de l'union. Elle s'avérera également contraire aux intérêts agricoles de la France.

Venons-en aux modalités d'application hexagonale de la réforme de la politique agricole commune.

Elles étaient attendues. On se doutait qu'il ne fallait pas trop espérer. Cependant, nous notons que vous aviez supprimé en août 2003 la modulation facultative des aides mise en place par Lionel Jospin, dont l'objectif était d'instaurer une répartition plus équitable et plus juste des aides...

M. Yves Simon. C'était juste un objectif !

M. Jean Launay. ...et que vous la remettez en place aujourd'hui. Voilà au moins une décision que nous ne pouvons qu'approuver. Vous aviez supprimé la modulation, mais les 215 millions d'euros récoltés à ce titre, vous les avez bel et bien utilisés.

Au-delà de l'incohérence de la démarche, la déception est immense. Les agriculteurs, déjà inquiets pour leur avenir, perdent un peu plus espoir. Même le président des jeunes agriculteurs a déclaré très récemment que les agriculteurs avaient l'impression d'avoir été trompés par le Gouvernement et par le Président de la République.

M. Jean Auclair. C'était le précédent gouvernement !

M. Jean Launay. Ce doux euphémisme dans l'expression d'un dirigeant agricole confirme la réalité de ce que ressentent, sur le terrain, la majorité des agriculteurs.

Évoquons le découplage des aides : vous avez, avec l'accord de Luxembourg, choisi et accepté un découplage partiel, alors que vous aviez clamé partout votre opposition au principe même du découplage. Rien ne justifie les décisions prises, dont l'application sera, de l'avis de tous, d'une complexité énorme. Le calcul des aides devient un acte qui va à l'encontre de vos discours sur la simplification du droit. La FNSEA elle-même ne s'y est pas trompée lorsqu'elle a dénoncé ce mariage de la carpe et du lapin : la conciliation de l'ultra-libéralisme et de l'extrême complexité administrative. À partir de 2006, les aides publiques seront donc attribuées sous la forme d'une prime unique, calculée par exploitation et rapportée à la surface de celle-ci, qu'il y ait ou non production. Ce n'est pas anodin puisque cette modification remet en cause l'essence même de l'agriculture.

En effet, l'agriculteur ne sera plus celui qui produit mais celui qui perçoit des aides. Vous venez de demander au Parlement le droit de rectifier par ordonnance la définition sociale de l'agriculture. Il faudra bientôt que vous remettiez en cause la définition de l'article L. 311-1 du code rural. Car sans produire, peut-on maîtriser encore un cycle biologique ? C'est bien cette maîtrise qui fait aujourd'hui l'activité agricole. Un agriculteur pouvant toucher des aides PAC peut-il ne pas exercer une activité agricole au sens de l'article L. 311-1 du code rural ? Conserver la terre en bon état est-il synonyme d'activité agricole ? La question est importante. Je pense, monsieur le ministre, que vous aurez à cœur d'y répondre.

Avec ces modalités d'application, une situation d'une extrême complexité apparaît. Le découplage ne s'applique pas à toutes les productions. Certes, nous nous félicitons que vous ayez compris l'importance de sauvegarder en l'état les primes au maintien du troupeau de vaches allaitantes, mais, pour les autres primes, le calcul s'annonce bien compliqué. Vous le reconnaissez vous-même en insistant sur le rôle de conseil et d'information des DDAF, les directions départementales de l'agriculture et de la forêt.

Comment les agriculteurs vont-ils pouvoir y voir clair et démêler cet imbroglio ? Vous insistez sur l'importance d'un accompagnement personnalisé de chaque exploitant. Mais quels seront les moyens affectés aux administrations concernées pour opérer cet accompagnement ?

Mes collègues du groupe socialiste ont déjà abordé la question. Je souhaite vous exprimer à nouveau notre désaccord avec votre gestion des droits à prime car vous vous avez choisi de les marchandiser. Ce faisant, vous instituez un frein à l'installation. Vous avez sans doute voulu atténuer cette mesure, que vous savez néfaste, en ne taxant pas les transferts aux jeunes agriculteurs. Mais êtes-vous assuré de l'impact de cette exonération ? L'étude de la question des quotas individuels transférables dans le secteur de la pêche nous montre ce que la marchandisation peut provoquer au détriment des jeunes qui souhaitent s'installer. Ceux-ci se trouvent confrontés à des prix exorbitants pour simplement acquérir des droits à produire. C'est inquiétant. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon.

M. Jérôme Bignon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous fêtons ce mois-ci le premier anniversaire de l'accord de Luxembourg de juin 2003.

Seuls les gens de mauvaise foi pourraient contester que l'objectif poursuivi par la France, dans la négociation de la réforme de la PAC, a été d'obtenir pour notre agriculture des perspectives de développement satisfaisantes à moyen et long terme. À cet égard, la fixation du cadre budgétaire jusqu'en 2013 est évidemment essentielle, elle contribue partiellement à donner à l'ensemble de la profession lisibilité et sécurité pour la période ainsi définie.

Personne de bonne foi ne peut contester que la France a largement défendu le maintien des outils de régulation des marchés, principalement les quotas laitiers, ainsi que le renforcement des mesures en faveur de l'installation des jeunes.

Les principes de la réforme de la PAC ne sont donc guère constestés.

Pourtant, malgré les efforts du Gouvernement, l'agriculture en général, et celle de mon département de la Somme en particulier, est inquiète.

Avant de vous expliquer succinctement, monsieur le ministre, les raisons de son inquiétude, je réitère à cette tribune mon invitation : nous souhaitons votre venue dans la Somme. Nous ne voudrions pas que le département dont l'économie agricole est, tant au niveau de ses productions que de son industrie agroalimentaire, une des toutes premières de France, soit un des derniers à être l'objet de votre visite. Je sais que vous avez eu à cœur de vous rendre dans de très nombreux départements. Il en reste encore quelques-uns qui vous attendent, et la Somme en fait partie. Vous serez le bienvenu. Cette visite constituerait évidemment un élément de réponse à cette crainte sourde qui pèse sur le moral de la « ferme Somme ».

Les agriculteurs expriment cette inquiétude à leur façon, mais les contacts constants que j'entretiens avec eux me donnent le sentiment que cette profession a du mal à croire en son avenir. Proust écrivait dans  La Prisonnière  : « Nous nous représentons l'avenir comme un reflet du présent projeté dans un espace vide, tandis qu'il est le résultat tout prochain de causes qui nous échappent pour la plupart. »

Mon intervention a pour objet, monsieur le ministre, de signaler quelques causes qui ne devraient pas nous échapper - quitte à faire mentir Proust.

S'agissant des biocarburants, nous n'allons pas assez vite ni assez loin. C'est un marché potentiel considérable pour notre agriculture. Tandis que l'énergie éolienne divise les Français et les campagnes, notamment littorales, en raison de ses atteintes aux paysages, rien ne devrait ralentir la marche de la France vers davantage de biocarburants. Leurs effets sont évidemment très positifs sur l'émission de gaz à effet de serre ; l'emploi et le développement rural en bénéficient directement ; notre indépendance énergétique progresserait et la nouvelle hausse du prix du baril liée aux circonstances internationales et à la demande des pays émergents justifie, s'il en était besoin, cet effort ; le marché alimentaire n'en serait pas du tout perturbé, loin s'en faut. Le retard de la France en ce domaine est difficilement explicable. Viendra le jour où notre retard sera tel que nous exporterons notre blé et nos betteraves chez nos voisins comme les pays en voie de développement exportent leur production chez les Allemands, qui, eux, ont mis en œuvre les outils de production industrielle. Soyez le ministre de l'agriculture qui aura fait avancer de façon substantielle notre pays dans cette direction.

En outre, la complexité de la réforme inquiète.

En un temps où nous aspirons, les uns comme les autres et le Gouvernement en particulier, à davantage de simplicité, il a été beaucoup demandé ces trente dernières années aux agriculteurs. Ils se sont adaptés, souvent avec détermination. Ils ont fréquemment lâché le volant de leur tracteur pour traiter une paperasserie abondante, complexe et qui leur semble parfois tracassière.

Ainsi, s'agissant de l'éco-conditionnalité des aides, Dieu sait s'il faut être respectueux de l'environnement, mais n'ajoutons pas des conditions supplémentaires à celles imposées par Bruxelles. Aidons notre agriculture à rester compétitive par rapport à celle de l'ensemble des pays européens. C'est essentiel.

Quant à la mise aux normes et au régime des ateliers laitiers, je rappelle qu'il y a dans la Somme 1 700 ateliers laitiers, lesquels produisent 420 millions de litres de lait et emploient 3 500 actifs. Il s'agit de mettre aux normes les bâtiments d'élevage, c'est-à-dire le PMPOA2. Ce programme ne suscite, et c'est peu dire, aucun engouement, tant la filière doute de son avenir. Sur les 600 ateliers concernés, 100 seulement ont marqué leur intérêt et cinq ont déposé un dossier. C'est dire la difficulté. Il faut assouplir et favoriser rapidement le regroupement des ateliers laitiers. J'ai en tête deux dossiers qui, à cause d'un excès de juridisme, sont bloqués au niveau administratif. Le ministère serait bien inspiré d'aider le monde agricole à se doter d'outils modernes lui permettant de rester compétitif dans ces domaines essentiels.

J'aurais aimé dire plus qu'un mot sur l'OMC et les négociations Union européenne - MERCOSUR pour souligner combien M. Lamy a contribué à créer le découplage parfois dénoncé, et comment il s'arroge des droits de négocier au détriment de notre agriculture.

Un mot pour finir...

M. le président. Non, vous avez déjà fini, monsieur Bignon !

M. Jérôme Bignon. ...sur la loi de modernisation. Il nous faut en faire un outil d'avenir, monsieur le ministre. Il y a là une vraie occasion à saisir. Simplifions les contraintes, augmentons les chances pour nos agriculteurs de devenir de vrais entrepreneurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Le Nay.

M. Jacques Le Nay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'avenir de l'agriculture française constitue l'une de nos préoccupations majeures.

L'agriculture, l'une des bases de l'activité économique de notre pays, se transforme peu à peu au gré de l'évolution de notre société moderne et de ses besoins, mais surtout au rythme de l'évolution mondiale du commerce et des échanges.

Depuis les années cinquante, l'agriculture française a connu un formidable développement, dû en partie à la création de la Communauté européenne. Les agriculteurs français ont su s'adapter. Ils ont su répondre à la demande de production. Ils ont su investir pour devenir performants et améliorer leur outil de production. Or ils se voient désormais confrontés à de multiples incertitudes, notamment du fait de l'élargissement de l'Union européenne aux pays de la zone PECO.

C'est dans ce contexte qu'il faut replacer notre débat de ce matin pour comprendre en quoi il est extrêmement sensible. Le Conseil des ministres européens ayant adopté la réforme de la PAC le 26 juin 2003, il appartient désormais à l'État français d'en arrêter les modalités d'application.

Sans entrer dans le détail, compte tenu du temps qui m'est imparti, je formulerai dans ma courte intervention trois observations.

Premièrement, nous devons conforter l'installation des jeunes, les rassurer et pérenniser les exploitations.

Deuxièmement, nous devons faire preuve de souplesse dans l'application de la réforme de la PAC, notamment pour les exploitants qui arrivent en fin de carrière.

Troisièmement, nous devons nous engager dans une véritable démarche de simplification des dossiers administratifs.

En ce qui concerne l'installation des jeunes, je rappellerai tout d'abord que le Conseil supérieur d'orientation que vous avez présidé le 18 mai dernier, monsieur le ministre, a arrêté les principales modalités d'application de la réforme de la PAC. Les règles qui vont se mettre en place auront une importance capitale pour l'avenir de l'agriculture. Le principal enjeu demeure l'installation des jeunes et la pérennisation des exploitations.

Il est essentiel d'aider les jeunes agriculteurs qui ont encore le courage de s'installer. Bon nombre d'entre eux en viennent à douter et s'interrogent sur l'avenir du métier. Nous nous devons de les rassurer sur la pérennité de leur activité et de leurs exploitations.

Il est intéressant de noter que des facilités leur seront accordées. En effet, il est prévu l'exonération de toute taxation des droits cédés dans le cadre de l'installation d'un jeune agriculteur. C'est là une mesure intéressante, mais dont l'application risque de poser problème dans le cas des GAEC ou des installations en société. J'aimerais obtenir des assurances sur ce point, ce cadre juridique étant de plus en plus souvent retenu pour les installations.

Par ailleurs, les agriculteurs installés depuis quelques années auront certainement besoin d'étendre leur exploitation pour qu'elle continue à être viable. Il est important de bien analyser la pertinence des seuils de surface à partir desquels la taxation des droits à paiements passera de 10 à 50 %.

D'une manière générale, les jeunes agriculteurs, comme tous ceux qui sont récemment installés, doivent être assurés d'une bonne lisibilité de l'évolution de leur métier et connaître, en fonction des filières qu'ils ont choisies, les véritables perspectives de poursuite de leur activité. N'oublions jamais que les exploitants agricoles engagent des investissements financièrement très lourds : ils doivent tout à la fois être en mesure de les assumer et pouvoir vivre décemment et durablement de leur métier.

J'en viens à ma deuxième observation sur la nécessaire souplesse dont il nous faudra faire preuve dans la réforme de la PAC.

De nombreux agriculteurs français arrivent en fin de carrière sans trouver de successeur pour reprendre leur exploitation. Nous ne leur rendrons pas service en leur faisant supporter de nouvelles charges d'investissements alors que leur siège d'exploitation n'a ni repreneurs, ni perspectives de reprise d'activité. Ainsi en est-il des programmes de mise aux normes, qui peuvent atteindre des sommes très élevées. L'équilibre financier de certaines exploitations a déjà été fragilisé par les crises successives que de nombreuses filières ont subies ces dernières années ; aussi un bon nombre d'exploitants en fin de carrière professionnelle aspirent-ils à accéder à la retraite sans avoir à s'engager dans de nouveaux emprunts souvent difficiles à négocier auprès des organismes bancaires au regard de leur dossier professionnel.

Troisième et dernière remarque : la simplification administrative est elle aussi nécessaire dans l'application de la réforme de la PAC.

Trop souvent nous rencontrons dans nos circonscriptions des agriculteurs qui nous font part de leur désarroi et de leur ras-le-bol face à l'accroissement exponentiel des démarches administratives auxquelles ils doivent se soumettre pour exercer leur métier. Ils sont particulièrement excédés face aux multiples formulaires à remplir, aux incessantes déclarations à expédier, auxquelles s'ajoutent des contrôles à répétition.

Monsieur le ministre, je sais que vous êtes pleinement conscient de tous les enjeux et tous les défis que doit surmonter l'agriculture de notre pays. Je sais également que vous connaissez parfaitement les difficultés rencontrées au plan local par les agriculteurs dans l'exercice de leur profession. Mais nous mesurons bien que le métier d'agriculteur est de plus en plus une vocation et que de moins en moins de jeunes sont candidats à l'installation.

La société moderne, avec notamment la réduction du temps de travail, n'encourage pas les jeunes à se lancer dans un métier dans lequel ils devront travailler sans relâche et sans compter leurs heures. Les 35 heures ont considérablement creusé l'écart qui sépare les agriculteurs de la plupart des autres catégories socioprofessionnelles.

Nous devons soutenir nos agriculteurs, et surtout leur apporter des garanties sur les perspectives durables de leur profession et sur le maintien d'un revenu décent, un revenu décent en rapport avec les risques financiers encourus, le travail fourni et le rôle qu'ils tiennent dans notre société.

Pour ce faire, il est nécessaire de défendre au sein des instances de décision européennes, toujours et pied à pied, notre modèle agricole français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Henri Nayrou.

M. Henri Nayrou. Monsieur le ministre, c'est au lendemain des élections européennes que vous vous décidez à parler de la réforme de la PAC et des modalités d'application que vous avez déjà décidées. Compte tenu du calendrier décalé par rapport aux règles du travail parlementaire, on peut se demander quel impact aura notre discussion. Poser la question, c'est déjà y répondre !

Cela étant précisé, je veux faire entendre ici la voix de la montagne, chère à mes collègues de l'ANEM, l'Association nationale des élus de la montagne, chère à vous aussi, monsieur le ministre, qui êtes élu de la Savoie, même si vous semblez parfois oublier que le maintien de la vie agricole dans nos territoires de montagne passe par une autre action que celle que vous menez depuis deux ans, tout simplement parce que votre politique privilégie les grandes exploitations au détriment de la fonction, éminemment importante, d'aménagement du territoire de l'agriculture.

Alors que les productions sont aussi diverses que le sont les paysages, les reliefs et les climats, il serait dangereux et illusoire, sous prétexte de favoriser les échanges, de les soumettre aux mêmes conditions de marché, à la même règle. Tous les experts l'admettent, l'économie agricole ne peut fonctionner selon les seules lois du marché. Ici plus qu'ailleurs, la régulation est nécessaire. Or la mise en œuvre de la PAC que vous avez décidée va à l'encontre de cette évidence.

Il est donc de la responsabilité de l'État français de mettre en place des règles d'application de la PAC sur notre territoire propres à conforter ces agricultures et à faire coexister des exploitations attentives à leurs performances comme aux marchés et des fermes soucieuses de répondre à une demande sociale de territoire, c'est-à-dire à une demande de qualité pour des marchés de proximité.

Et c'est là que l'on peut prendre toute la mesure de l'incompatibilité majeure de cet objectif avec la marchandisation des droits à paiement, laquelle pénalisera immanquablement les plus fragiles des agriculteurs, et particulièrement ceux de montagne et des zones intermédiaires.

Je voudrais rappeler ici le credo de l'ANEM : la reconnaissance d'un droit à la différence dans des zones soumises aux handicaps naturels. Il est en effet paradoxal de constater que les professionnels répondant le mieux aux préoccupations de santé, d'environnement et de qualité - exigences expresses de l'Europe, rappelons-le, monsieur le ministre - sont ceux qui ont les revenus les plus faibles et les aides les moins élevées, alors même que ces prestations sont indispensables pour maintenir une agriculture digne dans nos montagnes. En ce sens, les références historiques nous semblent être une erreur.

Devient alors primordial l'aspect financier, c'est-à-dire les indemnités compensatoires de handicaps naturels, relevant des mesures du règlement de développement rural, ce qui revient à dire que le barème de financement mérite une révision à la hausse et doit impérativement être pérennisé.

Parallèlement, il est essentiel, dans le cadre de ce deuxième pilier de la PAC, c'est-à-dire le développement rural, de reconnaître concrètement le rôle majeur et irremplaçable des agriculteurs en matière d'entretien de l'espace, préalable à l'attractivité des territoires concernés.

Nous sommes depuis longtemps favorables à la modulation des aides mais nous constatons que, soucieux de casser la gestion du gouvernement Jospin et de ranger aux oubliettes les réformes justes de Jean Glavany, vous l'avez dans un premier temps supprimée, pour la rétablir aujourd'hui à la suite de l'accord de Luxembourg. Ajoutons que vous l'avez assortie d'un système de modulation qui montre à quel point l'objectif de justice a entre-temps été oublié.

Vous n'avez pas d'objectif sérieux de réorientation des aides vers la qualité, vers le développement rural. Indiquez-nous clairement au moins vos choix en la matière !

L'avenir du principal outil de la politique en faveur de l'agriculture de montagne reste pour le moins incertain.

Le découplage agrémenté de références historiques témoigne de l'absence de volonté d'innover, ce qui conduit à condamner les exploitants les plus fragiles à le devenir un peu plus en les abandonnant aux mains d'un marché qui n'est pas fait pour eux.

Il est donc primordial d'envisager des solutions permettant de ne pas détourner les montants des ICHN nécessaires à l'agriculture de montagne.

PAC ou pas, il faudra offrir une réelle visibilité à moyen terme aux agriculteurs des zones difficiles. N'avez-vous pas déclaré vous-même, monsieur le ministre de l'agriculture, le 20 mai 2003 : « La compensation de leurs handicaps n'est pourtant pas un privilège » ? Voilà des propos auxquels je souscris totalement ; mais j'attends de les voir se matérialiser, ce dont je doute de plus en plus depuis que nous avons eu vent de votre projet de réforme des offices, sur laquelle vous n'avez pas voulu répondre à notre collègue Jean Gaubert lorsqu'il vous a interrogé il y a deux semaines.

M. le président. Merci de conclure, monsieur Nayrou.

M. Henri Nayrou. Le démantèlement progressif des soutiens de marché nous semble désastreux. Il laisse sans défense les agriculteurs face à cette « main invisible » qu'ils ne connaissent que trop bien, celle-là même qui impose, par exemple, la baisse des prix du lait.

M. le président. Monsieur Nayrou,...

M. Henri Nayrou. Pour les agriculteurs de montagne, c'est un coup supplémentaire bien difficile à amortir.

En conclusion, vous condamnez trop d'exploitants à disparaître du paysage agricole de montagne pour que nous puissions admettre votre réforme. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Michel Lejeune.

M. Michel Lejeune. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur la réforme de la politique agricole commune va permettre, nous l'espérons, d'apporter des précisions à tous les agriculteurs qui aujourd'hui s'inquiètent, mais aussi de faire connaître à tous nos concitoyens les changements fondamentaux qui sont annoncés et qui auront des répercussions importantes sur notre monde rural. Il faut vous en remercier, monsieur le ministre, ainsi que tous ceux qui l'ont initié.

Premier message, que nous devons affirmer très fortement : pour les agriculteurs, produire ne doit pas être considéré comme un péché. La vocation première de l'agriculture et des agriculteurs est de nourrir les populations ; on a parfois tendance, malheureusement, à l'oublier...

Deuxième message : nous ne faisons qu'appliquer en France des décisions prises par le Conseil européen, initiées par des commissaires européens, discutées par les instances européennes. À ce propos, votre détermination, monsieur le ministre, a permis de faire entendre avec force la voix des agriculteurs français, et d'obtenir en particulier le maintien des quotas laitiers au moins jusqu'en 2013. Cette somme de 10 milliards d'euros par an devrait rassurer quelque peu nos producteurs.

La grande nouveauté de cette nouvelle PAC, c'est bien sûr le découplage des aides. Il est aujourd'hui difficile de mesurer avec certitude l'effet d'une telle évolution, qui est peut-être même une révolution. La sagesse de la France a été de ménager la possibilité d'un découplage partiel. Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier est un vieil adage qui est toujours justifié. Il sera toujours temps soit de faire plus de découplage, soit de s'adapter aux événements : vous avez assuré l'avenir.

Outre ce découplage, qui pourrait a priori laisser présager une plus grande liberté aux agriculteurs, ce qui nous inquiète le plus, ce qui les inquiète le plus, c'est la conditionnalité des aides et la perspective de contrôles encore plus sévères.

Bien entendu, il faut respecter les règles et mettre en place de bonnes pratiques, d'autant plus que c'est de l'argent public qui est en jeu.

Aujourd'hui, je souhaite vous transmettre, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce message d'alerte : les agriculteurs sont asphyxiés par les contrôles divers et variés et les formalités administratives qui les accompagnent. Les DDAF, DRAF, DIREN, ARIC, DSV - et je sais de quoi je parle - les agences de l'eau contrôlent à tout bout de champ. Ne sous-estimez pas la colère qui monte chez ces citoyens qui travaillent parfois douze à quatorze heures par jour, pour une rémunération à peine équivalente au SMIC et que l'on traite comme des fraudeurs potentiels.

M. Antoine Herth. C'est vrai !

M. Michel Lejeune. Ils sont accablés de charges et paient des cotisations sociales très élevées. Ils ont, en plus, ce sentiment de suspicion qui pèse sur eux, souvent assortie d'amendes qui succèdent aux contrôles de plus en plus pointilleux, étant entendu qu'un bon contrôleur, s'il ne trouve rien, risque de voir très vite sa fonction remise en question. Pour exister, il doit donc trouver quelque chose et devient très vite de plus en plus exigeant.

La concertation et la formation vaudront mieux que la sanction et la suspicion. C'est ce cri d'alarme que nous entendons chaque jour sur le terrain et que je souhaitais, monsieur le ministre, vous transmettre.

Profitons de cette réforme pour redonner confiance aux agriculteurs en leur faisant tout simplement confiance sans maintenir et accentuer ce carcan administratif et para-administratif totalement paralysant pour l'économie agricole française.

Monsieur le ministre, nous comptons sur vous et je vous remercie de nous avoir écoutés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Binetruy.

M. Jean-Marie Binetruy. II y a deux ans, en mai et juin 2002, comme beaucoup d'entre nous présents dans cet hémicycle, je sillonnais ma circonscription dans la perspective des législatives. La cinquième circonscription du Doubs est la plus rurale du département, avec neuf cantons et 178 communes.

Les inquiétudes des agriculteurs, que je côtoyais quotidiennement, essentiellement producteurs laitiers en zone de moyenne montagne, étaient grandes : suppression de la prime au maintien des systèmes d'élevage extensif, avenir des CTE non financés, crise de la viande bovine.

Deux ans après, que de chemin parcouru, monsieur le ministre ! La PHAE s'est substituée à la PMSEE et a permis d'améliorer le dispositif. Le financement des CTE a été assuré malgré l'explosion des coûts non maîtrisée par vos prédécesseurs et, si la mise en place des contrats d'agriculture durable a été un peu plus laborieuse, elle a permis d'assurer la pérennité de l'aide à une agriculture écologiquement responsable, selon l'expression consacrée. Par ailleurs, vous avez su faire sortir notre pays de la crise de l'ESB et des farines animales. La conjoncture ne vous a pourtant pas été favorable avec les gelées tardives du printemps 2003, les inondations et la sécheresse dramatique de l'été, ainsi que les crises cycliques des filières. Mais votre sens de l'écoute et du dialogue, votre clairvoyance, votre dynamisme infatigable et votre acharnement à défendre les intérêts de nos agriculteurs ont permis à notre pays de surmonter toutes ces turbulences. C'est pourquoi je tiens, en préambule, à saluer l'exceptionnelle qualité de votre action dans ce ministère réputé difficile où vous excellez.

Cependant, malgré votre action volontariste, de nombreuses craintes subsistent chez les agriculteurs. Il est vrai que cette belle profession soumise aux caprices de Dame Nature a de tout temps généré l'inquiétude, variable selon les époques : pillage des récoltes, incendies, accidents météorologiques. Aujourd'hui, ces craintes sont d'une autre nature et, si les aléas climatiques restent des dangers, la principale source de préoccupation est celle de la lisibilité que peuvent avoir les agriculteurs de leur avenir. L'endettement de la plupart d'entre eux impose d'anticiper sur le devenir de cette profession qui s'inscrit maintenant dans l'espace européen et mondial. Avec le Président de la République, vous avez, là encore, par les accords de Luxembourg et, en anticipant la révision de la PAC qui nous intéresse aujourd'hui, réussi à donner une lisibilité relative aux agriculteurs en obtenant le maintien jusqu'en 2013 des aides européennes à l'agriculture française et la prolongation durant la même période du contingentement de la production laitière. Dans la difficile négociation européenne, ces garanties ne pouvaient malheureusement pas être obtenues sans contrepartie. La baisse du prix d'intervention du lait et de ses dérivés est, à mon sens, la plus préoccupante, car, avec une production limitée par les quotas, ce qui est une bonne chose, elle entraîne une baisse de revenu, la compensation n'étant pas totale et le producteur devenant de plus en plus assisté.

L'entrée dans l'Union des dix nouveaux pays d'Europe centrale et occidentale est également ressentie comme un risque potentiel supplémentaire de baisse des cours. Je m'insurge contre cette course suicidaire aux prix toujours plus bas qui aggrave les difficultés des petits producteurs, mais aussi des petits commerçants de proximité. Une réponse partielle peut être trouvée dans la qualité et la spécificité de productions portées par des interprofessions solidaires et organisées dont il faut favoriser la reconnaissance au niveau européen par des AOC ou des IGP.

Une autre contrepartie des assurances obtenues au niveau européen est le découplage des aides. Grâce à vos qualités de négociateur, monsieur le ministre, auxquelles je veux rendre hommage, vous avez obtenu qu'il soit limité.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Binetruy.

M. Jean-Marie Binetruy. Même partiel, ce découplage entraîne la mise en place du droit à paiement unique qui constitue une source d'interrogations et même d'inquiétudes pour les agriculteurs.

M. le président. Concluez !

M. Jean-Marie Binetruy. Je termine, monsieur le président.

Vous avez annoncé des mesures comme le maintien du lien au territoire, un système de taxation pour éviter la spéculation ou encore la création d'une réserve à taux zéro pour favoriser l'installation, point sur lequel les jeunes agriculteurs, nombreux dans ma circonscription, où réside d'ailleurs le président du Centre européen des jeunes agriculteurs, m'ont fortement sensibilisé.

M. le président. Je vous demande de bien vouloir conclure, mon cher collègue ! Vous avez épuisé votre temps de parole !

M. Jean-Marie Binetruy. Le dernier point que je souhaiterais aborder est la complexité croissante des procédures et des contrôles. On pourrait parler de l'éco-conditionnalité des aides. Je suis, bien sûr, conscient du fait qu'on ne peut pas vouloir une politique administrée sans contrôle et que la tendance actuelle est d'appeler nos concitoyens à apprendre à gérer la complexité.

M. le président. Monsieur Binetruy...

M. Jean-Marie Binetruy. Il n'en est pas moins impératif de rechercher la simplification, faute de quoi notre agriculture, comme d'ailleurs nos entreprises et même notre société, perdra toute réactivité dans ce monde qui, paradoxalement, en demande de plus en plus pour survivre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Chanteguet.

M. Jean-Paul Chanteguet. Monsieur le ministre, j'ai lu et étudié avec beaucoup d'intérêt les documents du ministère de l'agriculture portant sur les modalités d'application de la réforme de la politique agricole commune. Tout d'abord, j'y ai noté un certain trouble concernant les droits à paiement unique, dits DPU, conséquence du découplage adopté le 26 juin 2003 à Luxembourg. En effet, l'analyse du vocabulaire utilisé pour préciser quels actes pourront être accomplis avec les droits à paiement unique montre votre embarras et celui de vos services puisque, nulle part, il n'est précisé que ces DPU pourront être vendus. On nous indique qu'ils seront échangeables. On parle de cessions, de transferts, de transmissions, voire de mouvements. Monsieur le ministre, je ne partage pas votre optimisme à propos du transfert des droits à paiement, car je ne crois pas que le système d'encadrement mis en place évitera la spéculation et favorisera l'installation. Vous nous indiquez que les dispositions arrêtées conduiront à créer dans tous les cas un lien étroit entre droit à paiement et foncier agricole, ce qui est faux, puisqu'il sera possible de vendre des droits à paiement sans terre, la cession étant alors taxée à 50 %. Vous me rétorquerez, bien sûr, que, seul, un agriculteur pourra procéder à une telle opération, mais lorsque l'on se réfère à la définition particulièrement laxiste de l'agriculteur retenue par l'Union européenne - celui qui produit ou qui maintient les terres dans de bonnes conditions agricoles et environnementales - on ne peut qu'être inquiet des conséquences d'une telle mesure, même sur une parcelle de subsistance. Nous ne devons pas un instant croire que la taxation à hauteur de 50 % sera un élément régulateur qui permettra de lutter contre la spéculation. En effet, rien n'interdira à un agriculteur de proposer au cédant de droits à paiement unique un prix bien supérieur à la valeur de ces droits, dans la mesure où il sera assuré, s'il satisfait à la conditionnalité, de les percevoir au moins jusqu'en 2013. C'est le marché, c'est-à-dire l'offre et la demande, qui précisera le prix de vente de ces droits. On peut donc aujourd'hui, à l'examen des dispositions proposées, s'inquiéter de leur peu d'effet sur le caractère spéculatif des mouvements de droits à paiement et sur la déprise puisque des surfaces agricoles importantes risquent, demain, de ne plus disposer de droit à paiement.

De même, monsieur le ministre, on peut se demander, comme le fait le président du Centre national des jeunes agriculteurs, si les modalités de cette nouvelle PAC ne risquent pas de nous entraîner vers une France dans laquelle il y aura moins d'agriculteurs et des exploitations plus grandes. L'avenir de l'agriculture et de nos territoires passe par l'installation de nouveaux jeunes. La situation actuelle, marquée dans de nombreuses régions par une seule installation pour trois départs à la retraite, n'est plus tenable et je doute que les dispositions que vous nous proposez soient de nature à inverser cette tendance. Certes, les échanges de droits à paiement unique avec des terres ne seront pas taxés pour les jeunes agriculteurs et il en ira de même pour une cession à un jeune agriculteur installé depuis moins de cinq ans et répondant aux critères principaux des aides à l'installation. Néanmoins, il est deux décisions favorables à l'agrandissement des exploitations et, donc, pénalisantes pour l'installation de jeunes que nous tenons à dénoncer. Ce sont, d'une part, le faible taux de taxation retenu - 10 % seulement - pour les échanges de droits à paiement unique avec des terres se rapportant à des extensions allant au-delà des seuils qui seront fixés par la CDOA dans chaque département, en cohérence avec les projets agricoles départementaux et, d'autre part, la modulation des aides directes dont le taux sera le même quel que soit le montant perçu par l'agriculteur. Aucune progressivité n'est proposée, alors que, dans notre pays, 20 % des agriculteurs perçoivent encore 80 % des aides, une telle disposition étant un formidable encouragement à l'agrandissement des exploitations.

Élu d'une zone humide d'importance internationale, je voudrais de nouveau, ce matin, plaider devant vous la nécessité de développer, pour ces territoires présentant un grand intérêt environnemental, des politiques spécifiques indispensables à leur préservation et à leur sauvegarde. Un premier pas a été fait sous la responsabilité de Mme la ministre de l'environnement, puisque figure dans la loi de finances de 2004 l'exonération totale de la taxe sur le foncier non bâti pour les propriétés situées dans une zone « Natura 2000 ». De même, dans le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, de nouvelles dispositions fiscales devraient permettre une exonération partielle ou totale sur le foncier non bâti dans les zones humides à fort enjeu patrimonial. Néanmoins, nous sommes nombreux à penser que devraient être étendues à ces zones les mesures arrêtées pour le Marais Poitevin, à savoir l'octroi d'une indemnité compensatoire de handicap naturel. Une telle disposition, dont le coût n'est pas négligeable, pourrait être financée par une augmentation du budget affecté au développement rural au travers d'une modulation progressive dont le taux s'élèverait avec le montant des aides directes perçues.

Enfin, je salue l'obligation faite par Bruxelles, qui, à mes yeux, présente un grand intérêt, de maintenir dans une limite de 10 % le rapport entre la superficie des pâturages permanents et la surface agricole utile. En effet, nous avons tous constaté, au cours des années précédentes, que la PAC avait conduit de nombreux agriculteurs, en particulier dans les régions d'élevage, à retourner les prairies pour produire des céréales ou des oléagineux, les primes à l'hectare perçues pour de telles productions étant bien supérieures au montant des aides à l'hectare touchées par les éleveurs, au travers de la prime à la vache allaitante ou de la prime ovine.

M. le président. Je vous prie de bien vouloir conclure.

M. Jean-Paul Chanteguet. Compte tenu du rôle des prairies, tant sur le plan économique qu'environnemental, nous ne pouvons que nous féliciter d'une telle décision.

Monsieur le ministre, au travers de cette courte intervention, je voulais vous faire part de mes inquiétudes quant aux conséquences de cette nouvelle politique agricole commune. Je crains fort, en effet, que, demain, le nombre d'agriculteurs ne continue à baisser et que de nouveaux territoires ne se désertifient. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Sylvia Bassot.

Mme Sylvia Bassot. Je voudrais tout d'abord faire part de mon étonnement devant certains propos. Si je ne me trompe, en effet, le découplage et les concessions à l'OMC ont été voulus par M. Pascal Lamy, membre du parti socialiste. Chers collègues du groupe socialiste, vous seriez donc bien inspirés de lui faire parvenir l'ensemble de vos discours. J'espère pour vous qu'il agira dans le sens que vous souhaitez. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Monsieur le ministre, les paysans redoutent, c'est vrai, les conséquences de la nouvelle PAC. En effet, les accords de Luxembourg, dans le secteur laitier en particulier, s'apparentent plus à une révolution qu'à une énième réforme tant ils impliquent un changement radical dans l'environnement de la filière, avec un mécanisme régissant des droits à paiement d'une extrême complexité qui risquent d'ajouter encore et toujours plus de paperasse, de contrôles et de sanctions, avec des pays entrant dans l'Union - telle la Pologne - dont les possibilités de production sont importantes à des coûts inférieurs aux nôtres et les normes sanitaires beaucoup moins rigoureuses.

L'inquiétude des paysans est particulièrement perceptible dans un département comme le mien où la filière lait est très présente.

Pourtant, monsieur le ministre, chacun reconnaît que vous avez fait le maximum et que vous avez, comme on dit, mouillé votre chemise pour limiter les dégâts. Je pense notamment au maintien du régime des quotas, prolongé avec certitude jusqu'en 2015, ce qui était loin d'être acquis. Je pense aussi à la garantie annuelle minimale de 10 milliards d'euros de retours agricoles pour notre agriculture jusqu'en 2013, ou encore à la création d'une réserve de droits à taux zéro pour favoriser l'installation des jeunes, création dont vous avez fait état récemment en répondant à une question de mon excellent collègue Jean-Claude Lenoir.

Ce dernier point me paraît primordial car l'installation des jeunes est une bataille qu'il nous faut gagner. La production laitière est une de celles qui installent le plus de jeunes : 98 dans l'Orne en 2003. C'est dire si, pour l'avenir de l'agriculture française, l'avenir du lait est important. Les jeunes hésitent cependant à se lancer : les conditions de travail rudes, les journées longues, les possibilités de congé rares et les revenus incertains, sans parler du fait qu'une installation coûte de plus en plus cher, sont autant de freins à la reprise.

Pourtant, renouveler les générations est essentiel pour la vitalité de nos territoires ruraux. Il faut donc, monsieur le ministre, que tout l'appareil de l'État, aux côtés des organisations professionnelles, s'implique dans la transmission et la fusion des exploitations. Cela passe, entre autres, par des mesures fiscales sur le foncier et une augmentation significative des quotas de préretraite.

Oui, il faut mettre en œuvre des mesures d'accompagnement de la PAC et les gérer dans la plus grande proximité possible afin de redonner visibilité et perspective à une profession qui a besoin d'une politique qui fixe le cap et donne les moyens. Il nous faut tout de même regarder la vérité en face. Certes, tout ne peut pas continuer comme avant. Mais nous avons des atouts. Les paysans français ont en effet démontré tout au long des années à quel point ils sont courageux, travailleurs et capables de s'adapter.

Si la France demeure, pour notre grand bonheur et celui des touristes, le temple de la gastronomie, ce n'est pas par hasard. C'est bien parce que nos produits sont meilleurs qu'ailleurs. Et ça, nous le devons aux talents des paysans français. Alors, une fois de plus, faisons-leur confiance, tout comme je vous fais confiance, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'année 2004 marque un tournant historique pour notre Europe. En effet, l'Union européenne passe de quinze États membres à vingt-cinq, accueillant ainsi dix nouveaux pays dont huit appartenaient à l'ancien bloc de l'Est.

Les conséquences, quel qu'en soit le domaine, sont colossales. En matière agricole, l'élargissement fut l'occasion, pour les opposants à la politique agricole commune, de remettre en cause son coût, ses orientations et son maintien dans le cadre des négociations commerciales internationales.

Le 26 juin 2003, à Luxembourg, un accord fut finalement trouvé entre l'ensemble des ministres de l'agriculture des États membres, marquant une nouvelle étape dans la politique agricole commune. Par l'intervention de la France, les principes essentiels de la PAC ont été préservés et certains dispositifs renforcés.

À l'heure de la mise en application des modalités votées à Luxembourg, il y a près d'un an, je souhaite, monsieur le ministre, vous faire part des inquiétudes du terrain, et des difficultés auxquelles sont quotidiennement confrontés nos agriculteurs.

D'une manière générale, je peux résumer le sentiment des agriculteurs en quatre mots : complexité, erreurs, contrôles et injustice. Ces termes, certes très directs, démontrent la « sur-administration » subie, jour après jour. Ainsi, les agriculteurs font face à une superposition des règles. Je vous donne en exemple le département du Nord, classé en zone vulnérable, donc soumis à une législation stricte à laquelle il faut ajouter les règles relatives à la conditionna- lité des aides. Face à ce défaut de clarté et de simplicité, des erreurs sont commises entraînant des contrôles systématiques, des sanctions, et, en conséquence, un sentiment d'injustice chez la plupart des agriculteurs.

De façon plus précise, je souhaite vous interpeller, monsieur le ministre, sur plusieurs points.

D'abord, je veux insister sur la conditionnalité des aides communautaires. S'agissant des mesures sur l'utilisation des sols, pour échapper à des réductions de paiement dans le cadre de la rotation des cultures, il faut des conditions très strictes : l'agriculteur doit, en particulier, exploiter trois cultures différentes. Or, dans le Nord, il est très rare qu'une exploitation entre dans ce cadre. N'est-il pas envisageable de remettre en culture les prairies ? C'est ce qu'on appelle, dans ma circonscription, « rompre les pâtures ».

Ensuite, la problématique des 3 % de bandes enherbées le long des cours d'eau gêne particulièrement les agriculteurs du Nord. En effet, les exploitations des Flandres sont souvent moyennes ou de petite taille et situées en zone de wateringues. Cette législation sur les bandes enherbées empêche les exploitants de cultiver leur terrain sur une largeur de dix mètres. En conséquence, les surfaces exploitables sont d'autant plus réduites. Et de plus en plus d'exploitants se posent légitimement la question de la continuité de leur exploitation.

En outre, je souhaite revenir sur la régionalisation dont les mécanismes de mise en œuvre ont été adoptés lors du conseil européen des ministres de l'agriculture, le 29 septembre 2003. Malgré les mesures de surveillance que vous avez pu faire adopter, de nombreuses interrogations restent en suspens. Les pays faisant le choix de répartir sur l'ensemble des superficies la somme de toutes les aides agricoles apportées aux producteurs de fruits et légumes, et notamment la pomme de terre, pourront accorder des aides de l'ordre de 200 à 300 euros l'hectare. Ces décisions créeront des distorsions de concurrence au détriment des agriculteurs des pays, dont la France, n'ayant pas opté pour ce système de régionalisation.

La France, deuxième producteur européen de pomme de terre, premier exportateur européen et qui emploie dans ce secteur près de 9 000 personnes de la production à la transformation, verra sa compétitivité réduite. Dès lors, ce secteur sera fortement fragilisé. Quelles sont les mesures prises pour permettre à cette filière de se maintenir à son niveau actuel ?

Par ailleurs, je veux revenir sur le système de gestion des crises annoncé dans le cadre de l'accord de Luxembourg. De nombreuses filières ont connu ces derniers temps des crises sans précédent : canicule, épidémie de grippe aviaire... Quand ce système sera-t-il mis en place ? Quelle en sera la teneur ?

Enfin, face aux différents points développés dans mon intervention, je m'interroge sur l'avenir de notre agriculture. On parle, certes, de tourisme rural, de diversification, de pluri-activités, mais tous les agriculteurs ne trouveront pas là leur planche de salut. Aussi, je pense que l'avenir de notre agriculture réside dans le développement des biocarburants tels que l'éthanol. Il serait peut-être intéressant, dès lors, de réfléchir à une défiscalisation complète et à l'utilisation des jachères pour la culture de plantes non alimentaires afin de produire l'éthanol. Faut-il aussi rappeler, qu'en France, les cultures protéiniques ne répondent pas aux besoins quantitatifs de nos éleveurs ?

Pour terminer, je soulignerai que l'annonce de la baisse de 50 % des majorations mensuelles sur les céréales pour la récolte 2004, qui entraîne pour les agriculteurs une diminution de 3 % du prix garanti, est venue s'ajouter à toutes les inquiétudes déjà évoquées.

Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre écoute et pour les réponses que vous apporterez au cours de ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Germinal Peiro.

M. Germinal Peiro. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la semaine dernière, Jérôme Despey, président du Centre national des jeunes agriculteurs, a déclaré, au cours d'une conférence de presse visant à présenter le prochain congrès des Jeunes agriculteurs qui se tiendra à Béziers, que les agriculteurs avaient le sentiment d'avoir été trompés par les promesses faites en matière de politique agricole. À la question demandant par qui les agriculteurs avaient été trompés, il a répondu : par le Président de la République et le Premier ministre lors du congrès mondial des Jeunes agriculteurs à Paris.

« Nous refuserons tous risques de payer deux fois : une fois à l'occasion de l'accord sur la PAC et une autre fois à Cancún », avait affirmé le Président de la République, alors que, quelques semaines plus tard, en septembre 2003, la réunion ministérielle de l'OMC devait décider d'une nouvelle libéralisation du commerce.

Aujourd'hui, le président du Centre national des jeunes agriculteurs est amer. « Je voudrais qu'on ait le courage de nous dire qu'il y aura une nouvelle orientation avec moins de paysans », déclare-t-il.

Cet état d'esprit d'un responsable national est le reflet, monsieur le ministre, mes chers collègues, de l'ensemble de la profession agricole. Jamais cette profession, qui a pourtant dû faire face à de sévères mutations au cours des dernières décennies, n'a été confrontée à autant d'incertitudes quant à son avenir et à autant de difficultés pour le présent.

La dernière réforme de la politique agricole commune que vous avez signée à Luxembourg, en juin 2003, monsieur le ministre, n'apporte aucun apaisement et suscite au contraire de nouvelles inquiétudes.

L'élément central de cette réforme est le découplage des aides. De quoi s'agit-il ? Une partie des aides aux exploitations sera versée sans tenir compte du volume de production en se basant sur la référence historique des années 2000 à 2002 et, en contrepartie, les prix agricoles seront livrés au marché. Cette réforme, que la FNSEA a qualifié d'ultralibérale, va permettre de démanteler tous les outils de régulation et les prix des produits agricoles vont être amenés aux prix mondiaux, qui, nous le savons tous, sont des prix artificiels du fait, en grande partie, des interventions américaines sur leur propre agriculture conduisant à des prix d'excédents.

La prime fixe versée aux exploitations, qui apparaît comme le versement d'un revenu minimum, ne présente aucune garantie pour l'avenir. Comment pourra-t-on justifier le versement de prime sans production ? Personne ne peut croire que ce système pourra être pérennisé.

Par contre, chacun comprend que l'alignement des prix agricoles sur les cours mondiaux va accélérer la disparition des exploitations dans notre pays. Avec des cours plus bas encore, seules les grosses exploitations de type industriel pourront faire face alors que les exploitations familiales, petites et moyennes, seront condamnées. Pour beaucoup d'entre elles, la prime de découplage équivaudra à une prime de licenciement.

En agriculture, comme dans d'autres domaines, le libéralisme sera bientôt parvenu à ses fins. Avec le démantèlement progressif de tous les outils de maîtrise et de régulation, il va faire du marché agricole un vaste marché mondial ouvert à tous les vents et livrés à la loi du plus fort.

À ce jeu, l'agriculture européenne risque de voir disparaître rapidement la moitié de ses actifs, ce qui va, une nouvelle fois, pénaliser les zones les plus fragiles. En outre, cette politique va à l'encontre du maintien des paysans sur l'ensemble du territoire et donc de la vie dans les zones rurales fragiles. Elle va encore à l'encontre de la préservation de l'environnement, l'agriculture industrielle étant de loin la plus pénalisante en termes d'impact environnemental. Cette politique va aussi à l'encontre de la qualité sanitaire des aliments, qui doit néanmoins rester une priorité.

C'est pourtant cette politique que vous soutenez, monsieur le ministre, avec votre gouvernement. Les agriculteurs, quant à eux, n'ont pas oublié que les mesures de correction - certes imparfaites - apportées par le gouvernement précédent ont été rayées d'un trait de plume dès votre arrivée au pouvoir.

En effet, les deux premières dispositions que vous avez prises ont consisté à supprimer la modulation des aides - aujourd'hui réintroduite - et les contrats territoriaux d'exploitation.

M. Antoine Herth. C'est faux ! C'était un problème de financement !

M. Germinal Peiro. Cette politique, monsieur le ministre, ne va pas dans le sens de l'intérêt général. Elle tourne le dos à l'intérêt de notre pays et aux attentes de la société française, qui souhaite une agriculture couvrant l'ensemble du territoire, jouant pleinement son rôle économique et social, une agriculture mettant sur le marché des produits de qualité, une agriculture résolument engagée dans le respect de l'environnement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Feneuil.

M. Philippe Feneuil. Monsieur le ministre, dans le domaine agricole, qui est le plus avancé de la construction européenne, on retiendra votre rôle dans les négociations avec nos partenaires pour que les agriculteurs français puissent participer pleinement au perfectionnement de l'agriculture européenne et à son maintien au niveau international.

Pourtant, la réforme de la PAC soulève encore beaucoup d'interrogations relatives aux modalités de sa mise en œuvre.

Grâce à votre action, la réforme de la PAC, pourtant difficile, a été comprise par les agriculteurs de notre pays. Ceux-ci, s'ils ont été victimes de nombreuses crises et d'une précarisation de leur statut, sont toujours volontaires lorsqu'il s'agit de s'adapter aux nouvelles règles du marché.

Mais ce qui est bien peut toujours être amélioré, et cela vaut pour quelques-unes des modalités d'application de cette réforme.

Les aides perçues par chaque agriculteur entre 2000 et 2002 serviront de base au calcul de ses droits à paiement et à la perception en 2006 de l'aide découplée. Pour le calcul du nombre et la valeur des droits à paiement, par exemple, les événements exceptionnels seront pris en compte. Toutefois, ces événements sont limités au décès de l'agriculteur, à son incapacité professionnelle de longue durée, à la survenue d'une catastrophe naturelle grave, d'une destruction accidentelle des bâtiments ou d'une épizootie affectant tout ou partie du cheptel de l'agriculteur.

Cette liste pourrait être complétée par d'autres éléments qui étaient pris en compte pour les aides couplées, comme par exemple la privation temporaire de jouissance pour la construction d'un ouvrage déclaré d'utilité publique, ou encore les pertes de production, indemnisées par les pouvoirs publics, consécutives à la grêle ou à des dégâts dus au gibier.

Vous avez obtenu, monsieur le ministre, que des clauses, insérées dans des actes privés, puissent assurer le transfert des droits à paiement, et ce afin de conserver un lien minimum entre droits à paiement et foncier. De telles clauses ne peuvent-elles être reconnues pour des opérations ayant eu lieu pendant la période de référence ? En effet, plus ces clauses seront reconnues et utilisées, même a posteriori, plus les exploitants seront assurés de percevoir en 2006 des aides qui correspondent à la réalité de leur exploitation. À défaut, ils solliciteront la réserve nationale pour se voir octroyer des droits supplémentaires, mais cette réserve devra être artificiellement gonflée afin de répondre aux cas particuliers de trop nombreux agriculteurs.

La France ne semble pas aujourd'hui en mesure de systématiser les transferts de droits à paiement constitués par un fermier. Les clauses de transfert que pourront signer les fermiers sont bien prévues, mais elles sont laissées à leur discrétion et ne pourront concerner que les transferts effectués après le 15 mai 2004.

Dans le cas d'un fermier qui aura constitué des droits en exploitant des parcelles pour ensuite les laisser sans faire usage d'une clause de transfert de droits, les droits devront rejoindre dès la première année la réserve nationale pour être redistribués au fermier reprenant les terres.

Des exonérations de prélèvement sont prévues pour les jeunes qui s'installent ou pour les transferts effectués dans le cadre d'un héritage. C'est très bien, mais ces exonérations pourraient être élargies à tous les transferts opérés dans un cadre familial jusqu'au troisième degré, puisque, souvent, on le sait, c'est un neveu qui reprend l'exploitation de son oncle.

Un prélèvement est prévu, d'autre part, sur les transferts effectués dans le cadre d'un agrandissement, au-delà d'un seuil fixé dans chaque département par le CDOA. Sachant que le contrôle des structures est déjà opérant au niveau départemental, ne craint-on pas une nouvelle complication administrative, coûteuse en temps et en hommes ?

Par ailleurs, la réforme de la PAC prévoit de conditionner l'obtention des aides au respect de certains textes réglementaires. Si cette condition est incontestable, voire souhaitable dans son principe, les exploitants craignent de se voir appliquer demain une sorte de « double peine ». Je vais vous expliquer pourquoi.

Double peine car le non-respect d'une réglementation entraînera pour une exploitation les conséquences prévues en droit français, en plus de la réduction de l'aide de la PAC ; double peine car le non-respect d'un texte portant sur une production pourra entraîner la réduction de l'ensemble des aides accordées à cette exploitation.

La réforme de la PAC prévoit également de conditionner l'obtention des aides au respect de certaines obligations extra-réglementaires. Il en va ainsi de la mise en place d'une surface équivalant à 3 % de la surface en céréales ou en oléoprotéagineux et pour le gel de l'exploitation en matière de surfaces enherbées.

Si cette mesure semble opportune pour la protection des cours d'eau, il est arbitraire de l'imposer à l'exploitant qui n'a sur ses terres ni cours d'eau, ni fossé, ni nappe phréatique. Elle paraît d'autant moins appropriée qu'elle aura pour conséquence dans certains départements la diminution des surfaces consacrées, sur jachère, à des cultures à usage non alimentaire et en particulier énergétique. Or, nous aurons besoin de ces cultures. Ne pouvons-nous privilégier une gestion collective des jachères existantes ?

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Feneuil !

M. Philippe Feneuil. Je vais conclure, monsieur le président ! La mutualisation entre exploitants de l'emprise d'une autoroute ou d'une ligne TGV est aujourd'hui possible. Il faudrait faire de même pour les surfaces enherbées.

Je dirai, pour finir, que nous devons favoriser le développement des productions agricoles à usage non alimentaire et en particulier énergétique.

Monsieur le ministre, les agriculteurs sont à vos côtés afin de réussir ensemble cette réforme de la politique agricole commune. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Rouault.

M. Philippe Rouault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la politique agricole commune fait l'objet de dénigrements quasi incessants, nous le savons, mais nous ne devons pas perdre de vue ses deux principaux fondements.

Il s'agissait tout d'abord d'assurer à l'Europe naissante une autosuffisance alimentaire, de mettre fin aux périodes de pénurie, de stabiliser les marchés et de maintenir des prix raisonnables. Il nous fallait moderniser l'agriculture européenne, accroître sa productivité et préparer des réformes structurelles inéluctables compte tenu de l'évolution générale du secteur agricole dans les pays industrialisés.

Il s'agissait par ailleurs d'utiliser l'agriculture comme un moteur de l'intégration européenne et de construire une union véritable autour d'un objectif concret. Telle était l'autre raison de la naissance d'une politique agricole commune, l'économique tirant le politique, selon la méthode Monnet.

Si les accords de Luxembourg introduisent certains dispositifs et en renforcent d'autres, ils préservent les principes essentiels de la politique agricole commune. Aussi pouvons-nous féliciter notre ministre de l'agriculture pour le travail qu'il a accompli et pour avoir réussi à sauver la politique agricole commune.

À travers les modalités d'application des mesures décidées en juin 2003 et qui nous ont été présentées en mai dernier, nous pouvons apprécier les nouvelles perspectives qui nous sont offertes. Mais, avant de les évoquer, je voudrais vous faire part de l'inquiétude des agriculteurs concernant la conditionnalité des aides, qui pourrait se révéler encore plus perturbante que la gestion des droits à paiement, d'autant que les règles de son application sont loin d'être simples. La conditionnalité est en effet soigneusement définie : les règlements européens renvoient à dix-neuf directives européennes et à plusieurs grands thèmes génériques, comme l'érosion des sols.

En outre, chaque État membre sera tenu de maintenir intégralement sa surface d'herbages. Cette mesure sera partiellement appliquée dès la campagne 2004-2005. Ses conséquences ne sont pas anodines. Les agriculteurs craignent en effet d'être doublement sanctionnés. Jusqu'à maintenant, lorsqu'un agriculteur ne respectait pas les directives, il risquait une amende. À partir de 2005, il risquera une amende doublée d'une pénalité sur la totalité des aides perçues.

Sur les contrôles des exploitations, nous n'avons pas d'indication précise. Nous savons seulement qu'ils seront confiés aux directions départementales de l'agriculture, selon des cahiers des charges qui devront être finalisés avant le mois de juillet prochain. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous donner des précisions sur ce point ? J'espère simplement que les modalités de ces contrôles ne seront pas inextricables. N'oublions pas le mouvement, que nous avons récemment initié, de simplification et de clarification des relations entre l'administration française et ses usagers.

En réalité, les perspectives et les nouveaux défis que nous impose cette réforme de la PAC sont autant de chances pour nous.

Le premier de ces défis est notre indépendance - ou plutôt notre dépendance - protéique. La production d'oléagineux et de protéagineux est stratégique pour l'Union européenne et pour la France.

M. François Sauvadet. Très bien !

M. Philippe Rouault. La question de l'autosuffisance en protéines se pose de manière de plus en plus aiguë pour l'Union européenne, du fait de l'évolution de l'agriculture vers un élevage de plus en plus intensif. Le déficit actuel de l'Union européenne est évalué à 70 % de ses besoins. Il est comblé principalement par des importations de soja.

Cette situation de dépendance vis-à-vis des pays producteurs de soja est née notamment des accords de Blair House que nous avons signés avec les États-Unis. Ces accords prévoyaient la limitation des cultures oléagineuses et protéagineuses en Europe, où ces productions connaissent aujourd'hui un déficit colossal : nous importons 36 millions de tonnes de tourteaux de soja, ce qui correspond à la production de dix millions d'hectares !

Cette dépendance place l'élevage européen dans une situation de grande fragilité, compte tenu des aléas économiques et politiques au niveau mondial et des réglementations discordantes entre l'Amérique et l'Europe en matière d'utilisation des OGM. L'indépendance protéique est donc un enjeu essentiel pour l'agriculture de la Communauté européenne et doit être mieux prise en compte.

Un autre défi est lancé à l'agriculture française, c'est-à-dire une autre chance : le développement des biocarburants. Nous devons mobiliser les différents acteurs des filières agro-industrielles pour permettre à la France de rattraper son retard dans ce secteur. Rendre obligatoire à l'échéance du 31 décembre 2010 l'incorporation minimale de 5,75 % d'éthanol dans les essences et d'ester d'huiles végétales dans les gazoles est une impérieuse nécessité.

Les avantages de cette mesure ne seront pas seulement écologiques, ils seront également économiques. Selon les chiffres indiqués dans le rapport Lévy, cette mesure pourrait, à l'horizon 2010, créer 30 000 emplois. Je souligne en outre l'impact qu'aura sur notre territoire le développement des filières de biocarburants : ce sont près de 350 000 hectares qui leur sont consacrés en 2003.

Enfin, la politique agricole commune nous invite à encourager la grande distribution à valoriser davantage les produits agricoles.

M. le président. Je vous demande de conclure, mon cher collègue !

M. Philippe Rouault. Je conclurai en disant que l'un des objectifs initiaux de la stratégie agricole communautaire était de garantir une juste et équitable rémunération aux agriculteurs pour le labeur effectué. Il convient de mettre en place très rapidement les conditions nécessaires au développement de relations commerciales plus respectueuses des hommes et des entreprises, plus équilibrées et tournées vers la satisfaction des consommateurs à un juste prix.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'application de la réforme de la politique agricole commune exige une nouvelle fois des agriculteurs français, comme ils ont su le faire de manière remarquable au cours des quarante dernières années, qu'ils accomplissent des efforts prodigieux de développement, de productivité mais aussi de qualité. Il est de notre devoir de les y encourager et surtout de les y aider. Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je vais suspendre la séance quelques instants.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à douze heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je voudrais, au nom du Gouvernement, remercier le groupe de l'Union pour un mouvement populaire d'avoir pris l'initiative du débat de ce matin. Certains d'entre vous ont estimé qu'il venait trop tard. Je leur répondrai que je suis, autant par plaisir que par fonction, à la disposition du Parlement. Nous avons déjà eu d'ailleurs, depuis deux ans, de nombreux échanges en commission, des échanges riches, où les fleurets n'étaient pas toujours mouchetés ! Mais je crois que c'est très bien comme ça, parce que c'est le meilleur moyen de mettre en œuvre une politique agricole ambitieuse.

Je voudrais également remercier le ministre Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, et Antoine Herth, premier orateur du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, qui nous ont présenté un tour d'horizon à la fois concis, précis et pertinent de la situation de l'agriculture française. Ils ont montré que, si ce sujet nous pose des problèmes parfois très techniques, il nous impose surtout de faire des choix politiques essentiels.

De ce point de vue, la première question à laquelle il convient de répondre est celle de savoir si les politiques agricoles sont nécessaires, car cette nécessité n'est pas reconnue par tous. Certains pays font savoir, dans les enceintes internationales, qu'à leurs yeux les politiques agricoles sont inutiles. Nous, nous pensons au contraire qu'il faut des politiques agricoles, dans les pays du Sud en développement, comme dans les pays développés, tout simplement parce que l'agriculture n'est pas une activité comme une autre. Les conditions d'équilibre économique des filières agricoles ne sont pas comparables à celles de l'industrie ou du secteur des services : la combinaison des facteurs de production n'est pas la même et le retour sur investissement est beaucoup plus long, sans parler des aléas auxquels cette activité est soumise, climatiques entre autres. Travailler sur du vivant ou sur du périssable n'est pas comparable à une production ordinaire.

Pour toutes ces raisons, nous pensons qu'il faut des politiques agricoles fortes. Aujourd'hui, ces politiques se déclinent sur trois niveaux : le monde, l'Europe et la France. Et c'est en considérant ces trois niveaux que je veux répondre, en quelques minutes, aux différentes questions qui ont été évoquées ce matin.

Du point de vue mondial, tout d'abord, il faut rappeler que jusqu'en 1986 l'agriculture ne faisait pas l'objet de négociations commerciales internationales. Depuis 1986 le secteur connaît périodiquement des cycles de négociation, dans le cadre du GATT d'abord, dans celui de l'Organisation mondiale du commerce aujourd'hui. Ces négociations ont trois objets : l'accès aux marchés tout d'abord, et c'est le problème des droits de douane ; deuxièmement, les subventions aux exportations, ce qu'on appelle les « soutiens externes » ; enfin, la question des aides compensatoires distribuées à l'intérieur des pays ou d'ensembles géopolitiques, telle l'Europe, appelés « soutiens internes ».

Nous sommes actuellement engagés dans un nouveau cycle de négociations appelé Programme de Doha pour le développement. Comme l'ont souligné beaucoup d'entre vous, le président Ollier ou Marc Laffineur entre autres, ce cycle a achoppé l'année dernière à Cancún, non pas, et il vaut de le souligner, sur les questions agricoles. En effet, et les parlementaires ici présents qui étaient à Cancun peuvent en témoigner, le chapitre agricole n'a même pas été abordé, et c'est à propos des matières dites « de Singapour » que cette conférence ministérielle s'est soldée par un échec. Le sujet agricole n'en demeure pas moins au cœur des questions soulevées à Doha, et je voudrais très brièvement rappeler la position de notre pays en la matière.

Je veux avant tout dire avec force que ce cycle de négociations doit être mené à bien avant tout accord avec le MERCOSUR. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Marc Laffineur. Très bien !

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Nous pensons en effet que priorité doit être donnée au multilatéralisme et aux pays les plus pauvres. Je rappelle que le PIB des quatre pays du MERCOSUR représente plus de cinq fois celui de tous les pays de l'Afrique subsaharienne.

M. André Chassaigne. Eh oui !

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Deuxièmement, ces négociations ne doivent pas être soumises à la tyrannie du calendrier : cela signifie que la bonne date de signature de l'accord sera celle qui verra la signature d'un accord équilibré.

M. Marc Laffineur. Bravo !

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Aucune obligation de calendrier n'est inscrite où que ce soit, qui imposerait par exemple de conclure avant la fin du mois de juillet. Cette position n'est certes pas partagée par tous ; c'est en tout cas celle de la France, exprimée à de nombreuses reprises.

Le troisième axe de notre position, toujours à propos de la négociation OMC, vise, d'une part à favoriser les pays en voie de développement : en effet, la clause de la nation la plus favorisée bénéficie toujours aux pays déjà les plus favorisés. Il vaut donc mieux mettre en place des préférences commerciales spécifiques, tels les accords de Lomé, mis en œuvre par l'Europe depuis 1975. S'agissant, d'autre part, des subventions à l'exportation, nous refusons tout marché de dupes. Depuis dix ans, l'Europe a divisé par six ses soutiens aux exportations : qu'ont fait les États-Unis durant ce temps ? Comme nous l'avons déjà affirmé à maintes reprises, nous sommes prêts à fournir de nouveaux efforts en matière de diminution de nos subventions aux exportations, à la condition que les États-Unis en fassent autant, et que l'on inclue dans la corbeille de la négociation les fameux marketing loans et leur fausse aide alimentaire. C'est la raison pour laquelle le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le ministre délégué au commerce extérieur, le ministre des affaires étrangères et votre serviteur ont jugé on ne peut plus inopportune la lettre adressée il y a quelques semaines par deux commissaires européens aux autres membres de l'OMC. Par ce courrier en effet la Commission européenne propose de faire encore de nouvelles concessions unilatérales, sans qu'à aucun moment nos partenaires n'aient esquissé le début du commencement d'un pas vers un assouplissement de leurs positions. On voit qu'il reste, comme toujours, des points de divergence entre les États membres et la commission chargée de gérer ces questions : on a déjà connu cette situation il y a une dizaine d'années lors du fameux accord de Blair House.

Un mandat de négociation a été approuvé en novembre 2000 par l'ensemble des pays de l'Union européenne. Pour ce qui nous concerne, nous sommes en total désaccord avec la théorie du mandat implicite qui a été développée par M. Lamy dans un entretien récemment publié par Les Échos : selon cette théorie, au-delà du mandat formel, le négociateur pourrait agir à peu près à sa guise, et les États membres n'auraient plus qu'à ratifier par la suite. Nous sommes totalement opposés à une telle lecture de la procédure de décision communautaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) En effet, la décision doit en dernière analyse relever des États membres, et non pas de la Commission.

Telle est notre position en ce qui concerne les négociations menées dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce. Je pourrais m'étendre beaucoup plus sur ces questions extrêmement importantes, mais je me limiterai pour finir à évoquer nos relations avec les pays du Sud, sujet abordé par l'intervention de M. François Sauvadet. On assiste depuis dix ans à une invraisemblable campagne de désinformation, selon laquelle la politique agricole commune serait nocive au développement des pays du Sud. Il est vrai qu'on a pu mener ici ou là, il y a dix ou quinze ans, des politiques discutables : je pense aux stratégies génératrices d'excédents massifs, ou à la question du coton, avant que nous ne réformions l'organisation commune de marché il y a quelques semaines. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, bien au contraire, puisque l'Europe absorbe à elle seule 60 % de la production agricole de l'Afrique. C'est l'Europe aussi qui a mis en place la convention de Lomé, le Système de stabilisation des exportations, le Stabex, ou le Sysmin, en faveur de la production minière. Nous devons expliquer davantage qu'une politique agricole européenne active et réformée ne contredit en rien l'indispensable développement agricole des pays du Sud.

M. François Sauvadet. Très bien !

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. L'Union européenne constitue notre deuxième champ de débat - et de combat ! - et de négociation. Je serais tenté, dans le prolongement des propos tenus par Marc Le Fur et Philippe Rouault, de demander s'il faut regretter le choix que nous avons fait de l'Europe au milieu des années soixante en matière agricole. La réponse serait bien évidemment négative, et ce pour deux raisons. D'abord, l'Europe, élargie une première fois, puis une deuxième fois tout récemment, a toujours ouvert à nos agriculteurs des opportunités de production et d'exportation. Compte tenu de l'exiguïté de son territoire, la France ne serait jamais devenue un des tout premiers pays au monde en matière de production agricole sans la logique de la construction européenne et de l'Union douanière.

La deuxième raison est évidemment budgétaire. Le ministre qui vous parle fait approuver par le Parlement un budget de cinq milliards d'euros, à comparer aux plus de dix milliards d'euros qui reviennent chaque année à l'agriculture française via Bruxelles. Cela signifie que les deux tiers des ressources de mon ministère viennent de Bruxelles. C'est là une bonne raison pour ne pas regretter d'avoir fait le choix de l'Europe.

Comme l'a fait remarquer M. Michel Raison, toute grande réforme suscite de grandes craintes. Rappelons-nous qu'en 1965 la plupart des organisations agricoles étaient opposées à la PAC. Et chacun se souvient des manifestations de 1984 contre les quotas laitiers : voilà qu'aujourd'hui on nous demande de prolonger le système des quotas laitiers jusqu'en 2015, ce que nous avons obtenu. La réforme actuelle suscite à son tour des interrogations, sur lesquelles je reviendrai : je crois qu'il faut rester malgré cela serein, résolu et déterminé.

Je ferai encore une remarque générale avant d'entrer dans le vif du sujet. François Dosé a évoqué la question de savoir qui détenait le pouvoir au sein de l'Europe agricole. On me dit souvent que sur tel ou tel sujet nous aurions dû opposer notre veto. Il faut savoir que le veto n'existe pas dans le domaine agricole, où les décisions se prennent à la majorité qualifiée. Mais il est vrai que notre pays, qui à lui seul représente le quart de l'Europe agricole, doit assumer le rôle de pivot de la négociation et de la concertation. Je m'efforce depuis deux ans d'éviter que la France ne soit isolée, tant en matière d'agriculture que de pêche, et qu'un compromis ne se dessine à notre détriment, sur le dos des agriculteurs français.

Je veux dire à M. Chassaigne que l'accord intervenu il y a un an n'était pas du tout une démission. Si nous avons signé le compromis de Luxembourg, c'est que - et je vais y revenir - les intérêts supérieurs de notre agriculture étaient préservés dans le cadre des décisions prises.

À ce stade de mon propos, je souhaite faire un bref retour en arrière sur la situation que nous avons trouvée il y a deux ans lorsque j'ai pris mes fonctions. Une succession de réforme s'annonçait : en premier lieu, le financement de l'élargissement ; pour 2002 et 2003, la révision à mi-parcours de la politique agricole commune ; en 2006, la renégociation budgétaire et une réforme nouvelle de la politique agricole commune. Voilà pour le calendrier initial.

Notre stratégie a été de troquer un allongement des perspectives budgétaires de la PAC jusqu'en 2013 contre une réforme anticipée de la PAC que nous avons faite en 2003 plutôt qu'en 2006, de manière à disposer de dix années de visibilité. J'assume totalement ce choix stratégique, car - et c'est ce que j'ai retenu de mes déplacements dans les exploitations agricoles - nos amis agriculteurs voulaient avoir des perspectives. Désormais, que ce soit en matière budgétaire ou de gestion des droits, nous avons des perspectives sur dix ans, ce qui n'était jamais arrivé depuis la création de la politique agricole commune au milieu des années soixante.

En matière budgétaire, je remercie Pierre Méhaignerie, Alain Marleix, Marc Laffineur et Jérôme Bignon d'avoir rappelé ce qu'a été l'équilibre de cette négociation : cela a été un rude combat, c'est vrai. Grâce à l'accord intervenu entre le Président de la République et le chancelier Schröder, nous avons pu maintenir les crédits de la PAC jusqu'en 2013. Ils augmenteront même de 1 % par an. Je le confirme : il est prévu une enveloppe pour les quinze États membres, et une autre pour les Dix nouveaux entrants, qui va d'ailleurs monter progressivement en puissance. Si la Roumanie et la Bulgarie nous rejoignent - puisque la question m'a été posée par Jérôme Bignon -, il y aura bien une enveloppe spécifique pour cet élargissement éventuel.

Nous avons donc obtenu la stabilité en matière budgétaire, ce qui était inespéré.

Après avoir parlé budget, il me faut maintenant évoquer les sujets largement évoqués ce matin.

Première observation, cette réforme ne concerne que les aides dites « du premier pilier ». Pour toutes les autres - prime herbagère agroenvironnementale, ICHN, mesures rotationnelles, contrepartie nationale des CAD et des CTE -, rien n'a changé.

En outre, le découplage des aides est partiel. S'agissant des aides animales, nous conservons la PMTVA telle qu'elle existe ainsi que 50 % de la prime ovine et 50 % de la prime à l'abattage. Les aides qui sont découplées sont les autres, d'ailleurs fort nombreuses et compliquées, qui seront regroupées dans une aide unique à l'exploitation.

S'agissant des grandes cultures, il y aura un découplage dit horizontal, à hauteur de 75 %.

Globalement, sur les aides du premier pilier, en grande masse, une petite moitié sera découplée et une grosse moitié restera couplée. Lorsqu'on parle de découplage, on est donc loin d'un découplage total, une seule partie des aides étant concernée.

Deuxième observation sur la question de la gestion des droits. M. Gaubert ne veut pas de droits marchands. Le débat ne consiste pas à opposer droits marchands et non marchands. Il existe déjà des droits marchands dans notre agriculture, par exemple, les droits de plantation viticole. De même pour les quotas laitiers, s'il ne sont pas officiellement des droits marchands, chacun sait que le prix d'un terrain auquel sont attachés des quotas n'est pas le même qu'un terrain sans quota.

La véritable question est de savoir si nous sommes dans un système administré ou pas. Nous avons souhaité mettre en place un système administré, et ce pour deux raisons.

Première raison, éviter la spéculation. C'est pourquoi les ventes de droits sans terre seront taxées à 50 %.

Deuxième raison, favoriser l'installation et lutter contre l'agrandissement excessif. Pour les transactions non spéculatives, les jeunes agriculteurs seront exonérés. Le taux moyen sera de 3 %, mais un taux dissuasif de 10 % est prévu pour éviter les agrandissements intempestifs, le seuil de déclenchement pour le taux maximum de taxation étant fixé dans chaque département après avis de la CDOA.

Nous avons donc mis en place les outils nécessaires pour éviter spéculation, baisse de l'installation et effet d'aubaine, une réserve de droits étant prévue afin de permettre l'installation des jeunes. Ces droits découplés, même partiellement, constituent une nouveauté en France comme en Europe, et nous allons en suivre la mise en place de très près.

C'est la raison pour laquelle il y aura en 2005 une simulation, permettant de voir comment les choses se passent avant la mise en œuvre effective en 2006.

M. François Sauvadet. Très bien !

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Parallèlement, nous mettons en place un observatoire pour éventuellement corriger le tir en cas de dérives. D'ailleurs, ce que je dis au nom de la France est vécu par mes autres collègues européens. Nous serons donc très vigilants sur ce sujet.

S'agissant de la modulation, sans polémiquer avec MM. Gaubert et Peiro, celle que nous mettons en place est très différente de la précédente, pour deux raisons. Premièrement, elle est désormais obligatoire dans tous les pays de l'Union européenne, alors la précédente était facultative et n'existait qu'en France, ce qui entraînait une distorsion de concurrence avec les autres États membres. Deuxièmement, le système mis en place sera beaucoup plus simple que le précédent. Il m'a fallu près de deux ans et beaucoup d'énergie pour récupérer les 215 millions d'euros restés bloqués à Bruxelles dans un compte du FEOGA.

Troisième observation, la conditionnalité. Elle est, là aussi, la mise en cohérence de très nombreuses directives et règlements adoptés ces dernières années. Comme vous, je souhaite que les choses se fassent le plus simplement possible et que les agriculteurs puissent se placer dans une relation de confiance - et non de défiance -, notamment par rapport aux contrôles. Antoine Herth a évoqué cette question de façon très exhaustive, et je lui réponds volontiers que c'est bien dans le sens qu'il a indiqué que nous désirons travailler.

De manière générale, puisque l'on parle de conditionnalité, je pense qu'il faut cesser cette crispation en matière environnementale qui fait des agriculteurs des femmes et des hommes qui se sentent trop souvent exclus et fustigés par le reste de la société.

M. Marc Laffineur. C'est vrai !

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Nous devons mettre à profit les mois prochains - et j'en reparlerai dans le cadre de la loi de modernisation agricole - pour sortir de cette crispation sur l'environnement. Nous le savons : les agriculteurs sont les premiers environnementalistes de France ; il faut le reconnaître et le dire. Je souhaite qu'on sorte de ce blocage - que je ressens trop souvent - par le dialogue.

Il reste deux autres sujets très importants concernant la réforme de la PAC.

Le premier, évoqué par MM. Gaubert et Decool, porte sur les distorsions de concurrence. Elles sont possibles vis-à-vis de l'Allemagne et de l'Angleterre en particulier, ces deux pays ayant mis en place une gestion régionalisée des aides. Nous avons déjà prévu des garde-fous afin que les modalités de gestion nationale des aides n'entraînent pas une distorsion de concurrence dans les filières. Avec mes homologues européens, nous avons constitué un dispositif de veille. La Commission elle-même est consciente de ce problème, ayant écrit il y a quelques semaines à tous les ministres européens de l'agriculture pour leur demander de se montrer très vigilants sur ce sujet.

Jean-Pierre Decool a évoqué la gestion de crises, sujet très important. En effet, le ministre qui vous parle et les députés que vous êtes connaissent dans leurs circonscriptions les crises économiques de beaucoup de filières agricoles. Le problème aujourd'hui est qu'on ne permet pas à l'État national d'agir et, dans le même temps, l'Europe n'agit pas non plus.

C'est la raison pour laquelle j'ai obtenu, en annexe du compromis de Luxembourg, la possibilité de créer des mécanismes de gestion de crise. Dans quelques semaines, je ferai passer des propositions françaises à la Commission de Bruxelles, laquelle doit faire des propositions aux États membres pour la fin de l'année 2004. Il s'agit d'un enjeu majeur. D'ailleurs, l'accord ouvre la possibilité d'alimenter ce fonds de gestion de crise à hauteur de 1 % des crédits prélevés sur la modulation.

Voilà pour l'aspect politique agricole commune. S'agissant de la mise en œuvre de cette réforme, nous avons prévu de communiquer de manière très précise et personnalisée auprès de chaque agriculteur de France. Nous disposons d'un an et demi pour le faire avant l'entrée en application de la réforme, et, croyez-le, ce délai sera bien employé en ce sens.

Dernier thème, la politique agricole nationale. Ce n'est en effet pas parce que nos questions sont surplombées à la fois par l'OMC et par l'Europe qu'il n'y a pas de politique nationale. De ce point de vue, j'ai beaucoup apprécié la hauteur de vue de Pierre Méhaignerie qui, parlant d'expérience, nous a décrit une agriculture française ayant connu beaucoup de mutations depuis la dernière guerre. Je veux effectivement vous proposer une loi de modernisation qui, cher François Sauvadet, pourra être une loi d'orientation et de modernisation de l'agriculture française. Nous avons besoin d'une grande loi, qui nous ouvre des perspectives pour les quinze prochaines années.

M. François Sauvadet. Très bien !

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. En effet, pour l'essentiel, nous vivons sur les lois pionnières des années soixante et du début des années soixante-dix.

M. François Sauvadet. Tout à fait !

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Nous sommes en 2004. Il nous faut donc écrire ensemble les prochaines années.

M. François Sauvadet. Excellent !

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Je vais donc lancer, dans les semaines à venir, un processus de concertation pour préparer la future loi de modernisation agricole. Cette concertation impliquera le Parlement, les acteurs économiques et syndicaux et le reste de la société. C'est absolument indispensable. Je ne peux pas vous dire aujourd'hui ce que seront les contours précis de cette future loi de modernisation et d'orientation pour l'agriculture française, mais un certain nombre de sujets devront, au minimum, être ouverts.

Le premier concerne l'attractivité du métier agricole et les conditions de vie et de travail en agriculture.

M. François Sauvadet. Très bien !

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. En effet, aujourd'hui, les jeunes s'estiment exclus de la réduction du temps de travail, et lorsque je les écoute parler, ce sont ces considérations qui l'emportent sur les seules questions économiques.

Deuxième sujet : la politique des structures. Il est absolument indispensable de le traiter.

Troisième sujet : la politique foncière.

Quatrième sujet : la définition d'une exploitation agricole aujourd'hui par rapport à une entreprise. Vous l'avez dit : nous sommes passés du cultivateur à l'entrepreneur agricole ; c'est tout à fait le mot. Il est également nécessaire de traiter cette question économique et de l'emploi en agriculture.

Bien d'autres sujets devront encore être évoqués.

M. François Sauvadet. La gestion des filières !

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Je dirai donc à M. Chassaigne que, loin d'être une Arlésienne, cette loi sera mise en place de manière active.

J'en profite pour remercier M. Jean-Marie Binetruy et M. Alain Marleix d'avoir utilement rappelé ce qui s'est fait depuis deux ans, et dans quelles conditions.

Nombre d'entre vous ont évoqué la question des biocarburants. En la matière, nous sommes décidés à aller le plus loin et le plus rapidement possible. Les propositions que la Commission européenne a faites au MERCOSUR sont inacceptables : le quota d'alcool qu'on autoriserait le MERCOSUR à exporter ruinerait, en Europe, l'industrie naissante des biocarburants.

Monsieur Chanteguet, nous étudions attentivement la question des zones humides.

En ce qui concerne les prix, nous suivons de manière extrêmement vigilante et sourcilleuse les travaux du ministère des finances. Après les dérives que nous avons connues, il faut absolument rééquilibrer le partage de la marge entre le producteur et le distributeur.

Monsieur Nayrou, la montagne n'a pas été oubliée depuis deux ans, avec, notamment, l'augmentation de la PHAE et des ICHN. Nous continuerons dans cette voie.

Mais l'heure tourne, nous sommes à la fin de la séance et je ne peux malheureusement pas répondre à chacun d'entre vous de manière détaillée. Je le ferai par écrit dans les jours qui viennent.

Ce qui me frappe, c'est le divorce entre, d'une part, le mauvais état psychologique de nos campagnes et, d'autre part, la manière dont est considérée la France agricole ailleurs en Europe ou dans le monde. Notre pays connaît, depuis plusieurs années, une sorte de blues agricole, alors que, à l'extérieur, on le voit comme une grande puissance agricole, ce qu'il est. Une fois les perspectives européennes dégagées, l'enjeu des prochains mois sera de construire ensemble une politique agricole nationale ambitieuse. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Nous avons terminé le débat sur les modalités d'application de la réforme de la politique agricole commune.

    2

ORDRE DU JOUR DE L'ASSEMBLÉE

M. le président. L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au mercredi 30 juin, terme de la session ordinaire, a été fixé ce matin en conférence des présidents.

Cet ordre du jour sera annexé au compte rendu.

    3

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi, adopté par le Sénat, n° 1465, pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ;

Discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, n° 1613, relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières.

Rapport, n° 1659, de M. Jean-Claude Lenoir, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

Avis, n° 1668, de M. Bernard Carayon, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures cinq.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot