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Deuxième séance du jeudi 17 juin 2004

261e séance de la session ordinaire 2003-2004


PRÉSIDENCE DE M. JEAN LE GARREC,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

    1

SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ ET DU GAZ

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières (nos 1613, 1659).

Discussion des articles (suite)

M. le président. Hier soir, l'Assemblée a commencé l'examen des articles, s'arrêtant avant le vote des amendements identiques nos 91 à 101 portant article additionnel avant l'article 1er, ce vote ayant été reporté à la suite d'une demande de vérification du quorum présentée par M. le président du groupe socialiste.

Avant l'article 1er (suite)

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 91 à 101.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

Rappels au règlement

M. Daniel Paul. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, pour un rappel au règlement.

M. Daniel Paul. Monsieur le président, mon rappel au règlement, fondé sur l'article 58 de notre règlement, concerne la décision prise hier par le Conseil constitutionnel à propos de la loi sur l'économie numérique. En vertu de cette décision, le droit européen, et notamment toutes les directives européennes qui détruisent les unes après les autres tous nos services publics, serait aujourd'hui supérieur à notre Constitution.

Certes, le juge constitutionnel se réserve encore le droit, en vertu de cette décision, de censurer une loi de transposition "en raison d'une disposition expresse contraire de la Constitution". Mais il a ouvert la boîte de Pandore et donne l'occasion aujourd'hui aux acteurs européens de laminer petit à petit toutes les valeurs sur lesquelles s'est construite notre République, notamment depuis la fin de la dernière guerre. La Constitution, et notamment son préambule, perdrait de ce fait toute valeur symbolique.

Le projet de loi en discussion aujourd'hui consiste, lui aussi, à transposer pour partie une directive européenne. Il me paraît donc difficile de poursuivre ce débat sans évoquer cette décision et son impact sur notre pacte social. Quelle doit être la force d'une Constitution au regard de directives, et donc de simples lois ?

Cette Constitution a été ratifiée par référendum. La valeur constitutionnelle, et donc fondamentale, du préambule de 1946 a été consacrée deux fois par le peuple français, en 1946 et en 1958. Peut-on accepter qu'elle soit aujourd'hui, par une simple décision de justice, abaissée au rang de simple loi, soumise à toutes les directives écrites par l'Union européenne ?

Quelles doivent être aujourd'hui la place et la valeur des principes énoncés par exemple dans le préambule de notre Constitution de 1946 ? Nous sommes, sur les bancs communistes et républicains, comme sans doute sur tous les bancs, très attachés à ces valeurs.

Votre projet de loi, monsieur le ministre délégué à l'industrie, comme la décision du Conseil constitutionnel, semblent signifier que ces valeurs ne sont plus d'actualité.

C'est notamment en vertu de l'esprit de ce préambule qu'EDF avait été nationalisé et est devenu le grand service public qu'il est aujourd'hui.

Nous ne pouvons pas continuer à débattre de ce texte dans de telles conditions, car il n'appartient pas au juge de se substituer au peuple français et donc de juger de la valeur de notre Constitution. Je demande donc une suspension de séance de cinq minutes.

M. le président. Monsieur Paul, comme vous le savez, l'article 62 de notre Constitution dispose clairement que les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent à tous. Elles ne peuvent donc pas être discutées ici. Aussi, je ne peux vous accorder une suspension de séance. On aura bien d'autres occasions de le faire ! (Sourires.)

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. C'est probable !

M. François Brottes. Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour un rappel au règlement.

M. François Brottes. Mon rappel au règlement, qui se fonde sur l'article 58, alinéa 1, de notre règlement, concerne l'application des directives européennes dans notre pays et leur transposition en droit interne.

Je constate - je ne commente pas - que le Conseil constitutionnel a confirmé ce que nous savions déjà, à savoir que même si un État ne transpose pas une directive, celle-ci s'applique. Notre Parlement, qui est directement concerné par ce type de décision, doit donc savoir selon quelles modalités le Gouvernement envisage désormais de transposer les directives.

C'est la raison pour laquelle, au nom du groupe socialiste, je souhaite que le ministre chargé des affaires européennes vienne nous expliquer, au cours de ce débat, comment interpréter la décision des sages du Conseil constitutionnel, afin que notre travail soit le plus efficace possible.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l'industrie.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Bien entendu, les décisions du Conseil constitutionnel ont force d'exécution et s'imposent au Gouvernement comme au Parlement. Ma lecture personnelle de la récente décision du Conseil constitutionnel est qu'il n'a fait qu'exprimer explicitement ce que sa jurisprudence antérieure exprimait implicitement. C'est plutôt un élément de clarification et de pédagogie du droit. Il me semble qu'il n'y a aucune grande nouveauté juridiquement parlant dans ce qu'a dit le Conseil constitutionnel. Il ne fait que dire clairement ce qu'on sait, à savoir que dès lors que les traités sont conformes à notre Constitution, les directives qui sont prises en exécution des traités sont forcément constitutionnelles.

Je vous donne bien volontiers cette précision, mais n'allons pas nous égarer dans un débat accessoire dont je ne puis croire, monsieur Brottes, qu'il ait un caractère dilatoire.

M. François Brottes. Monsieur le président, je demande la parole...

M. le président. Monsieur Brottes, je vais vous redonner la parole, mais très brièvement.

M. François Brottes. Monsieur le ministre, merci pour votre réponse. Je prends acte de votre volonté de nous donner des éclaircissements.

Vous venez de l'indiquer, ce qui était implicite devient explicite. Est-ce pour cette raison que les gouvernements - et je ne fais pas de procès particulier à ce gouvernement - pourraient s'exonérer de transposer des directives, considérant qu'elles s'appliquent de fait ? Si tel était le cas, nous serions alors totalement dessaisis de la mise en œuvre de ces directives. Quand on sait que plus de 50 % de nos textes sont des transpositions de directives, nous pourrions éviter de siéger en juillet (Sourires), voire toute une partie de l'année.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l'industrie. Monsieur Brottes, vous le savez, il est dans notre intérêt de transposer nous-mêmes les directives, car cela permet de tenir compte de nos spécificités politiques et administratives.

Vous savez aussi que quand on transpose en retard, on est poursuivi. Permettez-moi de vous dire que c'est ce qui s'est passé sous le gouvernement de M. Jospin à propos de l'économie numérique...

M. François Brottes. J'avais essayé de ne pas polémiquer !

M. le ministre délégué à l'industrie. ...puisque la France est poursuivie pour son retard. Et j'avoue que les gouvernements de droite ont eux aussi pris du retard dans la transposition des directives. Mais n'en faisons pas un système, car ce serait au détriment de notre pays.

Reprise de la discussion

M. le président. Je suis saisi de onze amendements identiques, nos 157 à 167.

La parole est à M. Christian Bataille, pour soutenir l'amendement no 157.

M. Christian Bataille. Il s'agit de préciser que le service public de l'énergie est synonyme de long terme. Quelques minutes ne me suffiront pas pour régler le problème décisif de la politique énergétique.

Une cinquantaine d'années, voire plus, voilà le temps nécessaire pour mettre en œuvre une politique de construction de centrales, leur fonctionnement et leur démantèlement. Notre temps politique s'oppose à ce temps énergétique puisque sa durée est au maximum de cinq ans. Par conséquent, la loi doit fixer la ligne d'horizon et préciser ce qu'est le long terme.

Je crains que les choix libéraux en matière de politique énergétique ne privilégient le court terme, c'est-à-dire ce qui se consomme vite, ce qui rejette dans l'atmosphère des gaz à effet de serre et ce qui est négatif socialement. Car, et j'y reviendrai, le choix du long terme, c'est aussi la continuité des décisions prises en 1946 et donc la continuité des choix en matière sociale.

Voilà pourquoi c'est le long terme qui doit dominer nos débats. Nous devons réfléchir à une politique de l'énergie à l'horizon 2050, mais cela est difficile car on sait que les élus que nous sommes regardent plutôt la ligne d'horizon de 2007.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, pour donner l'avis de la commission sur l'amendement no 157.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Comme je l'ai déjà indiqué hier, nous sommes en présence d'amendements purement déclaratoires...

M. François Brottes. Parce que le texte ne l'est pas ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. ...qui traduisent des orientations sur lesquelles ni la majorité ni le Gouvernement n'auraient beaucoup à redire. Mais ces amendements n'ont pas leur place dans le texte dont nous discutons aujourd'hui. C'est pourquoi la commission les a tous repoussés. Je voulais le dire ici, afin que personne ne se formalise de la brièveté de mes propos puisque je me limiterai à donner un avis défavorable.

Une remarque toutefois à l'intention de M. Bataille qui s'est projeté dans le futur éloigné, voire dans l'éternité, à tel point que dans un souci bien compréhensible d'aller vite il a défendu prématurément l'amendement no 168. Voilà une façon efficace d'aborder le débat !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. J'ai déjà insisté hier soir sur la dimension de transparence qui n'est pas chère au rapporteur.

Finalement, le rapporteur répond de manière très futile, contrairement à M. Devedjian qui se comporte en ministre pleinement responsable, en essayant d'argumenter ses réponses.

Monsieur le rapporteur, vous nous dites que tout cela n'a que peu d'importance et que vous vous contenterez dorénavant de donner un avis défavorable. Mais vous ne vous en tirerez pas comme cela, car le sujet est extrêmement grave. Nous avons souhaité déposer de nombreux amendements, avant l'article 1er, qui posent quelques principes d'intention. Nous nous accrocherons à toutes les valeurs qui fondent le service public en déplorant que vous ayez considéré, par avance, que tout cela ne valait pas la peine d'être débattu.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Ce n'est pas ce qu'il a dit !

M. le président. La parole est à M. David Habib.

M. David Habib. Tout à l'heure, M. Bataille a parlé du long terme. J'évoquerai ici une autre dimension qui n'est pas du tout en contradiction avec ses propos, à savoir que le service public de l'énergie est un vecteur de croissance et de dynamique industrielle.

M. le ministre d'État a indiqué dans son propos liminaire que nous étions les héritiers des décisions prises à la Libération et dans les années soixante-dix.

Nous le savons tous : le secteur public, tant par l'action de ses entreprises que par la volonté de l'État, signifiée par tous les gouvernements, de droite comme de gauche, a joué un rôle moteur dans la reconstruction du pays et la création d'une dynamique économique nationale. Les responsabilités de cohérence et d'aménagement du territoire assumées par ses entreprises ont permis à nos industries de connaître un épanouissement dont nous nous félicitons.

Aujourd'hui, il nous semble important de rappeler au seuil de cette loi, dans un article additionnel, que le service public de l'énergie est, peut-être plus que d'autres, un vecteur de dynamique industrielle et de croissance. L'utilité de celle-ci apparaît d'autant plus que, depuis deux ans, c'est-à-dire depuis l'installation de la majorité actuelle, ses chiffres sont particulièrement modestes. En outre, c'est la croissance qui nourrit en amont le secteur de la recherche. En affirmant que « le service public de l'énergie est un vecteur de croissance et de dynamique industrielle », nous rappelons implicitement la responsabilité de la recherche dans le domaine énergétique.

Je suis persuadé qu'un grand nombre de parlementaires - pour des raisons sans doute différentes, mais dans un égal souci de préserver l'intérêt du pays - soutiendront cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 157 à 167 sur lesquels la commission et le Gouvernement ont exprimé un avis défavorable.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de onze amendements identiques, nos 168 à 178.

La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Je cède la parole à M. Brottes, qui va compléter les explications que j'ai déjà données.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Nous souhaitons écrire dans la loi que « le service public de l'énergie est synonyme de long terme ».

Nous le redirons au cours du débat : le Gouvernement fait le choix de dessaisir totalement le Parlement de l'élaboration des textes et du contrôle des missions de service public. Dans l'article 1er, il les renvoie à un contrat. En somme, en laissant à M. le ministre le soin de s'arranger avec l'entreprise pour régler les modalités de mise en œuvre du service public, nous lui signons un chèque en blanc. « Circulez, dit-on aux parlementaires, il n'y a rien à voir ! »

Pour notre part, nous souhaitons que la loi définisse le plus précisément possible les termes de ce contrat. Pourquoi insister sur la notion de long terme ? Parce que nous savons d'expérience comment se comportent les gouvernements - tous les gouvernements, je vous le concède, monsieur le ministre. Ainsi, une entreprise comme France Télécom, qui était encore publique, il y a quelque temps, et relève toujours, pour ses missions, d'un contrat avec l'État, a vu ce contrat progressivement abandonné au fil des années. Aujourd'hui, il n'est plus renouvelé. On le voit bien : quand la loi renvoie à un contrat, non seulement le Parlement est dessaisi, mais le contrat lui-même risque de ne jamais voir le jour. Vous le voyez : notre inquiétude relève du constat.

Nous ne pouvons pas laisser passer le fait qu'un contrat entre le Gouvernement et l'entreprise soit le seul support qui permette d'instaurer les modalités du service public.

Tels sont les arguments que je voulais développer, pour compléter l'intervention de mon collègue Christian Bataille.

M. le président. La parole est à M. David Habib.

M. David Habib. Mes collègues Christian Bataille et François Brottes ont rappelé à juste titre l'importance de la référence au long terme. Nous sommes au cœur du sujet.

Nos deux débats précédents, l'un sur la loi d'orientation, l'autre sur la politique gouvernementale en matière d'énergie, ont permis de souligner que nos décisions montreront leurs effets dans vingt, trente, voire quarante ou cinquante ans. Nous devons donc nous montrer conscients de nos responsabilités et être capables d'offrir au pays des réponses, tant sur des techniques dont nous n'avons peut-être pas tous la maîtrise, que sur des seuils de demande qu'il nous faut d'ores et déjà évaluer et apprécier.

Rappeler que « le service public de l'énergie est synonyme de long terme », c'est être fidèle à nos exigences. Nous sommes respectueux du message que j'ai évoqué. Il faut, comme l'a dit François Brottes, que la notion de long terme figure dans la loi au lieu d'être renvoyée à un contrat, afin qu'elle apparaisse comme une priorité du service public de l'énergie et des entreprises qui s'y réfèrent.

À cet égard, l'exemple du nucléaire est caractéristique. Chacun a en tête la problématique de la durée de vie des déchets. Mais d'autres sources énergétiques doivent, elles aussi, être resituées dans un contexte de long terme. C'est notamment le cas des énergies non renouvelables.

Il faut enfin poser la question fondamentale de la sécurité des approvisionnements en matière de gaz ou de pétrole.

Là encore, en rappelant dans la loi que « le service public de l'énergie est synonyme de long terme », nous pourrons facilement trouver un consensus sur tous les bancs de l'hémicycle.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur ces onze amendements identiques ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur ces amendements ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Monsieur le rapporteur, nous ne pouvons pas nous contenter d'une réponse comme celle-là. Ou vous ne l'avez pas compris, ou, ce qui est plus vraisemblable, vous faites semblant de ne pas le comprendre : s'il est une chose à laquelle nous tenons tous, c'est bien la notion de service public. Puisque vous prétendez que c'est aussi votre cas, passez du discours aux actes !

La mission de service publique revêt une importance telle que les représentants de la République n'ont pas le droit de la sous-traiter en renvoyant sa mise en œuvre à un contrat qui ne sera peut-être jamais signé. C'est pourquoi nous considérons que vous nous devez une réponse.

Si votre intention est de renvoyer à un contrat, assumez-le. Dans le cas inverse, nous sommes fondés, je pense, à voter, tous ensemble, les amendements qui ont été déposés.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l'industrie. Je serais désolé que M. Brottes croie que j'ai du mépris pour son argumentation. Je pense simplement lui avoir répondu hier soir, en statuant sur tous les amendements dont la finalité est la même et consiste à modifier la loi du 10 février 2000 définissant les missions de service public.

M. François-Michel Gonnot. La fameuse loi Bataille !

M. le ministre délégué à l'industrie. J'ai trop de respect pour cette loi, monsieur Bataille, notamment pour la clarté avec laquelle elle détaille les missions de service public,...

M. François-Michel Gonnot. Nous avons tous le plus grand respect pour cet immense monument législatif !

M. le ministre délégué à l'industrie. ...pour accepter qu'elle soit dénaturée, fût-ce par son auteur. Vous le savez : les grands artistes sont souvent dépassés par leurs œuvres. (Sourires.)

M. François-Michel Gonnot. Et parfois, ils vieillissent mal !

M. le ministre délégué à l'industrie. Je refuse donc qu'un texte d'une telle clarté soit dénaturé par des amendements qui risqueraient d'y introduire un flou regrettable.

M. Frédéric Soulier. Un peu de cohérence, monsieur Bataille !

M. le président. Voilà M. Bataille rouge de confusion. (Sourires.)

La parole est à M. Claude Birraux.

M. Claude Birraux. Pour la bonne information de notre assemblée, et pour compléter les propos du ministre, je rappellerai que la politique énergétique est intrinsèquement une politique de long terme.

Le Gouvernement et la majorité l'ont bien compris. Ils ont su appliquer ce principe dans la loi d'orientation sur l'énergie, qui prévoit le lancement du réacteur EPR en vue de remplacer, le moment venu, notre parc de centrales nucléaires. Et je vous rappelle que nous avons voté ce texte.

M. Brottes nous demande d'intégrer la notion de long terme ? Nous l'avons déjà fait, non seulement au plan conceptuel, mais bien dans les faits.

M. le président. La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet. Nous sommes au cœur du sujet, au moment où nous prenons, à travers des mesures concernant EDF et GDF, des orientations de principe sur le service public de l'énergie.

M. Birraux l'a dit à juste titre : l'électricité, le gaz et d'autres formes d'énergie appellent nécessairement une réflexion à long terme. Il faut anticiper beaucoup si nous voulons prendre aujourd'hui les bonnes décisions. Certaines ont été prises, il y a une quinzaine de jours - funestes, à mon sens. Et je crains que nous ne récidivions.

Puisque nous en sommes au stade des principes, je tiens à rappeler que, si je suis, comme mes collègues socialistes, très attaché aux missions de service public de nos entreprises énergétiques, je ne voudrais pas que la promotion du long terme fasse oublier le moyen et le court terme. Il faut voir à la fois très loin et à l'échelle de quelques années. Pour mes collègues, le long terme recouvre probablement une période de trente ou cinquante ans. Mais j'essaie aussi d'imaginer la situation dans cinq ans environ.

Sur ce point, je l'ai déjà indiqué, il y a une quinzaine de jours, lors du débat de la loi d'orientation sur l'énergie : une crise électrique, gazière et, plus généralement, une crise de l'énergie se profile. On en ressent d'ailleurs les premiers symptômes. Or, à cet égard, j'ai l'impression que le Gouvernement et beaucoup de nos collègues font preuve d'aveuglement.

Je donnerais quatre indices de cette crise, en espérant ainsi alimenter leur réflexion.

L'une de ses déterminations est de nature géologique. Pour des raisons qui tiennent au caractère fini des ressources planétaires, les combustibles fossiles vont bientôt entrer en déplétion, c'est-à-dire qu'ils ne pourront être extraits qu'en plus faible quantité. Sera-ce en 2007 ou en 2010 ? Je l'ignore. Mais cette situation sera assurément à l'origine d'un grand choc.

Un autre aspect de cette crise tient à un facteur que l'on peut observer dès maintenant : une tendance, toutes énergies confondues, à l'excès structurel de la demande sur l'offre. La demande d'énergie tend en effet à augmenter dans tous les pays, y compris dans ceux qu'on nomme pudiquement « émergents » et qui sont immenses : la Chine, l'Inde ou le Brésil. Cette demande structurelle ne pourra pas être satisfaite, par quelque énergie que ce soit, faute d'avoir été anticipée, il y a vingt ou trente ans.

En troisième lieu, on a pu l'observer en 1991, en 2003, puis de plus en plus souvent et ce matin encore : d'importantes tensions géopolitiques, tenant notamment à l'instabilité du Moyen-Orient, pèsent sur les garanties d'approvisionnement. Pour l'instant, les difficultés se concentrent en Irak. Mais qu'en serait-il si la maison saoudienne venait à s'effondrer ? Le choc serait instantané. En quelques jours, le monde s'aventurerait dans une direction qu'il est impossible de prévoir.

Enfin, il faut tenir compte du changement climatique et de l'effet de serre. Là encore, nous en parlons depuis longtemps, mais l'aveuglement a été tel qu'il est presque tôt tard pour réagir. Mais enfin, mieux vaut tard que jamais.

Il faut prendre en compte ces quatre paramètres, qui imposent que, en France, l'énergie relève du service public, c'est-à-dire de la politique. Le gouvernement actuel, qui ne semble pas convaincu par nos propos, préfère penser que la technologie et le marché résoudront tous les problèmes. Ce n'est pas notre avis.

Nous souhaitons au contraire que le Gouvernement - celui-ci ou celui qui lui succédera - puisse, en accord avec la puissance publique et les services publics de l'énergie, mener une autre politique. Malheureusement, celle qui a été mise en œuvre dans la loi d'orientation sur l'énergie ne montre pas la bonne voie.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Je souhaite réagir à l'intervention de M. Birraux, car nous sommes là au cœur du problème. En effet, la question qui se pose aujourd'hui est la suivante : en quoi le changement de statut d'EDF et de GDF peut garantir à notre pays - et, plus largement au continent européen dans lequel, dites-vous, ces deux entreprises ont vocation, sinon à régner, du moins à occuper une place importante - la protection des approvisionnements, la sécurité des installations et des prix adaptés au pouvoir d'achat de nos concitoyens et aux possibilités des entreprises ?

À cet égard, je veux citer un article - que j'ai déjà mentionné hier soir - signé de Jean Peyrelevade, lequel n'est pas suspect de sympathies pro-bolcheviques, ayant probablement davantage travaillé dans les sphères de la finance que dans celles qui soutiennent les salariés.

M. Jean Dionis du Séjour. Il a tout de même été membre du cabinet de Pierre Mauroy !

M. Daniel Paul. « L'idéologie ne remplace pas la réflexion. L'électricité n'est pas stockable. La capacité installée doit donc être à tout moment supérieure à la demande. Or la production électrique est une industrie très capitalistique, où les investissements sont à la fois lourds et à longs délais de réalisation : une dizaine d'années pour une centrale nucléaire. La question de la sécurité d'approvisionnement future est donc cruciale. Le prix payé par le consommateur aujourd'hui, seule variable qui semble intéresser 1es adeptes de la libéralisation, est-il compatible avec le niveau d'investissements nécessaire ? »

Et M. Peyrelevade de poursuivre : « Le seul effet de la réforme sera donc de remplacer un réseau de monopoles publics nationaux par un oligopole privé d'opérateurs à vocation européenne. Ce changement sera un facteur non de baisse, mais de hausse des prix. »

En effet, « un opérateur privé a besoin de fonds propres importants, fonds propres dont le marché exige une juste rémunération » - laquelle, vous le savez, doit être, aujourd'hui, à deux chiffres. « Le financement par l'emprunt est également limité, puisque la disparition de la garantie de l'État amène les prêteurs à davantage de prudence, ce qui fait que le taux de croissance de la production est conditionné par le taux de profit. » Encore une fois, ce ne sont pas les propos d'un communiste, mais ceux de Jean Peyrelevade !

« Compte tenu des délais et des montants à financer, le risque principal de l'opérateur concerne le niveau de ses investissements. S'il se trompe par défaut, il sera obligé de réduire le nombre de ses clients. Par excès, il aura du mal à écouler sa production future. Le monopole public sera plus sensible au premier danger (il n'a pas le droit de ne pas servir) qu'au second : il peut toujours, en hypothèse de surcapacité temporaire, mettre sous cocon quelques centrales et maintenir ses tarifs. Un ensemble d'opérateurs privés mis en concurrence réciproque aura la réaction exactement inverse : une sous-capacité se traduira par une forte rentabilité financière et une médiocre qualité de service - mais qui en sera responsable ? -, une surcapacité par un effondrement des prix et donc un risque financier insupportable. »

Je vous laisse en tirer la conclusion, mes chers collègues. Quel sera l'intérêt de ces groupes privés, sinon d'organiser la pénurie de façon à faire grimper les prix ? Du reste, EDF a anticipé cette évolution en augmentant, depuis le mois de décembre dernier, un certain nombre de ses tarifs. En effet, pour gagner plus, soit on augmente les tarifs, soit on diminue la production.

M. le président. Outre M. Brottes et M. Lassalle, M. Dionis du Séjour et M. Desallangre souhaitent intervenir. Comme nous sommes en début de séance, je vais leur donner la parole, en demandant à chacun d'être bref, mais nous ne pourrons pas multiplier les interventions sur chaque bloc d'amendements.

M. Jacques Desallangre. Compte tenu de la qualité de l'intervention de M. Paul, je renonce à la mienne, monsieur le président.

M. le président. Merci, monsieur Desallangre.

La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Je vous remercie de laisser le débat se poursuivre, monsieur le président. Je ne doute pas, du reste, que les uns et les autres considéreront qu'il est utile que nous éclairions nos concitoyens.

Monsieur Cochet, associer le service public au long terme, c'est, en quelque sorte, prendre en compte le développement durable. En outre, on gère mieux le court terme lorsque l'on a le regard fixé sur un horizon lointain plutôt que sur les cours de la bourse.

M. Yves Cochet. C'est vrai !

M. François Brottes. Or, le service public va être l'otage du court terme. Il n'est donc pas anecdotique d'inscrire cette notion dans la loi.

Par ailleurs, M. Birraux nous a renvoyés à la loi d'orientation sur l'énergie, pour souligner que, contrairement à nous, la majorité avait pensé au long terme. Or, si je respecte sa compétence scientifique dans le domaine de l'énergie - je ne suis pas, pour ma part, un technicien -, je constate que nous ignorons quand cette loi sera définitivement votée et promulguée. Par contre, le projet de loi que nous sommes en train d'examiner a fait l'objet d'une déclaration d'urgence. Nous allons donc décider du court terme avant le long terme. Avouez que ce n'est pas très vertueux, monsieur Birraux.

Certes, avec cette loi d'orientation, la majorité a poursuivi l'action que nous avions entamée et que les élections ne nous ont pas permis de mener à son terme. Le débat a été utile, même si nous avons déploré notamment un manque de volontarisme en ce qui concerne les énergies renouvelables. Mais, encore une fois, nous regrettons que l'on prenne les décisions de court terme - le changement de statut d'EDF et de GDF - avant même que ne soit définitivement votée la loi d'orientation qui définit, sur le long terme, la stratégie énergétique de notre pays.

Votre remarque était donc tout à fait juste, monsieur Birraux, mais ce rappel devrait vous conduire à inviter le Gouvernement à suspendre l'examen de ce texte en attendant la promulgation de la loi d'orientation.

M. le président. La parole est à M. Jean Lassalle, qui, j'en suis sûr, convaincra M. Dionis du Séjour de renoncer à son intervention.

M. Jean Dionis du Séjour. Cela m'étonnerait !

M. Jean Lassalle. M. Dionis du Séjour interviendra certainement, monsieur le président, car il risque de ne pas être d'accord avec moi.

Ce que je vais vous dire, je l'ai déjà dit à Nicolas Sarkozy - pour lequel j'ai beaucoup d'estime, car il ne manque ni de courage ni de talent - et, quoique un peu tardivement, à M. le président de la commission, Patrick Ollier : je ne voterai pas ce texte.

Je ne veux pas faire de démagogie - ceux qui me connaissent un tant soit peu savent que cela ne fait pas partie de mon registre -, mais j'entends, au sujet d'EDF et de GDF, des explications identiques à celles que l'on m'avait données à propos de Télédiffusion de France ; or, sans les paraboles, nos régions ne recevraient toujours pas la télévision. Je les ai également entendues pour France Telecom, qui a sans doute pu réaliser des choses extraordinaires grâce à l'ouverture de son capital, mais nous avons vu ce qu'il en est dans nos modestes régions et dans certaines banlieues. Je les ai enfin entendues pour la Poste ; or, chez moi, ce sont les maires qui, en fin de semaine, distribuent le courrier parce qu'il n'y a plus de facteurs.

Il paraît qu'il ne faut toucher à la loi que d'une main tremblante. En l'occurrence, j'ai peur, car je pense que nous faisons quelque chose qui nous dépasse. Ces décisions arrivent trop tôt : elles auraient dû être préparées avec nos concitoyens d'en bas. Avant de modifier un système, il faut savoir par quoi on le remplace et s'assurer que le nouveau sera plus performant.

Aussi, je le dis à mes amis, je mènerai à leurs côtés des combats difficiles, mais je ne participerai pas à celui-là, car j'ignore où nous allons et je ne veux pas avoir à baisser les yeux dans quinze ou vingt ans. N'oublions pas qu'il s'agit là d'une longue histoire de soixante, voire soixante-quinze ans,...

M. Daniel Paul. Très juste !

M. Jean Lassalle. ...qui a débuté au moment où la France est ressortie de l'ombre pour prendre en main son avenir de façon remarquable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Mon intervention va témoigner de l'infinie diversité du groupe UDF. (Sourires.) Comme Jean Lassalle, je représente des territoires ruraux - lui, les montagnes ; moi, les coteaux de l'Albret - et je peux donc me retrouver dans ce qu'il a dit sur l'importance des services publics pour ces territoires. Néanmoins, nous sommes en 2004, et il nous faut assurer l'avenir des entreprises qui composent le tissu industriel français. Or, j'ai la forte conviction que cet avenir passe par la position de leader du marché européen. Je ne partage donc pas l'appréciation de Jean Lassalle sur ce point, et je précise que je m'exprime au nom du groupe UDF.

S'agissant des amendements, je veux faire quelques remarques de fond. Certes, le service public de l'énergie est synonyme de long terme, mais je rappelle que la loi de 2000 dispose que le service public de l'électricité a pour mission de réaliser les objectifs définis par la programmation pluriannuelle des investissements de production arrêtés par le ministre chargé de l'énergie. Le long terme est donc pris en compte et je ne pense pas qu'il soit remis en cause par le projet de loi.

M. Jacques Desallangre. Il le sera par la privatisation !

M. Jean Dionis du Séjour. La loi de 2000 constitue un socle. Or, la planification pluriannuelle y figure bien.

J'ajoute - et Claude Birraux l'a bien montré - que cette dimension figure également dans le projet de loi d'orientation sur l'énergie, même si nous aurions aimé qu'elle soit encore plus affirmée, puisque nous avions plaidé pour une planification chiffrée et pour une loi énergétique annuelle. Nous sommes donc d'accord sur la notion de long terme mais, comme l'a très bien dit M. le ministre, elle figure dans la loi de 2000. C'est la raison pour laquelle nous nous opposerons à ces amendements.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 168 à 178.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de onze amendements identiques, nos 179 à 189.

La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Ces amendements ont pour objet d'insérer, avant l'article 1er, l'article suivant :

« Le service public de l'énergie est un élément de contrat social pour les personnels et les usagers. »

En effet, ces derniers se trouvent au cœur du débat, de la protestation. Le terme de « contrat social » désigne, avec la noblesse qui convient, la place des personnels dans le service public de l'énergie. Que n'a-t-on entendu sur le statut et les avantages indus dont ils bénéficieraient ! Au fond, pour le service public de l'énergie français, le dilemme est le même que pour les salariés français en Europe : on voudrait toujours aligner le statut des personnels sur le moins-disant social.

Nous estimons pour notre part que, s'il est vrai que les personnels des industries électriques et gazières bénéficient d'un niveau élevé de protection sociale, fruit de décennies de combat syndical, il appartient non seulement à ces IEG, mais à l'ensemble des entreprises, de s'aligner sur cet exemple de contrat social.

Je veux également parler des usagers, et le rôle de notre assemblée trouve ici tout son sens, car les députés de l'Assemblée nationale ne doivent pas être les interprètes d'une catégorie sociale, mais ceux des citoyens. Au cœur du service public et de son contrat social, il y a les citoyens, qui sont aussi des usagers. Par conséquent, le débat sur Électricité de France et Gaz de France ne concerne pas seulement les salariés de ce secteur, mais également les usagers, qui vont découvrir ce qu'augmentation d'une facture peut signifier. Le prix de l'énergie a constitué un élément du contrat social pendant toute la ive et la ve Républiques. Aujourd'hui, d'aucuns laissent entendre que l'énergie à bas prix serait un signe d'arriération sociale, établissant pour cela des parallèles avec des économies qui, il est vrai, n'ont pas connu la réussite.

On essaie en fait d'accréditer l'idée que si l'énergie n'a pas de valeur, notre économie n'en a pas non plus. Or, faire en sorte que les consommateurs, les industriels, mais aussi les ménages, puissent disposer d'un prix de l'énergie le plus bas possible, constitue au contraire un élément moteur pour la société. En face de nous, très logiquement, une majorité libérale, s'appuyant sur les thèses du MEDEF...

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Ah non, pas le MEDEF !

M. Christian Bataille. ...n'ose pas nous dire que nous allons devoir faire tourner notre économie avec un prix de l'énergie élevé. L'économie fonctionnera si, nous dit-on, l'énergie est payée « à son prix », ce qui doit se traduire par une augmentation de la facture de tous les ménages français. Nous pensons au contraire que contenir le prix de l'énergie à un bas niveau est la clé d'un contrat social en constante amélioration. Cette divergence constitue un beau sujet de débat, susceptible de nous occuper jusqu'à la fin de la discussion de ce texte.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Nous proposons d'écrire dans la loi que le service public de l'énergie est un élément du contrat social pour les personnels et les usagers. Cela peut faire sourire. Mais imaginons un instant que nous soyons dans la majorité - on peut rêver (Sourires) - et que nous ayons inscrit ce principe dans la loi. Je suis sûr que nos collègues qui se trouveraient alors dans l'opposition souhaiteraient déposer un amendement disant que le service public de l'énergie est un élément du contrat libéral pour les actionnaires et les clients.

Je regrette de ne pas avoir le talent dont vient de faire preuve Jean Lassalle, pour dire qu'il y a danger pour le contrat social, qui risque d'être rompu. En effet, l'intérêt des capitaux privés va annihiler progressivement les missions de service public. Il est proposé que 15 % du capital soit détenu par le personnel. Mais lorsque dans le contrat avec le personnel, la course aux actions et les spéculations sur le montant de celles-ci prennent le pas sur l'éthique, un tel changement d'état d'esprit laisse craindre le pire pour l'avenir du service public. C'est pourquoi nous souhaitons que ce texte réaffirme la nécessité pour le service public de l'énergie de conforter le contrat social, à la fois pour les personnels et les usagers, et non pas les clients.

M. le président. La parole est à M. David Habib.

M. David Habib. L'amendement n° 187 introduit une dimension qui me semble attendue par le pays. Il convient de rappeler que le rapport économique que vous voulez installer néglige certains aspects, notamment l'histoire de ce service public, et les missions de service public qu'EDF et GDF doivent continuer d'assumer. Vous en avez pourtant pris conscience, puisque vous avez affirmé être disposés à relever, par le biais d'un amendement, le seuil de la participation des salariés.

En demandant à ce que le lien de contrat social, qui a fait l'histoire et la force de ces deux entreprises que sont EDF et GDF, soit mentionné dès l'introduction de ce texte, nous sommes fidèles à l'histoire de ces entreprises, tout en offrant à celles-ci la capacité de gagner en densité et en force.

Quant aux usagers, nous savons tous, comme l'a rappelé Jean Lassalle, député des Pyrénées Atlantiques, que des questions fondamentales se posent à leur sujet. J'en veux pour preuve la manifestation de colère et d'inquiétude exprimée par les salariés, mais aussi la lassitude et l'amertume de ces Françaises et Français qui, en ville comme en milieu rural, voient chaque jour la qualité du service diminuer, annonçant la disparition pure et simple du service public. Cela vaut notamment pour EDF, comme j'ai pu le constater dans mon département des Pyrénées-Atlantiques. Les usagers attendent aujourd'hui des réponses de qualité, et souhaitent que l'usager soit réintroduit dans la dimension commerciale, industrielle et sociale de ces deux entreprises. Notre amendement est destiné à répondre à cette attente.

Refuser d'écrire que le service public de l'énergie est un élément de contrat social pour le personnel et les usagers constitue également un facteur de rupture en termes de rhétorique politique, quand on se souvient des hommages qui ont été rendus aux personnels d'EDF et GDF à la suite des crises climatiques qu'a connues notre pays ces dernières années.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Même avis. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Desallangre.

M. Jacques Desallangre. Je souhaite apporter quelques éléments en soutien à l'argumentation de mes collègues, en soulignant que ce texte fragilise le service public et que sa rédaction a pour effet de priver les missions de service public de leur réelle portée. Certes, face à l'accélération de l'ouverture à la concurrence, le Gouvernement a beaucoup communiqué sur sa volonté de « conforter » le service public. Mais en réalité, le texte du projet de loi est loin de garantir les missions de service public nécessaires aux citoyens en ce début de xxie siècle.

L'article 1er prévoit que les missions de service public comprennent notamment la sécurité d'approvisionnement et la qualité de service, les moyens d'assurer l'accès au service public, la politique de recherche et développement. Mais la liste fixée par la loi est floue. Elle comprend d'importantes omissions, et est dépourvue de critères quantitatifs. C'est le cas par exemple de la qualité de service, dont on ne sait ce qu'elle recouvre. De même, aucun objectif n'est fixé en ce qui concerne la politique de recherche et de développement, alors qu'une étude récente, sortie le 11 mai dernier, a montré qu'en ce domaine les efforts étaient en nette baisse, et actuellement réduits à des montants très faibles. Comme vous le voyez, certains ont déjà anticipé sur la démarche du privé.

Parfois même, la référence à la qualité du service et à l'accès au service public, et non à la présence territoriale du service public, peut être interprétée comme un feu vert donné à la suppression des services publics, notamment en zone rurale. Il suffira pour EDF et GDF de mettre en avant un critère de qualité, au demeurant souvent contestable et apprécié de manière unilatérale, pour se désengager de ces zones. Or, la présence de personnels d'EDF et GDF et leur implication sont des éléments importants de la vie locale, notamment dans les communes rurales qui voient souvent fermer leurs bureaux de poste et leurs écoles, ce que notre collègue de la majorité, Jean Lassalle, a décrit avec beaucoup de talent et d'émotion.

On peut également noter que ne figure pas dans cette énumération, ni pour l'électricité d'objectif en matière d'enfouissement des lignes électriques, ni pour le gaz d'ambition relative à la desserte de nouvelles communes, ou à la densification du réseau existant. C'est dire le manque d'ambition de ces « objectifs » de service public.

J'ajouterai pour conclure que l'article 1er de la loi dispose que les objectifs et la mise en œuvre des missions de service public sont définis par une simple convention entre EDF-GDF et leurs filiales et l'État, ce dont nous aurons l'occasion de reparler.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 179 à 189.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de onze amendements identiques, nos 113 à 123.

La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. La recherche de l'efficacité du service public de l'énergie ne peut entraîner la mise en œuvre d'un système de tarification contraire au principe d'égalité. Je laisse à mes collègues le soin de développer la question du principe d'égalité au niveau des citoyens, ayant pour ma part choisi de traiter le principe d'égalité du point de vue des industriels.

J'ai relevé ce matin dans les pages saumon du Figaro, un journal qui ne saurait être suspecté d'hostilité à l'égard du Gouvernement, que la remise en cause du principe d'égalité suscitait une très grande inquiétude chez les industriels. Eramet, groupe minier métallurgique intégré - que vous connaissez sans doute, monsieur le président, en tant qu'élu de Dunkerque - déclare ainsi, sur un ton franchement alarmiste : « le renchérissement de l'électricité aura un impact significatif sur nos coûts de production, particulièrement pour l'activité Manganèse, pour laquelle nous ne bénéficions pas de contrats à long terme. » M. Patrick André, directeur de la branche Manganèse de l'usine de Dunkerque, affirme encore : « Nous nous battons pour maintenir la compétitivité de l'usine de Dunkerque. Nous souhaitons trouver une solution qui respecte les intérêts de l'ensemble des acteurs, mais pour le moment les effets théoriques de la concurrence sur les prix de l'électricité ne sont pas probants ».

Je suis très surpris de lire cela. Je pensais que cette loi qui dessert les intérêts des consommateurs domestiques devait au moins emporter l'adhésion des industriels, défavorables au principe d'égalité des tarifs et d'efficacité du service public, la libéralisation constituant pour eux l'alpha et l'oméga de leur vision de la compétition. Or, c'est l'inverse, et il est permis de se demander qui, dans ce pays, défend encore votre système de libéralisation du marché, puisque même ceux qui auraient dû être vos plus fidèles soutiens vous désapprouvent. Ainsi, l'Union des Industries Utilisatrices d'Énergie, - l'UNIDEN - déplore l'impossibilité d'ouvrir une vraie sphère de négociation avec les fournisseurs d'électricité, fondée sur les spécificités des industriels, et que l'organisation du marché exclue les industriels de la fixation des prix. En fait, les industriels sont en train de nous dire qu'il n'y a pas de marché. Votre raisonnement s'effondre donc, puisque la libéralisation des prix de l'électricité ne se justifie que par l'existence d'un marché de l'électricité.

Par conséquent, je crois que ce texte de loi, non seulement n'aura pas d'efficacité, mais sapera ce que le service public, EDF et GDF, avait réussi à construire avec beaucoup de réussite.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. J'espère que M. le rapporteur et M. le ministre répondront un peu plus longuement que précédemment sur toutes ces questions concernant les tarifs.

Le système de tarification qui va être mis en place inquiète en effet les industriels mais aussi les particuliers d'autant qu'on risque de parler non plus de tarifs mais seulement de prix, qui seront fixés à la tête du client et en fonction du marché. La disparition de l'établissement public justifie donc pleinement nos craintes.

Parler de libération au lieu de libéralisation, comme le font certains à la suite d'un lapsus, peut prêter à confusion. La libération, en effet, c'est la cohésion sociale, l'égalité des chances, l'égalité des droits. Avec la libéralisation, en revanche, on est complètement otage du marché, otage de ceux qui peuvent, en matière d'énergie, organiser la pénurie, notamment en période de forte consommation. Rappelons-nous qu'en Californie l'État a été contraint de se substituer aux distributeurs insolvables puisque certains avaient déposé leur bilan. L'État a donc dû acheter de l'électricité directement aux producteurs à des prix qui dépassaient le double de ceux pratiqués avant, non pas la libération, mais la libéralisation.

Voilà pourquoi nous sommes en droit de nous inquiéter quant à l'impact qu'auront ces formes d'organisation du marché avec un acteur privé, puisque EDF va changer de statut. Qui va fixer les tarifs ? Le ministre ? Le régulateur ? J'ai noté qu'un certain nombre d'opérateurs parlent de « profiler » les clients. Les uns vendraient de l'énergie aux boulangers, tandis que d'autres ne traiteraient qu'avec les bouchers ou les quincailliers - encore que ces derniers se fassent de plus en plus rares. (Sourires.)

En tout état de cause, il s'agit là d'une approche qui consiste à sélectionner, en fonction du type de consommation d'énergie, un certain nombre de clients. Or cela implique que d'autres seront laissés pour compte puisqu'on ne nous laisse pas conforter dans ce texte les missions de service public.

Autre interrogation, et j'espère monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, que vous prenez des notes pour pouvoir me répondre...

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Vous parlez trop vite, monsieur Brottes. Nous avons du mal à vous suivre !

M. François Brottes. J'ai lu récemment dans la presse qu'un concurrent d'EDF allait proposer des tarifs d' « électricité verte ». Pouvez-vous m'expliquer comment on va distinguer sur le réseau de transport les électrons de « l'électricité verte » des autres ?

M. François-Michel Gonnot. C'est impossible !

M. François Brottes. Certes, je méconnais les aspects techniques, mais cela me paraît difficile. Dès lors, laissez tenir de tels propos quand on est l'autorité de tutelle, monsieur le ministre, revient à prendre les gens pour des imbéciles.

Voilà pourquoi des éclaircissements sont nécessaires sur toutes les questions relatives aux tarifs. Ainsi, on ne pourra pas raconter n'importe quoi et les usagers, industriels ou particuliers, sauront à quoi s'en tenir.

M. le président. La parole est à M. David Habib.

M. David Habib. Nous sommes en effet au cœur des inquiétudes. Après les préoccupations portant sur la durée, nous en arrivons aux question relatives aux tarifs. Un des éléments du contrat entre l'usager et l'entreprise est aujourd'hui en passe de disparaître et nos concitoyens le sentent bien. Les entreprises aussi se sentent concernées.

Je me souviens ainsi des propos tenus par Jean-Louis Beffat. Il avait expliqué dans un article que, si les industriels devaient s'installer là où la main-d'œuvre est bon marché, ils iraient tous en Chine. Il avait cependant ajouté que la donne énergétique permettait à un certain nombre de territoires de maintenir leur attractivité. Et parmi ceux-ci, on compte les Républiques de l'ex-URSS, qui bénéficient à profusion de matières énergétiques, mais aussi quelques pays occidentaux dont la France. Pour ces derniers, c'est la qualité des services et des investissements réalisés qui fait la différence. À cet égard, et comme l'a dit Claude Birraux, l'effet d'anticipation, dont vous êtes à l'origine - ayons l'honnêteté de le reconnaître - a été déterminant. Il y a aujourd'hui en France, grâce à notre secteur électrique, des éléments d'attractivité qui conduisent les industries à ne pas effectuer leur investissement uniquement dans les pays à faible coût de main-d'œuvre.

Il est donc nécessaire d'apporter, dans ce débat, des précisions sur la question des tarifs. Je ne vois pas en quoi notre amendement qui vise à insérer dans la loi la phrase suivante : « La recherche de l'efficacité du service public de l'énergie ne peut entraîner la mise en œuvre d'un système de tarification contraire au principe d'égalité », serait contraire à vos objectifs.

En l'approuvant, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, monsieur le ministre, vous éclairerez le pays et rassurerez nos concitoyens, les ménages comme les industriels.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. La commission, suivant en cela son rapporteur, a émis un avis défavorable sur ces amendements. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Beaucoup de questions vont être posées tout au long de ce débat et nous aurons souvent l'occasion d'y répondre. Je vais, quant à moi, essayer d'éviter les répétitions. Donc, ne prenez pas mal que, parfois, je me borne à émettre un avis d'un mot. Mais lorsque l'interpellation est nouvelle ou mérite des explications, je m'exprimerai plus longuement.

S'agissant des tarifs et de la citation de M. Bataille extraite des pages saumon du Figaro, article que j'avais lu bien entendu - je savais bien qu'il ne vous aurait pas échappé (Sourires) - je voudrais faire quatre observations.

Premièrement, je note que ces augmentations de tarifs sont antérieures au vote de cette loi, ...

M. François Brottes. C'était de l'anticipation !

M. le ministre délégué à l'industrie. ...qui ne peut donc pas être incriminée.

Deuxièmement, je l'ai déjà dit hier et je le répète aujourd'hui, sans esprit polémique, la politique d'EDF et celle de l'État ont consisté pendant très longtemps à consentir des avantages tarifaires, en particulier à la grosse industrie, et ce au détriment des petits et des moyens consommateurs. Or l'ouverture à la concurrence, décidée, rappelons-le, par le gouvernement précédent, oblige aujourd'hui à revenir à la parité.

M. Christian Bataille. Directive de 1996 !

M. le ministre délégué à l'industrie. Troisièmement, et cela ne vous aura pas échappé, l'augmentation des prix est due, pour une grande part, à la restructuration de RTE et à la modification des tarifs en résultant, qui remontent aux premières semaines de l'année 2002.

M. François Brottes. Nous vérifierons !

M. le ministre délégué à l'industrie. Vérifiez donc. Nous verrons si vous en reparlez !

Quatrièmement, enfin, et pour reprendre l'exemple d'Eramet, je rappellerai que cette entreprise, qui avait un contrat « effacement des jours de pointe » à vingt-quatre euros, a décidé, profitant de l'éligibilité, de sortir de ce système pour choisir un tarif à vingt euros, ce qui était profitable. Malheureusement, c'était un contrat à courte durée. Depuis, les conditions ont changé et son fournisseur lui a proposé un contrat à trente euros, ce qui a conduit Eramet à revenir vers EDF pour bénéficier d'un contrat à long terme plus avantageux. Bien sûr, EDF est d'accord mais lui propose désormais un tarif sur les bases du tarif actuel.

Tout cela montre que le dirigeant d'Eramet a plutôt à se plaindre des choix stratégiques qu'il a faits en matière de fournisseurs d'énergie et qui se sont révélés moins favorables qu'il ne l'espérait. Il ne peut s'en prendre qu'à lui-même.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Le sujet est important. Monsieur le ministre, vous venez d'indiquer, et vous l'aviez déjà expliqué hier, que les tarifs les plus bas possible avaient été consentis aux industriels au détriment des usagers domestiques.

M. François-Michel Gonnot. C'est le théorème de Montreuil !

M. Daniel Paul. M. Brard vous a donné rendez-vous pour débattre de cela au sein de sa belle cité !

M. le ministre délégué à l'industrie. Je m'y rendrai volontiers à l'occasion des prochaines élections !

M. Daniel Paul. Monsieur le ministre, il y a une vie dans ce pays en dehors des campagnes électorales. (Sourires.)

Donc, malgré cette distorsion, les usagers domestiques, grâce à la façon dont fonctionnait EDF, bénéficiaient de tarifs parmi les plus bas, sans doute. J'ai cité tout à l'heure M. Peyrelevade, je vais à présent faire référence au patronat de la branche électrique qui indique que les grands consommateurs ont enregistré une hausse de 50 % des prix de l'électricité depuis le début 2003.

De même, Louis Gallois, président de la SNCF se plaint que EDF ait renchéri sa facture de 200 millions d'euros en 2004. Quant à Bernard Brun, président de l'UFE, il a indiqué que le prix du mégawatt allait passer de 32,60 euros en 2003 à 34,5 en 2 204 pour atteindre 40 euros en 2007. Il chiffre la facture pour les industriels à 1,45 milliard d'euros entre 2003 et 2004 en surcoût. Je précise que ce propos n'a pas été démenti.

M. Beffa - et on ne peut le soupçonner d'être un collaborateur du groupe communiste de l'Assemblée nationale -, président de Saint-Gobain, quatrième consommateur de courant électrique dans notre pays, a déclaré, quant à lui, : « La France est en train de perdre un de ses meilleurs avantages comparatifs : le prix bas de l'énergie. Il y a peu, nous bénéficiions d'un différentiel favorable de 30 % vis-à-vis de l'Allemagne. Si cela continue, sachez-le, nous partirons, vraisemblablement vers la Russie. » (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Richard Mallié. À Moscou !

M. Daniel Paul. Je me contente de citer M. Beffa. Demandez-lui des comptes, si vous voulez.

Il indique encore : « Le monopole a donné un avantage concurrentiel à la France. Ce n'est pas le statut d'EDF qui est en cause » - qu'un grand patron dise cela est pour le moins intéressant ! - « mais bien les orientations erronées de la Commission européenne. »

M. François-Michel Gonnot. Ce sont les effets de la loi Bataille !

M. Daniel Paul. Monsieur le ministre, depuis 1946, EDF a été un des premiers atouts, sinon le premier, du développement industriel de notre pays. Il est clair que la façon dont cette entreprise publique a fonctionné a permis, non seulement la reconstruction du pays et la mise en place d'un tissu industriel relatif aux problèmes énergétiques incomparable, sans doute, au niveau international, mais aussi à un certain nombre de nos leaders industriels de se développer en faisant de la question énergétique une question, non pas tributaire des marchés financiers, mais centrale pour le développement économique de notre pays et pour la justice sociale.

C'est cela qu'au nom de la rentabilité, vous êtes prêts à remettre en cause. Monsieur le ministre, dans votre réponse, vous avez en permanence évoqué le marché. Eramet n'a qu'à s'en prendre qu'à lui-même, avez-vous dit. Mais, derrière Eramet - et il y a une entreprise Eramet près du Havre, à Sandouville -, il y a des hommes et des femmes. Et je ne crois pas qu'on puisse laisser dire qu'une erreur des patrons pourrait entraîner la perte de filières industrielles comme celle du nickel.

M. le ministre délégué à l'industrie. Ce n'est pas ce que j'ai dit !

M. Daniel Paul. Vous ne l'avez pas dit, mais c'est sous-entendu : si, dans le domaine de l'énergie, les patrons font des erreurs, ils n'ont à s'en prendre qu'à eux-mêmes ! Cette idée, qui n'avait pas cours auparavant, participe de plus en plus à la fragilisation de nos entreprises.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Tout d'abord, je voudrais remercier M. Devedjian de m'avoir apporté des réponses précises. Je vérifierai naturellement son explication de l'augmentation des prix.

Je voudrais lui dire également que j'ai beaucoup apprécié son attitude à propos des tarifs des SMS.

J'en reviens au domaine de l'énergie. Parmi les coûts importants que supportent les entreprises industrielles figurent les charges liées au personnel. C'est pourquoi nous sommes nombreux ici, sur nos bancs et sur ceux du groupe UDF, à nous battre pour instaurer une harmonisation sociale en Europe et pour éviter le dumping social. De la même façon, nous nous battons pour l'harmonisation fiscale, parce que le poids des impôts est important pour les entreprises. La taxe professionnelle, par exemple, doit être préservée car elle permet aux collectivités d'être les partenaires des entreprises situées sur leur territoire.

L'énergie étant un autre poste important des charges de l'entreprise, il serait judicieux d'envisager une harmonisation européenne des coûts de l'énergie. Or nous n'allons pas vers une harmonisation. Ce qui est important, monsieur le ministre, c'est d'instaurer au moins une concurrence transparente et honnête.

J'ai évoqué tout à l'heure le tarif vert. Cette option, qui sera proposée par l'un des opérateurs du marché, garantira un certain pourcentage d'énergie verte dans l'offre d'énergie. Si de telles publicités comparatives sont autorisées, dans la presse ou à la télévision, où va-t-on ? Dans un souci d'honnêteté, il faut que les clients - puisque c'est ainsi qu'il faut désormais les appeler - soient correctement informés.

L'État ne peut se dessaisir de la question des tarifs et dire que cela n'est pas son problème. C'est un domaine qui nécessité un contrôle et de la rigueur. Je souhaite savoir comment tout cela va s'organiser, car nous abordons un monde qui risque de ressembler à une jungle ou à un champ de mines. Je ne sais pas comment cela finira, mais en tout état de cause, compte tenu du poids du poste énergie dans les comptes d'exploitation de nos entreprises industrielles, je crois, comme Christian Bataille, que nous ayons beaucoup de souci à nous faire.

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Je débuterai mon propos par une remarque anecdotique. J'entends notre collègue Gonnot marteler à tort et à travers : « C'est la loi Bataille ! ». Je ferai, je m'en excuse, un peu de nombrilisme en disant que je ne connais qu'une loi Bataille, c'est la loi du 30 décembre 1991 sur la gestion des déchets radioactifs à haute activité. Mais je crois comprendre que M. Gonnot fait allusion à la loi de février 2000 sur l'électricité.

M. François-Michel Gonnot. Je confirme !

M. Christian Bataille. À ma connaissance, cette loi est assumée collectivement par le gouvernement Jospin. On pourrait l'appeler la loi Jospin ou la loi Pierret, car Christian Pierret était alors secrétaire d'État à l'industrie. Quant à moi, j'étais rapporteur du projet de loi et j'en assume totalement le contenu. Ce texte avait d'ailleurs fait l'objet d'un large consensus au sein de la majorité d'alors, mais vous, vous l'aviez combattu, estimant que nous n'allions pas assez loin dans la libéralisation, l'ouverture des marchés et la privatisation des entreprises publiques.

Cette loi, sur laquelle nous reviendrons au cours de l'examen de ce texte, était une loi de transposition a minima d'une directive européenne voulue par vous, par les accords Chirac - Kohl, par le gouvernement Juppé et présentée ici même en 1996 par un ministre de vos amis qui s'appelait Franck Borotra. Rendons à César ce qui est à César, et à Borotra ou à Juppé ce qui est à Borotra ou à Juppé.

Concernant Eramet, monsieur le ministre, votre documentation est parfaite, mais permettez-moi de vous livrer mon sentiment sur ce qui s'est passé : le groupe Eramet a délaissé l'entreprise publique pour se tourner vers une entreprise concurrente. Il a été déçu par celle-ci et veut revenir vers l'entreprise publique. Pour ma part, je m'en réjouis, mais je pense que l'entreprise publique doit faire preuve de plus de disponibilité. Qu'une entreprise quitte l'entreprise publique pour aller voir ailleurs, c'est la loi de la concurrence. Mais une entreprise qui est déçue de la concurrence doit pouvoir, dans des conditions négociées et convenables, revenir vers l'entreprise publique sans être punie ni mise à l'index parce qu'elle a momentanément abandonné son contrat.

M. François-Michel Gonnot. Je ne suis pas d'accord. Avec vous, c'est ceinture et bretelles !

M. Christian Bataille. Le fait que l'entreprise publique retrouve un client dont elle avait été momentanément privée ne peut que nous réjouir. Je souhaite pour ma part qu'EDF, dans un marché concurrentiel, montre sa valeur afin de regagner les parts de marché qu'elle a perdues. Je ne sais pas ce qui se passe chez EDF aujourd'hui, mais ils ne me semblent pas suffisamment combatifs.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 113 à 123.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Monsieur le président, je vous demande une suspension de séance au nom de mon groupe, pour permettre au rapporteur de consulter ses notes avant de nous répondre.

Je dis cela avec beaucoup de sérieux, monsieur le rapporteur. En commission, nous avons accepté de travailler vite pour laisser toute sa place au débat dans l'hémicycle. Or je note que seuls participent les signataires des amendements et le Gouvernement. C'est dommage. Nous avons tous notre place dans à ce débat, monsieur le rapporteur, et votre contribution est souhaitable.

Monsieur le président, je vous remercie de nous accorder une suspension de séance.

M. le président. Je vais suspendre la séance pour quelques minutes.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons l'examen des amendements avant l'article 1er.

Je suis saisi de onze amendements identiques, nos 124 à 134.

La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. J'espère que cette suspension vous aura permis, monsieur le rapporteur, d'étoffer vos réponses : c'est nécessaire, car ce sont elles qui éclaireront l'interprétation qui devra être faite de la loi. Il est vrai que pour l'instant rien n'a été voté, puisque l'Assemblée a rejeté toutes les propositions qu'on lui a faites. C'est donc de peu d'importance, et cela explique peut-être votre comportement. Nous reposerons pourtant ces questions ultérieurement, et j'espère que d'ici là vous aurez eu le temps de préparer vos réponses, notamment à propos des tarifs.

Ces amendements visent à préciser que « la recherche de l'efficacité du service public de l'énergie ne peut entraîner la mise en œuvre d'un dispositif contraire au principe de continuité ». On sait bien en effet qu'il pourra arriver, autant au niveau de l'offre, de la production d'énergie, que de la demande, que certains opérateurs trouvent un intérêt à rompre ce principe de continuité, et par là même à dégrader le service public ici ou là, « à la tête du client ». C'est la raison pour laquelle nous souhaitons que soit confirmé le principe de continuité comme un élément essentiel de la notion du service public. Je rappelle d'ailleurs qu'il en fait intégralement partie, qu'il s'agisse du service public de la santé, de celui de l'éducation, des télécommunications ou de la Poste, ou de ce qui en reste dans ces deux derniers cas.

M. le président. La parole est à M. David Habib.

M. David Habib. Il s'agit là encore d'un principe fondamental de fonctionnement des services publics. Toute leur organisation vise à assurer la continuité, et notre souci est de voir perdurer ce principe.

Or la stratégie d'actionnaires privés peut les amener à organiser, soit une raréfaction de l'offre, soit une désorganisation de celle-ci. Au-delà des choix qui interviendront dans la suite de la discussion parlementaire, ou à l'issue des travaux de la commission que le ministre a évoquée, et qui doit lui remettre un audit de la situation d'EDF et de GDF, notre responsabilité est d'organiser les conditions de fonctionnement de ces deux entreprises, en particulier de maintenir ce principe de continuité, qui est depuis cinquante ans au cœur du fonctionnement de ces entreprises. Ce faisant, on assurera l'efficacité, la compétitivité et l'attractivité de ces deux entreprises une fois qu'elles auront passé le cap de cette loi. C'est pourquoi nous vous demandons de voter cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je ne voudrais pas laisser sans réponse les questions de notre collègue François Brottes.

Comme je l'ai dit au début de la séance, la commission a repoussé un certain nombre d'amendements qui ont été déposés par le groupe socialiste, parce que ces amendements tendaient à introduire dans le texte des notions assez vagues...

M. François Brottes. C'est un point de vue !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. ...et ce, avant même l'examen de l'article 1er.

Je rappelle que l'article 1er, comme l'article 2, a pour objet le service public. Nos collègues socialistes voudraient donc que nous parlions du service public avant même que nous abordions le premier article consacré au service public. Pourquoi ne pas en parler à l'occasion de l'examen de l'article 1er, qui sera l'occasion de confronter nos conceptions quant à cette notion importante ?

Vos amendements développent des considérations de portée générale, sur lesquels il n'y a pas beaucoup à redire. Nous pouvons dans une certaine mesure adhérer aux principes que vous évoquez.

M. François Brottes et M. David Habib. Votez les alors !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je qualifierai de telles considérations de melliflues.

M. François Brottes. Pardon ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je voudrais revenir à votre question concernant certains contrats de fourniture d'électricité. Vous avez évoqué les contrats de fourniture d'énergie « verte », si chère à certains de nos collègues, pour vous demander comment le client peut avoir la garantie que les watts qu'il utilise viennent bien d'une éolienne par exemple, d'une centrale biomasse ou d'une centrale au fil de l'eau, en bref d'une source d'énergie renouvelable. Afin d'éclairer dès maintenant l'Assemblée à propos d'autres questions qui seront posées dans la suite de nos débats,...

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C'est le cas de le dire !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. ...je voudrais vous apporter une réponse générale. Il est bien évident qu'un producteur d'électricité ne va pas directement fournir à son client une électricité acheminée à travers les réseaux. Imaginons par exemple un fournisseur d'électricité sis en Belgique, dont un client se trouve, disons à Mortagne-au-Perche. (Sourires.) Ce ne sont évidemment pas les kilowatts produits en Belgique qui vont arriver à Mortagne-au-Perche. À la suite de décalages successifs, l'électricité arrive sur les réseaux de transport en France, et l'électricité ainsi acheminée permet de fournir des kilowatts à d'autres clients, et ainsi, par un jeu de dominos, on arrive à servir le client final. Il est bien entendu impossible d'assurer la « traçabilité », ni de l'électron, ni de la molécule de gaz.

M. François Brottes. Alors c'est de la publicité mensongère !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Pas du tout ! Preuve en est que des associations de promotion de l'électricité « verte » militent pour que les contrats de fourniture d'électricité obéissent à une exigence minimale de transparence, de vérité et de sincérité.

M. François Brottes. Le « minimale » m'inquiète !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Mon cher collègue, si je ne me suis pas étendu davantage tout à l'heure, et si je n'ai finalement pas répondu à votre question, c'était par courtoisie, car je ne voulais pas vous mettre en difficulté : vous connaissez ma capacité à ménager l'opposition. Il se trouve en effet que cette question a été abordée lors de l'examen de l'article 9 du projet de loi d'orientation sur l'énergie. Désormais, selon ce texte, un fournisseur qui s'est engagé par contrat à fournir une certaine quantité d'énergie « verte » devra produire un certificat garantissant qu'il s'est approvisionné pour la même quantité à partir d'énergies renouvelables. Cet article 9 a fait l'objet d'amendements du groupe socialiste, dont un amendement n° 73 rectifié, déposé par François Brottes, qu'il semble avoir déjà oublié.

M. François Brottes. Rappelez-moi son texte !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je ne voulais pas vous clouer au pilori, en vous prenant en flagrant délit d'oubli devant vos collègues sur une question à laquelle vous attachez autant d'importance. J'avais préféré feindre qu'il valait mieux finalement qu'on n'en parlât plus en séance publique. Voilà, mon cher collègue, ma réponse à votre question.

M. François Brottes. Pourquoi ne pas dire quel était le texte de l'amendement ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Si vous voulez que je vous rappelle votre propre question, alors là vous m'inquiétez considérablement !

M. le président. Si je vous ai bien compris, monsieur le rapporteur, vous êtes défavorable à ces amendements ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Pardonnez-moi, monsieur le président, j'aurais dû le préciser d'emblée : la commission a en effet émis un avis défavorable, suivant en cela, et son président, et son rapporteur.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 124 à 134.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de onze amendements identiques, nos 135 à 145.

La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Ces amendements précisent que « la recherche de l'efficacité du service public de l'énergie ne peut entraîner la mise en œuvre d'un dispositif contraire au principe de transparence ». L'exigence de transparence s'impose en démocratie, et le service public de l'énergie ne doit pas faire exception. Cela signifie que les principes de sa gestion doivent pouvoir être exposés au grand jour, à tous les citoyens, qui sont aussi des acteurs de ce secteur. J'avais déjà, il y a plus de dix ans, en conclusion d'un rapport sur les déchets nucléaires, relevé le défaut de transparence qui affligeait cette filière.

M. Yves Cochet. Eh oui !

M. Christian Bataille. Cette remarque vaut pour beaucoup d'autres secteurs de l'énergie. Je ne citerai que deux exemples. Le développement international d'EDF et de GDF s'est fait dans une opacité totale, sans que la représentation nationale en soit tenue informée, sinon a posteriori. Nous sommes d'ailleurs toujours dans l'incertitude quant aux résultats, positifs ou négatifs, de cette stratégie ; mais je crois bien qu'ils sont assez largement négatifs, et que s'ils sont positifs c'est depuis peu. En tous les cas, nous, qui sommes des acteurs de la démocratie, bien plus qui sommes l'expression de la volonté générale puisqu'issus du suffrage universel, nous n'en savons pas grand-chose.

Mon deuxième exemple de défaut de transparence, déjà évoqué hier par notre collègue Cochet, et sur lequel nous reviendrons, concerne la gestion des fonds destinés au démantèlement des centrales nucléaires et à la gestion des déchets radioactifs. Cela fait des dizaines d'années que des sommes conséquentes sont prélevées sur le produit de la vente d'électricité. On ne sait pas à quelles dépenses ont été consacrés ces fonds, puisqu'ils sont confondus dans les autres recettes d'EDF - peut-être ont-ils assuré le développement international de l'entreprise.

Il est temps en tout cas que notre assemblée, à l'occasion de ce texte ou d'un texte prochain, définisse des principes de transparence, qui permettront aux citoyens, par l'intermédiaire de leurs représentants, des parlementaires en particulier, d'être associés à la gestion de ce service public.

J'en resterai là, monsieur le président. Je voulais simplement illustrer cet amendement de quelques exemples, que j'aurais pu multiplier.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Nous sommes attachés au principe de transparence car nous souhaitons que la traçabilité soit garantie quand c'est possible et que, si elle ne peut l'être, on n'autorise pas les mensonges !

La mémoire m'est revenue, monsieur le rapporteur, à propos de l'amendement n° 73 rectifié dont vous venez de parler, et qui a d'ailleurs été adopté. Il prévoyait que lorsqu'on est auto-producteur d'énergie, on peut bénéficier de cette disposition. Or si on est auto-producteur, on consomme sa propre production et, dans ce cas-là, la traçabilité est bien garantie !

Par contre, proposer à un client de lui fournir 20 % d'énergie « verte » au prétexte qu'on s'approvisionne ou qu'on produit 20 % d'énergie « verte » très en amont, c'est de la publicité mensongère ! Je fais le parallèle avec un restaurant où l'on vous propose une soupe bio et sans OGM à 20 % parce qu'on achète 20 % de légumes ainsi garantis. Il y aura des soupes bio et sans OGM à 100 % et des soupes non bio ! C'est logique ! La loi devrait interdire de telles dérives. Nous devrions effectivement autoriser un producteur à signaler qu'il s'approvisionne en énergie « verte » à 20 % - ce qui n'est pas un scandale si c'est vérifié. Mais faire croire à un client qu'il lui fournit strictement la même proportion d'énergie « verte », c'est un abus de langage qui risque de donner de faux arguments à la concurrence.

On a besoin de transparence en matière d'offre d'énergie. D'ailleurs, dans beaucoup d'autres domaines, comme les télécoms dont je parlais tout à l'heure, on ne sait plus ni lire une facture ni comprendre un abonnement. Nous sommes alors obligés de légiférer car il y a tant d'abus en matière d'offres, de mélange des genres, que les clients n'y comprennent plus rien !

Monsieur le ministre, je regrette que votre gouvernement - mais vous n'étiez pas dans ce ministère à l'époque - n'ait pas daigné faire appliquer la loi sur les nouvelles régulations économiques. Celle-ci avait pourtant mis en place un dispositif visant à sécuriser les usagers des banques. Malheureusement, vous n'avez pas souhaité traduire cette disposition législative instaurant une obligation de transparence au travers de dispositions réglementaires, et vous avez simplement préconisé la mise en place d'une charte de bon comportement. On voit où cela mène : on ne comprend toujours rien à ce qui est prélevé par les établissements bancaires !

Par conséquent, ce principe de transparence en matière de fourniture d'énergie est essentiel. Nous y sommes attachés et je ne vois pas pourquoi, chers collègues, vous ne le voteriez pas. Il pourrait, je pense, faire l'unanimité sur nos bancs.

M. le président. La parole est à M. David Habib.

M. David Habib. Cette notion de transparence concerne bien évidemment l'approvisionnement et les tarifs, mais elle doit également s'imposer en matière d'évolution des technologies à laquelle nous allons immanquablement être confrontés.

Comme nous l'avons souligné les uns et les autres, il est nécessaire, aujourd'hui, de mobiliser toutes les énergies, d'avoir une vision européenne, voire internationale en matière de recherche énergétique pour encourager les énergies susceptibles de répondre à l'accroissement de la demande tout en préservant les gisements existants et l'environnement tel que nous souhaitons le léguer à nos enfants.

Il est absolument nécessaire de donner au pays le sentiment qu'il doit s'approprier ces problématiques. En refusant cette transparence, vous risqueriez de faire du secteur énergétique une affaire privée, une chasse gardée que se disputeraient quelques groupes industriels uniquement intéressés à une compétition marchande. Or je n'ai aucune raison de penser que telle est votre volonté.

Poser dans la loi ce principe de transparence garantirait que ce service public mis en place après la Seconde guerre mondiale pourra se perpétuer, traduisant en cela le souci d'avoir une vision collective des enjeux et la volonté de privilégier l'intérêt général.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur ce bloc d'amendements ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. La commission, suivant en cela et le président et le rapporteur, a émis un avis défavorable.

Je reviens sur les observations de notre collègue François Brottes au sujet de l'énergie « verte » : c'est tout de même ce gouvernement qui, pour éviter tout risque de tromperie, a proposé que les certificats soient inscrits dans la loi d'orientation sur l'énergie.

Sur un plan simplement physique, je vous rappelle qu'il y a une loi, jamais votée par le Parlement, qui fait qu'un électron circulant depuis un endroit donné n'est pas l'électron consommé lorsque vous êtes client final à x kilomètres du lieu de production. Il en est ainsi également pour les molécules de gaz. Évitons donc toute confusion.

Dernière remarque : en Californie, mon cher collègue Bataille, des personnes acceptent de payer de 20 à 30 % plus cher l'électricité « verte ». C'est une orientation intéressante pour encourager la production de cette dernière.

M. Yves Cochet. Mais non !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Là est la vertu : le courage. Nous pourrions éventuellement prévoir une telle disposition dans la loi d'orientation.

Quant aux amendements, ce sont encore une fois des déclarations de principe et des tautologies.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Même avis que la commission.

M. le président. La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet. À propos de la transparence, je voudrais d'abord rectifier le propos de notre collègue Brottes sur la traçabilité des « électrons verts ». Lorsqu'on est auto-producteur renouvelable d'électricité, la convention avec le réseau de transport ne précise pas qu'on autoconsomme ce qu'on produit et que, si on produit plus, on devra le réinjecter dans le réseau, avec les normes techniques adéquates, sachant que les kilowattheures éoliens, photovoltaïques ou de cogénération seront payés. Tel n'est absolument pas le cas.

En fait, d'après les conventions actuelles passées entre un auto-producteur privé, semi-privé ou public - en tout cas local - d'énergie renouvelable électrique et le réseau de transport, tout ce qu'on consomme est fourni par EDF - les consommateurs de base pourront peut-être acheter le courant ailleurs par la suite - et tout ce qu'on produit est revendu. Il y a donc un aller-retour : on ne peut pas simplement revendre le surplus.

J'ajoute, et c'est grâce à nous avec la loi du 10 février 2000, que c'est même plus intéressant pour l'auto-producteur. Par exemple, le kilowattheure éolien est vendu à EDF un peu plus cher que le kilowattheure normal que nous recevons d'EDF en consommant de l'électricité pour nos besoins quotidiens. On a donc intérêt à tout revendre et à tout acheter. En effet, si l'on ne revendait que le surplus, on gagnerait moins.

J'ai fait ce petit calcul car je suis moi-même auto-producteur depuis un quinzaine d'années et je revends du courant à EDF. Mes factures d'électricité sont donc négatives - pour les mois les plus éclairés, puisque ce sont des installations photovoltaïques. Ce type de convention est donc plus intéressant : je dépense tout grâce à EDF, je revends tout et j'en tire avantage d'un point de vue financier. Voilà pour la traçabilité.

Cela étant dit, je suis d'accord avec M. Lenoir : on ne peut pas suivre l'électron vert, il n'y a pas une marque génétique de l'électron vert. Tout cela, c'est du négoce.

Dernier point, M. Bataille a parlé excellemment de la non-transparence des fonds et de la gestion d'EDF. Nous y reviendrons car j'ai quelques amendements sur les fonds de démantèlement des centrales et les fonds de gestion des déchets.

Pour terminer, je citerai M. Arthuis - qui est quand même président de la commission des finances du Sénat ! -, s'interrogeant sur la transparence de la gestion d'EDF : « Si EDF devait comptabiliser une provision correspondant aux droits acquis pour les retraites des salariés et des anciens salariés, elle atteindrait probablement 60 milliards d'euros, une somme absolument colossale qui représente le double du montant de la dette de l'entreprise et trois fois le montant de ses fonds propres. Pour obtenir la garantie de l'État sur les engagements en matière de retraite, EDF devra lui verser une soulte, sans doute de 10 milliards d'euros, pesant le tiers du chiffre d'affaires annuel d'EDF. Je ne sais pas d'où ils sortiront l'argent. »

Hier, en présentant le projet de loi, M. Sarkozy a annoncé la constitution d'une grande commission chargée d'établir la transparence des comptes. Mais il y a un problème : comme pour la loi d'orientation sur l'énergie dont nous n'aurons la version finale qu'après l'examen de cette loi de privatisation d'EDF, nous connaîtrons exactement la santé financière d'EDF seulement après avoir transformé EDF en société anonyme. C'est le monde à l'envers ! Monsieur le ministre, peut-on légiférer sur le monde à l'envers ?

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 135 à 145.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de onze amendements identiques, nos 146 à 156.

La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. La recherche de l'efficacité du service public de l'énergie ne peut s'éloigner des objectifs de cohésion sociale auxquels ce service doit répondre. Effectivement, l'électricité revêt une dimension sociale. Cela peut paraître absurde, voire risible, pour un économiste pur, mais l'électricité n'est pas seulement un bien que l'on achète et que l'on revend : en France, dans notre culture, dans notre histoire, elle n'est pas seulement du commerce, elle est aussi de la relation sociale.

Nous avions formalisé cela dans la loi de 2000 en considérant que l'énergie est, comme l'air et l'eau, un bien auquel tout citoyen a droit. Ce droit à l'énergie étant posé, la société doit offrir une garantie minimale d'énergie à tout citoyen. On pourrait multiplier les exemples.

On parle de cohésion sociale, mais en même temps on ne peut que déplorer ce qui se produit en ce moment, à savoir le trouble social provoqué par les initiatives du Gouvernement. EDF doit être un ciment dans notre société. Or on constate aujourd'hui - mais les organisations propres à EDF y veillent - que les salariés d'EDF et de GDF pourraient se trouver isolés dans le tissu social de la nation.

Un dernier point - c'est aussi un objectif de cohésion sociale, mais nous y reviendrons en une autre circonstance - : quand l'électricité est garantie en tout point du territoire, il s'agit aussi de cohésion nationale et de cohésion territoriale. Cela signifie que l'électricité va partout sur notre territoire, sans distinction de niveau social, et qu'il ne saurait y avoir des villes ou des quartiers privilégiés par une distribution électrique de haute qualité et, ailleurs, des secteurs ruraux ou des banlieues dont l'électricité serait de moindre qualité. Cela existe dans certains pays, notamment dans ceux où la libéralisation de l'électricité continue ses ravages.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Chacun l'a compris, en transformant l'établissement public en société anonyme, ce texte marque la première étape du démantèlement de nos grands services publics de l'énergie. Face à cela, on ne peut qu'éprouver un sentiment de déchirement. Les agents du service public vont devenir de banals actionnaires, à qui l'on tâchera d'inculquer qu'ils ne doivent avoir qu'un seul souci, faire progresser le cours de l'action. Or, on constate qu'ils n'adhèrent pas à cette logique.

À travers cet amendement, nous souhaitons donc réaffirmer que le service public de l'énergie doit prendre en compte un objectif de cohésion sociale, car l'électricité est un bien de première nécessité. Je n'en dis pas plus et renvoie chacun, avec un peu de solennité, à l'oraison funèbre qu'a prononcée tout à l'heure Jean Lassalle, lorsqu'il a expliqué que ce texte était un enterrement de première classe pour l'un des derniers grands services publics de notre pays.

M. le président. La parole est à M. David Habib.

M. David Habib. Avec cet amendement, nous souhaitons rappeler que l'énergie est un bien universel. L'accès à la ressource énergétique est pourtant encore socialement discriminatoire et l'on constate de grandes disparités dans son utilisation, liées à la situation sociale de nos concitoyens. Il fut un temps où certains mettaient en cause les dispositifs d'économie d'énergie, qu'ils disaient susceptibles de priver une partie des Français de la possibilité d'accéder au confort − on a oublié un peu trop rapidement les réalités de cette époque.

En rappelant que la cohésion sociale doit être au cœur du nouveau dispositif énergétique, nous ne faisons que replacer EDF et GDF face aux missions qui, nous ne cessons de le répéter, leur ont été assignées à l'issue de la Seconde Guerre mondiale.

Le rapporteur nous dira sans doute que cet amendement est purement déclaratif. Peut-être, mais il est utile. En la matière, le pays a besoin de connaître la position de l'Assemblée nationale. Du reste, en exprimant ce vœu de cohésion sociale, nous ne sommes guère éloignés des déclarations de principe de quelques-uns des plus hauts dirigeants français. Le Président de la République lui-même ne disait rien d'autre au lendemain des élections régionales et cantonales. Nous souhaitons simplement que ses déclarations se traduisent en actes. Ceux qui, chaque jour, protestent de leur fidélité à son égard ne sauraient trouver cela impossible.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements nos 146 à 156 ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Bien que M. Habib ait préjugé de ma réponse, son intervention n'était pas inutile. Mes chers collègues, vous avez été plusieurs à parler de cohésion sociale. Vous en parlez peut-être, mais c'est nous qui la pratiquons.

M. Daniel Paul. Allons bon !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Un exemple : la loi du 10 février 2000 − que notre collègue Christian Bataille connaît bien, pour en avoir été le rapporteur − contient une disposition qu'a introduite un amendement du groupe communiste et qui institue le tarif social. Cette loi, qui fut discutée en 1999, ne fut publiée au Journal officiel que le 11 février 2000. Un décret d'application était prévu. Que s'est-il passé en 2000 ? Rien. En 2001 ?

M. Richard Mallié. Rien !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Rien. En 2002 ?

M. Richard Mallié. Rien !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Rien. Il a fallu attendre le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin pour lire enfin, dans le Journal officiel, le décret qui permet...

M. François Brottes. Rien ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. ...d'appliquer la disposition concernant le tarif social. Cela intéressait pourtant 1,5 million de personnes, ce qui n'est pas rien. Vous aviez le temps et vous ne l'avez pas fait ; nous, nous l'avons fait.

Du reste, le texte dont nous discutons va encore plus loin dans cette voie. La majorité de la commission des affaires économiques a adopté un amendement de son rapporteur qui étend le bénéfice du tarif social aux services, ce qui est une amélioration importante. Certains services étaient en effet facturés au client à qui l'on rétablissait l'électricité ou le gaz. Je ne doute pas que l'opposition adoptera cet amendement, mais on voit bien que, si elle parle beaucoup de cohésion sociale, c'est nous qui la mettons en place.

La commission est donc défavorable aux amendements nos 146 à 156.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Également défavorable.

Je voudrais ajouter quelques mots aux explications données par le rapporteur. L'article 1er, alinéa 3, de la loi du 10 février 2000 stipule que le service public « concourt à la cohésion sociale, en assurant le droit à l'électricité pour tous, à la lutte contre les exclusions, au développement équilibré du territoire, dans le respect de l'environnement, à la recherche et au progrès technologique, ainsi qu'à la défense et à la sécurité publique ». Cela figure donc déjà dans la loi et je ne vois pas ce qu'apporteraient les amendements dont nous discutons. Ils devraient être retirés.

M. le président. La parole est à M. Léonce Deprez.

M. Léonce Deprez. Une fois de plus − et comme ce matin, déjà, à propos des mesures à prendre pour lutter contre la haine et la discrimination −, un accord général se dessine. Il est très intéressant de vivre nos débats, car on se rend compte que, bien souvent, par des voies différentes, chacun tend au même objectif. Ainsi, nous nous accordons pour vouloir la cohésion sociale et nous considérons tous que l'électricité, comme le chemin de fer, est un lien social.

M. Yves Cochet. Ah !

M. Léonce Deprez. Personne ne dira le contraire et il est bon de le souligner. C'est vrai sur tous les plans, économique, financier ou humain.

L'excellent rapport de M. Lenoir considère d'ailleurs que « la loi n° 2000-108 précitée donne une valeur législative aux missions de service public dans le secteur électrique. Elle définit l'objet du service public de l'électricité qui est de "garantir l'approvisionnement en électricité sur l'ensemble du territoire national (...) dans le respect des principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité, et dans les meilleures conditions de sécurité, de qualité, de coûts, de prix et d'efficacité économique, sociale et énergétique". » Ainsi, l'Assemblée a déjà avalisé ce principe en votant la loi n° 2000-108. Il n'est pas utile d'en rajouter : tout le monde approuve cela, qui figure déjà dans les textes.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Encore une fois, monsieur le président, nous traitons d'un sujet fort intéressant. Je remercie M. le rapporteur d'avoir rappelé que c'est à l'initiative du groupe des députés communistes que le tarif social a été mis en place.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Mais il ne s'est rien passé !

M. Daniel Paul. Mais si, monsieur le rapporteur.

Aujourd'hui, dans certains départements − ma collègue et camarade Mme Jambu peut en témoigner −, les sommes nécessaires pour faire face aux besoins des familles en difficulté sont très insuffisantes. Parfois même, l'accès à ces aides est extrêmement difficile. Lorsque l'année se termine et qu'on demande un bilan aux autorités préfectorales, on découvre qu'une grande partie de l'argent disponible n'a pu être utilisée, tout simplement faute de bonne volonté.

Mme Janine Jambu. Exactement !

M. Daniel Paul. Je remercie Léonce Deprez de l'avoir dit : tout le monde s'accorde pour reconnaître qu'une entreprise comme EDF doit avoir un rôle social parmi ses missions.

Six millions de Français connaissent des fins de mois difficiles − et souvent, pour eux, la fin du mois commence quelques jours après son début. Cette mesure a donc une grande importance. Monsieur le ministre, puisque nous en sommes aux bilans, vous serait-il possible de dresser celui de cette opération ? De quelle manière ces sommes sont-elles utilisées, année après année ? Pourrait-on mieux les répartir ? L'application de cette mesure pourrait-elle être plus efficace ?

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 146 à 156.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de onze amendements identiques, nos 190 à 200.

La parole est à M. Christian Bataille, pour soutenir l'amendement n° 190.

M. Christian Bataille. Il est vrai, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, que la loi de 2000 a énoncé divers principes. Faut-il pour autant que nous nous dispensions de les rappeler, fût-ce brièvement, dans le texte que nous examinons aujourd'hui ? Nous pourrions au contraire en profiter pour bien montrer qu'il s'agit d'une préoccupation constante du gouvernement, quelle que soit sa couleur politique, et vous vous honoreriez d'accepter ces amendements qui, contrairement à ce que vous nous dites, n'ont rien de superfétatoire.

L'amendement n° 190 propose d'insérer, avant l'article 1er, un article ainsi conçu : « Le développement d'une politique d'accueil et d'aide à l'accès au service public de l'énergie pour tous les usagers est la garantie de fidélisation des citoyens-usagers. » Il s'agit toujours et avant tout de défendre les citoyens, qui sont les acteurs du service public.

Pour revenir à la question du tarif social que vient d'évoquer Jean-Claude Lenoir, il y a une chose qu'il ne peut quand même pas retirer à la majorité de 2000 et au gouvernement Jospin : c'est bien nous qui avons voté cette mesure.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Mais ce n'est pas vous qui l'avez appliquée !

M. Christian Bataille. Je crois bien que vous ne l'auriez pas votée. Je crois même me souvenir que vous avez combattu cette disposition...

M. François Brottes. Oui, ils ont voté contre !

M. Christian Bataille. ...et que vous avez voté contre. On peut déplorer la lourdeur de la machine étatique, mais tout y contribue. Vous-même, monsieur Lenoir, avez présidé le conseil supérieur de l'électricité et du gaz.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je le préside encore !

M. Christian Bataille. Vous savez que le CSEG devait, avec d'autres, émettre un avis. Les décrets d'application passaient par un véritable parcours du combattant et notre administration n'a pas fait preuve d'un grand dynamisme pour hâter le processus.

Cela dit, on ne peut que se féliciter de la continuité de l'action de l'État, qui fait qu'une disposition votée continue de s'appliquer en cas de changement de majorité, sauf si le nouveau gouvernement fait voter une loi qui l'annule. Heureusement, aujourd'hui, vous ne nous proposez pas de revenir sur le tarif social.

Si vous êtes d'accord avec les principes que nous énonçons, si vous êtes favorables à la politique d'accueil et d'aide à l'accès au service public de l'énergie, vous ne refuserez pas de le dire dans la loi. Il n'est pas déshonorant de se répéter. Sinon, on pourrait en déduire que votre accord n'est que de façade et que l'opposition est seule à défendre ces principes.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Nous poursuivons, les uns après les autres, notre effort de pédagogie pour convaincre le rapporteur - ce n'est pas le plus facile - et nos collègues de la nécessité de renforcer le service public dans ce texte loi.

Je vois quatre raisons supplémentaires de voter ces amendements qui visent à développer une politique d'accueil et d'aide à l'accès au service public de l'énergie.

Premièrement, parce que, Christian Bataille l'a évoqué, vous avez voté contre les tarifs sociaux quand nous les avons instaurés. Pardonnez-moi de vous faire un procès, mais je me méfie : nous sommes extrêmement vigilants car nous craignons qu'au premier moment d'inadvertance de notre part, vous fassiez disparaître cette disposition.

Deuxièmement, parce que, même si la loi de 2000 n'est pas abrogée, le fait de passer d'un établissement public à une société anonyme bouleverse complètement l'équilibre. Il nous semble donc plus qu'urgent de réaffirmer des principes très forts.

Troisièmement, parce que nous nous souvenons des déclarations de Mme Fontaine, illustre prédécesseur de M. Devedjian, désormais députée européenne, ce dont nous la félicitons.

M. le ministre délégué à l'industrie. Je suis certain que c'est sincère !

M. François Brottes. C'est sincère, d'autant qu'elle est profondément démocrate. Pour autant, nous ne partageons pas du tout les positions qu'elle a pu défendre lorsqu'elle était ministre, notamment celle qui lui a fait me répondre ici même qu'elle était fière d'avoir contribué au soutien que la France a apporté à cette proposition d'ouverture à la concurrence du secteur énergétique pour l'ensemble des ménages. Nous condamnons cette attitude parce qu'elle nous paraît dangereuse. En effet, lorsque l'usager « ménage », pardonnez-moi ce raccourci, sera considéré comme l'usager industriel, nous craignons que les opérateurs ne s'intéressent plus à ceux qui habitent des zones isolées ou qui disposent de peu de moyens. Les missions de service public ne seront-elles pas réduites à la portion congrue ?

Quatrièmement, et là je m'adresse plus particulièrement au président de la commission, parce que les charges de service public qui sont aujourd'hui réclamées aux opérateurs sont contestées. Qu'en sera-t-il demain ? Or ces sommes alimentent le fonds qui finance notamment les tarifs sociaux.

Ce projet de loi donne le signal du démantèlement du service public. Il faut manifester notre volonté de renforcer l'accès au service public pour tous. Sinon nous avons toutes les raisons d'être inquiets.

M. le président. La parole est à M. David Habib.

M. David Habib. Un argument supplémentaire : nous sommes à la veille de la signature d'un contrat d'objectifs entre l'État et l'entreprise. Ce document va fidéliser les relations entre l'État et l'entreprise, et il faut afficher clairement notre volonté politique. Qui ici, en tout cas parmi les députés qui vivent en province, oserait prétendre que, depuis un ou deux ans, le service public de l'électricité ne se dégrade pas ? Tous les jours, je constate, dans les Pyrénées-Atlantiques, qu'EDF n'est pas capable de rendre les services que l'usager, que la collectivité est en droit d'espérer.

Nous avons eu l'occasion d'exprimer à la présidence d'EDF notre impatience. Nous lui avons dit combien nous souhaitions que l'État joue, dans ce contrat d'objectifs, son rôle de protecteur des intérêts des administrés, des entreprises et des clients.

Voilà pourquoi réaffirmer la notion de fidélisation des citoyens usagers me semble particulièrement pertinent.

On nous rétorquera sans doute qu'il s'agit, là encore, d'une déclaration d'intention. Peut-être. Mais, compte tenu des enjeux, une telle manifestation n'est pas inutile, surtout, je le répète, à la veille de la signature du contrat d'objectifs. En effet, quelques informations me laissent penser qu'une fois la loi votée, l'entreprise EDF aurait à cœur de se détacher de certains territoires et de certaines missions. Je souhaite que le Parlement indique au président d'EDF, François Roussely, mais aussi à l'ensemble de son encadrement, que nous n'accepterons pas que l'entreprise refuse d'assumer les responsabilités que la nation lui a confiées au fil du temps.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Trois observations.

La première est générale. Si nous ajoutons aux textes qui nous sont proposés par le Gouvernement des passages empruntés aux lois qui ont déjà été votées, nous aurons des lois illisibles.

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est du psittacisme juridique !

M. Daniel Paul. C'est une expression que vous aimez bien, monsieur le ministre !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Déjà il est souvent reproché aux législateurs de délibérer sur des textes trop longs. Je ne suis pas sûr que la transparence que vous réclamiez tout à l'heure y gagnerait.

Deuxième observation, sur la loi de 2000. Je tiens à protester contre les affirmations de nos collègues de l'opposition, qui n'hésitent pas à travestir la vérité. Plusieurs d'entre eux m'ont en effet accusé, directement ou à mots couverts, de ne pas avoir voté ce texte. C'est faux. J'ai voté la loi qui figure au Journal officiel du 10 février 2000.

M. François Brottes. Involontairement !

M. Léonce Deprez. Nous avons voté !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je vous demanderai, avant de vous livrer à des agressions gratuites...

M. le ministre délégué à l'industrie. Et malicieuses !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. ...à l'égard du rapporteur, dont le travail, vous l'avouerez, n'est pas facile, de vérifier d'abord la véracité de vos propos.

M. Daniel Paul. Si ce n'est toi, c'est donc ton frère ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Troisième observation, je suis également obligé de réagir à certaines allégations concernant le Conseil supérieur de l'électricité et du gaz, institution que j'ai l'honneur de présider depuis octobre 2002.

Il a été affirmé que si le décret d'application relatif aux tarifs sociaux n'avait pas été pris à temps, c'était de la faute de cette instance, qui, je le rappelle, doit examiner l'ensemble des textes réglementaires pris en application de lois sur l'électricité et le gaz.

Je ne présidais pas, à l'époque, le Conseil supérieur de l'électricité et du gaz mais, en tant que membre suppléant, je suivais ses travaux avec intérêt. Je puis vous assurer que le Conseil supérieur a été saisi dès le 14 mars des textes pris en application de la loi du 10 février 2000 sur les seuils d'éligibilité, c'est-à-dire dans un temps record. Et le 29 mai, le gouvernement signait les premiers décrets d'application.

Quant aux dispositions réglementaires sur le tarif social, jamais le Conseil supérieur n'a été amené à les examiner pour la bonne raison que le gouvernement ne les avait pas rédigées.

M. le ministre délégué à l'industrie. Est-ce possible ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. En mettant en cause le Conseil supérieur, vous mettez en cause mon prédécesseur qui appartenait à votre camp et qui a dû attendre avec impatience la production par le gouvernement des dispositions réglementaires indispensables à la mise en application du tarif social.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Qui était-ce, votre prédécesseur ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Telles sont les précisions que je souhaitais apporter pour prévenir certaines contrevérités déplacées.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Même avis.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Le rapporteur m'ayant interpellé, je tiens à préciser que lorsque j'ai dit « vous » tout à l'heure, je ne le visais pas en particulier, je m'adressais à la majorité d'aujourd'hui qui était l'opposition de l'époque. Si le rapporteur a soutenu la gauche à l'époque, je lui en rends hommage. Il était en quelque sorte le Jean Lassalle de la précédente mandature. (Sourires.)

M. le président. Le rapporteur est certainement très sensible à ce que vous venez de dire, monsieur Brottes.

Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 190 à 200.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de onze amendements identiques, nos 102 à 112.

La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Je veux à mon tour témoigner du vote singulier qu'avait émis Jean-Claude Lenoir par rapport à la droite de l'époque.

M. le président. Double compliment, monsieur le rapporteur !

M. Christian Bataille. Je m'en souviens très bien, seul de son groupe, un mardi soir, il avait soutenu la majorité de gauche lors du vote solennel.

M. François Brottes. Dans un moment de lucidité !

M. Daniel Paul. Il se rachète en appelant à voter ce texte désastreux !

M. Christian Bataille. Mais la droite mérite tous les reproches que nous avons formulés.

Les amendements nos 102 à 112 demandent que le service public garantisse des prestations d'un haut niveau de qualité.

Puisque M. le rapporteur, malgré sa cordialité et sa jovialité habituelles, peut se montrer parfois désagréable, je vais à mon tour être désagréable en rappelant à la droite les méfaits du libéralisme aux États-Unis.

Tout le monde se souvient de la crise électrique qu'a connue la Californie à l'été 2000, à la suite des spéculations et manipulations exercées par la firme tristement célèbre Enron, qui ont mis le système électrique californien à genoux. Je rappellerai l'effondrement, il y a moins d'un an, le 14 août 2003, du réseau dans huit États du nord-est des États-unis et dans l'est canadien de l'Ontario, là où devrait briller le soleil libéral, qui a privé 50 millions de personnes d'électricité pendant plusieurs jours, parfois même une semaine.

L'Autorité fédérale de régulation de l'énergie américaine elle-même condamne la mauvaise qualité du réseau, due à l'insuffisance des investissements dans les réseaux de transport et de distribution, en particulier de la part du principal opérateur, la First energy. Les opérateurs ont investi le minimum pour maximiser leurs profits à la demande des actionnaires.

M. Jacques Desallangre. C'est logique !

M. Christian Bataille. Quand il n'y a ni planification à long terme du développement du réseau, ni entretien, la qualité du courant ne peut qu'être mauvaise.

La France sera elle aussi exposée à ce risque si vous persistez dans votre intention de transformer EDF-GDF en une société anonyme car cela conduira inéluctablement à la privatisation, avec des actionnaires privés qui ne voudront pas investir.

La qualité du courant électrique dépend de la qualité du réseau. Si nous voulons mettre le réseau à l'abri des mauvais effets de la libéralisation, il faut prendre des dispositions. Jusqu'à présent, la France dispose d'un réseau de qualité, donc d'un courant de qualité. Nous mettrons tout en œuvre pour préserver cette qualité afin de ne pas risquer de nous trouver, à l'instar des Américains, privés de courant faute d'investisseurs.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Vouloir rappeler que les principes du service public de l'énergie garantissent des prestations d'un haut niveau de qualité ne relève que d'une déclaration d'intention, nous dira-t-on. Mais je pourrais citer nombre d'articles de la loi Pasqua relative à l'aménagement du territoire qui ressemblent fort à ce type d'amendements.

M. le ministre délégué à l'industrie. Donc, c'est déjà dans la loi !

M. François Brottes. Cette loi, qui n'a d'ailleurs pas été abrogée, mais qui a été complétée par la loi Voynet...

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Ah non, déstructurée par la loi Voynet !

M. François Brottes...fixait des objectifs fondamentaux.

M. Yves Cochet. Comme le schéma national !

M. François Brottes. Parmi les principes du service public, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, figurent les notions d'aménagement du territoire et d'égal accès au service public de l'énergie. La qualité du courant est importante pour le secteur industriel. Je l'ai appris récemment, il existe en effet différentes qualités de courant. Certaines industries y sont très sensibles. Le fait de ne pas pouvoir leur garantir une qualité de courant optimale peut parfois les dissuader de s'installer dans une région. Tout comme le fait de ne pas être capable de sécuriser l'acheminement de l'énergie.

Ainsi, on le voit, la notion d'un haut niveau de qualité englobe la qualité intrinsèque et la sécurisation de la fourniture.

Il y a un autre élément qui détermine le haut niveau de qualité. La prestation de service d'un fournisseur d'énergie ne se limite pas à la fourniture de kilowatts, il faut aussi réaliser les branchements, assurer les interventions de maintenance, le conseil, les visites de sécurité. Avec la privatisation qui s'annonce, on devine que les services seront rendus à la tête du client : la prestation du fournisseur d'énergie sera différente selon l'endroit où l'on se trouve, selon ses moyens ou même son niveau de consommation.

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est déjà le cas !

M. François Brottes. Cette dérive est déjà observable, vous avez raison, monsieur le ministre. C'est pourquoi la loi doit réaffirmer, non pour répéter mais dans l'optique d'éventuelles sanctions, que le haut niveau de qualité des prestations de fourniture d'énergie doit être garanti de la même façon sur l'ensemble du territoire. C'est aussi cela, le service public.

M. le président. La parole est à M. David Habib.

M. David Habib. J'apprends, monsieur le président. Je suis l'un des seize nouveaux députés socialistes élus en 2002 et, chaque jour, je me réjouis d'être au contact de personnes aussi qualifiées et susceptibles de m'apporter autant en termes d'expérience et de connaissance. Dans l'aréopage qui m'entoure, j'inclus bien sûr M. le ministre qui connaît très bien ses dossiers, mieux que le bassin de Lacq. J'espère que nous pourrons en parler un jour.

Je voudrais, moi aussi, monsieur le ministre, insister sur la question de la qualité. La qualité est fonction de deux paramètres - l'investissement et le renouvellement du parc -, lesquels, tout industriel, tout cadre d'EDF vous le dira, dépendent de la stabilité de l'actionnariat, de son esprit de responsabilité, et de sa capacité à anticiper les investissements à réaliser. La stratégie d'entreprise doit coexister avec une sorte d'éthique qui s'inscrive dans la durée et permette d'acquérir la capacité à affronter les échéances programmées.

Rappeler dans le texte l'exigence d'un haut niveau de qualité des prestations est d'autant plus nécessaire et opportun que nous sommes à quelques mois de la signature d'un contrat d'objectifs. Juger ce rappel inutile, c'est priver l'État d'un argument dans cette négociation.

L'énergie est à la fois non stockable et dangereuse. Et c'est conscients de nos responsabilités que nous demandons d'en préserver le niveau de qualité. J'ajoute que la France joue un rôle prépondérant en Europe en matière de fourniture d'énergie. Les interconnexions sont nombreuses et notre pays se doit d'offrir le meilleur courant dans des conditions optimales de sécurité.

Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe socialiste a déposé cet amendement. Vous m'avez dit que c'était une bonne école mais je répète que nous sommes avant tout fidèles à ceux qui ont construit le service public de l'énergie. Dans son discours introductif, M. le ministre d'État a eu à cœur, et à juste titre, de se placer dans les pas d'hommes illustres qui ont fait la richesse de notre pays et de rappeler que nous étions leurs héritiers. En votant cet amendement, nous honorerions leur action en récupérant le témoin qu'ils nous ont transmis.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. La commission a repoussé ces amendements.

On n'amende pas une loi en y introduisant des éléments de phrase qui ne font que reprendre des textes existants ou qui se trouvent dans l'article suivant. C'est une façon originale d'enrichir les débats...

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. De les allonger !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. ...en augmentant le nombre des amendements déposés et le temps qui est leur est consacré ! (Sourires.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. À M. Bataille qui évoque le spectre affreux du black-out californien dont le libéralisme qui inspire le projet de loi nous menacerait, je rappelle que le statut juridique d'EDF n'est pas une garantie contre les pannes puisque nous en avons connu un en 1978. C'est ma première observation.

M. François Brottes. En 1978, ce n'était pas la gauche qui était au pouvoir !

M. le ministre délégué à l'industrie. Deuxième observation, les causes du black-out sont connues de M. Bataille qui est un homme avisé, et elles n'ont rien à voir avec le libéralisme. Elles tiennent d'abord au refus de recourir au nucléaire, d'où une sous-capacité de production...

M. Léonce Deprez. Très juste !

M. le ministre délégué à l'industrie. ...qu'il a fallu pallier avec du gaz, qui est une énergie coûteuse.

M. David Habib. Pas celui de Lacq !

M. le ministre délégué à l'industrie. Mais ce n'était pas, en effet, du gaz de Lacq ! (Sourires.) En outre, c'était tout sauf du libéralisme puisque les tarifs de vente obligatoires étaient fixés à un niveau très bas. On devrait plutôt parler de système socialiste ! Même en Californie, on peut faire de telles erreurs !

Troisième observation, le socialisme ne garantit pas l'approvisionnement en électricité. Lénine disait : « Le socialisme, ce sont les soviets, plus l'électricité ». Pendant soixante-dix ans, tous les Russes ont eu les soviets, mais ils n'ont pas tous eu l'électricité !

M. Daniel Paul. C'est facile !

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Monsieur le ministre, d'après vous, le statut d'EDF ne protégerait pas contre les aléas et les dysfonctionnements. Mais si ! Car les leçons ont été tirées du passé, et la mission dévolue à EDF consiste à mettre en place non pas les outils strictement suffisants pour satisfaire les besoins de notre pays, mais à aller au-delà, de façon à être en permanence en capacité de fournir. Chacun sait, c'est même notre leitmotiv, que l'électricité ne se stocke pas. Il est donc nécessaire de conserver des capacités de production disponibles afin de satisfaire les engagements de l'entreprise envers les consommateurs, pour ne parler ni d'usagers, ni de clients.

Malheureusement, depuis quelques mois, EDF anticipe les décisions que vous allez prendre dans les prochains jours, et tente de faire prendre à ses instances internes des mesures qui vont au-devant de la loi et des directives à venir. C'est ainsi que, depuis quelques années, l'entreprise a supprimé 1 000 mégawatts de capacités de production. Ce faisant, elle augmente sa rentabilité, sa profitabilité. Personne ne se plaindrait si cela ne se faisait au détriment de la prudence.

Nous sommes en train de développer les éoliennes. Fort bien ! Nous avons d'ailleurs été nombreux à approuver la diversification du « pack », ou « panier », énergétique. Mais, quand il n'y a pas de vent, les éoliennes ne tournent pas. Il faut donc assurer en permanence une capacité de production de substitution. Dans ce cas de figure, on ne peut pas faire appel au nucléaire, il n'est pas suffisamment souple.

M. Claude Birraux. C'est faux !

M. Daniel Paul. Pas chez nous pour le moment !

Aussi doit-on prévoir, pour 1 mégawatt en éolien, 700 à 800 kilowatts provenant de ressources fossiles.

Pour résumer, EDF est en train de supprimer des moyens de production alors que, dans le même temps, condamnée à acheter de l'éolien, elle devra être en mesure de compenser le jour où l'éolien ne fonctionnera pas - il n'y a pas toujours du vent, même dans les zones ventées du littoral. D'où notre inquiétude, monsieur le ministre, sur la qualité de la production d'EDF et, a fortiori, sur la capacité de ses éventuels concurrents à faire face, eux qui n'ont pas du tout la même philosophie.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 102 à 112.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de onze amendements identiques, nos 201 à 211.

La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Il s'agit d'écrire que « le service public de l'énergie doit favoriser l'écoute de l'usager ». Ses dirigeants, ses agents doivent écouter ce que l'usager a à dire. Il s'exprime de bien des manières, et surtout verbalement. Nous parlons bien d'écoute. Nous cherchons à ce que s'établissent entre l'usager et le service public des relations de compréhension mutuelle. Le Gouvernement a aussi son rôle à jouer pour favoriser l'écoute de l'usager.

N'étant pas un spécialiste de cette question, mon propos sera sans doute utilement complété par François Brottes.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. En passant du statut d'établissement public à celui de société anonyme, d'un personnel avec l'esprit de service public chevillé au corps à des actionnaires de l'entreprise, le comportement peut changer, tout comme changera la perception de l'usager devenu client. Aujourd'hui, si la cote de popularité de l'entreprise et de son personnel est forte, c'est à la confiance dans le service public qu'ils le doivent. Il n'y a pas de défiance, on ne voit pas d'arrière-pensées derrière les conseils. En revanche, aussitôt que ces conseils seront prodigués par un actionnaire, il y a fort à parier que le client se méfiera. Le risque existe de voir la confiance rompue.

Un autre argument vous convaincra peut-être du bien-fondé de notre proposition. Aujourd'hui les élus locaux ou les entreprises se tournent vers les députés de leurs circonscriptions lorsqu'ils rencontrent des difficultés avec EDF, entreprise nationale, et leur demandent d'intervenir. Nous, députés, sommes partie prenante de l'État, comme vous, monsieur le ministre. L'entreprise publique a dès lors des comptes à nous rendre et nous avons à en rendre à nos mandants.

Demain, lorsqu'à propos de difficultés identiques, nous nous adresserons au ministre, ce dernier nous répondra que nous n'avons rien compris : EDF, devenue une entreprise indépendante, mènera en effet comme elle l'entend sa vie et gérera de façon autonome ses comptes, son personnel et ses services. Nous n'aurons plus qu'à nous mêler de nos affaires !

Si nous voulons réaffirmer la nécessité pour EDF et GDF d'inscrire l'écoute de l'usager au cœur du service public, c'est bien, monsieur le ministre, parce que le changement de statut des deux entreprises est au cœur de votre projet de loi.

M. le président. La parole est à M. David Habib.

M. David Habib. Dans l'esprit qui est le nôtre depuis l'ouverture des débats, je rappellerai que nous bâtissons actuellement les fondations sur lesquelles la nouvelle entreprise assurera son développement futur. Les uns et les autres, en dépit de nos différentes sensibilités, nous formulons tous le vœu que l'entreprise continue à disposer de véritables atouts. Or, nous sommes tous convaincus que le lien privilégié qui existe entre l'usager et l'entreprise est un de ses atouts primordiaux, à l'exemple du lien qui a déjà été évoqué entre le salarié et l'entreprise, et qui aidera cette dernière à vaincre, le moment venu, les difficultés qu'elle rencontrera immanquablement

En réaffirmant que l'usager est au cœur du dispositif et que le service public de l'énergie favorise l'écoute de l'usager, nous voulons protéger Électricité de France de tentatives qui consisteraient à ignorer ce « cœur de cible », comme d'aucuns l'appellent dans certains milieux.

J'ai évoqué, à la faveur d'un autre amendement, la dégradation du service public. Je suis maire d'une ville de 9 000 habitants, où il n'est plus possible d'entrer en contact à tout moment du jour ou de la nuit avec le centre de distribution d'EDF, en raison des phénomènes d'anticipation qui se sont produits depuis un an et qui, monsieur le ministre, ont conduit petit à petit la direction d'EDF a rogné sur la notion d'accessibilité au service public.

Penser que ces amendements seraient inutiles, alors qu'ils visent à inscrire dans la loi la nécessité pour le service public de l'énergie d'être à l'écoute de l'usager et, d'une certaine façon, de son client, c'est méconnaître les réalités du terrain. Il nous appartient de rappeler que le service public doit être capable de répondre à la diversité des demandes qui peuvent lui être faites de la part des ménages, des industriels ou des collectivités. Il y a lieu d'employer le mot « écoute » non seulement parce qu'il est noble, monsieur le président, mais encore parce qu'il témoigne de la capacité de l'entreprise à faire preuve de proximité et d'humanité dans sa relation avec l'usager.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. En l'occurrence, il s'agit d'écouter le rapporteur qui indique que la commission a émis un avis défavorable.

M. David Habib. Vous souffrez de surdité, voire d'autisme !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Même avis que la commission.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 201 à 211.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de onze amendements identiques, nos 212 à 222.

La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Il s'agit de préciser que « le service public de l'énergie permet l'expression des personnels ». J'ajouterai que l'expression des personnels doit être égale à celle de la direction.

Or, il existe un déséquilibre singulier, tout à fait antidémocratique, dans la manière dont la direction d'EDF a, ces dernières semaines, mené une campagne de presse massive, à coups de grands placards dans nos journaux, visant à faire la publicité de l'action gouvernementale, ou du moins, celle de la réforme que nous examinons actuellement. La direction y a, de surcroît, mis de la provocation, puisqu'elle s'est exprimée comme si le texte de loi était d'ores et déjà adopté, ce qui n'est pas encore le cas.

Certes, les raisons pour que le texte soit adopté au terme du processus parlementaire normal sont nombreuses. Mais je tiens à vous faire part de mon indignation, monsieur le ministre. Cette campagne de presse a rompu un équilibre. En effet, on s'étonne de voir le personnel manifester son opposition au projet de loi de diverses façons, voire de façon extrême, alors qu'il aurait peut-être fallu commencer par lui offrir des colonnes dans les journaux et lui permettre ainsi de s'exprimer. Il n'aurait peut-être pas eu recours à ces coupures de courant que vous stigmatisez, monsieur le ministre.

Ces amendements, qui rappellent que « le service public de l'énergie permet l'expression des personnels », s'avèrent donc nécessaires. Chaque fois que la direction décide de présenter son point de vue à l'opinion, les personnels doivent pouvoir bénéficier d'un droit égal d'expression, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

J'ajouterai qu'il n'est pas normal que la direction d'une grande entreprise publique, en l'occurrence EDF, décide d'une campagne de presse qui vise à faire la publicité de l'action gouvernementale. En démocratie, cela ne se fait pas. Le Gouvernement est majeur, il est assez grand pour vendre lui-même sa politique et la porter devant l'opinion publique. Une telle campagne de presse a été inutile, provocatrice et négative.

Il n'est pas trop tard pour rattraper cette erreur en donnant au personnel des compensations visant à lui permettre de s'exprimer à son tour en faisant connaître son point de vue, ce qu'il n'a pas eu l'occasion de faire jusqu'à présent.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Je commencerai mon intervention par une remarque préliminaire qui pourrait s'apparenter à un rappel au règlement, afin d'être agréable à chacun et de ne pas ralentir nos débats.

Philippe Séguin a rappelé un jour que l'honneur d'une assemblée se mesure à la façon dont l'opposition y est traitée. Or, force est de constater, monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, que depuis le commencement de nos débats, aucun amendement proposé par l'opposition n'a été accepté alors même qu'elle fait des efforts d'argumentation considérables.

M. le ministre délégué à l'industrie. Il y a de la marge !

M. François Brottes. Je prends date, monsieur le ministre.

Comment ne pas rappeler d'ailleurs le mépris dont, lors de la discussion générale, a fait preuve, à l'égard des personnels d'EDF et de GDF, un grand nombre de députés de la majorité qui les ont à plusieurs reprises stigmatisés ? À l'occasion de l'examen de ces amendements, que vous rejetterez certainement comme les précédents, puisque l'écoute de l'usager ou l'expression des personnels vous importent peu - ce dont je vous donne acte : c'est votre choix politique, il vous appartient de l'assumer -, je souhaiterais connaître la place qui sera laissée à l'expression des personnels dans le cadre du changement de statut que vous proposez, du développement de l'entreprise et de son évolution.

Chacun est en droit de connaître votre réponse, les personnels en particulier. Ces amendements vous donnent l'occasion de la donner. Si, toutefois, face à une question qui peut soulever quelque difficulté, vous ressentiez le besoin d'une suspension de séance, en vue de préparer une réponse argumentée, nous pourrions, monsieur le rapporteur ou monsieur le ministre, accéder favorablement à un tel souhait.

Personne ne comprendrait, en effet, que vous ne soyez pas à même de nous informer du sort que vous entendez réserver à l'expression des personnels à propos d'amendements qui réaffirment la nécessité de la reconnaître au sein d'entreprises qui sont toujours publiques à l'heure où nous parlons, puisque l'article 22 n'a pas encore été voté, et alors même que vous leur préparez un destin funeste.

M. le président. La parole est à M. David Habib.

M. David Habib. Le monde de l'entreprise, comme celui des collectivités locales, a intégré la nécessité de concevoir des projets de développement qui sont élaborés et partagés par l'ensemble de la communauté de l'entreprise. La direction et les salariés font évidemment partie de cette communauté.

En rappelant que « le service public de l'énergie permet l'expression des personnels », il s'agit de donner à un des acteurs essentiels d'Électricité de France, de Gaz de France et de toutes les entreprises qui participent au service public de l'énergie, la possibilité d'intégrer les enjeux et de définir des stratégies de développement. Chacun, ici, peut adhérer à une telle demande.

Christian Bataille l'a rappelé : l'expression publique doit pouvoir se faire entendre. Il existe des moments propices et des lieux appropriés au débat démocratique. Des acteurs ont été élus qui en assument la responsabilité. Il n'est pas du ressort d'une entreprise publique d'orienter l'opinion. Ce n'est pas là sa mission ! Ce que la direction d'EDF a commis en achetant des espaces publicitaires, c'est un acte de rupture qu'il convient de prendre en compte. Si la majorité précédente, lorsqu'elle était aux affaires, avait demandé aux entreprises publiques de participer à une campagne de communication qui fasse écho à une initiative gouvernementale, vous auriez été les premiers à protester de façon véhémente, et vous auriez eu raison !

Il convient aujourd'hui, de ce point de vue, de rappeler les entreprises publiques à la stricte neutralité. La direction d'EDF a commis une erreur : prenons-en acte et reconnaissons-le d'un commun accord, afin de le faire savoir à l'intéressée comme aux autres entreprises publiques.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Défavorable.

Je ferai deux observations.

La première concerne l'expression des personnels. Nos collègues Christian Bataille et David Habib ont souligné que l'entreprise a utilisé des colonnes de journaux afin d'annoncer l'ouverture du marché et le changement du statut de l'entreprise.

Monsieur Bataille, nous nous sommes entretenus avec le président d'EDF.

M. Léonce Deprez. C'est exact !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. La question lui a été posée. Il a rappelé que les personnels n'avaient pas manqué de moyens fournis par l'entreprise pour exprimer leurs points de vue. Se référant à quelques grandes manifestations qui se sont déroulées il y a peu et qui ont nécessité des autobus et des rames de trains et de TGV, il nous a fait remarquer qu'à sa façon, l'entreprise a contribué à l'expression des personnels.

M. David Habib. Ce n'est pas la même chose !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Ma seconde observation portera sur un des amendements identiques, le n° 217 de M. Ducout, qui ne saurait passer inaperçu. Il ressemble à celui qui précède et à celui qui suit, certes, mais c'est le cent vingt-septième amendement que nous sommes en train d'examiner depuis l'ouverture de nos débats. Or, lors du vote de la loi de 1946, la Chambre des députés avait examiné en tout et pour tout 127 amendements. Les parlementaires d'aujourd'hui témoignent d'une imagination débordante, puisque nous en avons à examiner près de 2 000.

M. François Brottes. Le sens de l'intérêt général était alors plus développé !

M. Jacques Desallangre. Le Conseil national de la Résistance était passé par là !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Même avis que la commission, mais je souhaiterais ajouter quelques mots, de peur que l'opposition ne se sente méprisée. J'ai en effet, pour ma part, trop longtemps siégé dans l'opposition pour accepter de la voir méprisée.

M. David Habib. Vous y retournerez !

M. le ministre délégué à l'industrie. Sans doute et c'est inévitable. C'est un bien pour la démocratie. Il ne faut pas en faire un drame. Il convient de le vivre en se montrant libéral. Il est donc inutile de faire de l'obstruction en déposant une aussi grande quantité d'amendements, ce qui rallonge inutilement les débats et finit par peser sur les nerfs de chacun, à tort parce qu'il n'y a pas lieu.

M. François Brottes. Nous ne les défendons pas un par un, monsieur le ministre, alors que nous pourrions le faire.

M. le ministre délégué à l'industrie. Vous les défendez gentiment, monsieur Brottes, mais un peu longuement, compte tenu de la quantité. Mais il faut reconnaître que tout se passe très bien.

M. le président. Il s'agissait d'une remarque d'ordre général.

M. le ministre délégué à l'industrie. Le président d'EDF a pris la décision de faire de la communication dans la presse pour rassurer ses clients, et non pour soutenir le point de vue de la majorité.

M. Léonce Deprez. C'est vrai !

M. Daniel Paul. Vous êtes naïf, monsieur le ministre !

M. Jacques Desallangre. Faussement naïf !

M. François Brottes. Ils s'inquiétaient donc ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Oui. Il est légitime que les clients s'interrogent sur l'évolution du statut d'EDF et il est tout aussi légitime de les en informer. De ce point de vue-là, je n'ai rien à reprocher au président de l'entreprise.

L'accusation de partialité portée à l'égard de la direction d'EDF est un peu excessive : chacun sait en effet que le président d'EDF n'a pas notre sensibilité, ce qui d'ailleurs ne me dérange absolument pas.

Je ne crois donc pas qu'il se conduise en militant, comme vous semblez le sous-entendre. Il n'a pas reçu d'instructions...

M. David Habib. Nous ne vous avons jamais accusé de cela !

M. le ministre délégué à l'industrie. ...mais a tout simplement pensé que c'était dans l'intérêt de l'entreprise. C'est un acte de gestion qui relève de sa responsabilité et sur lequel le Gouvernement n'a pas à se prononcer, même si je trouve que le procès qui lui est fait est quelque peu excessif.

Quant à vos amendements, il ne font qu'énoncer une évidence : l'« expression des personnels » est garantie par le code du travail. Il y a du reste de quoi s'amuser, car s'il y a bien une chose dont la France entière est convaincue, c'est que le personnel d'EDF ne manque pas de moyens d'expression ! (Sourires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Une simple question, monsieur le ministre : au conseil d'administration d'EDF siègent actuellement des représentants des salariés ; demain, une fois l'entreprise transformée en société anonyme, les salariés devenus actionnaires siégeront en tant qu'actionnaires...

M. le ministre délégué à l'industrie. Non !

M. Daniel Paul. Pourquoi ? Vous refusez à des actionnaires salariés d'EDF d'être représentés au conseil d'administration ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Vous m'avez mal compris ! Ils pourront être représentés comme actionnaires, mais pas seulement : comme salariés également, bien entendu !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. C'est un progrès social !

M. Daniel Paul. C'est ce que je voulais entendre : comme salariés également.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 212 à 222.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de onze amendements identiques, nos 223 à 233.

La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, permettez-moi de vous rafraîchir la mémoire. Vous déplorez que nous ayons à discuter de nombreux amendements. Mais ceux-ci sont justifiés et viennent enrichir la discussion. Rappelez-vous que c'est une méthode de travail parlementaire - si je puis dire - que vous avez inaugurée, si mes souvenirs sont bons, à l'automne 1981.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. C'est exact : pour la loi de nationalisation !

M. Christian Bataille. M. le président s'en souvient lui aussi parfaitement ! (Sourires.)

Nous n'avons donc fait que nous inspirer de vos méthodes de travail, monsieur le ministre.

M. le ministre délégué à l'industrie. Vous avez bien appris !

M. Christian Bataille. Pour ce qui concerne la campagne publicitaire d'EDF, je répète qu'il s'agit bien d'une campagne de propagande concernant le projet gouvernemental. Nous n'avons nommé personne, mais parlé de la direction d'EDF dans son ensemble, laquelle comprend le président, la direction de la communication, etc. Cette initiative s'inscrit dans la stratégie de la direction. Je maintiens que les personnels n'ont disposé d'aucuns moyens particuliers pour s'exprimer, alors que la direction, elle, a puisé dans le budget de l'entreprise.

Quant aux présents amendements, ils tendent à indiquer que « le service public de l'énergie est un moyen privilégié pour la France d'atteindre l'objectif de cohésion économique et sociale qui est le sien ». En effet, vous êtes en train d'abandonner cet objectif, monsieur le ministre, et je le regrette.

EDF a été un véritable levier, sous la IVe et la Ve République, pour le développement économique et social du pays. Vous ne pouvez l'ignorer, car les gouvernements de votre bord en ont usé autant que les gouvernements de gauche. Le service public de l'énergie, maîtrisé par le Gouvernement, et donc par la représentation nationale, était un outil commode pour conduire une politique au service de la nation et du peuple. Je déplore que votre projet nous prive de la possibilité de l'utiliser pour améliorer la cohésion économique et sociale.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Nous avons essayé tout à l'heure de convaincre nos collègues de la majorité d'inscrire la notion de cohésion sociale dans ce texte. N'y ayant pas réussi et sachant que leur pensée a parfois tendance à valoriser plus l'économique que le social, nous ajoutons l'adjectif « économique ». Nous espérons que cela rapprochera nos positions.

Dans ce domaine de la cohésion économique et sociale, il est un secteur qui, avec la recherche et les investissements lourds, est généralement maltraité lorsque les entreprises publiques ouvrent leur capital : c'est celui de la formation des personnels, qui est souvent considérée par les actionnaires comme un investissement n'offrant pas une rentabilité immédiate. Or les personnels sont actuellement inquiets : le nombre d'heures de formation a déjà baissé et certains centres sont menacés de fermeture.

Notre rapporteur, qui se répète, ne manquera pas de nous dire qu'il est défavorable à ces amendements, comme il l'a déjà dit en commission, et le ministre risque de suivre son avis. Cela ne fera pas beaucoup avancer les choses, à moins que vous ne nous éclairiez, monsieur le ministre, sur l'avenir de la formation des personnels dans ces entreprises qui nous sont chères.

M. le président. La parole est à M. David Habib.

M. David Habib. La notion de cohésion économique et sociale est de nouveau apparue comme une nécessité absolue à l'occasion des élections régionales et cantonales. Le Président de la République s'est emparé de ce thème et a fait part de son souhait que le Gouvernement réoriente sa politique en tenant compte de l'appel du pays, reconnaissant qu'il y avait là un incontestable déficit. Il a même créé un ministère a cet effet et a demandé à M. Borloo de bien vouloir en assumer la responsabilité. D'un côté, on déclare, par une sorte d'affichage politique, vouloir favoriser la cohésion sociale, et de l'autre on priverait le service public de cette référence ? Ce serait une contradiction !

En rappelant qu'un objectif de cohésion économique et sociale est assigné au service public de l'énergie, nous sommes, nous, fidèles à la volonté du Président de la République. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Richard Mallié. On aura tout entendu !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Vous vous souvenez, monsieur Habib, que vous avez voté pour lui : c'est bien !

M. David Habib. En effet : comme vous, j'ai voté pour lui au deuxième tour de l'élection présidentielle. C'était un choix à la fois évident et nécessaire. Alors que l'on lit dans la presse que certains pourraient remettre en cause la pertinence de ses analyses, je veux ici lui rendre hommage.

M. le ministre délégué à l'industrie. Il y sera très sensible ! (Sourires.)

M. David Habib. Le Président de la République, je l'affirme, voit loin et clair lorsqu'il demande à son gouvernement d'assurer la cohésion sociale et économique dans son action. Je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous nous rejoindrez sur ce terrain.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. L'amendement est satisfait puisqu'il ne fait qu'énoncer une disposition qui figure à l'article 1er. La commission l'a repoussé.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Même avis que la commission.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 223 à 233.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 1621.

La parole est à M. Daniel Paul, pour le soutenir.

M. Daniel Paul. Il est bien connu que l'électricité est un bien non stockable et difficilement transportable. Pourtant, EDF a réussi depuis 1946 à assurer une sécurité et une continuité d'approvisionnement qui font d'elle une des entreprises les plus sûres dans ce domaine.

La sécurité d'approvisionnement en gaz constitue également un enjeu de taille pour notre pays et pour l'Europe en général. La France ne produit plus de gaz. La région de Lacq, dont notre collègue David Habib est l'élu, a couvert pendant de nombreuses années une partie de nos besoins, mais actuellement le gaz consommé en France provient majoritairement du Nord de l'Union européenne. Pour le reste, nous devons le faire venir de pays souvent lointains et situés dans des zones peu sûres. Nous allons donc au-devant d'un certain nombre de difficultés dans les années qui viennent.

Les enjeux sont lourds : nous avons besoin de contrats à long terme pour subvenir aux besoins du pays et se pose, en plus de celle du transport, la question du stockage du gaz sur notre territoire pour faire face aux aléas de la situation internationale et aux variations de prix - car on peut s'attendre à des augmentations dans les années qui viennent. Les installations de stockage, comme les moyens d'acheminement, ont par ailleurs une importance stratégique.

Quant aux engagements pris auprès des collectivités locales en matière de desserte gazière, ils touchent à l'organisation et à l'aménagement du territoire. Or on voit bien ce que la logique de libéralisation et de privatisation apporte dans d'autres secteurs. Ainsi, dans mon département, la Seine-Maritime, la direction départementale de La Poste me certifie que les 124 « points de contact » - car c'est ainsi que l'on parle, maintenant ! - seront maintenus, mais en se gardant de préciser que leur nature va évoluer. Si certains resteront des bureaux de poste traditionnels, d'autres, sous peine de disparition, seront pris en charge par les collectivités locales et d'autres encore seront confiés aux buralistes, de manière à compenser les pertes de recettes que subissent ces commerçants, au demeurant fort honorables, avec la baisse des ventes de tabac.

En tout état de cause, les évolutions constatées dans les secteurs de ce type font que l'aménagement du territoire, surtout dans les communes les moins « rentables » au sens libéral du terme, n'est plus assuré. Nous craignons qu'il en aille de même en matière d'aménagement gazier et énergétique. D'où notre amendement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Nous abordons une autre série d'amendements, fondée sur le principe du « copié-collé » : on sélectionne un alinéa dans une loi antérieure, on le copie puis on le colle, et cela donne un amendement !

Celui-ci est la redite exacte du premier article de la loi du 10 février 2000. Avec cette méthode, on peut réécrire sans cesse le droit et encombrer les rayons des bibliothèques !

M. Daniel Paul. À ceci près que la libéralisation va passer par là et que cette loi s'en trouvera modifiée !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je voudrais néanmoins vous faire remarquer, monsieur Paul, que votre souhait d'approvisionner l'ensemble du territoire national par un réseau gazier se heurte à certains problèmes qui relèvent du bon sens : comment assurer une desserte équivalente à celle de l'électricité ? Quelle que soit la qualité du service public, ce ne sera jamais possible.

Avis négatif.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Même avis négatif.

M. le président. La parole est à M. Jacques Desallangre.

M. Jacques Desallangre. Le rapporteur a tort de considérer cet amendement, qui concerne l'indépendance énergétique de notre pays, comme négligeable ou superfétatoire.

Quand on crée deux personnes morales de droit privé, on les contraint à adopter, face au marché, un comportement d'opérateur privé. Tout le monde le sait : le ver est dans le fruit.

Demain, EDF et GDF, ou du moins les SA qui les remplaceront, auront les yeux rivés sur le cours de leurs actions et adopteront un comportement dicté par le marché : abandon d'une politique industrielle pour une politique d'optimisation à court terme des investissements et passage d'une logique de service à une logique de profit. Dividendes obligent...

Une année de répit ne change rien sur le fond.

Demain, par exemple, avec pour seuls opérateurs des personnes morales de droit privé, il est presque certain qu'aucun nouveau programme nucléaire ne sera décidé.

Il arrivera peut-être quelque chose en Arabie Saoudite. S'il n'y avait pas le nucléaire, que ferions-nous ?

M. Yves Cochet. Ce n'est pas le nucléaire qui permettra aux avions de décoller !

M. Jacques Desallangre. Aucun programme ne sera donc décidé, sauf si l'État s'engage directement pour assurer contractuellement aux opérateurs la rentabilité des investissements en plafonnant, par exemple, le coût du démantèlement des installations.

Nous n'avons pas aujourd'hui le recul nécessaire pour évaluer précisément le coût de ce démantèlement. Celui--ci sera intimement lié aux standards de dépollution que la réglementation imposera.

Si les standards environnementaux sont faibles, l'investissement nucléaire verra sa rentabilité accrue ; sinon, le coût sera plus élevé et le nucléaire deviendra moins rentable par rapport à d'autres modes. Et il est fort probable, pour ne pas dire certain, que les opérateurs privés que vous créez ne pourront accepter l'aléa pesant sur le coût du démantèlement. Ils choisiront donc des modes de production utilisant les énergies fossiles.

Votre choix sur le statut juridique de ces établissements aura donc des répercussions directes sur l'indépendance énergétique de la France, mais aussi sur l'environnement. Or nul ne conteste que c'est parce que nous avons le nucléaire que nous pouvons respecter nos engagements de Kyoto.

Demain, si une entreprise privatisée abandonne une part du nucléaire pour utiliser l'énergie fossile, nous polluerons davantage. Le niveau d'émission de CO2 augmentera. Et la croissance certaine de la consommation dans les vingt prochaines années générera une tension déjà perceptible sur le marché du pétrole.

Pourquoi privatiser EDF ? C'est accepter demain d'accroître notre dépendance énergétique et soumettre l'ensemble de notre économie à l'insécurité d'un marché pétrolier dont nous n'avons aucunement la maîtrise.

M. Daniel Paul. Très juste !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1621.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 1622.

La parole est à M. Jacques Desallangre, pour le soutenir.

M. Jacques Desallangre. L'article additionnel, que cet amendement tend à introduire avant l'article 1er, est ainsi rédigé :

« Le service public de l'énergie a pour objet de garantir l'indépendance et la sécurité d'approvisionnement, le respect de l'environnement et l'utilisation rationnelle de l'énergie. »

Une fois encore, on rappellera que l'électricité est une énergie non stockable, difficilement transportable. Elle est confrontée à des défis particuliers en matière d'approvisionnement.

On rappellera les pannes qui ont paralysé la Californie, New York, Londres, l'Italie. Les exemples abondent et prouvent que la libéralisation de l'énergie ne fait pas bon ménage avec la sécurité d'approvisionnement.

Prise dans une logique de rentabilité, EDF réduit déjà au minimum les surinvestissements, rendant plus grand le risque d'une rupture d'approvisionnement. Or pour les usagers et le bon fonctionnement de l'économie, la sécurité de l'approvisionnement est un élément essentiel.

Le respect de l'environnement constitue également un enjeu de taille pour une bonne politique énergétique. En effet, la production énergétique principale, basée sur la combustion de molécules riches en carbone, hydrogène, pétrole, gaz, bois, charbon, engendre des déchets considérables sur la forme principale de gaz carbonique et d'eau. Le phénomène d'effet de serre et de pollution atmosphérique que cela induit en est une conséquence bien connue.

Par leur logique de recherche de rentabilité immédiate et de concurrence, les processus de libéralisation des entreprises énergétiques conduisent irrémédiablement à une dégradation de notre cadre de vie.

Le Toronto Environnemental Alliance a fait une recherche sur la privatisation de l'électricité dans la province de l'Ontario. Des expériences malheureuses ont été vécues durant la panne qui s'est produite en Californie ; on a dû alors avoir recours à des groupes électrogènes dans les entreprises informatiques de la Silicon Valley. Autant de preuves qu'on a trahi le principe du respect environnemental dans le cadre d'une ouverture à la concurrence.

Rappelons aussi qu'au cœur de la politique énergétique, il y a un autre défi : celui d'une utilisation rationnelle des différentes sources d'énergie. A l'heure de la raréfaction des énergies fossiles, il paraît logique et nécessaire de diminuer le recours à celles-ci.

Au passage, je me permets de revenir sur certains des propos qu'a prononcés tout à l'heure le ministre. Celui-ci a déclaré que c'est parce que les États-Unis ne recouraient pas suffisamment à l'énergie nucléaire qu'ils avaient subi de telles pannes. Mais pourquoi ne recourent-ils pas davantage au nucléaire ? Parce que les investisseurs privés reculent devant les investissements très lourds et à très long terme que cela implique. De surcroît, devant l'aléa du démantèlement, ils préfèrent choisir la solution la plus facile et, surtout, celle qui assure les retours sur investissement les plus rapides. Ils s'orientent donc vers les énergies fossiles, et ce n'est pas pour rien que les États-Unis n'ont pas signé le protocole de Kyoto.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Cette fois-ci, il s'agit du « copié-collé » du deuxième alinéa de l'article 1er de la loi de février 2000. Avis défavorable.

Mme Janine Jambu. C'est lassant !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. M. le rapporteur répond systématiquement la même chose. Je lui rappellerai que le fond même du texte change la donne. En modifiant le statut d'EDF et de GDF, vous allez entraîner, même si vous prétendez le contraire, un changement dans le type de fonctionnement. Tout le monde l'a dit sur les bancs communistes comme socialistes, et nous vous le répéterons tout au long de ce débat. Certains collègues de droite pensent d'ailleurs comme nous. Je me souviens des propos tenus tout à l'heure par M. Lassalle, qui avait bigrement raison.

Vous nous reprochez de vouloir introduire dans ce texte ce qui figurait dans la loi de 2000. Mais si nous faisons une telle proposition, c'est parce que nous tentons de combattre ce que ce texte a de dangereux. Votre objectif est d'offrir à un certain nombre de financiers des champs nouveaux d'investissements et de profits. Vous ne voulez pas l'admettre, mais c'est pourtant la logique du texte. Les financiers et un certain nombre de chefs d'entreprise le reconnaissent eux-mêmes. Ne soyez pas de mauvaise foi, monsieur le rapporteur.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1622.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 1623.

La parole est à Mme Janine Jambu, pour le soutenir.

Mme Janine JambuNous tenons à ce que les objectifs fondamentaux assignés au service public soient réaffirmés dans un tel texte, qui concerne précisément le service public de l'électricité et du gaz.

Le service public de l'énergie a pour objet de garantir la cohésion nationale, en assurant le droit au gaz et à l'électricité pour tous, en contribuant à la lutte contre les exclusions, au développement équilibré du territoire ainsi qu'à la recherche et au progrès technique.

Notre service public de l'énergie a joué un rôle primordial, que ce soit en matière d'aménagement du territoire, d'électrification des zones rurales et d'obligations de desserte, de péréquation tarifaire, d'indépendance énergétique ou encore d'emplois qualifiés. De ce dernier point de vue, par la formation et la qualification de ses agents, il a participé à l'intégration sociale et à la dynamique de la croissance.

Les tempêtes de décembre 1999 ont mis en évidence avec quelle rapidité et disponibilité les agents d'EDF avaient su faire face, réparer et répondre aux besoins de proximité. Car il ne faudrait pas l'oublier : le service public de l'énergie constitue également un service de proximité.

Faut-il encore souligner que parce qu'ils répondent à des besoins de première nécessité, l'électricité et le gaz ne peuvent être considérés comme des marchandises ? Ils constituent un droit pour tous. Autrement dit, ils doivent être accessibles à tous les individus, quel que soit le niveau de leurs ressources.

La lutte contre les exclusions relève des missions mêmes de notre service public, à l'heure où précisément notre société se fractionne sur fond d'inégalités croissantes : précarisation d'une partie de notre population, marginalisation, chômage de longue durée. Autant de situations qui peuvent conduire à couper l'électricité et à priver de chauffage des familles entières en proie à de grandes difficultés.

Un service public de qualité doit permettre d'éviter que la pauvreté, qui augmente de plus en plus, ne devienne, en France comme en Europe, un facteur de privation d'électricité.

L'exemple de la Grande-Bretagne, pays pionner en matière de libéralisation, devrait nous inciter à rejeter radicalement la voie libérale pour préserver le haut niveau de nos services publics et assurer notre cohésion sociale.

La déréglementation a abouti, dans un tel pays, à la mise en place de compteurs de prépaiement chez les plus démunis. En France, le service public de l'énergie doit permettre de répondre aux besoins des familles les plus pauvres, sans que cela se traduise par une exclusion ou une stigmatisation de celles-ci.

La question est cruciale aujourd'hui, d'autant que l'ouverture à la concurrence porte atteinte aux services publics en les tirant vers le bas. La notion européenne de « service universel », service public a minima, est révélatrice d'un tel phénomène.

Garantir la cohésion sociale suppose un réel volontarisme politique, visant le long terme et apte à conforter les entreprises publiques qui ont permis, par le passé, d'atteindre un tel objectif.

Cela suppose aussi de maintenir notre capacité de recherche et de développement, dans le contexte actuel de mutation technologique. Or l'on doit bien constater que l'affaiblissement de la recherche est l'une des conséquences du mouvement de dérégulation.

Pour toutes ces raisons, nous souhaitons que soient réaffirmés dans la loi les objectifs fondamentaux de nos services publics de l'énergie. Tel est le sens de cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Bien que partageant les préoccupations exprimées, la commission a émis un avis défavorable à cet amendement, car il répète ce qui existe déjà par ailleurs.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Même avis que la commission.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Monsieur le rapporteur, vous nous répondez sur le même mode que précédemment, en nous épargnant toutefois l'expression « copié-collé ». Faut-il vous rappeler qu'avec la loi de 2000, c'était la loi qui prévalait ? Or l'article 1er de ce qui n'est encore qu'un projet de loi met en avant le rôle du contrat. Ces contrats, on a pu le constater dans tous les pays où a été institué le système que vous voulez imposer à la France, ne sont souvent pas respectés.

Notre souhait est tout simplement de renforcer les obligations législatives, qui figurent, non dans le contrat, mais dans la loi.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Comme Daniel Paul, je considère que la loi est le meilleur des contrats pour les plus démunis. Elle est établie par les représentants du peuple et elle s'applique à tous, en toutes circonstances.

Je trouve de nombreuses vertus à cet amendement, qui concentre la totalité des éléments introduits par d'autres amendements précédemment rejetés, le rapporteur nous ayant expliqué qu'ils étaient superfétatoires ou trop dispersés. Tout y est : cohésion sociale, lutte contre les exclusions, développement équilibré du territoire, recherche et progrès technologique. C'est une façon vertueuse de décrire la loi, vous devez en convenir, monsieur le rapporteur. Je ne comprends pas ce qui vous gênerait si cela figurait dans la loi. Dites-le nous !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l'industrie. L'Assemblée a déjà rejeté un amendement identique du groupe socialiste. Par conséquent, celui-ci aurait dû tomber.

M. François Brottes. Ce n'était pas exactement le même !

M. le ministre délégué à l'industrie. En outre, cet amendement est, pour reprendre la formule de Jean-Claude Lenoir, un « copié-collé » de ce qui figure déjà dans la loi du 10 février 2000. Pour lever tout doute, je vous rappelle les termes du troisième alinéa de l'article 1er : le service public « concourt à la cohésion sociale, en assurant le droit à l'électricité pour tous, à la lutte contre les exclusions, au développement équilibré du territoire, dans le respect de l'environnement, à la recherche et au progrès technologique, ainsi qu'à la défense et à la sécurité publique. » Cette loi demeure en vigueur. Elle n'est pas abrogée et garde toute sa valeur. La répéter exactement à l'identique dans la présente loi induirait une dégénérescence de la loi et en ferait un instrument de propagande et non plus une norme pour la collectivité. Entre vos mains, les institutions se flétrissent !

M. François Brottes. Le ton se dégrade, monsieur le président !

Mme Janine Jambu. Nous sommes, nous aussi, des législateurs. Ne l'oubliez pas, monsieur le ministre !

M. le ministre délégué à l'industrie. Je ne fais que vous répondre !

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Je ne peux pas laisser passer une telle réponse, monsieur le ministre. Je le répète, votre projet de loi, lorsqu'il sera voté, modifiera la relation, qui était jusqu'à présent encadrée par la loi, entre les entreprises énergétiques et les « usagers-clients-consommateurs ». C'est sa nature même qui le veut.

M. le ministre délégué à l'industrie. Mais il ne modifiera pas la loi de février 2000 !

M. Daniel Paul. Vous allez introduire, avec l'article 1er, le règne du contrat. Nous souhaitons, et M. Brottes l'a déclaré également, maintenir de façon forte le règne de la loi. C'est le meilleur contrat qui soit,...

M. le ministre délégué à l'industrie. Je suis d'accord !

M. Daniel Paul. ...car il pose les obligations, en l'occurrence celles que prévoit l'amendement de Mme Jambu.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. M. le ministre a eu des mots assez forts. Pour moi, ce qui va se flétrir avec ce texte, c'est le service public. C'est sa fin que l'on organise en donnant comme seul critère d'espérance la croissance des dividendes. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je suis peut-être un peu caricatural et schématique,...

M. le ministre délégué à l'industrie. Un peu, oui !

M. François Brottes. ...mais à peine plus que vous, monsieur le ministre.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l'industrie. Je veux en finir avec cette question, sur laquelle nous passons, à chaque amendement, un temps considérable.

M. Daniel Paul. Et ce n'est pas fini !

M. le ministre délégué à l'industrie. Vous dites, monsieur Paul, que ce texte va remplacer la loi par le contrat. Non. D'abord, la loi, c'est son fondement même, s'impose au contrat. Le contrat doit respecter la loi, qui en définit même les termes.

M. François Brottes. Pas tout à fait !

M. le ministre délégué à l'industrie. Il ne peut donc s'y substituer.

Ensuite, le texte, comme la loi du 10 février 2000, définit le service public. Votre amendement en fait autant. Il ne dit pas que la loi doit se substituer au contrat ou que le contrat est interdit. Il définit, en répétant exactement à l'identique de la loi du 10 février 2000, le service public.

Même si, j'en conviens, un nouveau texte modifie les relations sociales, les rapports entre les individus,...

M. Daniel Paul. On avance !

M. le ministre délégué à l'industrie. ...la norme juridique en vigueur, autrement dit la notion de service public, s'impose exactement de la même manière aux cocontractants. Aujourd'hui, pour s'abonner à l'électricité, l'usager passe déjà, avec EDF, un contrat généralisé, qui porte le nom de contrat d'adhésion. Le caractère contractuel n'est donc pas une nouveauté. Le contrat devra respecter la loi, y compris celle du 10 février 2000, qui dit déjà à l'identique ce qu'à longueur d'amendements vous répétez.

Mais je perds mon temps à essayer de vous convaincre. Il s'agit simplement pour vous de manifester votre opposition par la répétition. Permettez-moi de vous dire que c'est un procédé qui dégrade la loi. Je respecte tout à fait votre droit d'opposition, mais ne prenez pas de grands airs pour dire que c'est une opposition de fond quand elle n'est que de forme.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Très bien !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1623.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 1602.

La parole est à M. Jacques Desallangre, pour le soutenir.

M. Jacques Desallangre. Je vais m'efforcer de ne pas prendre de grands airs pour défendre un amendement que nous considérons comme fondamental en ce qu'il vise à garantir la définition par voie législative des missions de service public dans les domaines précis du gaz et de l'électricité et à empêcher la contractualisation de ces missions.

Nous souhaitons qu'une telle définition relève de la compétence législative, et non d'un contrat de service public conclu entre l'État et les nouvelles sociétés chargées des missions et obligations de service public jusqu'à présent assumées par EDF-GDF et leurs filiales, parce que nous savons que la contractualisation n'a pas permis de répondre à ces exigences. Les engagements de service public figurant dans le contrat conclu entre l'État et EDF en 2001 n'ont pas été respectés. Il s'agissait notamment d'assurer la qualité de la fourniture et des services, la sécurité des installations, la solidarité nationale et l'aménagement du territoire, le respect de l'environnement, la transparence, la concertation et l'éthique.

Le rapporteur nous a expliqué qu'il y aurait eu conflit entre deux types de contrats, le contrat de service public, d'un côté, et le contrat d'entreprise pluriannuel, de l'autre, le contrat de service public ne constituant, en fait, selon le rapporteur, qu'« une annexe au contrat d'entreprise qui, en tant que contrat de gouvernance contenant des objectifs de rentabilité, s'est trouvé au cœur du dispositif contractuel ». Autrement dit, les engagements de service public n'ont pu être respectés parce que les objectifs de rentabilité inscrits au contrat de groupe ont primé.

Nous pensons que c'est le processus même de contractualisation qui doit être remis en cause. Les objectifs de service public doivent être inscrits au cœur de la loi et faire l'objet de la procédure législative. Ce sont les parlementaires qui doivent se prononcer sur le contenu des services publics qu'ils souhaitent, en l'occurrence sur les services publics précis, spécifiques du gaz et de l'électricité. La définition même de ces services publics doit donc relever de manière précise de la loi.

Quelles garanties aurons-nous en matière d'exigence de service public quand le capital sera ouvert ? Le désengagement actuel de l'État ne nous laisse présager rien de bon. Nous avons de bonnes raisons de croire que les missions de service public seront progressivement réduites a minima. Pour toutes ces raisons, et en application du principe de précaution, nous refusons la contractualisation des missions de service public.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Si cet amendement était adopté, quelles en seraient les conséquences ? Toutes les dispositions concernant le service public contenues dans les lois de 1946, de 2000 et de 2003 tomberaient puisque, selon les termes de l'amendement, elles seraient définies par la présente loi. (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jacques Desallangre. C'est spécieux !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Pour éviter un tel retour en arrière, le législateur ayant mis beaucoup de soin, depuis des années, à définir les missions de service public, je demande aux auteurs de l'amendement de le retirer, sinon, à l'Assemblée de le repousser, comme l'a fait la commission.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Même avis que la commission.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Je ne suis absolument pas du même avis que le rapporteur. Les mots ont un sens. Vous êtes un expert, monsieur le rapporteur, pour nous faire des remarques sur la forme et nous donner parfois des leçons. C'est votre rôle et tant que vous le jouerez sur un mode courtois, nous ne nous en émouvrons pas.

Selon les termes de l'amendement, ce sont les missions du service public de l'électricité qui sont définies par la présente loi, pas les principes. C'est là l'important. Pour l'instant, nous en sommes aux intentions et aux principes. Ce que souhaitent nos collègues, et nous partageons tout à fait ce point de vue, c'est entrer dans le détail pour rendre lisibles les engagements qui seront tenus vis-à-vis de nos concitoyens. Il s'agit donc bien de préciser les missions et non pas seulement les intentions et les principes. Votre texte ne le fait pas. Toute la différence est là.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1602.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 1553.

La parole est à M. Daniel Paul, pour le soutenir.

M. Daniel Paul. Pour défendre cet amendement, je citerai respectueusement ce qu'a dit ici même un prédécesseur de M. le ministre, qui s'appelait Marcel Paul, lors de la première séance du 27 mars 1946, consacrée à l'examen du projet de loi de nationalisation de l'électricité et du gaz :

« La misère énergétique du pays nous interdit de nous offrir le luxe d'une utilisation irrationnelle de ses disponibilités. Il faut absolument que tous les moyens de production soient mis en commun. Un décalage d'une demi-heure dans l'organisation technique de la production peut permettre l'économie d'un délestage. Voilà pourquoi il est indispensable qu'une conception générale unique préside, sur le plan technique, à la gestion de l'ensemble de nos ressources énergétiques afin que le pays puisse mettre en œuvre l'intégralité de ces moyens.

« Il faut également mettre de l'ordre dans le plan d'équipement. Nous croyons au développement de nos industries d'électrochimie et d'électrométallurgie. Nous avons aussi le grand espoir que nos chemins de fer vont pouvoir être largement électrifiés. Leurs besoins en énergie vont s'amplifier. Allons-nous assister à je ne sais quelle concurrence entre les entreprises d'électrochimie, les entreprises électrométallurgiques, les chemins de fer et notre mécanisme national d'électricité pour l'équipement de nos chutes d'eau ? » Marcel Paul avait, semble-t-il, une vision prémonitoire...

Il poursuivait ainsi : « Dans ce cas, les errements du passé persisteront certainement. Nous assisterions encore à l'écrémage des meilleures chutes d'eau, à l'utilisation des meilleurs barrages, c'est-à-dire ceux qui fournissent l'énergie la moins coûteuse, et lorsque le mécanisme général devrait intervenir pour assurer les besoins généraux de la nation, on serait obligé d'utiliser les chutes d'eau les plus coûteuses et l'on aboutirait ainsi aux prix de revient les plus élevés au détriment du consommateur.

« Il faut avoir une vue d'ensemble de ces problèmes. Notre pays ne peut s'offrir le luxe de la disparité dans ce domaine. »

Je vous poserai une seule question, monsieur le ministre : notre pays peut-il s'offrir le luxe de mettre en place un système énergétique analogue à celui qui prévalait avant la nationalisation d'EDF et de GDF ?

Les errements du passé évoqués par Marcel Paul, qui sont déjà ceux du présent pour nos voisins - je me réfère aux exemples étrangers - seront, pour nous, ceux du futur si votre funeste projet est voté.

C'est sur le plan technique et non sur le plan idéologique que se plaçaient, pour justifier la nationalisation, en 1946, les communistes, les gaullistes et les socialistes.

M. Jean Dionis du Séjour. Et les démocrates chrétiens !

M. Daniel Paul. Les démocrates chrétiens aussi.

C'était par pragmatisme. Leur démarche était donc radicalement opposée à celle que vous adoptez aujourd'hui, en vous montrant plus têtus que les faits eux-mêmes.

Aujourd'hui comme hier - réaffirmons-le avec force -, le service public et, notamment, la sécurité et la continuité d'approvisionnement des entreprises et des ménages ont besoin des entreprises énergétiques publiques telles qu'elles fonctionnent aujourd'hui.

Voilà pourquoi nous souhaitons, par notre amendement, que soit inscrit dans la loi que « les obligations de service public du gaz et de l'électricité, produits de première nécessité, priment sur le droit de la concurrence. Électricité de France et Gaz de France, entreprises publiques, sont l'instrument essentiel de la mise en œuvre du service public ».

Comme je l'ai dit dans mon intervention lors de la discussion générale, Marcel Paul et tous ceux qui œuvraient avec lui ont pris les décisions qui s'imposaient à l'époque. Depuis, deux éléments supplémentaires sont à prendre en compte. Premièrement, les ressources fossiles ne sont pas inépuisables et nous entrevoyons le moment où elles manqueront. Il serait donc de bonne politique de limiter leur utilisation. Deuxièmement, on sait aujourd'hui que l'utilisation des ressources fossiles a des conséquences sur l'effet de serre. Ces deux éléments viennent, non pas remettre en cause, mais renforcer encore les grands principes qui ont présidé à la nationalisation de l'électricité et du gaz en 1946.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. La commission n'est pas indifférente aux préoccupations qu'exprime M. Paul mais nous n'allons pas réécrire ce qui existe déjà dans plusieurs textes. C'est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Même avis que la commission.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. La position de la commission est regrettable, monsieur le rapporteur. Je soutiens l'amendement de nos collègues communistes avec force. Il est très important. Son objet essentiel est d'affirmer, comme nous l'avons fait nous-mêmes, que la vie des femmes et des hommes prime sur le droit à concurrence et leur dignité sur les lois du marché. C'est un amendement anti-écrémage.

Qu'est-ce à dire ? La crème, c'est ce qu'il y a de meilleur.

M. le ministre délégué à l'industrie. Pas pour le cholestérol !

M. François Brottes. Elle n'est pas bonne pour tout, j'en conviens, monsieur le ministre.

En général - mais cela dépend bien entendu de la famille dans laquelle on vit -, la crème est réservée aux repas de fête et du dimanche. On n'en mange pas toute la semaine ni à tous les repas.

Je prendrai un exemple dans un autre domaine. Le gouvernement Raffarin II avait supprimé l'aide médicale d'État - ce qui avait suscité notre indignation - au prétexte que, si la personne était étrangère, il n'y avait aucune raison de la soigner et de l'admettre dans nos hôpitaux.

M. Richard Mallié. Qu'est-ce que cela a à voir avec l'électricité ?

M. François Brottes. J'y viens, cher collègue.

Le gouvernement Raffarin III songe à revenir sur cette décision car il s'est rendu compte qu'elle était indigne et même dangereuse.

Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis. Nous prenons acte de cette évolution. Il va falloir, d'ailleurs, modifier la loi car, pour l'instant, l'AME est toujours supprimée.

J'ai pris cet exemple pour montrer que la dignité des femmes et des hommes, quelle que soit leur origine, doit primer sur le cynisme des économies budgétaires.

Personnellement, je ne suis pas contre la concurrence mais contre celle qui ne profite qu'à la crème. Voilà ce qui est dangereux.

Dès l'instant où il n'y a plus de pôle public dans le dispositif énergétique français, il faut renforcer la loi pour que priment toujours les missions de service public. C'est l'objet de l'amendement qu'a défendu M. Paul. Cela mérite que l'on s'y arrête. Cet amendement anti-écrémage devrait être voté par tous.

M. Daniel Paul. Oui, il le mériterait !

M. Richard Mallié. C'est une tarte à la crème !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1553.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 1624.

La parole est à Mme Janine Jambu, pour le soutenir.

Mme Janine Jambu. La libéralisation à tous crins à laquelle nous assistons, les privatisations, la dérégulation et la soumission de pans entiers de notre économie aux lois du marché risquent, à terme, de remettre en cause notre service public de l'énergie, facteur important d'aménagement de notre territoire et de cohésion sociale. Nous savons combien les services publics sont importants pour l'aménagement du territoire : ils permettent de valoriser toutes les parties du sol national et touchent toutes les populations françaises.

Nos entreprises EDF et GDF ont permis d'assurer l'indépendance énergétique de notre pays. EDF a mis en place un système de gestion des flux de la demande d'électricité original et particulièrement performant, capable de conserver des réserves de puissance disponibles très rapidement. Une règle fondamentale à la base même de notre service public de l'électricité et suivie par EDF jusque dans les années 90 imposait la permanence de l'équilibre offre-demande électrique au coût le plus bas possible sur l'ensemble du réseau, quelle que soit la conjoncture. L'ouverture à la concurrence remet en cause ce système ingénieux basé sur l'existence d'une surcapacité de production électrique. Nous risquons donc de sacrifier ce bel outil de régulation de la demande d'électricité, envié de tous nos partenaires européens.

On oublie aussi trop souvent que nous avons réussi à développer une industrie gazière de réputation internationale et d'assurer l'alimentation en gaz naturel de plus de dix millions de familles.

Ce sont précisément ces hautes exigences en matière de service public qui ont permis, entre autres, d'assurer l'indépendance énergétique de la France. Il est donc primordial d'inscrire dans la loi des exigences de cet ordre afin de préserver notre service public et de le moderniser.

L'amendement n° 1624 vise à définir les conditions auxquelles doivent être soumises les missions de service public. Il s'agit, en préambule, de définir les principaux objectifs régissant les services publics que nous voulons pour notre pays.

M. le président. Je vous remercie, madame Jambu ...

Mme Janine Jambu. J'ai presque terminé, monsieur le président.

Parmi ces objectifs, figure la nécessité d'assurer la sécurité et la continuité d'approvisionnement présents et futurs, condition sine qua non de notre indépendance énergétique.

L'égalité de traitement entre les usagers sur l'ensemble du territoire national doit être maintenue grâce, notamment, au maintien de la péréquation tarifaire.

Un service public de qualité doit aussi permettre d'atteindre les meilleures conditions possibles en matière de sécurité, de qualité, de coûts, de prix, y compris des services associés, et les meilleures conditions d'efficacité économique, sociale et énergétique.

Enfin, une véritable politique sociale en faveur des populations en difficulté doit être mise en œuvre. Nous plaidons notamment pour l'interdiction des coupures pour défaut de paiement et pour l'instauration d'une tranche tarifaire abordable pour toute personne en situation de précarité.

Tel est le sens de notre amendement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Avis défavorable, pour les raisons que j'ai déjà indiquées.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Même avis que la commission.

Mme Janine Jambu. C'est un peu court !

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Je déplore l'attitude de fermeture du rapporteur et du ministre. L'amendement défendu par Mme Jambu est de qualité et reprend certains points que nous avons déjà évoqués.

M. le ministre délégué à l'industrie. Je ne vous le fais pas dire !

M. Christian Bataille. C'est le rôle du service public que d'assurer à tous les usagers un approvisionnement sûr et continu. Pour assurer la sécurité et la continuité de l'approvisionnement, présent et futur, garantes de l'égalité de traitement entre les usagers, il faut procéder à une planification des investissements et avoir une vision prospective à vingt ou trente ans. En effet, compte tenu des délais de réalisation, une centrale électrique, surtout s'il s'agit d'une centrale nucléaire, se programme vingt ans à l'avance. La sécurité d'approvisionnement de demain doit donc se préparer aujourd'hui, et qui mieux que le service public peut le faire ?

Si elle est confiée au privé, la tentation sera grande de choisir des investissements à temps de retour court, des investissements immédiatement rentables. Les centrales à cycle combiné gaz vont se multiplier comme au Royaume Uni ou aux Etats-Unis, et ce ne sera pas une bonne chose. Autant celles-ci constituent un complément utile d'un réseau de distribution, autant elles peuvent présenter un risque si tous les investisseurs se mettaient à en construire et tous les usagers à demander du gaz. Cela provoquerait un déséquilibre. Autrement dit, le système libéral risque de favoriser le court terme et de se faire un croche-pied à lui-même.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1624.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à dix-neuf heures dix.)

M. le président. La séance est reprise.

Je suis saisi de treize amendements identiques, nos 542 à 554.

La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Je serais prêt à retirer ces amendements si M. le ministre me fournissait un complément d'explications.

M. le rapporteur et M. le ministre m'objecteront peut-être que les dispositions que nous proposons n'ont pas un caractère suffisamment normatif et qu'il ne convient pas de les faire figurer dans un texte de loi. Ils ne pourront cependant nier qu'il s'agit là d'une évidence.

Ces amendements rappellent la marge de manœuvre dont dispose l'État pour imposer certaines obligations aux opérateurs d'énergie. M. Francis Mer, alors ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, avait lui-même souligné, le 27 janvier 2003, que les États ont la capacité d'adapter les directives.

Nous avons eu tout à l'heure un débat sur l'impact des directives européennes. Ce sont souvent des cadres à l'intérieur desquels chaque État dispose d'une marge de manœuvre et d'une faculté d'interprétation pour leur mise en œuvre.

Nous discutons présentement de l'énergie. Mais il en est de même pour La Poste, dont nous débattrons prochainement. La directive postale permet aux différents pays de libéraliser complètement leur marché et de ne réserver aucun monopole aux opérateurs du courrier sur leur territoire.

La France a choisi, sous un précédent gouvernement - et cette option est maintenue -, de conserver une part du monopole du courrier, de façon à garantir un prix du timbre unique sur l'ensemble du territoire.

S'agissant de l'énergie, le gouvernement français va au-delà du seuil minimum fixé par la directive relative à l'énergie, puisque, aux termes de cette dernière, il n'est pas nécessaire de privatiser l'opérateur historique, lequel peut rester établissement public. La France a décidé d'aller au-delà de ce que lui imposait l'Europe et de se montrer plus libérale.

Pourquoi le Gouvernement n'use-t-il pas de la marge de manœuvre dont il dispose et ne propose-t-il pas un texte plus favorable au service public que celui-ci ?

Tout au long de l'examen du présent projet de loi, j'essaierai de convaincre M. le ministre, même si je ne me fais guère d'illusions sur mes chances d'y parvenir. Cela étant, si le Gouvernement voulait bien m'apporter quelque explication, je serais prêt à retirer ce bloc d'amendements.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. J'ai écouté avec intérêt M. Brottes et je lui répondrai avec courtoisie.

Quand on lit l'amendement n° 542 et les suivants, on croit lire un projet de directive européenne, car ils ne contiennent que des recommandations. Nous ne sommes donc pas ici au niveau normatif qu'exige la loi. Tout cela est du niveau de la circulaire. C'est pourquoi la commission a balayé ces amendements.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Je vous avais dit moi-même avec honnêteté que ces amendements avaient une portée normative discutable et que j'étais prêt à les retirer si vous admettiez avec moi que les directives laissent à chaque pays une marge d'appréciation. Vous ne m'avez répondu qu'en soulignant, à votre tour, le caractère insuffisamment normatif de ces amendements. En fait, il s'agissait d'« enfoncer le clou » et de dire que les directives ne sont pas forcément porteuses de tous les maux qu'on leur attribue.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l'industrie. Je conviens volontiers que la directive laisse une latitude aux États et qu'elle nous permet d'imposer des obligations de service public.

Dans les lois de 2000, et de 2003, comme dans le présent projet, sont posées de telles obligations, conformément à la latitude laissée par la directive.

Je crois donc que ces amendements pourraient être retirés.

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Monsieur le ministre, je suis tout à fait sensible à votre argumentation, mais elle n'emporte pas ma conviction.

La latitude laissée aux États est un des acquis de Barcelone, je vous le rappelle. Ce maudit Barcelone aura donc tout de même laissé quelques traces positives.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Je vais, avec l'accord de mes collègues, retirer ces amendements.

Il était important que M. le ministre confirme l'existence de cette latitude laissée aux États, pour corriger l'effet de propos lapidaires du type : « Si nous faisons ceci ou cela, c'est à cause des directives... »

Cela étant, l'explication me convient, et je retire ces amendements, qui constituaient un appel à pédagogie.

M. le président. Les amendements nos 542 à 554 sont retirés.

Je suis saisi d'un amendement n° 1233.

La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le soutenir.

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le président, l'UDF est pour l'instant restée discrète...

M. le président. Cela pourrait continuer !

M. Jean Dionis du Séjour. ...mais nous espérons bien que les quatre amendements, dont voici le premier, que nous allons vous présenter, retiendront l'attention de nos collègues.

Vous ne pourrez, monsieur le rapporteur, nous accuser de faire du « copié-collé » de la loi de 2000. L'UDF est favorable à la construction d'une Europe juridique ; aussi avançons-nous avec, dans une main, la loi de 2000 et, dans l'autre, la directive 2003/54/CE que le projet de loi cherche à transposer, non sans problèmes. D'où ces quatre amendements : l'amendement n° 1233 que je vais vous présenter, suivi de trois autres, nos 1220, 1217 et 1218, qui se proposent, pour les deux premiers d'entre eux, de transposer les paragraphes 3 et 5 de la directive 2003/54/CE, qui instaurent le service universel.

Une remarque préalable de forme et de procédure : rappelons que ces dispositions n'ont pas été discutées sur le fond. C'est donc maintenant qu'il va falloir engager cette discussion. Or nous pensons, modestement, poser un problème de fond.

On peut l'aimer ou pas, mais il existe bien, d'une part, un modèle européen, qui repose sur un marché ouvert à la concurrence et régulé par des instances nationales - pour la France, la commission de régulation de l'énergie -, et, d'autre part, un service universel, qui définit les droits fondamentaux des consommateurs.

Ce modèle européen, qui s'applique, avec une certaine cohérence, dans les divers secteurs de l'économie nationale - c'est le cas dans les télécoms -, inspire clairement la directive européenne. Or, et c'est un point sur lequel je rejoins mon collègue Bataille, le sommet de Barcelone, en 2002, même s'il a souvent été critiqué, n'en est pas moins celui où est apparu un élément nouveau : pour la première fois, la France a pu imposer, en plus du modèle européen, la notion de service public. Il n'est qu'à voir l'intitulé de l'article 3 de la directive : « Obligations de service public et protection des consommateurs ». On voit bien, et je veux y insister, que le service public et la protection des consommateurs, ce n'est pas la même chose.

Ainsi, en 2002, la France a remporté une victoire en imposant un de ses concepts fondamentaux : la notion de service public. Mais cette victoire nous oblige, en tant que législateur, à faire preuve d'innovation et d'audace. Pour la première fois, nous allons devoir mettre en cohérence trois principes fondateurs : le marché, la concurrence et sa régulation, le service universel - droits des utilisateurs, entreprises et résidents - et le service public. Encore faut-il avoir du service public une vision qui soit en cohérence avec le service universel.

Qu'est-ce que le service public ? Vous-même, monsieur le ministre, ne dites pas autre chose dans votre article 1er : c'est un ensemble de missions contractuelles confiées par l'État français à une entreprise publique afin d'atteindre un certain nombre d'objectifs. Mais il y a un grand absent dans votre projet de loi : le service universel et, au-delà, les droits des consommateurs.

Voilà pour ma remarque introductive, monsieur le président, et je vous remercie de votre patience. Venons-en à mon amendement n° 1233.

Nous sommes, disais-je, avec, dans une main, la loi de 2000. Eh bien, par cet amendement, nous proposons de réécrire le II de l'article 2 de ce texte. Le but est de conforter le service public, de préciser et d'élargir ses missions en y apportant plusieurs ajouts.

Le premier de ces ajouts consiste à prendre en compte la dimension de l'efficacité énergétique et économique. Nous venons d'adopter le projet de loi d'orientation sur l'énergie ; il est essentiel que les entreprises publiques de fourniture d'électricité et de gaz soient elles aussi mobilisées autour du thème des économies d'énergie. Or nous avons connu, osons le dire, certains dérapages dans le passé : ainsi le chauffage électrique a fait l'objet de campagnes de promotion proprement abusives au regard de la notion d'économies d'énergie.

Deuxième ajout, nous tenons à insister sur l'importance de l'accueil, du conseil et de l'aide aux utilisateurs, autant de notions absentes de la loi de 2000 et qu'il serait intéressant d'introduire, en visant plus particulièrement deux cibles : les quartiers de la politique de la ville et les territoires ruraux. Je rejoins totalement à cet égard mes collègues David Habib ou Jean Lassalle : dans nos régions, une agence EDF, cela compte et cela fait partie de cette armature de services publics que nous voyons peu à peu s'effilocher.

Troisièmement, nous tenons à préciser que la fonction de cohésion sociale entre également dans les missions de service public. Or un des moyens d'y parvenir consiste à inscrire clairement dans la loi de principe de péréquation géographique nationale des tarifs.

Tel est l'objet de notre amendement n° 1233.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. M. Dionis du Séjour et les membres de son groupe nous proposent un amendement intéressant, puisqu'il tend à conforter le service public de proximité. Et les arguments qu'il présente à l'appui tendent à confirmer cette bonne impression. J'y suis donc, tout comme la commission, favorable. Notre collègue me permettra toutefois deux remarques.

Pour commencer, les quatre alinéas qu'il propose d'introduire avant l'article 1er ne sont peut-être pas situés là où ils le devraient. Sans doute seraient-ils mieux ailleurs. Cela dit, c'est maintenant qu'ils viennent en discussion ; libre au Sénat de faire œuvre utile en les déplaçant. L'essentiel reste qu'ils soient là où ils doivent être, c'est-à-dire dans la loi.

En revanche, le II de son amendement n° 1233 est la réplique d'un alinéa de l'article 30 du projet de loi. On nous reproche parfois de réécrire dans un texte des dispositions qui existent déjà dans d'autres lois ; sachons raison garder et n'allons pas écrire deux fois la même chose dans un texte. Aussi proposerai-je à M. Dionis du Séjour de supprimer ce II, auquel cas nous adopterons volontiers son amendement.

J'ai bien entendu le développement de notre collègue sur le service universel et je comprends les raisons qui l'ont amené à déposer ses trois autres amendements. Reste que nous nous retrouvons devant une forme redondante, et de surcroît restrictive par rapport à la notion de service public, telle qu'elle est actuellement définie, puisqu'elle limite le droit de raccordement et d'approvisionnement des particuliers et des petites et moyennes entreprises.

C'est la raison pour laquelle je proposerai à M. Dionis du Séjour un paquet global, en lui demandant de retirer ces trois autres amendements, tout en invitant l'Assemblée à adopter l'amendement n° 1233, le plus significatif, compte tenu de la rectification - la suppression du II - que j'ai proposée précédemment.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 1233 de M. Dionis du Séjour dans les mêmes conditions, autrement dit s'il accepte d'en supprimer le II, plutôt perturbant.

Un mot sur ses trois autres amendements : le Gouvernement, tout comme la commission, lui demande de les retirer. Non qu'ils ne soient pas intéressants - n'y voyez aucun lot de consolation ou hypocrisie -, mais tout simplement pour une raison de cohérence : l'ouverture aux ménages n'interviendra pas avant 2007 - et seulement une fois effectué le bilan prévu à Barcelone - et ne peut se faire que par la loi. Ce sera forcément l'occasion d'en reparler.

M. François-Michel Gonnot. Très bien !

M. le président. Monsieur Dionis du Séjour, acceptez-vous la rectification proposée par M. le rapporteur ?

M. Jean Dionis du Séjour. Oui, monsieur le président. Je suis favorable à la suppression du II, telle que l'ont suggérée M. le rapporteur et M. le ministre, que je remercie de cette avancée.

M. le président. La parole est à M. François-Michel Gonnot.

M. François-Michel Gonnot. Nous avons en effet largement approuvé cet amendement en commission. Notre collègue Dionis du Séjour évoque deux problèmes : celui de la proximité avec la clientèle, mais également celui de la recherche et du développement dans le domaine énergétique.

Au cours de la très large concertation que vous avez menée ces dernières semaines, monsieur le ministre, vous avez sûrement entendu la position des organisations syndicales. De notre côté, nous avons également rencontré de nombreuses délégations qui comptaient souvent des gens de la recherche, particulièrement inquiets. Durant toute la discussion du projet de loi d'orientation sur l'énergie, nous avons bien compris toute l'importance que continuera à revêtir demain la recherche, notamment électrique et gazière. Quel langage, monsieur le ministre, avez-vous tenu à cet égard aux organisations syndicales ? Leur avez-vous apporté des éléments de nature à rassurer les personnels et tous ceux qui sont engagés dans la recherche, que ce soit au sein des deux opérateurs EDF et GDF ou que ce soit au sein de la filière industrielle qui est derrière ? Je me suis absenté cet après-midi durant deux heures pour assister à l'assemblée générale des entreprises du génie électrique. Nous avons là toute une filière industrielle qui travaille avec nos opérateurs historiques et qui demain travaillera également avec de nouveaux opérateurs. Nous devons ambitionner de faire en sorte que cette filière soit dans le sillage des champions européens que nous voulons contribuer à construire dans ce texte. C'est à quel point l'aspect recherche est important. Pouvez-vous éclairer la représentation nationale sur ce qu'il est envisagé de demander demain à nos sociétés publiques ?

S'agissant des relations avec la clientèle, les opérateurs historiques font des efforts très importants, à grands renforts de publicité, en direction de leurs clients éligibles, les professionnels, et d'une façon plus large de l'ensemble des Français pour expliquer l'ouverture du marché à la concurrence.

J'ai, comme tout un chacun, lu dans la presse leurs campagnes publicitaires qui assurent vouloir être « toujours au plus près des usagers », « toujours plus attentifs à leurs besoins ».

J'ai également lu une déclaration de M. le ministre d'État dans laquelle celui-ci s'engageait sur le maintien d'une présence des services d'EDF et de GDF sur l'ensemble du territoire national - telle est d'ailleurs la préoccupation de notre collègue Dionis du Séjour. Or, nous venons d'apprendre, monsieur le ministre, dans ma circonscription, que la seule agence commerciale d'EDF de l'arrondissement de Compiègne - EDF-GDF Distribution - va fermer. Les 160 000 habitants concernés ne pourront donc plus joindre EDF que par téléphone. EDF nous dit certes que les usagers utilisent surtout le téléphone pour régler leurs problèmes. Mais qu'en sera-t-il, s'il n'y a plus d'agence, pour nos concitoyens les plus démunis, qui n'ont pas ou plus le téléphone, notamment pour cause d'impayés ? À qui s'adresseront-ils pour exposer leurs difficultés, essayer d'obtenir des délais de paiement ?

J'ai vu dans cette décision de fermeture une énorme maladresse, sinon une entorse aux engagements pris par le ministre d'État, qui semblait pourtant beaucoup tenir à la proximité. Peut-être que ma circonscription est une victime malheureuse. Peut-être vais-je apprendre dans les prochains jours qu'il s'agissait d'une regrettable erreur, et que l'agence rouvrira ses portes. Néanmoins, je souhaiterais que le Gouvernement s'engage clairement quant au maintien de la présence, non seulement des services techniques, mais aussi des agences commerciales d'EDF sur l'ensemble du territoire national. C'est important et nous sommes d'accord pour le reconnaître. On ne peut pas à la fois affirmer vouloir être au plus près des clients et fermer une agence en laissant 160 000 habitants sans interlocuteur !

M. Daniel Paul et M. Jacques Desallangre. Très bien !

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. L'amendement n° 1233 est séduisant, car il reprend certains principes des amendements que nous avions proposés tout à l'heure, qui tous ont été repoussés, alors que celui-ci semble agréer au Gouvernement et à la commission. Peut-être faut-il y voir, de la part de l'UMP, une volonté de se rapprocher de l'UDF après le scrutin de dimanche dernier ? (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Notre lecture du débat est, certes, politique, mais c'est ainsi que nous interprétons la position de l'UMP à l'égard de l'UDF. Chaque majorité a ses préoccupations, et ce n'est pas critiquable.

M. Jean Dionis du Séjour. Il fallait oser le dire ! (Sourires .)

M. François Brottes. Par-delà les mots, qui sont certes importants, il faut s'en tenir aux actes. M. le ministre y a fait allusion tout à l'heure et c'est bien ce qui nous inquiète.

La majorité, élargie à l'UDF - peut-être même que l'UDF est passée devant l'UMP -, est en passe de transformer l'établissement public en société anonyme, puis d'ouvrir le marché aux ménages. Le changement du statut est quasiment acquis, et je doute que nous puissions vous convaincre d'y renoncer. Pour le reste, l'ouverture du marché aux particuliers, annoncée pour juillet 2007, n'est pas obligatoire : les États peuvent s'y opposer, Lionel Jospin l'avait fait à Barcelone. Ils peuvent résister afin de permettre une réelle péréquation des tarifs, un vrai service de proximité. Ils seraient même bien inspirés s'ils le faisaient, compte tenu du tournant déjà pris, comme par anticipation. Voyez l'exemple de notre collègue Gonnot, qui n'est pas le seul martyr dans cet hémicycle en matière d'atteinte à l'existence d'un service de proximité.

M. Daniel Paul. Absolument !

M. François Brottes. La directive comporte une disposition qui m'inquiète beaucoup : celle qui prévoit expressément que, pour les usagers domestiques, les États puissent recourir à un « fournisseur du dernier recours ». La formule dit bien ce qu'elle veut dire.

Avec une ouverture totale à la concurrence et des acteurs tous privés, le jeu du marché pourrait conduire à délaisser des pans entiers de notre territoire et l'État devra, pour un certain nombre de nos concitoyens, se substituer à la carence du marché en désignant un fournisseur du dernier recours.

Dans quelles conditions se fera cette fourniture ? On ne peut qu'être inquiet à ce sujet quand on voit comment cela se passe pour ce qui est des médecins de campagne. Je pense qu'on court à la catastrophe.

Cet amendement comporte des objectifs auxquels on peut adhérer. Mais pour notre part, nous ne souhaitons pas modifier le statut d'EDF et nous sommes favorables au maintien d'un opérateur public. En outre, s'agissant de l'ouverture à la concurrence, ce qui existe aujourd'hui est largement suffisant.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l'industrie. Je suis bien en peine de répondre à M. Brottes, puisqu'il nous invite ni plus ni moins à retirer notre texte !

M. François Brottes. Absolument !

M. Daniel Paul. Ce serait la sagesse !

M. le ministre délégué à l'industrie. J'ai eu du mal à parvenir à cette déduction, mais finalement, j'y suis arrivé ! (Sourires .)

M. François Brottes. Quelle perspicacité !

M. le ministre délégué à l'industrie. Je dois reconnaître que j'ai eu des doutes pendant un moment.

M. le président. Les doutes sont levés !

M. le ministre délégué à l'industrie. Maintenant qu'ils sont levés, monsieur Brottes, je n'ai pas grand-chose à ajouter.

En revanche, je peux répondre à M. Gonnot et le rassurer pour ce qui concerne la recherche : les contrats de service public comporteront des objectifs précis et quantifiés. Par ailleurs, le choix de l'EPR garantit un effort important de recherche.

M. Richard Mallié. Il ne faut pas oublier l'ITER.

M. le ministre délégué à l'industrie. S'agissant des relations avec la clientèle, vous l'avez dit vous-même, l'essentiel des contacts avec EDF - 85 % - se fait d'ores et déjà par téléphone. Si cela ne justifie pas tout, c'est tout de même significatif. Par ailleurs, l'entreprise a organisé un maillage du territoire en 102 centres, qui correspondent à peu près au découpage des départements. Pour le reste, EDF, comme La Poste, développe des points de contact et mène une politique qui consiste à mutualiser ses moyens avec d'autres services publics ou des partenaires privés.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1233, tel qu'il a été rectifié.

(L'amendement, ainsi rectifié, est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 1220.

La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le soutenir.

M. Jean Dionis du Séjour. Je souhaite remercier M. le ministre et M. le rapporteur d'avoir accepté l'amendement n° 1233. Cela montre, comme le ministre s'y était engagé, que des avancées sont encore possibles sur ce texte au Parlement : il avait annoncé deux mi-temps, l'une avec les syndicats, l'autre avec le Parlement. Les syndicats sont tout à fait légitimes et ils ont des armes dont nous ne disposons pas.

M. François Brottes. Ils ne sont tout de même pas armés !

M. Jean Dionis du Séjour. Notre force, à nous, c'est la légitimité démocratique. Je tiens à nouveau à remercier le rapporteur et le ministre pour l'avancée que nous venons de faire.

J'en viens à mon amendement n° 1220 que j'ai déjà un peu présenté tout à l'heure. L'article 3 de la directive du 26 juin 2003, relatif aux obligations de service public et à la protection des consommateurs, définit, notamment en ses alinéas 3 et 5, le service universel.

La directive exige des États membres qu'ils « veillent à qu'au moins tous les clients résidentiels et, lorsqu'ils le jugent approprié, les petites entreprises (à savoir les petites entreprises sont définies comme des entreprises employant moins de cinquante personnes et dont le chiffre d'affaires annuel n'excède pas dix millions d'euros) aient le droit de bénéficier du service universel,... ». C'est un droit, chers collègues communistes, et non une mission d'État. Vous n'avez pas le droit d'écarter d'un revers de main le modèle européen. Le droit des consommateurs est en cause, et le Parlement est tenu de transposer ces dispositions de la directive. Je vous le dis, fort de ma conviction européenne !

Je me suis retrouvé dans les propos de notre collègue Gonnot. Nous n'en sommes pas encore à l'ouverture du marché à la concurrence pour les particuliers, mais nous y serons pour les entreprises au 1er juillet 2004. La directive européenne leur donne un droit fondamental. Le concept de service universel constituerait une avancée, par exemple, pour les petites entreprises rurales de ma circonscription. Elles bénéficieraient du droit d'être approvisionnées, sur leur territoire, en électricité d'une qualité bien définie, à des prix raisonnables, et dans des conditions de totale transparence.

C'est un point essentiel, monsieur le ministre. Des avancées très importantes et des compromis ont eu lieu avec les syndicats - l'UDF a du reste salué cette méthode. Ici au Parlement, nous honorerions de faire une avancée majeure dans ce domaine.

Le rapporteur m'a fait observer tout à l'heure qu'il manquait des précisions concernant l'interconnexion. Je suis disposé à les ajouter.

Je rappelle que nous légiférons pour garantir que le marché fonctionne bien, que le service public à la française fonctionne avec des missions claires données par l'État à EDF, et que le service universel, c'est-à-dire un ensemble de droits, non seulement des consommateurs, mais aussi des entreprises, soit assuré.

M. le président. Puis-je considérer qu'en défendant l'amendement n° 1220, vous avez également défendu l'amendement n° 1217 ?

M. Jean Dionis du Séjour. En effet, monsieur le président.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur ces amendements ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. J'ai accepté le premier amendement de M. Dionis du Séjour, mais en lui demandant en contrepartie de retirer les suivants. Il s'est contenté de la première partie de la proposition : dont acte !

Que les choses soient claires, monsieur Dionis du Séjour : en France, le service universel, tel qu'il est défini dans la directive, est réalisé. Le service universel, c'est bénéficier « du droit d'être approvisionnés, sur leur territoire, en électricité d'une qualité bien définie, et ce à des prix raisonnables, aisément et clairement comparables et transparents. »

Ce service universel est prévu dans les textes en vigueur. Que peut-on ajouter ? Le droit d'être raccordé existe pour tout le monde, personne physique ou morale. Le droit d'être approvisionné est évidemment assuré pour ceux qui sont fournis par EDF. Si une personne - aujourd'hui une personne morale - sort du tarif EDF, c'est qu'elle a un fournisseur. Si ce fournisseur est défaillant et que cette personne n'en trouve pas d'autre, il est prévu qu'un appel d'offres est lancé par le gestionnaire du réseau de transport.

Le dispositif existant répond entièrement à vos préoccupations, monsieur Dionis du Séjour. Je vous demande donc à nouveau instamment de retirer vos amendements.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Même avis que la commission.

M. le président. Monsieur Dionis du Séjour, maintenez-vous nos amendements nos 1220 et 1217 ?

M. Jean Dionis du Séjour. Je maintiens mes amendements car ils sont au cœur de nos convictions européennes.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Il s'agit d'un point important. Beaucoup ici sont d'accord pour défendre le droit à l'énergie. En matière de ressources énergétiques, l'ensemble du continent européen est dans la même galère : peu de pétrole, du charbon de moyenne qualité -de la tourbe en Allemagne et en Pologne -, peu de gaz, sauf en Norvège, et des réserves en voie d'extinction.

Dans nos différents pays se sont constituées, au fil des années, des entreprises énergétiques puissantes, ainsi que des traditions parmi les entreprises industrielles et les consommateurs. Toutefois, ces entreprises n'ont pas tous le même statut ni la même approche. Je ne rêve pas d'une Europe construite partout à l'identique, mais je souhaite qu'on préserve les acquis de chaque peuple. Le développement d'EDF en 1946 s'est fait dans les conditions que j'ai rappelées en citant des propos de Marcel Paul.

Mes chers collègues, confrontés à la raréfaction des ressources, au problème de l'effet de serre et à la nécessité pour nos concitoyens, entreprises ou particuliers, d'accéder à l'énergie, nous ne concevons pas, sur le territoire européen, la politique énergétique en termes de concurrence, mais en termes de coopération entre les entreprises énergétiques, sous contrôle public, qu'il relève des États ou, dans le futur, selon des conditions à déterminer, d'une autorité européenne - sans doute une agence, mais nous n'en sommes pas encore là.

À M. Dionis du Séjour qui voudrait nous convaincre qu'il existe une attente de la part des entreprises et des particuliers, je rappellerai que des entreprises, y compris dans notre pays, font actuellement l'expérience de la concurrence. M. Bataille a cité le cas d'Eramet qui avait quitté EDF et qui, s'étant aperçue qu'elle s'était fait duper, voudrait renouer avec elle. Or, conformément à la logique actuelle,...

M. François-Michel Gonnot. Non, c'est la loi ! Il n'y a plus de tarifs imposés.

M. Daniel Paul. ...EDF veut lui faire payer son infidélité.

Mais derrière les entreprises, qu'il s'agisse d'Eramet ou d'une entreprise publique comme les chantiers navals, la DCN ou les unités de fabrication des Airbus, à Toulouse, il y a des hommes, lesquels doivent primer. L'énergie, qui est un bien vital pour tous, ne doit pas être soumise à des logiques de concurrence destructrices pour les entreprises, pour les hommes et pour les territoires.

Mon cher collègue, nous n'avons pas la même conception de la construction européenne,...

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est certain !

M. Daniel Paul. ...en particulier dans le domaine énergétique. C'est pourquoi nous ne vous rejoindrons pas sur ce sujet.

M. le président. La parole est à M. François-Michel Gonnot.

M. François-Michel Gonnot. Ce débat est important. Je comprends que notre collègue de l'UDF soit attaché au service universel. En Europe, il est à construire. Le débat ne date d'ailleurs pas d'aujourd'hui et il n'est pas limité à l'énergie. Quand il s'est agi de libéraliser les services de La Poste, les télécoms ou le transport ferroviaire, on s'est interrogé sur l'harmonisation de ce que nous nous appelons les services publics, notion très française. Dans certains pays, les services publics n'ont pas le niveau des nôtres, ils ne représentant pas autant de « droits acquis », dirait, à juste titre, M. Paul. Dans d'autres, ils sont presque inexistants.

Aujourd'hui, il y a un grand débat...

M. Daniel Paul. Une inquiétude !

M. François-Michel Gonnot. ...entre les opérateurs et les gouvernements en vue de définir ce que pourrait être, conformément à la directive évoquée par M. Dionis du Séjour, un service universel en matière énergétique. Mais, et le ministre l'a dit à plusieurs reprises, le service public à la française, c'est le « quatre étoiles » du service universel,...

M. le ministre délégué à l'industrie. Eh oui !

M. François-Michel Gonnot. ...fondé sur soixante ans d'histoire et établi par la loi, notamment celle de février 2003 dont nous avons voulu, quasi unanimement, rappeler un certain nombre d'éléments de base dans le projet de loi d'orientation sur l'énergie.

C'est pourquoi je comprends que le ministre et le rapporteur demandent à notre collègue de retirer ses amendements. Ils n'apportent rien à ce qui existe déjà, c'est-à-dire le service public à la française, que, tous, nous voulons défendre, chacun à sa manière. Excusez-moi de le dire, mais le service universel, c'est le parent pauvre du service public.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Tout à fait !

M. François-Michel Gonnot. C'est ce que l'Europe a commencé à mettre en place dans un certain nombre de secteurs d'activité pour ouvrir un minimum de droits à ceux qui n'en ont pas ou trop peu.

Nous ne pouvons nous retrouver dans le combat livré par notre collègue au nom de l'Europe, puisque, après l'avoir fait en 2000, en 2003 et, plus récemment avec la loi d'orientation sur l'énergie, nous voulons graver dans le marbre les fondements d'un service public allant bien au-delà du service universel que l'on cherche à instaurer ici ou là en Europe. J'appelle donc, moi aussi, mon collègue Dionis du Séjour à retirer ses amendements. Ses sentiments européens n'en seront pas flétris.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Personne ne peut douter de l'honnêteté de l'engagement ou de la force des convictions européennes de M. Dionis du Séjour. D'autres dans cet hémicycle sont aussi engagés dans ce domaine, pas toujours au nom des mêmes valeurs. Cela fait partie des éléments qui nous différencient, ce que nous avons du mal à expliquer à nos concitoyens. C'est pourquoi nous ne pouvons pas, au détour d'amendements « de bonne conscience », nous laisser aller. Nous sommes pour un service « quatre étoiles » pour tout le monde, non pour une Europe garantissant seulement un droit maximum à la concurrence et un service minium à nos concitoyens. Nous ne pouvons donc pas nous associer à une démarche qui ne laisserait plus de latitude aux États pour interpréter les directives.

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Je tenterai une dernière explication, le projet de loi et la directive entre les mains.

M. le ministre délégué à l'industrie. Cela fera trois fois !

M. Jean Dionis du Séjour. La mission de fourniture de service impose un certain nombre d'obligations. Or, pour le moment, la mission prévue par la loi vise surtout les clients non éligibles, tandis que la directive évoque des droits pour les clients éligibles.

Nous avons eu débat important. En signe d'apaisement et pour montrer que nous n'avons pas l'intention de faire passer en force nos amendements, notamment compte tenu du poids du groupe UDF,...

M. François Brottes. C'est lucide !

M. Jean Dionis du Séjour. ...je retire mes amendements nos 1220 et 1217, mais je suis heureux qu'ils nous aient permis d'avoir ce débat. Bien entendu, je retire également l'amendement n° 1218, qui était un amendement de conséquence.

M. le président. Les amendements nos 1220 et 1217 sont retirés, de même que l'amendement n° 1218.

Je suis saisi d'un amendement n° 1635.

La parole est à Daniel Paul, pour le soutenir.

M. Daniel Paul. Je le retire.

M. le président. L'amendement n° 1635 est retiré.

Je suis saisi d'un amendement n° 1629.

La parole est à M. Jacques Desallangre, pour le soutenir.

M. Jacques Desallangre. Il s'agit, avant l'article premier, d'insérer un article ainsi rédigé : « Un bilan démocratique et contradictoire des conséquences sociales du processus d'ouverture à la concurrence du secteur de l'énergie sera engagé dans les trois mois suivant la promulgation de la présente loi. La poursuite de ce processus, notamment l'ouverture à la concurrence pour les consommateurs domestiques, est subordonnée à l'examen de ce bilan par le Parlement. »

On connaît l'expérience des chemins de fer britanniques. Elle illustre dramatiquement les conséquences entraînées par la logique du profit et du sous-investissement dans les services publics. Il est inutile de rappeler les accidents qui ont défrayé la chronique. Vous dites vous-même, monsieur le ministre, que l'énergie est un secteur bien trop important pour en débattre de façon polémique. Les électeurs britanniques sont d'accord avec vous, puisque 60 % d'entre eux sont favorables à la renationalisation du rail.

Au même titre que le rail, le secteur de l'électricité impose la réalisation d'investissements, lesquels ne sont souvent rentables qu'à long terme, mais sont garants d'une qualité et d'une sécurité des services rendus. Or le marché, par définition instable, et le besoin de rendement restreignent souvent les investissements. Que penser d'une ouverture du marché aux investissements privés pour le financement des centrales nucléaires ? La complexité des installations de production d'énergie, leur haut niveau de technicité et les risques qu'elles peuvent représenter pour ceux qui les exploitent et pour les populations requièrent des salariés en nombre suffisant et aux compétences individuelles et collectives leur permettant d'assumer ces responsabilités.

Une fois de plus, force est de constater que la sécurité et la sûreté ne font pas bon ménage avec la recherche de rentabilité maximale. La sous-traitance, la mobilité forcée cassent les collectifs de travail qui sont à la base des formations des salariés.

Au regard des incertitudes qui planent sur la sécurité de l'approvisionnement en énergie, sur les augmentations de tarif, nous renouvelons notre demande au Gouvernement de se livrer à un bilan de la libéralisation de l'énergie que ce soit en matière de production ou de distribution. La poursuite du processus d'ouverture à la concurrence pour les consommateurs domestiques serait subordonnée à l'examen de ce bilan par le Parlement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Cet amendement et les suivants, nos 1630 à 1634, proposent que soit établi un bilan démocratique et transparent. En clair, ce sera un rapport supplémentaire. Notre assemblée devrait être attentive à ce problème. Tout le monde est concerné, car des amendements de ce type émanent de tous les bancs. Nous croulons sous les rapports, et je n'aurai pas la cruauté de demander qui les lit - sans doute quelques experts. Il faut cesser d'en réclamer.

M. Daniel Paul. Faut-il cesser de réfléchir aussi !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. L'intention des auteurs de l'amendement est tout à fait compréhensible. Je dirai même qu'elle est louable.

M. Daniel Paul. Elle est excellente !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. L'objectif est en effet d'y voir clair à plus long terme, ce qui est intéressant.

M. Jacques Desallangre. Réfléchir d'abord et agir ensuite !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Cela dit, la décision de Barcelone, tant décriée par nos collègues socialistes,...

M. Christian Bataille. Par vous !

M. le ministre délégué à l'industrie. Mais non !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. ...et la directive de 2003 prévoient un rapport d'étape en 2006.Voilà une disposition heureuse. Nous avons un nouveau dispositif avec une ouverture supplémentaire à la concurrence à compter du 1er juillet 2004, et dans deux ans nous ferons le point. Je vous suggère que nous nous retrouvions sur cette proposition de rendez-vous qui vous donne satisfaction quant au fond. Donc, avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Même avis que la commission sur les six demandes de rapports. Que de forêts dévastées en perspective ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. J'estime quant à moi que ces rapports sont nécessaires.

M. le ministre délégué à l'industrie. Tous les six ?

M. Christian Bataille. A force d'ironiser, M. le rapporteur va finir par accréditer l'idée que sa majorité est hostile à la décision de Barcelone,...

M. le ministre délégué à l'industrie. Moi je suis pour !

M. Christian Bataille. ...ce qui risque fort de déplaire à son principal acteur, à savoir le Président de la République, Jacques Chirac.

Pourquoi ces rapports sont-ils nécessaires ? Parce que ce projet de loi va bouleverser le système électrique et gazier et mettre sens dessus dessous une organisation qui a fait ses preuves, qui a montré son efficacité. Parce que vous allez remettre en cause des entreprises publiques qui marchent et, par là même, faire courir des risques considérables à la collectivité nationale. Il faudra donc procéder assez rapidement à une évaluation. Vous pourrez alors éventuellement faire amende honorable et accepter l'échec.

Nous avons bien vu ce que donnait la libéralisation à marche forcée en Grande-Bretagne. Or, c'est bien cela que je vous soupçonne de vouloir faire, car je ne crois pas un seul instant M. Sarkozy quand il dit qu'il n'est pas question de privatiser EDF et GDG, que le service public n'est pas en cause. C'est bien la privatisation qui est au bout de la ligne droite. Par conséquent, nous devons pouvoir évaluer les dégâts qui en résulteront pour éventuellement redresser la barre.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Nous avons déposé une série d'amendements qui prévoient d'engager un bilan précis sur le plan social, tarifaire, économique, environnemental, de cette course effrénée à la libéralisation. Je trouve un peu légère votre façon d'aborder la question, monsieur le rapporteur. Il est vrai que des accords européens datant de quelques années ont prévu un bilan d'étape pour 2006. Je ne fais pas de ce qui s'est passé à Barcelone l'alpha et l'oméga de mon analyse, mais, depuis, nous sommes en mesure de faire le bilan pour ce qui concerne non seulement l'approvisionnement des consommateurs, des familles, mais également celui du secteur économique, industriel.

Je ne reviendrai pas sur ce qu'ont dit certains responsables économiques, M. Peyrelevade ou M. Beffa. Tous sont inquiets. Je vais vous lire quelques titres parus dans la presse : « La SNCF proteste contre une augmentation de 40 % de sa facture d'électricité » - AFP, 26 mars 2004 ; « Record sur les marchés du courant aux États-Unis en 2003 » - Enerpresse, janvier 2004 ; « En Californie, la régulation a tourné à la catastrophe » - Le Monde, novembre 2003 ; « États-Unis : chacun cherche sa solution à la crise » ; « Une mauvaise année pour la dérégulation au Canada, en Ontario » ; « Cinq livres de hausse de la facture pour éviter la pénurie d'énergie » ; « Londres met le black-out sur les black-out de l'été » Et je pourrais continuer, j'en ai encore deux pages !

On ne peut pas dire que la presse qui se fait l'écho de ces protestations soit hostile à la libéralisation. Ce n'est pas L'humanité, mon journal favori, qui écrit cela, mais ce sont Le Monde et L'express, qui ne sont pas des journaux suspects de connivence avec les communistes ! Ils dressent un constat objectif et reflètent tout simplement l'opinion de ceux que l'on appelle les décideurs économiques.

Ces titres de presse sont édifiants quant aux effets de la libéralisation - il paraît peu vraisemblable que le Gouvernement ait raison contre tout le monde. Ils sont convergents sur l'augmentation des prix et sur les ruptures d'approvisionnements. Ils viennent d'horizons géographiques divers, mais ont pour point commun de concerner des pays qui ont tous ouvert leur secteur énergétique à la concurrence et au capital. Ils démentent les affirmations gouvernementales sur l'intérêt de l'usager dans ce changement de statut de l'entreprise.

Contrairement à un scénario classique dans les déréglementations, celles effectuées dans l'électricité ne profitent pas plus aux entreprises qu'aux particuliers. Le cas de la SNCF est particulièrement édifiant. Ces libéralisations risquent de toucher en chaîne des secteurs importants de notre économie. Nous pourrions aller vers un scénario où le renchérissement de l'électricité ne tarderait pas à se répercuter sur le niveau des prix. Je crois même que c'est déjà le cas.

Le monde change et EDF doit changer, dit en substance la publicité payée par EDF dans la presse. Toutefois, si c'est pour s'adapter à l'environnement énergétique précédemment décrit, le Gouvernement et la direction actuelle d'EDF auraient intérêt à revoir leur copie.

M. le président. La parole est à M. François-Michel Gonnot.

M. François-Michel Gonnot. Je partage tout à fait le point de vue de M. le rapporteur et de M. le ministre sur ces bilans. Vous savez bien, mes chers collègues, ce qu'est l'ouverture d'un marché énergétique. Des millions de professionnels vont devenir éligibles, et vous voulez qu'un bilan « démocratique et contradictoire » soit fait trois mois après la promulgation de la loi ! C'est ridicule ! Cela dit, vous ferez ce que vous voudrez au sein du parti communiste, mais je doute que ce bilan là soit « démocratique et contradictoire ».

Néanmoins, cet amendement et les suivants posent une question importante, que j'ai évoquée au cours de la discussion générale et à laquelle M. le ministre a répondu tout à l'heure. J'en profiterai d'ailleurs pour corriger une erreur commise par M. Bataille. La loi de janvier 2003 n'ouvre pas l'étape de 2007.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Exactement !

M. François-Michel Gonnot. Elle exclut les ménages des clients éligibles au niveau tant du gaz que de l'électricité. Nous laissons beaucoup parler nos collègues de l'opposition, nous sommes très discrets, comme l'a dit notre collègue UDF, voire silencieux, mais il faut recadrer les choses. L'étape de 2007 a été actée au sommet de Barcelone, mais, dans le droit français, elle nécessitera...

M. le ministre délégué à l'industrie. Un bilan et une loi !

M. François-Michel Gonnot. ...un bilan et une loi. Je ne doute pas que ce bilan sera contradictoire, démocratique, large, qu'il concernera tous les aspects de l'ouverture aux grands clients et à l'ensemble des professionnels. Il sera fait avant que nous passions à cette étape excessivement importante et à laquelle nous devrons être très attentifs, celle concernant les ménages.

Le Gouvernement voudra, de son côté, faire un bilan le plus riche possible sur l'ouverture et l'éligibilité éventuelle des ménages en 2007, mais pas dans les trois mois qui suivent la promulgation de la présente loi. Je pense même à titre personnel - mais peut-être mon groupe portera-t-il un jour cette idée - qu'il serait bon que le Parlement se penche parallèlement sur la question en 2006 - par l'intermédiaire d'une mission d'information, par exemple - pour accompagner la réflexion du Gouvernement et analyser ce qui se sera passé depuis la loi de 2000. Cela dit, j'aimerais que M. le ministre s'engage à nous présenter un bilan et à revenir solennellement devant le Parlement pour que nous franchissions cette étape que certains de nos collègues ont déjà l'air de banaliser.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l'industrie. Je confirme que le bilan le plus large sera fait et que toutes les conclusions seront analysées par le Parlement. Ces six demandes de rapport me paraissent donc inutiles et, de surcroît, irréalistes en ce qu'elles fixent un délai de trois mois suivant la promulgation de la loi.

M. le président. Un large débat a eu lieu, me semble-t-il, sur cette logique de bilan.

Je mets aux voix l'amendement n° 1629.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement no 1630.

Monsieur Daniel Paul, peut-on considérer que le débat a eu lieu sur cet amendement comme sur les quatre suivants, nos 1631, 1632, 1633 et 1634, qui relèvent de la même logique ?

M. Daniel Paul. Oui, monsieur le président.

M. le président. Je peux donc considérer que le vote est identique...

M. François Brottes. Pas du tout !

M. le président. Monsieur Brottes, c'est M. Paul qui est l'auteur de ces amendements et pas vous. Lui seul a la parole. Allez-y, monsieur Paul.

M. Daniel Paul. Monsieur le président, la réponse de M. le rapporteur et de M. le ministre vaut sans doute pour l'ensemble de ces amendements, ce que je peux comprendre.

Certes, un rapport d'étape est prévu en 2006, mais je le répète cette décision était une erreur, car l'on se rend compte depuis deux ou trois ans que ce qui devrait fonctionner ne fonctionne pas. Toutes nos grandes entreprises se révoltent à la perspective d'une hausse des tarifs de l'énergie qu'elles vont devoir assumer.

M. François-Michel Gonnot. C'est un vrai problème, mais c'est autre chose !

M. Daniel Paul. Le patronat évalue, pour 2003 et 2004, à 1,45 milliard d'euros le surcoût entraîné par l'augmentation de l'énergie pour les entreprises en France.

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est le nouveau porte-parole du MEDEF !

M. Daniel Paul. En Allemagne, le prix de l'électricité a augmenté de 9,3 % en 2003, et la Grande-Bretagne, qui a libéralisé son marché, a vu les prix augmenter de 9,4 %. De telles hausses ont des répercussions sur les prix, donc sur la situation de nos concitoyens et sur la croissance.

Si ces augmentations ne justifient pas, aux yeux du Gouvernement, que l'on fasse une étape avant d'aller plus loin, au besoin que l'on fasse machine arrière, je rappellerai que l'on n'est pas en train de fabriquer des casseroles - et je n'ai rien contre les fabricants de casseroles - mais que l'on travaille sur l'énergie, qui, chacun le sait, n'est pas un produit comme les autres. Il est donc urgent de s'arrêter.

Quand on sait qu'EDF se prépare déjà à ne plus assurer que 70 % à 80 % de la production, anticipant sur les pertes de parts de marchés, on comprend que le seul moyen de gagner en rentabilité sera alors d'augmenter le prix du kilowatt. Entre nous soit dit, compte tenu du contrat passé entre EDF et l'État, qui fixe, je crois, à 37,5 % du résultat d'EDF la part devant revenir à l'État, vous avez finalement intérêt vous aussi, monsieur le ministre, à réduire les moyens de production d'énergie de façon à bénéficier de cette manne qui va tomber dans les caisses dans les mois qui viennent.

M. le président. Monsieur Paul...

M. Daniel Paul. Je termine, monsieur le président.

Au niveau de la production, le même problème se pose, à savoir que nous aurons de plus en plus recours à des formes de production qui ne garantissent pas ce que propose le Président de la République et que nous soutenons, c'est-à-dire une grande vigilance quant à l'effet de serre. Cette contrainte s'impose à nous. Or nous risquons de privilégier les productions énergétiques les moins coûteuses, quelles que soient leurs conséquences pour l'environnement. Là aussi, un bilan mérite d'être fait. Il faut également savoir ce qu'il en est dans les pays qui ont déjà libéralisé leur énergie. Or vous nous proposez de le faire dans deux ans, c'est-à-dire lorsque la loi que vous allez voter s'appliquera.

M. François-Michel Gonnot. Bien sûr qu'elle s'appliquera !

M. Daniel Paul. Il sera alors, bien évidemment, difficile de revenir en arrière.

M. le ministre délégué à l'industrie. Vos propos n'ont pas de rapport avec les amendements !

M. Daniel Paul. Bien sûr que si !

Monsieur le ministre, si vous étiez si sûr, et je l'avais dit à votre prédécesseur Mme Fontaine, que la déréglementation ça marche pour France Télécom, pour l'énergie et pour les autres secteurs, nous ne refuseriez pas de procéder à des bilans.

M. le président. Monsieur Paul, veuillez conclure !

M. Daniel Paul. Si le bilan est positif, je serai convaincu et je soutiendrai la déréglementation. Mais si vous ne voulez pas faire ce bilan, c'est sans doute parce que vous êtes persuadé que ça ne marche pas.

M. le président. Monsieur Paul, peut-on considérer que vous retirez l'amendement no 1630 ?

M. Daniel Paul. Oui, monsieur le président.

M. le président. L'amendement no 1630 est retiré.

Retirez-vous aussi les amendements suivants nos 1631, 1632, 1633 et 1634 ?

M. Daniel Paul. Oui, monsieur le président.

M. le président. Les amendements nos 1631, 1632, 1633 et 1634 sont retirés.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    2

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Ce soir, à vingt-deux heures, troisième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, n° 1613, relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières ;

Rapport, n° 1659, de M. Jean-Claude Lenoir, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire ;

Avis, n° 1668, de M. Bernard Carayon, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures vingt.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot