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Première séance du lundi 21 juin 2004

263e séance de la session ordinaire 2003-2004


PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

    1

NÉGOCIATION COLLECTIVE
ET RECOUVREMENT DES PRESTATIONS
DE SOLIDARITÉ

Discussion d'une proposition de loi
adoptée par le Sénat

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, modifiant les articles 1er et 2 de la loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003 portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques et relative au recouvrement, par les institutions gestionnaires du régime d'assurance chômage, des prestations de solidarité versées entre le 1er janvier et le 1er juin 2004 aux travailleurs privés d'emploi dont les droits à l'allocation de retour à l'emploi ont été rétablis (nos 1661, 1673).

La parole est à M. le ministre délégué aux relations du travail.

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail. Monsieur le président, monsieur le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, mesdames et messieurs les députés, la proposition de loi que vous examinez aujourd'hui a un champ bien circonscrit : elle vise à faciliter la poursuite de la négociation relative à la gestion sociale des restructurations, d'une part, et à tirer les conséquences du récent « réagrément » de la convention d'assurance chômage, d'autre part.

Je crois devoir insister dès à présent sur la portée de nos débats. Il ne s'agit pas aujourd'hui pour la représentation nationale d'examiner au fond notre droit du licenciement ou notre régime d'assurance chômage, non que ceux-ci ne soient pas appelés à évoluer, bien au contraire, mais d'autres échéances sont d'ores et déjà fixées dans l'agenda des partenaires sociaux et dans celui du Gouvernement, donc du Parlement. Ces débats auront lieu dans les mois à venir et la discussion de ce jour n'a pas vocation, je le dis très clairement, à s'y substituer. En effet, cette proposition de loi s'inscrit pleinement dans la démarche de dialogue social et d'équité qui guide l'action gouvernementale. Elle recueille donc, dans ses deux volets, l'entier soutien du Gouvernement.

L'article 1er vise à prolonger de six mois le délai accordé aux partenaires sociaux pour aboutir à un accord sur la réforme de notre droit du licenciement. Je vous le rappelle, la loi du 3 janvier 2003 a renvoyé à une négociation nationale interprofessionnelle le soin de moderniser et d'adapter les règles applicables en matière de licenciement économique.

Je ne reviendrai pas sur les faiblesses de cette législation. Qu'il me soit seulement permis d'observer qu'elle se fonde sur une vision essentiellement procédurale du droit du licenciement, laquelle ne favorise en pratique ni la prévention, ni le reclassement. Elle n'accorde de surcroît qu'une place très restreinte à la négociation collective, à l'inverse de ce qui se fait chez nos partenaires européens. La loi dite de « modernisation sociale » n'avait fait qu'accroître ces insuffisances. Aussi la loi du 3 janvier 2003 a-t-elle suspendu pour une durée de dix-huit mois certaines des dispositions de la loi de modernisation sociale, afin d'inciter les partenaires sociaux à conclure un accord national interprofessionnel, avant que le législateur ne soit amené à revoir la législation au vu des résultats de la négociation.

Cette démarche est en pleine conformité avec les engagements pris par le Gouvernement depuis 2002. Nous avons en effet souhaité donner la priorité à la négociation collective avant toute réforme de nature législative touchant aux relations du travail. C'est là toute la logique de notre politique sociale : faire confiance à l'esprit de responsabilité des partenaires sociaux avant que l'État intervienne.

Bien entendu, sur un sujet aussi essentiel que les règles du licenciement, cette exigence prend une importance toute particulière. Il s'agit de renouer avec la tradition française du paritarisme qui, dans ce domaine, a fait ses preuves par le passé : je vous renvoie aux accords nationaux interprofessionnels de février 1969, d'octobre 1974 et d'octobre 1986. Aussi ne puis-je que me féliciter que les partenaires sociaux aient pris leurs responsabilités en répondant à notre invitation. La négociation qui s'est engagée a d'ores et déjà significativement avancé : onze réunions paritaires ont eu lieu.

Compte tenu du sujet abordé, cette négociation ne pouvait manquer d'être approfondie. Le Gouvernement n'en a d'ailleurs jamais mésestimé la difficulté. Et si, à ce stade, des convergences entre partenaires sociaux semblent se dessiner sur plusieurs points - gestion anticipée des emplois et des compétences, conditions de négociation du plan de sauvegarde de l'emploi, activation des dispositifs de reclassement -, des clivages subsistent sur des sujets importants. J'ai pourtant la conviction qu'un accord peut encore être conclu. Il reste que le délai fixé par la loi expire le 3 juillet prochain. Or une telle échéance apparaît aujourd'hui manifestement trop proche pour permettre un accord avant cette date.

La proposition de loi déposée par le sénateur Gournac et rapportée ici même par le député Dominique Dord propose d'accorder aux partenaires sociaux un délai supplémentaire de six mois. Le Gouvernement est tout à fait favorable à cette initiative. Ce délai supplémentaire semble à la fois nécessaire et suffisant : nécessaire car il est indispensable d'offrir aux partenaires sociaux toutes les chances de réussite sans les enserrer dans un calendrier désormais trop strict ; suffisant dans la mesure où il laisse aux partenaires sociaux un délai raisonnable pour trouver un terrain d'entente sans pour autant reporter sine die la perspective d'une indispensable modernisation de notre droit du licenciement économique.

Je le redis ici avec quelque solennité, si les partenaires sociaux n'aboutissaient pas à un accord au terme de ce délai, ou s'ils nous faisaient connaître leur désaccord avant l'expiration dudit délai, le Gouvernement prendrait ses responsabilités et déposerait sur le bureau des assemblées, comme l'y oblige d'ailleurs la loi du 3 janvier 2003, un projet de loi portant sur les procédures relatives à la prévention des licenciements économiques, aux règles d'information et de consultation des représentants du personnel et aux règles relatives au plan de sauvegarde de l'emploi.

Quand bien même un accord ne serait pas trouvé, la poursuite de la négociation n'aurait pas été vaine pour autant. Le Gouvernement pourrait en effet reprendre dans son projet de loi les points qui auraient fait l'objet d'un accord partiel au cours de la négociation, et c'est très important.

L'article 1er, par cohérence, prolonge de six mois également le délai permettant la signature, à titre expérimental, d'accords de méthode dans les entreprises.

Ces accords permettent d'aménager les procédures d'information et de consultation des représentants du personnel lorsque des licenciements collectifs sont envisagés. Leur objectif est d'autoriser les partenaires sociaux à expérimenter, dans des conditions de validité renforcées, de « bonnes pratiques » dont ils pourront ensuite s'inspirer au niveau national dans le cadre des négociations interprofessionnelles.

Je crois donc utile de m'attarder un instant sur ces accords et d'insister sur leur importance, importance qui n'a pas échappé aux membres de la commission des affaires sociales. Il est aujourd'hui possible d'en esquisser un premier bilan d'étape.

Ce sont ainsi 130 accords qui ont été conclus, témoignant de la sorte du souci évident des partenaires sociaux de développer la négociation sur les restructurations au niveau de l'entreprise. Ils n'ont pas seulement concerné les grandes entreprises, puisque cinquante-cinq d'entre eux ont été conclus dans des petites et moyennes entreprises.

Ils s'articulent toujours autour de trois logiques convergentes.

Premièrement, le souci d'apaiser et d'adapter les procédures au regard des spécificités de l'entreprise. À ce titre, les accords organisent le déroulement de la procédure au plus près des exigences de la restructuration et aménagent en conséquence les délais et les modalités de consultation des instances représentatives du personnel.

Deuxièmement, la volonté de renforcer la place et les moyens du dialogue social dans le cadre des procédures de licenciement. La grande majorité des accords prévoit la mise en place d'instances de concertation et de négociation ad hoc, regroupant l'ensemble des parties prenantes avec des moyens renforcés.

Troisièmement, l'exigence de mettre en place les conditions d'un reclassement plus efficace par la négociation. La grande majorité des accords prévoit une négociation sur le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, ce qui est à nos yeux essentiel.

Cette expérience souligne, s'il en était besoin, que la négociation collective est en mesure d'apporter des réponses adaptées aux restructurations. J'y vois là un signe supplémentaire m'incitant à croire à la perspective d'un prochain accord au niveau national.

Conformément à la loi du 3 janvier 2003, je réunirai en septembre prochain la Commission nationale de la négociation collective afin qu'elle examine un bilan approfondi de ces accords de méthode avant qu'il soit transmis au Parlement. Je crois en effet important que les partenaires sociaux soient pleinement informés de la nature et de la portée de ces expérimentations, afin qu'ils puissent en tirer tous les enseignements dans le cadre de la poursuite de la négociation en cours.

L'article 2 de la proposition de loi entend quant à lui tirer les conséquences financières du « réagrément » de la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2004, auquel a procédé le ministre du travail, de l'emploi et de la cohésion sociale. Vous le savez, à la suite d'une décision du Conseil d'État du 11 mai 2004 annulant aussi bien les annexes que les accords pour un vice de procédure, il était nécessaire de reprendre des arrêtés agréant à nouveau ces différents accords. C'est ce qui a été fait le 28 mai dernier.

Toutefois, comme nous en avions pris l'engagement et dans un souci d'apaisement, nous avons décidé d'exclure du champ du nouvel agrément les dispositions des articles 10 et 10-1 de la convention, qui prévoyaient la diminution de la durée d'indemnisation des allocataires dont la fin du contrat de travail est antérieure au 31 décembre 2002.

C'est l'application de cette clause qui avait conduit les ASSEDIC à mettre fin, de façon anticipée, à partir du 1er janvier 2004, au versement de l'allocation d'aide au retour à l'emploi pour plus de 358 000 allocataires.

M. Gaëtan Gorce. Il était temps de s'en apercevoir !

M. le ministre délégué aux relations du travail. Compte tenu du nouveau périmètre de l'agrément, les ASSEDIC ont recalculé les droits des allocataires en cause, conformément aux modalités qui avaient été définies lors de leur entrée dans le régime d'indemnisation, et ont commencé à procéder au versement des reliquats d'allocations correspondants.

Toutefois, cette opération suppose de clarifier la situation des personnes qui avaient perçu entre-temps une autre allocation chômage.

En effet, parmi les 358 000 allocataires concernés, environ 70 000 ont été admis, à compter du 1er janvier 2004, au bénéfice de l'une des allocations de solidarité qui sont versées par les ASSEDIC au nom de l'État.

Les sommes versées à ce titre s'élevaient, au 30 avril 2004, à 86 millions d'euros environ.

Or, la réintégration de ces allocataires, à titre rétroactif, dans le régime conventionnel d'assurance chômage, prive cette admission de tout fondement. En effet, les allocations d'assurance et les allocations de solidarité ne peuvent se cumuler. Il faut donc organiser, parallèlement à la réintégration des demandeurs d'emploi dans le régime d'assurance chômage, le reversement au budget de l'État des sommes perçues au titre du régime de solidarité. C'est l'objet de l'article 2 de la présente proposition de loi.

Le mécanisme proposé - un reversement effectué par retenue sur le reliquat d'allocations d'assurance à verser aux allocataires réintégrés - est simple et pourra être facilement mis en œuvre par les ASSEDIC.

Il présente aussi toutes les garanties d'équité, dès lors qu'il ne peut être mis en œuvre que si la compensation reste favorable aux intéressés. Ce reversement se fera évidemment dans le strict respect des droits à indemnisation, comme le Sénat l'a d'ailleurs expressément précisé par voie d'amendement.

Le Gouvernement soutient donc sans réserve cette proposition de loi qui apporte des réponses pertinentes à deux questions urgentes. C'est la raison pour laquelle, mesdames et messieurs les députés, je vous demande de l'adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Dominique Dord, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le licenciement collectif pour raisons économiques, c'est évidemment pour nous tous le constat malheureux d'un...

M. Frédéric Dutoit. Échec !

M. Dominique Dord, rapporteur....double drame, humain et économique : le drame des hommes et des femmes qui, pour des raisons indépendantes de leur volonté, se retrouvent privés d'emploi, et donc de ce qui constitue, dans notre société française de début de siècle, la principale condition de leur dignité et de leur liberté.

M. Gaëtan Gorce. Pas de compassion ! De l'action !

M. Dominique Dord, rapporteur. Personne, sur aucun banc, ne saurait se résoudre d'un cœur léger à un tel drame.

Mais le licenciement économique, c'est également le constat d'un autre drame, celui qu'une entreprise a fait de son inadaptation au marché ou à la concurrence...

M. Claude Gaillard. Eh oui !

M. Dominique Dord, rapporteur. ...et qui l'a conduite à licencier pour survivre.

Le législateur, année après année, a tenté d'encadrer et de prévenir ce double drame afin d'en prémunir les salariés et de les protéger. La loi de modernisation sociale qui a été votée, rappelons-le, quelques mois seulement avant les dernières échéances législatives, s'est efforcée, à sa manière, de rajouter une pierre à l'édifice législatif.

Le constat que la nouvelle majorité et le nouveau Gouvernement ont fait, c'est que la loi de modernisation sociale est et demeure très largement inadaptée. Elle est déséquilibrée, dans la mesure où elle ne s'intéresse qu'à l'un des deux aspects des licenciements économiques ; elle est vaine pour les salariés, comme l'a rappelé le ministre, dans la mesure où elle ne permet pas de mieux prévenir les licenciements ni de permettre un meilleur reclassement des salariés ; elle pénalise l'entreprise, puisqu'elle ne tient aucun compte des législations environnantes, alors que nous sommes dans une économie de plus en plus ouverte, et qu'elle fait de la législation française, de loin,...

M. Maxime Gremetz. La plus favorable aux salariés !

M. Dominique Dord, rapporteur. ... la plus lourde en la matière ; elle introduit enfin dans notre droit, à la faveur de toute une série de concepts nouveaux, de nouvelles sources d'insécurités juridiques.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement, il y a dix-huit mois, a décidé de présenter un projet de loi visant, d'une part, à suspendre certaines dispositions de la loi de modernisation sociale, dont les décrets d'application étaient loin d'être tous parus lors des précédentes élections législatives - rappelons-le, chers collègues - et, d'autre part, à en appeler à une nouvelle législation en la matière qui, comme l'a rappelé le ministre, ferait la part belle au dialogue social. Le Gouvernement a en effet demandé aux partenaires sociaux de se mettre autour de la table des négociations sur un sujet qui est à la fois très compliqué et susceptible de soulever de véritables antagonismes. L'objectif est de lui fournir des pistes de travail qui lui permettent de déposer un projet de loi qui, tenant compte des propositions des partenaires sociaux, vise à en revenir à une meilleure adaptation de notre droit des licenciements collectifs à la situation économique.

Le Gouvernement avait donné dix-huit mois aux partenaires sociaux pour lui soumettre leurs propositions. Le constat doit être fait aujourd'hui, et vous le faites de manière très loyale, monsieur le ministre : le 3 juillet prochain, alors que le délai sera écoulé, les partenaires sociaux ne se seront pas mis d'accord sur des propositions. C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, vous revenez aujourd'hui devant la représentation nationale, en vue de donner aux partenaires sociaux six mois supplémentaires. Tel est l'objet de l'article 1er de la présente proposition de loi.

Nous n'avons pas pour autant perdu dix-huit mois. En dépit d'une actualité sociale chargée et grâce à une négociation multiforme sur toute une série de sujets, j'ai le sentiment que les partenaires sociaux ont avancé. Une douzaine de réunions interprofessionnelles s'est tenue et - vous l'avez rappelé, monsieur le ministre - 130 accords dérogatoires dans les grandes ou dans les petites et moyennes entreprises ont été signés.

M. Gaëtan Gorce. La belle affaire !

M. Dominique Dord, rapporteur. M. Gremetz m'a interrogé sur le nombre de négociations en cours. Il convient, certes, de relativiser les résultats. Mais sans le vote, il y a dix-huit mois, de l'article 2 de la loi sur la relance de la négociation collective, aucun accord n'aurait été signé !

De plus, les partenaires se sont mis d'accord sur le droit individuel à la formation tout au long de la vie, un sujet, à nos yeux, extrêmement important et qui doit être mis au crédit de cette période de négociations. Certes, un tel droit n'entre pas dans le droit de la négociation collective en matière de licenciements économiques, mais puisqu'il est vain d'espérer pouvoir empêcher un jour les licenciements économiques et obliger l'entreprise à garder ses salariés, nous pensons que le droit à la formation est la meilleure arme que nous autres, parlementaires, pouvons donner aux victimes des licenciements. Ces dix-huit mois n'ont donc pas été inutiles.

Aujourd'hui l'objectif n'est donc pas, comme le souhaite le groupe UDF qui a déposé un amendement allant en ce sens, d'abroger de manière définitive les articles suspendus de la loi de modernisation sociale ni, comme le souhaite le groupe communiste, d'aller plus loin ou de réintroduire ces mêmes articles. Il se situe entre ces deux extrêmes et vise à donner aux partenaires sociaux quelques mois supplémentaires en vue d'aboutir à un accord que chacun espère.

Monsieur le ministre, j'ai cru comprendre que des accords, au moins partiels, pourraient être obtenus sur certains sujets, à charge pour le Gouvernement d'assumer, comme vous l'avez rappelé, ses responsabilités en validant ces accords partiels ou en complétant le droit sur les points qui n'auraient pas pu faire l'objet d'accords.

La commission a examiné tous les amendements qui portent sur l'extension, la réintroduction ou l'abrogation pure et simple - que souhaite le groupe UDF - des dispositions de la loi de modernisation sociale. Elle les a rejetés, non pour des raisons de fond, mais parce qu'elle a considéré qu'un tel débat était prématuré et n'aurait de sens que dans quelques mois. Il nous appartient aujourd'hui d'examiner s'il est nécessaire de procurer aux partenaires sociaux un délai supplémentaire afin de leur permettre de poursuivre la négociation collective.

Monsieur le ministre, vous avez fort bien évoqué l'ensemble de l'article 2. Je n'y reviendrai pas. Il s'agit de régler la situation particulière de 70 000 « recalculés » de l'UNEDIC, qui, à compter du 1er janvier 2004, n'ont plus perçu l'allocation d'aide au retour à l'emploi, mais ont touché l'allocation de solidarité spécifique - ASS-, ce qui crée une rupture d'égalité entre les différents demandeurs d'emploi de même statut. Il s'agit donc de déduire les ASS perçues par les uns ou par les autres de l'allocation d'aide au retour à l'emploi -ARE - qu'ils percevront à nouveau, puisqu'ils ont été réintégrés, suite au jugement du tribunal de grande instance de Marseille et à l'arrêt du Conseil d'État.

M. Frédéric Dutoit et M. Maxime Gremetz. Et grâce à la lutte des chômeurs !

M. Dominique Dord, rapporteur. L'UNEDIC récupérera la somme de 86 millions d'euros environ au moment même où elle aura réintégré dans leurs droits à l'ARE l'ensemble des demandeurs d'emploi concernés.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué l'urgence de la situation, qui n'est pas du même ordre pour chacun des deux articles. Les dispositions prévues à l'article 1er ont pour échéance le 3 juillet prochain. L'article 2, quant à lui, est lié à la nécessité de tenir compte des jurisprudences récentes. Dans les deux cas, il appartient à l'Assemblée nationale d'apporter des réponses rapides. Le débat doit porter sur les modalités qui accompagneront ces réponses. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Exception d'irrecevabilité

M. le président. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Maxime Gremetz, pour une durée ne pouvant excéder une heure trente.

M. Maxime Gremetz. Monsieur le rapporteur je vous ai connu par le passé plus enthousiaste et plus constructif. Mais vous avez une mission et vous la remplissez : je le comprends.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons cet après-midi pour poursuivre le marathon législatif que nous impose le Gouvernement. Comme l'a déjà fait le président du groupe, Alain Bocquet, je tiens, au nom des députés communistes et républicains, à élever de nouveau une vive protestation quant aux conditions de travail imposées à la représentation nationale par le Gouvernement et à dire notre indignation. Non seulement l'ordre du jour est extrêmement chargé, mais il est de plus en plus souvent modifié à la dernière minute, que les textes soient retirés ou qu'ils soient ajoutés.

M. Frédéric Dutoit. Tout à fait ! C'est inadmissible !

M. Maxime Gremetz. Il est devenu impossible à un parlementaire d'organiser un emploi du temps lui permettant d'exercer à la fois son mandat dans sa circonscription, en concertation et en relation avec les habitants, et dans l'hémicycle - sans même parler de la participation aux commissions !

Mme Chantal Bourragué. Mais qui fait de l'obstruction, ici ?

M. Maxime Gremetz. Le travail législatif est en effet la partie émergée de la tâche du député. Aussi cette surcharge porte-t-elle atteinte au travail législatif aussi bien qu'à la qualité du travail parlementaire en général.

De plus, le chef de l'État semble faire du recours à la session extraordinaire une méthode de gouvernement. Est-il besoin de vous rappeler que le Parlement siège déjà durant neuf mois consécutifs, depuis l'adoption du régime de la session unique, lequel était destiné, à l'origine, à éviter les séances du lundi et du vendredi et les séances de nuit ? Or force est de constater, en particulier ces dernières semaines, que ces séances du lundi et du vendredi se multiplient, tandis que les séances de nuit, elles, sont systématiques.

Si le fait de siéger en juillet 2002, au lendemain du renouvellement de notre assemblée, pouvait être admis, personne ne comprend en revanche l'obstination, pour ne pas dire plus, du Gouvernement à persévérer dans cette voie. En juillet 2003, vous avez fait adopter votre inique réforme des retraites : pendant que les salariés sont en vacances, on en profite ! (Protestations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Ce gouvernement de droite a toujours utilisé les mois de vacances pour faire passer ses projets et porter ses plus mauvais coups. Vous vous apprêtez à récidiver cet été avec le démantèlement de la sécurité sociale. Vous voulez de nouveau juillet ? Vous serez servis : vous aurez aussi août !

D'ici là, nous devrons discuter au pas de charge le projet de privatisation d'EDF-GDF ainsi que d'autres textes non moins importants : texte relatif à la bioéthique, projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités locales, projet portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, sans compter le débat d'orientation budgétaire pour 2005 et la préparation de l'examen du projet relatif à l'assurance maladie. Et tout cela avant la fin du mois de juin ! Il est maintenant admis que nous en aurons jusqu'au mois d'août.

Pis encore, au cours de la session extraordinaire de juillet que le Président de la République entend convoquer, vous prévoyez, outre la sécurité sociale, d'inscrire à l'ordre du jour un texte, lui aussi essentiel, concernant la sécurité civile et de mener à son terme l'examen du projet de loi de décentralisation.

Décidément, trop, c'est trop ! Ce calendrier ne permet pas d'aller au fond et d'examiner aussi longtemps qu'il le faudrait, en liaison avec nos concitoyens que cela concerne directement, les diverses mesures et orientations dont vous prévoyez la mise en œuvre. C'est pourquoi nous vous demandons, monsieur le ministre, de créer les conditions d'un travail parlementaire serein et efficace en retirant de l'ordre du jour un certain nombre de textes. Nous l'avons déjà demandé pour ceux qui ont trait à la décentralisation et au statut d'EDF-GDF. Il y va de la légitimité du Parlement et du respect du débat national qui, sur ces sujets qui les concernent au plus haut point, doit être mené avec les citoyens. Avoir négligé cet impératif vous a déjà valu, au demeurant, quelques difficultés dans vos rapports avec le corps électoral.

Qui plus est, vous laissez délibérément de côté certaines questions d'actualité prioritaires. Un allégement du calendrier législatif permettrait l'organisation d'un débat indispensable sur la situation internationale qui prévaut après le vote de l'ONU sur l'Irak, ainsi que sur le Proche-Orient : la réunion du G8 s'apprête en effet à consacrer les thèses américaines du « grand Moyen-Orient ». Sur ces sujets primordiaux, le Parlement n'est ni informé des intentions françaises, ni consulté par le Gouvernement.

Aujourd'hui, nous examinons au pas de charge une proposition de loi émanant du Sénat. On y retrouve un trait de caractère que l'on connaît bien à la Haute assemblée, celui de voler au secours Gouvernement pour corriger ou tenter de corriger ses errements. Pardonnez-moi, monsieur le ministre : j'avais oublié que vous êtes un ancien sénateur. (Sourires.)

Ce texte vise tout d'abord à tenir compte législativement des dernières décisions de justice en faveur des chômeurs « recalculés ». Mon collègue Frédéric Dutoit développera davantage cet aspect lors de la discussion générale, mais je souhaite saluer ici leur victoire historique. Ils ont été rétablis dans leurs droits alors qu'ils en avaient été arbitrairement privés. Cet événement montre que votre gouvernement, affaibli, a été contraint de céder face à des mouvements sociaux forts et populaires, et je crois que cela se produira encore bien des fois.

Cependant, en repoussant l'exigence du remboursement de la dette de l'UNEDIC à l'égard de l'État, le Gouvernement se fait solidaire, une fois de plus, du MEDEF en l'exonérant de toute contribution à la solidarité nationale envers les chômeurs dont il est responsable.

La proposition de loi vise ensuite à prolonger la « suspension », fortement demandée par le MEDEF - qui voulait qu'on aille jusqu'à l'abrogation -, des articles de la loi de modernisation sociale portant sur les licenciements économiques.

Qui, à cet instant, n'a pas en tête ces images, diffusées sur les écrans de télévision la semaine passée, où un délégué syndical crie sa colère devant les forces de police venant déloger les travailleurs mobilisés pour empêcher le vol de leur outil de travail ? Juste derrière la police, les camions arrivent pour charger les machines à destination de Singapour. Cela se passe en France, à Rennes, chez ST Microelectronic, une entreprise de haute technologie qui dégage des profits substantiels. Mais pour les actionnaires c'est encore insuffisant : ils espèrent gagner encore plus d'argent en fermant l'usine de Rennes et en surexploitant les travailleurs à Singapour. Tous les gens que j'ai rencontrés ont été scandalisés par cet événement, comme ils l'avaient été par la tentative de déménagement des chaînes de production vers les pays de l'Est, perpétrée par les « patrons voyous ».

Déjà désespérés en entendant déclarer que la loi et l'État ne peuvent pas tout, les Français le sont encore davantage quand le Gouvernement et sa majorité vont encore plus loin en faisant en sorte que la loi ne puisse plus rien du tout.

Malgré ses insuffisances - que j'avais pointées au cours du débat qui mena, après le difficile combat que l'on sait, à son adoption -, le volet anti-licenciements de la loi de modernisation sociale, voté par la gauche sur une proposition communiste, pouvait aider les salariés à préserver leur emploi. Pour le MEDEF et ses serviteurs, c'était trop : sitôt arrivés au pouvoir, vous avez, de façon tout à fait symbolique, placé cette loi dans votre ligne de mire pour la détruire. N'osant l'abroger d'un coup, vous avez excipé de la volonté de voir la question des licenciements économiques négociée entre syndicats et organisations patronales pour suspendre l'application de la loi pendant dix-huit mois, afin de donner du temps à la négociation.

M. Claude Gaillard. C'était une bonne idée !

M. Maxime Gremetz. Pour l'instant, c'est un fiasco complet : une centaine d'accords d'entreprise, et rien au niveau interprofessionnel et des branches. M. le rapporteur a fait valoir les 100 ou 125 accords qui, selon lui, témoignent de la bonne marche du dispositif. Mais quand je lui ai demandé quelle proportion cela représentait par rapport au nombre total d'entreprises en France, il n'a pas su me répondre. Sans doute est-ce vous qui allez le faire, monsieur le ministre, et je ne doute pas que le chiffre que vous nous fournirez sera petit.

Vous prétendez que les six mois supplémentaires permettront de faire aboutir les négociations, espérant que durant ce délai le MEDEF trouvera des complices au sein des organisations syndicales pour conclure des accords au rabais. Tout est possible, mais c'est plutôt mal parti. En effet, ceux qui signent des accords défavorables aux travailleurs sont actuellement un peu plus prudents, vu les répercussions que ces trahisons - je ne cite personne - ont sur le nombre d'adhérents et sur les résultats des élections professionnelles, en particulier depuis la réforme des retraites.

Qu'il y ait accord ou non, vous visez en fait l'abrogation pure et simple du volet anti-licenciements de la loi de modernisation sociale, et ce dans un seul but : faciliter les licenciements, y compris lorsqu'ils sont la conséquence directe des opérations de délocalisation et de la recherche du profit maximal.

D'ailleurs, le seul fait de suspendre l'application de la loi était un message clair adressé aux grands groupes et aux grandes entreprises : « Lâchez-vous, les amis, nous vous couvrons !». Ils ont, hélas ! parfaitement compris le message et se sont effectivement lâchés. Les suppressions d'emplois se sont multipliées sous toutes les formes : délocalisations, licenciements économiques, licenciements pour autres motifs, dont la maladie, non-renouvellement des contrats précaires, démissions forcées, licenciements « négociés ». Le résultat est connu : les vagues de licenciement se succèdent à un rythme toujours accru, tandis que le chômage ne cesse de flirter avec la barre des 10 %.

La proposition de loi du sénateur UMP Alain Gournac, à laquelle vous apportez votre soutien, monsieur le ministre, n'a pas d'autre but que de favoriser des opérations comme celle de ST Microelectronic. L'opposition des travailleurs concernés par ce genre de forfait vous est totalement indifférente : l'actionnaire décide, il se trouve un juge pour l'approuver et vous envoyez vos forces de police pour permettre l'exécution de la volonté de l'actionnaire.

La mise en œuvre de la loi de modernisation sociale serait un obstacle dans ce processus, donc vous la supprimez, vous la rayez d'un trait de plume. C'est clair, simple et cynique. Sans doute êtes-vous capables, les uns et les autres, de verser des larmes de crocodile quand les délocalisations entraînent des suppressions d'emplois, mais ces larmes ne pèsent pas lourd puisque vous encouragez en fait les actionnaires qui se conduisent ainsi.

Pourtant, le Président de la République lui-même a déclaré qu'il fallait légiférer contre les « patrons voyous », ceux de Flodor et tant d'autres encore, et le groupe communiste et républicain a déposé une proposition de loi allant dans ce sens. Le Gouvernement ne l'a jamais inscrite à notre ordre du jour, et pour cause : d'un côté la parole, de l'autre les actes.

Ce texte constitue un pas de plus dans l'œuvre de démolition que vous avez entreprise depuis votre accession au pouvoir : démolition de tout ce que la gauche a fait de bien pour les travailleurs et le pays, et plus généralement démolition des conquêtes économiques et sociales depuis la Libération.

Vous avez commencé par remettre en cause les 35 heures, contre lesquelles est annoncée pour l'automne une offensive supplémentaire. Des mesures d'assouplissement devaient permettre de relancer l'emploi. Résultat : le chômage augmente.

Vous avez supprimé les emplois-jeunes. Vous avez taillé à la hache dans les budgets destinés à favoriser l'insertion et la formation des travailleurs les plus en difficulté, notamment les jeunes.

Ces mesures « d'économies budgétaires » devaient permettre, à vous en croire, de créer des emplois dans le secteur marchand. Résultat : le chômage augmente.

Le carnet de commandes du MEDEF était cependant davantage garni. Vous avez servi ce dernier avec un zèle remarquable.

Vous avez revu les règles de la négociation collective, votre objectif central étant de rendre supplétive la législation du travail en permettant davantage aux accords de branche ou d'entreprises de déroger aux lois protégeant les salariés face à l'arbitraire patronal.

Vous avez remis en cause notre régime de retraite, sous prétexte d'assurer l'égalité de traitement entre le secteur public et le secteur privé. En fait, poursuivant l'œuvre de M. Balladur, vous avez aligné tout le monde sur le plus mauvais régime, au lieu de faire bénéficier chacun du meilleur.

Conséquence : vous l'avez payé cher aux élections. Autre conséquence : vous allez obliger les travailleurs âgés à rester plus longtemps au travail, contraignant ainsi les jeunes aux chômage. La seule issue, pour ceux qui en ont les moyens, est de souscrire à des fonds de pension « à la française » - « à la française » ou « à l'américaine », le problème n'est pas là : pour le capital privé, ce sont des fonds internationaux.

Vous avez approuvé les accords organisant le recul des droits des travailleurs privés d'emploi. Il a fallu les luttes et les décisions des tribunaux pour vous contraindre à revenir sur certaines dispositions rétroactives illégales.

Vous aviez par ailleurs applaudi aux accords agressifs contre les intermittents du spectacle. Vous êtes contraints de revenir dessus. Là encore, la lutte des artistes et des techniciens du spectacle vous a amenés à plus de « compréhension ».

Aujourd'hui, vous persistez à vouloir supprimer des mesures adoptées par la gauche pour aider les salariés à se prémunir contre les licenciements dits « économiques » - qui ne sont en fait que des licenciements boursiers.

Et ce n'est pas fini : d'ici à la semaine prochaine, le chantier de la sécurité sociale sera l'objet de vos « bons soins », avec l'instauration d'une protection sociale à deux vitesses : une d'assistance pour les gens modestes ; et une autre de qualité pour ceux qui pourront se payer des assurances complémentaires.

Enfin, vous maintenez envers et contre tout vos projets de privatisation des plus belles réussites économiques et sociales du secteur public, EDF-GDF en tête. Seule la lutte exemplaire des travailleurs de cette belle entreprise publique peut freiner vos ardeurs.

Le Gouvernement a bien senti que s'attaquer en même temps à la sécurité sociale et à EDF n'était pas très malin et que le cocktail risquait d'être explosif. Alors, il louvoie. D'où les multiples déclarations du célèbre ministre M. Sarkozy.

Vous prétendez qu'il ne s'agit pas de privatiser. L'ouverture du capital serait reportée. Les agents garderaient leur statut. Seul le statut juridique de l'entreprise changerait. Mais la supercherie ne prend pas. Les citoyens ont bien compris la méthode utilisée pour France Télécom. Vous voudriez qu'ils se fassent berner une seconde fois ? Les communistes soutiennent sans réserve la lutte des travailleurs d'EDF et GDF qui se battent pour l'intérêt national et celui des usagers contre les intérêts égoïstes d'une minorité de spéculateurs.

La majorité de la population soutient l'entreprise publique. Vous ne l'entendez, vous ne l'écoutez pas ! Les électriciens ont raison de vous parler dans la seule langue que vous compreniez un peu : celle de la lutte et du rapport de forces.

Tels sont, pour l'essentiel, votre bilan et vos projets, avoués ou inavoués.

Mais il existe, en réserve, d'autres projets. J'en citerai trois.

Premièrement, le projet global de remise en cause du code du travail, de casse du code du travail, dont les propositions se retrouvent dans le fameux rapport de Virville. Nous devrions connaître d'ici à la fin de ce mois ce que le Gouvernement a décidé de retenir de ce rapport - comme d'ailleurs de celui de M. Marimbert, contre les chômeurs. Mais ce n'est que la première étape, la deuxième étant prévue en fin d'année.

Que retiendrez-vous, monsieur le ministre ? Le super CDD ? L'habillage des salariés en travailleurs indépendants, qui seront davantage exploités ? La suppression des pénalités contre les « patrons voyous » ? Le recul des pouvoirs des comités d'entreprise, y compris en matière de licenciements dits « économiques » ? Les mesures de défiance contre les juges ? La quasi-suppression de l'ordre public social ? La déstabilisation des droits individuels ? Ou de nouvelles mesures d'augmentation du temps de travail et de la flexibilité ?

Pouvez-vous nous dire aujourd'hui, monsieur le ministre, les propositions que vous avez retenues, parmi les soixante-quatre propositions, toutes aussi mauvaises, de M. de Virville.

Deuxièmement, le paiement d'une partie des salaires avec l'impôt. Le MEDEF demande depuis longtemps de bénéficier d'une subvention publique pour le paiement des salaires. Les exonérations de cotisations sociales ou patronales ne lui suffisent pas.

Là encore, vous voici sur la voie de l'obéissance. Si on en croit un document de votre cabinet - rassurez-vous, mes sources sont fiables, et j'ai toujours mes fiches avec moi -, les contrats aidés actuels, CES, CEC, CIE, disparaîtraient et seraient remplacés par un contrat aidé unique, auquel pourraient accéder les entreprises du secteur marchand.

Un décret déterminerait le niveau des subventions qui seraient gérées par les préfets et l'ANPE. En un mot, on se dirigerait vers de nouveaux emplois subventionnés. Le RMA, catastrophe des catastrophes, que certains veulent remettre en cause, et que semble ne pas apprécier M. Borloo, serai étendu, à peine né, à un public sans emploi élargi. Comprenne qui pourra ! Mais les salariés, les couches populaires savent qu'ils n'ont rien de bon à en attendre.

Troisièmement et pour finir, je donnerai quelques éléments.

La presse a fait état, une semaine avant les élections européennes, d'une circulaire rédigée par le commissaire néerlandais Bolkestein. Aux termes de celle-ci, lorsqu'une entreprise de la communauté européenne interviendra dans un État membre, elle le fera dans les conditions sociales du pays où elle est implantée. Vous avez raison, monsieur le ministre, d'envoyer un de vos collaborateurs chercher cette circulaire.

C'est ce qu'on a commencé à faire dans mon département, chez Rosenlew. Sous prétexte que l'entreprise considérée est la filiale d'une holding allemande, on a décidé que c'est le droit allemand - en l'occurrence supérieur au droit français - qui s'appliquerait. Ce qui a empêché tout recours contre les actionnaires qui ont pillé cette entreprise avant de la fermer.

Voilà ce que cela pourrait donner : par exemple, une entreprise française pourrait ouvrir une filiale en Pologne, y recruter des travailleurs locaux et venir traiter des chantiers en France, en versant des salaires du niveau de ceux payés en Pologne et en organisant une protection sociale « à la polonaise », et ce sans aucun contrôle. On imagine les dégâts sur l'emploi et les salaires qui pourraient résulter d'une telle mise en concurrence des travailleurs.

Quand tout cela sera réalisé, ce gouvernement pourra sans doute partir : il aura rempli sa mission, et le MEDEF pourra lui élever un mémorial pour services rendus, pour son acharnement à avoir persisté dans une voie condamnée par l'immense majorité de notre peuple, comme cela ressort des récentes élections. Je n'insiste pas.

Malgré tout, contre vents et marées, vous continuez. Vous vous présentez comme investis d'une mission quasi divine, celle de « réformer » la société française. Vous savez que réformer ne veut rien dire. Il peut y avoir des réformes très progressistes, et d'autres très régressives. C'est le contenu qui importe et qui permet de voir si on s'engage vers un progrès de société ou si on veut faire tourner à l'envers la roue de l'histoire. Et pourtant, vous l'avez bien vu, cette deuxième voie est difficile car - et c'est heureux -, le peuple a alors tendance à se lever et à dire : « Halte là ! »

Malgré tout, donc, contre vents et marée, vous persistez. Vous parlez du devoir de réforme que vous auriez à remplir, même si les Français ne comprennent pas immédiatement. A vous écouter, vous entendez faire le bonheur des Françaises et des Français, sans eux et contre eux !

M. Claude Gaillard. C'est pourtant ce que vous avez voulu faire avec les 35 heures ?

M. Maxime Gremetz. Mais cela vous coûte très cher. Parce que les Françaises et les Français ne sont pas un peuple de veaux, contrairement au propos prononcé par un homme célèbre. Ils sont intelligents, créatifs et ils savent que la voie que vous empruntez est celle du déclin, de la régression et de la casse sociales. Ils n'ont donc pas du tout l'intention de vous laisser faire.

De ce point de vue, vous êtes d'une prétention et d'une suffisance jamais vues ! Vous considérez qu'il faut avoir le courage de faire de telles réformes - pourtant rétrogrades - que les Français comprendront plus tard. C'est à une véritable « révolution conservatrice » à laquelle se livre votre gouvernement, qui nous fait régresser de soixante ans dans des domaines essentiels.

Sur le plan économique et social, c'est la tendance la plus libérale que vous incarnez. Vous voulez nous faire revenir à la France d'avant la Libération. Ce que le général de Gaulle et les communistes avaient fait à la Libération, vous le démontez aujourd'hui - et je peux le démontrer. (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Vous n'avez pas été élus, je vous le rappelle, pour détruire la sécurité sociale, casser les services publics, abîmer les régimes de retraite, mettre en cause le SMIC et le pouvoir d'achat de ceux qui travaillent.

M. Claude Goasguen. Le SMIC, nous l'avons augmenté !

M. Maxime Gremetz. Vous n'avez pas été élus pour aggraver la précarité de l'existence de millions de nos concitoyens, notamment des jeunes, pour provoquer une nouvelle explosion du chômage et de ses conséquences dramatiques. Vous n'avez pas été élus non plus pour généraliser la précarité, dont on ne mesure pas encore aujourd'hui les conséquences sur le lien social.

Face à la crise du système, vous choisissez la fuite en avant, dans un libéralisme débridé où tout serait permis aux riches. Vous vous êtes fait élire en promettant la sécurité, alors que vous développez l'insécurité sociale pour de plus en plus de Françaises et de Français. Vous vous gargarisez de la valeur du travail, mais vous conduisez une politique qui favorise l'augmentation des profits financiers et aggrave le chômage. En réalité, vous faites la promotion de l'argent gagné, sinon en dormant, comme auraient dit certains, du moins sans travailler, en spéculant en bourse.

Mais j'en reviens à la loi de modernisation sociale. En 1999, le groupe communiste à l'Assemblée nationale bâtissait une proposition de loi pour offrir de très sérieuses garanties contre les licenciements économiques, notamment ceux ayant pour but l'augmentation des profits, appelés aussi « licenciements boursiers ». Après une âpre bataille, une partie importante de nos propositions était retenue sous forme d'amendements à la loi de modernisation sociale, à tel point que le volet « licenciement » de cette loi en devenait la dimension principale.

Tout d'abord, une nouvelle définition du licenciement économique permettait de circonscrire les possibilités de licenciement aux seules situations où cette mesure s'avérait indispensable. Le licenciement était ainsi conçu comme la solution ultime. Le Conseil constitutionnel a alors inventé une liberté constitutionnelle nouvelle, la liberté d'exploiter, pour s'opposer au droit au travail contenu dans notre Constitution et que notre texte permettait de concrétiser.

La loi de modernisation contenait aussi - contient, devrais-je dire, puisqu'elle n'est pas abrogée - nombre de dispositions offrant des garanties contre les abus, limitant la capacité de nuire des groupes financiers en les responsabilisant et en donnant la parole aux salariés par l'intermédiaire de leurs élus du comité d'entreprise ou du personnel.

Elle faisait, d'abord, de la négociation sur la réduction du temps de travail un préalable à tout licenciement. Puis, elle organisait, avec les articles 97 et 98, la responsabilité des représentants des actionnaires et leurs échanges avec le comité d'entreprise. L'entreprise était tenue d'établir une étude sur les conséquences territoriales et sociales de ses décisions de suppressions d'emplois, en vertu du principe nouveau que l'entreprise ne pouvait plus se désintéresser du résultat de son action sur les communes ou les communautés de communes, les régions et les départements. Cette mesure permettait aussi aux élus locaux d'intervenir plus efficacement en faveur des populations de leurs communes ou de leurs départements.

En vérité, vous voulez supprimer définitivement, car, quand on abroge pendant douze mois,...

M. Dominique Dord, rapporteur. On suspend !

M. Maxime Gremetz. Vous avez raison. Mais une suspension de douze mois, puis de six mois, cela revient à quoi ?

M. Dominique Dord, rapporteur. À dix-huit mois ! (Sourires.)

M. Maxime Gremetz. Cela revient, à mon avis, à un enterrement de première classe. Car vous voulez supprimer définitivement cette avancée de démocratie sociale et locale.

L'honnêteté intellectuelle commandait pourtant de rétablir la loi puisque aucun accord n'avait pu intervenir pendant le délai de suspension imparti. En quoi six mois de plus vont-ils permettre d'y parvenir, alors que nous en sommes toujours au degré zéro et que, vous le savez bien, nous y serons encore demain ? Jamais vous ne ferez admettre aux salariés, aux élus des comités d'entreprise et du personnel qu'il faut accepter des licenciements non justifiés. Si vous y parveniez, vous auriez véritablement réussi votre révolution conservatrice. Mais les mouvements sociaux et les élections ont montré que vous n'y êtes pas encore.

Avec les articles 99 et 101, le comité d'entreprise était mis en situation de mieux appréhender les données économiques de l'entreprise, de faire valoir son point de vue, de faire des propositions, puisqu'il fallait que les procédures de consultation sur toutes les questions de sa compétence en matière économique soient achevées avant d'envisager le dépôt d'un projet de licenciements. Ces procédures étaient elles-mêmes organisées. Vous vous dites partisans de l'amélioration du dialogue social et vous le torpillez en voulant supprimer définitivement ce progrès dans la prise en compte de l'avis des représentants du personnel !

J'ai personnellement beaucoup contribué à ces propositions de la loi de modernisation sociale. M. le rapporteur le sait bien, qui m'a même parfois donné un petit coup de main. Il faut dire qu'il était dans l'opposition, à l'époque, et qu'il trouvait quelque intérêt à cette démarche. Je l'en remercie. Aujourd'hui, il est rapporteur d'une loi qui remet tout en cause !

M. Frédéric Dutoit. Tout se sait, monsieur le rapporteur ! (Sourires.)

M. Maxime Gremetz. C'est d'autant plus gênant pour lui qu'il est fin connaisseur du droit social et du droit du travail. Nous nous retrouvions souvent sur des amendements, qu'il soutenait fussent-ils de moi. N'est-ce pas, monsieur le rapporteur ?

M. Frédéric Dutoit. Les temps changent !

M. Maxime Gremetz. Dès qu'on obtient une charge, on change. Le pouvoir corrompt, c'est évident !

M. Dominique Dord, rapporteur. Je vous ai toujours admiré, monsieur Gremetz ! (Sourires.)

M. Maxime Gremetz. Moi, je ne suis pas corrompu : ma position n'a pas changé, même lorsque nous étions au Gouvernement. On ne peut pas me reprocher de manquer de cohérence.

M. Claude Gaillard. Vous, vous étiez dans l'opposition !

M. Maxime Gremetz. L'article 106 renforçait d'une autre manière les pouvoirs du comité d'entreprise en cas de cessation totale ou partielle d'activité conduisant à plus de cent suppressions d'emplois, en reconnaissant un droit d'opposition qui débouchait sur le recours à un médiateur indépendant, extérieur à l'entreprise. Cette autorité était chargée, après examen de la situation de l'entreprise, de tenter de rapprocher les points de vue et de faire des recommandations. Le MEDEF se prétend, lui aussi, partisan du dialogue, à condition toutefois que le premier partenaire soit le patron et que le second soit le patron ! Comme vous partagez cette vision, vous voulez rayer définitivement l'article 106 de la loi.

L'article 109 donnait, enfin, du sens à la possibilité pour l'autorité administrative de constater la carence de plan social, à tout moment de la procédure. Jusqu'alors, l'autorité administrative devait intervenir dans les huit jours de la première réunion, autrement dit dans des délais intenables, qui ne permettaient pas de conduire une étude sérieuse ni de disposer des débats entre les élus du comité d'entreprise et l'employeur. En abrogeant définitivement l'article 109, vous voulez priver les décisions de l'autorité administrative de toute efficacité, faute de pouvoir être prises avec le sérieux nécessaire.

Franchement, ces articles n'étaient pas révolutionnaires : ils amélioraient simplement les possibilités de concertation, de discussion, de proposition. Ils donnaient plus de pouvoir d'intervention aux salariés - qui en ont si peu -, à leurs représentants élus et à des acteurs extérieurs à l'entreprise. Ils permettaient de mieux s'opposer aux licenciements abusifs. Mais c'était encore trop pour vous et pour le patronat ! Votre seul argument pour abroger ces articles protecteurs - pour suspendre, dites-vous, alors qu'ils n'existent plus dans le projet de loi - est qu'ils constituent des contraintes insupportables, qui conduiraient inexorablement les patrons à déposer le bilan parce qu'ils ne pourraient pas licencier à temps.

On connaît le refrain : salaires trop élevés en France - il faut oser ! -, cotisations sociales trop lourdes, droits des travailleurs trop étendus, législation qui bride les entreprises et cause le chômage. C'est la litanie qu'entonne le baron Seillière dans son rapport et que vous reprenez avec lui.

M. Claude Goasguen. On se demandait quand il apparaîtrait, le baron ! (Sourires.)

M. Maxime Gremetz. Le problème, c'est que, en dépit de vos efforts pour éliminer tout cela, le chômage frise les 10 %. Votre démonstration n'est pas tout à fait convaincante !

Du reste, l'argument est complètement éculé. J'en veux pour seul exemple ce que promettaient les patrons dans les années 80 : « Supprimez l'autorisation administrative de licenciement et nous embaucherons », disaient-ils. Vous vous souvenez de cette belle déclaration. L'autorisation administrative de licenciement a été supprimée, mais le sous-emploi, sous toutes ses formes, n'en finit pas d'augmenter. Un tel bon sens n'a peut-être pas de prise sur la réalité.

Dans le même esprit, vous accusez de tous les maux la loi de modernisation sociale. Or elle n'est pas - loin s'en faut - totalement appliquée, certains décrets relatifs en particulier à des points importants n'étant pas encore parus. C'est le cas pour l'article 118, qui n'est pas concerné par la suspension. J'ai vérifié partout, monsieur le ministre, j'ai même téléphoné à Matignon : ne faisant l'objet d'aucun décret en Conseil d'État, il ne s'applique pas. Joli tour de passe-passe ! On suspend les articles les plus nouveaux et efficaces et on rend inapplicables ceux que l'on maintient, faute de décrets en Conseil d'État. J'ai là toute une liste de décrets manquants, que je peux vous donner.

À l'article 118, nous avons demandé que les entreprises occupant au moins mille salariés ainsi que celles disposant d'un comité de groupe ou d'un comité d'entreprise européen soient tenues d'apporter une contribution à la création d'activités et au développement des emplois dans un bassin d'emploi affecté par la fermeture partielle ou totale de sites - c'est l'objet du II. C'est la revendication de tous, mais elle n'est malheureusement pas respectée, faute de décret.

Je vais vous dire, à partir d'un exemple que je connais bien, comment cet article 118 est appliqué sur le terrain. Chez moi, à Amiens, Whirlpool a décidé de délocaliser une partie de sa production. La rentabilité de l'entreprise à Amiens n'était pas en cause. Simplement, ne pouvant faire les deux chaînes en même temps - machines à laver et sèche-linge - , elle a décidé d'en transférer une en Slovaquie. Ce faisant, elle accédait à la demande des actionnaires d'augmenter les profits. Et, comme, là-bas, ça marche bien - les salaires sont plus bas, le droit du travail moins contraignant, les profits plus faciles et plus rapides - , les machines fabriquées sur place sont ramenées sur le marché français. Bilan : 450 emplois en moins pour Amiens, concurrence déloyale en France, nouvelles fermetures d'entreprises.

Et Whirlpool annonce cent nouvelles suppressions d'emplois, du fait du départ de la deuxième chaîne ! J'ai eu l'occasion de discuter avec le PDG de ce grand groupe multinational. À mes questions concernant la loi de modernisation sociale, il m'a répondu qu'il avait déjà créé, en application de l'article 118, 250 emplois et qu'il envisageait d'aller bien au-delà, peut-être même jusqu'à 500. Comme je m'étonnais de ne rien voir, il m'a expliqué qu'il n'y avait pas de priorité pour les salariés de Whirlpool, qu'étaient comptabilisés tous les emplois créés à Amiens et dans sa périphérie et que, pour chacun d'eux, l'entreprise apportait 12 500 francs - je parle bien de francs ! Avouons que c'est peu cher payer la suppression d'un emploi !

Comme par hasard, dans le compte rendu du comité de suivi du reclassement des salariés, que j'ai enfin pu obtenir après deux mois d'attente, il n'est question de rien de tout ça. On n'ose pas dire comment les choses se passent en réalité. C'est scandaleux ! Et des directions départementales du travail trouvent cela bien ! J'ai même inauguré une entreprise, Metarom, qui a reçu, lors de son installation à Amiens, une subvention de Whirlpool alors qu'elle-même s'apprête à licencier cent nouveaux salariés et va sans doute fermer ! Vous vous rendez compte !

Les salariés de Whirlpool ne comptent pas ! Les cabinets de reclassement, comme la SODI, font vraiment leur beurre de la misère des gens.

Comment un tel comportement est-il possible ? Tout simplement parce que, faute de décret pris en Conseil d'État, les chefs d'entreprise appliquent la loi comme ils veulent, c'est-à-dire a minima !

Notez le : 12 500 francs par emploi supprimé ! Quand le PDG de Whirlpool parle de la création de 250 emplois, cela signifie, en réalité, qu'il n'a fait que verser 250 fois 12 500 francs pour la création d'emplois dans n'importe quel secteur et sans aucune priorité donnée aux salariés de l'entreprise ! Tout cela me fait bondir !

La contribution à la création d'activité prévue à l'article 118 de la loi de modernisation sociale s'apprécie au regard du volume d'emplois supprimés par l'entreprise et de la situation économique du bassin, et tient compte des moyens de l'entreprise. Elle prend la forme d'actions propres de l'entreprise ou d'une participation financière auprès d'organismes habilités. Voilà ce qui est prévu dans la loi. Ce n'est, malheureusement, pas ce qui se passe dans la réalité !

Le paragraphe II de l'article 118 précise enfin que les conditions de mise en œuvre de celui-ci sont fixées par décret en Conseil d'État. Or ce décret, je vous l'ai dit, n'est toujours pas paru. On ne peut que le regretter car cette disposition est importante à la fois pour les collectivités locales et l'emploi et mérite son application pleine et entière. J'espère, monsieur le ministre, que vous allez faire en sorte que le décret soit publié !

Le Gouvernement et le MEDEF prétendent vouloir la concertation, mais personne ne peut intervenir dans la gestion des entreprises, ni les salariés, ni les syndicats, ni les comités d'entreprise, ni les élus locaux, ni les inspecteurs du travail, ni les juges, ni même le médiateur ! Nous avons des patrons de droit divin ! Je sais, monsieur le ministre, que vous partagez cette conception. Vous n'êtes d'ailleurs pas le seul. Ne nous a-t-on pas déjà expliqué, telle nuit, que l'entreprise, ce n'étaient pas ceux qui travaillaient et créaient de la valeur, mais bien l'employeur, qui avait tous les droits, les salariés n'en ayant aucun ?

Selon cette doctrine, le patron, le PDG représentant des actionnaires, sait mieux que quiconque ce qui est bon pour l'entreprise. Les autres ne sont que des ignorants. Les salariés ne sont pas crédibles : ils ne pensent qu'à tout conserver, même leur travail ! Rendez-vous compte !

Nous pensons que ces derniers ont raison, pour eux-mêmes, pour leurs familles et pour notre pays. C'est une vision moderne de la vie des entreprises.

Dans tous les domaines, vous procédez de la même manière : pour soigner la maladie, vous tuez presque le malade. Mais la situation aujourd'hui ne permet pas cette sinistre fantaisie. Tout montre qu'il faut, au contraire, intervenir et mieux encadrer les licenciements.

L'explosion du chômage engendre un sentiment d'insécurité chez un nombre croissant de salariés et leur famille. L'angoisse gagne la majorité de nos concitoyens. Les trois quarts des Français craignent pour leur emploi ou celui de l'un des membres de leur famille. L'emploi est le souci numéro un.

La société dans son ensemble se trouve fragilisée par l'augmentation continue du nombre des sans-emploi. Au-delà des conséquences humaines, psychologiques et financières désastreuses qu'entraîne le chômage pour des millions d'individus, votre politique favorise la précarité, la pression à la baisse sur les salaires et la dégradation des conditions de travail, comme le prouvent la hausse des maladies professionnelles et des accidents du travail. Elle « dynamite » les comptes sociaux - sécurité sociale, retraite et ASSEDIC - pour mieux, ensuite, les remettre en cause : volonté de privatiser la sécurité sociale, allongement des durées de cotisations pour les retraites et remise en cause des régimes spéciaux, diminution des allocations chômage et réduction continue du nombre des chômeurs indemnisés.

Pour nous, les licenciements économiques n'ont rien d'inéluctable. Ils relèvent le plus souvent directement, dans les grands groupes, du fait de la domination exercée par ces derniers sur les PME et les sous-traitants, d'une logique froide de baisse des coûts du salaire pour répondre aux exigences de rentabilité financière. Nous avons aujourd'hui, monsieur le ministre - je n'invente rien ; toutes les études le montrent - un million et demi de salariés pauvres.

Nous ne pouvons nous résigner à voir se succéder les plans de licenciements et les fermetures d'entreprises. Ce dont nous avons besoin, ce n'est pas d'un recul de la législation, mais, bien au contraire, d'un renforcement de celle-ci. Nous proposons, non seulement le maintien de toutes les dispositions de la loi de modernisation sociale, mais encore l'adoption de mesures complémentaires.

Certaines de celles que nous présentons sont directement issues des propositions que nous avions faites dès 1999, mais que le gouvernement précédent n'avait pas, à notre grand regret, retenues. D'autres sont des solutions nouvelles et audacieuses, de nature à garantir les droits des travailleurs et à veiller à leur effectivité, et à combattre les positions dominantes des grands groupes.

Nous demandons, tout d'abord, la suppression des articles qui ont suspendu la loi de modernisation sociale, et évidemment, pour toutes les raisons que nous venons d'exposer, celle de la proposition de M. Gournac. C'est la première fois que j'entends ce nom, mais il ne restera pas dans l'histoire. Il survivra simplement quelque temps comme un mauvais souvenir dans la mémoire des salariés.

Vous dites que vous ne faites que prolonger la suspension et qu'un nouveau texte sera proposé à la suite des négociations entre les patrons et les syndicats

Mais une question aussi importante que les règles régissant les licenciements économiques ne peut être tranchée à la suite d'accords qu'à la condition que ces derniers soient largement représentatifs des secteurs d'activité. Pour cela, les branches concernées devraient représenter au moins les trois quarts des salariés.

M. Frédéric Dutoit. C'est évident !

M. Maxime Gremetz. Les quelques personnes qui négocient l'accord des « fabricants de chapeaux ou de boutons » ne peuvent se substituer à la représentation nationale.

II faudrait, ensuite, que les syndicats signataires soient eux-mêmes majoritaires.

M. Frédéric Dutoit. Bien sûr !

M. Maxime Gremetz. J'ai demandé au rapporteur, non seulement combien d'entreprises étaient concernées par les 125 accords, mais également de quel genre d'accords il s'agissait, majoritaires ou minoritaires, et signés par qui ?

M. Frédéric Dutoit. Tout à fait !

M. Maxime Gremetz. Les élections prud'homales feraient un excellent critère.

Cette règle majoritaire pourrait s'étendre à l'ensemble des accords de branche ou interprofessionnels. Nous avons déposé un amendement afin de permettre cette négociation sans cependant autoriser n'importe quoi.

Dans la même optique, nous proposons de retenir le principe de l'accord majoritaire - à la condition expresse que ce soit dans le but d'améliorer la loi et non de la détruire - et d'étendre le principe à tous les accords d'entreprise.

Nous souhaitons - c'est une continuité chez nous - créer de nouveaux droits pour les salariés et leurs représentants afin qu'ils puissent s'opposer aux licenciements abusifs et mieux agir pour l'emploi. C'est le sens de l'ensemble de nos amendements.

Il s'agit, tout d'abord, de délimiter le champ des licenciements économiques.

Le licenciement pour motif économique doit être réservé aux situations où il n'existe pas d'autre solution que la réduction des coûts du salaire.

Bien souvent, on pourrait éviter le licenciement en diminuant les prélèvements opérés par le capital.

Les exigences actuelles des marchés financiers font de ces ponctions des prélèvements obligatoires qui tuent l'économie et l'emploi.

D'autre part, on ne peut admettre que le recours à l'emploi précaire - intérim et CDD - soit plus longtemps utilisé par les chefs d'entreprise pour échapper aux procédures de licenciement économique. Les faits le démontrent encore une fois, l'essentiel des ajustements des effectifs se fait, en réalité, en se séparant des salariés dont l'ancienneté est inférieure à un an, c'est-à-dire aux contrats précaires.

De plus, leur protection est quasiment nulle, l'allocation chômage est liée à la durée de l'emploi, le minimum requis étant quatre mois de travail au cours des douze derniers mois. Or la durée moyenne du travail sur un an des intérimaires est de trois mois, ce qui aggrave encore leur situation, surtout quand on sait que les fins de CDD, qui constituent aujourd'hui sept embauches sur dix, représentent l'écrasante majorité des motifs d'inscription comme demandeur d'emploi, soit 1 175 000 en un an. Il faut réagir, monsieur le ministre, et nous vous le permettons en proposant des solutions.

J'ajoute que le code du travail interdit normalement cette pratique. C'est la prohibition du marchandage. Mais force est de constater que la législation actuelle est inefficace compte tenu des faibles moyens dont disposent l'inspection du travail et les tribunaux. Il suffit d'aller dans les entreprises, où le pourcentage des jeunes intérimaires dépasse les 20 %, voire 25 % . Ces jeunes sont là depuis quinze, vingt ou trente mois et occupent un poste permanent. Leurs contrats devraient être, vous le savez, immédiatement requalifiés en CDI. J'en ai recensé 1 350 sur la zone industrielle où je travaillais. Je m'y suis rendu encore vendredi. Il s'agit de techniciens, de jeunes qui ont une formation professionnelle de haut niveau : des bac + 3 ou des bac + 4. Ils sont là en tant que CDD sur des emplois permanents et ils ne sont pas titularisés. C'est illégal.

Pour certains d'entre eux, la situation dure depuis dix ans. Ils sont évidemment moins jeunes, mais ils sont toujours en CDD. C'est scandaleux !

M. Claude Gaillard. Avec les emplois-jeunes, vous avez fait des CDD de cinq ans !

M. Maxime Gremetz. Arrêtez ! Que comparez-vous ?

Mme Chantal Bourragué. Il y avait des bac + 5.

M. Maxime Gremetz. Les emplois-jeunes, c'était dans la fonction publique.

M. Jean-Claude Lenoir. Et les associations ?

M. Maxime Gremetz. Ce n'était pas dans le secteur marchand. Il ne s'agissait pas de CDD ; ils duraient au moins cinq ans.

Aujourd'hui, si on donnait cinq ans de garantie d'emploi à un titulaire de CDD - comme c'était le cas pour les emplois-jeunes -, il serait heureux, croyez-moi !

Il s'agit de contrats renouvelés tous les six mois, quelquefois toutes les semaines. Comment ces jeunes peuvent-ils avoir une perspective ? Ils n'ont pas la possibilité de contracter un emprunt, ne peuvent pas disposer d'un logement, car il faut des garanties pour cela, et, en CDD, on n'a aucune garantie.

Ils ne peuvent même pas concevoir un enfant, parce qu'ils ne savent pas de quoi demain sera fait. Vous ne mesurez pas les conséquences que cela peut avoir, alors que ces emplois-là continuent à se développer. En effet, aujourd'hui, trois personnes sur quatre sont embauchées en CDD. Dans ces conditions, comment peut-il ne pas y avoir d'insécurité sociale, de problèmes relationnels, de soucis dans les quartiers ?

Combien cela coûte-t-il à notre jeunesse, à la société ? Manifestement, on ne réfléchit pas. Il faut mesurer les conséquences de cette situation.

Je le répète, le code du travail interdit normalement cette pratique : c'est la prohibition du marchandage. Les grandes entreprises ne se cachent même plus pour dire que l'emploi précaire sert de volant pour éviter les procédures - c'est leur argument -, à l'exemple de Renault qui met régulièrement à la porte les intérimaires, du jour au lendemain. Je peux en citer beaucoup d'autres, et il ne s'agit pas de délation. Dans ma circonscription, il y a Valeo, Procter et Gamble, Plastic Omnium, Carbone Lorraine, Dunlop, Good Year, sans parler de Whirlpool ou de Magneti Marelli. C'est ça, la réalité !

À partir d'un certain niveau, nous voulons que la suppression des emplois précaires soit considérée comme des licenciements. À une époque où se développe le concept de tolérance zéro contre la petite délinquance, l'État doit se donner des moyens efficaces pour lutter contre la délinquance patronale, qui met en cause l'emploi et la cohésion sociale.

Nous suggérons ensuite d'inverser ce qu'avait imposé le « plan quinquennal » de M. Balladur. En ce qui concerne la modification des contrats de travail, nous considérons que celles-ci doivent faire l'objet d'une acceptation expresse. La situation actuelle, où le salarié est censé avoir accepté s'il ne dit pas « non » par écrit dans le délai d'un mois, est préjudiciable à des salariés fragilisés par la menace de licenciement et la situation de sous-emploi. Il faut être vraiment courageux pour oser écrire un refus à son patron. Dans aucune autre relation contractuelle, on n'admet les modifications tacites lorsque les enjeux sont importants. Quoi de plus important que l'emploi ?

Nous voulons également mettre fin aux pratiques fréquentes qui consistent, pour s'affranchir des procédures, à supprimer les emplois par paquets de neuf. Car la loi précise qu'il faut un plan social au-delà. Quatre fois neuf, c'est important ; dix fois neuf, c'est bien plus important encore ; mais on ne doit pas présenter de volet social !

La croissance exponentielle des plans sociaux passe encore sous silence les centaines de milliers de salariés qui se retrouvent au chômage sans bénéficier d'aucun des filets de sécurité qu'apportent les procédures collectives au travers de ce que l'on appelle un « plan de sauvegarde de l'emploi ». Déjà parmi les licenciés économiques, seuls 15 % à 20 % ont bénéficié d'un tel plan selon la DARES - il ne s'agit pas de L'Humanité. (Sourires.)

Les autres sont issus d'entreprises de moins de cinquante salariés, ou bien ont été licenciés par groupes de moins de dix : deux situations dans lesquelles l'employeur n'est pas soumis à l'obligation légale d'une procédure de plan social. Il faut intervenir sur ces situations.

En second lieu, monsieur le ministre, les procédures doivent permettre une véritable concertation pour que le point de vue des salariés soit véritablement entendu et pris en compte.

Pour se concerter, la première condition est l'existence d'interlocuteurs, c'est-à-dire de comités d'entreprise et de délégués du personnel.

Par conséquent, nous proposons de rendre impossibles les licenciements dans les entreprises qui n'ont pas mis en place ces institutions. L'absence de candidature est une manière bien trop commode d'esquiver le débat. Si les salariés se sentent libres de s'exprimer, ils se présentent aux élections. À l'employeur de créer les meilleures conditions à cette fin.

À tout le moins, les salariés ne devraient pas être privés de tout moyen collectif d'intervention dans un domaine où leurs conditions de vie sont en cause.

C'est pourquoi le rôle du comité d'entreprise doit être renforcé, son droit de contre-proposition précisé et un droit d'opposition créé pour faire des propositions alternatives au plan de licenciement.

En cas d'opposition du comité d'entreprise au plan du chef d'entreprise, la procédure de licenciement serait suspendue jusqu'à ce que le juge se prononce sur la validité du plan de sauvegarde des emplois.

Ce délai pourrait également être mis à profit, pour, sous l'égide du préfet, réunir les acteurs économiques et sociaux du bassin d'emploi, afin de construire des solutions permettant soit la poursuite de l'activité, soit la création d'activités nouvelles, soit le reclassement des salariés ou encore leur formation pour déboucher sur un meilleur emploi. Il s'agirait dans tous les cas d'exclure totalement le rejet des salariés dans le chômage.

En cas d'absence de comité d'entreprise ou de délégués du personnel, le plan de sauvegarde de l'emploi serait transmis aux organisations syndicales locales pour que celles-ci puissent contester le plan devant les tribunaux. C'est là un moyen d'éviter que les licenciements ne se fassent en catimini dans ces entreprises qui veulent ignorer toute concertation.

Des moyens nouveaux doivent aussi être donnés pour permettre aux salariés victimes d'obtenir leur réintégration, et non pas seulement des indemnités. Le salarié licencié veut sa réintégration et non des indemnités, ainsi que beaucoup de tribunaux l'ont décidé.

Le salarié victime d'un licenciement pourrait le faire annuler en cas d'insuffisance d'effort de reclassement manifeste et constaté par le juge. Le droit à la réintégration serait également prévu, comme en Italie, en cas de licenciement abusif. Rendez-vous compte, vous êtes pire que Berlusconi !

M. Jean-Pierre Brard. Il faut tout de même le faire !

M. Maxime Gremetz. Vous avez parfaitement compris, monsieur Brard !

M. Maxime Gremetz. Les dommages et intérêts ne peuvent en effet jamais réparer le préjudice subi par des salariés victimes d'un licenciement abusif. Beaucoup d'employeurs spéculent sur le découragement des salariés et les lenteurs de la justice.

Voilà, selon nous, les mesures qu'il faudrait prendre pour s'opposer vraiment aux licenciements abusifs causés par la course aux profits, pour que le point de vue des salariés soit véritablement pris en compte.

Mais c'est surtout aux causes qu'il faut s'attaquer. En effet, si l'emploi et la formation étaient sécurisés, la question des licenciements se poserait dans des termes tout à fait différents. Pour cela, il faudrait s'engager dans une direction opposée à celle choisie par votre gouvernement.

C'est pourquoi nous travaillons à un projet de sécurisation de l'emploi et de la formation. Avec ce projet, nous visons à quelque chose d'aussi ambitieux que le fut, à la Libération, la sécurité sociale, que vous voulez démanteler.

Il s'agit, avec ce projet, d'éradiquer totalement le chômage et la précarité, de permettre la mobilité mais dans la sécurité de la continuité des revenus de bon niveau, la mobilité mais dans la promotion des droits et des qualifications.

Les idées que nous élaborons se font de plus en plus précises. Nous avons déposé trois propositions de loi sur le bureau de l'Assemblée nationale.

Une première, à l'initiative de Daniel Paul, pour lutter contre la précarité, dont vous n'avez même pas accepté, avec votre majorité, de discuter les articles,...

M. Frédéric Dutoit. Quel courage !

M. Maxime Gremetz. ...tant vous aviez peur.

Une seconde, à mon initiative et celle du groupe des député-e-s communistes et républicains, pour valoriser le travail et une troisième pour empêcher les délocalisations.

Sortir de la crise, éradiquer le chômage, suppose des mesures radicales, des réformes audacieuses. Ces mesures feront de la peine - il ne faut pas le cacher - aux plus privilégiés. Mais on ne peut pas faire plaisir à tout le monde. Je crois qu'une émission de télévision s'intitule : On ne peut pas plaire à tout le monde. Mais il faut avoir le courage de déplaire à certains pour faire le bonheur de la majorité.

Nous traduisons cette volonté en propositions concrètes et précises et nous proposons les financements et pouvoirs qui garantissent la réalisation des objectifs.

Pour cela, nous proposons de financer la sécurité de l'emploi et de la formation. Il convient, dans cet esprit, de revaloriser les salaires, qui sont un retour sur investissement garanti pour l'économie nationale. En effet, la redistribution des richesses produites favoriserait, grâce à la progression de la demande intérieure, une croissance favorable à l'emploi.

Le problème, monsieur le ministre, c'est que la part des salaires dans les richesses produites n'a cessé depuis vingt ans de baisser au profit des revenus du capital : quinze points en moins pour les salaires, quinze points en plus évidemment pour les profits ! On ne peut pas faire plaisir à tout le monde. Vous avez choisi, mais vous avez choisi d'avantager une minorité. L'essentiel des gains de productivité, des fruits de la croissance sont allés à ceux qui détiennent les moyens de production et de négoce et aux financiers. Les salariés quant à eux n'ont bénéficié que d'une part infime.

Nous proposons de porter le SMIC à 1 400 euros net par mois et d'indexer les minima conventionnels sur l'évolution du SMIC.

Nous appuyons également l'idée d'instaurer des minima par grands niveaux de diplôme et d'assurer des déroulements de carrières opposables aux employeurs successifs. Ce serait la reconnaissance de la qualification par le salaire, ce que refusent les fédérations patronales, qui maintiennent une part importante des grilles de salaire au-dessous du SMIC. C'est à partir de ces minima garantis que s'engagerait la négociation collective, dans l'objectif de faire mieux.

Ce ne sont là que quelques conseils et propositions, qui jusqu'à présent n'ont jamais été mis en pratique. On les a refusés hier, vous les refusez encore aujourd'hui, et cette attitude aboutit toujours, à quelques nuances près, aux mêmes résultats.

Le Gouvernement pourrait également mener une politique de l'emploi en prévoyant des majorations dans certains métiers de l'industrie et du bâtiment afin d'orienter les jeunes sur des professions pour lesquelles on parle tant de pénurie. Ce serait un réel moyen de revaloriser des emplois d'ouvriers qualifiés. Non seulement ce ne serait que justice, mais il ne fait aucun doute que ces salaires seraient dépensés en biens de consommation, ce qui ne pourrait qu'être utile à l'emploi. Ce serait un formidable booster pour l'économie nationale. Toutes les études démontrent que c'est la consommation des ménages qui tire et maintient la croissance, et non les profits financiers.

Par ailleurs, nous proposons une profonde réforme du régime de cotisations sociales, qui favoriserait l'emploi, les bons salaires et les investissements utiles, tout en garantissant l'équilibre des comptes sociaux.

L'objectif premier est de trouver des ressources nouvelles en faisant cotiser les revenus financiers au même niveau que les salaires. Vous savez les montants que représentent les revenus financiers : s'ils ne participaient qu'à hauteur de 1 %, ou même seulement de 0,5 % à la solidarité nationale, on n'en serait pas réduit à reprocher aux gens de mal dépenser pour leur santé ni aux médecins de trop prescrire !

Nous entendons également moduler le taux de cotisations sociales en fonction du rapport entre les salaires et la valeur créée dans l'entreprise. Plus l'entreprise investirait dans l'emploi, la formation professionnelle et les salaires, plus son taux global de cotisation serait diminué. Évidemment, celles qui persistent à préférer la spéculation financière au détriment de l'investissement verraient le leur augmenter : c'est ce que l'on appelle la modulation. L'emploi et les salaires seraient ainsi encouragés, de même que les économies de capital.

Enfin, plutôt que la baisse obsessionnelle des dépenses de salaires, nous entendons privilégier la baisse des charges financières qui pèsent sur les entreprises. Dans cet esprit, nous proposons d'instituer un système de crédit reposant sur un principe nouveau : les taux seraient d'autant plus bas que l'entreprise investirait dans l'emploi et la formation, et à l'inverse relevés pour les entreprises qui consacrent leurs ressources aux placements financiers. Ne serait-ce pas justice ? N'est-ce pas là encore un encouragement à la création d'emplois et à la formation ?

Vous l'aurez compris, ces réformes des cotisations sociales et du crédit constituent une dimension majeure du projet de société que nous proposons pour assurer la sécurité de l'emploi et la formation pour tous.

La sécurité de l'emploi passe également par une opposition radicale - indispensable - aux formes d'emploi les plus précaires.

Ce n'est pas d'aujourd'hui que cette question nous préoccupe. Mais chacun peut désormais s'apercevoir comment le développement de la précarité correspond à une stratégie d'ensemble : trois millions de chômeurs toutes catégories confondues, auxquels il faut ajouter plus de trois millions et demi de salariés à temps partiel - à temps subi pour la majorité -, trois millions d'autres en intérim ou en CDD, un million environ de gens privés d'emplois non inscrits... Au bout du compte, un salarié sur trois est au chômage total ou en sous-emploi ! Encore cette proportion est-elle encore plus forte chez les jeunes chez qui le contrat à temps plein et à durée indéterminée est devenu l'exception.

Nous rejetons la précarité en tant que base d'organisation de la société. Nous ne lâcherons plus cette question dont nous faisons une priorité. C'est dans ce but que nous avons déposé une proposition de loi anti-précarité, que le Gouvernement et sa majorité ont refusé de discuter. Rappelons-en les principales dispositions.

Premièrement, l'instauration de taux plafonds d'emplois précaires par entreprise pour en finir avec l'embauche abusive d'intérimaires et de CDD. Le recours massif à ces formes de contrats n'a le plus souvent d'autre motif que de mieux dominer et exploiter les travailleurs concernés et d'être en mesure de s'en débarrasser plus facilement. Les salariés intérimaires employés au-dessus du plafond seraient requalifiés en contrats en durée indéterminée.

Deuxièmement, la mise en place d'un dispositif permettant la conversion progressive des emplois précaires en emplois stables grâce à un nouveau contrat géré par une institution nouvelle. Les travailleurs qui s'engageraient dans ce nouveau contrat verraient leurs revenus garantis, qu'ils soient « en emploi » proprement dit ou qu'ils suivent une formation professionnelle visant à les sortir de la précarité.

Troisièmement, l'attribution de pouvoirs décisionnels aux comités d'entreprise afin de leur donner la possibilité de recourir à des formes d'emplois atypiques.

Nous rappelons enfin notre volonté de poursuivre le mouvement de réduction du temps de travail en portant la durée légale hebdomadaire à 32 heures - ce qui suppose évidemment la création des emplois correspondants. La perspective des 32 heures reste au cœur des aspirations sociales. Les 32 heures font toujours partie de nos propositions. Ce n'est pas parce que les modalités de mise en œuvre des lois Aubry - de la loi Aubry II notamment - ont causé des déceptions que nous allons taire cette aspiration massive à davantage de temps libre.

La réduction du temps de travail est un moyen efficace de faire la guerre au chômage. Sept à huit millions de personnes sont actuellement sans emploi du tout ou en situation de sous-emploi sous une forme ou sous une autre. La cohésion sociale est mise en danger par cette situation intolérable. Des millions de nos concitoyens souffrent d'être ainsi mis sur la touche, les jeunes en particulier, qui se voient boucher toute perspective de nature à satisfaire leurs besoins sociaux et à leur permettre de prendre une place utile dans la société.

La croissance ne peut suffire à résorber le chômage, à plus forte raison lorsqu'elle est faible et que rien n'annonce un redressement durable. De surcroît, elle ne saurait reprendre avec la politique engagée par le nouveau gouvernement, dans la mesure où son principal levier résiderait dans une demande intérieure favorisée par l'augmentation des salaires. Or le moteur de la demande intérieure risque de rester encore longtemps en panne.

Ce n'est pas de trop de RTT que souffre le pays, mais bien d'une insuffisante réduction du temps de travail. C'est pourquoi nous proposons d'engager un nouveau processus de diminution du temps de travail.

À nos yeux, la sécurité de l'emploi passe également par un développement sans précédent d'une formation professionnelle de qualité, tout aussi utile que la production des biens et services. Il conviendrait à cet égard de doubler les moyens de la formation professionnelle en relevant les contributions minimales des entreprises, de mutualiser davantage ces contributions à hauteur d'au moins 50 % des sommes versées, d'accorder une priorité d'accès aux stages aux jeunes sans qualification et à ceux qui choisissent des métiers dans l'industrie et le bâtiment, où les besoins en personnels qualifiés sont particulièrement criants, d'accorder un pouvoir de décision aux comités d'entreprise pour ce qui touche au plan de formation de l'entreprise. Qui peut encore soutenir que la formation est faite pour les salariés alors que c'est l'employeur qui décide qui part en formation, dans quel but, où et pour combien de temps ? Encore faudrait-il se donner les moyens de faire entrer dans les faits l'avancée réalisée dans le domaine du droit individuel à la formation : on en parle beaucoup, la loi a été votée, mais pour ce qui est de la mise en œuvre dans les entreprises, nous sommes loin du compte.

Nous proposons enfin d'ouvrir le droit à une allocation de formation de 700 euros pour les jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans. À l'opposé d'un revenu d'assistance, cette allocation, en leur garantissant un revenu minimum, permettrait aux jeunes de s'engager dans un processus de formation assurés d'une indépendance financière. Ce serait aussi reconnaître que la formation est, dans son principe, tout aussi utile pour la société que la production.

Dans un premier temps, cette allocation pourrait être réservée aux jeunes disposés à s'orienter vers des métiers où il existe, au niveau national ou au niveau local, des risques de pénurie d'effectifs. Des concertations locales ou régionales associant élus locaux, employeurs, syndicats et service public de l'emploi pourraient déterminer les besoins et contribuer ainsi à l'adoption de politiques de l'emploi pertinentes.

Je me dirige vers ma conclusion, monsieur le président, et je peux vous assurer que je serai dans les temps. À la seconde près !

M. le président. Comme d'habitude, monsieur Gremetz. (Sourires.)

M. Maxime Gremetz. Voilà, monsieur le ministre, ce que nous sommes en mesure aujourd'hui de proposer. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire, beaucoup à imaginer. Nos propositions, formulées devant la représentation nationale pour aider aux luttes immédiates, pour bâtir l'avenir, sont à la disposition de chacun. Mais elles ne sont pas pour autant à prendre ou à laisser. Nous les soumettons aux salariés, à notre peuple, à notre jeunesse. Et c'est de notre réflexion collective, de cet enrichissement en commun que pourra sortir une volonté majoritaire, capable de jeter les bases d'un nouveau système de sécurité de l'emploi et de la formation, et, au-delà, de préparer l'avenir. Il ne s'agit pas de promettre des lendemains qui chantent, mais de construire ensemble un avenir porteur de plein emploi, de meilleure formation, d'épanouissement humain, de démocratie et de responsabilité partagée.

C'est ainsi que l'on peut concevoir l'avenir de notre pays, face à un monde violent, dangereux, et à une Europe ô combien incertaine. Du reste, l'Europe que l'on nous prépare n'a rien d'incertain : il n'est qu'à voir la directive Bolkestein dont je vous ai parlé, ou encore ce qui s'est passé au dernier sommet, il y a deux jours. On nous parle beaucoup de la Constitution européenne - que nous rejetons - ou de la place de chacun dans tel ou tel organisme, mais c'est toujours de la même Europe qu'il s'agit, de l'Europe des multinationales, de l'Europe des banquiers, des marchés, de la Banque centrale européenne, qui dirige tout et qui ne nous laissera ici aucune possibilité d'agir si nous ne lui opposons pas une volonté politique forte. Pour notre part, nous croyons encore et toujours que notre peuple est capable, en s'appuyant sur de grandes idées, mais également sur des propositions concrètes, de bâtir autre chose et de construire une véritable Europe sociale dans laquelle se retrouveraient les hommes et les femmes, les peuples européens, et non quelques-uns qui décideraient à leur place.

Voilà, mes chers collègues, ce que nous voulons. Nous restons à l'écoute de la critique des citoyens et de leurs organisations pour améliorer et compléter nos propositions. Nous estimons avoir travaillé en prenant en compte le mieux possible les aspirations des Françaises et des Français et l'intérêt de notre pays, la nécessité également de mettre en place des coopérations de haut niveau, en Europe mais également dans le monde, sans pour autant perdre de vue l'indispensable aide à apporter aux pays en voie de développement.

Toutes ces raisons nous conduisent, vous l'aurez compris, monsieur le ministre délégué, à rejeter cette proposition de loi, qui va à l'encontre de nos aspirations et dont les dispositions sont contraires à la Constitution, laquelle garantit le droit à l'emploi. Comme vous avez l'emploi au cœur,...

M. Jean-Pierre Brard. Au cœur du coffre-fort !

M. Maxime Gremetz. ...vous ne manquerez pas, mes chers collègues, de voter cette motion dont l'objectif est de lutter contre les licenciements économiques et boursiers, d'améliorer la situation de l'emploi et d'ouvrir des perspectives pour notre jeunesse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Je vous remercie, monsieur Gremetz, d'avoir, comme d'habitude, respecté votre temps de parole.

M. Jean-Claude Lenoir. « Comme d'habitude » est en trop !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Dord, rapporteur. Monsieur Gremetz, en une heure et demie, comme c'est votre droit, vous avez défendu une exception d'irrecevabilité, dont l'objet est de montrer qu'un texte n'est pas conforme à la Constitution.

Or pendant, une heure et demie, vous avez développé un projet de société, sans présenter le moindre argument pour justifier l'irrecevabilité. Il paraît que c'est de bonne guerre. Soit. Mais par respect pour le règlement, vous auriez pu en mentionner au moins un.

Vous regrettez l'encombrement du calendrier parlementaire, tout en demandant, car vous n'êtes pas à un paradoxe près, qu'on y inscrive toutes vos propositions. C'est bien le seul point sur lequel je vous rejoins. Pour le reste, je ne suis d'accord sur rien.

M. Jean-Pierre Brard. C'est plutôt rassurant !

M. Dominique Dord, rapporteur. J'ai écouté attentivement M. Gremetz, cher collègue, je vous demande d'en faire de même à mon égard.

Vous avez fustigé, monsieur Gremetz, les grands groupes et les licenciements boursiers, en citant notamment l'exemple de Whirlpool, qui vous touche de près. Nous sommes très nombreux, sur tous les bancs, à partager votre indignation. En revanche, les accusations que vous portez contre nous sont inadmissibles, et je les ai ressenties comme des injures. Si l'un de nous proférait à votre endroit le dixième des injures que vous nous avez lancées benoîtement à la figure, je sais trop bien comment vous réagiriez ! Vous n'avez pas le moindre respect pour ce que nous sommes ni pour la fonction qui est la nôtre.

Selon vous, nous sommes totalement indifférents aux licenciements économiques et à la condition de ceux qui en sont victimes.

M. Jean-Pierre Brard. C'est vrai !

M. Maxime Gremetz. Bien sûr, puisque vous ne faites rien !

M. Jean-Claude Lenoir. Et vous, qu'avez-vous fait ?

M. Dominique Dord, rapporteur. Selon vous, nous « souhaitons » faciliter la tâche du MEDEF.

M. Jean-Pierre Brard et M. Maxime Gremetz. C'est vrai !

M. Dominique Dord, rapporteur. Nous aurions même dit aux patrons licencieurs : « lâchez-vous ! »

M. Maxime Gremetz. C'est une image !

M. Dominique Dord, rapporteur. Enfin, nous verserions sur les licenciés...

M. Jean-Pierre Brard. Des larmes de crocodile !

M. Dominique Dord, rapporteur. ...des larmes de crocodiles. C'est honteux !

M. Jean-Pierre Brard. Mais c'est vrai !

M. Dominique Dord, rapporteur. Vous m'insultez.

M. Jean-Pierre Brard. Cachez ce sein que je ne saurais voir...

M. Dominique Dord, rapporteur. Selon vous, nous encourageons les « patrons-voyous » et soutenons les actionnaires.

M. Jean-Pierre Brard. C'est la vérité !

M. Dominique Dord, rapporteur. Enfin, vous nous traitez de gens prétentieux et suffisants.

M. Jean-Pierre Brard et M. Maxime Gremetz. C'est vrai !

M. Dominique Dord, rapporteur. Très franchement, chers collègues, croyez-vous faire ainsi progresser le débat ? Croyez-vous qu'ainsi vous respectez la fonction que nous exerçons ? Pensez-vous vraiment, que, dans nos circonscriptions, nous n'avons pas le même cœur que vous face au drame des personnes licenciées ? Je trouve vos accusations scandaleuses, monsieur Gremetz. Or elles sont d'autant moins fondées que, face au constat que vous dressez et que nous partageons, vous ne proposez rien.

Oui, le marché des capitaux est mondial et les capitaux circulent librement.

M. Maxime Gremetz. Nous y voilà !

M. Jean-Pierre Brard. Vous le confessez enfin ! Nous vous avons tendu le miroir !

M. Dominique Dord, rapporteur. Nous vous avons écouté sans vous interrompre pendant une heure et demie. Rendez-nous au moins cette politesse et respectez-nous quelques minutes.

M. Jean-Pierre Brard. C'est M. Tartuffe-Dord !

M. le président. Monsieur Brard, je vous en prie.

M. Dominique Dord, rapporteur. Oui, monsieur Gremetz, les détenteurs de capitaux cherchent la meilleure rentabilité. Nous partageons ce constat. Et alors ? Qu'avez-vous mis dans la loi de modernisation sociale pour empêcher la libre circulation des capitaux ? Qu'avez-vous proposé ?

M. Claude Goasguen. Des discours !

M. Maxime Gremetz. Nous venons de faire des propositions. Il fallait écouter.

M. Dominique Dord, rapporteur. C'est bien gentil de faire pleurer sur la misère des femmes et des hommes licenciés, mais donnez-nous la moindre de vos recettes avant de nous faire la leçon !

M. Maxime Gremetz. Mais vous êtes autistes !

M. le président. Monsieur Gremetz !

M. Dominique Dord, rapporteur. Vous n'avez apporté aucune réponse, ni dans la loi de modernisation sociale, ni dans votre pseudo projet de société !

M. Gaëtan Gorce. Vous perdez votre sang-froid !

M. Dominique Dord, rapporteur. Vous trompez les Français, car votre projet ne résout rien. Il n'est pas à la hauteur des enjeux.

M. Maxime Gremetz. Vous ne savez pas quoi de vous parlez.

M. Jean-Pierre Brard. Vous oubliez le coup de pied aux fesses de dimanche dernier !

M. le président. Monsieur Gremetz et monsieur Brard !

M. Dominique Dord, rapporteur. Non, je n'oublie rien ! J'essaye, sur un sujet grave, de répondre sérieusement.

M. Maxime Gremetz. Là, c'est vous qui nous injuriez !

M. Dominique Dord, rapporteur. Monsieur Gremetz, nous vous avons subi pendant une heure et demie, faites-moi la grâce de m'écouter un peu. Par ailleurs, je souhaite faire une mise au point me concernant : vous m'avez prêté certains comportements lors de la discussion de la loi de modernisation sociale, mais comme vous m'avez déjà pris pour un autre en commission, je ne vous en tiendrai pas rigueur !

Revenons au sujet qui nous préoccupe. Dans ma circonscription, monsieur Gremetz, une entreprise de métallurgie employait cent salariés. Son patron est savoyard, ce sont ses propres capitaux. Depuis quinze ans, il se bat pour survivre. Mais il se trouve que son principal concurrent est roumain, et ses ouvriers font le même travail que les Savoyards pour un salaire dix fois inférieur. Le résultat, ce sont soixante licenciements. Et là, monsieur Gremetz, il n'y a ni MEDEF, ni baron Seillière, ni « patrons voyous » : il y a soixante drames individuels pour ces femmes et ces hommes.

M. Maxime Gremetz. On ne peut rien, selon vous ?

M. Dominique Dord, rapporteur. La « modernisation sociale » ne change rien à leur drame. Et la modernisation sociale, c'est plutôt vous, monsieur Gremetz.

Nous, monsieur Gremetz, c'est pour ces soixante femmes et hommes, c'est pour leur patron, c'est pour cette entreprise et pour tous ceux qui leur ressemblent, que nous nous battons.

Pour toutes ces raisons, je ne souhaite pas, vraiment pas du tout, que cette motion soit adoptée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Maxime Gremetz. Vous avouez !

M. Jean-Pierre Brard. Le taux d'adrénaline est exagérément monté !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. le ministre délégué aux relations du travail. Je partage l'avis défavorable du rapporteur, mais je veux revenir sur quelques questions et quelques affirmations.

Vous proposez d'augmenter le SMIC à 1 440 euros dans votre projet, monsieur Gremetz. Mais dois-je vous rappeler que vous avez soutenu un gouvernement qui a mis en place sept SMIC différents au titre de l'aménagement et de la réduction du temps de travail ?

M. Claude Goasguen. Ils ont affamé la classe ouvrière !

M. le ministre délégué aux relations du travail. Par ailleurs, vous n'avez jamais réuni la Commission nationale de lutte contre le travail illégal. Nous venons de le faire, et cette lutte, c'est le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin qui l'a entreprise.

Je livre un autre sujet à votre méditation : le 18 juin, l'Organisation internationale du travail a adopté une résolution sur la nécessaire dimension sociale de la mondialisation. Qui l'a soutenue ? Le Président de la République, Jacques Chirac, avec la présidente finlandaise et le président de Tanzanie, sur le rapport de M. Somavia. Là encore, c'est à mettre à l'actif de notre gouvernement.

Ensuite, vos notes datent un peu pour ce qui est du plan de cohésion sociale.

M. Claude Goasguen. C'est sûr !

M. le ministre délégué aux relations du travail. Nous y avons travaillé encore ce week-end avec le Premier ministre, et je vous renvoie aux projets que nous présenterons dans quelques jours au conseil des ministres.

M. Gaëtan Gorce. On verra enfin l'Arlésienne !

M. le ministre délégué aux relations du travail. François Fillon a commandé les rapports Virville et Marimbert, qui alimenteront avec d'autres réflexions le dialogue social que nous souhaitons engager pendant six mois avec les partenaires sociaux. Ne vous attendez donc pas, dans les jours qui viennent, à des propositions Virville ou Marimbert en ce qui concerne l'organisation du service public de l'emploi. Nous ne ferons des propositions qu'au terme de ce dialogue.

Sur la directive relative aux services, je vous lis ce que j'ai exactement dit le 1er juin, à Luxembourg - et quand mon collaborateur a quitté l'hémicycle tout à l'heure, c'était pour aller chercher l'intervention que j'avais prononcée.

« À partir du moment où serait supprimée la déclaration préalable du détachement au pays d'accueil, comment pourra-t-on organiser en pratique un réel contrôle des conditions de travail appliquées au travailleur détaché ? Comment éviter les risques de dumping social ? »

Nous avons demandé que le projet de directive soit remis à l'étude. Et qui le soutenait ? M. Blair, par exemple, qui n'a pas eu les états d'âme du gouvernement français sur ce sujet.

Vous évoquez les accords de méthode. Sur 1300 plans sociaux déposés l'an dernier auprès du ministère, il y a eu 155 accords de méthode, dont 61 % signés par la CGT, 71 % par la CFDT, 51 % par Force Ouvrière. Vous le voyez, les partenaires sociaux, en dépit d'approches différentes, préfèrent un bon accord de méthode plutôt que d'attendre un jugement des années après, quand il n'y a plus d'entreprise.

Enfin, nous suivons attentivement le dossier du site de production de ST Microelectronic à Rennes, car il s'agit des nanotechnologies, qui seront les clés de l'avenir. Je rappellerai que sur un programme de développement de 3 milliards d'euros, le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a apporté un soutien pour 500 millions d'euros. Depuis 2002, 1 200 emplois ont été créés, 1 500 le seront encore à Crolles, dans l'Isère, plus 4 300 emplois induits.

Certes, il y a des difficultés à Rennes. Je suis allé, la semaine dernière, en Bretagne visiter une plate-forme de développement locale et préparer la reprise dans le secteur des télécommunications avec les acteurs sociaux sur le terrain : entrepreneurs, représentants des syndicats, élus locaux.

Ne pas se préparer à maîtriser les nanotechnologies serait compromettre l'avenir du pays et de l'Europe. Laisser croire au déménagement de ST Microelectronic à Singapour est faux. Je le répète, 1 500 emplois devraient être créés à Crolles, en Isère, par la volonté politique du Gouvernement de développer la recherche et ce type d'industrie.

Telles sont, mesdames et messieurs les députés, les quelques réponses que je souhaitais apporter. Nous reviendrons sur les questions de fond après la négociation avec les partenaires sociaux, sans doute à la fin de l'année. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Claude Gaillard, pour le groupe UMP

M. Claude Gaillard. Je m'associe aux propos du rapporteur et du ministre. J'ai écouté M. Gremetz avec patience. Il n'a fourni aucun argument mais prononcé beaucoup d'inexactitudes, qu'il serait difficile de reprendre une à une...

M. Jean-Pierre Brard. Faites-le donc !

M. Claude Gaillard. ...puisqu'il nous faudrait à notre tour au moins une heure et demie.

M. Jean-Pierre Brard. Faites-le succinctement !

M. Maxime Gremetz. Chiche !

M. Claude Gaillard. Monsieur Gremetz, reconnaissez la patience qui est la nôtre de vous avoir écouté avec la plus grande attention pendant une heure trente,...

M. Jean-Pierre Brard. Il ne manquerait plus que ça !

M. Claude Gaillard. ...en dépit du ton et des arguments que vous avez employés.

La loi de modernisation sociale, élaborée avec suffisance et arrogance - termes qui vous sont chers, monsieur Gremetz -, sans consultation des partenaires sociaux et en fait imposée, est restée sans effet. Il est inexact que la suspension de certaines de ses dispositions ait provoqué une explosion de licenciements économiques. En effet, à partir de mai 2001, date du vote du projet de loi, les licenciements économiques ont fortement augmenté, alors que durant les quatre premiers mois de cette année, le nombre des plans sociaux a diminué de 18 %. Cela montre l'inefficacité de la loi que vous avez votée et que la suspension de certaines de ses dispositions va dans le bon sens.

Plus généralement, réformer demande davantage de courage que de faire des cadeaux ou des promesses démagogiques. C'est ainsi que nous avons sauvé les retraites par répartition et que nous voulons sauver l'assurance maladie pour éviter une protection sociale à deux vitesses qui deviendrait inévitable si nous ne faisions rien. Dans ce domaine, nous nous sommes donné une obligation de résultat. Comme l'a dit le ministre dans son intervention liminaire, nous souhaitons réhabiliter le dialogue social en travaillant avec les partenaires pour trouver les meilleures solutions possibles.

La proposition que nous examinons procède de la même philosophie. C'est pourquoi le groupe UMP votera contre l'exception d'irrecevabilité, dont l'adoption serait, à nos yeux, une faute politique majeure. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Frédéric Dutoit. Je m'étonne que le rapporteur, M. Dord, ait manifesté son opposition à l'exception d'irrecevabilité soutenue par M. Gremetz avec une telle théâtralité.

M. Claude Goasguen. C'est un homme convaincu !

M. Frédéric Dutoit. Il lui suffisait de dire que nous n'avons pas du tout la même conception des choses,...

Mme Martine Aurillac. C'est certain !

M. Frédéric Dutoit. ...comme nous l'avait répondu M. Fillon dans une discussion relative au dialogue social et lors de l'examen du projet sur les retraites. J'aurais préféré qu'il opte pour cette attitude, plutôt qu'il ne dise que nos arguments étaient illégitimes.

M. Dominique Dord, rapporteur. Je suis soucieux du respect des autres !

M. Frédéric Dutoit. Je partage votre préoccupation, c'est pourquoi je m'adresse à vous en termes courtois.

Vous avez déclaré, monsieur le rapporteur, que M. Gremetz n'avait présenté aucun argument de nature à soutenir l'irrecevabilité.

M. Claude Gaillard. Il avait raison !

M. Frédéric Dutoit. La Constitution reconnaît à chacun le droit au travail. Or le texte proposé ne respecte donc pas la Constitution. Bien entendu, nous n'approuvons pas les solutions proposées, mais c'est parce que cette proposition de loi est contraire à la Constitution que nous considérons qu'elle est irrecevable.

Voilà quelques semaines, s'agissant des chômeurs, M. Borloo annonçait ici même pour la rentrée de nouvelles discussions relatives au dialogue social. Pourquoi dès lors anticiper ?

La loi de modernisation sociale, votée dans les derniers mois du pouvoir de gauche, n'ayant même pas reçu ses décrets d'application, pourquoi l'avoir suspendue avant qu'elle ait produit ses effets ? Une suspension de six mois supplémentaires ne résoudra rien. Les 156 accords d'entreprises déjà conclus ne représentent à peu près rien.

M. Dominique Dord, rapporteur. Cela représente tout de même 15 % des entreprises !

M. Jean-Pierre Brard. C'est « petit bras » !

M. Dominique Dord, rapporteur. C'est mieux que rien !

M. Frédéric Dutoit. Ce n'est pas en six mois que nous réglerons un problème qui n'a pas été résolu depuis plus d'un an.

De plus, comme l'a dit M. Gremetz, ces accords dont vous vous flattez ont toujours été signés avec des organisations sociales qui ne représentent qu'une minorité de salariés, et même d'entrepreneurs. C'est le cas de l'accord inique sur les intermittents du spectacle, signé par des d'entreprises minoritaires au sein même du MEDEF et avec des syndicats minoritaires.

M. Dominique Dord, rapporteur. Cela n'a rien à voir avec la proposition de loi !

M. Frédéric Dutoit. Il existe donc un problème de dialogue social dans notre pays. Il conviendra donc d'y revenir, comme l'a dit M. Borloo.

Pour les « recalculés » qui viennent d'être réintégrés, il est nécessaire d'élaborer une nouvelle convention UNEDIC afin que chaque chômeur ait droit à de meilleures conditions de vie et, comme le disait M. Gremetz, à une formation qualifiante de haut niveau permettant de retrouver un emploi.

Enfin, monsieur le ministre, vous répétez, de façon paradoxale, avec le rapporteur, qu'il faut s'adapter à la réalité, c'est-à-dire que la circulation des capitaux est une obligation...

M. Dominique Dord, rapporteur. Non, c'est un fait !

M. Frédéric Dutoit. ...et que la concurrence doit prévaloir, à tel point que les directives européennes nous imposent d'abandonner les services publics. Mais qu'est-ce qui empêche, du moins à l'intérieur de l'Union européenne, d'harmoniser par le haut les réglementations sociales, plutôt que de toujours les réviser à la baisse ?

Pour toutes ces raisons, le groupe des député-e-s communistes et républicains votera l'exception d'irrecevabilité.

M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer, pour le groupe UDF.

M. Francis Vercamer. Député de Roubaix, ville sinistrée dans une agglomération à l'industrie textile sinistrée, dans un département du Nord sinistré par la crise du textile et de la métallurgie et dans une région Nord-Pas-de-Calais sinistrée par la fermeture des mines, en entendant évoquer les licenciements économiques, je sais de quoi on parle. Plus encore que par les délocalisations, nous sommes touchés par les redressements judiciaires et les liquidations.

Monsieur Gremetz, je suis sensible à votre combat contre la précarité, car c'est en rendant confiance aux Français que l'on renouera avec la croissance. Mais là s'arrête notre convergence, car là où vous êtes dogmatique, je préfère être pragmatique.

M. Jean-Pierre Brard. C'est-à-dire que vous faites des courbettes à Seillière !

M. Francis Vercamer. Allonger les procédures de licenciement revient à accroître la précarité.

M. Jean-Pierre Brard. Vous êtes partisan d'abréger les souffrances !

M. Francis Vercamer. Quand une société est proche de la liquidation, prolonger son existence de trois mois, c'est allonger d'autant la précarité. Mieux vaut se battre pour trouver des emplois à durée indéterminée dans une entreprise en bonne santé plutôt que de mettre sous perfusion des salariés qui, au bout de trois mois, se retrouveront au chômage.

M. Jean-Pierre Brard. Vous proposez donc de les liquider tout de suite. Nous le dirons à vos électeurs !

M. Francis Vercamer. Je le leur dis tous les jours.

M. Jean-Pierre Brard. Cela m'étonnerait !

M. Francis Vercamer. Nombre d'entre eux sont malheureusement en difficulté.

En revanche, monsieur Gremetz, votre amendement relatif à la réalisation d'une étude d'impact me paraît bienvenu. J'attends des propositions du Gouvernement à ce sujet. Il est important de connaître l'impact sur un territoire et sur ceux qui y habitent de la fermeture ou de la délocalisation d'une entreprise. La loi de modernisation sociale comportait des dispositions intéressantes, mais elle n'allait pas assez loin dans le traitement des licenciements économiques. J'attends sur ce sujet les propositions que présentera le Gouvernement lors de l'examen du projet de loi de cohésion sociale.

M. Jean-Pierre Brard. Comment on organise le protocole des pompes funèbres !

M. Francis Vercamer. J'observe enfin que les délocalisations prennent souvent la direction de pays longtemps sous régime communiste,...

M. Jean-Pierre Brard. Auparavant, les délocalisations n'existaient pas !

M. Francis Vercamer. ...peut-être parce que le niveau de vie y est resté bien moins élevé que chez nous.

M. Jean-Pierre Brard. J'ai l'impression que vous regrettez cette époque. Vous êtes en fait un néobolchévique !

M. le président. Monsieur Brard !

M. Francis Vercamer. Au nom du groupe UDF, je ne voterai pas l'exception d'irrecevabilité, non seulement parce que vous n'avez pas démontré cette irrecevabilité, monsieur Gremetz, mais encore parce que je suis en désaccord avec vous sur la forme.

M. Dominique Dord, rapporteur. Très bien !

M. le président. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

Question préalable

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Gaëtan Gorce.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur Gorce, faites attention à ne pas choquer M. Dord et ses chastes oreilles !

M. Gaëtan Gorce. Monsieur le ministre, vous vous présentez devant nous en robe de bure, avec, à la main, un texte squelettique, témoin d'un bilan calamiteux.

On nous annonçait une grande loi pour l'emploi - et Dieu sait que nous en avons entendu parler depuis les vœux du Président de la République -, et nous voici réduits à discuter deux malheureux articles, sorte de condensé de plusieurs de vos erreurs et de vos échecs.

M. Jean-Pierre Brard. Il s'agissait de vœux pieux !

M. Gaëtan Gorce. L'article 1er vise à prolonger de six mois le délai de suspension de plusieurs articles de la loi de modernisation sociale. Il sonne aujourd'hui comme un aveu de votre incapacité persistante à définir une politique claire face à la question pourtant lancinante, évoquée à l'instant, des restructurations et des délocalisations.

Le débat qui s'engage ne fera que confirmer les constats que nous dressions voici dix-huit mois face à M. Fillon. Nous dénoncions à l'époque les faux procès, les faux-semblants, les faux-fuyants qui caractérisaient sa politique. Ce sont malheureusement les mêmes termes qui conviennent aujourd'hui.

Faux procès d'abord, consistant à imputer à la loi de modernisation sociale, dont la plupart des dispositions n'étaient pas encore entrées en application - je rappelle que le texte a été voté au cours du premier trimestre 2002 et qu'il s'est produit un changement politique dans les semaines qui ont suivi -, la responsabilité de la montée du chômage, du fait des rigidités qu'elle était censée introduire.

Dix-huit mois plus tard, certains des articles de la loi de modernisation sociale ont été suspendus. Pour autant, le chômage n'a pas cessé de progresser, les licenciements économiques sont toujours aussi nombreux et l'emploi, en particulier l'emploi industriel, continue de diminuer. Que valait alors l'argument de M. Fillon ? Peu de choses ! Que vaut-il aujourd'hui au regard des faits ? Plus rien !

Faux-semblants ensuite. Car il s'agit, en réalité, d'une abrogation de la loi de modernisation sociale qui ne veut pas dire son nom. J'avais dénoncé, en son temps, à la grande fureur de votre prédécesseur, « une filouterie juridique ». Elle est aujourd'hui totalement démontrée. S'il ne s'était agi que de suspendre cette loi, il serait normal aujourd'hui, faute d'accord, faute de négociations ayant abouti, faute d'avoir été remplacée, qu'elle puisse de nouveau entrer en vigueur. Mais c'est justement ce à quoi vous ne pouvez consentir, malgré l'échec de la tentative dans laquelle vous êtes engagé. Vous ne voulez pas de ces dispositions, au point de nous faire voter en urgence, à travers la proposition de loi qui nous est présentée, une suspension complémentaire, démontrant en fait que ce terme de « suspension » n'est qu'un leurre. Là encore, que valait alors l'argument de M. Fillon ? Peu de choses ! Que vaut-il aujourd'hui au regard des faits ? Plus rien !

Faux-fuyants enfin, car en renvoyant le dossier à la négociation sans en fixer clairement le cadre, les orientations, vous cherchez à nouveau à vous défausser de votre responsabilité politique sur les seuls partenaires sociaux. Vous sollicitez un nouveau délai sans rien dévoiler à la représentation nationale du contenu ou des grandes lignes, ni même prendre le temps de dresser devant nous ou notre commission un bilan de la négociation en cours. Ce que nous en savons, c'est par la presse que nous l'avons appris. La commission et son rapporteur n'ont pas jugé utile d'inviter les partenaires sociaux à venir faire le point de la situation de la négociation dans laquelle ils étaient engagés. Aujourd'hui, vous nous demandez de signer un chèque en blanc, non aux négociateurs mais au Gouvernement qui à aucun moment n'assume sa responsabilité devant cette assemblée. La moindre des choses aurait été que nous puissions disposer d'un bilan plus précis des accords de méthode qui ont été négociés et signés. Il nous a fallu le demander, et le fait qu'il tienne en deux feuillets succincts n'est guère rassurant.

Vous nous demandez à nouveau une délégation de responsabilités à l'aveuglette, démontrant ainsi le peu de cas que vous faites d'un dossier majeur sur lequel on pourrait penser, au regard des préoccupations exprimées par nos concitoyens, élections après élections, conflits sociaux après conflits sociaux, que vous auriez au moins le front, j'allais presque dire le cran, de nous indiquer les intentions du Gouvernement dans ces domaines.

M. Jean-Pierre Brard. Le sait-il lui-même ?

M. Gaëtan Gorce. Il y a dix-huit mois, j'avais, au nom de mon groupe, indiqué combien il nous semblait peu crédible de penser pouvoir conclure une telle négociation sociale en raison des réticences des partenaires sociaux, qui n'en étaient pas demandeurs, et au premier chef le Medef. M. Fillon nous avait alors reproché de ne pas faire suffisamment confiance au dialogue social. Que valait alors son argument ? Peu de choses ! Que vaut-il aujourd'hui au regard des faits ? Plus rien !

Pour notre part, nous souhaiterions évidemment qu'un tel accord puisse aboutir, associant une majorité de syndicats. Il faudrait d'ailleurs que vous nous indiquiez, sur le plan de la méthode, ce que vous entendez par un bon accord. Peut-être est-ce un accord qui engagerait une majorité d'organisations syndicales ou des organisations représentant une majorité de salariés...

M. Jean-Pierre Brard. Plutôt, oui !

M. Gaëtan Gorce. ...ce qui nous garantirait peut-être sur le fond de réelles avancées. Mais, faute d'indications, nous ne pouvons qu'exprimer nos craintes.

Oui, nous souhaiterions qu'un accord puisse être trouvé, permettant d'aboutir à des solutions justes et raisonnables, afin de garantir, aux entreprises comme aux salariés, que le changement qu'implique souvent une économie en mouvement se fasse dans la sécurité. Mais il faudrait que vous en créiez les conditions.

La négociation n'aurait-elle pas été facilitée si les syndicats avaient pu s'appuyer sur les dispositions existantes de la loi de modernisation sociale ? N'aurait-elle pas été facilitée si le Gouvernement en avait fixé le cadre ? Il est vrai que M. Fillon n'est plus là pour nous répondre, il n'est plus là pour assumer son bilan que j'ai qualifié tout à l'heure de calamiteux. Il a fait « un petit tour et puis s'en est allé ». Mais puisque le Gouvernement reste, et c'est dommage, c'est bien à vous que nous demandons des comptes sur la situation en matière sociale.

Les mêmes raisons qui nous avaient conduits à refuser votre projet de loi voici dix-huit mois nous amènent à récuser le texte qui nous est soumis aujourd'hui. Vous avez ouvert symboliquement les vannes du licenciement au moment où le flot du chômage commençait à monter ! Vous avez prétendu miser sur le dialogue social en privant celui-ci de son point d'équilibre ! Vous avez créé une situation d'instabilité juridique sans précédent en organisant la coexistence, que vous voulez proroger, de plusieurs droits du licenciement, les règles qui s'appliquent aux entreprises avant la suspension de la loi, celles qui s'appliqueront après, celles qui s'appliqueront en fonction des accords de méthode et différemment selon les accords de méthode, pour une garantie fondamentale pour les salariés. Dieu sait que l'on a organisé là une instabilité et une confusion qui ne vont certainement pas dans le sens du renforcement de leurs droits et de la sécurité juridique !

Voilà pour l'article 1er. Il y aurait encore tant à dire, mais je ne veux pas être trop long.

J'en viens à l'article 2 qui n'est guère plus encourageant. Son objet est certes plus satisfaisant puisqu'il s'agit de remettre de l'ordre dans les relations entre l'UNEDIC et l'État, notamment après la décision prise, sous la pression des urnes, de réintégrer ceux que l'on appelle les recalculés. Mais derrière cet aménagement technique, que de fautes politiques, et surtout que de gâchis social !

La première faute aura été de réduire de 6 % les moyens budgétaires consacrés à l'emploi au moment où le chômage augmentait dans les mêmes proportions. Lors du débat sur le projet de loi de finances, nous avions dénoncé l'incohérence de tels choix.

La deuxième faute, génératrice du même gâchis social, aura été de prétendre donner la priorité à l'accès aux emplois marchands au détriment des emplois aidés, stigmatisés par votre prédécesseur au moment même où, la croissance ralentissant, les postes dans le secteur privé se faisaient plus rares. Vous avez, d'une certaine façon, transformé les parcours d'insertion en parcours du combattant. Voilà, en effet, une curieuse façon de penser que d'imaginer qu'il sera plus facile à un chômeur de trouver du travail juste au moment où celui-ci se fait plus rare.

Le troisième contresens, peut-être la plus grave, aura été d'avoir voulu réduire le montant de l'indemnisation chômage au moment où le risque de perdre son emploi s'est aggravé, où les difficultés d'en retrouver étaient les plus grandes. C'était le contresens de l'accord UNEDIC, et Dieu sait que nous l'avons dénoncé ! C'était aussi le contresens de la réforme de l'ASS sur laquelle d'ailleurs vous ne dites plus un mot. Nous aimerions savoir quelles sont les intentions du Gouvernement en la matière. L'accord UNEDIC était contestable puisqu'il prévoyait un contrat mais non d'en respecter les termes, et la justice l'a rappelé. On ne peut pas à la fois exiger des droits et des devoirs des chômeurs sans assumer soi-même ses devoirs.

Mais la réforme de l'ASS n'allait pas dans un sens plus favorable. Combien de situations de chômeurs indemnisés avez-vous remises en cause pour 180 millions d'euros d'économies ? Réduction de la durée de bénéfice de l'ASS, diminution et même suppression de la majoration pour les chômeurs indemnisés de plus de cinquante-cinq ans : voilà la réalité des dispositions que vous avez prises et sur lesquelles vous n'êtes pas revenus.

M. Jean-Pierre Brard. M. Dor n'y est pas indifférent, il va vous le dire !

M. Gaëtan Gorce. Vous avez occupé le terrain, avec cette réforme de l'UNEDIC et le nouvel agrément qui vous a été en quelque sorte imposé par la justice, et j'allais presque dire la volonté populaire, celle issue des urnes. Mais sur l'ASS, plus rien !

Vous nous direz que vous essayez, avec ce texte, de réparer tardivement les dégâts. Mais le problème est loin d'être résolu puisque vous ne nous dites pas comment l'UNEDIC pourra assurer le financement de la réintégration légitime des recalculés. On peut se réjouir de cette réintégration et qu'enfin soient corrigées les erreurs qui ont été commises. Mais encore faudrait-il que l'UNEDIC ait les moyens d'y faire face. Et ce n'est pas avec l'annulation ou le report de 1,2 milliard d'euros de dettes, qui ne figuraient ni au passif de l'UNEDIC, ni à l'actif de l'État, que vous réglez ce problème. En réalité, vous payez l'UNEDIC avec de la monnaie de singe. Il faudrait donc que vous indiquiez clairement selon quelles méthodes, avec quels financements, quels outils vous permettrez à l'UNEDIC d'assumer cette nouvelle responsabilité. Et je ne parle même pas de revenir à l'équilibre de ses comptes !

Au total, ce texte, squelettique au regard des enjeux, ne peut combler les attentes pour disposer d'indications claires et d'une volonté législative en matière d'emplois.

Vous nous disiez tout à l'heure que le plan de cohésion sociale allait bientôt sortir de terre. J'avoue que nous serions ravis de voir enfin le visage de cette Arlésienne !

J'évoquais tout à l'heure la loi dont on nous a parlé, qui s'est brusquement muée en plan de cohésion sociale. Quels en seront les éléments, quel en sera le contenu ? Quels en seront les financements, les objectifs ? À quel moment l'Assemblée nationale sera-t-elle amenée à en débattre ? Toutes ces questions restent malheureusement aujourd'hui sans réponse. Or, elles sont d'autant plus urgentes que le bilan, sur le plan social, est jugé calamiteux par les Français : 230 000 chômeurs supplémentaires depuis juin 2002 ; plus de 30 000 emplois détruits en 2003 - c'est la première année, depuis 1993, où l'emploi a recommencé à diminuer ; 98 000 emplois détruits dans le secteur industriel et plus de 200 000 licenciements économiques.

Êtes-vous capable d'en tirer les conséquences ? C'est la question que l'on peut se poser légitimement. Le texte que vous nous présentez montre à l'évidence que vous persistez dans l'intention de conduire une politique économique sans âme, une politique sociale sans moyens, une politique de l'emploi sans cohérence, ce qui est peut-être le plus grave. Certes, on voit ici ou là une tentative de rapiéçage intervenant comme un lointain écho des arguments que nous avons évoqués dans cet hémicycle depuis deux ans. On nous parle, dans la presse, de rétablir les droits à retraite des bénéficiaires du RMA. Nous avions dénoncé, lorsque le débat s'était engagé dans cet hémicycle, qu'ils soient ainsi sacrifiés. Il semblerait qu'on le reconnaisse aujourd'hui, mais un peu tard. Quelle confiance vous accordez sur ce sujet ? On envisage, semble-t-il, de réintroduire le droit à formation des titulaires de contrats jeunes. Nous avons passé dans cet hémicycle une partie d'un été à dénoncer l'absence de formation liée aux contrats jeunes. Il semblerait que cette erreur puisse être corrigée un jour. Encore faut-il voir ce que contiendra le texte que vous nous présenterez.

Il semblerait aussi que l'on veuille relancer aujourd'hui l'apprentissage, se préoccuper de l'emploi des jeunes après avoir supprimé les emplois jeunes et donné la priorité aux contrats jeunes contre l'apprentissage - on voit bien que le nombre de contrats d'apprentissage et de qualification a diminué au bénéfice des contrats jeunes. Il ne s'agit, de notre point de vue, que de maladroits tête-à-queue qui ne peuvent que confirmer la défiance que nous n'avons cessé d'exprimer avec les partenaires sociaux.

Au cours des deux ans écoulés, nous n'avons cessé de dire, de clamer puis de dénoncer, enfin de protester contre les mesures que vous preniez et dont nous voyons malheureusement poindre les conséquences.

Ces conséquences, nous les voyons aujourd'hui. Je les ai qualifiées de « calamiteuses », je ne trouve pas de terme qui soit plus adéquat. Elles se traduisent par une montée massive du chômage, je l'ai déjà dit, mais plus grave encore, par une défiance accrue de nos concitoyens, et d'abord des salariés : ils ne croient pas en la capacité du Gouvernement de répondre à leurs préoccupations.

Il est très dommageable que, en matière de licenciements, vous donniez parfois le sentiment que le seul que vous tentiez vraiment de prévenir, c'est celui qui menace ce gouvernement lequel, pourtant, aurait bien mérité, pour des motifs tant économiques que sociaux et politiques, de se voir appliquer la procédure la plus abrupte, celle que l'on réserve à ceux qui ont failli à leur tâche.

Je demande donc à mes collègues de voter la question préalable, considérant qu'il n'y a pas lieu de délibérer sur un texte qui ne règle en rien les questions qui nous sont posées, qui confirme les erreurs commises par le Gouvernement depuis deux ans, et qui n'apporte pas non plus de solution à l'UNEDIC, ni à titre d'information, ni sur le fond, quant au problème du financement de notre régime d'indemnisation du chômage.

On serait en droit d'attendre d'un gouvernement confronté à pareille situation qu'il nous fasse des propositions claires et qu'il exprime une volonté forte d'apporter des réponses.

Malheureusement, il ne nous propose que des pis-aller, ce que nous ne pouvons approuver. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Dord, rapporteur. Je tiens à remercier Gaétan Gorce pour la tonalité qu'il a donnée à son intervention, qui contraste avec la précédente : on peut défendre des convictions et s'affronter sur des idées, sans pour autant insulter les gens qui les défendent !

S'agissant de l'ASS, vous vous demandiez, monsieur Gorce, pourquoi nous ne suspendions pas la réforme de cette allocation. A ma connaissance, - je me tourne vers M. le ministre - les textes réglementaires qui régiraient la réforme de l'ASS n'ont pas été pris ; il n'y a donc pas lieu de suspendre une réforme qui n'a pas été mise en œuvre.

Comme l'orateur précédent, vous vous êtes interrogé sur la signification du concept d'accord majoritaire, tel qu'il est défini par la loi Fillon. Sauf erreur, pour les accords interprofessionnels, la règle de la majorité issue de cette loi est l'absence d'opposition d'une majorité de syndicats représentatifs, c'est-à-dire trois sur cinq. Vous ne pouvez donc laisser penser que nous serions pour des accords majoritaires en quelque sorte « positifs » des organisations représentant une majorité de salariés. Il faudrait d'ailleurs que l'on sache ce que cela veut dire et quelle est la base pour calculer ladite « majorité de salariés » : je doute que même la totalité des cinq syndicats puisse la représenter, en tout cas dans la période actuelle !

Sur l'article 1er comme sur l'article 2, vous reprochez essentiellement au Gouvernement de ne pas avoir de ligne d'action et de s'en remettre totalement aux partenaires sociaux et à un éventuel accord. Vous parlez « d'aveu d'incapacité à définir une politique claire », « d'absence de cadre fixé ». En tout cas, à la lumière de l'actualité récente, et c'est le sentiment que nous avons depuis un an et demi, nous pensons que le dialogue social ne doit pas être érigé en dogme. En effet, il doit s'exercer et on doit lui donner tous les moyens de vivre, mais la décision doit rester au pouvoir politique. Ne devrions-nous qu'entériner, purement et simplement, sans aucun droit de regard, le fruit de la discussion collective ? Voilà un vrai et grand sujet dont il faut que nous débattions.

Mais il en est un autre, que vous n'avez pas évoqué, mais dont M. le ministre parle souvent, qui est lié au débat d'aujourd'hui et sur lequel j'aimerais que nous passions un peu de temps. Jean-louis Borloo en émaille souvent ses discours : dans les dix années qui viennent, nous devrons trouver un million et demi de travailleurs pour occuper le même nombre d'emplois vacants. La question que nous devons tous nous poser à ce propos et qui sera un des enjeux de la loi de cohésion sociale, est la suivante : ces salariés, irons-nous les chercher dans le reste de l'Europe ou ferons-nous tout ce qu'il faut pour remettre dans une dynamique de travail ceux qui sont actuellement privés d'emploi et parfois même en sont très éloignés ?

La fermeture d'une entreprise en Savoie, dans la Somme, dans le Nord ou ailleurs est toujours un drame, pour la vie locale et pour les familles ! Et pourtant nous devons raisonner dans cette perspective d'un déficit de un million et demi de salariés dans les dix ans qui viennent ! Tel est le paradoxe. Il souligne l'inadaptation de notre économie et de notre système social. Dès lors, ne devrions-nous pas consacrer du temps à résoudre cette inadéquation entre l'offre et la demande de travail dans notre pays, et pourquoi pas, précisément, dans la loi qui viendra en discussion avant la fin de l'année ?

Sur tous ces éléments, le débat va s'ouvrir et, je pense, dans la même tonalité, excellente, qui a caractérisé cette motion. Cela dit, sur la question préalable, vous comprendrez que nous ne vous suivions pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué aux relations du travail. Monsieur Gorce, après M. le rapporteur, je veux affirmer que nous souhaitons faire vivre la démocratie sociale. Mais, sur les enjeux fondamentaux, c'est à la démocratie politique d'arbitrer.

M. Jean Le Garrec. Nous n'avons jamais dit le contraire !

M. le ministre délégué aux relations du travail. Je vous renvoie au Traité d'Amsterdam auquel on doit l'idée d'ouvrir aux partenaires sociaux un temps de dialogue. Il l'a fixé à neuf mois au maximum au plan européen. Sous la présidence néerlandaise, auront lieu les débats sur le rôle et la place de l'intérim, sur l'aménagement du temps de travail, ou encore sur les services - débat que nous avons renvoyé lors du dernier Conseil des ministres.

Introduire ce temps de dialogue social dans notre pays, donner sa chance à la démocratie sociale, ce n'est pas amoindrir la démocratie politique, à qui appartient, en tout état de cause, le droit d'amender, d'accepter ou de refuser, le droit de compléter, et celui de constater les désaccords ou les accords partiels.

Monsieur le rapporteur, sur ce point, nous partageons les mêmes vues, celles du Gouvernement.

Monsieur Gorce, pour répondre aux questions que vous m'avez posées, je vous rappellerai quelques chiffres.

La croissance, comme le rappelait le Premier ministre, ici même, est en panne. Son taux a diminué de 50 % chaque année à partir de l'année 2000. Aujourd'hui, elle redémarre. Les chiffres des quatre premiers mois de l'année ne peuvent que nous réconforter, même si, à l'horizon, les difficultés demeurent. Durant cette période, les demandes de plans sociaux parvenues au ministère du travail ont concerné 37 % d'emplois en moins, et les créations d'emplois ont augmenté de 13 %.

S'agissant des accords de méthode, je tiens à votre disposition et à la disposition de la commission la note que j'ai demandée pour savoir, au moment de relancer la négociation, où l'on en était en ce domaine et quel était l'enrichissement des accords de méthode. Voici autour de quoi les 155 accords se sont faits : adaptation et sécurisation des procédures au regard des spécificités de l'entreprise et du « tempo » de la restructuration ; renforcement du dialogue social et de la concertation au sens le plus large ; recherche des conditions d'un reclassement - M. Vercamer l'évoquait tout à l'heure - plus efficace, plus rapide et effectif par la négociation.

J'ai énuméré les points sur lesquels nous avions progressé. Il reste des questions en suspens comme le fonds de mutualisation.

En effet, le problème principal ne concerne pas les grandes entreprises, que M. Gremetz invectivait, mais les petites et moyennes. C'est là qu'est le nœud du problème car elles n'ont pas les moyens de faire des plans « au carré », beaucoup plus favorables que ne le prévoyait d'ailleurs la loi de modernisation sociale. C'est un sujet qui nécessite encore débat et travail. Après quoi, nous prendrons nos responsabilités.

Vous avez évoqué le parcours d'insertion. Pour notre part, nous préférons, derrière le Premier ministre, le parcours vers l'emploi, la « mise en tension » vers l'emploi. Il s'agit bien, dans la démarche du plan de cohésion sociale, de chercher comment répondre aux besoins - un million et demi de postes à occuper à partir du retournement démographique, que l'on peut situer à partir de 2006-2007 - et donc comment remettre en tension vers l'emploi ceux qui en sont écartés.

Enfin, pour ce qui est de la procédure d'agrément, elle a été cassée par le Conseil d'État parce que, depuis 1990, tous les gouvernements ont commis la même erreur : la liste des personnalités agréées pour la commission n'a jamais été revue. Les organisations professionnelles et syndicales, quasi automatiquement, donnaient des noms différents.

Le contrat, qui n'en a pas voulu en juillet 2000 si ce n'est M. Jospin et Mme Aubry, au moment où il y avait un accord entre les partenaires sociaux sur le contrat pour le retour à l'emploi ? (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.) La notion de contrat était bel et bien présente à ce moment. Voilà encore un vrai sujet : quel doit être la part du contrat, quelles sont les responsabilités, quels sont les droits et devoirs de chacun ?

S'agissant de l'accord UNEDIC, nous entamerons au début de l'année prochaine avec les partenaires sociaux la réflexion sur la nouvelle convention d'assurance chômage. Mais nous ne voulons pas être pressés par le temps. Nous souhaitons bien y réfléchir, bien travailler ensemble, et bien sûr échanger avec la représentation nationale sur ce sujet essentiel.

Le Gouvernement partage donc l'avis - défavorable - du rapporteur sur la question préalable.

M. le président. Je ne suis saisi d'aucune demande d'explication de vote.

Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean Le Garrec.

M. Jean Le Garrec. Après l'excellente intervention de mon ami Gaëtan Gorce, je me contenterai de quelques remarques.

Je n'évoquerai pas la loi de mobilisation pour l'emploi, car nous aurons l'occasion d'y revenir.

Monsieur le ministre - je parle aussi pour vos prédécesseurs -, vous devriez écouter davantage l'opposition, car cela vous aurait évité de commettre des erreurs.

D'abord, s'agissant du recouvrement de l'allocation de solidarité spécifique pour les « recalculés » - terme que je n'apprécie d'ailleurs pas -, à l'article 2, je rejoins le rapporteur. J'ai déjà mené ce débat sur la place du contrat et de la loi : je suis pour la contractualisation, mais je considère qu'au bout du processus, le politique doit assumer sa responsabilité. J'avais prévenu M. Fillon qu'il avait devant lui un accord minoritaire...

M. Frédéric Dutoit. Tout à fait !

M. Jean Le Garrec....auquel il donnait son agrément sans en évaluer les conséquences, contrairement à ce que dit M. le rapporteur, à la page 6 de son rapport. Et j'avais mis en garde M. Fillon en lui indiquant que ce dispositif générerait un véritable problème social touchant au moins 600 000 personnes. J'étais malheureusement loin du compte, car il s'agit en réalité de 823 000 personnes.

Nous avions donc averti le Gouvernement, non seulement sur la nature juridique du PARE, mais aussi sur la réalité sociale qu'induirait un agrément donné sans une analyse suffisante. Plusieurs mois de négociations, auxquelles j'ai participé, ont accompagné le passage du CARE au PARE, avant d'aboutir à un accord équilibré.

Notre devoir était d'appeler l'attention du Gouvernement, mais il n'en a pas tenu compte et a été conduit à reculer sous une double pression juridique et sociale. Dont acte. Je ne serai pas polémique sur la crise sociale qui en a résulté, car ce n'est pas ainsi qu'on construit l'avenir. Je préfère proposer des projets alternatifs. Il est regrettable qu'on ne nous ait pas écoutés à l'époque, car nous aurions évité une crise qui a traumatisé nombre de nos concitoyens. En outre, la mise en œuvre de cette procédure de gestion administrative de recouvrement ne sera pas facile, car elle s'adresse à des femmes et à des hommes qui, souvent, vivent en situation de précarité.

J'ajoute, même si cela ne concerne pas le Gouvernement, qu'un autre problème se posera aux conseils généraux, car certains « recalculés » ont probablement bénéficié du RMI.

J'ai participé au colloque sur la place de la loi et du contrat. Il faut d'abord mener le débat sur les contrats avec les organisations syndicales. Ensuite, seulement, le politique doit prendre la décision. Or le Gouvernement n'a pas pris en compte une réalité que certains d'entre nous avaient perçue et les difficultés qu'elle générerait.

Deuxième exemple : vous avez voté récemment une loi créant une journée de solidarité. Vous aviez dénoncé à juste titre la complexité de la loi de modernisation sociale. J'ajoute que j'ai lu attentivement le rapport de Virville. Mais quel bazar invraisemblable avez-vous créé avec un texte qui va lancer les entreprises dans des négociations absurdes et injustes ! Avec une certaine perversité, cette loi mélange allègrement solidarité et générosité collective, avec un retour économique plus qu'aléatoire. Je n'en refais pas la démonstration, puisque les événements me donnent raison. Alors que tous se plaignent du coût du travail en France, notamment le MEDEF, vous allez procéder à un prélèvement supplémentaire de 0,3 % sur les entreprises, 0,3 % sur les collectivités territoriales, et, pour l'État, de 0,3 % sur sa masse salariale. Mais je crains que l'État ne soit une nouvelle fois mauvais payeur.

Vous inscrivez dans le code du travail, à l'article L. 212-16, le principe aberrant d'une journée de travail non rémunérée.

L'entreprise Bosch, à Vénissieux, vient de demander à ses salariés de travailler 36 heures payées 35. Ne craignez-vous pas, monsieur le ministre, d'avoir ouvert la voie, avec cette fameuse journée de solidarité, à une inquiétante dérive ?

Enfin, troisième exemple : la prolongation du gel des dispositions relatives au licenciement économique dans la loi de modernisation sociale. Nous passons de dix-huit mois à vingt-quatre. Nous sommes bien loin des neuf mois que vous avez rappelés concernant les décisions d'Amsterdam. Personnellement, monsieur le ministre, et je l'ai dit à l'époque, j'estime que c'est un mauvais signal pour les grandes entreprises. Nous avons mené le débat avec mon ami Gaëtan Gorce. En 2003, sur 100 000 disparitions d'emplois, 90 000 relevaient du secteur de l'industrie.

Tant mieux si, en 2004, la situation s'améliore ! Député du Nord-Pas-de-Calais, grande région industrielle, frappée de plein fouet depuis vingt-cinq ans, à la suite du deuxième choc pétrolier, élu de la circonscription du Dunkerquois qui cumule site Seveso, port et centrale nucléaire, il ne se passe pas une semaine où je ne suis informé de difficultés. Tant mieux si, globalement, la situation s'améliore. Mais, pour l'heure, je ne le perçois pas.

M. Seillière, d'ailleurs, qui a au moins le mérite de la franchise, ne s'y est pas trompé, qui demande l'abrogation de cette loi, et non pas seulement sa suspension. Le signal est donné. Et M. Seillière l'accompagne.

La négociation ? Tant mieux, là encore, si elle avance. Le MEDEF a distingué cinq sujets de négociation et deux de discussion. Bien entendu, la question des licenciements économiques figure dans les sujets de discussion. Nous avions demandé un rapport sur la méthode. Je ne vous reproche rien, car nous l'avons reçu, mais il ne comporte qu'une page. Il est difficile de porter une appréciation à partir d'une information aussi mince.

Monsieur le ministre, notre loi ne prétendait pas régler tous les problèmes. Nous savons très bien que l'équilibre est extrêmement difficile entre la concurrence internationale, parfois mortelle, le nécessaire développement des entreprises et la protection des salariés. Cela étant, nous estimons que cet équilibre s'est rompu.

Pour illustrer mon propos, je prendrai l'exemple de l'entreprise Ronal, en Moselle, qui délocalise en Pologne. Les salariés de l'entreprise sont allés en Pologne pour discuter avec les salariés de la maison mère. La discussion a sans doute tourné court, car je crains qu'en la matière, on ne redoute, en Pologne, les rencontres et les discussions ouvertes.

Il ne s'agit plus, pour les entreprises, de réaliser des bénéfices, ce qui est pourtant légitime, mais des plus-values à deux chiffres. Notre objectif était de prévenir les décisions, et je vous trouve bien sévère, monsieur le ministre, dans le présent projet. Quand l'entreprise LU achetait des marques, et donc, des usines, dans les pays de l'Est, la surproduction était prévisible, bien avant la décision de fermeture de l'usine de Calais. Il est tellement plus facile de dissimuler la vérité et d'attendre le dernier moment ! Pour notre part, notre souci était d'éviter une telle opacité.

Monsieur Dord, je ne confonds pas ces problèmes avec ceux des responsables de petites ou moyennes entreprises. Vous n'avez d'ailleurs pas réglé le problème des relations entre les donneurs d'ordres et les sous-traitants, de plus en plus étranglés, qui, même en se battant vaillamment, finissent par toucher le fond. Quant aux accidents de travail, monsieur le ministre, et j'en reparlerai lors du débat sur l'assurance maladie, ils n'ont pas le droit de les déclarer. Il faut faire la distinction entre ceux qui font un travail difficile et les grands donneurs d'ordres qui se protègent derrière l'opacité. Tel était notre objectif.

Nous avons également tenté de renforcer les droits à négociation et cherché des solutions alternatives. La région Nord-Pas-de-Calais soutient cette démarche, en travaillant parfois par bassin d'emploi. Nous essayons de sécuriser les parcours professionnels, afin d'éviter aux salariés de vivre dans une perpétuelle incertitude.

M. Frédéric Dutoit. Très bien !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C'est un grave problème !

M. Jean Le Garrec. Enfin, dans toute la mesure du possible, et en dépit des difficultés, nous avons tenté d'élaborer, avec l'appui des collectivités - municipalités, conseils régionaux - qui, souvent, se démènent dans ce sens, des programmes en faveur de la sauvegarde de l'emploi et du droit au reclassement. Avons-nous totalement réussi ? Je ne le dirai pas. Mais nous avons tracé des pistes, en concertation avec les organisations syndicales - comme vous le savez, je les connais depuis longtemps, et je n'ai pas besoin de prendre rendez-vous pour les rencontrer.

Vous me dites que des accords de méthode sont en cours de négociation et qu'il est possible d'aller plus loin. Tant mieux ! Mais ce n'était pas une raison de geler la loi de modernisation sociale. Absolument pas ! Elle avait le mérite, même faible, d'ouvrir quelques pistes. Il eût été préférable de la conserver et, si les négociations dans lesquelles vous êtes engagés le permettaient - ce que je ne pouvais que souhaiter -, d'en améliorer tel ou tel aspect, quitte à distinguer ce qui relève de la loi et ce qui relève du contrat. Nous y étions prêts : ne sommes-nous passés par là avant vous ?

Écoutez-nous, car si nous avons parfois fait des erreurs, nous en avons pris la mesure. C'est pourquoi, quand nous vous disons : « Attention, vous allez vous planter ! », vous ne devriez pas négliger nos recommandations, même si vous en avez parfaitement le droit.

J'attends avec impatience le texte du ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Mais je trouverais dommageable - même si une telle perspective reviendrait à nous donner raison - que l'on reconstruise le plan TRACE après l'avoir effacé et que l'on rétablisse les emplois jeunes après les avoir détruits.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Très bien !

M. Jean Le Garrec. On aurait ainsi perdu deux ans, et deux ans pèsent lourd dans la situation actuelle.

Pour conclure, monsieur le ministre, je considère que vous menez une politique à haut risque social, et cela m'inquiète fort. Vous avez reçu, à l'occasion des élections régionales et européennes, des messages politiques que vous auriez intérêt à prendre en compte. Notre pays est inquiet, déstabilisé, replié sur lui-même. Il a bien souvent toutes les raisons d'éprouver une peur de l'avenir. Je l'admets : nous voulons vous battre lors de prochaines élections nationales. Mais nous n'avons pas envie de mener campagne sur l'aggravation de la situation sociale, car ce serait dangereux pour l'avenir de notre pays et pour la place qu'il occupe en Europe. Or la dimension européenne est fondamentale pour toute politique de l'emploi. À cet égard - et il ne s'agit pas d'un reproche adressé au président Chirac -, je regrette qu'au sein de l'Union les décisions en matière sociale doivent toujours être prises à l'unanimité. Cela restreint largement le champ des possibles.

Voilà, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, ce que j'avais à vous dire : trois remarques de fond, trois exemples prouvant que vous auriez eu intérêt à nous écouter, et un rendez-vous, celui de votre loi pour l'emploi, à l'occasion duquel nous resterons maîtrisés dans le ton, mais fermes sur le fond. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer.

M. Francis Vercamer. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le ministre, le texte dont nous abordons aujourd'hui la discussion permet au Gouvernement de résoudre deux difficultés ponctuelles, l'une liée au dialogue social, l'autre à l'indemnisation des demandeurs d'emplois.

Au préalable, vous me permettrez de souligner à quel point son examen illustre le rôle de veille et d'alerte que l'UDF peut jouer au sein de la majorité et auprès du Gouvernement.

Sur ces deux sujets, en effet, l'UDF avait mis en garde le Gouvernement en l'avertissant des risques qu'il prenait. Celui-ci a malheureusement, dans les deux cas, refusé d'écouter notre groupe. Et sur ces deux sujets, nous nous retrouvons aujourd'hui pour donner une réparation législative à des erreurs qui auraient pu être évitées.

Je ne peux que souhaiter, pour l'avenir - et je crois, monsieur le ministre, que tel est l'état d'esprit qui vous guide -, une écoute mutuelle plus attentive et un travail plus étroit et constructif entre le groupe UDF et le Gouvernement.

En ce qui concerne la négociation collective sur les licenciements économiques, j'avais indiqué, lors de la discussion parlementaire, à quel point suspendre les articles concernés de la loi de modernisation sociale plutôt que de les abroger risquait de constituer un frein à l'aboutissement des négociations entre les partenaires sociaux.

Proposer l'abrogation des articles les plus contestés ne répond pas à un choix idéologique. C'est, d'abord et avant tout, une question de méthode. On l'a vu, en effet, tout au long des dix-huit derniers mois : faute d'une abrogation, les uns négocient dans la perspective d'obtenir des avantages supplémentaires par rapport à un texte certes existant, mais dont l'application est suspendue ; tandis que les autres, déjà en désaccord avec ce texte, essaient d'en réduire la portée. La négociation, de ce fait, s'enlise.

Seule l'abrogation nous semblait, et nous semble toujours, de nature à créer une situation juridique claire et laisser le champ libre au dialogue social.

Où en sommes-nous aujourd'hui ? Les onze réunions paritaires n'ont pas abouti, mais le dialogue social se poursuit. Il faut donc lui donner les moyens d'aboutir, c'est-à-dire lui octroyer six mois supplémentaires.

Vous savez que l'UDF a toujours été partisane d'un recours plus poussé au dialogue social. Nous ne pouvons donc refuser la prorogation du délai permettant la négociation collective sur un sujet aussi important que la réglementation en matière de licenciements économiques.

En dépit des dix-huit mois passés, je fais confiance aux partenaires sociaux pour s'entendre sur de nouvelles règles susceptibles de concilier deux objectifs : assurer à l'entreprise une nécessaire souplesse pour s'adapter aux fluctuations de son marché tout en garantissant aux salariés une indispensable protection.

Il s'agit d'une responsabilité dont je ne doute pas qu'ils auront à cœur de l'assumer, dans l'intérêt de notre démocratie sociale et de sa vitalité.

L'UDF se bornera à proposer un amendement qui supprime clairement, au terme de six mois, les articles suspendus afin d'amener le Gouvernement à légiférer si nécessaire. Deux ans de négociation, c'est déjà beaucoup pour répondre à une urgence économique et sociale !

Plus que jamais, monsieur le ministre, nous avons besoin de règles claires, nouvelles, innovantes en matière de licenciements économiques. Pour mémoire, on estime à 300 000 le nombre de salariés qui, en 2003, ont assisté à la défaillance de leur entreprise, et à 140 000 le nombre de salariés licenciés dans le cadre d'une procédure collective.

Évidemment, l'opposition socialiste et communiste ne manquera pas, à nouveau, de se complaire dans l'approche idéologique qui a toujours été la sienne.

M. Frédéric Dutoit. Ne pas être d'accord avec vous, ce n'est pas avoir une approche idéologique !

M. Francis Vercamer. Pour elle, l'entreprise est une ennemie. En conséquence, il faut alourdir la réglementation pour limiter ses marges de manœuvre. À ses yeux, c'est parce que la réglementation n'est pas assez dure que les entreprises licencient. Maxime Gremetz en a fait une nouvelle démonstration tout à l'heure.

J'aimerais pourtant comprendre comment la gauche plurielle comptait améliorer le sort d'une entreprise en difficulté et celui de ses salariés en allongeant de trois mois une procédure de licenciements collectifs déjà longue et complexe à mettre en œuvre ?

Il faut en finir, une fois pour toutes, avec cette légende de l'efficacité de la loi de modernisation sociale. D'ailleurs, si la gauche était tellement persuadée de son bien-fondé, pourquoi n'a-t-elle pas pris la peine de prendre les décrets d'application quand elle était au pouvoir ?

C'est une plaie de ce pays de toujours privilégier l'approche dogmatique - qu'elle soit d'un camp ou d'un autre, d'ailleurs - quand un problème sérieux commande d'être abordé de façon pragmatique, avec une vraie volonté de trouver une solution acceptable par le plus grand nombre.

L'amélioration du droit du licenciement, par le biais du dialogue social, avec les objectifs que j'ai rappelés tout à l'heure, pose évidemment de nombreuses questions, parmi lesquelles la distinction entre les « licenciements boursiers » - pour reprendre le terme généralement employé par la gauche - et ceux entraînés par les difficultés de l'entreprise, ou qui résultent d'un projet de restructuration destiné à anticiper les évolutions de son marché en dépit de bons résultats apparents. De même, nous devons nous interroger sur le moyen d'anticiper les difficultés de l'entreprise, sur la nature de l'obligation de reclassement ou sur la responsabilité de l'entreprise à l'égard de son territoire.

Sur ce dernier point, j'ai pu constater, au cours de la discussion de la proposition de loi au Sénat, que M. About, président de la commission des affaires sociales, restait ouvert aux propositions concernant l'étude d'impact social et territorial. La question est fondamentale pour les agglomérations les plus fragilisées par les fermetures d'entreprises, à l'instar de l'agglomération roubaisienne qui a perdu, en 2003, plus de 2 600 emplois pour des motifs économiques. J'attends donc un engagement de votre part, monsieur le ministre.

J'en viens, maintenant, aux dispositions de la proposition de loi concernant la réintégration des « recalculés » dans le régime de l'assurance chômage.

À l'occasion de l'examen de son projet de budget, je n'avais pas manqué d'interpeller le ministre des affaires sociales de l'époque sur le véritable vent de panique qui s'était emparé des bénéficiaires du PARE à la suite de l'accord de l'UNEDIC. Du jour au lendemain, 350 000 personnes ont vu une vie quotidienne déjà précaire bouleversée par la réduction drastique de leur indemnisation, une décision qui ne tenait compte ni de la situation personnelle, ni des efforts déployés pour retrouver un emploi, ni des particularités du bassin d'emploi environnant, ni des conséquences, parfois dramatiques, qu'elle pouvait entraîner sur le paiement d'un loyer ou la garde d'un enfant.

Il eût été à l'honneur du Gouvernement, prévenu par sa propre majorité - car l'UDF en fait partie, faut-il le rappeler (Sourires) -, de tenir son rôle de garant de la justice sociale. C'est pourtant d'une décision de justice que la réponse est venue.

Je tiens toutefois à saluer le sens de l'équité dont a fait preuve le ministre de la cohésion sociale, Jean-Louis Borloo, en décidant par arrêté de réintégrer dans le régime de l'assurance chômage, avec effet rétroactif, les demandeurs d'emploi qui en avaient été exclus.

Je dois d'ailleurs à l'honnêteté intellectuelle de rappeler que la décision de l'UNEDIC résultait d'un accord conclu entre les partenaires sociaux - organisations d'employeurs et de salariés - qui en assurent la gestion.

M. Frédéric Dutoit. Des organisations minoritaires !

M. Francis Vercamer. Mais comme le rapport Marimbert n'a pas manqué de le souligner, cette gestion ne s'inscrit pas suffisamment dans une vision à moyen terme. C'est pourquoi le rapport envisage « qu'une partie des excédents constitués en période haute du cycle de l'emploi soit mise en réserve, au lieu d'être utilisée pour baisser les cotisations ou améliorer l'indemnisation », avec pour résultat une dégradation du niveau d'indemnisation en période basse.

Il serait certainement souhaitable, monsieur le ministre, d'approfondir cette réflexion afin d'éviter de se heurter à nouveau au même écueil.

Le groupe UDF approuve évidemment, comme conforme à un principe de bonne gestion, la disposition adoptée à l'article 2 par le Sénat, qui prévoit le versement par les ASSEDIC des allocations chômage qui auraient dû être perçues entre le 1er janvier et le 1er juin, déduction faite du montant d'éventuelles prestations de solidarité. Nous sommes sensibles, par ailleurs, au fait que cette opération n'implique, de la part des personnes concernées, aucun remboursement des sommes perçues.

Telles sont, monsieur le ministre, les réflexions qui guident l'UDF à l'examen de cette proposition de loi, pour laquelle notre groupe, compte tenu des éléments que j'ai développés, émettra bien sûr un vote favorable.

M. Dominique Dord, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'intitulé même de la proposition de loi qui nous est présentée sonne comme un constat d'échec de la politique gouvernementale en matière d'emploi et d'indemnisation du chômage.

C'est en toute conscience que le Gouvernement, après avoir agréé la convention UNEDIC du 20 décembre 2002 programmant une réduction draconienne des droits à indemnisation, a entrepris parallèlement de mener à bien la réforme des minima sociaux en transformant le RMI en RMA et en limitant les droits des privés d'emplois à l'ASS. Ce choix a abouti à la réduction de la durée d'indemnisation de nombreux assurés sociaux, privant 358 000 personnes d'allocation à compter du 1er janvier 2004.

La sanction pour le Gouvernement fut sans appel.

Elle est venue des tribunaux d'abord, qui ont contraint le Gouvernement et l'UNEDIC à réintégrer, avec effet rétroactif, les personnes exclues dans le régime d'assurance chômage.

Le second article de la proposition de loi entend tirer les conséquences de cette sanction judiciaire. Il organise financièrement la réintégration dans le régime d'assurance chômage des demandeurs d'emploi un temps privés d'allocation en application de la convention de l'UNEDIC de décembre 2002. Cependant, comme environ 70 000 personnes privées d'allocation chômage ont, de ce fait, perçu depuis le début de l'année une allocation de solidarité, versée par les ASSEDIC pour le compte de l'État, le Gouvernement entend récupérer les sommes versées. Il est donc bien loin de rétablir la justice sociale et d'assurer une sécurité aux assurés sociaux. La proposition de loi vise in fine à récupérer ces sommes devenues indues, en autorisant les ASSEDIC à effectuer une compensation entre les allocations chômage à verser et les allocations de solidarité trop perçues.

Le Gouvernement, habituellement observateur inactif, a dû intervenir et décider la réintégration des « recalculés ». Cependant, il n'est pas allé jusqu'au bout de ses responsabilités en imposant aux employeurs une augmentation de 0,2 % de leur taux de cotisation à l'assurance chômage, bien que les tribunaux aient bien souligné que le déficit de l'assurance chômage ne pouvait être qualifié d'imprévisible, les signataires de l'accord, dont le MEDEF, ayant organisé ce déficit. Il est d'ailleurs paradoxal que l'UNEDIC décide de baisser les cotisations quand la croissance est là, mais aussi quand elle n'est plus là.

La volonté du Gouvernement de ne pas reculer sur ce point est incompréhensible, après les derniers messages politiques adressés par les citoyens à l'occasion des derniers épisodes électoraux, des gifles assénées coup sur coup par les citoyens à la politique libérale du Gouvernement à l'occasion des élections régionales et européennes.

Telle une bête traquée, blessée, le Gouvernement tente de réagir à travers cette proposition de loi. Malheureusement, au lieu de remettre en cause ses choix stratégiques en la matière, il demeure attaché aux dogmes libéraux qui dictent sa politique économique et sociale. Ainsi a-t-il préféré reporter la dette de l'UNEDIC et « réagréer » en bloc la convention chômage du 1er janvier 2004.

La proposition de loi, en elle-même, n'apporte qu'une réponse précipitée, superficielle et technique à la problématique des droits des recalculés. Elle ne garantit en rien l'effectivité du rétablissement immédiat des chômeurs dans leurs droits. La question du préjudice causé aux allocataires illégalement privés de leurs droits n'a d'ailleurs même pas été débattue. Quant à celle de la nécessaire réforme du régime de l'assurance chômage, elle reste intacte.

Le Gouvernement tente de brouiller les enjeux de cette proposition de loi. En dépit de certains habillages techniques, il est clair qu'une nouvelle fois, il se fait ici le porte-parole et le garant des intérêts du MEDEF, mais nous ne sommes pas dupes et nous veillerons à l'intérêt des salariés, comme le montrent nos nombreux amendements.

Les amendements que nous avons déposés démontrent, en effet, qu'il existe une alternative à cet ultralibéralisme. Nous proposons, par exemple, que les licenciements pour motif économique ne soient possibles qu'en cas de difficultés avérées causées soit par la conjoncture, soit par des réorganisations, qui n'ont pu être surmontées par tout autre moyen. Le licenciement doit être, en effet, le moyen ultime de résolution des difficultés économiques.

Cette proposition de loi doit d'ailleurs permettre de préciser la définition du motif économique d'un licenciement. La définition actuelle du code du travail ne répond pas, en effet, aux nécessités nouvelles et aux besoins de protéger les salariés.

C'est pourquoi nous proposons de limiter cette définition aux licenciements rendus inévitables par un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié, résultant soit d'une suppression ou d'une transformation d'emploi ou d'une modification du contrat de travail dues à des difficultés économiques qui n'ont pu être surmontées par tout autre moyen que la réduction des coûts salariaux, soit à des mutations technologiques indispensables à la pérennité de l'entreprise.

Au lieu de chercher systématiquement à protéger et développer « la liberté de licencier » du patronat, le Gouvernement devrait plutôt prendre modèle sur notre amendement consistant à sanctionner de nullité un licenciement lorsque l'employeur a manqué à son obligation de reclassement du salarié.

Nous proposons ainsi un article L.321-4-1 bis prévoyant que le salarié licencié pour motif économique, qui estime que son employeur ne s'est pas acquitté loyalement ou de façon complète de son obligation de reclassement, peut porter l'affaire devant le bureau de jugement du conseil des prud'hommes, qui doit statuer au fond dans le délai d'un mois suivant sa saisine. Un mois, ce n'est pas beaucoup ! Lorsque le juge constate l'insuffisance des efforts de reclassement réalisés par l'employeur, il prononce la nullité du licenciement et ordonne, au choix du salarié, la poursuite de son contrat de travail ou l'attribution d'une indemnité ne pouvant être inférieure à six mois de salaire brut, la décision du conseil des prud'hommes étant exécutoire de plein droit.

Alors que les formes d'emplois précaires se multiplient, il est temps d'organiser un vrai débat pour réfléchir à l'instauration de nouvelles mesures assurant une sécurité économique et sociale.

Le patronat reste campé sur sa position et, de ce fait, tout accord sur l'égalité des droits des salariés des PME et des grandes entreprises, sur l'obligation pour l'entreprise de respecter un droit au reclassement pour tous les salariés est inconcevable.

Il n'y aura pas non plus de nouveaux droits pour les salariés à être informés et à intervenir sur les projets de restructuration, ni de responsabilisation des groupes de donneurs d'ordre vis-à-vis de l'emploi dans les entreprises sous-traitantes et filiales et dans les bassins d'emplois.

Voilà la logique malheureuse adoptée par le Gouvernement : offrir toute possibilité au patronat de précariser toujours plus les emplois et refuser d'œuvrer pour instaurer une sécurité sociale professionnelle pour les salariés !

Mais le Gouvernement est face à son échec, sa politique est contestée par le peuple et par la justice, et nous exigeons qu'il fasse marche arrière !

Monsieur le ministre, vous ne pouvez ignorer les conséquences dramatiques de la diminution de la durée de l'allocation chômage.

Ce qui est en cause, c'est le principe même du PARE, qui substitue à l'assurance chômage un contrat individuel contraire au principe de solidarité existant jusqu'à présent. Cette diminution va accélérer le processus d'exclusion et accroître les difficultés de formation et de réinsertion. Vous ne l'ignorez pas mais, comme M. Gournac, vous êtes sensible aux objectifs du workfare libéral qui consiste à diminuer le coût du travail pour accroître les marges bénéficiaires et obliger les chômeurs à accepter rapidement des emplois mal payés dans des secteurs où les entreprises ont pourtant besoin de main-d'œuvre.

Le PARE et les mini-formations qui s'apparentent à un formatage des demandeurs d'emploi pour répondre aux besoins immédiats des entreprises, la réduction des durées d'indemnisation qui contraint les demandeurs d'emploi à diminuer leurs exigences, la réforme de l'ASS qui réduit l'engagement financier de l'État, la transformation du RMI en RMA, qui permet au patronat de recourir à des emplois à bas prix : toutes vos décisions vont dans le même sens de la soumission aux dogmes libéraux. Vous ne serez donc pas étonné que notre vote dépende du sort qui sera réservé à nos amendements, qui seront, je l'espère, adoptés par cette assemblée.

M. le président. La parole est à Mme Chantal Bourragué.

Mme Chantal Bourragué. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'emploi est plus que jamais au cœur de nos préoccupations. Parler de difficultés d'embauche, de licenciements, de restructurations, est toujours difficile car il s'agit de la vie quotidienne de personnes, de familles, de jeunes, de proches, touchés par l'épreuve du chômage.

La proposition de loi de M. Gournac modifie les articles 1er et 2 de la loi portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques et organise les modalités de recouvrement par le régime d'assurance chômage des prestations de solidarité versées aux travailleurs privées d'emploi dont les droits ont été rétablis.

Elle répond aux préoccupations majeures du Gouvernement et de la majorité : comment relancer et maintenir l'emploi en parallèle à la liberté d'entreprendre et à la protection des plus faibles, comment répondre en matière d'emploi aux impératifs de responsabilité, de proximité, d'attractivité ?

C'est l'occasion une nouvelle fois pour l'UMP d'affirmer que l'attractivité ne s'oppose pas à la protection des salariés. Les députés communistes, qui ont imposé la loi dite de modernisation sociale au gouvernement de M. Jospin, stigmatisent le libéralisme sans se soucier des réalités de notre époque. Ils lui préfèrent une bureaucratie qui ne peut que nuire à tous, sans parler des atteintes aux libertés personnelles. La majorité et le Gouvernement veulent construire un libéralisme humaniste, reposant sur la négociation, garant de l'équilibre entre justice sociale et efficacité économique.

Notre pays doit devenir plus attractif. Le rapport du Conseil économique et social sur l'attractivité économique du territoire français commandé par le Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin, est clair. Pour renforcer la position de la France dans la compétition internationale et pour créer des emplois et éviter les délocalisations, il faut rendre le droit du travail plus lisible, consulter davantage tous les partenaires sociaux et, surtout, diminuer les lourdeurs administratives, qui sont autant de freins à l'activité. Nous ne sommes pas réunis pour constater à nouveau l'inefficacité de la loi dite de modernisation sociale. Elle était généreuse dans ses objectifs, elle est en réalité néfaste dans les faits, tant pour l'emploi que pour notre compétitivité. Son inefficacité a été constatée par tous, syndicats, partenaires sociaux, et même certains dirigeants socialistes, qui s'étaient élevés contre elle.

La loi du 3 janvier 2003 portant relance de la négociation collective a permis de suspendre les dispositions les plus nuisibles de cette loi dite de modernisation sociale. Pour l'essentiel, ses articles visaient à retarder des licenciements collectifs. L'allongement des délais n'améliore en rien la protection des salariés. Les dispositions législatives traduisent une conception conflictuelle et stérile des relations entre salariés et entrepreneurs. La majorité et le Gouvernement ont souhaité stopper cette logique en donnant toutes ses chances à une négociation collective efficace, proche des entrepreneurs et des salariés, qui ont des intérêts communs. Le but de cette suspension est clair, laisser aux partenaires le temps de mener une négociation pour fixer les nouvelles règles en matière de licenciements économiques.

La suspension de la loi de modernisation sociale a permis d'encourager le dialogue interprofessionnel. Une douzaine de réunions ont eu lieu et ont permis, de l'avis de tous, de rapprocher les points de vue.

Le Gouvernement et la majorité croient en la négociation collective car ils croient en son efficacité et sa souplesse. Introduire plus de flexibilité ne va pas à l'encontre de la protection des salariés. Les premiers éléments du bilan de négociations décentralisées dérogatoires montrent que les résultats sont à la hauteur de nos espérances : 130 accords avaient été conclus fin mai 2004 dans des entreprises de toutes tailles. De grands groupes ont abordé la démarche de licenciement collectif de manière préventive, afin d'anticiper au mieux toutes les difficultés envisageables. J'ajouterai que les petites et moyennes entreprises ne se reconnaissent pas dans le discours permanent du MEDEF. C'est la liberté de négocier qui doit primer.

Le Gouvernement prolonge la période de suspension des mesures les plus régressives de la loi dite de modernisation sociale, avec plusieurs objectifs : moderniser les rapports dans l'entreprise et offrir de nouveaux droits aux salariés, contrairement à l'action du gouvernement de M. Jospin, prolonger la dynamique des négociations et accroître l'efficacité du reclassement des salariés, éviter le rétablissement des dispositions de la loi de modernisation sociale, qui provoquerait une grande insécurité juridique.

Avec cette proposition de loi, nous réaffirmons notre volonté de privilégier la négociation plutôt que la bureaucratisation du droit du travail. Toutes les chances doivent être mises du côté de la négociation.

L'article 2 de la proposition de loi organise les conséquences financières du nouvel agrément de la convention pour les régimes d'assurance. C'est une mesure juridique d'accompagnement du rétablissement du droit des demandeurs d'emploi qui avaient signé un PARE. Les partenaires sociaux, pour faire face au déficit de l'UNEDIC, avaient signé le 27 décembre 2002 une nouvelle convention d'assurance chômage, applicable au 1er janvier 2004, visant à réduire la durée d'indemnisation des demandeurs d'emploi. Cette convention, destinée à sortir l'UNEDIC de l'impasse financière, a conduit les ASSEDIC à mettre fin de façon anticipée au versement de l'allocation d'aide au retour à l'emploi.

Les tribunaux, saisis par les associations de chômeurs, ont jugé illégitime cette remise en cause. Le Conseil d'État a par ailleurs annulé le 11 mai dernier, pour vice de forme, l'arrêté du ministre agréant la convention.

Pour sortir par le haut de cet imbroglio juridique, et dans un souci d'équité et de justice sociale, le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, M. Jean-Louis Borloo, a donné un nouvel agrément excluant de la convention les mesures de diminution de la durée d'indemnisation des allocataires dont la fin du contrat de travail était antérieure à la fin 2002.

Les demandeurs d'emploi, qui ont perdu leur allocation depuis le 1er janvier 2004, sont donc rétablis dans leurs droits et percevront un complément d'allocation chômage par les ASSEDIC. Cependant, 70 000 d'entre eux ont été admis à percevoir une allocation de solidarité spécifique pour une somme s'élevant à près de 86 millions d'euros. La réintégration de ces allocataires, à titre rétroactif, dans le régime conventionnel d'assurance chômage prive cette admission de tout fondement et crée une situation d'inégalité vis-à-vis des autres demandeurs d'emplois.

En conséquence, et dans un souci de sauvegarde de notre système d'aide à l'emploi, ces sommes doivent être reversées au budget de l'État. L'article 2 de la proposition de loi vise à permettre le recouvrement de ces sommes par les ASSEDIC, sans fragiliser notre système d'indemnisation de chômage et en préservant l'équité.

Le Gouvernement et la majorité ont tout mis en œuvre pour que cette récupération s'effectue de manière efficace mais humaine, sans mettre en difficulté les demandeurs d'emploi concernés

Ainsi, ce recouvrement s'effectuera par retenue sur le reliquat d'allocation d'assurance chômage qui sera versé aux personnes rétablies dans leurs droits. Mais, pour ne pas pénaliser les personnes concernées dans leur recherche d'emploi, la majorité a exclu toute demande de remboursement de la part des demandeurs d'emploi dans le cas de sommes excédant ledit reliquat. Une convention entre l'État et l'UNEDIC fixera les modalités de récupération de ces sommes.

Il est tout à fait légitime que l'allocation de certaines aides indues ne se fasse pas au détriment d'autres allocataires et un amendement du sénateur About stipule que les ASSEDIC devront également s'assurer que les personnes éligibles au versement d'un reliquat d'allocation chômage n'ont pas trouvé dans l'intervalle un emploi rémunéré, modifiant le calcul de leurs droits.

Cet article répond donc à des préoccupations de justice sociale, de protection du chômage et d'égalité entre allocataires.

Le groupe UMP votera sans état d'âme l'ensemble de la proposition de loi qui s'inscrit dans la démarche du Gouvernement et de la majorité, fondée sur la négociation avec les partenaires sociaux, le respect du dialogue social et la protection des salariés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Francis Vercamer et M. Claude Gaillard. Très bien !

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre délégué aux relations du travail.

M. le ministre délégué aux relations du travail. Je remercie Mme Bourragué et M. Vercamer du soutien qu'ils apportent à la proposition de loi.

Madame Bourragué, simplifier et sécuriser le droit du travail sera un des enjeux du dialogue social que nous allons engager dans quelques jours avec les partenaires sociaux pour, à la lumière des rapports que j'évoquais au début de ce débat, progresser sur ce sujet.

Le Conseil des ministres devrait être prochainement saisi, à la suite de la loi d'habilitation sur la simplification du droit, d'ordonnances de simplification du droit, notamment en ce qui concerne les seuils. S'agissant des accords de méthode, les préoccupations des petites et moyennes entreprises sont sans doute différentes de celles des grandes, et il faut que les points de vue se rapprochent.

Je voudrais aussi rendre hommage aux partenaires sociaux qui ont le courage de gérer l'UNEDIC. Il est tellement facile de dire non, d'être toujours dans l'autre camp, de tout remettre entre les mains de l'État, sans avoir pris ses responsabilités. Naturellement, nous aurons à réfléchir dans le cadre de la préparation de la nouvelle convention d`assurance chômage.

Monsieur Vercamer, vous jugez que la non-abrogation de la loi de modernisation sociale a créé une situation complexe, mais certains de vos amendements tendent pourtant à enrichir le texte. Ce qu'il faut, c'est créer les conditions pour que le dialogue se nourrisse et aboutisse à un accord partiel ou, comme je le souhaite, total.

Quoi qu'il en soit, je tiens à réaffirmer l'engagement du Gouvernement à vous proposer un texte à l'issue du dialogue qui sera relancé grâce à la décision que vous allez nous aider à prendre sur la proposition de M. Gournac.

Enfin, un mot sur le mode de gestion de l'UNEDIC. Souvenons-nous que la RTT fut, pour partie, financée par la main basse faite sur les 3 milliards d'excédents de l'UNEDIC, qui auraient été fort utiles lorsque la bise fut venue. Après avoir été cigales, nous devons être fournis.

À l'avenir, il faudra éviter le comportement qui fut celui de Mme Aubry. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Monsieur Dutoit, nous souhaitons une évaluation du PARE avec les partenaires sociaux qui ont signé la convention avec l'UNEDIC, notamment les partenaires salariés. Mais c'est aux tribunaux qu'il appartient de fixer le niveau du préjudice subi. Une immixtion dans des procédures en cours serait déplacée.

Monsieur Le Garrec, s'il n'y a pas de dimension sociale dans l'Europe, nous le devons à vos amis du parti travailliste britannique. Or le groupe socialiste avait fait campagne sur la nécessaire dimension de l'Europe sociale. Voyez ce qui vient de se passer à Dublin !

M. Claude Gaillard. Il faut assumer ses amis !

M. Gaëtan Gorce. Comme Berlusconi ? (Sourires.)

M. le ministre délégué aux relations du travail. Par ailleurs, j'ai pu observer, lors du premier Conseil des ministres, que c'est sans le soutien des Britanniques que nous avons renvoyé le projet de directive sur les services. Mais nous avons eu le soutien des Belges, en la personne de M. Verhofstadt, des Luxembourgeois, et même des Autrichiens, alors que nous n'avons pas eu celui des Britanniques et j'aurais attendu un soutien plus marqué de l'Espagne, le 1er juin dernier, lors du Conseil des ministres du travail.

La loi de modernisation sociale avait été votée sous le coup de l'émotion. Souvenons-nous : Lu, Marks and Spencer, Danone. Partis de quarante-huit articles, nous nous sommes arrivés à 224 articles. Est-ce une bonne manière de légiférer ? Se donner le temps de réexaminer une dizaine d'articles de la loi de modernisation est une bonne chose.

M. Claude Gaillard. Vous avez raison !

M. le ministre délégué aux relations du travail. Je ne reviendrai pas sur la journée de solidarité dont nous avons beaucoup parlé.

Enfin, un mot encore sur les délocalisations. En nous attaquant, avec Jean-Louis Borloo, au travail illégal, nous avons constaté qu'il existait beaucoup de délocalisations en France. Nous avons cité les chantiers navals, les entreprises qui veulent se voir appliquer le droit sri lankais en lieu et place du droit français. C'est inacceptable.

La commission nationale de lutte contre le travail illégal ne s'est pas réunie pendant sept ans. Je la réunirai dans moins de six mois et le prochain dossier dont elle sera saisie sera celui de la sous-traitance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Frédéric Dutoit. Au nom de mon groupe, je demande une suspension de séance.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à dix-neuf heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Discussion des articles

M. le président. Nous allons maintenant aborder la discussion des articles.

J'appelle, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, du règlement, les articles de la proposition de loi dans le texte du Sénat.

Avant l'article 1er

M. le président. Avant l'article 1er, je suis saisi d'un amendement n° 14.

La parole est à M. Maxime Gremetz, pour le soutenir.

M. Maxime Gremetz. Nous proposons, avec cet amendement, non des mesures bureaucratiques ou administratives, mais des droits nouveaux pour les salariés. C'est, selon nous, un progrès pour la démocratie - et faire pénétrer la démocratie dans l'entreprise, c'est aussi un gage d'efficacité.

M. le rapporteur nous reproche de ne pas avoir de propositions à formuler. Il semble avoir une oreille sélective, car il n'a pas entendu les amendements que nous proposons - à la différence de M. le ministre, qui a fait allusion au programme que j'ai présenté. Écoutez bien, monsieur Dord : il s'agit ici de préciser nos propositions - mais, en réalité, vous le savez bien, puisque vous avez déjà tenté de répondre à nos arguments en commission.

Le présent amendement propose simplement de calquer notre législation sur celle de l'Italie - car il faut prendre les bons exemples là où ils se trouvent -, en sanctionnant par la réintégration du salarié un licenciement abusif légalement constaté par le juge. C'est une question de simple bon sens, car il est tout à fait naturel de réintégrer un salarié dont le licenciement est abusif. Ne pas le faire revient à donner une prime à ceux qui agissent dans l'illégalité la plus totale.

Aujourd'hui, la législation ne prévoit pas que le salarié soit rétabli dans son droit initial, comme l'ont obtenu les « recalculés ». On préfère lui offrir une petite compensation, alors que sa vie a été gâchée ! Après l'avoir sanctionné, et avoir reconnu qu'il n'y avait aucune raison de le faire, on se contente d'une indemnité - et ce n'est pas une indemnité à la Jean-Marie Messier, ni des jetons de présence dans les conseils d'administration, permettez-moi de le dire sans attenter à la présomption d'innocence le jour où M. Messier est mis en examen ! La dignité ne s'achète pas, elle n'a pas de prix. Ce système n'est pas juste.

Le principe du droit à l'emploi doit être réaffirmé avec force dans ce contexte et les dommages et intérêts ne sauraient couvrir le préjudice que représente, pour le salarié et sa famille, la perte d'un emploi dans des conditions abusives et illégales.

Il s'agit donc de créer, comme en Italie et à l'instar de ce qui peut exister dans d'autres domaines de notre législation, un droit absolu à la réintégration dans l'emploi lorsque le licenciement est reconnu comme abusif par les tribunaux - qu'il s'agisse d'un conseil des prud'hommes ou de magistrats professionnels. Le problème est préoccupant : il s'agit là, dans le droit de notre pays, du seul cas dans lequel les principes généraux du droit ne s'appliquent pas !

Cette question touche aux droits des victimes, chers au Gouvernement. La victime n'a pas le choix : elle ne bénéficie pas du retour à la situation antérieure, et se voit imposer la solution des dommages et intérêts. On lui dit tout simplement qu'elle doit rentrer chez elle avec un chèque, sans avoir le droit de retrouver son travail.

Vous ne pouvez insister comme vous le faites sur la valeur du travail et sur son rôle majeur pour l'intégration dans notre société sans en tirer les conséquences qui s'imposent pour de tels conflits. C'est ce à quoi vise cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Dominique Dord, rapporteur. La commission n'est pas favorable à cet amendement.

D'une manière générale, il serait préférable d'examiner les amendements qui relèvent du débat de fond lorsque le Gouvernement proposera un projet de loi sur le fond.

Pour ce qui concerne l'amendement n° 14, comment pourrait-on envisager de réintégrer un salarié après les années de procédure nécessaires pour que la décision du juge soit définitive - en première instance, puis en appel, voire en cassation -, qui se seront déroulées dans un climat de grande tension ?

Il ne nous semble donc pas possible d'adopter cet amendement - que, je le rappelle, la majorité de l'époque avait rejeté lors de l'examen du projet de loi de modernisation sociale.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux relations du travail. Monsieur Gremetz, les oreilles du rapporteur et du ministre fonctionnent en parfaite stéréophonie (Sourires) : avis défavorable également, pour les mêmes motifs.

M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz.

M. Maxime Gremetz. Votre argumentation ne tient pas ! Alors qu'on peut rétablir la situation des « recalculés », il serait impossible de réintégrer un salarié licencié abusivement et de lui fournir un poste de travail ?

Ce que souhaite le salarié, ce n'est pas une indemnité ! Il est trois fois victime : d'abord, il est licencié sans faute de sa part ; ensuite, une fois reconnu le caractère abusif du licenciement, il ne peut retrouver son emploi ; enfin, l'indemnité destinée à compenser le préjudice est un encouragement à licencier adressé aux patrons qui veulent se débarrasser d'un de leurs salariés. Ils savent que, même si le licenciement est reconnu abusif par le juge, il leur suffira de payer une indemnité. Or, la vie d'un salarié ou d'une salariée est brisée - car il est bien difficile de retrouver un emploi après avoir perdu le sien dans ces conditions.

Votre argumentation ne répond pas à la question de droit. On ne peut pas parler ici de justice sociale. Il y a deux poids, deux mesures : les patrons font ce qu'ils veulent et les salariés n'ont qu'à subir.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 14.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 15.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour le soutenir.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le ministre, nous avons eu droit tout à l'heure à une belle démonstration de M. Dord, dans un élan montrant qu'il aspirait certainement à s'égaler à Talma ou Louis Jouvet. On aurait pu d'ailleurs se laisser prendre au jeu, tant il y avait de trémolos dans sa voix lorsqu'il a feint de prendre pour des insultes les propos de notre collègue Gremetz.

M. Claude Goasguen. Vous, vous faites du Jules Berry !

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le rapporteur, M. Gremetz vous a dit que vous versiez des larmes de crocodile alors que vous êtes, en réalité, indifférent au sort des salariés licenciés. Mais vous le savez bien, tout comme M. le ministre : notre peuple, et vous l'avez éprouvé à vos dépens au mois de mars et dimanche dernier encore, juge les hommes politiques à ce qu'ils font et non pas à ce qu'ils disent.

C'est pourquoi je vais vous donner, monsieur le ministre et monsieur le rapporteur, l'occasion de vous racheter. (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Claude Gaillard. C'est trop gentil !

M. Jean-Pierre Brard. Cet amendement a pour objet d'encadrer la sous-traitance, qui ne cesse de se développer.

La stratégie des groupes vise en effet, de plus en plus, à créer de multiples sociétés, présentées sans lien juridique entre elles. L'externalisation est un de leurs grands principes. Par ce biais, ils se débarrassent de tout ce qui n'est pas rentable sans être pour autant responsables de ce qui se passe dans ces entreprises, dont ils sont pourtant les vrais patrons. Quand il s'agit de licencier, ces groupes créent une société, puis ils licencient par vagues. Les grands donneurs d'ordre, qui cherchent à faire le maximum de profits, organisent le dumping social et ont une part de responsabilité.

Vous prétendez que nous raisonnons dans le cadre d'une économie fermée. Mais ce n'est pas exact. Nous ne sommes pas favorables à ce système qui n'est d'ailleurs pas envisageable. C'est sur la qualité, sur l'efficacité et sur les produits à haute valeur ajoutée que la France est compétitive. Cela n'empêche pourtant pas certains grands groupes de délocaliser. Comme je ne veux pas jouer les délateurs, je me bornerai simplement à prendre à nouveau l'exemple de Whirpool. Ce groupe a créé une société de sous-traitance, ce qui va conduire APPI, petite entreprise qui détenait ce marché, à déposer son bilan. Demain, ce sera la nouvelle société sous-traitante qui fermera, mais on nous dira alors qu'elle n'avait rien à voir avec Whirpool !

Pour bénéficier de plus de souplesse, les grands groupes n'hésitent pas à créer des sociétés écrans. Il en résulte un manque de transparence évident, une absence de démocratie et des catastrophes humaines. C'est précisément pour éviter cela que nous avions défini, avec le professeur Lyon-Caen, la notion simple de responsabilité des groupes donneurs d'ordre pour tout ce qui concerne les sociétés sous-traitantes ou leurs filiales. Tel est l'objet de cet amendement.

Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, ne faites pas les ignorants. Je vais vous citer l'exemple d'un chantier que connaît bien le président de cette séance, M. Raoult : le Stade de France. Tout le monde sait qu'une partie du travail a été accomplie par des sociétés sous-traitantes qui employaient des salariés au noir ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Vous vous êtes indignés que nous vous fassions des procès d'intention. Nous allons donc vous juger à vos réponses.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Dominique Dord, rapporteur. La commission n'est pas favorable à l'amendement n° 15. Dans une économie comme la nôtre, qu'on le veuille ou non, les relations commerciales me semblent devoir être réglementées dans un certain nombre de champs, notamment celui du respect des conditions de la concurrence. Nous avons aussi vu récemment, avec l'accord sur la grande distribution, qu'il était possible d'arriver, par la voie de la négociation, à réguler les relations fournisseurs-distributeurs. Mais cet amendement va beaucoup plus loin en proposant d'instaurer un contrôle de la justice sur l'ensemble des relations commerciales par le biais de la notion de « sous-traitance abusive », qu'il essaye de définir. Si d'aventure nous l'adoptions, cet amendement donnerait lieu à un contentieux dont se régaleraient les juges, tant il me paraît difficile de concevoir les limites et les bornes de cette notion de sous-traitance abusive. Nous sommes en attente du projet de loi établissant les conditions de la sécurité juridique, et non pas d'un texte introduisant de nouveaux risques d'insécurité juridique.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux relations du travail. Il est défavorable car cet amendement, comme l'a dit M. le rapporteur, introduirait dans le projet de loi une notion imprécise.

Je voudrais dire un mot sur le travail illégal dans la construction du stade de France. Qui était ministre du travail à l'époque ?

M. Claude Gaillard. Ah !

M. Maxime Gremetz. Balladur était à Matignon à l'époque ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre délégué aux relations du travail. Le ministre du travail à l'époque, c'était Mme Aubry. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Pierre Brard. Pas du tout ! Les travaux ont été lancés sous le gouvernement Balladur !

M. le ministre délégué aux relations du travail. J'ai revu un certain nombre de dossiers : elle disposait pendant le chantier de la délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal, la DILTI ! Et c'est notre gouvernement qui vient de l'activer pour lutter contre le travail illégal. À bon entendeur, salut ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je vous informe que, sur l'amendement n° 15, je suis saisi par le groupe des député-e-s communistes et républicains d'une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Gaëtan Gorce.

M. Gaëtan Gorce. Je tiens à réagir pour inciter le représentant du Gouvernement à faire preuve d'un peu plus de sang-froid dans ce débat. Car voilà plusieurs fois que la tentation lui vient, pour se défausser de ses responsabilités, de s'en prendre à ses prédécesseurs, en l'occurrence à un ministre qui n'est pas là et qui ne peut ni se défendre, ni s'expliquer.

M. Jean-Claude Lenoir. Mme Aubry n'avait qu'à pas se faire battre !

M. Gaëtan Gorce. Pour autant, l'ancien ministre aurait eu beaucoup d'arguments à faire valoir. Mais elle reviendra lorsque nous serons à nouveau majoritaires. Je vous invite donc, monsieur le ministre, à faire preuve d'un peu de décence car si nous voulions ouvrir tous les dossiers relatifs au travail illégal, nous y passerions un moment.

J'ajoute que nous avons entendu dans cet hémicycle, à plusieurs reprises, votre prédécesseur, M. Fillon, expliquer que les moyens de l'État en la matière étaient trop importants, que l'inspection du travail ne représentait pas forcément le nec plus ultra. Je voudrais donc que vous me disiez comment vous pourrez lutter contre le travail illégal comme vous le prétendez, si vous contestez les moyens accordés à l'administration du travail et les budgets mobilisés, d'autant plus que vous développez une idéologie, que nous avons entendue à de nombreuses reprises, consistant à faire d'abord confiance aux chefs d'entreprise avant de mettre en place des contrôles pour faire respecter la loi. Pour conserver à ce débat un ton de bon aloi en évitant les polémiques désagréables et les mises en cause ad hominem, je vous invite, monsieur le ministre, à faire preuve de plus de précaution dans votre expression lorsque vous parlez de vos prédécesseurs.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Je sais bien, monsieur le ministre, que Martine Aubry hante vos nuits ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre délégué aux relations du travail. Non, pas les miennes !

M. Jean-Pierre Brard. Ah si, vous en faites des cauchemars ! La preuve, vous leur donnez un prolongement dans l'hémicycle ! Car Martine Aubry, c'est les emplois jeunes, les 35 heures, tous ces dispositifs abominables pour vous et qui donnent le grand frisson à M. Seillière et à M. Raffarin.

Cela étant, revenons à notre sujet. L'intervention de M. Dord est tout à fait intéressante : il est député et nous enjoint pourtant d'attendre le texte du Gouvernement. Monsieur le rapporteur, ne renonçons pas à notre compétence ! On peut difficilement prétendre que la Constitution de la ve République donne trop de prérogatives au Parlement, et voici que vous proposez de déléguer encore plus de pouvoirs au Gouvernement, sous prétexte que vous lui faites confiance. Mais vous avez tort de lui faire confiance. C'est le Président de la république lui-même qui, à propos du gouvernement Raffarin II, a dit qu'il avait mal travaillé et qu'il devait revoir sa copie. Assumez votre responsabilité, monsieur Dord.

Quant à l'avis de rejet, il permet de juger de la sincérité de vos élans oratoires de tout à l'heure. Je trouve extraordinaire que vous prétendiez que son adoption compliquerait les relations commerciales en les assujettissant au contrôle de la justice. Quelle horreur que de s'en remettre à la justice !

M. Dominique Dord, rapporteur. Je n'ai jamais dit ça !

M. Jean-Pierre Brard. Je note aussi que vous avez répondu à notre collègue Maxime Gremetz qu'il fallait passer outre à un jugement prononçant la réintégration d'un salarié et ne pas imposer à l'entreprise l'exécution de la décision de justice. Maintenant, vous affirmez qu'il ne faut surtout pas renvoyer les litiges devant le juge, mais les laisser dans le cadre des relations commerciales pour ne pas trop les réglementer.

Vous ne manquez pas d'audace quand vous faites référence à l'accord de la grande distribution. Faisons appel à nos électeurs : ils vous diront ce qu'ils pensent de cet accord et de ses conséquences sur le prix du paquet de nouilles, du paquet de lessive ou de cornflakes ; vous m'en direz des nouvelles. Vous avez certainement des enfants, vous faites les courses vous-même : vous savez bien que tout cela n'est que falbala pour amuser l'opinion publique et que les conséquences de ce genre d'accord dans la vie quotidienne de nos concitoyens, c'est zéro.

Alors, monsieur Dord, monsieur le ministre, quittez vos faux-nez et dites la vérité, reconnaissez que vous ne voulez pas réglementer car vous savez qu'il y a des zones glauques, des zones grises, et que cela ferait trop de peine à vos véritables donneurs d'ordre, à ceux qui siègent au MEDEF - je le dis au risque que vous le preniez pour une insulte, monsieur Dord. Et vous ne voulez pas les contrarier.

M. Dominique Dord, rapporteur. C'est triste d'entendre de tels propos !

M. Jean-Pierre Brard. C'est triste pour la France que vous couvriez toute cette turpitude qui affaiblit notre économie nationale. Car là où le droit recule, ce sont aussi les conditions de concurrence qui sont altérées, de même que les recettes pour nos comptes sociaux. Vous le savez, monsieur le ministre, cela dût-il vous faire sourire. Mais répondez-moi plutôt que de sourire, et vous serez plus convaincant.

M. le président. Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

Je mets aux voix l'amendement n° 15.

Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été couplés à cet effet.

Le scrutin est ouvert.

.............................................

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

              Nombre de votants 22

              Nombre de suffrages exprimés 22

              Majorité absolue 12

        Pour l'adoption 3

        Contre 19

L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

Je suis saisi d'un amendement n° 2.

La parole est à M. Maxime Gremetz, pour le soutenir.

M. Maxime Gremetz. Cet amendement concerne les pratiques abusives de dirigeants d'entreprise qui n'hésitent pas à supprimer des emplois à la seule fin de répondre aux surenchères financières dictées par des actionnaires prédateurs - certains ont employé d'autres noms pour les qualifier, comme le Président de la République qui a parlé des « patrons voyous ». La représentation nationale a souhaité limiter les motifs de licenciements économiques à trois cas précis : quand la société est confrontée à des difficultés économiques sérieuses n'ayant pu être surmontées par tout autre moyen, à des mutations technologiques mettant en cause la pérennité de l'entreprise, ou encore à des nécessités de réorganisation indispensables à la sauvegarde de l'activité de l'entreprise.

En légiférant de la sorte, les élus du peuple se sont inspirés de la jurisprudence qui, ces dernières années, a mis un frein à des décisions patronales injustifiées. Ils ont voulu aller plus loin en renforçant les garanties individuelles et collectives des salariés par l'amélioration du droit actuel, au-delà du seul contrôle de la cause économique du licenciement. À diverses reprises, les juridictions saisies ont statué que le licenciement ne pouvait reposer sur le seul désir de l'employeur d'augmenter ses profits et de remettre en cause une situation acquise jugée trop favorable au personnel, ou encore sur la volonté de ce même employeur de privilégier le niveau de rentabilité de l'entreprise au détriment de la stabilité de l'emploi.

Faut-il rappeler l'appel à l'ingérence lancé par cinquante-six PDG de multinationales et amplifié par le MEDEF afin d'obtenir l'annulation d'une mesure qui avait le mérite de s'appliquer à l'ensemble des licenciements économiques, et non pas seulement aux 15 % d'entre eux qui font l'objet d'un plan dit « social » présenté au comité d'entreprise ?

Faut-il rappeler que ce sont des parlementaires de droite qui, dans leur saisine, ont dénoncé à l'époque « une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre », se faisant ainsi les avocats d'une conception anglo-saxonne de la libre entreprise en vertu de laquelle le laisser-faire économique et social revêt une valeur suprême ?

En tout état de cause, il nous est apparu à nouveau nécessaire de proposer une nouvelle définition du licenciement économique, qui prendrait, à l'article L.321-1 du code du travail, la forme suivante : « Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié, résultant d'une suppression ou d'une transformation d'emploi ou d'une modification du contrat de travail, consécutives soit à des difficultés économiques sérieuses n'ayant pu être surmontées par tout autre moyen, soit à des mutations technologiques remettant en cause la pérennité de l'entreprise ».

Cette définition plus précise du licenciement pour motif économique aurait le mérite, de donner des garanties nouvelles aux salariés pour défendre l'emploi et éviter les dérives que nous constatons, mois après mois, en matière de licenciements dits économiques mais qui n'ont comme seules motivations que l'intérêt financier, économique et spéculatif, souvent, de quelques entreprises, et qui ne sont en fait que des licenciements boursiers.

Par conséquent, nous allons voir si vos larmes sont des larmes de crocodile ou pas ! Car c'est sur les actes, monsieur Dord, que l'on juge. On peut pleurer, on peut dire que ces licenciements sont quelque chose de malheureux. Mais la question est de savoir si l'on a ou non la volonté de se donner les moyens de les empêcher. La définition que nous proposons était en partie contenue dans la loi de modernisation sociale. Je ne vois pas ce que vous avez gagné à la supprimer. Bien au contraire, l'expérience a montré que les indignations ne suffisent pas. Il faut adopter cet amendement si l'on veut mettre un terme à certaines pratiques.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Dominique Dord, rapporteur. Nous n'avons rien supprimé du tout, monsieur Gremetz. C'est le Conseil constitutionnel qui a censuré la définition du licenciement économique que vous reprenez, à peu de chose près, dans cet amendement. Vous persévérez dans l'erreur, et c'est pourquoi nous ne souhaitons évidemment pas vous suivre dans cette voie.

En adoptant une telle définition du licenciement économique, nous porterions un mauvais coup à l'esprit même de la loi de modernisation sociale. Celle-ci vise, si j'ai bien compris, à anticiper les difficultés économiques de telle sorte que l'entreprise puisse continuer son activité. Or, avec une telle définition, l'entreprise ne pourrait licencier que si sa pérennité même était mise en cause. Loin d'anticiper, on ne ferait donc que constater, trop tard, les dégâts. Cela irait à l'inverse de l'esprit du texte de modernisation sociale que vous souhaitez vous-même voir prévaloir.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux relations du travail. Même avis. La définition du licenciement économique a été censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu'elle portait une atteinte trop importante à la liberté d'entreprendre.

M. Maxime Gremetz. Compte tenu de l'importance de cet amendement, le groupe des député-e-s communistes et républicains demande un scrutin public.

M. le président. Sur l'amendement n° 2, je suis saisi par le groupe des député-e-s communistes et républicains d'une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Gaëtan Gorce.

M. Gaëtan Gorce. Nous avons eu ce débat à de nombreuses reprises, notamment lors de la discussion de la loi de modernisation sociale et, il y a quelques mois, lors du projet de loi présenté alors par M. Fillon. C'est un débat important, même s'il est difficile à conduire. Je voudrais l'évoquer en quelques mots.

Sur un sujet comme celui-ci, qui touche au cœur de nos discussions, avec les conséquences sociales et humaines que cela représente, il faut tenter d'éviter les caricatures et les facilités.

Et l'on est bien dans ce registre lorsque l'on dit qu'il suffit de « faire confiance », qu'il suffit de renvoyer de manière floue à la « négociation », en faisant de la négociation sociale une sorte de terrain vague où les partenaires sauraient s'accorder sans que ceux qui exercent la responsabilité politique indiquent en quoi que ce soit ce qu'ils souhaitent ni ce qui paraît possible et souhaitable à un moment donné.

On est toujours dans la caricature et la facilité quand on dit que le fait d'établir des règles de droit visant à assurer des garanties aux salariés reviendrait à créer des rigidités qui mettraient en péril la compétitivité des entreprises. Ce discours, que nous entendons sur les bancs de la majorité, et que nous avons entendu à de nombreuses reprises, est tout à fait inadapté. Mes collègues du groupe communiste ont raison de dire que la compassion n'est pas l'action, et que les larmes ne suffisent pas à effacer l'insuffisance des actes.

Mais il y a naturellement d'autres caricatures et facilités, par exemple celles qui consistent à dire qu'il suffirait de dresser un mur juridique là où il faut aussi, au contraire, trouver des solutions qui passent par la négociation et l'adaptation. De ce point de vue, le cadre n'est pas facile à fixer. Mais il est vrai qu'il ne faut pas non plus espérer que la loi apporte des solutions qui seraient en permanence dépassées par la réalité.

M. Claude Goasguen. Ca alors ! Mais c'est un vrai libéral !

M. Gaëtan Gorce. Autrement dit, le droit est nécessaire et la négociation l'est également.

Le droit doit indiquer clairement quelles sont les garanties sur lesquelles doivent pouvoir s'appuyer les salariés, de même qu'il doit aussi garantir une sécurité juridique à l'entreprise. C'est la prévention, c'est l'anticipation, et cela crée des obligations à l'entreprise, des obligations que nous avons voulu inscrire dans la loi, et que vous ne reprenez pas. Je pense en particulier à la concertation avec les comités d'entreprise. Il faut faire en sorte que, lorsqu'une décision de licenciement va être prise, les représentants des salariés ne soient pas considérés comme des « non-interlocuteurs », mais soient associés d'une manière ou d'une autre à une stratégie qui va avoir des conséquences pour les personnels qu'ils représentent.

La prévention, cela veut dire aussi faire vivre l'obligation d'adaptation, que nous avons inscrite dans la loi sur la réduction du temps de travail, en prévoyant que l'entreprise doit se comporter par rapport à ses salariés en tenant compte d'une exigence qui n'est pas seulement celle de conserver leur emploi mais d'anticiper sur l'évolution de cet emploi et des conditions économiques et technologiques dans lesquelles il sera amené à s'exercer.

Trouver une solution équilibrée sans céder à la caricature, c'est aussi prévoir les conditions dans lesquelles le licenciement va intervenir, et garantir le reclassement du salarié. Il s'agit de lui indiquer que le sort qu'on lui réserve n'est pas définitif, qu'on ne se défausse pas de sa responsabilité sur la collectivité.

M. Claude Goasguen. C'est bien là la vision de la gauche !

M. Gaëtan Gorce. Ce droit à reclassement reste entièrement à construire, tout comme d'ailleurs le droit à réparation pour les bassins d'emploi concernés. Nous avions inscrit dans la loi de modernisation sociale l'obligation pour les entreprises de réparer les conséquences de leurs décisions. Cette obligation n'y figure plus, vous l'avez effacée, et les conséquences sont graves.

Ces principes - et je pourrais en évoquer d'autres, mais nous y reviendrons sans doute dans un débat ultérieur -, c'est par la négociation que nous devons les faire vivre et les mettre en œuvre, en essayant de trouver des solutions qui soient le plus possible adaptées aux réalités, sans céder aux caricatures et aux facilités.

On sait notamment qu'on a à traiter des situations extrêmement différentes. Quel rapport entre une petite entreprise et une grande ? Quel rapport entre une entreprise qui licencie par confort - et il y en a -, pour faire monter les cours de bourse, et celle qui est confrontée à des enjeux de compétition internationale ? Toutes ces questions devraient être traitées dans la sérénité, et sans oublier qu'elles sont liées. À cet égard, je ne peux que regretter que le Gouvernement ait choisi, faute d'avoir une vision d'ensemble, de saucissonner des sujets qui sont proches : la formation, les restructurations, le reclassement, l'indemnisation chômage, les parcours d'insertion, qui concernent les salariés qui peuvent être touchés par un licenciement ou éprouver des problèmes de reclassement. Il est dommageable que nous ne puissions pas engager un débat sur ces bases, et que nous ayons sans cesse affaire à l'opposition de caricatures qui ne permettront aucunement de faire progresser les droits des salariés, ce qui serait pourtant bien utile pour leur redonner un peu de confiance dans un contexte où au contraire ils sont tentés de chercher des réponses ailleurs que dans l'évolution du droit et de la négociation, qui correspondent aux conceptions démocratiques qui sont les nôtres.

M. Claude Goasguen. Vous désavouez enfin le parti communiste !

M. Gaëtan Gorce. Je désavoue surtout l'UMP !

M. le président. Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2.

Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été couplés à cet effet.

Le scrutin est ouvert.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

              Nombre de votants 17

              Nombre de suffrages exprimés 17

              Majorité absolue 9

        Pour l'adoption 3

        Contre 14

L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

Je suis saisi d'un amendement n° 1.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour le soutenir.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, notre débat est fort instructif, et il est fort dommage que nos compatriotes ne puissent pas le suivre.

M. Claude Goasguen. Il est instructif sur la division de la gauche !

M. Jean-Pierre Brard. Mais non, pas sur la division de la gauche ! D'ailleurs, monsieur Goasguen, si j'étais à votre place, je commencerais par sortir ma boîte à sparadraps pour recoller les morceaux chez vous.

M. Claude Goasguen. Mais nous, même divisés, nous gagnons !

M. Jean-Pierre Brard. Balayez devant votre porte, et quand vous aurez terminé, nous en recauserons.

Dans l'immédiat, si vous permettez, je voudrais dire à M. le ministre et à M. le rapporteur qu'il faut cesser de prendre nos compatriotes pour des imbéciles. Vous essayez de décrire la situation sous des oripeaux épouvantables, pour faire passer la pilule, si j'ose dire. Mais comment oser faire croire que la situation des entreprises françaises serait calamiteuse du fait du droit du travail - qu'il faut améliorer - et que leurs performances en seraient altérées, alors que nous sommes, jusqu'à nouvel ordre, le quatrième ou cinquième exportateur mondial et que la France est la deuxième destination des investissements ? Vous essayez de faire peur pour faire passer vos mauvais coups !

M. Dord nous accuse de persévérer dans l'erreur. Mais non ! Persévérer dans la lutte contre l'injustice, c'est une vertu et non un défaut. Et la preuve que nous avons raison, c'est que vous ne voulez pas privilégier la justice. Regardez ce qui arrive dans un pays comme le nôtre, où le droit qui concerne les entreprises n'est pas suffisamment contraignant : M. Messier est mis en garde à vue. C'est votre faute, d'une certaine manière. Parce que s'il y avait plus de transparence, nous n'en serions pas là.

Cet amendement n° 1 traite des licenciements économiques, et en particulier de l'abus qui en est parfois fait par les entreprises, notamment les plus grandes d'entre elles. Cela suscite chez les salariés un sentiment d'inquiétude voire d'insécurité. Ils n'ont pas besoin de votre compassion, monsieur Dord, mais de la détermination de la représentation nationale à mieux les protéger.

C'est pour une part afin de remédier à ces licenciements économiques abusifs et d'amorcer une démarche d'amélioration du régime juridique du licenciement que la loi de modernisation sociale avait été élaborée. Elle a été vidée de sa substance par une censure tout à fait inadmissible du Conseil constitutionnel.

M. Maxime Gremetz. Absolument !

M. Jean-Pierre Brard. Nous revenons sur cette question en présentant cet amendement qui s'inspire de deux principes essentiels : la nécessité d'agir et le réalisme.

Alors que la situation de l'emploi est mauvaise, alors que la richesse s'accumule, pour certains, une richesse du partage de laquelle les salariés qui en sont la source restent trop souvent exclus, il convient de légiférer. En effet, la liste noire des plans sociaux, en cette période de déclin économique, ne permet aucune passivité face aux situations dramatiques qu'ils engendrent. Légiférer sur le sujet est donc une exigence impérieuse, en particulier en ce qui concerne les licenciements économiques abusifs dont chacun se souvient encore : Michelin, dont le patron s'est d'ailleurs offert l'année dernière une augmentation de salaire de 146 % - encore un pauvre -, Wolber, Elf, Alstom, Moulinex, Lu, Danone, Alcatel, Whirlpool, Hewlett Pacard, et aujourd'hui ST Microélectronique.

La censure par le Conseil constitutionnel que j'ai évoquée ne fait que renforcer la nécessité de légiférer sur cette question. Elle a mis encore plus fortement en lumière que le besoin d'un dispositif reste réel et que l'attente des salariés n'en est que plus grande. Il convient donc de répondre au Conseil constitutionnel en revenant sur la notion de définition du licenciement économique, car les attendus de sa tristement célèbre décision sont contestables.

Il invoque le droit d'entreprendre. Certes, il faut encourager ce droit d'entreprendre, mais certainement pas au détriment du droit à l'emploi, principe également érigé dans la Constitution.

D'autre part, la décision donne à l'employeur le droit de licencier pour sauvegarder l'emploi des salariés restants. Où est le respect du principe constitutionnel du droit à l'emploi ? Le licenciement, dans son interprétation, est un droit à la sauvegarde de l'emploi : quelle drôle de conception !

Avec l'amendement que nous proposons, qui introduit une disposition différente de celle qui a été cassée par le Conseil constitutionnel, nous redonnons au législateur la chance de revenir sur cette question essentielle du licenciement, et, le cas échéant, au Conseil constitutionnel lui-même, sous l'autorité bienveillante du président Mazeaud, l'occasion de revenir sur sa décision.

Soucieux d'accroître la sécurité de l'emploi des salariés, notre amendement n'a pas pour but d'interdire tout licenciement économique, mais de mettre rapidement fin aux abus les plus criants. Il ne s'agit pas d'un texte de surenchère à prendre ou à laisser, ni d'une crispation sur des verrous juridiques irréalistes. C'est l'urgence d'agir sur le front des licenciements qui nous guide, c'est la nécessité de disposer d'un rempart rapidement efficace.

Nous avons le souci du pragmatisme et de l'efficacité. Tel est l'esprit qui a présidé à la présentation de cet amendement.

Reconnaissons, monsieur le ministre, l'utilité de légiférer sur la pratique abusive du licenciement économique. Pensons à tous ceux qui en subissent les conséquences, à ceux à qui on prépare un avenir bien sombre. Nous voulons répondre à leur attente forte, et nous espérons que vous nous soutiendrez.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Dominique Dord, rapporteur. Défavorable. Nous avons déjà un peu répondu à cette question de la définition pour motif économique. Un prochain amendement portera également sur ce sujet.

Si la première partie de l'amendement - difficultés avérées causées, soit par la conjoncture, soit par des réorganisations - ne soulève guère de problèmes, il n'en va pas de même de la seconde : «  et qui n'ont pu être surmontées par tout autre moyen. » Le groupe communiste revient à sa conception de l'économie qui conduit à empêcher tout licenciement. Comment une entreprise pourrait-elle prouver qu'elle n'a pas exploré tous les moyens pour conquérir de nouveaux marchés, baisser ses coûts et augmenter son capital, permettant d'éviter tout licenciement ? Une telle définition risque de se heurter, comme l'autre, à la censure du Conseil constitutionnel.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux relations du travail. Avis défavorable pour les mêmes raisons que précédemment. Je rappelle que le Conseil constitutionnel a fixé des principes en la matière.

J'en profite pour répondre à l'avance à l'amendement n° 17. Nous sommes opposés à une instance ad hoc extrêmement complexe.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Le débat devient de plus en plus intéressant ! Le Gouvernement et le rapporteur fuient ! Ils répondent, par avance, aux amendements que nous n'avons pas défendus. Pensez-vous que nous soyons déjà fatigués à cette heure, alors que de nombreuses heures de nuit nous attendent encore ? Certainement pas ! Vous nous répondez, monsieur le ministre, qu'il s'agit du même esprit. Nous connaissons, bien sûr, la pensée gouvernementale ! C'est ce que certains appellent la pensée unique. Je parlerais plutôt, évoquant la pensée gouvernementale et sa capacité à inventer des concepts nouveaux dans le domaine économique, de pensée atrophiée ! Vous en revenez toujours aux mêmes poncifs déjà servis par M. Seillière et M. Sarkozy, et je ne parle pas du ministre de l'économie et des finances, mais du porteur de hallebarde de M. Seillière !

Vous prétendez, monsieur le rapporteur, nous avoir déjà répondu, mais ce n'est pas le cas et vous ne vous en sortirez pas ainsi. Nous ne voulons pas interdire tout licenciement, mais l'encadrer. Nous savons pertinemment qu'en cas de situation catastrophique, de dépôt de bilan, il n'y a, hélas ! guère d'autre solution.

M. le ministre, répondant par avance à un amendement que nous n'avons pas encore présenté, trouve notre solution trop compliquée, mais rien n'est trop difficile, lorsqu'il s'agit de défendre l'emploi et les salariés.

M. Dord nous dit que nous allons encourir une nouvelle censure du Conseil constitutionnel. Est-ce la crainte des foudres du Conseil constitutionnel qui vous empêcherait de vous prononcer en faveur des salariés ? Je ne vous crois pas frileux à ce point ! Vous êtes, en réalité, idéologiquement scotché au MEDEF, monsieur le rapporteur !

M. Maxime Gremetz. Très bien, monsieur Brard !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 17.

La parole est à M. Maxime Gremetz, pour le soutenir.

M. Maxime Gremetz. Par cet amendement, nous proposons de compléter l'article L. 321-1 du code du travail par treize alinéas pour qu'une commission constituée de représentants du personnel et de l'employeur, de l'inspecteur du travail, du commissaire aux comptes de l'entreprise, du magistrat de la juridiction commerciale du ressort, d'un représentant de la Banque de France, d'un membre de la commission décentralisée du contrôle de fonds publics et d'élus locaux examine la situation de l'entreprise avant tout licenciement économique. Contrairement à ce que vous avez semblé indiquer, monsieur Dord, loin de prétendre interdire tout licenciement, nous voulons favoriser la concertation et la négociation.

M. Dominique Dord, rapporteur. Je n'ai rien dit !

M. Maxime Gremetz. Si, vous l'avez dit, ainsi que le ministre ! Nous, nous voulons une concertation ! Qui peut mettre en cause le fait que l'employeur invoque des difficultés de marché, entre autres ? Toutes ces personnes réunies autour d'une même table pourront examiner la réalité, la complexité de la situation et rechercher parallèlement des solutions alternatives au licenciement. Il en existe souvent, sauf si l'employeur n'a en vue que ses profits et non l'emploi, le développement durable et l'aménagement du territoire.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Dominique Dord, rapporteur. La commission est défavorable. Nous sommes là dans le cadre des licenciements boursiers sur lesquels j'ai déjà apporté quelques précisions avec passion, et non avec véhémence. Je suis désolé de le répéter, monsieur Gremetz, il est impossible, dans un marché où les capitaux circulent librement, d'empêcher ceux qui apportent des fonds de rechercher la meilleure rentabilité.

M. Claude Gaillard. Tout à fait !

M. Maxime Gremetz. Et alors ?

M. Dominique Dord, rapporteur. Nous sommes nombreux, je le pense, à partager l'idée qu'il y a, certes, ici quelque chose de choquant. Mais vous n'avez pas semblé non plus proposer de bloquer les marchés de capitaux, monsieur Gremetz. Cet amendement n'est, en conséquence, pas recevable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux relations du travail. Je me suis déjà expliqué, et je vous renvoie à la discussion générale. La France, avec un certain nombre d'autres pays, portera, certainement, une résolution à l'assemblé générale de l'Organisation des Nations unies à l'automne prochain sur la nécessaire dimension sociale de la mondialisation. Ainsi, des organismes, tels que le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et l'Organisation mondiale du commerce, devront s'imprégner d'un certain nombre de références proposées par M. Somavia à l'Organisation internationale du travail.

M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz.

M. Maxime Gremetz. Vous désespérez notre peuple lorsque vous affirmez que vous ne pouvez rien faire face aux licenciements ! Il y en a un qui l'a fait à propos de Michelin et cela lui a coûté cher ! J'attire votre attention sur ce point ! Regarder et laisser faire, telle est votre conception, monsieur Dord !

M. Dominique Dord, rapporteur. Que proposez-vous ?

M. Maxime Gremetz. Je viens de faire des propositions dans mon amendement.

M. Dominique Dord, rapporteur. Cela ne règle pas le problème !

M. Maxime Gremetz. Prenons l'exemple de l'Allemagne, dont je pensais qu'elle se trouvait en Europe, dans le monde et qu'elle jouait même un certain rôle ! Nous nous en sommes inspirés pour mettre en place la loi de modernisation. Pourquoi ce qui est possible en Allemagne ne le serait-il pas en France ? Or, aujourd'hui, en Allemagne, il existe toujours le principe selon lequel il n'y a pas de licenciement avant concertation. Le comité d'entreprise a le droit de s'opposer et de proposer des solutions alternatives en relation avec le médiateur. S'il n'y a pas d'accord, il revient à la justice de trancher. Les propositions de la direction sont-elles meilleures que celles du comité d'entreprise ? Cela se règle ainsi. Vous ne pouvez donc pas dire que toutes les garanties ne sont pas prises. Je dois toutefois préciser que les Allemands prennent exemple sur nous quant à la remise en cause de leur système de retraite par répartition. Cela signifie que l'on tire toujours vers le bas.

J'ajouterai, de plus, que soit le Président de la République est un hypocrite, soit c'est vous qui l'êtes ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je vous rappelle ses propos, car je l'écoute quand il s'exprime ! Il a précisé qu'il fallait légiférer contre les patrons voyous ! Et, alors que les plans de licenciement pour motif économique se multiplient dans le pays, que le chômage se développe considérablement, notamment chez les moins de vingt-cinq ans, vous prétendez qu'il n'y a rien à faire ! Des députés de droite demandent que soient organisées des réunions régionales ou départementales afin de ne laisser tomber personne, mais lorsque nous vous proposons d'agir de même, vous nous répondez que c'est impossible et qu'il faut attendre un accord international. Avouez que vous êtes des ultralibéraux ! Vous dépassez en cela les Allemands, voire les Américains ! Vous battez, en la matière, tous les records !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué aux relations du travail. En Allemagne, il n'y a pas d'interdiction, mais un examen par les partenaires sociaux, avec un médiateur, de certains critères financiers. Tout ce qui touche à la reconversion ou aux plans de licenciements fait l'objet de négociations entre les partenaires. Nous attendons, aujourd'hui, que les partenaires sociaux nous soumettent un certain nombre de propositions pour que le droit du licenciement et de la reconversion évolue en faveur de l'emploi, des salariés et des entreprises.

M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz.

M. Maxime Gremetz. Peut-être un scrutin public sera-t-il nécessaire, car il s'agit là de questions fondamentales.

Monsieur le ministre, le droit d'opposition et la rencontre entre partenaires sociaux et employeurs ne figurent dans aucune loi ! Où est-ce prévu ?

M. le ministre délégué aux relations du travail. Dans la pratique sociale !

M. Maxime Gremetz. Pourquoi, alors, avoir fait voter une loi sur le dialogue social ? Il faut inscrire ce processus dans la loi, dans le code du travail ! Il doit avoir force de loi !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 17.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 6.

Défendez-vous cet amendement monsieur Gremetz ?

M. Maxime Gremetz. Bien entendu ! M'avez-vous déjà vu renoncer à défendre un de mes amendements ? Quand je propose une disposition, c'est qu'elle est nécessaire et que j'y crois !

On aura d'ailleurs remarqué que, en commission, j'ai défendu mes amendements très rapidement ; je me réservais pour la séance plénière !

Aujourd'hui, je vous le rappelle, lorsque l'employeur envisage une modification du contrat de travail, il en informe le salarié, et celui-ci dispose alors d'un mois pour motiver son refus, à défaut de quoi il est réputé avoir accepté la modification proposée. Cela constitue une forte pression sur le salarié, des modifications du contrat de travail identifiées comme substantielles étant bien souvent apportées au terme d'une procédure douteuse ou ambiguë.

Il s'agit donc d'inverser la charge de l'initiative : lorsqu'une proposition de modification du contrat de travail est adressée au salarié, nous proposons qu'elle ne soit effective que dans le cas où celui-ci se manifeste de façon expresse avant l'expiration du délai, ce qui montre qu'il est motivé par cette modification et qu'il ne la subit pas. En revanche, s'il ne se manifeste pas, la modification proposée est réputée refusée. Voilà une proposition qui ne coûte pas cher mais présente de grands avantages.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Dominique Dord, rapporteur. Je suis assez d'accord avec la conclusion de M. Gremetz. Cela ne coûte pas cher, en effet,...

M. Frédéric Dutoit. Mais cela peut rapporter gros ! (Sourires.)

M. Maxime Gremetz. Exactement !

M. Dominique Dord, rapporteur. ...puisque la conséquence, pour le salarié, sera identique : son licenciement sera prononcé.

M. Maxime Gremetz. Et pourquoi ?

M. Dominique Dord, rapporteur. J'ignore ce que les partenaires sociaux penseront du sujet, mais c'est typiquement le genre de détail de procédure sur lequel ils pourront faire des propositions et que le Gouvernement pourra reprendre dans son escarcelle en revenant devant nous.

M. Maxime Gremetz. Ben voyons !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux relations du travail. J'estime que la proposition de M. Gremetz va à l'inverse de notre démarche : nous voulons prolonger la suspension de certaines dispositions pour permettre aux partenaires sociaux de nous faire des suggestions au travers d'un accord, et voilà que M. Gremetz nous propose des éléments complétant la loi de modernisation sociale.

Comme l'a dit le rapporteur, cet amendement tend à modifier la loi du 20 décembre 1993, sur un sujet que n'abordait d'ailleurs pas la loi de modernisation sociale. Nous verrons ce que les partenaires sociaux en pensent : est-ce une complexification ou une simplification ?

L'avis du Gouvernement est donc défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 7.

La parole est à M. Maxime Gremetz, pour le soutenir.

M. Maxime Gremetz. Nous demandons que soit considéré comme irrégulier tout licenciement pour motif économique si les diverses institutions représentatives du personnel n'ont pas été mises en place.

L'introduction de cette obligation à la charge de l'employeur obéit à la nécessité de traduire dans la législation une jurisprudence de la Cour de cassation à laquelle vous n'avez pas encore satisfait. En effet, dans un arrêt du 7 décembre 1999, la chambre sociale de la Cour de cassation a considéré qu'un employeur ne pouvait se prévaloir de l'absence d'une institution représentative du personnel pour échapper à ses obligations. Cet arrêt souligne, j'insiste, l'obligation faite à l'employeur de mettre en place les différentes institutions représentatives du personnel, qu'il doit informer et consulter, notamment en cas de licenciement pour motif économique.

L'absence de ces institutions, garantes du respect des droits et de la démocratie dans l'entreprise, entraînera, dit la Cour de cassation, la mise en cause de la responsabilité de l'employeur. La procédure de licenciement pour motif économique sera considérée comme irrégulière, l'absence de ces institutions pouvant être le fait d'une attitude volontairement hostile de l'employeur ou simplement s'expliquer par sa négligence. Dans ces cas, tout licenciement prononcé jusqu'à la mise en place des institutions représentatives du personnel est nul.

Cet amendement n'a rien de révolutionnaire car la Cour de cassation n'est pas révolutionnaire - en général, elle n'est même pas réformiste. Nous vous demandons simplement de prendre en compte la jurisprudence en la transposant dans la loi. Vous transposez bien de nombreuses directives européennes ; si vous ne transposez pas la jurisprudence de la Cour de cassation, je finirai par croire ce que l'on dit, à savoir que le droit communautaire s'impose aux décisions du Conseil constitutionnel. (Sourires.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Dominique Dord, rapporteur. Non seulement l'avis de la Cour de cassation ne nous rebute pas, mais il est déjà pris en compte et satisfait dans la législation par l'article 110 de la loi de modernisation sociale, que M. Gremetz connaît bien - j'ai le texte sous les yeux et je peux le lui faire passer. L'article 110, qui n'a pas été suspendu, sanctionne effectivement les licenciements prononcés dans les entreprises dépourvues des instances de représentation prévues par la loi si un constat de carence n'a pas été établi. Cet amendement me semble donc superfétatoire.

M. Maxime Gremetz. Non !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux relations du travail. Même avis. Je signale à M. Gremetz qu'on ne transpose pas une décision de cette nature ; il suffit de se référer au code et aux commentaires de jurisprudence. L'amendement de M. Gremetz trouve donc une réponse à la fois dans l'article 110 et dans la jurisprudence, dont la transposition est automatique.

M. Maxime Gremetz. Faux ! C'est incroyable !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 7.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 9.

La parole est à M. Maxime Gremetz, pour le soutenir.

M. Maxime Gremetz. Je demande une suspension de séance.

M. le président. Nous aurions pu aller jusqu'à vingt heures trente sans suspendre, mon cher collègue, et faire alors le point sur l'avancement de nos travaux. Qu'en pensez-vous ?

M. Maxime Gremetz. D'accord, je renonce à la suspension de séance. Voyez comme je suis raisonnable.

M. le président. Merci, monsieur Gremetz. Vous avez la parole sur l'amendement n° 9.

M. Maxime Gremetz. Cet amendement est défendu.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Dominique Dord, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux relations du travail. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 9.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 5 rectifié.

La parole est à M. Maxime Gremetz, pour le soutenir.

M. Maxime Gremetz. Cet amendement confère aux représentants du personnel et aux comités d'entreprise le droit de s'opposer aux licenciements dont le motif économique est injustifié et reconnu comme tel pour les faire annuler.

Les licenciements dépourvus de motif économique admis par la loi, tels ceux destinés exclusivement à la valorisation des actions, ne doivent pas avoir lieu. Afin que les représentants du personnel et le comité d'entreprise puissent s'y opposer efficacement, la loi doit conférer à ceux-ci un véritable pouvoir de contrôle et de contestation, car la seule augmentation du coût des licenciements ne suffira pas à dissuader les sociétés qui spéculent sur la compression des effectifs.

Inspiré, lui aussi, du droit allemand, le présent amendement vise à donner aux représentants des salariés un droit nouveau qui, sans constituer une interdiction des licenciements, crée les conditions d'une véritable concertation en instaurant une sanction éventuelle en amont de la rupture des contrats de travail.

Lorsque la motivation invoquée par l'employeur ne sera pas conforme à la loi, les délégués du personnel et le comité d'entreprise pourront en effet s'opposer aux licenciements jusqu'à ce que le juge se prononce sur leur justification, à partir du dossier et des arguments des uns et des autres. Dans l'hypothèse où le juge constatera à son tour l'irrégularité des motifs de licenciement, il pourra définitivement confirmer l'opposition et annuler toutes décisions contraires.

Le droit d'opposition est, en outre, un instrument efficace de promotion des projets économiques proposés par les représentants du personnel comme alternative à la décision de licencier.

Cet amendement étant très important, nous demandons un scrutin public.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Dominique Dord, rapporteur. L'avis de la commission est défavorable. Le droit d'opposition irait bien au-delà des mesures de la loi de modernisation sociale en matière de pouvoirs nouveaux du comité d'entreprise, que le groupe communiste avait soutenues et votées. On se rappelle en effet que le comité d'entreprise n'a été doté que du droit de déclencher des procédures d'expertise et de médiation - dans des conditions qui n'ont d'ailleurs pas même été définies par décret.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux relations du travail. Nous ne sommes pas favorables à ce droit d'opposition. Subordonner le licenciement à une autorisation du juge créerait une ingérence dans la procédure.

M. le président. Sur l'amendement n° 5 rectifié, je suis saisi par le groupe des député-e-s communistes et républicains d'une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Maxime Gremetz.

M. Maxime Gremetz. Je vous fais tout de même remarquer que vous êtes encore en retrait par rapport à des États européens comme l'Allemagne. Comment est-ce possible ? C'est extraordinaire ! L'Allemagne n'est pas mon modèle, mais il est inconcevable qu'elle devance la France, patrie des droits de l'homme, dont la Constitution reconnaît le droit à l'emploi, comme le droit au logement !

Autrefois, nous étions en avance, et nous sommes maintenant en retard par rapport à l'Allemagne ou l'Italie. Si l'on continue ainsi, les nouveaux membres de l'Union européenne nous dépasseront ; vous verrez comme ils progresseront vite. Ils ont d'ailleurs déjà tout compris en n'étant pas allé voter trop massivement : 28 % de participation ! (Sourires.) Quel enthousiasme débordant pour cette prétendue Europe du progrès social !

Alors, monsieur le ministre, je vous en supplie, ne soyez pas en retard d'une guerre !

M. le président. Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

Je mets aux voix l'amendement n° 5 rectifié.

Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été couplés à cet effet.

Le scrutin est ouvert.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

              Nombre de votants 16

              Nombre de suffrages exprimés 16

              Majorité absolue 9

        Pour l'adoption 4

        Contre 12

L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

M. Maxime Gremetz. Ce n'est pas possible ! Vous êtes cinq en séance ! Avec les délégations, ça fait dix ! Il y a quelqu'un qui a voté deux fois !

M. Jean-Claude Lenoir. Un de nous est parti !

M. Maxime Gremetz. Mais non ! J'ai bien vu ! Le sujet est grave, et ça mériterait un rappel au règlement ! En tout cas, je vais demander chaque fois un scrutin public !

M. le président. Si vous comptez les parlementaires de la majorité, monsieur Gremetz, vous constaterez qu'ils sont six.

M. Dominique Dord, rapporteur. Moi aussi, j'ai voté !

M. Maxime Gremetz. Mais non, le rapporteur n'a pas voté ! J'ai tout vu !

M. le président. En tout état de cause, monsieur Gremetz, le résultat du vote n'aurait pas été changé et il n'appartient à personne d'autre qu'au président de vérifier...

M. Maxime Gremetz. Mais si ! Il appartient à Maxime Gremetz de vérifier le nombre de ses collègues en séance ! (Sourires.) Comme on ne peut recevoir qu'une délégation de vote et que mes collègues sont si peu nombreux, c'est facile.

M. le président. Six fois deux, ça fait douze, monsieur Gremetz.

M. Maxime Gremetz. D'accord, mais j'ai bien vu que le rapporteur n'avait pas voté. C'est l'astuce qu'il a trouvée pour arriver au chiffre six. Une fois, ça passe, mais pas deux !

M. Jean-Claude Lenoir. C'est une menace ?

M. le président. La présidence sera très attentive, soyez en sûr, monsieur Gremetz.

Je suis saisi d'un amendement n° 10.

La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour le soutenir.

M. Frédéric Dutoit. Nous voulons, avec cet amendement, renforcer la protection des salariés et faire du licenciement économique l'ultime recours de l'entreprise. L'amendement propose de rendre obligatoire dans les entreprises de plus de cinquante salariés l'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi à partir de deux licenciements, au lieu de dix actuellement, et d'affirmer que l'élaboration de ce plan relève de la responsabilité exclusive de l'employeur.

Il s'agit d'atteindre deux objectifs : d'une part, étendre le champ du contrôle en amont car 15 % seulement des licenciements font l'objet de plans sociaux, donc 85 % y échappent ; d'autre part, mettre un terme à la pratique de la négociation des plans sociaux dont les effets néfastes ne sont plus à démontrer et qui procède d'un mélange des genres et de l'hypocrisie. S'agissant d'un moment déterminant pour la vie de l'entreprise et de ceux qui la font vivre et prospérer, la clarté sur les responsabilités des uns et des autres doit au contraire s'imposer.

Aujourd'hui, il faut annoncer le licenciement de neuf salariés au moins pour être obligé de présenter un plan social si bien qu'en amont, les entreprises en annoncent toujours moins de dix licenciements : trois fois neuf, ou trois fois huit, quatre fois huit ou dix fois deux ! Elles font tout ce qu'elles peuvent pour éviter de présenter la moindre mesure d'accompagnement et cela arrive à représenter jusqu'à 80 % ou 85 % des licenciements économiques ! Il faut par conséquent traiter à la fois la question des plans de licenciement abusifs à grande échelle, pour des raisons boursières, et celle des licenciements que les grandes entreprises décident à petites doses, de façon répétée. Aussi voulons-nous rendre obligatoire dans les entreprises de plus de cinquante salariés l'établissement d'un plan social à partir de deux licenciements.

M. Maxime Gremetz. Très bien !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Dominique Dord, rapporteur. La commission a donné un avis défavorable à l'amendement. Certes, un licenciement devient collectif dès que deux personnes sont concernées, mais le plan de sauvegarde de l'emploi, qui constitue l'apport principal de la procédure de licenciement économique, est une mesure collective. Et pour prendre toute sa dimension et tout son sens, elle doit impliquer plus de deux individus. À deux, on reste dans le cadre de mesures individuelles.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux relations du travail. Je partage l'analyse et l'avis de M. le rapporteur. Il appartiendra à la négociation interprofessionnelle d'en fixer les modalités et le seuil. Il s'agit du genre de sujet qui fait débat actuellement, et je ne peux m'empêcher de rappeler l'importance de la dimension collective du plan de sauvegarde pour l'emploi.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 10.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 11.

La parole est à M. Maxime Gremetz, pour le soutenir.

M. Maxime Gremetz. Cet amendement vise à préciser, conformément à la jurisprudence, la portée des obligations des employeurs. Beaucoup d'entre eux, en effet, s'acquittent a minima de leurs obligations de reclassement ; et certains même pas du tout. Nous l'avons malheureusement vu avec Moulinex : un an après le plan dit social, de nombreux salariés étaient encore à la recherche d'un emploi. Mais c'est vrai aussi chez Magneti Marelli, et chez tant d'autres. Pour éviter que les employeurs ne se défilent devant cette obligation, il est proposé d'inscrire dans la loi que les mesures du plan de sauvegarde de l'emploi doivent « être pertinentes au regard des objectifs recherchés », afin qu'elles soient réellement à la hauteur du préjudice subi par le salarié. Il faut rehausser le niveau qualitatif des reclassements au regard des résultats obtenus ces dernières années : bien souvent, les salariés se retrouvent à l'ANPE, et certains d'entre eux sont toujours à la recherche d'un emploi.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Dominique Dord, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable, non pas tant sur le fond - d'une certaine manière, cet amendement ne fait que reprendre le contenu d'une jurisprudence très constante - que parce que cet amendement est assez largement satisfait par l'article 112 de la loi de modernisation sociale, qui n'a pas été suspendu. Si les partenaires sociaux, à l'issue de la discussion qu'ils ont engagée, veulent pérenniser la jurisprudence et la sacraliser par la loi, pourquoi pas ? Mais il est prématuré de le faire aujourd'hui.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux relations du travail. Même avis. Il appartient à la négociation de fixer les futures règles en ce domaine.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 11.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 12.

La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour le soutenir.

M. Frédéric Dutoit. J'espère, monsieur le ministre, que vous nous ferez pas toujours la même réponse, en renvoyant à la négociation collective.

Avec cet amendement, nous entendons accorder des droits nouveaux, en permettant à tout salarié concerné de saisir le conseil des prud'hommes en cas de contestation de la conformité du plan social et d'obtenir la suspension de la procédure de licenciement, notamment si l'employeur n'a pas respecté l'obligation de négociation comme préalable à l'établissement dudit plan social. Plutôt que de réserver exclusivement la saisine au comité d'entreprise et aux délégués du personnel, nous proposons ainsi d'ouvrir ce droit à tout salarié concerné de manière à laisser toute latitude au juge qui pourra ainsi être saisi en cas de refus de l'employeur de négocier de manière loyale et sérieuse. Il n'est pas prévu de saisine du juge des référés qui doit faire face à l'ensemble des cas de figure qui peuvent se présenter. L'utilité de cet amendement tient aussi au rappel de la compétence du juge des référés prud'homal.

Nous entendons donc compléter la législation en renforçant les obligations de consultation du comité d'entreprise ou des représentants des salariés en amont de tout plan social. Nous sommes favorables à l'amélioration de la législation qui ordonne et organise le débat contradictoire sur les projets de restructuration, préalablement à toute procédure de licenciement économique collectif. Nous souhaitons même lui conférer une réelle efficacité en dotant les élus du personnel et les syndicats d'un droit de contestation pour faire prendre en compte leurs avis et leurs propositions. Le cas échéant, le juge des référés pourrait prendre une mesure immédiatement exécutoire pour contraindre la direction de l'entreprise à interrompre tout projet de réduction d'emploi, qui semblerait illicite ou infondé au regard des critiques et des autres choix présentés par les salariés.

En effet, ces derniers ne doivent pas seulement avoir le droit à la parole, ils doivent aussi pouvoir infléchir les choix arrêtés unilatéralement par les conseils d'administration ou de surveillance. La jurisprudence est, sur ce point, éclairante, et nous voulons créer un véritable droit d'intervention pour les salariés et tous les syndicats. Trop souvent, le jugement définitif sur le fond intervient longtemps après le terme de la procédure de licenciement, parfois trois ou quatre ans après la fermeture d'un site ou la rupture d'un contrat de travail. Il faut donc statuer bien avant.

On nous dit qu'il faut préserver les détenteurs du capital financier et leur laisser le droit de licencier car ils risquent de perdre leur mise, et c'est pourquoi leur participation est légitime dans la gestion de l'entreprise. Mais, parce que les salariés risquent de surcroît d'y perdre leur avenir, on ne comprendrait pas que leur participation aux décisions ne soit pas structurellement organisée. Toutes les formes de capital doivent présider aux destinées de l'entreprise et c'est le but de notre amendement.

M. Maxime Gremetz. Très bien !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Dominique Dord, rapporteur. Défavorable. Je me demande même si donner un caractère suspensif aux actions en contestation d'un plan social va dans le sens de l'intérêt et de l'attente des salariés qui, souvent, souhaitent au contraire bénéficier rapidement des mesures prévues.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux relations du travail. Avis défavorable. En effet, je vous renvoie encore une fois, pardonnez-moi, monsieur Dutoit, à la négociation nationale. Faire du juge l'alpha et l'oméga, alors que c'est dans la négociation que réside l'intérêt des salariés de l'entreprise, ne me paraît une bonne formule.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 12.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    2

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR PRIORITAIRE

M. le président. M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement la lettre suivante :

                  « Paris, le 21 juin 2004.

« Monsieur le président,

« J'ai l'honneur de vous informer qu'en application de l'article 48 de la Constitution, et de l'article 50, alinéa 2 du règlement de l'Assemblée nationale, le Gouvernement modifie comme suit l'ordre du jour de l'Assemblée nationale :

« Mardi 22 juin, l'après-midi après les questions au Gouvernement et le soir :

« Suite du projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières ;

« Mercredi 23 juin, l'après-midi après les questions au Gouvernement et le soir ;

« Suite de l'ordre du jour de la veille.

« Je vous prie d'agréer, monsieur le président, l'expression de mes sentiments les meilleurs. »

L'ordre du jour prioritaire est ainsi modifié.

    3

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Ce soir, à vingt-deux heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, n° 1661, modifiant les articles 1er et 2 de la loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003 portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques et relative au recouvrement, par les institutions gestionnaires du régime d'assurance chômage, des prestations de solidarité versées entre le 1er janvier et le 1er juin 2004 aux travailleurs privés d'emploi dont les droits à l'allocation de retour à l'emploi ont été rétablis :

Rapport, n° 1673, de M. Dominique Dord, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, n° 1613, relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières :

Rapport, n° 1659, de M. Jean-Claude Lenoir, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire ;

Avis, n° 1668, de M. Bernard Carayon, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures trente.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot