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Première séance du mercredi 30 juin 2004

279e séance de la session ordinaire 2003-2004



PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

    1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe socialiste.

CHÔMAGE

M. le président. La parole est à Mme Hélène Mignon.

Mme Hélène Mignon. Monsieur le Premier ministre, les chiffres du chômage, rendus publics ce matin, font état de 20 000 chômeurs supplémentaires, ce qui porte le taux des demandeurs d'emplois à 9,8 % de la population active, et ce taux atteint, pour les jeunes de moins de vingt-cinq ans, près de 21 %.

M. Lucien Degauchy. Les 35 heures !

Mme Hélène Mignon. Le Gouvernement a annoncé, par la voix de M. Borloo, que pas moins de quatre millions de personnes étaient aujourd'hui éloignées de l'emploi.

Parce que ces mesures émanaient du gouvernement Jospin, vous avez supprimé les emplois-jeunes, abandonné le programme TRACE, réduit les CES et les CEC (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)...

M. Alain Marsaudon. Cela n'a rien à voir !

Mme Hélène Mignon. ...et vous les avez remplacés par des contrats « jeunes en entreprise » dont on sait que les bons résultats de la première année, dus à un effet d'aubaine, ne seront pas confirmés, et par le CIVIS, que l'on attend toujours. Vous avez accompagné ces mesures par une baisse du budget du travail et par une diminution, quand ce n'est pas la disparition, des subventions versées aux associations qui s'occupent d'insertion et de réinsertion par le travail.

Votre politique de l'emploi n'a aucune cohérence et n'est en rien solide. Mais vous affectez tout à coup de redécouvrir les bienfaits du traitement social de l'emploi sans, pour autant, vous en donner les moyens si ce n'est en faisant appel aux collectivités locales et, contrairement à vos engagements précédents, en excluant de l'effort le secteur marchand.

En dépit de la gravité et de l'urgence de la situation, vous maintenez votre décision d'annuler 650 millions de crédits pour 2004 et votre engagement financier pour 2005 se réduit à un milliard d'euros.

Les 800 000 contrats destinés aux jeunes, et qui s'étalent sur cinq ans, s'ajoutent-ils aux 350 000 contrats d'apprentissage existants ? Si oui, quels moyens supplémentaires accorderez-vous aux régions ?

Qu'en est-il des contrats d'activité confiés aux communes qui, très proches du RMA, sont estimés à 250 000 par an ? S'agit-il d'une mesure supplémentaire ou sont-ils destinés à remplacer les CES et les CEC ? Vous estimez leur coût, sur cinq ans, à 5,2 millions d'euros, y compris, selon vos propres termes, par redéploiement ! Quels sont, monsieur le ministre, les moyens nouveaux effectivement mobilisés en faveur de cette mesure ? N'allez-vous pas, une fois encore, mettre à contribution les départements ?

Enfin, quelles solutions proposerez-vous aux associations qui œuvrent pour l'insertion sociale et professionnelle et qui se retrouvent étranglées par vos derniers choix budgétaires en matière de politique de la ville ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué aux relations du travail.

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail. C'est exact, madame la présidente Hélène Mignon, les chiffres du mois de mai témoignent de 20 300 inscriptions supplémentaires à l'ANPE, et le taux de chômage s'est stabilisé à 9,8 % de la population active. Nous l'avions d'ailleurs annoncé. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Cette évolution est liée - l'analyse des chiffres le montre clairement - à la réintégration des « recalculés ».

M. Albert Facon. Vous les aviez fait sortir des comptes du chômage. Vous aviez eu peur !

M. le ministre délégué aux relations du travail. Mais, en même temps - ô paradoxe - 500 000 offres d'emploi restent non pourvues ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Et c'est à ce paradoxe que nous nous attaquons par le biais du plan de cohésion sociale. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Premièrement, nous nous attachons à rapprocher l'offre et la demande d'emplois par la rénovation du service public de l'emploi.

Deuxièmement, nous avons pris l'engagement avec les partenaires sociaux de mettre en place des dispositifs qui nous permettront de sortir de l'approche sclérosante prévalant en ce domaine (« Baratin ! » sur les bancs du groupe socialiste). Nous devons profiter de la relance de la croissance, estimée à 2,3 % cette année, pour créer une dynamique de création d'emplois et remettre sur le chemin de l'emploi ceux qui en sont exclus depuis bien longtemps. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

PLAN DE COHÉSION SOCIALE

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. François Rochebloine. Monsieur le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, vous avez présenté ce matin un plan de cohésion sociale destiné aux plus fragiles de nos citoyens, qu'ils soient jeunes sans emploi, bénéficiaires du RMA ou du RMI. Le groupe UDF soutiendra toute initiative qui tendra à lutter contre l'exclusion et la pauvreté et toute politique qui permettra de cicatriser une fracture sociale qui, malheureusement, perdure.

M. Gérard Bapt. Il serait temps !

M. François Rochebloine. Beaucoup a déjà été dit sur le traitement social du chômage. Des dizaines de plans ont été proposés qui, malheureusement, n'ont pas réussi, ce qui a accentué le sentiment d'abandon et le désespoir éprouvés par une partie de notre population.

Face au désarroi et au scepticisme des Français sur la capacité des élus à combattre l'exclusion, vous n'avez pas le droit, monsieur le ministre, d'échouer car rien ne serait pire pour notre société qu'une nouvelle illusion perdue. Ma question est simple : en quoi votre plan est-il différent des précédents, lesquels n'ont que rarement donné les résultats escomptés et promis ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Comme vous l'avez indiqué, monsieur Rochebloine, les six ministres concernés ont présenté ce matin au Gouvernement et au Président de la République un plan de cohésion sociale qui pourrait également s'appeler plan de cohésion nationale.

Ce qui nous anime, c'est à la fois un sentiment d'humilité (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste)...

M. Jean Marsaudon. C'est ce qui a manqué aux socialistes !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. ... l'enthousiasme et la détermination. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

En quinze ans, la dépense de protection sociale française a globalement doublé pour devenir la deuxième d'Europe, avec des résultats pour le moins décevants. Je citerai quelques chiffres que personne ne contestera : en quinze ans, le nombre de bénéficiaires du RMI a triplé, le délai d'attente pour un logement social a été multiplié par quatre, les actes racistes référencés aussi, alors que nous sommes le pays d'Europe qui présente le plus de métiers sous tension et pénuriques et le peuple le moins bien préparé aux grandes mutations démographiques de demain.

L'objectif de notre plan est d'examiner lucidement et objectivement, sans jeter d'anathèmes, les actions passées. Un certain nombre de dispositifs ont existé. Le RMI a quinze ans. Considéré à sa création comme une avancée sociale, on en connaît aujourd'hui les caractéristiques et les défauts et il faut, à l'évidence, corriger ces derniers. Ce n'est pas un contrat, il n'offre pas un revenu suffisant, ce n'est pas une vraie activité permettant de nouer des liens de travail, il ne permet ni formation ni qualification. Pire encore, il ne rompt pas l'isolement. Nous préférons créer un contrat d'activité, stabilisé, conclu avec les partenaires locaux, offrant une réactivité, une nouvelle chance et une nouvelle qualification.

M. Bernard Derosier. Avec quels moyens ?

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Telles sont, fondamentalement, l'organisation et la philosophie du plan. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Certains chercheront à engager une polémique sur le traitement social de l'emploi. Acceptons plutôt de reconnaître que nous avons collectivement échoué ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Avec un taux d'activité de nos jeunes de 26 % - contre 56 % en Europe - nous sommes forcés, les uns et les autres, à un peu de modestie !

M. Jean Le Garrec. Montrez l'exemple !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Nous n'en sommes qu'à la phase de présentation du plan. Mais, avant d'ouvrir la négociation, il fallait un engagement sur cinq ans afin que nos partenaires sachent, année par année, ligne par ligne, ce vers quoi nous pouvons aller. Si le Président de la République, qui est en charge de l'essentiel, s'est personnellement engagé sur ce plan de cohésion nationale, c'est que l'essentiel est en jeu ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

PRISONS

M. le président. La parole est à M. François Liberti, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains .

M. François Liberti. Monsieur le garde des sceaux, en ce mois de juin , soixante parlementaires ont visité trente de nos prisons et leur constat confirme celui de l'Observatoire international des prisons et du Comité de prévention contre la torture de l'Union européenne, qui qualifient les conditions de détention dans les prisons françaises d'« inhumaines et dégradantes ». En 2000, les deux commissions d'enquête de l'Assemblée nationale et du Sénat avaient qualifié l'état de nos établissements pénitentiaires de « honte pour la République ».

Du fait de votre politique ultra-sécuritaire, tous les indicateurs sont aujourd'hui au rouge, avec 63 500 détenus pour 48 600 places. Jamais dans notre histoire, sauf pendant la guerre, il n'y a eu autant de personnes en prison, le taux d'occupation de nos établissements dépassant les 200 % ! Ils manquent cruellement de surveillants et de personnels chargés du suivi social et de la réinsertion. Les peines alternatives à l'emprisonnement sont au point mort, aggravant fortement les risques de récidive, notamment chez les jeunes. Alors que l'on a été étrangement bienveillant pour M. Papon ou M. Le Floch-Prigent, les dispositions législatives relatives à la libération des détenus malades restent inaccessibles aux personnes atteintes de maladies graves.

En outre, comme j'en ai moi-même fait l'expérience à la maison d'arrêt de Villeneuve-les-Maguelonne, des instructions ont été données pour réduire le contact des parlementaires avec les détenus. Rien dans la loi ne le justifie.

Monsieur le ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour moins emprisonner, notamment les personnes en attente de leur jugement (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), mieux utiliser les peines alternatives, suspendre la peine des détenus gravement malades, utiliser la procédure des libérations conditionnelles, répondre aux besoins des personnels ? Qu'attendez-vous pour inscrire à l'ordre du jour de notre assemblée la proposition de loi n° 98, adoptée en 2001 par le Sénat, relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires ? Allez-vous enfin donner des instructions pour que le droit de visite des parlementaires soit pleinement respecté ? Allez-vous faire cesser cette humiliation pour la République ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. La question que vous soulevez, monsieur le député, doit être abordée hors de tout esprit polémique. Je trouve très positif que tous les parlementaires qui le souhaitent puissent aller se rendre compte de la situation dans les prisons, ne serait-ce que pour témoigner à l'administration pénitentiaire de la considération du Parlement. Ses personnels assument en effet, en dépit des difficultés actuelles, leur devoir avec fermeté mais aussi beaucoup d'humanité. Je tenais à leur rendre hommage. Nous pouvons les en remercier. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Je rappellerai brièvement les actions que j'ai engagées.

Premièrement, il faut, en effet, construire de nouvelles prisons car la situation actuelle, chacun en conviendra, n'est pas satisfaisante. D'où le lancement du plan 13 000 places.

Deuxièmement, j'ai mis en place un plan de recrutement massif de surveillants : 2 000 personnes sont recrutées chaque année depuis deux ans, ce qui permet d'avoir des effectifs au complet dans presque tous les établissements. Je compte poursuivre cet effort au cours des trois prochaines années. Il est indispensable pour permettre un fonctionnement normal de nos établissements.

Troisièmement, comme beaucoup d'entre vous en ont exprimé le souhait, le Gouvernement développe les mesures alternatives à l'emprisonnement : alors que seuls trente-cinq bracelets électroniques étaient en fonctionnement à mon arrivée au ministère, on en compte aujourd'hui 750. Mon objectif est d'arriver à au moins 2 000 personnes sous bracelet électronique mais, comme vous le savez, la décision d'un juge est à chaque fois nécessaire. Les moyens matériels sont en place : les décisions appartiennent désormais aux juges. Je souhaite également développer les travaux d'intérêt général et les mesures de semi-liberté.

Telles sont les orientations principales de mon action.

Enfin, comme j'ai donné des instructions en ce sens, il me paraît essentiel que l'administration pénitentiaire prenne l'initiative de proposer la libération des prisonniers gravement malades. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

ACCOMPAGNEMENT DE LA FIN DE VIE

M. le président. La parole est à M. Jean Leonetti, pour le groupe UMP.

M. Jean Leonetti. La question s'adresse à M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Elle est posée au nom de l'ensemble des députés de la mission sur l'accompagnement de fin de vie, que je souhaite associer au travail qui s'est terminé ce matin.

Chacun d'entre eux a su, au-delà de ses convictions personnelles et des clivages politiques, apporter des propositions concrètes et aboutir à un équilibre de consensus sur le sujet difficile de la mort. Je voudrais remercier les membres de l'opposition : députés communistes et républicains, socialistes, les non-inscrits et les membres de la majorité UDF-UMP.

À la suite du drame du jeune Vincent Humbert, deux députés, l'un de la majorité Nadine Morano, et l'autre de l'opposition, Gaëtan Gorce, avaient souligné la nécessité de dépasser les clivages sur ces problèmes de société, afin de parvenir à des solutions consensuelles.

En huit mois, la mission a auditionné plus de quatre-vingts personnes, effectué des voyages en Hollande, en Belgique, étudié les législations et réglementations des pays voisins. Aux termes de ses travaux, la mission a refusé à la fois le statu quo, source d'hypocrisie et de dérives et écarté la solution de l'euthanasie.

Monsieur le ministre, la mission propose aujourd'hui une solution originale qui répond à l'ensemble des demandes de nos concitoyens, pour mieux écouter, respecter, accompagner la volonté des patients et sécuriser en même temps les bonnes pratiques médicales, en particulier en matière d'acharnement thérapeutique.

Nous proposons que dans certains cas, on puisse accepter de laisser mourir, sans jamais faire mourir, et que l'on soit dans une société capable à la fois de respecter la vie et d'accepter la mort.

Les membres de la mission ont cosigné, ce matin, une proposition de loi qui va dans ce sens.

Monsieur le ministre, nous aimerions savoir si le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin et vous-même accepterez de légiférer sur ce problème difficile de la mort. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé et de la protection sociale.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale. Monsieur Leonetti, vous abordez un sujet très douloureux et délicat, celui de l'accompagnement des malades en fin de vie.

Permettez-moi d'abord de féliciter et de remercier l'ensemble des membres de la mission. Ils ont travaillé, au-delà des clivages politiques, pour parvenir à des propositions concrètes.

Nous avons trois devoirs envers ces malades-là.

Le premier d'entre eux consiste à renforcer leurs droits, en particulier ceux des malades conscients. Il faut leur permettre de choisir des soins palliatifs à la place des soins curatifs, leur donner la possibilité de refuser une dernière cure de chimiothérapie quand c'est totalement terminé ou de choisir une pompe à morphine quand ils le souhaitent.

Le second devoir, sans doute le plus difficile, mais auquel je crois profondément, est de faire accepter par notre société que le confort du malade, la lutte contre la douleur passent avant la durée de vie restante - et je pèse mes mots.

Le troisième devoir concerne les malades inconscients. L'arrêt d'un traitement sera décidé non par un médecin, mais par un collège de médecins et acté par écrit, en toute transparence. Il faut, lorsque c'est possible, prendre en considération l'entourage et les souhaits exprimés par la personne lorsqu'elle était encore consciente.

Il s'agit là plus d'un problème de conscience que de loi. Mais il est vrai qu'après le travail de votre mission, nous sommes prêts, avec le Premier ministre, à légiférer sur vos propositions. Car, au-delà de tous les clivages, nous sommes, je crois, tous ensemble capables de répondre à ce douloureux problème. Toutes les familles en France sont intéressées par ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française, ainsi que sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

RECHERCHE

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, pour le groupe UMP.

M. Jean-Luc Warsmann. Monsieur le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, vous avez mis fin, il y a environ trois mois, à la crise dans le monde de la recherche en attribuant des postes supplémentaires, ensuite en prenant la décision de lancer une grande réflexion nationale portant sur l'avenir et l'organisation de la recherche française.

Des états généraux de la recherche se tiennent à Paris comme en province. Hier, le comité national présidé par les professeurs Brezin et Beaulieu vous a remis un rapport d'étape.

Quelles grandes idées se dégagent de cette réflexion nationale des chercheurs ?

Quel est votre calendrier ? Quand comptez-vous présenter le projet de loi d'orientation et de programmation de la recherche, qui tirera les conclusions de cette grande concertation nationale ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, au mois de mai dernier, François d'Aubert et moi-même avons passé un contrat avec les chercheurs.

Nous avons accepté de répondre positivement à toutes leurs demandes pour 2004, en échange de leur engagement d'ouvrir une vraie réflexion sur une vraie réforme de la recherche publique.

Pour le moment en tout cas, le contrat est respecté. Des procédures permettant aux postes créés d'être pourvus avant la fin de l'année ont été mises en œuvre. Le comité d'initiative et de proposition présidé par MM. Beaulieu et Brezin nous a remis hier un pré-rapport.

Ce pré-rapport montre que les états généraux n'ont pas été réunis pour rien. Il contient de vraies propositions, capables de moderniser en profondeur notre recherche publique. Je citerai quelques exemples.

Le pré-rapport propose de revoir l'organisation des carrières des chercheurs et des enseignants-chercheurs pour qu'elles soient moins linéaires. C'était un des sujets qui ont déclenché la crise, au début de l'année. Le comité d'initiative et de proposition s'engage sur la voie d'une évaluation des chercheurs et des enseignants-chercheurs qui soit réellement internationale. Il propose également la création d'un comité d'orientation stratégique chargé de définir les grandes priorités de la recherche nationale. J'avais créé un tel comité d'orientation stratégique en 1994, mais il fut supprimé ensuite par un de mes successeurs.

Nous tiendrons nos engagements financiers dans le projet de loi de finances pour 2005, comme le Premier ministre et le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie l'ont rappelé. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Ensuite, les premières propositions des chercheurs devront déboucher sur un vrai plan de réforme, qui nous permettra de soumettre au Parlement, à la fin de l'année ou au début de l'année suivante un vrai projet de loi d'orientation sur la recherche.

Le comité d'initiative et de proposition constate dans son pré-rapport qu'il n'y aura pas de réformes de la recherche sans moyens supplémentaires. C'est vrai. Mais il est tout aussi vrai qu'il n'y aura pas de moyens supplémentaires sans réforme. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

PLAN DE COHÉSION SOCIALE

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Nicolas, pour le groupe UMP.

M. Jean-Pierre Nicolas. Monsieur le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, l'harmonie d'une société dépend essentiellement de sa cohésion sociale. C'est elle qui fait sa force, forge sa confiance dans l'avenir, sa confiance dans la prospérité économique et sa prospérité sociale, lesquelles sont indissociables.

Il existe de nombreux volets sur lesquels il est nécessaire d'agir pour cimenter cette indispensable cohésion sociale : l'emploi, la formation, le logement, la politique de la ville, l'intégration, la lutte contre les exclusions, l'égalité des chances. Je le constate chaque jour dans ma circonscription d'Evreux.

Depuis trop d'années, des politiques successives se sont attaquées à ces problèmes, de manière parcellaire et cloisonnée, ce qui a conduit notre pays à investir annuellement environ 30 % de sa richesse nationale, soit 450 milliards d'euros, avec des résultats qui ne sont à la hauteur ni des enjeux, ni des efforts consentis.

Je rappelle que 400 000 jeunes sont toujours sans emploi et que la longueur des listes d'attente pour accéder à un logement social a été multipliée par quatre en quinze ou vingt ans.

Monsieur le ministre, sous l'impulsion du Président de la République vous avez, depuis plusieurs mois, travaillé activement à un plan de cohésion sociale nationale, que vous avez présenté ce matin au conseil des ministres, plan qui fixe le cap pour cinq ans. Pouvez-vous nous indiquer le contenu de ce plan ? Qu'apporte-t-il de nouveau en termes d'efficacité ? Quelles en sont les orientations stratégiques ? Quels objectifs lui ont été assignés ? Quel sera le calendrier de sa mise en œuvre ? De quels moyens disposez-vous pour orchestrer et cordonner l'ensemble des actions prévues dans ce plan ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Monsieur Nicolas, il est vrai que la cohésion sociale française était en danger. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Plusieurs députés du groupe socialiste. « est » en danger !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. La crise du logement n'arrive pas par hasard. Si l'Abbé Pierre s'exprime cinquante ans après son appel historique, c'est parce que nous avons atteint un record de non-construction de logements sociaux : moins de 40 000 logements sociaux en 1999. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Francis Delattre. C'est la vérité !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Ce plan de cohésion sociale repose sur trois piliers : l'emploi, le logement, l'égalité des chances.

Les services collectifs de l'emploi seront améliorés, qu'il s'agisse de la prévision, de l'information, de la formation, et de la mise en rapport des entreprises et des salariés.

M. Christian Bataille. Baratin !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Le traitement passif, si j'ose dire, c'est le contrat d'activité et formation pour les adultes.

Pour les jeunes, nous détenons le record d'inactivité au niveau européen.

M. Christian Bataille. Bateleur !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Les jeunes bénéficieront de contrats d'alternance, mais débouchant sur une véritable activité, privée ou publique. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Henri Emmanuelli. 8 % de RMIstes supplémentaires !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. La politique du logement est fondamentale, tant pour le logement social que pour le parc privé.

Le propriétaire privé verra sa créance locative reconnue et renforcée avec des injonctions. Les détenteurs des logements du parc privé ont peur et sont inquiets. C'est une des raisons de la crise du logement.

L'égalité des chances est fondamentale, d'abord pour les villes. Un certain nombre de villes supportent toutes les charges socio-urbaines. Elles n'en peuvent plus. La DSU sera doublée en cinq ans pour ces agglomérations, quelle que soit leur couleur politique de Grigny à Montfermeil ou à Clichy-sous-Bois.

M. Henri Emmanuelli. N'importe quoi !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. L'égalité entre les petits enfants dès la maternelle ! Il faut détecter les difficultés le plus tôt possible, pour aider les plus fragiles.

La charte de la diversité proposera un plan pour assurer l'égalité des chances à l'embauche.

Les moyens sont ceux dont dispose tout un pôle social - pas moins de six ministres ! Ce sont les moyens de tout le gouvernement, du Premier ministre.

M. Henri Emmanuelli. C'est du vent !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Le dialogue doit s'instaurer entre les partenaires sociaux, avec les régions, les départements, les collectivités locales, les collecteurs de la taxe d'apprentissage, pour réarchitecturer le pays.

Mme Martine David. Baratin !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Des moyens stabilisés pendant cinq ans sont nécessaires. Car, s'il existe un domaine où le stop and go est impossible, c'est le social.

S'il y a un domaine où l'on n'a pas le droit de jouer avec des CES de six mois (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) pour gérer les statistiques du chômage, c'est bien le social. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Henri Emmanuelli. 8 % de RMIstes en plus, voilà la cohésion sociale !

RACHAT DE LA SOCPRESSE PAR LE GROUPE DASSAULT

M. le président. La parole est à M. Michel Francaix, pour le groupe socialiste.

M. Michel Françaix. Monsieur le ministre de la culture et de la communication, ma question concerne le rachat de la Socpresse par le groupe Dassault.

J'ai beaucoup hésité car j'avais d'abord l'intention de poser cette question à Mme la ministre de la défense, puisque ce sont les deux entreprises leaders de l'armement, Lagardère et Dassault, qui sont à la tête des deux plus grands groupes de presse de l'Hexagone. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

C'est sans doute pour ce gouvernement la façon de pratiquer l'exception culturelle à la française. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Ainsi donc, pour l'écrit, après le rachat d'Editis par M. Seillière, les mauvaises nouvelles tombent en rafale. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

La prise d'assaut de soixante-dix publications, dont Le Figaro, l'Express et un tiers de la presse quotidienne, ne devrait pas, monsieur le ministre, vous laisser indifférent.

Je pourrais me contenter de vous faire part des inquiétudes légitimes des rédactions de ces journaux, qui ne veulent pas se transformer en instruments de pouvoir au service d'un homme ou de ses amis politiques (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

L'exemple du Républicain de l'Essonne, dirigé par M. Dassault et de L'Oise libérée Dimanche dirigé par son fils, notre collègue Olivier Dassault, sont bien présents pour illustrer mes propos.

Le plus inquiétant est ailleurs. Le groupe Dassault a bien évidemment une culture financière, mais n'a aucune culture de presse. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Au lieu de professionnaliser légitimement un secteur vital pour notre démocratie (Mêmes mouvements), il se contentera de nuire au pluralisme et d'uniformiser un peu plus l'information dans notre pays. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Monsieur le ministre, que pensez-vous d'entreprises de presse se contentant d'investissements productifs, se bornant à revendre « par appartement » les titres déficitaires, de groupes dont la vocation première n'est pas l'information et qui vivent des commandes de l'État, grâce à un lobbying savamment organisé ?

Je souhaite qu'un libéralisme de mauvais aloi ne vous laisse pas inerte. Je compte sur votre détermination, monsieur le ministre, pour que l'écrit, dans notre pays, ne se résume pas à un support publicitaire, où la rentabilité régira les choix rédactionnels. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe des députés-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Votre question, monsieur Françaix, appelle de ma part plusieurs réactions.

Pour commencer, je constate avec regret que, face aux difficultés financières que rencontre le monde de la presse et de l'édition, votre seule réponse consiste, une fois de plus, à pratiquer la politique de l'amalgame (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et de nous faire un procès en sorcellerie. (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Le pluralisme, monsieur le député, a besoin de moyens financiers pour demeurer une réalité concrète.

Et puisque vous évoquez la prise de contrôle de la Socpresse par le groupe Dassault, rappelons que notre droit - chacun ici devrait y être attaché - protège la liberté d'expression et le pluralisme. Sur le plan national, le dispositif anticoncentration mis en place par l'article 11 de la loi du 1er août 1986 relative au régime juridique de la presse, que vous n'avez pas modifié, est respecté...

M. Henri Emmanuelli. C'est incroyable !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...dans la mesure où la Socpresse n'atteint pas le seuil de 30 % de possession de quotidiens d'information politique et générale.

Sur le plan du droit de la concurrence ensuite, la Commission européenne a donné son autorisation le 17 juin dernier au rachat de la Socpresse par le groupe Dassault,...

M. Jean-Pierre Brard. Tout va bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...à la seule condition que celui-ci cède La Vie financière.

M. Henri Emmanuelli. On est sauvés !

M. le ministre de la culture et de la communication. Enfin, la Socpresse, et c'est normal, a déclaré ouverte la clause de cession ; aux termes du code du travail, cette garantie peut être invoquée individuellement par tout journaliste. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Cessez de vous comporter en inquisiteurs et de jouer sur les peurs, les psychoses et les fantasmes !

M. Henri Emmanuelli. Tu parles !

M. le président. Monsieur Emmanuelli, allons !

M. le ministre de la culture et de la communication. Je voudrais vous rappeler, en guise de conclusion, deux éditoriaux célèbres, parus dans Le Monde en mai 1968, le premier sous le titre : « La presse est-elle une marchandise ? », et le second, comme en écho, sous le titre : « La presse est-elle une liberté ? ». Eh bien, pour le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, c'est précisément l'alliance de la liberté d'expression et de la réalité économique et financière qui concourt au pluralisme. (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Cela vous dérange, mais c'est la réalité ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

FORMATION DES FORCES DE SÉCURITÉ IRAKIENNES

M. le président. La parole est à M. Axel Poniatowski, pour le groupe UMP.

M. Axel Poniatowski. Madame la ministre de la défense, le transfert des pouvoirs au gouvernement intérimaire irakien est intervenu avant-hier, au moment où s'ouvrait le sommet de l'OTAN. Le même jour, le Conseil de l'OTAN s'est prononcé pour le principe d'une formation de l'armée et de la police irakiennes, en précisant que celle-ci sera dispensée par les États en tant que tels, dans la mesure où l'Alliance ne dispose pas dans ce domaine de moyens spécifiques.

La France, tout en refusant l'envoi de forces armées sur place, a depuis neuf mois proposé d'entraîner et de former des contingents irakiens dès lors que la demande émanerait des Irakiens eux-mêmes. En effet, la solution n'est pas de faire venir des forces militaires supplémentaires de l'extérieur, mais bien de faire en sorte que les Irakiens puissent assurer eux-mêmes leur sécurité avec leurs propres militaires et policiers.

La décision de la France de participer à cette formation sera appréciée de la très grande majorité des Irakiens et des pays arabes avoisinants ; cette région reste un enjeu important pour la France. Après quarante ans de dictature et dix-huit mois de tutelle étrangère, l'Irak est en passe de devenir un État souverain reconnu, mais au destin encore incertain. Il nous faut lui souhaiter, ainsi qu'aux Irakiens, bonne chance et bonne route.

Madame la ministre, dans quels domaines, de quelle manière et pour quelles spécialités la France envisage-t-elle d'apporter son assistance ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la défense.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Ainsi que vous venez de le signaler, monsieur Poniatowski, l'autorité provisoire de la coalition vient de transférer ses pouvoirs au gouvernement intérimaire irakien. Il s'agit là d'un pas important vers le transfert de souveraineté, conformément, du reste, à la résolution 1546 adoptée à l'unanimité par le Conseil de sécurité des Nations unies. De ce fait, les forces de sécurité irakiennes sont désormais aux ordres du gouvernement intérimaire irakien.

À Istanbul, les chefs d'État et de gouvernement ont proposé de participer à la formation de ces forces de sécurité. Mais il va de soi que celle-ci s'effectuera pour l'essentiel de manière bilatérale. Pour sa part, vous l'avez rappelé, la France s'est depuis longtemps déclarée prête à y participer, en liaison avec les Allemands et les Japonais, pour peu que la demande émane d'un gouvernement irakien souverain et légitime et que la formation se déroule dans le cadre et sous le contrôle des Nations unies.

Les modalités de notre éventuelle participation sont actuellement à l'étude, notamment au sein de la gendarmerie, pour tout ce qui touche aux forces plus particulièrement dédiées au contrôle de manifestations, au maintien de l'ordre et plus généralement à la sécurité publique. La formation pourrait être dispensée soit en France, soit dans un pays tiers.

En l'état actuel des choses, le gouvernement irakien n'a pas encore formellement précisé les éléments qui l'intéresseraient plus particulièrement. Ceux-ci devront bien entendu être pris en compte. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

AGRICULTURE BIOLOGIQUE

M. le président. La parole est à M. Martial Saddier, pour le groupe UMP.

M. Martial Saddier. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

À la demande des conseils des ministres « agriculture » de l'Union européenne de juin 2001 et de décembre 2002, le plan d'action européen pour l'agriculture biologique préparé par la Commission a été examiné la semaine dernière par les ministres européens de l'agriculture.

Au niveau national, monsieur le ministre, vous avez annoncé le 4 février dernier une série de mesures en faveur du développement de l'agriculture biologique, dans le cadre d'un plan quinquennal. Un an plus tôt, vous aviez créé et mis en place la commission nationale de l'agriculture raisonnée et de la qualification des exploitations, présidée par notre collègue Antoine Herth, marquant ainsi un véritable tournant dans la prise en compte de l'impact de l'agriculture sur l'environnement. On peut dire qu'il existe aujourd'hui une véritable dynamique de développement durable dans la politique agricole française, soutenue à l'échelle européenne.

Compte tenu du fait que votre plan national et le plan européen pour l'agriculture biologique présentent de nombreux points communs, mais également une relative complémentarité et une certaine homogénéité, comment analysez-vous, monsieur le ministre, l'apport de la France - rapports parlementaires, plan d'action national, plan d'action européen ? Pouvez-vous nous faire part de votre analyse des conséquences de ces travaux et des mesures arrêtées en faveur de l'agriculture biologique sur le terrain et des acteurs de cette filière ? Pouvez-vous enfin nous expliquer comment s'articulera la mise en œuvre de ces différents plans ? (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Vous avez, monsieur Saddier, remis l'année dernière un rapport au Premier ministre, qui montrait bien que la France, en tête de l'agriculture biologique il y a une quinzaine d'années, n'est plus que le treizième pays européen dans ce domaine. C'est la raison pour laquelle nous avons mis en place, au mois de février, ce plan quinquennal en faveur de l'agriculture biologique, qui accroît les financements, par le biais des contrats d'agriculture durable, destinés à favoriser la conversion « bio » des exploitations agricoles, qui réaffirme le rôle de l'agence « bio » et qui appelle à un développement des interprofessions ainsi que des actions de communication.

À l'évidence, il nous faut également agir au niveau européen. Nous sommes, vous l'avez dit, en train de travailler au plan d'action européen pour l'agriculture biologique. Un premier document de travail a été publié par la Commission le 10 juin dernier ; c'est le résultat de nombreuses contributions de divers États membres, dont la France. Ce premier document nous semble constituer une bonne étape pour enraciner la politique d'agriculture biologique dans la politique agricole commune, sachant que l'un des sujets essentiels reste l'harmonisation des aides nationales en vue notamment d'assurer la pérennité des exploitations « bio », particulièrement - mais pas exclusivement - dans la filière laitière.

Mais notre plan comporte un deuxième volet, auquel travaille Nicolas Forissier dans le cadre du partenariat national pour les industries agroalimentaires. Car ce qui compte pour cette filière, ce n'est pas seulement que l'on produise du bio, mais également qu'on le consomme. Les consommateurs veulent du bio ; malheureusement, la communication n'est pas toujours parfaite, la régularité des approvisionnements pas toujours assurée et la labellisation peut parfois brouiller les messages. Autant de sujets sur lesquels nous nous penchons avec Nicolas Forissier ; ce plan sera rendu public dès cet automne. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

PLURALISME DE LA PRESSE

M. le président. La parole est à M. Didier Mathus, pour le groupe socialiste.

M. Didier Mathus. Monsieur le ministre de la culture et de la communication, la défense du pluralisme de la presse est une mission impérieuse du Gouvernement. Elle mérite mieux que la réponse que vous avez faite à Michel Françaix ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - M. Bayrou applaudit également. -Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Manuel Valls. C'était honteux !

M. Didier Mathus. J'observe d'ailleurs que, en matière de concentration des médias, vous ne vous êtes pas, contrairement à ce que vous affirmez, contenté de ne rien faire. J'en veux pour preuve ce qui s'est passé dans le secteur de la télévision avec la loi dite « paquet Télécoms » laquelle, à votre initiative, a ajouté à une directive européenne toute une série de dispositions qui constituent autant de cadeaux déposés aux pieds des deux grands groupes de télévision privée : Bouygues, propriétaire de TF1, et Bertelsmann qui possède désormais M 6.

Le panier des offrandes est copieux. Je n'en énumérerai que les principales : le bouquet satellitaire commun TPS qui se voit doté d'une sorte de droit régalien de vie et de mort sur les réseaux du câble ; l'autorisation de pomper la manne publicitaire locale à l'occasion des décrochages régionaux ; la possibilité de cumuler chaînes nationales et chaînes locales ; le relèvement de tous les seuils anticoncentration...

M. Philippe Briand. Ce qui compte, c'est la satisfaction des téléspectateurs !

M. Didier Mathus. Quant au projet de télévision numérique terrestre, qui menaçait leur rente de situation, il a finalement été aménagé pour leur plus grand intérêt...

Au moment où le service public renoue, à Radio France ou à France 2, avec les vieilles pratiques du gaullisme audiovisuel (Protestations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), au moment où M. Ernest-Antoine Seillière prend le contrôle d'une bonne partie de l'édition française,...

M. Gérard Bapt. Scandaleux !

M. Didier Mathus. ...dont la totalité des livres scolaires, au moment où M. Dassault rachète la Socpresse afin de promouvoir, dit-il, « des idées saines et positives », (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), au moment où vous démantelez toutes les protections démocratiques contre la concentration dans les médias, l'inventaire de votre action, ou de votre inaction, est rude ! La presse française, qu'elle soit écrite, télévisée ou radiophonique, est désormais aux mains des principales sociétés d'armement ou de BTP (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), qui vivent d'ailleurs pour l'essentiel de commandes publiques.

M. Pierre Lellouche. Mais c'est totalement faux !

M. le président. Monsieur Lellouche, je vous en prie !

M. Didier Mathus. Le seul groupe privé qui ne soit pas dans cette situation est désormais, grâce à vos soins, intégralement contrôlé par le groupe allemand Bertelsmann, devenu actionnaire majoritaire de M 6 et de RTL...

Ma question est toute simple, monsieur le ministre : trouvez-vous cette situation normale dans un pays démocratique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le député, il faut que les choses soient claires ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Le respect du pluralisme est une grande valeur pour nous ! (Même mouvement.)

C'est pour en témoigner que j'étais présent, contrairement à beaucoup d'entre vous, aux cent ans du journal L'Humanité (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste.) et ce n'était pas évident pour un membre de la majorité présidentielle !

M. Philippe Briand. Bravo !

M. le ministre de la culture et de la communication. Quand j'entends vos réactions, mesdames et messieurs de l'opposition, j'ai envie de vous demander ce que vous pensez des déclarations du président du conseil régional du Languedoc-Roussillon. Ne portent-elles pas atteinte au pluralisme culturel ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Je n'accepte pas la caricature sur des sujets aussi sérieux.(Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous avons veillé, lors de l'examen de récentes dispositions législatives, à ce qu'il y ait un bon équilibre entre le secteur audiovisuel public et privé. Quant aux précautions que nous avons prises concernant la télévision numérique terrestre, elles sont destinées à protéger les futurs téléspectateurs et à leur donner l'assurance que les progrès de la technologie leur seront immédiatement profitables.

M. Christian Bataille. Grotesque !

M. le ministre de la culture et de la communication. Nous veillons aussi à ce que notre action pour l'audiovisuel, s'agissant des recettes publicitaires, ne menace pas le pluralisme de la presse écrite auquel nous sommes, les uns et les autres, très attachés.

M. Christian Bataille. Vous le bafouez !

M. le ministre de la culture et de la communication. Dans les semaines qui viennent, nous aurons d'ailleurs à débattre de recettes supplémentaires pour l'audiovisuel public. C'est vous dire que je suis particulièrement attaché, tout comme le Premier ministre et mes collègues du gouvernement directement concernés, à une offre audiovisuelle qui, sur le plan de la liberté d'expression, de la diversité démocratique et de l'offre culturelle, soit la plus large possible.

Sur ces sujets-là, je crois que vos leçons sont particulièrement déplacées. Vous n'êtes pas en mesure de nous donner un seul exemple d'une tutelle directe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Je ne suis pas le ministre de l'information, mais celui de la communication ! Et bien que non issu de la famille gaulliste, mais respectueux des valeurs du général de Gaulle, je vous dirai que pour moi, les valeurs du gaullisme sont celles de la Résistance, de la liberté et du pluralisme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.- Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Henri Emmanuelli. Il a oublié l'ORTF ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE

M. le président. La parole est à M. Frédéric Reiss, pour le groupe UMP.

M. Frédéric Reiss. Ma question s'adresse à Mme la ministre de la parité et de l'égalité professionnelle.

L'égalité au travail est non seulement une question de justice, mais aussi, j'en suis convaincu, un facteur de performance économique.

M. Lucien Degauchy. Très bien !

M. Frédéric Reiss. Or à travail égal, les salaires des femmes restent inférieurs de 7 à 11 % à ceux des hommes, tandis que leur taux de chômage est de deux points supérieur à celui des hommes. Depuis votre arrivée au gouvernement en 2002, madame la ministre, vous travaillez à corriger un certain nombre de ces disparités par des échanges approfondis que vous n'avez eu de cesse de mener avec les entreprises et les partenaires sociaux.

Vos efforts se sont concrétisés par la signature d'un accord avec les partenaires sociaux, le 1er mars dernier, sur l'égalité professionnelle. Lundi, vous avez lancé à Matignon avec M. le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, le label Égalité, en présence de nombreux chefs d'entreprise, de partenaires sociaux et de parlementaires. Ce label vise à distinguer les entreprises particulièrement exemplaires en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Je souhaiterais, madame la ministre, que vous informiez la représentation nationale sur les modalités de sa mise en œuvre.

Comment sera-t-il attribué aux entreprises ? Les administrations et les associations pourront-elles également en bénéficier, au même titre que les entreprises ? Quels critères avez-vous retenus pour apprécier les résultats obtenus ? Quand les premiers labels seront-ils attribués ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la parité et de l'égalité professionnelle.

Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle. Oui, monsieur le député, vous avez raison, il faut en finir avec un système qui a généré tant d'inégalités. Au moment où nous entrons dans une société de croissance fondée sur le capital humain, au moment où le Gouvernement, sur l'impulsion du Premier ministre, engage une politique de cohésion sociale dont je ne citerai qu'un exemple, celui de l'augmentation du SMIC décidée ce matin en conseil des ministres, plus 5,8 %, il faut faire progresser l'égalité professionnelle.

Pourquoi ? Parce que l'égalité professionnelle est la voie de la modernité.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. On ne veut pas de label, on veut des actions !

Mme la ministre de la parité et de l'égalité professionnelle. Parce qu'elle est un facteur de productivité économique et un vecteur de cohésion sociale.

Je sais à quel point, monsieur le député, cet important enjeu de société vous tient à cœur, et je vous remercie de votre question. Ce label est en effet « l'exemplarité gagnante ». Il est la marque distinctive des entreprises qui se seront résolument engagées sur ce terrain. Chacun le sait, les hommes et les femmes constituent la force d'une nation (Rires sur plusieurs bancs du groupe socialiste), la force de l'économie moderne.

Mme Huguette Bello et Mme Chantal Robin-Rodrigo. On n'a pas besoin de label !

Mme la ministre de la parité et de l'égalité professionnelle. Et au regard des inégalités malheureusement persistantes depuis vingt ans, il faut impérativement se doter d'outils modernes.

Mme Huguette Bello. Ce n'est pas avec un label qu'on y arrivera !

Mme la ministre de la parité et de l'égalité professionnelle. Vous m'interrogez aussi sur sa procédure de mise en œuvre, monsieur le député. Elle est simple et rigoureuse. Sur la base de dix-huit critères, une commission nationale composée de partenaires sociaux et de représentants de l'administration attribuera le label pour trois ans.

Ce label rigoureux permettra aux consommateurs et aux consommatrices d'évaluer la réalité de l'engagement des entreprises sur ce plan. J'ajoute qu'il est le résultat du dialogue social avec les partenaires sociaux.

Mme Huguette Bello. Ce label, c'est une honte.

Mme la ministre de la parité et de l'égalité professionnelle. La concertation existe sur ce sujet. La France des entreprises s'engage. Ce sera une première européenne, qui permettra à la France d'esquisser son modèle social.

Mme Huguette Bello. C'est une insulte aux femmes !

Mme la ministre de la parité et de l'égalité professionnelle. Nous nous devons de soutenir cette initiative, pour le bien des femmes et des hommes. En aucun cas, elle ne doit nous laisser indifférents. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

RÉNOVATION URBAINE

M. le président. La parole est à M. Philippe Cochet, pour le groupe UMP.

M. Philippe Cochet. Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'État à l'intégration et à l'égalité des chances.

Jean-Louis Borloo a annoncé ce matin, en conseil des ministres, la réforme de la dotation de solidarité urbaine, dans le cadre du plan de cohésion sociale.

M. Patrick Roy. Encore du pipeau !

M. Philippe Cochet. Chacun sait que la rénovation de nos quartiers passe par une augmentation des ressources des communes, qui sont prises en tenaille entre les charges socio-urbaines, écrasantes, et leurs ressources propres, anémiées.

Pouvez-vous, madame la secrétaire d'État, donner à la représentation nationale des précisions sur cette réforme ? Comment cette enveloppe évoluera-t-elle ? Comment sera-t-elle distribuée ? Enfin, qu'en sera-t-il des communes les plus pauvres ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État à l'intégration et à l'égalité des chances.

Mme Catherine Vautrin, secrétaire d'État à l'intégration et à l'égalité des chances. Vous avez raison, monsieur le député, un certain nombre de villes accumulent les dysfonctionnements et les difficultés financières. Il est temps d'en finir. Tel est le sens de la réforme de la dotation de solidarité urbaine que nous souhaitons mettre en œuvre avec Jean-Louis Borloo dans le cadre du plan de cohésion sociale. Je tiens à vous préciser que nous avons beaucoup travaillé avec le comité des finances locales. Cette réforme s'inscrit dans le cadre de la réforme des dotations.

Il est indispensable de placer les communes qui ont de vraies difficultés au cœur de cette réforme, comme celles qui comptent des zones franches urbaines ou des zones urbaines sensibles, bref les zones qui accumulent les dysfonctionnements.

Il était normal que le supplément de budget aille à ces communes, c'est tout le sens de la réforme. Je tiens néanmoins à préciser que les communes qui bénéficient de la DSU la conserveront au même niveau. En d'autres termes, il n'y aura pas de perdant. C'est aussi cela l'équilibre de la réforme.

Concrètement, il s'agit d'attribuer de véritables dotations en capital, c'est-à-dire de permettre à ces communes de s'en sortir. Pour ce faire, quelque 120 millions d'euros supplémentaires par an sur une période de cinq ans seront dégagés.

M. Henri Emmanuelli. Cinq ans !

Mme la secrétaire d'État à l'intégration et à l'égalité des chances. Nous passons ainsi de 600 millions à un objectif de 1,2 milliard d'euros dans cinq ans.

Je me permets de rappeler à ceux qui font mine de s'indigner, qu'en 2001, la DSU n'a pas été augmentée. Alors, un peu de modestie, mesdames et messieurs de l'opposition ! Certains ont rêvé d'une réforme de la DSU, nous, nous l'avons faite, avec le Premier ministre et Jean-Louis Borloo ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

La séance est suspendue.


Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Jean Le Garrec.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN LE GARREC,

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

    3

ASSURANCE MALADIE

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à l'assurance maladie (nos 1675, 1703).

Question préalable

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Jean-Marie Le Guen, pour une durée ne pouvant excéder une heure trente.

M. Jean-Marie Le Guen. Monsieur le président, monsieur le ministre de la santé et de la protection sociale, monsieur le secrétaire d'État à l'assurance maladie, mes chers collègues, des conversations de famille aux discussions sur les lieux de travail, la santé est considérée par nos concitoyens comme leur bien le plus précieux. Les enquêtes d'opinion placent la pérennité de notre système de soins au cœur de leurs préoccupations.

Mais au-delà de ce lien intime par lequel chaque homme est confronté à lui-même, la santé est aussi un bien collectif. L'ethnologue Claude Lévi-Strauss a maintes fois montré dans ses ouvrages que l'état d'une société se jugeait aussi à la façon dont ses membres prennent soin de leur corps. Pour la plupart des démographes, l'amélioration de l'espérance de vie pour une nation constitue l'indice le plus probant du progrès de la civilisation.

En ce début de siècle, pour nous, Européens, la santé reste le critère dominant du contrat social, en ce qu'il allie l'action collective à la promotion de l'épanouissement personnel.

La garantie d'un système de soins financé équitablement par tous, l'exigence de la qualité et de l'accessibilité à tous les niveaux de l'acte médical ont pu être développées jusqu'à nos jours. Le respect des droits des malades, conforté et revisité ces dernières années, notamment dans notre pays par la loi du 4 mars 2002 de Bernard Kouchner, renforce l'excellence et l'identité même d'une protection sociale dont nous considérons avec fierté qu'elle est la meilleure du monde.

Mais la santé n'est pas qu'un concept abstrait ou une aspiration collective, ce sont aussi des hommes et des femmes, des professionnels de toutes compétences qui participent à une activité humaine passionnante, exigeante, à une démarche de recherche qui fait réfléchir l'homme sur son essence, son potentiel, ses faiblesses, ses souffrances et ses limites. La promotion de la santé est une œuvre collective qui nourrit la justice et la richesse dans notre société.

Pour s'adapter aux changements survenus depuis deux siècles avec la fameuse naissance de la clinique, notre système de soins a su associer avec intelligence savoir scientifique et pluralisme d'approche. Dans nos sociétés, il fait partie d'un rapport culturel. Certes, la démarche de santé s'appuie sur des bases scientifiques indiscutables, mais il serait dangereux de céder à la vaine tentation de mettre en équation la relation entre le malade et son médecin. Dans ce domaine plus que dans tout autre, on touche en effet à la complexité de l'humain, à des comportements d'autant moins prévisibles que l'être souffre.

Alors que, sans cesse, certains veulent persuader les Français de revenir sur leurs droits sociaux, il faut réaffirmer qu'une société d'indifférence envers les plus âgés, d'exclusion des plus jeunes, d'individualisation à outrance n'a rien d'une fatalité. Que des réformes soient nécessaires, c'est évident. Encore faut-il admettre que la part de la richesse nationale consacrée à la santé est appelée à croître. Ce n'est ni une tragédie ni une entrave insurmontable, à condition de ne pas orienter la discussion vers de fausses pistes mais de mettre en œuvre de véritables réformes. La démagogie et la dissimulation ne favoriseront pas la résolution des problèmes.

Rappelons d'abord que les dépenses de santé sont aussi des recettes de croissance, puisque 10 % de notre produit national brut en dépendent désormais. Elles génèrent des emplois qualifiés, tant auprès des particuliers que dans les hôpitaux, les laboratoires, la recherche et l'industrie. Le secteur économique de la santé présente la particularité de développer une gamme d'emplois aux qualifications les plus diverses et difficilement délocalisables. D'une façon générale, l'essor de l'emploi est le meilleur moyen de colmater le déficit de la sécurité sociale, comme le gouvernement de Lionel Jospin en a fait hier la démonstration. Cent mille chômeurs en moins représentent un milliard d'euros de cotisations en plus.

En son temps, Pierre Laroque, le père de la sécurité sociale, estimait que, pour réaliser une protection universelle, il fallait entreprendre « une politique économique commandée par le souci du plein emploi ; une politique d'équipement sanitaire et d'organisation médicale en prévenant la maladie, d'abord, en la soignant, ensuite ; une politique de répartition des revenus tendant à modifier la répartition du jeu aveugle des mécanismes économiques ». Cette ambition est plus que jamais d'actualité. Mais vous êtes malheureusement loin, monsieur le ministre, de cette inspiration.

La réforme de notre assurance maladie doit pourtant donner la priorité à la réorganisation du système de santé pour qu'il reste accessible à chacun, même le plus pauvre et le plus malade d'entre nous.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale. C'est vrai !

M. Jean-Marie Le Guen. Mettre en œuvre une politique de santé est un défi stimulant, qui doit être abordé avec enthousiasme...

M. Yves Bur, président de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'assurance maladie. C'est ce que nous faisons !

M. Jean-Marie Le Guen. ...mais aussi avec sérieux, humilité et constance.

M. Yves Bur, président de la commission spéciale. C'est tout à fait notre état d'esprit !

M. Richard Cazenave. Avec des propositions, ce serait bien !

M. Jean-Marie Le Guen. La présente majorité gouverne depuis deux ans et il faudra attendre encore 2007, c'est-à-dire trois ans, avant qu'une autre, quelle qu'elle soit, la relaie.

M. Yves Bur, président de la commission spéciale. Quel pessimisme !

M. Jean-Marie Le Guen. C'est dire l'importance du débat d'aujourd'hui, non seulement pour le Gouvernement et pour la majorité, mais aussi pour chacun d'entre nous : parlementaires qui auront à voter et Français qui seront directement concernés dans leur vie quotidienne. Il est certain que les Français ne se satisferont pas longtemps d'artifices et de faux-semblants. La réforme mérite mieux que des engagements éphémères, bientôt abandonnés pour courir d'autres chimères. Mais votre projet, monsieur le ministre, peut-il être qualifié de réforme ?

Confronté au dérapage financier qu'il a laissé se développer pendant deux ans, votre prédécesseur a souhaité engager une réflexion préalable à l'établissement d'un diagnostic partagé des problèmes de l'assurance maladie. Pour cela, il a institué le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie. Alors que ses travaux devaient s'attacher en priorité aux aspects financiers, il est rapidement apparu que cette approche était insuffisante, qu'il fallait s'interroger sur le fonctionnement de l'assurance maladie. Couvre-t-elle les besoins des Français ? Son fonctionnement est-il efficace ? Mais ce niveau de réflexion élevé et novateur s'est à son tour révélé insatisfaisant pour comprendre les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Nous devons en effet nous interroger sur les inégalités persistantes en matière de santé, notamment en termes d'espérance de vie ou de surmortalité précoce qui frappent encore notre pays, ou sur la qualité de la production des soins et sur celle de notre système de santé que nous considérons comme le meilleur du monde.

L'analyse a confirmé de très graves insuffisances : la persistance d'inégalités sociales et géographiques, des retards dans l'accès aux soins que la couverture sociale de l'assurance maladie ne suffit pas à combler, et surtout l'existence insuffisamment mesurée de manques de qualité dans la production de soins, alors même que nous pouvons attester de la haute compétence de la plupart de nos professionnels et de la qualité de nos plateaux techniques. Il faut aussi reconnaître un malaise persistant depuis de nombreuses années parmi tous les acteurs de santé, singulièrement les personnels soignants, alors que des efforts non négligeables ont été consentis depuis plusieurs années en matière de rémunération et de moyens. Enfin, la mauvaise allocation des moyens et des ressources est évidente, alors qu'il s'agit d'une des plus importantes dépenses de la nation.

Ce diagnostic partagé décrit au total des problèmes financiers récurrents, une assurance maladie appréciée et légitime mais devenue un peu poussive au regard de l'accumulation des difficultés auxquelles elle doit faire face, des dysfonctionnements de l'offre de soins qui ne prend pas suffisamment en compte les problèmes de qualité. Il a permis de faire converger des acteurs qui s'opposaient sur ces sujets depuis des années. Le Haut conseil a donc mis au cœur de ses recommandations une réforme de notre système de santé, c'est-à-dire de l'organisation des soins.

La réforme dont notre pays a besoin n'est donc pas d'abord financière, elle concerne en premier lieu la nécessaire évolution des structures de l'offre de soins. Le rôle des pouvoirs publics est de faciliter et d'accompagner la modernisation de l'appareil de soins, sauf à le laisser au marché, ce qui, dans le domaine de la santé, est facteur d'inégalités et de hausse des coûts, ainsi que les expériences étrangères l'ont montré.

Nous devons donc préciser les enjeux de ce qu'il convient d'entendre par « réforme structurelle ». Dans votre discours, monsieur le ministre, vous faites sans cesse référence à des problèmes de comportement. Ainsi, il n'y aurait rien à changer dans les structures, seuls les individus, acteurs ou patients, devraient évoluer. Mais si certains comportements des assurés ou des médecins doivent certainement être mis en cause, toutes les études montrent qu'ils ne sont pas au cœur des difficultés.

Si les Français savent que la sécurité sociale rencontre des problèmes financiers, ils ont plus de mal à saisir les difficultés relatives à l'organisation des soins.

Car parler de la médecine et de l'organisation des soins apparaît très souvent à nos concitoyens comme complexe ou technique, sans doute parce que le fonctionnement de la médecine comporte encore pour nombre d'entre eux une dimension mystérieuse qu'il n'est pas facile de surmonter.

Certaines faiblesses de notre système de santé sont pourtant désormais bien identifiées. Notre système est essentiellement tourné vers le curatif et ne tient pas assez compte de la prévention. Encore faut-il bien préciser ce que l'on doit désormais entendre par prévention. C'est, bien sûr, le dépistage ou les vaccinations ; c'est aussi l'action sur l'environnement - l'eau, l'air, l'alimentation, les conditions de vie et de travail - ; c'est encore l'action des pouvoirs publics sur les comportements - le tabac, l'alcool, les pratiques sexuelles. Mais ce n'est plus seulement cela aujourd'hui. Avec l'évolution des connaissances et des maladies, soins et prévention s'entremêlent de plus en plus. Aujourd'hui, la prévention doit aussi prévenir ou retarder, par des soins, l'aggravation de l'état de santé, gérer en quelque sorte la santé de nos concitoyens, engager la réadaptation après un traumatisme, ou encore fournir à chacun l'éducation et l'information adaptées.

Mais, désormais, les défauts de notre offre de soins ne résultent pas seulement de l'insuffisance de la prévention.

À l'image de tous les pays développés, notre pays est confronté à une crise majeure de modernisation de son système de santé bien plus qu'à un problème majeur de couverture sociale. Il s'agit en fait de passer d'une forme d'organisation de notre système de santé à une autre ou, plus précisément encore, de passer d'une offre de soins cloisonnée, morcelée, et distribuée sans cohérence à un système organisé autour des besoins du patient. Dans ce siècle nouveau, il faut prendre conscience des évolutions considérables qui doivent affecter l'organisation des soins.

Nos populations ont changé. Elles sont plus âgées et désormais mieux éduquées, transformant ainsi leur rapport à la maladie et au médecin. Les malades changent dans leur comportement, dans leurs attentes et dans leur maladie.

Les pathologies ont évolué. Elles sont aujourd'hui fréquemment chroniques et multiples. Elles nécessitent l'intervention d'acteurs différents, successifs et parfois continus, - le médecin, l'hôpital, le service social et l'ensemble des professions de santé.

Le savoir médical s'est transformé. Beaucoup plus vaste, il se renouvelle beaucoup plus rapidement ; il est aussi plus segmenté dans ses spécialités.

La pratique médicale proprement dite est potentiellement bouleversée par les révolutions techniques de la société de l'information et demain par la généralisation de la biomédecine.

Hier, la pratique médicale était essentiellement curative ; le médecin exerçait son art de façon isolée, par des décisions et actes qui relevaient de sa propre initiative. Il se trouvait le plus souvent dans une relation asymétrique avec son patient qui recevait passivement des soins. La formation du médecin, validée une fois pour toutes par son diplôme, nourrissait son expérience personnelle. Son savoir et sa pratique se référaient essentiellement à la déontologie. Son engagement professionnel était assimilé à une vocation.

Désormais, le médecin devra le plus souvent exercer en groupe. Sa pratique sera intégrée dans des réseaux de soins plus ou moins formels, rassemblant plusieurs professionnels afin de permettre, au bénéfice du patient, le décloisonnement entre la ville et l'hôpital, le médical et le social. Il aura vocation à gérer globalement la santé de ses patients. Le médecin s'appuiera en permanence sur des référentiels de bonne pratique établis dans des conférences de consensus pour lesquelles lui-même ou son confrère aura été sollicité et qui seront un garant de la qualité des soins.

Dans sa relation avec le malade, il interviendra autant en matière de prévention que de soins et prendra en compte, comme un atout thérapeutique et non comme une défiance, le respect des droits des malades. Il s'appropriera de façon collective les processus d'évaluation et la formation continue.

Bref, il faut changer notre modèle de production de soins, passer d'un mode individuel et aléatoire à une pratique plus collective et plus organisée sans pour autant porter atteinte à la responsabilité du médecin et à son libre choix.

Ces évolutions sont aussi la réponse à l'existence, la plupart du temps non mesurée et sous-estimée, de la non-qualité des soins. Dans ce domaine, le plus souvent les professionnels ne sont pas individuellement en cause. C'est le système, ou plus exactement l'absence de système, qui fait défaut.

La non-qualité, c'est l'absence ou la non-application des références médicales, c'est surtout l'absence de coordination et d'organisation des soins.

Cette non-qualité, apparemment croissante, est d'ailleurs l'une des causes majeures de l'inflation des dépenses de santé. La non-qualité, c'est d'abord des vies humaines mais c'est aussi de l'argent, par les coûts indirects qu'elle induit - la nécessité de réparer ce qui a été mal fait, les actes et les prescriptions inutiles ou inappropriées, la répétition pour cause d'absence de coordination, les pertes de chances par défaut de continuité des soins - mais aussi par l'insatisfaction qu'une pratique chaotique fait naître chez les professionnels et le découragement que cela provoque. Dans toutes les expériences qui ont été menées, qualité et efficience vont de pair.

Depuis près de vingt ans que ces problèmes sont posés, qu'avons-nous fait collectivement ? Peu de choses en vérité, même si l'on doit noter avec intérêt les initiatives prises en 1992 par René Teulade, ministre et ancien président d'une mutualité ouverte et soucieuse de ses valeurs.

L'initiative majeure en matière de régulation du système de soins prise ces dernières années, même si certains cherchent aujourd'hui à l'oublier, fut le plan Juppé. Ce plan, reposait sur deux idées : l'une, bonne et qu'il faudra défendre, est le refus de décrocher le niveau des dépenses de l'assurance maladie de celui des dépenses de santé.

M. Philippe Rouault. C'est bien de le réaffirmer !

M. Jean-Marie Le Guen. C'est ce que vous remettez en cause aujourd'hui.

M. Richard Cazenave. Ah bon ?

M. Jean-Marie Le Guen. L'autre, qui s'est révélée erronée à bien des égards, est celle de l'enveloppe fermée imposée par la maîtrise comptable.

M. Claude Évin. On va la réintroduire !

M. Jean-Marie Le Guen. La contrainte financière extérieure devait obliger le système à se réformer de l'intérieur. Cette réforme a échoué. L'enveloppe fermée n'a jamais vraiment fonctionné, tant aux plans juridique et financier que politique. Loin de provoquer les évolutions nécessaires, cette réforme a généré un blocage des comportements. Ce rappel, même si je sais qu'il est douloureux pour certains d'entre vous, n'a pourtant rien de polémique.

À ceux qui nous demandent ce qu'a fait le gouvernement de Lionel Jospin entre 1997 et 2002...

M. Philippe Rouault. Rien !

M. Jean-Marie Le Guen. ...il suffit de rappeler que, pour l'essentiel, nous avons géré cette situation...

M. Philippe Rouault. Vous n'avez rien géré du tout !

M. Jean-Marie Le Guen. ...sans la changer, ce que vous nous reprochez apparemment.

M. Philippe Rouault. Vous avez laissé couler !

M. Jean-Marie Le Guen. Pourquoi ? D'abord parce que cette réforme venait tout juste d'être mise en œuvre lorsque nous sommes arrivés au pouvoir avec comme mandat premier la lutte contre le chômage.

M. Richard Cazenave. Grâce à la croissance mondiale ! Arrêtez votre cinéma !

M. Jean-Marie Le Guen. Nous avons remporté en la matière des succès qui vous rendent envieux, ce que nous comprenons.

M. Jean-Louis Idiart. La droite n'arrivera jamais à faire en cinq ans ce que nous avons fait !

M. Jean-Marie Le Guen. Ensuite, la réforme reposait sur un accord validé par une majorité de partenaires sociaux, y compris le MEDEF, dont on a peu entendu l'autocritique ces derniers temps.

Enfin, elle succédait à une politique menée entre 1993 et 1996 particulièrement dispendieuse et inefficace. Puissent, monsieur le ministre, ces rappels vous inciter à donner un peu moins de leçons sur le passé !

M. Philippe Rouault. C'est vous qui dites cela ?

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Quel souffle !

M. Jean-Marie Le Guen. Certes, j'ai bien noté que certains à droite, frappés lors de la dissolution de 1997 par la « révélation », entrèrent alors dans les transes de l'apostasie, reniant le plan Juppé, comme s'il n'avait jamais été le leur, profitant de ce moment pour s'égarer dans l'apologie d'un corporatisme débridé qui vous conduit encore aujourd'hui, mes chers collègues, à esquiver tout dialogue responsable avec les professionnels de santé.

M. Philippe Rouault. C'est faux !

M. Jean-Marie Le Guen. Pendant ce temps, nous mettions en œuvre et financions la CMU en maintenant la sécurité sociale hors des déficits. Avec la loi sur les droits des malades, nous introduisions une dimension essentielle dans la modernisation de notre système de santé.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ce n'est pas rien !

M. Jean-Marie Le Guen. On peut considérer aujourd'hui que la maîtrise comptable a failli. Mais cela ne veut pas dire que l'on peut se désintéresser des conséquences financières d'une démarche inspirée par la maîtrise médicalisée. On peut critiquer, et vous l'avez beaucoup fait ces derniers jours, les démarches technocratiques. On ne peut se soustraire à la réalité des chiffres.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bien sûr !

M. Jean-Marie Le Guen. Rompre avec la maîtrise comptable et prôner la maîtrise médicalisée, c'est ce que vous avez fait depuis 2002, et on a vu avec quel succès ! Aujourd'hui, il n'y a rien de neuf dans les principes de votre politique.

Comme vous aujourd'hui, votre prédécesseur restait sourd à nos avertissements sur l'impéritie des prévisions financières et le laxisme devant les dépenses. En fait, comme vous, aujourd'hui et demain, il préférait que la sécurité sociale reste en déficit car c'était le moyen d'imposer une politique de restriction des droits sociaux.

M. Alain Claeys. Tout à fait !

M. Jean-Marie Le Guen. Mais revenons à l'enjeu de ce que devrait être une vraie réforme. Entre hier et demain, le présent semble en effet hésiter. D'ores et déjà, beaucoup d'idées et d'initiatives sont à l'œuvre sur le terrain. L'enjeu de la réforme aurait dû être d'opérer la systématisation en se gardant d'une trop forte standardisation. La transformation de l'organisation des soins se heurte, en effet, à des obstacles de tous ordres : idéologiques d'abord pour ceux qui n'acceptent pas les valeurs de coopération et de partage que sous-tendront ces nouvelles pratiques, sociales ensuite car cette évolution mettra à jour des rentes de situation injustifiées, politiques enfin car il faut à la fois affronter certains réflexes corporatistes, investir dans l'avenir avant de tirer des bénéfices, s'engager dans la réforme y compris dans ses aspects les plus ingrats.

C'est ce courage qui vous fait défaut aujourd'hui. Pour mettre en œuvre cette orientation, il est en effet impératif de lever trois obstacles à la qualité des soins.

Premièrement, il faut renforcer le rôle du médecin traitant en lui permettant de valoriser la qualité de son acte par rapport à la quantité. Pour cela, il faut faire en sorte qu'il ne soit plus rémunéré exclusivement à l'acte mais qu'une partie substantielle de sa rémunération, au moins 30 % selon nous, soit forfaitisée pour encourager la continuité des soins.

M. Claude Evin. Absolument !

M. Jean-Marie Le Guen. Deuxièmement, il faut opérer le décloisonnement entre la ville et l'hôpital, en mettant en place des réseaux de soins et, pour cela, tendre vers une allocation unique des ressources que permet la mise en place des agences régionales de santé. La région est en effet le niveau efficace pour opérer la régulation et l'organisation de notre système de santé et mettre en place les réseaux.

M. Jean-Luc Préel. C'est bien, monsieur Le Guen ! vous progressez !

M. Jean-Marie Le Guen. Il faut enfin remettre l'industrie pharmaceutique à sa place. Nous consommons trop de médicaments.

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Mais c'est dans le texte !

M. Jean-Marie Le Guen. La liste est longue des surconsommations qui constituent un problème de santé publique et qui nous coûtent trop cher. Ainsi, sans raison particulière, notre pays est le deuxième pays au monde derrière les États-Unis en termes de coût par habitant de consommation de médicaments.

M. Yves Bur, président de la commission spéciale. Tout le monde est d'accord !

M. Jean-Marie Le Guen. Ramener ce coût à ce qu'il est en Allemagne n'est pourtant pas un objectif inatteignable ! Cela permettrait de baisser de 20 % le poids du médicament dans nos dépenses de protection sociale.

M. Richard Cazenave et M. Philippe Rouault. Vous êtes d'accord avec le projet de loi !

M. Jean-Marie Le Guen. Par ailleurs, sans doute par défaillance des pouvoirs publics, cette industrie est sortie de son champ de compétence premier pour prendre une place toujours plus importante dans l'information et la formation médicales et dans l'architecture globale du système et œuvrer ainsi d'une façon non conforme à l'intérêt général.

On le voit, la question de la réforme de l'organisation des soins dépasse largement le problème de la maîtrise médicalisée des dépenses qu'il convient néanmoins de mettre en œuvre.

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Ah !

M. Yves Bur, président de la commission spéciale. M. Le Guen est très positif !

M. Jean-Marie Le Guen. Il ne s'agit pas simplement d'introduire un bon usage des soins et de favoriser une bonne pratique, éléments nécessaires mais qui ne font que traiter les insuffisances et les déviances ponctuelles, il faut mettre en place un système organisé et global différent de celui qui existe aujourd'hui...

M. Philippe Rouault. C'est ce qui est proposé !

M. Jean-Marie Le Guen. ...tout en préservant certaines valeurs essentielles, au premier rang desquelles la liberté de choix du malade et la responsabilité du médecin.

C'est cette même démarche qui anime la plupart des réformes mises en œuvre aujourd'hui dans l'ensemble des pays développés, quel que soit leur niveau d'assurance maladie. Est-ce ce que vous nous proposiez, monsieur le ministre ? Pas le moins du monde !

M. Philippe Rouault. Vous n'avez pas lu le texte !

M. Yves Bur, président de la commission spéciale. Quelle mauvaise foi !

M. le président. Monsieur Bur, donnez l'exemple !

M. Jean-Marie Le Guen. Un peu de maîtrise médicalisée à la papa, de 1a culpabilisation des assurés à la grand-papa, des gadgets technologiques pour les enfants et des dettes pour les petits-enfants : voilà ce que vous proposez ! Quel sens de la famille ! Et vous appelez ça réformer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Pour la mise en œuvre d'une réforme de structure, les Français devront attendre un autre gouvernement qui n'aura pas peur de leur expliquer les vrais enjeux d'une réforme, de leur demander des efforts pour laisser aux générations futures un système de santé en état de bon fonctionnement plutôt qu'un monceau de dettes.

J'en viens à ma seconde interrogation sur cette réforme. Si tout le monde a compris qu'il ne s'agit pas de réformer notre système de santé et donc pas d'une véritable réforme de notre assurance maladie, peut-on espérer qu'il s'agit au moins d'un plan de financement ?

Tel pourrait être apparemment l'objet de ce plan à en juger par la dramatisation intensive à laquelle vous avez participé ces dernières semaines, mais je crains pour vous que cette opération ne soit en passe de vous retomber sur le bec !

Je commencerai par expliciter vos chiffres, pour les rapprocher ensuite de ceux des experts, y compris les plus bienveillants d'entre eux.

La dérive spontanée du déficit reconnue par le Haut conseil de l'assurance maladie est d'environ 2 milliards d'euros par an : 14 milliards cette année, 16 milliards l'année prochaine, 18 milliards en 2006, 20 milliards en 2007. Les recettes nouvelles que vous comptez instaurer, monsieur le ministre, et qui seront perçues dès le 1er janvier 2005, tournent autour de 4,2 ou 4,8 milliards d'euros tandis que la diminution des dépenses que vous attendez en 2007 est de 9,8 milliards. Je fais l'hypothèse, à mon avis, très optimiste que la croissance est linéaire. D'après ces chiffres, qui sont les vôtres,...

M. Jean-Marc Roubaud. Ce sont les chiffres !

M. Jean-Marie Le Guen. Ce sont ceux de M. Douste-Blazy, et pas ceux de la direction de la prévision !

Le déficit de l'assurance maladie en 2005 sera de 10,5 milliards d'euros, de 9,4 milliards en 2006 et de 5,4 milliards en 2007. Autrement dit, vous laisserez pour les trois années qui viennent une dette cumulée de plus de 25 milliards d'euros. Et ce sont vos propres chiffres !

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Bien sûr que non !

M. Jean-Marie Le Guen. Mais vous serez confronté à des dépenses nouvelles.

Je passe sur la mise en place du dossier médical personnel qui coûtera 300 millions d'euros d'investissement et 600 millions d'euros en fonctionnement chaque année. Je ne parle pas de vos promesses, que je crois fallacieuses, concernant le plan Hôpital 2007 ou les urgences, le fameux plan « urgences » qui revient tous les ans à la veille de l'été pour calmer l'angoisse légitime des urgentistes. Je ne tiens compte que des dépenses d'ores et déjà prévues dans les négociations ou de celles qui découlent de décisions qui ont été prises.

Ainsi, la classification des actes médicaux, dans sa partie technique, entraînera une dépense supplémentaire de 300 millions d'euros dans les semaines qui viennent. La classification des actes médicaux au plan clinique coûtera, quant à elle, au moins 500 millions d'euros supplémentaires. Les accords conclus en matière d'optique pour les enfants - et je ne vous le reproche pas - représenteront un surcoût de 300 millions d'euros. L'accord que la CNAM négocie sous votre autorité sur la permanence des soins coûtera 200 millions d'euros. Et je ne parle pas de ce qui est implicitement contenu dans votre plan : le DMP, la revalorisation apparemment nécessaire du CS consultant... Bref, le total des dépenses supplémentaires se monte à 1 ou 1,2 milliard d'euros, mais vous ne les avez pas comptées dans votre présentation.

Pour ce qui est des anticipations concernant la diminution des dépenses, les miennes viendront tempérer les vôtres car elles diffèrent quelque peu de celle de la direction de la prévision. Vous avez vraisemblablement surestimé la diminution des dépenses de 1 milliard en 2006 et de 2,6 milliards en 2007.

En conséquence, le déficit probable de l'assurance maladie sera de 11 milliards en 2005, de 11,5 milliards en 2006, et de 9,5 milliards en 2007, soit un besoin de financement total reporté sur les générations futures de 30 milliards d'euros, après les 35 milliards d'euros déjà reportés ces deux dernières années. Tout cela pour aboutir en 2007 à un déficit de 9,5 milliards d'euros, l'un des plus élevés que notre pays ait jamais connu. Voilà la réalité de votre plan, monsieur le ministre ! Et il n'y a pas eu un économiste pour prendre votre parti !

J'en viens à la CADES. Au 1er janvier 2004, la dette restant à apurer s'élevait à 38 milliards d'euros et elle doit s'éteindre fin janvier 2014. Respecter cette échéance à dix ans suppose une CRDS à un taux de 0,5 % et une assiette de 960 milliards, un peu plus large que celle de la CSG.

Le taux de charge de la dette principale, c'est-à-dire le coût des intérêts, est d'environ 35-40 %. Il faut prendre en compte la dette nouvelle de 35 milliards d'euros au titre des années 2002-2004 à laquelle s'ajouteront les déficits des années 2005 et 2006.

Sur la base du passé, la dette principale, 50 milliards d'euros, majorée des intérêts, atteindrait un montant total de 65 à 70 milliards d'euros. L'apurer prendrait treize à quinze ans de plus, ce qui nous amène vers 2027-2030. Mais il nous faut intégrer le déficit de 2007, monsieur le ministre, près de 10 milliards d'euros supplémentaires, ce qui recule encore l'échéance de trois ans. Mais il est peu probable que les choses se passent ainsi. À en croire les chiffres de la note de Bercy, il faudra encore amortir au moins 5 milliards de plus, soit encore deux ans de plus. L'extinction de la dette de la CADES est d'ores et déjà renvoyée à la fin des années 2030. On pourra dire que les années que nous vivons auront été les « années folles » du xxie siècle !

Dernière remarque, notre rapporteur, Yves Bur, qui entendait dénoncer l'« immoralité » qui consiste à reporter éternellement la dette sur les générations futures,...

M. Yves Bur, président de la commission spéciale. Dette à laquelle vous avez contribué !

M. Jean-Marie Le Guen. ...a proposé d'augmenter de 0,15 % le taux de la CRDS. Je comprends sa réaction, je la respecte et je la partage.

M. Jean-Marc Roubaud. Et qu'a fait le gouvernement Jospin ?

M. Jean-Marie Le Guen. Parlons-en ! Le gouvernement de Lionel Jospin a transféré la dette sociale des années 1996 et 1997, c'est-à-dire d'années où il n'était pas Premier ministre, à hauteur de 20 milliards de francs.

M. Jean-Marc Roubaud. Et il a été viré !

M. Jean-Marie Le Guen. Vous en êtes, vous, à 70 milliards d'euros, soit vingt fois plus ! Ce qui n'était pas très rigoureux dans le premier cas tourne au véritable scandale dans le second ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Je sais, c'est dur à entendre pour des parlementaires qui se veulent responsables de l'utilisation des deniers publics.

Chers collègues, le Gouvernement a fait de la question financière le motif de la réforme mais il n'apporte aucune solution crédible sur ce point, pas plus qu'en matière d'amélioration des soins. C'est, hélas, à un autre gouvernement qu'il reviendra de restaurer les finances de la sécurité sociale.

Pour inefficace que soit votre plan, monsieur le ministre, il n'en est pas moins dangereux.

M. Richard Cazenave et M. Hervé Mariton. Il faut choisir ! Les deux à la fois, ce n'est pas possible !

M. Manuel Valls. Jean-Marie Le Guen a raison !

M. Jean-Marie Le Guen. Votre sens de la nuance me déçoit, mes chers collègues. Je vous rappelle que c'est le cas de certains médicaments.

M. Richard Cazenave. Si des médicaments sont inefficaces, ils ne sont pas dangereux !

M. Jean-Marie Le Guen. Votre projet est d'abord dangereux parce qu'il est profondément injuste dans les efforts financiers demandés aux Français. Il prévoit des mesures très injustes, aux inconséquences très graves.

Dès janvier prochain, le Gouvernement imposera aux ménages un effort supplémentaire de 3,24 milliards d'euros sous la forme d'une augmentation de divers prélèvements. Je vous informe, monsieur le ministre, que vous allez augmenter la CSG sur les salariés.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il faut que les Français le sachent !

M. Jean-Marie Le Guen. Même si vous expliquez partout, sur toutes les télévisions, que vous n'augmentez pas la CSG. Vous n'avez pas dû lire la première ligne de votre dossier !

M. Jean-Marc Ayrault. Le ministre ne vous écoute pas, il ne s'intéresse qu'à son téléphone.

M. Jean-Marie Le Guen. C'est une habitude !
C'est peut-être pour ça qu'il ne travaille pas ses dossiers.

Quoi que vous puissiez en dire, monsieur le ministre, vous augmentez de plus de 1 milliard d'euros la CSG sur les salariés.

M. Jean-Marc Roubaud. C'est faux !

M. Jean-Marie Le Guen. Ah bon ! Et de 600 millions d'euros la CSG sur les retraités imposables, alors que vous venez de les taxer avec la mise en place de la caisse d'autonomie !

Les nouveaux prélèvements vont se combiner avec l'effet des déremboursements par transfert sur les assurances complémentaires. La franchise d'un euro sur les actes médicaux devrait, selon vous, rapporter 700 millions d'euros. Je ne sais pas comment considérer cette évaluation : ce chiffre est nécessaire pour votre financement mais il me paraît un peu exagéré. Une certitude, malheureusement, 300 millions d'euros proviendront du relèvement du forfait hospitalier, lequel aura augmenté, entre 2002 et 2007, de 40 %, alors qu'il n'avait pas bougé sous le gouvernement de Lionel Jospin.

M. Alain Vidalies. Et voilà !

M. Jean-Marie Le Guen. Les entreprises, quant à elles, seront soumises à une augmentation de la contribution sociale de solidarité, à hauteur de 780 millions d'euros.

Au 1er janvier 2005, les prélèvements nouveaux que vous imposez aux Français se situeront donc dans un rapport d'un à quatre, selon qu'il s'agira d'entreprises ou de ménages.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C'est ça, la justice sociale !

M. Jean-Marc Roubaud. Quelles sont vos propositions ?

M. Jean-Marie Le Guen. L'écart est encore plus grand, si l'on ajoute aux prélèvements sur les ménages les effets de la prolongation de la CRDS. Encore elle ! En effet, si l'on devait prendre en compte le coût du report de la dette dans les prochaines années, la facture pour les ménages serait de 10 milliards d'euros supplémentaires par an. C'est donc d'un rapport d'un à dix qu'il faut parler lorsqu'on compare la contribution respective des Français et des entreprises !

L'impact économique du prélèvement immédiat ne se fera pas sentir, mais l'effet social de la dette reportée sur les futurs assurés jouera à plein et limitera d'autant leur protection sociale. Vous appelez « courage » ce qui consiste à faire payer vos renoncements et votre laxisme à nos enfants ! Le président de notre commission parle d'« immoralité », moi de cynisme sans pareil.

M. Jean-Marc Ayrault. Très bien !

M. Jean-Marie Le Guen. Je voudrais également attirer l'attention sur l'une des mesures les plus scandaleuses du projet, introduite par un amendement présenté par le rapporteur, mais qui lui a été sans doute soufflé.

M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur de la commission spéciale. Vous rabaissez mon rôle à un niveau inacceptable ! (Sourires.)

M. Jean-Marie Le Guen. Je veux parler du crédit d'impôt. Vous vouliez, monsieur le rapporteur, et plus généralement le Gouvernement, essayer de tenir l'une des promesses du candidat Chirac : faire bénéficier les mutualistes d'un crédit d'impôt pour leur permettre de souscrire une couverture complémentaire. Mais vous réservez ce crédit d'impôt - le terme sonne plutôt bien - aux personnes...

M. Jean-Marc Roubaud. ...qui paient l'impôt !

M. Jean-Marie Le Guen. ...dont les revenus ne dépassent pas de plus de 15 % le plafond de la CMU. Je mesure la déception de tous les mutualistes qui ont pu croire un instant à la promesse du candidat Chirac.

M. Jean-Marc Ayrault. Ils n'auraient pas dû !

M. Jean-Marie Le Guen. Ils n'auront pas un centime de crédit d'impôt, pour la quasi-totalité d'entre eux.

À première vue, l'amendement part d'un bon sentiment : favoriser l'acquisition d'une couverture complémentaire par des personnes qui n'en bénéficient pas. Je regarde plus attentivement l'exposé des motifs : c'est la sécurité sociale qui financera le crédit d'impôt, c'est-à-dire les assurés, et non l'État !

Mais l'amendement ne s'arrête pas en si bon chemin ! À quel fonds de la sécurité sociale l'argent sera-t-il pris ? Au fonds d'action sociale de la CMU ! C'est le scandale des scandales ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) C'est l'argent destiné aux plus pauvres des plus pauvres qui financera l'acquisition d'un contrat d'assurance par les plus pauvres !

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. N'importe quoi !

M. Jean-Marie Le Guen. Une telle attitude est d'une immoralité et d'une inefficacité sociales évidentes ! Entre-temps, en effet, votre politique a provoqué l'augmentation du coût des complémentaires, lequel a largement dépassé les 150 euros que vous voulez leur octroyer. Aller chercher dans les fonds sociaux de la CMU les financements destinés à subventionner l'acquisition de produits des compagnies d'assurance, c'est une attitude politique scandaleuse, qui révèle votre conception du social. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. C'est faux !

M. Richard Cazenave. Il serait temps que vous passiez aux propositions ! Mais le PS n'en a aucune à faire.

M. Jean-Marie Le Guen. Votre projet de loi dévoie la maîtrise médicalisée en maîtrise comptable, sur le dos des assurés. Lors de votre campagne médiatique, monsieur le ministre, vous avez renoncé à présenter les véritables enjeux d'une réforme de l'assurance maladie. Ce temps aurait dû être celui de la pédagogie. Vous avez préféré vous saisir de questions ponctuelles et marginales : la carte Vitale, le nomadisme médical, les indemnités journalières ou l'aide médicalisée d'État, avec un seul objectif, culpabiliser les assurés.

M. Hervé Mariton. Vous pensez que ces questions sont marginales ?

M. Jean-Marie Le Guen. Absolument, monsieur Mariton,...

M. Richard Cazenave. Il n'y a donc pas de quoi s'énerver !

M. Jean-Marie Le Guen. ...et j'en ferai la démonstration.

Vos accusations visent en effet tout le monde et personne. Les déficits et les dysfonctionnements du système ont désormais une explication toute trouvée. Ce sont la fraude et l'abus des assurés qui en sont la cause. Vous l'affirmez à la télévision, même si vous vous en défendez le lendemain, devant l'Assemblée nationale, sans vous sentir le moins du monde gêné par la contradiction.

L'attitude qui est la vôtre, lorsque vous vous adressez à l'ensemble des Français, ne fait que conforter l'idée fausse, mais conservatrice au sens premier du terme, que le fautif est nécessairement l'autre et que le système est trop bon avec ceux qui en bénéficient.

Dès lors, chacun pense être un bénéficiaire modèle et personne ne se sent concerné par les difficultés rencontrées. Une telle situation n'incite pas à changer ses comportements. Il est alors difficile d'expliquer et de promouvoir l'idée que chacun doit faire des efforts en vue de faciliter les évolutions nécessaires et qu'il convient de maintenir un système solidaire.

M. Richard Cazenave. Ceux qui n'ont rien fait ne peuvent se permettre de donner des leçons !

M. Alain Vidalies. Il s'agit de votre bilan !

M. Philippe Rouault. Quelle démagogie !

M. Richard Cazenave. Quelles sont vos propositions ?

M. Jean-Marie Le Guen. Le choix de la démagogie ne laisse pas présager, chez celui qui l'emploie, l'ambition de la réforme.

Las ! ce projet de loi, en matière de culpabilisation, ne s'arrête pas au discours. Il passe à l'acte.

Les articles 10, 12, 13, 15 et 16 organisent de façon répétitive, voire obsessionnelle, la prétendue « chasse aux fraudeurs ». Or, dans les filets que vous tendez, c'est l'ensemble des assurés que vous voulez attraper ! C'est contre eux que vous tournez la maîtrise comptable, et non contre certains autres, parce que vous trouveriez alors sa mise en œuvre trop injuste ! Tous les assurés seront potentiellement les victimes de ces mesures. Ce n'est pas la fraude que vous combattez - elle était déjà combattue -...

M. Philippe Rouault. Pas par vous !

M. Jean-Marie Le Guen. ...ni seulement l'abus. Votre acharnement répressif est bien peu précautionneux de l'environnement humain. Si ces articles étaient adoptés, l'assuré, c'est-à-dire le malade, qui se serait vu prescrire par son médecin des actes ou des produits ne correspondant pas aux références ou aux bonnes pratiques agréées par l'assurance maladie, ne serait plus remboursé de ces prescriptions. Ainsi, il est clair que l'assuré sera doublement victime de la prescription contestable, voire erronée, de son médecin. C'est une première et c'est tout simplement scandaleux !

Emporté par votre démarche culpabilisante et dénonciatrice, vous transformez une structure sociale, l'assurance maladie, en une puissance arrogante envers un assuré qu'elle méprise et sanctionne alors qu'il n'est pour rien dans les reproches qu'on lui fait et qu'il n'a aucun pouvoir pour faire face à une telle situation.

De plus, vos propositions déstabilisent en profondeur la relation entre le médecin et le malade. Votre mesure installera le conflit entre un médecin qui serait à l'origine de l'erreur supposée et son malade qui serait la victime de la sanction que vous voulez lui imposer.

M. Richard Cazenave. C'est grave...

M. Jean-Marie Le Guen. Cela ouvre enfin un champ nouveau à la judiciarisation que, pourtant, vous prétendez combattre, des rapports entre le médecin et le malade.

De même, si le médecin ne peut plus prescrire des journées d'arrêt de travail ou le transport sanitaire, c'est le malade qui a médicalement besoin de telles prescriptions qui sera sanctionné.

Je souhaite m'arrêter un instant sur les indemnités journalières. La croissance du taux de bénéficiaires des indemnités journalières, ces deux dernières années, mérite une autre analyse que celle que vous faites et un autre traitement que celui que vous préconisez, avec démagogie, en auxiliaire zélé du MEDEF. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) On ne peut résoudre sérieusement et efficacement la question des indemnités journalières sans aborder l'emploi et l'employabilité des salariés de plus de cinquante ans, qui en sont les principaux bénéficiaires.

Si l'on réfléchit à la question avec une sensibilité de médecin, on devrait l'aborder de façon plus empathique et plus compassionnelle !

Sur le plan politique, votre choix est révélateur d'une logique très marquée idéologiquement et d'une vision antisociale. En effet, lorsque vous mettez en avant la croissance des dépenses relatives aux indemnités journalières, tout en occultant les pratiques patronales de sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles, dont le montant constitue un préjudice deux à trois fois supérieur pour l'assurance maladie, vous entrez clairement dans une démarche idéologique, visiblement influencée par le MEDEF, qui vous éloigne du souci de défendre les intérêts de l'assurance maladie.

Injuste et culpabilisant, sans portée sur l'offre de soins et dénué de tout espoir de redressement financier, votre projet serait-il sans lendemain ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Idiart. C'est la majorité qui est sans lendemain !

M. Jean-Marie Le Guen. Serait-il simplement un énième avatar - en plus inique et plus superficiel - des tentatives de réformer la sécurité sociale ? Je ne le crois pas.

M. Richard Cazenave. Quelles réformes a faites le PS durant les quinze ans où il a été au pouvoir ?

M. Jean-Marie Le Guen. Il convient, en fait, d'aborder la véritable perspective dessinée par votre projet de loi. Elle n'a pas, jusqu'à présent, bénéficié de l'intérêt qu'elle mérite, sans doute parce que ceux qui avaient, les premiers, la charge de la mettre en valeur manquaient de la distance nécessaire pour mesurer l'impact réel de vos propositions.

Tout votre discours n'est qu'un tour de passe-passe, qui vise à préparer la mise en œuvre de la maîtrise comptable des dépenses de l'assurance maladie. Les mesures relatives à la gouvernance ont mis en marche la machine à dérembourser.

Le Haut conseil de l'assurance maladie avait prescrit trois types de démarches en la matière. Il avait tout d'abord reconnu la nécessité de mettre fin au cloisonnement de gestion entre la ville et l'hôpital, afin de faciliter la continuité des soins et le décloisonnement des structures. Il avait ensuite dénoncé la confusion des responsabilités entre les différentes structures de gestion et singulièrement entre l'État et l'assurance maladie. Il avait enfin souhaité que soit mis en œuvre un échelon régional, plus opérationnel.

Sur ces trois points qui, je le crois, rencontrent un consensus fort sur tous les bancs de cette assemblée, vous ne proposez rien, ou presque.

M. Richard Cazenave. Et vous ?

M. Jean-Marie Le Guen. Nous proposons notamment les agences régionales de santé, dont nous discuterons. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Richard Cazenave. On ira loin avec ça !

M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur. C'est l'étatisation !

M. Jean-Marie Le Guen. En matière de simplification et de clarification des responsabilités, vous créez de nouvelles structures, sans en supprimer aucune et vous vous livrez à un empilement sans précédent de conseils de direction et d'institutions, ce qui a valu à votre texte de sévères remarques de la part du Conseil d'État, que vous avez d'ailleurs parfaitement ignorées.

Au plan régional, loin de relancer une nouvelle dynamique, vous vous contentez d'introduire la confusion qui règne au plan national.

Enfin, la ville et l'hôpital continuent de s'ignorer superbement puisque ce n'est assurément pas le comité de liaison, aux fonctions incertaines, que vous proposez de créer, qui sera de nature à effacer une frontière paralysante et coûteuse.

Après les structures, venons-en aux principes politiques.

Monsieur le ministre, vous n'avez pas voulu que votre projet de loi vous emporte vers des questions théoriques. Le débat sur la place respective de l'État et des partenaires sociaux dans la gestion de l'assurance maladie ne vous paraît pas suffisamment éclairant pour inspirer cette réforme. Les mânes de Bismarck ou de Lord Beveridge ne seront pas convoqués à nos débats ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)

Il est vrai que le moment que nous vivons, marqué par l'urgence et la désagrégation sociales, ne permet pas aux défenseurs de notre sécurité sociale d'intervenir pleinement dans le cadre de ces débats.

Mais, monsieur le ministre, si vous n'êtes pas idéologue, vous n'êtes pas non plus sectaire. Lorsqu'il s'agit de choisir un partenaire sur lequel s'appuyer pour cautionner votre plan, vous les essayez tous ! Votre position peut évoluer : le lundi c'est Force ouvrière, le mardi la CFDT, et pourquoi pas la CGT le mercredi ?

M. Hervé Mariton. Jaloux !

M. Yves Bur, président de la commission spéciale. C'est le dialogue social, que vous n'avez jamais su pratiquer !

M. Jean-Marie Le Guen. Dans cette valse, vous êtes allé jusqu'à oublier, un moment, certain partenaire qui, pourtant, ne quittait guère votre bureau. Il est vrai que, comme dans toute vie de rencontre, vous étiez rassuré par le confort du lien solide, durable et constructeur que vous entretenez avec le MEDEF, à qui vous avez accordé, sans barguigner, tout ce qu'il demandait, notamment la minorité de blocage du système !

Considéré au regard des schémas traditionnels des constructions sociales ou administratives, votre projet, monsieur le ministre, peut paraître quelque peu chaotique. De fait, il a sa ligne de pente. Adversaire autoproclamé de l'étatisation, vous déléguez courageusement les pouvoirs de gestion de la sécurité sociale, soit un budget de 130 milliards d'euros, à un homme seul, nommé par l'État - c'est dire votre capacité de délégation ! -, une sorte de nouveau proconsul, un Paul Bremer de l'assurance maladie. Ce qui vous a séduit dans ce concept de délégation, c'est la déresponsabilisation, au sens premier du terme. Un ministre en effet, pourrait être un jour appelé à répondre de ses décisions devant l'Assemblée nationale et, par-delà, devant les Français. C'est parfois douloureux ! Les partenaires sociaux doivent eux aussi rendre des comptes à leurs mandants. Mais le super-directeur général de l'UNCAM, qui aura la responsabilité d'établir le budget, de négocier les conventions, de recommander telle hausse de prélèvement et surtout - avouons-le - de baisser les remboursements, selon votre construction, ne devra rendre de comptes à personne, ni devant le ministre, ni devant l'Assemblée nationale, ni devant le Conseil d'orientation, devenu un véritable organisme croupion et une structure institutionnellement bloquée, où seul le MEDEF, qui détient les clés de la majorité qualifiée, peut exercer son pouvoir de nuisance et menace, de ce fait, en permanence, le directeur général dont il fait un simple auxiliaire de sa politique.

M. Manuel Valls. C'est exact !

M. Jean-Marie Le Guen. Le pouvoir dans l'irresponsabilité, telle est la nouvelle philosophie politique de votre gouvernance.

M. Philippe Rouault. Et celle des socialistes, de 1997 à 2002 !

M. Jean-Marie Le Guen. Faudrait-il donc croire les bons esprits qui prétendent que, dans une démocratie, c'est désormais la seule méthode pour assurer le gouvernement des hommes ? La bonne gouvernance, que vous flattez, ne pourrait désormais se concevoir qu'en l'absence de contrôle de la démocratie politique et de la démocratie sociale ! Monsieur le ministre, parce que vous refusez, à l'évidence, d'assumer des choix trop lourds ou trop dangereux pour une carrière politique, faut-il pour autant que tous, ici, nous nous résignions à renoncer à toute légitimité de la démocratie lorsqu'il s'agit de gérer des sommes correspondant à la moitié du budget de l'État ?

M. Gérard Bapt. Très juste !

M. Jean-Marie Le Guen. J'en viens maintenant au deuxième étage de votre gouvernance, la fameuse Haute autorité de santé, qui n'aura de Haute autorité, bien évidemment, que le titre momentané que vous lui accordez. Il s'agit là d'un objet normatif non identifié, à mi-chemin du scientifique et du politique. Son rôle est simple : il n'est pas de redonner des qualifications scientifiques que l'AFSSAPS ou l'ANAES - deux organismes véritablement scientifiques et indépendants - produisent déjà, de façon, certes, encore insuffisante - je veux bien le reconnaître -, mais d'être une structure qui ait, pour une part, une légitimité scientifique et, pour une autre, une légitimité politique et qui fasse ce que vous n'osez apparemment plus faire : trancher la question du panier de soins, c'est-à-dire déterminer ce qui doit ou ne doit pas être remboursé.


C'est là encore une responsabilité politique à laquelle vous renoncez à cause de sa lourdeur.

Mais ce panorama ne serait pas complet si je n'évoquais l'ombre portée d'une mesure absente de ce débat jusqu'à présent : le projet, à peine mentionné, d'une loi organique refondant les lois de financement de la sécurité sociale.

M. Claude Évin, M. Gérard Bapt et M. Alain Vidalies. Et voilà ! On y est !

M. Jean-Marie Le Guen. Qu'il faille modifier l'élaboration des projets de loi de financement de la sécurité sociale, que l'on souhaite réfléchir à un cadrage pluriannuel, pourquoi pas ? Mais pourquoi, monsieur le ministre, ces dispositions ne font-elles pas partie de ce texte ? Et comment se fait-il qu'on aille jusqu'à dissimuler l'existence de ce projet et qu'à aucun moment et en aucune façon son contenu ne soit exposé aux parlementaires ? Si nous ne les connaissions déjà, cela serait de bien mauvais augure quant à vos intentions réelles !

Il y a quelques jours, pressé par certains de nos collègues de la majorité manifestement sans illusion sur la partie financière de vos propositions et par une presse également exigeante, vous avez été contraint de révéler l'existence de ce projet de loi organique, dont vous avez reconnu que l'objet premier est clairement de délibérer du statut de l'Objectif national des dépenses d'assurance maladie. L'enveloppe financière devra-t-elle désormais être respectée ? C'est votre souhait. L'ONDAM doit-il devenir une norme ? C'est ce que vous voulez. Bref, l'ONDAM, selon vous, a vocation à devenir une norme respectée et non plus un objectif.

Vous avez été encore plus précis hier en annonçant que les déficits de l'assurance maladie seraient désormais pris en compte dans l'élaboration du budget suivant et ne seraient plus renvoyés sur la dette. Cette enveloppe s'imposera donc année après année, ou plus vraisemblablement d'une année sur l'autre. À qui ? À l'ensemble des acteurs - patients, médecins, industrie pharmaceutique -, ou à l'État, qui gardera la tutelle exclusive sur l'hôpital ? Non : cette opposabilité sera applicable au seul budget de l'assurance maladie, c'est-à-dire aux seuls assurés.

Les dépenses de l'assurance maladie ne devront plus évoluer de façon différente de ce qui aura été décidé, quelles que soient les circonstances. Vous revenez à la maîtrise comptable, mais celle-ci ne concerne plus les dépenses de santé - démarche dont tous vos prédécesseurs, y compris Alain Juppé, se sont réclamés -, mais les dépenses remboursées. Peu importe que les dépenses de santé, c'est-à-dire le coût effectivement assumé par les patients et les malades, continuent à évoluer à des taux non encadrés : pour vous, l'essentiel est de limiter les dépenses remboursées par la sécurité sociale.

C'est pourquoi, au demeurant, vous ménagez tout au long de ce texte un lien permanent de concertation avec les organismes d'assurance complémentaire qui, étant sollicités, seront heureux - sinon tous, du moins un certain nombre - de prendre en charge tout ce que l'assurance maladie ne remboursera plus. La machine à déremboursements est prête à fonctionner. Les déficits persistants que votre projet entretiendra, en raison de l'absence de maîtrise financière, exerceront une pression permanente au déremboursement, et à mesure que la protection sociale obligatoire reculera, la privatisation avancera.

M. Gérard Bapt. Eh oui ! C'est cela, le libéralisme !

M. Yves Bur, président de la commission spéciale. Fantasmes !

M. Jean-Marc Roubaud. Voilà où vous vouliez en venir ! Vous êtes un idéologue, monsieur le Guen !

M. Jean-Marie Le Guen. Après avoir étudié le contenu de votre projet,...

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur Le Guen...

M. Jean-Marie Le Guen. Je vous en prie, monsieur le président. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Marc Ayrault. Ce que vous venez de dire est extrêmement important. Il faudra que le ministre s'en explique.

M. Yves Bur, président de la commission spéciale. Nous pouvons vous laisser dialoguer entre vous, si vous voulez !

M. le président. Il serait préférable que vous interveniez avec ma permission, monsieur le président Ayrault !

Poursuivez, monsieur Le Guen.

M. Jean-Marie Le Guen. Nous aurons en effet à revenir sur cette question, monsieur le président, et à informer les Français sur la réalité des manœuvres du Gouvernement.

Après avoir étudié le contenu de votre projet, monsieur le ministre, il nous faut examiner la manière dont vous entendez conduire le changement. Naturellement, votre méthode traduit le fond de vos intentions. Dans l'ensemble de vos propositions, il n'y a aucune place pour le citoyen. Celui-ci n'est convoqué que pour se voir reconnaître sa potentielle culpabilité d'assuré.

Nous pensons tout au contraire qu'il n'y a pas de réforme et de régulation possibles sans la participation active des citoyens, au travers de leur représentation politique - le Parlement, que vous ignorez totalement -, de leur représentation sociale, avec les organisations syndicales, qui sont les représentants légitimes des assurés, mais aussi des associations d'usagers ou de malades, qui ont pris tant d'importance ces dernières années.

À aucun moment, dans aucun lieu, sous aucune forme vous ne semblez accorder un véritable intérêt au rôle du citoyen et à sa représentation. L'ensemble de votre pilotage renvoie à une logique de gouvernement technocratique sans contrôle qui opérera les choix décisifs sur la santé et la protection sociale des Français sans qu'ils aient jamais leur mot à dire.

M. Jean-Marc Ayrault. C'est bien là le projet caché !

M. Jean-Marie Le Guen. Le conseil d'orientation de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, par exemple, n'administre plus. Les organisations syndicales en son sein sont dorénavant abaissées à un rôle passif, sans pouvoir réel et sans légitimité clairement affirmée.

Ni à ce niveau ni à aucun autre vous n'avez jugé utile de faire une place aux usagers de la santé et à leurs associations. Depuis plus d'une dizaine d'années, dans notre pays comme partout dans le monde, un mouvement associatif a vu le jour autour des questions de santé : ici pour se mobiliser contre une épidémie ou pour améliorer la prise en charge d'une maladie, là pour exiger une meilleure prise en compte de la qualité dans la production de soins ou pour lutter contre la dégradation des conditions de travail en entreprise et son impact sur la santé des travailleurs. Ce mouvement a montré non seulement sa représentativité, mais aussi sa connaissance des questions de santé et des situations vécues par les patients. Nous avons pu le mesurer ensemble au Haut conseil de l'assurance maladie.

Ces usagers, monsieur le ministre, vous ne les avez même pas reçus avant de déposer votre projet de loi. Il est vrai que vous n'aviez rien à leur dire et rien à leur proposer !

Prisonnier d'une vision archaïque et politicienne des relations sociales, vous préférez jouer sur la division syndicale et accorder au MEDEF l'ensemble des pouvoirs qu'il réclame plutôt que de vous intéresser aux malades et à leurs associations. Ce qui est vrai pour l'UNCAM l'est tout autant pour la Haute autorité de santé. Là encore, vous n'avez pas jugé utile d'y associer les usagers de la santé, alors qu'il n'est pas une entreprise de santé aujourd'hui qui n'ait à cœur de le faire. Vous êtes en retard sur toutes les pratiques actuelles en matière de politique de santé.

Pour ce qui concerne l'ébauche d'une régulation régionale, très largement négligée dans votre projet, on constate également que vous ne souhaitez pas instaurer une véritable démocratie sanitaire. Le niveau régional est pourtant l'échelon idéal. Mais cette évidence, partagée sur tous les bancs de l'Assemblée, ne vous a même pas effleuré : sans doute aviez-vous déjà épuisé toutes les ressources de ce courage réformateur dont vous vous flattez !

Au total, votre démarche est centralisée, autoritaire, répressive et régressive. Elle n'exprime que de la défiance vis-à-vis de tous les acteurs : nous-même, en tant que représentants politiques, mais aussi les syndicats, les associations, les acteurs régionaux. À l'inverse, nous croyons à une démocratie participative qui fait de l'individu un acteur de sa propre santé.

Votre conception du social est profondément archaïque. Elle ne s'ouvre au dialogue que devant la crainte électorale que vous inspirent les professions de santé. Vous leur avez concédé de ne rien traiter qui les concerne hors de la convention, dont nous ne connaissons rien.

M. Jean-Marc Ayrault. Exact !

M. Jean-Marie Le Guen. Dans cette négociation conventionnelle, l'État renonce d'ores et déjà à toutes ses prérogatives, y compris quand les syndicats médicaux eux-mêmes reconnaissent son rôle prééminent, comme par exemple en matière de contrôle de l'évaluation ou de la formation médicale continue.

La fuite devant les responsabilités : telle est votre marque de fabrique. Aux assurés, vous vantez le médecin traitant renforcé et garant d'un parcours de soins mieux remboursé ; aux représentants médicaux les plus extrémistes du libéralisme médical, vous garantissez la généralisation des honoraires libres. Votre discours ne tient encore que le temps de dissiper vos ambiguïtés.

Ce qui est programmé avec l'article 5, c'est la fin des tarifs remboursables de la sécurité sociale, et donc la médecine à deux vitesses.

M. Yves Bur, président de la commission spéciale. Elle existe déjà, malheureusement !

M. Jean-Marie Le Guen. Il ne faut plus la redouter : elle est là. Vous l'installez sans tapage, préférant, en matière de publicité, faire votre propre promotion.

Monsieur le ministre, rarement question préalable aura été aussi légitime.

M. Pierre Hellier. Non !

M. Philippe Rouault. Et aussi démagogique !

M. Jean-Marie Le Guen. Comment débattre, en effet, alors que le Gouvernement se refuse à présenter un texte qui réponde véritablement à la question posée ? La réforme de notre système de santé et de l'organisation des soins est la priorité courageuse à laquelle vous avez tout de suite renoncé.

M. Philippe Rouault. Faux !

M. Jean-Marie Le Guen. Comment débattre ensuite, lorsque, pour un budget de 130 milliards d'euros, vous ne nous présentez aucun chiffrage qui ne puisse être démenti par tous ceux qui savent encore compter dans ce pays ?

Comment débattre, enfin, quand votre projet, caché mais bien réel, n'est que d'organiser la débâcle de notre protection sociale en matière d'assurance maladie ?

M. Yves Bur, président de la commission spéciale. Quelle désinformation scandaleuse !

M. Jean-Marie Le Guen. Sensible à tous les conservatismes qui s'exercent en grand nombre dans le domaine de la santé, vous n'étiez pas le plus qualifié pour mener la réforme.

M. Yves Bur, président de la commission spéciale. Et vous, vous n'avez jamais conduit une seule réforme sur l'assurance maladie !

M. Pierre Hellier. C'est juste ! Qu'avez-vous fait, monsieur Le Guen ?

M. Jean-Marie Le Guen. Les déremboursements et la privatisation accompagnent votre projet.

En le dévoilant tardivement et en organisant le débat en juillet pour mieux contourner le mécontentement des Français, vous espérez que vous en aurez fini rapidement. Ce ne sera pas le cas, monsieur le ministre ! Nous nous y opposerons ici avec force.

En défaisant la sécurité sociale, vous vous attaquez à l'identité de notre pays et à son lien social. Nous ne vous laisserons pas faire, ni aujourd'hui, ni demain. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé et de la protection sociale.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, en écoutant la première partie du discours de M. Le Guen, j'ai trouvé que nous étions d'accord sur de nombreux points. Puis quelques différences sont apparues...

M. Claude Évin. Encore heureux !

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Notre réforme répond à vos attentes, monsieur Le Guen. Vous parlez de zones de non-qualité : nous créons la Haute autorité de santé. Vous appelez de vos vœux un exercice plus collectif de la médecine : nous mettons en place le dossier médical personnel et le principe du médecin traitant. Vous préférez la maîtrise médicalisée à la maîtrise comptable : nous nous dotons des outils de la maîtrise médicalisée. Vous voulez que la priorité soit donnée au rapprochement ville-hôpital : nous rapprochons les ARH et les URCAM. Vous souhaitez instaurer de bonnes pratiques : c'est ce que nous faisons, tant pour la médecine libérale que pour les hôpitaux. Vous demandez un rapprochement entre la médecine de ville et l'hôpital : le dossier médical personnel les concerne tous deux.

S'agissant de la dette accumulée depuis 1998, elle s'élèvera à 35 milliards d'euros à la fin de l'année 2004. Son transfert à la CADES implique de prolonger la durée de vie de celle-ci de 2014 à 2024, et non à 2030, comme vous le suggérez.

M. Jean-Marie Le Guen. Nous aurons tout le temps de faire les additions, monsieur le ministre !

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Notre plan, je le répète, vise un retour à l'équilibre à l'horizon 2007. Contrairement à vous, il ne nous semble pas réaliste d'annuler le déficit du jour au lendemain par un transfert massif de recettes fiscales de l'État vers l'assurance maladie. C'est bien parce que nous ne nous inscrivons pas dans une logique comptable que la montée en puissance de notre plan est nécessairement progressive : elle se fera au fur et à mesure de la mise en place de la maîtrise médicalisée.

Mme Élisabeth Guigou. Votre raisonnement ne vaut que pour les dépenses, pas pour les recettes !

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Sur les 15 milliards d'économies, madame Guigou, 10 portent sur les dépenses et 5 sur les recettes. Nous sommes loin des chiffres avancés par M. Le Guen !

Au demeurant, si nos prédécesseurs n'avaient pas imposé à l'assurance maladie une multitude de charges nouvelles, dont les 35 heures, financées par des recettes purement conjecturales, nous n'en serions pas à près de 13 milliards d'euros de déficit aujourd'hui.

Enfin, monsieur Le Guen, il ne faut pas affoler la représentation nationale avec les chiffres que vous avancez.

M. Jean-Marie Le Guen. Sachez, monsieur le ministre, que la représentation nationale ne se laisse pas affoler !

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Oui, il faut investir dans une permanence de soins efficace. Il est de la responsabilité de la CNAM et des professionnels de santé de négocier un dispositif qui fonctionne sur le terrain, car je crois à la négociation conventionnelle.

Oui, il faut mettre en place une nouvelle nomenclature. Là encore, il revient aux partenaires conventionnels de se mettre d'accord. Tout ne se décide pas dans le bureau du ministre, avenue de Ségur. Nous avons confiance dans les partenaires sociaux.

Oui, monsieur Le Guen, nous avons des différences d'appréciation. Nous en parlerons, car je respecte ce que vous avez dit. Reste qu'une réforme est nécessaire, comme vous l'avez admis vous-même. Celle que nous présentons mettra en place une régulation médicalisée et apportera 5 milliards de recettes.

M. Jean-Marc Ayrault. Mais le projet de loi caché, vous n'en parlez pas !

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Il n'y en a pas, monsieur Ayrault !

Je répète, encore une fois, que nous ne voulons pas de privatisation.

M. Jean-Marc Ayrault. Mais vous la faites !

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Nous ne voulons pas non plus, monsieur Le Guen, d'étatisation. La seule voie que nous vous proposons, est celle d'une réforme juste et équitable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous en venons aux explications de vote.

La parole est à M. Jean-Claude Lemoine, pour le groupe UMP.

(M. Yves Bur remplace M. Jean Le Garrec au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. YVES BUR,

vice-président

M. Jean-Claude Lemoine. Bien que je vous aie écouté avec beaucoup d'attention, monsieur Le Guen, je n'ai trouvé aucune raison de voter cette question préalable. J'ai même relevé certaines contradictions dans vos propos.

Vous avez parlé d'une société d'indifférence. C'est bien pour cela que nous voulons modifier les comportements et les responsabiliser.

Vous avez parlé de réorganiser en priorité les soins. Or cela est prévu dans le texte, vous le savez bien.

Vous avez parlé d'artifices et de faux semblants. Si tel est le cas, inutile de les condamner : cela ne servira à rien.

Certes, les malades changent ; la technique change. Vous avez raison. Mais c'est précisément pour cela qu'il faut adapter notre service de soins.

Vous avez condamné la maîtrise comptable. De fait, celle-ci n'a pas eu les résultats escomptés. C'est bien pourquoi une autre solution a été choisie : celle de la maîtrise médicalisée. C'est une bonne solution, mais elle semble vous gêner.

Vous avez parlé de courage. J'ai trouvé cela extraordinaire, car, s'il y a un gouvernement et un ministre qui s'engagent, ce sont bien les nôtres ! Notre ministre assume, ainsi, une grande responsabilité. C'est donc qu'il a beaucoup de courage.

Vous avez dit, monsieur Le Guen, qu'il fallait revaloriser la médecine de ville. Cela a déjà été fait et nous allons continuer à le faire.

Vous avez prédit quelques problèmes entre les médecins et les malades. J'avoue ne pas avoir trouvé d'éléments susceptibles de compromettre leurs relations.

Bref, inutile d'aller plus loin. Si je n'ai pas été sensible à vos arguments, c'est sans doute parce que nous appréhendons différemment les problèmes de santé. Pour ma part, j'ai exercé la médecine d'une façon très différente de la vôtre. Je n'ai été, pendant un certain nombre d'années, qu'un modeste médecin de campagne. Aujourd'hui, je juge le texte qui nous est proposé comme législateur et comme bénéficiaire du système, en m'appuyant sur mon expérience qui m'a permis de connaître le fonctionnement des hôpitaux, le comportement des médecins et des praticiens.

Oui, mes chers collègues, cette réforme est attendue, indispensable et urgente en raison des déficits cumulés, mais aussi et surtout en raison de la dégradation de notre système de santé qu'il s'agit d'endiguer. En effet, il n'assure plus aujourd'hui à tous un égal accès à des soins de qualité, notamment en raison de l'insuffisance de l'offre dans la plupart de nos provinces. Il fallait prendre le problème à bras-le-corps. C'est ce qui nous est proposé aujourd'hui.

Après une longue concertation - qui semble avoir étonné M. Le Guen - avec tous les syndicats et tous les professionnels, a été instituée une maîtrise médicalisée, afin de sauvegarder le principe de base de la sécurité sociale : la solidarité ; afin de responsabiliser tous les acteurs : chacun doit participer ; afin de permettre à tous nos concitoyens, quels que soient leurs moyens financiers ou leur implantation géographique, de bénéficier des bonnes pratiques médicales auxquelles ils ont droit, grâce à une adaptation, à une réorganisation de notre système de soins confronté aujourd'hui aux difficultés que nous connaissons.

Sans revenir sur toutes les dispositions proposées pour que l'on dépense mieux et, surtout, pour que soit offerte une meilleure qualité de soins - dossier médical personnel, coordination des soins, promotion des bonnes pratiques et leur évaluation, information des assurés -, il convient de mentionner les axes forts de ce projet, destiné à sauver notre système de soins, un des meilleurs du monde, comme vous l'avez dit, et à redonner à tous un accès égal à des soins de qualité.

Chacun doit être responsabilisé. Toutefois cette responsabilisation ne doit pas être confondue avec une marque de défiance. Nous sommes tous concernés : professionnels, patients, structures de soins, caisses d'assurance. Chacun doit prendre conscience que sa participation et son effort personnel sont indispensables. A ce titre, la participation forfaitaire demandée aux patients est absolument nécessaire ; la gratuité totale est non seulement inflationniste, mais surtout source d'abus avec, notamment, la surconsommation de médicaments.

Le choix du médecin traitant, permettant une régulation médicalisée, évitera tout nomadisme, souvent inutile et toujours néfaste pour le malade qui suit alors plusieurs prescriptions.

Enfin, une meilleure organisation et une adaptation aux circonstances actuelles devraient permettre de dépenser mieux et d'améliorer l'offre de soins, surtout si l'on y ajoute les mesures que vous connaissez et qui sont en cours d'application - dispositions en faveur des zones défavorisées, augmentation du numerus clausus - que nous aurions dû décider depuis de nombreuses années.

Sans détailler davantage les bonnes dispositions proposées au travers de ce texte, que nous allons examiner au cours des jours prochains, je considère, avec le groupe UMP, que cette réforme est juste, bonne, équitable, efficace, attendue et urgente.

Le groupe UMP ne votera donc pas la question préalable opposée par notre collègue du groupe socialiste. Celui-ci, qui est davantage animé par des préoccupations politiciennes (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) que par la défense de notre système de soins et par l'intérêt général, n'a pas su nous convaincre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Le Garrec, pour le groupe socialiste.

M. Jean Le Garrec. Merci, monsieur le président Bur, de m'avoir suppléé... au fauteuil de la présidence. (Sourires.)

Après l'excellente intervention de mon ami Jean-Marie Le Guen, j'irai à l'essentiel.

En définitive, monsieur le ministre, votre réforme est organisée autour de trois axes : un plan comptable qui pèse sur les usagers, une maîtrise médicale aléatoire et une réforme de la gouvernance qui accroît la complexité au lieu de simplifier.

Elle repose donc d'abord, sur un plan comptable qui pèsera sur les usagers.

Un euro par-ci... et demain ? Une augmentation de la CSG... et demain ? Une augmentation du forfait hospitalier... et demain ? Un renvoi de la dette sur les générations à venir... Vous faites des additions et peu de soustractions. Cela s'appelle faire de la comptabilité. N'ayez pas peur d'utiliser ce terme, monsieur le ministre : les citoyens sont à même de comprendre le sens de ce que vous faites.

Votre réforme s'appuie ensuite, sur une maîtrise médicale aléatoire.

Je connais la complexité de cette situation singulière dans laquelle un médecin qui traite de la vie, de la mort, de la souffrance, est en même temps un ordonnateur de dépenses publiques.

Vous êtes ainsi prisonnier de signaux contradictoires. Lorsque votre prédécesseur est arrivé aux reponsabilités, il a augmenté le tarif des généralistes sans contreparties.

M. Jean-Claude Lemoine. Quelles contreparties ?

M. Jean Le Garrec. Vous-même, vous parlez du déficit de 2004, puis de celui de 2005, puis de celui de 2006. Il devient difficile de mobiliser dans ces conditions !

Selon les articles 10 et 14 de votre projet de loi, si le médecin ne respecte pas les bonnes pratiques, l'assuré ne sera pas remboursé ; si les contrôles des indemnités journalières ne sont pas suffisants, l'assuré risquera d'en faire les frais.

M. Claude Evin. Eh oui !

M. Jean Le Garrec. Je n'ai pas le temps d'insister sur la sous-traitance, sur l'usure du travail, que je ne sous-estime pas, mais si le malade, qui n'est pas toujours en situation de juger, n'a pas suivi le parcours de soins requis, il pourra subir une hausse sans limite des honoraires.

D'ailleurs, le président national du conseil de l'ordre a dit que cette dernière disposition ne pouvait être acceptée en l'état, car elle faisait de la liberté tarifaire une sanction qu'un médecin spécialiste infligerait à son patient.

M. Jean-Pierre Blazy. Eh oui !

M. Jean Le Garrec. On ne peut décrire mieux ni plus clairement une telle situation.

Enfin, votre réforme porte une gouvernance qui complique les choses.

Nous avions amorcé la mise en place des ARH - avec la mission, présidée par M. Evin, que la commission avait mise en place et dont M. Préel faisait partie - pour maintenir les liens entre l'hôpital, la médecine de ville et les cliniques privées. Au lieu de développer ce que nous avions amorcé, votre gouvernement a refusé d'instaurer une péréquation qui aurait permis d'améliorer l'offre de soins, de renforcer le rôle des ARH et d'engager une politique de prévention, par exemple, dans le Nord-Pas-de-Calais. Vous multipliez les lieux et les débats pour, en définitive, donner au directeur de la caisse des pouvoirs énormes, car c'est bien à cela que vous aboutissez.

Voilà donc trois raisons de fond qui justifient notre désaccord.

Tout au long de ce débat, nous expliquerons ce qu'est réellement votre projet. Nous reviendrons sur ce que nous avions amorcé, qu'il s'agisse de la politique du médicament ou de la politique de prévention.

Ne nous parlez pas de croissance. Certes, nous avons connu une croissance forte, mais n'oubliez pas qu'elle était supérieure d'un point à la moyenne de la croissance européenne. Cela prouve que nous avons su mener une politique adaptée. Inversement, je remarque que, aujourd'hui, la croissance est inférieure d'un point à la moyenne de la croissance en Europe. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Je crains bien, monsieur le ministre, que vous ne passiez à côté du débat qui s'impose, pour vous contenter de nous présenter un plan de redressement financier, en oubliant l'essentiel des problèmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Préel, pour le groupe UDF.

(M. Jean Le Garrec remplace M. Yves Bur au fauteuil de la présidence.)

M. Louis Giscard d'Estaing. Mais c'est une présidence tournante ! (Sourires.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN LE GARREC,

vice-président

M. Jean-Luc Préel. Le groupe UDF, qui n'a pas été convaincu par les arguments de notre collègue M. Le Guen, ne votera pas cette question préalable.

M. Gérard Bapt. L'UDF rentre-t-elle dans la majorité ?

M. Jean-Luc Préel. Une réforme de notre système de soins est nécessaire.

Les secteurs hospitalier et ambulatoire sont aujourd'hui en crise. Comme l'a constaté le haut conseil, un problème de gouvernance se pose : personne ne pilote le système, pas plus l'État que le Parlement, les partenaires sociaux ou les professionnels.

Cette réforme est urgente, en raison d'un déficit abyssal, qui a atteint 32 milliards d'euros en trois ans. Et l'on prévoit un déficit de 14 milliards en 2004 ! Si rien n'est fait, l'ensemble de notre système de soins, l'égal accès de tous à des soins de qualité et le financement solidaire se trouveront menacés.

Aujourd'hui, en France, chacun est soigné selon ses besoins et participe au financement selon ses ressources. Cela est vrai pour le régime obligatoire de base, qui couvre 75 % des dépenses ; cela l'est moins pour les régimes complémentaires, qui en couvrent 13 %, puisque les cotisations sont forfaitaires et que les contrats ne sont pas de même niveau ; cela ne l'est plus pour ce qui reste à la charge des familles, soit environ 12 %. Toute modification ne doit donc être opérée qu'après mûre réflexion, pour ne pas remettre en cause l'égal accès de tous aux soins.

M. Gérard Bapt. C'est pourquoi il faut voter la question préalable !

M. Jean-Luc Préel. Se pose également le problème de l'égalité d'accès aux soins sur le territoire, évoqué par M. Lemoine, en raison de la démographie des professions de santé : certaines spécialités sont sinistrées et de nombreux cantons ruraux manquent de praticiens.

M. Philippe Folliot. C'est vrai !

M. Jean-Luc Préel. Nous sommes tous d'accord sur la nécessité de préserver l'égalité d'accès à des soins de qualité. Cela passe par l'amélioration de l'efficience, c'est-à-dire du rapport entre le coût et l'efficacité. Dans ce domaine, nous avons beaucoup de progrès à faire, notamment au niveau de la formation initiale, en insistant davantage sur les qualités d'écoute du professionnel, sur ses capacités d'analyse et de synthèse. Il faut arriver à mettre en œuvre une réelle formation continue pour tous les professionnels, en la rendant obligatoire et en faisant en sorte qu'elle soit financée et évaluée. Enfin, bien entendu, des progrès restent à faire sur l'évaluation des compétences, des actes et des pratiques.

La réforme est urgente et nécessaire. Il convient d'en venir au débat pour améliorer le projet de loi, comme nous y a invité le ministre en le présentant. Les députés UDF ont déposé quatre-vingt-cinq amendements tendant à revoir le financement du déficit cumulé - car nous ne voulons pas le laisser à la charge des générations futures - à redéfinir le mode de gouvernance et à mettre en place une vraie régionalisation de la santé avec un responsable régional unique pour la prévention, l'éducation, l'ambulatoire, l'hôpital et les cliniques.

M. Gérard Bapt. C'est une autre réforme que vous proposez. Votez donc la question préalable !

M. Jean-Luc Préel. Le débat nous permettra d'améliorer le projet de loi. C'est pourquoi le groupe UDF votera contre la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz.

M. Maxime Gremetz. Monsieur le président, je ne serai pas long. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Claude Lemoine. C'est inquiétant !

M. le président. Vous disposez de cinq minutes, comme tous les intervenants.

M. Maxime Gremetz. Je serai plus bref pour ne pas donner satisfaction à ceux qui, dans la presse, prétendent que je vais faire de l'obstruction. Or ce n'est surtout pas mon intention. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Bien !

M. Maxime Gremetz. Les six mille amendements que nous avons déposés ne sont pas des instruments d'obstruction. Nous les défendrons tous, les uns après les autres, jusqu'au début du mois d'août. Certains font de l'obstruction tout en la reprochant aux autres. Ce n'est pas mon cas. Quand je veux faire de l'obstruction, je l'annonce. La franchise a toujours été le meilleur moyen de se faire comprendre.

M. Hervé Mariton. Cela ressemble à quoi quand vous faites de l'obstruction ?

M. Maxime Gremetz. Je me suis longuement exprimé hier, en défendant l'exception d'irrecevabilité. J'ai donné des arguments, avec lesquels on peut être d'accord ou pas, mais, au moins, cela a permis d'ouvrir le débat.

En fait, nous avons beaucoup trop tardé.

M. Pierre Lellouche. Alors qu'avec six mille amendements, nous allons avancer !

M. Maxime Gremetz. Tout le monde savait qu'en laissant se dégrader les comptes de la sécurité sociale sans prendre les mesures radicales qui s'imposaient, on ne pourrait pas la sauver. Nous n'avons pas trente-six moyens pour le faire. J'aimerais qu'on m'explique comment on a trouvé les moyens de la construire en 1946, dans un pays dévasté, et pourquoi, aujourd'hui, on ne peut pas assurer une couverture de base pour l'ensemble des Françaises et des Français alors que le produit intérieur brut a considérablement augmenté.

C'est une question de volonté politique, de choix. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Marsaudon. Vous n'en avez pas eu beaucoup !

M. Maxime Gremetz. Aujourd'hui on ne nous soumet que des mesures bouche-trous. Ainsi vous ne proposez de réduire le déficit que par le déremboursement, l'augmentation du forfait hospitalier d'un euro sur chaque acte, l'augmentation de la CSG. C'est la pensée unique ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Marc Roubaud. Pas vous, monsieur Gremetz !

M. Maxime Gremetz. Je veux sortir de cette pensée unique, mais, pour cela, il faut avoir le courage d'affronter le MEDEF, ceux qui réalisent des profits considérables avec les revenus financiers. C'est un courage que nous avons essayé d'avoir pendant six ans, en proposant...

M. Jean-Marc Roubaud. Rien !

M. Maxime Gremetz. ...des solutions alternatives. Celles que vous proposez ont déjà été tentées. Chacun a pu remarquer qu'elles se sont soldées par des échecs, quels qu'aient été les gouvernements qui les ont mises en œuvre. Il est indispensable de se tourner vers des solutions novatrices et, surtout, cesser de faire porter la responsabilité des milliards qui s'en vont aux salariés en les frappant encore, alors que certains vivent sous le seuil de pauvreté. D'autres choix s'offrent à vous : les revenus financiers, les cotisations patronales.

Non seulement votre projet échouera, mais il aggravera encore la situation. Il franchit un nouveau pas vers la privatisation rampante, dont les assureurs privés - Axa et compagnie - se régalent à l'avance. Et pour cause ! Ce marché, vous le savez comme moi, est plus important que le budget de la nation française : plus de 2 000 milliards contre 1 600 milliards !

M. Pierre Forgues. De francs !

M. Maxime Gremetz. Comment voulez-vous qu'un marché pareil laisse de marbre les assureurs privés et les trusts pharmaceutiques ? Comment pourrait-on éviter, avec vos choix, d'aller vers une médecine à deux vitesses ? Surtout, comment voulez-vous que, les uns et les autres, y compris le MEDEF (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) ...

M. le président. Monsieur Gremetz, le temps passe très vite !

M. Maxime Gremetz. Je me laisse emporter par la passion de mes collègues, monsieur le président.

M. le président. C'est pourquoi je vous fais cette remarque.

M. Maxime Gremetz. Ils réagissent dès que j'évoque le MEDEF !

Moi je ne dis pas que la solidarité nationale n'est pas notre affaire, qu'elle doit être fiscalisée et que nous ne voulons plus payer les cotisations sociales ou juste un peu pour les accidents du travail et les maladies professionnelles, car c'est le meilleur moyen de mettre en l'air un pilier essentiel de la sécurité sociale. Vous allez dans ce sens ; le MEDEF est bien content et les assureurs privés aussi. Vous faites beaucoup d'heureux dans cette affaire.

Nous continuerons à proposer une autre réforme, projet contre projet. On nous opposera que, une fois la réforme votée, on ne pourra plus rien faire. N'ayez crainte ! Vous avez adopté la réforme des retraites et du statut d'EDF-GDF, mais ce n'est pas terminé.

M. le président. Il le faudrait pourtant, monsieur Gremetz.

M. Maxime Gremetz. Quand votre majorité, à la botte,...

M. Jean-Marc Roubaud. Ce n'est pas gentil !

M. Maxime Gremetz. ...aura voté cette prétendue réforme, qui n'est qu'un petit pansement qui profitera encore aux mêmes, vous le paierez, dans la rue et aux élections. C'est pourquoi nous voterons cette question préalable.

M. le président. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

M. le président. Je vais suspendre la séance quelques minutes avant d'aborder la discussion générale.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Hervé Mariton, premier orateur inscrit.

M. Hervé Mariton. Le débat qui s'est engagé, hier, sur le projet de loi relatif à l'assurance maladie répond à une attente importante de nos compatriotes. Il porte sur un acte concret de réforme de l'État, une réforme que l'État a engagée en relation avec ses partenaires là où elle était le plus nécessaire. Nous sommes attendus sur ce sujet d'autant que cela touche aussi à la rénovation de l'engagement politique.

Parler de l'assurance maladie, c'est traiter d'une part importante de la dépense publique.

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. C'est exact !

M. Hervé Mariton. Il est vrai que, au fil des années, la participation du Parlement sur ces questions a significativement progressé. Si les progrès se sont avérés insuffisants et si les préoccupations ont été lacunaires et inconstantes, nous avançons, aujourd'hui, sur ce terrain dans l'instant et dans la durée.

La réforme dont nous allons débattre pendant les semaines à venir sera efficace puisqu'elle s'autorégulera et s'autocontrôlera. Le Parlement s'étant engagé sur les questions d'assurance maladie, les représentants de la nation, particulièrement les parlementaires, s'étant emparés du sujet mieux qu'ils ne l'ont fait jusqu'à maintenant, on peut escompter que, lorsqu'il s'agira de parfaire cette réforme, ils s'y emploieront et répondront ainsi à la préoccupation de nos concitoyens.

Cette rénovation de l'engagement politique - affirmer que le Parlement doit être présent sur un sujet aussi essentiel - est une évolution fondamentale, une évolution dans la durée. Lorsque le Parlement se sera emparé du sujet, il agira avec le Gouvernement, mais en restant vigilant à son égard. Il sera garant de la poursuite et du succès de la réforme de l'assurance maladie, progrès dont chacun est conscient de la nécessité dans l'élaboration et le suivi des projets de loi de financement de la sécurité sociale.

Nous sommes tous conscients de l'importance du sujet, mais ce projet est-il à la hauteur de l'enjeu ? L'UMP affirme que oui ; ses membres le diront tout au long de ce débat.

M. Gérard Bapt. Ce n'est pas ce que vous dites en privé !

M. Claude Evin. Vous ne fixez pas la barre bien haut !

M. Hervé Mariton. Cet enjeu est essentiel parce qu'il touche à la vie, à la santé et à la solidarité face aux aléas. La réforme de l'assurance maladie est évidemment indissociable de l'ambition d'une politique de santé et vient, en toute cohérence, après l'examen et le vote du texte relatif à la santé publique.

Cet enjeu, il faut le reconnaître d'emblée, n'est pas exempt de contradictions, compte tenu de la perception qu'en ont nos concitoyens s'agissant de l'efficacité supposée de la sécurité sociale et du trou financier auquel elle serait prédestinée. La réalité est plus subtile. Notre système de santé est, certes, bon, souvent très bon. Cependant, selon certains indicateurs, il est parfois comparable à celui d'autres pays étrangers et l'espérance de vie des Français, bien qu'elle ait progressé au fil des années, demeure dans la moyenne.

Quant aux difficultés financières, on peut affirmer, sans excès de prétention, que, grâce aux réformes engagées, je pense à celle de 1995, la maîtrise du système a progressé.

Nous nous devons de souligner, dès l'ouverture de ce débat, la conscience inégale de nos compatriotes de la situation financière de l'assurance maladie. J'ai été frappé de constater que plus de 45 % des Français évaluent la dépense annuelle moyenne par personne à 15 euros. L'écart entre cette perception et la réalité permet de mesurer la difficulté du débat, l'ampleur de la tâche pédagogique qui nous attend et son urgence. Malgré ces approximations, la réforme de l'assurance maladie - réforme de la sécurité sociale, comme la nomment nos concitoyens - reste une de leurs préoccupations. Le mot « sécurité » est important, qui ramène à l'idée de confiance. On peut choisir entre « préserver » ou « réformer », l'essentiel est de répondre à la demande de nos concitoyens en matière d'assurance maladie.

Nos travaux ont commencé avec la mission d'information présidée par Jean-Louis Debré qui a fait apparaître un large accord sur les principes essentiels de l'assurance maladie et sur la définition du diagnostic. Les divergences sont apparues lorsqu'il s'est agi de thérapeutique. L'unanimité des parlementaires et des personnes auditionnées sur les principes et diagnostics masque peut-être des réalités plus complexes, source de futures discussions. Cette réforme, constat objectif du débat, doit être prudente et ambitieuse, la combinaison de ces deux vertus étant, sans doute, le gage de son succès.

Réformer l'assurance maladie n'est pas un enjeu spécifique à la France, et notre collègue Edouard Landrain, après analyse des débats relatifs à l'assurance maladie qui se tiennent ailleurs en Europe, a identifié cinq tendances principales communes aux différents pays : la décentralisation des décisions, la mise en concurrence régulée des prestataires de santé, la responsabilisation des acteurs, la modernisation de la gestion, le renforcement du contrôle et de l'évaluation. Il me semble important de rappeler ces cinq tendances dès l'ouverture de cette discussion, et nous y reviendrons, d'abord pour y réfléchir, ensuite pour prendre des décisions.

Certes, d'un pays à l'autre, d'une histoire à l'autre, les voies d'avenir peuvent être différentes ; les valeurs de l'exception française ne nous dispensent pas pour autant de prendre en compte les autres expériences et de nous en servir comme guide, quitte à répondre différemment aux questions qui se posent partout.

J'ai évoqué, au début de mon propos, une autre caractéristique importante de la réforme : elle est fortement portée par la représentation nationale. En mettant sur pied une mission d'information puis une commission spéciale, nous avons montré que nous reconnaissions l'importance et la spécificité de l'enjeu. Maintenant, nous en sommes au débat en séance plénière, qui sera peut-être long. S'il est long et riche, tant mieux ; s'il est long simplement parce que l'opposition fait de l'obstruction, ce sera un peu dommage. Quoi qu'il en soit, nos compatriotes attendent tellement de ce texte qu'il est de la responsabilité du groupe majoritaire d'être patient et confiant ; une réforme aussi essentielle mérite bien que nous lui consacrions quelques jours voire, plus probablement, quelques semaines.

M. Jean-Pierre Door. Quelques jours, plutôt ! (Sourires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Hervé Mariton. Après le débat, la mobilisation de la représentation nationale restera essentielle. En cette matière aussi nous appelons au renforcement du contrôle parlementaire, qu'il s'agisse de la mise en œuvre des lois de financement de la sécurité sociale ou d'autres questions. Cette réforme est bonne, mais les meilleures réformes ont à la fois besoin d'une élaboration collective et d'une mise en œuvre collective ; nous en avons fait l'expérience.

Nous avons adopté une approche nouvelle dans ce domaine - même si nous pouvons nous flatter d'avoir déjà pratiqué de la sorte sur d'autres questions -, que je décrirai brièvement car elle est très claire : la solution au problème posé n'est pas de payer plus pour être moins bien servi. On connaît ces réformes, assez faciles à décider et encore plus faciles à mettre en œuvre, qui consistent à accroître les prélèvements et à réduire les remboursements ; ce n'est pas le choix que le Gouvernement nous propose et le groupe UMP s'en félicite.

M. Gérard Bapt. Le groupe UMP manque décidément de clairvoyance !

M. Hervé Mariton. Ce projet de loi est tout entier construit sur un principe dont le respect déterminera notre succès ou notre échec : l'engagement de la responsabilité des acteurs, c'est-à-dire de tous, patients et professionnels de santé. Cela passe par des méthodes et des outils, comme le dossier médical personnel, le recours au médecin traitant ou la promotion des médicaments génériques, et, plus largement, par une démarche exigeante de rationalisation de l'offre de soins et de la demande de soins, de l'adéquation entre offre et demande, pour tout dire.

Chacun l'a compris, cette responsabilisation est essentielle au succès de la loi. Si nous ne savons pas faire prendre conscience à nos compatriotes de la responsabilité qui leur incombe, la réforme échouera, quelles que soient les vertus et les qualités des mécanismes de la loi. En fait la réforme réussira parce que nous aurons à cœur de leur faire comprendre l'enjeu, parce que, comme je l'indiquais à l'instant, l'engagement déterminé du Parlement dans ce dossier constitue un début utile de pédagogie et d'explication.

La responsabilisation des acteurs, c'est bien sûr celle des patients, mais aussi celle des professionnels de santé, dans leur diversité, car ils appartiennent à des catégories diverses et interviennent à différents moments de la délivrance du soin. La réforme a pour objectif de les rendre plus responsables encore demain et, à cet effet, nous encouragerons la formation et l'évaluation.

La responsabilité suppose aussi la sanction des abus. J'ai entendu, tout à l'heure, une critique sur ce point. De l'argent public est tout de même en cause ! Une solidarité à l'échelle de la nation est déployée ! Il n'est donc pas choquant, et nous le revendiquons, que les abus soient davantage sanctionnés.

M. Gérard Bapt. Visez les vrais coupables !

M. Hervé Mariton. La réforme répond, en outre, à une question que le haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie et la mission d'information parlementaire avaient posée : y a-t-il un pilote dans le système ? Ce texte propose des progrès bienvenus et utiles en matière de gouvernance, en articulant subtilement les missions des différents intervenants, chacun d'entre eux ayant toute sa place dans le dispositif. Il convient en effet que la multiplication des acteurs n'amène pas à leur affaiblissement ; les pilotes du système devront faire preuve de la plus grande vigilance sur ce sujet.

Une autre caractéristique de la réforme, toute simple mais essentielle, est sa dimension pratique - pratique aujourd'hui, mais aussi pratique demain - et nos débats, à cet égard, devront éclairer certains points. Prenons l'exemple du dossier médical personnel : chacun a bien compris qu'il est question d'organiser l'offre de santé et de maîtriser la démarche du patient, mais, en même temps, notre groupe est aussi attaché, évidemment, à la protection des droits du malade, et certains amendements viendront souligner cette approche.

Les modalités concrètes du dossier médical personnel revêtiront une importance particuilère et il ne faudra pas sous-évaluer les questions qui surgiront à mesure que nous approcherons de sa mise en place pour concilier détermination à organiser le système de santé et respect essentiel des droits du malade. Même si ces modalités ne sont pas toutes d'ordre législatif, même si toutes n'ont pas leur place dans la loi - certaines d'entre elles seront précisées par d'autres textes -, nos débats, dans les jours ou les semaines qui viennent, devront apporter tous les éclaircissements qu'attendent nos compatriotes.

Il faut aussi, monsieur le ministre, s'engager sur la voie de la décentralisation, sans hésitation mais prudemment, résolument mais sans négliger la réflexion et l'expérimentation. C'est l'objet d'un amendement que le groupe soutient, tendant à créer des missions régionales de santé ; considérons cela comme un début. Ne nous engageons pas dans ce mouvement à l'aveugle mais explorons les marges de progrès du système français en comparant avec ce qui se fait à l'étranger et en analysant la situation avec discernement.

Cette réforme, rappelons-le, est aussi fondamentalement porteuse de progrès social : elle encourage l'accès aux mutuelles. On peut le railler, comme je l'ai entendu tout à l'heure, mais je trouve cela indécent envers ceux de nos compatriotes qui, pour des raisons matérielles, ne peuvent aujourd'hui bénéficier d'une mutuelle et qui, demain, pourront prétendre à une aide.

M. Jean-Marie Le Guen. Vous déraillez !

M. Hervé Mariton. Un tel mépris à l'égard des plus défavorisés des Français est tout simplement scandaleux.

M. Jean-Marc Roubaud. Très bien !

M. Claude Evin. C'est un vœu pieux ! Ils ne pourront pas plus prendre de mutuelle demain qu'aujourd'hui !

M. Hervé Mariton. Nous avons entendu votre mépris, tandis que, pour notre part, nous apportons une réponse au problème,...

M. Jean-Marie Le Guen. C'est une provocation, pas une réponse !

M. Hervé Mariton. ...dans le respect de nos engagements politiques. Il n'est pas scandaleux de respecter des engagements politiques, qui s'intègrent, en l'occurrence, dans le projet social de la majorité.

M. Jean-Marie Le Guen. Vous irez l'expliquer aux mutualistes !

M. Hervé Mariton. Cette réforme, enfin, est respectueuse des générations futures. Nous refusons que les déficits ne se creusent. Il faut, à cet effet, assurer en permanence un pilotage fin et une évaluation constante de la réforme, ce qui suppose des données exactes et, si nécessaire, des recalages. Nous avons heureusement constaté que le Gouvernement, dans sa sagesse, avait retenu les évaluations médianes de l'effet des mesures que nous allons prendre.

Oui, cette réforme exprime la confiance du législateur envers l'exécutif ; tel est l'avis de notre groupe. Cela oblige l'exécutif, chef de file de la gouvernance du système, à mesurer toute sa responsabilité.

Je conclurai, monsieur le président, sur l'aspect primordial de la réforme : le pari que nous voulons réussir ensemble. À cet égard, la « fuite » de la note de Bercy s'est avérée très intéressante parce qu'elle éclaire bien le débat en distinguant les chiffres acquis des changements auxquels nous aspirons. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Très bien !

M. Hervé Mariton. Oui, cette réforme décrit des choix volontaires ! Oui, elle appelle à des changements de comportement. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Excellente analyse !

M. Hervé Mariton. La logique comptable est respectable, et nous n'émettons pas d'objection à ce que les comptes soient comptables ; c'est dans l'ordre des choses. Néanmoins notre réforme est ambitieuse et, au-delà de cette part acquise, nous voulons encourager, suggérer, construire des choix de comportements volontaires. Ce n'est pas impossible.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Hervé Mariton. Je conclus, monsieur le président.

Nous avons par exemple assisté, ces dernières années, en ce qui concerne la consommation de médicaments génériques, à une évolution très positive qui a donné tort aux sceptiques.

Oui, nous devons être ambitieux pour la réforme, mais prudents quant à ses résultats. Tout ne sera pas réglé dans l'instant, il n'existe pas de méthode miracle, mais nous avons pour ambition, d'ici à 2007, d'assainir les bases de l'assurance maladie dans notre pays.

Votre réforme n'est ni révolutionnaire...

M. Claude Évin. On s'en était rendu compte !

M. Hervé Mariton. ...ni démagogique. Elle est - et ce n'est pas rien ! - pragmatique, partagée et acceptée.

Alors, oui, le groupe UMP, messieurs les ministres, la soutient volontiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Claude Évin.

M. Claude Évin. Monsieur le ministre de la santé et de la protection sociale, vous aviez l'opportunité de procéder à une vraie réforme de notre système de santé. Malheureusement, je crains que vous parveniez à peine à redresser la situation des comptes de l'assurance maladie.

Vous vous tirerez sans doute de cet exercice, sur le plan politique, avec l'image d'un homme habile, mais l'histoire n'en gardera pas pour autant de vous celle d'un grand réformateur. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) L'habileté n'est pas à exclure de toute démarche politique, mais elle ne saurait en être le seul horizon.

Ne vous en déplaise, monsieur le ministre, votre réforme n'est pas «d'une ampleur jamais égalée », comme vous le prétendiez dans l'interview que vous donniez, hier matin, à un quotidien économique. Quelles que soient les critiques sur le fond que l'on peut formuler à l'encontre des ordonnances de 1996, elles représentaient des éléments de réforme autrement plus structurants pour notre offre de soins que ce que vous nous proposez aujourd'hui.

Vous nous présentez tout au plus un texte portant diverses mesures d'ordre social, peut-être aussi un peu de financement de la sécurité sociale, mais certainement pas une grande réforme révolutionnaire, comme le prétendait M. Mariton à l'instant.

M. Gérard Bapt. Un peu exalté, comme d'habitude !

M. Claude Évin. En fait, vous n'avez pas caché - et M. Bertrand est revenu sur ce point dans son intervention - que ce que vous estimiez être la vraie réforme serait la loi organique que vous nous avez annoncée pour l'automne. J'y reviendrai.

Vous aviez, dis-je, l'opportunité de réaliser une grande réforme de notre système de santé. Le haut conseil de l'assurance maladie - c'était une démarche intéressante - avait, en effet, dressé un bilan lucide. Il avait surtout - et c'était cela qui vous offrait la possibilité de répondre à certains de ses constats - établi un bilan de l'état de santé de notre population, mettant en lumière ses fragilités et faisant apparaître les disparités dans l'accès aux soins, disparités géographiques ou disparités liées à l'organisation de notre système. Vous auriez pu utiliser ce bilan - M. Le Guen y a fait largement allusion - qui vous donnait matière à réformer. Vous ne vous êtes pas saisi de cet enjeu.

Il est vrai que la situation financière de l'assurance maladie est catastrophique. Cependant il faut regarder la réalité de l'évolution des comptes de l'assurance maladie. Même si vous n'aviez pas, monsieur le ministre, la charge de ce secteur depuis 2002, vous ne pouvez vous exonérer, en raison de vos responsabilités politiques, d'un soutien au gouvernement en place depuis cette époque. Or personne ne peut nier que la situation s'est particulièrement dégradée dans cette période, comme en témoigne le document que j'ai entre les mains et qui est extrait du rapport que vous avez présenté à la commission des comptes de la sécurité sociale, il y a quelques jours.

Il est très intéressant d'y constater à quel point, je le répète, la situation s'est dégradée depuis 2002.

Je dois à l'objectivité de reconnaître - y compris devant mes amis politiques - que jamais les comptes de l'assurance maladie n'ont été équilibrés, contrairement à ce que j'ai parfois entendu dire. Les comptes de la sécurité sociale l'ont certes été, en prenant en considération l'ensemble des branches consolidées, mais l'assurance maladie n'a jamais connu d'excédent, ni même l'équilibre.

Cette situation n'est pas fortuite : elle est liée à l'évolution des techniques. Néanmoins la dégradation des deux dernières années est encore moins fortuite car votre prédécesseur avait théorisé, à cette tribune même, le fait qu'une autre organisation était possible pour la sécurité sociale dans notre pays. Il avait, en décembre 1999, - j'ai eu de nouveau ce débat avec lui lorsqu'il a présenté la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 - proposé une alternative, considérant qu'il fallait mettre en concurrence l'ensemble des assureurs, publics et privés, comme cela s'est fait dans d'autres pays, par exemple aux Pays Bas.

La seule manière de s'orienter vers cette solution était de créer une grave situation de déficit. C'est bien pourquoi, à la fin de 2002, il avait quasiment défendu la théorie qu'il ne fallait pas maîtriser l'évolution des comptes.

Si - je l'ai admis - les comptes n'ont jamais été équilibrés, du moins, lorsque nous étions aux responsabilités entre 1997 et 2002, avons-nous tenté en permanence de maîtriser l'évolution des dépenses, car c'est de leur maîtrise que dépend le maintien de notre solidarité nationale.

M. Gérard Bapt. Très bien !

M. Claude Évin. De ce point de vue, il existe un fossé idéologique entre nous et Jean-François Mattei, avec lequel nous avons eu ce débat ici, mais aussi François Goulard, membre de Démocratie libérale lors de la précédente législature et porte-parole de la commission des finances dans le débat sur l'assurance maladie, ainsi que, par là même, avec Alain Madelin, lui aussi de Démocratie libérale, parti dont est originaire Jean-Pierre Raffarin, actuel Premier ministre.

Depuis 2002, conformément à cette philosophie, ils ont maintes fois considéré que le déficit de l'assurance maladie pouvait conduire à une réforme tendant à mettre en concurrence les régimes de sécurité sociale.

M. Gérard Bapt. Et voilà !

M. Claude Évin. Je n'ai jamais pensé, pour ma part, monsieur le ministre, qu'un gouvernement libéral, un gouvernement de droite, pourrait décréter la privatisation. En revanche, j'ai songé qu'il existait une manière insidieuse d'y conduire, à savoir, précisément, laisser se créer les conditions que l'on constate depuis 2002 ! (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Door. Le procédé est peu élégant !

M. Gérard Bapt. C'est la vérité !

M. Claude Évin. Je suis prêt à reconnaître que le discours officiel a changé et à en prendre acte, mais, en n'apportant pas les solutions suffisantes, vous ne corrigez pas la situation et vous ne pourrez nous éviter de nous acheminer vers un transfert de la prise en charge par les régimes obligatoires à la prise en charge par les régimes complémentaires.

Il est un autre élément intervenu dans le débat au cours des dernières heures : la nécessité, pour éviter toute dérive, d'une loi organique obligeant, enfin, au respect de l'objectif des dépenses. Vous y avez vous-même fait allusion, monsieur le ministre, dans une interview accordée il y a quelques jours, en déclarant qu'une loi de financement, cela se respecte !

J'aborderai rapidement la question de l'ONDAM. Est-il normal qu'il ne soit pas respecté ? On peut en débattre mais si l'on veut qu'il le soit, si l'on veut par conséquent entrer dans une enveloppe fermée, il n'y a que trois solutions.

La première serait d'arrêter de soigner, mais vous dites que c'est impossible. Je fais tout de même observer que, selon la première version, en cas de dérive des dépenses constatée par le comité d'alerte, on envisageait d'empêcher que l'on engage des dépenses nouvelles. On pouvait tirer de cette rédaction - d'ailleurs, les médecins libéraux ne s'y sont pas trompés et ont demandé que cette disposition soit revue - l'idée que, à un moment de l'année, on pourrait déclarer qu'il n'est plus possible de soigner les patients !

La deuxième solution serait de faire reposer la maîtrise de ces dépenses sur les professionnels, au moyen des lettres clés flottantes, qui ont été expérimentées mais dont l'emploi n'a pas donné de résultats convaincants. Il s'agissait de subordonner l'évolution des tarifs à celle des volumes : dès lors qu'une dépense augmente trop vite, on diminue les tarifs de remboursement. Vous vous y refusez.

Reste la solution de rendre opposable la dérive des dépenses aux assurés sociaux et donc de diminuer les remboursements. C'est bien là qu'est le nœud de la réforme qui sera traité dans la loi organique que vous nous présenterez à l'automne, et non dans ce projet de loi portant diverses mesures d'ordre social.

Par ailleurs, ce n'est pas seulement par les changements de comportements - d'autant qu'on ne les fait pas changer par la loi -,...

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. On y est bien arrivé pour la sécurité routière !

M. Claude Évin. ...que nous pourrons atteindre l'objectif que nous nous sommes fixé, vous le savez très bien. Il y faut une autre organisation de notre système de santé.

De quoi souffre-t-il ? Essentiellement, de son cloisonnement  entre la ville et l'hôpital, entre le sanitaire et le social, entre la prévention et les soins.

M. Jean-Marc Roubaud. C'est le dossier médical partagé !

M. Jean-Marie Le Guen. Pas du tout !

M. Claude Évin. Ce cloisonnement est préjudiciable d'abord aux malades, car il empêche une bonne prise en charge. Il porte également préjudice à la situation économique de notre système car il engendre des redondances, sources de dépenses.

S'il était une réforme que vous auriez dû nous proposer, c'était bien celle de l'organisation de l'offre et de la coordination des soins. Or, en la matière, vous ne nous proposez que le dossier médical partagé. Outre qu'il peut poser des problèmes constitutionnels et que sa mise en place prendra du temps, il ne constitue pas la panacée, car ce n'est pas la transmission de l'information entre les praticiens, même si elle est utile, qui modifiera le mode de prise en charge des patients.

De toute façon, il ne produira d'effets que s'il existe une autre manière de prendre en charge les patients. Je suggérerai, à cet égard, le développement des réseaux, dont il n'est nullement question dans le présent projet. J'espère que vous prendrez en compte les amendements qui ont été déposés à ce sujet. Voilà qui aurait pu remédier réellement au cloisonnement de notre système de soins.

De même, en ce qui concerne l'élaboration des protocoles de soins pour les personnes atteintes d'affections de longue durée - cancer, diabète, par exemple -, c'est autour de leur prise en charge que doivent se développer les réseaux.

Enfin, j'évoquerai la question du pilotage du système.

Pour mettre en place ces réseaux, des mesures comme le dossier médical ne suffiront pas, si ne s'exprime pas la volonté de bien identifier le pilote : qui organise l'offre de soins, avec la fluidité nécessaire entre les acteurs et sur le plan territorial ?

De ce point de vue, vous ne clarifiez pas le débat et, loin de simplifier les procédures, vous les compliquez.

Je ne rappellerai pas le débat que vous avez eu avec les partenaires sociaux, mais je veux revenir sur le sens qu'il faut donner à l'assurance maladie.

Le manque d'ambition de ce texte tient sans doute à ce que, comme vos prédécesseurs, mais aussi comme les partenaires sociaux, vous avez une conception étroite de l'assurance maladie. Le débat est limité à ce que connaissent les partenaires sociaux, c'est-à-dire aux relations entre les caisses de sécurité sociale et les professionnels libéraux de santé. Vous réduisez l'assurance maladie à l'offre de soins ambulatoires. Or l'assurance maladie permet à l'assuré social de se faire soigner en prenant en charge, non seulement les soins ambulatoires, mais aussi l'hôpital, le médicament, voire la convalescence dans un service de rééducation.

Un tel système nécessiterait que l'on en identifie le pilote. Nous devrions donc avoir un débat sur le rôle réel des caisses de sécurité sociale, lequel ne peut être le même que celui qu'elles tenaient en 1945 lorsque la moitié des dépenses d'assurance maladie étaient consacrées aux indemnités journalières.

Aujourd'hui, le système de santé est devenu bien plus sophistiqué. On y associe plusieurs acteurs et il est donc impossible de maintenir son organisation telle qu'elle était, à juste titre, il y a soixante ans. Nous aurions pu envisager une organisation différente de notre système de santé, mais nous n'avons pas pu en parler.

Sur l'initiative du groupe socialiste, nous avons eu, en avril 2003, un débat sur l'assurance maladie. J'avais alors évoqué la nécessité de mettre en place une agence nationale de santé, sous la responsabilité de l'État, qui aurait permis de mieux associer les partenaires sociaux à la gestion du système.

Au contraire, vous concrétisez une étatisation qui ne dit pas son nom - Jean-Marie Le Guen a parlé à juste titre de proconsuls - puisque vous retirez aux caisses de sécurité sociale et aux conseils d'administration le pouvoir de négocier les conventions médicales pour en confier la responsabilité au seul directeur de l'UNCAM.

Monsieur le ministre, lors de nos travaux en commission, nous avons formulé une proposition. Nous ne remettons pas en cause votre dispositif au niveau national, même si nous souhaitons en débattre. En revanche, nous souhaitons nous diriger vers un pilotage unique, avec l'instauration d'agences régionales de santé.

Le groupe socialiste a déposé huit amendements en ce sens, dont le rapporteur et les membres de la majorité ont reconnu qu'ils étaient structurés. Il ne s'agit pas d'une déclaration d'intention, car nous avons imaginé une architecture législative : ces agences régionales de santé réuniraient sous leur autorité l'ARH, l'URCAM, le GIP de santé publique, et pourraient contractualiser avec les départements dans le secteur médicosocial.

Par ailleurs, ces agences pourraient être mises en place au 1er juillet 2006. Nous prévoyons en effet une période de transition, pour pouvoir négocier avec les personnels. Certes, certaines de ces dispositions vous sembleront peut-être d'ordre réglementaire, mais nous sommes prêts à en débattre.

Nos amendements ont malheureusement été repoussés par la commission et ne pourront pas être déposés à nouveau, car ils tombent sous le coup de l'article 40. Je le regrette, car, en l'occurrence, il ne s'agit pas de dépenses supplémentaires. Au contraire, ces amendements visent à rassembler les institutions déjà existantes et les dépenses y afférent et à réaliser ainsi des économies de gestion.

Cependant telles sont les règles de notre assemblée, et je ne contesterai pas le pouvoir du président de la commission des finances dont je sais par ailleurs qu'il est, lui aussi, attaché à cette démarche. Je vous propose donc, monsieur le ministre, de reprendre ces amendements, quitte à demander qu'ils ne soient pas adoptés. Mais reprenez-les, puisque vous êtes le seul à pouvoir le faire, afin que nous puissions avoir un débat de fond sur la création des agences régionales de santé.

Telle est, monsieur le ministre, l'appréciation, malheureusement rapide, que je souhaitais formuler sur ce texte et nous y reviendrons lors de la discussion des articles. Vous auriez sans doute pu nous proposer un projet ambitieux. Vous avez manqué l'occasion et je le regrette. Lorsque nous reviendrons aux responsabilités en 2007 (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) ...

M. Jean-Marc Roubaud. Comique !

M. Yves Bur, président de la commission spéciale. Ne vendez pas la peau de l'ours avant de l'avoir tué !

M. Claude Evin. ...nous pourrons mettre en œuvre une réelle coordination de l'offre de soins et un pilotage unique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. François Guillaume. Il fallait le faire avant ! Pourquoi n'avez-vous rien fait ?

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Préel.

M. Jean-Luc Préel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la réforme de notre système de santé est urgente et indispensable, nous en sommes tous convaincus. Elle doit permettre de garantir un haut niveau de santé à chacun de nos concitoyens et un égal accès à des soins de qualité grâce à un financement solidaire.

La réforme est indispensable, car notre système de soins connaît une grave crise morale, organisationnelle et financière. Tous les secteurs, ambulatoire et hospitalier, sont en crise.

La réforme est urgente, car le déficit est abyssal : 32 milliards d'euros de déficit cumulé en trois ans, 14 milliards prévus pour 2004. Si rien n'était entrepris, tout notre système, auquel les Français sont très attachés, serait remis en cause.

Le diagnostic, posé après les travaux du haut conseil, est consensuel. L'étiologie est plus discutée. La thérapeutique, plus douloureuse, doit demander à chacun un effort.

Notre système de soins est bon, voire excellent dans le domaine curatif. Il permet une grande liberté de choix de son médecin, du lieu d'hospitalisation, de prescription, sans connaître de files d'attente, comme dans certains pays. Certes, il est relativement coûteux puisqu'il représente 9,7 % du PIB, mais les dépenses de santé participent, elles aussi, à la croissance. Elles ne se perdent pas dans un puits sans fond. Notre système permet surtout une grande solidarité.

Cependant, des progrès sont indispensables sur l'évaluation et la qualité, la séparation entre médecine de ville et hôpital et la non-fongibilité des enveloppes, la prévention et l'éducation, la coordination des soins, la démographie des professions de santé, la formation initiale et continue et, enfin, la responsabilisation de tous les acteurs. La tâche est donc énorme.

Certes, les dépenses sont appelées à augmenter, mais les raisons de la crise proviennent clairement de l'absence de pilote du système et du manque de responsabilisation à tous les niveaux.

Aujourd'hui, qui pilote le système : l'État, l'assurance maladie, le Parlement, les professionnels ? La réponse est claire : personne. Nous vivons dans la fiction d'un paritarisme dépassé, injustifié et inefficace. L'étatisation est presque achevée sans contrôle démocratique, puisque le ministère est responsable de l'hôpital, du médicament et de la quasi-totalité de l'ambulatoire, décide seul de la répartition des enveloppes et valide les conventions, sans rendre compte au Parlement de ses décisions.

Vous nous présentez une réforme qui se veut différente des précédentes. Elle doit modifier la gouvernance, améliorer la qualité et aboutir à l'équilibre financier en 2007. Mais est-ce la réforme que nous attendons tous, celle qui définira clairement le rôle de chacun et réunira la prévention, l'ambulatoire et l'hospitalisation ? Ou n'est-ce qu'une étape, avec des mesures intéressantes et d'autres plus discutables ?

Franchement, monsieur le ministre, ce projet nous a déçus. Pour l'UDF, il s'apparente davantage à un nouveau plan de financement dans lequel les recettes sont certes pratiquement certaines à hauteur de 5 milliards, mais les économies de dépenses, 10 milliards à l'horizon 2007, sont aléatoires, comme semble d'ailleurs le confirmer la note de Bercy.

Quant à la grande réforme de la gouvernance, nous sommes, là aussi, restés sur notre faim : les rôles du Gouvernement, du Parlement, de l'assurance maladie sont-ils clairement définis ? Tout le monde s'accorde pour reconnaître que notre système a deux défauts majeurs : la séparation de la médecine de ville et de l'hôpital avec la non-fongibilité des enveloppes, et un gros retard dans la prévention et l'éducation à la santé, par ailleurs séparée du soin. Corrigez-vous ces deux graves défauts ? À l'évidence, non. Vous l'envisagerez ultérieurement, donc dans une deuxième étape, ce qui signifie que le projet actuel n'est que provisoire. Dès lors, monsieur le ministre, à quand la prochaine étape, avec la création des ARS ?

Enfin, ce projet de loi manque de visibilité.

Depuis un an, de multiples textes ont traité de la santé : ordonnances de septembre, loi de santé publique qui confirme, en l'aggravant, la séparation du soin et de la prévention, confiant celle-ci aux préfets, loi sur les territoires ruraux, loi de décentralisation, nouvelle loi habilitant à légiférer par ordonnance pour l'hôpital. Bref, le Gouvernement s'intéresse au secteur de la santé, mais on cherche en vain une réelle cohérence entre ces différents textes. Pourquoi n'avez-vous pas profité du texte actuel pour définir et clarifier votre politique de santé ?

Ce projet de loi a trois objectifs : financer le déficit cumulé, réformer la gouvernance, pour, grâce à la maîtrise médicalisée des dépenses, aboutir à l'équilibre financier en 2007.

Pour financer le déficit cumulé de 32 milliards d'euros en trois ans, le Gouvernement a fait le choix de le reporter sur la CADES en prolongeant sa durée de vie. Prolonger la durée de vie de la CADES de dix à douze ans pour absorber un déficit de trois à cinq ans, en d'autres termes, prolonger sa durée de vie de trois ans par année est moralement inacceptable. En effet, est-ce aux générations futures de payer ce que nous n'avons pas su ou pas pu assumer, alors qu'elles devront payer les retraites et la dépendance ?

L'UMP a certes présenté un amendement tentant de couper la poire en deux, en augmentant la CRDS de 0,15 %, mais en prolongeant la CADES de six ans pour trois ans de déficit et en minorant les déficits pour 2005-2006.

M. Gérard Bapt. C'est la double peine !

M. Jean-Luc Préel. Cela est mieux, mais c'est toujours inacceptable. La CADES a été créée en 1995 par Alain Juppé pour résorber les déficits antérieurs, avec une durée de vie prévue jusqu'en 2009. Martine Aubry a chargé la barque en la prolongeant jusqu'en 2014. La CADES devait rembourser 53 milliards ; il en reste 38 à financer. Il est logique de lui confier le déficit accumulé. Toutefois pour remettre les compteurs à zéro et financer ce déficit, il nous semblerait préférable d'augmenter la CRDS de 0,35 %. Ainsi, nous assumerions nous-mêmes nos déficits sans les reporter sur les générations futures qui devront financer bien d'autres charges.

Vous proposez aussi des mesures pour améliorer la gouvernance. Pour l'UDF, il convient de définir clairement le rôle de chacun et de s'engager clairement et fermement dans une maîtrise médicalisée. En effet, celle-ci ne sera possible que lorsque chacun des acteurs professionnels et des malades sera impliqué dans les décisions et dans la gestion. Nous pensons qu'il faut réunir l'hôpital, l'ambulatoire et la prévention. C'est pourquoi nous plaidons pour une régionalisation de la santé, comme l'ont mise en œuvre nombre de nos voisins, permettant de développer une politique de santé de proximité, de prendre en compte les besoins et de veiller à l'adéquation de l'offre et des besoins.

Nous sommes donc partisans de la création, dès maintenant, d'agences régionales de santé. Repousser à plus tard - à quand, d'ailleurs ? - cette création souhaitée par beaucoup serait pour nous une grave erreur. L'ARS doit être le responsable unique de la santé au niveau régional pour l'ambulatoire, les établissements, la prévention et la formation.

En 1995, les ARH ont été créées par ordonnance. Franchissez le pas, monsieur le ministre, n'attendez pas ! Il s'agit non pas, comme vous l'avez dit en commission, de mettre les hôpitaux sous la coupe de l'assurance maladie, mais d'avoir un responsable unique de la santé au niveau régional. Il ne s'agit pas non plus de doter les ARS de nouveaux fonctionnaires, mais de mettre à leur disposition les personnels des DRASS et des CRAM.

L'UDF a déposé des amendements pour en permettre la création. Après les propos de Claude Evin sur l'article 40, j'ai quelque inquiétude, mais j'espère que le débat aura lieu.

De même, nous souhaitons que les conseils régionaux de santé soient élus par collèges. Ils seront les organes essentiels de la régionalisation permettant de responsabiliser les acteurs et de gérer l'ONDAM régionalisé. C'est ainsi que nous réussirons la maîtrise médicalisée. En d'autres termes, les conseils régionaux de santé réuniront les professionnels de santé et les représentants des malades qui seront associés en amont aux décisions et en aval à la gestion, notamment d'un ONDAM régionalisé, permettant ainsi d'aboutir à une véritable maîtrise médicalisée.

L'UDF propose également la création d'une caisse autonome spécifique, gérée paritairement, pour les accidents du travail et les maladies professionnelles, un secteur dans lequel le paritarisme se justifie pleinement. Comme la création des ARS, avec laquelle elle irait de pair, cette mesure doit être proposée aux partenaires sociaux.

Malheureusement, monsieur le ministre, votre projet ne va pas dans ce sens, du moins pour l'instant, car il paraît qu'il est susceptible d'évoluer. Vos propositions tendent à renforcer l'étatisation. La mise en place d'un paritarisme rénové semble relever de l'alibi tant celui-ci est dénué de pouvoir réel. Vous vous intéressez essentiellement à l'ambulatoire, renvoyant à un autre texte la réforme de l'hôpital et la prévention.

Votre projet rend le directeur général de la CNAMTS très puissant, puisqu'il dirigera aussi l'union des caisses. Nommé par l'État, il aura en réalité tous les pouvoirs. L'étatisation sera renforcée par ce dispositif qui ne prévoit aucun contrôle démocratique. Pensez-vous, monsieur le ministre, que la gouvernance en sera améliorée ? Comment empêcherez-vous les professionnels mécontents d'une décision de faire, comme aujourd'hui, le siège du ministre ? Sensible aux implications politiques des demandes, celui-ci pourra sans doute très difficilement éviter de les écouter, voire d'y répondre. Par ailleurs, quelle sera la place du Parlement dans cette nouvelle gouvernance ?

Le projet de loi présente cependant des propositions intéressantes mais qui méritent d'être améliorées.

S'agissant de l'offre de soins, dont l'amélioration de l'organisation est rendue possible par un parcours autour du médecin traitant, la question se pose de l'accès au médecin spécialiste, du niveau des honoraires et de celui des remboursements. Plutôt que de sanctionner l'accès direct au spécialiste, il nous paraîtrait préférable de favoriser le patient et le médecin respectant des bonnes pratiques.

Le dossier médical personnel est une excellente idée, mais sa finalité doit d'abord être l'amélioration de la qualité des soins. Le présenter comme source d'économies est, à notre sens, une erreur. D'ailleurs, sa mise en place prendra du temps et sera onéreuse : il faut assurer la sécurisation du système, choisir les hébergeurs, définir des conditions d'accès hiérarchisées, convaincre les professionnels de mettre à jour le dossier à chaque consultation. Ces derniers demanderont bien évidemment une rémunération pour le temps qu'ils devront y consacrer. Il faudra surtout, après avoir rappelé qu'il est la propriété du malade, savoir si celui-ci pourra s'opposer à ce que le dossier soit exhaustif ; il n'aurait alors plus de raison d'être.

Pour toutes ces raisons, attendre de la mise en œuvre du dossier médical personnel une économie de 4 milliards à partir de 2007 revient à espérer un miracle.

Nous saluons l'instauration d'une haute autorité de santé, que beaucoup réclamaient. Son rôle sera essentiellement scientifique : elle devra procéder à l'évaluation des bonnes pratiques ou du service médical rendu. Toutefois le mode de désignation de ses membres est pour le moins curieux. Pourquoi prévoir une nomination très solennelle, calquée sur celle des membres du Conseil constitutionnel - c'est-à-dire faisant intervenir le Président de la République et les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat - si son rôle ne doit être que consultatif, à l'instar de l'actuelle commission de la transparence du médicament ?

L'UDF propose, si l'on maintient ce mode de nomination, de donner à cette haute autorité un véritable rôle décisionnel, ou bien, si on ne lui confie qu'un rôle consultatif d'expertise, de faire nommer ses membres par les sociétés scientifiques.

La mise en place d'une union nationale des caisses permettra de favoriser la coordination. Elle avait d'ailleurs déjà été envisagée en 1995. Mais comment la concilier avec les spécificités de la MSA puis qu'il y aura un rôle de guichet unique pour la retraite et les familles et élection des administrateurs avec le canton pour circonscription ?

La création d'une union des organismes de couverture complémentaire, en coordination avec la précédente, est également intéressante. Reste à définir la place de chacun et à étudier la possibilité de contractualiser avec les professionnels. Il convient également de savoir si ses membres pourront siéger simultanément dans les conseils d'orientation des caisses et être ainsi à la fois juges et parties. Cela nous semblerait parfaitement illogique.

Pour avoir déposé une proposition de loi prévoyant la création d'un INSEE de la santé, chargé de recueillir l'ensemble des données médicales, de les traiter en temps réel et de les fournir à tous, l'UDF salue également la création de l'institut des données de santé. Cependant sa place et ses missions méritent d'être mieux définies, notamment par rapport au service informatique de la CNAM.

En revanche, nous nous interrogeons sur l'utilité réelle du comité de l'hospitalisation et surtout du comité d'alerte. Celui-ci aura-t-il compétence pour la totalité de l'ONDAM, c'est-à-dire l'hôpital et le médico-social ? Comment les caisses alertées, censées proposer des mesures de redressement, pourront-elles agir en ce qui concerne l'hôpital, ou s'agissant des recettes, lesquelles sont de la compétence du Parlement ? Tout le monde connaît la raison principale du dépassement de l'ONDAM : il n'a jamais été médicalisé, jamais fixé à un taux réaliste. L'augmentation est fixée par Bercy à partir de prévisions de dépenses faites en octobre de l'année précédente.

Les mesures financières permettront-elles d'atteindre l'équilibre en 2007 ? L'annonce d'un plan, il est vrai, a toujours entraîné un ralentissement des dépenses. Nous pouvons donc espérer qu'un phénomène aussi bienvenu se reproduira une nouvelle fois, mais les dépenses sont appelées à augmenter inexorablement : le haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie a montré qu'elles augmentaient de 2 % de plus que la croissance depuis vingt ans, pour des raisons d'ailleurs connues de tous : vieillissement de la population, améliorations technologiques et problème de génération. Nous sommes confrontés à deux enjeux majeurs : veiller à une bonne utilisation des recettes et trouver comment financer le différentiel qui se creuse entre PIB et dépenses de santé.

Les prévisions de recettes sont pratiquement assurées, notamment par l'augmentation de la C3S et de la CSG. Néanmoins l'application différenciée de cette dernière à plusieurs catégories de Français risque de poser un problème constitutionnel. Par ailleurs, si nous souhaitons depuis toujours que les taxes sur l'alcool et le tabac servent à financer les soins et la prévention - n'avons-nous pas reproché au gouvernement précédent de s'en servir pour financer les 35 heures ? -, force est de constater que le transfert de 1 milliard à l'assurance maladie creuse d'autant le déficit déjà considérable de l'État.

Quant au forfait hospitalier, l'augmentation d'un euro par an pendant trois ans, après l'augmentation importante décidée en 2004, va le porter à un niveau très élevé.

M. Gérard Bapt. Vous ne voterez donc pas cette mesure ?

M. Jean-Luc Préel. On peut comprendre la décision de demander aux malades une contribution d'un euro pour chaque acte, mais cette somme, aujourd'hui modeste, risque de suivre l'évolution du forfait hospitalier. Doit-elle être payée par tous, ou faut-il prévoir des exceptions, s'agissant, par exemple, des urgences hospitalières ou, surtout, des malades atteints d'affections de longue durée, pathologies lourdes qui imposent de consulter fréquemment ? Les éventuelles exonérations ne devraient-elles pas intervenir sur des critères médicaux ?

Si les 5 milliards de recettes supplémentaires sont donc quasi certaines, les économies attendues sur les dépenses, évaluées à 10 milliards, sont en revanche très aléatoires.

J'ai déjà montré combien il était peu vraisemblable de parvenir, grâce à la mise en place du dossier médical personnel, à une économie de 3,5 milliards. De même, espérer 1,6 milliard d'une meilleure coordination des achats hospitaliers n'est qu'un vœu. Le seul chiffre vraiment crédible est celui qui concerne la suppression des frais financiers par transfert de la dette à la CADES. Mais est-ce une économie pour la nation ?

Selon l'UDF, une fois les compteurs remis à zéro par le financement du déficit cumulé, il conviendra de s'engager dans une réelle maîtrise médicalisée, concernant l'hôpital comme l'ambulatoire, avec, pour objectif, la qualité des soins et l'efficience du système de santé.

Cette maîtrise médicalisée ne peut être obtenue que par une relation de confiance, par le contrat et par la régionalisation. À cet effort doivent donc être associés les professionnels, afin, d'une part, de mettre en œuvre une formation initiale et continue de qualité, obligatoire, financée et évaluée ; d'autre part de promouvoir enfin les bonnes pratiques, le bon usage de l'assurance maladie, ce qui implique un contrôle réel des anomalies affectant les prescriptions, examens, traitements ou arrêts pour maladie.

Il convient également de responsabiliser le patient et, dans ce but, de généraliser le principe du contrat passé entre le malade et son médecin afin de favoriser les comportements préservant la bonne santé ; d'insister sur la prévention et sur l'éducation à la santé ; de transformer la CMU en une aide personnalisée à la santé inversement proportionnelle au revenu, pour permettre à chacun de financer la complémentaire de son choix - une mesure que l'UDF avait, à l'époque, défendue avec le RPR - plutôt que de proposer un crédit d'impôt ; enfin d'œuvrer pour la généralisation de la caution remboursable, un excellent moyen de responsabiliser le patient par l'intermédiaire de sa complémentaire.

Notre souhait est de maintenir un système de santé solidaire, permettant l'égal accès de tous à des soins de qualité, et rendu plus efficient grâce à l'amélioration du ratio coût/efficacité. Cette réforme urgente et nécessaire est attendue par les Français.

Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que vous resteriez à l'écoute des parlementaires, qui auraient la volonté d'améliorer votre projet. Nous vous avons entendu, puisque l'UDF a déposé quatre-vingts amendements.

Pour l'instant, la commission n'en a accepté que quelques-uns, d'importance mineure.

M. Yves Bur, président de la commission spéciale. Tous les amendements sont importants !

M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur. Certains de vos amendements, acceptés par la commission, n'ont rien de mineur !

M. Jean-Luc Préel. C'est déjà mieux que rien. Cependant il en est d'autres, monsieur le ministre, qui ont pour but de faire évoluer votre projet et auxquels nous tenons particulièrement.

Tel est le cas de la proposition d'augmenter de 0,35 % la CRDS afin de ne pas faire porter la charge du déficit sur les générations futures ; de la création d'une caisse spécifique pour les accidents du travail et maladies professionnelles, qui donnerait au paritarisme toute sa signification ; de la mise en place d'agences régionales de santé, ...

M. Yves Bur, rapporteur. Nous y venons doucement.

M. Jean-Luc Préel. ...destinées à conjuguer prévention et soins, établissements et ambulatoire.

Il serait regrettable que l'application de l'article 40 empêche ces amendements de venir en discussion. Les orientations majeures qu'ils proposent méritent en effet une discussion.

Autres propositions importantes : l'élection de conseils régionaux de santé, chargés de responsabiliser tous les acteurs, de mettre en œuvre une maîtrise médicalisée et une politique de santé de proximité, ainsi que la hiérarchisation des actes et des prescriptions en fonction de la pathologie, ce qui constituerait une véritable maîtrise médicalisée de la dépense.

L'UDF considère que ce projet de loi est important, mais perfectible. Nous abordons les débats avec confiance, compte tenu de votre qualité d'écoute. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Monsieur le président, mes chers collègues, bien que le dossier des retraites ne soit toujours pas clos, le Gouvernement a décidé d'ouvrir celui de l'assurance maladie. Et, pour ce faire, il a choisi d'en discuter au Parlement en plein mois de juillet, au moment des congés annuels de nos concitoyens, lors d'une session extraordinaire. Vous en conviendrez, la démarche, comme d'ailleurs l'ensemble de l'offensive engagée par le Gouvernement, dénote un certain état d'esprit.

Usant des mêmes arguments de communication que pour la réforme des retraites, vous avez mené, monsieur le ministre, la bataille pour votre réforme à partir de l'argument classique d'un « trou financier» - mais cette fois-ci « abyssal » - dans les comptes de la sécurité sociale. Sans vouloir nier la réalité, vous devez admettre que ce qualificatif est quelque peu exagéré.

Trois chiffres suffisent à le démontrer : rapporté au budget de la protection sociale dans son ensemble, le déficit ne représente que 3,35 % ; rapporté cette fois à la dette publique - que vous avez largement contribué à alourdir -, il ne représente que 2 % ; enfin, rapporté au PIB, il n'atteint que 0,9 % des richesses produites pour 2004.

Bref, il s'agit effectivement d'un déficit : déficit idéologique, sans aucun doute, et qui vous aide bien, mais aussi déficit réel, sur lequel il convient de travailler.

Au lieu d'engager, comme nous le réclamons depuis des années - tel a été encore le cas en décembre dernier, lors du débat sur le PLFSS - une réelle réforme de l'assiette et des mécanismes de financement de la sécurité sociale, vous avez décidé, par une campagne tonitruante, de bombarder nos concitoyens d'assertions visant à leur faire peur ou à les culpabiliser.

Chacun y est allé de sa plume : ici, on s'affole face à un « système de santé devenu fou » où filent près de « 23 000 euros par minute » ; là-bas, on fustige «l'assuré irresponsable » et « grand fraudeur », « surconsommateur de médicaments » fournis par des « professionnels de santé peu scrupuleux », et j'en passe !

Vous avez même osé, monsieur le ministre, vous exhiber dans une émission de télévision pour montrer de fausses cartes Vitale,...

M. Jean-Marie Le Guen. Ce n'est pas beau ! Par ailleurs, bel exemple du respect du secret médical !

Mme Jacqueline Fraysse. ...comme si la majorité de nos concitoyens étaient malhonnêtes, et, surtout, comme si c'était l'explication des problématiques actuelles. Cet exercice est pour le moins indigne d'un ministre de la France, et méprisant pour celles et ceux auxquels vous l'infligez.

Si la communication a été fertile, on ne peut pas en dire autant du contenu de la réforme proposée.

Ce texte ne fournit aucun argument solide à votre souhait de préserver et de consolider l'avenir de notre système d'assurance maladie solidaire et universel. Bien au contraire, il met en place très précisément les mécanismes qui vont démanteler cet acquis social de justice et d'équité.

Toute votre campagne, construite autour de l'idée du déficit de l'assurance maladie, constitue, comme pour les retraites, un argument de régression. Il devient, dans votre texte, l'occasion de confirmer votre volonté de restreindre le niveau de couverture socialisée du risque maladie et d'élargir le recours à des recettes fiscales.

Contre les déséquilibres financiers de l'assurance maladie, plutôt que de vous interroger sur les recettes, vous persévérez dans une logique d'économie des dépenses, qui a pourtant largement démontré son inefficacité. Comme vos prédécesseurs, vous avez choisi, monsieur le ministre, de charger le dos des assurés et des contribuables du financement de la branche maladie, en réduisant la prise en charge socialisée de leurs dépenses de santé et en augmentant leur contribution directe.

Ainsi en incriminant les usagers du système de soins dans l'explication de dépenses jugées excessives, vous proposez de poursuivre votre politique de rationnement de l'offre de soins.

Vous vous en prenez aux « usagers nomades », dont personne n'a pu avec certitude mesurer ni le nombre ni l'impact, aux « grands consommateurs de médicaments », certainement pour la couleur et le goût délicieux des pilules, et aux « usurpateurs d'affections de longue durée », que, bien sûr, tout le monde s'arrache, pour une prise en charge par la sécurité sociale à 100 %, en passant par les adeptes de l'arrêt de travail. Tous ces « usagers malhonnêtes » du système de sécurité sociale deviennent la cause évidente de son effondrement financier.

Si je vous suis dans ce raisonnement, pour sauvegarder notre système de sécurité sociale, il devient urgent de policer, de contrôler et de dissuader ces malfaiteurs, en fait et en puissance, et, selon vous, le meilleur moyen de dissuader reste bien sûr d'accroître la participation des usagers du système de santé et d'instituer un ensemble d'outils de surveillance de ces mêmes usagers et des médecins.

Pourtant, l'étude, même partielle, des données montre très clairement que ces assurés sociaux désignés comme malfaisants pour le système n'existent pas. Mais peu importe, l'essentiel est de justifier la ponction directe de plus de 11,5 milliards d'euros que vous décidez de faire dans la poche des assurés sociaux : 8,2 milliards pour tous les assurés sociaux au titre d'une restriction du périmètre de prise en charge collective des remboursements des dépenses de santé, 1 milliard directement sur les malades, qui se voient contraints de mettre individuellement la main à la poche, et 2,3 milliards chez les contribuables par une augmentation de la CSG.

L'addition est salée, mais cela suffira-t-il à réduire le déficit de l'assurance maladie ?

Monsieur le ministre, vous savez comme moi que ces mesures seront totalement inefficaces pour atteindre le but que vous prétendez vous fixer. Ce « plan de sauvetage financier de notre assurance maladie » est le trentième de cette nature déposé depuis plus de quarante ans. De la commission Dobler en 1963, à la commission Delors en 1965, la commission Fridel en 1966, jusqu'aux plans Séguin en 1986, Veil en 1993, Juppé en 1995, Aubry en 2000, Mattéi en 2003, pour l'hôpital, et finalement le vôtre, tous ces plans, qui ont en commun le refus de reconsidérer l'assiette des cotisations des entreprises, n'ont eu pour effet qu'un accroissement de la contribution directe des usagers et une restriction du niveau de prise en charge socialisée de leurs dépenses de santé. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Jamais ils n'ont réussi à résorber le déficit de la sécurité sociale, et encore moins celui de l'assurance maladie.

Alors, pourquoi persévérer dans une démarche qui n'aboutit pas ?

Vous persévérez parce que, contrairement à vos déclarations, résorber le déficit de la sécurité sociale n'est pas votre objectif principal, pas plus d'ailleurs que réduire le poids des dépenses de santé dans le PIB. Votre objectif principal est de démanteler par tous les moyens le système socialisé actuel qui confisque au marché privé les dépenses de santé. Cela est d'ailleurs confirmé par le second axe de votre réforme : la mise en œuvre d'une nouvelle gouvernance de l'assurance maladie.

Effectivement, en reformulant les bases de la gouvernance de l'assurance maladie, vous redéfinissez son architecture générale et, implicitement, ses missions.

Ainsi, en continuant d'affirmer vouloir inscrire votre démarche dans une logique qui ne relève ni de l'étatisation ni de la privatisation, vous faites en réalité les deux en même temps.

M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur. Comment est-ce possible ?

Mme Jacqueline Fraysse. C'est possible !

M. Gérard Bapt. C'est la réalité !

M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur. Nous attendons la démonstration !

Mme Jacqueline Fraysse. La réforme que vous escomptez tend à une privatisation de la sécurité sociale, orchestrée par l'État, tant en amont qu'en aval. Votre projet de nouvelle gouvernance confirme l'omniprésence de l'État dans la gestion de la branche assurance maladie, et, plus généralement, la mise sous tutelle par l'État de la sécurité sociale, en même temps qu'elle permet l'intervention des acteurs privés de l'assurance maladie dans le périmètre de prise en charge par l'assurance obligatoire, donc la possibilité d'élargir la couverture privée de soins.

M. Xavier Bertrand, secrétaire d'État à l'assurance maladie. Ce n'est pas vrai !

Mme Jacqueline Fraysse. En quelques articles, vous faites en effet exploser le principe de démocratie dans la gestion des caisses de sécurité sociale.

D'une part, vous créez l'union nationale des caisses d'assurance maladie, regroupant toutes les caisses nationales, et vous transférez au directeur général de cette union, nommé par le gouvernement, tous les pouvoirs de gestion et de décision dévolus aujourd'hui aux conseils d'administration des caisses et à leurs équipes de direction. Comme si cela ne suffisait pas, vous liquidez les conseils d'administration des caisses,...

M. Maxime Gremetz. C'est vrai !

Mme Jacqueline Fraysse. ...avec les modalités de représentation de ses membres, au profit d'un conseil, dont nous ignorons les conditions de désignation, mais dont nous savons qu'il inclura, entre autres, les acteurs privés de l'assurance maladie complémentaire.

D'autre part, vous instaurez une union nationale des organismes complémentaires de protection sociale, dans laquelle se retrouveront pêle-mêle, et avec le même pouvoir de décision, les mutuelles, les instituts de prévoyance et les assurances privées. Cette union aura explicitement un pouvoir de cogestion avec les organismes de sécurité sociale de la prise en charge socialisée des dépenses de santé des assurés sociaux.

Enfin, pour conforter le désengagement progressif de l'assurance maladie de la prise en charge collective et renforcer la prise de contrôle par les acteurs privés, vous créez une haute autorité de santé, dont l'indépendance sera plus que douteuse, et qui sera votre caution scientifique pour faire varier le périmètre de prise en charge socialisée des soins.

La boucle est ainsi bouclée : après avoir spolié les assurés sociaux de leur bien commun, vous introduisez les structures institutionnelles qui vont pouvoir réduire le niveau de la prise en charge collective et ouvrir la porte aux marchands de la couverture de santé privée.

Avec les propositions formulées dans ce texte, vous anéantissez la solidarité et l'universalité de notre système d'assurance maladie.

Dans le même esprit que celui qui a été développé pour la réforme de notre système de retraite, vous avez choisi de faire passer notre système d'assurance maladie d'un système à cotisations fixes pour prestations fixes vers un système à cotisations fixes pour prestations variables selon les équilibres financiers de l'assurance maladie obligatoire.

Ainsi, le niveau de la couverture socialisée des soins serait intrinsèquement dépendant de l'état des finances du système obligatoire. Si les moyens existent, la santé sera collectivement prise en charge. S'ils n'existent pas, alors les malades se soigneront en fonction de leur niveau personnel de ressources. Dans ces conditions, les assurances en embuscade dans votre dispositif auront tout loisir de proposer une couverture privée des risques non couverts socialement.

À l'heure où déjà 15 % de la population française renoncent à se soigner faute de moyens financiers, le choix politique régressif dans lequel vous voulez engager la France risque fort de nous rapprocher des performances sanitaires lamentables de pays comme les États-Unis, dont la dépense, 13,9 % du PIB, est plus d'une fois et demie supérieure à celle de la France, et les inégalités devant la santé plus que flagrantes puisque 41 millions de personnes n'ont aucune protection dans ce pays.

M. Yves Bur, président de la commission spéciale. Ne comparez pas ce qui n'est pas comparable !

Mme Jacqueline Fraysse. Loin d'offrir la solution aux difficultés que vous prétendez surmonter dans un proche avenir, votre proposition de réforme de l'assurance maladie s'inscrit dans un mélange de régression sociale et de destruction de l'édifice solidaire à vocation universelle construit après la guerre.

Monsieur le ministre, il est évident que nous devons moderniser notre système d'assurance maladie afin qu'il réponde véritablement aux nombreux besoins de santé de nos concitoyens. Les besoins, donc les dépenses de santé vont croissants, et, à moins de refuser de prévenir, de dépister les maladies et de soigner ceux qui en ont besoin, il faudra consacrer plus de richesses à leur prise en charge.

Cela est normal car c'est la marque d'une société civilisée, d'une victoire sur la maladie et la mort, l'expression du progrès des sciences et des techniques médicales contre lequel, je l'espère, personne ici n'oserait se dresser. Cependant cette démarche implique que l'on aborde la réforme non sous l'angle technique d'économies à réaliser, même s'il y a lieu de mieux coordonner nos efforts à cet égard, mais sous l'angle d'un droit à la santé effectif pour tous, y compris les plus modestes d'entre nous. II s'agit là d'un choix de fond, d'un véritable choix politique.

La force de ce débat, s'il devait être mené à sa juste hauteur, devrait être de nous permettre de chercher ensemble une réponse à la seule question importante : comment trouver les moyens de mener une politique sanitaire globale capable de couvrir l'ensemble des besoins de santé d'une personne, de sa naissance à sa mort ?

Il s'agit, dans un pays riche comme la France et dans une société moderne comme la nôtre, de couvrir non seulement les besoins de santé exprimés aujourd'hui, satisfaits ou non satisfaits, mais aussi l'ensemble des besoins définissant le bien-être physique et psychique, social et professionnel. Cela passe par la mise en œuvre d'une grande politique de prévention et par un accès égal de tous à des soins de qualité égale pour tous. Cela exige que l'on conserve ce grand principe solidaire permettant que chacun cotise selon ses moyens et reçoive selon ses besoins.

Si nous pensons effectivement qu'une réforme est nécessaire, il n'est pas sérieux de nous faire croire que ce qui était possible en 1945 ne le serait plus aujourd'hui.

Il faut revoir les modalités de financement de la sécurité sociale, afin d'en assurer à la fois la pérennité et un niveau suffisant de prestations.

Pour être pérenne, aujourd'hui, ce mode de financement doit pouvoir s'appuyer sur une valorisation de l'emploi et des salaires, sur une politique économique et sociale qui dynamise les créations d'emploi et l'activité productive, car l'emploi est bien la clef du problème du financement de l'assurance maladie, puisque 100 000 chômeurs coûtent à l'assurance maladie, 500 millions d'euros par mois en cotisations perdues.

Depuis maintenant vingt ans, la part des salaires dans la répartition des richesses produites par la nation n'a cessé de se réduire. Elle a perdu dix points, représentant près de 150 milliards d'euros, entraînant la chute des ressources de la sécurité sociale. Renverser cette tendance impliquerait que l'État s'engage dans une politique audacieuse de sécurisation de l'emploi, de la formation et des salaires.

Vous faites le contraire. En engageant la France sur le chemin des économies ultra-libérales dont le credo est l'insécurisation du travail, vous organisez de fait le déficit dont vous prétendez vous plaindre.

Vous y ajoutez même les exonérations de cotisations patronales bien qu'elles aient fait la preuve, depuis tant d'années, de leur inefficacité puisque le chômage ne cesse de s'aggraver. De plus, ces exonérations contribuent à la fiscalisation des ressources de la sécurité sociale, puisque 18 milliards d'euros d'exonérations sont compensés par l'État sur les deniers publics. Enfin elles alourdissent la charge des comptes de la sécurité sociale, puisque 3 milliards d'euros restent non couverts. C'est pourquoi nous proposons de supprimer les 21 milliards d'euros d'exonérations de cotisations patronales accordés par l'État aux entreprises.

Alors que la CSG a déresponsabilisé les entreprises face au financement de la sécurité sociale, - rappelons que 88 % des revenus prélevés sont des revenus du travail - nous proposons d'engager une refonte du financement des cotisations sociales, ce qui suppose de travailler sur une réforme de l'assiette des cotisations patronales.

En effet, aujourd'hui, plus une entreprise embauche et accroît les salaires, plus elle est mise à contribution, tandis que celle qui licencie, économise sur les salaires en privilégiant la finance et paie moins de cotisations.

Moduler la cotisation en fonction de l'effort de l'employeur en matière d'emplois, de salaires et de formation des salariés permettrait d'annuler cet effet pervers du système et de lancer une dynamique structurelle de croissance susceptible d'élever à la fois le taux et la masse des cotisations versées à l'assurance maladie et d'aller vers l'éradication du chômage.

Enfin, pour réparer l'oubli des inventeurs de la CSG, qui ont laissé échapper de l'assiette de son prélèvement les revenus financiers des entreprises, nous proposons de créer une cotisation sociale additionnelle sur ces revenus au même taux que les cotisations sur les salaires. Cette simple mesure rapporterait en année pleine 7 milliards d'euros pour la sécurité sociale. À elle seule, elle représenterait la moitié du déficit prévu pour 2004. Il n'y a donc pas lieu de lever les bras au ciel. Mieux vaudrait prendre des mesures d'équité pour permettre des financements suffisants.

Les propositions que nous faisons ne relèvent pas d'une utopie ; elles procèdent d'une autre philosophie qui consiste à mettre les richesses produites par les salariés de ce pays à leur service et, en l'occurrence, au service de leur santé,...

M. Jean-Marc Roubaud. C'est fait !

Mme Jacqueline Fraysse. ...une philosophie qui envisage un partage de ces richesses pour qu'elles bénéficient à tous. C'est la même démarche qui nous conduit à défendre les grands services publics comme EDF-GDF, car il s'agit, là aussi, de l'intérêt général.

Toutes vos réformes vont dans le même sens : construire une société individualiste, préservant les intérêts de quelques privilégiés au détriment de tous les autres, une société féroce, excluant toute solidarité où seuls ceux qui ont de l'argent pourront s'en sortir.

De cette société, nous ne voulons pas...

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. Nous non plus !

Mme Jacqueline Fraysse. ...et nous ne sommes pas les seuls à la rejeter : les Français vous l'ont fait savoir à plusieurs reprises. Ce rejet ne se limite pas à la France. Sachez que nous nous battrons de toutes nos forces, ici et ailleurs,...

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Nous aussi !

Mme Jacqueline Fraysse. ...contre les choix antisociaux de votre texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Bapt.

M. Gérard Bapt. Ainsi donc, messieurs les ministres, la réforme de l'assurance maladie que vous présentez au Parlement serait déjà une réforme historique et un grand succès !

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Eh oui !

M. Gérard Bapt. La gouvernance globale du système serait réalisée par un nouveau dispositif, complexe dans son architecture, mais où la cohérence forte serait assurée par un directeur général de l'UNCAM nommé pour cinq ans et sorti, grâce à ce que vous appelez la « rénovation du paritarisme», de l'impuissance de ses prédécesseurs.

Condition, sans aucun doute, du retour du MEDEF dans le nouveau conseil d'orientation (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)...

La délégation du MEDEF, que le groupe socialiste a auditionnée...

M. Yves Bur, président de la commission spéciale. Vous les fréquentez ?

M. Gérard Bapt. ...nous a dit elle-même que c'était la condition de son retour dans le système.

Condition, sans aucun doute, disais-je, du retour du MEDEF dans le nouveau conseil d'orientation, une maîtrise budgétaire pluriannuelle inscrite dans une loi organique à venir, permettra de contenir tout dérapage par rapport au vote par le Parlement des lois de financement de la sécurité sociale. Un comité d'alerte permettra, en dehors de tout contrôle parlementaire, que le directeur général bloque toute dépense nouvelle ou procède à des déremboursements.

La loi de finances rectificative n'interviendrait pas obligatoirement pour que le Parlement en décide lui-même. Le paritarisme ainsi évacué, le Parlement sera réduit à ne procéder qu'à la délibération sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale ; le directeur général, ce proconsul qu'a évoqué M. Le Guen, procédant lui-même à la nomination des directeurs de caisses locales, votre réforme de la gouvernance conduit à un système étatisé et centralisé.

Il s'agit de la réponse que vous faites au constat du haut conseil, constat partagé, sur l'incohérence, la dispersion et les cloisonnements du système actuel.

Cependant votre réforme de la gouvernance s'est arrêtée à l'échelon régional : vous ne proposez qu'un rapprochement entre ARH et URCAM là où des coopérations étaient déjà possibles. Vous n'allez pas vers ces agences régionales de santé, dont la déclinaison régionale serait pourtant la suite logique de l'existence des ARH et de la nomination, par le directeur général de l'UNCAM désormais, des directeurs de caisses locales.

La menace que nous voyons poindre avec cette étatisation, doublée par la réforme budgétaire, est celle de la privatisation. Partout où il y a eu étatisation, de larges secteurs d'intervention sont apparus au profit de l'assurance complémentaire, qu'elle soit mutualiste ou privée.

M. Jean-Marc Roubaud. Renouvelez-vous !

M. Gérard Bapt. Votre projet de loi démarre lui-même ce recours aux complémentaires. Qu'il s'agisse des déremboursements prévus pour les patients en cas de prestations indues, qu'il s'agisse d'actes médicaux ou d'arrêts de travail, qu'il s'agisse de la liberté tarifaire que vous voulez institutionnaliser pour les spécialistes ou de l'augmentation du forfait hospitalier, la place de l'assurance complémentaire s'élargit.

Les montants des cotisations des mutuelles vont à nouveau considérablement augmenter, rendant d'ailleurs plus urgente la nécessité de mettre en place le crédit d'impôt visant à aider ceux de nos compatriotes qui ont des difficultés à souscrire un contrat de couverture complémentaire. Notre amendement sur ce sujet, présenté devant la commission spéciale, a été repoussé par votre majorité en raison de son coût. Nous attendons toujours les propositions du Gouvernement, en condamnant d'ailleurs le fait qu'il n'ait pas cru bon de présenter ses amendements de nature financière devant la commission spéciale : cela aurait été de meilleur travail parlementaire. Voilà qui témoigne une nouvelle fois de l'impréparation dans laquelle nous abordons le volet financier de ce projet. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Yves Bur, président de la commission spéciale. Vous ne pouvez pas dire cela !

M. Gérard Bapt. Vous-même, monsieur le président de la commission, avez été obligé de présenter des amendements au volet financier.

Votre projet de réforme était déjà complaisamment présenté, jusqu'à ces jours derniers, comme un succès grâce notamment, monsieur le ministre, à votre savoir-faire médiatique d'une part et à votre habileté manoeuvrière d'autre part. (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Merci !

M. Gérard Bapt. Vous avez un savoir-faire médiatique indéniable puisque, grâce à des annonces fracassantes sur les plateaux de télévision, soigneusement égrenées au long des semaines, vous avez réussi à donner le tournis aux Français, les persuadant que votre réforme serait pour eux indolore, en vous prononçant contre toute privatisation, puis contre l'augmentation de la CSG, en les persuadant ensuite que la solution résidait dans la lutte contre la fraude et les gaspillages, à propos de la carte Vitale, du dossier médical, des arrêts de travail.

M. Jean-Marc Roubaud. Quelles sont vos propositions ?

M. Gérard Bapt. Au-delà de ce savoir-faire médiatique, vous avez également fait preuve d'habileté manoeuvrière, en jouant sur ce que vous appelez « le dialogue social » alors que vous avez surtout joué sur les divergences d'appréciation ou sur les intérêts opposés des divers acteurs concernés - syndicats, patronat, mutuelles, assurances, et multiples représentants des professionnels de santé -...

M. Jean-Marc Roubaud. Ça s'appelle la concertation !

M. Gérard Bapt. ...le tout pour ouvrir le débat parlementaire au moment où les enfants viennent de partir en vacances et où leurs parents sont préoccupés par la préparation de la période estivale.

Tout cela est très habile et, si l'on s'en tenait à ce constat, vous auriez ainsi remporté un succès politique, en persuadant les Français que l'élargissement de l'assiette de la CSG n'était pas son augmentation, que nos enfants et nos petits-enfants n'auraient aucun mal à rembourser nos dettes, celles de l'assurance maladie mais aussi celles de l'État, tout en assurant nos retraites.

Pendant toutes ces semaines de manœuvres tactiques et de prudentes dissimulations, seuls quelques spécialistes et experts, souvent à voix basse, exprimaient des doutes sur la crédibilité de l'objectif affiché de votre réforme : le retour à l'équilibre - ou même au quasi-équilibre - du budget de l'assurance maladie à l'horizon 2007, sur la base de votre projet de réforme.

Dans cet hémicycle, à de nombreuses reprises, l'opposition, notamment le groupe socialiste, a exprimé ses interrogations,...

M. Jean-Marc Roubaud. Mais pas ses propositions !

M. Gérard Bapt. ...que le Gouvernement a le plus souvent éludées dans ses réponses, ainsi que son refus de considérer comme des mesures crédibles d'économies certaines de vos affirmations visant à étayer la perspective du retour à l'équilibre.

M. Jean-Marc Roubaud. L'opposition s'interroge toujours !

M. Gérard Bapt. En effet, nous nous interrogions, mais, hier, la note de la direction de la prévision du ministère de l'économie et des finances a mis fin à la chronique d'un succès annoncé.

Votre plan repose sur la promesse de trouver, à l'échéance de 2007, quelque 9 milliards d'économies, soit les deux tiers du déficit attendu pour 2004. Or, si l'on peut considérer que des économies de gestion sur les dépenses de pharmacie sont à la fois possibles et souhaitables, les instruments de « maîtrise médicalisée» que vous mettez en avant n'auront pas les résultats, à l'évidence largement surestimés, que vous affichez.

En premier lieu, ils commenceront à coûter beaucoup d'argent : des centaines de millions d'euros chaque année, en investissement et en fonctionnement, qu'il s'agisse de la carte Vitale, du dossier médical ou du renforcement du contrôle médical.

Par ailleurs, leurs effets supposés d'économies seront longs à se manifester autrement que marginalement. Ainsi en est-il du dossier médical personnel ou de la prétendue responsabilisation des patients par le paiement d'un euro par acte.

Quant à l'augmentation du forfait hospitalier, le projet de le porter de 11 euros à 16 euros en 2007, apparaît particulièrement choquant. Cela correspondra à un accroissement de plus de 45 % sur la législature, alors que le précédent gouvernement ne l'avait pas augmenté.

M. Jean-Marc Roubaud. Vous n'avez rien fait !

M. Gérard Bapt. Nous n'avons pas augmenté le forfait hospitalier et nous avons bien fait ! Ce n'est pas responsabiliser le malade que de lui infliger une augmentation du forfait hospitalier.

M. Jean-Marie Le Guen. Très bien !

M. Gérard Bapt. Il est prévisible que, dans ces conditions, certains malades renonceront aux soins !

M. Jean-Marc Roubaud. Mais non !

M. Gérard Bapt. Néanmoins admettons la réalité des économies et des recettes supplémentaires prévues par le Gouvernement.

M. Michel Piron. Enfin du réalisme !

M. Gérard Bapt. Malgré cela, la lecture des chiffres montre que votre prétendu équilibre financier en 2007 ne sera pas atteint, même si l'on se réfère à vos propres projections !

Les tendances de hausse des dépenses et des recettes reprises par la commission des comptes, donnent en effet 5,5 % de hausse tendancielle pour les dépenses, et 4 % pour les recettes. Le déficit tendanciel en 2007 serait donc proche de 20 milliards d'euros, après 16 milliards en 2005, 18 milliards en 2006. Cela représenterait encore, même si votre objectif de 15 milliards d'euros d'économies était atteint, un solde déficitaire de 5 milliards d'euros en 2007 et une nouvelle dette cumulée de 25 milliards d'euros en trois ans.

M. le secrétaire d'État a bien indiqué qu'il n'avait pas été tenu compte, dans les prévisions gouvernementales, de l'incidence psychologique de la réforme...

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. C'est vrai, regardez l'Allemagne !

M. Gérard Bapt. ...ni des recettes supplémentaires qui pourraient être liées à un rebond de croissance. Il est certes souhaité par tous, sur ces bancs, que cela se produise, mais qui peut se projeter désormais à plus de six mois ?

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. C'est pour cela que nous ne l'avons pas fait !

M. Gérard Bapt. Quand au choc psychologique, comment croire qu'il aurait un tel impact et qu'il s'étalerait suffisamment dans la durée pour assurer le retour à l'équilibre de manière pérenne ?

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. Regardez l'Allemagne !

M. Gérard Bapt. Son effet s'ajouterait à celui que vous escomptez par ailleurs pour atteindre les niveaux d'économies que vous attendez grâce aux changements des comportements.

II apparaît ainsi que le besoin de financement de l'assurance maladie serait encore de 20 milliards d'euros en 2007 et que vos 15 milliards d'euros, en recettes et économies, seraient en toute hypothèse insuffisants.

Cela étant, la note de la direction de la prévision du ministère de l'économie et des finances dont nous avons pris connaissance hier en commission spéciale montre que la situation est encore plus problématique : si l'on prend en compte la sous-estimation de la dérive structurelle et la surestimation des effets de votre plan - qui sont les deux critiques formulées -, le déficit de l'assurance maladie pourrait ainsi être de plus de 12 milliards d'euros en 2007 ! La note est très précise : le montant des économies escomptées est aléatoire et très surestimé, et certaines dépenses liées à la mise en œuvre du plan ont été ignorées, notamment celles qui tiennent à la mise en place du dossier médical personnel, au relèvement du plafond de la CMU ou à l'aide à la mutualisation.

Votre plan ne peut donc, en l'état, ramener l'assurance maladie à l'équilibre, et vous l'avez prévu, puisque M. Bussereau, secrétaire d'État au budget, a indiqué dimanche que, en cas d'échec de ce plan, une logique de dureté s'imposera, avec des déremboursements.

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. C'est vrai !

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. Nous n'avons pas fait ce choix.

M. Gérard Bapt. Une fois l'alerte donnée par le comité ad hoc que vous avez prévu de mettre en place, le directeur général pourra, en effet, procéder à des déremboursements pour remédier au dérapage des dépenses.

C'est seulement la semaine dernière que vous avez indiqué, dans une interview donnée à un quotidien économique, qu'un cadrage budgétaire pluriannuel encadrerait ces procédures, avec le caractère contraignant d'une loi organique. Le respect des objectifs de dépenses votés avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale serait atteint l'année suivante par la résorption de la dette, en adaptant l'enveloppe budgétaire prévue. Cependant, même lissée sur deux ans, cette évolution ferait passer à une procédure d'enveloppe fermée, c'est-à-dire à une logique de maîtrise comptable.

Ainsi, en cas d'échec - que nous craignons inéluctable - de la maîtrise médicalisée, on passerait à la maîtrise budgétaire. Même si vous ne voulez plus, depuis le plan Juppé, entendre le terme de maîtrise comptable, c'est bien ce dont il s'agit avec la procédure de maîtrise que vous mettez en place !

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Ce n'est pas vrai !

M. Gérard Bapt. Je souhaite que vous nous le démontriez et que vous ayez raison.

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. D'accord !

M. Jean-Pierre Door. C'est fait !

M. Michel Piron. C'est une question de lecture !

M. Gérard Bapt. Pour nous, votre démarche est bien claire : avec cette réforme, la boucle sera bouclée...

M. Jean-Marc Roubaud. Belle formule !

M. Gérard Bapt. ...et les libéraux seront parvenus à leurs fins. Une étatisation ouvrira le champ aux complémentaires et à la privatisation ; les prélèvements obligatoires de l'assurance de base seront comprimés au maximum au profit d'une couverture complémentaire consistant en une assurance individuelle ne grevant pas les prélèvements obligatoires ; les entreprises seront progressivement exonérées de leur rôle de financement de la protection sociale grâce à la vigilance du MEDEF (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), qui dispose d'une minorité de blocage au conseil d'orientation de l'UNCAM ; enfin, la liberté tarifaire sera accordée aux spécialistes, ce qui rompra avec l'égal accès aux soins.

Nous sommes en train de glisser du système assurantiel fondé sur la solidarité et assurant une couverture universelle - celui qu'a institué la sécurité sociale originelle, qui visait à assurer à tous un accès égal à des soins de qualité -...

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. De Gaulle !

M. Gérard Bapt. ...vers un système libéral assurant une couverture de base minimale et incitant à une couverture complémentaire individuelle.

Nous sommes opposés à cette perspective. Aussi le débat nous permettra-t-il, dans notre rôle d'opposition, de dénoncer les injustices, les insuffisances et les dangers que ce texte recèle et d'avancer nos propositions (« Enfin ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), amendement par amendement. M. Évin en a, d'ailleurs, formulé tout à l'heure de très précises, qui rejoignaient les préoccupations de M. Préel.

Nous nous emploierons à ouvrir les yeux de nos compatriotes sur le sens caché de votre réforme : l'organisation du glissement progressif d'un système de sécurité sociale fondé sur le principe de solidarité vers un système libéral ouvrant les plus larges espaces à l'assurance individuelle et rétrécissant progressivement le périmètre de l'assurance collective obligatoire.

M. Yves Bur, président de la commission spéciale. Décidément, il n'aime pas la mutualité !

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. La mutualité appréciera !

M. Gérard Bapt. Nous aurons le temps d'en débattre plus amplement dans les jours qui viennent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Debré qui sera le dernier intervenant de l'après-midi.

M. Bernard Debré. Monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous proposez aborde, avec l'assurance maladie, l'un des éléments les plus importants de notre cohésion nationale. Celle-ci repose en effet sur deux formes de solidarité.

L'une d'entre elles, la solidarité intergénérationnelle, a donné lieu, l'année dernière, à une réforme indispensable, scandée de manifestations, de défilés et de slogans. Si les retraites sont désormais préservées pour quelques années, cette solidarité intergénérationnelle n'en est pas pour autant préservée à perpétuité, compte tenu des changements rapides de nos structures démographiques.

Voici maintenant que vous entreprenez la réforme de l'assurance maladie, qui repose sur la deuxième de ces solidarités les plus importantes : la solidarité inter- et trans-générationnelle.

Nous possédons une médecine de haut niveau, vraisemblablement, on le répète souvent, l'une des meilleures du monde en termes d'accès, d'accueil, de prise en charge et de qualité des soins. Il faut, cependant, rester conscients que tous ces paramètres changent. Notre système de santé est gravement menacé par le manque de médecins et d'infirmières ou d'infirmiers, la bureaucratisation, la sur-administration et l'inflation de commissions, de groupes d'étude et de comités qui empêchent toute réforme de fond.

M. Maxime Gremetz. Enfin une voix autorisée qui s'élève !

M. Bernard Debré. Cependant, ce qui menace le plus notre système de santé, ce sont les déficits financiers impressionnants, qui s'accumulent depuis plusieurs années.

M. Gérard Bapt. Depuis deux ans !

M. Bernard Debré. Bien plus longtemps que ça !

En 2004, le déficit de la santé atteindrait 14 milliards d'euros et, cumulée, la dette liée à la santé représenterait 4 % de la dette de l'État. Notre système de santé, on l'a dit, est pourtant l'un des moins chers du monde : en valeur absolue, nos dépenses de santé s'élèvent à 2 300 euros par an et par habitant, contre plus de 5 000 euros aux États-Unis ou 3 800 euros au Canada.

N'oublions pas, enfin, que la santé est un puissant moteur économique, avec deux millions d'emplois, représentant 10 % du PIB. Il faut donc maintenir ce système dans son esprit et dans son fonctionnement, mais aussi envisager des réformes structurelles fortes, qui pourront supprimer ses déficits et pérenniser sa viabilité.

Ces réformes ne sont pas simples, et elles ne doivent pas reposer seulement sur des pétitions de principes ou des espoirs de modifications des comportements. Vous savez bien, en effet, que, dans les prochaines années, les dépenses de santé vont augmenter bien plus qu'elles ne le font aujourd'hui. L'allongement formidable de la durée de vie coûtera extrêmement cher, ne serait-ce que du fait de la progression émouvante de la maladie d'Alzheimer qui, dans dix ans, touchera un million de vieillards.

Les nouveaux médicaments et les nouvelles technologies aussi coûtent cher. Il nous reste à trouver des traitements contre le cancer, les maladies virales, les maladies dégénératives de la vieillesse et bien d'autres pathologies. Compte tenu de l'importance des recherches menées dans le monde, les nouveaux médicaments et les nouveaux traitements ont des coûts faramineux. Le traitement d'un cancer, qui revenait, il y a dix ans, à environ 500 francs, coûte aujourd'hui l'équivalent de 50 000 francs, soit cent fois plus.

Une véritable réforme de notre système de santé est donc urgente. Elle impliquera des efforts de la part de tous : médecins, malades, industries pharmaceutiques, pouvoirs publics.

M. Jean Dionis du Séjour. Tout à fait !

M. Bernard Debré. Ces réformes, monsieur le ministre, ne seront pas immédiatement populaires. Elles provoqueront, on l'a vu avec les discours de l'opposition, des manifestations, des défilés et des grèves, mais vous avez le choix entre des défilés et des manifestations maintenant ou une véritable révolution dans dix ans si notre système s'effondre.

M. Jean-Marie Le Guen. Dans dix ans, il ne sera plus là !

M. Bernard Debré. La France sera toujours là !

M. Jean-Marie Le Guen. C'est bien ça le sujet !

M. le président. Monsieur Le Guen !

M. Bernard Debré. Certaines des mesures que vous proposez sont intéressantes et d'autres peuvent être améliorées. Elles sont de nature à constituer une réforme, même si celle-ci ne sera pas définitive, de notre système de santé. Elles permettront certainement de combler le déficit actuel de l'assurance maladie, sans pour autant en assurer la pérennisation. Elles parient sur un civisme raisonnable de nos concitoyens.

M. Maxime Gremetz. Vous avez dit « raisonnable » ?

M. Bernard Debré. C'est un pari osé, que je ferai néanmoins avec vous.

Le forfait d'un euro par consultation, qui pourrait paraître une mesure dérisoire, est important pour deux raisons. La première est factuelle : avec cinq cents millions de consultations par an, cette mesure devrait rapporter aux alentours de 500 millions d'euros.

M. Jean-Marie Le Guen. Sûrement pas !

M. Bernard Debré. L'autre raison est philosophique - « citoyenne », comme on dit aujourd'hui - : cette contribution personnelle du patient est fondamentale, en tant qu'elle montre que la santé a un coût, et qu'il est nécessaire de participer à son financement. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Qu'on ne me dise pas qu'un euro, c'est trop ! Cela signifierait que notre pays est définitivement sous-développé, et qu'il faudrait alors également rendre gratuit le pain quotidien ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains)

M. Jean-Marie Le Guen. Et le ticket modérateur, ça n'existe pas ?

M. Maxime Gremetz. Les citoyens ne paient-ils rien ?

M. Jean-Marie Le Guen. Et les cotisations ? Et les complémentaires ?

M. Bernard Debré. Monsieur le ministre, ne cédez pas sur cette mesure qui, au-delà de sa signification financière non négligeable, a une forte signification citoyenne.

La création d'un dossier médical personnel et informatisé est une mesure importante et moderne, mais elle ne sera applicable que lentement, sur plusieurs années. Vous avez raison d'en attendre des économies sérieuses, mais il faudra d'abord engager d'importantes dépenses, tant pour le matériel que pour l'information et la formation. Il s'agit probablement d'une réforme structurante plus fondamentale qu'elle ne le paraissait de prime abord.

Les autres mesures sont classiques, comme l'augmentation de l'assiette et du montant de la CSG, qui n'a pas de caractère structurel. En revanche, la prolongation de la CRDS me semble inquiétante. Il faut, certes, rembourser près de 40 milliards d'euros de dette sociale, mais cette mesure touchera nos enfants et nos petits-enfants. Il est difficile d'accepter qu'il leur revienne de payer les dettes de leurs parents dues aux médicaments que nous consommons aujourd'hui.

M. Maxime Gremetz. C'est votre héritage !

M. Bernard Debré. Les mesures que vous présentez sont, je l'espère, un premier pas vers une plus grande réforme, restructurante, de notre système de soins. Elles oublient trois grands pôles de dépenses : l'hôpital, le médicament et la prévention.

La médecine française est certes l'une des meilleures du monde, mais elle boîte : il s'agit d'une médecine curative, et il n'y a pas assez de médecine et de politique de prévention.

M. Maxime Gremetz. Nous sommes d'accord.

M. Bernard Debré. Peut-être cela fera-t-il l'objet d'un prochain texte.

Les hôpitaux sont, quant à eux, trop nombreux, trop grands et trop dispersés. Ils sont, en outre, tous en crise : il n'y a plus de médecins hospitaliers, des milliers de postes sont vacants, faute de candidats ; il n'y a plus d'infirmières et, dans certains d'entre eux, plus beaucoup de malades. Beaucoup sont dangereux, parce qu'ils laissent croire à la population qu'ils possèdent des plateaux techniques et de nombreux médecins qu'ils n'ont pas.

Or les dépenses hospitalières représentent entre 48 % et 50 % des dépenses de l'assurance maladie. Une véritable réforme de l'assurance maladie ne peut exister sans véritable réforme hospitalière. À cet égard, le plan Hôpital 2007 de votre prédécesseur me semble insuffisant.

Une véritable réforme du secteur commencerait par un audit général de nos structures et se poursuivrait par la transformation d'hôpitaux locaux et implantés dans des villes de moins de dix mille habitants en centres de consultation, de soins primaires et d'accueil pour personnes âgées. On pourrait ainsi regrouper les moyens en médecins et en infirmiers, ainsi que les plateaux techniques, sur les hôpitaux de moyennes et grandes villes. Il conviendrait aussi de réduire dans une mesure significative le nombre de lits de court séjour.

Pour ce qui concerne le médicament, je ne partage pas pleinement votre position, même si elle résulte d'un accord avec l'industrie pharmaceutique. Les dépenses de médicament représentent aujourd'hui 30 milliards d'euros, soit un peu moins du quart des dépenses de la santé - dont le total s'élève à 140 milliards -, plus de la moitié des dépenses des hôpitaux et deux fois et demie les honoraires des médecins. Elles augmentent, toutefois, deux fois plus vite que les dépenses de santé, et doublent tous les huit ans. C'est dire l'importance qu'il nous faut leur accorder !

Pour réaliser de véritables économies, il faudrait dès maintenant dérembourser, sur trois ans, un certain nombre de médicaments officiellement classés à service médical rendu insuffisant. Il conviendrait également de définir une véritable politique à l'égard de l'industrie du médicament. En effet, 90 % des grandes molécules basées sur une physiologie simple sont antérieures à 1985, et la complexité biologique moléculaire et cellulaire est telle qu'il faut aujourd'hui quinze ans d'efforts et de nombreux échecs pour obtenir un médicament original. Depuis 1990, l'industrie pharmaceutique n'a commercialisé que très peu de grands médicaments.

Il faut aider l'industrie qui innove, en particulier le pôle des cinq premières sociétés françaises dans ce domaine, mais aussi les start-up. Les start-up américaines, suisses et anglaises détiennent aujourd'hui plus des quatre cinquièmes des molécules innovantes à l'essai. Sans doute faudrait-il moduler le système des brevets, en instaurant des brevets raccourcis pour les petites molécules peu innovantes et des brevets de plus longue durée pour les grandes molécules.

Monsieur le ministre, le projet de loi relatif à l'assurance maladie que vous présentez est un début. Il sera, je n'en doute pas, la première pierre d'une très grande réforme dont la France a besoin et que les Français attendent. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    3

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, n° 1675, relatif à l'assurance maladie :

Rapport, n° 1703, de M. Jean-Michel Dubernard, au nom de la commission spéciale.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot