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Deuxième séance du mardi 5 juillet 2005

4e séance de la session extraordinaire 2004-2005



PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

    1

MOTION DE CENSURE

Discussion et vote

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion et le vote sur la motion de censure déposée, en application de l'article 49, alinéa 2, de la Constitution, par MM. Jean-Marc Ayrault, François Hollande et cent quarante-deux membres de l'Assemblée nationale. (1)

La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, « l'emploi sur ordonnance » : dans la batterie d'erreurs et de faux-semblants que votre majorité commet depuis trois ans dans la lutte contre le chômage, il manquait cette trouvaille : décréter le travail.

M. Jean-Claude Lenoir. Et les 35 heures, c'était quoi ?

M. Jean-Marc Ayrault. Je me suis permis, monsieur le Premier ministre, de vous remettre le dessin de Delize, dans France-Soir - vous en avez même souri -...

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Je vous remercie.

M. Jean-Marc Ayrault. ...qui résume mieux qu'un long discours la désinvolture de la démarche du Gouvernement. Vous y êtes croqué en ministre d'ancien régime en train de signer l'ordonnance par ces mots : « Ordonnons par la présente au peuple qu'il travaille. » Et vous ajoutez à l'adresse de votre chambellan :...

M. Jean-Pierre Brard. Sarkozy ?

M. Jean-Marc Ayrault. ...« Vous irez porter cela aux populations et donnerez une copie au Parlement. » Molière n'eût pas dit mieux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Voici ce dessin, tout à fait révélateur, que je vous fais passer, monsieur le président.

Voilà en effet à quoi notre assemblée est réduite : accuser réception de vos décrets et courber l'échine devant l'exécutif. Cela fait trois ans que cela dure et cela seul suffirait à justifier la censure.

Vous me rétorquerez que tous les gouvernements ont eu recours aux ordonnances.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Eh oui !

M. Jean-Marc Ayrault. Certes, et il y en eut de glorieuses qui ont façonné notre histoire. Les ordonnances de 1945 ont fondé la sécurité sociale, les comités d'entreprise, la protection de l'enfance, et continuent de modeler notre vie quotidienne. Mais comment comparer ces textes fondateurs de notre système social et le coup de rabot que vous lui donnez en catimini au cœur de l'été ? L'emploi valait mieux que ce débat tronqué. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Dois-je vous rappeler, monsieur le Premier ministre, que votre majorité a elle-même inscrit dans la loi Fillon l'obligation de négocier avec les partenaires sociaux toute modification du code du travail ? Or pour votre plan emploi, cette négociation s'est résumée à une consultation expresse où les propositions des syndicats ont été royalement ignorées.

Votre excuse est à chaque fois la même : l'urgence, l'impératif de l'action, l'obligation de résultats, le pragmatisme. La belle affaire que voilà ! Que veut dire l'urgence quand le chômage de masse gangrène le tissu social depuis des années ?

M. Francis Delattre. Vingt ans !

M. Jean-Marc Ayrault. Vous signifiez ainsi cruellement que votre prédécesseur, M. Raffarin, n'a rien fait, que votre majorité est restée l'arme au pied et que les appels présidentiels à la mobilisation n'étaient que mots creux.

Que veut dire l'impératif de l'action quand votre ordonnance continue de charcuter le code du travail sans rien traiter des causes premières de la maladie : l'atonie de la croissance, la désindustrialisation, la perte de confiance ? Tous les paramètres économiques sont dans le rouge : les déficits - celui de la sécurité sociale a augmenté de 8 milliards en une semaine pour atteindre près de 20 milliards d'euros -, l'endettement, l'investissement, le commerce extérieur, le pouvoir d'achat. C'est un palmarès unique en son genre depuis la Seconde Guerre mondiale.

Mme Martine David. Une catastrophe !

M. Jean-Marc Ayrault. Le ministre des finances le constate dans un accès de franchise. Et que fait-il ? Rien. Il poursuit la cure d'austérité et taille dans les crédits d'investissement de l'État. Un seul chiffre illustre votre impasse. Dans votre projet de budget pour 2006, vous ne disposez que de 5 malheureux milliards pour mettre en œuvre vos priorités.

Que veut dire l'obligation de résultats quand vous reprenez les instruments éculés de votre prédécesseur qui ont fabriqué 230 000 chômeurs supplémentaires, détruit plus d'emplois qu'ils n'en ont créés, conduit un jeune sur quatre au chômage et accru la précarité avec 70 % des embauches en CDD ?

Que veut dire le pragmatisme dont vous vous réclamez quand la remise en cause des seuils sociaux va priver des milliers de salariés de représentation syndicale et de comités d'entreprise, exonérer de cotisations patronales pour le 1 % logement, réduire le versement pour les transports publics locaux et la participation à la formation professionnelle des salariés ? Que veut dire le pragmatisme quand l'allocation logement est supprimée en dessous de 24 euros alors qu'il est de plus en plus difficile de se loger ? (« C'est scandaleux ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Que veut dire le pragmatisme quand les familles sont spoliées d'un milliard d'euros dans le projet de convention d'objectifs et de moyens entre l'État et la Caisse nationale d'allocations familiales, quand les habitants de nos régions voient les chantiers s'arrêter ou ralentir parce le Gouvernement ne verse pas son dû aux collectivités locales ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.) Monsieur le Premier ministre, votre pragmatisme est tout sauf concret pour les familles les plus modestes.

Voilà pourquoi votre pari des « cents jours » apparaît déjà perdu. Ni le travail ni la confiance ne se décrètent par ordonnance. La France est en état de crise globale : économique, sociale, politique et morale.

Où est le sursaut tant attendu ? Où est le redressement ? Où est le changement ? On nous promettait la bravoure du général Hoche, nous héritons des pantoufles du général Gamelin. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Au séisme du 29 mai, vous répondez par la continuité. À « la gestion de bon père de famille » succède la gouvernance de précaution. Vous redistribuez les portefeuilles, mais vous gardez les mêmes hommes et les mêmes femmes. Vous rabotez les aspérités, mais vous conservez les mêmes projets. C'est la politique du Kärcher, rendue tristement célèbre par votre ministre de l'intérieur, qui consiste à nettoyer en surface ce qui n'est pas présentable en profondeur. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Ainsi, l'abandon des baisses d'impôts pour les plus favorisés se transforme discrètement en augmentation des prélèvements pour tous les autres, c'est-à-dire la majorité des Français. L'entrée en vigueur de la réforme du médecin traitant masque l'explosion des inégalités tarifaires et des déremboursements.

La loi d'orientation de l'éducation nationale est délestée de quelques décrets mineurs pour mieux faire oublier l'austérité de la carte scolaire pour la rentrée prochaine.

M. Christian Bataille. Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault. M. Clément, ministre de la justice, tempère la loi Perben II sur la criminalisation des avocats pour mieux céder à M. Sarkozy une loi de circonstance contre la récidive.

Permettez-moi un mot sur ce point. Le code pénal offre tous les instruments pour punir sévèrement les récidivistes. La grande carence de la justice, nous le savons tous ici - et, monsieur Clément, vous l'avez assez dit quand vous présidiez la commission des lois -, c'est la faiblesse du suivi des détenus à leur sortie de prison. Ajouter des lois à des lois, sous le coup de l'émotion, ne sert à rien quand l'autorité judiciaire est incapable de les appliquer, compte tenu de la faiblesse de ses moyens. Avant d'en créer de nouvelles, commençons par appliquer pleinement celles qui existent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Voilà pourquoi je juge indigne l'exploitation du drame de La Courneuve par le ministre de l'intérieur. L'insécurité dans les cités n'est pas une donnée nouvelle.

M. Francis Delattre. C'est vrai !

M. Jean-Marc Ayrault. Qu'a-t-il fait pour la traiter ?

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Et Vaillant ?

M. Jean-Marc Ayrault. Depuis trois ans que vous êtes au pouvoir, les violences sur les personnes ont continué de progresser, la ségrégation économique, sociale et communautaire des cités n'a pas reculé d'un iota. Les déclarations tonitruantes de M. Sarkozy, ses idées à l'emporte-pièce, ses opérations coup de poing, aussi spectaculaires que passagères, n'ont fait que balayer la poussière sous le tapis. Ce matin encore, on apprenait qu'il avait oublié de faire rédiger les décrets d'application sur le contrôle des ventes d'armes. En profondeur, son efficacité, tant à Bercy qu'à l'intérieur, est des plus contestables. M. Sarkozy dit parler comme le peuple, mais quand le peuple a la parole, il le sanctionne avec toute l'UMP ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Car pour le peuple, Chirac, Villepin, Sarkozy, c'est le même gouvernement, c'est la même politique, c'est le même échec. C'est donc la même censure des députés de gauche. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Monsieur le Premier ministre, les qualités personnelles ne sont pas en cause. Je ne doute ni de votre courage ni de votre volonté de conjurer cette spirale du déclin. Votre drame est d'être à la tête d'un gouvernement de fin de règne qui n'a ni assise politique ni confiance populaire pour impulser une transformation en profondeur du pays. Il est d'être le délégué d'un Président versatile et inconséquent qui a, depuis dix ans, tout promis et bien peu réussi.

Durant sa mandature, la France est passée d'une crise de confiance à une véritable crise de régime. Tout ce qui fait la force et la grandeur de notre modèle républicain, l'État, les services publics, les institutions, la protection sociale, l'intégration, a été fragilisé. Il serait absurde d'en imputer tout le poids à un seul homme.

Notre nation fait face aux chocs de la mondialisation et à l'insécurité sociale qu'elle génère. C'est collectivement que la France peine à y répondre. Je ne doute pas qu'elle en ait les capacités et la volonté. Encore faut-il avoir le courage de lui dire la vérité sur la situation du pays, lui proposer un contrat clair et équitable où les efforts et les gains soient justement répartis. Si la France doute aujourd'hui, si elle a la tentation du repli sur elle-même, c'est qu'elle voit que les valeurs d'égalité, de solidarité et de justice auxquelles elle est attachée ont de moins en moins de réalité.

Là est la faillite du chef de l'État. Jamais il n'a exprimé l'ampleur des bouleversements qui nous touchent ni su tracer de perspectives claires et entraînantes pour les Français. Ses discours sur la fracture sociale, sur la défense du modèle social français sont en permanence contredits par la mise en œuvre d'une politique, jamais assumée, de dérégulation et de mise en cause des acquis sociaux. Sa gestion clanique et clientéliste de l'État, son refus de répondre de ses actes et de ses échecs autrement que devant lui-même, sapent toute idée de responsabilité politique. Comment alors s'étonner de la désespérance civique de nos concitoyens ? La présidence Chirac, c'est la présidence du déclin. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

La politique du sparadrap ne suffit plus. Oui, la France a besoin d'une refondation républicaine. Sa pierre angulaire est la mise en œuvre d'une politique de croissance et d'emploi sans laquelle il n'y a pas de progrès possible. La répartition de la richesse produite en France est devenue un non-sens tant elle favorise l'actionnaire au détriment du salaire et de l'investissement.

Si urgence il y a, elle est là. Relancer le pouvoir d'achat, dont le niveau par tête a baissé depuis 2002. Doubler la prime pour l'emploi, comme nous l'avons proposé. Donner la possibilité aux chômeurs de cumuler une partie de leurs indemnités et allocations et un salaire pour favoriser des emplois passerelles. Refonder tout notre système fiscal pour favoriser le travail plutôt que l'épargne, l'investissement plutôt que la concentration. Mettre en place les outils et les moyens de prévention des mutations industrielles, notamment dans les régions de mono-industrie avec une main-d'œuvre importante, pour éviter les catastrophes économiques, sociales et humaines que nous connaissons. Conditionner les exonérations de cotisations sociales aux embauches, comme nous l'avons proposé il y a quelques jours par la voix de François Hollande. Enfin, fusionner les dispositifs multiples d'emplois aidés en un contrat de réinsertion unique.

Là où vous vous obstinez à précariser le travail, nous proposons de le revaloriser. (« Pas vous ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Ueberschlag. Est-ce valoriser le travail que d'en réduire la durée à 35 heures ?

M. Jean-Marc Ayrault. Là où vous persistez à faire travailler plus longtemps, nous voulons « travailler plus nombreux ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

C'est le fondement d'un nouveau contrat social. Rarement, en effet, la France a été aussi fragmentée. Corporatismes, communautarismes et individualisme divisent depuis trop longtemps la communauté nationale. Comment rétablir un projet collectif, comme vous l'ambitionnez, quand, depuis trois ans, les plus démunis sont sans cesse culpabilisés, accusés d'abus ou d'avantages indus, quand chaque projet devient l'occasion d'opposer les Français entre eux : France d'en bas contre France d'en haut, salariés du privé contre fonctionnaires, entreprises contre services publics ?

Aucune grande réforme de notre système social ne réussira sans un compromis historique entre l'État, les partenaires sociaux et les citoyens. Oui, on peut améliorer le code du travail, et même donner plus de souplesses aux entreprises, à condition que les salariés disposent en retour de nouvelles protections. C'est le sens de notre projet de sécurité sociale professionnelle, qui donnerait aux salariés des droits continus, tout au long de la vie, en matière d'emploi, de formation et de reclassement, le tout en échange d'une meilleure mobilité. C'est l'objectif que nous fixons au renforcement de la représentation et de la participation syndicale dans l'entreprise. Car la France ne changera pas sans l'adhésion du monde du travail. C'est le message que les organisations syndicales de salariés ne cessent de vous adresser, et que le Gouvernement comme la majorité persistent à refuser d'entendre.

La troisième étape de cette refondation républicaine, c'est la réhabilitation de l'État, dans tous les sens du terme. Jamais, monsieur le Premier ministre, vous n'avez autant parlé de son autorité. Jamais vous ne l'avez autant écornée. L'État est devenu un mendiant perclus de dettes et de déficits.

M. Jean-Marc Nudant. Vous y êtes pour quelque chose !

M. Jean-Marc Ayrault. Sa réforme, dont vous avez repris le refrain à M. Raffarin, se résume aux contraintes de l'État minimum : vendre les entreprises publiques, diminuer les effectifs de fonctionnaires, se délester des politiques publiques sur les collectivités locales.

Cette impuissance de l'État est au cœur de notre crise de régime. Toute rénovation du pays commence par la réhabilitation mais aussi par une claire définition de l'action publique. Quels sont ses missions, son rôle, ses instruments ? Quel est l'apport des services publics dans la cohésion sociale et territoriale du pays mais aussi dans sa compétitivité ? J'ai présenté ici même, dans le cadre du débat sur la loi d'orientation pour l'école, notre grand projet d'une « société de la connaissance », rénovant les moyens et l'architecture de l'éducation nationale, afin de donner à chaque citoyen la possibilité de se former tout au long de la vie, et de confier à notre pays et à sa jeunesse les armes de leur avenir. Je vous y renvoie, monsieur le Premier ministre, au moment où l'éducation vous sert à nouveau de variable d'ajustement budgétaire.

La décentralisation, dont nous avons beaucoup parlé, était l'occasion de cette mise à jour de la place donnée à l'État et aux pouvoirs publics. Vous en avez fait une simple décharge de vos déficits. Il faudra reprendre le chantier avec une vision : transformer l'État infirmier, qui soigne dans l'urgence, en un État garant de l'égalité, en un État ingénieur qui crée, impulse, délègue. Alors on pourra négocier sur des bases saines son périmètre, ses effectifs, ses moyens.

De la même manière est-il temps de sortir du conservatisme institutionnel qui caractérise votre pensée et celle de vos amis. (Rires sur certains bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) L'avenir de l'architecture autoritaire et centralisée de la Ve République est clairement posé. La concentration des pouvoirs dans les mains d'un homme seul, l'écrasement de tous les contre-pouvoirs ont fossilisé la vie politique et découragé les citoyens. Oui, mes chers collègues, le temps est venu d'une république rénovée, d'un nouvel équilibre qui promeuve une véritable démocratie sociale et participative en s'appuyant sur la responsabilité des acteurs. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Cette refondation républicaine doit accompagner le changement de l'Europe. Vous tentez de répondre au double échec du référendum et du sommet de Bruxelles par la mise en œuvre d'une Europe de projets. Je ne saurais vous en faire grief. À plusieurs reprises, dans cet hémicycle, j'ai moi-même souligné au nom des députés socialistes les limites d'une intégration institutionnelle à vingt-cinq et la nécessité de reconnecter notre peuple à l'Europe par des réalisations concrètes. J'aurais aimé à cet égard que vous souligniez avec plus de force combien la solidarité sans faille de l'Europe avait été déterminante pour obtenir l'installation du réacteur ITER à Cadarache. Elle prouve que la paralysie de l'Union n'est pas fatale. La constitution d'un gouvernement économique de la zone euro, la mise en place de programmes de recherche et d'industrie, l'avancée de coopérations civiles et militaires peuvent constituer les leviers d'une sortie de l'ornière.

Mais la contradiction devient insoluble quand dans le même temps vous refusez d'ouvrir toute discussion sur l'augmentation du budget communautaire et sur la redéfinition de ses priorités financières.

Mme Élisabeth Guigou. Voilà la faille !

M. Jean-Marc Ayrault. Comment pouvez-vous faire croire que des projets d'une telle envergure puissent voir le jour sans un effort financier de l'Europe ? Comment pouvez-vous penser que la France va entraîner ses partenaires en continuant d'opposer son veto à toute remise à plat des politiques communes, et en particulier de la PAC ? Car la PAC est un modèle d'intégration qui doit essaimer dans d'autres secteurs aujourd'hui vitaux : la croissance, l'emploi, la recherche, l'innovation, l'industrie, l'environnement.

Mme Élisabeth Guigou. Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault. Le référendum l'a rappelé cruellement : si l'Europe veut retrouver l'adhésion de ses peuples, elle doit changer en répondant aux défis de son temps et notamment en apportant les protections nécessaires face à la mondialisation. Sans quoi il n'y aura pas d'Europe politique - car celle-ci demeure le but de notre combat - et, peut être, plus d'Europe du tout.

J'en arrive à ma conclusion. (« C'est une bonne nouvelle ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Monsieur le Premier ministre, vous avez dit votre « honneur de travailler dans la direction fixée par le Président de la République ». J'y vois la belle expression d'une fidélité. J'y perçois hélas aussi l'aveuglement d'un régime en perdition (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) qui entraîne le pays dans sa chute. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Michel Herbillon. C'est l'opposition qui est en perdition !

M. Jean-Marc Ayrault. « Il y a dans cette conception fantastique un égoïsme féroce, un manque effroyable de reconnaissance et de générosité envers la France. »

M. Michel Herbillon. Quelle caricature !

M. Jean-Marc Ayrault. Cette sentence de Chateaubriand sur la chute de Napoléon (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) s'applique presque mot à mot au crépuscule de la décennie Chirac.

M. Jean Glavany. Quelle prémonition !

M. Bernard Deflesselles. À votre sujet, on pourrait évoquer les Mémoires d'outre-tombe !

M. Jean-Marc Ayrault. Je l'ai retrouvée, monsieur le Premier ministre, dans la conclusion de votre livre Les Cent-Jours ou l'esprit de sacrifice.

Pour tous ces motifs, la cohérence politique eût voulu que cette motion de censure s'exerce à rencontre du premier responsable, c'est-à-dire du Président de la République. Mais la Constitution n'autorise pas une telle procédure. En conséquence, monsieur le Premier ministre, les députés socialistes...

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Lesquels ?

M. Jean-Marc Ayrault. ...n'ont d'autre choix que de demander à l'Assemblée nationale la censure de votre gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

M. Arnaud Montebourg. Enfin la censure !

M. le président. La parole est à M. Hervé Morin, pour le groupe UDF.

M. Hervé Morin. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, « les Français ont voulu exprimer un triple message. Message de mécontentement face à l'inaction et à l'impuissance publique. Message de rejet du système politique traditionnel, d'une manière trop lointaine de faire de la politique. Message de désarroi. Ce désarroi a bien des causes. Doute sur la capacité de l'État à résoudre les graves problèmes qui se posent à la société française [...]. Doute sur les marges de manœuvre du politique, dans un contexte européen et mondialisé. Sentiment qu'éprouvent beaucoup de nos compatriotes, et notamment beaucoup de jeunes, d'être abandonnés à leurs difficultés, d'être les oubliés du progrès. Appréhension face aux changements. »

Monsieur le Premier ministre, vous avez probablement reconnu ce court passage d'un discours prononcé à Rennes, le 23 avril 2002, par le Président de la République. Ce constat, plein d'acuité et de lucidité, reste malheureusement, trois ans plus tard, toujours d'actualité. Il s'est passé plus de trois ans, et pourtant ce discours n'a pas vieilli d'un pouce. Personne ici, sur ces bancs, ne pourrait prétendre que quelque chose a profondément changé dans la société française.

Pire peut-être, notre pays connaît une profonde dépression. Probablement pour la première fois depuis longtemps, le progrès scientifique et technique n'apparaît plus comme garant du progrès social. Les Français, inquiets, trouvent difficilement leurs repères, ils doutent de l'avenir, de leur avenir individuel comme de l'avenir de leur pays. Il ne s'agit pas seulement de ceux qui ont voté non, de ceux qui sont exclus du progrès depuis vingt ans ; de ceux qui vivent au rythme des restructurations et des plans de licenciement, à qui l'on a rien à proposer en échange ; de ceux qui, jeunes des banlieues ou habitants de zones rurales, ont le même sentiment d'être abandonnés à leur sort...

Il s'agit aussi de nos compatriotes qui ont voté oui, soit qu'ils croient en l'Europe, soit qu'ils savent qu'une civilisation qui se referme sur elle-même est une civilisation vouée au déclin et à la disparition. Au-delà des causes proprement liées à la construction européenne, le vote du 29 mai sur la Constitution a été l'expression du désarroi et de la souffrance de certains, le catalyseur de l'inquiétude ; et les Français que l'économie épargne sont désormais renvoyés à de nouvelles interrogations sur la capacité du pays à se ressaisir et à retrouver son esprit de conquête.

Cette vraie déprime collective résulte aussi d'un contexte économique et social qui depuis vingt ans n'a cessé de se dégrader. Progressivement mais sûrement, notre pays décroche. Nos compatriotes n'ont pas besoin de chiffres ni de statistiques pour le ressentir, même si les chiffres sont terriblement éloquents.

Avec plus de 2 % de croissance, la France n'a pratiquement créé aucun emploi en 2004 ; elle en aurait même détruit au cours du premier trimestre 2005. La balance des paiements courants est dans le rouge - plus de 3 milliards en avril -, alors que les Allemands collectionnent les excédents à un niveau record - 42 milliards d'euros pour le seul premier trimestre 2005 -, ce qui révèle la perte de compétitivité de l'économie française et une mauvaise spécialisation. La dette de l'État est abyssale. Et pour couronner le tout, toutes les branches de la Sécu sont en déficit.

D'ailleurs, si les choses avaient vraiment changé depuis trois ans, vous-même, monsieur le Premier ministre, n'auriez pas eu les mots qui ont été les vôtres depuis un mois. La référence aux Cent-Jours indique, en elle-même, que la maison brûle ou que, pour le moins, elle se lézarde gravement. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

En moins d'un mois, vous avez déclaré aux Français que « tout n'avait pas été tenté pour lutter contre le chômage », alors qu'il s'agissait de la « priorité » du gouvernement précédent. La semaine dernière, vous avez indiqué que nous en étions « à l'an I de la réforme de l'État », alors qu'il y a moins d'un an la décentralisation était, selon votre prédécesseur, la « mère des réformes ».

M. François Bayrou et M. François Rochebloine. Très bien !

M. Hervé Morin. Enfin, notre ministre de l'économie et des finances s'inquiétait, la semaine dernière, du déficit exponentiel de l'État, critiquant ainsi implicitement la gestion précédente.

Je souhaite du fond du cœur, monsieur le Premier ministre, que vous réussissiez, mais, au plus profond de moi-même, je crois que c'est quasi du domaine de l'impossible (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), car seule une politique de rupture absolue, reposant sur un nouveau pacte avec les Français, et donc passant par le suffrage universel, permettra à un gouvernement d'engager les réformes structurelles dont le pays a besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) Et, pour conduire cette politique, il faudra des institutions nouvelles, car c'est le système, le régime lui-même, qui est en crise.

M. François Bayrou. Exactement !

M. Hervé Morin. Le vote insurrectionnel du 29 mai dernier démontre bien que le diagnostic du Président de la République sur le rejet du système politique traditionnel est encore d'actualité. Notre démocratie est profondément malade. Deux chiffres, que vous avez déjà oubliés, sont éloquents : à la dernière élection présidentielle, quatorze millions d'électeurs n'ont pas jugé bon de se déplacer ou ont voté blanc, neuf millions ont voté pour les extrêmes. Sur un total de quarante et un million d'électeurs, près de 60 % ont, par un moyen ou par un autre, exprimé leur mécontentement. La Ve République telle qu'elle a évolué est à bout de souffle. Deux facteurs ont contribué à dénaturer nos institutions : l'acceptation de la cohabitation et l'irresponsabilité politique du Président, qui en est la conséquence. La Ve République créait, certes, les conditions d'un fort déséquilibre au sein des pouvoirs, mais la responsabilité du Président de la République devant le peuple au moment des élections législatives ou d'un référendum rééquilibrait les choses. Le quinquennat sec - et je suis heureux d'avoir fait partie des quelques parlementaires qui se sont opposés à cette réforme - est source de déséquilibre absolu. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Ueberschlag. C'est trop facile !

M. Jean-Pierre Brard. C'est vrai !

M. Hervé Morin. L'élection des députés, quelques semaines après l'élection présidentielle, devient une élection seconde et subordonnée. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Ueberschlag. C'est n'importe quoi !

M. Hervé Morin. Le Parlement n'a plus de légitimité propre, sinon celle du Président de la République. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

La majorité présidentielle et la majorité parlementaire se confondent, réduisant de facto la place et l'autorité du Premier ministre en faisant de lui plus le premier des ministres que le chef du Gouvernement, et surtout le quinquennat sec transforme le Parlement en un bras mécanisé de l'exécutif. Dès lors, l'irresponsabilité politique se conjugue à une confusion et une concentration des pouvoirs qui n'existent dans aucune autre démocratie moderne.

M. Jean Ueberschlag. Vous êtes les responsables !

M. Hervé Morin. Ce système crée les conditions d'une société de défiance qui nuit à l'efficacité politique en rendant très difficiles les réformes structurelles dont le pays a besoin.

Que ce soit une Ve République rénovée ou une VIe République, il nous faudra de nouvelles institutions. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) La démocratie, ce n'est pas seulement l'élection des dirigeants au suffrage universel, c'est aussi un système de pouvoirs et de contre-pouvoirs ; de pouvoirs qui équilibrent le pouvoir. C'est un gage d'efficacité et un moyen de redonner à nos compatriotes confiance dans le système politique, car l'obligation de persuasion au sein de l'Assemblée oblige l'exécutif au débat et à la pédagogie vis-à-vis des Français. Or le Parlement est en crise, puisqu'il se retrouve incapable de remplir convenablement ses trois fonctions (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) ; ne vous en déplaise !

M. Jean Ueberschlag. Ce n'est pas le Parlement !

M. Hervé Morin. Notre assemblée représente de moins en moins bien le pays.

M. François Rochebloine. C'est vrai !

M. Jean-Pierre Brard. Dissolution !

M. Hervé Morin. De la gauche à la droite, du groupe communiste à l'UMP, nous ne représentons que 45 % du premier tour de l'élection présidentielle. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Il nous faut donc un nouveau mode de scrutin, permettant à tous, de l'extrême gauche à l'extrême droite, d'être présents comme au Parlement européen ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Ce mode de scrutin proportionnel redonnera à l'Assemblée une place centrale dans le débat (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)...

Plusieurs députés du groupe des député-e-s communistes et républicains. Bravo !

M. Hervé Morin. ...mais surtout l'autonomie et l'indépendance dont elle a besoin pour exercer ses pouvoirs.

Par ailleurs, le Parlement s'est vu déposséder de sa fonction législative. Les lois ont été multipliées au point de les rendre inutiles, mais aussi dénaturées en instrument de la politique spectacle. Ce n'est pas moi qui le dis, mais Pierre Mazeaud, président du Conseil constitutionnel, qui déclarait le 3 janvier dernier : « La loi n'est pas faite pour affirmer des évidences, émettre des vœux ou dessiner l'état idéal du monde. [...] La loi ne doit pas être un rite incantatoire. [...] Pour s'en tenir au rôle qui est le sien, tout son rôle et rien que son rôle, le législateur doit apprendre à résister à la «demande de loi », s'interdire de faire de la loi un instrument de communication. » (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. François Rochebloine. Eh oui, c'était Pierre Mazeaud !

M. Hervé Morin. En vingt ans, le code du travail, que vous voulez simplifier, monsieur le Premier ministre, a triplé de volume, passant de 737 pages de 2 353 pages dans la même édition !

M. Hervé Novelli. Il a raison !

M. Hervé Morin. Croyez-vous que cela ait permis de mieux protéger les travailleurs et d'améliorer les relations sociales ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. François Rochebloine. Certainement pas !

M. Hervé Morin. Pendant ces trois dernières années, et en dépit des efforts de notre Président, l'Assemblée nationale s'est vue interdire de débattre et de voter sur des sujets aussi importants que les limites de l'Europe ! C'est pourquoi une partie de l'ordre du jour doit à l'avenir appartenir au Parlement, et c'est pourquoi le parlementarisme rationalisé doit être allégé. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

À cela s'ajoute la litanie des lois émotives, des lois censées régler des difficultés qu'elles ne règlent pas, parce que l'on ne s'attaque jamais aux causes ! La Marseillaise est sifflée dans un stade de football ? Aussitôt, on crée un délit d'outrage à l'hymne national. Des feux de forêt sont allumés par des pyromanes ? Aussitôt, on aggrave les sanctions pénales à leur encontre. Des récidivistes dangereux sont arrêtés ? Aussitôt, on renforce les sanctions, alors que la lutte contre la récidive est bien plus liée à une politique pénitentiaire qu'à un renforcement des peines ! Que dire des lois comportant des proportions considérables de dispositions réglementaires, comme s'il fallait masquer l'impuissance de l'action publique par l'accroissement du volume des lois ?

M. Hervé Novelli. Très bien !

M. Hervé Morin. Enfin, le Parlement s'est interdit d'exercer sa fonction de contrôle, à l'exception de la commission d'enquête sur Air Lib, du rapport Warsmann sur l'application de la loi Perben II...

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Hervé Morin. ...et surtout de la mission d'information sur la laïcité. Partout, nous avons abandonné cette fonction de contrôle. Pourtant, il est probablement le meilleur vecteur pour la réforme de l'État, le meilleur moyen d'assurer la maîtrise de la dépense publique et de lutter contre l'inertie bureaucratique. En réalité, nous refusons d'exercer les pouvoirs que nous détenons, soumis que nous sommes à la chape de plomb du fait majoritaire et au parlementarisme trop rationalisé. Ce débat sur les ordonnances en est l'expression. D'ailleurs, mercredi après-midi dernier, lorsque nous débattions de ce sujet, nous étions moins de dix dans l'hémicycle !

Plusieurs députés du groupe socialiste. C'est vrai !

M. Hervé Morin. Autant que les institutions, monsieur le Premier ministre, c'est aussi la pratique du pouvoir qui doit être changée. Passer d'une société de défiance à une société de confiance repose notamment sur la restauration de l'impartialité de l'État.

M. François Rochebloine. Eh oui !

M. Hervé Morin. Depuis 1981, après chaque grande élection, on assiste à une valse des postes, sorte de jeu des chaises musicales où les gouvernements successifs sont devenus des experts : préfets, diplomates, directeurs d'établissements publics, recteurs... doivent avoir pour talent essentiel d'être des fidèles du pouvoir ; les entreprises des amis sont rachetées sur ordre par des groupes nationalisés... Si seulement ces pratiques étaient gage d'efficacité de l'action publique, elles seraient presque pardonnables ! On est bien loin du temps de la IIIe République ou du début de la Ve République où tout nouveau gouvernement ne procédait qu'à un seul changement de directeur d'administration centrale - celui du Trésor. C'est comme si nous avions oublié le texte de la Déclaration des Droits de l'Homme. Pourtant, cette question de l'impartialité de l'État est capitale, compte tenu de la place qu'il occupe en France, du rôle qui lui est assigné par nos compatriotes - probablement unique en Europe -, le chargeant d'à peu près toutes les responsabilités, de la culture à l'économie, de la cohésion sociale au contrôle des règles de concurrence. Le système public doit être irréprochable, donc impartial. C'est à cette condition qu'il sera entendu lorsqu'il parlera au nom de l'intérêt général. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française). Sinon, son crédit, sa capacité de persuasion, sa puissance pédagogique seront irrémédiablement atteintes !

La démocratie, ce n'est pas seulement une forme politique, c'est une forme de société, disait Pierre Mendès France, c'est un système de valeurs, une éthique. Aussi faudrait-il introduire une procédure de hearings devant le Parlement avant toutes les nominations aux postes à haute responsabilité dans la fonction publique, probablement à l'exception de l'armée. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) Ce sont les meilleurs, ceux qui ont un projet, qui doivent être nommés, et non les amis du pouvoir ! Les nominations et les promotions des magistrats du parquet doivent s'effectuer sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, et non à la discrétion du pouvoir exécutif ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

L'avis conforme du Parlement devrait être obligatoire pour toutes les nominations aux autorités administratives indépendantes et autres organismes qui régissent ou organisent des pans entiers de la vie de notre démocratie. C'est le système qui existe aux États-Unis, où le Parlement dispose d'un droit de veto. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Finalement, notre système politique vit sur un modèle ancien, pyramidal, hiérarchisé, qui correspond à un autre temps. Aujourd'hui, les organisations dans la société civile, et notamment dans les entreprises, sont horizontales et reposent sur le partage des responsabilités et l'organisation en réseau. La fameuse bonne gouvernance, dont on se rengorge, n'est pas seulement réservée aux autres.

Le débat d'aujourd'hui, quatre semaines après un vote de confiance, est caricatural et n'est donc que l'épiphénomène d'une crise plus grave du système politique français. Je n'évoquerai pas les ordonnances qui motivent cette motion de censure, puisque mon collègue Pierre Albertini a longuement développé les propositions de l'UDF sur l'organisation du marché du travail.

Je traiterai donc d'un dernier sujet également abordé par le Président de la République dans ses deux discours de Rennes et de Villepinte : celui de la promotion de l'égalité des chances. Je ferai quelques propositions permettant de recréer les conditions d'accès de tous les jeunes à l'école et à l'emploi. Vous avez nommé, monsieur le Premier ministre, ou, pour être exact, vous avez proposé au Président de la République de nommer un ministre de l'égalité des chances et vous avez indiqué quelques pistes dans votre déclaration de politique générale. C'est un bon signe, mais il ne faudrait surtout pas s'arrêter là.

L'égalité des chances, la promotion sociale, la relance de l'ascenseur social sont des formules dont nous nous repaissons dans nos discours, sans que, concrètement, rien de fondamentalement significatif ne soit mis en œuvre. Et pourtant, ce sujet est fondamental pour redonner confiance dans l'avenir. Les oubliés de l'égalité des chances sont de plus en plus nombreux ; ils ne sont pas uniquement des Français issus de l'immigration, mais concernent aussi désormais une partie des classes moyennes. Les zones rurales sont, elles aussi, durement touchées. Depuis trente ans, une partie de nos compatriotes n'ont plus leur place dans la société française. Ils ne participent plus à un destin collectif, et, d'ailleurs, dans les rares périodes où la France connaît une croissance vigoureuse, elle ne les atteint pas. Les inégalités - de revenus, de formation, de destin... - se sont enracinées dans la société française avec une profondeur que peu de gens soupçonnent, mais que les sociologues ont clairement mise en évidence. La ségrégation ne se limite pas à quelques centaines de quartiers difficiles, dûment répertoriés où se concentreraient l'essentiel des exclus. En réalité, la « fracture sociale », pour reprendre une expression qui a été vidée de son sens, ne passe pas entre une minorité de cas extrêmes et le reste de la société. La société actuelle est profondément segmentée, chaque groupe s'évertuant à fuir ou à contourner le groupe immédiatement inférieur dans l'échelle des difficultés. Les ouvriers fuient les chômeurs immigrés, les familles favorisées fuient les classes moyennes, les classes moyennes esquivent les professions intermédiaires... L'enseignement qu'il faut en tirer, c'est qu'il faut rompre avec les principes qui ont guidé ces politiques qui ont échoué. Il faut diriger les actions vers les individus et non pas vers les territoires, en appliquant résolument un principe : donner davantage aux enfants et aux adolescents les plus dépourvus de ressources familiales. Appliquer des politiques égales à des situations inégales accentue les inégalités.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Hervé Morin. Nous devons conduire une politique de mobilisation positive reposant sur des fondements socio-économiques, et non pas raciaux ou ethniques. Jamais nos grandes écoles n'ont aussi peu scolarisé d'enfants issus des milieux modestes, qu'ils s'appellent Dupont, Durand, Belarbi ou El Harouat. Seulement 5 % des élèves de classes prépas sont fils d'ouvriers. Ils sont huit fois moins nombreux que les fils de cadres. Or cette ghettoïsation de la société française est une gangrène qui fait autant de ravages que le chômage de masse. Quand l'appartenance nationale s'estompe faute d'avenir, le repli dans sa communauté s'accroît.

Des solutions extrêmement simples pourraient être mises en œuvre, sans quotas, sans références ethniques, afin de rompre cette loi d'airain de la ghettoïsation qui fait que l'environnement social et géographique dans lequel on grandit vous détermine de façon quasi définitive.

Alors que les marges de manœuvre sont extrêmement limitées, quelques mesures simples extrêmement fortes, aux effets immédiatement sensibles, pourraient être mises en œuvre. Je voudrais en citer quelques-unes :

Généraliser le système ESSEC permettant l'accompagnement des meilleurs élèves volontaires des lycées de ZEP, pendant trois ans, afin qu'ils puissent accéder aux classes préparatoires et aux meilleurs enseignements ; cette mesure, étendue à 5 % d'une classe d'âge, représenterait un effort de 240 millions d'euros - c'est peu d'argent, comparé au plan sur les banlieues ;

Donner à tous les meilleurs élèves de tous les lycées, du plus grand lycée parisien au lycée de la plus petite ville de province, le droit d'accéder aux meilleures classes préparatoires ; on sait trop aujourd'hui que le mode de sélection élimine les meilleurs élèves des lycées de Stains ou du Gers - il n'y a aucune raison que tout le monde ne puisse pas accéder aux plus grandes écoles ;

Développer un système de bourses nettement plus favorable pour les enfants issus des milieux les plus modestes ;

Créer des internats permettant de donner aux jeunes un cadre plus propice aux études. Sait-on par exemple que, dans les grands lycées, il y a très peu de places d'internat pour les filles ?

L'égalité des chances, c'est aussi l'égalité des chances dans l'entreprise.

M. Jean-Pierre Brard. C'est le nouveau Lénine !

M. Hervé Morin. Comme le préconise le rapport Bébéar, il faut donner aux entreprises les couleurs de la France. L'enquête menée par le professeur Amadieu sur les CV est accablante : le même CV, identique en tous points, adressé par un jeune, blanc, parisien de vingt-huit ans a six fois plus de chances de déboucher sur un entretien d'embauche que lorsqu'il est adressé par un même jeune dont le nom a une consonance maghrébine. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.) Sans entrer dans le détail, nombreux sont les pays occidentaux, les États-Unis, la Grande-Bretagne, les pays scandinaves, qui ont mis en place des procédures incitatives et des obligations dans les grandes entreprises, afin que l'égalité des chances en matière d'emploi ait un sens.

Un sociologue britannique du milieu du XXe siècle, Brinton, indiquait les sept critères signalant une situation prérévolutionnaire ou de crise grave : un climat de relative prospérité, des antagonismes forts entre classes sociales, des groupes sociaux s'appuyant sur des intellectuels qui contestent le système, des institutions dépassées et confisquées, des dirigeants qui perdent confiance en leur autorité et en ses fondements, un gouvernement confronté à de grosses difficultés et, enfin, une utilisation maladroite de la force. À l'exception du dernier critère, tout y est ou presque.

Et, pourtant, le long fleuve tranquille de la politique française, lui, continue à couler, comme si le monde n'était pas en train de se transformer radicalement.

La réalité, monsieur le Premier ministre, c'est que nous vivons une crise de régime. Depuis trop longtemps, nous ne disons pas la vérité aux Français...

M. Jacques Desallangre. C'est bien, l'autocritique !

M. Hervé Morin. ...alors que les hommes politiques ont un devoir de lucidité, et même si les vérités sont difficiles à dire. Sans cet exercice, un pays s'installe dans l'illusion, les ressorts du redressement sont introuvables. Sans une pratique du pouvoir radicalement différente, s'appuyant sur des institutions renouvelées, la myopie collective qui nous atteint, l'inefficacité du système de décision qui nous frappe nous conduiront inexorablement à des lendemains douloureux.

M. Jean-Pierre Brard. Il est comme Turgot en 1788, il annonce la fin !

M. Hervé Morin. Nous assistons à l'épuisement d'un modèle, celui qui a connu son apogée pendant les Trente Glorieuses. La Grande-Bretagne nous a montré qu'un pays pouvait réussir à passer d'une situation dramatique, à la fin des années soixante-dix, à un système qui aujourd'hui fonctionne plutôt bien aux yeux des Britanniques.

M. Jean-Pierre Brard. La misère pour tous !

Plusieurs députés du groupe des député-e-s communistes et républicains. Quelle référence !

M. Hervé Morin. C'est un nouveau modèle qu'il faut reconstruire, comme d'autres pays ont su le faire avant nous. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Jacques Brunhes. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, le 28 février 2005, au Congrès de Versailles, 730 députés et sénateurs, sur 892, c'est-à-dire 81,8 % des votants, ont approuvé un texte constitutionnel pour l'Europe. Or, trois mois après, le 29 mai 2005, le pays, après un débat parmi les plus profonds que la France ait connus, a rejeté ce même projet à 55 %.

Voilà donc, malgré l'impressionnante entreprise de propagande officielle, le déferlement médiatique, la culpabilisation ou le dénigrement des citoyens, un résultat sans précédent. Il s'agit bien d'un vote historique.

Monsieur le Premier ministre, quelles leçons en avez-vous tirées pour la construction européenne ? Si l'on en juge par le fiasco du sommet de Bruxelles, aucune. Le non français est en vérité un retentissant appel pour l'élaboration d'un autre projet européen avec le concours des peuples, celui d'une Europe démocratique, solidaire, du progrès social et humain. Or cette option a bien été torpillée à Bruxelles, enfonçant un peu plus l'Europe dans la crise. Le Président de la République et votre gouvernement ont leur part de responsabilité dans cet échec. Fort du verdict populaire du 29 mai, vous auriez dû demander l'ouverture d'un nouveau chantier pour bâtir cette Europe de l'espérance,...

M. Francis Delattre. Il n'ose pas dire « une Europe communiste » !

M. Jacques Brunhes. ...mais vous persistez dans le processus initial. La poursuite de cette logique hypothéquera durablement l'avenir de la construction européenne. C'est cet entêtement coupable dans la voie d'une Europe ultralibérale et du déficit démocratique que nous censurons déjà.

Mais il y a plus grave encore. Quelles leçons avez-vous tirées du 29 mai en matière de politique intérieure ? Aucune. Quelles leçons avez-vous tirées du choc politique du 21 avril 2002 et des 19,88 % des suffrages exprimés que le Président de la République a obtenus au premier tour, le plus faible score pour un Président sortant ? Aucune.

M. Richard Mallié. Quel a été le score de Hue ?

M. Jacques Brunhes. Quelles leçons avez-vous tirées des mauvais résultats aux élections européennes, des résultats accablants aux cantonales et aux régionales pour votre majorité ? Aucune. Quel compte avez-vous tenu des puissantes manifestations de l'été 2003 et de celles du 10 mars dernier, alors que vous proclamiez avec dédain que ce n'est pas la rue qui gouverne ? Aucun.

Alors que les Français, avec un remarquable esprit de responsabilité, vous adressent depuis des mois et des mois des signaux sans équivoque qui concernent leur avenir et celui du pays, vous maintenez la continuité de votre orientation politique, tout au plus déclinant sous d'autres formes les mêmes propositions, sans le moindre égard pour celles, alternatives, émanant de milieux divers. Ce n'est pas acceptable.

Le 5 décembre 1995, déjà lors d'un débat de censure contre le gouvernement, à cette même tribune, je disais à M. Juppé, un Premier ministre droit dans ses bottes, alors qu'il y avait un million de manifestants dans les rues, que son attitude pourrait n'être que l'illustration caricaturale de ce qu'écrivait la veille Michel Crozier dans Les Échos : « Les élites ne savent pas écouter parce qu'elles ont été formées à tout savoir et, donc, à ne pas écouter. » C'est encore vrai dix ans après, et notamment pour les élites politiques !

Dans les circonstances actuelles, l'attitude du Président de la République et de vous-même, monsieur le Premier ministre, est lourde de danger pour la démocratie car tous les signaux témoignent de la profondeur abyssale de la crise provoquée par votre politique.

L'immobilisme politique, c'est le Président de la République. L'immobilisme politique, c'est vous. La fracture sociale, désormais phénoménale, c'est vous : 3,5 millions de nos concitoyens vivent en dessous du seuil de pauvreté, 4,7 millions dépendent de la CMU, 1,2 million sont RMIstes - 9 % de plus en un an -, le chômage atteint 10,2 %, un chômeur sur deux n'est pas indemnisé, près de trois quarts des embauches se font en CDD, et la liste est longue des statistiques du drame social.

L'accroissement des inégalités, c'est vous. Pendant que chômage, pauvreté, précarité augmentent, à l'autre bout de l'échelle sociale, s'étale une insolente richesse. La situation financière des entreprises françaises, selon le ministre de l'économie, Thierry Breton, a rarement été aussi bonne. Les dividendes explosent et douze des quarante sociétés françaises cotées au CAC 40 annoncent 32 milliards de bénéfices nets. Le pouvoir d'achat des salariés, lui, stagne quand il ne baisse pas comme pour les fonctionnaires, qui ont perdu 5 % depuis le 1er janvier 2000.

M. Francis Delattre. L'Humanité licencie !

M. Jacques Brunhes. Il est amputé par des hausses incessantes de prix : loyers, eau, gazole, super, fioul domestique, gaz, etc.

La dérégulation des services publics, c'est vous. Elle s'accélère dans des secteurs aussi importants que les postes et télécommunications, le transport ferroviaire, l'énergie. Seule prévaut la logique des intérêts économiques et financiers, au détriment de l'intérêt général des collectivités, de la cohésion sociale et territoriale. C'est ainsi l'un des éléments centraux de notre pacte républicain qui est mis à mal.

Le démantèlement des acquis sociaux, c'est vous. Depuis trois ans, la droite n'a eu de cesse de remettre en cause les 35 heures.

M. Francis Delattre. Si c'était vrai !

M. Jacques Brunhes. Elle a suspendu des articles de la loi de modernisation sociale, attaqué la sécurité sociale, porté atteinte au système des retraites, supprimé un jour férié, pour ne citer que cela.

La politique insensée de la baisse de l'impôt et de l'impôt de solidarité sur la fortune, c'est vous. Depuis trois ans, elle a surtout profité aux deux plus hautes tranches, donc aux contribuables les plus riches. Elle s'est faite au détriment de la plupart des budgets sociaux, aboutissant à un affaiblissement des secteurs d'avenir comme l'éducation, la recherche, l'industrie.

Aujourd'hui, votre ministre de l'économie proclame que la France vit au-dessus de ses moyens, mais, si les caisses de l'État sont vides, à qui la faute ?

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Au MEDEF ! (Sourires.)

M. Jacques Brunhes. 20 % des recettes de l'État sont englouties dans les cadeaux fiscaux sans qu'il y ait la moindre contrepartie en termes d'emplois, d'investissements productifs ou de formation. Aujourd'hui, votre ministre de l'économie affirme que les Français ne travaillent pas assez...

M. Francis Delattre. Il a raison !

M. Jacques Brunhes. ...mais, depuis trois ans, c'est votre politique de l'emploi qui a produit 230 000 chômeurs de plus.

M. Patrick Balkany. C'est la faute des 35 heures !

M. Jacques Brunhes. Vous supprimez les postes de fonctionnaires, 5 000 cette année, 7 000 l'an dernier. Vous êtes responsable du démantèlement des contrats-jeunes, de la multiplication des emplois précaires dans la loi de cohésion sociale. Vous vous entêtez à fonder vos divers plans pour l'emploi sur l'allégement des cotisations sociales patronales. Ces allégements ont été multipliés par vingt en vingt ans, et leur résultat sur l'emploi est quasi nul, ou, pour reprendre la formule de la Cour des comptes, d'effet très incertain. De nombreux économistes, vous le savez, en contestent l'utilité, et vous vous obstinez à poursuivre dans la même voie. Votre plan emploi est fondé sur les mêmes recettes, aggravées par une attaque en règle contre le code du travail.

Aux nouveaux allégements de cotisations sociales patronales, vous ajoutez de nouveaux cadeaux réclamés par le MEDEF, comme le contrat à durée déterminée de deux ans et le lissage des seuils que nous avons dénoncés avec force la semaine dernière. Je n'y reviens pas.

La balance de votre plan pour l'emploi, c'est : pour les salariés, l'explosion du code du travail et la précarisation poussée ; pour le patronat, les cadeaux fiscaux sans aucune contrepartie pour embauche durable ou augmentation des salaires. Qui plus est, vous avez établi et annoncé votre plan sans aucune concertation préalable avec les syndicats.

S'agissant du pouvoir d'achat, que propose le Gouvernement pour alléger les difficultés accrues de la plupart des ménages ? L'augmentation de 5 % pour la moitié des salariés payés au SMIC n'est de fait qu'un rattrapage, l'autre moitié n'ayant droit qu'à une infime hausse de 1,6 %. La part des salaires dans la richesse créée ne cesse de baisser tandis que celle des profits augmente d'autant.

Vous n'avez rien annoncé pour modifier cet état de fait, pas plus que pour augmenter les retraites, les pensions et les minima sociaux. Vous poursuivez obstinément dans la voie de la déréglementation et le bradage des services publics : ouverture du capital de Gaz de France, cession par l'État d'une partie de ses actions de France Télécom, privatisation des autoroutes, ouverture à la concurrence du fret ferroviaire...

M. Jean-Marc Roubaud. Qu'ont fait M. Jospin et M. Gayssot ?

M. Jacques Brunhes. Or toutes les politiques monétaristes, en France comme ailleurs, mènent inéluctablement aux mêmes conséquences : chômage, paupérisme, détérioration des services publics, bradage du potentiel économique, chute de la production et du revenu national, déséquilibre des paiements. Voilà pourquoi, avec vos recettes monétaristes et la financiarisation de l'économie, vous ne réussirez ni en cent jours, ni même en mille ! (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

« Le peuple est devenu l'oublié d'une démocratie du simulacre et de l'apparence : voilà la cause du mal français », écrivait le candidat Jacques Chirac. La démocratie du simulacre et de l'apparence, n'est-ce pas d'abord l'abandon ou le détournement des promesses et des engagements du Président de la République et de ses gouvernements ?

« Dès lors que tu dois gérer les affaires de la République comme il faut, ce qu'il est nécessaire que tu donnes à nos concitoyens c 'est la vertu », disait Socrate. Et la vertu, en politique, c'est d'abord de tenir les engagements pris devant les mandants et les citoyens !

Or aucune de vos promesses - je dis bien aucune - n'a été suivie d'effet. Oui, démocratie du simulacre et de l'apparence ! D'une crise des institutions, présente depuis des années, nous passons aujourd'hui à une crise du système politique, à une véritable crise de régime.

Le recours aux ordonnances en est un témoignage supplémentaire. Vous avez opté donc pour l'autoritarisme, pour une pratique qui traduit un profond mépris de l'institution parlementaire.

M. Jean Ueberschlag. L'ordonnance n'est pas un oukase !

M. Jacques Brunhes. Vous dessaisissez le Parlement de son pouvoir législatif et aggravez le déséquilibre originel de nos institutions à son détriment. Vous tournez en dérision le principe de la séparation des pouvoirs, consubstantiel à toute démocratie.

Légiférer par ordonnance, ce que mon groupe, pour sa part, condamne dans son principe sous la Ve République, a été érigé en pratique de gouvernance depuis votre arrivée au pouvoir en 2002, détournant le sens même de l'article 38 de la Constitution. Les deux lois d'habilitation de 2003 et 2004, porteuses de cette dérive inédite avec vingt-neuf articles pour la première et 100 articles comportant 200 mesures pour la seconde - digne d'entrer dans le Guinness des records ! - symbolisent la négation même du pouvoir législatif.

Monsieur le Premier ministre, votre projet de loi d'habilitation est un nouveau pas vers cette confiscation de la démocratie que l'urgence, quand on est au pouvoir depuis trois ans, ne saurait justifier. C'est par ordonnance que vous allez casser notre code du travail, saper les fondements de notre droit social ! L'autoritarisme, c'est vous !

Vous nous avez demandé en vérité un chèque en blanc et vous allez l'obtenir grâce à l'écrasante majorité dont vous disposez au Parlement. Avec vous, comme le dit un chroniqueur célèbre, Alain Duhamel, « le Parlement, c 'est comme sous Bonaparte : le Corps législatif vote sans discuter et le Tribunat discute sans voter. Mais ils sont toujours à regarder les trains passer. »

M. Claude Goasguen. Merci pour le Président !

M. Jacques Brunhes. Cette humiliation du Parlement n'est qu'un des facteurs de la crise déjà profonde de nos institutions. Ce hiatus entre le peuple et votre politique pose en effet, et avec quelle force, la question fondamentale de cette monarchie présidentielle que nous subissons. Le fossé entre le pays et la France politique officielle témoigne de manière inquiétante de la fragilité de nos institutions et fait courir des risques graves à la démocratie. Il souligne le danger de toutes les tentatives effectuées ces dernières années en faveur de la bipolarisation de la vie politique française autour des seuls partis en situation d'avoir un candidat élu à la présidence de la République.

Le référendum et sa suite ont également mis en évidence la crise de la présidentialisation croissante du régime, dont la dérive est particulièrement notable depuis le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral, qui ont renforcé le pouvoir présidentiel sans que son détenteur soit soumis à une responsabilité corrélative.

M. Arnaud Lepercq. Cinquante ans que vous répétez la même chose !

M. Jacques Brunhes. Aujourd'hui, cette logique présidentielle ne peut plus durer. Le Président de la République, qui s'est fortement engagé dans la campagne électorale, a été désavoué par le peuple. Bref, comme le dit le constitutionnaliste Didier Maus, on « arrive presque au bout du système ».

Oui, ce régime est à bout de souffle. Il nous appartiendra, avec les citoyens de notre pays, d'ouvrir la voie à une nécessaire et urgente VIe République.

Monsieur le Premier ministre, le peuple français, dans un formidable sursaut démocratique, vous a signifié son rejet de vos choix sociopolitiques, économiques et européens. En censurant votre gouvernement, les députés communistes et républicains ont le sentiment d'être en phase avec le pays. Ils feront tout ce qui dépend d'eux pour être utiles, pour contribuer dans l'urgence à rassembler pour bâtir une autre politique, qui réponde aux défis de notre temps. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Accoyer, pour le groupe UMP.

M. Bernard Accoyer. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames les ministres, messieurs les ministres, mes chers collègues, en écoutant le président du groupe socialiste, je me posais la question : pourquoi cette motion de censure fourre-tout, alors que le Gouvernement prend à bras-le-corps les problèmes (Rires sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), et en particulier la question de l'emploi, première préoccupation des Français. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Rien dans ce texte, au ton outrancier et caricatural, ne répond concrètement aux attentes de nos compatriotes,...

M. Jacques Desallangre. Vous avez la foi du charbonnier !

M. Bernard Accoyer. ...qui réclament de leurs responsables politiques écoute, pragmatisme et efficacité.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Trois ans !

M. Bernard Accoyer. Il faut donc en déduire que cette motion de censure, en réalité, n'est qu'un leurre, une motion de censure à usage interne, qui, derrière des déclarations dogmatiques et péremptoires, cherche à masquer les profonds déchirements qui secouent le parti socialiste à la veille de son congrès. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Pour autant, vouloir se refaire une santé politique n'est pas une raison pour dire n'importe quoi. La violence et l'excès du texte sont à la hauteur de la profonde crise identitaire dans laquelle s'est enfermé le parti socialiste. S'il y a une crise - comme le dit la motion de censure -, c'est bien de celle-là qu'il s'agit : la crise d'un parti socialiste divisé, déchiré, écartelé entre les « réformistes » et les « gauchistes », tels que les classe le dernier vade-mecum de la rue de Solferino.

Qui, aujourd'hui, incarne la ligne du parti socialiste ? Et quelle est-elle ? Personne ne peut répondre à ces deux questions. Est-ce le Premier secrétaire, désavoué dans les urnes, ou son ancien numéro deux, remercié à contretemps au lendemain du 29 mai ?

Quant à la ligne : est-ce la ligne social-démocrate ? Est-ce la ligne social-libérale, dont les tenants d'hier sont devenus les camarades de lutte de l'extrême gauche et les porteurs d'eau des alter-mondialistes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Il est des renoncements surprenants que seuls peuvent expliquer les calculs politiques.

M. Jean-Marie Le Guen. Quelle finesse d'analyse !

M. Bernard Accoyer. Puisque, selon la formule de Guy Mollet, un congrès socialiste se gagne à gauche, ce sont maintenant les prétendus « réformistes » du parti socialiste qui cèdent à la surenchère la plus démagogique. Ici même, dans cet hémicycle, M. Ayrault vient de nous en donner publiquement la preuve. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

La vérité est que votre incapacité à adopter une ligne politique claire, cohérente et responsable demeure une grave menace pour la France.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C'est vous qui êtes au pouvoir depuis trois ans !

M. Bernard Accoyer. Depuis trois ans, justement, c'est cette absence de ligne, ce désert d'idées, qui vous ont poussés dans une « opposition frontale », condamnant par préjugé et sectarisme tout ce qu'ont entrepris les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin, sous l'autorité du chef de l'État, Jacques Chirac.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Et que les Français ont rejeté !

M. Bernard Accoyer. Pourtant, ces réformes structurelles, que le gouvernement Jospin savait indispensables, la gauche plurielle n'a jamais eu ni la volonté, ni le courage de les engager, portant ainsi un mauvais coup à notre pacte social.

Ce sont également les incohérences des socialistes qui ont porté un autre mauvais coup à l'Europe. Oui, c'est bien la gauche qui a mis l'Europe en panne : l'extrême gauche, par dogmatisme et idéologie ; des hiérarques socialistes, par calcul politique ; la direction du parti socialiste, par incapacité à entraîner la majorité de ses électeurs.

Instrumentaliser la crise que traverse l'Union européenne après les « non » français et néerlandais, c'est jouer, une nouvelle fois, avec l'avenir de la France et celui de l'Europe, alors que nous devrions tous nous rassembler derrière le Gouvernement et le chef de l'État pour défendre les intérêts de la France et relancer la construction européenne.

Mme Martine Aurillac. Très bien !

M. Bernard Accoyer. L'évidence est que le parti socialiste n'est pas en état de gouverner la France. Le texte décousu et caricatural de cette motion de censure en est l'illustration. Tissu de contrevérités auxquelles je veux, maintenant, répondre, point par point.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Bernard Accoyer. Sur la croissance d'abord. La vérité est que le gouvernement Jospin a laissé derrière lui une croissance divisée par quatre entre 2000 et 2002, gaspillant ses fruits, oubliant de conduire les réformes de structures indispensables pour notre pays.

En dépit des affirmations défaitistes des socialistes, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, lui, a porté la croissance à 2,3 % l'an passé, et à 2 % cette année - une croissance supérieure à celle de la zone euro, alors qu'elle était inférieure à celle de nos partenaires européens pendant les années Jospin. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Cette conjoncture favorable a contribué...

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. À la réduction du chômage ?

M. Bernard Accoyer. ...à une amélioration notable des finances publiques.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. À la réduction du déficit ?

M. Bernard Accoyer. Le déficit public a diminué de 10 milliards d'euros en 2004.

La vérité est que, durant les années Jospin, la France a réduit son déficit budgétaire deux fois moins vite que les autres pays de l'Union, malgré le niveau record atteint par les prélèvements obligatoires - 45,9 % du PIB ! - et les dix-neuf nouveaux impôts et taxes instaurés par Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius. (« Ils ne sont pas là ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Ceux-là mêmes qui, aujourd'hui, donnent des leçons de rigueur budgétaire sont restés, selon le mot de Laurent Fabius, des « dépensophiles ». (Approbations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Et les 17 milliards ?

M. Bernard Accoyer. « Dépensophiles », les socialistes le sont également dans les régions. La vérité est qu'en l'absence de transfert de compétences en 2005, les régions de gauche ont augmenté les impôts locaux dans des proportions sans précédent : 24 % en moyenne pour la taxe professionnelle, pour financer de nouvelles dépenses de communication, de représentation, de réception et de recrutement politique dans leurs cabinets. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Pascal Terrasse. C'est ridicule !

M. Jean-Marie Le Guen. Vous n'avez pas de leçons à nous donner dans ce domaine !

M. Bernard Accoyer. Ainsi, pour la taxe professionnelle, c'est 75 % d'augmentation en Bourgogne et 80 % en Languedoc-Roussillon. On imagine les conséquences sur l'emploi ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Et les 17 milliards !

M. Bernard Accoyer. À l'inverse, notre majorité, tenant ses engagements, a, pour la première fois, et depuis trois ans, gardé le cap de l'augmentation zéro des dépenses de l'État, afin de maîtriser les déficits et de redresser durablement la situation financière de la France. Cette maîtrise des dépenses de l'État n'a pas conduit le Gouvernement à se désengager des politiques d'avenir - loin de là.

En 2004 et en 2005, le budget de l'éducation nationale a augmenté plus vite que les autres crédits de l'État. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Ce sont des moyens supplémentaires pour appliquer la réforme de l'école, une réforme majeure dont notre majorité est fière et qu'elle entend bien voir pleinement appliquée. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

La recherche a bénéficié de l'action des gouvernements soutenus par notre majorité.

M. Jean-Marie Le Guen. Bravo ! Vous êtes fiers de votre bilan ?

M. Bernard Accoyer. Avec un milliard d'euros supplémentaires pour le budget 2005, l'effort public en faveur de la recherche progresse de 10 % en un an.

M. Jean-Marie Le Guen. Et les manifestations, de combien ont-elles progressé ?

M. Bernard Accoyer. C'est du jamais vu depuis dix ans, monsieur Le Guen - loin de l'immobilisme absolu et des mesures en trompe-l'œil des années Jospin ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Marie Le Guen. Vous, au moins, vous mobilisez les manifestants !

M. Bernard Accoyer. La future loi d'orientation permettra de doter notre recherche d'un cadre stratégique et financier plus ambitieux et dynamique, fondé sur une véritable culture de projets.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Demain, on rase gratis !

M. Bernard Accoyer. La politique industrielle est relancée pour faire face aux délocalisations, contre lesquelles, une nouvelle fois, la gauche n'avait rien prévu. Au contraire, les lois Guigou et Aubry et les 35 heures les ont souvent provoquées. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Pascal Terrasse. Ridicule !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Et le lundi de Pentecôte ?

M. Bernard Accoyer. C'est notre majorité qui a mis en œuvre une politique industrielle fondée sur le volontarisme et l'innovation, avec des pôles de compétitivité et l'Agence pour l'innovation industrielle dont vous avez eu raison, monsieur le Premier ministre, de doubler la dotation pour la porter à un milliard d'euros.

Mais c'est sur la préservation de notre pacte social que le mensonge est le plus flagrant, quand on sait dans quel état de déshérence le gouvernement Jospin l'a laissé. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste.) L'absence de courage, l'immobilisme coupable et l'illusion trompeuse dans lesquels la gauche a bercé les Français figurent parmi les plus graves défaillances qui ont conduit à son échec historique du 21 avril 2002. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous parlez des 19 % de M. Chirac ?

M. Bernard Accoyer. Cet échec n'était pas un « accident », comme l'a reconnu Laurent Fabius lui-même.

Le gouvernement Raffarin, quant à lui, a eu le courage de la réforme, pour sauver notre système de retraite par répartition, pour sauvegarder notre système d'assurance maladie et garantir un égal accès aux soins pour tous, pour pérenniser et financer l'effort de solidarité en faveur de la dépendance et du handicap.

Il s'agit là de réformes majeures, fondées sur l'idée partagée sur tous ces bancs que seul le travail peut financer la solidarité, alors que l'opposition a été incapable de proposer des mesures alternatives crédibles. Ces réformes, nous pouvons en être fiers, tout comme nous sommes fiers du rétablissement de l'autorité de l'État et du recul de l'insécurité depuis 2002 sous l'impulsion déterminée de Nicolas Sarkozy et de vous-même, monsieur le Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Notre majorité s'est engagée fortement en faveur du pouvoir d'achat, en particulier par une hausse historique du SMIC atomisé par les 35 heures. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) L'augmentation de 11,4 % du SMIC depuis 2003 représente un treizième mois pour un million de salariés.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Et les augmentations de tarifs ?

M. Bernard Accoyer. C'est aussi une augmentation de la prime pour l'emploi d'un milliard d'euros depuis 2002 en faveur des huit millions et demi de Français qui en bénéficient, vivant trop modestement de leur travail par rapport aux revenus de l'assistance.

M. Jacques Desallangre. Et aux revenus des gros patrons !

M. Bernard Accoyer. Nous avons, il est vrai, sur l'emploi, une divergence fondamentale avec le parti socialiste. Pour nous, l'emploi c'est l'entreprise, et non la multiplication des statuts précaires et une politique du social éphémère. La loi sur l'initiative économique a relancé la création d'entreprises au rythme annuel record de 240 000 chaque année.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Et les suppressions d'emplois ?

M. Bernard Accoyer. Le gouvernement de Dominique de Villepin veut, avec le plan d'urgence pour l'emploi, libérer les PME des nombreux et dissuasifs freins à l'embauche.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. En démolissant le code du travail !

M. Bernard Accoyer. La bataille pour l'emploi appelle des mesures simples et pragmatiques visant à faciliter et donc à encourager cette embauche.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Elles encouragent plutôt les licenciements !

M. Bernard Accoyer. Des mesures simples comme celles que propose le Gouvernement - que, pourtant, l'opposition conteste, par esprit de système et manichéisme.

Monsieur le Premier ministre, le choix des ordonnances s'imposait, non seulement en raison de l'urgence, mais aussi parce que l'opposition a pris la mauvaise habitude de pratiquer l'obstruction parlementaire avec, selon le mot de son président, des « murs » d'amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Le contrat « nouvelles embauches » offrira une certaine souplesse à l'employeur,...

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Pour licencier !

M. Bernard Accoyer. ...tout en apportant des garanties concrètes pour le salarié. C'est un contrat gagnant-gagnant, qui a vocation à devenir une forme d'entrée supplémentaire dans les très petites entreprises.

La neutralisation des coûts financiers liés aux effets de seuil dont pâtissent le recrutement et les chômeurs permettra de lever un des principaux freins à l'emploi. Contester cette mesure, c'est faire le choix de l'idéologie aux dépens de la lutte contre le chômage.

Autre mesure de bon sens : le chèque emploi très petites entreprises, qui constitue un progrès considérable pour faciliter les formalités d'embauche, ainsi que le paiement des salaires et des charges dans ces très petites entreprises. Comment le contester ?

Mes chers collègues, le parti socialiste et la gauche française restent profondément divisés sur tout. Ils ne sont d'accord sur rien :...

M. Richard Mallié. Eh oui !

M. Bernard Accoyer. ...ni sur l'économie de marché, que les trotskistes et les alter-mondialistes remettent violemment en cause, ni sur la construction européenne, pour laquelle nous attendons toujours le fameux plan B promis par la « gauche du non », ni sur les grands choix énergétiques, comme en témoignent les attaques des Verts contre l'installation d'ITER à Cadarache.

La réalité est qu'au parti socialiste, il n'y a plus rien : ni chef, ni pilote, ni idées, ni projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christian Bataille. Vous allez voir !

M. Bernard Accoyer. Nous, les députés UMP, nous sommes des élus responsables. Sous l'impulsion de Jacques Chirac et derrière le gouvernement de Dominique de Villepin, nous voulons continuer de réformer le pays dans l'intérêt de nos compatriotes et des générations à venir.

Notre action est bonne, car elle est juste. Cette politique volontariste doit être poursuivie avec les Français, et non, comme le propose le parti socialiste, en les dressant les uns contre autres.

C'est pourquoi le groupe UMP appelle au rejet de cette motion de censure. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je voudrais remercier les députés de la majorité qui m'apportent jour après jour leur soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ils ont du mérite !

M. le Premier ministre. Merci à chacun d'entre eux. Merci à vous, monsieur le président Accoyer, pour vos propos chaleureux et encourageants.

M. André Gerin. Et nuancés !

M. le Premier ministre. Monsieur Ayrault, je vous ai...

Plusieurs députés du groupe socialiste. Compris ?

M. le Premier ministre. ...écouté. (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Glavany. Vous n'êtes donc pas si gaulliste que ça !

M. le Premier ministre. J'ai attendu, j'ai scruté, j'ai cherché, j'ai espéré.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Rien !

M. le Premier ministre. Je n'ai entendu que procès d'intentions. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous êtes au pouvoir depuis trois ans !

M. le Premier ministre. C'est dire à quel point la motion que vous déposez aujourd'hui est déconnectée de la vie, déconnectée de la réalité, déconnectée du peuple. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Glavany. Pas vous, pas ça !

M. le Premier ministre. En déposant une motion de censure, vous avez fait un choix incongru, incompréhensible pour la plupart des Français. Vous prétendez censurer un gouvernement qui, depuis un peu plus d'un mois,...

Plusieurs députés du groupe socialiste. Depuis trois ans !

M. le Premier ministre. ...s'efforce d'apporter des réponses pragmatiques à leurs attentes, un gouvernement qui veut répondre à l'urgence tout en préparant l'avenir,...

Plusieurs députés du groupe socialiste. Depuis trois ans !

M. le Premier ministre. ...un gouvernement qui entend concilier initiative et solidarité.

Mesdames et messieurs les députés, en cette veillée solennelle (« Funèbre ! » sur les bancs du groupe socialiste), faisons preuve tous ensemble de tolérance et d'esprit olympique (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste),...

M. Didier Migaud. L'essentiel, c'est de participer !

M. le Premier ministre. ...c'est-à-dire - et chacun ici en conviendra - d'esprit français. Face aux inquiétudes exprimées par nos concitoyens, notre devoir commun est d'abord d'entendre et de comprendre leur message.

Que demandent les Français ?

M. Jean-Marie Le Guen. Votre départ !

M. le Premier ministre. De l'immobilisme ? (« Non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Non. De l'idéologie ? (« Non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Non. Des polémiques ? (« Non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Non.

Ils demandent de l'audace, du courage et des résultats. (« Oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Ils veulent un gouvernement responsable, qui assume ses choix et ses décisions : c'est ce que je fais aujourd'hui à la tête d'un gouvernement de service public. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Que proposez-vous de votre côté, monsieur Ayrault, monsieur Brunhes ? (« Rien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Au lieu d'un projet, je n'entends qu'un réquisitoire. Croyez-moi, ce n'est pas à la mesure des attentes des Français, ce n'est pas à la hauteur des enjeux qu'il nous faut affronter.

Je sais qu'il peut être tentant, à défaut d'idées, de céder ainsi à la fuite en avant et de donner de la canonnière. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) J'entends vos canons, mais quelle est votre vision, quelle est votre politique ? Personne ici ne le sait. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Après le 29 mai, les Français attendent aussi de leurs responsables politiques qu'ils reconstruisent une véritable ambition européenne. L'heure est au rassemblement de tous ceux qui veulent que notre pays tienne son rang dans cette grande aventure. L'heure est au débat démocratique.

Que proposez-vous pour donner un second souffle à la construction européenne, pour renouer les liens entre chacun de nos concitoyens et les peuples d'Europe ? (« Rien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Le plan B !

M. le Premier ministre. Vous évoquez la situation économique et sociale de notre pays.

M. Jean-Marie Le Guen. Elle est désastreuse !

M. le Premier ministre. À la fin des années quatre-vingt-dix, le gouvernement Jospin a bénéficié d'une embellie économique.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Grâce à sa politique !

M. le Premier ministre. Mais vous n'avez, hélas ! pas permis aux Français d'en bénéficier.

M. Christian Bataille. Un million de chômeurs en moins !

M. le Premier ministre. Vous n'avez, hélas ! pas honoré les rendez-vous de l'action et de la responsabilité : La dette publique a été accrue ; les grandes réformes sociales ont été différées ; la France a été engagée dans la voie sans issue du partage du travail. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, lui, a eu à cœur de mener à bien les réformes les plus urgentes, en dépit d'un contexte économique particulièrement difficile.

M. Jean Glavany. Deux cent mille chômeurs en plus !

M. le Premier ministre. Les réformes des retraites, de la dépendance et de l'assurance-maladie ont été engagées. Les accords du temps choisi sont venus se substituer à la rigidité des 35 heures.

M. Maxime Gremetz. Les Français vous ont dit non !

M. le Premier ministre. Le pouvoir d'achat du SMIC horaire a augmenté de 11,4 % sur trois ans.

M. Maxime Gremetz. Alors les Français sont dingues ?

M. le Premier ministre. Depuis le 1er juillet, le SMIC est à nouveau réunifié.

Les créations d'entreprises ont fortement augmenté grâce à la simplification des réglementations et à la baisse des prélèvements.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Tout va bien !

M. le Premier ministre. C'est sur ce socle économique que je veux aujourd'hui m'appuyer pour passer à la vitesse supérieure et retisser avec chaque Français les fils de la confiance.

M. Jean-Marie Le Guen. Nous voilà bien !

M. le Premier ministre. Voilà pourquoi le rendez-vous que j'ai fixé porte d'abord sur la création d'emplois.

En matière d'emploi, il n'y a pas seulement un mal français, il y a aussi un mystère français. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. La chasse au mystère est décrétée !

M. Jean-Marie Le Guen. Il y a surtout un mauvais gouvernement !

M. le Premier ministre. Pourquoi notre pays, réputé si créatif, si soucieux de cohésion sociale, a-t-il été incapable de retrouver le chemin du plein-emploi ?

M. Jacques Desallangre. Parce que ses dirigeants sont mauvais !

M. le Premier ministre. Avons-nous manqué d'ambition ? Avons-nous manqué d'imagination ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Avons-nous baissé les bras ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. Vous avez fait la politique du MEDEF ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le Premier ministre. Je ne prétends pas pour ma part détenir seul les clés du retour au plein-emploi, mais je suis venu aujourd'hui vous dire quelles sont mes convictions.

Nous avons trop longtemps fermé les yeux sur les évolutions d'un monde qui change rapidement, avec l'émergence de nouveaux pôles de croissance en Chine et en Inde.

Un député du groupe socialiste. Rendez-nous Raffarin !

M. le Premier ministre. Nous n'avons pas suffisamment prêté attention à ce qui marche chez nos voisins européens, y compris ceux qui partagent nos valeurs et nos ambitions sociales. Cela nous a conduits à croire que contre le chômage nous avions tout essayé.

Nous n'avons pas fait tout ce qui était possible pour intégrer dans nos entreprises les jeunes et les seniors.

Enfin, notre pays a fait fausse route en répartissant la pénurie au lieu d'aller chercher la croissance. Les 35 heures n'ont pas créé d'emplois durables, au contraire : elles ont déstabilisé nos finances publiques et fragilisé notre modèle social. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Pour retrouver le chemin du plein-emploi, je ne crois pas qu'il faille renoncer à nos ambitions sociales. Je crois en revanche que nous devons donner à ces ambitions des fondements économiques mieux assurés en valorisant le travail et en favorisant l'insertion des jeunes.

M. Jacques Desallangre. Allez le dire dans les usines !

M. le Premier ministre. Dans cet esprit, j'ai choisi d'agir sans idéologie, et je tiens ici à répondre point par point aux critiques qui me sont adressées.

J'ai décidé de recourir aux ordonnances pour répondre à l'urgence de la situation.

M. Didier Migaud. Quelle urgence ? Ça fait trois ans que vous êtes au pouvoir !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il faut déclarer l'urgence au bout de trois ans de gouvernement Raffarin !

M. le Premier ministre. J'ai choisi de cibler les très petites entreprises car elles constituent le principal gisement d'emplois dans notre pays et le plus immédiatement mobilisable.

Avec le contrat « nouvelles embauches », j'ai voulu offrir de nouvelles souplesses pour l'employeur et de nouvelles sécurités pour le salarié. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. Ce n'est pas l'avis des organisations syndicales !

M. le Premier ministre. Je veux mobiliser tous les leviers pour aider les plus jeunes. Ainsi, le Gouvernement a choisi d'augmenter le nombre et la qualité des contrats aidés dans le secteur associatif et le secteur public. 100 000 contrats d'accompagnement vers l'emploi sont disponibles pour les jeunes.

M. Didier Migaud. Pourquoi avoir supprimé les emplois jeunes ?

M. le Premier ministre. Par ailleurs, le ministère de la défense met en place un dispositif d'insertion et de formation inspiré du service militaire adapté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Desallangre. C'est le traitement social du chômage !

M. le Premier ministre. Mon objectif, c'est que tous les instruments de ce plan soient disponibles à la rentrée prochaine, afin de permettre aux demandeurs d'emploi de retrouver le plus rapidement possible le chemin de l'activité. Je rendrai compte tous les mois des résultats en la matière.

Mon plan d'urgence pour l'emploi s'inscrit dans une action résolue en faveur de la croissance et de l'innovation.

Il y a trente ans, notre pays était en phase de rattrapage : il devait adapter son outil industriel à une compétition économique croissante et à l'ouverture des marchés. L'appareil productif était régi de manière centralisée et administrative.

Aujourd'hui, nous sommes entrés dans l'économie de la connaissance.

Pour réussir pleinement cette transition, nous devons valoriser trois atouts.

D'abord le maintien d'un outil industriel performant. Pour cela, je veux donner à notre industrie les moyens de tirer un meilleur profit de la recherche et des hautes technologies et de se tourner davantage vers l'exportation.

M. Maxime Gremetz. Vous croyez vraiment à ce que vous dites ?

M. le Premier ministre. La maîtrise de l'innovation ensuite : nous devons passer à une organisation de la production fondée sur l'intelligence et la connaissance. Le moteur de cette nouvelle économie, ce seront les investissements de recherche effectués par l'État et par les entreprises privées. De ce point de vue, le doublement de la dotation de l'Agence pour l'innovation industrielle et la création de l'Agence nationale pour la recherche apporteront une réponse à la hauteur des enjeux.

Notre troisième atout enfin, c'est la mise en réseau de tous les acteurs : les laboratoires, les universités, les petites et moyennes entreprises. Grâce aux pôles de compétitivité, qui seront décidés dès la semaine prochaine, des régions entières pourront bénéficier de leur dynamisme. Le lancement de grands projets d'infrastructures nous permettra également d'améliorer l'attractivité de notre territoire.

La France est sans doute l'un des pays européens les mieux placés pour réussir cette adaptation et pour s'imposer face à ses concurrents. Elle peut compter sur la qualité de ses chercheurs dans tous les secteurs stratégiques, comme les nanotechnologies, les biotechnologies ou les sciences de l'information. Elle garde une tradition d'excellence en matière de recherche fondamentale, en particulier en mathématiques.

M. Jean-Marie Le Guen. Malgré vous !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous paupérisez la recherche !

M. le Premier ministre. Le dynamisme de ses entreprises innovantes lui assure un renouvellement constant de son savoir-faire.

Que la mutation soit difficile, c'est normal. Qu'elle suscite des doutes et des inquiétudes, c'est naturel. Dans ces périodes de profonde mutation, le rôle de l'État est à la fois de fixer le cap et de préparer les conditions des succès futurs. Le gouvernement que je dirige s'y emploiera sans relâche.

Mon action s'inscrit aussi dans une vision de la société fondée sur le respect de l'autorité de l'État et la promotion de l'égalité des chances : ce sont des principes essentiels pour notre pacte républicain.

Depuis trois ans, nos efforts ont permis de faire baisser la délinquance. J'ai donné de nouveaux moyens au ministre d'État, ministre de l'intérieur, pour qu'il s'attaque aux violences contre les personnes...

M. Jean-Marie Le Guen. Vous lui avez acheté un Kärcher ?

M. le Premier ministre. ...en plaçant davantage de policiers aux endroits et aux heures les plus sensibles.

Nous allons lutter avec détermination contre les violences conjugales et intrafamiliales, en expérimentant de nouvelles pistes d'action et en généralisant les unités spécialisées dans les centres urbains.

Un député du groupe socialiste. Où est Sarkozy ?

M. le Premier ministre. Nous allons poursuivre avec force la lutte contre les grands trafics qui gangrènent la vie de certains quartiers, en créant une économie parallèle inacceptable.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Baratin !

M. le Premier ministre. Nous devons faire preuve de plus de fermeté contre le travail illégal.

Nous allons renforcer la sécurité routière,...

M. Maxime Gremetz. Ce n'est plus un programme, c'est un catalogue !

M. le Premier ministre. ...qui a déjà permis de sauver plus de deux mille vies par an.

Dans la lutte contre l'immigration clandestine, nous allons franchir une nouvelle étape. Le dispositif est en place. Le Comité interministériel de contrôle de l'immigration fonctionne. Nous allons continuer d'augmenter le nombre d'éloignements d'étrangers en situation irrégulière, tout en continuant d'améliorer les conditions d'hébergement dans les centres de rétention.

Nous allons également améliorer le fonctionnement de la justice. J'ai demandé au garde des sceaux...

M. Jean-Marie Le Guen. Sarkozy ?

M. le Premier ministre. ...d'ouvrir la réflexion sur deux questions prioritaires qui préoccupent nos concitoyens : la question de la responsabilité des magistrats, qui doit être abordée avec sérénité et dans le respect de l'indépendance de la justice.

M. Jean-Marie Le Guen. Vous ne savez pas ce que ça veut dire !

M. le Premier ministre. La question des multirécidivistes : là encore, nous le ferons avec le souci de limiter les risques pour la société et de punir plus sévèrement les réitérants en respectant tous nos principes, et notamment celui de l'individualisation des peines.

L'égalité des chances sera le deuxième principe au cœur de l'action du Gouvernement. Toutes les actions engagées pour l'emploi, la recherche et l'innovation, la sécurité et la justice, n'auront d'effet aujourd'hui que si l'école garantit à tous les jeunes la possibilité de se construire un avenir.

Le Parlement a adopté la loi sur l'école, après deux années de débats et de dialogue avec la communauté éducative.

Un député du groupe socialiste. Et quelques manifestations !

M. le Premier ministre. Elle prévoit un meilleur soutien des élèves en difficulté, un apprentissage renforcé des langues vivantes, un véritable accueil pour les élèves handicapés dans toutes les écoles.

M. Maxime Gremetz et M. André Chassaigne. Avec quels moyens ?

M. Jacques Desallangre. Vous ne cessez de supprimer des classes !

M. le Premier ministre. Dès la rentrée prochaine, elle sera pleinement appliquée.

Le décret sur le remplacement des professeurs en cas d'absence sera publié cet été. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Nous allons proposer aux enseignants qui le souhaitent de s'engager davantage dans l'intérêt de leurs élèves. Leurs heures supplémentaires seront bien sûr rémunérées...

M. Jean-Marie Le Guen. Comment ?

M. le Premier ministre. ...en contrepartie d'un renoncement volontaire aux heures de décharge dont ils disposent.

M. Jacques Desallangre. Voilà !

M. le Premier ministre. En outre, pour soutenir l'action éducative, j'ai mis à la disposition des établissements scolaires du premier et du second degrés 20 000 contrats d'accompagnement vers l'emploi, afin d'améliorer l'encadrement des élèves tout au long de la journée.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Pourquoi avoir supprimé les emplois jeunes ?

M. le Premier ministre. Vous le voyez, l'éducation nationale disposera des moyens nécessaires pour remplir ses nouvelles missions et affirmer la valeur du mérite au sein de notre république.

Voilà, mesdames et messieurs les députés, les défis qui attendent ce gouvernement et notre majorité. Je la remercie de son soutien et de ses encouragements.

M. Jean-Marie Le Guen. Tièdes !

M. le Premier ministre. Je remercie le président Accoyer pour son courage et son fidèle soutien.

Le contexte, nous le connaissons bien : il est difficile. Mais alors que votre motion de censure et vos propos, monsieur Ayrault, n'expriment que fatalisme et résignation, mon gouvernement et notre majorité font le choix du mouvement, du courage et de l'action. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Sur ces bancs, il y a ceux qui sont toujours contre, ceux qui pensent qu'il vaut mieux rester immobile que de tenter quelque chose. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Il y a ceux qui hésitent, ceux qui regardent en spectateurs et distribuent les bons et les mauvais points. J'ai constaté en vous écoutant, monsieur Morin - avec une grande amitié, mêlée cependant d'un peu d'inquiétude - que, dans votre charge, votre cheval avait pris un peu d'avance sur vous, ce qui, chacun le sait, est toujours périlleux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Mais je ne doute pas que les choix du Gouvernement sauront vous convaincre du bien-fondé de notre action.

Dans la politique qui est la nôtre, il y a la volonté de répondre aux attentes de nos concitoyens. Il y a la très froide détermination de tous ceux qui, inlassablement, jour après jour, mènent le combat pour la France ; tous ceux qui savent que l'audace et le mouvement, au rendez-vous de notre pays, paieront.

M. Jean-Marie Le Guen. Quelle audace ?

M. Henri Emmanuelli. Quel mouvement ?

M. le Premier ministre. Je ne suis pas venu cet après-midi devant vous réclamer une indulgence particulière.

M. Jean-Marie Le Guen. Cela tombe bien !

M. le Premier ministre. J'ai pleinement conscience des enjeux et des attentes de l'heure. Mais je demande que mon gouvernement soit jugé sur ses actes. Comptez sur mois : tous les mois, je rendrai compte aux Français. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Plusieurs députés du groupe socialiste. Debout !

M. le président. La discussion est close.

Je vais mettre aux voix la motion de censure.

Le scrutin est annoncé.

.....................................................................

Je rappelle que seuls les députés favorables à la motion de censure participent au scrutin.

Le vote se déroule dans les salles voisines de l'hémicycle.

Le scrutin va être ouvert pour trente minutes : il sera donc clos à dix-sept heures quinze.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Voici le résultat du scrutin :

Majorité requise pour l'adoption de la motion de censure ...................... 289

Pour l'adoption ............ 174

La majorité requise n'étant pas atteinte, la motion de censure n'est pas adoptée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

    2

HABILITATION À PRENDRE PAR ORDONNANCE
DES MESURES D'URGENCE POUR L'EMPLOI

Explications de vote et vote
sur l'ensemble d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi (nos 2403, 2412).

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote sur l'ensemble du projet de loi, la parole est à M. Maxime Gremetz, au nom du groupe des député-e-s communistes et républicains, pour cinq minutes.

M. Maxime Gremetz. Pour vingt minutes, monsieur le président !

M. le président. Non, monsieur Gremetz. Vous connaissez le règlement de l'Assemblée nationale mieux que personne, mais vous le respectez moins bien. (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Maxime Gremetz. Je vais vous démontrer le contraire.

Monsieur le président, monsieur le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, mes chers collègues, le 29 mai 2005, le peuple s'est exprimé pour une rupture avec l'ensemble des politiques économiques de régression sociale en œuvre depuis des années au niveau national comme au niveau européen.

Mais ce message-là, vous refusez de l'entendre, monsieur le ministre Borloo. À un vote profondément antilibéral, vous répondez avec dédain (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) par une nouvelle potion amère libérale, imposant aux travailleurs salariés toujours plus de précarité, de flexibilité et d'insécurité professionnelle et sociale. Oui, monsieur le ministre, avec dédain.

M. André Gerin. C'est vrai !

M. Maxime Gremetz. Dédain pour le peuple, mais aussi mépris pour la représentation parlementaire à laquelle le Gouvernement confisque le droit de débattre des politiques qu'il souhaite mettre en œuvre dans ce pays. C'est le sens de son choix du passage en force par voie d'ordonnances. Morgue aussi, d'ailleurs, envers les partenaires sociaux, dont la parole et l'avis sont relégués au niveau du gadget. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Paul Charié. Oh !

M. André Gerin. C'est vrai !

M. Maxime Gremetz. Car ce plan pour l'emploi au contenu ultralibéral, que vous comptez faire passer à la hussarde, par voie d'ordonnances, se place dans la continuité des recettes rejetées par les Français et ne satisfait - j'ai observé toutes les réactions - que le MEDEF ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) On peut dire aujourd'hui, en saluant son élection, que Mme Parisot vient de remporter une première victoire !

Pendant ce temps, les délocalisations et les plans de licenciement se multiplient, chez Pechiney, ou encore chez Nestlé sur le site de Saint-Menet, dans les Bouches-du-Rhône, alors que ce site est totalement viable, cela est démontré.

Tout ce que vous trouvez à proposer dans ce contexte, monsieur le ministre, c'est le contrat « nouvelles embauches », dont vous faites la mesure phare de votre plan pour l'emploi. C'est en réalité une mesure de dynamitage du code du travail ! Qu'attendre en effet de la création d'un « CDI » dont la période d'essai serait de deux ans, sinon qu'il permette à l'employeur de se séparer de son salarié comme il veut et à moindres frais ?

D'ailleurs, les organisations syndicales ne s'y sont pas trompées. Monsieur le ministre, comme vous avez dit que vous aviez consulté largement les organisations syndicales, vous savez bien que M. Voisin affirme que « le contrat "nouvelles embauches"  est inacceptable » et qu'il est « la porte ouverte au délit de sale gueule et au patron de "droit divin", au licenciement abusif ». Pourtant, M. Voisin n'est pas révolutionnaire. Maryse Dumas, secrétaire confédérale de la CGT estime plus sobrement que « pendant deux ans, le salarié sera à la totale disposition de l'employeur, qui pourra le licencier du jour au lendemain sans avoir à justifier du motif de ce licenciement, sans avoir à lui verser d'indemnités et sans recours possible » - c'est une grande première chez nous ! Force Ouvrière, la CFDT ainsi que toutes les autres organisations syndicales rejettent ce nouveau contrat. Mais au nom de la concertation, comme vous l'avez dit, vous passez en force avec les ordonnances.

Ces mesures, vous comptez les faire accepter en nous resservant ce discours de la fatalité dont les Françaises et les Français ne veulent plus. Ils l'ont exprimé haut et fort le 29 mai en refusant de s'enfermer dans un carcan libéral. Ils ont à cette occasion marqué leur mobilisation et affiché leur conviction qu'une autre politique est possible en France, en Europe et dans le monde. Et ils ont raison !Car c'est résolument dans une autre voie qu'il faut s'engager pour ne pas décevoir ce formidable vote d'espoir dans le politique, que le peuple a exprimé.

Ce qu'il faut, c'est, par exemple, relancer la croissance par l'augmentation des salaires et des revenus des couches populaires, encourager la création d'emplois stables et durables et aller vers la résorption de l'emploi précaire, mener une politique volontariste visant à endiguer la financiarisation de l'économie.

Le groupe communiste et son président, Alain Bocquet, vous ont fait des propositions en ce sens mais vous n'en voulez pas, nous le savons, car elles remettent en cause vos certitudes et s'opposent aux intérêts que vous défendez.

Aussi, nous combattons vigoureusement les mesures que vous proposez, car elles représentent une véritable provocation - je pèse mes mots - pour le monde du travail. C'est pourquoi non seulement nous voterons contre ce texte, mais nous appelons à des rassemblements, le 11 juillet, devant Matignon et devant les préfectures, pour protester contre ces ordonnances scélérates. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Monsieur le ministre, nous vous donnons rendez-vous en septembre pour une grande rentrée sociale combative (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), puisque cet état d'esprit fait l'unanimité dans les organisations syndicales et qu'il est pleinement en phase avec l'opinion publique. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

Je pense, monsieur le président, que vous pouvez me féliciter : j'ai respecté mon temps de parole !

M. le président. Je vous ai laissé le dépasser d'une minute !

La parole est à M. Guy Geoffroy, au nom du groupe UMP.

Grâce à vous, monsieur Gremetz, M. Geoffroy bénéficiera d'une minute supplémentaire ! (Sourires.)

M. Guy Geoffroy. Après cet appel grandiloquent au grand soir,...

M. Maxime Gremetz. Au petit matin, plutôt !

Mme Jacqueline Fraysse. Vous avez du souci à vous faire !

M. Guy Geoffroy. ...je m'en tiendrai à des propos beaucoup plus sereins mais probablement aussi beaucoup plus sérieux sur le sujet qui nous réunit.

Avant que nous ne passions au vote sur le projet de loi d'habilitation, je voudrais rendre hommage au Gouvernement et à la commission.

Au Gouvernement, d'abord, car tout au long des nombreuses heures qu'a demandées l'examen des deux articles de ce projet de loi, nous avons tous pu constater, majorité comme opposition, combien il écoutait avec attention nos interrogations et préoccupations, et y répondait avec soin et précision. Voilà qui atteste que le procès qui est fait au Gouvernement et à la majorité, quant à l'utilisation des ordonnances pour mettre en œuvre ce plan de développement de l'emploi, est un mauvais procès. Car c'est bien à un examen du fond que nous nous sommes livrés, et nous sommes entrés dans le détail, alors que vous auriez pu, monsieur le ministre, vous en abstenir au motif que les lois d'habilitation ne sont pas faites pour cela. De tout cela, le groupe UMP, déterminé à vous soutenir, vous remercie et vous félicite.

Je voudrais aussi rendre hommage au travail accompli par la commission sous la houlette de son président, et au remarquable rapport de notre collègue Claude Gaillard, (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) qui, à tout moment, s'est montré à la fois précis et ouvert, ce qui a permis à l'Assemblée d'être éclairée comme il convenait sur un sujet qui nous tient particulièrement à cœur.

En effet, et c'est là le plus important, une fois évacué tout mauvais procès, il ne faut plus parler que du sujet, et de rien d'autre ! C'est l'emploi qui est, pour nos concitoyens, nous le savons aussi bien si ce n'est mieux que nos collègues des bancs de gauche, la première priorité. Nous ne l'avons pas découvert le 29 mai, mais bien avant, et le projet qui nous est présenté repose intégralement sur des bases solides qui commencent - nous le voyons chaque jour dans nos circonscriptions - à porter leurs fruits : ce sont celles du plan de cohésion sociale.

Hier, comme beaucoup de mes collègues, j'étais, en compagnie de tous les élus de mon département, en réunion avec les services de l'État et je peux attester que les mesures de ce plan de cohésion sociale, qui prennent place actuellement dans notre dispositif d'ensemble, gagnent en crédit et en efficacité sur le terrain.

Or c'est sur ces bases que vous nous proposez de trouver en urgence des solutions pour nos jeunes et pour ceux qui sont le plus éloignés de l'emploi, dans le cadre du soutien à celles des entreprises qui peuvent, dans un premier temps, contribuer le mieux à relever ce formidable défi, c'est-à-dire les petites et toutes petites entreprises.

Toutes ces mesures sont simples et concrètes, facilement applicables et elles peuvent donner rapidement de très bons résultats.

M. Maxime Gremetz. Vous parlez pour ne rien dire !

M. Guy Geoffroy. J'en distinguerai quelques-unes.

La première est le contrat « nouvelles embauches », dont certains ont fait une caricature si évidente qu'elle ne résiste pas à l'analyse.

M. Maxime Gremetz. Parlez-vous des organisations syndicales ?

M. Guy Geoffroy. Ce contrat est le contrat de la nouvelle chance pour beaucoup de chefs d'entreprise qui ont besoin de recruter et pour beaucoup de salariés qui ont besoin de travailler.

Votre projet donne également une nouvelle chance à nos jeunes, en facilitant leur embauche, ainsi, je le disais, qu'à ceux qui sont éloignés de l'emploi depuis trop longtemps. Le versement de 1 000 euros à chacun d'entre eux est une proposition exceptionnelle. Ce faisant, vous offrez à ces personnes l'équivalent d'un treizième mois avant même qu'elles n'aient commencé à travailler et perçu leur premier salaire.

Nous sommes le 5 juillet 2005 : il y a quelques jours, s'est achevée l'augmentation, en trois ans d'efforts, du SMIC pour l'ensemble des Français. Tous ces salariés payés au salaire minimum peuvent, eux aussi, disposer d'un treizième mois grâce à l'augmentation de 11 %.

Tout cela méritait d'être souligné.

Votre plan est concret et efficace ; il s'appuie sur des bases solides. Il concourt, après et avant d'autres, à la modernisation de notre modèle social. C'est de tout cela qu'il est question, et de rien d'autre !

Pour toutes ces raisons, avec détermination, sérénité et conviction, le groupe UMP votera le projet de loi d'habilitation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. D'ores et déjà, je fais annoncer le scrutin dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Gaëtan Gorce, au nom du groupe socialiste.

M. Gaëtan Gorce. Le Gouvernement nous présente un plan d'urgence pour l'emploi. Sur le principe, il a raison ! En effet, si l'on considère la situation dans laquelle se trouve notre pays, en particulier depuis trois ans, on s'aperçoit qu'il y a urgence à agir pour l'emploi : 200 000 chômeurs de plus depuis juin 2002, une augmentation considérable du nombre des demandeurs d'emplois chez les moins de vingt-cinq ans, les femmes et les chômeurs de longue durée ; l'aggravation de la situation de ceux qui sont le plus en difficulté. Voilà le bilan !

Faute d'un changement plus radical, on pouvait espérer un plan offensif et ambitieux, qui serve réellement l'emploi. Or, nous sommes obligés, monsieur le ministre, de condamner à la fois les auteurs de ce plan, son inspiration et la méthode employée.

Nous en condamnons les auteurs car rien n'a changé. Monsieur le ministre, vous êtes toujours à ce banc, vous qui nous avez présenté, il y a six mois, un autre plan d'urgence pour l'emploi. Le Premier ministre lui-même s'est inquiété de son exécution. Si l'on regarde, colonne par colonne, les différents contrats et mesures annoncés, on s'aperçoit que, partout, vous faites chou blanc !

Vous n'avez pas honoré le rendez-vous pour l'emploi que vous nous aviez donné, il y a quelques mois. Pas plus que les gouvernements précédents. Qu'est-ce qui pourrait changer aujourd'hui ? Ce sont les mêmes qui font la même politique ! Nous aurons, par conséquent, les mêmes résultats ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Si nous en condamnons les auteurs, nous condamnons aussi l'inspiration de ce plan. Le plus grave, en effet, c'est qu'au lieu de vous attaquer aux racines du chômage, au lieu de soutenir la croissance et de mettre en place des politiques actives de l'emploi, vous voulez faire croire aux Français - mais cela ne marche pas ! - et à cette assemblée - certains sont manifestement plus complaisants à votre égard sur les bancs de l'UMP (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) - que c'est la rigidité de notre code du travail qui expliquerait le chômage, et une insuffisante précarité, alors qu'elle existe déjà dans notre société et dans les entreprises. Par le biais d'une prime aux chômeurs, vous nous expliquez que c'est parce qu'ils ne chercheraient pas assez activement du travail, parce qu'ils ne seraient pas assez incités à en retrouver, qu'ils seraient victimes du chômage.

Mme Nadine Morano. Démago !

M. Gaëtan Gorce. En invoquant l'existence des seuils sociaux, vous sous-entendez que c'est parce qu'il faut désigner des délégués du personnel et des comités d'entreprise qu'il y aurait du chômage.

Sur tous ces points, vous proposez de remplacer la règle négociée, ou fixée par la loi, par la remise en cause de tout ce qui constitue les garanties sociales que demandent les salariés car ils souhaitent, en contrepartie de leur travail, de la sécurité dans un monde de plus en plus précaire.

Nous condamnons donc, je le répète, l'inspiration de ce plan et le contrat « nouvelles embauches » qui est, c'est vrai, une caricature : un contrat du troisième type, un contrat de toutes les précarités, un contrat « précarité plus », puisqu'il consiste en un contrat à durée déterminée sans aucune garantie en matière de licenciement les deux premières années. Pas d'entretien, pas de procédure, pas de motif ; juste une indemnité dont on se demande comment l'UNEDIC, presque en cessation de paiement, pourra la financer !

Enfin, monsieur le ministre, nous condamnons la méthode, à regret, croyez-le bien, car nous aurions aimé pouvoir, nous aussi, participer à une vraie mobilisation pour l'emploi. Mais elle n'est pas au rendez-vous. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Une fois de plus, vous nous faites le coup de l'urgence : depuis 2002, c'est la septième loi que vous nous faites voter en urgence ! L'urgence est devenue chez vous une habitude : ce gouvernement est un SMUR ! L'urgence, l'urgence, l'urgence, simplement pour tenter de réparer les dégâts qu'il a causés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) C'est insupportable pour les Français !

Alors, vous contournez le Parlement, et nos collègues de la majorité s'en réjouissent : ils ne veulent pas débattre de l'emploi, préférant vous laisser agir par ordonnances. Mais ce n'est pas acceptable au regard de la démocratie.

Plus grave, vous contournez les partenaires sociaux, alors que vous avez vous-même inscrit dans la loi l'idée d'un dialogue social préalable. Vous ne respectez pas les engagements que vous avez pris. Comment pourriez-vous mobiliser ce pays pour l'emploi, si vous mettez de côté les forces politiques et syndicales ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Quel résultat pouvez-vous espérer ? Malheureusement, il est écrit d'avance. Ce sera encore beaucoup de promesses, et beaucoup de déceptions pour ceux qui peuvent s'y laisser prendre. Ce n'est pas notre cas.

C'est la raison pour laquelle nous invitons l'Assemblée à rejeter ce plan qui n'est, au fond, qu'un plan de liquidation d'un gouvernement qui ne veut pas assumer ses responsabilités devant les Français (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) et qui cherche à faire croire, une fois de plus, que, derrière ce rideau de fumée, il agit, alors qu'il laisse chômeurs et salariés seuls face au désespoir qu'il a contribué à aggraver depuis trois ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Albertini, au nom du groupe Union pour la démocratie française.

M. Pierre Albertini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis une vingtaine d'années, la France, hélas, s'enfonce dans le doute, perdant progressivement confiance en elle-même. La grave dépression que nous connaissons est due en grande partie à la persistance du chômage à un niveau élevé, qui touche aujourd'hui toutes les familles françaises.

Le Premier ministre a rappelé tout à l'heure que l'on n'avait probablement pas tout essayé en matière de chômage. Il a tout à fait raison sur ce point : durant les deux dernières décennies, nous avons accumulé des politiques successives en jouant sur tous les curseurs, mais jamais dans la cohérence, jamais dans la durée. Et alors que nous avons dépensé de plus en plus d'argent en faveur de l'emploi, force est de constater que l'efficacité n'a pas été au rendez-vous. Nous portons tous la responsabilité de ce grave échec que représente l'absence de travail imposée aux jeunes et aux plus âgés - les plus de cinquante ans. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

Les propositions que vous nous faites aujourd'hui peuvent être jugées sur la méthode et sur le fond. En ce qui concerne la méthode, vous avez choisi de dessaisir, de contourner le Parlement et, ce faisant, vous avez privé les Français d'un débat de fond qui aurait permis de les prendre à témoin. Peut-on imaginer de résorber le chômage significativement dans notre pays si on ne demande pas aux Français eux-mêmes d'être les acteurs de leur propre destin, si on ne leur demande pas d'adhérer aux priorités de la France et de l'Europe ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

Sur le fond, certaines des ordonnances à venir contiennent des mesures intéressantes, notamment certaines simplifications administratives et le chèque-emploi en faveur des petites entreprises. Le problème, c'est que l'on nous propose un traitement homéopathique, au lieu du traitement de choc qui s'impose !

De plus, je n'ai jamais rencontré un seul employeur qui ait exprimé le souhait de disposer d'un contrat tel que le CNE ; dans aucun des rapports - et Dieu sait qu'il y en a eu depuis 2003 - je n'ai vu cette idée exposée. Ce contrat est à mon sens inutile. Il sera en outre très complexe à gérer car sa nature juridique n'est pas fixée ; enfin, il risque de se révéler dangereux pour le dialogue et les relations sociales. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Nous avions fait une série de propositions, monsieur le ministre, toutes inspirées par l'idée qu'il convient d'arbitrer en faveur du travail et non pas en faveur du capital, en faveur de l'avenir et non pas du statu quo. Les mesures que nous proposions étaient au nombre de quatre : premièrement, la modification de l'assiette des charges qui pénalise injustement le travail ; deuxièmement, une augmentation du volume de travail produit dans la société française - en particulier chez les jeunes et chez les seniors - nécessaire si l'on entend continuer à bénéficier d'un niveau de protection sociale élevé ;...

M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

M. Pierre Albertini. ...troisièmement, la refondation du contrat de travail dans le sens d'une meilleure sécurité pour les employeurs comme pour les salariés - c'est une question d'équilibre et de justice - ; quatrièmement, l'activation du service public pour l'emploi, qui doit pratiquer un accompagnement individualisé dès les premières semaines du chômage, et non à l'issue d'un délai de plusieurs mois. Ces propositions toutes simples, destinées à alimenter le débat, nous les livrons à votre sagacité.

Quoi qu'il en soit, il n'y a pas de modèle, mes chers collègues. Nous ne trouverons pas chez les autres les solutions qui permettront de redresser la France. C'est en nous que se situent les ressources, et non pas dans l'imitation des pays étrangers. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

Je le répète, le Gouvernement a choisi de dessaisir le Parlement et nous n'approuvons pas cette méthode. C'est pourquoi le groupe UDF, dans sa grande majorité, rejettera ce projet de loi d'habilitation. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Vote sur l'ensemble

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

Je vais donc mettre aux voix l'ensemble du projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnance des mesures d'urgence pour l'emploi.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est ouvert.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

                    Nombre de votants 483

                    Nombre de suffrages exprimés 477

                    Majorité absolue 239

        Pour l'adoption 322

        Contre 155

L'Assemblée nationale a adopté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

La parole est à M. le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement. Monsieur le président, mesdames, messieurs, je me félicite de la qualité du débat qui, loin d'avoir été escamoté, a permis d'approfondir en toute sérénité un certain nombre de propositions.

Par ailleurs, je remercie la commission et son président, M. Dubernard, pour leur excellent travail, ainsi que le rapporteur, M. Gaillard, qui a fait preuve d'exigence et de précision. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

    3

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures, troisième séance publique :

Déclaration du Gouvernement et débat d'orientation budgétaire pour 2006.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-sept heures cinquante.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot

(1) Mmes Patricia Adam, Sylvie Andrieux, MM. Jean-Marie Aubron, Jean-Paul Bacquet, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Jean-Claude Beauchaud, Éric Besson, Jean-Louis Bianco, Jean-Pierre Blazy, Serge Blisko, Patrick Bloche, Jean-Claude Bois, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Pierre Bourguignon, Mme Danielle Bousquet, MM. François Brottes, Jean-Christophe Cambadélis, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Mme Martine Carrillon-Couvreur, MM. Laurent Cathala, Jean-Paul Chanteguet, Michel Charzat, Alain Claeys, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Mme Claude Darciaux, M. Michel Dasseux, Mme Martine David, MM. Marcel Dehoux, Michel Delebarre, Jean Delobel, Bernard Derosier, Michel Destot, Marc Dolez, François Dosé, René Dosière, Julien Dray, Tony Dreyfus, Pierre Ducout, Jean-Pierre Dufau, William Dumas, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Mme Odette Duriez, MM. Henri Emmanuelli, Claude Évin, Laurent Fabius, Albert Facon, Jacques Floch, Pierre Forgues, Michel Françaix, Jean Gaubert, Mmes Nathalie Gautier, Catherine Génisson, MM. Jean Glavany, Gaëtan Gorce, Alain Gouriou, Mmes Élisabeth Guigou, Paulette Guinchard-Kunstler, M. David Habib, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Jean-Louis Idiart, Mme Françoise Imbert, MM. Éric Jalton, Serge Janquin, Armand Jung, Jean-Pierre Kucheida, Mme Conchita Lacuey, MM. Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Jean-Yves Le Drian, Jean Le Garrec, Jean-Marie Le Guen, Bruno Le Roux, Mme Marylise Lebranchu, MM. Michel Lefait, Patrick Lemasle, Guy Lengagne, Mme Annick Lepetit, MM. Michel Liebgott, Mme Martine Lignières-Cassou, MM. François Loncle, Victorin Lurel, Bernard Madrelle, Louis-Joseph Manscour, Philippe Martin, Christophe Masse, Didier Mathus, Kléber Mesquida, Jean Michel, Didier Migaud, Mme Hélène Mignon, MM. Arnaud Montebourg, Henri Nayrou, Alain Néri, Mme Marie-Renée Oget, MM. Michel Pajon, Christian Paul, Germinal Peiro, Jean-Claude Perez, Mmes Marie-Françoise Pérol-Dumont, Geneviève Perrin-Gaillard, MM. Jean-Jack Queyranne, Paul Quilès, Bernard Roman, René Rouquet, Patrick Roy, Mme Ségolène Royal, M. Michel Sainte-Marie, Mme Odile Saugues, MM. Henri Sicre, Dominique Strauss-Kahn, Pascal Terrasse, Philippe Tourtelier, Daniel Vaillant, André Vallini, Manuel Valls, Michel Vergnier, Alain Vidalies, Jean-Claude Viollet, Philippe Vuilque, Jean-Pierre Defontaine, Paul Giacobbi, Simon Renucci, Mme Chantal Robin-Rodrigo, MM. Roger-Gérard Schwartzenberg, Mme Christiane Taubira et M. Émile Zuccarelli.