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Troisième séance du mardi 19 octobre 2004

20e séance de la session ordinaire 2004-2005



PRÉSIDENCE DE M. MAURICE LEROY,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt-deux heures quinze.)

    1

LOI DE FINANCES POUR 2005

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2005 (nos 1800, 1863).

Question préalable

M. le président. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour une durée ne pouvant excéder une heure et trente minutes.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire, mes chers collègues, ce projet de loi de finances intervient dans un contexte qui est celui d'un pays, le nôtre, qui va de plus en plus mal.

Le diagnostic de la fracture sociale avait été fait il y a plusieurs années, par l'actuel Président de la République. Aujourd'hui, après une amélioration durant la précédente législature, les choses empirent rapidement et le projet de loi de finances qui nous est présenté est de nature, non pas à améliorer la situation, mais à l'aggraver encore.

Cette cassure persistante menace la cohésion de notre société. Le pacte républicain est chaque jour un peu plus vidé de son sens et « démonétisé », en particulier aux yeux des jeunes, très souvent exclus de l'emploi.

L'immense majorité de nos concitoyens ne constate aucune bénéfice concret du fait de la croissance dont le Gouvernement, nous l'avons entendu de la bouche du ministre d'État cet après-midi, claironne le retour et qui lui apporte des ressources fiscales supplémentaires. Tout au contraire et en dépit des proclamations gouvernementales, le pouvoir d'achat du salaire moyen par tête a diminué de 0,5 % en 2003 et ne devrait pas progresser cette année. En effet, si le pouvoir d'achat global de l'ensemble des ménages a progressé de 0,5 % en 2003 et devrait croître de 1,5 % en 2004, le nombre de ménages augmente également, d'où les contre-performances du pouvoir d'achat moyen par tête.

Monsieur le secrétaire d'État, les paroles ne sont pas toujours suffisantes pour démontrer. Je vais donc vous montrer un graphique, pour illustrer la situation.

Ce graphique retrace la variation du pouvoir d'achat des ménages : en 1996, ce fut l'effondrement ; le pouvoir d'achat redémarra en 1997, avec le gouvernement de la gauche plurielle.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Ce n'était pas la gauche, mais la croissance !

M. Jean-Pierre Brard. Vous voulez commencer le débat tout de suite ? Je suis d'accord !

M. Richard Mallié. À moins que ce ne fût la croissance de la gauche ?

M. Jean-Pierre Brard. En effet, cela a correspondu à la croissance de la gauche, dans la mesure où celle-ci est revenue au pouvoir. Et malgré l'ardoise particulièrement lourde laissée par le gouvernement précédent, le gouvernement de l'époque a su dépenser de l'argent,...

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Ah ça, pour dépenser...

M. Jean-Pierre Brard. ...pour créer des emplois, instaurer la confiance et provoquer un sursaut.

M. Richard Mallié. Par exemple, en créant des emplois-jeunes !

M. Jean-Pierre Brard. En effet. Vous êtes des élus liés à un territoire. Pour ma part, je pourrais vous raconter des histoires d'emplois-jeunes qui se sont déroulées dans ma ville...

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Ah non !

M. Jean-Pierre Brard. Si !

M. Jean-Louis Dumont. Il le faut !

M. Jean-Pierre Brard. Grâce aux emplois Aubry, nous avons donné de l'espérance à 700 jeunes dans ma ville. Cela s'est traduit par moins de problèmes dans les quartiers, moins de problèmes dans les cités, et on a mis aux jeunes le pied à l'étrier.

C'est quelque chose que vous ne savez pas faire, vous qui cassez l'espoir. (M. Jean-Louis Dumont applaudit.)

Mais considérez un peu mon graphique. Je n'ai pas utilisé les couleurs les plus attrayantes pour les meilleures performances, afin d'éviter de vous séduire par un effet d'optique. Malgré tout, il y apparaît bien que le pouvoir d'achat de l'ensemble des ménages a progressé de manière particulièrement satisfaisante jusqu'en 2001 et que, dès que la droite est revenue au pouvoir, en 2002, il a baissé.

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Cela n'a rien à voir : cela s'explique par la croissance !

M. Jean-Pierre Brard. Puis il est tombé en 2003. Tels sont vos « exploits », ou vos « performances », comme vous le disiez tout à l'heure.

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. C'est le moment où nous avons dû payer vos dettes !

M. Jean-Pierre Brard. Selon l'annexe au rapport économique et financier, « en 2003, la progression de la masse salariale et des traitements bruts (+ 2,1 %), a continué de ralentir. Tandis que les créations d'emplois se sont taries, la hausse de la rémunération brute moyenne par emploi à plein temps a été réduite (+ 1,9 % après + 2,4 %), contribuant à une stagnation du pouvoir d'achat. »

L'annexe relève également que, dans le même temps, l'inflation s'est maintenue.

Faute de volonté politique, la croissance est restée sans effet sur le chômage : en 1993, le taux de chômage s'établissait en moyenne annuelle à 9,7 %, en hausse de 0,7 % sur l'année précédente. En 2004, ce taux est monté à 9, 8 % au premier semestre.

Monsieur le secrétaire d'État, je vais vous présenter un autre graphique. Mais il ne vous est pas seulement destiné : il est aussi pour le président de la commission des finances...

M. Jean-Louis Dumont. C'est pédagogique !

M. Jean-Pierre Brard. Sur ce graphique, on constate que le chômage a chaque fois augmenté avec le gouvernement Juppé, le gouvernement Balladur et le gouvernement Raffarin et que, lorsque l'on a créé des emplois, c'était sous le gouvernement de la gauche plurielle. (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Et après, on a payé vos dettes !

M. Jean-Pierre Brard. Vous refusez de voir l'évidence ! Vous êtes comme les vieux croyants, ou comme ceux qui combattaient Galilée : vous ne voulez pas voir dans quel sens cela tourne ! Eh bien, précisément, cela tourne mieux quand c'est la gauche qui est au pouvoir que quand c'est la droite. C'est graphique !

M. Jean-Louis Dumont. Bien dit !

M. Jean-Pierre Brard. Et ces statistiques ne sont pas tirées du journal L'Humanité : ce sont celles de l'INSEE, lequel s'appuie sur l'ANPE. N'est-ce pas, monsieur le secrétaire d'État ?

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Ce ne serait pas plutôt dans Pif Gadget ? (Rires.)

M. Jean-Pierre Brard. Pas du tout ! Auriez-vous de l'INSEE une opinion qui ne serait pas à l'avantage de cette honorable institution ? (Sourires.) Je vous laisse la responsabilité de votre jugement, qui me semble bien sévère.

Pour tenter de soutenir malgré tout la consommation, sans que les patrons ne déboursent davantage et sans que l'État ait un geste en direction des petits contribuables, M. Sarkozy a imaginé d'autoriser le déblocage d'une partie de l'épargne salariale. Vous vous en êtes même vanté cet après-midi !

Nos salariés, auxquels nos ministres expliquent depuis des mois qu'il faut préparer leur retraite par une épargne, sont soudain priés de se raviser et de consommer, toutes affaires cessantes.

À la fin de septembre, 1,15 milliard d'euros avait été retiré par 385 000 salariés, confirmant ainsi que des besoins insatisfaits existent, soit en termes de consommation, soit avec un objectif de désendettement.

L'objectif ministériel est d'aller jusqu'à 5 milliards d'euros, pour tenter d'afficher dans le bilan de l'intéressé - je veux parler du ministre d'État - un chiffre de croissance à peu près présentable. C'est la « course à l'échalote » avant que M. Sarkozy ne quitte le Gouvernement. Il s'agit sans doute d'édifier ses hagiographes, qui sont déjà nombreux et prédisent au ministre d'État un brillant avenir, auquel il croit dur comme fer.

Dans un tel contexte, on comprend facilement que l'amélioration du pouvoir d'achat soit la première préoccupation pour 55 % des Français, selon un sondage TNS Sofres. Mais le mal est bien plus profond que la seule évolution négative du pouvoir d'achat. La pauvreté, très loin d'être résorbée ou même en voie de résorption, devient une blessure insupportable et honteuse pour notre pays. Les élus de la région parisienne, comme ceux des grandes agglomérations, voient s'aggraver le phénomène de bipolarisation : pour les couches supérieures, cela va plutôt mieux ; pour les couches les plus pauvres, les difficultés sont encore accrues et les couches intermédiaires disparaissent. On constate une accélération de l'augmentation du nombre de RMIstes, aujourd'hui proche de 1,2 million. Un record absolu, dont vous avez oublié de vous vanter cet après-midi : plus 1,4 % en 2002, plus 4,9 % en 2003, plus 10,5 % entre juin 2003 et juin 2004. Vos exploits, monsieur le secrétaire d'État, apparaissent clairement sur mes graphiques, dont je vois qu'ils intéressent beaucoup le président de la commission des finances.

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Il est d'ailleurs en train de prendre des notes !

M. Jean-Pierre Brard. À cette heure, déjà avancée, il faut soutenir l'attention et des graphiques en couleur sont beaucoup plus explicites que les seules paroles.

Vous pouvez voir que, du point de vue de la progression des RMIstes, MM. Balladur et Juppé avaient, il est vrai, battu M. Raffarin. Mais voyez cette petite colonne au milieu : c'est celle de la gauche plurielle au Gouvernement. Vos exploits à vous, monsieur le secrétaire d'État - vos victimes, devrais-je dire -, sont figurés par cette colonne plus grande.

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Vos RMIstes à vous, c'étaient les emplois-jeunes !

M. Jean-Pierre Brard. Ce que vous ne comprenez pas, c'est que nous avons donné l'espoir aux jeunes. Écoutez l'histoire de cette jeune fille, issue de l'immigration, qui avait un emploi-jeune dans un des quartiers de Montreuil. Elle a bénéficié d'une formation, elle a passé des concours. Elle est aujourd'hui titulaire et continue à dérouler sa carrière au sein de la fonction publique territoriale.

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Très bien !

M. Jean-Pierre Brard. La suite vous ferait venir la larme à l'œil. Cette jeune fille - à qui je communiquerai la copie du Journal officiel pour les générations auxquelles elle aura donné naissance - avait un compagnon occupant également un emploi-jeune à la ville de Montreuil...

M. Marc Le Fur. C'est Cosette qui a rencontré Marius !

M. Jean-Pierre Brard. Il vaut mieux Cosette et Marius que Cosette victime de Thénardier, dont vous tenez le rôle en fabriquant des Cosette tous les jours !

Les emplois-jeunes offraient un sas pour entrer dans la vie active.

M. Jean-Louis Dumont. C'est vrai !

M. Jean-Pierre Brard. D'ailleurs, chers collègues de droite - chers au pays par le coût de vos politiques -, que ceux qui n'y ont pas eu recours lèvent la main ! Vous avez bien apprécié cette possibilité que vous avait donnée le gouvernement précédent et vous en avez profité tout à fait légitimement. Mais vous êtes schizophrènes. Ici, vous tenez un discours ultralibéral, mais, sur le terrain, vous êtes obligés de tenir compte de la réalité. Tels des descendants de Judas,...

M. Jean-Louis Dumont. Ils ont même trahi le Christ ?

M. Jean-Pierre Brard. ...vous vous félicitez ici de la réduction du nombre d'emplois publics, sans désigner, sur le terrain, ceux qu'il faudrait supprimer : des emplois de gardien-surveillant dans la prison de votre département ou des postes d'instituteur ou de professeur de collège ?

M. Jean-Yves Hugon. Ce n'est pas de notre ressort !

M. Michel Bouvard. On supprime mille emplois au service de la redevance audiovisuelle !

M. Jean-Louis Dumont. Vous n'osez pas supprimer la redevance !

M. Jean-Pierre Brard. Vos territoires ne sont-ils pas irrigués par les services publics de l'État ? Les écoles que vous entretenez ne fonctionnent-elles pas grâce aux instituteurs de l'école publique ? Faut-il les supprimer ? Soyez cohérents ! Faites des propositions concrètes et ne vous cachez pas derrière votre petit doigt.

M. Michel Bouvard. Le Commissariat général du Plan !

M. Jean-Pierre Brard. Vous tenez ici un discours idéologique ultralibéral et, dans vos circonscriptions, vous n'osez pas présenter la copie de ce que vous dites dans l'hémicycle. Et pour cause ! À n'en pas douter, vos électeurs vous remercieraient de la meilleure façon. Comme vous n'êtes pas complètement masochistes, vous vous abandonnez à cette schizophrénie aggravée, qui ne donne pas une bonne image du personnel politique. (M. Hervé Mariton proteste.)

Monsieur Mariton, vous qui êtes un ultralibéral parmi les ultralibéraux, vous ne pouvez pas me contredire. Vous n'êtes pas le seul, il est vrai : M. Novelli, qui n'est pas là ce soir, vous dispute la palme de l'ultralibéralisme. (Sourires.)

La baisse des taux de l'impôt sur le revenu n'a été d'aucun secours aux RMIstes. Et il n'y avait apparemment personne pour les gratifier d'une donation exonérée de droits. Mais ces gens-là ne vous intéressent pas. Sur les quatre premiers mois de l'année, les commissions de surendettement - dont on n'a pas beaucoup entendu parler dans votre discours, monsieur le secrétaire d'État, ni dans celui du ministre d'État - ont reçu 22 % de dossiers en plus. Voilà les effets concrets de votre politique. Entre 2002 et 2003, le nombre des expulsions locatives a augmenté de 29 %, d'après les chiffres du ministère de l'intérieur. N'est-ce pas vous, monsieur Le Fur, qui disiez l'autre jour, en commission des finances, que les préfets n'étaient pas assez sévères et n'expulsaient pas assez ?

M. Marc Le Fur. Vous sortez mes paroles de leur contexte !

M. Jean-Pierre Brard. Je vous invite à venir tenir ce discours dans ma bonne ville de Montreuil, au cours d'un débat avec mes concitoyens. Nous verrons si vous le tiendrez encore à la fin de la conversation, qui risque d'être un peu animée.

M. Hervé Mariton. Des menaces ? (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. Point de menaces, mais une invite au débat républicain, pour vous aussi, monsieur Mariton, en espérant que vous ne vous défiliez pas devant la difficulté.

M. Hervé Mariton. Je vais bien à la fête de L'Huma, je peux venir à Montreuil !

M. Jean-Pierre Brard. À la fête de L'Humanité, vous êtes en milieu protégé. (Sourires.) À Montreuil, vous rencontreriez la vie réelle. Mes collègues communistes ont le sens de l'hospitalité. Quand ils vous reçoivent à la fête de L'Humanité,...

M. Marc Le Fur. Ce n'est pas la vie réelle !

M. Jean-Pierre Brard. ...ils vous assurent de pouvoir débattre dans de bonnes conditions et de quitter la fête en bonne condition. (Sourires.) Mais confronté à des gens de la vie réelle, qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts à la fin du mois et qui sont tout à fait conscients que vous beurrez la tartine des privilégiés tandis que vous les passez, eux, à l'essoreuse, je vous garantis, messieurs, un débat fort animé !

En 2001, 3,5 millions de personnes vivaient sous le seuil de pauvreté, soit 6,1 % de la population, selon les critères de l'INSEE, et 7,1 millions, soit 12,4 % de la population, selon les critères européens, qui fixent le seuil à 60 % du revenu médian, contre 50 % en France.

M. Jean Ueberschlag. En 2001, qui était au pouvoir ?

M. Jean-Pierre Brard. Les demandes de logements sociaux sont en forte progression et, faute de pouvoir y répondre, on constate une multiplication des squats.

Les principales causes de ce désastre social et humain résident dans la politique de casse sociale de ce gouvernement depuis deux ans et demi : suppression des emplois-jeunes, restriction des conditions d'indemnisation des travailleurs privés d'emploi et des intermittents du spectacle,...

M. Alain Cortade. Vous en faites combien, vous, des logements sociaux ?

M. Jean-Pierre Brard. Beaucoup plus que vous !

M. Alain Cortade. Certainement pas !

M. Jean-Pierre Brard. Vous parlez de ce que vous ne connaissez pas. Je veux bien que vous vous aventuriez sur mes terres. Mais auparavant, je vous invite à les visiter. Des logements sociaux, dans ma ville, nous en avons 15 000.

M. Alain Cortade. Vous n'avez pas le privilège des logements sociaux !

M. Jean-Pierre Brard. Je ne considère pas le logement social comme un privilège, mais comme un droit. Vous voyez que nous ne parlons pas le même langage, car nous ne partageons pas les mêmes valeurs. Les vôtres sont cotées à la Bourse, les miennes sont issues de la Révolution française et de la Commune de Paris. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. Alain Cortade. Vous n'avez pas le monopole du cœur !

M. Jean-Pierre Brard. Je n'ai certes pas le monopole du cœur. Il y a, à droite, des gens très bien qui ont du cœur, mais il y a en a d'autres qui ont à la place un coffre-fort. Il me semble que vous appartenez à cette dernière famille.

M. Alain Cortade. Venez débattre au Pontet, à côté d'Avignon. Je vous y attends et je vous protégerai moi-même !

M. Jean-Pierre Brard. Je n'en aurai pas besoin. Quand on a de bons arguments, on est, comme les saints, auréolé d'une protection ! (Rires.) Je relève le défi et je propose de débattre avec vous, dans votre ville, sur les méfaits de la politique que vous soutenez.

M. Jean Ueberschlag. Ce n'est pas très prudent de refuser une protection !

M. Jean-Pierre Brard. Je fais confiance à notre collègue pour ne pas se livrer à des actes d'agression qui ne relèveraient pas de l'esprit républicain que je lui prête.

M. Alain Cortade. Vous pouvez !

M. Jean-Pierre Brard. Rendez-vous, donc, avant la fin de l'année dans votre circonscription. Je suis également disponible pour venir chez vous, monsieur Ueberschlag.

M. Jean Ueberschlag. Moi, j'ai 27 % de logements sociaux !

M. Jean-Pierre Brard. Vous avez une marge de progression.

M. Jean-Louis Dumont. Comment vont-ils payer leurs dettes avec l'augmentation du fioul et les ministres qui ne répondent pas ?

M. Jean Ueberschlag. Le loyer moyen est inférieur à 1 000 francs !

M. Jean-Pierre Brard. Me permettez-vous de poursuivre, monsieur Ueberschlag ?

M. Jean Ueberschlag. Parlez-nous des nouveaux pauvres. Quand sont-ils apparus ? N'ont-ils pas été créés par les socialistes sous Mitterrand ?

M. Jean-Pierre Brard. Parlons-en ! Vous en fabriquez tous les jours par dizaines de milliers. Même dans les couches moyennes, vous finissez par appauvrir les gens.

M. Jean Ueberschlag. C'est vous qui les avez appauvris !

M. Jean-Pierre Brard. Voyez ce que vous avez fait des intermittents du spectacle. J'en ai 2 000 dans ma ville, des gens cultivés, qui ont du talent, qui contribuent à la création nationale.

M. Jean-Louis Dumont. Au génie de la France !

M. Marc Le Fur. Et les ouvriers qui paient leurs cotisations ?

M. Jean-Pierre Brard. Que faites-vous de ces gens-là ? Des gens qui ne savent plus comment nourrir leurs enfants à la fin du mois et qui ne doivent qu'à la politique sociale municipale la possibilité de bénéficier de la solidarité !

M. Jean Ueberschlag. Vous en aviez fait des assistés !

M. Jean-Pierre Brard. Je crois, moi, à l'enseignement de la Révolution française du devoir de solidarité envers tous ceux qui n'ont pas été dotés convenablement, monsieur Ueberschlag. Cela vaut en Alsace comme ailleurs.

M. Jean Ueberschlag. Catherine Deneuve est intermittente du spectacle, paraît-il !

M. Jean-Pierre Brard. Ne soyez pas caricatural, vous gagnerez en crédibilité.

M. Jean Ueberschlag. Vous aussi !

M. Jean-Pierre Brard. J'en reviens aux principales causes de ce désastre social et humain, qui résident dans la politique de casse de ce gouvernement : suppression des emplois-jeunes, restriction des conditions d'indemnisation des travailleurs privés d'emploi et des intermittents du spectacle, diminution du nombre de contrats aidés, développement des emplois précaires, facilités pour licencier, temps partiel contraint. Satisfaire le MEDEF coûte très cher aux plus modestes des habitants de notre pays !

Bien qu'elle constitue une forme de violence très répandue dans notre société, cette pauvreté est banalisée et, en quelque sorte, occultée. Il est très édifiant de lire l'analyse qui est faite dans Résistances, journal que vous ne lisez certainement pas beaucoup. Vous lisez plus Les Échos ou Le Figaro, ou d'autres revues encore plus spécialisées sur les cours de la Bourse.

M. Jean-Louis Dumont. Jours de France !

M. Jean-Pierre Brard. C'est désobligeant pour nos collègues.

Voici ce qu'écrit Jean-Claude Guillebaud, essayiste et éditeur de Résistances, journal d'ATD Quart-Monde : « Dans les faits, notre société s'est durcie, les inégalités s'y sont creusées davantage, l'égoïsme des "riches" » - ceux que vous défendez, messieurs de la droite - « n 'a jamais été aussi arrogant. Or, c'est justement parce qu'elles sont moins faciles à identifier ou même à évaluer, dans une société devenue plus complexe, que les injustices ont pu devenir plus injustes encore. Pire : tout se passe comme si nous nous étions peu à peu accoutumés à ces injustices. Le plus grand scandale contemporain est sûrement celui de l'indifférence. [...] » Écoutez, mes chers collègues !

M. Guillebaud poursuit : « De fait, il est frappant de voir comment l'air du temps s'est "adapté" aux inégalités, à la misère sociale, aux durcissements des conditions de vie des plus pauvres et même à celui, très ambigu, des conditions de travail dans les entreprises - durcissement que dénoncent tous les inspecteurs du travail » (« Depuis les 35 heures ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) « mais dont les médias ne parlent guère ! L'un des pires aspects de ce nouveau "racisme social", c'est donc ce qu'on pourrait appeler son ingénuité. Il se sent en effet légitime par l'invocation incantatoire de prétendues "fatalités" ou "inéluctabilité" que l'on convoque à tout bout de champ : la mondialisation, les contraintes extérieures, les lois du marché... "On ne peut rien faire" : chacun connaît le refrain. Ces arguments alibis, l'opinion dominante les accepte désormais avec une indolente résignation. »

Dans cette situation très dégradée d'une France à deux vitesses, les incantations politiques du genre de celles du Premier ministre sont inopérantes et dérisoires. Il ne sert à rien d'annoncer au journal télévisé « un certain nombre d'avantages pour que la croissance profite à tous les Français », de proposer un contrat pour 2005 assorti d'un plan de cohésion sociale, auxquels nos concitoyens ne peuvent pas croire un instant, après deux ans et demi d'une politique de démolition méthodique du pacte républicain, de notre système de protection sociale et de notre droit du travail.

Quant à la croissance tant vantée et à son devenir, la hausse du prix du pétrole est devenue un handicap sérieux pour sa poursuite et pèse très fortement sur le budget des ménages, particulièrement des plus modestes. M. Sarkozy a déclaré la semaine dernière que « la question de la cherté du pétrole est devant nous et pas derrière nous ». Il ne l'a pas clairement confirmé tout à l'heure ! Ce pronostic a pourtant toutes chances de se révéler exact. La demande mondiale est en forte expansion du fait, d'une part, du décollage économique de pays comme la Chine et l'Inde et, d'autre part, d'un usage excessif, voire d'un gaspillage, du pétrole dans les pays développés, usage excessif et gaspillage qui revêtent, depuis des années, des proportions démesurées aux États-Unis.

Mais il existe une dimension du problème qui est pratiquement occultée : c'est le rôle de la spéculation sur un marché pétrolier extrêmement tendu, où les opérateurs sont peu nombreux et contrôlent souvent toute la filière, depuis l'extraction jusqu'à la distribution. Ni M. Bussereau, ni M. Sarkozy, ni M. le président de la commission des finances, ni M. le rapporteur général du budget n'en ont parlé. C'est parce que ce sont des gens bons, gentils : ils ne veulent pas faire de peine aux privilégiés ! Comme ils ne veulent pas qu'ils tombent dans la déprime, ils les préservent, les protègent.

C'est ainsi que l'on a pu lire le 4 octobre dans Les Échos - journal qui, vous en conviendrez avec moi, n'est pas le suppôt de la subversion internationale - : « Alors que, tour à tour, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et les États-Unis ont dénoncé un marché en proie à l'opacité et à la spéculation des fonds d'investissement, » - les fameux hedge funds - « les ministres du G7 ainsi que le FMI ont plaidé pour que "les marchés pétroliers fonctionnent de manière efficace". Dans ce but, ils encouragent "l'Agence internationale de l'énergie" (AIE) à améliorer son travail sur la transparence en matière de statistiques sur le pétrole. Pour le secrétaire au Trésor américain, John Snow, la spéculation a déconnecté les prix du pétrole des fondamentaux [ à savoir, les éléments de base du marché du pétrole : essentiellement la production et la consommation qui sont à peu près égales et donc ne présentent pas de distorsion majeure]. Mais, reconnaissant qu'ils ne disposaient pas, à ce jour, d'outil d'analyse fiable sur le rôle joué par ces fonds spéculatifs, les grands argentiers du G7 ont aussi estimé "important que les nations consommatrices économisent l'énergie" ». Ceux qui provoquent la crise ont donc bien été identifiés, mais il est décidé de ne rien faire pour les maîtriser.

Le problème de la spéculation est ainsi clairement posé, mais il s'accompagne d'un stupéfiant et inacceptable aveu d'impuissance de la part des ministres des finances des États les plus puissants du monde. Jusqu'à quel niveau le prix du baril devra-t-il s'envoler pour que des décisions soient débattues et arrêtées afin de mettre un terme aux pratiques spéculatives ? Les cinq principales sociétés pétrolières mondiales ont réalisé plus de 60 milliards de dollars de bénéfices nets en 2003 avec des progressions faramineuses de leurs profits : 87 % pour Exxon Mobil, 42 % pour BP, 27 % pour Shell, 2 milliards d'euros de bénéfice net pour Total au second trimestre de 2004.

Monsieur le secrétaire d'État, vous cherchez de l'argent. En voilà ! Pourquoi ne pas opérer un prélèvement obligatoire sur ces bénéfices illégitimes des compagnies pétrolières. Je vais vous faire une confidence, monsieur Bussereau : si vous acceptiez d'avoir recours à une proposition aussi audacieuse - et même, disons-le, révolutionnaire ! - vous auriez le soutien du peuple français et vous entreriez dans l'histoire de notre pays ! Mais votre modestie vous empêche certainement d'aller aussi loin !

Une étude de la Fédération des consommateurs américains a démontré qu'aux États-Unis la hausse du prix de l'essence profite pour 78 % aux sociétés pétrolières et pour seulement 22 % aux fournisseurs de pétrole. Il en va évidemment de même chez nous et Total, pour ne citer que cette compagnie, possède à la fois les puits de pétrole et les pompes. Donc l'augmentation du prix du baril de pétrole n'est pas inéluctable. C'est parce que vous êtes passifs que vous acceptez qu'il en aille ainsi. Vous n'avez pas la volonté politique de mettre un terme à cette aberration.

Il est urgent de réagir car les coûts supplémentaires pour l'économie vont se retrouver demain à la charge du contribuable, via les indemnisations et compensations accordées largement par l'État, sur le budget de la nation ou au moyen d'allégements de taxe professionnelle, aux transporteurs routiers, aux agriculteurs, aux taxis, aux pêcheurs, et à la charge des consommateurs, puisque les transporteurs ont obtenu l'autorisation de répercuter les surcoûts du carburant qui vont se retrouver, in fine, sur les étiquettes du commerce de détail. Vous avez décidé de faire payer les usagers et d'exempter les pétroliers.

Il en est de même pour les tarifs appliqués au carburant que nos concitoyens ont déjà vu passer depuis le mois d'août de 1,02 à 1,12, voire 1,15 euro par litre d'essence sans plomb, ce qui porte le plein d'essence d'une voiture de petite cylindrée à près de 60 euros. À ce rythme-là, sur un an, le surcoût à la charge du contribuable pour aller travailler avoisine les 600 euros. Si ce n'est pas de facto un prélèvement obligatoire, de quoi s'agit-il donc ?

Pour donner sans tarder un coup d'arrêt aux pratiques spéculatives, nous proposons d'instituer une surtaxation au titre de l'impôt sur les sociétés à la charge des compagnies pétrolières, qui vont encaisser des bénéfices supplémentaires considérables grâce à ces pratiques que la morale réprouve et dont l'économie française pâtit.

M. le ministre d'État a demandé, cet après-midi, qu'il lui soit fait des propositions. En voilà une, et qui rapporterait gros ! Il ne dépend que du Gouvernement de la mettre en œuvre ! Comme votre majorité est disciplinée et marche au sifflet - hormis M. Mariton et M. Novelli pour qui la gamelle n'est jamais assez bien remplie - vous pouvez aller dans cette direction et même, pour une fois, viser le consensus de notre assemblée.

Ces spéculations incitent les ménages au pessimisme et à l'épargne de précaution et créent un climat d'incertitude économique très défavorable à la croissance. L'indicateur avancé de CDC Ixis d'octobre fait apparaître que « la demande domestique est désormais tirée par la consommation, avec une moindre intensité, et par l'investissement. Les nouvelles informations conjoncturelles ne dégagent pas une orientation claire de la croissance ». À la Caisse des dépôts, on a l'habitude de manier la litote. Mais il n'est pas besoin d'être grand clerc ni aussi expert dans la maîtrise de la langue que notre collègue Piron pour comprendre que la tendance n'est pas à l'optimisme, c'est le moins que l'on puisse dire.

Pour répondre à ces problèmes énergétiques, il faut mettre en œuvre des solutions de fond à moyen et à long terme. Le recours aux énergies renouvelables, en plus de l'énergie hydraulique qui ne doit plus servir d'alibi, devient une évidente nécessité pour alléger la pression que fait et fera peser de plus en plus sur notre économie la facture pétrolière.

Bien évidemment, les incitations fiscales à la réalisation d'équipements fonctionnant grâce à des énergies renouvelables constituent un levier indispensable, même s'il n'est pas suffisant. Nous défendrons donc plusieurs amendements destinés à soutenir, sur le plan fiscal, le développement des énergies renouvelables qui font figure, dans notre pays, de parents pauvres face au nucléaire, notamment pour ce qui est de la recherche et des investissements, même si nous ne disons pas que c'est fromage ou dessert.

Dès maintenant, l'évolution rapide du cours du baril démontre, malheureusement, que la prévision d'un cours de 36,50 dollars sur laquelle est bâti le projet de loi de finances est caduque et qu'en conséquence le taux de croissance du PIB à 2,5 % devra très probablement être revu à la baisse, comme le pouvoir d'achat des ménages. Mais la volonté de lutter contre les pratiques douteuses des grands groupes économiques est exclue des priorités de ce gouvernement.

Le projet de loi de finances comporte même un aménagement qui constitue un revirement et un recul spectaculaire par rapport aux efforts déployés contre la fraude lors de la précédente législature et qui risque fort d'intensifier l'évasion fiscale. Il est ainsi prévu de modifier, à la suite d'un arrêt du Conseil d'État, l'article 209 B du code général des impôts pour porter de 10 % à 50 % le seuil de détention par une entreprise française d'une exploitation soumise à un régime fiscal privilégié à l'étranger - régimes particuliers type « holding » dans les pays du Benelux, régimes des paradis fiscaux -, seuil au-dessus duquel l'entreprise française doit ajouter à ses bénéfices imposables la part des bénéfices de l'entreprise étrangère. Le produit de l'impôt sur les sociétés sera donc diminué, du fait de la plus grande latitude laissée aux sociétés de gérer l'optimisation de leurs échanges de capitaux avec les établissements ou filiales soumis à des régimes fiscalement privilégiés.

Le dispositif français anti-évasion, qui tente de prémunir les finances publiques de la fuite de la base imposable vers les régimes fiscalement privilégiés, était déjà mis à mal par les jurisprudences française et européenne : en effet, au nom de la liberté de circulation des capitaux, certaines dispositions ont déjà été remises en cause - exit-tax, sous-capitalisation, par exemple -, dans le droit fil des conceptions libérales européennes, qui sont à l'opposé d'une véritable volonté de lutte contre la fraude, laquelle fait de plus en plus défaut tant sur le plan national que sur le plan européen.

La nouvelle rédaction de l'article 209 B a retenu l'attention du rapporteur pour information sur la fraude et l'évasion fiscale que j'ai été.

Une haute fonctionnaire de Bercy, Mme Lepetit, directrice de la législation fiscale, visiblement en service commandé, a tenté d'expliquer, dans Les Échos du 5 octobre, les raisons de cette modification de la législation : « Cette décision résulte d'un argument de bon sens. ». Mais où va se cacher le bon sens, mes chers collègues ? « L'entreprise ne sera redevable de l'impôt que si elle détient plus de 50 % de la firme étrangère considérée, au lieu de 10 % auparavant. Ce nouveau seuil est plus compatible avec la réalité du monde des affaires et la nouvelle qualification de ces bénéfices en revenus réputés distribués. » J'attire votre attention sur le choix des termes : ces bénéfices en revenus sont « réputés » distribués !

C'est donc la réalité, en l'occurrence celle du monde des affaires, comme dit Mme Lepetit - pour lequel je n'éprouve pas une déférence particulière, ni d'animosité d'ailleurs -, qui devrait désormais dicter au législateur le contenu de la loi. Mais vous faites toujours une génuflexion devant ces gens-là ; dès lors, monsieur Bussereau, vos signes de dénégation ne changent rien au réel.

Les hommes et les femmes politiques - la parité existe déjà de ce point de vue - ne doivent être jugés que sur leurs actes, et non pas sur leurs affirmations.

M. Hervé Novelli. Sur leurs résultats aussi !

M. Jean-Pierre Brard. De ce point de vue, monsieur le secrétaire d'État, il y a un gap - comme disent ceux qui parlent franglais - entre ce que vous dites et ce que vous faites.

Je poursuis sur l'analyse du propos de Mme Lepetit.

Si l'on appliquait cette théorie spécieuse - je prends à dessein cet exemple pour être bien compris par nos collègues de droite - à la consommation de substances psycho-actives illicites, il faudrait légaliser séance tenante le cannabis, puisque l'on sait que, d'après les statistiques, ce produit a été utilisé, dans la réalité, par 50,3 % des dix-sept-dix-huit ans en 2003.

Vous voyez que vos raisonnements sophistes nous font aboutir à des aberrations.

Que l'on ne nous demande pas de nous soumettre à la réalité, car il n'est pas illégitime dans cette enceinte de vouloir transformer et de faire évoluer la réalité plutôt que de s'y plier, sachant que, dans le contexte de la mondialisation libérale, la réalité est souvent injuste et parfois même intolérable.

Que dit le Président de la République quand il rencontre le Président Lula ? À peu près la même chose que moi. Mais on sait bien que le Président de la République n'a pas d'influence sur le Gouvernement. (Sourires.)

J'imagine que si vous ne faites pas des propositions positives, c'est parce que vous êtes un peu sourd quand le Président de la République fait des déclarations communes avec le Président Lula. Je n'imagine pas un instant que, lorsqu'il est en dehors du territoire national, le Président de la République pourrait faire des déclarations qui ne traduisent pas les sentiments profonds qui l'engagent et lui donnent envie de réaliser ses propositions dans notre pays. Monsieur le secrétaire d'État, vous n'êtes pas fidèle à la pensée présidentielle. Sinon, je ne m'explique pas l'écart entre ses propos et vos actes.

L'article qui nous est proposé - j'en reviens aux propos de Mme Lepetit - comporte aussi une définition nouvelle du paradis fiscal. Que lisait-on dans la même interview à ce sujet ? Je cite : « Aucune définition précise n'existait jusqu'à présent dans la loi. La doctrine jurisprudentielle voulait que le paradis fiscal commence là où l'impôt est inférieur de plus de 33 % à l'impôt français. Dorénavant, ce seuil sera dans la loi et il sera de 50 %. »

Mme Lepetit, qui sort complètement de l'obligation de réserve à laquelle doit se soumettre un fonctionnaire - j'espère que vous la rappellerez à l'ordre - dit : « C'est un progrès incontestable en termes de sécurité juridique. » Nous sommes donc priés de voir un progrès là où l'on édulcore fortement la définition antérieure du paradis fiscal.

Singulier progrès, en vérité ! Après avoir voulu faire adopter une loi d'amnistie fiscale pour les truands qui ont fait sortir leurs avoirs clandestinement, voilà que le Gouvernement donne des signes d'encouragement aux paradis fiscaux.

Après la réception de Tom Cruise à Bercy, à quand la réception du prince du Liechtenstein, le prince souverain Hans Adam II, ou du président des îles Cayman ?

M. Hervé Mariton. Jaloux !

M. Jean-Pierre Brard. Moi, jaloux de fréquenter Tom Cruise ? Voyez-vous, monsieur Mariton, je n'ai pas l'habitude de fréquenter les voyous. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Vous savez qui est Tom Cruise : c'est l'une des figures emblématiques de la Scientologie. Trois semaines après avoir été reçu à Bercy, il ouvrait à Madrid le siège de la Scientologie.

M. Michel Bouvard. M. Brard a raison !

M. Jean-Pierre Brard. Heureusement, le Président de la République a refusé de le recevoir. Car il savait, tout comme le ministre d'État, à qui il avait à faire.

L'un a eu une position de principe respectueuse de la défense des libertés individuelles et collectives, tandis que l'autre personnage de l'État qui s'est laissé aller à cet entretien inconvenant avait certainement d'autres ambitions, qui n'avaient qu'un lointain rapport avec nos conceptions républicaines. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Il peut recevoir Arnaud Boetsch maintenant. Il y a également d'autres scientologues : Julia Migenes... Peut-être y trouvera-t-il plus d'attraits.

M. Alain Rodet. Travolta aussi !

M. Jean-Pierre Brard. Mais c'est aussi immoral dans un cas comme dans l'autre.

Je suis donc très intéressé de voir comment va évoluer le carnet de rendez-vous de M. le ministre d'État, puisque, dans un débat télévisé son conseiller en communication m'a dit qu'il était facile de dégager une heure et demie dans l'emploi du temps d'un ministre aussi occupé.

Je n'imagine donc pas que tous les parlementaires qui auraient envie de le rencontrer puissent avoir la moindre difficulté, puisqu'il leur suffira de dire : « Je veux le même régime que Tom Cruise. »

Entre nous, vous êtes des personnes infiniment plus respectables que Tom Cruise. Vous avez donc une chance supplémentaire d'obtenir un rendez-vous du ministre d'État.

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Et si on parlait de la loi de finances ? Ce serait plus intéressant !

M. Jean-Pierre Brard. Je comprends, monsieur Bussereau, que vous ne souhaitiez pas que je parle de Tom Cruise. Mais qui nous a donné l'occasion d'en parler ? M. Sarkozy ! Il avait organisé cet entretien de manière fort discrète, puisque tous les journalistes étaient au courant. Il paraît qu'il s'agissait d'un entretien privé. On n'a pas parlé de scientologie, mais de cinéma seulement !

Je vais prendre l'exemple de quelqu'un qui n'est pas très fréquentable et qui a même été ministre. Recevriez-vous, monsieur le secrétaire d'État, Bernard Tapie, parce qu'il fait maintenant du théâtre et du cinéma ?

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. J'ai demandé la levée de son immunité parlementaire à cette tribune.

M. Jean-Pierre Brard. Moi, je l'ai votée.

Recevriez-vous Bernard Tapie ? Répondez-moi franchement, monsieur Bussereau !

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Et Mme Mitterrand et M. Castro !

M. Jean-Pierre Brard. Je ne vous parle pas de cela. Je vous pose une question concrète. Ne vous « défilez » pas !

Recevriez-vous Bernard Tapie ? C'est pourtant « moins pire » que Tom Cruise. Je ne recevrai, pour ma part, ni l'un, ni l'autre, parce qu'il est immoral, quand on représente l'État, de fréquenter des gens aussi infréquentables. Les personnes reçues par le ministre d'État appartiennent à une organisation qui a conduit des gens à la mort - tout le monde le sait -, y compris dans notre pays. Je vous renvoie au procès de Lyon, avec le suicide de M. Vic. Telle est la réalité.

Quand on représente l'État, il n'y a ni gauche, ni droite. Quand on représente la République, on n'a pas le droit de se laisser aller à certains comportements. Je comprends que mes collègues de droite ne puissent pas approuver bruyamment mes propos. Mais je sais que la plupart d'entre eux partagent in petto mon point de vue, car il s'agit de convictions qui dépassent les clivages partisans gauche-droite, comme nous en avons fait souvent la démonstration sur ce sujet dans cet hémicycle.

Je reviens, si vous le voulez bien, monsieur le secrétaire d'État, à Mme Lepetit.

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. C'est plus intéressant !

M. Jean-Pierre Brard. Le meilleur de cette instructive interview est sans doute la dernière réponse : « Avant que l'article 209 B ne devienne inopérant, les redressements concernaient, pour l'essentiel, des sociétés détenues à 100 % et implantées dans des pays où l'écart d'imposition était très important. En dépit des changements de seuils, on devrait donc retrouver une situation comparable à celle qui prévalait avant 2002. » Ainsi, Mme Lepetit nous explique benoîtement que les critères, même assouplis, tels que le Gouvernement nous les propose, n'ont, de toute manière, guère d'importance, puisque les redressements obéissent à d'autres normes que celles déterminées par le législateur : sociétés détenues à 100 % au lieu de 10 % dans l'ancienne législation et de 50 % dans la nouvelle, implantation dans des pays où l'écart d'imposition est très important au lieu d'un écart de 33 % dans la jurisprudence et de 50 % dans le texte proposé.

Il serait donc fort intéressant que MM. les ministres puissent nous éclairer sur cet aveu, qui ne surprendra pas totalement ceux d'entre nous qui ont travaillé sur la fraude et l'évasion fiscales. Les sanctions contre ces incivilités - pour utiliser un mot doux - au sens fort du terme et ces détournements au détriment des finances publiques obéissent à des règles qui échappent au législateur, mais dont l'origine exacte mérite évidemment d'être connue.

Nous avons le souvenir, monsieur le secrétaire d'État, de certain moratoire qui révèle des complaisances décidées directement au niveau ministériel en infraction avec nos lois et avec les règles européennes.

Mais la signification profonde d'une telle orientation est que la concurrence fiscale gagne du terrain, encouragée de fait par les tergiversations de l'Union européenne, au fil de négociations qui n'en finissent jamais. J'ai enregistré cet après-midi des protestations de bonne foi : les vôtres, celles de M. Sarkozy, celles de M. le rapporteur général et de M. le président de la commission des finances. Mais il ne suffit pas de protester, de faire des mouvements du menton montrant sa mauvaise humeur : il faut être énergique.

Quand la France parle fort, elle sait se faire entendre. On se rappelle l'année dernière, à l'ONU, lorsque M. de Villepin parla au nom de notre pays.

Au-delà des caractéristiques propres des territoires dûment identifiés comme étant des paradis fiscaux  - Andorre, Monaco, le Liechtenstein, les îles Anglo-normandes - l'analyse des politiques fiscales des États supposés vertueux montre que la tendance y est à la surenchère dans le moins-disant fiscal.

De fait, la concurrence fiscale s'exerce au profit des « bases mobiles », c'est-à-dire des mouvements de capitaux et des ménages aisés. Au nom de l'attractivité fiscale, l'imposition des sociétés, de l'épargne et du patrimoine baissent, alors que les bases immobiles, c'est-à-dire les ménages qui n'ont pas les moyens de se délocaliser, subissent le report de la charge fiscale et, dans le même temps, la dégradation des biens et des services publics.

Suppression des droits de succession aux États-Unis et en Italie, baisse du taux d'imposition des sociétés en Allemagne, amnistie fiscale en Italie, autant de choix fiscaux...

Bonsoir, monsieur le ministre d'État ! Je parlais de vous il y a cinq minutes...

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Ce n'est pas ce que vous avez fait de mieux !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous n'allez pas être déçu ! Continuez à lire votre papier !

M. Jean-Pierre Brard. J'espère bien ! Sinon, je ne serais pas venu. Mais si vous préférez, je peux continuer à improviser sur un sujet qui vous est cher.

Cela ne s'arrête pas là : en France, la création de zones franches ou l'officialisation discrète de statuts fiscaux dérogatoires à Saint-Martin et Saint-Barthélemy répondent pleinement à la logique de moins-disant dont les paradis fiscaux ne sont que la tête de pont. Et cela dépend du gouvernement français.

À l'heure où les paradis fiscaux auront rarement été aussi nombreux, la communauté internationale fait sienne la logique du moins-disant fiscal. On le voit, les paradis fiscaux sont au cœur d'une logique globale et ne sont nullement isolés : c'est aussi cela qui explique l'inefficacité des rares mesures prises à leur encontre. Il faut rappeler que, dans un contexte où l'idéologie libérale fustige constamment l'État et les services publics, prône la déréglementation, la concurrence et la performance financière, l'argent capté par les paradis fiscaux échappe à l'économie réelle, donc à la collectivité et à la satisfaction des besoins sociaux.

Le paradis pour certains favorise le développement d'un enfer social pour d'autres. Les masses financières ainsi détournées sont en effet autant de manques à gagner pour les politiques publiques, l'emploi, la santé publique, l'éducation et la protection sociale.

Cette bienveillance à l'égard de la fraude et de l'évasion fiscale n'est pas à séparer de la mansuétude dont fait preuve le Gouvernement français à l'égard de la mafia russe, qui se finance largement grâce à la prostitution et qui investit tranquillement dans l'immobilier dans le sud-est de la France. Tous ceux qui habitent ces départements le savent.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est vraiment lamentable !

M. Jean-Pierre Brard. C'est peut-être lamentable, mais je vous renvoie le miroir du réel, monsieur le ministre d'État !

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Encore faudrait-il prouver ces affirmations, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. Quelles mesures avez-vous prises contre les Russes qui achètent dans le sud-est et dont les revenus sont de provenance incertaine ? Que faites-vous contre cela ? Dites-le nous ! Si vous faites quelque chose, je suis prêt à vous donner quitus ; mais démontrez-le !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Qui êtes-vous pour dire cela ?

M. Jean-Pierre Brard. Je suis un député de la nation, comme tous nos collègues, avec la même légitimité que les autres.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous avez parlé de « quitus » ?

M. Jean-Pierre Brard. De quitus, oui, au sens où, si vous me démontrez que vous faites quelque chose, je suis prêt à en prendre acte. Mais démontrez-le.

M. Pierre Goldberg. Il a raison !

M. Jean-Pierre Brard. Démontrez-le, je ne vous demande pas plus. Faites la preuve de l'efficacité de l'État dans la lutte contre la fraude et contre la mafia russe qui sévit dans notre pays.

Parmi les mesures de votre projet de loi de finances finement ciblées pour bénéficier aux ménages les plus aisées, la forte réduction des droits de succession est très révélatrice d'une manière de travestir la réalité par une présence orientée et des exemples judicieusement choisis. La présentation par vous-même, monsieur le ministre d'État, est on ne peut plus sympathique.

Personne ne peut nier la grande habilité de M. Sarkozy à maîtriser le langage, à jouer du sens des mots...

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est tout de même mieux quand je suis là ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. Attendez d'écouter la suite !

...et à leur en donner un deuxième qui les vide de leur contenu. C'est là tout un exercice sémantique et, de ce point de vue, je sais qu'il est des gros mots à ne pas prononcer ici.

M. Philippe Auberger. Lesquels ?

M. Jean-Pierre Brard. « Idéologie », par exemple. Or force est de reconnaître, monsieur le ministre d'État, que vos idées forment un corpus idéologique fort et qu'en ce sens, vous êtes un idéologue, un idéologue du libéralisme échevelé...

M. Philippe Auberger. « Idéologue », ce n'est pas un gros mot, mais un compliment !

M. Jean-Pierre Brard. ...qui ne reconnaît des droits qu'aux privilégiés...

M. Philippe Auberger. Être idéologue, cela veut dire qu'on a des idées !

M. Jean-Pierre Brard. Effectivement, c'est un compliment : cela prouve que l'on a des idées. Et l'on ne peut dénier au ministre d'État qu'il en a : il a des idées perverses...

M. Philippe Auberger. Mais non !

M. Jean-Pierre Brard. ...selon mes critères à moi. Parce que je suis un homme de gauche et lui un homme de droite. Mais cela, c'est légitime, c'est le combat politique.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Tout de même, « perverses » !

M. Hervé Mariton. C'est M. Brard qui est pervers. Il ne devrait même pas être à gauche !

M. Jean-Pierre Brard. « Perverses », monsieur le ministre d'État, au sens où elles sont nuisibles à l'intérêt national,...

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Rien que cela !

M. Jean-Pierre Brard. ...nuisibles pour ceux qui ont besoin de la solidarité de la société tout entière. C'est en cela qu'elles sont perverses.

M. Philippe Auberger. Ce n'est pas cela, la perversité ! Il ne sait pas ce que c'est !

M. Jean-Pierre Brard. Évidemment, pervers renvoie à perversion, perversion renvoie à morale et à éthique. Et nous n'avons pas la même. N'y voyez pas une critique, mais un constat : c'est un objet de l'affrontement politique qui nous oppose.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. La même morale que les communistes, ça, je ne l'ai pas !

M. Jean-Pierre Brard. Vous n'avez pas vos fiches à jour, monsieur le ministre d'État ! J'ai quitté ce parti il y a huit ans déjà. Je l'ai quitté, mais je ne renie rien de mon idéal,...

M. Hervé Mariton. C'est le parti qui vous a quitté !

M. Jean-Pierre Brard. ...pour lequel j'ai combattu, auquel je reste fidèle et pour lequel je continuerai de lutter face à des gouvernements comme le vôtre, qui réduisent les plus modestes et les couches moyennes à la désespérance.

M. Daniel Paul. Eh oui !

M. Hervé Mariton. Mais il vous a quittés !

M. Daniel Paul. On n'est pas sourds, mais c'est très bien !

M. Jean-Pierre Brard. Cela arrive de se quitter, dans la vie. Mais on peut continuer à s'estimer !

M. Philippe Auberger. Vous au moins, vous n'étiez pas dans la désespérance en 2002 !

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur Auberger, vous êtes suffisamment expérimenté pour savoir qu'en politique, il y a des hauts et des bas, même si certains d'entre nous, au travers de ces hauts et de ces bas, continuent à siéger sur ces bancs, assurant une certaine permanence dans les débats.

M. Philippe Auberger. C'est vrai !

M. Jean-Pierre Brard. Vous le reconnaîtrez avec moi puisque nous débattions déjà alors que vous étiez rapporteur général du budget. J'avoue cependant que, de votre temps, la droite était moins ultralibérale qu'aujourd'hui !

Mais revenons aux propos du ministre d'État.

« J'estime que, lorsqu'on a travaillé toute sa vie, on a le droit de laisser à ses enfants, en franchise d'impôt, ce qui représente le produit de son travail », avez-vous dit, monsieur Sarkozy. À vous entendre, il s'agirait d'une mesure favorable aux classes moyennes et donc à un grand nombre de nos concitoyens. Cela procède au fond de la même manœuvre idéologique que la réduction en pourcentage de l'impôt sur le revenu : un grand nombre de ménages y gagne un peu et un petit nombre, niché à l'extrémité supérieure de l'éventail des bénéficiaires, y gagne beaucoup. Le subterfuge - mais nous vous savons connaisseur en la matière, monsieur le ministre d'État - consiste à ne parler que du nombre de gagnants en taisant soigneusement ce que gagne chaque catégorie.

Des universitaires et des journalistes attentifs et curieux en ont d'ailleurs démonté le mécanisme. Il n'est qu'à relire ce que Thomas Piketty écrivait dans Libération du 7 septembre dernier : « Les actifs - entendez : les patrimoines, non les personnes physiques - se portent bien, et sur les vingt dernières années leur valeur a augmenté bien plus vite que le PIB par habitant. Le problème est plutôt du côté du travail qui est surtaxé. On parle constamment de baisser les prélèvements obligatoires, or non seulement ils ne baissent pas, mais on procède au transfert de la charge du capital vers le travail. On a successivement augmenté les cotisations de retraite complémentaire, créé une cotisation sur le jour férié et augmenté la CSG pour l'assurance maladie. En face, on a baissé l'impôt sur le revenu, baissé l'impôt sur les sociétés, etc. Dès qu'on a un peu d'argent, on détaxe soit les revenus élevés, soit les patrimoines. C'est un non-sens. [...] Nicolas Sarkozy parle d'abaisser l'impôt sur le patrimoine moyen. Ce terme est une entourloupe, qui a déjà fonctionné pour l'impôt sur le revenu avec les fameuses "classes moyennes". » L'avantage d'un tel vocable, c'est que personne ne sait de quoi on parle... « Seuls 50 à 60 % des décès, poursuit Thomas Piketty, donnent lieu à imposition. Si l'on rajoute un abattement de 100 000 euros à ceux déjà existants, seuls 20 à 30 % des successions seront imposées. On est loin de la moyenne. »

M. Piketty établit la filiation de cette réforme en écrivant au sujet de son auteur - je suis sûr que cela vous fera plaisir, monsieur le ministre d'État : « Il marche dans les pas de George W. Bush et de Silvio Berlusconi. Le mouvement a été lancé par le président américain, qui s'est saisi du 11 septembre pour appliquer son programme réactionnaire [...] : la suppression d'ici à 2012 de ce qu'il nomme la "death tax", qui était de 60 % pour les patrimoines les plus élevés dans son pays (40 % en France). Cela serait un retour au xixe siècle du point de vue fiscal. Seul Berlusconi avait jusqu'à présent emprunté ce chemin, en 2003. »

Dans le supplément économique du Monde, Mme Rey-Lefèbvre illustre l'impact réel de la mesure au moyen d'exemples établis par un notaire.

Premier exemple : « Le cas d'un conjoint survivant sans enfant. Grâce à la réforme proposée, avec un patrimoine de 100 000 euros, l'héritier est exonéré de tout droit et économise 2 470 euros. S'il recueille 200 000 euros, la note fiscale passe de 22 170 euros auparavant à 12 170 euros, soit une économie de plus de 10 000 euros. Pour des patrimoines plus élevés, allant de 400 000 à 600 000 euros, le montant économisé plafonne à 10 000 euros dans le premier cas, et à 10 400 euros dans le second. L'efficacité de la réforme est donc à son sommet pour les veufs qui héritent de 200 000 euros. »

D'autres exemples suivent, qui illustrent l'inégalité découlant de la mesure proposée dans votre projet de loi de finances. Et la journaliste finit de mettre à nu le roi en concluant : « La réforme s'avère peu efficace pour les petits patrimoines que le dispositif actuel épargnait déjà, et concerne au premier chef les transmissions dépassant 200 000 euros, un montant facilement atteint avec la flambée de l'immobilier. Néanmoins, en 2000, seules 10 % des successions portaient sur un actif supérieur à 222 373 euros, selon un rapport sur la fiscalité de novembre 2002, réalisé par Philippe Marini, sénateur UMP de l'Oise » - j'ajoute : rapporteur général du budget du Sénat. « La réforme ne devrait donc profiter qu'à une minorité d'héritiers. D'autant que, soulignait ce même rapport, les contribuables les plus aisés et les mieux conseillés échappent déjà "en partie aux prélèvements sur les successions" dans le dispositif actuel. »

Toute la loi de finances que vous nous soumettez, monsieur le ministre d'État, n'est qu'une nouvelle illustration - et je reviens à votre côté idéologique - de l'acharnement dogmatique de l'actuelle majorité à l'égard du principe même de l'impôt progressif.

Jean Jaurès, au début du siècle dernier, donnait de l'impôt progressif sur le revenu et le patrimoine une définition toujours d'actualité. Jaurès, rappelons-le, fut un des plus grands tribuns de notre assemblée et l'on sait le rôle qu'il a joué dans l'évolution des idées à la fin du xixe siècle et au début du xxe :

Jaurès déclarait : « Nous voulions qu'avant tout, l'impôt progressif et global servît à dégrever les petits paysans, les petits patentés, de la charge trop lourde qui pèse sur leurs épaules et nous voulions que ces ressources largement réalisées servent aussi à doter vraiment et substantiellement les grandes œuvres de solidarité sociale, faisant de la simili-assurance contre la vieillesse une réelle assurance sociale contre l'invalidité, contre la maladie, contre le chômage, développant les entreprises de logements sains et à bon marché pour arracher les travailleurs à la misère des taudis. »

Vous le voyez bien, monsieur le ministre d'État, Jean Jaurès avait parfaitement compris que l'accroissement du pouvoir d'achat des catégories modestes a pour conséquence mécanique de stimuler la consommation et donc l'économie, car ces catégories ont des besoins immédiats non satisfaits et qu'elles utilisent donc leurs éventuels surplus de ressources pour consommer. À l'inverse, accorder des cadeaux fiscaux aux ménages les plus aisés conduit à la thésaurisation, à des placements spéculatifs exigeant des rendements de plus en plus élevés.

Poursuivant son offensive contre l'impôt progressif, le seul conforme à l'article XIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la majorité de droite veut dévitaliser encore davantage l'impôt de solidarité sur la fortune. Déjà cet été, d'aucuns, sans doute emportés par un mouvement d'euphorie qui devait peut-être un peu à l'ivresse des sommets, avaient cru pouvoir combiner, dès cette rentrée, la suppression de l'ISF avec une amnistie fiscale. L'annonce d'une telle énormité a suscité un tollé et la couleuvre a été jugée trop grosse, au moins pour le moment.

Dans le procès instruit contre l'ISF, la principale accusation est devenue, depuis quelques années, le fait qu'il inciterait des possédants à délocaliser leur patrimoine. Il est permis de s'étonner, au passage, que leurs propres amis taxent - si je puis m'exprimer ainsi - ces possédants d'une vertu patriotique aussi chancelante. Quoi qu'il en soit, le Conseil des impôts vient de faire justice de cette fable dont on nous rebattait les oreilles à longueur de séance.

Que dit le Conseil ? « Un petit nombre de redevables de l'ISF se délocalisent pour des raisons fiscales. [...] Il est probable qu'un bon nombre d'expatriations de redevables à l'ISF vers les États-unis - 12 % -, et surtout le Royaume-Uni - 11 % -, n'ont pas un objectif principalement fiscal. » Ceux qui partent pour des raisons fiscales choisissent plutôt la Belgique ou la Suisse, mais ils représentent moins du tiers des partants, qui auraient été 330 en 2001 : 330 « Coblençards », c'est beaucoup moins qu'en 1792 ! Le patriotisme a progressé, même chez les plus riches. Évitez donc ce genre d'alibis pour satisfaire vos fantasmes idéologiques !

Plus décevant encore pour nos obsédés de la liquidation de l'ISF, le Conseil des impôts estime que : « Les effets économiques de ces expatriations sont très limités, y compris d'un point de vue budgétaire. La domiciliation à l'étranger d'un redevable à l'ISF ne se traduit aucunement, pour l'économie française, par la perte ou la fuite de l'ensemble de son patrimoine. » Et ce sont loin d'être des « jeunes talents », contrairement à ce que vous dites, qui quittent la France, à moins que vous ne considériez qu'à cinquante-deux ans ou cinquante-sept ans - moyenne d'âge de ceux qui s'expatrient en Belgique ou en Suisse - l'on est jeune...

Plus gênant encore pour nos collègues de droite qui aiment à dépeindre les exportateurs de capitaux comme de malheureuses victimes d'une implacable hydre fiscale : les échappatoires sont légion pour qui est bien conseillé ! C'est ce que souligne le Conseil : « Le système fiscal français se caractérise trop souvent par une rigueur affichée des principes et du taux de prélèvement, alors qu'il autorise en réalité un grand nombre d'aménagements. Il est à l'origine d'une iniquité entre les contribuables selon leur degré de maîtrise du système. »

Et le rapport de conclure : « Si une réforme de l'ISF peut être recommandée, ce n'est pas au nom d'arguments relatifs à l'attractivité de la France ou au maintien d'activités en France, ni en attribuant à une telle réforme un hypothétique équilibre budgétaire. » Telle est la réalité, telle est la vérité !

Reçu vendredi dernier par le sous-préfet de Reims, dans le cadre d'une mission interministérielle, j'ai eu l'occasion de visiter avec lui les caves du champagne Pommery !

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. On saura tout !

M. Jean-Pierre Brard. Je suis pour la transparence, moi, contrairement à vous, qui êtes pour l'opacité, surtout quand il s'agit des revenus des plus riches !

Et qu'avons-nous découvert lors de cette visite ?

M. Paul Giacobbi. Du Champagne !

M. Jean-Pierre Brard. En effet, beaucoup de bouteilles de champagne que nous avons à peine goûtées, mon cher collègue, et vous n'en avez pas d'aussi bons en Corse...

Nous avons découvert que cette entreprise appartient désormais à M. Paul-François Vranken, président de Vranken-Pommery monopole, qui vient de prendre le contrôle de la maison Pommery. Savez-vous ce qu'a fait M. Vranken, citoyen belge ? Malgré l'ISF, malgré cette fiscalité épouvantable, confiscatoire, il a demandé à être naturalisé Français ! Je n'imagine pas que M. Vranken ait seulement été attiré par les bulles du champagne ! Il a dû faire ses comptes.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Il avait trop bu ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. Je pense que M. Vranken est un homme sobre, qui sait fort bien ce qu'il fait, et qui n'a pas demandé sa naturalisation dans un moment d'errance.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Mais d'ivresse ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. Si ce ne sont pas les effets fiscaux et économiques, prétendument négatifs, mais donc très largement imaginaires, qui peuvent fonder l'animosité contre l'ISF, quelles sont donc les motivations de ceux qui veulent sa disparition avec tant d'acharnement ? Une étude réalisée par Monique et Michel Pinçon-Charlot, universitaires, sociologues, auteurs de l'ouvrage Sociologie de la bourgeoisie, donne un éclairage des plus intéressants :

« Pour la grande bourgeoisie, l'impôt de solidarité sur la fortune est une injustice fondamentale : il s'agit d'un prélèvement sur une partie de patrimoine accumulé par des générations d'individus ayant œuvré, certes, à leur enrichissement personnel, mais aussi à celui de la nation.

« Pour les foyers modestes, l'ISF est un instrument de la redistribution du fruit légitime des efforts de chacun. Il rétablit un peu d'équité dans un système qui tend à toujours favoriser au contraire l'accumulation.

« L'ISF, qui se présente avec une très grande technicité fiscale apparente, est donc contesté, ou vigoureusement défendu, selon les positions occupées dans la société. Reste que derrière la très haute technicité fiscale qu'il arbore, cet impôt est surtout un objet idéologique, compris à partir de visions du monde et de projets de société. Depuis plus de vingt ans, il subit des critiques ou des approbations qui sont fonction du rapport des forces sociales dans notre pays. [...]

« Aujourd'hui, parce que l'idéologie du marché est triomphante, la grande bourgeoisie peut se permettre, de façon totalement cynique et dans le registre quasi poujadiste de la plainte permanente, de réclamer l'abrogation ou la suppression de cet impôt. Cette bataille s'inscrit dans le contexte politique global d'une dénonciation, par les dominants, d'une société française comme véritable enfer fiscal qu'il faudrait fuir pour des paradis fiscaux. Ainsi assistons-nous à une dernière manœuvre : le chantage à la délocalisation des activités, qui entend peser bien sûr dans le sens de la suppression de l'ISF. [...]

« Le discours de plainte permanente tenu par la bourgeoisie s'accompagne d'une rhétorique de la réforme, de la modernisation, du progrès. Mais cette rhétorique du progrès n'est rien que le nouvel oripeau d'un conservatisme réactionnaire » - c'est de vous qu'on parle - « dénonçant avant tout les exorbitants avantages acquis des salariés ! Le tour de passe-passe sémantique est excellent puisque ce sont les salariés qui paraissent ainsi s'inscrire dans la logique honteuse du " toujours plus ", alors que les grands bourgeois se donnent à voir comme des entrepreneurs, des créateurs d'emplois et de richesses pour le pays, des réformateurs courageux.

« La bataille contre l'ISF prend place, en réalité, dans cette quasi-revendication de la désobéissance citoyenne, du refus de l'impôt et des charges sociales. Certes, on sait que 48 % des ménages ne paient pas d'impôt sur le revenu, mais c'est parce qu'ils sont trop pauvres.

« Pour illustration, l'INSEE estimait en 2004 à 3,2 millions le nombre des individus vivant avec 579 euros ou moins par mois, somme considérée par les statisticiens comme le seuil de pauvreté. Or, c 'est une tout autre condition pour les Français les plus fortunés, qui, grâce à un capital social très important - un système de relations qui comprend des avocats fiscalistes et des personnes influentes au niveau de la haute administration et du monde politique - profitent des quelque 418 niches fiscales recensées par le Conseil des impôts en 2003 - Conseil qui regrettait que seulement 56 % de ces régimes d'exception aient donné lieu à un chiffrement précis. »

Oui, messieurs les ministres, vous ne voulez pas la transparence, vous ne voulez pas que nous sachions ce qui se cache dans ces 44 % de niches et surtout pas qui en profite !

L'offensive contre l'ISF est, cette année, de très grande envergure. Nos collègues de droite se sont surpassés, rivalisant d'inventivité dans le but de vider cet impôt de sa substance, à force d'allégements, d'abattements, d'exonérations, tout en conservant une coquille vide pour tenter de sauver les apparences. Dans la tradition de Guizot et dans le rôle de porte-hallebarde zélés de leur maître à penser, leur inspirateur, leur gourou, M. le baron Antoine-Ernest Seillière de Laborde, MM. Mariton, Novelli et consorts ont gagné leur place ou leur strapontin dans le Panthéon des serviteurs des privilégiés. (Sourires plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mais l'opinion n'oublie pas qu'il s'agit d'un impôt de solidarité, destiné à financer le RMI, dont le nombre de bénéficiaires est en augmentation, conséquence logique de la politique actuelle qui fabrique des RMIstes avec des chômeurs exclus de l'indemnisation.

Le Syndicat national unifié des impôts a chiffré le coût des cadeaux proposés.

Pour l'actualisation sur l'évolution des prix pour la base de la seule année 2004 - seuil de la première tranche à 732 000 euros - : 32 millions d'euros.

Pour le rattrapage cumulé depuis 1997 - seuil de la première tranche porté de 720 000 à 798 000 euros - : 200 millions d'euros.

Pour le plafonnement abaissé à 70 % et la suppression du « plafonnement du plafonnement » : 200 millions d'euros.

Pour l'abattement de 30 % sur la résidence principale : 57 millions d'euros.

Pour la réduction du nombre de tranches : de 330 à 870 millions d'euros.

Voilà qui se passe de commentaires ! Surtout si on compare ces chiffres avec les 4 euros supplémentaires par mois que vous consentez au titre de la prime pour l'emploi. Le raccourci est éclairant. D'ailleurs, il vous laisse cois, ce que je comprends parfaitement ! (Sourires.)

M. Christian Cabal et M. Richard Mallié. Quoi ? (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. Messieurs les ministres, rappelez-vous que l'actuel président de la République a attribué son échec de 1988 à la suppression de l'ISF.

M. Jean-Yves Hugon. Nous ne le supprimons pas.

M. Jean-Pierre Brard. Certes, vous êtes trop habiles pour le supprimer : vous le videz de son contenu. Le ministre d'État m'évoquait cet après-midi les artistes qui modèlent la terre. D'une masse informe, ils font quelque chose qui prend des contours - résultat de la création de l'esprit - sans pour autant correspondre à une réalité vivante. C'est ce que vous faites avec l'ISF. Vous en gardez les contours, vous habillez vos capitulations et vos renoncements devant les demandes des privilégiés. Et que reste-t-il ? Rien ! Croyez-vous que les Français soient assez sots pour ne pas voir que vous videz cet impôt de solidarité de son contenu ?

Pourquoi une telle agressivité contre ces cotisations sociales ? Jean-Marie Harribey, maître de conférences à l'Université-Bordeaux IV - chez M. Juppé - l'explique : « Que l'on ne s'y trompe pas. L'offensive contre les prélèvements obligatoires est dirigée contre les suppléments obligatoires. Que l'on sache, un emploi créé dans les hôpitaux ou l'industrie pharmaceutique n'est pas moins bon qu'un emploi dans l'industrie automobile ou les arsenaux. Alors, pourquoi les commentateurs économiques se pâmeraient-ils d'aise s'ils apprenaient que les Français avaient augmenté leur consommation d'automobiles de 4 ou 5 % par an et se lamentent-ils en apprenant un tel chiffre à propos de la santé ? Pour une simple raison : non pas parce que nous ne sommes pas collectivement assez riches pour nous "offrir" des jeunes sans mortalité infantile et des vieux de plus en plus vieux, mais parce que la progression de dépenses de santé qui sont socialisées entraîne automatiquement une modification de la répartition des revenus dans un sens légèrement favorable aux couches sociales défavorisées : sans Sécurité sociale, elles auraient moins accès aux soins et, sans école publique, leurs enfants ne recevraient que très peu d'instruction.

Telle est la raison fondamentale qui pousse les élites à remettre en cause l'État-providence : depuis deux décennies, elles n 'ont eu de cesse que de briser les résistances salariales au niveau de la répartition primaire des revenus, puis, une fois presque parvenues à leurs fins sur ce terrain-là, elles s'attaquent à la répartition secondaire, les transferts sociaux. »

Contrairement à ce que vous affirmez, le coût du travail en France n'est absolument pas ce boulet qui pénaliserait notre économie. Ainsi, le coût annuel moyen d'un salarié en 2000, était de 37 941 euros en France contre 45 664 euros en Allemagne, soit un écart de plus de 20 %. La part des salaires dans le PIB français, qui s'établissait à 75,5 % pour la période 1971-1980, plafonne à 69,2 % en 2001-2002. Un chiffre proche de la moyenne de l'Europe des quinze - 68,4 % - et inférieur, quelle révélation pour vous, au Royaume-Uni - 72,9 %.

Dans le même temps - mais les ministres n'en ont pas parlé -, la productivité horaire du travail a progressé de 2,32 % en moyenne chaque année entre 1996 et 2002, davantage qu'aux Etats-Unis, où la hausse a été limitée à 1,99 %. Cette performance des entreprises françaises, dont le Gouvernement devrait tirer fierté, a été atteinte essentiellement grâce aux salariés, les investissements affichant une relative stagnation.

Vous pouvez donc dire qu'en termes de nombre d'heures, les Français travaillent moins qu'à l'étranger, mais vous devez ajouter qu'ils sont plus efficaces et plus productifs. D'ailleurs la France serait-elle aussi bien placée dans le classement des pays exportateurs si notre économie n'était pas productive ?

Je voudrais continuer...

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Ah non !

M. le président. Songez à votre conclusion, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. C'est très volontiers que... (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Je citerai un dernier exemple en guise de conclusion, ce qui n'empêchera pas d'intervenir dans le reste de la discussion.

Notre pays est engagé sur une pente contraire à notre pacte social et à notre pacte républicain.

Vivendi a bénéficié récemment d'un cadeau royal en obtenant le régime du bénéfice mondial consolidé. Si j'en crois la presse, même s'il ne faut pas toujours le faire, ce cadeau a été longuement négocié avec Bercy.

Effectivement, cela en valait la peine. Le régime est obtenu pour une période de cinq ans, à partir de 2004. Vivendi va donc pouvoir activer ses crédits d'impôts, d'un montant de 3,8 milliards d'euros pour les reports fiscaux déficitaires ordinaires, en intégrant fiscalement toutes les filiales qu'il détient à plus de 50 % dans le monde. Selon le régime normal, il faut détenir une filiale, domiciliée en France, à 95 % pour l'intégrer fiscalement. Vivendi Universal pourra donc déduire de sa facture fiscale les impôts payés par SFR-Cegetel à hauteur de sa participation à 56 %. Selon les calculs des intéressés eux-mêmes, cela représente une somme de 500 millions d'euros par an sur une période de cinq à sept ans. Pour les actionnaires, cela représente, d'après les analystes, un gain de 2 euros par action.

Si cet effet d'aubaine devait troubler un tant soit peu leur quiétude, ils peuvent se réconforter en pensant aux modestes, il est vrai, « contreparties sociales » de ce somptueux cadeau. Le groupe promet d'implanter, via des sous-traitants, deux centres d'appels représentant "au moins 300 emplois chacun, d'ici à juin 2007". Par ailleurs, Vivendi Universal contribuera, à hauteur de 25 millions d'euros en cinq ans, à des sociétés de reconversion qui travailleront en concertation avec les collectivités locales et l'État. Selon les experts de Bercy, qui ont visiblement d'excellentes lunettes, cette participation contribuera à créer 1 500 emplois en cinq ans.

M. le président. Si les vôtres sont bonnes aussi, il faut vous acheminer vers votre conclusion.

M. Jean-Pierre Brard. J'y viens.

M. François Rochebloine. Le président est d'une grande gentillesse !

M. Jean-Pierre Brard. Non, il est républicain !

Dans cette opération, le manque à gagner pour les finances publiques sera, tenez-vous bien, d'environ 3,8 milliards d'euros pour une contrepartie de 2 000 emplois, étant précisé que si le coût est certain, les emplois, eux, le sont beaucoup moins.

Je vous laisse faire la division afin que vous vous rendiez compte par vous-même du coût d'un emploi incertain financé par les deniers publics et je vous appelle, chers collègues, à voter cette question préalable. Cela nous permettrait d'examiner plus en détail ce budget et de poursuivre nos investigations sur les cadeaux fiscaux faits aux entreprises et les diverses niches fiscales sur lesquels règne encore une opacité certaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Merci, monsieur Brard, d'avoir respecté votre temps de parole.

La parole est à M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En entendant M. Brard, on ne peut qu'être convaincu de la nécessité de moderniser la discussion budgétaire.

Ce n'est lui faire insulte que de lui dire que son discours comprend énormément de développements hors sujet et démontre sa volonté manifeste de se faire plaisir. Mais ce n'est pas le plus grave. Ce qui est particulièrement désagréable, c'est la façon dont il a mis en cause certains hauts fonctionnaires, chose qui ne se fait jamais.

M. Jean-Pierre Brard. Ils se sont exprimés dans la presse. Or, ils n'ont pas qualité pour le faire !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur Brard, nous vous avons écouté et même subi. Laissez-nous parler maintenant.

M. Gilbert Biessy. Vous aussi, nous vous avons subi !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Des républicains n'ont pas à remettre en cause des hauts fonctionnaires, quels qu'ils soient, surtout lorsqu'ils sont absents. Ce sont des méthodes qui ont pu prévaloir en d'autres lieux mais qui n'ont jamais été acceptées dans notre république et devant l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Vous avez pour habitude de vous présenter comme un grand défenseur des fonctionnaires. En l'occurrence, vous les avez insultés dans leur ensemble au travers de la directrice de l'administration de la législation fiscale, absente ce soir. Je ne l'ai pas nommée, elle était en place quand j'ai pris mes fonctions. Elle mérite, comme toute personne, d'être respectée car elle est éminemment respectable.

Je passe sur les insultes et attaques personnelles à mon endroit. Elles ne méritent nullement qu'il y soit répondu.

En revanche, laissez-moi vous dire combien je trouve déplaisante la façon dont vous présentez les propositions de certains de vos collègues, qui sont élus tout autant que vous. On peut parfaitement estimer que l'ISF présente des défauts pour l'attractivité de la France sans être un suppôt de certains intérêts particuliers. Parler ainsi, c'est insulter des personnes qui ne le méritent pas. Parler ainsi, c'est abaisser le débat public. Parler ainsi, c'est rendre inintelligibles des questions qui mériteraient d'être élevées à un autre niveau. À l'inverse, vous avez parfaitement le droit de considérer que l'ISF est un élément important socialement. Personne ne vous insulte pour autant. Acceptez donc de respecter les autres.

J'en viens au bénéfice mondial consolidé du groupe Vivendi Universal. Un cadeau fiscal, dites-vous ? Là encore, vos propos sont insultants, permettez-moi de vous le dire.

M. Jean-Pierre Brard. Ah, cela a fait mouche !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Non, monsieur Brard, c'est consternant et c'est bien pour cela que je ne m'énerve pas : cela n'en vaut pas la peine.

À ceux qui m'ont déjà entendu parler de ce sujet, je demande de ne pas m'en vouloir de me répéter. Si vous aviez pris la peine de vous pencher sur le dossier, vous sauriez que le bénéfice mondial consolidé est un dispositif fiscal créé par le général de Gaulle en 1965 afin de favoriser le développement des grands groupes français à l'étranger. Il estimait à juste titre qu'investir à l'étranger coûtait beaucoup d'argent.

Cette très bonne mesure permet aux entreprises de déduire les dépenses d'acquisition à l'étranger sur les bénéfices faits en France. Autrement dit, il s'agit de faire bloc des bénéfices et des pertes du même groupe et si les investissements à l'étranger mettent du temps à produire des revenus, ils sont imputés sur les revenus français.

Ce système ne doit pas être si mauvais puisque la gauche n'y a pas touché quand elle était au pouvoir. S'il était injuste, malhonnête ou inutile, il se serait bien trouvé dans les deux septennats de François Mitterrand et dans le quinquennat à Matignon de Lionel Jospin des hommes aussi compétents que M. Migaud pour le remettre en cause. Jamais cela n'a été fait, y compris lorsque quatre ministres communistes siégeaient au Gouvernement.

Pour achever de rendre ridicule votre argumentation, j'ajoute que la décision n'est pas prise par le ministre des finances. La procédure d'agrément est engagée par le Comité des agréments du bénéfice mondial consolidé. Et il compte parmi ses membres, non pas des représentants du cabinet ministériel, mais des directeurs de l'administration des finances, comme le directeur général des impôts ou la directrice de la législation fiscale, toutes personnes ayant pour habitude de se complaire dans la facilité, comme on le sait ! Ce sont eux qui ont proposé au ministre des finances, en l'occurrence Francis Mer, de donner l'autorisation à Vivendi.

Lorsque j'ai constaté l'importance de la somme en jeu - moindre que celle que vous avancez, mais je ne rentrerai pas dans les détails d'un dossier sur lequel j'ai énormément travaillé, même si je me tiens à votre disposition pour vous fournir toutes les précisions utiles -, j'ai pris contact avec les dirigeants de l'entreprise en leur demandant des contreparties en termes d'emplois. Personne ne m'obligeait à le faire.

De mémoire, monsieur Migaud, je dirai qu'il y a douze à quatorze grandes sociétés françaises qui bénéficient du régime du bénéfice mondial consolidé. Et jamais un gouvernement ne leur avait demandé de tels engagements. Je l'ai fait.

À Belfort, à Arles, ...

M. Alain Marty. Ou à Sarrebourg !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ...ou à Sarrebourg, où des centres d'appels représentant 300 à 400 emplois chacun vont être installés, personne n'apprécierait l'humour de votre intervention et le dédain avec lequel vous avez évoqué ces créations.

Vous le voyez, il n'y a ni mystères, ni secrets,...

M. Jean-Pierre Brard. peine !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... j'ai suivi l'avis du comité. Aurait-il fallu que je le refuse pour la seule raison qu'il s'agissait de Vivendi et qu'il y a eu les histoires que l'on sait avec Jean-Marie Messier ? Cela aurait été le contraire de la démocratie, cela serait revenu à commettre un délit de sale gueule. On aurait donné des droits non pas en fonction de la loi mais en fonction des retombées médiatiques que l'on pouvait craindre.

Cela n'a donc rien à voir avec un cadeau. Si vous me l'aviez demandé, je vous aurais donné toutes ces explications sans aucun problème. En tout cas, vous le voyez, cela ne méritait pas de telles mises en cause.

Enfin, on peut aimer Proust sans être homosexuel, on peut considérer que Voyage au bout de la nuit est un grand livre, peut-être l'un des plus grands du xxe siècle, sans être antisémite, et on peut apprécier les films de Tom Cruise et même le recevoir sans être scientologue. Mais pour cela, monsieur Brard, il faut une grande ouverture d'esprit. Ce soir, cela n'était pas donné à tout le monde ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Jean-Pierre Brard. On ne doit jamais se compromettre avec des voyous !

M. le président. Dans les explications de vote sur la question préalable, la parole est à M. Paul Giacobbi, pour le groupe socialiste.

M. Paul Giacobbi. M. Brard a parlé avec humour, conviction et parfois avec l'originalité qui lui est propre. On ne peut pas partager tous ses propos. On peut même comprendre que l'on s'en offusque, mais on ne peut certainement pas en contester la sincérité. Elle traduit en réalité un sentiment général d'injustice sociale, de parti pris que soulève votre budget - d'aucuns auraient parlé d'esprit de classe. Et je dois dire que vous ne faites rien pour le dissiper, si ce n'est parfois avec quelques paroles. Mais il n'en demeure pas moins que vous accentuez systématiquement des positions, j'allais dire parfois des provocations.

Vous me répondrez que le sentiment n'a rien à faire avec le budget, mais quand on veut faire passer des réformes il faut être juste et donner le sentiment de la justice. Ce n'est manifestement pas le cas. C'est pourquoi le groupe socialiste votera la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Pour le groupe UMP, la parole est à M. Hervé Mariton.

M. Hervé Mariton. Je me suis demandé, comme tous mes collègues certainement, si l'intervention excessive et assez déplacée de M. Brard méritait une réponse.

M. Pascal Terrasse. M. Mariton n'est jamais excessif, c'est bien connu !

M. Hervé Mariton. M. Brard nous a montré, pendant un long moment, comment opposer les uns aux autres. Il nous a fait un superbe exposé d'expression archaïque de lutte des classes (« Ah ! » les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), sans aucune dynamique créatrice. Dans sa logique, ce que gagnent les uns, les autres le perdent nécessairement.

M. Jean-Pierre Brard et M. Daniel Paul. Eh oui !

M. Hervé Mariton. Bref, voilà une vision pessimiste, gauche et sinistre de la vie.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est vrai !

M. Hervé Mariton. M. Brard, parlant de misère, a cité, à juste titre, ATD Quart-Monde. Puis-je rappeler que, libre de tout ancrage politique, cette organisation a compté parmi ses principaux responsables historiques des hommes qui ont parfois fait un bout de chemin avec nous tout en exprimant très légitimement leur engagement social ?

Quant à Montreuil, je dois dire que je m'inquiète de la situation sociale qu'il a décrite dans la ville qu'il gère.

N'oubliez pas, monsieur Brard, et on le dira à de nombreuses reprises au cours du débat, la dimension sociale du budget que nous soutenons : augmentation du SMIC et de la prime pour l'emploi, exonération de la redevance audiovisuelle pour un million de foyers modestes. Ne vous en déplaise, toutes ces mesures ne sont en rien contradictoires avec une dynamique libérale pour la croissance et l'emploi, mais plutôt parfaitement complémentaires.

Ensuite, si je peux sourire un peu, permettez-moi de vous dire, comme vous le suggérez, que le Gouvernement sait prendre l'argent là où il est, en plafonnant la provision pour hausse des prix de 250 millions d'euros. C'est un prélèvement sur Total qui aujourd'hui ne paraîtra pas totalement injustifié.

Enfin, vous nous avez beaucoup parlé du paradis et de l'enfer, d'éthique et de Panthéon. Nous avons reçu à l'Assemblée, il y a quelques jours, Mgr Minnerath qui vient de publier aux éditions du Cerf - il y a d'autres auteurs que vous qui publient aux éditions du Cerf - un ouvrage avec une postface de Michel Camdessus intitulé Pour une éthique sociale universelle. Mgr Minnerath y démontre très bien, au-delà des convictions religieuses des uns et des autres, que, lorsque l'on recherche une éthique sociale, point n'est besoin d'opposer les uns aux autres, ni par catégorie, ni dans le temps. Que cela vous inspire, monsieur Brard ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Pour le groupe des député-e-s communistes et républicains, la parole est à M. Jean-Claude Sandrier.

M. Jean-Claude Sandrier. Monsieur le président, ce ne sera pas une surprise si je vous dis que nous voterons la question préalable car il n'y a pas lieu de débattre.

D'abord, et c'est comme cela chaque année, le budget présenté ne sera pas celui qui sera réalisé. Voilà pourquoi il serait nécessaire de le retravailler. Ce budget ne répond pas aux objectifs qui ont été affichés. Mais, comme certains trouveront que cet argument est insuffisant, j'ajouterai une deuxième raison.

Cet après-midi, monsieur le ministre d'État, vous nous avez beaucoup parlé de croissance et du fait qu'on faisait moins bien que d'autres. Mais moins bien que qui ? Depuis la mi-septembre, vous nous répétez sans cesse que l'on fait un point de plus de croissance que nos partenaires de l'Union européenne et qu'il faut l'imputer à votre politique. Mais je vous rappelle que c'est le cas depuis sept ou huit ans. Est-ce par rapport à la Chine ? La comparaison ne serait pas très sérieuse.

Peut-être est-ce par rapport aux États-Unis ? Mais que font-ils de leur croissance, croissance due essentiellement à leur industrie militaire ? Souhaitez-vous qu'il y ait, comme dans ce pays, un déficit considérable ? Leur croissance sert-elle à créer des emplois ou à augmenter leurs salaires ? Sert-elle à mieux soigner les Américains ? Je pense que non. La vraie question est donc la suivante : à quoi doit servir cette croissance ?

Monsieur le ministre d'État, vous avez insisté sur la valorisation du travail. Jamais ceux qui ont siégé de votre côté n'ont admis de gaîté de cœur de baisser la durée du travail. Ce n'est donc pas une nouveauté qu'ils y soient opposés.

Il me semble que vous confondez la valorisation du travail et celle des dividendes. Je crois sincèrement que c'est vous qui le dévalorisez, en facilitant les licenciements - on a vu récemment que vous avez bloqué in extremis ce qui était une provocation -, en développant la précarité de l'emploi et les très bas salaires, notamment par le biais du temps partiel, en laissant stagner les salaires - le président de notre commission lui-même est obligé d'insister pour augmenter le traitement des fonctionnaires -, en rémunérant davantage l'argent que le travail - vous savez très bien que les actionnaires demandent aujourd'hui un rendement de leurs actions de 15 % alors que les salaires augmentent de 1 à 2 % et que l'inflation est de 1,8 % -, en rémunérant moins les heures supplémentaires, etc. Et je pourrais allonger encore la liste.

Le problème - et ce n'est pas le groupe communiste qui le dit mais Patrick Arthus, économiste reconnu - ce n'est pas la durée du travail, mais le niveau de rentabilité exigé par les actionnaires et les marchés financiers. Il ajoute que la hausse des profits a été obtenue par l'absence de distribution des gains de productivité du travail aux salariés. C'est cela, la dévalorisation du travail.

M. Richard Mallié. Quel culot !

M. Jean-Claude Sandrier. Enfin, vous estimez qu'il faut faire de nombreux efforts en faveur des nouvelles énergies. Mais deux mesures au moins vont à l'encontre de ce discours. En effet, c'est le budget de l'environnement et du développement durable qui connaît la plus faible baisse, après celui de la jeunesse et des sports et de la vie associative.

M. Michel Bouvard. Il y a des postes que l'on peut diminuer !

M. Jean-Claude Sandrier. De plus, vous multipliez par deux l'exonération de taxe professionnelle pour les poids lourds de plus de 7,5 tonnes, et non de plus de 16 tonnes. Vous favorisez la route et la pollution au détriment du rail.

Ce budget est donc, sans aucun doute, à revoir, si l'on veut qu'il réponde aux objectifs que vous affichez. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Lassalle, pour le groupe UDF.

M. Jean Lassalle. Le groupe UDF a écouté attentivement M. Brard, comme l'ensemble de l'Assemblée, mais il n'a rien entendu qui soit de nature à voter la question préalable.

Sur le fond, Nicolas Perruchot et Charles de Courson donneront leur sentiment au cours de la discussion générale. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Merci pour votre concision, monsieur Lassalle.

Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Nicolas Perruchot.

M. Nicolas Perruchot. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à l'issue de l'examen en commission de ce projet de loi de finances pour 2005, il apparaît que nous sommes actuellement dans une situation budgétaire difficile qui nécessite, à mon sens, une réforme en profondeur de l'État et de nos institutions.

Je sais, monsieur le ministre d'État, les difficultés auxquelles vous êtes confronté pour présenter un budget volontariste sur le plan des grands équilibres budgétaires. J'ai noté votre volonté d'ouverture, qui s'est manifestée cet après-midi par des avancées notables, notamment en matière de TIPP. Néanmoins, le groupe UDF ne peut passer sous silence un certain nombre de failles.

D'abord, on nous présente pour cette année un budget en équilibre. Laissez-moi émettre quelques réserves. Le déficit des finances publiques ne sera réduit que de 10 milliards d'euros en 2005, cette réduction étant déjà partielle et quelque peu artificielle. Ce déficit était estimé à 55 milliards d'euros en 2004 et à 45 milliards d'euros pour 2005. L'amélioration est obtenue pour moitié par le versement de la soulte d'EDF-GDF de 7 milliards d'euros - M. de Courson y reviendra demain en détail.

L'essentiel du redressement comptable a donc été obtenu par des mesures qui ne seront pas reconductibles l'année prochaine. C'est dire si nous sommes loin, et je le regrette, de l'équilibre budgétaire !

Ensuite, je souhaite mettre en exergue l'insuffisance de ce budget en matière de justice sociale, même s'il comporte, je le reconnais, des mesures fiscales positives en matière de droits de succession. Il apparaît, en effet, qu'un certain nombre de dispositions ne sont pas équilibrées du point de vue de la justice sociale. Le groupe UDF veut faire « bouger » ce budget sur un certain nombre de points.

En premier lieu, les Français sont particulièrement inquiets de l'augmentation du prix des carburants. En moins de quatre mois, le baril d'or noir a progressé de plus de vingt dollars. Cette augmentation des prix du brent se répercute directement à la pompe. Selon une étude récente, les stations-service françaises à l'enseigne des compagnies pétrolières vendaient, vendredi dernier, l'essence sans plomb en moyenne à 114 centimes d'euro et le gazole à 98,7 centimes. On atteint là des records.

Cette hausse s'explique par un grand nombre de causes structurelles sur lesquelles je ne reviendrai pas. Il faut y apporter, me semble-t-il, deux types de réponses, l'une conjoncturelle, l'autre structurelle.

Tout d'abord, quand le pétrole augmente, l'État ne doit pas s'enrichir, comme il le fait actuellement, au détriment des consommateurs. Il faut au contraire que les recettes fiscales supplémentaires qui arrivent dans ses caisses soient redistribuées grâce à un mécanisme pérenne et efficace. Le groupe UDF appelle de ses vœux un tel dispositif. Sur ce point, monsieur le ministre d'État, vous venez de faire un pas vers nous, ce dont je vous félicite. Nous souhaiterions que la redistribution des recettes supplémentaires intervienne rapidement. Vous avez pris l'engagement qu'elle s'effectuerait dès la semaine prochaine. Sur ce point, nous avons été entendus.

Mais cette mesure ne saurait suffire. Il faut faire un effort important en ce qui concerne les énergies de substitution, notamment les biocarburants. Nous vous ferons dans ce domaine des propositions que, j'espère, vous accepterez. Ce dossier ne saurait souffrir d'un manque d'ambition de la part du Gouvernement.

En ce qui concerne la suppression du prêt à taux zéro, le PTZ. Il s'agit, à mes yeux, d'une erreur. Cette mesure d'accession à la propriété est un système simple et efficace, qui a fait ses preuves.

M. Michel Bouvard. Il est élargi !

M. Nicolas Perruchot. Il importe de le protéger plutôt que de réinventer sans cesse des usines à gaz.

M. François Rochebloine. Très bien !

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. C'est un expert qui parle ! (Sourires.)

M. Nicolas Perruchot. En ce qui concerne la hausse de 50 % du plafond de la réduction d'impôt sur les emplois familiaux, sujet également cher à notre groupe, nous estimons qu'elle est excessive car elle ne concerne qu'un nombre très marginal de foyers - environ 60 000 - parmi les plus aisés.

Il serait sans doute plus juste d'instaurer un dispositif permettant aux personnes imposables et non imposables d'y avoir recours, en transformant, comme nous le proposons, cette réduction d'impôt en crédit d'impôt. Un million de foyers supplémentaires bénéficieraient alors de cette mesure.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ce ne serait pas très bon pour le déficit !

M. Nicolas Perruchot. Je sais que, dans cette affaire, vos marges de manœuvre sont étroites, mais je pense qu'une telle mesure pourrait être mise en place à coût constant pour l'État. En outre, il y a là un véritable réservoir d'emplois à créer, aspect qu'on ne saurait négliger. J'ajoute qu'une telle mesure représenterait un moyen efficace de lutte contre le travail clandestin.

Enfin, le groupe UDF refuse le nouveau mode de calcul des pensions de réversion prévu par le décret du 24 août dernier, qui aura pour conséquence de supprimer ces pensions pour de nombreux veufs et veuves. La logique voudrait que la pension de réversion corresponde à un droit acquis définitivement par les cotisations du conjoint. Nous attendons que le Gouvernement s'engage fermement sur ce mode de calcul. On ne peut pas à la fois augmenter les prélèvements sur les catégories de population les plus modestes, supprimer le prêt à taux zéro, réduire les pensions de réversion pour de nombreux veufs et veuves, et, dans le même temps, afficher des baisses d'impôts pas toujours bien ciblées, comme la revalorisation excessive du plafond de la réduction d'impôt pour les emplois familiaux.

C'est pourquoi - nous l'avons déjà dit - le groupe UDF conditionnera son vote à la prise en considération de ces indispensables rééquilibrages, gages de justice sociale, que sont le maintien du prêt à taux zéro, la non-revalorisation excessive du plafond pour les emplois familiaux ou la mise en place d'une solution plus juste en matière de pensions de réversion.

Ce budget nécessite un rééquilibrage social car, sans justice sociale, nos concitoyens ne sauraient comprendre ni accepter les réformes nécessaires que nous devons impérativement mettre en œuvre pour moderniser notre pays.

En effet, pour le groupe UDF, il est ici question de budget, mais aussi, surtout, de responsabilité. En tant que parlementaires, nous avons pour mission d'assurer un vrai rôle d'évaluation et de contrôle du projet du Gouvernement. Cette responsabilité s'exerce d'abord vis-à-vis de l'ensemble de nos voisins européens, envers lesquels nous avons pris des engagements, puis vis-à-vis de la nation, c'est-à-dire de chaque citoyen de notre pays, contraint de payer les dettes d'un État qui doit de toute urgence se réformer, et enfin vis-à-vis des générations futures, nos enfants et nos petits-enfants qui, inévitablement, hériteront d'une dette trop lourde, cadeau empoisonné d'une époque - la nôtre - où peu d'hommes politiques osent dire « non » à l'irresponsabilité, à l'opacité et surtout à l'accumulation des dettes, et où peu de dirigeants osent prendre le risque de la vraie décision politique qui cherche, par-dessus tout, l'intérêt général avant les intérêts particuliers.

À mon sens, cette notion de responsabilité est la condition sine qua non du respect de notre pacte social. Nous devons pouvoir répondre aux questions simples du type « qui fait quoi ? » et « qui est responsable de quoi ? »

On a vu que, aujourd'hui, ni le déficit ni la dette ne sont maîtrisés. Certes, il est plus facile d'en parler que d'y parvenir. Mais, puisque tel est le cas, il faut l'assumer et dire aux Français : « La situation n'est pas la meilleure qui soit ; cependant nous allons engager de vraies réformes, exigeantes sûrement, mais qui sont la seule issue à la situation budgétaire actuelle. » C'est grâce à cet impératif de transparence et à cette exigence de lisibilité de l'action politique que nous préserverons la crédibilité et la légitimité même de l'État.

C'est pourquoi il est impératif, à mes yeux, de « réduire la voilure » de cet État. J'ai particulièrement apprécié, à cet égard, l'intervention du président de la commission des finances, Pierre Méhaignerie, qui demandait tout à l'heure le véritable démarrage de la réforme de l'État.

Réduire la voilure de l'État, c'est le réformer, en profondeur. C'est le rendre plus sobre et plus efficace. C'est assainir les finances publiques par des réformes qui permettront de fonder une véritable culture de l'efficacité budgétaire. C'est réduire la pression fiscale sur le travail et sur l'initiative pour encourager la libre entreprise et créer du profit. C'est investir avec confiance dans la recherche et le développement afin d'être compétitif face aux défis que nous devrons relever si nous voulons agir de manière efficace, solidaire et responsable.

Nous l'avons maintes fois répété, les quatre réformes indispensables à la croissance et à l'emploi sont les retraites, l'assurance maladie, la décentralisation et la réforme de l'État. Les députés de notre groupe, notamment Charles de Courson, ont montré combien elles étaient nécessaires. Je serais tenté d'en ajouter une cinquième, devant vous, ce soir : l'indispensable réforme de la loi sur les 35 heures. Ces réformes sont la clef de l'assainissement des finances publiques et de notre capacité à créer de la richesse.

Or, aujourd'hui, je me permets de dresser un bilan quelque peu mitigé des tentatives du Gouvernement en la matière.

De nombreuses inquiétudes subsistent sur l'avenir des retraites en France, car la question de leur financement reste entièrement posée, malgré la réforme qui a été votée dans cet hémicycle. Si l'action du Gouvernement a apporté une amélioration dans ce domaine, il n'en demeure pas moins que l'équilibre financier est loin d'être assuré. J'ajoute que nous n'avons rien fait pour l'instant, ce qui est regrettable, à l'égard des régimes dits spéciaux.

De même, pour l'assurance maladie, les mesures proposées en termes de financement ont pour conséquence de reporter sur les générations futures la prise en charge du déficit. Différentes questions comme la maîtrise des dépenses de santé, l'évaluation des professionnels et la responsabilisation des patients demeurent pour l'instant sans réponse.

Quant à la décentralisation, elle nous avait été présentée comme « la mère des réformes », le projet de loi initial ayant pour double but de clarifier les compétences des collectivités et de faire de la région le chef de file en matière économique. Or le texte voté a transformé la responsabilité de la région en une simple compétence en matière de coordination des actions de développement économique. Ce changement de cap du Gouvernement n'a fait que vider le texte de sa portée initiale et tendre à complexifier davantage les responsabilités locales. Nous avons pu apprécier depuis quelques jours - je m'adresse notamment à ceux de mes collègues qui sont maires - la manière dont les régions ont réagi face à ce que l'on appelle à présent « l'impôt Raffarin », en décidant de faire payer aux communes le différentiel qu'elles ne voudront pas accepter de la part de l'État.

Je suis certain en tout cas que ceux qui, dans quelques jours, se rendront au congrès des maires, sauront se saisir de cette question importante, qui fait peser beaucoup d'incertitudes budgétaires sur toutes les mairies de France.

En guise de renforcement du dialogue social, la loi sur les 35 heures a été assouplie. Toutefois, j'aurais souhaité, comme bien d'autres dans cet hémicycle, que ce projet aille plus loin, tant pour éviter aux entreprises un renchérissement du coût du travail et inaugurer par là une véritable relance de l'emploi, que pour assurer la reconstruction d'un véritable dialogue avec les partenaires sociaux. À cet égard, les idées du rapport Camdessus vont dans le bon sens, tout comme celles qui avaient été émises dans le rapport Novelli remis, il y a quelques mois, à certains de nos collègues.

Pour conclure, je dois reconnaître que le Gouvernement a le mérite d'avoir abordé certains sujets et d'avoir posé certaines questions. Mais la conjoncture est trop grave pour qu'on se contente d'y répondre de manière frileuse ou inachevée.

La question essentielle est simple. Tous les Français se la posent aujourd'hui : qui paye le déficit et qui le paiera demain ? La réponse l'est tout autant : ce seront, à terme, les générations futures et c'est, dès aujourd'hui, tout le pays qui doit payer, notamment les plus défavorisés.

À nous de prendre nos responsabilités. L'UDF prend les siennes et soutiendra toute mesure allant dans le sens de la justice sociale et de la réforme. Vous l'avez compris, notre vote dépendra bien sûr des efforts que fera le Gouvernement, dans le cadre de cette discussion, pour faire véritablement bouger les lignes et donner à l'opinion les signes forts d'un rééquilibrage social.

Un premier pas vers nous a été effectué cet après-midi en ce qui concerne le prix du carburant. Nous attendons les mesures concrètes qui suivront et des actes précis sur les autres problèmes que nous avons soulevés. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. Mon intervention ne portera que sur le volet des collectivités territoriales. Mon ami Jean-Claude Sandrier s'exprimera plus tard sur l'ensemble du projet de loi de finances.

Après les lois relatives aux responsabilités locales et à l'autonomie financière des collectivités locales, les élus locaux auraient pu espérer une attention particulière et des moyens mieux adaptés à l'exceptionnelle évolution des charges qui vont peser sur les budgets des communes, des départements et des régions.

Mais c'eût été faire preuve d'une grande naïveté, monsieur le ministre, que de croire encore à un sursaut de générosité de votre part à l'égard des institutions les plus proches des hommes et des femmes de notre pays.

Non contents des dégâts sociaux causés par vos choix de politique nationale, vous en rajoutez en contraignant les collectivités locales à n'avoir d'autre alternative que de réduire les services rendus à leur population ou d'augmenter le poids de la fiscalité locale.

Vous tentez même, par ce biais, de vous défausser de vos responsabilités en arguant que, si le Gouvernement peut baisser les impôts, les communes, les départements et les régions pourraient faire de même ! Mais vous vous gardez bien de dire que vos baisses d'impôt ne s'adressent, pour l'essentiel, qu'aux privilégiés, alors que, budget après budget, vous organisez une réduction drastique des marges financières des collectivités locales.

Lors de son intervention dans le débat sur les délocalisations, le président Méhaignerie a parfaitement illustré le credo de la majorité actuelle. Il nous a en effet expliqué que le niveau élevé des dépenses publiques et sociales devenait un handicap pour la compétitivité et l'emploi et que, ces deux dernières années, les dépenses sociales de l'État et des départements avaient progressé de plus de 12 %.

Mais comment pourrait-il en être autrement quand deux millions et demi de personnes, dont 800 000 enfants, vivent en France de l'aide alimentaire, que des milliers d'étudiants sont démunis, que l'on évalue entre quatre à cinq millions le nombre de demandeurs d'emploi et de salariés précaires, que 10 % des Français vivent aujourd'hui en dessous du seuil de pauvreté et que le nombre d'allocataires du RMI a progressé de plus de 10 % en un an ? Comment, dans ces conditions, la demande publique et sociale pourrait-elle ne pas progresser ?

Il faudrait être insensible pour ne pas entendre les cris de détresse d'un nombre sans cesse croissant de nos concitoyens et pour refuser d'y répondre.

C'est pourtant ce que vous faites en préconisant la réduction de la dépense publique et sociale au profit des nouvelles largesses que le MEDEF vous commande de lui accorder.

C'est ce que vous faites en refusant aux collectivités territoriales les moyens financiers nécessaires à la réduction des drames, des souffrances d'hommes, de femmes et d'enfants à la vie brisée par les logiques économiques destructrices que vous voudriez graver demain dans le marbre du très libéral projet de traité de constitution européenne.

Cette logique, quoi que vous en disiez, n'épargne pas le volet « collectivités territoriales ».

Dans le cadre du contrat de croissance et de solidarité, les dotations sous enveloppe qui leur sont attribuées évolueront, en volume, de 1,2 milliard d'euros.

Vous auriez pu faire beaucoup mieux en écoutant les associations d'élus qui demandent que la croissance profite aux collectivités locales par une prise en compte à hauteur de 50 % du PIB. Je pense même qu'il ne serait que justice qu'elles en profitent à 100 %.

Vous en aviez les moyens, puisque la suppression de la part salaire de la taxe professionnelle ne représente pas pour l'État une dépense de 9 milliards, mais seulement de 1,9 milliard d'euros.

Vous en aviez les moyens, puisque vous récupérez indûment sur les budgets des collectivités plus de 1,6 milliard de cotisations de péréquation et de cotisation minimale de TP, et 2,5 milliards de baisse du plafonnement en fonction de la valeur ajoutée.

Quant aux dotations hors enveloppe, vous le savez bien, elles ne sont pour l'essentiel que des remboursements de taxes payées à l'État par les collectivités locales - le FCTVA notamment - ou des compensations d'exonération ou de dégrèvement d'impôt, notamment de taxes professionnelles.

Vous pouviez faire autrement, mais vous avez préféré alléger d'un milliard d'euros la fiscalité des entreprises, qui se voient ainsi gratifiées, cette année encore, d'une manne financière supplémentaire.

Comme le rappelait mon ami Alain Bocquet la semaine dernière, ce gouvernement a consenti, au total, 20 milliards d'euros d'exonération. M. le ministre d'État en attribue 15 milliards au financement des 35 heures.

Même si nous l'admettions, les 5 milliards restant représentent tout de même près de cinq fois l'évolution que vous concédez cette année aux collectivités territoriales au titre de l'enveloppe normée.

Pourtant, un grand nombre de ces entreprises grassement exonérées réalisent des profits colossaux. En 2003, Total réalise plus de 6 milliards de bénéfice ; Peugeot 1,7 milliard ; Renault 1,9 milliard ; Saint-Gobain 1 milliard ; L'Oréal 1,3 milliard ; Aventis 2 milliards ; Gaz de France 3 milliards ; le groupe BP a réalisé quant à lui près de 3 milliards de bénéfice net cette année mais a réduit de 5 millions d'euros sa cotisation de taxe professionnelle dans la communauté d'agglomération de son principal site de production. Monsieur le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire, vous connaissez bien cette situation.

Vous vous glorifiez, monsieur le ministre d'État, d'avoir reconduit, mais pour un an seulement, le contrat de croissance et de solidarité qui devrait assurer une progression de 2,87 % des dotations. Nous aimerions bien pouvoir le vérifier pour chacune de nos communes.

Faute de pouvoir disposer de vos simulations, j'en ai fait réaliser quelques-unes afin d'apprécier plus précisément la traduction réelle de vos décisions sur l'évolution des dotations d'État.

En nous fondant sur vos hypothèses de gel de la dotation forfaitaire, de la baisse de près de 11 % de la DCTP et d'une hausse moyenne de 20 % de la DSU ou de la DSR aux communes qui pourront y prétendre, nous observons, sur cinq communes testées, deux hausses de dotations inférieures à l'inflation et trois baisses !

Ces quelques exemples ne sauraient évidemment suffire à rendre compte de la réalité de toutes les évolutions, mais je crains beaucoup qu'ils n'en fixent la tendance générale.

Voilà qui illustre l'incongruité des propos tenus par M. le ministre délégué à l'intérieur, qui a affirmé, devant le comité des finances locales, que la loi de finances donne aux collectivités territoriales tous les moyens de réussir la première étape de la décentralisation, prétendant que l'effort de l'État doit être souligné !

Quel effort, monsieur le ministre d'État ?

Le Gouvernement s'est essoufflé avant d'être parti et, à l'arrivée, la majorité des collectivités locales ne verront rien venir de ce que vous leur aurez promis.

Dans le cadre des lois Raffarin, les départements et les régions devront faire face à de nouvelles dépenses. Ainsi, les départements se sont vu confier une grande part de l'action sociale - je pense notamment au RMI et RMA -,...

M. Michel Bouvard. Et l'APA ?

M. Michel Vaxès. ...la gestion des routes nationales, souvent en mauvais état,...

M. Michel Bouvard. C'est vrai !

M. Michel Vaxès. ...le fonctionnement des services départementaux d'incendie et de secours, en constante croissance, ou encore le recrutement et la gestion de dizaines de milliers de personnels TOS des collèges. Au titre de ces nouvelles compétences, ils devront assumer pas moins de 8 milliards de dépenses supplémentaires.

Les régions, quant à elles, avec le transfert des TOS des lycées, l'aide aux entreprises, la formation professionnelle, les ports d'intérêt national ou les aérodromes civils, devront assumer pas moins de 2,5 milliards d'euros de dépenses nouvelles.

Contrairement aux promesses et à ce qu'exige la Constitution, les nouveaux financements ne permettront pas de compenser ces transferts. Votre loi de décentralisation est, en réalité, une gigantesque opération de délestage des charges de l'État sur les collectivités locales : c'est une véritable bombe à retardement, dont nous mesurerons les effets destructeurs dans quelques années.

Que vous l'admettiez ou non, vous contraindrez les collectivités locales qui ne souhaitent pas affaiblir leurs politiques sociales à augmenter leurs impôts pour assumer les charges que vous leur transférez.

Le transfert d'une part de la TIPP aux régions et celui d'une part de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance aux départements ne feront qu'augmenter les inégalités entre les collectivités locales. Vous revendiquez pourtant le sens de l'équité !

La conception que vous en avez appelle plusieurs remarques.

La première, pour souligner que votre réforme des dotations, y compris la DSU et la DSR, est entièrement financée par la DGF. Autrement dit, ce sont les collectivités qui paient la réforme, mais le Gouvernement qui en fixe les contenus. Étrange façon de concevoir les relations entre l'État et les collectivités territoriales !

La seconde, pour m'interroger sur la pertinence des critères retenus pour fixer le montant de ces dotations. Ainsi, je doute fort que la superficie d'un territoire rende mieux compte que la longueur de ses voiries, des charges que doit supporter une collectivité.

M. Michel Bouvard. C'est pourtant un critère intéressant !

M. Michel Vaxès. Je n'ai pas le temps de développer ce point. Mais puisque vous prétendez réduire les inégalités entre collectivités et territoires, je m'étonne que vous n'envisagiez pas de renforcer sensiblement le poids du critère le plus pertinent et le plus juste pour l'évaluation des difficultés comparées des collectivités territoriales, à savoir le revenu moyen par habitant. Ce sont, en effet, les collectivités qui accueillent les populations les plus fragiles socialement qui sont confrontées aux demandes publiques et sociales les plus importantes.

Autant de raisons, mes chers collègues, pour conclure que le volet des finances locales du projet de loi, à l'image de l'ensemble du texte, est fiscalement injuste et socialement très insuffisant. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard.

M. Michel Bouvard. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l'examen du projet de loi de finances pour 2005 qui nous réunit s'inscrit dans un contexte de croissance retrouvée - 3 % au deuxième trimestre 2004 par rapport à la même période de 2003, contre 2 % en moyenne pour la zone euro. Nous devons nous réjouir collectivement d'une telle évolution.

Il appartient au budget de 2005 de conforter la croissance, laquelle est indispensable au retour à l'emploi de ceux de nos concitoyens qui en sont privés, et de la rendre durable.

Conforter la croissance, tel est bien l'objectif des principales mesures inscrites dans le projet de loi de finances.

Je citerai en premier lieu celles en faveur de la relance de la consommation, qui est le principal moteur de la croissance, notamment de la consommation de nos concitoyens les plus modestes. La revalorisation du SMIC de plus de 5 %, qui permet de réunifier progressivement les différents salaires minimums, mettant ainsi un terme au démantèlement du SMIC, conséquence des 35 heures, constitue, pour plus de 1 million de Français, une mesure de justice sociale, dont le coût est assumé par le budget de l'État. La majoration de 4 % de la prime pour l'emploi - plus du doublement par rapport à l'inflation - constitue une avancée importante et un autre soutien au pouvoir d'achat de ceux qui travaillent et ont fréquemment le sentiment que la valeur de leur travail n'est pas suffisamment prise en compte.

Pour ceux qui, comme moi, croient que la réussite collective du pays passe par la revalorisation du travail des plus modestes, il s'agit d'une orientation importante.

Je citerai, en second lieu, les mesures en faveur de la dynamisation des entreprises. La prolongation de l'exonération de taxe professionnelle favorisera les investissements et la suppression de la surtaxe de 3 % en deux ans à l'impôt sur les sociétés nous permettra de revenir vers la moyenne européenne. Il s'agit bien là de mesures positives, comme le sont également celles qui permettront de favoriser la relocalisation dans notre pays d'activités et d'emplois, et surtout de structurer les capacités de recherche et de développement de l'industrie par la mise en place de pôles de compétitivité.

Sur ce dernier point, j'exprimerai clairement ma préférence, monsieur le ministre d'État, pour un soutien amplifié à la recherche-développement par rapport à des mesures ponctuelles d'allégement de charges pour des emplois dont la pérennité n'est pas assurée et qui peuvent quelquefois relever du simple effet d'aubaine. Il conviendra de se montrer vigilant sur ce point. De même, il conviendra de s'assurer que les mesures prises en faveur des zones éligibles à la PAT ne se fassent pas au détriment des zones de revitalisation rurales qui ne le sont pas toutes.

Par-delà ces mesures d'appui à la consommation et à l'investissement, en vue de stimuler la croissance, ce qui importe, c'est bien de construire une croissance durable.

Le passé récent, de même que l'histoire budgétaire des vingt dernières années, nous l'ont enseigné, : une croissance durable n'est compatible ni avec la poursuite des déficits et la progression continue des dépenses de fonctionnement ni avec l'accroissement des effectifs de l'État. C'est lorsque la croissance est au rendez-vous qu'il convient d'être plus rigoureux dans la gestion de l'État, afin de préparer l'avenir. Telle est bien l'ambition de ce budget, qui prévoit la réduction de 10 milliards d'euros du déficit en inscrivant, pour la troisième année consécutive, une croissance de zéro des dépenses, ce qui, compte tenu de l'inflation prévue, marque une véritable diminution de ces dernières.

Alors que la charge de l'annuité de la dette constitue le deuxième poste budgétaire de l'État - 15 % - et que celle-ci, combinée aux dépenses de personnels et de pensions, représente plus de 55 % du total, un tel gel des dépenses de fonctionnement est indispensable pour mettre progressivement fin à l'effet boule-de-neige du déficit et de l'endettement, fort bien décrit par le rapporteur général dans son rapport.

Ayant exprimé ma satisfaction sur tous ces points, et avant d'évoquer la réforme budgétaire, j'en viens à quelques recommandations.

La première a trait à l'attractivité de notre pays. Celle-ci, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, ne saurait uniquement se construire par voie fiscale. L'attractivité dépend également de la qualité de la formation et de celle de nos infrastructures. Pour financer ces dernières, l'engagement de l'État demeure indispensable. La réorientation progressive de notre budget vers l'investissement civil, qui demeure le parent pauvre, est donc nécessaire. Mais qu'on ne s'y trompe pas ! Une telle réorientation ne peut pas venir d'un accroissement des dépenses, alors que notre pays emprunte pour assumer une partie de ses dépenses de fonctionnement. Elle passe obligatoirement par une réduction des dépenses de fonctionnement. C'est seulement ainsi que l'État pourra honorer sa signature dans les contrats de plan, lesquels accusent, il est vrai, un retard de deux ans en moyenne.

M. Jean-Pierre Kucheida. Colossal !

M. Michel Bouvard. Il convient donc, mes chers collègues, d'avoir le courage de poser le problème de la réduction des emplois publics. Le non remplacement de 10 211 agents partant en retraite et la création de 3 023 emplois dans les secteurs prioritaires - justice, enseignement supérieur et sécurité - permettront de réduire de 7 188 les effectifs de l'État. C'est plus qu'en 2003 et en 2004. Encore faut-il qu'une telle diminution soit réelle si l'on veut la voir se traduire par une minoration effective des charges de personnels actifs ou pensionnés dans le budget de l'État. La charge des retraites de la fonction publique s'accroîtra en effet en 2005 de 2 milliards d'euros.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, lors de l'examen de la loi de règlement du budget 2003, j'ai évoqué ici même le problème posé par la transformation de postes contractuels en postes titulaires, ou par les fausses diminutions d'effectifs, consistant à transférer dans des établissements publics des postes précédemment rémunérés par l'État mais qui, de ce fait, continuent à l'être par le biais de subventions à ces mêmes établissements, ainsi que la Cour des comptes l'a mis en évidence dans le cas du ministère de la culture. De telles pratiques doivent cesser et les réductions d'emplois doivent être de vraies réductions.

C'est possible dans un grand nombre d'administrations centrales, ainsi qu'au travers de réformes de structures qui ne remettent pas en cause la qualité du service rendu à la population. L'aboutissement de la réforme de la perception de la redevance télévision est, à ce titre, exemplaire, puisqu'elle permet de réduire de mille emplois les effectifs du ministère des finances, tout en exonérant les titulaires du RMI et les propriétaires de résidences secondaires de la redevance, sans diminuer pour autant les moyens du service public de l'audiovisuel. Il convient d'en féliciter le Gouvernement, lequel a su entendre les propositions de la commission des finances.

Il conviendra toutefois de s'assurer - nous serons vigilants sur ce point - que les postes économisés au recouvrement de la redevance télévision soient bien réorientés vers d'autres services, et ne servent pas à constituer de nouvelles structures.

La mise en œuvre de la LOLF et des plafonds d'autorisation d'emplois, de même que l'avènement d'une gestion de ces derniers par métiers, plutôt que par statuts, devront favoriser la mise en œuvre des stratégies ministérielles de réforme. Les objectifs présentés par chacun des ministères témoignent non seulement d'une prise de conscience, mais également de l'existence de marges de progrès considérables.

La maîtrise des emplois publics passe également par la lutte contre l'inflation normative et réglementaire, qui se développe considérablement et aboutit à la multiplication des procédures, des contrôles et des commissions et à l'alourdissement des charges pour les entreprises, les collectivités territoriales et les associations. Il y a là un gisement d'économies et d'emplois incontestable, qui correspondrait à une amélioration des relations de nos concitoyens avec l'État.

Faute de temps, je me bornerai à évoquer le coût de la mise en œuvre de telle directive sur la qualité de l'eau, qui conduit à déclarer impropres à la consommation des sources non polluées et utilisées depuis des décennies, et engendre des centaines de milliers d'euros de dépenses pour les collectivités locales.

J'évoquerai aussi les superpositions des réglementations d'urbanisme et des structures de contrôle, les conflits d'interprétation entre services de l'État, sans parler des expériences hasardeuses du ministère de l'environnement en matière de réintroduction de prédateurs - 3,2 millions d'euros pour cinquante loups en 2004 ! Oui, des économies sont possibles sans réduire le service au public.

Cela passe également par une vraie décentralisation,...

M. Gilbert Meyer. Très bien !

M. Michel Bouvard. ...dans laquelle l'État ne cherche pas à substituer aux services transférés aux collectivités un autre service chargé de les contrôler, ce qui se traduit par une inflation de dépenses. Que dire, à cet égard, du ministre de l'équipement qui, au moment du transfert des routes aux départements, édicte de nouvelles normes pour les tunnels ou propose, comme il l'a fait ici même un mercredi après-midi, la création d'un centre d'appel de l'État pour recenser les défauts de signalisation sur les routes nationales qu'il s'apprête à transférer aux conseils généraux ?

Que dire aussi, mes chers collègues, de nos propres tentations de créer hautes autorités, observatoires et hauts conseils. Pierre Méhaignerie et Gilles Carrez ont évoqué le Haut Conseil contre les discriminations, certes fort utile, mais qui contribue à cette inflation de structures publiques brouillant l'organisation de l'État alors que des regroupements sont possibles. Lors de l'examen du seul projet de loi relatif à EDF, trois amendements de création d'observatoires et de structures diverses ont été proposés par la commission des affaires économiques,...

M. Gilbert Meyer. Le président Ollier n'est pas très vigilant !

M. Michel Bouvard. ...alors que le Conseil supérieur de l'électricité et du gaz, devenu Conseil de l'énergie, pouvait gérer les compétences.

Quand engagerons-nous la réforme des outils de prospective de l'État ? Le Commissariat général au Plan a-t-il encore une raison d'être depuis que le Plan n'est plus l'« ardente obligation » voulue par Charles de Gaulle dans la définition des grandes politiques structurelles d'investissement du pays ? Cette mission de prospective ne peut-elle être assumée, par exemple, par la DATAR ?

M. Gilbert Meyer. Le délégué général vient de partir pour la Chambre de commerce et d'industrie de Paris !

M. Michel Bouvard. Les chemins de la rationalisation du fonctionnement de l'État sont multiples.

Le président de la commission des finances évoquait l'impatience et - pourquoi ne pas le dire ? - l'irritation de la commission des finances quant à la gestion du patrimoine immobilier de l'État. 50 millions d'euros seulement ont été réalisés, sur les 500 millions inscrits au budget pour 2004 ! Sans parler de la gestion immobilière des établissements publics : nous nous souvenons des problèmes identifiés par la MEC à propos du système ferroviaire français. Dois-je encore évoquer les recettes attendues et jamais arrivées ? Je ne prendrai qu'un exemple des incohérences : la vente des locaux de l'ENA, annoncée comme emblématique de cette gestion immobilière nouvelle, donne lieu, quelques mois plus tard, à une proposition d'acquisition de la part de la Fondation nationale des sciences politiques, dont la Cour des comptes a souligné la fragilité financière et dont le budget est largement pourvu par l'État.

M. Gilbert Meyer. C'est le poids de l'histoire !

M. Michel Bouvard. Monsieur le ministre, les progrès du contrôle parlementaire sont indispensables à cette rationalisation et ne peuvent que vous aider à atteindre vos objectifs. L'approche adoptée par votre ministère pour la mise en œuvre de la LOLF, à travers le dialogue ouvert sur l'élaboration de la nouvelle maquette budgétaire, a démontré votre volonté d'accepter cette place renforcée du Parlement dans la mise en œuvre des lois de finances.

Il reste toutefois quelques progrès à accomplir sur cette maquette, notamment pour le découpage de certains programmes qui demeurent trop volumineux en crédits, notamment au ministère de la défense. Je salue le respect du calendrier : si nous ne sommes pas en avance, du moins les craintes de retard sont-elles levées, grâce à l'action d'Alain Lambert, à qui je veux rendre hommage, et à la vôtre, messieurs les ministres.

Vous avez rappelé que le remplacement de 850 chapitres par 132 programmes permettra une meilleure lisibilité du budget, tout en ouvrant un droit d'amendement et de réaffectation des crédits. Les expérimentations de la LOLF, qui concerneront, en 2005, 10 % du volume du budget, cinquante services et 600 000 agents, permettront de diffuser la culture de la LOLF. Les nouveaux bleus, établis par mission, sont cette année au rendez-vous, et nous vous en remercions. Ces documents, comme les réponses aux questionnaires budgétaires, permettront d'avoir une première image des futurs indicateurs de performance, pour lesquels nous formulerons des propositions dès le début de l'année 2005. Certains ne sont pas à la hauteur de nos attentes, et de nombreux indicateurs non renseignés démontrent les progrès que peut faire encore le contrôle budgétaire.

La discussion de la modification de la loi organique sur les lois de finances sera l'occasion, dans quelques semaines, de formuler des propositions concrètes pour compléter le dispositif de 1999 sur plusieurs points où nous pouvons, sans remettre en cause l'action de l'exécutif, renforcer le contrôle du Parlement et faire descendre la culture du contrôle dans l'hémicycle.

C'est à cette condition que la réforme budgétaire sera un succès et qu'elle permettra, au-delà du budget de 2005, d'inscrire la gestion de l'État dans une logique de résultats permettant de conforter durablement la croissance.

Souscrivant aux orientations de ce budget, constatant la volonté du Gouvernement de permettre le renforcement du contrôle parlementaire en matière budgétaire, notre groupe apportera son appui au projet de loi de finances pour 2005. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Éric Besson, dernier orateur pour cette séance.

M. Éric Besson. Monsieur le ministre d'État, je reviendrai d'abord sur votre intervention de cet après midi. Je suis frappé par la posture d'observateur que vous adoptez de plus en plus fréquemment : lorsque vous décrivez tous les maux qui accablent l'économie de notre pays, que vous stigmatisez tant de blocages et décrivez tout ce qu'il conviendrait de faire, on serait tenté de vous demander si vous vous souvenez que vous êtes le numéro deux du Gouvernement depuis deux ans et demi ! Vous estimez-vous donc si peu responsable, si peu solidaire, si peu comptable de ses résultats ?

Je prendrai deux exemples concrets. En matière d'emploi, tout d'abord, à vous écouter aujourd'hui comme pendant la campagne électorale de 2002, vous n'avez qu'un slogan à la bouche : « Libérer le travail ! ». Savez-vous que, depuis que vous gouvernez, la France compte 230 000 chômeurs de plus et que le nombre de RMIstes, de chômeurs de longue durée ne cesse d'augmenter dans des proportions telles que, le week-end dernier encore, tous les observateurs et toutes les associations ont dénoncé l'augmentation de la pauvreté et de la très grande pauvreté en France ? N'êtes-vous donc responsable ou co-responsable de rien ?

Vous qui dites vouloir être jugé sur des résultats, ne croyez-vous pas que le numéro deux du Gouvernement pourrait s'interroger tranquillement et lucidement sur une stratégie qui a fait 230 000 chômeurs de plus alors que, comme vous l'avez vous-même reconnu, la croissance mondiale est très forte depuis trente mois ?

Vous dites réhabiliter le travail, et feignez de ne pas comprendre qu'il peut y avoir une distinction entre la durée individuelle et durée collective du travail. Jamais les Français n'ont collectivement travaillé autant qu'en l'an 2000 : alors que la durée individuelle moyenne du travail avait baissé, le nombre d'heures travaillées par l'ensemble des Français a battu un record historique. Qui défend le mieux la valeur travail : un gouvernement qui réduit de 920 000 le nombre de chômeurs en cinq ans, ou celui qui accroît ce nombre de 230 000 en vingt-six mois.

Ce résultat sur lequel vous prétendiez être jugé n'est pas le fruit du hasard ou de la conjoncture internationale, mais la conséquence prévisible, prévue par nombre d'entre nous, d'une politique économique à contre-emploi et d'un démantèlement quasi-systématique des outils des politiques actives de l'emploi. Quelles conclusions tirez-vous de cet échec ? Si nous avons bien compris, vous expliquez que vous allez accélérer dans la même direction ! Là encore, nous vous jugerons sur pièces : le juge de paix, ce seront les chiffres du chômage.

Le deuxième exemple que j'évoquerai est celui des délocalisations, dont vous parlez avec force, n'hésitant pas à caricaturer les propos de l'opposition, notamment les miens - et je passe, par mansuétude, les attaques personnelles auxquelles vous vous êtes livré la semaine dernière, qui ne m'ont pas paru être de votre niveau.

Personne ne nie la réalité des délocalisations ni n'en méconnaît le risque. A fortiori, personne ne sous-estime la détresse des salariés touchés par les délocalisations. Mais ce que l'on attend du ministre de l'économie, c'est d'abord qu'il contribue à établir un diagnostic clair sur ce sujet sensible. Or, vous nous avez dit clairement la semaine dernière que vous n'en saviez rien. Selon vous, les statistiques et les économistes ne sont pas à l'unisson de ce que nous entendons et croyons observer dans nos circonscriptions - dont acte ! Mais, monsieur le ministre, si vous n'en savez pas plus que nous, soyez donc plus modeste et n'attisez pas les angoisses des Français !

D'un ministre de l'économie, on pourrait au moins attendre, à défaut d'un diagnostic précis, un minimum de cohérence. Mardi dernier, alors même que le Président de la République et plusieurs ministres se targuaient, en Chine, de contrats mirobolants, vous nous disiez ici le pire de nos échanges avec ce pays. Suggériez-vous de renforcer les exportations et d'interdire les importations en provenance de Chine ?

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ce n'est pas de la caricature, ça ?

M. Éric Besson. Aviez-vous d'autres suggestions ? Nous n'en avons rien su, pas plus que nous ne vous avons entendu sur le risque réel qui accompagne nos ventes en Chine : celui d'un transfert mal maîtrisé de technologies.

Enfin, d'un mardi à l'autre, nous n'avons rien su de plus de vos propositions. Vous avez agité ici quelques hochets, quelques gadgets, mais vos mesures de relocalisation ne sont qu'un retour aux bonnes vieilles zones franches, qui restent pour la droite l'alpha et l'oméga d'une politique de compétitivité. Vous-même paraissez y croire si peu que vous prétendez vous en tirer par une pirouette : tout à l'heure encore, vous nous avez dit que, si ça ne marchait pas, ça ne coûterait rien au budget de l'État... Tout ça pour ça ! Tout ce tintamarre, tout ce dénigrement de notre pays, de sa compétitivité et de ses atouts, pour une ridicule mesurette !

À propos de l'emploi et des délocalisations, vous qui prétendez en permanence incarner l'action laisserez, en quittant le ministère, un maigre bilan : des mots, un rapport Camdessus que vous jugez excellent et qui l'est d'autant plus à vos yeux qu'il reprend pour l'essentiel vos arguments et votre vision libérale de l'économie - il est si proche de votre pensée que vous auriez pu nous faire faire des économies, même modestes, en le faisant écrire directement par vos collaborateurs.

J'en viens à l'insincérité du budget que vous nous présentez. Vous affirmez que la prévision de croissance est une science incertaine. C'est vrai : parfois, comme en 2004, on fait mieux, et parfois nettement moins bien, comme en 2003, et nul ne peut donc vous jeter la pierre - à condition cependant que vous ne niiez pas la réalité lors du vote du budget, et que l'erreur de prévision soit commise, si je puis dire, de bonne foi. Or, ce n'est pas le cas. Vous prétendiez vous appuyer sur le consensus des économistes, mais vous savez bien qu'ils sont unanimes à prévoir un baril de pétrole bien plus cher que dans vos prévisions. Vous-même avez reconnu la semaine dernière à la radio que rien ne permettait d'envisager une baisse du prix du pétrole. Or, un baril à 50 dollars au lieu de 36, c'est au moins un demi-point de croissance en moins, et sans doute davantage, compte tenu de l'impact de cette hausse sur le pouvoir d'achat des ménages, notamment modestes, puisque vous refusez, sans que nul ait jamais compris pourquoi, le retour au mécanisme simple et efficace de la TIPP flottante. Vous préférez vous en remettre - vous, le chantre de l'action immédiate ! - à une commission qui dira comment, en 2005, vous rendrez aux Français les taxes qu'ils paient aujourd'hui. Pourquoi une commission pour un phénomène bien connu et déjà si abondamment disséqué ? Pourquoi attendre 2005 et confier à votre successeur ce que vous pourriez vous-même mettre en œuvre très rapidement ?

Dans ce budget, le pouvoir d'achat des plus modestes et la consommation populaire, pourtant moteurs déterminants de la croissance, sont les grands sacrifiés. Vous voulez quitter Bercy à droite. Après vos déclarations d'amour enflammées et bien excessives envers les États-Unis, vous laissez à la frange des députés libéraux - auxquels on peut d'ailleurs reconnaître une grande constance dans leurs analyses et leurs propositions depuis deux ans - une sorte de testament libéral, comme un signe d'appartenance. Vous leur dites que, comme eux, vous êtes libéral - à preuve les principales mesures que vous proposez sur les successions, les donations, les emplois à domicile et, d'une façon à peine plus feutrée et ambiguë, l'impôt sur la fortune.

Monsieur le ministre, l'avenir dira si votre passage à Bercy aura servi votre carrière, mais ce qui paraît acquis, c'est qu'il ne restera pas comme un modèle de clarté et de cohérence, d'efficacité économique et de justice sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Aujourd'hui, mercredi 20 octobre, à quinze heures, première séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2005, n° 1800 :

Rapport, n° 1863, de M. Gilles Carrez, rapporteur général au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

À vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la première séance

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 20 octobre 2004, à une heure.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot